Chapitre 6. Le mirage du reyisme
p. 187-228
Texte intégral
« Deux figures doivent se présenter à tes yeux : celle de la patrie et celle du Général Díaz. Laquelle vénères-tu davantage ? Devant laquelle t’inclines-tu1 ? »
1. Un mouvement toléré ?
1Nombreux sont les moments forts du reyisme, qui ponctuent sa participation à la crise politique de la fin du régime porfirien. Le premier est la naissance des organisations (le RI. en décembre 1908, le CJPD fin avril 1909) ; vient ensuite l’élargissement de la base sociale du mouvement, à partir du mois de mai 1909. Finalement, l’adhésion de quelques militaires puis celle, massive, des étudiants, d’une force symbolique particulière, feront dans les mois de juin et juillet monter l’effervescence reyiste à son comble. C’est autour de ces derniers événements que se déclenche la répression.
2Par ailleurs, ces quatre moments constituent des occasions privilégiées de contact entre le reyisme et l’opinion publique. C’est autour d’eux que l’image publique du reyisme s’est structurée et c’est par leur biais que le mouvement a considérablement élargi sa base. Ils méritent donc d’être étudiés dans le détail.
3Quant à la naissance des organisations — analysée précédemment — il reste à dire qu’elle a fourni au sentiment qu’était le reyisme au départ, un cadre pour ses inquiétudes et un programme concret d’action, permettant au mouvement de se développer.
1.1. Élargissement des bases du reyisme
4Par rapport à l’élargissement de sa base sociale, on constate que le mouvement intègre un public de plus en plus large et déborde rapidement le cercle initial. L’évolution est, sur ce point, très significative du nouveau profil du reyisme. La première étape du mouvement avait été en effet caractérisée par une composition élitiste clairement revendiquée. Ceci est net dans le discours du parti Independiente, qui se targue même du fait que ses premiers adhérents soit des « notables », ce qu’il considère comme une garantie de leur influence sur le reste de la société2.
5Cette conception traditionnelle, qui insiste sur l’importance des membres « éclairés » de la société, conçus comme guides de son ensemble, sera mise à l’épreuve avec l’incorporation dans le mouvement de nombreux individus et groupes sociaux : étudiants, commerçants, artisans, colporteurs.
6A partir du mois de mai, non seulement des éditoriaux commentent les sympathies des ouvriers et des journaliers pour Reyes3, mais une affiche de soutien à la candidature de Díaz et de Reyes — dont le texte est reproduit par El Diario del Hogar et ensuite par les journaux locaux — signée « La classe ouvrière », apparaît à Mexico le 5 mai4 Quelques jours plus tard, apparemment, des ouvriers et artisans amenés de divers états à Mexico pour participer à une manifestation réélectionniste auraient acclamé Reyes à la fin du meeting5.
7Si, jusqu’au mois de mai, les adhésions se font par groupes d’individus dont malheureusement on ignore l’appartenance sociale, à partir de la fin juin une importance de plus en plus grande est accordée, par les adhérents eux-mêmes, à cette appartenance, ce qui suggère à quel point le reyisme s’est diffusé par la mobilisation de réseaux personnels au sein des milieux professionnels. C’est ainsi que l’on peut identifier comme reyistes la totalité des membres de la Sociedad Mutualista de Dependientes, des groupes de commerçants, de médecins, colporteurs, ouvriers, artisans et industriels ; et finalement des cheminots6.
8C’est donc pendant cette période que l’on voit le reyisme descendre clairement dans les rues et profiter de toutes sortes de rassemblements pour se manifester : à Mexico lors des meetings réélectionnistes, ou à Guadalajara — particulièrement à la gare —, lors du départ des délégués du Club Central del Partido Democrático7 ou bien à l’occasion d’un retour de voyage du gouverneur Ahumada.
9La diffusion des idées reyistes emprunte des voies traditionnelles pour renforcer les voies modernes utilisées en premier lieu : les adresses au public affichées dans les rues de Guadalajara, puis des principales villes du pays étaient sans doute destinées à atteindre un public plus vaste que celui des lecteurs de La Libertad, donc à élargir le cercle des lecteurs-électeurs potentiels en faisant appel à une méthode de lecture très ancienne, — celle du « placard » —, employée comme outil de la pédagogie civique. Désormais, tradition et modernité vont se combiner dans l’appropriation de l’espace public par le reyisme : dans la presse, le reyisme renforce sa présence (de nouvelles publications apparaissent : d’abord El Globo puis l’hebdomadaire El reyista8 ; le premier doit ensuite doubler son tirage) ; et, dans l’espace public traditionnel — la rue, la gare —, les manifestations reyistes se multiplient.
10S’installe ainsi, entre les reyistes et l’état, une dispute quotidienne pour le contrôle de l’espace public et de l’information, qui révèle différentes formes et réseaux de solidarités en multipliant les pratiques « privées » de participation à la politique, d’appropriation du « public ».
11A Guadalajara, cette dispute est même pittoresque et permet d’apprécier les réseaux reyistes de participation politique à la tâche d’information et de solidarité. A titre d’exemple significatif, le matin du 5 mai — et les reyistes semblent très attachés au symbolisme des dates — le manifeste du P.I. apparaît affiché sur les murs de Guadalajara9. Le matin même, vers huit heures, des agents de la police secrète
« s’appliquaient à coller eux aussi des grandes affiches où l’on peut lire les candidatures du Général Díaz et de Corral [...] [et à] couvrir avec leurs affiches celles du Partido Independiente qui avaient été fixées auparavant10 ».
12La Libertad rend le colonel Nicolás España, chef politique de Guadalajara, responsable de cet acte et l’invite à s’expliquer dans ses pages11.
13España ne fait aucun cas de l’invitation du journal. C’est cependant cette action arbitraire de la police de Guadalajara, qui met en marche un réseau de solidarité alternatif. Sous le titre provocateur « Voyons ce que fait maintenant la Police », le journal de Francisco L. Navarro fait savoir à ses lecteurs que de nombreux commerçants de Guadalajara, en réponse à l’action de la police,
« ont mis sur leurs devantures et panneaux d’annonces privés, les affiches des candidatures du Général Díaz et du Général Reyes12 ».
14La police, quant à elle, ne répond pas aussi rapidement que les commerçants. La mise en jeu d’un space privé la gêne sans doute... pas pour longtemps cependant, puisque lors du rassemblement du Partido Independiente début juin, on fait savoir que les commerçants participant à cette action ont été intimidés par la police afin qu’ils enlèvent les affiches et, lorsqu’ils ont refusé de le faire se sont vus menacer. Non seulement la police avait tenté de leur faire enlever de leurs devantures la propagande reyiste, mais elle avait essayé de la faire remplacer par de la propagande corraliste13.
15C’est ainsi autour du contrôle des espaces potentiels de l’expression politique et de la diffusion des idées que la tolérance du gouvernement devient répression. En plus de l’affaire des affiches, il y a de la part de l’état un effort pour contrôler de près les espaces traditionnels afin que l’opinion dissidente ne s’y manifeste pas trop explicitement.
16C’est à la gare que le jeune Rodolfo Romero acclame Reyes le jour du retour à Guadalajara du gouverneur Ahumada, avant d’être, pour cette raison, suspendu du Lycée de l’état par ordre de son directeur14.
17Plus explicite encore est la décision de Nicolas España de suspendre de ses fonctions, pendant 15 jours, l’officier de police responsable de quartier, qui n’avait pas empêché les manifestations de sympathie adressées aux officiers reyistes de l’armée de passage à Guadalajara, envoyés au Sonora par mesure disciplinaire15.
18Ainsi, la diffusion intense du reyisme par un réseau d’individus tout autant que par la presse et cette appropriation de l’espace public, préparent bien le terrain pour les adhésions nombreuses du mois de mai. De même, les réactions de l’état et l’absence, jusqu’alors, de toute autre opposition organisée dans la région, contribuent à renforcer le reyisme en le faisant apparaître comme la seule option organisée et pacifique d’opposition à l’autoritarisme. Enfin, l’adoption de la formule Diaz-Corral par la Convention Nationale Réélectionniste, a provoqué une réaction d’indignation et de résistance dans les milieux reyistes et a sans doute convaincu ceux — nombreux — qui étaient encore hésitants, d’adhérer au mouvement.
19Tant que le reyisme reste un réseau restreint, la répression ne se fait pas sentir au Jalisco16 ; cependant, dès que le mouvement commence à s’approprier l’espace public et à élargir sa base sociale, l’état ne saurait plus le tolérer. Il a dépassé les limites d’une passion élitiste. La répression devient alors l’une des modalités du rapport entre le reyisme et l’état porfirien. Dans la mesure où elle n’est pas du tout la seule, il est pertinent avant de l’aborder de s’arrêter sur les rapports globaux que ce mouvement eut avec l’état et avec Porfirio Diaz en particulier.
1.2. Le reyisme et le porfiriat
Les rapports entre le reyisme et Porfirio Diaz
20Les rapports entre le reyisme et Porfirio Diaz, de même que l’évolution de l’image de ce dernier chez les reyistes, sont un des éléments les plus riches de l’histoire de ce mouvement. Ils constituent un lieu pour appréhender un moment fondamental de transition des mentalités qui ouvre la voie à une opposition légale au régime, en accord avec le calendrier politique dans sa phase électorale, institutionnelle, par opposition à sa phase de négociation, para-institutionnelle17.
21De la part des reyistes, Porfirio Díaz fait l’objet d’un traitement double : d’un côté il s’agit d’une attitude de façade qui répond à celle de Díaz — de façade également — et qui tient lieu en quelque sorte de « position officielle » du reyisme. C’est une position extrêmement respectueuse des formes, espèce de miroir qui renvoie du dictateur l’image que celui-ci souhaite projeter, à laquelle pourtant personne ne croit plus, comme le fait comprendre le second traitement dont il est l’objet, moins fréquent, parfois subtile, qui montre que les reyistes ne sont pas dupes du jeu porfirien du respect des formes, tout en y participant activement.
22Il y a lieu d’interpréter la première attitude comme une négociation entreprise en vue d’obtenir un respect mutuel tacite entre Díaz et le reyisme. Elle ne fait que s’inscrire dans la lignée de l’opposition libérale déjà traditionnelle au régime, qui n’attaquait pas sa tête mais les niveaux intermédiaires ou des hauts membres de l’administration. En suivant cette ligne, le reyisme se borne à respecter la convention politique qui fait de Díaz une figure sacro-sainte, intouchable, et qui accorde, en retour, une relative liberté d’expression. En ce sens, l’opinion a le droit d’être diverse, pourvu qu’elle s’accorde sur un point : Porfirio Díaz ne peut avoir que des vertus.
23Cet ordre des choses s’avère toutefois quelque peu craquelé lorsque, dans l’ouverture de l’espace public et la tolérance relative qui suivent l’entretien Diaz-Creelman, Francisco L. Navarro ose affirmer la nécessité pour Díaz d’abandonner le pouvoir, sans avoir été l’objet d’aucune intimidation18.
24Ainsi, lorsque le reyisme s’organise, et alors que plusieurs mois se sont écoulés depuis le célèbre entretien, le traitement respectueux voire cérémonieux de Díaz a plutôt l’air d’une concession aux besoins politiques du moment. L’organisation même de la campagne reyiste repose sur une concession majeure à ces besoins politiques : la proposition d’une dernière réélection de Díaz conçue comme un sacrifice patriotique pour atteindre la démocratie,
« en attendant qu’il soit possible que les pratiques démocratiques soient effectives ou qu’elles soient proches de l’être19 ».
25D’ailleurs, cette concession est même formulée en termes de « sacrifice patriotique », puisque l’on reconnaît, dans la conjoncture, l’importance du rôle de Díaz dans la transition vers un régime que l’on veut nouveau.
26La Libertad fournit de beaux exemples de ce double traitement de Díaz. Dans les premiers mois de 1909, c’est le ton combatif qui l’emporte, pour adresser des attaques non pas à Porfirio Díaz mais aux científicos. Cependant, on peut bien sentir une volonté de faire savoir au public que les reyistes ne sont pas dupes de la farce porfirienne. Comme par exemple lorsqu’en parlant des réactions de la presse officieuse à l’entretien Díaz-Creelman, La Libertad affirme :
« Leur premier élan fut, feignant de croire que M. le Général Díaz voulait vraiment se retirer du gouvernement, soi-disant de le supplier, de lui imposer, disaient les plus osés, de continuer [...]20. »
27Francisco L. Navarro semble tenir à donner des preuves répétées de cette clarté avec laquelle il voit l’exercice autoritaire du pouvoir par Díaz ; ses lecteurs pouvaient ainsi lire un mois plus tard :
« Il est évident que le Général Díaz n’a besoin de l’aide de personne pour être réélu, et qu’à ce sujet on ne fera rien d’autre que sa souveraine volonté21. »
28Cependant, par la suite, le discours mettra l’accent sur la possibilité de faire de Díaz un allié. Ainsi, on ne cesse d’appuyer ses propres convictions sur les mots du dictateur, chaque fois que cela est possible. Tel cet article paru le 22 mars qui prônait la liberté de conscience chez les fonctionnaires publics en affirmant :
« Le Parti Independiente croit à son tour [tout comme Díaz] que l’exclusivisme politique n’est plus nécessaire22. »
29Il ne s’agit pas tellement de se rallier en apparence aux propos de Díaz, mais plutôt d’amener celui-ci à se rallier aux propos du mouvement, de l’acculer à le respecter. Díaz était considéré comme la charnière indispensable au salut de la patrie et la patrie était identifiée aux objectifs tracés par le reyisme ; il fallait donc amener Díaz sur le terrain du reyisme. Cette conception faisait du dictateur le principal responsable du destin de la nation. En quelques lignes, José López-Portillo y Rojas exprime bien cette position :
« La responsabilité du Général Díaz est grave ; mais il faut avoir foi dans ses talents et dans son patriotisme. Les destinées du Mexique sont maintenant plus que jamais dans ses mains. Dieu sauve la République23 ! »
30Il s’agissait bien de mettre en marche la logique porfirienne du respect des formes légales ainsi que le prestige personnel de Díaz en faveur du reyisme. C’est alors que la figure de Díaz commence à apparaître comme pouvant être jugée par ses contemporains :
« Il [Díaz] aurait un grand tort maintenant si, se désintéressant des aspirations de la Nation et des conditions entièrement différentes qui prédominent de nos jours, il consentait à laisser les choses dans le même état, pour être conséquent avec la camarilla des científicos [...]24. »
31Le jugement implicite concernait alors non seulement la résolution de la crise politique de la succession mais, à travers elle, l’ensemble de sa gestion. Diaz courait le risque d’être tenu pour traître à ses propres principes. Parallèlement, en le mettant en garde sur la possibilité d’un tel jugement, on faisait savoir au dictateur ce dont on le soupçonnait déjà capable :
« Une telle erreur de Monsieur le Général Díaz [...] équivaudrait à ce qu’il renverse lui-même son œuvre de trente ans, en la léguant à un homme incapable de la conserver et qui n’aurait contribué en rien à la réaliser ; mais surtout parce qu’il contrarierait ainsi d’une façon aussi évidente la volonté nationale qui rejette entièrement M. Corral [...]25 »
32Le dictateur était ainsi placé par les reyistes au croisement historique où il devait décider de son image pour l’avenir :
« La candidature de l’élément officiel en faveur de Corral [...] donnera l’occasion au Général Diaz de laisser à jamais sauf son prestige ou d’en finir avec lui d’un seul coup26. »
33Sur ce registre, la presse reyiste essaya d’influencer le dictateur en évoquant le jugement de l’histoire. Ce fut le cas, notamment, pour essayer de prévenir une déclaration formelle de soutien du président à la candidature de Corral, qui aurait fait de ce dernier un candidat officiel :
« Sachez-le bien, il n’y aura pas de candidat officiel. Le Général Diaz ne peut pas prendre sur lui la terrible responsabilité d’imposer au peuple mexicain un candidat qui ne s’accorde pas avec ses aspirations, et qui n’est pas sympathique à ceux qui défendent la cause de la démocratie27. »
34C’est dans ce glissement progressif de l’image de Diaz du domaine du semi-sacré vers le domaine du commun, que s’insère le discours de El Globo, comme une version plus radicale du discours reyiste de désacralisation. Indépendamment de l’inadéquation de l’expression, parler comme on l’a vu, de « dictature militaire » en mars 1909, signifiait la rupture du protocole tacite envers Diaz.
