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Introduction. Encore la révolution mexicaine

p. 1-10


Texte intégral

1La révolution mexicaine fait partie, déjà et depuis bien des années, d’un fond de mythes universels, dans lequel puisent à loisir les mouvements sociaux et politiques de différents pays, les artistes, les créateurs, les « standardiseurs » de l’image (créateurs enfin, mais de stéréotypes) et même, qui l’aurait cru, la mode1.

2La révolution réduite à ses stéréotypes a rapidement acquis une dimension internationale, sans préjudice de sa diffusion comme modèle d’action ni de sa généralisation comme objet d’études. Ainsi, de nouveaux axes de recherche ont été animés par différents courants historiographiques (soviétique, étasunien, britannique, néerlandais ou français)2 qui ont alimenté une production mexicaine toujours vivace.

1. La révolution comme patrimoine

3Car, avant d’appartenir au domaine public international, la révolution commencée en 1910 (et dont la fin demeure l’objet mouvant d’innombrables interprétations et débats3) est un des mythes fondateurs de la nation et de l’identité mexicaines. A ce titre, elle a attiré plusieurs générations d’historiens mexicains, toutes confrontées, indépendamment du temps écoulé, à la difficile gestion de son legs.

4Sans proposer une analyse exhaustive de cette production historiographique sans cesse renouvelée, on doit signaler les principales générations qui marquent son évolution. La première, dont les principaux représentants sont des acteurs-auteurs, est celle des hommes engagés dans les divers camps possibles de la révolution et qui nous ont laissé leur témoignage et leur jugement personnel4 Une deuxième génération se distingue par une première prise de distance critique vis-à-vis de la révolution et une exploration de sources documentaires. Cette génération reste cependant marquée par les succès effectifs de la révolution, dont elle est témoin5. Une troisième génération se caractérise par une mise en question de l’appropriation de la révolution par l’état et de l’accomplissement de son programme. Elle se nourrit entre autres d’apports proposés par les courants étrangers et elle ouvre de nombreux chantiers, en particulier celui de la microhistoire6 et celui de l’histoire régionale7. La quatrième génération, dans laquelle ce travail voudrait s’inscrire, doit relever le défi d’une écriture de l’histoire de la révolution toujours plus indépendante vis-à-vis des enjeux identitaires qui en dépendent. Car dans ce travail d’écriture la question de l’utilisation politique de la révolution a été et continue à être déterminante. Qui plus est, son appropriation par le pouvoir à des fins d’auto-légitimation résiste sans problèmes à la comparaison avec celle de la révolution bolchevique de 1917 par l’autoritarisme soviétique8. Le débat autour de la révolution mexicaine a ainsi des prolongations dans la vie politique la plus actuelle.

5Cette utilisation s’accompagne d’une interprétation historique ad hoc, forcément réductrice et prompte à gommer les nuances afin de pouvoir embrasser le spectre politique le plus large possible, au sein de ce qui est devenu la « famille révolutionnaire » et d’une idée globale de la révolution. Cette interprétation se transmet, notamment, dans les textes scolaires, et était présente, jusqu’à voilà quelques années, dans bon nombre de discours politiques.

6Étroitement liée à l’exercice du pouvoir, l’idée globale de la révolution n’a perdu définitivement de sa valeur légitimatrice que sous les impératifs néolibéraux des Chicago boy’s mexicains qui dirigent la politique générale du pays depuis 19829 Jusqu’à cette date, l’idée de révolution continuait de structurer, dans une large mesure, le discours du pouvoir politique.

7L’idée de l’accaparement du sens de la révolution et son actualisation permanente à travers l’exercice quotidien du pouvoir, conçu comme la révolution toujours en acte, revient au président Plutarco Elias Calles (1928-1932), qui la projeta — dans le discours officiel — du passé vers le présent et le futur, la transformant ainsi en un élément « suprahistorique » et, pour reprendre l’expression de Guillermo Palacios : « le plus tenace des lieux communs que connaisse l’histoire du Mexique »10.

