Chapitre 8. Un ḥajj sous contrôle
Pèlerinages saoudiens et maintien de lʼhégémonie britannique au hedjaz
p. 239-278
Texte intégral
1Si les puissances européennes assistent avec soulagement au départ des Hachémites du Hedjaz, lʼarrivée des wahhabites ne contribue pas à les rassurer pour autant. Les préjugés sont nombreux, à propos de ces « puritains de lʼislam », tout comme la persistance des maux traditionnels du pèlerinage, à commencer par les mauvaises conditions sanitaires des Lieux saints. Dans un contexte marqué par la Grande Dépression et où la Grande-Bretagne continue à dicter le jeu sur le plan diplomatique et économique, il est difficile au nouveau royaume saoudien de disposer de lʼautonomie nécessaire à la construction dʼune politique nationale du ḥajj, comme lʼillustre la question de lʼintroduction des nouveaux moyens de transport au Hedjaz.
I. À lʼabri de lʼunion jack : le « grand jeu » de la péninsule arabique
A. La contestation internationale du nouvel ordre wahhabite
Le Congrès musulman de La Mecque de 1926
2Dès la prise de La Mecque en 1924, Ibn Sa῾ūd a soulevé la question de lʼinternationalisation des Lieux saints. Il sʼagissait alors de répondre à une demande de lʼopinion publique musulmane – et en premier chef du Comité du Califat –, destinée à mettre un terme aux pratiques confiscatoires des Hachémites et à confier la gestion des affaires religieuses du Hedjaz aux musulmans eux-mêmes.
3Après sʼêtre rendu maître du Hedjaz, Ibn Sa῾ūd convoque du 7 juin au 5 juillet 1926 un Congrès musulman qui se tient en marge du ḥajj. Comme convenu, cette conférence est destinée à examiner la question de lʼinternationalisation des Lieux saints, et, plus largement, les modalités dʼune union renforcée entre les musulmans1.
4Une telle initiative ne pouvait manquer de faire resurgir, aux yeux des Européens, le spectre du panislamisme :
« Le panislamisme – écrit un agent du haut-commissariat français en Syrie – mené par ses chefs, les Turcs dʼAngora, a échoué après lʼabolition par ceux-ci du Khalife. Le sultan du Nedj [sic], imbu de fanatisme à lʼégard de lʼislam et des Arabes, vient dʼentreprendre la résurrection de ce mouvement qui, avec lui, devient « mouvement panislamo-arabe2. »
5À lʼinstar dʼune conférence internationale, des invitations ont été envoyées à tous les souverains musulmans, quʼils soient sous tutelle coloniale, comme le sultan du Maroc ou le bey de Tunis, ou indépendants comme en Turquie, en Afghanistan ou au Yémen. Présentée comme une initiative visant à confier la gestion des Lieux saints aux musulmans eux-mêmes, cette conférence vise en réalité à faire reconnaître par les États musulmans la souveraineté saoudienne sur le Hedjaz. Ibn Sa῾ūd souhaite en effet quʼaucune discussion sur les affaires intérieures ne soit abordée, afin dʼéviter les questions épineuses liées à la présence européenne au Hedjaz ou encore à la destruction des coupoles par les iḫwān. Désireux dʼécarter toute accusation dʼingérence, le souverain wahhabite nʼa pas souhaité participer au déroulement du Congrès. Il se contente dʼouvrir la conférence et de faire lire une adresse où il attire lʼattention des délégués sur le mauvais gouvernement de ses prédécesseurs – lesquels auraient, selon lui, vendu le Hedjaz aux étrangers – et fait lʼéloge de la sécurité retrouvée du pèlerinage et de la diminution des taxes. Les délégations du Hedjaz, du ῾Asīr et du Najd sont venues en force pour faire respecter la volonté du souverain et écarter tout débat relatif à la situation politique du Hedjaz. On comprend mieux dès lors le faible empressement des États musulmans comme lʼÉgypte, le Yémen, lʼAfghanistan et la Turquie à participer aux débats ; leurs représentants, prétextant la nécessité dʼaccomplir leur ḥajj, ne siégeront dʼailleurs quʼaprès lʼouverture du Congrès. De leur côté, les puissances coloniales ont fait le choix de ne pas envoyer de délégués issus de leurs colonies ou protectorats3. La France craint que soit évoquée la question du soutien aux mouvements indépendantistes : Ibn Sa῾ūd nʼa-t-il pas envoyé un télégramme dʼinvitation à Abdelkrim4 ? Quant au gouvernement de lʼInde, il a une nouvelle fois choisi la neutralité, ce qui ne lʼempêche pas de faire étroitement surveiller par un informateur déguisé en Afghan les délégations indiennes – le Comité du Califat qui a envoyé les frères Muḥammad et Shaukat ʼAli ; lʼIndian Ulama Society et lʼIndian Hadith Society dont sont membres les frères Abdul Wahid et Ismail Ghaznavi – et indonésiennes – représentées, entre autres par la Sarekat Islam et son leader Oemar Said Tjokroaminoto5. Les Britanniques accusent nombre de ces leaders dʼaccointances avec lʼURSS qui, quant à elle, nʼa pas manqué dʼenvoyer des délégués6.
6Lors du Congrès, les déclarations panislamiques fusent, quʼelles émanent de défenseurs des wahhabites comme Rašīd Riḍā qui propose la création dʼune Ligue musulmane chargée dʼarbitrer les conflits entre nations musulmanes, ou encore d'acteurs plus critiques, tels les représentants du Comité du Califat qui proposent dʼexiger de chaque pèlerin un serment devant la Ka῾ba afin de débarrasser lʼArabie de toute influence étrangère. Une résolution est ainsi adoptée visant à interdire toute concession dans les Lieux saints à une puissance étrangère. Les frères ʼAli échouent en revanche à faire voter une motion en faveur de la libération des Arabes de la péninsule, que ce soit au Yémen, en Palestine ou en Syrie. Une autre proposition visant à imposer aux puissances étrangères lʼenvoi exclusif de consuls musulmans à Djeddah a retenu lʼattention de lʼassemblée, sans toutefois être adoptée. Les officiers du pèlerinage indien et malais, ainsi que le vice-consul hollandais, tous de confession musulmane, ont dʼailleurs été dans lʼimpossibilité dʼassister au congrès, à la différence du capitaine Ibrahim Depui, gérant du consulat de France, qui en a laissé un récit fidèle7.
7Cependant, les représentants du Comité du Califat comme Muḥammad ʼAlī ont tôt fait de transformer le congrès en un réquisitoire contre la gestion wahhabite du pèlerinage. Les délégations étrangères envisagent ainsi de présenter une motion demandant aux autorités saoudiennes de respecter la liberté religieuse et de ne pas interférer avec les rites du pèlerinage.
8En réponse, Ibn Sa῾ūd fait adopter une résolution en vertu de laquelle, si aucun pèlerin ne doit être inquiété pour ses croyances, aucune innovation blâmable ne saurait en revanche être tolérée dans les Lieux saints8. Confronté à cette volée de critiques, le nouveau maître des Lieux saints décide surtout de ne plus reconduire un tel Congrès.
Lʼincident diplomatique de 1926
9Lors du ḥajj de 1926, les pouvoirs publics saoudiens se concentrent surtout sur la question de la sécurité des routes du pèlerinage et de lʼinterruption des razzias bédouines. Dès janvier 1926, lʼémir du Najd rencontre les chefs des différentes tribus du Hedjaz pour leur confier la garde des principales voies de pèlerinage, tout manquement à la sécurité des pèlerins étant sévèrement réprimé9. Pour les consuls comme pour les pèlerins qui ont encore en mémoire le précédent des pèlerinages hachémites, cette sécurité absolue relève tout simplement du miracle.
« Cʼest une vision étrange – écrit un consul britannique – que de voir deux, trois ou même un seul pèlerin errer le soir à travers le désert en tenant une petite lanterne à la main et signaler leur présence à lʼentour. Bien que beaucoup entreprirent leur trajet de nuit, aucun de ces voyageurs ne fut volé ou blessé. Au lieu de ces grandes caravanes quittant Djeddah avec des escortes comme autrefois, des groupes de deux ou trois allaient et venaient comme bon leur semblait et en toute sécurité10. »
10Les pèlerins sont notamment frappés du zèle mis par les Bédouins, non plus à les dépouiller, mais à les assister en leur fournissant de la nourriture, de lʼeau et du bois de chauffe11. Ce retour à lʼordre permet dʼexpliquer le succès du pèlerinage de 1927. En 1927, on compte ainsi plus de 132 000 pèlerins à Djeddah – contre 55 000 lʼannée précédente –, dont 39 700 Indonésiens, 29 600 Malais et 26 500 Indiens12.
