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Chapitre 2. Le pouvoir : institutions et pratiques

p. 47-87


Texte intégral

1. Ordre et progrès

1Les 33 ans de dictature de Porfirio Diaz, de 1877 à 1910, désignés couramment sous le nom de « porfiriat », sont un moment capital dans l’histoire du Mexique contemporain.

2D’une part, ils sont le corollaire d’une vaste période mouvementée qui débute avec la révolution d’indépendance et parcourt l’ensemble du xixe siècle. D’autre part, ils ont été définis, par le régime et ses bénéficiaires, comme le point de départ de la modernité mexicaine, et cette identification les marque indéniablement, même si la postérité refusa à cette période le statut de mythe fondateur que ces acteurs lui auraient volontiers accordé.

3Il existe dans la pratique, un consensus pour reconnaître le maintien de la paix comme la conquête majeure .u porfiriat après des décennies d’instabilité, guerres civiles et guerres étrangères. La pax porfiriana est ainsi un terme qui revient aussi bien chez les témoins de l’époque que chez ses analystes postérieurs, quelles que soient leurs tendances.

4On a traditionnellement fait appel à la lassitude de la société pour expliquer l’établissement et le maintien de cette paix. Cependant, lorsque Porfirio Díaz apparaît sur la scène politique, un tel épuisement ne constitue pas une nouveauté et il n’a pas pour autant conduit à la paix.

5Si l’économie est effectivement exsangue, si la majorité de la population est soumise à de grandes pénuries, une poignée d’hommes armés trouve toujours une façon de déstabiliser le pays ; Porfirio Díaz lui-même, qui s’empare du pouvoir par la violence, en est la meilleure preuve.

6Si la société civile ressent une lassitude plus que compréhensible, les élites politiques et militaires, quant à elles, ne sont pas forcément prêtes à abandonner leurs revendications et leurs perpétuelles disputes ; en ce sens, rien n’est plus incertain que l’épuisement de ces élites. L’épuisement de la société ne fournit donc pas une explication convaincante de la paix porfirienne.

7Une explication multiple s’impose et, pour cela, l’analyse de François-Xavier Guerra sur le monde politique porfirien constitue un apport essentiel1. Le décryptage du réseau de fidélités consolidé par Dfaz au sommet d’une pyramide apparemment inébranlable de pouvoir et l’absorption par cette pyramide de la plupart de ses opposants potentiels est la clé de la longévité du régime et de l’anéantissement de ses rivaux. Simultanément, une certaine dose de violence et de répression a permis de réduire les contestations trop persistantes.

8La paix et, avec elle, la stabilité, sont les meilleurs atouts du porfiriat et le régime s’en sert aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur pour se consolider et imposer une image positive de lui-même, à l’abri de laquelle il se construit une autonomie d’action de plus en plus large.

9Ce régime, issu d’un coup d’état contre le président légal Lerdo de Tejada, trouva paradoxalement sa propre source de légitimité dans la pacification et le respect de la légalité. Or, si la pacification est incontestable, le respect de la légalité admet tous genres de contestations, puisqu’il n’existe que sous un aspect formel.

10Ainsi, si la pacification est à la base d’un processus de légitimation réelle, le cadre légal ne sert qu’à asseoir la légitimité dont le régime se pare. Elle lui permettra néanmoins de demeurer solidement en place. Il est donc plus approprié de parler d’un souci de la forme que d’un respect de la légalité.

11En effet, afin de préserver sa légitimité, le régime de Dfaz fut très soucieux non pas de respecter mais plutôt d’adapter les formes légales afin d’auréoler toujours ses actes du prestige des lois. De là dépendaient la stabilité politique intérieure (c’était satisfaire l’attente des élites, leur donner l’impression d’avoir une fonction) et la reconnaissance extérieure, toutes les deux vitales pour lui.

12Ce souci de la forme, confronté régulièrement à la pratique du pouvoir, a entraîné la modification, à plusieurs reprises, des lois mexicaines fondamentales. Pour ne citer que le plus célèbre des exemples, la Constitution se vit ainsi amendée pour permettre d’abord une première réélection, puis pour assurer la rééligibilité indéfinie du chef de l’état. Mais on ne saurait rendre ici compte des innombrables modifications subies par les lois dans des buts purement pragmatiques, et avalisées par un Congrès entièrement acquis au dictateur. Par ailleurs, les modifications qui évitent de rompre avec l’état de droit apparent, s’accompagnent d’une violation constante des lois notamment à l’égard des plus démunis et tout particulièrement en matière de justice, laquelle s’exerce par un système de privilèges. Disons en tout cas qu’une fiction de légalité contribuait à consolider le régime porfirien particulièrement dans le champ international, puisqu’elle faisait partie de son image d’exportation. Cette fiction remplit substantiellement une fonction de légitimation vis-à-vis de l’étranger, pour lequel elle entretient ce que François-Xavier Guerra nomme « la fiction démocratique »2.

13Une telle préoccupation se comprend bien lorsque l’on songe aux difficultés de Díaz à faire reconnaître son gouvernement par l’extérieur, particulièrement par les États-Unis3.

14Il est indéniable que cette fiction remplit aussi une fonction par rapport à la société mexicaine, et on doit s’interroger sur son impact réel au-delà des élites, dans une société où émerge corrélativement une conscience citoyenne.

15A l’intérieur du pays, la « fiction démocratique », en tant que création d’inspiration nettement moderne, s’adresse en premier lieu à des citoyens, qui ne sont pas, à l’époque, majorité. Ainsi, les préoccupations formelles du gouvernement ne visent que certains secteurs de la société, pour lesquels il gouverne. Cependant, le champ de réception de la « fiction démocratique », va bien au-delà de ses destinataires d’origine (comme en témoigne l’amplitude de l’accueil réservé à l’appel madériste en 1910 pour une insurrection démocratique), ce qui élargit considérablement le champ concerné par le politique.

16Toutefois, les modifications à la loi avaient pour limite le besoin du régime de maintenir une certaine cohérence vis-à-vis de ses propres origines et de sa profession de foi libérale et républicaine. Un des points-clé du porfiriat est son image, dans laquelle se confondent système politique et régime, Nation et chef de l’état.

17Le régime de Porfirio Díaz arriva à obtenir des élites économiques et culturelles le consensus nécessaire à une longue vie. L’œuvre politique majeure de Díaz est ainsi la concertation.

18C’est grâce à cette stabilité politique que Díaz est arrivé à mettre enfin en pratique les principes de l’économie libérale qui permirent au pays d’effectuer l’insertion rêvée dans l’économie internationale.

19Mais, en même temps, sur l’autel de la concertation se virent sacrifiées les clés de voûte du libéralisme politique dont il se réclamait : le libéralisme radical et le fédéralisme. Toutefois, par un souci de cohérence vis-à-vis de la « famille libérale » triomphante, elles ne furent pas nettement supprimées, mais tout simplement contournées dans la pratique et respectées dans le discours. Ceci constitue un des exemples les plus frappants de cette dualité qui caractérisa la vie politique porfirienne.

20En ce qui concerne le libéralisme anticlérical dont il se trouve accidentellement l’héritier, Díaz a trouvé le moyen d’instaurer avec l’Église catholique un modus vivendi qui neutralisait l’esprit belliqueux de l’Église et de ses alliés par la mise en sommeil des principes de la Réforme libérale de 1863.4

21Quant au fédéralisme, le principe constitutionnel subit une mise en sommeil tout aussi effective que celle des Lois de Réforme, ce qui permit de renforcer au maximum le pouvoir présidentiel ainsi que de réduire, sinon anéantir, tout risque d’insoumission de forces régionales trop indépendantes.

22Díaz réussissait ainsi une remarquable concertation nationale et, à défaut de pouvoir être le Père de la République, il en devenait l’homme-orchestre.

23L’immense pouvoir que Díaz accumule entre ses mains, de même que la perte de certaines libertés (notamment celle de la presse) et le report constant de certains aspects du programme libéral furent considérés à l’époque comme un sacrifice nécessaire à la paix.

24Sous la devise « ordre et progrès », les élites se confortèrent dans l’idée d’entrer dans le concert des nations en suivant de près les modèles européens dont elles étaient férues. A côté de cela, la présence incontournable d’une majorité de la population vivant loin de ces modèles et souvent dans la misère les dérangea au point qu’ils s’accommodèrent rapidement d’une sorte de darwinisme social, tout à fait utile au repos de leur bonne conscience. Dans les mots de Charles C. Cumberland,

« le Mexicain pauvre était pauvre parce qu’il voulait l’être, parce qu’il n’avait ni l’intelligence ni l’ambition d’échapper à sa condition5 ».

2. La constitution de 1857 dans l’état du Jalisco

25Pour comprendre un système politique qui tient particulièrement à garder les formes, il est indispensable de connaître précisément celles qu’il s’est donné juridiquement. Ce cadre normatif est à la fois image et projet : tableau où les élites au pouvoir se représentent elles-mêmes et leur contexte, suivant leur imaginaire particulier, esquissant par là même un projet politique tout autant qu’un projet social.

26Le système politique porfirien est fondé juridiquement sur la Constitution fédérale de 1857. Ce document symbolise l’intronisation au Mexique des principes politiques du libéralisme comme code référentiel suprême des élites conductrices de la nation. Mais ce code référentiel est bien loin de correspondre à la réalité aussi bien matérielle que mentale d’un pays ancré, pour l’essentiel, dans un imaginaire et des pratiques traditionnels. C’est pourquoi la Constitution de 1857 exprime plutôt un projet, un idéal ; elle est un cadre auquel on essaie d’adapter la réalité plus qu’un cadre adapté à la réalité elle-même.

27Ce décalage entre le projet et le monde réel confère à la Constitution une place privilégiée dans l’imaginaire général : rapidement elle acquiert le caractère d’un texte quasi sacré.

28A la suite de sa promulgation, les divers états de la Fédération rédigèrent leurs Constitutions respectives qui suivent en général de près la première, tout en répondant à l’histoire et aux caractéristiques de chaque région.

29Pratiquement toutes les Constitutions des états ont été l’objet d’amendements plus ou moins importants pendant le porfiriat6. Celle du Jalisco en a subi plusieurs — 1885, 1891, 1897 — le plus important étant celui de 19067. Cette année-là, la Constitution fut modifiée dans sa structure, ses conceptions politiques et son idéologie. La réforme atteint une telle ampleur qu’elle autorise à parler d’une nouvelle Charte.

30Théoriquement, la période concernée par cette étude (1908-1913) est donc régie par le texte de 1906 ; néanmoins, une partie importante du système politique, que cette nouvelle Constitution ignore, reste en vigueur dans la pratique et oblige à faire référence à l’ancien texte.

2.1. Le déséquilibre des Pouvoirs

31Le régime de Díaz ayant laissé intacte, dans la forme, la structure fédérale établie par la Constitution de 1857, le territoire du pays est resté divisé en états théoriquement souverains. Ainsi, le premier article de la Constitution particulière de l’état du Jalisco, établit :

« L’état du Jalisco est libre, souverain et indépendant en tout ce qui concerne son administration et Gouvernement interne8. »

32La Charte de 1857 reflète une série de circonstances nationales qui sont à son origine, dont notamment le besoin de modérer les attributions du Pouvoir Exécutif. Celui-ci réside en la personne du gouverneur, élu « populairement » (c’est-à-dire, par élection directe)9 tous les quatre ans, rééligible, mais sans enchaînement de mandat (art. 24 et 26).

33Cet Exécutif est limité de plusieurs manières, primo, la nomination au moment de l’élection du gouverneur de trois individus, dits insaculados10, susceptibles de le remplacer de façon temporaire ou définitive (art. 27) ; secundo, l’existence de ce que le texte définit comme un « corps auxiliaire consultatif », le Conseil du Gouvernement, organe qui, reposant sur le principe de l’association d’un homme et d’un conseil, n’est pas sans rappeler le Real Acuerdo colonial :

« Le gouverneur aura un corps auxiliaire consultatif du nom de Conseil, composé par les insaculados du Gouvernement [...] un membre du Tribunal Suprême de Justice, nommé par celui-ci ; l’employé supérieur des finances et le Président de la Junta Directora de Estudios11. Le gouverneur est le Président de droit de ce corps, au pouvoir consultatif, mais sans vote [...] » (art. 31).

34Ainsi la Constitution rompt en quelque sorte avec la monocéphalie du Pouvoir Exécutif. Même si elle déclare que celui-ci réside dans le gouverneur (art. 24), elle instaure simultanément un organe de contrôle, dit « auxiliaire », qui peut faire penser, sinon à un exercice collégial du Pouvoir Exécutif, du moins à une volonté de limitation et de contrôle des attributions du gouverneur (art. 31 et 32).

35Bien que le Conseil de Gouvernement ait un caractère « auxiliaire » et « consultatif », il n’en possède pas moins un pouvoir réel ; ainsi parmi ses compétences, il surveille l’application des lois, il propose les candidats à occuper certains postes d’importance (tels les chefs et directeurs políticos), parmi lesquels le gouverneur doit choisir ; il déclare s’il y a lieu d’ouvrir un procès contre ces fonctionnaires ainsi que contre les ayuntamientos et commissaires municipaux en cas de délit d’ordre commun, devant entreprendre cet action d’office lorsqu’il s’agit de délits de l’ordre administratif (art. 32-1 et III).

36A côté de cet Exécutif surveillé, la Constitution de 1857 accentue l’importance du Pouvoir Législatif. Il est clair que ce Pouvoir, dans la mentalité libérale triomphante, incarne le peuple dans sa conception moderne.

37Il réside dans le Congrès de l’état et est élu au suffrage direct tous les deux ans. Chaque député représente 80 000 « âmes »12 ou fraction supérieure à 40 000 (art. 8).

38Ce corps de représentants est doté par la Constitution de larges pouvoirs. En particulier, le Congrès sanctionne l’entrée en fonction des trois Pouvoirs de l’état : il déclare qui est le gouverneur et qui sont les insaculados pour couvrir ses absences (art. 19 V) ; il nomme les membres du Tribunal Suprême de Justice (art. 19 VIII) ; et, très important, « il revient au Congrès de statuer sur la validité des élections dont il émane » (art. 15). Aucune défiance n’est exprimée à l’égard de la Chambre, et ce sont les élus eux-mêmes qui jugent de la validité de leur propre élection.