8C’est dire le rôle doublement moteur de l’état mexicain dans l’écriture historique et l’interprétation de la révolution. Doublement moteur dans la mesure où la version officielle de la révolution a trouvé d’abondantes critiques. L’éventail des interprétations11 va ainsi de la révolution inépuisable12 interprétation liée étroitement, mais non sans complexité, à l’appropriation de la révolution par l’état et son parti13, à la révolution niée14, en passant par de nombreuses nuances quant à sa durée, sa portée sociale (révolution bourgeoise, révolution populaire), et historique (première grande révolution du xxe siècle, dernier mouvement paysan du xixe). Pour toutes ces raisons, la révolution constitue encore un des points de départ de la réflexion historique.

9La révolution mexicaine est, en effet, depuis plusieurs décennies, un objet d’histoire et non seulement une idée légitimatrice du pouvoir et un mythe fondateur de l’identité, même si les trois aspects demeurent étroitement imbriqués.

10Un des domaines où l’on perçoit le plus clairement cette imbrication est celui de l’histoire régionale. L’historien des régions, en s’intéressant à la révolution, se trouve sur un chantier délicat : il s’agit en premier lieu d’un terrain profusément balisé, selon les modèles d’une histoire globale de la révolution, d’une histoire « nationale » version officielle (la plus largement diffusée malgré les nombreux apports des historiens de toutes tendances), qui fait du « caractère révolutionnaire » (ainsi, très ambigu) un des critères de base de l’appartenance à la nation. L’historien se trouve ainsi face à la révolution comme légitimation de l’entité régionale, non seulement en tant qu’elle appartient à l’espace national, mais en tant qu’elle existe comme telle au sein de cet espace.

2. Le territoire révolutionnaire et ses marges

11En effet, étudier la révolution mexicaine dans sa dimension régionale revient à se déplacer vers les marges de l’historiographie actuellement disponible, laquelle a non seulement inscrit les régions dans une situation périphérique par rapport à un « territoire révolutionnaire » (c’est dans ce sens que je les qualifierai de « territoires en marge »), mais a aussi produit une hiérarchisation des acteurs de la révolution (révolutionnaires et non révolutionnaires), laissant ainsi dans l’ombre ceux que j’appellerai ici les « acteurs en marge ». Ce sont ces marges qui peuvent délimiter un observatoire privilégié de la réception et du vécu des événements, à partir duquel il est possible de renouveler l’interprétation de la révolution comme phénomène global.

12Ceci nécessite d’abord, de la part de l’historien, un travail d’identification de ces marges : comprendre les mécanismes qui ont présidé à leur élaboration historique et historiographique comme marges, pour mieux analyser les modalités de leur articulation au tout.

13En ce qui concerne les marges géographiques, au nom d’une conception de la révolution comme guerre, la carte du Mexique révolutionnaire a été celle des faits d’armes : les champs de bataille sont ainsi l’élément de base de la définition d’un territoire de la révolution15.

14Il faut ajouter à cette délimitation géographique, la dramatisation de moments-clé, qui rythme la chronologie sur la base d’une hiérarchisation des événements. C’est ainsi que certaines périodes sont privilégiées, au détriment d’autres16.

15Il est clair que de nombreuses histoires régionales de la révolution ont été entreprises en réaction contre les lacunes d’une historiographie à échelle nationale dont étaient absentes des régions entières, tant il est vrai que l’histoire nationale de la révolution — officielle ou non — est surtout, dans une large mesure, l’histoire de ces régions que l’on a pu considérer comme « révolutionnaires ». Se dessine ainsi, à partir de l’échelle nationale, un « territoire révolutionnaire » en marge duquel restent ces régions qui — vue l’importance de l’enjeu identitaire — cherchent à se revendiquer révolutionnaires. Ainsi, les historiens des régions, notamment les historiens des régions politiques, ont cherché jusqu’à une période récente à intégrer leur objet d’étude dans ce « territoire révolutionnaire »17. Autrement dit, ils ont cherché à prouver l’existence de forces révolutionnaires sur un espace car, la révolution étant devenue un mythe fondateur de la Nation, rester à sa marge pose de profondes questions d’identité.

16Nous sommes ainsi face à une construction de l’histoire axée, chronologiquement, sur les moments estimés « révolutionnaires », thématiquement, sur les sujets susceptibles de l’être, et qui, par conséquent, s’échelonne sur plusieurs décennies, en fonction d’ « apogées » révolutionnaires régionales (en général entre 1910 et 1930) et qui laisse de nombreux espaces vides (au sens géographique mais aussi chronologique et thématique), car a priori non touchés par la révolution.

