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Chapitre 5. Le reyisme : une opposition porfiriste

p. 149-186


Texte intégral

1L’historiographie post-révolutionnaire — inspirée sans doute des mots de Alvaro Obregón, qui n’a su trouver d’autre expression pour décrire le Jalisco que celle de gallinero de la república — a propagé l’image, aujourd’hui dominante, d’un état « sans révolution » où les mouvements, voire les idées révolutionnaires, n’avaient pris racine que grâce à leur importation à partir de 1914 par les troupes villistes ou carrancistes, qui venaient de triompher de Victoriano Huerta.

2Cette image correspond à la version de la révolution qu’en ont élaboré ses principaux vainqueurs, membres du groupe dit « de Sonora » dont Obregón, fondateur de l’état mexicain post-révolutionnaire, faisait partie. Elle a un défaut central, sa prétention à se substituer à une histoire nationale de la période, alors qu’elle privilégie le temps et l’espace d’action de ce groupe, puis de ses concurrents majeurs : le zapatisme et le villisme. Dans le cas particulier du Jalisco, elle ajoute à cette limitation celle d’avoir contribué à consolider une image statique et uniformisante de la société civile comme une société réfractaire au changement et profondément conservatrice. Or les acteurs de l’époque auraient eu sans doute leur mot à dire à ce sujet, car ils étaient, pour certains, persuadés d’avoir été des précurseurs de la révolution 1.

3Il ne s’agit sans doute pas ici de chercher à établir coûte que coûte une contre-version qui fasse du Jalisco une sorte d’état fondateur de la révolution pour « compenser » des absences historiques significatives, et qui contenterait ceux pour qui l’absence présumée d’initiative révolutionnaire dans l’état atteint presque le degré d’une souillure identitaire.

4Il s’agit en revanche de construire une approche qui permette d’appréhender les dynamiques propres à l’état et, en tout cas, de comprendre les enjeux et les forces avant-gardistes et retardataires, s’il y en a, de la révolution. S’impose d’abord une reformulation chronologique propre à la région, qui tienne compte aussi bien de ses temps historiques internes que de son insertion dans un temps national. Cela requiert aussi de suivre de près les acteurs régionaux et de tenir compte du rôle qu’ils croyaient jouer pour l’histoire.

5Dans cette logique, le regard est immédiatement attiré par un mouvement politique contrarié, de durée relativement courte, le reyisme, sans contestation le mouvement le plus important de la fin du porfiriat dans Jalisco et qui, au niveau national, réussit à inquiéter le gouvernement de Porfirio Díaz.

6Ce mouvement s’inscrit dans le cadre de la plus importante crise politique porfirienne : la lutte pour la succession présidentielle de 1910. Il faut alors chercher ses origines, d’une part, dans le courant de l’année 1908 lorsque l’on commence à parier en public de la succession de Díaz et à discuter des propos confiés par le dictateur au journaliste américain James Creelman en début d’année. Il faut d’autre part remonter plus loin pour comprendre le lien entre ce mouvement et la figure qui l’inspire, le général Bernardo Reyes. Mais avant tout il est nécessaire de comprendre quels étaient les enjeux d’une telle crise et dans quels termes ses acteurs l’ont formulée.

7Une première approche de la question permet de constater qu’une partie du monde politique porfirien a accepté sans difficulté l’idée d’une dernière réélection de Díaz, notamment parce que la question essentielle de l’élection de 1910 n’était pas la Présidence de la République. Aussi paradoxal que ceci puisse paraître, l’enjeu fondamental de la réélection de Díaz n’était pas Díaz lui-même2. La rivalité réelle est celle qui oppose les partisans du général Bernardo Reyes aux científicos3. De fait, les deux principaux courants politiques de cette époque portent les nom s de corralistes et reyistes.

8En effet, en vue de l’élection présidentielle de 1910, l’ancienne rivalité Reyes-Limantour prend la forme d’une rivalité Reyes-Corral, puisqu’aussi bien l’ensemble des científicos que Porfirio Díaz lui-même cherchent la réélection de Ramón Corral au poste de vice-président de la République. Aussi, en esquivant toujours la figure du dictateur, les ennemis de la réélection s’en prennent à Ramón Corral et à son entourage. Il ne s’agit pas seulement d’un contournement de la personne de Díaz dans les critiques du régime, mais d’un véritable déplacement de l’enjeu politique central vers la vice-présidence.

9Sous le nom de reyisme, une opposition à l’autoritarisme porfirien prend corps dans plusieurs états de la République, parmi lesquels Jalisco occupe une des premières places. C’est ce mouvement qui constitue l’objet central des pages qui suivent, depuis sa naissance jusqu’à sa répression, en passant par ce que fut son expression paradoxale majeure : le fait que Bernardo Reyes n’ait jamais assumé le rôle que ses nombreux partisans tenaient à lui conférer : celui de candidat déclaré à la Vice-présidence. Au-delà de la reconstitution de son histoire une question se pose, celle du chemin creusé par le reyisme sur la voie de la lutte contre l’autoritarisme tout au long de ses dix mois de vie. L’étude du reyisme comme expression d’une dynamique régionale peut sans doute éclairer les rapports entre Jalisco et la révolution et contribuer à la compréhension du sens de ce mouvement pour l’ensemble du Mexique.

1. Bernardo Reyes

10Le reyisme éclot sous la forme d’un mouvement de très courte durée mais socialement large, à l’occasion de la crise qui marque la fin du long régime de Porfirio Díaz, autour de ce que fut son problème politique majeur : la succession présidentielle. Pourtant, autour de Bernardo Reyes se cristallisaient, depuis de nombreuses années, les espoirs et les aspirations d’une partie de l’élite politique porfirienne, qui voyait dans la personnalité du général, le successeur idéal de Díaz4.

11Il s’agit, en quelque sorte, de la dernière chance de survie du régime porfirien ; c’est une tentative interne de reproduction du système politique, qui apparaît vicié et corrompu. Ainsi le formule un reyiste convaincu, en s’adressant à Reyes lui-même :

« Parmi les dangers qui nous encerclent, de la corruption des habitudes publiques, de la dégradation des caractères et du triste scepticisme politique qui nous entoure, l’infusion de ta foi, de ton énergie, de ton patriotisme, équivaudrait à la restauration de nos forces perdues et de nos idéaux oubliés5 »

12Face aux científicos le reyisme se veut nationaliste : les premiers sont accusés de vouloir vendre le pays à l’étranger. Le reyisme exploite le sentiment populaire qui rejette sur le groupe de Limantour la responsabilité de tous les maux du peuple. Enfin, le mouvement suppose une rénovation du paternalisme.

13A première vue, le reyisme appartient encore au xixe siècle : il s’agit de porter au pouvoir une personnalité plus qu’un programme6. On trouve en Reyes un digne successeur de Díaz :

« Je te conçois comme le seul homme public du Mexique capable de maintenir l’ordre et de continuer de stimuler notre progrès une fois le Général Díaz disparu7. »

14Cependant, il s’agit aussi d’un mouvement charnière entre deux cultures politiques différentes : si Reyes est un homme politique traditionnel, ses partisans emploient les outils modernes de la lutte politique : presse, clubs et partis. Continuité et rupture sont au cœur d’un mouvement qui prend forme autour du gouverneur du Nuevo León. Mais qui était donc Bernardo Reyes ?

1.1. Une carrière politique brillante

15La carrière de Bernardo Reyes est militaire avant de devenir aussi politique. Né à Guadalajara en août 1849, il entre dans l’armée à peine l’école primaire terminée, en pleine intervention française, pendant laquelle il lutte aux côtés du général Ramón Corona8.

16Après la défaite de l’armée de Napoléon III, il continue quelque temps auprès de Corona, qu’il sert comme adjudant. Il fut commandant des forces militaires du San Luis Potosí et du Sinaloa.

17Reyes contribua ensuite à assurer la permanence du régime « de Tuxtepec » dans le nord du pays9 et surtout à neutraliser les ennemis potentiels de Díaz dans la région. A cet effet, celui-ci le fit gouverneur militaire du Nuevo León, en 1885, puis lui confia le contrôle de la 3e zone militaire, qui comprenait les états de Nuevo León, Coahuila et Tamaulipas et s’étendait dans la pratique à ceux de Zacatecas et Durango ; Reyes avait aussi de l’influence sur l’état du San Luis Potosí. Puis, il devint gouverneur constitutionnel du Nuevo León, poste qu’il garda jusqu’à la fin du siècle. Ainsi, Reyes parvint à contrôler cette région qui devint pour lui une source de grand prestige de même que son fief politique10

18Nationaliste et franc-maçon, Reyes était un libéral classique, caractéristique de ce que François-Xavier Guerra identifie comme la première génération de gouverneurs porfiriens11.

1.2. Une administration prestigieuse

19La gestion de Reyes au Nuevo León renforce son crédit auprès d’une partie de la classe politique. Son administration, libérale, établit les bases du développement industriel et capitaliste de l’état et en particulier de sa capitale, Monterrey, qui les caractérisent jusqu’à nos jours12.

20Pilier du régime, Reyes, autoritaire comme Díaz, devint un candidat potentiel à la Présidence de la République. Ainsi, son nom apparaît associé à la succession de Díaz dès 1895, à partir de sa médiation dans le conflit entre les partisans de Garza Galán, gouverneur du Coahuila et ceux du général Treviño pour le pouvoir régional. Grâce en partie à ses qualités de médiateur, Reyes devint l’homme le plus puissant du Nord et des membres des élites de différentes régions envisagent de l’appuyer afin qu’il accède à la Présidence de la République13

21Ainsi, à la fin du siècle, son nom, associé à celui de José-Yves Limantour, ministre des Finances, dans plusieurs combinaisons possibles, est perçu dans certains milieux comme la solution idéale pour la succession à la tête de la nation14.

1.3. Le ministère

22En janvier 1901, Porfirio Díaz fit appel à Reyes pour lui confier le Ministère de la Guerre. Dès le début de sa gestion, celui-ci adopta plusieurs mesures envisageant une réforme générale de l’armée afin de la moderniser et de créer une réserve de citoyens volontaires15

23La création de celle qu’on appela la « deuxième réserve », qui visait les couches moyennes de la population, reçut, paraît-il, un bon accueil, et enthousiasma une partie de la classe politique. Le projet faisait appel au patriotisme des Mexicains face aux éventuelles menaces étrangères, et comptait former une armée peu coûteuse pour l’état en même temps que très nombreuse16.

24La popularité du nouveau ministre ne faisait que s’accroître. Alfonso Tara-cena signale pour la fin 1901 :

« L’apogée du Général Reyes atteint son point culminant. La propagande de la deuxième réserve de l’armée est suivie avec enthousiasme17. »

25La force de cette organisation paraît en effet redoutable : elle permit à Reyes de tisser rapidement un réseau comprenant tous les états de la République et de coordonner ainsi « plus de citoyens que tout autre homme politique, y compris le Président »18.

26C’était sans compter avec l’influence grandissante au sein du gouvernement des científicos, dont la conception différente de l’état et de la politique, ne pouvait que se heurter à Reyes qui était déjà leur principal ennemi19.

1.4. La crise de confiance. La disgrâce

27Le succès de la deuxième réserve de l’armée marque le début d’une relation de méfiance entre Porfirio Díaz et Bernardo Reyes ; celui-ci devient un homme de plus en plus suspect aux yeux du dictateur.

28En ce début de siècle, l’influence grandissante du groupe de Limantour auprès de Díaz, ainsi que l’extrême jalousie de celui-ci, triomphent de Bernardo Reyes qui, le 22 décembre 1902, présente sa démission au Ministère de la Guerre et de la Marine et retourne gouverner l’état du Nuevo León, au milieu d’une crise de confiance20.

29Les rumeurs selon lesquelles Reyes userait de son influence sur l’armée pour prendre le pouvoir par la force accompagnent son départ de la capitale. Aussi, peu de temps après, son successeur au Ministère, le Général Francisco Z. Mena, démontera son œuvre21.

30Ce revers n’aura cependant pas raison des ambitions présidentielles de Reyes et encore moins de son prestige. Toutefois, le général sera bien loin de Mexico lors de la création, en 1904, d’un poste clé — destiné à devenir le centre de la lutte pour le pouvoir et la pièce maîtresse de la succession présidentielle —, la Vice-présidence22, dont le contrôle revint aux científicos en la personne de Ramón Corral23

Tableau 10. BERNARDO REYES. DE L’APOGÉE À LA DISGRÂCE

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1.5. L’approche des élections présidentielles

31Vers la fin de l’année 1908, l’effervescence autour de la succession présidentielle remonte encore une fois. Elle est d’autant plus vive que l’on ne se fait pas d’illusion sur une éventuelle immortalité de Diaz ; le dictateur a plus de 80 ans et, s’il conserve encore toutes ses facultés mentales et une extraordinaire vigueur physique, nous pouvons dire que rien n’est plus attendu que sa mort : on ne cesse de parler de la nécessité qu’il prépare lui-même son successeur ou bien de rappeler qu’il ne l’a pas encore fait24.

32La perspective de l’élection présidentielle de 1910 soulève un intérêt particulier, non seulement par l’âge avancé de Porfirio Díaz, mais surtout parce que celui-ci avait déclaré au journaliste américain James Creelman, au début de l’année 1908, qu’il était prêt à quitter le pouvoir et qu’il souhaitait la formation de partis politiques25.

33Dans un premier temps, étant donné que la personne du président est intouchable, qu’il est sans doute proche de sa dernière heure mais que tant qu’il est vivant il reste tout-puissant, personne n’ose lancer ouvertement une candidature à la Présidence. Celui que même à l’étranger on qualifie flatteusement de « l’homme d’état du siècle »26, ne saurait avoir, de son vivant, voire supporter, aucun rival. Le véritable enjeu politique sans rupture avec le système se trouve donc dans la lutte pour la Vice-présidence.