35Mais la façon la plus explicite d’essayer de contraindre Díaz au respect du mouvement s’est présentée précisément lorsque l’on a senti que l’état réduisait ses marges de tolérance. Ainsi, face à la répression, les reyistes se sont toujours adressés au Président de la République, en lui demandant des garanties28.
Le reyisme et les pouvoirs locaux
36La relation que le reyisme entretient avec les pouvoirs locaux est également significative, en particulier avec le gouverneur Ahumada et, à un autre niveau, avec Nicolas España, chef politique de Guadalajara. Les rapports entre toute force indépendante et ces deux niveaux du pouvoir, revêtent des caractéristiques fort différentes, dérivées en principe de la façon dont s’exerce le pouvoir à chacun de ces deux niveaux et de la symbolique qui l’entoure29.
37Dans ses rapports avec le gouverneur Ahumada, le reyisme agit dans le cadre des normes tacites de la culture politique porfirienne : le gouverneur ne reçoit pas de critiques ou d’attaques directes ; il est tout au plus incité à agir dans un certain sens. Le phénomène qui se produit vis-à-vis de Díaz se reproduit donc à l’échelle régionale. Cependant, vénérer Ahumada comme une autre figure immaculée est plus difficile. Sa « pureté » est plus fragile que celle de Díaz, car il ne peut ajourner indéfiniment (ou apparemment le faire) sa prise de position par rapport aux affaires régionales comme peut le faire à son échelle le dictateur. Un gouverneur n’a pas, entre autres, suffisamment d’intermédiaires pour agir de la sorte.
38Quant à Miguel Ahumada, l’attitude qu’il observe vis-à-vis du reyisme peut être qualifiée de prudente : tolérante d’abord, elle ne devient répressive que sur ordre présidentiel. Le gouverneur sait bien que le Jalisco est majoritairement reyiste ; s’il ne peut lui-même être qualifié de reyiste, il ne peut pas non plus être assimilé aux científicos ; le colonel Ahumada est tout simplement porfiriste et c’est parce qu’il est porfiriste qu’il sera corraliste30. Depuis le lancement de la candidature de Ramón Corral (26 avril 1909), qui exprimait ouvertement pour les connaisseurs du monde politique son officialisation, le rôle de Ahumada au Jalisco n’est pas simple. Le gouverneur observe d’abord un comportement prudent et tolérant, avant de céder à la répression franche du mouvement à travers ses subordonnés.
39En effet, l’officialisation de la candidature de Corral rend la situation plus délicate et la tolérance d’Ahumada vis-à-vis des reyistes s’est progressivement réduite. Sans doute aussi était-il pressé dans ce sens par les autorités fédérales. Le gouverneur a agi d’une manière bien porfirienne, en ne faisant aucune déclaration qui pût compromettre son image, son honneur, et en essayant de paraître le plus impartial possible. Le glissement d’Ahumada vers la répression est donc perceptible à travers des actes de ses subordonnés, notamment le directeur du Lycée de l’état, Agustín Bancalari, et le chef politique de Guadalajara, Nicolás España.
40Jouant sur le même registre que le gouverneur, les reyistes ont employé envers lui une tactique similaire à celle utilisée vis-à-vis de Porfirio Díaz, évitant dans la mesure du possible la confrontation directe et les attaques personnelles et essayant d’obtenir de lui, sinon un ralliement à leur cause, du moins un engagement de respect de celle-ci.
41Ainsi, par exemple, lorsque de nombreux étudiants reyistes sont mis en garde à vue, la première réaction est de s’adresser au gouverneur, en arguant « que sans doute tous ces actes n’étaient pas connus de M. le Gouverneur31 ».
42La retenue observée par Ahumada contraste avec l’attitude d’autres gouverneurs comme Creel — Chihuahua —, qui avait rendu publiques ses intentions d’appuyer par tous les moyens possibles la candidature de Ramón Corral32 ou celle du gouvernement de Sonora qui s’empressa de réprimer les organisations indépendantes33. Comparativement, Ahumada a largement toléré la formation des clubs reyistes dans l’état, comme le montre le développement au grand jour des partis Independiente et Democrático aussi bien que l’absence de plaintes dans la presse reyiste jusqu’à une période aussi tardive que le mois de mai 190934. Ceci ne l’avait pas empêché de collaborer au développement des clubs corralistes de l’état, dans lesquels les autorités cantonales et municipales s’étaient investies, le gouverneur ayant eu le tact de ne pas participer activement à ces clubs.
43En effet, depuis le mois de février, des clubs réélectionnistes s’étaient organisés partout dans l’état, avec la participation de notables et souvent de fonctionnaires publics. Début mars, le Club Central Jalisciense « Porfirio Díaz » réunissait son assemblée générale en présence de quatre-vingt-sept délégués de quatre-vingt-douze clubs formés dans différentes localités de Jalisco. A la tête du club se trouvaient, notamment, le colonel Ignacio L. Montenegro, Président de l’ayuntamiento de Guadalajara et Luis Pérez Verdía, historien35.
44Deux événements marquent le changement d’attitude du gouverneur : l’adoption officielle de la candidature de Corral — à la suite de laquelle se produisent les premières représailles anti-reyistes —, et plus particulièrement une visite de Corral même au Jalisco, que la presse reyiste ne manqua pas de signaler comme suspecte36. A partir de ce moment, les reyistes commencent à redouter le glissement d’Ahumada vers un corralisme ouvert et, partant, vers l’intolérance à l’égard de leur mouvement. La méfiance prend place dans leurs articles :
« La nouvelle de l’entretien s’est répandue dans tout Jalisco et la pensée du peuple pour l’expliquer fut [partout] la même :
“Employer les forces du Gouvernement en faveur du Corralisme et étouffer le mouvement Reyiste”37. »
45El Globo y voyait, de surcroît, une stratégie politique du gouvernement local, puisque ladite conférence coïncidait avec la visite à Guadalajara des autorités cantonales (chefs politiques) et municipales des endroits « où il y avait le plus d’enthousiasme politique »38 Les reyistes s’inquiétaient de la durée du respect tacite de leur mouvement :
« Des rumeurs nous sont parvenues rapidement de nombreux endroits, selon lesquelles on craignait que toute manifestation politique soit réprimée avec dureté39. »
46Plusieurs signes témoignent à leur façon du rétrécissement de la tolérance envers le reyisme, comme le refus par l’ayuntamiento de Guadalajara d’accorder au parti Independiente le théâtre Degollado — le plus important de la ville — pour une réunion40. Les reyistes dénoncent aussi des menaces dont certaines corporations font l’objet afin qu’elles empêchent leurs membres d’adhérer au reyisme (c’est le cas des employés des chemins de fer ; un groupe de cyclistes est invité à ne pas s’engager dans une manifestation pro-Reyes prévue, les étudiants sont menacés d’expulsion), dont la plus frappante est celle faite aux employeurs, afin que les employés du commerce s’abstiennent de se déclarer reyistes41.
47La position d’Ahumada devient nettement anti-reyiste face au renforcement du mouvement étudiant, lorsqu’il ordonne lui-même l’expulsion des jeunes engagés dans le mouvement42. Dès lors, le gouverneur ne fera que s’enfermer de plus en plus dans la voie de la répression43. Il faut toutefois préciser que celle-ci restera modérée et que sept mois s’écoulent avant que le gouverneur Ahumada n’assume une telle attitude et donc avant qu’il ne soit directement attaqué par la presse reyiste, ce qui ne se fait que lorsque le conflit est ouvert.
48Le rapport que la presse et le mouvement reyiste entretiennent avec le chef politique de Guadalajara, le colonel Nicolás España, est tout à fait différent. Effectivement, le caractère intouchable d’España est bien moins ample et résistant que celui d’Ahumada. A la base de cette différence, la nature des charges que ces deux hommes occupent, l’un à la tête du Pouvoir Exécutif de l’état, l’autre comme responsable « politique » du maintien de l’ordre dans le premier canton.
49Si on ignore malheureusement quelle était l’opinion de la majorité de la population au sujet de Nicolás España, on sait en revanche que ses rapports avec les élites de Guadalajara n’étaient pas des meilleurs puisque, déjà en 1908, la destitution du chef politique avait été — infructueusement — demandée à Ahumada par des membres « bien en vue » de la société tapatía44.
50Une autre affaire révèle le mécontentement d’une partie de la population de Guadalajara vis-à-vis de son chef politique — et dans ce cas la population concernée déborde les élites. En mars 1909, España prend un congé illimité et se fait remplacer temporairement par le colonel Ignacio L. Montenegro, président de 1’ayuntamiento de la ville45. España s’absentera très brièvement de son poste, qu’il reprendra dès le 1er avril suivant46 ; ce qui est donc intéressant ici n’est pas l’absence en elle-même, mais la réunion de « près de deux mille personnes » qui demandaient que Montenegro assume le poste de façon définitive47. La police, qui a entravé le déroulement de la manifestation et arrêté son organisateur48, était signalée par La Libertad dans des termes acerbes :
« Cette attitude injustifiable de la police a été durement censurée par le public, puisqu’elle a permis de confirmer la triste opinion qu’on se fait d’elle, à savoir, qu’elle est arbitraire et dépourvue de bon sens49. »
51Et c’est en fait l’arbitraire qui sera souvent associé à la personne d’España, constituant le point central des critiques qui lui seront adressées par la presse reyiste dans les affaires concernant directement le mouvement qu’elle défendait. Ce fut le cas lorsque les affiches reyistes furent recouvertes par des affiches corralistes par la police de Guadalajara ; l’action de ce corps,
« nous fait soupçonner — disait La Libertad — que c’est la Jefatura Política qui a donné un ordre aussi illégal et arbitraire50 ».
52Au fur et à mesure que la situation entre les reyistes et les pouvoirs publics devient tendue, c’est España qui concentre une bonne partie des critiques du mouvement envers les méthodes porfiriennes. Non seulement les journaux, mais les reyistes en général participent de cette opinion et, par exemple, à l’occasion du départ des délégués du Partido Democrático, la multitude réunie à la gare de Guadalajara acclame Bernardo Reyes et hue — en les amalgamant — Ramón Corral et Nicolás España51.
Des militaires militants
53Une des questions les plus délicates pour le reyisme a été la participation de l’armée au mouvement. Elle l’était particulièrement à cause des soupçons de félonie qui pesaient sur Bernardo Reyes et du fait de l’enjeu évident que le soutien pacifique de cette institution représentait pour sa candidature.
54Les mises en cause de la fidélité de Reyes avaient augmenté dans la presse corraliste dans le cours du mois de mai — une des périodes les plus fertiles pour le mouvement — en particulier autour d’une affaire d’introduction d’armes par la frontière nord, dont on disait qu’elles étaient destinées aux reyistes52
55C’est dans ce contexte que quelques officiers commencent à rendre publique leur adhésion au reyisme. Un des premiers à le faire est Rubén M. Morales (lieutenant) qui fait partie de la direction du Club Central Reyista 191053. A ses côtés, onze officiers ont adhéré au même club54. La réaction disciplinaire ne se fit pas attendre et Morales fut immédiatement obligé de prendre un congé de ses fonctions dans l’institution55. Rapidement, les officiers ayant fait une profession de foi reyiste recevaient un traitement comparable à celui que l’on accordait aux Indiens yaquis rebelles de Sonora et étaient envoyés en partie dans l’état de Quintana Roo, ce qui était à l’époque conçu comme une pure et simple déportation. D’autres étaient envoyés au Sonora56.
56L’affaire fait du bruit dans la presse, mais elle donne surtout l’occasion aux sympathisants de la cause reyiste d’organiser une manifestation enflammée. En effet, une partie de ces officiers transférés doit passer par Guadalajara. La nouvelle se répand, une réception enthousiaste est organisée pour eux et leur séjour de quelques jours dans la ville se transforme en fête populaire.
57Les officiers reyistes sont transformés en « héros » par la presse57 qui fait de leur passage par Guadalajara un moment d’apothéose ; ainsi cette description de La Libertad :
« La Gare s’est vue remplie d’une assistance nombreuse, formée de toutes les classes sociales [...] ; quelques minutes avant l’heure du rendez-vous, il était matériellement impossible de circuler dans le voisinage de la Gare [...] ; [les officiers] furent ovationnés par la foule compacte, délirante d’enthousiasme58. »
58Ce « chemin de l’exil » des officiers reyistes contraste avec le caractère punitif de leur voyage ; les descriptions de leur passage ont plus à voir avec une campagne politique en plein essor. La Libertad continue :
« Suivis de la foule, les Officiers se sont dirigés vers l’Hôtel du Musée, où ils resteront un ou deux jours [...]. On prépare en l’honneur des jeunes militaires une audition musicale pour ce soir ou pour demain soir59. »
59L’importance de cette affaire, comme on peut le voir, ne réside pas tant dans le nombre d’adhésions aux clubs reyistes provenant du secteur militaire, car le chiffre en est réduit — qui plus est, dans Jalisco il n’y en a aucune —, que dans son côté symbolique et mobilisateur : la population se mobilise, nombreuse, pour exalter des figures qui deviennent emblématiques et dont le reyisme a fortement besoin. En effet, d’une part, Reyes, qui n’assume pas sa candidature, est une figure statique ; d’autre part, les organisateurs de clubs et partis ne sont pas de grandes figures, aucun d’entre eux ne jouissant d’une notoriété particulière. Or, le reyisme a besoin de personnalités symboliquement fortes et physiquement présentes susceptibles de déclencher la mobilisation. Se produit alors, sur les jeunes mobilisés — militaires, étudiants — une sorte de transfert du caractère emblématique de Reyes. Ces jeunes incarnent les attributs dont on crédite Reyes : la valeur civique, l’honneur, le patriotisme. C’est ainsi que leur passage déclenche une des premières mobilisations reyistes massives. Ces jeunes militaires remplissent — l’espace de quelques jours — le rôle mobilisateur d’un candidat absent.