Carte 3 — Origine géographique des pèlerins débarqués à Djeddah en 1927

11Cette sécurité retrouvée a cependant un coût : lʼimposition par les nouveaux maîtres des Lieux saints dʼun ordre moral rigoureux. À La Mecque, la nouvelle police religieuse, la « Ligue pour la protection de la vertu et lʼéradication du vice », est en effet chargée dʼappliquer strictement la šarī῾a. Une ordonnance dʼavril 1926 vient ainsi sanctionner dʼun à dix jours de prison toute absence à la prière du vendredi et dʼun à trois jours tout musulman surpris en train de fumer. La prise dʼalcool est plus durement réprimée, puisquʼen plus du fouet, le contrevenant devra purger une peine dʼun à six mois de prison13. Les pèlerins du Maghreb ressentent vivement ces nouvelles mesures, tel ce pèlerin originaire de Bizerte condamné à la bastonnade pour sʼêtre fait raser la barbe14. Autour du ḥarām, une police religieuse surveille les pèlerins et conduit les Mecquois de force dans la mosquée pour quʼils accomplissent leurs devoirs religieux. Dans les lieux de culte, le dogme de lʼunitarisme (tawḥīd) est appliqué à la lettre. À lʼintérieur de la Grande Mosquée, les enseignements des quatre écoles nʼont plus cours et la prière du vendredi est désormais conduite par un imam wahhabite. Des prédicateurs proches du nouveau pouvoir y disposent dʼune chaire spéciale comme Sanaullah, le président de lʼIndian Hadith Society, ou encore Rašīd Riḍā. Dans les autres localités, oulémas wahhabites et iḫwān sʼen prennent aux rites et lieux emblématiques du pèlerinage populaire. À Médine, les gardiens de la mosquée veillent scrupuleusement à ce quʼaucun pèlerin ne sʼagenouille devant la tombe du Prophète ou ne lui adresse des prières15. Des gardiens sont postés près des cimetières de Médine et de La Mecque ; la tombe de Ḫadīja est fermée à la visite et voit sa coupole rasée au même titre que le mausolée de ḥamza, ou encore la tombe dʼEve, haut lieu de pèlerinage populaire à Djeddah. Parallèlement à lʼinterdiction du culte des saints, les confréries soufies du Hedjaz entament un lent déclin. Des vingt zaouïas senoussies du Hedjaz, seulement trois sont décrites comme étant en bon état en 192816. La confrérie est alors victime du ralliement des tribus bédouines du Hedjaz au wahhabisme, alors que ces dernières comptaient parmi les plus fidèles fervents de la confrérie. Réfugié au Hedjaz depuis la répression italienne en Cyrénaïque, le šayḫ Aḥmad al-Sanūsī est décrit par les Italiens comme « gâteux » et sans influence17.
12En dehors des villes, les iḫwān font également régner la terreur religieuse. Ils sèment la panique lors des cérémonies du pèlerinage, notamment pendant la lapidation rituelle (jamrāt al-῾aqaba) quand, fendant la foule, leurs dromadaires piétinent à mort plusieurs pèlerins18. Mais, en cette année 1926, lʼattention des pèlerins est attirée par un nouvel incident impliquant le maḥmal égyptien. Ibn Sa῾ūd a en effet conditionné la venue de la caravane égyptienne à lʼabandon de toute musique, disposition à la fois contraire au dogme wahhabite et à lʼindépendance politique du nouvel État. Les Égyptiens donnent leur accord à ces mesures et le maḥmal est escorté silencieusement dans les Lieux saints. Ces mesures restent, semble-t-il, sans effet pour les Bédouins qui croisent la caravane sur la route de ῾Arafāt dans la soirée du 19 juin 1926. Les insultes fusent de part et dʼautre. Les Égyptiens sont traités dʼidolâtres et dʼinfidèles. On leur jette des pierres. Le palanquin aussi est visé. Lʼamīr al-ḥajj ordonne alors à ses troupes de faire feu, tuant vingt-cinq Bédouins. Ibn Sa῾ūd et son fils Fayṣal doivent intervenir aussitôt pour éviter que les Bédouins nʼappliquent le droit du sang. Le maḥmal est rapatrié dans la foulée, déclenchant une rupture diplomatique de dix ans entre les deux pays19.
13Cette réaction nʼest pas isolée. Le nouveau roi du Hedjaz est en effet soumis à une véritable quarantaine diplomatique de la part de nombreux États musulmans. En cette année 1926, la Perse vient ainsi dʼinterdire à ses ressortissants dʼeffectuer le pèlerinage en prétextant de la persécution des pèlerins chiites, dont certains auraient été emprisonnés pendant la célébration du muḥarram. En Turquie, le ḥajj est interdit, officiellement en raison de difficultés financières, alors que cette interdiction est surtout la conséquence de la nouvelle idéologie laïque du régime kémaliste. Dans les mandats hachémites de Transjordanie et dʼIrak, après lʼarrestation en mai 1926 au Hedjaz de vingt-cinq personnalités liées aux Hachémites, cʼest une commune hostilité à Ibn Sa῾ūd qui incite les souverains à interdire le ḥajj de leurs sujets20. La Realpolitik nʼest pourtant jamais très éloignée. Ainsi quand, en 1927, le roi Fayṣal dʼIrak envisage de publier un communiqué dissuadant les pèlerins irakiens dʼentreprendre le ḥajj en raison de lʼinsécurité du Hedjaz, le haut-commissaire britannique – qui compte sur Ibn Sa῾ūd pour arrêter les raids des iḫwān sur les frontières irakiennes – lʼen dissuade. Il conseille au Premier ministre Ja῾far al-῾Askarī de ne publier aucun communiqué officiel mais de donner des instructions confidentielles aux fonctionnaires chargés de délivrer des passeports afin quʼils dissuadent les candidats de partir21. Si, pour des raisons diplomatiques, le pèlerinage dʼIrak nʼest pas officiellement interdit, son organisation nʼen est pas moins sérieusement compromise dans les faits.
B. Quand la diplomatie britannique dicte le jeu
Vers une normalisation diplomatique
14À lʼinstar des nations musulmanes, les puissances européennes observent non sans inquiétude les pratiques des nouveaux maîtres du Hedjaz. Afin de dissiper ces craintes, Ibn Sa῾ūd envoie son fils Fayṣal en Angleterre, en France et en Hollande, dont les empires sont de grands pourvoyeurs de pèlerins. À Londres, Fayṣal fait ainsi part du souhait de son père de renégocier le traité de 1915 afin dʼobtenir une reconnaissance immédiate par les Britanniques de la souveraineté et de lʼindépendance du nouvel État. Les Britanniques sont alors partagés sur la politique à adopter vis-à-vis du nouveau régime. Dʼun côté, le Foreign Office aspire à une reconnaissance rapide du nouvel État, ne serait-ce que parce que les Français manifestent une sympathie croissante à lʼégard du nouveau maître des Lieux saints, au même titre que les Soviétiques qui ont été les premiers à avoir reconnu le nouveau régime, le 16 février 1926. Mais dʼun autre côté, lʼIndia Office se montre préoccupé par la gestion des Lieux saints et le comportement des iḫwān que le consul britannique de Djeddah qualifie de « brutes religieuses22 ». LʼIndia Office appelle à la prudence et, sous la pression de lʼopinion publique indienne, demande au Foreign Office de faire pression sur Ibn Sa῾ūd pour quʼil ordonne lʼarrêt de la destruction des tombes23. Ainsi si la reconnaissance par le gouvernement britannique du nouveau régime, le 25 février 1926, a été rapide24, la signature dʼun traité de reconnaissance reste conditionnée au respect dʼun certain nombre de priorités : obtenir des assurances quant au respect des frontières des monarchies hachémites et des émirats du golfe Persique, mais également des engagements en matière de lutte contre lʼesclavage qui va conduire le nouveau royaume à signer la Convention de Genève du 25 septembre 1926. Lʼune des questions centrales demeure la protection des pèlerins. Ainsi, lʼarticle 3 du traité de Djeddah signé le 20 mai 1927 pour une période de sept ans confirme-t-il lʼengagement du nouveau souverain du Hedjaz « à ce que lʼaccomplissement du pèlerinage soit facilité pour les sujets et protégés britanniques de confession musulmane de la même manière que pour les autres pèlerins ».
15Enfin ce traité a aussi pour effet de lever l᾿embargo qui pesait sur le Hedjaz depuis la guerre avec les Hachémites. Cette disposition est essentielle pour la sécurité du ḥajj car elle autorise de fait le royaume à importer des armes britanniques pour lutter contre la rébellion des iḫwān qui menace les routes terrestres du pèlerinage. Avec lʼappui de la Royal Air Force, la révolte du chef bédouin Fayṣal al-Dawiš – qui reprochait à Ibn Sa῾ūd sa trop grande complaisance à l᾿égard des puissances européennes – est ainsi définitivement matée en janvier 1930 ouvrant la voie, le mois suivant, à la signature d᾿un accord de bon voisinage avec lʼIrak25.
16La dernière étape de ce processus de rapprochement concerne lʼétablissement de relations diplomatiques entre Britanniques et Saoudiens, officiellement acté en décembre 1929 lorsque lʼagence de Djeddah est élevée au rang de légation. Le consul William Bond est alors nommé chargé dʼaffaires, avant dʼêtre remplacé par Andrew Ryan, avec rang de ministre plénipotentiaire, en mai 1930, tandis que l᾿État saoudien se dote en décembre dʼun département des affaires étrangères, confié au prince Fayṣal26.