34En vue des élections de 1910, Reyes aspire sans doute à ce poste et son principal adversaire est Ramón Corral dont les científicos cherchent la réélection. Puisque le système laisse au président tout le poids de la décision, des campagnes s’organisent afin d’essayer de peser sur son choix. Il s’agit de campagnes qui visent surtout à influencer l’opinion publique et qui essayent d’organiser des citoyens en clubs et partis.

35Reyes ne fait jamais campagne personnellement, mais ses partisans s’organisent, créent des organes de presse et manifestent ouvertement leur intention de porter le gouverneur du Nuevo León à la Vice-présidence.

36Pour le monde politique porfirien, il était clair que Díaz, malgré ses déclarations, n’avait aucune intention réelle de se séparer du pouvoir. Cela devient de plus en plus évident au cours de l’année 1908 qui voit se remettre en marche l’engrenage de la réélection. C’est pourquoi Reyes tient à témoigner publiquement de son adhésion au président en prenant soin de laisser entendre qu’il ne prétend pas à la Vice-présidence, lors d’un entretien paru en août 190827.

37L’entretien avec Barrón est jusqu’à ce moment la seule manifestation publique de Reyes par rapport à sa candidature vice-présidentielle. On sent dans ses déclarations le souci de faire disparaître tout soupçon de félonie qui pourrait peser sur lui. D’aucuns trouvent dans ce souci la confirmation de ses intentions de révolte28.

38En 1909, les divers courants politiques s’organisent en vue des élections. Au niveau national, naissent deux organisations d’importance : d’abord le parti Democrático, issu de l’initiative d’un groupe d’intellectuels et dont le noyau fondateur est composé d’hommes appartenant tous à la classe politique porfi-rienne29, puis le centre Antirreeleccionista, qui regroupe à ses débuts une quarantaine d’hommes, indépendants du gouvernement et souvent ses opposants acharnés, autour de Francisco I. Madero et de Emilio Vázquez Gómez30. Les porfiristes préparent, quant à eux, le théâtre habituel de la réélection de Díaz avec, pour variation, la rivalité Corral-Reyes pour la Vice-présidence31

39Cette fois, deux organisations participent à la mise en scène, le Círculo Nacional Porfirista et les clubs Reeleccionistas. Le premier, constitué de porfiristes « classiques », était apparu en 1896, lorsque Díaz l’avait chargé des travaux concernant sa réélection pour contourner l’ Unión Liberal, proche des científicos, dont il n’avait pas réalisé le programme. Le CNP avait joué le même rôle pour la réélection de Díaz en 190032. En 1909, cette organisation compte avec une certaine présence reyiste.

40Quant aux clubs Reelecionistas, organisations manifestement corralistes, ils ont pour origine l’entretien Díaz-Creelman, interprété par certains comme une incitation du président à ses fidèles pour qu’ils lui proposent une septième réélection. Ces clubs ont donc été formés, dans la capitale et dans les états, à la suite d’une campagne lancée par les proches du président33 et avec l’appui des gouverneurs34.

2. Le reyisme dans la presse jalisciense

41Plusieurs raisons font du Jalisco un terrain propice à l’implantation du reyisme ; la première correspond au fait que depuis plusieurs années les élites de l’état n’étaient plus représentées solidement au niveau fédéral : les dernières personnalités d’envergure nationale originaires de Jalisco, Ignacio L. Vallarta, Pedro Ogazón, Ramón Corona, s’étaient éteintes sans qu’un relais efficace ait pu se présenter. Qui plus est, des conflits et des rivalités diverses avaient opposé ces trois hommes à Porfirio Díaz, ce qui n’avait pas contribué à rendre ce dernier particulièrement prestigieux auprès d’une population fière de ses figures politiques — notamment de Ramón Corona, dont l’assassinat, survenu alors qu’il était au sommet de son prestige, a favorisé sa vénération publique. Ainsi, les élites libérales de Jalisco héritent de ces conflits qui sont fortement présents dans leurs esprits pendant tout le porfiriat et qui prennent un nouveau souffle lorsque la question de la succession au pouvoir se pose, à la veille des élections de 1910.

42On comprend bien que, avec un tel héritage conflictuel, les rapports entre le Jalisco et le gouvernement de Porfirio Díaz, sans être mauvais, n’étaient pas idéaux, ce qui constitue un deuxième facteur à prendre en compte dans l’analyse de l’essor du reyisme au Jalisco. Il est certain que Díaz ne chérissait pas particulièrement le Jalisco, en dehors du séjour — devenu presque rituel à la fin de son régime — qu’il faisait à Pâques, au bord du lac de Chapala35. En effet, s’il venait se reposer chaque année à Chapala, Díaz n’a daigné visiter la capitale de l’état que le 13 décembre 1908, pour la première fois en trente ans et plus de gouvernement36. Díaz se rendait bien au Jalisco, mais pour se reposer et sans faire acte de présence dans son centre politique. Ce dédain de Díaz pour les élites de l’état lui était bien rendu : le président était mal aimé des jaliscienses, qui le tenaient pour responsable du meurtre de Ramón Corona.

43Dans un tel contexte, Bernardo Reyes était la seule personnalité originaire de l’état occupant une position élevée à l’échelon national ; il était, de surcroît, lié aux familles d’Ogazón et de Vallarta, ce qui permettait de lui construire une sorte de « lignage libéral », remontant aux heures de gloire du libéralisme, celui de la restauration de la République, et du combat contre la rébellion de Manuel Lozada37 Ainsi, lorsque les reyistes rédigent une biographie de leur candidat, celle-ci commence par les mots suivants :

« Fils du Colonel Domingo Reyes, qui a sa statue dans Jalisco. Apparenté au Général Pedro Ogazón et au Licenciado Ignacio L. Vallarta38 »

44Une autre raison du succès de la candidature reyiste — concernant quant à elle non seulement l’état de Jalisco mais l’ensemble du territoire reyiste — se trouve dans le fait que la proposition reyiste est, au départ et en apparence, une proposition de continuité face au problème de la succession présidentielle, car Reyes est perçu comme un continuateur de l’œuvre de Díaz et comme un garant du maintien de la paix. Plus que de continuité, il s’agit d’un retour aux sources du porfirisme « de la première heure », c’est-à-dire, d’avant les científicos39. A partir du moment où la responsabilité de tout ce qui déplaisait dans le régime porfirien était attribuée à ce groupe, et où on reconnaissait en Díaz l’artisan de la paix et le promoteur du progrès, on cherchait à renouer avec ces valeurs, en éliminant les científicos de l’engrenage politique et administratif.

« Et, s’il est vrai qu’obligés par des circonstances très spéciales, et poursuivant un idéal patriotique, certains comme nous, oubliant les différences, ont proposé la réélection du Général Díaz [...], il est vrai aussi que chez tout le monde se trouve avec encore plus de véhémence le désir [...] que la camarilla des científicos qui règne à présent, cesse de participer aux affaires publiques [...]40. »

45De ce point de vue, Reyes, ennemi des científicos, était le candidat idéal.

46L’étude de la presse reyiste à Guadalajara, permet cependant de nuancer cette dissociation — présentée souvent comme totale — au sein de l’opinion, entre le dictateur et les científicos. Cette dissociation a lieu — quand elle existe — dans le discours, au premier degré, et il n’est pas difficile de voir que la presse d’opposition libérale, même si elle reste prudente, fait bien un lien étroit entre ces deux acteurs et ne place pas Díaz dans une sorte de limbes d’impunité41. Effectivement, Díaz n’est pas présenté comme un homme parfait, sans tache, mais comme l’homme qui détient le plus grand pouvoir dans le pays, depuis trois décennies. On lit et on interprète ses actes politiques en tant que tels. Finalement, ses partisans voient dans l’administration reyiste du Nuevo León un modèle et en Reyes le précurseur de réformes sociales ainsi que le garant de la souveraineté nationale42.

47Il est vrai que Reyes avait promu dans le Nuevo León l’adoption de lois favorables aux travailleurs, les lois « Sur les accidents de Travail » (du 2 novembre 1906) et « Sur les salaires journaliers » (du 5 août 1908), ce qui pourrait en faire un précurseur de la législation sociale mexicaine, et qui permettait aux reyistes d’affirmer qu’il était

« le premier gouvernant mexicain à aborder franchement les problèmes du prolétaire43 ».

48Ces antécédents permettaient d’espérer qu’il fasse de même s’il arrivait à la tête du pays.

49Prenant naissance après l’entretien Diaz-Creelman, le reyisme profite d’un moment d’ouverture de l’espace public, et la presse qui lui est proche devient un des principaux agents de formation de l’opinion pendant les années 1908 et 1909. C’est par ce biais que le mouvement lui-même va s’épanouir et évoluer : de mouvement d’élites qu’il était au départ, il se transforme progressivement en un mouvement social beaucoup plus large, intégrant des acteurs d’origines diverses.

50La meilleure source dont on dispose pour étudier le reyisme dans Jalisco est l’analyse de deux journaux, le quotidien La Libertad et El Globo, hebdomadaire ouvertement reyiste, fondé en mars 1909. Ces deux journaux nous permettent d’approcher les deux courants du reyisme organisé dans Jalisco : l’un centré autour du parti Independiente et de son dirigeant Ambrosio Ulloa, et l’autre, à l’origine de El Globo, puis, en mai 1909, du club Jalisciense del Partido Democrático — filiale du club Central del Partido Democrático — dirigé par Tomás Rosales. Deux courants dont la conception et la mise en pratique du reyisme ne sont pas toujours concordantes.

2.1. Le reyisme de La Libertad

51La clef de voûte du reyisme organisé au Jalisco, le parti Independiente, est étroitement lié au journal La Libertad, principal vecteur du mouvement et organe de recrutement de nouveaux adhérents pour le parti44. Ce journal est ainsi un des plus importants promoteurs du reyisme dans l’état et, en retour, on trouve dans ses pages l’expression d’une opinion liée au mouvement.

52La Libertad accompagne le mouvement reyiste pendant deux étapes essentielles de son existence : sa genèse — depuis la publication de l’entretien Diaz-Creelman, en mars 1908, jusqu’à la fondation du parti Independiente, en décembre de la même année —, et son expansion — de décembre 1908 à juillet 1909. La pensée des reyistes et leurs actions peuvent ainsi être suivies dans leur rythme quotidien à travers les pages du journal de Francisco L. Navarro.

53On ne saurait pour autant considérer La Libertad comme un simple organe du reyisme, car il s’agit d’un opposant de longue date au régime porfirien et ni sa pensée ni ses prises de position ne peuvent être réduites au reyisme. En effet, même si elle a vigoureusement soutenu le mouvement, La Libertad ne devient à aucun moment un simple journal de propagande. C’est ainsi que le reyisme exprimé dans ses pages doit être lu dans un contexte plus vaste, celui de l’opposition libérale au porfirisme et des aspirations politiques d’une élite intellectuelle régionale qui voit dans le mouvement reyiste la voie la plus appropriée pour parvenir à ses fins : à court terme, un changement du personnel politique ; à moyen terme, la transition vers la démocratie.

54C’est pourquoi, bien qu’il y ait une correspondance entre la vie du mouvement et celle du journal, il faut bien insister sur le fait qu’aucun des deux ne se réduit à l’autre : La Libertad n’a pas eu besoin du reyisme pour exister et pour être un journal d’opposition solidement implanté ; tandis que le reyisme était bien plus que le journal de Navarro, même si dans Jalisco celui-ci constituait son principal pilier. Toujours est-il que le lien entre les deux reste très étroit, à tel point que la répression que le mouvement subit par la suite est symboliquement représentée par la clôture arbitraire du journal, l’emprisonnement de son directeur, la confiscation de ses presses et l’interdiction à tout imprimeur de l’état de publier La Libertad, sous peine de fermeture de son atelier45.

55L’adhésion de La Libertad au reyisme s’est faite au travers de l’entreprise de création d’un parti politique, l’Independiente. Cela a impliqué l’adaptation du journal aux lignes directrices de la nouvelle organisation et, partant, l’adoption de principes et de stratégies politiques qui n’étaient pas toujours les mêmes que celles que Navarro professait. Le cas le plus remarquable concerne la réélection de Díaz :

« [...] si nous avons accepté la nouvelle réélection du Général Díaz, c’est en vertu des raisons sur lesquelles le Parti Politique Independiente l’a fondée [...]. Avant cela, nos convictions nous amenaient à soutenir que l’intérêt personnel du Général Díaz et les intérêts de la Nation exigeaient de ce Général la retraite du pouvoir46. »

56On sent bien cependant comment Navarro, tout en s’engageant pleinement et ouvertement dans ce parti, essaie de conserver une certaine réserve pour ne pas plonger son journal dans la simple propagande.

57Dans La Libertad du temps du reyisme on trouve trois axes directeurs qui s’entrecroisent parfois : deux qui lui sont traditionnels — la pédagogie civique, la critique politique et sociale47 —, et un troisième, nouveau, qui est la propagande raisonnée du reyisme48. En effet, un espace important du quotidien est réservé aux porte-parole de ce parti — fonction qui n’est jamais remplie par Navarro lui-même —, sans pour autant que ses lignes d’analyse déjà traditionnelles ne soient abandonnées.

58Un exemple remarquable de cette « pédagogie civique » que La Libertad mène auprès de ses lecteurs, est l’invitation à participer à une élection présidentielle fictive. A partir de janvier 1909, cet exercice se présente sous la forme d’un bulletin de vote à remplir et à envoyer au siège du journal. La condition de participation est que le bulletin rempli soit accompagné du nom et de l’adresse du votant, même si les noms des électeurs ne seront pas publiés. La Libertad devait publier périodiquement des résultats partiels, sans faire mention explicite des candidats, lesquels seraient identifiés par un numéro en attendant la publication du résultat final, afin de garantir l’impartialité du processus. Ces bulletins à découper se trouvaient fréquemment, quoique non régulièrement, dans les pages du journal49.