« Entourés par la foule qui les conduisit jusqu’aux voitures, ils furent embrassés et salués par maintes personnes distinguées et constamment acclamés60. »
60C’est autour de cette affaire que la tension entre les reyistes et le gouvernement commence à monter. Les reyistes, aussi bien dans la presse que dans les rues, aussi bien dans les élites que dans le peuple, font de ces officiers de véritables héros : la presse ne cesse d’exalter leurs prises de position et leurs moindres gestes61.
61Nullement découragés par les mesures disciplinaires, mais plutôt prévenus sur la tactique à suivre, quelques jours plus tard d’autres officiers — dix-sept — se prononcent aussi pour la cause, en prenant cette fois des précautions :
« La façon dont ils le font indique que ces officiers ont soigneusement étudié la question, afin de ne pas s’exposer à être fautifs vis-à-vis des prescriptions de l’Ordonnance Générale de l’Armée [...]62. »
62L’importance de cette prise de position des militaires souligne l’attention accordée au fait de rester dans l’armée : par là même, ces jeunes officiers manifestaient que l’on pouvait être reyiste et soldat ; en outre, ils mettaient en évidence le potentiel reyiste d’une institution qui pouvait peser sur la question de la succession, en influençant directement la décision de Díaz, ou en passant outre les choix du dictateur.
Les étudiants
63Un groupe qui a imprimé au reyisme une force et un dynamisme considérables a été celui des étudiants. Non seulement par leur nombre qui fut, certes, grand, mais aussi par ce que ce groupe représente symboliquement, pour la société de la fin du porfiriat, comme promesse d’avenir.
64Au Jalisco, les étudiants ont été rapidement sensibles au reyisme. Les écoles supérieures de médecine, de jurisprudence, d’ingénierie, de même que le Lycée de l’état ont fourni de nombreux adhérents au mouvement. Dès le 7 janvier 1909 on trouve la signature d’un de leurs dirigeants, Miguel Medina Hermosillo, dans une adhésion au Partido Independiente, ainsi que celle d’Aurelio Aceves, ingénieur et enseignant63.
65La participation des étudiants au reyisme fut une des plus vigoureuses et, pour cette même raison, ils furent les plus visés par la répression anti-reyiste. En effet, le premier reyiste victime de ses convictions politiques est un étudiant, et parmi les premières intimidations institutionnelles adressées aux reyistes on trouve celle du directeur du Lycée de l’état envers les élèves de l’établissement. Il s’agissait d’une réaction à l’engagement ouvert des étudiants dans la cause reyiste et à l’impuissance des autorités des établissements à contenir ce qu’elles considéraient comme un fléau.
66Le mouvement étudiant constitue l’un des piliers du reyisme et fonctionne comme un point de convergence de plusieurs dynamiques du mouvement au Jalisco : les efforts de différents groupes se sont concentrés autour de lui. Les difficultés rencontrées par les étudiants ont permis aux différents réseaux reyistes de se manifester par le biais de la solidarité. Finalement, c’est le groupe étudiant qui a présenté à l’état porfirien un front tenace de défense des droits politiques des citoyens.
67Une des premières manifestations du reyisme des étudiants a lieu vers la mi-mai ; le directeur du Lycée, Agustín Bancalari, se fait accompagner à la gare par une soixantaine d’étudiants, pour la réception du gouverneur Ahumada, qui rentre d’un voyage à la capitale. Apercevant le gouverneur, les étudiants l’acclament tout en acclamant aussi Bernardo Reyes64. Les représailles décidées par Bancalari prirent la forme de la suspension du jeune Rodolfo Romero65.
68Sans se soucier de l’attitude de Bancalari, les étudiants du Lycée se sont joints aux reyistes des écoles supérieures d’ingénierie, de médecine et de jurisprudence, pour lancer une proclamation de la candidature de Bernardo Reyes à la Vice-présidence de la République, qu’ils affichent dans les rues de Guadalajara. Avec l’appui du parti Independiente cette proclamation des étudiants sera distribuée dans d’autres localités66.
69Quelques jours plus tard, le passage par Guadalajara des propagandistes du corralisme donne une nouvelle occasion aux étudiants reyistes de manifester leurs convictions. On les retrouve ainsi nombreux parmi les reyistes qui, avertis à l’avance de l’arrivée des corralistes, se rendent à la gare et remplissent les rues reliant celle-ci au centre ville. Avant l’arrivée du train, la police de Guadalajara s’était déjà emparée de nombreux manifestants, dont une centaine d’étudiants67. La Libertad décrit ainsi les résultats des interventions policières à la fin de la journée : il y avait tant de détenus qu’ils ne rentraient pas dans les cachots et les chambrées du commissariat de police et il fut nécessaire de les amener au patio « en un entassement dantesque »68.
70L’organisation étudiante la plus forte, la Liga de Estudiantes de Guadalajara, s’adresse le soir même à Porfirio Diaz demandant des garanties, en même temps qu’une coalition d’étudiants des écoles supérieures et du Lycée fait circuler des tracts dénonçant les excès de la Jefatura Política69.
71Cette affaire donne lieu à une manifestation populaire qui se prolonge jusqu’au soir. Alors que l’atmosphère commence à devenir très tendue sur la place centrale, on aperçoit le gouverneur Ahumada qui passe en voiture, certains l’approchant afin de lui demander de prendre lui-même en main la situation.
72En véritable « faiseur de justice », Ahumada trouve une issue à cette journée critique ; il accorde d’abord « la plus grande attention aux demandes », convoque ensuite le chef politique, et décide la libération des détenus. Puis il s’adresse aux manifestants sur un ton quelque peu paternaliste, avec succès. « Les manifestants — rapporte finalement le journal — ont quitté les lieux hautement satisfaits du résultat »70. Cependant, le gouvernement fit savoir aux étudiants qu’il fallait choisir entre les études et la politique71.
73La réponse des étudiants fut sans équivoque : dans un manifeste adressé au gouverneur de l’état, et faisant état des articles constitutionnels relatifs à l’exercice des droits politiques, la Liga de Estudiantes de Guadalajara exprimait sa résolution de faire valoir ses droits politiques72. Leur discours exprime clairement la contradiction insurmontable du régime porfirien à la croisée de la pédagogie civique et l’affirmation de l’avènement des citoyens toujours ajournée ; puis entre la formation réelle de citoyens et la paralysie du système politique. Les étudiants se disent
« indignés face à l’alternative ignominieuse qu’on nous a formulée “Étudiants ou électeurs ?” [...] “Étudiants ou citoyens ?”, nous demande-t-on en secret. Et nous répondons à haute voix et la conscience fière [sic], à la face du monde entier : Citoyens73 ! ».
74Ahumada se résout finalement à intervenir ouvertement dans le règlement de l’affaire ; il décide ainsi que tous les étudiants reyistes seront exclus de leurs écoles. Résultat d’une telle disposition : tous les futurs médecins, à l’exception de deux, sont expulsés de leur école, tandis que l’école de Jurisprudence perd 28 étudiants74.
75Le gouverneur ayant tranché de manière défavorable, les étudiants se tournent vers Porfirio Díaz. Celui-ci leur répond avec sa parfaite rhétorique républicaine, se gardant bien d’intervenir dans les affaires internes de l’état (« l’affaire de discipline scolaire est exclusivement du ressort du Gouvernement local »), tout en se réservant une marge de censure éventuelle en se disant étonné que « seulement du fait d’exercer un droit, une peine soit imposée75 ».
76L’affaire des étudiants permet d’appréhender le reyisme sous plusieurs angles : l’évolution de la position de l’état face au mouvement et son glissement progressif vers la répression ; la radicalisation du mouvement, exprimée dans l’évolution d’une partie des reyistes, du compromis à la confrontation avec l’état ; la solidité des réseaux reyistes au Jalisco, illustrée par le soutien moral et matériel de différents groupes aux étudiants, et accrue au fur et à mesure de la radicalisation de ces derniers. Voyons maintenant comment la solidarité s’est mise en marche.
77Les représailles du gouvernement posaient deux sortes de problèmes aux étudiants exclus des écoles supérieures et du Lycée : d’un côté l’évidente question de l’interruption brutale de leur formation et d’un autre côté, pour ceux qui n’avaient pas un soutien matériel familial suffisant, un problème économique de subsistance. La première initiative de solidarité va venir du parti Independiente, qui deux jours avant l’expulsion, prévoyant le durcissement d’Ahumada, souhaite s’adresser aux professeurs des établissements concernés,
« en les suppliant d’effectuer les examens de fin de cours de manière privée, leur proposant pour cela le local de l’École Libre d’Ingénieurs76 ».
78Nul doute qu’une telle proposition souligne l’utilité du réseau personnel d’Ambrosio Ulloa, président du parti qui était en même temps le président de la Sociedad Jalisciense de Ingenieros, à laquelle était sans doute rattachée l’école libre77.
79D’autres initiatives ont secondé celle d’Ulloa, comme celle d’un groupe de cent sept commerçants qui propose une aide économique aux étudiants ne disposant pas de ressources suffisantes78. Des médecins et des pharmaciens ont aussi proposé une aide. Celle-ci concernait directement les internes de l’Hôpital Civil — à l’époque le seul hôpital de la ville — qui avaient, eux aussi, préféré renoncer à leur emploi plutôt qu’à leurs convictions politiques79. Ce groupe était plus réduit que le précédant, puisque l’action débute avec onze personnes80, mais on pouvait s’inscrire à cette action sous un pseudonyme ; sans doute était-ce une précaution liée aux représailles qui avaient déjà affecté certains de leurs collègues à cause de leur position politique81.
80La fermeté des étudiants a donc déclenché le mouvement de solidarité d’autres acteurs, poussant les reyistes à assumer un engagement plus actif, plus agressif et à se confronter clairement au gouvernement pour la défense des droits politiques. Le mouvement fait appel à la mobilisation de la société civile pour pallier la contraction que l’intolérance gouvernementale provoque dans la sphère du public : il n’y a plus de place dans le public pour les étudiants reyistes, il faut donc créer pour eux un espace alternatif.
81Les étudiants, quant à eux, sont allés jusqu’au bout de leur action : toujours dans le cadre légaliste, une commission les représentant va demander justice à Porfirio Díaz82. On retourne ici à un registre traditionnel : le Pouvoir Exécutif est avant tout un faiseur de justice. La demande de droits politiques modernes comme celui d’opinion s’insère ainsi dans un cadre traditionnel et c’est paradoxalement un pouvoir interpellé à la manière traditionnelle qui est censé garantir les libertés les plus modernes.
82La presse reyiste profite de cet événement pour faire de ces étudiants un nouveau symbole. Comme dans le cas des militaires, le voyage de cette commission et l’accueil que les étudiants de la capitale lui réservent, donne lieu à des descriptions glorificatrices83 :
« [ils firent une] entrée triomphale dans une voiture décapotable, et furent acclamés, lors de leur passage dans les rues, par la foule délirante d’enthousiasme84 ».
83Cette affaire marque un tournant essentiel dans les rapports entre le reyisme et les pouvoirs locaux. A partir de l’action des étudiants, il n’est plus question de vanter le respect des libertés au Jalisco, mais de dénoncer comment on n’y respectait pas ce qui était respecté ailleurs.
« Pour quelle raison — s’interrogeait La Libertad — est-il possible de faire librement dans la capitale de la République, sans entraves policières d’aucune sorte, une manifestation démocratique qui, ici à Guadalajara, serait visiblement punie85 ? »
1.3. Reyistes et porfiristes ?
84Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le corralisme a beaucoup contribué au développement du reyisme. En effet, l’imposition de la candidature de Ramón Corral à la Vice-présidence n’a fait que renforcer les positions reyistes et augmenter le nombre des adhérents au mouvement. Le corralisme est ainsi devenu synonyme d’arbitraire, et tous les griefs d’une partie de la population mexicaine contre la dictature porfirienne ont trouvé une expression dans l’opposition à Corral et aux corralistes.
85Il y avait cependant une résistance acharnée de la part des reyistes à accepter que la candidature imposée de Corral soit l’œuvre de Porfirio Díaz. Admettre cela aurait signifié rompre avec une partie de leur discours et, partant, de leur stratégie dans leurs rapports avec Díaz ; faire de la place à de telles considérations aurait ainsi introduit des incohérences dans leur discours et brisé la logique de non-agression réciproque et tacite avec le dictateur, qu’ils cherchaient à maintenir. Le discours sur la candidature imposée se voit donc façonné et limité par la décision du reyisme de composer avec Díaz ; c’est pourquoi, dans la mesure du possible, la responsabilité d’un tel acte est rejetée sur les científicos.
86Le lendemain même de la proclamation de la candidature de Corral par la Convención Nacional Reeleccionista à Mexico, La Libertad affirmait :
« Don Ramón Corral n’est ni ne sera candidat officiel à la vice-présidence86 »
87Le reyisme s’agrippait ainsi au jeu même de la dictature et à la mise en scène préparée par les proches du président, pour rejeter l’évidence du soutien de Díaz à Corral en affirmant que la candidature n’était pas officielle. De fait, elle ne l’était pas au sens strict, puisque la Convención Nacional Reeleccionista se présentait au public comme une initiative indépendante de Díaz. Personne n’était dupe, mais on se situait dans un autre registre, celui de l’implicite et des non-dits du système porfirien. Il était donc possible — dans les règles du jeu — en restant strictement dans le domaine de l’explicite, d’affirmer que la candidature de Corral n’était pas officielle. Toujours est-il que le discours sur la candidature imposée restait une arme difficile à manier. C’est pourquoi il était préférable de se retrancher derrière des critiques portant sur la personne même de Ramón Corral, qui le qualifiaient d’impopulaire et comme résolument non apte à exercer un poste tel que la Présidence de la République87.
88Au-delà du monde de la presse, les reyistes de Jalisco eurent deux grandes occasions de se confronter aux corralistes. La première fut la visite prévue d’une délégation de propagande du corralisme qui, annoncée pour le 14 juin n’arriva jamais à Guadalajara88. Les journaux reyistes ont raillé à loisir cette première tentative de visite des corralistes — La Libertad répandait la rumeur qu’ils avaient préféré descendre du train avant d’arriver à Guadalajara — et une multitude de reyistes s’était assemblée à la gare pour « accueillir » les cor-ralistes89. La seconde fut la véritable visite corraliste.