17Tout cela donne de plus ou moins belles fresques (toutes révolutionnaires) et de grands pans vides : les marges de la révolution. Quelle est alors la relation entre ces marges et l’événement ?

18La relation qu’entretiennent les marges avec le territoire (dans le sens d’espace approprié18, — ici par l’idée de révolution —), est toujours complexe. Quant aux régions qui sont au départ en marge de l’épopée militaire, est-il vraiment possible de les considérer « sans révolution », de penser que la révolution n’arriva à elles qu’amenée par les troupes villistes, carrancistes ou autres, à partir, dans certains cas, de 1914-1915 ? N’est-ce pas exclure du champ de l’histoire toutes les sphères de la vie différentes de la militaire, y compris celle du politique ? Et, chronologiquement, que deviennent ces régions sorties de la dictature, que l’on conçoit comme non encore entrées dans la révolution ?

19De même qu’il existe des marges géographiques de la révolution et des marges chronologiques, il existe également des acteurs restés dans l’ombre, soit parce que les sources disponibles rendent peu compte de la pensée et des actions des acteurs anonymes, soit parce qu’un classement précipité a rejeté des acteurs parfaitement identifiables en dehors du territoire révolutionnaire, entendu ici non plus en termes géographiques mais sociaux.

20Espace et acteurs restés dans l’ombre de l’historiographie : c’est bien ce qui qualifie la situation historiographique du Jalisco de la fin du porfiriat, ce qui ne manque pas, à plus d’un titre, d’être paradoxal. D’abord parce que, dans le cadre d’une histoire qui se veut nationale, est largement ignorée une région que l’on peut considérer comme la deuxième du pays : celle qui, dans les temps coloniaux, abrita l’une des deux Audiences de la Nouvelle Espagne ; celle dont la capitale, Guadalajara, s’est imposée comme la deuxième agglomération du pays et a fourni une bonne partie de la classe politique nationale au xixe siècle ; celle qui, pendant ce premier siècle d’indépendance du pays, joua un rôle majeur dans le processus de constitution de la fédération mexicaine ; celle qui, de ce fait, provoqua les craintes de l’état central, comme en témoignent les morcellements et remaniements successifs du vaste territoire de l’ancienne Nouvelle Galice, que l’on peut lire comme autant de rançons payées au Centre par une région à la vigueur politique tenace, mais finalement domptée.

21Situation paradoxale donc, que cette absence, dans l’histoire de l’événement politique majeur du xxe siècle mexicain, de la deuxième région politique du Mexique, et qui souligne une simplification de la dimension politique de l’objet révolution, dont la délimitation se voit extrêmement marquée par la dimension militaire. Marginalité « géo-historiographique » du Jalisco donc, par rapport à ce territoire de la révolution, défini en fonction des événements militaires.

22Marginalité aussi, et tout aussi paradoxale, d’importants acteurs bien identifiés, dont le Jalisco a été le terrain principal d’implantation ; il s’agit de deux mouvements essentiels de la fin du porfiriat : le reyisme et le catholicisme politique. Cette marginalité découle en partie de celle du Jalisco dans l’histoire de la révolution, mais aussi d’une série de malentendus historiographiques déterminés par l’appropriation de l’idée de révolution par l’état, avec les clichés de la révolution triomphante, et par les conflits militaro-religieux des années 1930. Ceux-ci ont alimenté une idée de la révolution qui exclut toute nuance et qui classe les acteurs comme révolutionnaires ou réactionnaires et, partant, les inclut, sans autre nuance, dans l’un ou l’autre camp. Ainsi, le reyisme et le catholicisme politique sont-ils classés, l’un comme un mouvement précurseur de la révolution, l’autre comme réactionnaire. Pourtant, on a du mal à faire entrer, puis à maintenir les reyistes et le PCN dans ces cadres rigides et Manuel Cebal-los Ramirez a déjà brisé la simplification extrême que subissait le second aux mains d’une historiographie trop influencée par ces catégories19. Or, la perspective régionale éclaire ces mouvements de façon décisive et permet, entre autres, de réinterroger la nature de leurs liens avec le mouvement social qui amena la chute de la dictature de Porfirio Díaz.