59Cette initiative n’est pas exclusive de La Libertad, d’autres publications et des organisations politiques se livrent à des pratiques semblables50 ; elle sera par ailleurs secondée à partir du mois d’avril par El Globo, pour ce qui constitue la seule action concertée des deux journaux. Cependant, à la différence d’autres journaux, La Libertad n’a pas publié les résultats — partiels ou finaux — de son enquête, à court terme51.

60L’intention pédagogique de ces élections fictives se comprend davantage lorsque l’on tient compte du fait que les élections présidentielles et vice-présidentielles étaient à l’époque indirectes.

61Par ailleurs, un article publié le 8 février, intitulé « Nous sommes prêts à voter », rend compte du genre de démocratie (plutôt restreinte dans la pratique) envisagée par certains reyistes ; elle permet de savoir à quel public cette pédagogie civique, en tant qu’incitation à l’exercice des droits politiques, était adressée.

62L’auteur rappelait que ce n’étaient pas les analphabètes, « presque les deux tiers de la nation », ni les enfants, qui votaient (les analphabètes deviennent ainsi les éternels enfants de la nation). Ces deux catégories ne votaient pas52 — et il insiste sur cette assimilation — car

« ni les uns ni les autres n’ont la conscience de leurs devoirs et de leurs droits politiques, puisqu’ils ne les connaissent pas53 ».

63Ne doivent voter que ceux qui comprennent leurs obligations de citoyens, c’est-à-dire, particulièrement :

« les ouvriers cultivés, les employés publics et privés, les commerçants et industriels, les professionnels, les journalistes, la classe moyenne en général54 ».

64Ces catégories sociales ont en commun l’appartenance à un milieu urbain, leur insertion dans l’économie moderne et, par-dessus tout, l’accès à la lecture. Nous ne sommes pas loin des électeurs idéaux recherchés par les républicains français de la fin du xixe siècle55.

65Le second axe — la critique politique et sociale — suit, en général, les lignes directrices traditionnelles du journal56. Il faut toutefois signaler, qu’une critique systématique de la politique limantourienne prend place dans les pages de La Libertad (une série d’articles s’attaque aux réformes du système monétaire), de même qu’un débat plus ouvert contre les científicos et ses défenseurs, notamment la presse officieuse — El Imparcial, puis El Tiempo57. En particulier, la critique du régime de Tuxtepec en matière ferroviaire et de souveraineté devient plus explicite58. En somme, l’opinion globale du journal à l’égard du régime, se trouve clairement exprimée à l’occasion du 52e anniversaire de la Constitution Fédérale de 1857 :

« Étant donnée la façon dont les autorités du pays observent en général la Constitution, on devrait plutôt célébrer ses funérailles59. »

66Du côté de la politique locale, on constate aussi une hausse progressive du ton de la critique, hausse parallèle à celle de la tension entre le reyisme et le gouvernement. Toutefois, cette critique maintient, tant qu’il est possible, sa forme traditionnelle, visant les fonctionnaires subalternes sans s’attaquer à la tête du gouvernement et plutôt en soulignant, à chaque occasion, les qualités de celle-ci. Les fonctionnaires particulièrement visés pendant cette période sont certains chefs et directeurs politiques60 et le directeur du Lycée de l’état, Agustín Bancalari. Ce dernier a d’abord provoqué l’indignation du journal en expulsant des élèves pour une affaire mineure61, et sera plus tard durement critiqué à cause des mesures prises contre les étudiants reyistes62.

67La politique locale devient peu à peu un champ privilégié où convergent la critique du gouvernement et la défense du reyisme. Sous la forme d’une surveillance du respect des droits politiques et civiques, le journal suit de près l’attitude du gouvernement de l’état envers les reyistes. Du gouverneur, on exprime d’abord ce que l’on attend : qu’il respecte lui-même et qu’il impose à ses subordonnés le respect des droits civiques et de l’ordre constitutionnel. Il n’est pas mis en cause dans un premier temps, mais — puisque le reyisme se veut une mobilisation de l’opinion — la pression réside dans la menace implicite qu’il pourrait l’être. Plus tard, au fur et à mesure que la conjoncture devient plus tendue — Porfirio Díaz tolère de moins en moins les reyistes —, l’attitude d’Ahumada sera plus claire et les critiques lui seront adressées de façon plus directe. Toutefois cette critique accompagne — et suit d’un pas — les prises de position du gouverneur par rapport au mouvement : tant que le premier n’a pas fait preuve d’intolérance, on ne lui adresse pas d’attaques directes. En revanche, le moindre geste répressif est rapidement repéré et signalé.

68Enfin, le troisième axe directeur de La Libertad, la propagande raisonnée du reyisme, ne saurait être dissocié des deux autres, bien au contraire leur convergence est de plus en plus marquée. Ainsi, l’intersection entre la critique politique de La Libertad et la diffusion des idées reyistes est explicite dans la colonne intitulée « L’opinion de nos intellectuels sur les affaires politiques d’actualité ». Cette colonne, créée par Navarro dans les derniers mois de 1908, se veut un espace d’opinion ouvert aux intellectuels de la région. Dans les faits, au début de 1909, elle a été souvent assurée par Tomás Rosales, ingénieur, reyiste de conviction63 Les thèmes développés par Rosales étaient en particulier la démocratie, le parti Independiente et le besoin d’une union des citoyens pour le changement politique.

69Les articles de Rosales sont représentatifs de la pensée d’une partie des élites libérales de la fin du porfiriat qui adhérèrent au reyisme. Ainsi, en ce qui concerne l’idée de l’avancée graduelle vers la démocratie, à laquelle Rosales adhère, mais dans un cadre encore plus large, voire positiviste, celui du progrès continu de la société.

« Cette évolution salvatrice — dit-il — se réalise majestueusement sous les auspices de la science émancipatrice, et ni les sourdes machinations de l’obscurantisme, ni l’ambition dépravée des tyrans ne pourront rien contre elle64. »

70Ou bien dans ce penchant pragmatique qui lui fait joindre toujours des propositions concrètes aux idéaux exprimés.

71En dehors de cette colonne mise à disposition des intellectuels régionaux, il y avait, dans La Libertad, des espaces nettement reyistes. Ces espaces étaient majoritairement remplis par Ambrosio Ulloa qui y développait la plate-forme politique du parti Independiente dont il était le Chef. Ce sont, pour la plupart, des propositions concrètes d’action adressées au gouvernement qui confirment le penchant pragmatique des reyistes. Le public pouvait ainsi savoir de quelle manière les reyistes entendaient que le pays fût gouverné. Ainsi, par exemple, le 29 janvier il aborde le problème de l’argent65 et dans les mois suivants d’autres questions, non moins épineuses, comme la réforme bancaire66 la politique ferroviaire67, l’irrigation des terres68, les convictions politiques des salariés du service public69 et la politique internationale70.

72Ces questions reflètent bien deux des principaux caractères du reyisme : le nationalisme et la revendication d’une ouverture politique. Le premier était symbolisé fortement par la question ferroviaire. En effet, le conflit ne cessait de se radicaliser entre les compagnies étasuniennes — qui dominaient en bonne partie les réseaux ferrés du pays — et les travailleurs mexicains, de plus en plus organisés. Une partie de l’opinion — dont les reyistes — trouvait le gouvernement de Díaz trop engagé en faveur des premières71.

73Le nationalisme des reyistes allait de paire avec un anti-impérialisme marqué, réagissant particulièrement contre la politique étasunienne, à l’heure de l’expansionnisme rooseveltien dans les Caraïbes, expansionnisme qui nourrit les craintes de certains milieux mexicains72. Ainsi, lorsque l’on apprend l’invasion du Nicaragua par les états-Unis, les indépendants s’empressent de la condamner et d’ajouter à leur programme un nouveau point :

« que la Nation Mexicaine doit essayer d’établir une solidarité d’intérêts avec les Républiques latino-américaines, et ne jamais seconder l’impérialisme absorbant de la République anglo-américaine73 ».

74Quant à l’ouverture politique, les indépendants se prononçaient contre ce que Ulloa appelait l’« exclusivisme politique » et pour que l’on admette au sein des Assemblées, Ministères et Gouvernements

« toutes les personnes capables [d’exercer un poste] sans exiger d’elles qu’elles renoncent à leurs idéaux politiques et à leurs aspirations légitimes [...]74 ».

75Ce qui souligne bien qu’une des raisons du succès du reyisme auprès d’une partie des élites porfiriennes réside dans leur mécontentement d’avoir été exclues du pouvoir politique75. Dans le cas de Jalisco, cela se doublait d’une frustration quant à la marginalisation de l’état provincial face à la politique nationale.

76Par ailleurs, Ulloa s’exprimera souvent dans les pages du journal, en dehors du développement de la plate-forme du parti, pour prendre ponctuellement position face aux événements politiques. Ainsi, par exemple, lorsque Ramón Corral accepte publiquement la candidature à la Vice-présidence que lui proposent les clubs Reeleccionistas, Ulloa l’invite à renoncer au Ministère de l’Intérieur, estimant que, tant que Corral occupe ce poste,

« sa capacité à contrarier la volonté nationale et à empêcher que l’on discute en toute liberté sur sa personne est [...] indéniable76 ».

77S’il ne quitte pas le Ministère, Corral est, selon Ulloa, dans le devoir moral de renoncer à la candidature77.

78Cette place que La Libertad réserve au reyisme, devient de plus en plus large, au fur et à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, et reflète ainsi son expansion au-delà des frontières du Jalisco. En effet, des correspondants et collaborateurs de différents endroits du pays — Guaymas, Cananea, Torreón, Colima, Sinaloa — alimentent les pages du journal, aux côtés de ceux qui écrivent depuis les diverses localités du Jalisco.

2.2. Le reyisme de El Globo

79La fondation de El Globo — en mars 1909 — met en évidence l’existence d’une division chez les reyistes de Jalisco et l’emprunt, par certains d’entre eux, d’une voie alternative au parti Independiente —jusqu’alors la seule force reyiste organisée dans l’état. En outre, la parution de cet hebdomadaire de propagande représente un renforcement de la présence reyiste dans le monde de la presse.

80El Globo permet d’appréhender une autre dimension du reyisme dans Jalisco, qui se caractérise par un discours plus agressif et parfois manichéen, une propagande plus explicite et une rupture du traitement traditionnel (entre respect et vénération) accordé à la figure présidentielle ; en somme, une stratégie différente de conquête de l’opinion.

81Une première phase de la vie de ce journal — et celle qui nous intéresse ici — peut être considérée à partir de sa naissance en mars 1909 et jusqu’à la fin du mois de juillet, lorsque Reyes refuse définitivement de se poser comme candidat. Cette première période de la vie de El Globo correspond d’une manière générale à la phase d’ascension du mouvement reyiste78.

82Le reyisme est la raison d’être de El Globo, dont la naissance ne se conçoit pas en dehors de cette conjoncture particulière que fut la veille de l’élection présidentielle de 1910. Aussi, le journal bénéficie, au moment de son entrée en scène, de l’élargissement de l’espace public porfirien qui est une des conséquences de l’entretien Díaz-Creelman.

83Le nouvel hebdomadaire était presque dans sa totalité fait par son directeur et fondateur, José Ignacio Solórzano, journaliste et caricaturiste79. En effet, seuls des articles de Tomás Rosales, le président du Club Jalisciense del Par-tido Democrático viennent, de temps en temps, s’ajouter au travail de Solórzano. Ce dernier faisait même les caricatures qui, de temps à autre, ridiculisaient des corralistes notoires sur la première page du journal.

84La politique du journal de Solórzano peut se résumer en deux points : la démolition symbolique de Díaz et l’élargissement d’une opinion favorable à Reyes. En effet, l’hebdomadaire emploie dans ses critiques sur le régime un ton jusqu’alors inhabituel dans la presse de Jalisco et il entreprend, dès sa fondation, une démolition symbolique de Porfirio Díaz. Tout en considérant sa réélection comme inévitable, et en l’acceptant comme une sorte de fatalité, en qualité de « sacrifice patriotique », l’hebdomadaire ne cache pas son hostilité envers le dictateur et se lance pleinement dans la critique de son régime ainsi que de sa personne. Dès son deuxième numéro, El Globo exprimait clairement sa vision du moment :

« Le mouvement politique actuel marche résolument à nous imposer le Général Díaz pour six ans de plus. Son acceptation est générale80. »

85Ainsi Solórzano décrivait-il cette sorte de résignation qui primait dans la plupart des milieux politiques81 au sujet de la continuation de Díaz au pouvoir. C’était en quelque sorte un dernier sacrifice dû à la pax porfiriana qui était censé la transformer en pax tout simplement.

« Ses partisans voteront pour lui, et ceux qui ne le sont pas voteront [pour lui] aussi, sacrifiant patriotiquement leurs idéaux à la paix, et en vertu de raisons aussi sérieuses qu’exceptionnelles82. »

86Avec un langage différent, El Globo se place sur le même registre que La Libertad autour de l’idée du sacrifice nécessaire devant conduire à l’exercice de la démocratie. Afin d’assurer que cette transition s’effectue, le journal reyiste, prétendant traduire les desseins de la nation, affirmait :

« Mais en échange, la Nation entière espère que dans le prochain mandat [présidentiel], le principe de non réélection soit érigé en précepte constitutionnel83. »

87Le sacrifice apparaît ainsi comme une concession sous condition. Cette nation abstraite que le journal s’approprie84, céderait en théorie ses droits politiques dans le présent, en échange d’une garantie instituée de l’exercice de ces mêmes droits à moyen terme. Le sacrifice est surtout une négociation politique fondée sur le principe d’un échange. Par ailleurs, l’idée d’instituer le principe de non réélection, qui apparaît pour la première fois — pendant cette période — dans la presse locale, est, plus que le fruit d’une pensée originale ou d’un retour aux idées affichées par le Plan de Tuxtepec presque 40 ans auparavant, un témoignage de l’arrivée des idées madéristes au Jalisco85.