39Un Exécutif surveillé, un Législatif puissant... et le Judiciaire ? La Constitution de 1857 fait du Pouvoir Judiciaire, dès son origine, un Pouvoir en partie subordonné au Législatif et par là même inférieur en rang : c’est le Congrès de l’état qui nomme le Tribunal Suprême de Justice, tête du Pouvoir Judiciaire.13 Aucune égalité ne peut exister entre deux Pouvoirs qui puisent leur légitimité dans le vote public vis-à-vis d’un troisième dont l’instance suprême est issue d’un des deux premiers.

40Ainsi, restant assez en marge dans l’équilibre des forces, le Pouvoir Judiciaire apparaît subordonné au Législatif. De plus, sa sphère est constamment envahie aussi bien par celui-ci, qui a la faculté d’organiser les tribunaux de l’état (art. 19 VIII) que par l’Exécutif, qui ordonne l’arrêt des criminels — même s’il doit les consigner dans les vingt-quatre heures à la juridiction de tutelle — et peut commuer des peines (art. 28 XIII et XIV).

41La subordination du Pouvoir Judiciaire, principalement à l’échelle de l’état, est partiellement compensée au niveau municipal : les alcaldes, un des éléments de base de sa structure, sont élus au suffrage direct (art. 36).

42Cette caractéristique, sans replacer le Judiciaire au niveau des autres Pouvoirs, l’inscrit, en revanche, dans une autre dimension par laquelle s’établit le lien entre le monde idéal de la loi et celui du réel : le niveau municipal.

43Ainsi, si par son origine il ne fait apparemment pas le poids dans l’équilibre des forces, si sa tête apparaît subordonnée et le champ de ses compétences empiété, sa base, elle, concentre dans la réalité un pouvoir non négligeable et sans doute redouté à son niveau d’action.

44La loi elle-même finit par pointer des lieux d’exercice du pouvoir en direction desquels il convient d’orienter la recherche.

2.2. Décor et pouvoir réel

45La Constitution de 1857, on l’a vu, n’accorde pas un statut équivalent aux trois Pouvoirs. De prime abord, s’impose l’impression d’un grand poids du Législatif, poids sur lequel le législateur insiste volontiers.

46Il s’agit cependant d’un pouvoir qui, dans la réalité, ne fut que formel. Le Législatif est un pouvoir solennel dont la fonction principale est justement d’accréditer le fait que l’état s’est donné un gouvernement « républicain, populaire, représentatif, divisé pour son exercice en Pouvoirs Législatif, Exécutif et Judiciaire. » (art. 6).

47L’accent ainsi mis sur le rôle du Pouvoir Législatif remplit avant tout une fonction symbolique : à ce titre, le « peuple » représenté a un rôle prépondérant dans l’exercice du pouvoir. L’imaginaire des élites libérales prime ainsi dans l’ensemble du texte.

48D’autre part, la Constitution elle-même avoue le poids décisif d’un Exécutif qu’elle voudrait cependant limiter : c’est ainsi que ce qu’elle nomme « le gouvernement politique et économique » repose sur une structure dérivée et représentative de l’Exécutif à différents niveaux de l’état.

49Finalement, le Judiciaire détient un pouvoir non négligeable qu’il faut chercher à un niveau spécifique. Force est donc de redessiner l’image des rapports entre ces Pouvoirs à partir de la pratique. Le déséquilibre est bien présent, mais le poids des forces est tout autre que celui que la Constitution voudrait transmettre ; les concessions du texte lui-même à la réalité en témoignent.

2.3. Structure politique d’un régime autoritaire

50En 1908 l’état compte douze cantones, subdivisés à leur tour en departamentos — que l’on cite parfois sous le nom de directorías políticas. Le nombre de ces departamentos par cantón n’est pas supérieur à cinq.

51Dans la pratique, le departamento est l’unité structurelle qui subit le plus de modifications, aussi bien en termes de limites qu’en termes d’organisation administrative interne (celle-ci étant liée à l’emplacement de son chef-lieu). Le changement des chefs-lieux traduit des rivalités entre localités d’une même catégorie cherchant à consolider leur influence.

52Les departamentos comprennent, quant à eux, des unités plus petites qui méritent bien d’être examinées dans le détail ; il s’agit de la pièce maîtresse de la structure, le municipe. En 1908, Jalisco en compte 103.

53Cette unité exerce elle-même sa juridiction sur un territoire géré à travers un réseau de comisarías políticas y judiciales et de comisarías de policía, derniers éléments de la structure administrative du pouvoir de l’état.

54En fait, la liaison entre la structure administrative et l’exercice du pouvoir se comprend mieux à partir du municipe qu’à partir de n’importe quel autre élément de cet ensemble.

55Le municipe est la réalité historique qui s’impose à toute organisation théorique du territoire. Il s’agit d’une unité cohérente qui comprend : population, territoire, pouvoir politique, administration de la justice et gestion de l’ensemble. Elle est historiquement bien enracinée et ses origines remontent à plusieurs siècles.

56C’est ainsi qu’on a l’impression qu’une structure administrative vient se superposer à une réalité historique tangible. Quand on l’observe de près, on constate que le municipe en est une pièce paradoxale en ce sens que sa nature ne correspond pas tout à fait à celle, verticale et autoritaire, de la nouvelle structure administrative.

57Idéalement, le municipe tire sa légitimité et son pouvoir d’en bas, par le biais des élections et représente un espace social bien défini, proche de la population14. C’est pour cela que sa position administrative au milieu d’une structure rigide, dérivée directement de l’Exécutif, apparaît incommode et se traduit par la concentration, au niveau municipal, de plusieurs dimensions du pouvoir, qui ne sont pas présentes à d’autres niveaux de la pyramide. La raison en est que ces composantes du pouvoir municipal viennent de loin, et que, comme institutions, elles ont une permanence surprenante ; les fonctionnaires municipaux du xxe siècle sont encore les héritiers des anciens corregidor, alcalde mayor, et des divers membres du cabildo ancien.

58Dans une structure plate, le municipe est un élément pluridimensionnel, puisque historique. Parmi ses dimensions, une des plus importantes est la financière : le municipe gère son propre budget, dont il rend compte chaque année au seul Congrès de l’état. Du côté politique, différentes pratiques s’amorcent au niveau municipal, en particulier celles qui touchent à la formation des citoyens, telle les élections. Finalement, c’est le niveau municipal qui correspond le mieux à l’enracinement identitaire de la population, dans la mesure où c’est là que ses besoins les plus immédiats sont satisfaits ou non, qu’elle trouve ou non un espace d’expression et un écho à ses demandes.

Fondements légaux d’une structure autoritaire

59La constitution (articles 33 à 35) établit une structure de représentation du Pouvoir Exécutif aux différents niveaux de l’administration de l’état : cantonal, départemental, des pueblos15 ayant droit à former un ayuntamiento et des agglomérations n’ayant pas ce droit.

60Deux sortes d’autorités sont ici présentées : celles dont le mandat relève de l’élection dite populaire, ayuntamientos, commissaires municipaux, et celles qui sont investies par le Pouvoir Exécutif : chefs politiques, directeurs.

61Ces derniers correspondent aux plus hauts niveaux de la structure de l’Exécutif, après le gouverneur : respectivement à l’échelle des cantones et des departamentos. Nommés par le gouverneur, qui les choisit parmi les trois candidats proposés par le Conseil, ces fonctionnaires restent quatre ans dans leur charge.

62Les ayuntamientos, quant à eux, sont des autorités collectives, des corps (dont le nombre d’élus est compris entre 5 et 9) élus « populairement », qui doivent être renouvelés par moitié chaque année (art. 33).

63Quant aux commissaires municipaux, ce même article signale qu’il y en aura un, élu populairement, parmi les populations n’étant pas en conditions d’élire un ayuntamiento. La durée de leur mandat est d’un an.

Les paradoxes d’un texte

64La lecture de la Constitution de 1857 dévoile plusieurs aspects d’un univers politique complexe et souvent paradoxal. En premier lieu, dans son discours coexistent deux langages : celui de la modernité, employé délibérément, et un autre, traditionnel, que la réalité semble avoir imposé aux législateurs.

65Il s’agit en principe d’un texte qui se veut moderne et qui insiste sur les éléments qui témoignent de sa modernité : la division tripartite du pouvoir et l’individualité des sujets gouvernés.

66Par leur nature, ces deux points sont établis d’emblée dans le texte ; le premier dans les articles 6 et 7 :

« Ces Pouvoirs ne pourront pas se réunir dans un seul individu ou Corporation, ni les personnes ayant une charge dans l’un d’eux ne pourront en occuper une autre dans le même temps. »

67Quant à l’individualité des sujets, elle est soulignée notamment dans les articles 3 à 5, qui parlent des habitants de l’état et définissent leurs droits et obligations à titre strictement individuel.

68Mais, dès que le législateur doit descendre des hauteurs conceptuelles, surgissent les acteurs anciens et avec eux le discours qui correspond à cette réalité. Ainsi, lorsqu’il faut aborder le Gouvernement politique et économique, apparaissent tout de suite les pueblos :

« Pour l’administration des pueblos, il y aura [...] » (art. 33).

69Ou bien, dans ce même article :

« les pueblos qui à eux seuls ou regroupés [...] auront six mille habitants [...]. »

70De même, le désir d’accentuer la primauté de l’individu sur les corps amène le texte à un paradoxe : l’article 46, dans le titre De las reformas a la Constitución, exprime qu’une fois qu’une réforme sera adoptée par le Congrès,

« on recueillera l’opinion des Ayuntamientos, et si du comptage des votes individuels et non par Corps, il résultait qu’il y a une majorité en faveur de la réforme t...] ».

71Or, chacun sait que les ayuntamientos sont des entités collectives que la Constitution elle-même considère en tant que corps et non pas à travers leurs membres comme individus. Ainsi, lorsqu’il s’agit de l’initiative des lois, on pourra voir que celle-ci correspond :

« I. Aux députés.
II. Au gouverneur.
III. Au Tribunal Suprême de Justice.
IV. Aux Ayuntamientos dans les affaires municipales [...] » (art. 21).

72Ou bien, parmi les attributions du Conseil du Gouvernement, on trouvera bien celle de

« déclarer s’il y a lieu d’ouvrir un procès contre ces fonctionnaires (Chefs politiques et Directeurs), les Ayuntamientos et commissaires municipaux, pour leurs délits d’ordre commun et d’office dans l’ordre administratif » (art. 32 III).

73Ou bien encore, parmi les attributions du Tribunal Suprême de Justice, on compte celle de connaître des causes de responsabilité des fonctionnaires nommés dans la Constitution ainsi que des ayuntamientos, mentionnés en tant que corps (art. 38.1).

74C’est donc in extremis, pour la question des réformes du texte, que la Constitution finit par considérer les ayuntamientos comme des sommes d’individus et non plus comme des corporations. Ce virage qui contredit l’esprit de l’ensemble du texte par rapport à ces entités collectives, se présente en quelque sorte comme un tour de force qui voudrait imprimer aux anciennes corporations un ton moderne et individualiste.

75Deuxième paradoxe : en lisant cette Constitution on ressent d’emblée la coexistence entre une structure autoritaire linéaire (gouverneur-chefs politiques-directeurs políticos) et des éléments pluridimensionnels qui sont autant de lieux effectifs d’exercice du pouvoir : les municipes.

76Au sein même de la structure du Pouvoir Exécutif, l’autorité municipale est incarnée dans un corps, l’ayuntamiento, contrairement aux autorités des autres niveaux de cette même structure.

77Par ailleurs, au niveau municipal, se rencontrent à nouveau les trois Pouvoirs : l’Exécutif, dans l’ayuntamiento, qui possède aussi une capacité législative (art. 21 IV) à son niveau, pour formuler des initiatives de lois, et le Judiciaire, dans la personne de l’alcalde.

78Finalement, aussi bien l’ayuntamiento que l’alcalde sont issus d’élections directes, ce qui lie étroitement la sphère municipale aux populations.

Un peuple restreint

79Dans cette quête des lieux et des formes d’exercice du pouvoir réel, arrivés au niveau municipal — où se rencontrent précisément les diverses manifestations du pouvoir avec les aspects les plus quotidiens de la vie —, il est indispensable de faire le point sur une question essentielle, celle de la citoyenneté et des droits politiques. A ce sujet, la Constitution particulière du Jalisco de 1857 est sensiblement en arrière par rapport à la Constitution Fédérale qu’elle est censée suivre, dans la mesure où elle ne conçoit pas les droits politiques comme partie intégrante de la citoyenneté. Les droits modernes de voter et d’être élu sont accordés au citoyen moyennant une série de conditions. Ainsi, l’exercice des droits politiques est une faculté conditionnée et somme toute, très restreinte ; afin de pouvoir voter, il faut :

« être citoyen mexicain. — Être inscrit à l’état civil. — Savoir lire et écrire, sauf quand il s’agit de l’élection des commissaires municipaux. — N’avoir été condamné pour aucun des délits infamants que désignera une loi ultérieure. — Ne pas être en procès pour une cause criminelle non résolue, ni être débiteur classé du trésor public » (art. 4.1).

80L’électorat potentiel se révèle réduit d’une façon importante. Considérons en premier lieu une des variables : l’alphabétisation.

81Pour l’année 1895, date du premier recensement officiel de population, Jalisco compte 196 664 personnes sachant lire et écrire16. Il faut d’emblée soustraire les femmes, 87 794, qui, à l’époque, sont loin d’avoir des droits politiques. Restent ainsi 108 870 électeurs potentiels, pour une population de 1 094 569 personnes, dont 446 115 hommes adultes ; soit 9,94 % du total de la population et 24,4 % de la population masculine adulte17.

82Les mêmes conditions sont requises en premier lieu pour être élu, en plus de l’âge et des conditions particulières établies par la loi pour chaque charge. Il est exigé aussi d’avoir résidé dans l’état au moins deux ans, de ne pas appartenir ni à l’état ecclésiastique ni à la milice permanente ou active (art. 4.II).

83Exception est faite pour les électeurs des commissaires municipaux de la condition de savoir lire et écrire. Pourquoi ? Peut-être bien parce, sans elle, dans certaines agglomérations, il n’y aurait pratiquement pas eu d’électeurs. Il faut tenir compte à ce sujet, du fait que, en 1857, année où la Constitution est rédigée, après quelques décennies d’indépendance et beaucoup d’instabilité, l’analphabétisme doit être encore galopant.