23Le choix de la région politique (l’état)20comme cadre principal, plutôt que de la région culturelle (le grand ensemble qu’on appelle Occident mexicain ou bien une des six régions que l’on reconnaît à l’intérieur du Jalisco) s’imposait non seulement à cause de l’organisation d’une partie importante des sources, mais aussi parce que les problématiques abordées sont étroitement en rapport avec l’état comme référent identitaire, à commencer par sa caractérisation comme un espace non révolutionnaire. C’est enfin un des espaces privilégiés d’action par les protagonistes des mouvements politiques étudiés, reyistes ou catholiques, notamment.

24La région politique comme cadre d’analyse permet de mieux appréhender des mouvements politiques qui avaient eux-mêmes trouvé du sens dans cette dimension, de réinterroger leur construction et leur dynamique interne, et de les reposer comme des entités politiques en mouvement, dans un contexte mouvant. A cette échelle, il est possible d’interroger les mouvements politiques pour leur restituer leur capacité d’initiative et les rendre à leur historicité. On peut ainsi mettre en question l’interprétation classique qui nous en est transmise et que l’étude, à échelle nationale, ne peut briser facilement.

25Mais le choix de la région politique renvoie à d’autres territoires et à d’autres marges — également socio-historiques et historiographiques —, problématique difficile à éluder et qui invite à jouer, dans la mesure du possible, sur des échelles variées21. Il est ainsi possible de tenter une approche, limitée certes, mais éclairante, des déclinaisons de l’espace politique, de l’exercice du pouvoir et des rapports entre celui-ci et la société, des dynamiques d’un espace public, et de la réception d’événements régionaux et nationaux, dans un état dont le portrait a trop souvent été tracé depuis sa capitale (et les élites de sa capitale). Le recours ponctuel à une approche micro-historique permet ainsi la mise en évidence des voies spécifiques d’insertion dans la révolution, des paroles et des silences qui ont accompagné l’entrée en révolution, et de l’initiative, trop souvent négligée, des acteurs anonymes.

3. Le Jalisco entre 1908 et 1913 ou les métamorphoses d’un espace public

26Un troisième paradoxe de l’historiographie de la révolution, est le faible intérêt suscité par les années 1908-191322 comme période privilégiée de mise à l’essai des principes démocratiques. A cet égard, l’histoire de la démocratie mexicaine ne peut ignorer celle, particulière, du Jalisco, qui se présenta comme un terrain particulièrement fertile pour l’essor de cette expérience. En ce sens, une relecture des années 1908 à 1913 permet d’ouvrir de nouvelles perspectives d’analyse sur des formes de réaction et de participation à des événements nationaux, d’acteurs bien identifiés et cependant encore mal compris.

271908-1913, une période dont on considère, en général, qu’elle n’est pas encore, pour le Jalisco, un temps de révolution. Et c’est bien, en effet, au cours de ces cinq années, que la marginalité historiographique du Jalisco apparaît comme la plus aiguë en regard du processus révolutionnaire mexicain. C’est une période féconde, cependant, du point de vue des transformations de l’espace public mexicain et de la vie des mouvements politiques étudiés. D’un côté, 1908 correspond à l’ouverture de l’espace public porfirien et à l’essor des mouvements d’opposition à la dictature. De l’autre, avec la chute du gouvernement de Francisco I. Madero et son assassinat, en février 1913, le retour à l’autoritarisme marque la fin d’une expérience de démocratisation et le rétrécissement de cet espace public.

28Il m’a paru indispensable d’ouvrir cette exploration de la vie politique du Jalisco, par une incursion dans les spécificités de cette région politique mexicaine vers la fin de la dictature. Non pas pour caractériser son économie et sa société d’une manière exhaustive, en les posant comme des causes directes de la vie politique, mais pour saisir l’espace, les espaces, les tensions à l’œuvre dans la construction d’une région et de son identité, à un moment précis de son histoire.

29De même, une approche de la vie politique de l’état exigeait l’étude de la structure du pouvoir qui le caractérise, étude qui ne pouvait qu’être accompagnée d’une recherche sur les pratiques du pouvoir. Si l’exploration de l’écart qui existe toujours entre les institutions et leur mise en œuvre est toujours indispensable, elle revêt, dans le cas du Mexique du xxe siècle, une importance particulière, liée tout autant à l’ampleur de cet écart qu’au rôle essentiel de légitimation du pouvoir qu’assurent les fictions qu’il autorise. Je me suis donc arrêtée à l’étude de la structure du pouvoir politique et à son exercice, même si ce dernier est examiné, dans ses rapports aux mouvements politiques, tout au long du travail.