88Très rapidement, le nouvel hebdomadaire s’écarte du discours reyiste conventionnel et hausse le ton pour parler du régime porfirien qu’il qualifie, dès son troisième numéro, de « dictature militaire » :

« La dictature militaire qui nous gouverne et qui a établi pendant trente ans le pouvoir absolu, a eu comme conséquence maintes et graves erreurs ainsi que la mort du civisme, la perte des libertés et l’anéantissement de toutes les forces du pays86. »

89Il n’est plus question de louanges à la paix et au progrès, mais d’une comparaison avec le passé pré-porfirien — idéalisé —, dont le régime de Díaz aurait effacé les traits essentiels. Le reyisme confirme ici sa filiation avec le libéralisme porfirien de la première heure, pré-positiviste, avec lequel le régime avait rompu dans sa dernière étape. Aussi trouve-t-il la solution à cette situation dans le retour aux principes libéraux abandonnés, et particulièrement dans la démocratie, conçue à la fois comme une panacée et comme une sorte de vaccin :

« Nous devons travailler pour le triomphe de la démocratie afin de réparer tant de maux, et pour que ce régime ne se reproduise pas avec un autre Président87. »

90Il n’est plus question non plus de continuité ; les aspects du régime porfirien traditionnellement considérés comme « positifs » (paix et progrès), récupérés dans le discours des premiers temps du reyisme, ne figurent pas dans ce nouveau discours de El Globo. Au contraire, les attaques se font sous plusieurs angles : le caractère antidémocratique du régime, les lignes générales de l’administration porfirienne, la personne même de Díaz.

91La démolition symbolique de Díaz tentée par El Globo, portait non seulement sur les lignes générales de son administration, mais aussi sur le culte de la personnalité du dictateur. Dans ce cadre, la commémoration de la bataille du 2 avril (prise de Puebla) fournissait une occasion rêvée à El Globo pour frapper ce culte au cœur :

« Le 2 avril n’a aucun mérite pour être commémoré dans toute la République et nous espérons qu’une fois Monsieur le Général Díaz mort, personne ne se souviendra plus de cette date88. »

92La mort de Porfirio Díaz a pris une nouvelle place dans le discours. Non seulement elle marque — comme jusqu’alors dans le discours reyiste — le point de départ d’un futur, mais aussi celui d’une réinterprétation du passé. La différence sur ce point est grande avec le conventionnalisme relatif observé par La Libertad au sujet de Porfirio Díaz.

93Parallèlement à cette entreprise de destruction de l’image du dictateur, El Globo consacrait son énergie à cultiver l’expansion du reyisme. Il convient de rappeler que, pour les reyistes, l’opinion publique allait avoir un rôle décisif et faire basculer l’attitude du dictateur 89. Ainsi, sans doute dans le but de sensibiliser le public à sa cause, et pour prouver que le reyisme était un mouvement d’envergure nationale, le journal reproduisait les résultats d’élections simulées organisées dans différents endroits de la République. El Globo se faisait un plaisir de reproduire des résultats qui mettaient en lumière l’impopularité de Corral et la popularité de Reyes.

94Ainsi, par exemple, au mois de mars, il faisait connaître à ses lecteurs les résultats d’un sondage mené par un journal d’Aguascalientes, El Debate, sur la personnalité préférée par le public pour occuper la Vice-présidence. Les résultats des 9 590 votes recueillis dans différents endroits — non précisés — de la république, donnaient pour vainqueur Bernardo Reyes (2 340 votes), suivi d’assez près par José I. Limantour (2 214) et de très loin par Ramón Corral (284), entre autres90.

95A peine quelques jours plus tard, il s’agissait des « élections » organisées par des clubs politiques à Veracruz. Cette enquête était bien plus large que la précédente et avait posé aussi la question de la Présidence de la République ; le vainqueur indiscutable pour cette dernière était Díaz, avec 284 875 votes ; pour la Vice-présidence le vainqueur était le général Reyes avec 230 102 votes, tandis que Dehesa en avait 28 939 ; Mariscal, 23 443 ; Iglesias Calderón, 10 496 ; et Ramón Corral, 2 282. L’article soulignait avec autant d’insistance le triomphe de Reyes que la défaite totale de Ramón Corral. El Globo, qui tenait à augmenter le discrédit de Corral et à dénoncer les méthodes du gouvernement, rappelait : malgré de tels chiffres, « Corral est celui que le gouvernement impose, il est le candidat de Harriman et de tout l’élément américain »91.

96Voici une des cartes maîtresses du reyisme : la dénonciation de l’alliance du gouvernement porfirien avec les intérêts étrangers, qui va jusqu’au point de le présenter comme une marionnette de ces derniers92. Sans doute le journal comptait-il aussi souligner la popularité de Reyes dans le fief politique de Dehesa, le gouverneur de l’état de Veracruz qui, à un moment donné, avait été aussi « présidentiable ».

97Par ailleurs, le journal de José Ignacio Solórzano légitimait sa critique du régime porfirien, en faisant appel à l’opinion d’autres journaux du pays — régulièrement El Diario del Hogar, México Nuevo, El Debate (de Veracruz) — et même à la presse étrangère. Un exemple frappant de cette manière de faire est la reproduction d’un article de La Prensa, de Buenos Aires sur le gouvernement mexicain.

« Les Mexicains — disait La Prensa —, habitués à la domination d’un seul homme pendant trente ans, et surtout, chérissant cette domination qu’ils considèrent comme une tutelle paternelle, sèment inconsciemment des vents pour recueillir des tempêtes93. »

98Ainsi, non seulement le gouvernement était présenté comme fautif de par le choix de sa politique, mais la responsabilité des citoyens était-elle aussi engagée. L’article argentin s’attaquait au principe sur lequel s’appuyait l’attitude de la plus grande partie de l’élite politique mexicaine :

« Cette doctrine des hommes nécessaires en politique militante, est en conflit ouvert avec les idées républicaines [...]. Quand un homme pèse plus qu’un autre sur la balance démocratique et que de son poids il écrase les aspirations communes et les énergies collectives, on peut tenir les principes républicains pour caducs94. »

99La reproduction de cet article est doublement étonnante, d’abord par l’intérêt porté à l’opinion d’un collègue latino-américain — c’est une des rares fois où la presse mexicaine s’intéresse à l’opinion que les autres nations latino-américaines ont du pays — ; puis par le contenu même de l’article qui, tout en renforçant la critique du régime porfirien, est tout autant contraire au principe même du reyisme, qui fait de Reyes « l’homme nécessaire ». S’agit-il d’une incitation consciente à l’autocritique ? d’un aveuglement par rapport au mouvement lui-même ? ou bien encore d’un signe qui nous indique une prise de distance de certains reyistes de Jalisco par rapport à Bernardo Reyes ?

100La politique régionale était elle aussi un champ surveillé de près par El Globo, qui s’intéressait à l’exercice du pouvoir notamment dans les états voisins du Jalisco. Les principales affaires régionales consignées dans les pages du journal furent d’une part le processus électoral du Sinaloa où le candidat de l’opposition, José Ferrel, était soutenu par le parti Democrático ; et d’autre part l’assassinat d’opposants politiques à Tepames, Colima le 14 mars 190995.

101L’intérêt particulier porté par El Globo à la politique colimense, obéissait sans doute au fait que le journal se distribuait aussi dans cet état. Parallèlement, les critiques concernant le gouvernement du Jalisco ont mis du temps à prendre une place dans les pages de El Globo : celles-ci ne se développent qu’à partir du mois de juin, lorsque le gouvernement organise des représailles contre les étudiants et manifestants reyistes. Telle était, dans ses traits essentiels, la version de la pensée reyiste que José Ignacio Solórzano proposait à son public.

3. Les organisations reyistes au Jalisco

102Le reyisme n’est pas un mouvement unitaire, centralisé, avec une seule tête. Ce phénomène s’explique en partie par le non-engagement de Reyes : Reyes n’est que le symbole d’un mouvement dont il n’assume pas la direction, ce qui, en outre, en explique le caractère pluriel. Étant donné le manque de ligne directrice globale, chacun fait du reyisme comme il l’entend.

103L’étude du mouvement dans Jalisco permet d’analyser et d’illustrer les conséquences pratiques, en termes d’organisation et de politique, que l’absence d’une direction unifiée eut pour le reyisme. La décision de Bernardo Reyes de rester en marge du mouvement fondé autour de son image a sans doute empêché les reyistes de coordonner leurs efforts, par le manque de lignes directrices globales acceptées de tous. Au lieu de cela, de nombreuses initiatives prirent forme dans les régions, dont les efforts — quoique lancés dans une même direction — se sont rarement rejoints.

104Il est certain que dans l’état du Jalisco la formation reyiste la plus solide fut le parti Independiente. Le succès de cette organisation exprime celui d’une élite régionale dont l’influence réussit à s’implanter sur un vaste territoire et à acquérir une base sociale large. L’intérêt de l’étude de ce parti est donc multiple : comme expression d’une force intellectuelle et politique régionale il représente un sursaut, un des derniers efforts des élites du Jalisco pendant le porfiriat pour dépasser les limites de l’état et se faire écouter au niveau national. Dans ce même sens, il représente aussi, en tant qu’initiative non centraliste, un appel aux régions et à la vigueur du fédéralisme. Finalement, il constitue sans doute un des noyaux les plus vivants du reyisme et en tant que tel il permet d’illustrer le mouvement global par une étude de cas ainsi que d’étudier la relation entre Bernardo Reyes — figure inspiratrice — et le reyisme.

105L’autre organisation d’importance, le Club Jalisciense del Partido Democrático (CJPD), quant à lui, n’est pas le produit d’une initiative locale, mais une filiale, clairement reyiste, du Partido Democrático, né à Mexico. Son importance réside plus dans ses liens avec cette organisation, dont la classe politique attend qu’elle soit le moteur, dans la capitale, d’une dynamisation de la politique nationale, que dans le développement d’un réseau de militants qui reste très réduit.

3.1. Les indépendants

106Plusieurs étapes peuvent être définies dans la vie de ce parti : une première, fondatrice, avant décembre 1908, dont on peut placer hypothétiquement le début à la suite de la publication de l’entretien Díaz-Creelman (mars 1908) et qui va jusqu’à l’annonce officielle de la création du parti, début décembre de la même année. De cette étape — dont l’essentiel fut sans doute un travail discret de construction d’un réseau de partisans — seuls les résultats nous sont donnés par les sources : les membres fondateurs du Partido Independiente sont 63696.

107Suit une phase d’expansion en particulier vers l’intérieur de l’état et vers d’autres états de la République, qui comprend les mois de décembre 1908 et de janvier 1909.

108Les mois de février, mars et avril, marquent une certaine stagnation manifestée par une chute considérable du rythme de croissance du parti. C’est pendant cette période que l’on aperçoit une dynamique différente sur chacun des trois fronts de développement de l’organisation (Guadalajara, le reste du Jalisco et l’extérieur de celui-ci). La reprise du mois d’avril se transforme en véritable « boom » pendant le mois de mai en ce qui concerne Jalisco, tandis qu’à l’extérieur de l’état les adhésions cessent entièrement. Finalement, pendant les mois de juin et juillet, le parti recrute encore un certain nombre de nouveaux adhérents, toujours dans Jalisco sans que l’expansion dans le reste de la République reprenne, et bien qu’un petit noyau se soit constitué à l’étranger (à Tucson, Arizona). Les raisons de ces hauts et bas dans le développement du Partido Independiente sont diverses. Parmi les principaux facteurs on retiendra notamment le fait que le P.I. ne soit pas un phénomène isolé, mais qu’il s’inscrit dans un contexte spécifique dont les contours sont dessinés aussi bien par le développement du reyisme dans l’ensemble du pays que par les réactions du gouvernement de Díaz.

109D’autre part, le mouvement se développe sur trois niveaux : à Guadalajara, dans le reste du Jalisco, et en dehors de celui-ci, ce qui implique des dynamiques sensiblement différentes.

110En outre, la réceptivité du public varie selon les différents moments ainsi que sa capacité de réponse à cette initiative politique.

111Il faut par ailleurs tenir compte des formes de prosélytisme mises en œuvre par le parti : il s’agit avant tout d’une campagne au sein de l’opinion. Cette campagne est menée dans un premier temps à travers le journal La Libertad. L’objectif est sans doute au départ de toucher les lecteurs du journal, tout lecteur étant considéré comme un électeur potentiel.

112Dans un deuxième temps la campagne dépasse les pages du journal pour descendre dans la rue : des adresses au peuple sont affichées dans des lieux publics97. Les résultats sont visibles ici dans les réunions que le parti organise, et dont l’assistance est de plus en plus nombreuse : selon La Libertad, celle du 6 juin réunissait « plus de cent personnes »98; les participants à celle du 13 juin étaient « plus de six cents »99 ; et finalement, à celle du 20 juin, organisée au teatro Principal, il y avait plus de mille personnes100

113Finalement, à la suite de la répression du reyisme, le PI. entre dans une nouvelle étape, bien moins glorieuse que dans ses temps reyistes, dont il sera question ultérieurement.

114L’état du réseau des indépendants au moment de la fondation du parti, montre un effort pour atteindre les différents cantons de l’état et, en ce sens, le P.I. à sa naissance — même si ses créateurs sont à Guadalajara — est une organisation au niveau du Jalisco. De fait, 8 des 12 cantons de l’état sont présents.

Tableau 11. LES ORIGINES GÉOGRAPHIQUES DES MEMBRES FONDATEURS DU PARTIDO INDEPENDIENTE

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Source : La Libertad, du 5 au 8 janvier 1909.

115Les grands absents sont, au moment de la naissance du parti, les cantons de Colotlán (8e), Lagos (2e), et Autlán (6e) ; un absent de moindre importance étant le 7e canton, Chapala101.

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Cette carte a été élaborée à partir de données extraites des numéros de La libertad parus entre décembre 1908 et juillet 1909.