17Deux ans plus tôt, la représentation britannique venait, il est vrai, de déménager pour des bâtiments plus vastes et plus modernes. Avec ses cinq sections, elle « ressemble plus – aux dires du consul de France à Bombay – à un bureau dʼÉtat-major quʼà un organisme de représentation diplomatique27 ». Les moyens déployés se doivent dʼêtre à la hauteur de lʼinfluence exercée par la Grande-Bretagne au Moyen-Orient : en 1924, un « officier du pèlerinage » malais est nommé en la personne de Hajji Abdul Majid bin Zainuddin, inspecteur des écoles de lʼÉtat de Pérak. Abdul Majid joue un rôle central dans le regain dʼintérêt apporté au ḥajj malais de lʼentre-deux-guerres. Il contribue ainsi à attirer lʼattention de ses supérieurs sur la nécessité de rendre obligatoire le passeport de pèlerinage pour ses compatriotes, et à les alerter sur le sort des indigents. Cʼest à lui, par exemple, que lʼon doit la création en 1927 dʼun fonds de secours pour les indigents malais28. Abdul Majid exerce alors ses fonctions en bonne intelligence avec lʼ« officier du pèlerinage » indien Munshi Ihsanullah, un ancien marchand de Médine qui se voit attribuer en 1928 le titre de vice-consul, titre réservé jusquʼici au seul médecin indien du consulat. Le transfert de ce titre du médecin à lʼ« officier des pèlerins » nʼest pas seulement la conséquence de la moindre prégnance des affaires sanitaires dans lʼunivers du pèlerinage indien. Il traduit une nouvelle priorité accordée aux questions dʼorganisation. En 1933, Ihsanullah est ainsi placé à la tête dʼune « section indienne » comprenant sept agents. Désireux dʼéviter, en période de contestation de la tutelle coloniale, toute ingérence visible de Londres ou de Delhi dans les affaires du pèlerinage, les représentants britanniques qui se succèdent se reposent alors sur leurs officiers du pèlerinage Abdul Majid bin Zainuddin et Munshi Ihsanullah, respectivement en poste de 1924 à 1940 et de 1926 à 1937.
18Les officiers du pèlerinage malais et indien entendent assumer pleinement leur fonction de protection des pèlerins que ce soit en matière douanière, où les faits et gestes des agents saoudiens sont étroitement surveillés – que de suivi des réclamations individuelles ou collectives29. Les agents des sections indienne et malaise du consulat remplissent aussi des tâches plus administratives : lʼenregistrement des passeports des pèlerins, la conservation des dépôts et des billets retour remis à lʼaller, mais aussi le règlement de la succession des pèlerins décédés.
19Malgré lʼextension de lʼinfluence anglaise dans le monde arabo-musulman au sortir de la guerre, lʼattention des Britanniques reste néanmoins concentrée sur les pèlerins indiens. Cet état de fait est lié à lʼimportante politique du Raj comme au poids numérique des pèlerins indiens au sein de lʼempire britannique entre 1926 et 1939 (tableau 5).
Tableau 5 — Nombre de pèlerins de lʼempire britannique recensés entre 1926 et 193930
Origine géographique des pèlerins | Moyenne annuelle |
Inde | 12 832 |
Égypte | 9 600 |
Fédération malaise, Straits Settlements et Sarawak | 3 965 |
Afrique de lʼOuest et Nigeria | 2 194 |
Soudan | 2 019 |
Péninsule Arabique | 780 |
Transjordanie et Palestine | 569 |
Pour mémoire : Irak | 484 |
Afrique du Sud et de lʼEst | 351 |
20Outre les pèlerins, cette protection consulaire sʼétend à lʼimportante communauté des marchands indiens du Hedjaz et peut, à lʼoccasion, se transformer en une véritable arme politique.
La mise au ban de lʼItalie fasciste et de la Russie soviétique
21Comme les revenus du ḥajj constituent les premières ressources du trésor du nouveau royaume, les Britanniques, soutenus par les Hollandais, exercent une pression continue sur la diplomatie saoudienne pour écarter de la région les puissances révisionnistes que sont alors lʼURSS et lʼItalie fasciste.
22LʼURSS est le premier État européen à avoir reconnu officiellement le nouveau royaume. Bien que lʼislam soit officiellement persécuté dans le nouveau régime soviétique, le ḥajj des pèlerins étrangers doit permettre de faire rentrer des devises destinées à financer le premier plan quinquennal, en même temps quʼil constitue un instrument de propagande susceptible de diffuser la révolution dans le monde musulman. Comme à lʼépoque tsariste, La Mecque est perçue par les Soviétiques comme un centre anticolonial mais dont il convient désormais dʼencourager lʼactivité grâce à la nomination dʼun nouveau consul, un musulman tatar et bolchévique convaincu, Karim Abdraufovich Kharimov. Dès 1926, une campagne de propagande à grande échelle est lancée : les frontières de lʼURSS sont ouvertes à tous les pèlerins persans, afghans, indiens et chinois à qui les consuls soviétiques ont délivré des passeports à des conditions très favorables. Sur le territoire soviétique, lʼagence de tourisme du nouveau régime (Intourist) facilite le voyage de ces pèlerins jusquʼà Odessa où ils peuvent se reposer dans un caravansérail prévu à leur intention, tandis que la compagnie de navigation nationale Sovtorgflot leur a réservé ses meilleurs navires. Parallèlement, il est prévu, avec lʼaccord du Poliburo, que des agents de propagande accompagnent les différentes cohortes de pèlerins31. En 1927, le ḥajj des Boukhariotes enregistre ainsi une soudaine poussée, jusquʼà devenir en volume le cinquième convoi après les Javanais, les Malais, les Indiens et les Égyptiens32. Inquiet de cette progression, le haut-commissaire britannique au Caire réussit à persuader Ibn Sa῾ūd de restreindre ses relations avec lʼURSS. Il soupçonne en effet le consul soviétique de Djeddah dʼétablir des contacts avec des nationalistes égyptiens par lʼintermédiaire dʼemployés de la Khedivial Mail Line, et de lancer des messages séditieux en direction du Soudan33. Ainsi, lʼannée suivante, les Boukhariotes se voient refuser le débarquement au lazaret dʼEl-Tor, où les autorités égyptiennes craignent quʼils ne diffusent des mots dʼordre hostiles ; leur quarantaine est alors effectuée à bord. Le souverain wahhabite continue de fournir des preuves de sa loyauté : il exige ainsi le rapatriement dʼun médecin soviétique accusé de servir dʼagent de renseignement34. En 1927, il fait arrêter, sous prétexte dʼactivités de propagande communiste, six leaders javanais de lʼAssociation islamique dʼIndonésie venus clandestinement en pèlerinage35. Finalement, la campagne de propagande soviétique de 1927 sʼest plutôt traduite par un échec. Les conditions de voyage à travers lʼURSS ont été mauvaises et la révolte des campagnes a nui à lʼimage de la patrie du socialisme. Au Hedjaz, où les Soviétiques souhaitaient organiser une exposition commerciale, les marchands indiens ont tôt fait, selon le consul britannique, de rappeler à Ibn Sa῾ūd que « le marché naturel du Hedjaz est lʼInde britannique36 ». Lʼopération est renouvelée en 1928 après que le gouvernement soviétique a annoncé son intention, à lʼinstar du tsar Nicolas II, dʼétablir un monopole sur le transport des pèlerins étrangers. Ainsi la Sovtorgflot décide-t-elle dʼouvrir une ligne régulière Odessa-Djeddah, et un dispensaire soviétique est même installé à Djeddah. Toutefois les conditions de voyage restent très précaires. Par ailleurs les craintes émises par le pouvoir central de voir les Boukhariotes et autres musulmans de lʼURSS profiter du ḥajj pour pratiquer leur hijra conduisent à une interdiction pure et simple des départs des ressortissants soviétiques, en attendant que la Grande Dépression ne vienne mettre un terme aux campagnes de séduction destinées aux musulmans étrangers.
23Traditionnellement favorables aux Hachémites, les fascistes italiens voient quant à eux dʼun œil critique lʼinstauration du régime saoudien, soutenu par les Britanniques, et qui pourrait faire barrage à leurs ambitions en mer Rouge. Sous la pression britannique, Ibn Sa῾ūd a en effet refusé de conclure un traité dʼamitié et de commerce avec lʼItalie. Ainsi le gouvernement fasciste prend-il la décision de se tourner vers le Yémen dont le souverain, lʼimam Yaḥyā, aspire à reconstituer le territoire de ses ancêtres qui comprenait alors le protectorat britannique dʼAden – dont les frontières ont été définies par la Grande-Bretagne et lʼEmpire ottoman en 1903-1904 –, la province-tampon du ῾Asīr et les îles Farasān, rattachées au ῾Asīr lors de la Conférence de Paris et que lʼItalie convoite également en raison de leur richesse supposée en hydrocarbures37. La politique de rapprochement est impulsée par Gasparini, gouverneur de lʼÉrythrée, avec le soutien du ministère des Colonies. Des postes de télégraphie sans fil sont installés au Yémen, des missions médicales et des agents commerciaux commencent à tisser des liens entre les deux rives, prolongés par lʼouverture dʼune ligne de navigation entre Massaoua et Hodeidah38. Le développement des échanges entre les deux rives de la mer Rouge conduit à un rapprochement diplomatique et un traité dʼamitié et de commerce est signé le 2 septembre 1926 entre Rome et Sanaa. Pour le ministre des Colonies Lanza di Scalea, cet accord représente « un premier pas impérial dans notre politique coloniale », qui vise à « considérer la mer Rouge comme faisant partie intégrante de notre sphère dʼinfluence et pas seulement comme un canal de transit39 ». À travers cet accord, premier du genre à être signé entre une puissance européenne et un État arabe indépendant, lʼItalie et le Yémen entendent signifier leur commune hostilité à lʼhégémonie saoudienne dans la région.
