Précédent Suivant

Chapitre 3. L’espace public porfirien : sociabilité et opinion

p. 89-122


Texte intégral

1. L’espace public porfirien

1Lorsqu’on considère le porfiriat dans une perspective de moyenne durée, il ressort que l’espace public qui lui est propre a une définition particulière, issue d’une part du processus de maturation de formes modernes de sociabilité1 et de l’importance attachée à la vigueur d’une fiction démocratique, mais aussi des limites imposées par l’exercice autoritaire du pouvoir, de la part d’un régime soucieux de la maîtrise de l’espace comme élément sine qua non de sa consolidation.

2La stabilité porfirienne encourage, certes, la modernisation de l’espace public, dans la mesure où, à son abri, la voie de la parole vient se substituer graduellement, dans le débat d’idées, à celle des armes, qui avait incarné celui-ci jusqu’alors. Simultanément cependant, l’état porfirien tient à surveiller de près l’évolution de cet espace, dans lequel se joue la conservation de l’ordre établi et, partant, celle du pouvoir. Le résultat (qui n’est pas, qui ne peut pas être un invariant), est un espace public tendu vers la modernité et cependant restreint, investi par des réseaux modernes de sociabilité dont la marge d’action connaît des limites précises : un espace public très largement balisé.

3En effet, la consolidation de l’état porfirien s’accompagne d’un rétrécissement de la marge d’action dont disposent les acteurs sociaux dans la sphère publique et notamment dans l’exercice public de la critique, par rapport à celle dont ils disposaient dans le cadre du fragile équilibre de la República Restaurada2. On s’approche, en ce sens, du rêve de la nation libérale unitaire dont fait état la Constitution de 18573.

4On assiste ainsi au développement d’un espace public moderne qui, en même temps qu’il s’enrichit de nouveaux acteurs — notamment des organisations ouvrières —, s’appauvrit du point de vue de ses pratiques : la définition d’un mode d’emploi implicite, qui établit des normes contraignantes, place cet espace sous la haute surveillance de l’état.

5Par ailleurs, l’espace public porfirien n’a cessé d’être celui, ancien, concret, traditionnel, de la place, du marché, des arcades, notamment loin des centres urbains, où la modernité est vécue en différé, par l’intermédiaire d’une presse qui provient de Guadalajara, voire de Mexico. Cependant, les villes connaissent, elles aussi, quoique selon un dosage différent, cet emboîtement d’un ordre ancien et moderne de l’espace public et, notamment avec l’apparition des gares — qui deviennent sans tarder des lieux privilégiés de rencontre et de mise en scène de l’opinion4 — un renouveau même de l’espace ancien.

6L’espace public porfirien est donc ancien et moderne à la fois, sans qu’un cloisonnement rigide sépare ces deux registres, et se caractérise avant tout par une forte présence de l’état, qui veille au respect des normes implicites et tolère peu les effractions.

7La modernité en particulier y est limitée par l’intérêt de l’état ; ainsi il n’y a pas de place, dans la structure du système, pour une opposition politique moderne, formelle et ouverte, pour des organisations non soumises en dernier ressort à l’autorité de Porfirio Díaz. Au début du xxe siècle, ce sont particulièrement les anarchistes qui en font l’expérience : à l’échelle nationale le parti Liberal Mexicano5. à Guadalajara les jeunes de Aurora Social6 ; en 1909, ce sera le tour des militants reyistes de voir plusieurs des leurs emprisonnés, par ordre du gouverneur Ahumada, suite à une manifestation dans les rues7. On peut donc affirmer qu’à la fin du porfiriat, une opposition politique formelle se construit aux marges de pratiques reconnues, alors que l’espace public n’est pas prêt à la « loger ».

8Par ailleurs, puisque le contrôle de l’espace ancien constitue un point fondamental dans la gestion de l’ordre public (il est perçu comme la garantie de cet ordre), son utilisation collective est soigneusement surveillée par l’état. Ainsi, les irruptions du « peuple » dans cet espace sont regardées avec méfiance et, au besoin, réprimées manu militari lorsqu’elles inquiètent l’ordre établi (les intérêts des propriétaires) ou qu’elles perturbent les bonnes consciences. Tristement célèbres sont les cas des grèves de Cananea (Sonora) et Río Blanco (Veracruz), mais chaque état de la fédération conserve en mémoire des exemples plus ou moins extrêmes de cette politique8.

9Dans le Jalisco, ce soin était laissé davantage aux propriétaires et à leurs gardes blanches qu’aux forces publiques. On peut citer le cas des conflits particulièrement violents entre les ouvriers et l’administration de la Amparo Mining Company, à Etzatlán, en 1904, et de leurs prolongements, qui aboutirent à la destitution du gérant de la compagnie, Ferdinand Sustersic, en juin 19089.

10En matière d’opinion, les règles du jeu sont en apparence moins rigides, mais elles posent également des limites très claires. La politique porfirienne en matière d’opinion a deux volets et s’illustre bien par la pratique courante d’incarcération des journalistes indépendants jugés trop critiques et la saisie des presses ayant permis la publication des propos dissidents. Les journalistes étaient en règle générale relâchés au bout d’un certain temps, souvent par l’intermédiaire de membres de l’élite, proches des autorités, qui réussissaient à obtenir leur liberté sous caution. L’ « objet du délit » était lui aussi libéré, et les presses saisies pouvaient fonctionner à nouveau et contribuer ainsi à la mise en scène de la liberté de la presse, indispensable à la légitimité du régime.

11Contrôler est donc le mot d’ordre porfirien à appliquer à l’espace public, ancien ou moderne, à quelque niveau de l’administration que ce soit ; voilà un des principaux tributs de la société à la pax porfiriana.

1.1. Espace sous contrôle, mutations d’un espace

12De même qu’il est possible de caractériser un espace public porfirien, marqué par un mode d’emploi implicite et contraignant, soumis à surveillance, il est possible de distinguer un processus spécifique que l’espace tout court — dans sa dimension non seulement physique mais aussi vécue — subit pendant cette période, qui fonde un « espace porfirien » changeant, dont les metteurs en scène poursuivent le modèle de l’ordre et du progrès et dont l’état se sert comme d’un outil pour la construction de la mémoire.

13C’est surtout à la fin du porfiriat que l’on peut pleinement observer ces tendances, bien entendu déclinées selon les modalités régionales et les différents moments de l’évolution du régime lui-même.

14La signification de ces transformations physiques ou symboliques de l’espace, et de son utilisation, réside dans la modification radicale du rapport entre la population et les lieux qu’elle occupe10. Ces transformations, techniques au départ, sont d’une importance capitale car elles bouleversent — en quelques années quand il s’agit de modifications physiques, en plusieurs générations lorsqu’il est question de changements symboliques — les rapports séculaires avec l’environnement, donnant ainsi lieu, simultanément, à de nouvelles conceptions de cet environnement et de la façon dont la société pouvait y prendre place. Comme le fait remarquer Anne Marijnen :

« [...] l’espace de vie ne se réduit pas à celui de l’habitat, mais inclut aussi celui des représentations et des échanges »11.

1.2. La réorganisation de l’espace urbain

15La première décennie du xxe siècle a été pour Guadalajara une période de transformations irréversibles dans sa manière de vivre. La ville, dont les modèles étaient les capitales européennes, a vu arriver les innovations techniques qui bouleversaient déjà les rythmes quotidiens dans les villes occidentales : l’automobile, l’électricité, des transports en commun plus sophistiqués, de nouvelles conceptions en matière d’urbanisation et d’hygiène publique12.

16Ainsi, en 1908, l’espace de la ville est en pleine transformation : il s’ouvre à l’établissement de nouvelles colonias — comme on désigne au Mexique les quartiers résidentiels —, il est traversé par plusieurs lignes de tramways électriques, de même qu’il est adapté pour être mis au rythme d’un nouveau moyen de transport : l’automobile. Dès lors, ses principales artères sont goudronnées et commence à se poser la question de la gestion du trafic, compliquée par la découverte, par les conducteurs, des menus plaisirs de la vitesse13 tout autant que par une réglementation insuffisante en la matière14.

17Un événement de premier ordre dans cette redéfinition de l’espace à Guadalajara est le recouvrement de la San Juan de Dios, rivière qui, au début du siècle, empoisonnait — littéralement — l’atmosphère d’une partie de la ville et constituait un problème incontournable d’hygiène publique. El Regional le rapportait ainsi en avril 1908 :

« Le ruisseau immonde qui divise la ville du sud au nord se trouve actuellement dans des conditions de salubrité pires qu’avant ; de son lit s’élèvent des émanations tellement fétides qu’elles obligent les passants à porter au nez leur mouchoir [...] ; si avant débouchaient dans ce ruisseau les déchets d’une ou de plusieurs usines d’alcool, maintenant, principalement vers midi, on voit l’eau couleur sang, puisqu’il ne fait aucun doute que quelque bouche d’égout des abattoirs se vide dans ce ruisseau, déjà [assez] sale, pour ne plus pouvoir supporter davantage d’immondices15. »

18Qui plus est, les tapatíos — affirme le journal — jettent régulièrement dans le courant poubelles et eaux usées16.

19Le recouvrement de la San Juan de Dios a donc des retombées essentielles sur l’hygiène, mais aussi en matière d’aménagement de l’espace de Guadalajara, dont il modifie une situation séculaire : le partage de la ville en deux, de part et d’autre de cette rivière.

20Cette division, qui remonte aux premières années d’existence de Guadalajara, a séparé physiquement pendant des siècles la population de la ville, établissant dans les faits deux catégories d’habitants : ceux installés sur la rive orientale et ceux qui peuplaient la rive occidentale, rapidement devenue la plus prestigieuse et appréciée, et sur laquelle étaient installés, par ailleurs, les Pouvoirs de l’État17. Jusqu’à la réalisation des travaux de recouvrement de la San Juan de Dios, quelques ponts, dont le passage pouvait devenir toute une aventure — la sécurité n’était pas toujours au rendez-vous —, permettaient la liaison entre les deux côtés de la ville.

21Ce partage de l’espace urbain était tellement ancré dans l’imaginaire que, même de nos jours, il subsiste dans la tradition orale : les habitants du côté ouest de Guadalajara emploient encore des expressions comme « au delà de San Juan de Dios », pour parler de ce qui demeure, d’une certaine façon, à leurs yeux, « l’autre côté » de la ville.

22Par ailleurs, plusieurs nouveaux quartiers surgissent dans les dernières années du porfiriat, élargissant la ville vers l’ouest avec une conception nouvelle de l’urbanisation ; ainsi naissent les colonias Moderna, Francesa, Americana, Hidalgo et Reforma, pour lesquelles une réglementation stricte des conditions d’édification des maisons a été édictée, en vue de garantir le bon fonctionnement et, surtout, l’aspect du quartier18.

23L’établissement de ces colonias marque un premier point d’infléchissement du modèle historique de développement urbain de la ville selon le plan en damier, en s’inspirant des idées de Haussmann et de Cerdà pour le tracé des nouveaux quartiers. Double infléchissement du modèle historique, puisque les nouvelles maisons, à leur tour, suivent non plus le modèle jusqu’alors dominant, mais les modes françaises et étasuniennes19. C’est l’initiative des élites qui marque l’élargissement de l’espace urbain vers l’ouest, alors que, parallèlement, au-delà de la San Juan de Dios, les quartiers orientaux de Guadalajara continuent leur expansion spontanée20.

24La redéfinition de l’espace urbain, due à l’agrandissement de la ville et à l’irruption de nouveaux moyens de transport, laisse toutefois intact l’espace public traditionnel de Guadalajara : places et arcades conservent leur caractère de lieux privilégiés de réunion, concurrencés, sur ce même registre, par cette nouvelle « place publique » qu’est la gare.

25L’espace de la ville se restructure, le rythme de la vie change. Les techniques nouvelles matérialisent ce « progrès » dont les élites porfiriennes sont avides ; elles contribuent, tout comme les nouvelles colonias, à rapprocher la ville de son image idéale. La nouvelle donne ne peut que créer des tensions entre les besoins créés d’adéquation au modèle et des pratiques séculaires d’utilisation de l’espace. Les journaux commencent dès lors à prôner le changement de certaines habitudes qui, avec l’agrandissement de la ville, semblent déplacées aux yeux d’une élite soucieuse d’un ordre visuel.

26Un exemple éclairant est celui des lavoirs situés sur l’avenue Corona. Cette voie est de plus en plus fréquentée, ce qui pose un problème puisque les lavandières ont l’habitude d’y faire leur toilette. Le quotidien Jalisco Libre réagit à cette situation en suggérant que l’autorité politique

« interdise fermement que les pauvres lavandières se baignent en plein air d’un côté et de l’autre de l’avenue Corona, puisque c’est le lieu de passage de nombreuses personnes et le point choisi par quelques curieux pour [faire] des observations répugnantes »21.