30Comprendre le cadre dans lequel les acteurs politiques étudiés s’inscrivent, nécessitait, enfin, de caractériser un espace public porfirien et d’analyser les manières dont les différents acteurs l’investissent et le façonnent, élargissant ainsi la sphère du politique.

31Au cœur du travail, les acteurs politiques de la fin du porfiriat. J’ai choisi de privilégier, dans la deuxième partie, l’étude des trois mouvements qui marquent la transition entre dictature et révolution, des trois propositions de changement de l’autoritarisme, depuis trois oppositions différentes au système : le reyisme, le catholicisme politique, le madérisme.

32Il s’imposait d’ouvrir cette réflexion sur les mouvements politiques de la fin du porfiriat, en réexaminant l’événement-emblème de l’ouverture de l’espace public porfirien, l’entretien Díaz-Creelman, sa réception, les réactions qu’il a suscités, ses conséquences (et les limites de ces conséquences). L’analyser surtout à travers le prisme de l’opinion, elle qui en a, par ailleurs, subi les effets les plus considérables.

33Les mouvements eux-mêmes sont ensuite analysés, principalement dans leur dimension régionale, avec le souci d’éclairer par ce biais, non seulement la vie politique du Jalisco, mais aussi leur place dans la dimension nationale. Je me suis surtout intéressée à ce que chacun d’entre eux a représenté comme proposition politique et à la façon dont, par le biais de leur structuration, ils se sont déployés dans le champ politique et ont occupé un espace que le système autoritaire n’entendait pas leur accorder. Le reyisme a fait l’objet de deux chapitres, qui permettent d’analyser, respectivement, l’inspiration et la construction du mouvement au Jalisco, puis l’élargissement de ses bases et le passage d’un mouvement d’opposition, à l’intérieur du système, à un mouvement qui esquisse l’opposition au régime.

34Ensuite, l’analyse du développement du catholicisme politique, de son potentiel exceptionnel au Jalisco et de l’influence de ce pôle régional du mouvement sur les lignes du catholicisme politique mexicain de la période, m’a permis de mettre en évidence les complexités et les nuances d’un des acteurs les moins compris et les plus caricaturés de l’histoire du Mexique contemporain, le Parti Catholique National.

35Enfin, j’ai interrogé le madérisme au Jalisco, essentiellement dans ses rapports avec d’autres acteurs politiques, ce qui m’a permis de mettre en question la nature, généralement acceptée, de ses liens avec le reyisme (comme un simple transvasement de capital humain de l’un à l’autre), et de restituer à la vie politique jalisciense23 sa complexité.

36Les enjeux de l’après-porfiriat, les angoisses de la classe politique face à une légalité chancelante et à la précarité institutionnelle, les expressions de la politisation et la mise en place, par l’élargissement de la sphère du politique, de ce que l’on peut appeler un laboratoire démocratique, où sont expérimentées de nouvelles formes d’occupation de l’espace politique (et, parallèlement, de son contrôle), constituent les axes de la troisième partie.

37Cette étude sur le Jalisco entre 1908 et 1913 a donc systématiquement cherché à analyser et à articuler trois thèmes, à savoir les structures du pouvoir en place, les modalités de son exercice, les mouvements politiques qui le mettent en question.

38Ce travail s’est opéré à partir du croisement de différentes sources, correspondances privées comme sources officielles, mais aussi et surtout la presse : seule celle-ci24 a permis de reconstruire une chronologie fine des événements, tant à l’échelle locale que régionale. Elle a donc éclairé de manière inédite nombre d’aspects d’une vie politique méconnue dès lors que l’on s’éloigne des villes capitales, Mexico ou Guadalajara. Surtout son étude a mis en lumière les liens complexes qui se sont tissés entre ces différents espaces, qui constituent autant d’échelles de pratique du pouvoir : au niveau du Mexique, entre Jalisco et état national ; au niveau de l’état, entre Guadalajara et « l’intérieur », voire entre espaces urbains et espaces ruraux.

39Source d’un maniement malaisé mais d’une très grande richesse, la presse permet de saisir le fonctionnement, la genèse et les mutations de l’espace public dans toute leur complexité. Tout à la fois « marqueur » et témoin de ce processus, elle a donné à cette étude régionale tout son sens.