89Ce n’est, au bout du compte, qu’à la fin du mois de juillet — la répression du reyisme marche déjà à grands pas — que les corralistes effectuent leur visite à Guadalajara. Une délégation du Club Réélectionniste — José Maria Lozano, Nemesio Garcia Naranjo et Luis Manuel Rojas — est chargée d’animer le meeting corraliste du 24 juillet. Non seulement la réunion prévue au théâtre Degol-lado fut un échec total — le théâtre était rempli et encerclé de reyistes qui gênèrent d’abord l’entrée des corralistes dans l’immeuble puis, une fois dedans, les empêchèrent de prononcer leurs discours —, mais le séjour des corralistes dans la ville donna lieu à des manifestations violentes. Leur hôtel fut lapidé à deux reprises et le désordre s’empara de la ville pendant deux jours. Les affrontements avec la police, sans pour autant mettre un terme aux manifestations, provoquèrent plus de cent arrestations. Le gouverneur Ahumada, gardant son sang froid, refusa de noyer dans le sang les troubles, ce qui lui valut les critiques de certains journaux corralistes et à la fois les louanges des reyistes90.
2. Reyes et la question de la vice-présidence
90L’aspect le plus controversé de l’histoire du reyisme est celui de la relation entre le mouvement lui-même et l’homme qui en fut l’emblème. Ceci a entraîné une confusion entre les caractéristiques de ces deux acteurs et provoqué parfois des interprétations dans lesquelles les deux sont amalgamés. Or, rien n’est plus distant du reyisme que Reyes. Le mouvement s’est construit sans lui, dans son absence totale. C’est pourquoi ils sont ici, dans une certaine mesure, présentés séparément.
91Ainsi, une fois étudié le développement général du reyisme au Jalisco, et avant de passer à l’étude de sa dernière étape, celle de sa persécution et de sa dispersion, il est indispensable d’analyser l’attitude et le rôle de Bernardo Reyes face à la montée du mouvement. Ceci permet de voir combien Reyes et le mouvement reyiste sont des acteurs lointains, et, en dernier ressort, d’expliquer le paradoxe majeur du reyisme, à savoir que Reyes n’a jamais été reyiste. Pour ce faire, il ne reste qu’à suivre du plus près possible l’évolution de Reyes pendant la période qu’on vient de considérer — celle de la création et de la montée en puissance du mouvement — et dans ses rapports avec les mêmes acteurs que ceux qui croisent le reyisme lui-même, à savoir : le corralisme, Porfirio Díaz, la presse, le reyisme enfin.
2.1. Les choix d’un dictateur
92Officiellement, la résolution du dictateur est rendue publique le 2 avril 1909 : la Grande Convention Nationale Réélectionniste annonce les candidatures de Porfirio Díaz à la Présidence et de Ramón Corral à la Vice-présidence de la République. Cependant, pour les principaux intéressés, depuis un mois il ne subsistait plus aucun mystère. En effet, le 3 mars au matin, Bernardo Reyes adresse à Ramón Corral un télégramme, « très réservé. Personnel », dont le texte n’est autre que :
« Je suis au courant que Vous êtes le candidat de M. le Général Díaz à la Vice-présidence. Ainsi donc, comptez sur ma coopération91. »
93Que pense Reyes, intimement, du choix de Corral ? Sa fidélité à Díaz paraît dicter son attitude lorsqu’il s’empresse de féliciter le Ministre de l’Intérieur et Vice-président de la République, son rival. Mais on peut toujours avoir l’impression que, dans sa correspondance avec Corral, il tient à soigner les formes et il est difficile de ne pas se demander s’il n’y a pas là une stratégie visant à gagner du temps et à apaiser la méfiance de Díaz. Malheureusement, on ne possède que peu d’informations à ce sujet. Elles peuvent cependant aider à connaître un peu l’état d’esprit de Reyes en ce printemps 1909.
94L’annonce de la formule Díaz-Corral ne suffit pas à faire disparaître le nom de Reyes de la scène, bien au contraire ; ni son adhésion à Corral ni le rejet de sa propre candidature ne suffisent à éteindre un mouvement qui semble désormais dépasser son emblème.
95Cette annonce déclenche en effet la lutte ouverte des reyistes contre la décision présidentielle, marquant un point de rupture avec le porfirisme. Ce qui était une stratégie de ralliement de l’opinion publique et de formation de clubs afin de peser sur Díaz en faveur de Reyes, devient un mouvement d’opposition franche qui se radicalise. A l’appui de cette radicalisation, on a vu l’évolution du traitement de la personne de Díaz dans la presse reyiste.
96Il est indispensable donc, plus que jamais, de ne pas confondre la ligne d’action de Reyes et celle des reyistes, car elles divergent de plus en plus. Reyes s’aligne sur les desseins du dictateur ; les reyistes, quant à eux, poursuivent leurs travaux d’organisation et de propagande.
97Ainsi, pendant le mois de mai, la vague de formation de clubs dans les états, ainsi que l’apparition du Club Soberanía Popular, à Mexico92, qui essaie de s’ériger en centre du reyisme, attestent de l’élargissement du mouvement.
98A partir de cette date, c’est la correspondance de Bernardo Reyes avec José López-Portillo y Rojas93 qui permet d’éclairer les rapports entre Reyes et les reyistes.
99Le 31 mai, López Portillo y Rojas, alors sénateur de l’état du Nuevo León et vieil ami de Reyes, répond à la lettre de celui-ci datée du 28, en ces termes :
« Tu me dis que je donne à tes affaires [politiques] plus d’importance que tu ne leurs en donnes, que tu as l’intention de ne prendre partie au mouvement électoral que pour seconder les vues de M. le Général Díaz, et que la gestion de ton état t’absorbe entièrement94. »
100Si l’on pense qu’il a été sincère envers un homme qui lui était très proche, force est de croire que, du moins en apparence, à la fin du mois de mai 1909, Reyes avait décidé de se conformer aux desseins de Díaz. Cependant, au lieu de décourager le plus grand promoteur du reyisme, Reyes reçoit des remontrances au sujet de son devoir envers la nation :
« Le pays tout entier a les yeux posés sur toi, et souffrirait une grande désillusion s’il te trouvait inférieur à ses idées. L’opinion publique n’a pas d’importance pour toi ? N’es-tu pas démocrate ? Nous vivons dans une autocratie ou dans une république ? Tu en as déjà assez dit dans la malheureuse conférence Barrôn, et tu ne peux ni ne dois dire davantage95. »
101Le discours de Lopez-Portillo y Rojas est, d’une manière générale, très représentatif de ce qu’était la pensée reyiste. On retrouve ainsi, dans ces lignes, l’assimilation — typique du discours reyiste — entre volonté nationale et reyisme, le « pays tout entier » et les reyistes, de même que la place centrale réservée à l’opinion publique.
102Dans le contenu de cette lettre, on aperçoit d’ailleurs fort bien un écart significatif entre la position de Reyes et celle des reyistes : pour la première fois, la voix du reyiste s’élève contre la passivité du candidat.
103Depuis les déclarations faites par Reyes à Heriberto Barrón, en juillet 1908, rejetant toute idée de son aspiration au pouvoir, et réaffirmant son attachement à Porfirio Diaz, un écart s’impose avec évidence entre Reyes et le reyisme : d’un côté, le premier, obstiné à récupérer la confiance du Président, cherchant à faire preuve de sa fidélité, plaçant au premier plan des valeurs telles que l’honneur et la loyauté ; d’un autre côté, le mouvement, animé par des hommes dont les idéaux ne sont pas toujours d’autres hommes, mais des institutions, voire des abstractions : la nation, la patrie, la souveraineté, le peuple96.
104Il est certain que Reyes connaît et emploie lui-même ces concepts, qui ne relèvent pas d’un discours nouveau en ce début du xxe siècle ; mais l’amour de la patrie et la volonté de la nation se traduisent pour lui dans la fidélité à Diaz et la volonté de Diaz. Du moins c’est ainsi que l’expriment ses actes. En ce sens, il est bien plus proche de la rhétorique des réélectionistes corralistes (qu’on a vu dans La Gaceta de Guadalajara et El Correo de Jalisco97) que du discours reyiste. José Lopez-Portillo y Rojas a bien saisi la question et la pose à Reyes en ces termes :
« Deux figures doivent se présenter à tes yeux : celle de la patrie et celle du Général Díaz. Laquelle vénères-tu davantage ? Devant laquelle t’inclines-tu98 ? »
105On pourrait avoir l’impression que, pour Reyes, ces deux figures n’en font qu’une.
106A partir de cette différence de pensée essentielle, s’en esquisse une autre, tout aussi frappante, celle de l’action : Reyes vient de se soumettre aux desseins du dictateur ; Lopez-Portillo y Rojas lui annonce :
« Je te préviens que je ferai, à ma petite échelle, tout ce qui sera en mon pouvoir pour faire triompher ta candidature, sans me préoccuper des mauvais résultats que cela pourrait me donner car, en le faisant, j’ai la conviction d’accomplir un devoir99. »
107Les reyistes vont, effectivement, continuer leur chemin, forts de cette « conviction d’accomplir un devoir » ; leurs activités non seulement se poursuivent mais se multiplient. Prida les traite de « fanatiques »100.
108Pendant tous ces mois, à l’extrême opposé, Reyes paraît obsédé par une seule question : récupérer la confiance de Porfirio Díaz. Il choisit la voie de l’obéissance et de la discipline. Ses partisans — encore une fois — ne sont pas du même avis :
« La manière la plus éloquente que tu pourrais choisir pour le détromper [il s’agit de Díaz] et te réhabiliter à ses yeux, serait d’accéder à la Vice-présidence et de continuer à lui être fidèle101 »,
109signale Lopez-Portillo y Rojas qui essaie d’amener Reyes à se remettre en question.
« Tu penses que le devoir t’oblige à le suivre [Díaz] en tout, même dans la désignation de vice-président ; mais peut-être te trompes-tu sur ce point, parce que tu connais bien son candidat et, mieux que personne, tu sais qu’il ne réunit pas les conditions nécessaires pour cette situation102. »
110Le contenu de cette lettre prouve, par ailleurs, que les reyistes — comme toute personne intéressée par la politique à cette époque — avaient parfaitement compris le message lancé par Diaz à travers la Convention National Reeleccionista, qui indiquait que Corral était bien « son » candidat, indépendamment du fait que, pour les raisons qui ont été exposées auparavant, la presse reyiste continuait de prétendre que Corral « n’est pas, ne peut pas être » le candidat de Diaz. Un exemple de plus, finalement, de l’existence fréquente en politique, d’un double discours qui confirme aussi que tout discours rendu public s’inscrit dans une tractation politique, dont certaines phases échappent à l’opinion.
111De son côté, pendant de longs mois, de mars à octobre 1909, Reyes observe une attitude ambiguë qui désespère ses partisans et finit par les laisser sans défense face à la répression gouvernementale.
112Il est vrai que le mouvement s’était développé initialement à l’abri de cette même incertitude : alors que des groupes organisés et une presse bien engagée lançaient sa candidature, Bernardo Reyes lui-même ne s’est pas déclaré publiquement. Sans doute, dans un premier moment ne pouvait-il pas le faire, puisqu’il prétendait à une candidature officielle décidée par Diaz et qu’il ne s’agissait que de peser sur le choix de celui-ci par la voie de l’opinion publique. Reyes tenait à rester fidèle au dictateur. Il espérait en être l’héritier politique. Voici un point où, au départ, les idées de Reyes et celles des reyistes se rejoignent.
113Ainsi, pendant huit mois, Reyes entretient un double jeu essayant inutilement de récupérer la confiance du Président tout en se dérobant pour ne pas assumer ni refuser définitivement sa candidature.
114Face à Diaz, Reyes essaie de se démarquer de plus en plus des manifestations du reyisme, ce qui est loin de lui épargner les piques de la presse cor-raliste. Ainsi, lorsqu’un groupe d’officiers de l’armée se déclare ouvertement reyiste103, Reyes se plaint à Corral et à Diaz des attaques du journal El Impartial, lequel lui
« adresse de telles ironies [...] à propos des Officiers qui ont manifesté en tant que corps, qu’il m’est impossible de croire que ce fut avec un consentement supérieur ; c’est pourquoi je me plains à vous de l’attitude de ce journal, reconnu comme semi-officiel104 ».
115En même temps, dans des termes qui réduisent l’importance du mouvement, Reyes essaie de convaincre Diaz qu’il ne tient vraiment pas à être candidat à la Vice-présidence :
« Contre mes désirs, j’ai été proposé audit poste par certains groupes isolés et, aussi bien à eux qu’à des personnes isolées, quand ils se sont adressés à moi, j’ai dit invariablement, qu’une telle procédure était contraire à mes désirs, clairement et publiquement manifestés ; désirs qu’ils sont libres de prendre en compte ou pas, selon leurs droits105. »
116Il est vrai, par ailleurs, que ce texte de Reyes, tout en minimisant le mouvement, traduit à sa façon le caractère acéphale et non unifié de celui-ci.
117Ce paragraphe illustre aussi l’attitude de Reyes vis-à-vis du mouvement : le général n’a établi un rapport avec les reyistes que lorsque ces derniers se sont adressés directement à lui (il y a lieu de croire qu’ils ont été minoritaires à le faire). Dans ce cas, s’il a refusé la candidature, il a tout de même laissé planer une ambiguïté assez large ; ambiguïté qui n’a fait que nourrir l’enthousiasme du reyisme tout autant que la méfiance de Porfirio Diaz.
2.2. Le retrait de Reyes : patriotismes et loyautés
118Le refus par Bernardo Reyes de candidater à la Vice-présidence est un point central dans l’étude du reyisme. Il l’est encore plus comme révélateur du clivage entre le candidat et les reyistes, que comme symbole de ce qui fut appelé un « suicide politique ». Effectivement, autour de ce refus apparaissent, plus clairement qu’auparavant, des imaginaires politiques différents. L’événement cependant, ne produit pas ces différences, qui existaient déjà, il les catalyse. On les suivra à travers deux idées-clé dans lesquelles le clivage est explicite : le patriotisme et la loyauté.
119Du côté de Bernardo Reyes, ces principes s’inscrivent dans un imaginaire traditionnel, pour partie quasi féodal, qui structure ses rapports avec Díaz. La loyauté joue ici le rôle central. C’est une loyauté envers le dictateur, forgée tout au long de la carrière politique de Bernardo Reyes106. Ceci explique la centralité de l’idée de trahison pendant toute la durée de la crise, particulièrement dans les attaques de la presse officieuse107. Le patriotisme de Reyes — produit singulier de l’hybridation de cet imaginaire vassalique avec un imaginaire libéral classique — est profondément lié à cette loyauté, il en découle, presque ; c’est pour cela que Diaz est une quasi-incarnation de la Patrie. Ainsi, lorsqu’il rend publique son adhésion à la candidature de Corral, il s’explique en disant qu’elle « lui semble celle indiquée par Monsieur le Président », dont il estime « patriotique de suivre les visées »108.