27Si toutefois on ne pouvait obtenir le déplacement de ces lavoirs, le journal se prononçait pour qu’on exige de leurs propriétaires « qu’ils les délimitent au moins avec des murs de vil adobe »22 ; de façon à ce que, au-delà d’un ordre purement moral, l’ordre visuel soit rétabli.

1.3. Les habits du progrès

28Si pour Díaz et son équipe proche, le contrôle de l’espace est une affaire politique de première importance, liée surtout à la stabilité, pour les élites dominantes l’espace public constitue une préoccupation d’ordre visuel. C’est à cette préoccupation des élites — qui tourne pratiquement à l’obsession — qu’obéissent certaines dispositions du gouvernement — à l’échelle nationale ou locale — concernant la gestion de l’espace. En effet, les restrictions imposées et les réglementations demandées correspondent souvent à la peur d’images dérangeantes.

29Ainsi, si le journal Jalisco Libre se prononce, en octobre 1907, comme on l’a vu, pour la réglementation du service des transports publics urbains, c’est bien parce que l’encombrement des wagons,

« est non seulement répugnant à la vue mais aussi propice à des fautes qu’il n’est pas de notre ressort de signaler »23

30C’est le même journal qui demande au gouvernement d’interdire aux lavandières de se baigner en plein air24.

31Ces préoccupations se font particulièrement sentir vers la fin du porfiriat. En effet, c’est en 1908 que le gouvernement de l’état essaie de rendre obligatoire le port du pantalon chez les hommes, qui étaient encore nombreux à porter le calzón de manta25. Cette initiative, faite dans une grande ignorance des conditions réelles de vie de l’ensemble de la population de l’état, particulièrement en dehors de sa capitale, suscita des problèmes lors de son application. Ainsi, à Tamazula, dans le sud, un porteur de plis se fait arrêter pour ne pas être habillé conformément aux nouvelles dispositions26

32De telles mesures s’inscrivent dans un projet plus large, celui de comment la nation s’habille, donc de son apparence. Or, la nation elle est, par définition, moderne (européanisée) et libérale-laïque ; l’intégration à la nation passe donc par le port des habits du progrès qui suivent forcément la mode européenne, et de ceux de la laïcité, qui relèguent l’ostentation vestimentaire de la pratique religieuse à la sphère du privé. Deux des plus célèbres restrictions posées à l’utilisation de l’espace illustrent parfaitement ces deux impératifs : l’interdiction aux Indiens d’accéder au Zócalo ou aux places principales, à certaines heures de la journée27, et la prohibition aux clercs — héritée, celle-ci, de la Réforme — de porter les habits religieux sur la voie publique.

1.4. Lieux de vie et mémoire libérale

33Contrôler l’espace c’est aussi contrôler l’imaginaire qui lui est attaché, le transformer ainsi en partie structurante d’une nouvelle mémoire ; c’est pourquoi on change, par décision gouvernementale, d’anciens noms des lieux de vie. L’initiative dans son ensemble est plus libérale que porfirienne et elle a eu dans Jalisco plusieurs manifestations importantes, attachées toutes à la volonté d’instituer une mémoire libérale à travers les lieux.

34Les premières concrétisations de cette volonté sont les changements de noms traditionnels d’un certain nombre de villes et villages. La construction d’une mémoire libérale a voulu passer ainsi par la transformation de ces lieux en monuments permanents aux héros de son Panthéon. Villes et villages ont été rebaptisés. Soit on a accolé à leur ancien nom quelques termes commémoratifs : Tamazula de Gordiano (en hommage à Gordiano Guzmán, héros local de l’indépendance), Lagos de Moreno (en hommage à Pedro Moreno, héros de l’indépendance lui aussi), Teocuitatlán de Corona (en mémoire de Ramón Corona, héros de la guerre d’intervention française et une des plus grandes figures du Panthéon libéral du Jalisco), Encarnación de Díaz (en hommage à Porfirio Díaz) ; soit on a changé complètement leur nom, comme Paso de Sotos, transformé en Villa Morelos (en mémoire de José Maria Morelos, héros national de l’indépendance, à l’occasion du centenaire de celle-ci) ou comme la ville de Zapotlán el Grande, qui devint Ciudad Guzmán (en hommage aussi à Gordiano Guzmán).

35Le cas de Zapotlán el Grande est le plus intéressant parmi ces villes et villages qui se voient rebaptisés par décret, de par la radicalité du changement (la nouvelle appellation ne conserve rien de l’ancienne) et par la persistance de son ancien nom dans l’usage courant. Pendant longtemps, seuls les documents officiels utilisent le nouveau nom, et les débats sur la pertinence d’une telle mesure se poursuivent jusqu’à nos jours puisque les mouvements ne manquent pas qui demandent le rétablissement de l’ancien nom.

36À vouloir changer les appellations des lieux de vie, les administrations libérales ont entrepris une tâche très difficile : changer des repères séculaires. Cette action correspondait à un souci extrême du culte et de la pédagogie des valeurs libérales et des héros du régime, comme le montrent les changements imposés aux noms de certaines rues de Guadalajara, en janvier 1908, à l’initiative de l’ayuntamiento de la ville28.

37Dans les nouvelles appellations on trouve surtout le Panthéon libéral lié à l’indépendance dans sa phase initiale — avec des membres de la célèbre conspiration de Querétaro, transformés en héros nationaux comme Miguel Allende, Josefa Ortiz de Domínguez, Aldama, Jiménez — ainsi que dans sa phase de consolidation — le péninsulaire Francisco Javier Mina, Vicente Guerrero et Guadalupe Victoria29. On y trouve aussi les noms de héros républicains de la guerre d’intervention française — les généraux Arteaga, Salazar et Rioseco, le libéral José Guadalupe Montenegro, héros local ; mais aussi les figures emblématiques indiennes de résistance à la conquête espagnole — Xicoténcatl, Cuauh-témoc. Figurent également des dates commémoratives de triomphes militaires porfiriens — 2 avril, 28 janvier — ou du triomphe républicain sur l’armée française — 5 mai, jour de la célèbre bataille livrée à Puebla ; des valeurs libérales — la République, la Constitution, la Fédération, la Liberté ; des représentations du rêve positiviste porfirien — Prospérité et Industrie. Enfin, parmi les nouvelles appellations, l’une est consacrée à la mémoire du lieu lui-même, Analco, du nom du quartier ainsi transformé en site commémoratif. Ces changements apportés aux noms des rues les plus anciennes de la ville ne sont pas tout de suite assimilés et les journaux emploient couramment les vieilles dénominations.

38L’exemple des appellations des lieux de vie permet de mesurer les limites d’une volonté politique des plus acharnées. Combien de temps ont mis les rues du quartier d’Analco pour devenir dans le langage courant « Federación », « Constitución », « 5 de Mayo », etc. ? Combien Zapotlán el Grande pour devenir Ciudad Guzmán ? Question d’années, de générations, peut-être. Encore faut-il que personne ne revendique les anciennes appellations...

2. Un espace public extensible

39Une des particularités de la société porfirienne est celle de voir apparaître un certain nombre de nouveaux acteurs, dans des domaines auparavant réservés aux élites — sinon par la loi, du moins par l’habitude. Il s’opère en ce sens un élargissement de la sphère de réflexion sur le social et de l’exercice de la citoyenneté.

40Ceci est le fait, certes, de l’influence des nouvelles formes de pensée qui, internationalement, se sont dressées contre le libéralisme — par ailleurs lui-même hétérogène — d’abord comme utopies et conceptions du monde, puis comme programmes d’action. Il s’agit, d’abord, du socialisme30 et de l’anarchisme31, puis du catholicisme social32.

41Ces mouvements d’importance internationale ne sont pas cependant les seules causes de cette émergence d’acteurs sociaux, auparavant absents de l’espace politique, à l’espace public et à la formation de l’opinion. En effet, les gouvernements libéraux mexicains de la deuxième moitié du xixe siècle, mais surtout le gouvernement de Porfirio Díaz, dans leur constante mise en scène d’une modernité politique, ont contribué à répandre l’idéal d’une démocratie effective et à développer le besoin d’un élargissement de la population « politiquement active ». La dictature porfirienne, à force de pantomime électorale a, paradoxalement, largement participé à former les esprits dans un idéal démocratique et a rempli une fonction d’éducation politique de premier ordre33.

42C’est ainsi que, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, on commence à constater la présence de nouveaux acteurs sur la scène politique : les regroupements d’individus ne sont plus le fait exclusif des élites ou des corporations, mais d’organisations dans lesquelles participent des membres d’origine et position sociales différentes. Si la prolifération des organisations ouvrières est un phénomène essentiel, la présence de femmes au sein de groupes culturels et artistiques et la naissance d’organisations de femmes l’est tout autant.

43Il s’agit, certes, des débuts du syndicalisme34, mais aussi d’un investissement de l’espace public, de la réflexion politique, par des acteurs jusqu’alors tenus à l’écart, qui s’approprient le droit de participer à la formation de l’opinion et qui deviennent les protagonistes d’un élargissement de la citoyenneté potentielle. Ce phénomène, que l’on constate pendant les dernières années du porfiriat, connaît une véritable explosion lors de l’accession de Madero à la présidence de la république, à la fin de l’année 1911, et de l’ouverture d’espaces de participation politique inédits.

44Cette entrée de nouveaux acteurs sur la scène du débat politique, se produit sous différentes impulsions. Une partie de cette dynamique revient aux loges maçonniques, qui ont développé, tout au long du xixe siècle, des formes modernes de sociabilité contribuant ainsi à ouvrir de nouveaux espaces associatifs. Cependant, faute d’une histoire scientifique de la franc-maçonnerie mexicaine35, il reste assez difficile de savoir jusqu’à quel point les membres des loges n’étaient pas que des membres des élites et à quel moment la franc-maçonnerie mexicaine s’est finalement ouverte à la participation d’autres secteurs de la population. En effet, la franc-maçonnerie de l’époque porfirienne reste apparemment le fait d’une élite libérale éclairée, même si elle s’est vraisemblablement élargie à la veille de la révolution. Malheureusement, à ce sujet seules des hypothèses sont possibles.

45Une des impulsions les plus décisives de ce processus d’élargissement de la citoyenneté fut donnée par l’état porfirien lui-même, qui a accompli pendant trois décennies une tâche de diffusion des idées de la modernité politique, à force de faire de la Constitution libérale plus un véritable objet de culte qu’un paradigme théorique. Dans son souci permanent de bien soigner les formes et de conserver une image républicaine, le régime a mis en marche ce que François-Xavier Guerra a caractérisé comme une « pédagogie du vote »36.

46De même, quelques groupes d’avant-garde se sont assignés la tâche d’éveiller à la vie politique les groupes sociaux dominés, soit pour essayer de les faire lutter contre l’oppression au nom d’une utopie ou simplement d’un principe — ainsi les mouvements anarchistes et socialistes37 —, soit pour « diriger » leur émancipation en vue justement d’exercer toujours un contrôle sur ce processus, afin d’éviter que ces « nouveau-nés politiques » ne perdent leurs valeurs traditionnelles — ainsi, particulièrement, les catholiques sociaux38.

47La fin du xixe siècle voit donc des organisations de toutes sortes, en particulier les politiques et les cercles de discussion, intégrer un « public » de plus en plus vaste et divers, même si l’initiative de leur formation revient encore souvent aux élites.

48Ce phénomène se précise vers la fin du porfiriat et le succès de ces nouvelles formes d’association est indéniable ; organisations culturelles, de bienfaisance, pieuses, et surtout corporatistes et ouvrières, se constituent et contribuent à la transformation du rapport entre l’état et la société civile. Surtout, elles viennent renforcer cette dernière et bâtissent des ponts entre l’univers du privé et celui du public.

49Ces organisations contournent pour la plupart le politique, et ce n’est qu’à la fin de 1908, à la chaleur des débats et de la lutte pour la succession présidentielle, que l’on voit apparaître des organisations qui se définissent comme « politiques »39.

50Pourtant, dans la pratique, les différentes catégories d’organisations s’entrecroisent souvent, et il n’y a pas de frontière précise entre les organisations culturelles, religieuses ou ouvrières et l’activité politique (voir, en annexe, le tableau Les structures de sociabilité du Jalisco, 1908-1910).

2.1. Des lieux pour la vie associative

51De par sa concentration des ressources humaines et matérielles, Guadalajara constitue le centre incontestable de l’activité associative du Jalisco et même d’une aire qui dépasse largement cet état. Parallèlement, en dehors de la capitale, quelques pôles associatifs d’importance se développent : Lagos de Moreno, Ciudad Guzmán, et Sayula.

52Lagos de Moreno, enclave libérale au sein d’une région (Los Altos) à forte tradition catholique, abrite notamment le groupe littéraire Los Fauretes dont fait partie Mariano Azuela. A n’en pas douter, les discussions littéraires y sont un prétexte à bien d’autres thèmes, y compris politiques40. La ville compte par ailleurs un théâtre — chose peu courante dans les villes moyennes du Jalisco — où se donnent des concerts, des opéras et des représentations de pièces classiques et on y publie quelques périodiques : le journal El Defensor del Pueblo, La Verdad, ainsi que La Revista et, vers la fin du porfiriat, Alborada, en plus de la popularité dont semble-t-il, jouissait le journal national El País, d’orientation catholique41.