84Quant aux autres conditions requises, il y en a qui témoignent de la volonté d’affirmer les bases de l’état libéral, comme celle d’être inscrit à l’état civil, par laquelle l’état laïc exige des citoyens la reconnaissance de ses propres institutions et récuse toute validité aux registres de l’Église, son ennemie déclarée.

85Viennent ensuite des restrictions liées à une appréciation de qualité d’ordre moral, qui concernent le respect des lois par les citoyens : « N’avoir été condamné pour aucun des délits infamants que désignera une loi ultérieure. — Ne pas être en procès pour une cause criminelle non résolue ». Vient finalement un élément d’ordre économique qui renvoie à une certaine éthique du libéralisme : « [ne pas] être débiteur classé du trésor public » (art. 4.1).

86On peut bien se demander quelles sont les traces laissées par des telles restrictions sur une pratique aussi moderne que la pratique électorale, étant donnée qu’elle suppose un apprentissage solide. On peut ainsi imaginer que malgré la suppression de la plupart de ces restrictions en 1906, il restait encore un long chemin à parcourir sur la voie du suffrage dit « universel » et ce particulièrement dans le domaine de l’imaginaire.

Le Politique et l’Administratif

87L’importance et la force des éléments traditionnels au sein de la culture politique transparaissent nettement dans les lois réglementaires de l’administration.

88C’est la Loi du 25 avril 1868 sur les attributions des fonctionnaires publics qui définit les fonctions des éléments les plus importants de la structure politico-administrative. Elle trouve son antécédent dans un règlement antérieur à la Constitution de 1857 elle-même : Reglamento para el gobierno politico-econômico del Estado18.

89La Loi, dans une perspective qui diffère de la constitutionnelle, distingue trois éléments fondamentaux de la structure, qu’elle définit de haut en bas : le gouverneur, en charge de l’administration générale de l’état (art. I) ; ensuite, et en charge de l’administration des cantones, des juntes cantonales, corps dont ni cette loi ni la Constitution de 1857 ne spécifient l’origine (art. 2) ; finalement, les ayuntamientos, chargés de l’administration municipale (art. 4). On remarquera l’absence des departamentos.

90Ces trois éléments sont « entièrement indépendants entre eux » dans l’exercice de leurs tâches administratives (art. 6), sans préjudice des droits du gouverneur « en vertu de la direction politique de l’état dont lui seul est en charge », ni de son obligation de veiller à l’application des lois (art. 7). Sans préjudice non plus des droits particuliers qu’a le Congrès pour légiférer dans certains domaines de l’administration (art. 7).

91Un des aspects les plus intéressants de cette Loi, est qu’elle établit un classement19. Les trois éléments mentionnés ci-dessus sont tous de premier rang et l’administration s’organisera autour d’eux en deux structures, l’une d’agents dits « auxiliaires » et l’autre d’agents conçus comme « subalternes » (art. 8).

Tableau 8. LES DÉCLINAISONS DU POUVOIR EXÉCUTIF

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Note 2020
Source : Loi du 25 avril 1868. articles 9 à 14.

92On pourra constater en premier lieu que pratiquement dans aucun cas, les corporations ne sont considérées comme des agents « subalternes » ; ce fait est important dans la mesure où il met l’accent sur l’origine de ces corps (les élections, donc le peuple) et leur souveraineté qui ne saurait — dans la conception moderne de l’état — être subordonnée à aucun fonctionnaire, quel qu’il soit. Il faut préciser que jusqu’à présent aucune information concernant l’origine des Juntes cantonales n’est disponible ; on pourrait hésiter à les rapprocher du modèle du Conseil du Gouvernement ou de celui de l’ayuntamiento.

93En second lieu, hormis le gouverneur, aucun individu n’a d’agents « subalternes » ni « auxiliaires », mais plutôt, les individus sont auxiliaires ou bien subalternes des corporations.

94En troisième lieu, il n’existe, légalement, aucune primauté des chefs politiques ou directeurs sur les ayuntamientos.

95Enfin, le departamento n’est pas conçu comme un niveau administratif en lui-même, et les directeurs ne sont que des agents subalternes et auxiliaires des différentes administrations. Cette situation est soulignée par l’absence totale de corporations au niveau départemental.

96Ces observations viennent souligner à nouveau l’importance du municipe, que l’on pouvait déjà percevoir dans la Constitution.

2.4. Réformer pour concentrer : la réforme constitutionnelle de 1906

97En 1906 — troisième année de la gestion de Miguel Ahumada Mercado — le Jalisco se dote d’un texte constitutionnel complètement remanié21.

98Tandis que la Constitution de 1857 s’inscrit dans la chronologie de la politique nationale, celle de 1906 semble plutôt apparentée aux circonstances et au rapport des forces locales22.

99Dans le nouveau texte, plus moderne que le précédent du point de vue de sa structure et de sa rédaction, deux points présentent un intérêt particulier : le remaniement complet du rapport de forces entre les Pouvoirs de l’état et une conception du citoyen qui diffère largement de celle implicite dans la Constitution de 1857.

100Cinquante ans séparent, pratiquement, les deux textes, dont presque trente de gouvernement porfirien. Ce demi-siècle d’expérience a réussi à épurer la pensée libérale qui produit, cette fois-ci, un texte apparemment moins soumis aux contraintes des institutions traditionnelles.

Une nouvelle conception du citoyen

101D’emblée la disparition de maintes conditions exigées en 1857 pour l’exercice des droits politiques est frappante : afin de pouvoir voter, l’individu doit être citoyen mexicain et ne pas avoir un procès criminel en cours (art. 1.1). On ne parle plus de la nécessité de l’inscription à l’état civil, ni de l’obligation de savoir lire et écrire ; on ne fait plus allusion aux « délits infamants » ni aux dettes envers le trésor public.

102Afin d’accéder aux charges d’élection populaire, les conditions retenues sont celles de l’âge requis et de la non-appartenance à l’état ecclésiastique ou à un ministère d’un culte (art. 1 .II). Quant à la condition de résidence, elle ne subsiste que pour les membres des ayuntamientos auxquels on demande une résidence d’un minimum de six mois sur place (art. 37). D’autre part, la condition de ne pas appartenir à la milice permanente ou active a entièrement disparu23. Les droits politiques semblent soudain bien plus accessibles.

La redéfinition des Pouvoirs

103Les législateurs de 1906 essayent d’équilibrer en théorie les rapports entre les Pouvoirs publics. Ainsi, d’un côté le Pouvoir Exécutif se renforce ; d’un autre côté, le Pouvoir Judiciaire s’affirme plus nettement.

104En ce qui concerne l’Exécutif, la réforme aboutit à une concentration des pouvoirs entre les mains du gouverneur, en faisant disparaître le Conseil de Gouvernement ainsi que les insaculados. La Constitution n’établit aucune obligation pour le gouverneur d’écouter ou de consulter un corps « auxiliaire » ou « consultatif » de notables. Aucun organe de surveillance n’est censé porter son regard sur lui24. Pour suppléer à ses absences temporaires ou définitives, des nouveaux mécanismes sont prévus : soit une nouvelle élection, soit l’intérim exercé par le président du Tribunal Suprême de Justice ou bien par un individu nommé à cet effet par le Congrès de l’état ou par sa Commission Permanente (art. 29 et 30).

105D’autre part, la structure administrative dérivée de l’Exécutif, détaillée dans le texte de 1857, n’est plus du tout mentionnée dans la nouvelle Constitution ; chefs et directeurs políticos perdent leur rang constitutionnel. Un seul article, vague, rattache désormais toute la pyramide à la Constitution : « Les autorités subalternes du gouverneur et leurs compétences sont celles déterminées par la loi » (art. 34)25. Si par ce biais les lois réglementaires prennent leur place, par le même mécanisme l’autorité constitutionnelle acquiert une marge de manœuvre qui pourrait être difficilement plus large. Le gouverneur devient ainsi le seul élément constitutionnel du Pouvoir Exécutif.

106D’autre part, la place accordée par les législateurs de 1906 au Pouvoir Judiciaire lui confère un rang comparable à celui des autres Pouvoirs. Il devient un Pouvoir issu entièrement de l’élection avec, en principe, les attributions nécessaires pour se gouverner lui-même ; en un mot, il devient un Pouvoir à part entière.

107Il faut signaler, par ailleurs, que l’application de procédures électorales au Pouvoir Judiciaire a été très critiquée à l’époque, dans la mesure où, avec des élections entièrement fictives et contrôlées par le Pouvoir Exécutif, l’indépendance nécessaire au fonctionnement optimal de ce Pouvoir demeurait entièrement exclue.

3. Les institutions du pouvoir local : les limites de la « modernité »

3.1. La dignité municipale

108Au sein de cette structure de pouvoir, il y a des éléments qui sont modifiables selon les intérêts de l’état, et qui ne sont en fait que des divisions fictives de l’espace, des tracés d’une ingénierie administrative ; c’est le cas des cantones et des departamentos. Depuis l’indépendance, on les voit se faire, se défaire et se refaire. Il y a cependant des éléments bien moins malléables puisque plus ancrés dans l’histoire et dans la réalité : les municipes. Ainsi, dans l’histoire du Jalisco du xixe siècle, ils ne vont pas disparaître et réapparaître tout simplement.

109Le municipe représente une catégorie d’importance majeure pour la population : elle confère une certaine marge de manœuvre vis-à-vis de l’état et est en elle-même un enjeu du pouvoir. C’est une catégorie intéressante au niveau de l’exercice de ce dernier (le municipe est dans ce sens un « lieu de pouvoir » par excellence) qui est affirmé par une certaine indépendance économique.

110La catégorie municipale est donc en quelque sorte une « dignité ». Cette dignité n’est pas accordée à l’ensemble des agglomérations mais bien au contraire, dans le cas du Jalisco, elle paraît assez restreinte : la condition pour avoir le droit de former un ayuntamiento est bien de compter au moins six mille habitants. Si on compare avec d’autres états de la fédération26, de même que si on considère la réalité démographique des agglomérations dans Jalisco, six mille habitants est un chiffre très élevé27 et nombreuses sont les agglomérations qui n’atteignent pas ce seuil.

111Il existe cependant un décalage entre les prévisions de la loi et la réalité : vers 1908, 21 % des municipes ont une population inférieure à celle demandée.

112Deux explications paraissent pertinentes. La première concerne les multiples raisons qui, de part et d’autre, fondent la nécessité d’une représentation de l’état même dans les endroits les plus reculés du territoire.

113Ainsi, par exemple, dans le nord de l’état, un seul cantón — Colotlán — existe pour un territoire assez vaste (9 632 km2). Les représentations du pouvoir politique y sont peu nombreuses, ce qui permet l’existence d’un espace considérable pour l’exercice des formes de pouvoir particulières des Indiens huichol ; cette représentation insuffisante de l’état permet aussi l’existence d’une frange territoriale, aux limites difficilement précisables, où les éleveurs de bétail font leur loi. Les vides de pouvoir laissés par l’état ne sont pas des lieux de non-pouvoir mais bien les fiefs d’autres types de pouvoir.

114Dans d’autres cas, l’explication est étroitement liée à l’histoire particulière des agglomérations et de leurs rapports avec les populations voisines ainsi que, dans certains cas, avec le pouvoir central. C’est donc une longue histoire, faite de luttes de pouvoir, de conflits inter-ethniques et somme toute d’identité culturelle ; elle remonte dans certains cas à la fondation même des villages et à leur ancienne catégorie et parfois elle rappelle la vieille dualité village espagnol-pueblo de indios.

115Cela expliquerait peut-être le cas du 9e cantón, Ciudad Guzman, qui compte 6 municipes (presque 36 % de son total) de moins de six mille habitants et qui, d’un point de vue purement géographique, auraient pu apparemment être regroupés dans des unités plus étendues. Mais nul n’aurait songé à rassembler des villages aux différences profondes, voire aux rivalités séculaires — Tux-pan, à forte population indienne, n’aurait pu se joindre aux villages comme Tecalitlan, dont la population est, soit métisse, soit d’origine espagnole assez directe ; personne n’aurait pensé à mélanger des populations ayant chacune ses propres rythmes et ses propres façons d’appréhender lois et administration publique.

116C’est ainsi qu’on peut constater que, dans au moins un quart des cas, l’établissement d’un ayuntamiento n’est pas assujetti à la norme légale, ce qui permet de se poser la question pour l’ensemble des municipes. Il suffit ensuite de tenir compte de l’évolution de ces unités depuis l’indépendance, pour s’apercevoir que la plupart des agglomérations ayant accédé à ce statut au début du xixe siècle le conservent à la fin, même si certaines l’ont perdu momentanément28.

117D’autre part, plusieurs municipes dépassent très largement le nombre d’habitants exigés, aussi bien dans leur chef-lieu que dans la population totale du territoire sous leur juridiction. Faute de recensements vraiment détaillés, il est impossible de savoir comment un tel « excédent de population » est distribué sur le territoire de juridiction municipale.

118Rappelons à ce sujet qu’une des fonctions des juntes cantónales était la proposition de nouveaux municipes (loi de 1868). Où est-elle passée ? Il paraît qu’en 1908 aussi bien la fonction que la junte ont disparu.

119A plus petite échelle, on trouve de nombreuses localités soumises à l’autorité d’un ayuntamiento dont elles ne sont pas le siège. L’autorité en ces lieux est représentée par un commissaire politique ou encore, dans les plus petites agglomérations, par un comisario de policía, fonctionnaires élus au vote direct et subordonnés à Y ayuntamiento dont dépend leur localité.

3.2. Les lieux de pouvoir

120L’étude de la structure administrative porfirienne permet de voir un système politique à plusieurs vitesses (le pendant d’ailleurs d’une vie sociale à plusieurs vitesses elle-même) et de constater l’existence de différentes sortes de lieux de pouvoir.

121D’un côté il y a cet espace politique que la pensée dominante de l’époque tenait pour le Lieu du pouvoir, c’est-à-dire ce qu’on appellerait traditionnellement les lieux de la « haute politique » ; là où les élites conçoivent les décisions concernant un ensemble très vaste : la Nation. Si on en reste aux analyses traditionnelles, tout le pouvoir se concentre à ce niveau. Le pouvoir politique est ainsi conçu comme une entité monolithique. Cette image correspond bien à l’imaginaire dominant des élites qui exacerbe et dramatise ses institutions-fantasmes-abstractions préférées : la Nation, la République, le Pouvoir.