116Au moment de la fondation, le PI. s’implante dans des localités qui sont toutes des centres politiques d’importance, même si elles n’ont pas toutes le statut de chef-lieu de canton.

117Tout de suite après sa fondation, pendant les mois de décembre et janvier, la nouvelle organisation connaît un essor assez rapide : 1 165 nouveaux membres viennent consolider le parti qui, en deux mois, a presque triplé ses effectifs. Il est certain que la rapidité a été un facteur primordial dans cette réponse positive à l’organisation : l’Independiente était le premier effort de structuration et d’action concrète proposé aux reyistes dans le pays. Non seulement au niveau du nombre (les membres recrutés en janvier-février représentent 30,90 % du total du groupe étudié), mais particulièrement du point de vue de l’expansion géographique atteinte, ces adhésions sont importantes.

118Avec ces nouveaux membres, la présence de l’organisation s’est considérablement renforcée dans l’ensemble de l’état. Les nouveaux adhérents sont venus représenter l’organisation dans certaines régions de l’état où elle avait été jusque là absente (Los Altos, par exemple, à Teocaltiche ; et même le Nord, à Colotlán), et confirmer sa présence dans d’autres (Le Sud, autour de Sayula, à Amacueca et Techaluta ; autour de Ciudad Guzmán, à Zapotiltic et Chiquilistlán). Le parti rentre aussi dans le canton de Autlán (à Ayutla) ; et il se renforce autour du lac de Chapala : sur sa rive nord à Jamay, sur sa rive sud, à Tuxcueca. Par ailleurs, l’organisation ne cesse de grandir à Guadalajara où, dans le seul mois de janvier, elle recrute 217 nouveaux membres.

119On le voit bien, le mouvement des indépendants, qui se répand rapidement, n’est pas un mouvement exclusif de la capitale de l’état. Bien au contraire, il réussit à être représenté dans tous les cantons, y compris celui de Colotlán. Fait remarquable : les indépendants ne sont pas plus nombreux à Guadalajara que dans le reste de l’état. Au 15 décembre 1908, c’est à dire aux débuts de la vie publique de leur organisation, les membres recrutés dans une dizaine de centres politiques du Jalisco (427) doublent les membres fondateurs du parti à Guadalajara (209). Ce phénomène est tout à fait exceptionnel et mérite d’être souligné et étudié dans le détail.

120Pendant leur phase d’expansion, les indépendants se sont multipliés particulièrement dans des localités de l’intérieur de l’état. Bien que les adhésions à Guadalajara aient été nombreuses (217), encore une fois, les membres recrutés dans d’autres localités dépassent largement ce chiffre, et ce, dans une proportion même plus importante que lors de la fondation : ils sont 539, ce qui fait un rapport de 2,5 à 1. Les indépendants ne peuvent donc pas être considérés comme un mouvement tapatío, ni majoritairement ni exclusivement.

121Significatif est aussi le nombre d’adhérents que, dans cette deuxième étape, le parti a recrutés dans d’autres états de la république. Cette expansion eut lieu principalement vers le nord et trouva un écho dans les états de Sonora — à Cananea102, 47 nouveaux membres — Chihuahua — état dans lequel deux noyaux se sont formés (l’un de 42 membres à C. Guerrero103, l’autre de 55 à Villa López) ; et particulièrement dans l’état voisin de Zacatecas, à Sombrerete, où deux groupes d’indépendants se sont créés, de 62 et 124 adhérents respectivement. Finalement, le mouvement se propagea également vers le centre du pays, où il réussit à s’implanter dans l’état de Puebla — à Ayotoxco, avec 34 partisans. En l’espace de ces deux mois, le Partido Independiente avait recruté 409 membres en dehors de l’état de Jalisco104.

122Février, mars, même avril sont des mois pendant lesquels le niveau de croissance du parti est très bas. En février, le contraste est tout aussi frappant en ce qui concerne l’expansion vers d’autres états de la république (le chiffre passe de 362 à 67 adhérents de janvier à février) que dans le cas de Guadalajara (où de 217 adhérents on passe à zéro). Quant au reste de Jalisco, si la chute est un peu moins dramatique, elle n’en est pas moins significative (de 266 à 81 adhérents). En mars la croissance reprend timidement à Guadalajara et à l’extérieur de l’état, alors que dans l’ensemble du Jalisco — hormis sa capitale — le nombre d’adhérents nouveaux continue de baisser. Finalement, en avril, tandis que la reprise se confirme à Guadalajara, on constate de moins en moins d’adhésions aussi bien dans le reste de l’état qu’au-delà de ses frontières.

123L’explication de ce phénomène se trouve en partie dans l’apparition d’une nouvelle organisation, perçue comme potentiellement reyiste, sur la scène politique nationale : le Partido Democrático105. L’embryon du parti — le Club Organizador — naît à Mexico le 5 février 1909106.

124Le trouble que cette nouvelle organisation introduit dans la vie du Partido Independiente est indéniable. L’impact à Guadalajara ne pourrait pas être plus clair : la proposition émanant de la capitale a finalement séduit une partie de l’élite reyiste, qui commence à développer sa propre dynamique : le 5 février avait eu lieu à Mexico le meeting de création du Partido Democrático107 et, fin avril, la filiale locale de ce parti se constituait108. Entre ces deux jalons et avec l’organisation naissante à l’horizon, le reyisme à Jalisco ouvre une nouvelle voie : un groupe réduit en nombre mais très actif, crée un journal de propagande reyiste, El Globo. Le développement du club du nouveau parti à Guadalajara sera analysé par la suite, mais il convient à présent de tenir compte de la réaction des indépendants.

125La naissance de la nouvelle organisation donne lieu à un débat dans la presse qui met en question la légitimité des deux partis109. Le débat se déclenche avec les déclarations de El Dictamen, journal libéral de l’état de Veracruz. Ce journal, au courant du projet de formation d’un parti politique à Mexico pour répondre aux termes de l’entretien Díaz-Creelman, suggérait aux indépendants, de s’unir aux efforts concertés de la capitale, tout en faisant une critique de leur organisation110. L’article provoque une réaction énergique de La Libertad qui, n’ayant pas jusque là émis une opinion sur le projet du nouveau parti, saisit l’occasion pour exprimer son avis tout en assumant la défense du Partido Independiente. La Libertad tenait à rappeler le contexte :

« C’est précisément, lorsqu’un groupe de presque deux mille des principaux vecinos de différentes localités a répondu à notre appel, que naît à Mexico, et chez des personnes qui ne peuvent se passer de certains engagements, l’idée de former un Parti démocratique 111. »

126La suggestion de El Debate était non seulement déplacée, mais — pour La Libertad — elle aurait dû être formulée à l’inverse 112. Tel quelle, elle semblait pour le moins dérisoire.

127Cette querelle n’est pas une simple querelle de préséance, elle est aussi la confrontation d’une initiative de province à une initiative de la capitale, d’une organisation qui se veut indépendante du gouvernement (et qui tient à le rester), avec une position politique bien affichée et claire, à un groupe dont plusieurs membres ont des liens étroits avec le système, hésitant à assumer une position politique. L’opposition est aussi celle de deux conceptions différentes de l’action politique et de la constitution du parti.

128Comme on pouvait s’y attendre, des journaux de la capitale ont aussi pris parti dans l’affaire ; l’intervention de El Tiempo fut la plus mal venue aux yeux des indépendants, puisque le journal catholique prétendait que le parti né dans Jalisco n’avait pas le droit de propager ses idées en dehors des frontières de cet état 113

129En attendant que la question se règle, l’hésitation a, quant à elle, dans l’immédiat et de toute évidence, cassé le rythme de croissance du Partido Independiente. Cette situation permet d’apprécier le décalage entre les différents niveaux d’organisation (local, régional, national) : à Guadalajara, on l’a vu, la question se pose de façon radicale, aucune adhésion nouvelle en février. Les adhérents potentiels ont dû attendre une clarification de la situation, plutôt que de s’engager au milieu de la confusion.

130Il y a lieu de se demander en revanche pourquoi les effets de cette crise paraissent quelque peu amortis dans le reste de l’état. Les raisons pourraient se trouver dans les propres dynamiques et méthodes du P.D. naissant : en premier lieu le décalage qu’accompagne toute initiative procédant du centre dans son cheminement vers des localités de moindre importance politique ou administrative. Le P.D. procédait d’une manière fort centralisée et comptait se développer à partir de Mexico. Pour ce faire, une commission avait été créée qui devait se rendre dans plusieurs capitales de province, afin de promouvoir la création de clubs régionaux ; ces clubs étaient alors censés reproduire ce schéma de propagande en direction d’autres localités de leur état. Il est certain que toute cette machine de propagande ne s’est pas enclenchée rapidement : la fondation du CJPD ne date que de la fin avril, c’est-à-dire, deux mois et demi plus tard 114.

131Dans ces conditions, une propagande rapide du Partido Democrático vers l’intérieur du Jalisco est tout simplement impensable, ce qui fait que des adhérents potentiels à cette nouvelle organisation, ne disposaient d’aucune structure d’accueil. Ainsi, deux éléments se combinent : absence de propagande et absence de structure. La nouvelle est sans doute arrivée, a semé le trouble, a cassé le rythme d’expansion du Partido Independiente, mais n’a pas eu la même répercussion qu’à Guadalajara. Ainsi, dans cette phase de stagnation relative, les deux nouveaux groupes dont s’enrichit le PI. se forment dans le 3e canton : l’un à Degollado et l’autre à Atotonilco.

132Si l’apparition du Partido Democrático rend compte de façon satisfaisante de la rupture du rythme de croissance qu’avait le mouvement des indépendants à Guadalajara et, en partie, dans le reste du Jalisco, il ne suffit pas à l’expliquer à l’extérieur de l’état. A ce niveau, le phénomène semble définitif : les 49 adhésions du mois d’avril à Moyahua (Zacatecas) furent les dernières que le parti allait avoir dans la Fédération et, bien que, deux mois plus tard, 5 Mexicains résidant à Tucson (Arizona) allaient devenir membres du Partido Independiente, désormais celui-ci ne trouverait plus d’écho en dehors des limites du Jalisco.

133Pour expliquer cela, il faut aussi tenir compte du développement de nouvelles organisations — certes, parfois liées au PD — à l’intérieur d’autres états, car le reyisme n’était pas l’exclusivité du Partido Independiente né au Jalisco et les reyistes des autres régions n’ont pas toujours vu dans ce parti la meilleure alternative de mobilisation. Ainsi, au fur et à mesure que d’autres organisations reyistes se manifestent dans la république, les adhésions au Partido Independiente dans d’autres états diminuent. Par exemple, les reyistes du Sinaloa se regroupent autour de José Ferrel — leur candidat au gouvernement de l’état — et si la solidarité souvent manifestée par les reyistes du Jalisco à l’égard de la cause de Ferrel (contre le candidat officiel Diego Redo)115 suggère des liens étroits entre ces deux populations, aucun reyiste de Sinaloa n’a adhéré au PI. Il est vrai par ailleurs que Ferrel était soutenu par le Democrático.

134Aucune adhésion non plus ne provient de deux des voisins de Jalisco — Colima, Aguascalientes — même si dans le premier de ces états les reyistes sont aussi assez forts. Finalement donc, si l’élite des reyistes du Jalisco réussit à projeter son influence au-delà de ses frontières, cette influence s’avère limitée, dans le mesure où les élites locales ont développé une initiative propre de mobilisation politique. Dans ce cas, même si elles coïncident dans le but (en l’occurrence la candidature reyiste), elles préfèrent garder pour elles le contrôle de leur mouvement (le reyisme paraît ainsi se développer selon des noyaux régionaux) plutôt que d’enrichir une autre initiative régionale. Notons que dans l’état de Zacatecas, qui est celui qui connut le plus grand nombre d’adhérents et de noyaux actifs au PI. en dehors du Jalisco, le PI. était présent dans Sombrerete et Moyahua, localités d’importance, mais non pas dans la capitale de l’état.

135Le mois d’avril, et particulièrement celui de mai, ont servi de cadre à la consolidation du PI. comme une force politique régionale. On constate donc à la fois, sa limitation géographique relative (et il faut bien dire relative, puisque le PI. n’a pas quitté les localités où il s’était implanté, mais tout simplement il n’a pas continué son expansion) et la consolidation de sa présence dans Jalisco.

136Cette consolidation a lieu une fois que le trouble provoqué par la constitution du PD. s’apaise et que la situation se stabilise : une fois que le P.D. montre bien ses possibilités et ses propres limites, le flux d’adhésions reprend vers le PI. Pour les reyistes de Jalisco, la position du P.D., qui n’assume pour l’instant aucune candidature, est bien trop tiède.

137Un deuxième facteur, d’ordre extérieur au reyisme, est à prendre en compte dans l’explication de la relance du PI. : il s’agit du lancement de la formule Díaz-Corral par la Convention Réélectionniste Nationale 116équivalant finalement à l’officialisation de la candidature de Corral à la Vice-présidence. Ce geste a lieu le 25 mars117. C’est autour de cette convention que les adhésions reprennent à Guadalajara (le 22, le 31), pour continuer tout au long du mois d’avril et devenir une véritable explosion d’enthousiasme en mai, mois où le parti enregistre 650 nouveaux membres à Guadalajara, dont 67 femmes même118. Cet enthousiasme a aussi gagné l’intérieur de l’état où 312 personnes sont recrutées.

138C’est lors de cette étape que le PI. franchit les limites de la diffusion par la presse et utilise un autre système pour gagner des adhérents : les adresses au peuple affichées dans les rues. Le manifeste fut affiché, comme on l’a vu, d’abord dans Guadalajara le 5 mai, puis dans plusieurs villes du pays, le 15 du même mois 119.