120Le patriotisme a, en revanche, un contenu plus moderne chez les reyistes. Pour eux, le patriotisme entretient un rapport étroit avec la « volonté nationale » et, dès lors qu’ils s’approprient cette dernière, avec les revendications de leur propre mouvement. Ainsi, si l’idée de loyauté est présente dans leur discours, elle est liée à cette volonté du peuple identifiée à la volonté reyiste. Cependant, la question se situe simultanément dans le domaine moral, car les reyistes parlent au candidat dans un langage qui lui est familier, celui de l’honneur : vue l’ampleur du mouvement, une réponse négative de la part de Reyes est inconcevable ; ce dernier ne peut, honorablement, refuser sa candidature. Cette position est clairement présente dans la presse à partir du mois de mai, c’est-à-dire avant le refus public de Reyes, à un moment où l’on sent une certaine impatience des reyistes vis-à-vis du silence de leur candidat :
« Après cette manifestation franche et bruyante, nous croyons que M. le Général Reyes, s’il place la souveraineté du peuple et les engagements vis-à-vis de la patrie au-dessus de tous les mandats, ne pourra pas, honorablement, refuser sa candidature. Alors que le peuple l’ordonne et que la patrie l’exige, la lâcheté d’une réponse négative serait inexplicable109. »
121Un des aspects les plus frappants de ce discours reyiste, cherchant à pousser Reyes à assumer le rôle que le mouvement lui attribue, c’est qu’il rejoint le discours le plus officieux qui avait éclos dans la presse au lendemain de l’entretien Diaz-Creelman, lorsqu’on parlait d’« imposer » à Porfirio Díaz de continuer à diriger la nation. Les reyistes sont en cela profondément porfiriens, avec leur croyance dans 1’« homme nécessaire » qui doit soumettre sa liberté individuelle à la volonté générale. De fait, quelques reyistes commencent à parler d’imposer à Reyes d’accepter la candidature.
122Une telle idée apparaît dans la presse reyiste pour la première fois en mai 1909, au moment où la presse adverse commence à propager la rumeur que les reyistes seraient en train d’introduire des armes dans le pays par la frontière nord110. Il s’agissait en principe d’une réaction contre l’attitude de Reyes qui, après la désignation de la candidature de Corral, aurait apparemment « supplié » les clubs reyistes du Nuevo León de cesser tout mouvement en sa faveur111.
123Pour La Libertad, cette initiative montrait jusqu’à quel point Reyes était allé dans « sa complaisance envers cette camarilla [les científicos] »112. Pour la première fois, l’homme nécessaire a cessé d’être parfait, ce qui ne le rend pas moins nécessaire, mais montre à nouveau la lucidité d’une partie des reyistes vis-à-vis de la situation politique qu’ils traversaient dans son ensemble comme dans ses particularités. Contrairement à ce qu’on laisse souvent entendre113, les reyistes n’ont pas été aveugles ou entièrement dénués de sens critique par rapport à Reyes. Qui plus est, la fidélité de ce dernier à la politique de Diaz pose ouvertement aux reyistes le problème d’aller au-delà de leur propre candidat. C’est en cela que Reyes pousse un mouvement réformateur vers des positions plus radicales. La réaction des reyistes s’exprime dans des termes surprenants, qui laissent déjà entendre une certaine déception par rapport au candidat et qui, surtout, posent clairement l’indépendance du mouvement par rapport à Reyes :
« Le Général Reyes en tant que partie intégrante du groupe gobiernista peut penser et œuvrer comme cela l’arrange le mieux ; mais ceux qui croient que lui seul est capable de succéder au Général Díaz, ne se soucient guère de sa façon d’agir ; et, le moment venu, ils feront valoir leurs droits pour l’obliger à accomplir, comme un bon démocrate, ses devoirs qui sont au-delà de tous les engagements, amitiés et intérêts personnels114. »
124A partir de là, un deuxième argument se profile, celui du droit des reyistes à choisir Reyes en dehors et en dépit des positions personnelles de ce dernier115 Il deviendra en peu de temps un des piliers du discours reyiste, justificatif de leur autonomie d’action. Forts de ce droit,
« se passant complètement de la farce de consulter son opinion, ils [les reyistes] se lancent, courageux, dans le travail qui commence maintenant, en vue de la lutte électorale future116. »
125Pour bien comprendre la portée et l’ambition de ce nouveau ton du discours reyiste, il faut le placer dans son contexte précis, celui de la peur ; peur des reyistes de se voir lâchés en pleine lutte par leur candidat, de se trouver donc seuls face au régime et de voir leur entreprise soudain dépouillée de sens (c’est pourquoi leur discours tente d’imprimer à leur lutte un sens indépendant de Reyes lui-même) ; peur, aussi, du régime, face à ce mouvement qui ne cesse de croître, qui peut unir à une base civile large, des secteurs militaires (c’est pourquoi il insiste auprès de Reyes pour la désarticulation du mouvement et, parallèlement, songe déjà à la répression systématique) et qui menace de surcroît de le confronter à un phénomène inédit, une bataille électorale. Des rumeurs font état de ces soucis au sein du gouvernement :
« S’il était vrai, comme on l’assure — écrivait Filomeno Mata dans son Diario del Hogar —, que le Gouvernement essaie d’engager à tout prix le Général Reyes à quitter le territoire ou à renoncer catégoriquement et résolument à sa candidature, le Gouvernement ferait alors la preuve évidente de sa faiblesse et de sa crainte et révélerait son impuissance à résister à la lutte électorale117. »
126C’est dans cette atmosphère de tension croissante que les reyistes livrent leur bataille majeure, celle où se joue leur raison d’être même : la candidature de Bernardo Reyes. On comprend ainsi qu’ils essayent à la fois de saisir ce candidat fuyant et de se démarquer de lui en bâtissant une légitimité intrinsèque au mouvement. La logique qui donne forme à cette démarche, n’est autre que celle structurant l’ensemble du mouvement et visant le ralliement de Porfirio Díaz : obtenir celui de Reyes par la force d’un mouvement d’opinion. Cette logique est en elle-même presque la paraphrase des mots de López-Por-tillo y Rojas : si l’opinion publique est très forte, il est très difficile que le général Reyes ne l’entende pas118. C’est ici qu’entre en jeu l’appel au patriotisme du candidat, dans la mesure où cette opinion publique est censée représenter le peuple ; les reyistes ramènent ainsi l’essentiel du patriotisme à la loyauté que l’homme public doit observer vis-à-vis du peuple.
127Cette approche de la situation n’était pas propre aux reyistes : des libéraux comme Filomeno Mata, proche du madérisme, la partageaient, comme le prouvent les propos suivants :
« [...] s’il ne veut pas tomber dans le ridicule et l’ignominie, M. le Général Reyes est à présent obligé d’accepter sa candidature, même si cela signifie pour lui un grand sacrifice et un danger imminent119. »
128Et Mata mettait en cause, au nom de la patrie et du peuple, la légitimité de toute autre sortie :
« Au nom de quel engagement, aussi grand soit-il, M. le Général Reyes mécon-naîtra-t-il celui qu’il a envers la patrie et envers le peuple120 ? »
129Un glissement sensible se produit ainsi dans le discours reyiste ; l’intérêt public doit, de toute évidence, primer sur le privé. El Globo exprime clairement cette appartenance de l’homme public à la patrie, et cet effacement des libertés privées au profit de l’intérêt général :
« Un candidat n’a pas besoin d’être consulté ni n’a le droit au préalable de renoncer à l’investiture dont il est l’objet. [...] surtout dans le cas d’hommes qui par leurs antécédents appartiennent à la sphère publique [...]. Si l’opinion publique, ou une partie d’elle, exige d’un citoyen le sacrifice de servir ses intérêts, la volonté individuelle, les engagements individuels, ne peuvent ni ne doivent lui faire contrepoids121. »
130On retrouve, dans ce discours, cet « idéal patricien » du gouvernement de la cité, qui domine les préoccupations des élites hispano-américaines tout au long du xixe siècle depuis la Constitution de Cadix de 1812122. Reyes ferait partie de cette catégorie de citoyens dont le devoir envers la société est de la conduire. C’est ce qui explique l’idée que Reyes, s’il acceptait ouvertement la candidature, ne ferait qu’assumer « l’attitude qui correspond à un homme de sa classe et de sa condition »123. Assumer la candidature n’était pas seulement un droit que Reyes avait — et on répétait cela sans doute pour contrer les accusations de félonie —, mais bien plus que ça, c’était un devoir :
« Un homme public ne s’appartient pas [...]. Il est nécessaire, et le bien social l’exige, que nous comprenions tous nos devoirs. Ceux qui lancent une candidature pour ne pas attendre des autorisations qui ne sont pas nécessaires, et ceux dont la candidature est lancée, pour ne pas refuser ce qu’ils ne sont pas en droit de refuser [...]124. »
131Il est évident que cette discussion avait son pendant dans la presse officieuse qui tantôt essayait de décourager les reyistes — comme El Impartial dont l’éditorial du 16 juin s’intitulait « Le Général Reyes renonce à sa candidature »125 —, et tantôt, méfiante, exigeait de Reyes un refus plus catégorique — c’est le cas de El Debate, organe corraliste126. La presse reyiste essayait de faire apparaître ces interprétations comme tendancieuses127, et surtout de les disqualifier, comme dans ce commentaire :
« Que le Général Reyes nous empêche d’exercer nos droits et même plus : qu’il nous oblige à travailler en faveur de Corral, c’est tout simplement la plus grande des bêtises ; seuls les científicos apeurés peuvent avoir une telle prétention. La première chose serait même un délit ; la seconde une ridicule absurdité128. »
132D’autres arguments s’ajoutent à celui de l’absurdité. Comme celui qui, par exemple, nie à Reyes la possibilité de renoncer à une candidature qui, pour l’heure, ne lui a pas été proposée129.
133Ce discours atteint son point culminant à la fin du mois de juin, lorsque les rumeurs s’avèrent fondées, et que Reyes publie une lettre dans La Voz de Nuevo León où il refuse sa candidature. Les éditoriaux de la presse reyiste traduisent alors l’angoisse ambiante. Celui de La Libertad du 21 juin est particulièrement riche et rappelle plusieurs points de la pensée des reyistes : la vision qu’ils avaient du moment historique et de leur rôle à accomplir, leur conviction de vivre une conjoncture unique dans l’histoire du pays, voire leur excessive dramatisation du moment ; et finalement leur lucidité dans la compréhension de l’attitude de Reyes.
134L’éditorial, au ton grave, s’intitulait : « Bernardo Reyes et la Patrie ». On y trouve en premier lieu, la gravité du moment, son caractère exceptionnel, unique, permettant de souligner la responsabilité des acteurs :
« Le moment est solennel, il est tragique en réalité. Jamais depuis de longs lustres, depuis les jours où la Patrie s’incarnait dans le glorieux indien de Guelatao [Benito Juárez], jamais depuis lors le destin de notre nation ne s’est concentré en un seul homme, comme il se concentre à présent dans Bernardo Reyes130. »
135Un changement important s’est déjà opéré : le destin de la nation n’est plus entre les seules mains de Díaz, mais c’est à présent Reyes qui en détient les fils.
136On rencontre ensuite, comme auparavant, le jugement de l’histoire au-delà de la gravité du moment présent et de ses conséquences dans le court terme :
« Lui et Porfirio Díaz sont devant un problème terrible, ils sont appelés à rendre compte devant l’histoire d’une responsabilité incommensurable : Reyes doit peut-être opter entre sa patrie et son ami, Díaz doit opter entre ses propres impressions et la volonté populaire ; telle est du moins l’apparence du problème131. »
137Finalement le journal propose une analyse des réalités politiques de chacun de ces hommes, leurs alliances et faiblesses et, surtout, une caractérisation lucide de Reyes, qui saisit l’homme dans ses hésitations interminables :
« On dit du Président Díaz qu’il incline à aider la faction qui veut le suicide politique de Reyes, mais nous ne le croirons qu’en le voyant [...]. Reyes semble hésiter, il sent tout le quijotismo qui l’attache à son chef ; mais il entend la voix du peuple et il ne se décide pas à faire taire cette voix souveraine132. »
138La référence à Don Quichotte n’est pas gratuite : aussi flatteuse soit-elle, elle n’en renvoie pas moins à un monde lointain dans le temps, à un système de valeurs qui ne rentrent plus dans cet imaginaire moderne que les reyistes veulent contribuer à consolider.
139La question de fond posée ici, est celle de la maturité de la nation. La Libertad défie Díaz de revenir sur ses propos, lui qui avait le premier parlé de cette maturité : c’est lui qui, le cas échéant, « doit parler [...], doit utiliser son prestige pour ramener à la minorité une nation qui se sent déjà adulte »133.
140Finalement, le journal s’élevait contre la farce réélectionniste :
« D’autre part [...], si nous voulons élire, il faut que nous ayons un choix, non pas que l’on nous présente d’une part un homme et d’autre part un vide [...]. Pourquoi a-t-on si peur de Reyes134 ? »
141Enfin, l’éditorial pressait Reyes de s’engager en insistant sur des éléments sans doute chers au général, l’honneur et la gloire :
« Monsieur le Général : si votre sort est de tomber, ce qui, selon toute vraisemblance, n’arrivera pas, il faut que vous tombiez comme vous avez vécu135 ! »
142Reyes avait cependant déjà rendu publique sa décision, sans vraiment tenir compte de tous ces appels, au ton plus ou moins comminatoire, mais en suivant une logique différente, qui confirme sa conception particulière — si l’on peut dire, vassalique — du patriotisme, comme il ressort de sa correspondance privée.
143Effectivement, tandis que la presse reyiste s’efforce de bâtir une légitimité pour le mouvement, et de soutenir, dans le sens le plus large du mot, la candidature de Reyes, a lieu dans le privé un échange entre le gouverneur du Nuevo León et le président de la République, dont le contenu est sans doute décisif pour le déroulement final de cette histoire et qui révèle, par ailleurs, les pressions du gouvernement porfirien et sa tactique vis-à-vis du reyisme.
3. Reyes dans la ligne de mire du pouvoir
3.1. Díaz passe à l’offensive
144Porfirio Díaz n’est pas du genre à se contenter de demi mesures ; lui qui souhaite le retrait total du reyisme, trouve Reyes assez tiède dans la réponse donnée à ses partisans et il ne le lui cache pas :
« Je ne pense pas que votre réponse à certains groupes et aux personnes isolées qui se sont adressées à vous par rapport à votre candidature, par la manière et les conditions dans lesquelles vous l’avez formulée, soit suffisamment efficace et tranchante pour que vous puissiez vous considérer quitte vis-à-vis d’eux136. »
145Dans la correspondance échangée entre le 12 et le 26 juin 1909, entre Diaz et Reyes, on retrouve la tactique épistolaire qui accule le gouverneur du Nuevo Léon à la retraite totale. Contrairement à ce qu’espéraient les reyistes, Porfirio Diaz a bien choisi son candidat et n’entend pas tolérer que l’ombre du reyisme continue de s’étendre. Ainsi, il suggère à Reyes d’être plus ferme dans le refus de sa candidature car :
« Il est facile de comprendre, à en juger par la conduite observée par vos amis après vos déclarations [...], qu’ils n’ont pas su interpréter avec exactitude les phrases que vous avez employées [...]137. »
146En même temps, Díaz laisse bien voir son hostilité à l’égard des reyistes, qu’il disqualifie, en parlant de la
« situation délicate dans laquelle malheureusement se sont placées certaines personnes qui, en pratiquant leurs droits avec une liberté irréfléchie, ont négligé le devoir qu’elles ont de les exercer avec la modération et la correction propres à tout peuple civilisé138 ».