24Craignant une attaque de son rival yéménite avec le soutien de lʼItalie, le royaume du Najd et la province mitoyenne du ῾Asīr concluent un traité de protectorat le mois suivant. Ce processus est soutenu tacitement par la Grande-Bretagne pour qui cet accord permet de bloquer les visées hégémoniques de lʼItalie sur les îles Farasān. Les fascistes dénoncent alors les ambitions territoriales du régime dʼIbn Sa῾ūd, considéré comme « le point dʼappui du mouvement panislamique dans la résistance contre lʼinvasion européenne », gaspillant les ressources du pèlerinage en armes et munitions40. Ainsi le faible nombre de pèlerins issus des colonies italiennes est-il mis sur le compte de lʼ« intransigeance religieuse » du nouveau régime, de son attitude provocatrice vis-à-vis du monde musulman et de sa politique de persécution à lʼégard des habitants du Hedjaz41. Quant aux wahabbites, ils sont décrits, après les incidents du pèlerinage de 1926, comme « un peuple fanatique, ignorant, guerrier, fort et semi-barbare42 ».
II. Un pèlerinage sous contrainte : lʼapprofondissement de la protection sanitaire et économique du ḥajj
A. La protection sanitaire, enjeu de rivalités diplomatiques
La protection sanitaire du pèlerinage, point de friction entre Britanniques et Saoudiens
25Malgré ces premières avancées diplomatiques, les puissances européennes continuent dʼêtre préoccupées par lʼétat sanitaire des Lieux saints. La situation de lʼhygiène publique dans les villes du Hedjaz reste en effet alarmante : le pèlerin britannique Hedley Churchward – alias Mahmoud Mobarek – se dit alors choqué par la saleté des rues et les odeurs nauséabondes de la Ville sainte quʼil attribue à un système dʼévacuation des eaux usées archaïque43. Quant aux maladies, si la menace cholérique a disparu, la variole, la malaria, la dysenterie et le typhus demeurent endémiques. Le taux de mortalité avoisine les 10 % en période de pèlerinage44. À ῾Arafāt, aucune mesure sanitaire sérieuse nʼa été prise et les charognes envahissent toujours la plaine de Minā. Le système sanitaire du Hedjaz laisse tout autant à désirer. Lʼadministration de lʼhygiène publique est sous-équipée ; elle manque de vaccins et de médicaments et son service médical, composé essentiellement de jeunes médecins militaires turcs et syriens, est peu professionnel45. Ainsi les taux de mortalité sont importants pour des pathologies ordinaires et lʼon ignore des pratiques aussi élémentaires que lʼantisepsie ou lʼisolement des sujets contaminés.
26Pour les autorités sanitaires et diplomatiques européennes, cette situation sanitaire critique justifie la convocation dʼune nouvelle Conférence internationale. Un certain optimisme préside à la conférence qui se déroule à Paris du 10 mai au 21 juin 1926. Celle-ci a pour principal objectif dʼactualiser les mesures adoptées en 1912 et dʼen confier lʼapplication à une « Commission du pèlerinage » siégeant au sein de lʼOIHP. On croit alors aux progrès de la vaccination anticholérique sur laquelle, comme lʼaffirme Albert Calmette, « toute la prophylaxie du choléra doit reposer46 ». Si la plupart des dispositions des anciennes conventions en matière dʼéquipements sanitaires et de mesurage des navires ont été maintenues, le texte marque un certain nombre dʼavancées en élargissant son champ dʼapplication à des pathologies comme le typhus ou la variole, ainsi quʼen imposant une obligation de déclaration à la charge des gouvernements47. Les stations quarantenaires de Kamarān – dont la gestion est assurée conjointement par les Britanniques et les Hollandais en vertu dʼun accord bilatéral intervenu cette même année – et dʼEl-Tor continuent de jouer leur rôle de sentinelles. Sʼagissant de la première, les critiques formulées par les pèlerins et les consuls ont été prises en compte puisquʼil est prévu que toute station quarantenaire doit désormais disposer dʼun personnel instruit, expérimenté et en nombre suffisant. Enfin, afin dʼéviter les séjours pénibles au lazaret dʼAbū Saʻad, il est par ailleurs prévu que les visites médicales à lʼarrivée auront lieu à bord.
27Cependant les allègements consentis pour ménager la susceptibilité des nouveaux maîtres des Lieux saints ne sont pas suffisants. Le délégué saoudien à la conférence, le docteur Maḥmūd ḥamdī, directeur de la Santé publique du royaume, refuse de signer une convention qui continue de maintenir le ḥajj dans une situation dʼexceptionnalité sanitaire.
28Cette persistance de la question sanitaire au Hedjaz fragilise la politique dʼIbn Sa῾ūd. En effet, le mauvais état sanitaire du Hedjaz constitue un prétexte aux yeux dʼun certain nombre dʼÉtats – principalement lʼÉgypte, lʼInde britannique et lʼIndonésie hollandaise – pour maintenir un réseau de dispensaires dans les villes du Hedjaz. De fait, lʼorganisation hospitalière de cette province repose sur un système dual où, à côté des hôpitaux gouvernementaux de Djeddah, La Mecque et Médine, de petite taille et mal équipés, il faut compter avec lʼimportant réseau des dispensaires permanents et hôpitaux de campagne déployés pendant le ḥajj par les gouvernements étrangers. En raison même du succès remporté par ces dispensaires permanents auprès de la population du Hedjaz, le gouvernement saoudien ne peut se résoudre à demander leur fermeture. Les dispensaires indiens sont ainsi très largement plébiscités pour le traitement de la malaria car ils sont approvisionnés en quinine et bénéficient de lʼexpérience de la médecine tropicale indienne. La diminution spectaculaire de la variole, qui disparaît des statistiques sanitaires après 1936, est la preuve que la vaccination est désormais une pratique très largement répandue aussi bien parmi les pèlerins que parmi les habitants du Hedjaz.
29Plus largement, la progression de près 60 % des consultations dans les dispensaires indiens entre 1930 et 1936, alors même que les arrivées extérieures de pèlerins connaissent une diminution proportionnelle, semble abonder dans le sens dʼune plus grande familiarisation des habitants du Hedjaz avec les pratiques médicales en vigueur dans le reste du monde. Malgré tout, lʼactivité des dispensaires indiens reste très encadrée et les médecins étrangers soumis à des formalités administratives pointilleuses. En signe de rétorsion, certains médecins indiens refusent de coopérer avec les autorités sanitaires locales. Ils ne manquent pas ainsi de souligner les déficiences de lʼadministration sanitaire du nouveau royaume ainsi que la lenteur des améliorations apportées. À lire leurs rapports annuels, les conditions hygiéniques et sanitaires du pays empireraient dʼannée en année et les rares améliorations sont imputées aux mesures prises en amont par les États organisateurs, à commencer par la vaccination48. Rendue obligatoire pour les pèlerins des empires français et hollandais, celle-ci est de plus en plus acceptée par les pèlerins indiens dont la mortalité recule dans des proportions importantes en période de pèlerinage, passant de 2,41 ‰ en 1929 à 0,5 ‰ deux années plus tard. Il convient toutefois de nuancer ce bilan flatteur en précisant que la majorité des pèlerinages de la décennie 1930 ont été organisés pendant la période estivale, en dehors de la saison des pluies propice à la propagation des épidémies.
30En dépit des difficultés politiques et économiques quʼil traverse, le nouveau régime a toutefois choisi dʼimpulser un programme de modernisation sanitaire et dʼassainissement des Lieux saints. Des travaux sont entrepris afin de carreler le sol de la Grande Mosquée et de distribuer lʼeau du puits sacré de Zamzam à lʼaide de pompes aspirantes et dʼune robinetterie adéquate. À Minā, la création dʼun abattoir est envisagée ainsi que la couverture de lʼaqueduc de ῾Ayn Zubayda, financée par de riches Indiens, et destinée à améliorer la distribution en eau potable49. Des hangars sont disposés sur la route de ῾Arafāt et des banians plantés contre les insolations, première cause de mortalité en période de pèlerinage. Un service dʼambulance est également mis en place afin de rapatrier au plus vite les malades vers les hôpitaux centraux50. Par ailleurs, la sensibilisation aux risques dʼépidémie progresse chez les habitants du Hedjaz. Le meilleur exemple reste la campagne de vaccination volontaire déclenchée en 1929 à lʼannonce de lʼarrivée dʼun navire indien infecté51.
La diplomatie sanitaire de la France
31Dans cet effort de modernisation sanitaire, Ibn Sa῾ūd est soutenu par le gouvernement français, et plus particulièrement par les autorités mandataires de Beyrouth. Pour ces dernières en effet, le départ des Hachémites des Lieux saints a été perçu comme le moyen de briser leur isolement dans la région. Dès 1926, le haut-commissaire de Jouvenel entreprend donc une politique de rapprochement en direction dʼIbn Sa῾ūd. Ce rapprochement passe notamment par un soutien renforcé au ḥajj. Nommé directeur des services de renseignements du Levant en février 1926, le colonel Catroux cherche à donner une impulsion nouvelle au ḥajj en réduisant de moitié les droits de visa pour encourager les départs en pèlerinage52. Avec un succès limité, semble-t-il, puisquʼon ne compte, en 1926, que 500 pèlerins syriens et libanais.