122Dans la réalité le pouvoir apparaît beaucoup moins monolithique que ne l’ont imaginé certaines élites et qu’il ne s’est voulu lui-même : la concentration de pouvoir entre les mains de Díaz n’est en fait qu’un tissu complexe et solide ; le produit d’une concertation très vaste qui a justement su reconnaître quels étaient les différents lieux fondamentaux de pouvoir.

123A côté de ce pouvoir très vaste, conçu à l’époque comme Le pouvoir politique (en quelque sorte incarné dans l’Exécutif), il existe un lieu de pouvoir par excellence, le municipe. Cet espace est justement la scène où les différentes forces viennent se mesurer les unes aux autres dans un cadre qui paraît encore flexible, moins contrôlé et donc non encore totalement phagocyté par l’administration centrale.

124La centralisation du pouvoir sous Porfirio Díaz passe, comme le montre François-Xavier Guerra, par deux étapes, une de contrôle des forces régionales centrifuges et une autre, qui fait partie de ce que l’historien appelle le « second porfiriat », qui se fait en profondeur au détriment des autonomies locales et dont la traduction légale est principalement la limitation des prérogatives municipales dans les années 189029. Or, contrairement à ce qui est arrivé dans d’autres régions, au Jalisco la centralisation laissa intacte, dans la forme, l’autonomie locale, malgré un contrôle plus étroit des chefs et directeurs políticos par le gouverneur depuis 1885. En effet, l’expansion de la sphère de contrôle de l’état ne s’attaqua pas aux processus électoraux municipaux, qu’il s’agisse des élections d’ayuntamientos dans les chefs-lieux ou de celles de commissaires politiques et commissaires judiciaires dans les localités de leur juridiction. La Constitution de 1906 stipule l’élection directe des ayuntamientos (art. 37) et, bien qu’elle ne mentionne pas les commissaires politiques y judiciales, ces derniers continuent dans la pratique de faire l’objet d’une élection directe jusqu’à la fin du porfiriat30.

125Si on pense à l’importance des revendications concernant l’autonomie municipale dans la mobilisation révolutionnaire, cela pourrait en partie expliquer pourquoi le Jalisco fut un des états à fournir à la révolution l’un des contingents les moins nombreux.

126Que l’on n’interprète pas pour autant cette hypothèse comme un constat d’absence de revendications autour de l’autonomie municipale au Jalisco, car elles existaient bien, mais plus du fait de l’usurpation du suffrage populaire par la volonté des élites (caciques) ou des représentants directs (personeros) du gouvernement que comme conséquence d’une suppression légale des prérogatives municipales ; ce qui rend compréhensible l’explosion d’enthousiasme généralisé dans le monde rural au moment des élections qui suivirent la chute de Díaz31.

3.3. Aux marges de la structure

127Un simple coup d’œil sur la carte politique du Jalisco en 1908, suggère une question fondamentale : le degré d’expansion de la structure administrative en question, donc du contrôle de l’état sur la population.

128On retrouve sur cette carte les divers éléments de l’administration : cantón, departamento, municipe, comisaría política. On imagine bien l’enjeu constitué par des agglomérations qui sont à la fois chef-lieu de cantón et de municipe, la lutte de pouvoir inévitable entre chefs politiques, directeurs et ayuntamientos.

129Mais, une fois ces éléments identifiés, un fait surprend : aussi petites puissent-elles paraître, des agglomérations au statut ambigu — la carte de la division politique de l’époque les présente comme haciendas y ranchos — ont une présence massive. Si l’on songe à la pyramide du pouvoir qui vient d’être décrite, aucune autorité ne leur est directement assignée. Comment fonctionnent donc haciendas et ranchos (en outre, confondus sous une même rubrique) ? Et qu’est-ce que cela veut dire par rapport à ce pouvoir prétendument monolithique et omniprésent de l’état ? Le problème de ces localités sans statut a déjà été soulevé avec pertinence par François-Xavier Guerra dans une étude de l’ensemble du pays32, qui notamment met en question une interprétation largement diffusée mais erronée des sources statistiques du porfiriat.

130Les ranchos notamment, mais les haciendas aussi, en partie, sont davantage des agglomérations que des propriétés privées. Cela est par ailleurs très clair sur la carte d’A. V. Pascal, qui représente ces entités par des points et non pas par des surfaces comme il correspondrait à des propriétés33. C’est également clair dans les chiffres de la production agricole présentés à l’exposition de Paris en 1900, où l’on trouve 954 ranchos qui dans ce cas sont des propriétés privées, chiffre qui, comparé aux 6 763 ranchos du recensement de 1900, donne une idée de la proportion énorme d’agglomérations que regroupe la rubrique ranchos : même si l’information diffusée à l’exposition de Paris34 ne concerne que 61 municipes, sur les 103 que compte l’état à l’époque, il est clair qu’une telle disproportion ne saurait être mise en question par les ranchos correspondant à des propriétés privées dans les 42 municipes restants. Il semble en revanche plus vraisemblable que sous le terme haciendas, se trouvent vraiment des propriétés privées, dans la mesure où ledit censo de Paris tient compte de 244 haciendas (sur les 358 que présente le recensement de 1900) pour les mêmes 61 municipes.

131Ces ranchos sont donc soumis à l’autorité d’un ayuntamiento, mais ne sont pas sous le contrôle permanent d’un représentant du pouvoir ; ces agglomérations au statut ambigu doivent être le carrefour de diverses influences : hacendados, caciques, chefs et directeurs políticos, et notamment, ces agents des ayuntamientos et du Pouvoir Judiciaire à petite échelle (et donc avec un grand pouvoir) que sont les commissaires politiques et judiciales. Par ailleurs, la population de ces ranchos est recensée et censée participer aux élections sans doute en se déplaçant en direction soit du chef-lieu municipal, soit d’endroits fixés pour l’élection ; ses droits sont, de ce fait, plus difficiles à faire valoir.

132Le cadre législatif du Jalisco porfirien, produit de la pensée d’une élite libérale triomphante et de son évolution dans l’exercice du pouvoir, témoigne d’un imaginaire en transition, bien plus ancré dans la tradition qu’il ne se voudrait. Une transition qui n’est pas que dans l’univers mental, mais dans l’ensemble de la vie sociale et politique.

133La conduite de ce prétendu passage à la modernité, n’est pas sans ambiguïté et les élites du Jalisco semblent particulièrement soucieuses de contrôler le processus, afin, sans doute, de mieux préserver leur propre espace.

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Source : Agustin V. Pascal. Mapa del Estado de Jalisco, 1908, AHJ MP-421-1908.

134Cette préoccupation se reflète à différents niveaux et, en ce qui concerne la pratique du pouvoir, elle se traduit par un souci de séparation de l’administratif et du politique. Il s’agit plutôt d’un clivage entre une politique municipale — qui, tout en conservant son autonomie, est maintenue à l’écart de la prise des décisions concernant l’ensemble et soumise à une pyramide hiérarchique bien codifiée — et une politique de contrôle global, qui transmet et applique les décisions d’un homme, structure qui accuse une tendance à verticaliser et à concentrer de plus en plus les décisions.

135On peut affirmer que le porfiriat fit de ce clivage une de ses définitions-clés ; que le régime a voulu voir dans cette séparation celle qui oppose une « micro-politique » à la « Haute », la « Vraie Politique ». Le grand sursaut de 1910 viendrait lui rappeler qu’il s’agissait bien d’une dimension essentielle du même univers politique.

136Le projet des élites porfiriennes fait des concessions à une réalité dont ses auteurs mêmes dépendent. Ces concessions prennent la forme d’un tiraillement constant entre deux imaginaires. Or, ceux-ci sont intimement liés et interdépendants, tant et si bien qu’ils se retrouvent et coexistent au sein des collectivités, dans les relations entre les différents acteurs et à l’intérieur des individus mêmes. Ici, encore, il s’agit d’un même univers.

4. Exercice et lieux du pouvoir

137Il existe sans aucun doute un immense clivage entre le modèle d’état républicain et libéral proposé par la Constitution de 1857 et les pratiques quotidiennes du pouvoir à ses différents niveaux à la fin du porfiriat. Le premier nous renvoie surtout aux plus chères illusions des élites libérales et à leurs fantasmes, en ce qui concerne le cadre juridique d’une nation moderne, s’abreuvant dans les principes du libéralisme politique occidental et de son individualisme, pour établir une République représentative, démocratique et fédérale dont le pouvoir trouve sa légitimation dans le vote citoyen et dans le respect des libertés individuelles inspirées de la révolution française.

138Du côté de la pratique, le pouvoir ne s’accorde pas exactement aux définitions légales, qui ne sont, aussi bien dans le domaine public que dans le privé, qu’un élément de légitimation qui aide à tisser des liens entre le modèle et la réalité, point de départ d’une fiction démocratique, nécessaire au maintien du régime35.

139La plupart des sources témoignent du « décalage » entre le modèle politique, qu’une élite moderne conçoit et exprime dans la loi, et la pratique quotidienne des différentes forces politiques, y compris celle de cette même élite. Mais le terme « décalage » est loin de traduire l’imbrication profonde de ces deux éléments qui ne cessent de se nourrir mutuellement.

140Dans la pratique, l’exercice du pouvoir public repose sur une structure d’hommes-clé, dérivée directement du gouverneur, qui laisse une grande place à leur libre arbitre, sans que cela signifie pour autant une absence de règles. Les règles, elles y sont, certes non écrites et de type prémoderne, la fidélité, la loyauté, l’honneur, qui viennent renforcer les traits principaux de cet exercice : verticalité et concentration.

141La forte concentration de pouvoir assume avant tout une fonction symbolique dans laquelle se mêlent l’imaginaire ancien et le moderne. Côté moderne, c’est à Guadalajara que sont réunis les trois Pouvoirs qui représentent la souveraineté du Jalisco. Pour l’imaginaire politique traditionnel, c’est dans la capitale que réside le gouverneur, incarnation du pouvoir. Le gouverneur est, de ce point de vue, une sorte de symbole salomonique : il détient un pouvoir incontestable, qui se manifeste souvent sous la forme d’une grande autorité morale.

142Une telle image est, de plus, parfaitement en accord avec le monde politique porfirien et, en ce sens, Miguel Ahumada constitue une sorte de Porfirio Díaz symbolique pour Jalisco. Comme si, en recevant du dictateur le contrôle politique de l’état, Ahumada avait aussi reçu une partie de son aura symbolique36.

143En tant qu’autorité suprême sur le territoire de l’état, le gouverneur est toujours appelé à « rendre la justice » — la formule étant souvent es justicia que pedimos, « que justice soit faite »37 — ; héritage que l’Exécutif des systèmes républicains — ici un Exécutif régional, mais Exécutif quand même — tient du système monarchique, où le roi est l’incarnation de la justice.

144Ceci n’exclut pas que la personnalité du gouverneur, comme celle d’ailleurs du président de la République, soit l’objet de critiques ni que, homme de pouvoir, il ait des amis et des ennemis38.

145Cependant la critique du gouverneur reste limitée, du moins tant qu’il est toujours en place, et transparaît difficilement dans la presse. Les attaques visent les membres d’une équipe et jamais sa tête. A la fin du porfiriat, la presse à grande diffusion, même indépendante, ne s’autorise aucune critique directe du gouverneur Ahumada39.

4.1. Les relais du gouverneur

Le chef politique : incarner le régime

146Le gouverneur se repose sur ses hommes de confiance, les douze chefs politiques, ces « hommes du gouverneur » dont la nomination ne dépend que de l’Exécutif.

147Les chefs à leur tour s’appuient sur une pyramide de directeurs et sous-directeurs, fondée sur des rapports de loyauté. La plupart des conflits politico-administratifs se résolvent ainsi par l’arbitrage d’un fonctionnaire « de confiance » ou par un enchaînement d’arbitrages de fonctionnaires « de confiance », sans qu’en général le fait d’être lui-même impliqué directement dans l’affaire soit un obstacle à cette procédure. Le système tend par conséquent à la protection de ces mêmes fonctionnaires.

148Ainsi, lorsque des vecinos de la Congregación de Zula portent plainte contre leur commissaire politique, c’est sur le conseil du directeur politique de Ocotlán (c’est-à-dire, celui-là même qui l’avait nommé à son poste) que les accusations sont rejetées40. Les accusateurs d’un employé de l’ayuntamiento de Degollado obtiennent le même résultat lorsque le président de cette corporation contredit leurs accusations dans le rapport qui lui est demandé par le directeur politique de Arandas, lui-même chargé de l’enquête par le gouvernement de l’état41.

149Toutefois, il peut aussi arriver que les plaignants obtiennent satisfaction ; ainsi à Huisquilco, où sur l’avis de Nicolás España, chef politique du 1er cantón, le commissaire politique est destitué ; c’est d’ailleurs à España lui-même que le gouverneur confie la désignation d’un nouveau comisario42. De même, à partir d’une plainte portée par l’ayuntamiento de Ciudad Guzmán, l’enquête confiée au chef politique du 9e cantón aboutit au remplacement du gardien de la prison de la ville (le nouveau gardien est bien entendu choisi par le chef politique)43.

150A la fin du porfiriat, il est ainsi courant que le remplacement d’un élément se fasse sur l’avis du jefe ou du directeur politique, compétence qui finit par envahir la sphère d’action des ayuntamientos, mais surtout annule (en ce qui concerne les commissaires politiques) la fonction de l’élection « populaire » (c’est-à-dire du vote direct) dont originellement ces fonctionnaires devaient être issus. C’est très clairement ce qui se passe dans le cas de Huisquilco, tout comme à Atotonilquillo où, à la demande d’un groupe de vecinos, le commissaire politique est destitué, sur l’avis du chef politique, et remplacé par le candidat au poste que ce dernier propose44.

151Le lien entre les différents niveaux de l’administration et, tout particulièrement, la liaison de la vie politique municipale au gouvernement de l’état met en œuvre des rapports de type ancien ; un emboîtement de fidélités — bien illustré par des fonctionnaires, comme les chefs et directeurs políticos, qui font le lien entre le pouvoir central et la sphère municipale — assure la cohésion du réseau.

152Il est donc indispensable de s’attarder un peu sur ces intermédiaires, en particulier le chef politique, personnage central de la vie politique porfirienne45.