147La réponse de Reyes, essayant de récupérer la confiance perdue, est double : d’un côté et en premier lieu, il fait publier son refus de la candidature dans La Voz de Nuevo León ; d’un autre côté, il se laisse entraîner par Diaz dans sa logique et tombe dans le piège, ou plutôt, met en mouvement le piège :
« Il ne m’est pas arrivé, en réalité, d’imposer le devoir de me traiter en amis à ceux qui m’ont parlé de cette question, puisque la plupart d’entre eux me sont inconnus. Ceux qui peuvent se dire mes amis et qui sont dans ce cas, ne m’écrivent même pas à ce sujet, puisque sciemment ils se sont éloignés de mes indications139. »
148La correspondance de Reyes avec López-Portillo y Rojas, qui se vantait d’être son « vieil et loyal ami »140 oblige à douter de la sincérité de ces propos du général. Reyes apparaît ici comme un homme profondément soucieux... de son propre sort, qui se montre préoccupé du « qu’en dira-t-on » :
« au point où en sont les choses, il faudra que je m’explique de nouveau sur ce que j’ai déjà dit, afin que l’on ne suppose pas ce que je ne voudrais jamais que l’on suppose de moi : que je refuse ladite candidature par lâcheté ou égoïsme, ou que je le fais par une adhésion inconsidérée et aveugle à votre personne, alors que c’est par véritable patriotisme, en suivant votre politique, que j’ai jugée susceptible de nous sauver des agitations141 ».
149Porfirio Diaz saisit l’occasion au vol et voilà sa stratégie qui se dévoile : puisque Reyes suppliera ses amis de se retirer,
« si, malgré tout, certains persistaient dans leur entreprise, il faudra croire que ceux-là ne sont pas de vos amis mais, comme je l’ai déjà soupçonné, des individus dont les tendances et les mobiles nous sont bien connus depuis longtemps et même avant que la question électorale ne débute. Et comme ce qu’ils veulent c’est le scandale et le bouleversement de l’ordre public, en profitant de l’état d’agitation dans lequel le pays est malheureusement entré, il suffira au Gouvernement et à moi personnellement, de savoir qu’il ne s’agit pas d’amis à vous pour que, en toute liberté, bien qu’avec la justification nécessaire, les autorités agissent selon que la conservation de l’ordre l’exige142 ».
3.2. Les paradoxes du reyisme
150Reyes fait depuis plusieurs mois tout son possible pour récupérer la confiance de Díaz ; et la question qui s’est sans doute posée aux contemporains revient de nos jours : s’agit-il de sauver l’honneur ou bien de récupérer la confiance pour avoir ainsi une marge de manœuvre plus large ? Cette ambiguïté nourrit le reyisme aussi bien que les soupçons de ses ennemis politiques. D’autre part, Reyes se trouve également face à la nécessité de préserver une image positive vis-à-vis des reyistes. Les deux entreprises semblent incompatibles.
151Reyes n’a jamais assumé la tête du mouvement. Celui-ci, cependant, a interprété cette attitude comme une acceptation tacite. Pourquoi ?
152Rappelons que Reyes est un homme du système ; au départ, les reyistes le sont aussi. José López-Portillo y Rojas, le premier d’entre eux, en est la plus forte preuve : plusieurs fois député et sénateur, il était arrivé à qualifier la paix porfirienne de « trêve de Dieu »143.
153Le sentiment qu’est le reyisme au départ et pendant sa longue période d’incubation, ne correspond pas à une tendance révolutionnaire. Il s’agit, au contraire, d’un courant d’opinion à l’appui d’une personnalité qui assurerait la continuité et la bonne marche de l’engrenage porfirien. Il s’agit donc de faire de Bernardo Reyes l’héritier numéro un du dictateur quand celui-ci mourra. Ceux qui nourrissent cette idée comptent gagner l’adhésion de Porfirio Diaz à leur projet, condition sine qua non pour que l’héritage se fasse.
154Lorsque Reyes se trouve au Ministère de la Guerre et de la Marine en début de siècle et qu’il engage avec Limantour un duel formidable, se joue précisément la question de l’héritage du pouvoir. Les reyistes comptent faire de cette décision une question plus large : ils comptent y faire peser l’opinion publique ; pour Diaz, il ne s’agit que d’une décision personnelle. L’opinion publique est un décor sur scène, il n’entend pas partager le pouvoir avec ce sujet flou et collectif.
155Jusqu’au dernier moment, Reyes attend, espère la bénédiction du dictateur. Pour lui, l’opposition à Diaz est totalement exclue. Il est par contre envisageable de le faire basculer sous le poids d’un fort mouvement d’opinion. Il n’est d’ailleurs pas le seul à nourrir une telle espérance : López-Portillo y Rojas l’exprime clairement et c’est un motif qui revient régulièrement dans la presse reyiste.
156C’est dans ce contexte que, jusqu’à un certain moment, l’attitude hésitante de Reyes renforce le mouvement. Ne jamais trahir la loyauté au président est l’argument premier d’un héritage légitime144. D’un autre côté, rester le plus longtemps possible dans les limites d’une opposition à Corral et non à Diaz semblerait épargner au mouvement le risque d’une répression précoce. Cependant, à partir de la publication dans la presse du refus explicite de Reyes, la situation, qui depuis un moment ne faisait que se dégrader, met les reyistes dans une position de plus en plus fragile, dépourvus qu’ils étaient soudain de leur argument fort : la présomption que Reyes acceptait la candidature.
157Un exemple illustre bien cette dégradation : le 24 juillet, à Guadalajara, les reyistes empêchent la célébration d’un meeting corraliste au théâtre Degollado. Leurs clubs sont aussitôt fermés et leurs dirigeants emprisonnés.
158Voilà le genre d’événements qui accompagnent la publication, le 25 juillet, de la réponse de Reyes aux clubs. Mais le plus évident est que toutes ces actions ont pour toile de fond l’ordre général de répression du reyisme, totalement indifférent à la publication du document de Reyes, d’autant plus que Diaz, comme on l’a vu, n’avait pas ménagé son hostilité au mouvement.
159Ainsi, par exemple, le même 25 juillet, le club « Bernardo Reyes » de Sayula (Jalisco) adressait au gouverneur de l’état, Miguel Ahumada, une demande de garanties vu que le chef politique du canton l’empêchait de tenir ses réunions dans un théâtre privé, « en invoquant vos instructions confidentielles »145.
160Cette situation illustre bien la dissonance du tempo de Reyes avec celui des autres acteurs du moment. Ce tempo est devenu vertigineux pour les reyistes et, alors que se joue l’existence même du mouvement, on retrouve Reyes immergé dans une toute autre logique.
161Que cherche Bernardo Reyes lorsqu’il refuse sa candidature mais qu’il « laisse intacts les droits des clubs » ? Le maintien, jusqu’à la fin, de l’ambiguïté dans ses déclarations n’est pas propice à un relâchement des tensions ambiantes. 11 laisse une porte ouverte aux soupçons de ses contemporains ainsi qu’aux questions que l’on peut se poser à l’infini en essayant d’éclaircir cette période.
162Si Reyes croit, par ses déclarations, tourner la page, ses ennemis politiques ne lâchent pas leur proie et la presse corraliste n’en devient que plus acharnée. Du moins, Reyes lui-même le ressent-il ainsi, s’en plaint à Díaz et demande la « modération de la presse effrontée qui m’offense tant »146. Les valeurs du Général apparaissent ici énoncées clairement ; il estime mériter le respect en vertu de son « intégrité de citoyen », de son « hidalguía de caballero » et de son « honneur de soldat »147.
163Effectivement El lmparcial, journal subventionné, ne ménage plus ses critiques aux reyistes, qu’il confond avec le Partido Democrático en répandant également sur tous l’accusation de sédition.
164Mais on peut aussi se représenter la situation en sens inverse et se demander si Reyes n’attendait pas que ce même mouvement, qui avait présenté sa candidature « à l’encontre de sa volonté », le fasse triompher malgré lui et le pose, justement en exerçant ses droits, dans l’obligation « patriotique » d’obéir à la « volonté du peuple » et d’assumer la Vice-présidence.
165Reyes est loin d’atteindre son objectif de rassurer Díaz et le 28 juillet 1909, trois jours après la publication de sa réponse aux clubs, marque de la méfiance croissante du Président à son égard, le contrôle des armées dans la région nord du pays lui est retiré, pour être confié au général Treviño, son ennemi148.
166En même temps qu’il devient l’objet de l’acharnement de la presse subventionnée, Reyes reçoit, par plusieurs voies, des menaces de mort. Considérant que tout cela ne peut relever que d’un plan préconçu pour le discréditer aux yeux de Díaz, il écrit à celui-ci.
167Cette lettre, non dépourvue d’amertume, outre qu’elle dénonce les intrigues dont il se sent la victime, laisse voir une préoccupation plus profonde de Bernardo Reyes : son honneur. En voici quelques extraits :
« J’ai reçu, par différentes voies, plusieurs avertissements, certainement faux, d’après lesquels je serai assassiné, etc. ; d’autre part une certaine presse, sans exclure la semi-officielle, me lance des attaques qui sont censées m’entraîner à sortir hors de moi [...], on voit bien qu’ils visent à aigrir votre esprit à mon encontre [...]149. »
168Reyes en déduit que l’on prétend, par ces moyens combinés, le « lancer jusqu’à la révolution peut-être », tout en ayant fait en sorte que Díaz se méfie de lui150.
169Cependant, aux yeux de Reyes, tout ce que ses ennemis ont eu l’occasion de dire à Diaz depuis des années, est encore pire que les attaques de la presse :
« Tout au long de ces années, où j’étais absent de la capitale, ce que, lors de si nombreuses conversations, ont pu vous dire sur moi mes ennemis qui sont près de vous, cherchant à provoquer votre hostilité, sans que vous ayez entendu un seul mot pour ma défense, est incalculable151. »
170Reyes est maintenant en position de mesurer les dégâts et les conséquences que la défaite devant Limantour a entraîné depuis décembre 1902 !
« Cette intrigue systématique... cette intrigue de plusieurs années, poussée à l’extrême dans les circonstances actuelles, je vous la montre telle que je la vois, juste pour vous dire que, malgré tout ce qu’on pourra faire et dire, je suis toujours l’honnête homme que vous avez apprécié. [...] Ainsi donc, si en vertu de certaines circonstances je suis désigné comme victime propitiatoire de la politique du jour, soit par ceux qui ont voulu me présenter sans mon consentement, allant à la défaite ; soit par ceux qui défendent ce même point en sens contraire ; soit par Vous même, puisque vous devez suivre ladite politique actuelle et non pas ce que voudrait une simple considération personnelle envers moi, alors j’accepte le sacrifice152. »
3.3. Derniers assauts
171Fin juillet 1909, Bernardo Reyes est un homme vaincu, mais plusieurs raisons poussent ses ennemis à poursuivre son ombre sans répit, ainsi que ses adhérents. Tout d’abord, si Reyes apparaît comme un homme politiquement mort, il n’en est pas de même du reyisme, malgré la répression et malgré l’abandon de Reyes. D’autre part, la méfiance des corralistes et de Porfirio Díaz semble peser plus que jamais sur le gouverneur du Nuevo León, dont on redoute une révolte armée. Comme on l’a vu, les attaques de la presse semi-officielle ne s’arrêtent pas.
172Reyes, prétextant des raisons de santé, se retire alors à Galeana (Nuevo León), laissant le gouvernement de l’état entre les mains de son secrétaire Lázaro de la Garza.
173Fin août, une offensive finale s’organise. Il s’agit d’une stratégie combinée qui attaque sur divers fronts : en même temps qu’elle cherche à ôter à Reyes tout pouvoir, elle vise ce qui reste du mouvement.
174Pour en finir avec le pouvoir de Reyes, Díaz l’attaque dans son propre fief. L’offensive prend la forme d’un conflit ouvert avec le général Treviño, chargé de déstructurer le pouvoir régional de Reyes. Entre autres, Treviño se déplace avec ses troupes à Saltillo, capitale de l’état voisin du Coahuila, afin d’obtenir la démission du gouverneur Miguel Cárdenas, reyiste convaincu153.
175Les reyistes, quant à eux, ne tardent pas à ressentir la répression gouvernementale en même temps que l’abandon de plus en plus marqué de leur candidat. Ils sont traités de « perturbateurs de l’ordre pour continuer des travaux politiques en votre faveur sans que vous acceptiez d’être candidat à la vice-présidence »154.
176En quelques jours, Díaz finit de dissoudre l’ancien pouvoir de Reyes au Nuevo León : il refuse d’intervenir pour régler le conflit avec Treviño. Le ton de son message met en évidence l’animosité de Díaz à l’égard de Reyes :
« S’il s’agit d’arrangements, je ne peux rien vous dire, parce que j’ignore leur esprit, et si le Général Treviño les accepte, je ne peux pas non plus parler à ce Monsieur, parce que je ne sais pas dans quel sens il conviendrait de l’orienter155. »
177On aperçoit déjà l’ampleur qu’atteignent la recomposition des forces dans le nord et la défaite de Reyes : celui-ci annonce qu’il demandera un congé illimité de ses fonctions de gouverneur156.
178La retraite du général doit se faire sous la surveillance de Díaz, qui écrit :
« A mon avis, il conviendra que cette capitale soit votre lieu de résidence [...] vous éviterez ainsi les ennuis que pourraient vous occasionner les fausses rumeurs, les calomnies etc., et d’autre part vos ennemis n’auraient même plus de prétexte pour vous contrarier à chaque instant, comme il arrive maintenant157. »
179Proposition qui avait aussi l’avantage de permettre à Díaz de surveiller son général...