53Une particularité de la société laguense semble avoir été la capacité d’entente de la classe politique malgré les différences idéologiques. Ainsi, la présence de réseaux de sociabilité très actifs, de tendance libérale — dont très probablement une loge maçonnique —, n’a pas conduit à la polarisation de groupes irréconciliables. L’ouverture d’un Lycée en janvier 1869, à l’initiative du P. Guerra le prouve. Cette institution constituait une sorte de havre dans lequel s’étaient concentrés les efforts de plusieurs personnalités de la ville en dépit de leurs différences idéologiques et politiques42.

54Au début du xxe siècle, il est probable qu’un cercle se soit formé autour du Père Agustín Rivera, intellectuel et historien libéral de renommée nationale, qui retourne dans sa ville natale durant les dernières années de sa vie43. Les convictions libérales de cet admirateur passionné de Juárez l’ont rendu célèbre et lui ont valu l’inimitié d’une partie du clergé de même que l’admiration de nombreux libéraux. Son prestige parmi ces derniers est allé jusqu’à inspirer des loges maçonniques44, sans que l’on puisse pour autant prouver qu’il a lui-même appartenu à la franc-maçonnerie.

55La région Sud du Jalisco a connu une vie associative particulièrement riche. La ville de Sayula abritait des organisations libérales, héritières d’une tradition datant d’avant son déclin économique et politique. A la fin du porfiriat, cette tradition prenait, au moins, la forme d’une loge maçonnique, la Guadalupe Montenegro, mais surtout de plusieurs tendances libérales, non forcément compatibles, et dont les différences se font explicites au moment de la création des partis politiques45.

56Quant à Ciudad Guzmán, cette ville qui avait détrôné Sayula de sa place hégémonique au sein de la région Sud, elle abrite un projet pionnier du catholicisme militant de l’état.

57A. Peñafiel note l’existence, dès 1897, d’une Union Catholique, avec un organe de presse propre, qui porte le même nom46. En 1908, on y trouve trois groupes actifs : la Unión Católica de Obreros, la Sociedad Mutualista Católica de Artesanos et La Sagrada Familia. Ces organisations essentiellement pieuses, avaient des objectifs culturels et politiques bien définis. Lorsque La Unión Católica, organe de presse du premier de ces groupes, cesse d’exister, en 1905, La Luz de Occidente prend le relais.

58À la veille de la révolution, le Sud du Jalisco abrite des réseaux de sociabilité qui, au-delà de tendances idéologiques et de stratégies d’action bien différentes, constituent un potentiel de subversion de l’ordre établi en 1857 : celui d’une nation incarnée exclusivement par les libéraux classiques, et où l’utilisation de l’espace public leur est réservée.

2.2. Des domaines à occuper

La culture : le domaine du possible

59Les réseaux de sociabilité de l’époque porfirienne se sont en bonne partie réfugiés sur le terrain de la « culture » — entendue dans une acception très classique — et de la science. En ce sens, le recensement de 1900, qui ne distingue que la catégorie des sociétés « scientifiques ou littéraires », exprime à sa façon quel était le filon dans lequel « pouvaient » s’inscrire les initiatives privées sans sortir des normes porfiriennes implicites. Or, on s’aperçoit bien vite que cette catégorie a peu à voir avec le scientifique et le littéraire : la société d’ingénieurs, fondée en 1868, au caractère scientifique indiscutable, y côtoie la Chambre Agricole, corporation des propriétaires fonciers, fondée en 1899, ainsi que l’Union Catholique, société confessionnelle d’ouvriers à Ciudad Guzmán, fondée en 189747. Non seulement le recensement ignore d’autres catégories, mais surtout il ne rend pas compte du nombre réel des organisations actives. En effet, le nombre d’associations existantes à la fin du xixe siècle est sans doute bien plus élevé que celui indiqué, et on peut interroger les raisons de ne pas insérer d’autres groupes d’activité culturelle régulière, dans ce document officiel.

60Entre l’amour de l’art et les sociétés savantes s’étend ce domaine du culturel que la censure porfirienne épargne ; la musique (Club Beethoven, Sociedad de Artistas, Sociedad de Filarmónicos), le théâtre (Sociedad lírico-dramática de San Gabriel), la peinture (Sociedad de Artistas pintores), la langue (avec trois sociétés espérantistes), la littérature et la science, la « culture » (Cultura intelectual, moral y física, Academia Emilio Castelar, Ateneo Jalis-ciense, Los Fauretes, Sociedad de Alumnos del Liceo del Estado, Fiat Lux), servent de points de confluence pour l’apprentissage des pratiques modernes de sociabilité.

61C’est souvent par voie de presse que l’on a des échos de l’existence et du fonctionnement de ces associations « culturelles » : ainsi, pour l’année 1908, il a été possible de recenser 47 organisations actives48. On peut déplorer la pauvre représentation, dans l’information recueillie, des associations siégeant ailleurs qu’à Guadalajara. En effet, seules quelques sociétés actives en dehors de la capitale réussissent à s’infiltrer dans ces réseaux d’information centralisés et centralisants de Guadalajara. Ceci, lorsque l’envergure de leur projet leur permet de se projeter au delà de la dimension locale, comme cette Société lírico-dramática de San Gabriel, qui s’est donnée pour but la construction d’un théâtre.

62Formellement, un certain nombre de ces sociabilités sont vouées aux activités artistiques ; c’est le cas notamment des sociétés musicales comme le Club Beethoven, né en 1908, parmi plusieurs jeunes « des familles les plus distinguées »49.

63D’autres organisations paraissent être les héritières des anciens salons, et on y discute aussi bien d’art que de science et très probablement de politique. C’est le cas de cette société littéraire qui porte le nom d’un écrivain et orateur libéral espagnol, la Academia Emilio Castelar, fondée entre avril et juin 190850. La société avait pour but les discussions scientifiques et la production littéraire. On y trouve surtout des artistes et des étudiants d’ingénierie51, toutes personnes qui seront partie prenante dans les mouvements politiques de la chute du porfiriat, notamment au sein du reyisme.

64Un groupe dont le fonctionnement s’apparente à celui d’une société savante est l’Ateneo Jalisciense, un des cercles de plus grand prestige à Guadalajara et la plus ancienne des organisations actives à la fin du porfiriat, qui s’auto-défi-nit comme une société artistique et littéraire. Ce groupe, intéressé aux arts et aux sciences, fut fondé en 189552 et exista jusqu’à la révolution. En 1907 il a édité la revue du même nom. Il rassemblait des scientifiques et artistes de la « bonne société » de Guadalajara, ainsi que des amateurs, hommes et femmes réunis. De nombreuses femmes prenaient place au sein de cette société qui devait reproduire, à plus grande échelle et d’une manière institutionnalisée, les anciens salons où sans doute les femmes tapatías avaient une participation importante.

65Les actes des séances de l’Ateneo, régulièrement transcrits par El Regional, témoignent de son activité permanente dans la production et discussion autour de questions de musique, sciences et littérature (dans ce dernier domaine il ne manquent pas les créations en langue française)53.

66Vers la fin du porfiriat, en avril 1908, El Ateneo est frappé par des dissensions internes qui mettent en danger son existence54. La querelle entraîne la démission de Tomás V. Gómez, jusqu’alors président de l’organisation, et la réorganisation totale du groupe, qui change de siège55. Les réunions ont désormais lieu chez le docteur Francisco Marrón Alonso. L’Ateneo quitte ainsi un lieu public (le Lycée de l’état) pour se réfugier dans un espace privé, mais garde ses membres les plus actifs, encouragés d’ailleurs par ceux-là mêmes qui en avaient entrepris la réorganisation : Francisco Marrón Alonso, Agustín G. Navarro et José Tomás Figueroa56.

67Ici, encore, des liens apparaissent entre cette association culturelle et un mouvement politique, cette fois le catholicisme politique : un bon nombre des réorganisateurs de l’Ateneo se retrouveront en tant que militants actifs du Parti Catholique National à sa fondation en 1911.

68Parmi ces organisations que l’on peut considérer comme « culturelles », figurent aussi les espérantistes. L’intérêt pour le développement d’une langue internationale est à l’origine du Club Esperantista, de la Sociedad Akademio Morín et de l’Okcidente Esperantisto Societo. L’existence de trois sociétés poursuivant le même but ne semble pas cacher des rivalités au sein de ce courant, mais tout simplement une multiplication des réseaux ; ainsi, en 1908, lors de sa constitution, l’Okcidente Esperantisto Societo exprimait son désir de créer une revue et de l’adresser gratuitement aux membres des autres sociétés similaires déjà existantes57.

69Les espérantistes, du moins ceux réunis au sein de l’Okcidente Esperantisto Societo, semblent attachés à des principes démocratiques : une fois fondée, la société entreprend tout de suite la tâche d’élire ses dirigeants et de rédiger collectivement son règlement58.

L’espace des potentialités : le mutualisme

70Si l’espace du culturel est celui du « permis », l’espace de l’entraide professionnelle est un carrefour de potentiels, dont partiront des contingents essentiels aux mouvements politiques des principales tendances (qu’il s’agisse de l’anarcho-syndicalisme, du catholicisme social ou du libéralisme démocratisant), notamment en milieu urbain. Dans cet espace prend forme une nouvelle solidarité, à partir d’une communauté d’intérêts d’ordre privé, qui structure, quel que soit son fondement idéologique, un combat contre l’individualisme à outrance. D’où le potentiel explosif du mutualisme, dans le cadre d’un régime disposant enfin des moyens de mettre en pratique les principes libéraux. Notamment dans les milieux ouvriers, le mutualisme est une forme d’appropriation graduelle de l’espace public qui, dans l’action, fait reculer les limites établies pour son utilisation.

71C’est dans le champ de l’entraide professionnelle que se joue la question fondamentale du rôle des travailleurs dans les rapports capital-force de travail. Ceci s’exprime dans l’antinomie idéologique et de programme : lutte de classes-conciliation de classes, la première défendue par les socialistes et anarchistes, la seconde par les catholiques sociaux. C’est bien pour cela que le domaine de l’entraide professionnelle est traversé de fond en comble par la problématique de la laïcité-confessionnalité, et que les organisations ouvrières, ces forces sociales naissantes à la politique, deviennent l’objet des convoitises des différentes tendances.

72Si les associations corporatistes ne sont pas un fait nouveau, elles prennent un tournant très significatif de leur histoire avec l’adoption des principes du mutualisme. A la fin du porfiriat, on trouve au Jalisco des mutuelles d’employés du commerce (Sociedad mutualista de dependientes), de boulangers (sociedad mutualista de panaderos SAL), de menuisiers (avec le centre n° 8 de la Gran Liga de Carpinteros), de chauffeurs (Sociedad mutualista de conductores de vehículos), de peintres (Unión de pintores jaliscienses), d’employés de l’enseignement (sociedad cooperativa jalisciense de empleados de Instrucción), ainsi qu’une mutuelle médico-pharmaceutique59. Il existait de même un Círculo recreativo mutualista, espace ouvert aux différentes professions.

73Une des plus anciennes sociétés mutuelles du Jalisco est la Sociedad Mutualista Hidalgo. Fondée le 16 septembre 1890, elle prolonge son existence jusqu’au 7 juin 1909. L’inititative est parrainée dès sa naissance par des hommes politiques et des intellectuels, sous le titre de socios honorarios y protectores ; mais les véritables dirigeants sont à chercher parmi les socios activos y cooperadores. Apparaissent ainsi les noms de Ramón Agredano (directeur du journal critique indépendant El Malcriado), Luis Lobato, Félix L. Maldonado, Manuel Pérez de Acal, Antonio Cruz Ahedo, Aurelio Ortega, Francisco Sánchez Guerrero, José Cabrera, Trinidad Agredano60.

74C’est ici que se forge le caractère du professeur Aurelio Ortega, grand diffuseur des idées anarcho-syndicalistes et père intellectuel du groupe radical Dionisio Rodríguez. En prenant le nom de ce sénateur de la république, défenseur du fédéralisme, un groupe d’étudiants du Lycée de l’état, notamment Miguel Mendoza López S., Ignacio Ramos Praslow et Roque Estrada, s’initie, sous la direction de Ortega, aux textes de Bakounine, Kropotkine, Proudhon et Tolstoï et bientôt commence à établir des liens avec des dirigeants ouvriers61, L’entreprise aboutit, en 1902, à la formation d’une ligue, la Liga de las Clases Productoras62.