153Les chefs politiques sont les autorités incontestables dans chaque cantón. Une fois désignés, ils n’ont dans la pratique d’autre restriction à leur pouvoir que l’autorité même de celui qui les investit. Ils disposent aussi d’une sphère de pouvoir aux limites floues. Le journal Jalisco Libre nous permet de connaître une approche de l’époque au sujet de cette institution :

« Il existe peu de fonctionnaires aussi en contact avec le peuple et ayant un commerce aussi fréquent avec toutes les classes sociales que les Chefs politiques. On peut ne pas avoir besoin d’autres personnalités du gouvernement, mais on trouve difficilement quelqu’un qui n’aurait pas besoin de parler au Chef politique et de s’approcher de lui46. »

154Bien plus que d’un pouvoir exercé de façon personnelle, c’est d’une incarnation du pouvoir qu’il s’agit. La force de ce phénomène donne une idée de l’importance symbolique et de la marge de manœuvre dont dispose dans la pratique ce fonctionnaire :

« On comprend la raison de cette différence. Le Chef politique semble incarner ou condenser dans sa personne le Gouvernement entier, du moins le Gouvernement municipal, le régime, la direction à petite échelle47. »

155Ce portrait nous révèle la façon dont se traduisait dans la pratique la fonction du chef politique : une appropriation du pouvoir municipal par son intromission dans la sphère d’action des ayuntamientos. On comprend bien dès lors comment les chefs politiques ont été la cible d’une bonne partie des griefs des municipes pendant la révolution, en exerçant ce que Daniel Cosío Villegas a, avec ingéniosité, appelé les Diazpotismos48.

156Il est clair que la jefatura política, au-delà des généralisations qui ont fait d’elle l’institution la plus détestée du porfiriat, n’a pas fonctionné de la même manière dans l’ensemble du Mexique49, même si à la fin du porfiriat, elle était partout basée sur le principe d’une délégation de pouvoir, par confiance, de l’Exécutif de l’état, dont le jefe est une sorte de vicaire50, et c’est bien cela qui permettait à Jalisco Libre d’affirmer que ce type de fonctionnaire semblait « incarner ou condenser [...] le régime »51.

157Pour le journal, le rôle de garant de l’ordre public — fonction première de ce représentant du pouvoir — explique le contact étroit entre le chef politique et la population :

« En premier lieu, un élément primordial de l’administration lui est confié, la sécurité publique. Il suffit de ce fait pour que, nécessairement, il entre en contact à tout instant avec toute la société, que ce soit pour recevoir des plaintes, ou pour entendre toutes sortes de pétitions, ou encore qu’on lui demande de prévenir un préjudice52. »

158A quel point une telle fonction aurait pu faire du chef politique un gouverneur à échelle et donc le « Salomon » cantónal, on le comprend avec la suite du texte :

« Il y a un fort contenu patriarcal dans cette institution qui pourrait être positivement bénéfique ne serait-ce que si on désignait toujours pour de telles charges des personnes reconnues comme honnêtes et dignes53 »

159Les chefs politiques du Jalisco ne semblent pas avoir été particulièrement violents dans l’exercice de leur pouvoir. Au-delà d’une question d’impunité et au-delà du fait qu’on osait difficilement porter plainte contre ces fonctionnaires, il est vrai que Jalisco ne garde pas mémoire pour la fin du porfiriat — ni dans les archives, ni dans la tradition orale — de chefs politiques à la violence particulièrement légendaire contrairement à d’autres régions du pays54. Toujours est-il qu’ils se sont taillé une réputation d’hommes redoutables :

« Une funeste et absurde tradition prétend qu’entre nous les Chefs politiques les plus arbitraires sont les meilleurs [...]55. »

160Certains se permettent donc d’esquisser la voie du redressement de l’institution, qui passe par le « contact avec le peuple », sorte de panacée universelle, au fort contenu paternaliste :

« La conduite de la Police, le prestige de l’Administration et la punition des abus, tels sont les idéaux premiers auxquels le Chef politique doit obéir et, pour ce faire, il est indispensable qu’il soit en contact avec le peuple56. »

161Or, c’est précisément de ce « contact avec le peuple » que provient l’identification du chef politique au pouvoir arbitraire, car c’est dans ses rapports avec la population que se construit son image, étroitement liée à la pratique (pour ce qui est de l’autoritarisme) et à l’impunité dont ils jouissent (pour ce qui est de leurs abus de pouvoir). Ces fonctionnaires ont donc — à la différence du gouverneur — une image à échelle humaine, et leur pouvoir politique ne leur confère pas systématiquement une autorité morale auprès de la population qu’ils côtoient. En effet, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, le symbolique qui entoure le gouverneur, son prestige et son autorité morale, ne se transmettent pas de façon automatique à ses représentants immédiats, les chefs politiques, même s’ils reçoivent du gouverneur un peu de son caractère « intouchable ».

162En effet, la liberté de dénoncer atteint rarement le niveau du chef politique, qui est rarement attaqué ouvertement : seuls Nicolas España au premier cantón et Pascual B. Granillo au cinquième en font l’expérience, et leur destitution est demandée dans les deux cas par des membres de l’élite locale57. Par ailleurs lorsque la presse s’occupe d’une affaire impliquant l’accusation d’un chef politique, elle s’appuie plutôt sur la locution intelligenti pauca et reste assez vague :

« Nous avons une infinité de données fournies par des personnes dignes de foi, concernant la mauvaise marche de l’administration publique dans le cinquième cantón de l’état58. »

163Il est clair que si les chefs politiques ne sont pas particulièrement dénoncés, c’est entre autres parce qu’il existe, dans la pratique, moins de recours à leur encontre. Ainsi, ils font plutôt l’objet de critiques de manière indirecte, dans les dénonciations concernant d’autres fonctionnaires, où ils se voient questionnés pour ne pas avoir administré la justice qu’ils étaient censés rendre59.

164Il existe en revanche toute une série de fonctionnaires par rapport auxquels la presse jouit d’une certaine liberté d’expression, surtout à la capitale, c’est-à-dire, bien à distance des fonctionnaires en question. Des hommes que l’on peut tout de même considérer comme « vulnérables ».

165Il s’agit du réseau de directeurs, sous-directeurs et comisarios, qui se tisse en dessous des chefs et qui est en bonne mesure contrôlé par eux, dont la fonction principale est d’assurer le contrôle des forces politiques municipales, leur fidélité au pouvoir central.

Directeurs, sous-directeurs, comisarios : « effrayer le peuple »

166Bien entendu, l’abus de pouvoir n’est pas l’apanage des chefs, mais il se décline aux différentes échelles : ayuntamiento, directoría, subdirectoría et comisaría política, tribunal, office municipal des impôts, etc. Ainsi, les dénonciations concernant les responsables politiques à ces niveaux ne sont pas rares, qu’elles se présentent par le biais de la presse ou sous forme de lettre directe au gouvernement de l’état, et elles tendent souvent à relever l’arrogance des caciques ou de certaines autorités. Fréquemment, elles illustrent la manière dont, dans la réalité, se confrontent plusieurs groupes pour l’exercice du pouvoir local.

167C’est le cas à Jesús María, dans la région de Los Altos, d’où un correspondant de presse rapporte en novembre 1907 la lutte d’une partie de l’élite locale contre « un cacicazgo ancien et rétrograde » :

« Les voisins les plus distingués du municipe de Jesús María, fatigués d’un cacicazgo ancien et rétrograde, ont présenté une nouvelle candidature pour les membres de l’ayuntamiento et Alcaldes de cette année60. »

168Une telle « fatigue » témoigne aussi de l’existence d’un groupe organisé, désireux d’intervenir dans la politique locale par le biais d’un renouveau du personnel politique. L’accent est mis, ici, sur l’arbitraire et la toute-puissance des pouvoirs en place.

169L’opposition avait, dans ce cas, choisi d’emprunter la voie électorale et la dénonciation nous montre dans quels termes cette stratégie pouvait être accueillie par les détenteurs du pouvoir : il fallait anéantir le potentiel de changement contenu dans le processus électoral, car le processus lui-même ne pouvait qu’avoir lieu :

« Hier matin il y avait environ trois cents hommes en formation, armés de carabines, pistolets et poignards, afin d’effrayer le peuple [...]. Depuis la nuit du samedi, ils se sont emparés de la clef du poste téléphonique et hier, alors que l’on demandait des renseignements, ils ont coupé la ligne afin d’empêcher toute communication officielle susceptible d’en finir avec de tels abus [...]61. »

170« Effrayer le peuple » : la stratégie semble payante, elle paraît courante aussi — l’intimidation est une composante fréquente de l’abus de pouvoir62 — ; mais si elle constitue un recours fréquent, c’est bien parce qu’il y a un peuple mobilisé qu’il convient de tenir éloigné des bureaux de vote.

171Bien entendu, de telles accusations sont souvent suivies d’éclaircissements et de protestations d’innocence du côté de l’inculpé :

« Mes accusateurs, qui constituent l’élément turbulent et inquiet de la localité, considèrent que j’ai des instincts criminels et une insatiable ambition d’argent [...]. Ma sphère d’action ne se réduit pas à ce village et par conséquent les personnes honnêtes, les gens honorables qui constituent la société et les autres autorités du Département sont la meilleure justification de tous mes actes [...]. [L’accusation] j’ose la considérer comme une calomnie, elle n’est pas fondée sur un critère sain et est dépourvue de véracité63. »

172Les dénonciations font souvent appel à l’intervention d’une autorité supérieure, modèle des vertus anciennes ou modernes, ou d’une combinaison des deux, selon les besoins du discours de l’offensé. Ainsi, le correspondant qui se fait le porte-parole de l’opposition de Jesús María insiste sur l’espoir que fonde ce groupe dans l’intervention du gouverneur :

« Ici, tous les citoyens sages et de bon sens espèrent que M. le gouverneur remédiera à la situation anormale dans laquelle nous sommes, avec la promptitude et la sagesse qui le caractérisent64. »

173Le mécontentement des élites vis-à-vis d’un fonctionnaire ne se traduit pas toujours par une confrontation électorale, mais s’exprime sous d’autres formes, souvent la simple demande de destitution du fonctionnaire par les voies légales. C’est la voie choisie par ce groupe de « personnes respectables » de Guadalajara qui, suite à des scènes de violence lors d’une corrida dominicale, porte plainte devant les tribunaux contre le colonel Nicolás España, chef politique du 1er cantón65.

174Si l’affaire se présente d’abord comme une démarche de citoyens modernes, les plaignants adoptent en réalité une stratégie double qui combine le recours aux tribunaux et l’appel à la sagesse de l’arbitre :

« En même temps, un groupe de personnes respectables de notre bonne société, a demandé au gouverneur la destitution d’España [...] le gouverneur attend la résolution des tribunaux66. »

175Fins connaisseurs du fonctionnement du système, les plaignants avaient frappé à la bonne porte, sans obtenir pour autant gain de cause, mais c’est bel et bien l’arbitre qui décide de l’affaire. En effet, sans que la presse s’intéresse à l’avis des tribunaux, nous apprenons quelques mois plus tard que :

« Le gouverneur de l’état a refusé que M. le Colonel D. Nicolás España, digne chef politique de ce cantón, soit mis en procès [...]67. »

176Le plus intéressant dans cette affaire, n’est certainement pas la défense par Ahumada d’un de ces hommes-clé, mais l’attitude de El Correo de Jalisco, face aux rumeurs provoquées par la décision du gouverneur. En effet, juste après l’affaire, El Diario, journal édité à Mexico, publiait une lettre signée à Guadalajara, où l’on affirmait

« que la résolution de M. le gouverneur, empêchant le Chef politique Don Nicolas España, d’être inculpé, a été l’objet de commentaires68 ».

177Pour El Correo de Jalisco, un tel acte était aberrant :

« Une telle nouvelle nous surprend, et, surtout, l’affirmation qu’une décision de M. le gouverneur a été l’objet de commentaires, puisque cela conduit à soupçonner que les délibérations et les actes de M. Ahumada font l’objet d’une critique69. »

178On voit bien ici quelle peut être la conception dans certains milieux — en l’occurrence une presse libérale conventionnelle —, du gouverneur comme un homme intouchable, intrinsèquement juste.

179Néanmoins, ce qu’il y a là de plus important, c’est le fait même que la dénonciation se produise. Cela suppose l’existence d’un espace public suffisamment solide pour permettre à la dénonciation d’avoir lieu et d’être l’objet d’un débat. Cela implique, finalement, l’existence d’une opinion capable de s’affirmer dans la critique du pouvoir établi, infirmant ainsi l’idée de son exercice illimité.

4.2. L’espace municipal, une arène aux confrontations multiples

Le cantón, un non lieu de pouvoir ?

180La vie politique d’un cantón est constituée essentiellement de deux éléments : la vie municipale et le lien qu’un fonctionnaire est chargé d’établir entre cette vie et le pouvoir central.

181On ne saurait cependant concevoir la vie politique cantónale comme l’addition des vies politiques municipales qui la constituent. Le cantón n’établit pas un lien inter-municipal, mais relie simplement chaque municipe au gouvernement de l’état. Le rapport entre ces deux entités est ainsi d’ordre particulier. Une fois les anciennes juntes cantónales disparues70, l’administration cantónale est composée du chef politique et d’un personnel nommé à discrétion, mais le cantón ne constitue pas un espace de pouvoir où les forces des divers municipes pourraient être représentées, se rencontrer et ainsi constituer un lieu de pouvoir spécifique. Il n’existe pas non plus dans le cantón ce « sens du lieu »71, qui pourrait agir comme un point de repère identitaire et nous permettre de le considérer comme un lieu en soi.

182Du fait de l’absence d’une véritable dimension cantónale du pouvoir, la sphère d’influence du chef politique est en réalité celle des divers municipes sous son contrôle administratif, et tout particulièrement de celui qui fonctionne comme chef-lieu du cantón. Les chefs-lieux des cantónes étant des villes moyennes, il s’agit du contrôle des centres régionaux de pouvoir politique et économique.

183Il en va de même pour le directeur politique : puisque le département n’est qu’un tracé cartographique, à utilité administrative, et non un lieu, c’est dans la vie de plusieurs municipes que son pouvoir se ressent.