139Finalement, pendant les mois de juin et juillet nous voyons les dernières adhésions reyistes au RI. Les chiffres sont encore une fois brutalement tombés : à Guadalajara 60 nouveaux membres en juin et aucun en juillet et, dans le reste de l’état, 102 puis 92 respectivement. Deux facteurs décisifs expliquent cela : la résolution rendue publique de Reyes de ne pas accepter d’être candidat et la répression du mouvement qui, à partir de là, devient systématique. Ainsi s’achève la période d’expansion reyiste du PI., qui s’étale sur toute la première moitié de l’année 1909120.

140Si l’on dresse un bilan quantitatif, entre décembre 1908 et juillet 1909, le parti s’établit dans 44 localités différentes. S’il est évident que les adhésions ont lieu principalement dans Jalisco (3 153), le nombre de membres recrutés dans d’autres états reste considérable : 617 adhérents (16,37 % du total).

141Le niveau de réponse du public est significatif : au moins 73 regroupements différents ont répondu à l’invitation du Partido Independiente entre décembre 1908 et juillet 1909. Ce chiffre dénote une capacité de convocation de l’élite fondatrice de ce parti comparable à celle du Grupo Reformista y Constitucional fondé en 1895 à Mexico, par les journalistes libéraux indépendants — dont Filomeno Mata, Vicente García Torres et Daniel Cabrera — ainsi qu’à celle du club Ponciano Arriaga, de San Luis Potosí, en vue du Congrès Libéral de 1901 121. Selon Jean-Pierre Bastian, en 1896, 85 groupes ont appuyé l’initiative du Grupo Reformista y Constitucional, tandis que les clubs libéraux inspirés de celui de San Luis Potosí furent une centaine 122 — dont cinquante étaient présents au Congrès Libéral de 1901 à San Luis Potosí.

142Le succès du Partido Independiente fut par contre plus réduit d’un point de vue géopolitique et sa prétention à une envergure nationale ne fut jamais qu’une aspiration car l’écho qu’il a suscité dans d’autres états fut limité dans le temps et dans l’espace. Alors que 20 états avaient appuyé le Grupo Reformista y Constitucional et que 14 étaient présents dans le Congrès Libéral de San Luis Potosí, 6 états différents de Jalisco seulement étaient représentés au sein du Partido Independiente.

3.2. Les démocrates

143Le premier indice d’une dispersion des efforts des reyistes du Jalisco est la fondation du journal El Globo, au début de mars 1909. Cette fondation n’est certes pas étrangère à l’apparition à Mexico du Club Organizador del Partido Democrático. Le projet de ce nouveau parti avait en effet réussi à attirer l’attention de certains membres du Partido Independiente, comme en témoigne leur participation, fin avril, à la fondation du club local. Le lien entre El Globo et le nouveau club est clair : José Ignacio Solórozano, directeur du journal est secrétaire de l’organisation, tandis que le président de celle-ci n’est autre que Tomás Rosales, le collaborateur le plus assidu de l’hebdomadaire dès sa fondation.

144Dans un tel contexte, la naissance du Club Jalisciense del Partido Democrático ne pouvait qu’être controversée. Les points conflictuels étaient deux : en premier lieu le fait que ces hommes étaient déjà membres d’un autre parti politique ; ensuite, le fait que l’organisation, née à Mexico, ne comptait pas assumer dans l’immédiat de candidatures précises en vue des élections présidentielle et vice-présidentielle de 1910.

145Curieusement, dans un premier temps, la double affiliation ne représente pas un problème majeur ; elle n’apparaît dans les discours critiques qu’en second plan, pour renforcer la critique de l’indéfinition politique de l’organisation mère. Curieusement aussi, ces critiques ne se font entendre que lorsque le problème se pose à l’intérieur de l’organisation ; en effet, le club central du P.D. n’avait pas défini sa position face à l’enjeu politique du moment, la Vice-présidence de la République ; or, tous ceux qui ont formé le club Jalisciense dudit parti étaient des reyistes convaincus, de sorte que ce club a proclamé la candidature de Reyes au moment même de sa formation.

146Théoriquement, la prise de position d’un club local n’était pas en désaccord avec l’indétermination du club Central, tant que le parti n’avait pas réuni sa convention nationale, qui était censée désigner ses candidats avec la participation d’une délégation de chaque état membre123 Or, dans la pratique cela fut interprété comme une incohérence et comme une lâcheté, preuve de l’hypocrisie du P.D. Pour les critiques, il ne fallait pas composer avec ce Parti qui n’était qu’un allié du gouvernement124. Les démocrates ont dû par conséquent, se défendre et défendre leur parti à plusieurs reprises125. Pouvons-nous pour autant parler d’une division du reyisme dans Jalisco ? Examinons de plus près cette querelle.

3.3. Une querelle. Deux reyismes ?

147Le P.D. national avait été critiqué par les indépendants dès sa naissance et regardé avec méfiance du fait de la présence en son sein d’hommes liés au gouvernement (Manuel Calero, par exemple) ; il avait été considéré aussi comme un concurrent126, même si on lui reconnaissait une certaine valeur, du fait qu’il s’agissait d’une organisation attaquée par les científicos et cherchant à rester indépendante127.

148Dans ce contexte, l’organisation locale était sans doute vue avec suspicion ; c’est vraisemblablement pour cela que, pendant le premier mois de vie du CJPD (fin avril-fin mai), les relations entre les deux groupes sont d’une cordialité glaciale (ils coexistent en s’ignorant au maximum). Cependant, même si la tension ne s’exprime pas immédiatement en public, plusieurs signaux la rendent explicite : Tomás Rosales, fondateur du CJPD n’écrit plus dans les pages de La Libertad depuis le début du mois de mars128. De son côté, le nouvel hebdomadaire El Globo, ignore les activités du PI.

149Parallèlement, si la politique de La Libertad ne lui permet pas d’ignorer des événements tels que la constitution du CJPD, les informations qu’elle en fournit sont à peine assorties d’un commentaire. Le silence des uns par rapport aux autres n’est-il que l’expression d’un mutuel mépris ou d’une peur réciproque ?

150Ainsi, lorsque La Libertad relate le 28 avril la constitution du CJPD, elle se borne à publier les noms des 14 membres de la direction129. Peut-être tout commentaire aurait-il été superflu, dès lors que la moitié de ces hommes (7) sont des membres fondateurs du Partido Independiente130 !

151Les critiques arrivent plus tard, lorsque le CJPD organise une cérémonie d’installation formelle avec la présence de délégués venant de Mexico, rendant ainsi davantage explicite son lien avec le groupe formé dans la capitale131. Dès l’annonce de la convocation à cette réunion, les indépendants se démarquent de l’initiative en signalant que leur parti n’a, jusqu’à ce jour, aucun lien avec le Democrâtico132. Qu’ils n’étaient pas enthousiasmés par cette réunion, et qu’ils auraient même souhaité en réduire l’importance, est souligné par le fait que Navarro ne se soit pas libéré pour la « couvrir », mais qu’il y ait envoyé un assistant133

152Le meeting — pour lequel étaient attendus Miguel Calero, Zubarán, Dio-doro Batalla, Jesús Urueta, Benito Juârez Maza, Hernàndez, membres fondateurs du club Democrático de Mexico — donna l’occasion aux différences d’éclater publiquement. Il éclaire par ailleurs les rapports entre le CJPD et les dirigeants du PD national.

153Si la position du Club Central del Partido Democrático à Mexico, est ambiguë par rapport au reyisme — malgré la présence en son sein de nombreux reyistes —, celle du CJPD, né ouvertement reyiste, est parfaitement définie ; ainsi, lors de cette cérémonie qui constituait son inauguration solennelle, Tomás Rosales, son président,

« a opportunément attiré l’attention des membres présents du Club Demócrata de México, sur la pertinence et la nécessité que, dans cet acte solennel, soit proclamée la candidature de M. le Général Bernardo Reyes134 ».

154La réaction de la délégation centrale, qui refusa de faire la dite proclamation, a sans doute profondément déçu les participants à la réunion et a fait du bruit dans la presse indépendante. La Libertad profita de l’occasion pour rappeler que ces délégués n’étaient que des « serviteurs du gouvernement135 ». En faisant toutefois la différence entre le club Central du PD. et les démocrates de Jalisco, l’article s’exprimait positivement au sujet de Rosales, qui « n’avait rien fait d’autre sinon répondre aux aspirations de tous les membres du dit Club [le CJPD]136 ».

155Il est certain que le PD accusait un retard par rapport aux prises de position des reyistes jaliscienses et que les indéterminations n’étaient plus de mise dans l’état : rappelons que le PI. avait proclamé ses candidatures dès sa naissance en décembre 1908, et les avait réitérées dans son manifeste 137, tandis que les corralistes avaient eux-mêmes déjà défini leur position dans la Convention Nationale Réélectionniste du 25 mars138 et que, à cet effet, une convention des clubs de l’état avait eu lieu le 2 du même mois139. Du reste, au niveau national, les ambiguïtés n’étaient pas non plus bien perçues, puisque la presse corraliste commençait à signaler les reyistes, les accusant de préparer une révolte140.

156C’est donc bien à l’occasion de cette réunion formelle en présence des délégués du PD central, que l’affaire éclate. Dans les pages de La Libertad on peut lire à la fois des appels à l’unité du mouvement autour du Partido Independiente — dont on fonde la légitimité sur son ancienneté — et de vives critiques en particulier à l’organisation centrale — qu’on estime liée au gouvernement —, mais aussi aux fondateurs du club local. Pour la première fois, La Libertad insistait sur l’impossibilité d’appartenir simultanément à deux partis politiques 141. La Libertad rappelait l’indéfinition des tendances du club Central Democrático et les liens de ses membres avec le gouvernement, et tranchait catégoriquement : « il faut attester qu’aucun membre du Parti Politique Independiente ne peut appartenir au Club democrático 142 ». Si quelqu’un s’était rallié aux deux, il devait impérativement opter pour l’un ou l’autre immédiatement 143. Cette question cependant restait pour lors reléguée au second plan et aucune mesure disciplinaire n’était prise par le PI. à rencontre des membres concernés.

157Dans la querelle journalistique qui s’en suivit, La Libertad a insisté sur le besoin que les membres du CJPD « tous [d’jhonnêtes [personnes] », reconnaissent l’attitude ambiguë des membres du club Central et s’en méfient, puisque ces politiciens étaient très probablement en train de fraterniser avec les científicos.144.

158L’affaire dut soulever des inquiétudes suffisamment fortes pour que Rosales se sente tenu de fournir une explication détaillée dans les pages de El Globo. A deux reprises, il entreprit d’expliquer longuement aux reyistes les positions de l’organisation locale, ses rapports avec le club Central del Partido Democrático — à Mexico — et de définir ainsi le rôle propre de chaque pièce de l’organisation 145.

159Rosales essayait de présenter le PD. comme un projet de parti moderne, dont les décisions étaient fondées sur la participation démocratique de tous ses membres aux différents niveaux de l’organisation.

160La proclamation des candidatures par le parti était une affaire de maturité de l’organisation, et cette maturité ne serait atteinte, théoriquement, qu’une fois que tous et chacun des clubs du parti auraient résolu ce problème, et que les clubs se seraient installés sur la plus grande partie, voire sur tout le territoire national.

161Dans ce cadre, le club Central vivait une situation tout à fait exceptionnelle, puisqu’il ne devait pas pour le moment proclamer des candidatures, et ce en raison du fait qu’il réalisait encore un travail de propagande au nom du parti, dont il assumait pour le moment la représentation,

« [autrement] on pourrait justement prendre son travail comme un travail qui se réaliserait au bénéfice d’une personne 146 ».

162Par ailleurs, Rosales insistait sur l’indépendance relative du club Jalisciense vis-à-vis du club Central, le premier ayant été fondé sur le même programme que le deuxième, mais n’ayant aucune difficulté pour choisir ses candidatures,

« étant donnée l’uniformité d’avis de ses membres, chacun étant, pour ainsi dire, un écho de l’opinion publique de tout l’état de Jalisco, exprimée vigoureusement à présent147 ».

163Ceci sans doute pour apaiser les esprits déçus par l’attitude des délégués de Mexico.

164L’argumentation de Rosales avait beau être cohérente, elle ne semble avoir convaincu personne ; le temps n’était plus à l’indétermination ; peu de temps plus tard — le 30 juin — les démocrates se poseront ouvertement la question d’adhérer au PI.148.

165Il ne faut cependant pas voir dans cette querelle au sein des élites reyistes, une rupture définitive ou la considérer comme lourde de conséquences : à plusieurs occasions le PI. s’est montré ouvert à l’intégration des membres du CJPD en les incitant même à la collaboration. L’invitation la plus explicite fut le produit de la réunion du 14 juin dont un des accords stipulait, en vue de la création du journal du parti,

« que l’on supplie MM. Tomás Rosales, José R. Benítez, Miguel Mendoza López (Jr.) et José I. Solórzano de collaborer à la rédaction du journal ». Ces derniers « devront avoir la qualité de rédacteurs lorsqu’ils adhéreront au parti149 ».

166Il est difficile de mesurer l’impact de cette querelle sur le public. Bien que l’apparition d’une organisation à Mexico ait interféré sur le développement du P.I., on ne saurait faire un amalgame du CJPD avec le PD, même si formellement le premier faisait partie du dernier, d’autant plus que cette différence était claire pour les acteurs de l’époque, en particulier pour les indépendants. Malgré leur lien formel, les différences entre ces deux organisations sont considérables : d’une part dans leur composition, d’autre part dans leur position politique — le premier reyiste convaincu, le second jouant sur l’indéfinition.

167Quant à la querelle entre le PI et le CJPD, les deux parties semblent avoir voulu limiter les dégâts : en effet, les attaques ouvertes dans la presse ne durent pas longtemps et aussi bien El Globo que La Libertad accordent plus d’importance au développement du mouvement et aux nouveaux échos qu’il trouve, et font plus de place à la critique du régime porfirien qu’ils n’en font aux attaques mutuelles.