180Un homme du système, Manuel Garza Aldape, témoigne aussi de l’hostilité de Díaz envers Reyes :
« M. le Général Díaz manifeste beaucoup de ressentiment à votre égard et l’animosité qu’il nourrit envers vous est visible [...] ; il affirme que vous ne lui avez pas été loyal, en faisant allusion à l’époque où vous avez quitté le Cabinet [...]. En même temps, il insinue qu’il est encore disposé à vous aider en vous donnant des facilités pour sortir de l’actuelle situation, mais que l’initiative doit partir de vous [...]. Je crois que son idée est que, n’ayant plus le Gouvernement du Nuevo León, vous veniez vivre à Mexico, peut-être en exerçant une fonction publique, car il dit qu’il est beaucoup plus facile de s’expliquer en tout cas personnellement que par correspondance158. »
181Du 25 au 27 septembre, en plein conflit avec Treviño, en pleins préparatifs du départ, Reyes reçoit la visite de Manuel Calero, subsecretario de Fomento. Un tel mouvement ne pouvait avoir lieu sans le consentement de Díaz qui, cependant, se refuse à donner un caractère officiel à la visite159. L’ambassade avait sans doute pour objet de sonder la situation exacte de Reyes, son état d’esprit et ses forces, ainsi que, manifestement, de négocier avec lui les conditions de sa retraite définitive de la scène politique pour enfin solder le conflit160.
182Dans l’entretien avec Calero, apparaît pour la première fois la suggestion de Díaz d’un éloignement de Reyes du territoire national comme une solution définitive161. Cependant, vu que Díaz n’a pas fait de Calero un porte-parole autorisé, Reyes ne sait pas
« comment prendre cette indication ; mais je lui ai dit, et je Vous le répète, que je me plie à la solution que l’on jugera appropriée [...]. M. Calero sans doute vous transmettra ses impressions sur cette situation dont je vais me soustraire dans les termes que je vous ai exposés et à la résolution de laquelle j’ai l’intention de contribuer162 ».
183Díaz préfère rester dans l’ambiguïté. Il compte voir Reyes à Mexico où « il sera facile d’arriver à un arrangement satisfaisant et digne, qui convienne le plus au bien-être national »163.
184Les dernières démarches concernant le départ de Reyes se font à l’initiative de Díaz : dans ce qui est l’un des derniers actes de son administration, le choix d’un gouverneur provisoire, Reyes est mis complètement hors-jeu. Méfiant jusqu’à la fin, Díaz ne laisse rien à sa décision. Non seulement le principe fédéraliste est bafoué, mais le gouverneur du Nuevo León ne l’est plus, bien avant de présenter sa démission. Ainsi se décide le remplacement de Reyes par le général Mier, en écartant entièrement Adolfo Zambrano, ami de Reyes, mais aussi parent par alliance du général Treviño164.
185Le 2 octobre, Reyes parle pour la première fois de sa démission définitive du gouvernement du Nuevo León165. Il se prépare d’autre part à cette rencontre attendue avec Díaz. Celui-ci remet le rendez-vous à cause, dit-il, de l’imminent voyage qu’il doit faire à Ciudad Juárez166.
186Jusqu’au 18, Reyes compte toujours sur la réalisation de cet entretien167, mais au retour de Ciudad Juárez, Diaz a déjà pris une autre décision. Le 23 octobre, dans l’après-midi, le Congrès de l’état du Nuevo León accorde un permis de retraite indéfinie à Bernardo Reyes de son poste de gouverneur168. Celui-ci pliait presqu’immédiatement bagage mais, au lieu de se rendre à Mexico, s’embarquait vers l’Europe, investi par Díaz d’une « mission militaire ». Le 6 novembre, il se trouvait à New York169 et le 1er décembre il notifiait à Di’az son arrivée à Paris170. L’occasion pour Bernardo Reyes de s’entretenir avec Porfirio Diaz était remise à tout jamais. Le 19 janvier, Reyes remet sa démission définitive du gouvernement du Nuevo León171.
Conclusion
187L’étude du reyisme au Jalisco apporte plusieurs éléments à la compréhension de la fin du porfiriat aussi bien au niveau local qu’à échelle nationale.
188Elle permet en premier lieu de caractériser le reyisme comme un mouvement qui, au Jalisco, centralise pendant plusieurs mois l’opposition politique au régime, capitalisant des efforts de longue haleine (comme ceux du journal indépendant La Libertad) et permettant l’épanouissement de nouvelles inquiétudes nées de la crise de la succession présidentielle.
189Dans sa consolidation comme première force politique de l’état, le reyisme a certes bénéficié, jusqu’à l’apparition de l’antiréélectionnisme, des avantages d’être la seule option d’opposition légale à l’autoritarisme porfirien. Il faut ajouter à cela la conjoncture favorable au débat et à l’action politique qui s’ouvre avec les déclarations de Díaz à Creelman.
190Au Jalisco, en effet, le reyisme en lui-même met en évidence une ouverture politique relative, étroitement liée à cette crise politique de la fin de la dictature : le mouvement est animé majoritairement par des hommes qui n’appartiennent pas à la classe politique porfirienne et qui cherchent précisément à se caractériser ainsi. Si ces « indépendants » font partie des élites culturelles et économiques de l’état, le mouvement dépassera rapidement ce milieu pour toucher d’autres couches de la société en se radicalisant progressivement.
191Par ailleurs, la tolérance est plutôt la dominante des rapports entre le mouvement et le gouvernement de l’état, aussi longtemps que ces rapports sont gérés localement. C’est ce qui autorise à parler d’une répression modérée, bien que systématique, du mouvement, mais qui contribuera néanmoins à le démonter, une fois qu’il aura perdu sa raison d’être, Reyes ayant refusé sa candidature. Ces rapports de tolérance relative avec le gouvernement de l’état montrent parallèlement à quel point le reyisme, loin d’être un mouvement marginal, coexiste avec l’ordre établi comme une option de sortie à la crise, jusqu’à l’ordre de répression générale qui le frappe.
192Cette étude rend d’autre part possible une approche du mouvement en tant que phénomène d’envergure nationale, en permettant d’appréhender le reyisme comme un ensemble d’initiatives régionales dont les efforts se rejoignent très difficilement, faute d’une direction unifiée. L’indétermination de Bernardo Reyes est directement liée à cette dispersion d’efforts comme elle l’est aussi, pendant pratiquement toute la durée du mouvement, à son développement, sous la forme d’une hypothèse qui le nourrit.
193Les données recueillies permettent par ailleurs de connaître avec précision les localités du Jalisco où le reyisme fut actif, ce qui le révèle largement comme un mouvement non circonscrit à la grande ville. On peut en outre proposer des pistes sur son implantation dans des régions de la République dont on le croyait absent, comme l’état du Zacatecas et le territoire de Tepic.
194La recherche menée jusqu’ici confirme l’image du Jalisco comme pôle structurant du reyisme, le seul état où se soit fondé un parti reyiste par définition, et le premier où se soit constitué un parti politique inscrit dans les règles du jeu du système. En effet, l’absence d’études régionales a induit la plupart des auteurs travaillant sur cette période à considérer le parti Democrático né à Mexico comme le premier parti issu de l’entretien Díaz-Creelman. Or, le cas du Jalisco montre que cette région devança le centre dans l’initiative de créer le parti Independiente. Le développement de l’histoire d’autres régions paraît donc un passage obligé pour une réinterprétation globale du reyisme, qui sortirait des limites d’une version traditionnelle et centralisatrice.
195L’historiographie sur la révolution mexicaine a souvent souligné l’inscription du reyisme dans la continuité politique avec le porfiriat. Cette appréciation est partiellement valable : elle est particulièrement valable si on s’arrête sur la personnalité de Bernardo Reyes ; autrement, elle relève d’une lecture historique centrée sur un homme plutôt que sur le mouvement qu’il inspira et sur une assimilation trop rapide de ces deux acteurs. La tentative de repenser leurs rapports bute encore sur un manque d’outils historiographiques.
196L’étude du reyisme en tant que mouvement politique et d’opinion révèle cependant qu’une telle interprétation est imprécise puisqu’incomplète. La continuité est en effet la façade du reyisme et son point de départ ; mais elle est aussi la base d’une rupture importante vis-à-vis du porfirisme, dès lors qu’elle est censée permettre une transition vers la démocratie. Continuité donc, en ce qui concerne l’idéal de la paix, mais rupture sur d’autres plans : une réforme politique profonde qui devrait conduire à une démocratisation effective, élargissement de la sphère du politique à des secteurs de la population auparavant tenus à l’écart, création de nouveaux citoyens.
197Aussi le reyisme s’avère être une fausse proposition de continuité. Il naît comme tel — Reyes est une proposition de continuité —, mais plus le mouvement s’élargit, plus il se dévoile comme une rupture relative, plus ou moins explicite, avec Díaz. Qui plus est, celle-ci est aussi une rupture avec Reyes : plus le mouvement se radicalise, plus il s’éloigne de son Sphinx.
198Il est possible en revanche d’inscrire le reyisme dans une autre continuité, celle de la pensée libérale, pré-positiviste, des premiers temps du porfirisme. Il se caractérise par une dominante de libéralisme classique, nuancé non seulement par le pragmatisme porfirien, mais aussi, dans une moindre mesure, par une influence positiviste sur certains de ces reyistes qui croyaient au progrès irréversible de la société.
199Un des traits principaux du reyisme est la foi en une transition pacifique, obligatoirement graduelle, vers la démocratie. Cette transition est à construire, par le biais de l’éducation civique, par un processus que l’on pourrait appeler de « citoyennisation » d’une partie de la société, qui déboucherait dans le gouvernement du peuple par le peuple. Il faut bien se garder, toutefois, d’identifier ce « peuple » à l’ensemble de la population, car les reyistes sont des spécialistes de l’appropriation du peuple ; il s’agit à la limite d’une élite élargie s’assumant comme le peuple. Cependant, au-delà de cette logique libérale des élites reyistes, un peuple moderne nouveau fait effectivement irruption dans le reyisme...
200Le reyisme s’inscrit dans la lignée de l’opposition libérale au porfirisme, récupérant, dans le cas du Jalisco, l’héritage symbolique des protagonistes de cette opposition — Vallarta, Ogazón, Corona. Il semble avoir rempli dans l’état un rôle comparable à celui des organisations libérales radicales, maçonniques et protestantes172, d’élargissement du peuple moderne. En effet, cette étude de cas permet de parler du reyisme comme d’un mouvement élitiste au départ, populaire dans son apogée et qui permet, par conséquent, un élargissement du peuple moderne, par la diffusion des pratiques associatives qui accompagnèrent le reyisme.
201Le reyisme peut être considéré comme un mouvement de transition entre le monde porfirien et ses pratiques politiques et un univers nouveau dont le projet envisageait la politique comme une interaction entre citoyens. L’idée n’est pas nouvelle : elle est empruntée à l’idéal libéral républicain triomphant au Mexique au moment de la Réforme ; mais l’originalité du reyisme, après trois décennies de dictature, est de répéter inlassablement que l’opposition à l’autoritarisme est non seulement légitime et possible, mais indispensable voire patriotique. Convaincus jusqu’au bout que c’est l’opinion publique qui sera capable de faire basculer l’ordre des choses, les reyistes contribuent à répandre l’espoir du changement et l’idée que celui-ci est réalisable173.
202Le reyisme apparaît ainsi comme un mouvement entretenant un rapport très étroit avec l’opinion publique. L’élite reyiste a profité de l’ouverture faite dans l’espace public par l’entretien Díaz-Creelman ; elle a ensuite élargi la brèche en développant un réseau partisan qui a réussi à intégrer des membres de différentes couches de la société. Pour ce faire, elle s’est servi de la presse indépendante, cet outil confirmé de l’action politique et véhicule majeur de l’opinion. Cette presse indépendante a établi le pont, dans une entreprise que l’on peut bien qualifier de moderne, vers des couches récemment ouvertes à l’univers du politique et a participé ainsi à la tâche immense de pédagogie civique si chère au modèle libéral anti-porfirien.
203Le rôle central que les reyistes assignent à l’opinion publique permet de saisir leur conception d’une transition graduelle vers la démocratie, et ne se comprend que dans ce contexte. Les reyistes se conçoivent et s’assument comme membres d’une société pré-démocratique ; ainsi, dans cette transition vers la démocratie, c’est l’opinion publique qui doit renverser l’autoritarisme, tandis que le suffrage n’a aucun rôle transcendant à court terme. De fait, jamais dans le discours reyiste il n’est question que ce soit le suffrage qui renverse l’ordre des choses ; le suffrage viendra plutôt confirmer l’action de l’opinion publique. Une démocratie en devenir, où les attributs majeurs de la citoyenneté sont pour l’instant les libertés de conscience et d’expression plutôt que le droit de suffrage. C’est ce qui place définitivement le reyisme dans la logique libérale du xixe siècle et, en ce sens, il peut être considéré comme le dernier mouvement politique du xixe mexicain.
Notes de bas de page
1 José López Portillo y Rojas à Bernardo Reyes, le 31 mai 1909, ABR-Condumex, c. 39, 1. 7637.
2 La Libertad, 5, 7 et 8 janvier 1909.
3 C’était le journal reyiste Mexico Nuevo qui insistait sur la question. Reproduit par La Libertad, le 5 mai 1909.
4 La Libertad, 1 mai 1909. Il faut noter la date symbolique choisie pour l’affichage du texte : le 5 mai correspond à l’anniversaire du triomphe à Puebla des armées mexicaines fidèles à la République contre celles de Napoléon III et ses alliés.
5 La Libertad, 10 et 11 mai 1909.
6 Ibid., 26, 27, 28 et 30 juin 1909.
7 Ibid., 25 mai 1909.
8 Ibid., 15 mai 1909.
9 Ibid, 5 et 11 mai 1909.
10 Ibid, 5 mai 1909.
11 Le titre même sous lequel sont commentés ces événements est représentatif de ce qui était en jeu pour les reyistes : « Attaques aux libertés de la parole, de la presse et du suffrage, par la police de Guadalajara », libertés intrinsèquement liées les unes aux autres dans leur idéal. La Libertad, 7 mai 1909.
12 Ibid, 11 mai 1909.
13 Ibid., 14 juin 1909
14 Ibid., 18 mai 1909.
15 Ibid., 4 juin 1909. Cette affaire sera analysée par la suite.
16 Ce ne pas du tout le cas global du Mexique et, de ce point de vue, des études régionales font défaut. Il est possible de citer l’exemple de l’état du Sonora, où la répression paraît avoir été systématique, cf. La Libertad, 5 mars 1909, correspondance de Cananea, Sonora, datée du 26 février, et les exemples cités dans ce chapitre.
17 Le madérisme sera l’expression la plus achevée de cette transition.
18 La Libertad, 3 juin 1908.
19 Ibid., 2 février 1909.
20 Ibid., 12 janvier 1909.
21 Ibid., 12 février 1909.
22 Ibid., 22 mars 1909.
23 José López Portillo y Rojas à Bernardo Reyes, le 31 mai 1909, ABR-Condumex, c. 39, 1. 7637.
24 La Libertad, 26 mars 1909.
25 Ibid.
26 Ibid., 30 avril 1909.
27 Ibid., 4 juin 1909.
28 Ceci a été fait le plus souvent par le biais de télégrammes — par exemple celui de Ambrosio Ulloa, au sujet des affiches sur les devantures des commerçants reyistes ; cf. La Libertud, 14 juin 1909 ; mais les étudiants reyistes sont allés directement s’entretenir avec Díaz. Sur cet épisode, cf. infra, p. 199 et suiv.