32Chargé de mission du haut-commissaire auprès du sultan du Najd en 1926, puis gérant du consulat de France à Djeddah, le capitaine Ibrahim Depui nʼen demande pas moins la désignation de deux commissaires français pour les pèlerinages dʼAfrique du Nord et du Levant, assistés chacun de plusieurs pèlerins choisis53. Cette demande semble disproportionnée si lʼon considère les quelque 2 000 Maghrébins et les 1 500 Syriens et Libanais venus en pèlerinage cette année, niveau bien inférieur aux cohortes de lʼavant-guerre.
33À défaut de pèlerins, la France va user de son prestige en matière sanitaire pour faire entendre sa voix dans la région. Cʼest en effet à un ancien élève de la faculté de médecine de Paris, Maḥmūd ḥamdī, quʼIbn Sa῾ūd a confié la tête de la délégation saoudienne lors de la Conférence sanitaire internationale de Paris en 1926. Directeur de lʼadministration sanitaire du nouveau royaume, Maḥmūd ḥamdī ne manque pas dʼenvoyer chaque année un médecin de son administration à la faculté de médecine de Paris afin de compléter sa spécialisation. Bien que le royaume du Najd nʼait pas signé la convention sanitaire de 1926, Ibrahim Depui est le premier à souligner que lʼadministration sanitaire saoudienne prend régulièrement en considération les remarques formulées par la Commission du pèlerinage de l᾿OIHP afin dʼaméliorer lʼéquipement sanitaire des Lieux saints54. Les rapports consulaires français nʼont dès lors de cesse de louer la nouvelle organisation sanitaire en Arabie « qui a fait lʼadmiration des pèlerins55 ». Le curateur de lʼHôtellerie, Hājj ḥamdī, insiste, par exemple, sur la bonne alimentation en eau potable des Lieux saints grâce à la remise en état du circuit des canalisations, sur lʼassainissement de la vallée de Minā, régulièrement arrosée dʼeau mélangée de crésyl et enfin sur lʼefficacité, en période dʼaffluence, des équipes de secours. Il nʼest pas jusquʼà Firmin Duguet, directeur de la santé publique au haut-commissariat de Beyrouth et auteur dʼun ouvrage de référence sur lʼhistoire sanitaire du pèlerinage à La Mecque, qui ne salue les efforts entrepris par le nouveau royaume au regard de « lʼétat de carence sanitaire vraiment médiéval » du Hedjaz hachémite56. On pourra objecter à lʼenthousiasme des Français que ces derniers ont fait le choix, avec le départ de la Mission militaire, de ne plus entretenir de dispensaire permanent dans les Lieux saints, se bornant à accueillir, pendant la durée du pèlerinage, un hôpital de campagne dans les locaux de lʼhôtellerie. Lʼinformation sanitaire y est donc beaucoup moins contrôlée que chez leurs collègues britanniques qui disposent du relais des médecins indiens du Hedjaz.
34Par ailleurs, les autorités françaises secondent les efforts saoudiens depuis le Levant en imposant un contrôle sanitaire plus strict sur le ḥajj. Un arrêté du 27 avril 1926 vient ainsi rappeler que si les frontières terrestres et maritimes sont théoriquement ouvertes, le port de Beyrouth constitue le seul port autorisé à embarquer des pèlerins car il est le seul port des États sous mandat pourvu dʼun lazaret. En plus dʼun cautionnement imposé aux armateurs, lʼarrêté rappelle lʼobligation dʼembarquer un médecin assermenté à bord. La perspective dʼun « grand pèlerinage » en 1927 est lʼoccasion pour les autorités mandataires de resserrer le contrôle sur le ḥajj syrien. Un arrêté du 27 mars 1927 soumet ainsi le départ en pèlerinage à une autorisation annuelle et fait obligation à chaque transporteur dʼembarquer, en plus du médecin de bord, un agent des services quarantenaires. Le dispositif se resserre pendant lʼété 1927, lorsque le port de Bassorah et le sud de la Perse sont frappés par une épidémie de choléra importée dʼInde. Afin de prévenir les arrivées de pèlerins contaminés par voie de terre, le docteur Duguet déclenche un « plan dʼorganisation défensive ». Des consignes sont envoyées aux consuls français dʼIrak leur prescrivant de ne délivrer de passeport pour la Syrie et le Liban que sur présentation dʼun certificat de vaccination anticholérique. En Syrie, des barrages sanitaires sont installés à Abou Kémal, Deir ez-Zor, Palmyre, Homs et Damas, points de passage obligé de tous les pèlerins en provenance dʼIrak et les vaccins nécessaires sont acheminés par lʼarmée dans ces stations57.
35Cʼest enfin à lʼinitiative des délégués français au comité permanent de lʼOIHP que la ville de Beyrouth est retenue comme siège dʼune conférence régionale destinée à coordonner les dispositifs quarantenaires des pèlerinages du Moyen-Orient58. La conférence du pèlerinage musulman qui se réunit dans cette ville les 17 et 18 janvier 1929 réunit les cinq États sous mandat, mais aussi lʼÉgypte et un représentant du Conseil sanitaire dʼAlexandrie. Les délégués sʼentendent alors sur plusieurs « itinéraires reconnus », tant maritimes que terrestres, présentant des garanties suffisantes sur le plan sanitaire, en plus de lʼobligation faite à chaque pèlerin dʼêtre muni dʼun carnet de pèlerinage destiné à prouver quʼil est à jour de ses vaccinations antivarioliques et anticholériques. Cependant lʼobstruction du gouvernement persan conduit à lʼorganisation dʼune nouvelle conférence à Paris en octobre 1930 qui, tout en homologuant les dispositions adoptées à Beyrouth, en élargit lʼapplication à lʼensemble des États de la région. Cette année, le docteur Duguet se félicite de ce quʼaucun pèlerin originaire du Proche-Orient nʼait échappé aux mesures de vaccination et de désinfection au départ de son pays59.
36À travers cette série dʼinitiatives, la France entend réassumer le rôle qui fut le sien, au xixe siècle, en matière de santé publique internationale. Cet effort diplomatique trouve son aboutissement dans la conclusion dʼun accord de reconnaissance franco-saoudien signé le 10 novembre 1931 à al-Djazayra en Syrie pour une durée de dix ans60. Si les dispositions relatives à la protection des pèlerins sont reprises de lʼaccord britannique de 1927, une clause a néanmoins été insérée relative à la reconnaissance, par le nouveau régime, de « la sujétion française des individus originaires des territoires placés sous la souveraineté de la France ». Le souvenir des brimades subies par les pèlerins algériens et tunisiens à lʼépoque des pèlerinages ottoman et hachémite est encore vif dans les esprits.
B. La protection économique du pèlerinage, nouveau champ dʼintervention des empires
Les conséquences de la Grande Dépression sur les revenus du pèlerinage
37Les efforts de modernisation du nouveau régime restent toutefois étroitement dépendants des ressources dégagées par le pèlerinage, première source de revenus du royaume. En 1928, le consul italien estime à cinq millions de livres sterling les capitaux apportés chaque année par les pèlerins javanais au Hedjaz, soit un montant supérieur au produit fiscal perçu par le gouvernement des Indes néerlandaises61.
38Mais la Grande Dépression a raison des effectifs indonésiens qui sʼeffondrent dès 1929 (figure 9). Le revenu disponible des pèlerins indonésiens et des Malais de lʼempire britannique est en effet étroitement lié aux cours de lʼhévéa. Moins réactif à la conjoncture internationale, le pèlerinage indien nʼen enregistre pas moins une baisse de fréquentation liée à un faisceau de causes aussi bien structurelles, comme la paupérisation croissante du Bengale, que conjoncturelles, à lʼinstar des famines et inondations, de la chute du prix du jute en 1930 ou encore du renchérissement du coût du pèlerinage lié à la dévaluation de la livre sterling et de la roupie en 1931. Le niveau dʼétiage est atteint en 1933 lorsque le nombre de pèlerins débarqués dans le port de Djeddah chute à 20 000 contre 56 000 en moyenne sur lʼensemble de la période.
Figure 9 — Évolution du nombre de pèlerins indiens, malais et indonésiens débarqués à Djeddah de 1926 à 1939

39À la crise commerciale et financière que connaît le Hedjaz, il faut ajouter la crise monétaire que traverse le pays à compter de lʼautomne 1931. En septembre 1931, la Grande-Bretagne abandonne lʼétalon-or et laisse flotter sa monnaie. La nouvelle monnaie saoudienne, le riyal, arrimée à la livre sterling et à la roupie indienne, est directement menacée. Afin de soutenir la monnaie nationale, le ministère saoudien des Finances interdit les exportations dʼor et lève un emprunt forcé de 24 000 livres auprès des marchands de Djeddah62. Ces mesures sont insuffisantes. En décembre 1931, le riyal décroche de sa parité officielle et poursuit sa chute jusquʼen 1934. En trois ans, la monnaie saoudienne a perdu plus de la moitié de sa valeur.