168Ainsi, malgré toutes les différences qui pouvaient opposer ces deux organisations reyistes et, partant, les deux journaux analysés, de nombreux points les rapprochaient, dont en particulier l’identification d’un ennemi commun : le corralisme. Ceci permet d’analyser ensemble leur attitude face au gouvernement porfirien aussi bien que face au développement du mouvement reyiste et à l’attitude de leur candidat, Bernardo Reyes.

Notes de bas de page

1 Cf. les éditoriaux de El Globo de la fin octobre et du mois de novembre 1911.

2 Alicia Hernández Chávez suggère qu’un phénomène comparable s’était produit en 1892, où les forces régionales ont accepté avec une relative facilité la troisième réélection de Díaz car l’enjeu se trouvait plus dans le contrôle des territoires régionaux que dans la présidence. A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso del ejército porfiriano », Historia Mexicana, vol. XXXIX, juillet-septembre 1989, n° 1, pp. 243-296.

3 On surnommait ainsi péjorativement les membres du groupe d’Yves Limantour, ministre des Finances depuis mai 1893, et maître d’oeuvre d’une politique économique libérale. La proximité du groupe avec la philosophie positiviste et son attachement, à ses débuts, à l’application des principes de la « science », dans le sens comtien du terme, à l’administration publique, lui valut ce surnom et on doit à cette « foi positiviste » une des justifications théoriques du régime de Díaz qui se résume dans la formule « ordre (ici, paix) et progrès ». Le groupe s’est constitué, vers la fin des années 1870, par des jeunes intellectuels et hommes politiques, notamment Justo Sierra (qui fut dans un premier temps un des principaux tenants du positivisme au Mexique et qui s’en écarta graduellement), le plus intellectuel et le moins politique de ces hommes, Miguel et Pablo Macedo, José Yves Limantour et Manuel Calero, autour de Matías Romero, le ministre des Finances de l’époque et sous la protection de Manuel Romero Rubio. La plupart des científicos sont devenus des hauts fonctionnaires du régime et, sur le déclin de celui-ci, couramment rendus responsables de toutes ses dérives et accusés de « manipuler » un président trop âgé.

4 Pour une analyse du genre d’adhérents du reyisme, cf. F.- X. Guerra, op. cit., t. II, pp. 133 et suiv.

5 Lettre de José López-Portillo y Rojas à Bernardo Reyes du 31 mai 1909. ABR-Condumex, carpeta 39, legajo 7637.

6 Bien entendu, un programme existe, implicite, celui de la continuité de l’ordre établi, mais l’accent est mis sur la personne de Reyes.

7 Lettre de José López-Portillo y Rojas à Bernardo Reyes du 31 mai 1909. ABR-Condumex, carpeta 39, legajo 7637.

8 Né au Jalisco, Ramón Corona était une des figures centrales de la guerre d’intervention française et un des militaires les plus prestigieux de la fin du xixe siècle au Mexique. Rival potentiel de Porfirio Díaz dans la lutte pour la Présidence de la République, il fut assassiné à Guadalajara le 10 novembre 1889 et son meurtre fut attribué à Díaz par les ennemis de ce dernier.

9 Porfirio Díaz s’était soulevé contre le président Lerdo de Tejada en assumant la direction du « Plan de Tuxtepec » (lancé le 10 janvier 1876 par le Colonel H. Sarmiento) le 21 mai 1876. López-Portillo y Rojas, op. cit., pp. 305 et suiv., insiste sur le rôle essentiel de Reyes pour le régime porfirien en tant que garant de la paix dans les états du nord. A ce sujet on peut voir aussi A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso... », op. cit.

10 Cf. R. Prida, op. cit., pp. 85-92 et 146-147, ainsi que J. López-Portillo Y Rojas, op. cit., pp. 303-306

11 Cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. I, p. 76.

12 Cf. J. López-Portillo y Rojas, op. cit., pp. 306-309. Même Prida reconnaît que « dans le gouvernement de l’état, il sut développer les éléments de richesse et donner l’impulsion aux activités regio-montanas [de Monterrey] », op. cit., p. 164.

13 Pour cet épisode, cf. A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso... », op. cit., pp. 279-280.

14 Cf. J. López-Portillo y Rojas, op. cit., p. 309, R. Prida, op. cit., pp. 149-150, J. Y. Limantour, [1921], Apuntes sobre mi vida pública (1892-1911), Mexico, editorial Porrúa, 1965.

15 Cf. J. López-Portillo y Rojas, op. cit., pp. 309-317, et A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso... », op. cit., pp. 257-296.

16 Cette réforme n’est pas sans rappeler l’Allemagne de Bismarck; elle était d’ailleurs inspirée du landwehr. La « deuxième réserve » avait pour but de préparer en premier lieu des officiers qui se chargeraient eux-mêmes de former à leur tour, en peu de temps, l’ensemble du corps réserviste, cf. J. Lopez-Portillo Y Rojas, op. cit., pp. 309-317.

17 A. Taracena, op. cit., p. 39.

18 A. Hernandez Chavez, « Origen y ocaso... », op. cit., p.283. L’auteur estime que l’organisation constituait une menace intolérable pour le régime porfirien, étant donné qu’elle aurait pu abriter une vaste opposition des classes moyennes sous l’emprise des militaires reyistes. Selon cet ouvrage, la deuxième réserve aurait armé 20000 citoyens. D’autres auteurs présentent un chiffre plus conservateur : 16000 pour J. Lopez-Portillo Y Rojas, mais dans la seule capitale, op. cit., p. 315, 15000 pour A. Taracena, op. cit., p. 39.

19 R. Prida fait remonter la rupture entre Reyes et Rosendo Pineda à 1891, op. cit., pp. 98-99 et 160. Pour une explication du différend entre Reyes et le groupe de Limantour, cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. 11, pp. 77 et suiv.

20 La démission de Reyes est le corollaire de sa querelle avec Limantour. Le fils du premier, Rodolfo, avocat et journaliste, est accusé d’être l’auteur de pamphlets contre le ministre des Finances. Reyes présente sa démission à la suite de cette affaire. Rodolfo Reyes démentira l’accusation quelques jours plus tard. Selon Prida, Limantour eut la preuve que les articles du jeune Reyes étaient revus et corrigés de la main de son père. R. Prida, op. cit., pp. 152-153. Les attaques de toute façon, étaient devenues mutuelles et courantes entre Limantour et Reyes. La date de la démission de Reyes varie, selon les auteurs, du 22 au 23 décembre.

21 Le 25 décembre 1903, les décrets et dispositions concernant la deuxième réserve sont abrogés. A. Taracena, op. cit., p. 74.

22 La création d’une Vice-présidence, qui puisse surtout régler le problème de la succession présidentielle, était une demande de l’Unión Liberal (ce groupe qui a assuré la logistique de plusieurs des réélections de Díaz) au président de la République, dès 1892. Díaz a ignoré cette demande jusqu’à la veille de sa réélection de 1904. En 1903, face aux milieux politiques encore sous le choc de la querelle Reyes-Liman-tour, et face aux milieux internationaux inquiets de son âge, Díaz se résout à accepter l’amendement constitutionnel qui crée, en décembre, la Vice-présidence de la République. Cette création s’accompagne d’une prolongation constitutionnelle de la durée du mandat présidentiel de quatre à six ans. Cf. F.-X. Guerra, op. cit.. t. I, pp. 84-86.

23 Il semble que Díaz ait voulu faire de Limantour son vice-président et que, sur le refus et le conseil de ce dernier, il ait opté pour l’ancien gouverneur du Sonora, à l’époque ministre de l’Intérieur. J. Y. Limantour, op. cit., p. 138. Díaz a imposé la candidature de Corral, homme proche des científicos, jusqu’aux rivaux politiques de ces derniers, et en a fait un vice-président avec un pouvoir réduit, devenu, à la fin de la dictature, la cible d’un bon nombre de critiques au régime et l’emblème de la réélection.

24 Seul Limantour parle du vieillissement de Díaz et de sa fatigue à la fin de la dictature, José Yves Limantour, op. cit., p. 157-159. Des références à l’âge avancé de Díaz et au besoin de lui trouver un successeur se trouvent dans une partie importante de la presse particulièrement à partir d’avril 1908. On peut voir La Libertad, El Correo de Jalisco, Jalisco Libre. En mars 1909, La Libertad ironisait même sur le sujet : « avec la mort du Général Díaz laquelle, selon ce que nous croyons, doit survenir [...]. »

25 Cf. supra, chapitre 4.

26 L’éloge vient de Roosevelt dans une lettre qu’il adressa à Creelman le 7 mars 1908 et qui fut publiée par El Imparcial en août de la même année. Cité par C. Dumas, Justo Sierra et le Mexique de son temps, thèse de Doctorat d’état ès Lettres de l’Université de Paris IV, 1975, exemplaire dactylographié, p. 907.

27 Avec le journaliste — et reyiste — Heriberto Barrón.

28 Cf. R. Prida, op. cit., pp. 226-227.

29 Ce parti est né formellement en février 1909. Prida le qualifie trop facilement de « reyiste », et plusieurs historiens suivent encore cette interprétation abusive, cf. F. Katz, « México : la restauración de la República... », op. cit., p. 72, et A. Knight, op. cit., pp. 40 et 50. Sur son organisation, composition et programme, voir R. Prida, op. cit., pp. 183 et suiv. Pour une analyse plus récente, qui présente ce parti comme un projet d’option alternative au corralisme comme au reyisme, cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. II, pp. 96 et suiv.

30 On y trouve par exemple, du côté des opposants acharnés, les journalistes Filomeno Mata et Paulino Martínez, de jeunes avocats comme José Vasconcelos, Luis Cabrera, des jeunes liés à des mouvements d’opposition dans les états, comme Roque Estrada (qui de l’opposition au gouvernement du Jalisco passe ainsi à une opposition à l’échelle nationale), et Alfredo Robles Domínguez (originaire du Guanajuato), en plus de plusieurs membres du parti Democrático. Le Centro Antirreeleccionista de Mexico naît le 21 mai 1909. A. Taracena, op. cit., p. 227-228.

31 Toutes les réélections de Díaz ont été accompagnées d’une véritable mise en scène politique qui mobilisait, sous la houlette d’une organisation tenue par des fidèles (organisations qui ont reflété différentes tendances au sein du régime), la classe politique porfirienne, afin de donner à la réélection l’apparence légi-timatrice d’être le produit non pas de la volonté du seul dictateur, mais de sa soumission à la « volonté nationale ».

32 Cf. R. Prida, op. cit., pp. 97-107 et 151. Sur la réélection de 1896 et le Circulo Nacional Porfirista voir les pages 105-107.

33 Cf. ibid., pp. 210 et suiv.

34 F.-X. Guerra, op. cit.. t. II, p. 95.

35 « Comme chaque année, Monsieur le Général Díaz a passé une agréable semaine dans sa résidence d’été de El Manglar à Chapala », El Globo, 11 avril 1909.

36 R. Garcia Ruiz, op. cit.

37 Cf. A. Hernandez Chavi:Z, « Origen y ocaso... », op. cit., p. 269. Sur le soulèvement de Manuel Lozada, M. Aldana Rendon, La rebelión agraria de Manuel Lozada, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1983.

38 La Libertad, 4 juin 1909.

39 Cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. I, pp. 53 et suiv. et aussi A. Lemperiere, « Del pueblo de la Reforma a la nación revolucionaria. México,1867-1929 », dans A. Annino, L. Castro Leyva. F.-X. Guerra, De los Imperios a las Naciones, Zaragoza, Iber-caja, 1994, pp.591-611.

40 La Libertad. 12 février1909.

41 Le contraire est vrai dans d’autres cas, comme le montre Claude Dumas pour la presse clérico-conservatrice nationale. Cf. C. Dumas, « El discurso de oposición en la prensa clerical conservadora de México en la época de Porfirio Díaz (1876-1910) », Historia Mexicana, vol. XXXIX, juillet-sept., n° 1, 1989, pp.243-256.

42 La Libertad, 26 mars1909.

43 Collaboration que résume un article paru dans Mexico Nuevo, journal reyiste édité à Mexico. La Libertad, 5 mai 1909. Selon Steven Topik, la législation sociale promue par Bernardo Reyes au Nuevo León, s’insère dans le cadre de la décision porfirienne — prise dans les dernières années de la dictature — d’intervenir directement en matière de conflits ouvriers ; Díaz aurait ainsi encouragé les interventions des gouvernements de Veracruz et de Nuevo León en la matière. S. Topik, « La revolución, el Estado y el desarrollo económico en México », Historia Mexicana 157, vol. XL, juillet-septembre 1990, n° 1, pp. 79- 14 4.

44 Cf. le chapitre précédent.

45 A. Taracena, op. cit., p. 232. Taracena parle de La Libertad comme de l’organe du club Demócrata, ce qui est faux.

46 « D. Ramón Corral no es ni será candidato oficial a la Vicepresidencia », La Libertad, 26 mars 1909.

47 Voir, pour ces deux aspects, le chapitre précédent.

48 Le qualificatif « raisonnée » est utilisé ici par opposition à celui de « viscérale » qui peut être appliqué à la propagande passionnelle entreprise par El Globo. Il est certain que le reyisme de La Libertad est aussi une passion, mais Navarro semble tenir beaucoup à ce ton « sérieux » dont sans doute dépendait la respectabilité de son journal.

49 On les trouve parfois quotidiennement pendant un certain temps, parfois tous les deux ou trois jours, et ce entre janvier et juillet 1909.

50 El Globo en cite deux : l’une organisée par El Debate à Aguascalientes (El Globo, 30 mars 1909) et l’autre réalisée par des clubs politiques de Veracruz (El Globo, 6 avril 1909).

51 On peut bien supposer que Navarro attendait un moment politique particulier pour la publication de son enquête — peut-être attendait-il l’approche même des élections — et que la clôture abrupte de son journal, en juillet 1909, l’en empêcha.

52 Sur la délicate question du vote des analphabètes, voir le chapitre 2.

53 La Libertad, 8 février 1909.

54 Ibid.

55 Cf. P. Rosanvallon, Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992, en particulier la partie intitulée « L’éducation de la démocratie », pp. 341-382.