184Ainsi, sur le terrain municipal, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un chef-lieu de cantón ou de département, a lieu une lutte d’influences non négligeable et un combat pour le contrôle d’un territoire et de sa population. Dans ce combat chefs et directeurs politiques s’affrontent souvent au corps municipal par définition, 1’ayuntamiento. Les représentants sur place du Pouvoir Judiciaire prennent eux aussi part à cette lutte pour l’espace municipal. Ainsi, par exemple, en octobre 1908, l’ayuntamiento de Jalostotitlán s’oppose au directeur politique du département, Emilio I. Quiroz72. Ou bien, au début de l’année 1909, l’ayuntamiento de Tamazula accusait le directeur politique, J. R. Jazo, d’utiliser le travail des détenus de droit commun à son profit personnel73 Il est en effet logique que les conflits de pouvoir entre différentes autorités s’expriment à l’échelle d’un lieu de pouvoir réel, le municipe.

Le municipe, espace de cristallisation des conflits

185A Guadalajara, lieu de concentration d’un vaste pouvoir, il est possible en général de distinguer entre les « hommes de l’état », et les membres puissants de la société civile74. En revanche, dans les autres municipes, avec une population moins nombreuse et un espace public moins complexe75, cela n’est pas toujours le cas76.

186Le terrain municipal est une scène de confrontations régulières entre différentes forces politiques. On peut suivre leur trace grâce aux multiples plaintes adressées au gouvernement de l’état. La dénonciation d’une irrégularité ou d’un abus peut aussi bien être considérée comme la marque d’une culture politique traditionnelle (l’appel à un arbitre supérieur) que comme une démarche moderne qui oppose des citoyens aux représentants de l’état. Les deux phénomènes se trouvent représentés au Jalisco à la fin du porfiriat, souvent mêlés.

187A l’origine de ces confrontations se trouvent des luttes pour le pouvoir politique, des conflits d’intérêts économiques, des conflits ethniques, voire même des questions relevant de la vie privée.

188Il peut arriver que les acteurs en conflit soient des représentants du pouvoir en lutte pour le contrôle d’un territoire. Cette situation se produit souvent entre les autorités élues (ayuntamiento) et celles désignées par le gouverneur de l’état : chefs, directeurs ou commissaires politiques (à Jalostotitlán, l’ayuntamiento soutient un groupe de vecinos contre le directeur politique77 ; à Poncitlán, le président de l’ayuntamiento s’oppose au sous-directeur politique78). La confrontation se produit aussi entre les représentants des différents Pouvoirs : les juges ou alcaldes constitucionales contre les chefs ou directeurs politiques ou bien contre l’ayuntamiento.

189Dans d’autres cas, le conflit oppose un acteur collectif à une autorité (comme celui qui met aux prises des membres de la communauté indienne de Mexcala au commissaire politique79), ou à un particulier (comme à Matatlán et encore à Mexcala, où des particuliers dépossèdent les Indiens de leurs terres80).

190Il est très intéressant de voir comment le conflit évolue lorsqu’il sort finalement du cercle réduit des personnes directement impliquées et s’exprime à différents niveaux. Il y a dans ce processus plusieurs étapes : la dénonciation en elle-même, où plusieurs éléments sont à prendre en compte, depuis le discours produit jusqu’au genre d’intervention demandée, en passant par la valeur attribuée aux faits dénoncés ; la ou les réactions déclenchées par cet acte et les procédures entamées en conséquence ; la solution adoptée et les critères qui la déterminent.

Dénonciation et griefs

191Ce sont les plaintes adressées au gouverneur qui nous ont laissé les traces les plus abondantes. Plusieurs raisons expliquent cela, la première étant que les plaintes portées à d’autres niveaux n’ont pas été forcément enregistrées par écrit.

192D’autre part, il ne faut pas oublier que la législation tend à concentrer beaucoup de décisions sur la personne du gouverneur. Ainsi, dans certains cas, quand bien même la plainte est déposée auprès de l’autorité la plus proche, elle est remise au gouverneur81.

193Le grief est, quant à lui, l’élément central de toute dénonciation, sa raison d’être. Il permet d’observer en négatif la pratique du pouvoir, les plus fréquentes déviations par rapport au modèle légal, de même que les valeurs d’une population, son imaginaire politique.

194Si nous ne pouvons avoir qu’une image partielle de l’exercice du pouvoir, car les témoignages ne portent en général que sur des abus et des déviations, nous pouvons au moins savoir quels genres d’abus étaient les plus courants et retrouver quelques traits du cadre social et mental dans lequel ils avaient lieu : un cloisonnement social prononcé et empreint de discrimination, le caractère inopérant dans la vie quotidienne des libertés individuelles consacrées par la loi et le conventionnalisme d’une bonne partie de la population.

195Les plaintes provenant de différentes localités portent souvent sur le même genre d’injustices et le pouvoir paraît s’y exercer de façon similaire. Tel est le cas d’abus engendrés par une conception de la vie publique comme une extension de la vie privée, donc des biens publics comme une extension des biens privés.

196Les fonctionnaires sont fréquemment accusés d’avoir géré les affaires et biens publics comme s’il s’agissait de leurs propres affaires. Les charges publiques apparaissent ainsi comme des sources de richesse économique et d’exploitation des habitants. L’accusation de détournement des fonds publics est donc courante. Elle peut procéder de la population elle-même, et dans ces cas elle est signée par des vecinos. C’est ainsi que le directeur politique de Jalostotitlán se trouve dénoncé par des vecinos qui l’accusent de détourner l’argent provenant d’amendes — qui plus est imposées à son gré82.

197De la même façon, des vecinos de Degollado accusent un fonctionnaire de disposer à volonté des revenus municipaux83.

198Dans d’autres cas, l’accusation émane des milieux dirigeants. C’est de cette façon que l’ayuntamiento de Ciudad Guzmán procède à l’encontre d’un alcaide de cárceles (gardien de prison) pour une affaire d’abus de biens publics84.

199Encore plus grave semble l’accusation d’avoir profité d’une manière personnelle d’une force de travail qui aurait dû servir à la commune, celle des détenus. C’est le reproche que des vecinos de la Congregación de Zula (municipe de Ocotlán) font à Ramón Solís, comisario de policía qui, « par mauvaise foi ou niaiserie, a commis divers attentats » contre les détenus par ivresse, contre les commerçants, et agissant arbitrairement dans l’organisation du service des rondes de nuit. De surcroît, Solís se sert des détenus pour alléger son propre travail85

200La même accusation est dressée contre José R. Jazo, directeur politique de Tamazula qui, accusé d’abus d’autorité, fait l’objet d’un procès criminel à l’échelon municipal. L’action est encouragée par l’ayuntamiento de la ville, auquel le gouvernement de l’état a demandé des renseignements sur l’affaire86.

201Les détenus sont souvent l’objet des abus de pouvoir. Ainsi, une autre plainte rencontrée est celle de l’extorsion de leurs biens87 ou bien du détournement de l’argent destiné à leur nourriture88.

202Ces genres d’abus, qui sont en fait les plus courants, soulignent cette conception et pratique du pouvoir politique comme un pouvoir illimité, où l’intérêt public peut devenir facilement privé et personnel et où aussi bien population que ressources matérielles sont à la merci d’un fonctionnaire originellement chargé de « veiller à l’ordre public ».

203Mais l’arbitraire peut aller plus loin encore et certains fonctionnaires sont accusés de meurtre. Tel est le cas d’Aurelio D. Martínez, sous-directeur politique à Mazamitla, impliqué dans une histoire qui ressemble fort à la légendaire ley fuga89 : Domingo Reyes, accusé de plusieurs vols, avait été arrêté par les ordres de Martínez. A la demande du président d’un ayuntamiento voisin, on décide de transférer le détenu à El Valle, où il est donc conduit par un capitaine et deux gendarmes. Selon le rapport du capitaine, à un point sur le chemin,

« le détenu a voulu s’enfuir en courant, les gendarmes ont fait feu sur lui et il en est mort90 ».

204L’affaire était remontée jusque dans la presse de Guadalajara. C’est en brandissant celle-ci comme preuve et compte tenu du fait que « l’opinion publique accuse elle aussi le sous-directeur en tant qu’auteur du délit en question » qu’un groupe de vecinos porte plainte devant le gouverneur de l’état91.

205C’est aussi de meurtre que l’on accuse Antonio Ortiz Medina, sous-directeur politique de Poncitlán, qui sera destitué afin d’être soumis à procès92. Ortiz Medina s’est rendu coupable du meurtre d’Epifanio Hernández, qu’il soupçonnait d’avoir volé une selle de cheval. Il le pourchassa donc aux alentours de Poncitlán ; Hernández était ivre et il fut rapidement rattrapé. Il ne portait pas d’arme et il fut abattu de plusieurs coups de feu93. Sans d’autres éléments que ceux que le procès livre, il paraît difficile de comprendre cet acharnement de Medina sur un homme du peuple :

« Un individu de taille et de complexión moyennes, brun clair, cheveux et sourcils noirs, nez régulier, lèvres épaisses et barbe noire et peu abondante ; il paraît cinquante ans et porte un calzón de manta94, une chemise noire en cretonne et des chaussettes noires [...]95. »

206Ce qui apparaît clairement c’est que la vie d’un journalier — honnête aux dires des témoins — a pu valoir le prix d’une selle de cheval, pour un fonctionnaire excédé chargé de veiller à la sécurité publique. « Je l’ai déjà tué celui-là, je l’ai laissé par terre », sont les mots qui échappent à Ortiz Medina de retour au village96 et dont le contenu se répand sans tarder. La déclaration de ce témoin est éclairante :

« et il a entendu dire à une dame, sans savoir qui elle est ni comment elle s’appelle, que le sous-directeur avait tué quelqu’un97 ».

207Selon un autre :

« il a su un peu plus tard que le sous-directeur avait blessé gravement ledit individu et tout le monde disait déjà : “le sous-directeur a tué un homme”98 ».

208Un des aspects que le procès de Ortiz Medina illustre le mieux, c’est le rôle que le gouverneur de l’état se réserve dans l’arbitrage des affaires de justice, rôle qui soustrait l’inculpé à la justice locale. En effet, l’avis du gouverneur passe au-dessus des résolutions du représentant local du Pouvoir Judiciaire qui avait déjà lancé un mandat d’arrêt contre Ortiz Medina :

« Monsieur le gouverneur ordonne que l’on vous dise que, sans autorisation du Gouvernement, vous ne pouvez pas agir contre le sous-directeur politique, auquel vous devez donner toutes sortes de garanties, car il doit venir dans cette ville99. »

209L’ordre de soumettre l’inculpé à un procès est ainsi une affirmation de la supériorité de l’Exécutif sur les autres Pouvoirs :

« Aujourd’hui en réunion, j’ai octroyé l’autorisation pour que le Citoyen Antonio Ortiz Medina, ancien Sous-directeur politique de Poncitlán, soit appelé devant les tribunaux, en tant que responsable présume du délit d’homicide100. »

210Dans d’autres cas, les griefs d’accusation sont révélateurs des mœurs et des valeurs dominantes. A Huisquilco, village du municipe de Yahualica, une question de harcèlement sexuel est à l’origine d’une plainte adressée au gouverneur de l’état. Les plaignants se présentent comme des hommes :

« adultes, mariés, propriétaires, agriculteurs et vecinos de la comisaria de Huisquilco [...]101 ».

211L’ordre dans lequel sont énoncés ces différents éléments n’est pas sans importance : adultes, ils ont normalement des droits civiques ; mariés, cela explique le sujet principal du conflit — ce sont des hommes blessés dans leur honneur d’époux qui s’adressent au gouverneur —, mais souligne en même temps leur caractère de chefs de famille ; propriétaires, puisque, de toute évidence, la relation à la terre crée des catégories sociales et la propriété est source de considération et de respect. Ce n’est qu’ensuite qu’est mentionnée leur activité principale, agriculteurs102 ; pour finalement dire qu’ils sont tous vecinos de Huisquilco. Il peut paraître surprenant que le mot vecinos ne se trouve qu’à la fin de cette description, mais cela témoigne d’un allégement du contenu du mot et de son glissement progressif vers la simple signification de résidents. Il n’y a pas, dans cette auto-description, de difficulté à reconnaître les traits de la citoyenneté ancienne : âge, chef de famille, propriété et résidence.

212Le fonctionnaire accusé, Norberto Carbajal, est quant à lui un « homme d’instincts sanguinaires et d’ineptie notoire » ; depuis trois ans commissaire politique de Huisquilco, il ne s’occupe que de vengeances, « oubliant entièrement son devoir »103.

« Il ne se préoccupe que de collectionner les rapports charnels avec des femmes mariées, provoquant ainsi la dissolution de couples. Et quand les maris de ces femmes, adultères par la force physique du comisario, veulent agir contre lui [...], ce dernier les menace de les faire enrôler dans l’armée et par là même de les éloigner de la région104. »

213A cause de tout cela, nombreux sont ceux qui sont partis du village, abandonnant même leurs terres 105.

214Comment ne pas remarquer, par ailleurs, l’ellipse qui permet de contourner la véritable nature des rapports entre l’accusé et de nombreuses femmes du village : ces femmes sont soit violées (mais alors le viol est défini très paradoxalement comme un « adultère par la force physique », auquel cas elles sont violées mais tout de même responsables d’adultère), soit séduites (ce que les maris — par pudeur ? — ne s’autorisent pas à consigner dans un procès) ! Le plus important reste en somme l’honneur blessé du mari et non pas la violence subie par la femme elle-même.

215Une affaire qui aurait pu être réglée dans le privé, si le séducteur-violeur ne s’était pas abrité derrière une charge publique et s’il n’avait pas bénéficié de la complicité de l’autre représentant local de l’autorité, le commissaire judiciaire, son frère en l’occurrence, qui brandit toujours la menace d’incorporer les mécontents dans l’armée106.

216Du point de vue du discours, cette dénonciation témoigne d’une hybridation entre deux façons de concevoir l’autorité du gouverneur et de se positionner face à elle.