40Les effets de la récession se font rapidement ressentir : les magasins ferment, les Bédouins affamés investissent les villes, des coupes claires sont effectuées dans les effectifs de lʼadministration. Le bakchich revient ainsi à lʼhonneur chez les douaniers, qui considèrent cette pratique comme une juste compensation des arriérés de salaire. Par ailleurs, les taxes étant exprimées dans des unités monétaires différentes, les pèlerins sont plus que jamais exposés à lʼarbitraire des changeurs. Grande est la tentation, pour les pouvoirs publics comme pour les acteurs du pèlerinage, de chercher à retirer le maximum de bénéfices de la rente que constitue le ḥajj. Le risque économique sʼen trouve accru pour les pèlerins, ce qui incite les empires à mettre en œuvre des mécanismes de protection.
Une protection dʼun nouveau genre
41Face à lʼamplification du risque économique, les administrations coloniales ont mis en œuvre différents mécanismes de protection. Le premier vise à protéger les pèlerins des risques de change. Hollandais et Britanniques disposent alors chacun dʼun établissement financier au Hedjaz ; la Nederlandsche Handelmaatschappij et la Gellatly Hankey and Co peuvent ainsi convertir les devises à des taux plus favorables que ceux pratiqués par les changeurs locaux. Cette possibilité a longtemps été refusée aux consuls français de Djeddah qui nʼavaient dʼautre choix que de recommander aux gouvernements coloniaux de fournir aux pèlerins des livres-or plutôt que des francs, avant dʼobtenir en 1929 du gouverneur général de lʼAlgérie lʼenvoi dʼagents du Crédit foncier afin de protéger les pèlerins contre les spéculateurs. Lʼopération est un succès et est étendue lʼannée suivante aux deux protectorats63. Prompt à critiquer lʼorganisation du pèlerinage français, le gouvernement italien reprend cette idée en sollicitant, en 1933, la filiale dʼAsmara du Banco dʼItalia qui décline cette proposition, faute de personnel et de stock dʼor disponible64. Mais les pèlerins ont aussi recours aux circuits privés de leurs compatriotes installés au Hedjaz, à lʼinstar des hundis des pèlerins originaires du Gujarat, équivalent des Travellers Cheques de lʼagence Cook, dont lʼusage connaît cependant un certain recul à Djeddah à partir de 1932, les marchands indiens exigeant de leurs compatriotes que ces effets soient garantis par le consulat65.
42Un autre moyen de se prémunir contre le risque économique consiste à améliorer le niveau dʼinformation des pèlerins. Comme son prédécesseur, le régime saoudien cherche en effet à compenser la baisse de fréquentation du ḥajj par une augmentation des taxes de pèlerinage et des droits de douane sur un certain nombre de produits essentiels comme le sucre, le thé ou le riz. Mesures vaines semble-t-il, car les ressources douanières passent en 1931 sous la barre du million de livres. De nouvelles taxes de pèlerinage sont alors créées, et les droits existants enregistrent une hausse de près de 58 % en quatre ans. Dans ces conditions, comment garantir les sujets musulmans des empires contre une hausse des coûts du pèlerinage susceptible de les plonger à tout moment dans lʼindigence ? Faute de pouvoir disposer dʼune information précise, les autorités coloniales françaises sʼen tiennent à la règle intangible des « moyens nécessaires » quitte à fixer le montant du pécule à un niveau hors dʼatteinte de nombreux pèlerins66. Le gouvernement de lʼInde et le Foreign Office se refusent toujours à instaurer une telle règle quʼils jugent trop contraignante67. Aussi en appellent-ils, une nouvelle fois, au sens des responsabilités de chaque pèlerin. À cet effet, les consuls demandent aux autorités saoudiennes de leur fournir, avant chaque pèlerinage, la liste complète des taxes et tarifs en vigueur au Hedjaz. Quand elle peut être dressée à temps, cette liste est transmise par le consulat général au gouvernement de lʼInde qui la communique aux Haj Committees avant chaque départ. Il est dès lors possible pour les services consulaires de se livrer à une estimation préalable des coûts du pèlerinage. Réalisé pendant six années, entre 1927 et 1932, cet exercice ambitionne de dresser un état complet des coûts de pèlerinage depuis les frais dʼacheminement et de séjour dans les ports indiens jusquʼà lʼétablissement dʼune nomenclature des différentes taxes en vigueur au Hedjaz. Cette initiative a pu avoir des effets vertueux. En 1932, conscient quʼune hausse des prix au Hedjaz pourrait avoir des répercussions sur les candidats au pèlerinage, Ibn Sa῾ūd décide de réduire tous les frais de pèlerinage et de baisser les taxes dʼun tiers de leur montant. Lʼinformation, aussitôt répercutée en Inde, entraîne un regain du pèlerinage indien, de lʼordre dʼun tiers, sans pour autant atteindre les niveaux de la décennie précédente68. Lʼévolution des prix au Hedjaz nʼen continue pas moins dʼêtre scrupuleusement observée par le consulat britannique de Djeddah et le gouvernement de lʼInde, car toute évolution imprévisible des tarifs peut conduire le plus prévoyant des pèlerins à une situation proche de lʼindigence et obliger le budget indien à supporter le coût de son rapatriement.
43Parmi tous les risques économiques liés au ḥajj, celui lié aux guides du pèlerinage (muṭawwifūn) mobilise alors lʼensemble des empires. Les réseaux consulaires hollandais traquent plus que jamais les allées et venues de ces guides dans lʼocéan Indien69. Au Hedjaz, Hajji Abdul Majid et Munshi Ishanullah – qualifié de « malleus muṭawwiforum70 » par ses supérieurs, allusion au traité médiéval de sorcellerie Malleus Maleficarum publié par Institoris et Sprenger en 1482 – nʼhésite pas à constituer, en bonne intelligence avec le consulat des Pays-Bas, une « liste noire » des mutawwifūn indésirables qui se voient refuser leur visa pour lʼAsie du Sud-Est. Les plaintes sont enregistrées au consulat qui en réfère aux autorités saoudiennes décidées à appliquer des sanctions exemplaires. Le pèlerinage de 1926 se solde ainsi par de nombreuses amendes et lʼarrestation de plusieurs guides71.
44La récession aidant, le contrôle des autorités locales sur les muṭawwifūn tend à se relâcher et ceux-ci regagnent progressivement leur capacité dʼinfluence à lʼintérieur du royaume. En 1931 ainsi, les plaintes contre les guides atteignent des niveaux inégalés ; on ne compte plus les cas de pertes de pécules imprudemment confiés aux muṭawwifūn et lʼon assiste au retour de pratiques que lʼon croyait révolues, comme la vente forcée de billets retour. Cette année-là, les pèlerins indiens décident de riposter de leur propre initiative. Ils entament une campagne de désobéissance et refusent de verser le montant de taxes quʼils estiment excessives72. Le consul de Djeddah et le gouvernement de lʼInde profitent de la situation pour renforcer leur contrôle sur les muṭawwifūn en exigeant dʼeux quʼils sʼenregistrent dans leur consulat de rattachement. Le vice-consul Ihsannullah obtient par ailleurs la révocation du šayḫ des pèlerins indiens73. Ce contrôle des guides sʼétend jusque sur le territoire indien ; le départ de ces derniers est désormais soumis à un visa à durée limitée afin quʼils ne puissent rester en Inde après le départ des pèlerins et laisser ces derniers sans guide au Hedjaz. De son côté, le ministre saoudien des Finances fait obligation aux muṭawwifūn se rendant à lʼétranger de disposer dʼun garant, et de sʼengager sous serment ne pas négocier leurs tarifs directement avec les pèlerins. Le nouveau royaume saoudien a en effet profité lui-même de cette crise pour reprendre le contrôle de cette corporation. Un « Comité supérieur du ḥajj » est créé en 1933 afin de régler les différends à lʼintérieur de la corporation ainsi quʼune commission dʼinspection, chargée de donner suite aux plaintes des pèlerins74.
45Il nʼest pas alors jusquʼaux pèlerins de lʼempire français qui nʼaspirent désormais à avoir leurs « guides officiels ». Il est ainsi décidé de recommander des noms sûrs aux pèlerins selon leur pays dʼorigine. Le muṭawwif principal des Algériens au Hedjaz, Ahmed Bouchnak, est désigné comme guide officiel par la légation de France75.
46Cʼest en partie pour remédier à ces risques dʼexploitation multiples que Français et Italiens avaient décidé dʼacquérir un hospice à La Mecque pendant la Grande Guerre, bientôt suivis par les Hollandais en 1923. LʼHôtellerie des Maghrébins de La Mecque est ainsi dotée en 1920 dʼun curateur (amīn) très actif. Outre sa fonction première qui est de loger les représentants des délégations officielles et autres notables du pèlerinage, le curateur est amené à jouer un rôle croissant en matière de renseignement. Bien que Ḥusayn puis Ibn Sa῾ūd se soient toujours refusés à reconnaître ces curateurs en tant quʼagents diplomatiques, ils ne les considèrent pas moins comme des interlocuteurs valables. À lʼoccasion du pèlerinage, ceux-ci introduisent les notables des colonies auprès du roi et sont invités à toutes les audiences et repas solennels. Ils remédient aux carences de la protection consulaire en accompagnant les pèlerins dans le ḥarām, où ils ne manquent pas de surveiller leurs agissements. LʼAlgérien Hadj Hamdi Belkacem va jouer ainsi un rôle central dans lʼorganisation du pèlerinage de lʼempire français. Recruté en 1920, il occupe sans interruption la fonction de curateur pendant lʼentre-deux-guerres, à lʼexception dʼune parenthèse de cinq ans où il est remplacé par Khellal El-Menouar. Cette durée est un gage de stabilité pour la présence française au Hedjaz. Cet ancien cadi de Theniet el-Had bénéficie de la confiance des pèlerins et des autorités françaises ; lesquelles décident de lui attribuer la qualité de délégué du consul de France à La Mecque puis le titre de vice-consul en 1933. Sa forte présence pendant les pèlerinages contribue également à faire passer au second plan la personnalité des consuls, à lʼinstar de Jacques Maigret que son homologue britannique décrit comme fuyant les contacts et vivant replié à lʼintérieur de son consulat76. Dès lors, les rapports de pèlerinage dʼHadj Hamdi vont se substituer progressivement à ceux des consuls, qui se contentent de les faire suivre en y ajoutant quelques remarques. Hadj Hamdi ayant la réputation dʼêtre pondéré, ses remarques sont souvent suivies dʼeffet, comme lorsquʼil déconseille au Quai dʼOrsay dʼinstaller un dispensaire français à La Mecque, au motif que la plupart des médecins, syriens et francophobes pour la majorité dʼentre eux, verraient dʼun mauvais œil lʼinstallation dʼun concurrent77.