40Car le Jalisco des années 1908-1913, entre dictature et révolution, s’offre bien comme un observatoire exceptionnel des processus à l’œuvre dans une phase qu’il faut rétrospectivement considérer comme une phase de répit, parenthèse dans une longue histoire d’autoritarisme, dont la fermeture sonne le glas de la préoccupation démocratique : pour plus de soixante-dix ans, celle-ci disparaît du devant de la scène politique mexicaine.

Notes de bas de page

1 Au 35 rue de Sèvres, dans le VIe arrondissement parisien, chacun peut trouver la boutique « Emiliano Zapata ».

2 Les travaux les plus représentatifs de la production soviétique en la matière sont ceux de M. S. Alperovich et B. T. Rudenko, La revolución mexicana de 1910-1917 y la politica de los Estados Unidos, troisième édition, Mexico, Fondo de Cultura Popular, 1969 ; aux États-Unis, ceux de F. Tannenbaum, The Mexican Agrarian Revolution, Washington, D.C., The Brookings Institution, 1930. Ch. C. Cumberland, Mexican Revolution. Genesis under Madero. Austin, University of Texas Press, 1974, F. Katz The Secret War in Mexico ; Europe, the United States and the Mexican Revolution. Chicago. University of Chicago Press, 1981, pour le courant britannique, voir surtout A. Knight, The Mexican Revolution, Lincoln et Londres, University of Nebraska Press. 1990, et J. Womack (Jr.), Zapata y la Revolución Mexicana, Mexico, Siglo xxi, 3e édition, 1970, pour le français, voir J. Meyer, La révolution mexicaine. Paris Calmann-Lévy, 1973. et F.-X. Guerra, México : del Antiguo Régimen a la Revolución México, Fondo de Cultura Económica, 1988 ; et parmi les apports néerlandais il faut citer R. Th. J. Buve, « Peasant Movements, Caudillos and Land Reform during the Revolution (1910-1917) in Tlaxcala, Mexico », Boletín de Estudios Latinoamericanos y del Caribe, XVIII, 1975, pp. 112-152.

3 On peut voir la synthèse des principales tendances dans L. Anaya Merchant, « La construcción de la memoria y la revisión de la revolución », Historia Mexicana 176. vol XLIV, avril-juin, 1995, n° 4, pp. 525-536.

4 On peut à titre d’exemple citer R. Estrada, La Revolución y Francisco I. Madero, primera, segunda y tercera etapas, Guadalajara, 1912, le témoignage de M. Marquez Sterling, Los últimos días del Presidente Madero (Mi gestión diplomática en México), Mexico, Ed. Porrúa, 1958, ou encore les mémoires du général A. Obregon, Ochenta mil kilómetros en campaña, Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1974, ou l’œuvre de J. G. Zuno, Historia de la revolución en el estado de Jalisco, Mexico, Instituto Nacional de Estudios Históricos de la Revolución Mexicana, 1964.

5 Il est évident que ce cloisonnement générationnel n’est pas rigide : un certain nombre de travaux dont celui de J. Romero Flores, Del porfîrismo a la revolución constitucionalista, Mexico, Libro Mex editores, 1960, se trouvent à la charnière de deux générations. En revanche, nettement caractéristique de ce deuxième moment de l’historiographie sur la révolution est l’ouvrage J. Silva Herzog, Breve historia de la revolución mexicana. La etapa constitucionalista y la lucha de facciones, Mexico. Fondo de Cultura Económica, 1960, un des représentants majeurs de ce souci de produire une histoire « scientifique ». Cette deuxième vague a particulièrement nourri l’histoire officielle qui a trouvé un puissant vecteur de diffusion à travers les manuels scolaires de l’enseignement public, gratuit et obligatoire.

6 Elle a été introduite par les travaux de L. Gonzalez, Pueblo en Vilo, microhistoria de San José de Gracia, Mexico, El Colegio de México, 1972.

7 Ce filon fut en particulier réexploré par H. Aguii.ar Camin, La frontera nómada. Sonora en la Revolución Mexicana, Mexico, ed. siglo xxi, 1977, C. Martinez Assad, El laboratorio de la Revolución, el Tabasco partidista, Mexico, ed. siglo xxi, 1979, R. Falcon, Revolución y caciquismo. San Luis Potosí, 1910-1938, Mexico, El Colegio de México, 1984, I. Jacobs, La revolución mexicana en Guerrero. Una revuelta de los rancheros, Mexico, Ediciones Era, 1990.