75On trouve l’influence directe de ce collectif dans des sociétés comme la Sociedad de Tejedores, celle des carroceros, la Unión de albañiles y canteros, la Liga Socialista, toutes fondées sinon dirigées par l’anarchiste Ramón Morales, membre de la Industrial Workers of the World63. De l’importance de ce groupe témoigne la répression dont ses membres font l’objet de la part du gouvernement de l’état et la suppression immédiate de leur journal Aurora Social, dès son premier numéro, en 1904. La persécution de ces jeunes anarchistes illustre parfaitement ce système de privilèges cher au porfirisme. A ce titre, la tactique du gouverneur Ahumada pour essayer d’arrêter Aurora Social correspond à trois cas de figure tout à fait exemplaires : il tente de détourner les militants du groupe soit, lorsqu’ils étaient des enfants de l’élite, en les faisant réprimander par leurs parents (dans le cas de Mendoza López S.), soit en les faisant incarcérer pour négocier ensuite leur sortie du territoire de l’état (c’est le cas de Morales), soit, sans incarcération préalable, en les faisant expulser de l’état (c’est ce qui arriva à Roque Estrada, considéré probablement comme le plus gênant de tous, mais étant aussi, probablement, le moins protégé par les élites locales)64.

76Or, persécuté, démembré, ce noyau n’a pas pour autant cessé de nourrir secrètement l’opposition radicale à la dictature, et c’est à travers ses fondateurs que les idées madéristes ont fait leur entrée au Jalisco. Compagnonnage de lutte que la répression renforce, ce seront les anciens inconditionnels de Aurora Social, Ignacio Ramos Praslow, Miguel Mendoza López S., qui seront le relais des idées et des projets madéristes transmis par Roque Estrada — devenu, dans son « exil », secrétaire particulier de Francisco I. Madero — à tout un réseau clandestin radical, nourri des anciens membres des mutuelles anarchistes ouvrières65.

77Les grands concurrents des avant-gardes anarchistes auprès des travailleurs sont à l’époque les promoteurs du catholicisme social qui, depuis la fin du xixe siècle, encouragent la formation d’organisations ouvrières et artisanes d’entraide66.

78L’antécédent le plus important dans Jalisco, et peut-être au niveau national, des organisations mutuelles d’inspiration religieuse, est le projet pionnier mis en œuvre à Ciudad Guzmán par le curé Silviano Carrillo67. Carrillo arrive à Ciudad Guzmán en juillet 1895 en tant que curé intérimaire. Deux ans plus tard voyait le jour la Unión Católica de Obreros (UCO), qui se développera avec succès jusqu’à la fin du porfiriat68. Cette même année, Carrillo créait des ateliers dépendants de la UCO, « véritable école d’arts et métiers pour jeunes de familles pauvres »69.

79À la fin du porfiriat, les œuvres de Carrillo sont, avec la reconnaissance que leur apporta le troisième Congrès Catholique (Guadalajara, 1906), florissantes. A partir de 1907 Carrillo multiplia les initiatives, avec en premier lieu la création de la Sociedad Mutualista Católica de Artesanos. En 1908, cette société et la UCO regroupent chacune, aux dires de la presse catholique, plus de cinq cents membres70.

80La même année, Carrillo s’attelle à la tâche de fonder une organisation catholique féminine : La Sagrada Familia, finalement constituée le 23 avril71. La formation d’un groupe féminin, sous tutelle masculine, aiderait, selon la presse confessionnelle, à « la conservation des croyances chrétiennes », aussi bien qu’à « libérer la femme de mille dangers »72. Pas plus les organisateurs que les diffuseurs du projet ne songeaient sans doute au fait que la femme serait par là même plongée dans des pratiques modernes de sociabilité. Pour eux, en effet, la femme n’est que cette

« portion de l’humanité si exposée a être trompée et pervertie par l’homme, et qui, de par sa propre faiblesse, tend à traverser les pires dangers et à tomber dans les plus profonds abîmes »73.

81Il était prévu que la nouvelle société travaille sous la devise Charité, et non philanthropie, ce qui accentuait le caractère « ouvertement catholique » du groupe, par opposition à

« l’altruisme païen qui, s’il tire l’homme de son égoïsme, le plonge dans un autre, puisqu’il fait le bien à ses semblables, par ce qu’il retrouve en eux de lui-même »74.

82Quelques années plus tard — et à peine quelques mois avant la chute du gouvernement de Díaz —, le 15 janvier 1911, Carrillo fonde la coopérative masculine Francisco Arias y Cárdenas75 ; et à la fin de cette même année, la Sociedad del Niño Dios, association féminine de bienfaisance76.

83Par ailleurs, Carrillo fonde et dirige trois périodiques : La Unión Católica — publiée de 1900 à 1905 —, La Luz de Occidente — de 1906 à 1914 — et La Fraternidad (devenue plus tard El Trabajo)77.

84Le travail de Carrillo, un des précurseurs de l’action sociale, non seulement dans Jalisco mais au Mexique, semble être le travail d’un homme, épaulé sans doute par son supérieur — lorsque J. de Jesús Ortiz arriva à l’archevêché de Guadalajara —, mais surtout le fruit d’une démarche individuelle, dont l’importance apparut aux yeux des catholiques de l’état et du pays lors des congrès catholiques nationaux, apportant à son créateur la reconnaissance et l’encouragement du milieu catholique78. Ceci expliquerait par ailleurs la multiplication de ses initiatives dans les années 1907-1911. Ce projet pionnier a pu servir de modèle à d’autres œuvres sociales aussi bien dans la région de Guadalajara que dans d’autres régions.

85Ce qui était une expérience pionnière à Ciudad Guzmán, devient une politique globale de l’archevêché de Guadalajara avec l’arrivée à sa tête de José de Jesús Ortiz, en mars 1900. Ortiz a voulu mettre en valeur les principes de l’action sociale, s’est attaché à la diffusion des idées de Léon XIII et s’est adonné à la constitution d’organisations ouvrières selon ces principes. Il devançait en cela les recommandations du premier Congrès Catholique National, célébré à Puebla du 20 février au 1er mars 1903, conseillant la constitution de cercles ouvriers. Déjà en 1902, Ortiz avait fondé à Guadalajara la Asociación Guadalupana de Artesanos y Obreros Católicos. Peut-être s’agit-il de la même société qui, sous le nom de Sociedad de Obreros de Nuestra Señora de Guadalupe y de la Sagrada Familia, se réunissait encore en 190879. Cette société — explique El Regional — permet aux malades d’avoir gratuitement une assistance médicale, de recevoir un secours alimentaire, et de participer à une caisse d’épargne80.

86Une part non négligeable de paternalisme accompagne les activités de cette société, dont Ortiz s’occupe personnellement et dont les buts sont non seulement explicitement d’ordre caritatif, mais aussi moralisant :

« il s’agit d’instruire l’ouvrier dans les vérités de notre sainte religion ; [...] de lui inculquer une grande horreur du pêché ; qu’il dépense en œuvres saintes le jour du Seigneur ; qu’il donne un bon exemple à sa famille [...] qu’il pratique la charité envers son prochain ; qu’il lui apprenne la façon dont il doit se conduire dans son travail et envers ses patrons ; qu’il reste loin de ces désordres aujourd’hui à la mode qu’on appelle grèves [...] »81.

87Le cas précédent est un bon exemple du fonctionnement des mutuelles catholiques dans l’état, parmi lesquelles se comptent La Sagrada Familia, la Sociedad Mutualista Católica de Artesanos, la Unión Apostólica de Sacerdotes Seculares82, la Unión Católica de Obreros, la Sociedad Mutualista del Señor San José, et la coopérative Divina Providencia, fondée en 1910 pour aider les familles des prêtres décédés83, premières représentantes d’une tendance qui se développera rapidement et avec beaucoup de force dans les années à venir84.

88Le bras droit d’Ortiz et son continuateur dans l’action sociale à Guadalajara fut le P. Antonio Correa85. Par ailleurs, le projet de la colonia obrera (le quartier ouvrier), dans Guadalajara, dont la réalisation est également à mettre à l’actif d’Ortiz, fut possible grâce à la collaboration de trois laïcs : l’ingénieur Nicolás Leaño et les avocats Celedonio Padilla et Miguel Palomar y Vizcarra86.

La bienfaisance. Philanthropie et charité

89Le domaine de la bienfaisance est lui aussi empreint du dilemme confessionnalité-laïcité. La bienfaisance est un espace à prendre ; il peut l’être avec les outils chrétiens de la charité ou bien avec ceux que lui oppose la laïcité sous le principe de philanthropie. Ainsi, parmi les groupes confessionnels, il faut surtout prendre en compte les Conférences de Saint Vincent de Paul, alors que ni la Junta de Beneficencia Hilarión Romero Gil, ni la Asociación de Madres Mexicanas, ni l’association Nicolasa Luna de Corcuera ne sont liées à aucune croyance religieuse de manière explicite.

90Le développement de la bienfaisance confessionnelle à la fin du porfiriat est étroitement lié à la personne de l’archevêque de Guadalajara. En effet, José de Jesús Ortiz encourage les associations qui à son arrivée dans l’état fonctionnaient déjà, la Sociedad Josefina et les Conférences de Saint Vincent de Paul.

91La Asociación del Culto Perpetuo de Sr. San José, mieux connue comme Sociedad Josefina, avait pour but l’extension du culte de saint Joseph ainsi que l’encouragement des vocations ecclésiastiques. En outre, elle portait secours aux curés dans le besoin et publiait une revue mensuelle, El Josefino87.

92La Société de Saint Vincent de Paul — fondée en France, en 1833, par Frédéric Ozanam —, est l’organisation de bienfaisance la plus importante du porfiriat. Ses activités étaient essentiellement liées à l’aide matérielle aux familles, à la catéchisation des enfants et à la moralisation des adultes88 ; mais elles comprenaient aussi des activités éducatives, telle cette école gratuite pour adultes, rouverte en mars 1908, et qui s’adressait aux « artisans, ouvriers, colporteurs, etc. »89 Nul doute cependant que l’aspect essentiel des conférences était le fait d’ouvrir la voie à 1’ « apostolat laïc », en acceptant que les laïcs assument des responsabilités réservées auparavant au seul clergé.

93Leur succès dans le Jalisco semble avoir été considérable, en particulier auprès des femmes. En effet, au début du siècle, selon Manuel Plasencia, la branche féminine était la plus nombreuse, avec 16 conférences à Guadalajara et 31 dans le reste de l’état. Cet auteur parle de plus de 5 000 associées dans la capitale et de plus de 10 000 pour le réseau jalisciense en dehors de Guadalajara90 C’est d’ailleurs grâce à Plasencia que l’on apprend l’importance de cette branche des Conférences, dont les quotidiens de l’époque ne font pas état. Curieuse situation où la participation des femmes aux associations est encouragée, en général bien vue, mais dont on écrit et parle peu.

94El Regional illustre parfaitement cette attitude, ne mentionnant jamais l’existence de la branche féminine de l’organisation, alors même que son directeur, Daniel E. Acosta, est un membre des Conférences. En revanche, en ce qui concerne la branche masculine, le 2 avril 1908, le même journal publie, sous la forme d’une lettre, une incitation aux hommes et aux jeunes gens de la « bonne société », à se joindre à cette entreprise91. Il s’agissait de recruter des nouveaux adhérents pour les 18 conférences masculines déjà actives dans Guadalajara92.

95Le domaine de la charité s’illustre donc par une discrétion notoire en ce qui concerne la participation des femmes aux bonnes œuvres, contrairement à celui de la philanthropie, où elles font l’objet d’une médiatisation importante. On apprend ainsi la création de la Asociación de Madres Mexicanas93, qui s’inscrit dans un réseau national et réunit des mères de famille de l’élite tapatía94.

96L’association a défini dès sa fondation ses commissions de travail, dont la plupart s’attachent à l’éducation et à la bienfaisance. Elle s’est dotée parallèlement de quelques membres honoraires, dont l’archevêque Ortiz et le gouverneur Ahumada. Quoi de plus institutionnel que cette association qui naît parrainée simultanément par le gouvernement de l’état et par l’archevêché de Guadalajara !

97C’est à travers une association comme celle-ci, ou encore comme la Nico-lasa Luna de Corcuera, que l’on saisit l’un des apports centraux de la vague philanthropique : l’incorporation des femmes aux réseaux de sociabilité de bienfaisance dans un cadre laïc.

2.3. Des domaines dans l’ombre

Les femmes : entre conventionnalisme et participation

98La participation des femmes à la vie associative du Jalisco s’élargit considérablement dans les premières années du xxe siècle. Cette participation a lieu souvent dans le domaine des arts et de la culture, dans lequel de nombreuses femmes participent à des projets, comme El Ateneo Jalisciense.