217Il y a d’un côté cette vision, paternaliste, du gouverneur comme un sage, dont on évoque le « grand amour de la Justice et le zèle pour les droits individuels »107. Le discours se situe sur un registre ancien et exalte donc la dignité de la personne dont on attend justice, afin de la forcer à agir. Ainsi, l’acte de rendre justice s’apparente à une faveur, à une grâce, renvoyant à une image de la société où la justice n’est pas un droit mais un don. On peut ainsi lire :

« Vous, qui par votre judicieuse gestion, votre honnêteté et autres talents personnels, vous êtes admiré dans toute notre République et même à l’étranger108. »

218Mais ensuite le discours subit un infléchissement très intéressant, bouleversant l’ordre dans lequel les acteurs avaient été placés quelques lignes auparavant. Les auteurs de la lettre commencent par rappeler qu’ils sont aussi des électeurs :

« Nous, Monsieur le gouverneur, nous nous sommes aussi approchés des tables électorales, pour laisser notre vote en votre faveur, pour que Vous présidiez aux destinées de notre état109. »

219Ils se situent ainsi de façon à pouvoir demander la réciprocité à leur élu : « c’est pour cela que nous devons nous aider mutuellement »110. Retour cependant au registre précédant, lorsqu’ils demandent (avec le verbe pedir, en espagnol) « des garanties » et des « hommes honnêtes et probes » pour gouverner Huisquilco, contrairement aux frères Carbajal qui, « depuis trois ans portent atteinte à l’honneur de votre administration »111.

220Une autre accusation courante porte sur l’ineptie des fonctionnaires dont non seulement les vecinos de Huisquilco se plaignent (en effet, les frères Carbajal sont tous les deux « du même caractère et arbitraires sans égal [...] ils ne savent même pas signer »112 ; illetrisme et arbitraire sont ici étroitement associés).

221A Mexcala, par exemple, dans le municipe de Poncitlân, aux dires d’un groupe d’Indiens, le commissaire politique, Pedro Ramos, agit avec maladresse « à cause de son ignorance », et ni lui ni son suppléant ne savent lire ni écrire113.

222Comme preuve de 1’ « ignorance crasse » de ce fonctionnaire, ils signalent entre autres le fait qu’il a

« toléré [...] des processions sur le parvis [de l’église], avec mépris de nos institutions libérales et violation flagrante des lois de Réforme114 ».

223Lorsqu’on arrive aux dernières lignes de la lettre, on peut entrevoir un autre mobile pour la démarche entreprise : les accusateurs demandent que ledit comi-sario et son suppléant soient suspendus et remplacés par Tomâs Gonzalez et Sixto Baltazar, « personnes d’honorabilité reconnue et relativement instruites115 ».

224Ce cas revêt un intérêt particulier pour plusieurs raisons : le renversement qu’il opère, d’emblée, de l’image stéréotypée que l’on a des Indiens — tenus en général comme un groupe social à religiosité prononcée — en présentant un certain nombre d’entre eux qui manifestent contre la procession.

225Il est vrai que les accusations de violation des lois de Réforme sont parmi les plus courantes pendant le porfiriat, et que l’on peut se demander si le document, dont le but ultime est un changement de fonctionnaires, est élaboré dans le style que le rédacteur estime le meilleur et jusqu’à quel point il traduit ou pas la pensée des signataires dans l’ensemble de son contenu. Ce document ouvre néanmoins une hypothèse fort intéressante, sur l’existence d’un noyau libéral dans la communauté indienne de Mexcala.

226Le reste des documents concernant cette affaire révèle qu’il s’agit d’un groupe d’hommes qui ont des démêlés avec la justice (difficile de savoir si les accusations dressées à leur encontre sont réelles) et qui tentent leur chance de reprendre un pouvoir déjà exercé auparavant (l’un d’entre eux avait occupé dans le passé précisément la charge de commissaire politique). Il n’en reste pas moins qu’ils ont estimé l’accusation d’ineptie des fonctionnaires comme étant la plus adéquate pour leur entreprise. Il est difficile de savoir si elle est fondée, mais cela n’est pas aussi important que le fait même que l’analphabétisme soit utilisé comme un argument de poids pour demander la destitution des fonctionnaires.

227Le fonctionnaire auquel des renseignements sont demandés sur l’affaire, oppose aux accusations de ces Indiens le témoignage d’autres Indiens du même village et, qui plus est, signale que les plaignants sont « inexistants, que d’autres ne sont pas des vecinos du lieu [...] que certains sont mineurs [...] d’autres criminels116 ».

228Toujours est-il qu’un conflit de pouvoir est bel et bien présent à l’intérieur de la communauté de Mexcala, et qu’il traverse ses habitants, ce qui renverse aussi l’image unitaire que l’on a souvent des communautés indiennes, présentées comme un bloc, simplement de par leur définition ethnique.

Réactions et solutions

229Face à cet exercice autoritaire et arbitraire du pouvoir, quelles options s’offrent à la population ? Subir, composer, s’opposer. Or, il n’y a que ceux qui sont puissants aussi qui sont en position de composer ou de s’opposer à un tel pouvoir. Les dénonciations sont ainsi souvent signées par « les vecinos les plus en vue » (los vecinos más caracterizados), lorsqu’il ne s’agit pas d’autres fonctionnaires.

230Les réactions du gouvernement face aux dénonciations d’abus de pouvoir et son intervention lors de conflits varient en fonction de divers facteurs : qui porte plainte, contre qui est-elle portée, la gravité des faits dénoncés.

231Dans tous les cas que l’on peut suivre, il y a toujours une première réaction, identique, celle de s’enquérir des faits auprès des autorités sur place. Un rapport est ainsi demandé en premier lieu au supérieur hiérarchique du protagoniste de l’affaire. La plupart du temps l’administration centrale requiert aussi le point de vue du fonctionnaire inculpé117.

232Quelquefois, le processus apparaît vicié et l’enquête repose sur les déclarations du seul inculpé. Tel est le cas à Jalostotitlán où, en septembre 1908, un groupe de vecinos accuse le directeur politique, Emilio I. Quiroz, d’agir de façon arbitraire et abusive, et c’est à Quiroz lui-même que le gouvernement de l’état demande d’établir un rapport, non pas en sa qualité d’accusé, mais en tant que fonctionnaire118.

233La solution des conflits repose en général sur l’avis des fonctionnaires « de confiance ». Ainsi, dans le cas de Huisquilco, le gouverneur Ahumada demandera l’avis du chef politique du 1er cantón, Nicolás España, un de ses hommes les plus proches, qui lui-même sollicite les niveaux inférieurs de l’administration pour mener une enquête qui repose sur l’expression de l’avis d’une partie de la population, probablement des notables. Le rapport qui résulte de cette enquête indique :

« Comme ledit Comisario a des idées purement personnelles vis-à-vis des individus qui se plaignent de lui, il a commis envers eux quelques actes arbitraires, se servant pour cela de la charge qu’il occupe [...]. De nombreuses personnes comparurent aussi, qui ont affirmé le mauvais comportement dudit Commissaire119. »

234Les autorités de Yahualica — municipalité à laquelle appartient Huisquilco — sont de l’avis que le fonctionnaire inculpé « soit destitué [...] et qu’on le remplace par le C. Antonio Corona », d’après eux l’un des vecinos les plus honorables de la localité120. Le gouverneur, tenant compte de tout cela, ordonne au chef politique la destitution du fonctionnaire et l’autorise à nommer la personne qu’il estimera convenable121.

235Huisquilco constitue un cas « normal » d’accusation d’un fonctionnaire « vulnérable » par une communauté et de mise en marche de toute la structure autoritaire qui mène au grand faiseur de justice qu’est le gouverneur. Or, certaines catégories de fonctionnaires — chefs et directeurs políticos —, collaborateurs très proches d’Ahumada, jouissent d’une immunité très large. On l’a vu dans le cas d’España, que le gouverneur protège malgré la pression de membres de la « haute société » de Guadalajara. La même observation est valable par rapport à Emilio I. Quiroz, directeur politique de Jalostotitlán. En septembre 1908, les accusateurs de Quiroz font face à un homme bien protégé qui, à peine un mois auparavant, avait été soustrait à la justice locale par le gouverneur122.

236En octobre, 1’ayuntamiento de Jalostotitlán joint sa voix à celle des vecinos et accuse Quiroz de corruption, d’abus des biens municipaux et d’avoir usé de l’intimidation à l’égard des témoins de son propre procès123. Début novembre, le gouverneur estime pertinent de nommer un autre directeur politique, Manuel Argáiz, qui exerçait jusqu’alors la même fonction à Tepatitlán, ville non lointaine de Jalostotitlán124. Ce n’est pas pour autant que Quiroz se voit sanctionné, car tout simplement il passe exercer ses fonctions à Tepatitlán, à la place d’Argáiz, toujours en tant que directeur politique125.

237La même solution est appliquée pour régler des problèmes à un plus haut niveau, celui de la jefatura política d’Autlán et de celle d’Ameca.

238Depuis janvier 1908, la presse indépendante dénonçait le mauvais fonctionnement de l’administration du cinquième cantón (Autlán)126. Par ailleurs, le 2 novembre de la même année, des membres de l’ ayuntamiento et des vecinos de Mascota (dixième cantón), vu qu’ils ne peuvent pas s’entendre avec leur chef politique, demandent que soit nommé un autre127.

239Huit jours plus tard, Miguel Ahumada décide que Pascual B. Granillo, chef politique à Autlán, occupera ce même poste à Mascota, à la place de Lorenzo I. Calderón, lequel sera transféré dans cette même charge à Ameca, à la place de Granillo128.

240Il n’y a eu ainsi qu’un échange de charges entre deux hommes dont la position commençait à être trop conflictuelle. Satisfaction est partiellement donnée aux accusateurs, sans que justice leur soit rendue, puisque les fonctionnaires ne sont pas mis en examen et gardent la même catégorie de poste. De telles actions permettent au gouverneur Ahumada de concilier les intérêts des différentes forces politiques et à la fois de garder ses hommes en fonctions.

241Ces deux cas illustrent bien la forte cohésion qui existe entre le gouverneur et son équipe immédiate : ces fonctionnaires (ou plutôt ses fonctionnaires) lui sont dévoués et lui les soutient, les protège, cautionne leurs actions. Cette cohésion et la protection qu’elle comporte marque une division entre une catégorie de fonctionnaires « intouchables », qui s’étend notamment aux chefs et en général aussi aux directeurs politiques, et les fonctionnaires municipaux ou les commissaires politiques, qui restent, quant à eux, du côté des fonctionnaires vulnérables, et qui constituent des soupapes de sécurité par lesquelles les tensions locales peuvent être évacuées. Au Jalisco de la fin du porfiriat, ces garde-fous fonctionnent en partie encore, même si nombre d’entre eux se présentent déjà bien atrophiés, ce qui contribue à expliquer en partie la participation réduite de l’état aux soulèvements révolutionnaires de 1911 et 1912.

Notes de bas de page

1 F.-X. Guerra, op. cit.

2 Ibid., surtout la première partie du t. I, « Fiction et réalité du système politique ».

3 Cf. B. Ulloa, La revolución intervenida, Mexico. El Colegio de México, 1971.

4 Sous le nom de « Lois de Réforme » on regroupe une série de lois promulguées entre 1859 et 1863, incorporées de manière définitive à la Constitution en 1873. Ces lois, dont on retient en général surtout le fort anticléricalisme, sont l’œuvre des libéraux « purs » réunis autour de Benito Juárez et elles consacrent la séparation de l’Église et de l’état par le biais, notamment, de la nationalisation des biens de l’Église, de l’établissement du mariage civil, de l’état civil laïque, de la libellé des cultes et par la suppression des communautés religieuses. Elles représentent aussi une attaque en règle contre la propriété collective et ont fondé également, de ce fait, le démantèlement de la propriété traditionnelle des pueblos.

5 C. C. Cumberland appelle cela « Mexican interpretation of social darwinism » [l’interprétation mexicaine du darwinisme social], dans Mexico, the struggle for modernity, Oxford, Oxford University Press, 1968, pp. 193 et suiv.

6 Cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. I, pp. 274 et suiv.

7 Cf. C. Cerda dueñas, Consideraciones sobre la legislación jalisciense durante el porfiriato, tesis de licenciatura en derecho, Guadalajara, Universidad de Guadalajara, 1990, ex. dactylographié.

8 Constitución Política del Estado de Jalisco du 10 décembre I8.S7, Guadalajara, S.I., 1857, art. 1.

9 L’article 47 établit que : « toute élection populaire sera directe ».

10 Fonctionnaires destinés à assurer l’intérim pendant les absences du gouverneur, nommés par le Congrès de l’état (art. 5), qui font l’objet d’une élection particulière (art. 20.IV) simultanée à celle du gouverneur, les insaculados sont ensuite investis dans leur fonction par le Congrès de l’état (art. 19.V).

11 La Constitution ne précise pas l’origine ni les caractéristiques de cette Junte.

12 C’est le terme employé par la Constitution.

13 Le Tribunal Suprême de Justice est le dépositaire du Pouvoir Judiciaire avec les juges de première instance, qu’il nomme ; viennent ensuite, au niveau municipal, des fonctionnaires dont l’existence parait un héritage direct des institutions d’Ancien Régime : les alcaldes, élus chaque année populairement ; commissaires municipaux et jurados « qui seront nommés dans la forme désignée par la loi » (art. 36). Il existe une différence à l’époque entre l’alcalde, dont les fonctions sont judiciaires, et le président de l’ayuntamiento.

14 Dans les faits, vu que l’électoral est assez réduit, il s’agit plutôt d’un fief que les différentes forces locales se disputent ou partagent, comme on pourra voir dans le chapitre suivant.

15 Il faut souligner l’usage du mot pueblos avec des connotations plutôt traditionnelles, mais il faudra revenir plus tard sur la question du langage employé’ dans ce texte.

16 Le document distingue entre ceux que savent lire et écrire et ceux qui savent uniquement lire, qui sont au nombre de 45 982.

17 Source : Censo General de la República Mexicana, 1895.

18 Ley que fija las atribuciones de los empleados de la administración pública, du 25 avril 1868 et Reglamento para el gobierno político-económico del Estado, du 25 avril 1851 ; les deux sont reproduits dans Colección de Decretos Circulares y Ordenes de los Poderes Legislativo y Ejecutivo del Estado de Jalisco, édition fac-similé, Guadalajara, s.l., 1982 et conservées à la BCEJ.

19 . Voir surtout le chapitre I, De la administration en general y de los empleados a quienes se confia, qui définit les éléments de la structure du Pouvoir Exécutif. par eux-mêmes ainsi que leurs inter-relations.

20 La Constitution précise que les présidents des Ayuntaniientos ne sont des agents subalternes du gouverneur que « Dans les points où, quand ces corporations existent, il n’y aura pas de chef politique ou de directeur ».

21 ABCEJ, décret n 1153 du Congrès de l’état, publié le 6 mars 1906 par l’ordre du gouverneur Miguel Ahumada.

22 On peut supposer que c’est justement parce qu’il veut consolider son pouvoir que le gouverneur Ahumada encourage une série de réformes qui aboutissent à ce qu’on peut considérer comme une nouvelle Constitution.