29 Cf. à ce sujet les chapitres 2 et 3.
30 En effet, Ahumada ne peut être franchement classé du côté des científicos, et lorsqu’on lui attribue cette filiation cela semble plutôt lié à son comportement pro-corraliste de la fin du porfiriat, que tout gouverneur était tenu d’observer comme un témoignage de sa fidélité à Porfirio Díaz.
31 La Libertad. 14 juin 1909.
32 El Globo, 8 et 15 juin 1909.
33 Par exemple, les fondateurs d’un club affilié au Pl. à Buenavista, Cananea, avaient tous été incarcérés dans les jours qui suivirent l’installation dudit club. La Libertad, 10 mai 1909.
34 La première dénonciation de représailles contre un reyiste date du 18 mai ; il s’agit de l’étudiant Rodolfo Romero, suspendu du Lycée pour avoir acclamé Reyes à la gare quelques jours auparavant, lors de l’arrivée d’Ahumada à Guadalajara. L’action, toutefois, n’impliquait pas le gouverneur de façon directe. La Libertad, 18 mai 1909.
35 La Libertad, 3 mars 1909.
36 « Misteriosa confereneia. El señor Don Ramôn Corral estuvo en Chapala », El Globo. 15 juin 1909.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Ibid.
40 La Libertad, 21 juin 1909.
41 Ibid.
42 Ibid. 22 juin 1909.
43 On peut voir aussi bien El Globo que La Libertad pendant la fin juin et tout le mois de juillet 1909.
44 La Libertad, 3 janvier 1908 ; El Correo de Jalisco, 6 et 12 juin 1908. Pour les détails de l’affaire, cf. supra. pp. 75-76.
45 La Libertad, 22 mars 1909.
46 Ibid., 1er avril 1909.
47 Ibid., 26 mars 1909.
48 Ibid. L’organisateur fut libéré immédiatement par ordre de Montenegro.
49 Ibid.
50 « Ataques a la libertad de la palabra, de la prensa y del sufragio, por la policía de Guadalajara », La Libertad, 7 mai 1909.
51 Ibid. 25 mai 1909.
52 Ibid., 25 mai 1909.
53 Ibid., 28 mai 1909.
54 Ibid., 31 mai 1909.
55 Ibid., 29 mai 1909.
56 Ibid., 1er juin 1909. La « déportation » vers des terres lointaines où la survie était difficile était une mesure utilisée par le régime dans des cas d’indiscipline militaire ou de rébellion. Cf. Alicia Hernandez Chavez, « Origen y ocaso... », op. cit.
57 On trouve des articles au titre significatif, comme celui paru dans La Libertad le 2 mai 1909 : « Los heróicos oficiales reyistas ».
58 Ibid.
59 Ibid.
60 El Globo, 8 juin 1909.
61 Voir les numéros de La Libertad et de El Globo correspondant aux derniers jours du mois de mai et aux premiers de celui de juin 1909.
62 La Libertad, 4 juin 1909. Repris de El Tiempo.
63 Ibid., 4 février 1909.
64 Mario Aldana Rendón, Del reyismo, op. cit., p. 77.
65 La Libertad, 18 mai 1909.
66 Ibid., 7 juin 1909
67 La Libertad, 14 juin 1909 ; El Globo, 15 juin 1909.
68 Ibid.
69 La Libertad, 14 juin 1909.
70 Ibid.
71 « Misteriosa conferencia. El señor Don Ramón Corral estuvo en Chapala », El Globo, 15 juin 1909 ; La Libertad, 17 juin 1909. On apprend par la presse que les étudiants de l’état de Guerrero avaient été l’objet d’une intimidation similaire — choisir entre bourses et participation politique — et opté pour l’exercice de leurs droits politiques. La Libertad, 18 juin 1909.
72 La Libertad, 19 juin 1909 ; El Globo, 22 juin 1909.
73 Ibid.
74 La Libertad, 24 juin 1909.
75 Télégramme de Porfirio Díaz à l’étudiant Enrique Pérez ; Mexico, Palacio Nacional, 23 juin 1909, reproduit dans La Libertad, 24 juin 1909. Les majuscules sont du journal.
76 La Libertad, 21 juin 1909.
77 Ibid., 2 janvier 1909.
78 Ibid., 26 juin 1909.
79 Ibid., 28 juin 1909.
80 Ibid., 30 juin 1909.
81 Le docteur Gabriel Rubio, par exemple, avait remis au gouverneur Ahumada sa démission de la chaire de Physiologie de l’École de Médecine de l’état, avant — disait-il — d’en être destitué comme son père, professeur depuis trente ans à la même institution, l’avait été, à cause de ses convictions politiques contraires à celles du gouvernement. La Libertad, 25 juin 1909.
82 La Libertad. 28 juin 1909.
83 Ici encore, les titres mêmes des articles expriment l’exaltation recherchée : « La entrada triunfal de los estudiantes de Guadalajara a la capital de la República ». Le journal parle de 1 500 étudiants réunis pour l’accueil dans les salons du Club Reyisla [1910]. La Libertad, 28 juin 1909.
84 Ibid.
85 Ibid.
86 Ibid. 26 mars 1909. C’était le titre même de l’article.
87 Ibid. et El Globo, 8 juin 1909.
88 La Libertad, 14 juin 1909.
89 Ibid.
90 Pour une description détaillée de ces jours de troubles, voir Mario Aldana Rendon, Del reyismo..., op. cit., pp. 83-85.
91 Télégramme de Bernardo Reyes à Ramón Corral du 3 mars 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7625
92 La présidence de ce club revient à Espinoza de los Monteros, tandis que la vice-présidence est occupée par López-Portillo y Rojas.
93 Écrivain et homme politique originaire de Guadalajara, ami de longue date de Bernardo Reyes, José López-Portillo y Rojas sera un des principaux animateurs du reyisme et un des plus acharnés partisans de la candidature du général. On peut lire son témoignage dans José Lopez Portillo y Rojas, op. cit.
94 Lettre de José López-Portillo y Rojas à Bernardo Reyes du 31 mai 1909. ABR-Condumex, c. 39 , 1. 7637.
95 Ibid. La « conférence Barrón » désigne l’entretien que Reyes avait accordé au journaliste.
96 Ce qui n’empêche pas une dimension très traditionnelle, axée sur la figure emblématique du général Reyes, d’exister chez les reyistes. Pour la composition du mouvement et une analyse de son discours cf. François-Xavier Guerra, op. cit., t. II, pp. 133 et suiv.
97 Cf. supra, chapitre 4.
98 Lettre de José López-Portillo y Rojas à Bernardo Reyes du 31 mai 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7637.
99 Ibid.
100 Ramon Prida, op. cit., p. 167.
101 Lettre de José López-Portillo y Rojas à Bernardo Reyes du 31 mai 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7637.
102 Ibid.
103 Il s’agit de l’affaire analysée supra, pp. 197-199.
104 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 12 juin 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7639. Reyes reproduit les propos de la lettre envoyée le jour même à Corral.
105 Ibid. Cette version de Reyes est confirmée par La Libertad, le 24 juin 1909. Le journal soulignait le fait que le général, selon ses propres déclarations, « n’a pas d’autorité pour éviter que ceux qui lancent sa candidature exercent leurs droits comme citoyens en procédant à la désignation qui s’accorde le mieux à leur choix ».
106 Cf. José López-Portillo y Rojas, op. cit.
107 Cf. Claude Dumas, « El discurso de oposición... », op. cit.
108 Propos de Reyes dans La Voz. de Nuevo León, reproduils dans La Libertad, 21 juin 1909.
109 La Libertad, 10 mai 1909.
110 Ibid., 13 mai 1909.
111 Ibid. Il faut noter qu’aussi bien la presse que la correspondance privée de Bernardo Reyes se rejoignent sur ce point.
112 Ibid.
113 Voir, par exemple, la version de Ramón prida, op. cit.
114 La Libertad, 13 mai 1909.
115 Ibid., 17 mai 1909.
116 Ibid, 4 juin 1909.
117 Reproduit de El Diario del Hogar dans La Libertad, 1 juin 1909. La correspondance de Reyes avec Porfirio Díaz montre, par ailleurs, comme on le verra, que ces rumeurs ne couraient pas sans fondement.
118 Cf. supra, chapitre 5, p. 169, note 89.
119 Reproduit de El Diario del Hogar dans La Libertad, 7 juin 1909.
120 Ibid.
121 El Globo, 15 juin 1909.
122 Cf. François-Xavier guerra, « Les avatars de la représentation au xixe siècle », dans Georges couffignal (dir.), Réinventer la démocratie. Le défi latino-américain. Paris, Presses de la FNSP, 1992, pp. 49-84.
123 El Globo, 15 juin 1909.
124 Ibid.
125 La Libertad, 18 juin 1909.
126 Cité dans ibid., 21 juin 1909.
127 Ibid., 16 juin 1909.
128 Ibid., 18 juin 1909.
129 Ibid.
130 Ibid., 21 juin 1909.
131 Ibid.
132 Ibid.
133 Ibid.
134 Ibid.
135 Ibid.
136 Lettre de Porfirio Díaz à Bernardo Reyes du 15 juin 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7640.
137 Ibid.
138 Ibid.
139 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Dîaz du 22 juin 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7641. C’est moi qui souligne.
140 Cf. lettre de José López-Portillo y Rojas à Bernardo Reyes du 31 mai 1909. ABR-Condumex, c. 39, I. 7637. Cf. aussi José Lopez-Portillo y Rojas, op. cit.
141 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 22 juin 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7641.
142 Lettre de Porfirio Díaz à Bernardo Reyes du 26 juin 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7642
143 Ce fut le 6 juin 1904, lors de la Convention Nationaliste qui se tenait à Mexico pour désigner le candidat à la Présidence de la République, dans son discours de bienvenue aux délégués. A. Taracena, op. cit., pp. 78 et 79.
144 Rappelons aussi qu’en 1909 on parle encore de continuer l’œuvre de Díaz.
145 Copie du télégramme du Club Sayulense Bernardo Reyes à Miguel Ahumada, Gouverneur du Jalisco, du 25 juillet 1909, adressée à Bernardo Reyes le jour même. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7701.
146 Bernardo Reyes à Porfirio Díaz le 30 juillet 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7714.
147 Ibid.
148 Sur la vieille rivalité entre Reyes et Trevino cf. R. Pkida, op. cit., pp. 85 et suiv. et p. 227.
149 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 31 juillet 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7718.
150 Ibid.
151 Ibid.
152 Ibid.
153 Sur l’état du Coahuila, pièce importante de l’implantation reyiste, cf. François-Xavier Guerra, op. cit., t. Il, pp. 150 et suiv.
154 Télégramme de José López-Portillo y Rojas et Jesús Guzmán, à Bernardo Reyes, du 3 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7773.
155 Télégramme chiffré de Porfirio Díaz à Bernardo Reyes du 13 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7785.
156 Télégramme et lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 14 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7786. Reyes attend de Díaz l’indication de l’endroit propice à sa retraite puisque « je juge que dans les circonstances actuelles je suis dans le cas de ne pas faire ce choix de mon propre chef ».
157 Lettre de Porfirio Díaz à Bernardo Reyes du 20 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7796.
158 Lettre de Manuel Garza Aldape à Bernardo Reyes du 22 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 39, 1. 7798.
159 Reyes à Díaz, dans sa lettre du 25 septembre : « On m’annonce que M. Calero vient, avec votre supérieur consentement. » ABR-Condumex, c. 40, 1. 7800. Díaz à Reyes dans son télégramme du 27 septembre : « Calero m’a dit qu’il devait y aller, et j’ai juste dit que c’était bien. » ABR-Condumex, c. 40, I. 7804. Calerò lui-même écrira plus tard, en exil, qu’il avait eu « l’honneur de servir de médiateur entre lui [Reyes] et le Président Díaz, pour mettre fin à la tension de la situation politique de cette époque. », M. Calerò, Un decenio de politica mexicana, cité par J. López-Portilio y Rojas, op. cit., p. 321.
160 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 27 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 40, I. 7803.
161 Ibid.
162 Ibid.
163 Télégramme chiffré de Porfirio Díaz à Bernardo Reyes du 29 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 40, I. 7805.
164 Le choix de Zambrano n’avait sans doute pas été fait par Reyes tout seul, mais en accord avec Díaz, puisque le premier écrit au second : « Conformément à vos instructions, j’appelle M. Adolfo Zambrano, parent par alliance du Général Treviño et, d’autre part, mon ami et personne de toute honorabilité, pour faire en sorte qu’il reste à la tête du Gouvernement. » Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 30 septembre 1909. ABR-Condumex, c. 40, 1. 7806. Cf. aussi I. s 7809 et 7810.
165 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 2 octobre 1909. ABR-Condumex, c. 40, I. 7809.
166 Télégramme chiffré de Porfirio Díaz à Bernardo Reyes du 4 octobre 1909. ABR-Condumex, c. 40, 1. 7812. « Je ne pourrai pas vous recevoir avant de partir et si je le faisais mon esprit ne pourrait pas être tranquille, ni mon temps aussi large qu’au retour. »
167 Cf. ses lettres à Porfirio Díaz du 4 (ABR-Condumex, c. 40,1. 7812) et du 18 octobre 1909 (1. 7815).
168 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 24 octobre 1909. ABR-Condumex, c. 40, 1. 7819.
169 Alfonso Taracena, op. cit., p. 248.
170 Lettre de Porfirio Díaz à Bernardo Reyes du 29 décembre 1909. ABR-Condumex, c. 40, 1. 7834 qui dit avoir reçu celle de Reyes datée du 1er et se félicite de son arrivée « sans problèmes ».
171 Lettre de Bernardo Reyes à Porfirio Díaz du 19 janvier 1910. ABR-Condumex, c. 40, 1. 7838.
172 Au sujet de ces organisations, on peut consulter J.-P. Bastían, « Las sociedades protestantes y la oposición a Porfirio Díaz en México, 1877-1911 » dans J.-P. Bastían (éd.). Protestantes, liberales y francmasones. Sociedades de ideas y modernidad en America Latina, siglo xix. Mexico, FCE-CEHILA, 1990, pp. 132-164.
173 La presse reyiste analysée — El Globo et La Libertad — semble empreinte de cette conviction, qui se manifeste aussi chez des individus comme José López-Portillo y Rojas.
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Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913
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- (2013) Collection Histoire Révolutions. DOI: 10.3917/bel.larre.2013.01.0236
- Tahar Chaouch, Malik. (2012) Religion, mouvements sociaux et démocratie : convergences et contradictions au Mexique. Politique et Sociétés, 30. DOI: 10.7202/1008311ar
- (2002) Librairie. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no 75. DOI: 10.3917/ving.075.0187
Le laboratoire démocratique : le Mexique en révolution 1908-1913
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