99Par ailleurs, tout au long du porfiriat, par le biais de la bienfaisance et du mutualisme, les femmes sont sorties (sans pour autant l’abandonner) de leur sphère traditionnelle d’action au sein de la famille95 pour devenir actrices sociales dans des espaces moins restreints. Des échos imprécis de leur action et quelques noms émergent parfois : Maria Arcelia Díaz, dirigeante ouvrière dans la branche textile96 ; les sœurs Laura et Atala Apodaca, à l’École Normale pour femmes de Guadalajara — seul lieu de formation supérieure des femmes à l’époque —, toutes madéristes de la première heure, dont malheureusement on connaît mal les activités d’avant 1910.

100Vers la fin du porfiriat, des femmes réussissent enfin à faire des incursions dans cet espace tabou qu’est le politique. Ainsi, en 1909, sans qu’aucune association n’apparaisse publiquement, des femmes dont malheureusement on ignore l’identité, ont pris la décision de rendre publique leur adhésion politique au général Bernardo Reyes en portant l’œillet rouge, emblème du mouvement. Elles font part de leur décision dans une lettre au journal reyiste El Globo : « on nous verra bientôt dans les arcades, théâtres, etc. portant la fleur ou le ruban rouge »97 signe distinctif dont ce même journal, quelques jours auparavant, recommandait le port aux adeptes de Reyes.

101Ces femmes, qui tiennent à faire connaître publiquement leur engagement politique, craignent en même temps un débordement de l’enthousiasme masculin qui puisse franchir les barrières conventionnelles des rapports entre sexes ; elles supplient ainsi le directeur du journal,

« de recommander aux enthousiastes Reyistes de cette capitale, de ne pas faire de démonstrations de joie lorsqu’ils nous verront avec notre insigne rouge, puisqu’il sera pour nous très gênant d’être l’objet de l’attention publique »98.

102Tout en voulant être bien identifiées en public, ces femmes ont choisi de rester anonymes dans leur lettre, qui était signée varias Sritas. Reyistas.

103Ainsi, à la veille de la révolution, des femmes de différentes origines sociales s’insèrent activement dans la vie associative de l’état, repoussant sans cesse les limites traditionnellement posées à leur participation dans plusieurs domaines. Toutefois, les empreintes de leur passage sont en général bien plus discrètes et beaucoup moins amplifiées que celles des hommes.

La franc-maçonnerie et la politique : le secret de Polichinelle

104La franc-maçonnerie reste un des sujets les moins explorés de l’histoire mexicaine, en partie à cause de la rareté des sources accessibles au chercheur profane 99 Jean-Pierre Bastian insistait en 1995 sur cette absence, et le fossé n’a pas été comblé depuis100 De surcroît, le sujet ici abordé se situe au croisement de deux perspectives, la première décennie du xxe siècle et la région, elles-mêmes insuffisamment explorées101. Toutefois, les quelques fonds disponibles sur la franc-maçonnerie permettent aujourd’hui d’ajouter quelques lignes au portrait quasi inexistant de la franc-maçonnerie du Jalisco, ou plutôt, pour reprendre les termes de Bastian, des franc-maçonneries du Jalisco102.

105Car, en effet, la franc-maçonnerie de l’époque porfirienne est loin de constituer un bloc homogène : en son sein se développent, ou se créent, ces véritables failles qui traversent ce « camp libéral », souvent trop hâtivement présenté comme un bloc, qui prennent une importance capitale dans l’organisation de l’opposition au régime à la fin de la dictature103. Malgré les efforts de Porfirio Díaz pour unifier la franc-maçonnerie sous son contrôle, des scissions surviennent très rapidement. Elles abritent souvent la résistance au régime unipersonnel : en 1883 naît la Gran Logia de Libres y Aceptados Masones, en 1890 le Rito Mexicano Reformado, qui s’établissent comme des espaces de sociabilité concurrents au Rito Nacional et surtout à la Gran Logia Valle de México 104.

106En 1909, au moins deux de ces tendances rivales étaient présentes sur le sol du Jalisco : celle représentée par la Gran Logia Valle de México et celle représentée par la Gran Logia Unida de Libres y Aceptados Masones del Distrito Federal105.

Image

Les données ayant servi à l’élaboration de cette carte ont été extraites des documents conservés dans AGN, SGC, Masonería, exp. n° 233-A et de José Guadalupe Zuno, op. cit. et ne prétendent pas êtres exhaustives.

107La première, qui apparaît organisée nationalement en treize districts, était représentée au Jalisco par J.-P. March, élu « député » en avril 1909. March était originaire des États-Unis, tout comme la plupart des députés de la Gran Logia Valle de México, élus à cette même occasion106.

108D’autre part, deux loges actives dans l’état se plaçaient sous la juridiction de la Gran Logia Unida de Libres y Aceptados Masones del Distrito Federal : Girondinos, à Guadalajara et G. Montenegro, à Sayula. Ailleurs, plusieurs loges « en cours de reconstitution » étaient aussi sous sa juridiction : Florencia y Cairo107, à Ahualulco ; Benito Juárez, à Tlajomulco ; Honor al Saber, à Colotlán ; Juan C. Bonilla, à Zacaltan108. Très probablement la reconstitution de ces loges est liée à la poussée du mouvement reyiste, dont une importante phase d’organisation a eu lieu pendant le printemps 1909109. Dans la mesure où c’est au sein de la loge Girondinos que germe à Guadalajara une importante opposition au régime de Díaz, reyiste d’abord, madériste ensuite110, il est possible de supposer que les ateliers affiliés à la Gran Logia Unida représentent au Jalisco cette « nouvelle franc-maçonnerie » (par opposition à l’ « ancienne franc-maçonnerie »111, inconditionnelle de Díaz) d’où est sortie en partie l’opposition libérale à la dictature. Malheureusement, l’information disponible reste encore très fragmentaire, et on ne peut ébaucher qu’un panorama extrêmement minimal de ce « réseau pré-politique » — pour emprunter un terme de Jean-Pierre Bastian — au Jalisco112.

109Si l’image de la franc-maçonnerie comme un bloc est encouragée par l’historiographie libérale, elle est également renforcée par ses ennemis qui, pour condamner le principe même de son existence, lui nient toute diversité. Cela est important dans la mesure où l’on entend plus souvent parler de la franc-maçonnerie par ses détracteurs que par ses propres membres à cause du caractère secret de cette organisation. On connaît donc beaucoup plus les craintes qu’elle inspire que ses propres œuvres, cependant que les attaques dont elle fut l’objet donnent parfois quelques indices sur sa vie interne. Ainsi est-il possible de supposer un élan rénovateur des loges dans le courant de l’année 1908, moment où la presse catholique de l’état, en récupérant des arguments d’auteurs étrangers, lance une série d’attaques en règle contre la franc-maçonnerie.

110La campagne débute le 12 juin 1908, avec la reproduction, par El Regional, d’une série d’articles du livre du jésuite Juan José Franco, rédacteur à La Civilà Catolica, Masón y Masona según los documentos de los sectarios. Ce même journal venait de publier le premier tome de cet ouvrage113. Le livre avait été écrit à Rome en 1888. Le fait que vingt ans plus tard ce journal de Guadalajara prenne le soin d’éditer sa traduction et de reproduire ses articles — sans doute pour s’assurer qu’il atteindrait un public plus large — n’est pas le fruit du pur hasard.

111On y trouve, notamment, cette présentation de la franc-maçonnerie comme une sorte de boîte de Pandore :

« Dans les temps présents, le plus pernicieux désastre qui menace la société, ce n’est pas l’abrutissement des passions, ni même l’impiété de l’athéisme, ni le communisme social, mais la franc-maçonnerie, abîme des abîmes, qui réunit tous les désastres114. »

112L’imbrication entre franc-maçonnerie et politique (que ce soit pour le soutien du régime porfirien, ou bien pour la formation d’une opposition) est, pour les contemporains comme pour l’historien, un véritable secret de Polichinelle ; or, cette évidence de premier abord, répétée sans vérification possible, recèle une réalité sur laquelle l’historien a, encore, peu de prise115.

3. Presse et opinion publique

113Les vicissitudes de la presse dans son ensemble permettent de mesurer la volonté de l’état de contrôler l’opinion et l’espace publics, ainsi que la diversité et l’efficacité des moyens employés à cette fin. Le niveau de réussite sur ce point éclaire le rapport de forces entre le pouvoir en place et la société civile.

114Il est possible ainsi de voir en quels termes et dans quelles conditions les « Pouvoirs publics » et le « quatrième pouvoir »116 se sont mesurés et quelles conceptions ont pris le dessus dans chacun des cas considérés.

115L’attitude de l’état vis-à-vis de l’ « opinion publique » est révélatrice de la relation qu’il entend instaurer avec l’ensemble de la société et dévoile son degré d’autoritarisme tout comme sa capacité de contrôle.

3.1. Les gouvernements libéraux et la presse, des amours tourmentées

116Les libéraux, qui soutenaient par principe l’exercice d’un journalisme sans entraves, sont confrontés aux activités d’une presse déstabilisatrice. En effet, un des grands casse-tête des gouvernements libéraux préporfiriens fut leur relation tourmentée avec une presse libre et souvent hostile. Sont restés illustres, au niveau national, l’exemple du gouvernement de Lerdo de Tejada, sans cesse ridiculisé et caricaturé et, au Jalisco, celui de l’administration du juriste Ignacio L. Vallarta.

117Fort de cette expérience, Porfirio Díaz agit de façon pragmatique, à la recherche d’une consolidation rapide de son pouvoir pour laquelle la stabilité politique était indispensable. Ainsi, si l’on tient compte des conditions d’existence de la presse au Mexique pendant le xixe siècle, à partir de l’indépendance, et particulièrement sous la República Restaurada, l’instauration et la consolidation du régime porfirien signifient un renforcement du contrôle de l’espace public par l’état et, par conséquent, une diminution de la liberté et de la marge de manœuvre de la presse.

118Tout cela s’exprime dans le cadre d’une sorte de croisade nationale pour la paix et d’une action de concertation très large qui « exige » le sacrifice des attitudes extrêmes sur l’autel de la pacification et de la stabilité. C’est ainsi que la notion de « patriotisme » prend un contenu porfirien particulier et devient, en la matière, l’exercice modéré de la liberté de la presse. Le patriotisme y est entendu surtout comme le respect voire le culte de la nation, incarnée par son dirigeant suprême, Porfirio Díaz.

119Le régime de Díaz se démarque donc nettement de celui de ses prédécesseurs et fait preuve d’un grand pragmatisme en matière de contrôle de l’espace public qu’il a le souci de gérer d’assez près. Pour ce faire il profite, comme dans tant d’autres domaines, de la marge de manœuvre assez large que la société en son ensemble lui a laissé prendre sous couvert des besoins de pacification et de maintien de l’ordre. Non pas l’état, mais Díaz, son pouvoir personnalisé, et donc ses représentants personnels (gouverneurs, chefs politiques et toute la pyramide du pouvoir) exercent un contrôle strict sur l’espace public aussi bien traditionnel que moderne.

120Par rapport à la presse, la politique porfirienne adopte deux fils conducteurs : d’une part une tolérance apparente et, d’autre part, des limites bien précises à la liberté d’expression, qui reposent sur le spectre de la répression.

121En même temps, le régime choisit de participer pleinement à la formation de l’ « opinion publique ». Ainsi, le quotidien national officieux117 El Impar-cial, lié au groupe surnommé les científicos et premier quotidien à tirage industriel dans le pays, profitait des subventions gouvernementales118. Tout comme El Imparcial, dans les divers états de la République, le journalisme officieux s’empresse de prêter ses services au pouvoir en place, même si à ce niveau on constate certaines variations, ne serait-ce que parce que les gouverneurs ne sont pas restés aussi longtemps en poste que Díaz à la Présidence.

122Cette politique a pour conséquence la délimitation bien nette d’un espace officieux, plus ou moins subventionné par l’état, et la création d’une « opinion officielle » face à laquelle le reste des créateurs d’opinion prenait sa propre place. Voici donc le premier grand clivage que l’on perçoit dans la presse de l’époque porfirienne.

123Dans les rapports entre l’état et la presse, on reconnaît des traits du régime porfirien qui sont communs à plusieurs niveaux de sa politique ; on retrouve aussi les fractures de la classe dominante. El Imparcial est le journal qui marque le ton à suivre par l’opinion officielle. Cependant il ne s’agit pas du journal officiel, mais de celui d’un groupe très influent : les científicos. Ainsi, s’il est proche de Porfirio Díaz, il n’est pas non plus son émanation directe. D’autres membres de l’élite au pouvoir — les reyistes, par exemple — ont créé ou appuyé, avec plus ou moins de succès, des publications périodiques. Les attaques au régime qui vers la fin de la dictature se dirigent contre El Impartial sont, comme souvent les critiques exprimées, adressées non pas à Díaz mais aux hommes de son entourage, fréquemment aux científicos.

124Un élément commun à l’ensemble de la grande presse de l’époque est un apparent soutien au régime, ou du moins un apparent respect sinon une vénération de la figure de Díaz, ce qui n’était, dans certains cas, peut-être qu’une stratégie de survie. La dissidence est souvent subtile, mais non pas moins importante pour cela ; dans des cas rares et osés, les formalités de respect à Díaz sont laissées entièrement de côté119.