47LʼItalie dispose également dʼune hôtellerie à La Mecque, dʼabord tenue par des gardiens locaux, avant de disposer dʼun curateur, en la personne du médecin Aref Edhem, recruté en 1929. Conscient que la mission principale de cet agent doit dʼabord être politique, sa fonction de médecin et dʼhôtelier étant qualifiée de « superflue78 », le gouvernement italien lui confie dʼentrée de jeu des missions de renseignement. Licencié après une année de service au motif quʼil aurait eu des liens avec des éléments anti-italiens à La Mecque79, il est remplacé par le Tripolitain Ali Dafer, un ancien interprète auprès du Bureau foncier de Tripoli, qui manque également de se faire limoger en 1934 et ne doit son salut quʼau consul de Djeddah, qui estime quʼil est devenu un interlocuteur légitime du ministère saoudien des Affaires étrangères80.
Une indépendance économique encore précaire.
Le cas des hydrocarbures
48Lʼeffondrement du pèlerinage, conséquence de la Grande Dépression, suivi de la dévaluation de la livre britannique et de la roupie, ont frappé en son cœur lʼéconomie du Hedjaz. La crise monétaire ayant entraîné la chute du commerce dʼimportation, le gouvernement dʼIbn Sa῾ūd recherche son salut dans lʼexploitation de ses ressources naturelles : lʼeau, lʼor et les hydrocarbures81.
49Conseiller dʼIbn Sa῾ūd, le Britannique Harry Saint John Philby se félicite dʼavoir le premier attiré lʼattention du souverain sur les richesses de son sous-sol, alors que celui-ci, en roi bédouin, semble sʼintéresser davantage aux ressources en eau82. Appuyé par le ministre saoudien des Finances ῾Abd Allāh Sulaymān, Philby prépare, à lʼissue du ḥajj de 1931, une entrevue entre le souverain et le millionnaire américain Charles Crane. Crane, connu dans la région pour avoir coprésidé la commission King-Crane sur les mandats, est un fervent soutien de la cause arabe. Aussi, la visite au Hedjaz de lʼingénieur des mines américain Karl Twitchell qui suit de quelques mois cette entrevue passe-t-elle, aux yeux de Londres, comme une simple faveur à caractère philanthropique83.
50La découverte de gisements pétrolifères à Bahreïn en mai 1932 va changer la donne et pousser les compagnies pétrolières britanniques et américaines à prêter un regain dʼintérêt aux ressources saoudiennes. Cette année-là, lʼendettement du royaume atteint des niveaux inégalés et Ibn Sa῾ūd soumet lʼautorisation de prospecter à des conditions draconiennes, à commencer par le paiement immédiat de 100 000 livres-or. Aussi, des trois compagnies en ligne, seule la compagnie américaine Standard Oil of California (Socal) se déclare intéressée. Elle subit en effet de plein fouet la dépression du marché intérieur américain et souhaite se lancer à la conquête des gisements moyen-orientaux. Cette candidature a été, il est vrai, largement soutenue par Philby dont la compagnie établie à Djeddah, la Sharqieh (Eastern) Limited, se fournit auprès de la Socal en équipements et approvisionnements automobiles divers.
51Selon Philby, ce choix dʼune compagnie américaine ne constitue nullement un défi pour le pouvoir britannique84. Dʼautant que les compagnies pétrolières britanniques sont déjà bien pourvues en concessions dans le golfe Persique, et, à la fin de la décennie, la péninsule Arabique ne compte que pour 22 % des approvisionnements britanniques85. Ainsi, lorsque la concession est signée le 3 mai 1933 par Sulaymān et Lloyd Hamilton, envoyé de la Socal, les Britanniques sont loin dʼy voir « le début dʼune véritable romance, surpassant les plus improbables contes des Mille et Une Nuits86 » comme lʼécrira Philby avec le recul des années. Cette signature, si grosse de conséquences pour lʼavenir économique et politique de la famille des Āl al-Sa῾ūd, constitue à cette époque un non-événement. La preuve en est quʼalors que lʼexistence du pétrole à Dharan est attestée dès 1935, le consul Trott évoque de son côté un « espoir détrompé87 ». Pour les Britanniques en effet, les priorités sont ailleurs : en Perse, son second fournisseur, en Irak, grand pourvoyeur de pétrole brut et surtout à Bahreïn où des gisements sont découverts entre 1933 et 1937 et où une raffinerie permet lʼexportation de pétrole vers tout lʼempire88.
52En attendant, la SOCAL entend honorer son contrat et débloque la première tranche du prêt à lʼArabie Saoudite en 1934, permettant à cette dernière de commencer à rembourser lʼemprunt contracté auprès du gouvernement de lʼInde. Lʼextraction officielle débute en 1938. Plutôt que de sʼen inquiéter, lʼAngleterre paraît plutôt sʼen réjouir car le versement des premières royalties devrait signifier à terme une baisse des taxes de pèlerinage89. Un premier oléoduc est ouvert en 1939, permettant dʼatteindre le million de tonnes annuel à la fin de lʼannée contre le versement de 200 000 livres-or de royalties90.
53Lʼimpact de ces ressources pétrolières ne doit pas être surévalué. En effet, avec seulement treize millions de tonnes à la veille de la guerre, cette production reste encore très marginale dans la région. La découverte de lʼor noir nʼa donc pas permis à lʼArabie Saoudite, dans un premier temps du moins, de sʼaffranchir des revenus du pèlerinage comme de lʼinfluence de la Grande-Bretagne qui veille jalousement à conserver sa position hégémonique dans la région, notamment en matière de transport maritime.
III. Le transport aux Lieux saints, UN enjeu politique
54Après la sécurité sanitaire et économique des pèlerins, la question des déplacements constitue lʼautre pilier des politiques du pèlerinage qui sont mises en œuvre dans lʼentre-deux-guerres. À cet effet, les administrations coloniales entendent disposer dʼune maîtrise des modes dʼacheminement de leurs pèlerins vers les Lieux saints. Au fil des années, le « navire à pèlerins » sʼest imposé comme le véhicule par excellence du ḥajj colonial puisquʼil permet de contrôler les faits et gestes des passagers et de maîtriser le temps et lʼespace parcourus. Cette hégémonie a été consacrée par le droit international. Ainsi la convention sanitaire internationale de Paris de 1926 nʼaccorde-t-elle aucune reconnaissance aux transports terrestres, à lʼexception des trajets en chemin de fer pour lesquels la surveillance sanitaire relève de la responsabilité des pays traversés. Dès lors la reconquête des itinéraires terrestres du pèlerinage constitue un enjeu politique de premier ordre pour lʼArabie et ses voisins arabes.
A. Une tentative de reconquête du ḥajj par la maîtrise de lʼoffre de transports
Lʼéchec du projet de restauration du chemin de fer du Hedjaz
55En 1926, lors de la huitième séance du congrès de La Mecque, le jeune mufti de Jérusalem Sayyid Amīn al-Ḥusaynī donne lecture dʼune déclaration reconnaissant la qualité de waqf au chemin de fer du Hedjaz dont les sections syrienne et palestinienne sont alors exploitées par la France et la Grande-Bretagne. Au moment de son accession au pouvoir, lʼémir du Najd a en effet manifesté son désir de remettre en service les sections endommagées du chemin de fer du Hedjaz et dʼobtenir à cette fin lʼaccord des autorités mandataires française et britannique en vue du financement des travaux de réfection. Plus largement, le nouveau roi du Hedjaz, en tant quʼhéritier des droits du sultan sur son territoire, souhaiterait se voir confier la gestion de lʼensemble de la ligne. Il propose que des démarches soient entreprises auprès des autorités mandataires pour en demander la rétrocession à un conseil islamique général91.
56Cʼétait sans compter les réticences des puissances mandataires, à commencer par la France qui considère la section syrienne du chemin de fer comme un bien national syrien et en a affermé lʼexploitation en 1924 à la Compagnie des chemins de fer Damas-Hama et prolongements (DHP). Afin de tenter de régler cette question, une conférence internationale est convoquée à Caïffa en août 1928. Y participent les quatre États intéressés, le Hedjaz, la Palestine, la Transjordanie et la Syrie, représentés par leurs autorités mandataires respectives. Mais la conférence est ajournée, le délégué du Hedjaz ayant soulevé la question de la propriété de la ligne92.