8 Je voudrais insister ici particulièrement sur l’utilisation de l’idée de révolution comme un processus en marche et comme un programme, et du terme même de révolution comme justification dans le discours des actions du gouvernement, dans le cadre d’un système autoritaire, ce qui n’annule pas les comparaisons possibles avec le cas français et l’utilisation de l’idée de révolution comme légitimation d’un système à tendance démocratique. L’utilisation de la révolution comme légitimation du pouvoir a fait l’objet d’une abondante littérature ; je me permets de renvoyer ici uniquement au livre désormais classique de L. J. Garrido, El partido de la revolución institucionalizada, Mexico, siglo xxi, 1984.

9 Cf. H. Favre, M. Lapointe (éds.), Le Mexique de la réforme néolibérale à la contre-révolution. La présidence de Curios Salinas de Gortari 1988-1994, Paris, L’Harmattan, 1997.

10 G. Palacios, « Calles y la idea oficial de la Revolución Mexicana », Historia Mexicana, vol. XXII, janvier-mars 1973. n° 3, pp. 261-278.

11 Cf. A. Gilly, et alii. Interpretaciones de la revolución mexicana, Mexico, ERA. 1980.

12 Une institution de recherche de la taille de El Colegio de México a entrepris, voici déjà quelques années, de publier en plusieurs volumes une histoire de la révolution mexicaine qui se prolonge jusqu’aux années 1960 !

13 Qu’il s’appelle Partido Nacional Revolucionario, au moment de sa fondation. Partido de la Revolución Mexicana, à partir de sa restructuration en 1938 par Lázaro Cárdenas, ou encore Partido Revolucionario Intitucional, comme il est désigné jusqu’à nos jours, depuis 1946.

14 R. E. Ruiz, The Great Rebellion, Mexico 1905-1924, New York. 1980.

15 Lorsque plus lard on enrichit l’idée de révolution avec le principe des réformes politiques et sociales, on garda quand même, de façon dominante, la délimitation du territoire correspondant à cette préoccupation première qu’était le territoire de guerre.

16 On privilégie par exemple le mois de mars 1908, moment de la publication de l’entretien Díaz-Creelman, les mois qui s’écoulent entre novembre 1910 et mai 1911, qui recouvrent le temps du madérisme armé, l’année 1912, à cause des soulèvements d’Orozco et de Zapata contre le gouvernement de Madero, ou bien encore, en février 1913, la « décennie tragique ».

17 Une exception remarquable annonçait déjà récemment un changement d’attitude : M. Blanco, Révolution y contienda politica en Guanajuato. 1908-1913, México, El Colegio de México-UNAM, 1995.

18 J. Revel.-Mouroz, « Présentation du thème : pour une géopolitique régionale et urbaine », dans id (éd.), Pouvoir local, régionalismes, décentralisation. Enjeux territoriaux et territorialité en Amérique latine, Paris, IHEAL, 1989, p.

19 M. Cebalos Ramirez, El Catolicismo social : un tercero en discordia. Rerum Novarum, la « cuestión social » y la movilización de los católicos mexicanos (1891-1911 ), Mexico, El Colegio de México, 1991.

20 On distinguera par un « e » les états membres de la fédération, pour les distinguer de l’État national.

21 Cf. J. Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Le Seuil-EHESS, 1996.

22 L’historiographie sur le Jalisco s’est insuffisamment interrogée sur cette période. Il faut signaler les travaux de Mario Aldana Rendón comme étant les seuls à questionner la période du point de vue de la révolution, voir tout particulièrement : M. Aldana Rendon, Del reyismo al nuevo orden constitucional. 1910-1917. dans id. (éd.), Jalisco desde la Revolución, t. I. Mexico. Gobierno del Estado de Jalisco-Universidad de Guadalajara, 1987. C’est sa contribution également qui figure dans J. M. Muría (dir.), Historia de Jalisco, t. I, Gobierno del Estado de Jalisco, uned Guadalajara, 1982.

23 Du Jalisco.

24 Voir, en fin de volume, la liste des journaux dépouillés et analysés.

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