125Les termes dans lesquels l’archevêque Ortiz formule sa recommandation au clergé et aux fidèles catholiques de la lecture du quotidien El Regional, suggèrent quelles étaient les règles d’or de l’exercice du journalisme. Ortiz résume ainsi les activités du journal :

« critère nettement catholique, respect sincère des lois en vigueur et des Autorités constituées, abstention totale de ce qu’on appelle politique locale, défense énergique, raisonnée et respectueuse de la doctrine et des droits de l’Église, guerre sans répit à l’erreur dans les limites de la charité et de la justice »120.

126On comprend aisément pourquoi Aurora Social, le journal anarchiste paru en 1904, ouvertement opposé au régime de Díaz, s’est vu supprimé dès son premier numéro.

127Même à l’intérieur du discours accepté, le seuil de tolérance du régime est rapidement atteint et les persécutions des journalistes ne sont pas rares, de même que les fermetures des journaux et les confiscations des presses121. Ainsi, quelqu’un de beaucoup plus conventionnel que ces anarchistes, Francisco Navarro, directeur du journal La Libertad, dont la critique ne fut jamais virulente, a-t-il eu lui aussi à subir des exactions.

128En même temps, une relation plus complexe que la répression pure et simple s’établit entre la presse indépendante et le régime : pourquoi, notamment, celui-ci ne s’est-il jamais défait physiquement de journalistes trop dérangeants comme le célèbre Filomeno Mata122 ? Tout d’abord, le régime de Díaz se veut à la hauteur des régimes de l’Europe occidentale de l’époque, — des régimes hypo-thétiquement « civilisés et respectueux des libertés » —, ce qui ne veut pas dire forcément démocratique. Ensuite, dans sa conception de la justice et du maintien de l’ordre, ce régime a toujours adopté un système de privilèges et les opposants politiques recevaient un traitement différencié selon leur origine sociale. Ainsi, si l’état porfirien se permet d’écraser des ouvriers et d’exterminer des Indiens yaquis ou mayas, les élites insoumises méritent seulement l’emprisonnement. Les exemples sont d’ailleurs nombreux : ils vont de Filomeno Mata à Francisco I. Madero en passant par Camilo Arriaga ou José López-Portillo y Rojas123.

129Dans son rapport avec la presse, le régime porfirien a accompli — peut-être malgré lui — de même que dans le domaine de l’exercice du vote, une tâche essentielle de pédagogie modernisatrice : en stimulant une opinion publique fictive, il a généré dans certaines couches de la société le besoin d’une « opinion publique » plus large et représentative de leurs intérêts. Ceci est un phénomène que l’on peut bien observer dans le Jalisco et particulièrement à Guadalajara.

130Ainsi à l’intérieur de cet espace restreint, on constate l’existence d’une opinion publique moderne complexe, malgré tout bien consolidée et abritant les tendances les plus diverses.

3.2. Presse et tendances politiques

131Vers la fin du porfiriat, on édite à Guadalajara presque cinquante publications périodiques, et ceci malgré la crise économique que le pays entier a à subir à partir de 1907124. Ce chiffre témoigne d’une activité journalistique intense et suggère un débat non moins riche à travers la presse, même si une partie de ces publications n’a eu qu’une existence éphémère.

132Plusieurs classements de ces journaux sont possibles et la grande presse les illustre de façon tout à fait éclairante. Si on tient compte de leur rapport avec le pouvoir politique, deux grandes catégories se dessinent : les journaux officieux — dont El Correo de Jalisco, La Gaceta de Guadalajara constituent les meilleurs exemples — et la presse indépendante — dont les représentants majeurs sont La Libertad, El Regional, Jalisco Libre et El Globo.

133À l’intérieur de ces deux catégories il existe des différences significatives. Ainsi, quant à la presse officieuse, il faut préciser que, d’une part, El Correo de Jalisco paraît relié au gouvernement de l’état (on pourrait donc le qualifier d’ahumadista), tandis que, de son côté, La Gaceta de Guadalajara semble être une sorte de Imparcial régional, dont par ailleurs elle devient le correspondant en 1908. La Gaceta subit régulièrement, dès lors, les piques du journalisme indépendant, qui n’a de cesse de la signaler comme complice de El Imparcial125.

134Quant à la presse indépendante, ce sont plutôt des différences idéologiques qui la traversent, différences qui mènent au second grand classement possible des journaux.

135En effet, si on tient compte de leur « profession de foi », les journaux officieux peuvent être regroupés avec Jalisco Libre et La Libertad, puisqu’il s’agit de journaux « libéraux » face à El Regional, représentant de la presse catholique et donc le seul quotidien qui ne se réclame pas de la « famille libérale »126.

3.3. Hétérogénéité de la presse libérale

136La présence, parmi ces « libéraux », de différents titres — quatre pour la grande presse —, est une preuve précisément de la division de cette « famille » et montre à quel point il serait naïf de les considérer comme appartenant à une seule mouvance politique. Elle témoigne aussi de la diversité des tendances et des forces politiques à l’intérieur de la société porfirienne dite couramment libérale et parfois considérée comme un bloc homogène. Ainsi, il faut en premier lieu faire le point sur les intérêts et tendances représentés par chacun de ces journaux.

137Le premier qui mérite d’être distingué est La Libertad, journal que l’on peut classer parmi les contestataires. La Libertad est au Jalisco ce que El Diario del Hogar a été pour l’ensemble du Mexique. La ténacité et la force de Francisco L. Navarro, fondateur du journal en 1898 et son directeur jusqu’à sa mort, après la chute de la dictature (en 1914) est, dans sa dimension régionale, comparable à celle du célèbre Filomeno Mata.

138Ainsi, Navarro a combattu la dictature de Porfirio Díaz en luttant contre le culte de sa personnalité (un bel exemple en est la réfutation de la comparaison entre César et Díaz que fait le journal étasunien The Nation, en jouant sur le paradoxe de les présenter comme dictateurs et démocrates127) ; en critiquant la politique économique et internationale, que ce soit pour signaler que « Le gouvernement [...] se préoccupe peu des Mexicains »128 ; ou bien à propos de l’affaire de la Bahía Magdalena129 ; le gouvernement des científicos130 ; le centralisme131. De même, il a incité à l’exercice des droits politiques constitutionnels132 et, dans les dernières années du porfiriat, a promu activement les mouvements citoyens de participation politique ouverte133.

139Si La Libertad n’a pas eu la radicalité de El Diario del Hogar, il faut sans doute en chercher la cause dans l’ambiance politique, sociale et culturelle propre à Guadalajara, moins propice à l’époque à la radicalité que celle de la capitale du pays. Il faut remarquer toutefois que cela n’a pas épargné à Navarro les persécutions, l’emprisonnement (en 1910) et la confiscation des presses de son journal. Tout cela témoigne, au-delà de ses écrits, de son opposition au régime.

140La Libertad constitue, d’autre part, un sérieux effort pour une presse alternative qui est loin de se réduire à une prise de position politique. Ainsi, on y trouve aussi bien une rubrique nationale et internationale, que des nouvelles de l’intérieur de l’état, des annonces et publicité diverses. Le journal « dialogue » avec ses collègues d’autres états, discute les positions de la presse nationale aussi bien qu’internationale. C’est peut-être cela aussi qui explique sa consolidation, son succès auprès du public et le prestige qu’a entouré Francisco L. Navarro tout au long de sa carrière. Le libéralisme de ce journal (il le suggère déjà dans son nom) est d’un ordre tout à fait différent de celui de la presse officieuse, à laquelle il s’est souvent confronté. Il s’agit surtout des libertés individuelles et des principes qui s’inscrivent dans la tradition humaniste des « lumières » et de la révolution française. La Libertad est ainsi le journal « libéral » dans le sens le plus philosophique du terme.

141Bien que d’une toute autre façon, Jalisco Libre peut aussi être considéré comme un journal d’opposition. Ce journal a en effet été crée au début du xxe siècle par Cipriano C. Covarrubias afin de combattre l’administration de Luis del Carmen Curiel, gouverneur du Jalisco jusqu’en 1906134.

142Il s’agit donc d’une opposition à un groupe politique particulier et non pas d’une contestation globale du régime porfirien, comme dans le cas de La Libertad.

143Jalisco Libre est par ailleurs un bon représentant de la mentalité libérale porfirienne en matière sociale135, ce qui ne l’empêche pas d’être un défenseur de la liberté de la presse et souvent solidaire des journaux plus combatifs. Ainsi, par exemple, le 13 novembre 1907, la rédaction se solidarisait avec El Diario del Hogar, en s’indignant de 1’ « erreur judiciaire » (entre guillemets dans le texte) qui avait conduit à l’incarcération de son directeur, Filomeno Mata, dont on demandait la libération136.

144Ainsi, convient-il de distinguer deux sortes de journalisme libéral d’opposition : celui qui pratique une opposition de fond vis-à-vis du système en général et celui qui s’oppose d’une façon plus superficielle, à un groupe politique particulier. A ceux-ci il faut ajouter la presse d’opposition catholique, opposition dont il s’impose de préciser la nature.

3.4. Catholicisme et presse

145La presse catholique, tout en contribuant au culte de la personnalité du dictateur, oppose cependant une critique tenace aux fondements idéologiques et historiques du régime. Sa manière d’agir peut être considérée sans aucun doute comme politique. Ses attaques sont dirigées régulièrement contre le libéralisme, le positivisme et la franc-maçonnerie.

146Ainsi, on ne saurait s’étonner, par exemple, de sa position au sujet de la personnalité de Gabino Barreda, disciple d’Auguste Comte et introducteur du positivisme au Mexique, accusé d’ignorance crasse137, l’ignorance étant en fait un des termes préférés de cette presse pour disqualifier les libéraux138.

147Le positivisme et la franc-maçonnerie étaient parmi les cibles préférées de la presse catholique ; le premier était ainsi qualifié de :

« périmé et ridicule, comme les modes de Paris qui, lorsqu’elles passent là-bas sont exportées vers l’Amérique [...]. Ainsi le positivisme : c’est une loque anachronique en Europe et maintenant... même les étudiants de la Preparatoria vocifèrent dans les rues de Mexico à sa louange, insultant, naturellement, la vérité catholique »139.

148Pour leur part, les attaques contre la franc-maçonnerie reposaient souvent sur la critique de la politique anticléricale, dont on prend comme exemple majeur les actions menées en France autour de la séparation de l’Église et de l’état. Les loges étaient qualifiées de « tyranniques »140.

149Sans se contenter de critiquer, cette presse proposait en contre-modèle les principes du catholicisme social, dont elle diffusait les idées, particulièrement le principe de la conciliation de classes fondée sur un comportement « chrétien » des travailleurs et la charité des patrons.

150Les pages de El Regional sont souvent consacrées à l’exposition des fondements de ce courant, spécialement en ce qui concerne l’éducation des ouvriers. C’est ainsi que nous pouvons lire des éditoriaux intitulés, entre autres : « L’apostolat ouvrier » (25 avril 1908), « Le bonheur de l’ouvrier, en quoi consiste-t-il ? » (2 mai 1908), ou bien « L’instruction adéquate de l’ouvrier » (16 mai 1908).

151Des textes, tous, adressés directement aux ouvriers sous une forme qui cherche à être didactique et convaincante et qui exposent des arguments d’ordre moral et religieux.

152Ainsi, tout en se définissant par son opposition idéologique au libéralisme, d’une façon très classique, El Regional de la fin du porfiriat apparaît déjà largement pénétré par les idées du catholicisme social qui non seulement autorise, mais incite l’ouvrier à l’appropriation d’espaces collectifs sujets déjà à forte concurrence.

3.5. Vers une radicalisation de la presse indépendante

153Avant la révolution, c’est sans aucun doute le quotidien La Libertad qui incarne au Jalisco l’opposition la plus persistante au régime et celui qui travaille le plus à la dynamisation de la société, tant sur le terrain des idées que sur celui des attitudes politiques. Dans ses éditoriaux, les incitations à l’éveil de la conscience accompagnent, souvent, l’évaluation du régime porfirien. Ainsi, par exemple ce bilan de trente-trois ans de porfiriat que le journal propose dans son éditorial du 10 janvier 1908, à partir de considérations sur la qualité de la vie des travailleurs qui, en outre, dépassait le domaine de la critique, pour suggérer la nécessité de l’intégration de cette partie de la société à l’opinion : « Nous ne répondrons pas, c’est aux artisans et aux journaliers de le faire [...] »141.