23 Les conditions de l’élégibilité avaient déjà été réduites dans le cadre des réformes précédentes, notamment pour le poste de gouverneur ; ainsi, en 1885, par une initiative du gouverneur Francisco Tolentino, l’état militaire avait cessé d’être un obstacle à l’éligibilité ; les conditions d’origine et de résidence ont disparu — toujours pour le poste de gouverneur — pendant la gestion de Luis del Carmen Curiel, en 1897, et leur bénéficiaire direct fut le colonel Miguel Ahumada qui, étant originaire de l’état de Colima, a assumé le pouvoir le 1er mars 1903, en arrivant directement du Chihuahua, dont il avait été jusqu’alors le gouverneur. Cf. Carlos Cerda Duenas, op. cit., pp. 59-61.

24 Le Conseil de Gouvernement avait perdu une partie de ses attributions en 1885, avec la réforme promue par Tolentino qui laissa au Gouverneur la faculté de nommer en toute liberté les Chefs et Directeurs politiques. Ibid., p. 59.

25 Il faut toutefois noter que les insaculados ne disparaissent du texte de la loi électorale qu’en octobre 1912. « Acta de la sesión del 1° de octubre de 1912 » folio 547 et suiv. BCEJ.

26 Cf. F.-X. Guerra, op. cit., pp. 273 et suiv.

27 On mettra ce chiffre en relation avec les données démographiques du chapitre l, pp. 22-26.

28 Cf. C. Castañeda, op. cit.

29 Cf. F.-X. Guerra, op. cit., pp. 283-285.

30 En décembre 1908, par exemple, le directeur politique de San Gabriel faisait part au gouverneur de la non-réalisation d’élections de commissaires judiciaires de la comisaría de Copala (municipe de Zapotitlán) pour l’année 1909 ; en fait, les résultats avaient été communiqués directement au gouvernement de l’état. AHJ, G-7-908, VEN/878.

31 Cf. infra., chapitre 9.

32 F.-X. Guerra, op. cit., t. 1, pp. 285 et suiv.

33 A. V. Pascal, op. cit.

34 Pour une présentation et analyse des données comprises dans ce document, cf. M. Aldana Rendon, El campo jalisciense..., op. cit., pp. 80 et suiv.

35 Cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. I.

36 Sur Porfirio Díaz cf. E. Krauze, Místico de la autoridad. Porfirio Díaz. col. Biografía del Poder n° 1, Mexico. Fondo de Cultura Económica, cinquième édition, 1995.

37 On retrouve cette formule dans plusieurs documents conservés à l’AHJ, ramo Gobernación. Vecinos de la Congregación de Zula au chef politique du troisième cantón, AHJ. G-12-908, OC/2857. ; vecinos de Degollado au gouverneur de l’état, AHJ. G-12-908, DE/2932 ; vecinos de Mazamitla au gouverneur de l’état, 29 septembre 1909, AHJ, G-12-909, MAZ/2801. Ou alors : justicia y nada más que justicia es lo que pedimos. « nous demandons que justice et rien d’autre que la justice, soit faite », vecinos de Jalostotitlán au gouverneur de l’état, AHJ, G-12-908, JAN/2624.

38 Pour le concept d’amitié politique, cf. F.-X. Guerra, op. cit., t. 1, pp. 145 et suiv.

39 Il s’agit des journaux à plus grande diffusion : La Gaceta de Guadalajara, Jalisco Libre, El Regional, La Libertad, El Correo de Jalisco.

40 AHJ, G-12-908, OC/2857.

41 AHJ, G-12-908, DE/2932.

42 AHJ, G-12-909, YAG/3006.

43 AHJ, G-12-908, CIG/1868.

44 AHJ, G-12-909, IXM/2729.

45 Pour une caractérisation générale du chef politique, cf. F.-X. Guerra. op. cit.. pp. 122-125.

46 « Pueblo y Jefes Políticos », Jalisco Libre, 17 octobre 1907.

47 Ibid.

48 D. Cosio Villegas, Historia moderna de México. El porfiriato. Vida política interior, 2e parte, Mexico, ed. Hermes, 1972, p. 853.

49 Une série très intéressante d’exemples est donné dans A. Knight, op. cit., pp. 25-36. Pour des études de cas cf. M. Blanco, op. cit., pp. 39-54 et R. Avila, Economie et société de l’état de Mexico, 1895-19I5. origines locales de la révolution mexicaine, thèse de 3e cycle, Paris I, 1984, exemplaire dactylographié.

50 Il n’en n’a pas toujours ni partout été ainsi, car les chefs politiques étaient au départ, dans certains états du nord du Mexique, des fonctionnaires élus, ce qui changea dans les années 1880-1890. A. Hernandez Chavez., La tradición republicana del buen gobierno, Mexico, El Colegio de México-Fideicomiso Historia de las Américas-Fondo de Cultura Económica, 1993, p. 24.

51 « Pueblo y Jefes Políticos », Jalisco Libre, 17 octobre 1907.

52 Ibid.

53 Ibid.

54 A. Knight, op. cit., pp. 25-33.

55 « Pueblo y Jefes Políticos », Jalisco Libre. 17 octobre 1907.

56 Ibid.

57 Pour España : La Libertad, 3 janvier 1908 et El Correo de Jalisco, 6 juin 1908 ; pour Granillo : AHJ, G-12-908, MAS/1563.

58 La Libertad, 24 janvier 1908.

59 L’’ayuntamiento de Ciudad Guznián au Gouvernement de l’état, 23 septembre 1908. AHJ, G-12-908, CIG/1868.

60 Lettre du correspondant au directeur de ]olisco Libre, datée du 4 novembre 1907 à Arandas, Jalisco Libre, 10 novembre 1907.

61 Ibid.

62 Des exemples à Degollado, AHJ, G-12-908 DE/2932, à la Congrégation de Zula (juridiction d’Ocotlán), G-12-908, OC/2857, Huisquilco (Yahualica) G-12-909 YAG/3006 et Tamazula de Gordiano, J-2-909, TAG/20.

63 Emilio 1. Quiroz, directeur politique de Jalostotitlán au gouverneur de l’état, 14 octobre 1908, AHJ, G-12-908, J AN/2624.

64 Lettre du correspondant au directeur de Jalisco Libre, datée du 4 novembre 1907 à Arandas, Jalisco Libre, 10 novembre 1907.

65 La Libertad, 3 janvier 1908.

66 Ibid.

67 El Correo de Jalisco, 6 juin 1908.

68 Ibid, 12 juin 1908.

69 Ibid.

70 Dans la période qui concerne cette étude, il n’en reste plus aucune trace.

71 Cf. J. Agnew, « Les lieux contre la sociologie politique », Espaces Temps, n° 43-44, 1990, pp. 87-94.

72 AHJ. G-12-908 J AN/2624.

73 Tamazula de Gordiano, 1er mars 1909, AHJ, J-2-909 TAG/20.

74 J’aborderai d’une manière générale les questions municipales en faisant abstraction de Guadalajara, qui est aussi un municipe, parce que son caractère de capitale de l’état et le degré de concentration du pouvoir diluent en bonne partie sa dimension municipale et les généralités qui sont valables pour la plupart des municipes, ne le sont pas forcement dans son cas.

75 L’espace public des agglomérations petites et moyennes est encore en bonne partie — bien que dans un degré variable selon les cas — l’espace dans le sens physique du terme.

76 A Jesús María, par exemple, ce sont des puissants commerçants qui contrôlent l’ayuntamiento. Jalisco Libre. 10 novembre 1907.

77 AHJ, G-12-908, JAN/2624.

78 AHJ, J-2-909, JAL/55.

79 AHJ, G-12-908, PO/838.

80 AHJ, G-12-909, ZAO/2789 et G-15-908, PO/2878.

81 « [...] j’ai l’honneur de vous remettre l’original de la plainte [...] », Luis Navarrete, Chef politique de La Barca au gouverneur de l’état, 29 octobre 1908, AHJ G-12-908, OC/2857. L’original est adressé Al Señor Jefe Político.

82 Vecinos de Jalostotitlán au gouverneur de l’état, 6 septembre 1908, AHJ G-12-908, JAN/2624.

83 Vecinos de Degollado. au gouverneur de l’état, 26 septembre 1908, AHJ G-12-908. DE/2932.

84 Le président de l’Ayuntamiento de Ciudad Guzmân au Secrétaire du Gouvernement de l’état, le 23 septembre 1908, AHJ G-12-908, CIG/1868.

85 Vecinos de la Congrégation de Zula au Chef politique de La Barca, 29 octobre 1908, AHJ, G-12-908, OC/2857.

86 Le président municipal de Tamazula de Gordiano au Secrétaire du Gouvernement de l’état, le 1er mars 1909, AHJ, J-2-909, TAG/20.

87 L’extorsion des biens d’un prisonnier, en connivence avec l’agent du ministère public, fait partie des accusations portées contre Emilio I. Quiroz, directeur politique de Jalostotitlán. Vecinos de Jalostotitlán au gouverneur de l’état, 6 septembre 1908, AHJ, G-12-908, JAN/2624.

88 Cela fait partie des charges retenues par l’ayuntamiento de Ciudad Guzmán contre le gardien de la prison de la ville. Le Président de l’ayuntamiento de Ciudad Guzmán au Secrétaire du Gouvernement de l’état, 23 septembre 1908, AHJ G-12-908, CIG/1868.

89 La ley fuga n’est pas une loi, mais le nom populaire qu’a reçu cette pratique, courante à l’époque, qui justifiait le meurtre du prisonnier par son escorte, après qu’il eût été « autorisé » à tenter sa chance de s’enfuir en courant.

90 Aurelio D. Martinez, sous-directeur politique de Mazamitla, al secretario del Supremo Gobierno, 27 octobre 1909, AHJ, G-12-909, MAZ/2801.

91 L’affaire a été traitée dans Los Sucesos, La Libertad, La Gaceta de Guadalajara et El Combate. Vecinos de Mazamitla au gouverneur de l’état, 29 septembre 1909, AHJ, G-12-909, MAZ/2801. La documentation conservée ne permet pas de savoir si Martinez fut finalement l’objet d’un procès criminel.

92 AHJ, J-2-909, JAL/55.

93 Ibid.

94 Sorte de culotte large en toile grossière de coton, que portaient traditionnellement les hommes du peuple, particulièrement dans les milieux ruraux, mais aussi en ville.

95 « Fé judicial del cadaver de Epifanio Hernandez », 4 octobre 1909, transcrit dans « Testimonio de las diligencias instruidas contra Antonio Ortiz Medina, Sub-Director Politico de Poncitlân, por el delito de homicidio », Juzgado de Primera Instancia, La Barca, 9 octobre 1909, AHJ, J-2-909, JAL/55.

96 Déclarations de Maria Ladislao Hernândez viuda de Hernândez, 6 octobre 1909, et de J. Trinidad Ramîrez, 4 octobre 1909.

97 Déclaration de Donaciano Hernândez, 3 octobre 1909.

98 Déclaration de Felipe Flores, 4 octobre 1909.

99 Télégramme de Juan L. Lomeli, Secrétaire du Gouvernement à Rafael A. Becerra, presidente municipal de Poncitlân. Guadalajara, 4 octobre 1909, AHJ, J-2-909, JAL/55.

100 Le gouverneur de l’état au Président du Suprema Tribunal de Justifia, Guadalajara, 1er novembre 1909, AHJ, J-2-909, JAL/55.

101 Vecinos de Huisquilco au gouverneur de l’état. 5 octobre 1909, AHJ, G-12-909, YAG/3006.

102 Rappelons le sens du mot « agriculteur » à l’époque : « "agriculteur" —nous dit F.-X. Guerra — est donc le terme qui sert à désigner celui qui vit de la terre, dans la mesure où son indépendance est certaine et reconnue et sa propriété rurale significative aux yeux de l’administration. », dans Le Mexique. De l’Ancien Régime à la Révolution, t. 2, Paris, l’Harmattan-Publications de la Sorbonne, 1985, p. 473. Toutes les citations textuelles de François-Xavier Guerra sont extraites de cette version française.

103 Vecinos de Huisquilco au gouverneur de l’état, 5 octobre 1909, AHJ, G-12-909, YAG/3006.

104 Ibid.

105 Ibid.

106 Ibid.

107 Ibid.

108 Ibid.

109 Ibid.

110 Ibid.

111 Ibid.

112 Ibid.

113 Indiens de Mexcala au gouverneur de l’état, 14 décembre 1908, AHJ, G-12-908, PO/838.

114 Ibid.

115 Ibid.

116 Le sous-directeur politique de Poncitlán au gouverneur de l’état, 29 décembre 1908, ibid.

117 Cependant il est possible que les documents conservés soient justement ceux qui concernent les cas où une telle démarche a été entreprise ; ainsi, affirmer que cela a été fait à chaque fois serait tirer une conclusion hâtive, on peut dire toutefois qu’il s’agit de la procédure typique.

118 Les chefs d’accusation sont notamment la corruption et la conservation, en tant que biens privés, des armes saisies. Vecinos de Jalostotitlán au gouverneur de l’état, 6 septembre 1908, et le secrétaire du gouvernement de l’état à Emilio I. Quiroz, directeur politique de Jalostotitlán, 24 septembre 1908, AHJ. G-12-908, JAN/2624.

119 Nicolás España transcrit au gouverneur de l’état l’opinion des autorités de Yahualica. Guadalajara, 31 octobre 1909, AHJ, G-12-909, YAG/3006.

120 Ibid.

121 Le Secrétaire du Gouvernement au chef politique du premier cantón, s.d., AHJ, G-12-909, YAG/3006.

122 Ahumada avait rejeté les charges dont le juge de première instance accusait Quiroz. El Correo de Jalisco, 3 août 1908.

123 L’ayuntamiento de Jalostotitlán au secrétaire du gouvernement, 25 octobre 1908, AHJ, G-12-908, JAN/2624.

124 Acuerdo du gouverneur de l’état du 9 novembre 1909, AHJ, G-12-908, GUA/2877.

125 Ibid.

126 La Libertad. 24 janvier 1908.

127 Munkipes et vecinos de Mascota au gouverneur de l’état, 2 novembre 1908, AHJ, G-12-908, MAS/1563.

128 Ahumada le 10 novembre 1908, communication à Granillo et à Calderón, ibid.

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