56 Cf. le chapitre 4.

57 En particulier à partir du mois de mai, le journal catholique El Tiempo semble s’être rangé du côté « officieux » au sujet du reyisme. Il a participé activement à la campagne qui accusait Bernardo Reyes de préparer une révolte (cf. La Libertad, 25 mai 1909). La Libertad regrettait ce qu’elle tenait pour un changement de cap de ce confrère, tenu auparavant pour indépendant.

58 La Libertad, 1er et 5 février 1909.

59 Ibid., 5 février 1909.

60 Sur Gómez Portugal, chef politique de Lagos, cf. les éditions du 9 et du 11 mars 1909 ; sur España, chef politique de Guadalajara, cf. les numéros du 29 mars, 7 mai, 4 et 14 juin, 1er juillet 1909 ; sur Jaso, chef politique de Gualadjar de Tamazula, cf. les éditions correspondantes au 32 Mars et 8 mai 1990.

61 Il s’agissait d’une question concernant le port d’un uniforme. A la demande d’un groupe d’élèves, le directeur avait établi l’obligation de porter un uniforme. Des étudiants qui ne pouvaient pas s’en payer un s’étaient plaints au gouverneur Ahumada qui avait tranché pour que le port de l’uniforme soit optionnel. Selon le journal, Bancalari, par dépit, aurait suspendu tout de même certains élèves sous un prétexte futile. Cf. La Libertad, 30 janvier 1909.

62 La Libertad, 18 mai 1909, 24 juin 1909. Il sera question de ces représailles dans les pages suivantes.

63 On trouve des collaborations de Rosales dans les numéros du 7, 15 et 29 janvier, puis le 3 mars. Rosales cependant n’était pas un membre fondateur des indépendants.

64 La Libertad, 7 janvier 1909.

65 La Libertad, 29 janvier 1909. En 1905, le gouvernement avait décidé d’abandonner l’étalon argent pour celui de l’or et, entre autres mesures, avait supprimé la frappe libre de monnaie en argent. Ulloa proposait que le gouvernement transformât en barres d’argent — dont on frapperait de la monnaie — ses réserves en numéraire. Sur le problème de l’argent, cf. J. Tutino, From Insurrection to Revolution in Mexico. Social Bases of Agrarian Violence 1750-1940, Princeton, New Jersey, Princeton University Press,1988 , pp.333-336; et S. Topik, op. cit. ; pour un développement plus complet des réformes limantouriennes, cf. J. Perez Siller, Fiscalité, économie et pouvoir au Mexique, 1867-1911. Installation, consolidation et chute d’un régime, thèse de doctorat, Université de Paris I, 1995.

66 La Libertad, 9 février 1909. Liée étroitement au problème de la dépréciation internationale de l’argent, la réforme bancaire de 1905 donna au gouvernement fédéral le contrôle d’un système bancaire centralisé ; en plus de l’adoption de l’étalon or, cette réforme limita le nombre de banques d’émission. Cf. S. Topik, op. cit., pp.114et suiv. et J. Perez Siller, op. cit.

67 La Libertad, 22 et 24 février1909.

68 Ibid., 8 mars1909.

69 Ibid., 22 mars1909.

70 Ibid., 24 mars1909.

71 Ibid., 22 et 24 février1909.

72 Sur l’influence internationale sur la politique mexicaine de l’époque et jusqu’à la révolution, cf. F. Katz, The Secret War..., op. cit.

73 La Libertad, 24 mars1909.

74 Ibid., 22 mars1909.

75 On peut voir notamment, F.-X. Guerra, op. cit., t. II, chap. IX, « La querelle des élites », pp. 71- 131.

76 Ibid., 5 avril 1909.

77 Ibid.

78 On peut considérer que cette phase du reyisme démarre avec l’évidence de l’appui de Porfirio Díaz à Ramón Corral par le biais du lancement de la formule Díaz-Corral par les réélectionnistes le 25 mars 1909. Cet événement va radicaliser les reyistes et par là même séparer leur itinéraire de celui de leur candidat qui, lui, se conforme ou semble se conformer aux desseins de Díaz. Une analyse détaillée de l’attitude de Bernardo Reyes sera proposée au lecteur dans les pages suivantes.

79 Il est clair qu’à l’époque les journaux indépendants étaient des entreprises très marquées par leur directeur, qui était à lui seul d’une certaine manière, tout le journal. 11 avait, certes, des collaborateurs techniques, mais il est entièrement justifié de parler, dans le sens le plus large, de El Globo comme du journal de José Ignacio Solórzano, de La Libertad comme de celui de Francisco L. Navarro ou bien de El Regional comme du journal de Daniel E. Acosta.

80 El Globo, 23 mars 1909.

81 Les anarchistes étaient pour l’heure trop en marge de la scène, tandis que les antirréélectionnistes s’organisaient à peine.

82 El Globo, 23 mars 1909.

83 Ibid.

84 Sur la façon dont, de manière générale, le discours reyiste s’est approprié le peuple, cf. F.- X. Guerra, op. cit., t. II, pp. 138 et suiv.

85 En effet, le lendemain de la publication de cet article, nous trouvons pour la première fois, dans La Libertad, la publicité du livre de Madero, La Sucesión Presidencial en 1910, dont il est possible que quelques exemplaires aient circulé avant l’apparition de cette publicité. La Libertad, 24 mars 1909. Pour une analyse plus détaillée du madérisme, voir infra, chapitre 8.

86 El Globo, 30 mars1909.

87 Ibid.

88 El Globo, 6 avril 1909.

89 Dans sa lettre du 31 mai 1909 à Bernardo Reyes, José López-Poilillo y Rojas disait, par exemple : « si l’opinion publique se déchaîne d’une façon évidente et puissante, il est très difficile que M. le Président ne l’entende pas... », ABR-Condumex, carpeta 39, legajo 7637.

90 El Globo, 23 mars 1909.

91 Ibid., 6 avril 1909. Harriman était un des plus puissants investisseurs étasuniens au Mexique ; il était propriétaire de la compagnie ferroviaire dite du Sur Pacífico (La Libertad, 5 mars 1909).

92 Voir aussi la critique de l’octroi de concessions de terres aux étrangers. Ibid., 8 juin 1909.

93 Ibid., 20 avril 1909.

94 Ibid.

95 Ibid., 8 juin 1909.

96 La principale source pour l’histoire du parti Independiente depuis sa fondation et jusqu’à la répression du reyisme est, jusqu’à présent, le journal La Libertad, à partir duquel et dans lequel se structurent les adhésions au parti. On peut y suivre la trace ainsi, entre décembre 1908 et juin 1909, du développement du réseau d’adhérents, grâce à la reproduction régulière des lettres d’adhésion qui s’accompagnent des listes des nouveaux membres du parti. La reproduction, il y a quelques années, d’un certain nombre de comptes rendus des séances du parti, correspondant à la période qui va de décembre 1909 jusqu’à juin 1910, fournit une source supplémentaire concernant un autre moment de la vie de l’Independiente ; cf. J. Ramírez Flores, op. cit., annexe I.

97 Vieille tradition d’adresse au peuple, le manifeste du parti est affiché dans les rues de Guadalajara le 5 mai, et dans celles des localités principales du pays le 15 du même mois. La Libertad, 5 et 18 mai 1909.

98 La Libertad, 1 juin 1909.

99 Ibid, 14 juin 1909.

100 Ibid., 21 juin 1909.

101 L’absence du canton de Chapala n’est, à côté de cela, pas vraiment significative, dès lors que ce petit canton fait partie de la zone d’influence d’Ocotlán aussi bien que de celle de Guadalajara.

102 La réponse prompte de Cananea à ce qui était la première proposition d’organisation reyiste n’est pas surprenante, étant donné l’expérience associative de la région et la force du mouvement ouvrier. Il est probable que le lien s’est fait avec des proches de Manuel M. Diéguez, originaire de Guadalajara, installé à Cananea en 1904, dirigeant syndical pendant le mouvement de 1906 et emprisonné depuis à San Juan de Ulúa (Veracruz). Même en l’absence de Diéguez, ses réseaux personnels ont pu jouer un rôle important dans la diffusion d’idées provenant de Guadalajara.

103 La formation de ce noyau à Ciudad Guerrero doit sans doute s’inscrire dans la tradition associative et d’opposition de cette localité, chef-lieu d’un district qui fut un des principaux noyaux du magonisme et du madérisme (Cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. II, pp. 64, 165, 194, 261 et 262). A Ciudad Guerrero s’étaient par ailleurs auparavant formées des sociabilités protestantes, cf. J.-P. Bastían, LOS disidentes. Sociedades protestantes y revolución en México, 1872-1911, Mexico, El Colegio de México — Fondo de Cultura Económica, deuxième édition, 1993, p. 141.

104 En particulier pour les états lointains, cette implantation du P.I. hors des frontières du Jalisco, pourrait être mise en relation avec les mouvements de population de l’état et notamment avec l’émigration de Jaliscienses politisés.

105 Ce parti, qui essayait de se constituer en option alternative aussi bien au reyisme qu’aux científicos, fut perçu par certains, dans son indéfinition, comme potentiellement reyiste, de par la présence en son sein de reyistes convaincus comme Heriberto Barrón. Cette même indéfinition fut lue, par la plupart des reyistes jaliscienses convaincus, comme une forme d’adhésion tacite au jeu de Díaz.

106 La Libertad, 8 février 1909. Voir supra, chapitre 4, pp. 141-143.

107 La Libertad, 6 février 1909.

108 Ibid., 28 avril 1909.

109 Attention, ce débat oppose le parti Independiente au parti Democrático né dans la capitale et non pas au club de ce dernier formé dans Jalisco. La querelle qui s’ouvre début janvier — avant même la naissance du Democrático — se place donc au niveau national, ce qui est logique du moment que le parti Independiente avait des prétentions à ce même niveau.

110 La Libertad, 11 janvier 1909.

111 Ibid.

112 Ibid.

113 Ibid., 26 février 1909.

114 Ibid., 28 avril 1909.

115 La Libertad, 22 et 28 juin 1909. Sur le reyisme dans le Sinaloa, cf. François-Xavier Guerra, op. cit.. t. II., pp. 147-150.

116 La Convention Nationale Réélectionniste était l’organe censé légitimer la candidature de Ramón Corral à la Vice-présidence. Cette Convention devait regrouper les délégués des Clubs Réélectionnistes de tous les états de la fédération. Les réseaux corralistes ont établi, avec la collaboration des autorités de toutes sortes, des clubs aux différents échelons de la hiérarchie politico-administrative du pays. La constitution de ces clubs et particulièrement l’appui que l’entreprise reçut des autorités furent très controversés. En premier lieu par la pression que la présence de Corral à la tête du Ministère de l’Intérieur supposait, deuxièmement par la façon dont ces clubs ont été constitués, regroupant des « notables » et surtout des fonctionnaires publics (à Guadalajara, par exemple, des membres de l’ayuntamiento faisaient partie du club corraliste).

117 La Libertad, 26 mars 1909.

118 Malheureusement, aucune trace ultérieure de la participation de ces femmes n’a été trouvée. Cependant, deux questions sont à relever : le fait même de leur adhésion, alors que les femmes mexicaines n’ont à l’époque pas de droits politiques ; et, d’autre part, que cela n’ait produit aucun commentaire favorable ou contraire. Cela suggère que les femmes dans Jalisco étaient bien plus actives en politique qu’on ne le pense d’habitude et que ne le montrent clairement les sources. Ce n’est d’ailleurs pas le premier indice que nous avons de la participation active des femmes dans le mouvement reyiste.

119 La Libertad. 5 et 18 mai 1909.

120 Puisque le développement du parti Independiente s’appuie particulièrement sur la diffusion de La Libertad, on peut considérer que sa phase d’expansion est symboliquement close à la fin du mois de juillet 1909, avec la fermeture de ce quotidien et l’emprisonnement de son directeur.

121 Ces deux réseaux d’opposition libérale à Porfirio Díaz sont reconnus comme les plus importants de la dictature. Cf. J.-P. Bastían, op. cit., pp. 151-154. Sur le club Ponciano Arriaga, on peut consulter aussi J. D. Cockroit, op. cit.

122 Dans ce cas, même la période de formation des clubs est similaire, puisque les clubs libéraux en question se sont formés entre septembre 1900 et février 1901. Jean-Pierre Bastian, Los disidentes..., op. cit., pp. 153-154.

123 Tomás Rosales expliquait abondamment cela dans El Globo, le 8 et le 15 juin 1909.

124 La Libertad, 26 mai 1909.

125 Cf. El Globo, 8 et 15 juin 1909.

126 La Libertad, 11 janvier 1909.

127 Ibid, 6 et 18 février 1909.

128 Le dernier article qui a pu être repéré date du 3 mars.

129 La Libertad, 28 avril 1909.

130 Voir annexe 4.

131 La réunion a lieu le 24 mai. La Libertad, 25 mai 1909.

132 Ibid., 21 mai 1909.

133 Ibid., 26 mai 1909.

134 Ibid., 25 mai 1909.

135 Ibid.

136 Ibid.

137 Ibid., 5 et 18 mai 1909.

138 Ibid., 26 mars 1908.

139 Ibid., 3 mars 1909.

140 Ibid., 25 mai 1909. L’information avait été diffusée par l’hebdomadaire Actualidades, puis reproduite par El Tiempo, puis reprise enfin, pour la critiquer, par El Diario del Hogar.

141 La Libertad, 26 mai 1909.

142 Ibid.

143 Ibid.

144 Ibid.

145 El Globo, 8 et 15 juin 1909.

146 Ibid., 15 juin 1909.

147 ibid.

148 La Libertad. 30 juin 1909.

149 Ibid., 14 juin 1909. La disposition feignait d’ignorer le fait que les trois premiers étaient des membres de longue date du P.I.

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