154La Libertad fait partie de cette presse qui entend jouer un rôle dans la formation de la citoyenneté et qui se conçoit comme un élément fondamental pour l’évolution du pays. Dès lors, ses éditoriaux visent à créer ou développer la conscience politique du lecteur et l’incitent à dépasser la critique passive et à entreprendre des actions en accord avec cette conscience. Le journal joint à la critique du régime celle des gouvernés, en invitant toujours ces derniers à l’action :

« A notre avis, parmi les causes de l’état déplorable dans lequel nous nous trouvons, certaines sont dans le gouvernement et les autres dans les classes nécessiteuses elles-mêmes142. »

155Dans cette même ligne d’incitation à la prise de conscience citoyenne s’inscrivent les considérations sur les limites du devoir d’obéissance des « subalternes » :

« Tous les tyrans l’ont été parce qu’ils ont toujours trouvé des esclaves prêts à faire l’éloge des passions sataniques de leurs maîtres143. »

156L’argument était illustré par une allusion au monde de la Rome antique, qui visait, sans doute, en passant, la cour des intellectuels porfiriens :

« Pourquoi [Néron] aurait-il cessé ses empoisonnements et ses assassinats, alors que Lucain et Sénèque furent les panégyristes de son parricide144 ? »

157Si La Libertad constitue un exemple fort intéressant, par sa cohérence et sa solidité, de l’expression d’une presse d’opinion, la conception de la presse comme « formatrice de citoyens » était une idée commune aux journalistes de l’époque, qui s’est renforcée vers la fin du porfiriat. Une preuve de cet état d’esprit est la mobilisation des journalistes indépendants de plusieurs états de la fédération, autour de la constitution de la Asociación de Prensa de los Estados, dont la création est annoncée au public en juillet 1908, et dont le premier article des statuts se proposait de : « diffuser parmi les masses la connaissance de leurs droits et devoirs »145.

158Le commentaire que Jalisco Libre faisait à cette occasion rappelle bien ce besoin ressenti dans les milieux intellectuels progressistes d’élargir la citoyenneté effective, tâche pour laquelle la presse devait jouer un rôle de premier ordre :

« Nous ne pourrons pas nous vanter d’un vrai, d’un très haut progrès, si les masses, dans leur grande majorité de plus en plus adonnées chaque jour aux vices, ne s’apprêtent pas à exercer leurs droits et devoirs patriotiques146. »

159Ainsi, il incombait à la presse d’assurer le pont par lequel ces masses passeraient de la rive des vices à celle de la citoyenneté ; une citoyenneté qui passe par une prise de conscience, une prise de parole et la participation aux affaires publiques par le vote. Il ne s’agit plus, en effet, d’une citoyenneté que l’on reçoit d’en haut, mais que l’on acquiert. La presse donne l’impulsion, c’est aux masses, qui se voient ici reconnaître leur capacité d’analyse, d’agir ensuite. Dès lors, si elles

« ne se préoccupent pas profondément des questions publiques ; si elles ne prennent pas le poste qui leur correspond dans les démocraties ; si elles n’élisent pas leurs gouvernants ; si elles ne se font pas entendre et respecter comme la loi le prévoit ; elles ne sont pas dignes d’être appelées groupe de citoyens »147.

Notes de bas de page

1 L’introduction et le développement de la notion de « sociabilité », utilisée d’abord dans la sociologie comme catégorie historique, est due à Maurice Agulhon, qui la développa à partir de sa thèse, Un mouvement populaire au temps de 1848 : les populations du Var de la Révolution à la IIe République, soutenue en 1969. Agulhon lui-même résume le développement de la catégorie dans « La sociabilità come categoria storica », Dimensioni e problemi della ricerca storica, 1992/1, pp. 39-47. On peut trouver une analyse très complète du devenir historiographique du terme, dans « Le avventure de la sociabilità », introduction que font G. Gemelli et M . Malatesta à Forme di sociabilità nella storiografia francese contemporanea, Milan, 1982, pp. 11-120. Comme le fait remarquer Z. Ciuffoletti, « Le forme della sociabilità e i processi di politicizzazione », Dimensioni e problemi della ricerca storica, 1992/1, pp. 49-54, un des aspects les plus féconds de l’oeuvre d’Agulhon est la question du rapport entre sociabilité et politisation, question qui se trouve au coeur de ce travail.

2 C’est par ce nom que l’on désigne la période des gouvernements républicains de Juárez et Lerdo de Tejada, qui s’ouvre avec la fin de l’aventure impériale de Maximilien de Habsbourg, en 1867, et qui se clôt par la prise violente du pouvoir par Porfirio Díaz, en 1876. Cf. F. Katz, « México : la restauración de la República y el Porfiriato, 1 8 6 7 - 1 9 1 0 », dans L. Bethell (éd.), Historia de América Latina, t. 9, México, América Central y el Caribe, c. 1870-1930, Barcelone, Cambridge University Press-Editorial Crítica, 1992, pp. 13-77.

3 Cf. supra, chapitre 2 .

4 Cf. supra, chapitre 1.

5 Cf. J. D. Cockroft, Precursores intelectuales de la revolución mexicana (1900-1913), Mexico, SEP CIEN-SIGLO xxi, 1985.

6 Cf. J. Ramírez Flores, op. cit., pp. 31-36.

7 Le thème du reyisme sera abordé dans les chapitres 5 et 6.

8 Sur Río Blanco, cf. R. D. Anderson, Outcasts in Their Own Land. Mexican Industrial Workers 1906- 1911, De Kalb, Northern Illinois University Presss, 1976 ; également S. Hernandez, « Tiempos libertarios. El magonismo en Mexico : Cananea, Río Blanco y Baja California ». dans C. F. S. Cardoso, F. G. Her-Mosillo et S. Hernandez, De la dictadura porfirista a los tiempos libertarios, t. 3 de la collection La clase obrera en la historia de México, Mexico, iis-unam, cinquième édition, 1991, pp. 101-232.

9 El Regional, 15 juin 1908 ; La Libertad, 16 juin 1908.

10 Lieu dans le sens où l’entend John Agnew, avec ses trois éléments : le local « cadre dans lequel les relations sociales (qu’elles soient informelles ou institutionnelles) se constituent », le sens du lieu, en tant que traduction subjective de ce cadre, la localisation, « réalité géographique comprenant le cadre de l’interaction sociale tel qu’il est défini par des processus sociaux et économiques fonctionnant sur une plus grande échelle ». J. Agnew, op. cit., p. 90.

11 A. Marijnen, « I territori dell’azione politica. Nuove riflessioni sul caso toscano », Memoria e Ricerca, année V, n° 9, juin 1997, p. 157.

12 Cf. E. Lopez Moreno, op. cit., pp. 131-193.

13 C’est le cas du jeune O’Kelar, jugé coupable de l’homicide d’une femme qu’il avait renversée avec sa voiture. LA Libertad, 24 janvier 1908. Mais les principaux coupables du « délit de vitesse » étaient les conducteurs des trams, auxquels l’ayuntamiento de la ville avait du mal à faire respecter le règlement ; La Libertad, \" février 1908, El Regional, 11 mars, 8 avril et 8 mai 1908.

14 La question de l’insuffisance de la réglementation en vigueur est posée en séance de l’ayuntamiento début mars 1908, El Regional, 11 mars 1908.

15 Ibid., 9 avril 1908 .

16 Ibid.

17 Lors de sa quatrième fondation — la définitive —, Guadalajara fut établie sur la rive orientale de la San Juan de Dios, mais rapidement elle s’est étalée sur l’autre rive, sur laquelle s’installèrent définitivement les Pouvoirs civil et ecclésiastique, autour desquels un nouveau rythme d’urbanisation prit forme, faisant basculer le centre d’activités, le prestige et les élites de l’autre côté de la rivière.

18 Cf. E. Lopez Moreno, op. cit., pp. 148-174.

19 Ibid., pp. 149-150.

20 Ibid., p. 195.

21 Jalisco Libre, 21 septembre 1907.

22 Ibid.

23 Ibid., 29 octobre 1907.

24 Ibid., 21 septembre 1907.

25 Voir n. 94, p. 80.

26 AHJ, G-12-908, TAG/2903.

27 La notion d’Indien est ici plus économique et sociale qu’ethnique, puisqu’il s’agit de ceux qui sont habillés en calzón de manta. Lorsque des Indiens parviennent à faire partie des élites, aux yeux de la société, dans un sens, ils ne le sont plus, comme l’illustre l’exemple de Benito Juárez.

28 La Libertad, 15 janvier 1908. Par erreur, ce même article présente la rue nommée de Guadalupe Victoria comme rue de Guadalupe.

29 Il faut remarquer l’absence, parmi les héros de la fin de la guerre d’indépendance, de Agustín de Iturbide, tenu pour un traître parmi les libéraux, à cause de sa tentative impériale, mais dont les conservateurs avaient essayé de réhabiliter la mémoire et la gloire.

30 Cf. J. Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, Paris, Puf. 1997 (première édition, 1972).

31 Cf. J. M. Hart, Anarchism and the Mexican working class, 1860-1931, Austin, University of Texas Press, 1978.

32 Cf. J . - M . Mayeur, Des Partis catholiques à la Démocratie chrétienne. xixe.xxe siècles, Paris, Armand Colin, 1980.

33 Cf. F-X. Guerra, op. cit., t. I, pp. 27 et suiv.

34 Cf. la collection dirigée par P. Gonzalez Casanova, La clase obrera en la historia de México, éditée à Mexico chez Siglo xxi à partir de 1980, particulièrement les volumes 3, Ciro F. S. Cardoso, F. G. Hermosillo et S. Hernandez, De la dictadura porfirista a los tiempos libertarios ; 5, J. F. Leal et J. Villaseñor, En la Revolución (1910-1917) ; 6, P. Gonzalez Casanova, En el primer gobierno constitucional (1917-1920) et 7, J. Tamayo, En el interinato de Adolfo de la Huerta y el gobierno de Alvaro Obregón (1920-1924).

35 Cf. J.-P. Bastian, « Una ausencia notoria : la francmasonería en la historiografía mexicanista », Historia Mexicana 175, vol. XLIV, janvier-mars 1995, n° 3, pp. 439-460.

36 F. - X. Guerra, op. cit., t. I, pp. 38 et suiv.

37 Cf. S. Hernandez, op. cit.

38 Cf. ibid., et M. Ceballos Ramirez, op. cit.

39 Ces organisations seront étudiées plus largement dans la deuxième partie de ce travail.

40 L’influence d’Azuela parmi les libéraux locaux permettra son accession au poste de chef politique de Lagos en 1912, après la chute du régime porfirien. M. Aldana Rendon, Diccionario de la revolución mexicana en Jalisco, Guadalajara, 1997, pp. 42-43.

41 R. Muñoz Moreno, Rasgos biográficos del Sr. Dr. D. Agustín Rivera y Sanromán, Guadalajara, Jalisco Libre, 1907.

42 Cf. M. Azuela, El Padre Don Agustín Rivera, Mexico, Ediciones Botas, 1942, p. 32.

43 Sur Rivera, je me permets de renvoyer à mon article, « Agustín Rivera : de la polémique en histoire », Histoire et Sociétés de l’Amérique latine, n° 4, pp. 151-165.

44 En 1928, la loge Agustín Rivera n° 11 était active à Lagos de Moreno, dirigée par Enrique Nuñez Solís. Elle est mentionnée par le Grand Orient de Guadalajara au mois de janvier dans le cadre « logias jurisdiccionadas en otros orientes » ; une loge Agustín Rivera n° 12 est mentionnée par la Gran Logia Occidental Mexicana, comme étant en réorganisation en janvier 1932, ce qui permet de penser qu’il y eût auparavant une dizaine d’ateliers de la loge Agustín Rivera à Lagos de Moreno. Les deux documents se trouvent dans AHN Sección Guerra Civil Masonería 232-A, n° 2248-25 et 6030, respectivement.

45 Cf. infra, chapitre 10.

46 A. Peñafiel, op. cit.

47 A. Peñafiel, op cit.

48 Principalement dans les journaux Jalisco Libre, El Regional. La Libertad, El Correo de Jalisco, La Gaceta de Guadalajara et El Globo. Malheureusement, font ici défaut les associations qui, ayant sans doute leur propre bulletin et un accès plus limité à la grande presse, n’ont pas été jusqu’à présent identifiables par ce moyen, ni par la bibliographie existante en la matière.

49 El Regional, 8 et 11 juin 1908.

50 El Correo de Jalisco, dans son édition du 30 avril 1908, mentionnait le projet de constitution de la société, tandis que La Libertad, dans son numéro du \" juin de la même année, rend compte d’une séance du groupe déjà constitué.

51 La Libertad, 1er juin 1908.

52 Selon El Regional, la fondation a eu lieu en 1903.

53 Lors de la séance du 3 mai 1908, Federico E. Alatorre fait la lecture de son travail « Plaints et chants » dédié à l’artiste Catalina Villaseñor. El Regional, 4 mai 1908.

54 « L’Ateneo n’est pas mort », El Regional, 29 avril 1908.

55 El Regional, 29 avril 1908. Malheureusement, on ne connaît que la fin heureuse de l’histoire et la réorganisation rapide du groupe. Ni les comptes rendus des réunions ni les commentaires du journal ne laissent entrevoir les motifs de la dispute qui entraîna la démission de Gómez et le départ de certains membres.

56 El Regional, 1er mai 1908.

57 Ibid., 6 mai 1908.

58 Ibid.

59 Il s’agit d’une société scientifique qui adopte des principes mutualistes.

60 J. Ramírez Flores, op. cit., p. 30.

61 P. Valles, Miguel Mendoza López Schwertfeger, intelectual de la utopía en la revolución mexicana. Mexico, INEHRM, 1994.

62 M. Aldana Rendon, Diccionario..., op. cit., p. 66.

63 J. Ramírez Flores, op. cit., pp. 27-36.

64 Ibid.

65 Ibid.

66 Cf. M. Plasencia, « Cien Años de Acción Social de la Arquidiócesis de Guadalajara. El poder social de seis arzobispos tapatíos. 1863... 1963. Monografía sociológica, histórico-doctrinal », Anuario de la Comisión Diocesana de Historia del Arzobispado de Guadalajara I. Mexico, Ed. JUS, 1968.

67 R. Camacho, Historia del Sr. Obispo D. Silviano Carrillo Fundador de las Siervas de Jesús Sacramentado 1861-1921, Guadalajara, Ed. El Estudiante, 1946.

68 Ibid., p. 133.

69 L’enseignement était assuré par les membres de la UCO, et l’on pouvait y apprendre les métiers de tailleur, menuisier, ferronnier et de cordonnier. Ibid., pp. 134-135.

70 El Regional, 17 mars 1908.

71 Ibid., 13 avril 1908.

72 Ibid.

73 Ibid.

74 Ibid.

75 M. Plasencia, op. cit., pp. 143-147.

76 Cette dernière association ne fut pas l’oeuvre directe de Carrillo, mais du P. Rafael M. Zepeda et des licenciados José González Rubio et Vicente G. Castellanos, qui la mirent sous la houlette de la paroisse dirigée par Carrillo afin d’avoir la caution morale de ce dernier. Ibid., pp. 147-149.

77 Ibid., p. 180.

78 M. Ceballos Ramirez, El catolicismo social..., op. cit., p. 264.

79 El Regional, 28 mars 1908.

80 Ibid.

81 Ibid.

82 Cette Union, fondée en 1905, était conçue sur le modèle de l’union romaine, dirigée à l’époque par Mons. Lebeurier. Cf. Becag. t. II, 1905, pp. 20-27, qui traduit le règlement de l’Union, de la revue italienne Il Consulente Ecclesiastico. Deux points sont à noter dans ce règlement : « Ils s’efforceront d’établir ou d’encourager les congrégations pour les jeunes de l’un ou de l’autre sexe, et pour les mères chrétiennes ; les institutions de l’oeuvre des Congrès chrétiens et autres, puisque ce sont des moyens si puissants pour faire le bien des individus, des familles et de la société [...]. Enfin, puisque l’erreur de nos jours c’est le libéralisme, ils s’acharneront avec toutes leurs forces à le combattre avec succès, alliant au zèle le plus ardent et persévérant, la prudence chrétienne que les circonstances exigent. » (p. 24).

83 Cf. M. M. De La Mora, « Una institución utilísima », BECAG, t. V I I , 1910, pp. 245-247 ; L. G. Romo, « Estatutos de la Sociedad Cooperativa de Ahorros ’Divina Providencia’», ibid., pp. 278-281 ; anonyme, « Sociedad Cooperativa de Ahorros, en favor de los Eccos. de la Arquidiócesis », ibid., pp. 515-518 et 612- 614.

84 Sur les années de gloire du syndicalisme catholique, cf. J. Tamayo, En el interinato de Adolfo de la Huerta..., op. cit.

85 Cf. M. Ceballos Ramirez, El catolicismo social..., op. cit., p. 267.

86 Ibid., pp. 265-276.

87 Cf. « Extracto del informe que la Mesa Central de la Asociación del Culto Perpetuo de Sr. San José rinde á la S. Mitra sobre el estado de la Asociación en el año trigésimo cuarto de su fundación (agosto de 1909 á agosto de 1910) », BECAG, t. V I I , 1910, pp. 485-490.

88 El Regional, 2 avril 1908.

89 Ibid., 24 mars 1908.

90 M. Plasencia, op. cit.. pp. 42 et suiv. Je n’ai malheureusement pas pu vérifier l’exactitude de ces chiffres, faute de pouvoir accéder aux fonds de l’Archevêché de Guadalajara (cf. l’introduction), qui recèlent des informations précieuses, dont probablement un recensement de ces Conférences.

91 El Regional, 2 avril 1908.

92 Ibid., 31 mars 1908.

93 El Correo de Jalisco. 18 août 1908.

94 On y trouve surtout des femmes mariées, mais aussi quelques célibataires. Ibid.

95 Sur l’image de la femme porfirienne, cf. Carmen Ramos Escandon, « Señoritas porfirianas : mujer e ideología en el México progresista », dans ID . et allii, Presencia y transparencia : la mujer en la historia de México, Mexico, El Colegio de México (1987), 1992, pp. 143-161.

96 Sans que ses efforts aient abouti, à l’époque, à la formation d’un groupe dont on ait connaissance. On sait qu’elle était active à l’usine de La Experiencia. Elle fonda en 1924 le Círculo Feminista de Occidente, un des premiers dans son genre au Mexique. M. Aldana Rendon, Diccionario..., op. cit., p. 8 3 .

97 El Globo, 2 2 juin 1 9 0 9 .

98 Ibid.

99 Le seul fonds d’archives accessible qui conserve des documents originaux concernant la franc-maçonnerie mexicaine du xxe siècle est la section Guerra Civil des Archives Nationales Espagnoles, conservée à Salamanca. Ce fonds est très riche particulièrement pour les années 1920-1939, mais fournit peu de documents — même si très intéressants — concernant la franc-maçonnerie de la fin du xixe siècle et du début du xxe.

100 Pour la période, l’ouvrage de référence continue d’être celui d’un franc-maçon, L. J. Zalce y Rodriguez, Apuntes pura la historia de la masonería en México (de mis lecturas y mis recuerdos), Mexico, 1950, J.-P. Bastian, « Una ausencia notoria... », op. cit.

101 Ibid., pp. 442-443.

102 « [...] nous n’avons qu’une connaisance fragmentaire de l’action de ces sociabilités qui se caractérisent par leur diversité d’organisation et que nous devons, par conséquent, considérer au pluriel : les franc-maçonneries », ibid., p. 454.

103 Cf. J . - P . Bastian, « La Francmasonería dividida y el poder liberal en México, 1872-1911 », dans J. A. Ferrer Benimeli (éd.), Masonería española y América, t. I, Zaragoza, Centro de Estudios Históricos de la Masonería Española, 1993, pp. 415-442.

104 Ibid., p. 421.

105 Ces deux grandes loges se disputaient le contrôle d’une aire d’influence et s’accusaient mutuellement d’illégitimité. La Revista, t. V, n° 1, 1909, rapporte une partie de leur dispute dans l’article de L. Pavia, « La condición actual de la Masonería en Mexico ». Cette publication était l’organe de la franc-maçonnerie mexicaine au Texas où elle avait davantage de possibilités de se développer que sur le territoire national. Le manque de données ne permet pas pour l’instant de définir si ces tendances étaient l’expression de différents rites, ni dans quelle mesure ceux-ci recoupent des tendances politiques différentes.

106 La Revista, tome V, 1909, n° 1, 1909, p. 15.

107 Vraisemblablement le nom de cette loge était non pas Florencia y Cairo comme cela apparaît dans la publication, mais Herrera y Cairo, du nom du libéral qui fut gouverneur de l’état à l’époque de Juárez et fort probablement francmaçon.

108 Ibid., p. 16.

109 Cf. le chapitre 5.

110 J. G. Zuno, Historia de la revolución en el estado de Jalisco, Instituto Nacional de Estudios Históricos de la Revolución Mexicana, Mexico. 1964.

111 Ces expressions ne designent pas la dynamique de la pratique maçonnique, mais sont seulement en rapport avec le contexte politique auquel ces loges se rapportent.

112 J.-P. Bastian, « La Francmasonería dividida... », op. cit., p. 416.

113 El Regional, 12 juin 1908.

114 Ibid.

115 Il faudrait, en outre, tenir compte de la mise en garde contre une surestimation « de l’impact politique réel de la maçonnerie » que font, pour la France révolutionnaire, E. François et R. Reichardt, dans « Les formes de sociabilité en France du milieu du xviiie siècle au milieu du xixe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, t. 24, juillet-septembre 1987, pp. 453-472.

116 C’est le terme que la presse régionale emploie à l’époque ; cf. Jalisco Libre, 6 octobre 1907.

117 « Officieux » dans le sens où, sans avoir le statut d’officiel, ce journal transmet l’opinion du gouvernement et cherche à servir ses intérêts. A partir de maintenant c’est dans ce sens qu’il faudra comprendre l’expression « presse officieuse ». que les liens s’établissent avec le gouvernement fédéral, comme dans le cas de El Imparcial, ou bien avec le gouvernement de l’état.

118 A. Rodriguez Kuri, « El discurso del miedo : El Imparcial y Francisco I. Madero », Historia Mexicana 160, vol. XL , avril-juin 1991, n° 4 . pp. 6 9 7 - 7 4 0.

119 Cf. par exemple, La Libertad, 13 janvier 1908.

120 Cité par M. Plasencia, op. cit., p. 52 ; c’est moi qui souligne.

121 Sur la répression porfirienne dans le milieu de la presse, cf. J. D. Cockcroft, op. cit., particulièrement pp. 98 et suiv.

122 Filomeno Mata, né dans l’état de San Luis Potosí en 1845, a fondé à Mexico, en 1881, El Diario del Hogar, le plus persistant journal d’opposition au régime porfirien, qu’il a dirigé jusqu’à sa mort (en 1911), ce qui lui valut des incarcérations répétées mais aussi le respect de toute la presse indépendante nationale. Le dernier numéro de ce journal est paru le 30 juin 1912. Cf. Diccionario Porrúa. Historia, Biografía y Geografía de México, troisième édition, Mexico, Ed. Porrúa, S.A., 1971, t. II, p. 1281.

123 Cf. Diccionario Porrúa..., op. cit., sur Arriaga, t. I, p. 148, sur Madero, t. II, pp. 1230-1231, sur Mata, t. II, p. 1280, sur López Portillo y Rojas, cf. infra, chapitre 9, p. 340-341.

124 Jalisco Libre, 21 mars 1908. J’ai pu constater par la presse elle-même l’existence d’au moins quarante deux périodiques édités à Guadalajara en 1908.

125 Deux excellents exemples dans : « Nadie es extranjero », La Libertad. 27 octobre 1908 et El Regional, dans son éditorial du 20 mars 1908.

126 El Regional n’est pas le seul représentant de la presse catholique du Jalisco, mais le seul quotidien tapatío. Le Boletín Eclesiástico, mensuel, est édité par l’archevêché de Guadalajara et, à partir de 1909, apparaît le combatif hebdomadaire La Chispa ; à Ciudad Guzmán est publié, depuis 1905, La Luz de Occidente.

127 La Libertad, 27 et 28 octobre 1908 (le premier pour la reproduction de l’article de The Nation, le second pour la réfutation).

128 La Libertad, 10 janvier 1908.

129 En 1907, le gouvernement mexicain avait octroyé aux Etats-Unis le droit d’utilisation de cette baie, sur le littoral de la Basse Californie, pour des pratiques militaires pendant trois ans. L’affaire avait été largement interprétée, dans les milieux critiques du gouvernement, comme une atteinte contre la souveraineté nationale. Pour le journal de Navarro, « le tout gracieusement, gratuitement, bêtement et sans retours, sans même respecter les formes diplomatiques, sans même exiger en échange que nos compatriotes ne soient pas tués comme des chiens ou comme des nègres à Yankilandia », La Libertad, 4 janvier 1908.

130 Ibid., 27 octobre 1908.

131 Ainsi par rapport au refus du centre de soutenir l’initiative régionale de création du Banco Agrícola. La Libertad, 30 janvier 1908.

132 Ibid., 28 octobre 1908.

133 Cf. infra, chapitre 5.

134 Jalisco Libre, 22 mai 1908.

135 Cf. supra, chapitre 1, pp. 43-45.

136 Jalisco Libre, 13 novembre 1907.

137 El Regional, 11 mars 1908.

138 Ibid., 24 mars 1908.

139 Ibid., 10 avril 1908. Il est fait allusion à la Escuela National Preparatoria, où l’on se préparait aux études universitaires. Elle fut fondée en 1868 par Gabino Barreda.

140 Ibid., 11 avril 1908.

141 La Libellait 10 janvier 1908.

142 Ibid.

143 Ibid., 23 janvier 1908.

144 Ibid.

145 Jalisco Libre, 16 juillet 1908.

146 Ibid.

147 Ibid.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.