57Le gouvernement saoudien décide alors de se lancer dans une entreprise de mobilisation de lʼopinion publique musulmane dans les territoires concernés. Une société de bienfaisance dénommée « Comité de défense de la voie ferrée du Hedjaz » est ainsi créée à Damas en janvier 1931, afin de demander la restitution de la voie ferrée à ses propriétaires légitimes. Une pétition est envoyée à cette fin au haut-commissaire français au Levant, bientôt suivie dʼun communiqué adressé au monde musulman afin que des commissions analogues soient formées dans toutes les capitales musulmanes. Les auteurs du texte soulignent que la ligne aurait été confiée à la compagnie du DHP en violation du pacte du mandat pour la Syrie et le Liban, qui requiert lʼaccord des populations intéressées en matière de biens waqf 93. Ces requêtes sont relayées par la population. Le 24 octobre 1931, tous les magasins des souks de Damas restent fermés en signe de protestation. Le mois suivant, une protestation de lʼAssociation de la jeunesse musulmane est envoyée à la Société des Nations afin que cette ligne soit restituée aux musulmans94.
58Lʼensemble de ces revendications est repris par le Congrès musulman qui se tient à Jérusalem du 7 au 17 décembre 1931 afin dʼattirer lʼattention du monde musulman sur le sort de Jérusalem et dʼopposer ainsi, selon les propres termes des organisateurs, « une barrière solide aux convoitises des sionistes appuyés par lʼétranger95 ». Sʼy distinguent des leaders panarabes, tel que Šakīb Ārslān, Rašīd Riḍā, Ryāḍ al-ṣulḥ ou encore le šayḫ tunisien ʼAbd al-῾Azīz ṯa῾ālibī. La restitution du chemin de fer du Hedjaz à la communauté musulmane figure parmi les revendications du Congrès ainsi que du Comité supérieur islamique de Jérusalem qui en est lʼémanation. Lʼépouvantail du panislamisme est de nouveau agité par les autorités coloniales quand elles découvrent quʼune campagne de souscription a été lancée dans les pays musulmans sous la forme de vente de timbres, lointain souvenir des contributions volontaires demandées à chaque pèlerin par le sultan Abdülhamid II lors de la création de la ligne. De leur côté, les Saoudiens encouragent les pétitions et financent les activités des différents comités de défense par le biais de leur réseau diplomatique96. En 1931, un banquet est ainsi organisé lors du pèlerinage à lʼintention toute particulière des pèlerins syriens97. Ibn Sa῾ūd sʼy serait félicité du projet de traité dʼamitié et dʼalliance signé avec le roi Fayṣal dʼIrak, interprété par les observateurs européens comme « la première étape dʼune confédération entre les pays dʼislam98 ».
59Par cette initiative, Ibn Sa῾ūd cherche surtout à contrer le projet dʼune fédération syro-irakienne défendue par Fayṣal. Dans le prolongement du Congrès de Jérusalem, le Premier ministre irakien Nūrī Sa῾īd vient en effet de donner son accord à la tenue dʼun congrès à Bagdad destiné à défendre un projet de Croissant fertile, éventuellement étendu à la Transjordanie et à la Palestine. Face à ce quʼil considère comme une tentative dʼencerclement menée par les Hachémites, Ibn Sa῾ūd propose que ce Congrès panarabe se tienne à La Mecque, qui, à la différence de Bagdad, serait libre, selon lui, de toute influence étrangère99. Convaincu des sympathies pro-hachémites des musulmans du Levant, Ibn Sa῾ūd nʼa en réalité dʼautre choix que de jouer le rapprochement avec les autorités mandataires françaises et britanniques de Syrie et de Palestine100. Ainsi, en dépit de déclarations fracassantes contre lʼhégémonie européenne prononcées lors des banquets de pèlerinage, Ibn Sa῾ūd sait se montrer pragmatique et conciliant, notamment lorsquʼil renonce à toute prétention sur le chemin de fer du Hedjaz, à lʼissue de la seconde conférence de Caïffa en octobre 1935101.
60Le royaume dʼArabie Saoudite ne désarme pas pour autant. Ses ambitions se reportent alors sur le transport automobile, grande nouveauté des pèlerinages de lʼentre-deux-guerres, et qui remporte alors un succès croissant auprès des pèlerins.
Les aléas du transport automobile au Hedjaz
61Lors du ḥajj de 1926, la sécurité ayant été rétablie sur les routes intérieures, les pèlerins peuvent admirer dans les Lieux saints le défilé de voitures de marque Ford, Chevrolet ou Fiat. Trois heures sont désormais nécessaires pour rejoindre La Mecque depuis Djeddah et non plus trente-six heures par caravane, quinze à dix-huit heures pour relier La Mecque à Médine contre une vingtaine de jours à dos de chameau auparavant. Ce nouveau mode de transport connaît un succès immédiat. En deux ans, entre 1927 et 1929, le nombre de voitures passe de deux cents à plus de mille. Sous la pression de compagnies locales, hostiles à toute forme de monopole, les autorisations ont été accordées à tout propriétaire de véhicule à moteur avec pour simple obligation la possession dʼun certificat technique ainsi que dʼune licence délivrée contre le paiement dʼune taxe. Cependant, cette offre peine encore à trouver sa clientèle puisque, à raison de trente livres sterling le trajet entre Djeddah et Médine, seuls les pèlerins les plus aisés peuvent se permettre des trajets à un coût aussi élevé.
62Cette innovation suscite de nombreuses critiques. Les Européens, par exemple, sont partagés quant aux bénéfices supposés du transport par automobile dans le cadre du pèlerinage. Les autorités coloniales françaises y voient, comme en matière sanitaire, un signe de la modernisation du royaume. Dès lors, elles font progressivement obligation à leurs pèlerins de réserver, en même temps que leur passage sur un navire agréé, une place auprès dʼune compagnie saoudienne de transport. Mais tandis que le consul britannique considère le transport automobile comme un processus irréversible102, le consul italien nʼy voit quant à lui quʼune « source de tristesse pour les amoureux des couleurs orientales103 ».
63En effet, symbole dʼune modernité occidentale agressive, lʼautomobile suscite en réaction, chez les voyageurs et pèlerins européens de lʼentre-deux-guerres, comme un désir de réenchantement des Lieux saints. Publiée en 1929, la fiction Pellegrinaggio alla Mecca de lʼécrivain italien Paolo Giudicci est un modèle du genre, après le succès dʼédition remporté seize ans plus tôt par le roman orientaliste du Français Albert Le Boulicaut. Dans cette reconstruction orientalisante du pèlerinage, lʼinfluence prétendument corruptrice de lʼOccident est absente du récit, à lʼexception toutefois dʼun vapeur fumant dans le port de Djeddah, arborant le pavillon dʼun pays du brumoso Nord, et dont la seule présence lui rappelle que la « vie lumineuse de lʼOrient » sʼest aujourdʼhui achevée sur cette rive de Djeddah104. En revanche, quand lʼauteur évoque les chaînes montagneuses du Hedjaz, c᾿est pour les décrire comme « une barrière insurmontable qui rend le berceau de lʼislam plus éloigné quʼil nʼest en réalité et mystérieux comme la légendaire cité de bronze des Mille et une Nuits105 ». Le journaliste autrichien Leopold Weiss, converti sous le nom de Muḥammad Asad, est quant à lui l᾿un des premiers témoins européens de l᾿introduction de la voiture dans les Lieux saints qu᾿il dépeint en des termes prophétiques lors de son ḥajj de 1927 :
« Chargées en pèlerins et faisant retentir leurs klaxons, des automobiles, nouveauté en Arabie Saoudite, nous dépassèrent. Les chameaux devaient pressentir que les nouveaux monstres étaient leurs ennemis, car ils faisaient des écarts à l᾿approche de chacun d᾿eux, se serrant craintivement contre les murs des maisons et agitant leurs longs cous à gauche et à droite dans des mouvements confus et désemparés. L᾿aurore menaçante d᾿un ère nouvelle s᾿annonçait pour ces grands et patients animaux, les remplissant de crainte et de pressentiments apocalyptiques106. »
64Parmi les habitants du Hedjaz, ces « nouveaux monstres » ne font pas que des émules. Lʼusage des véhicules choque le puritanisme de certains imams wahhabites comme des Bédouins chameliers qui y voient un manque à gagner. La corporation des chameliers réussit toutefois à faire pression sur le pouvoir pour quʼil instaure des voies alternatives ainsi que des plages horaires spécifiques destinées à éviter les engorgements. Certains pèlerins se voient même vanter par leurs muṭawwifūn les mérites religieux dʼun pèlerinage accompli sur la monture du Prophète. Dans ce contexte, le transport en chameau reste très compétitif et bénéficie encore, en cette fin de décennie, dʼun « regain inattendu107 ». Mais les observateurs notent de leur côté la paupérisation croissante des Bédouins. Dʼautres protestent en jonchant les pistes automobiles dʼobstacles divers, écho lointain de lʼâge héroïque où les Bédouins avaient fait échec au projet dʼextension du chemin de fer du Hedjaz.
65Ce nouveau moyen de transport se révèle toutefois rapidement inadapté à son environnement. Les pannes et arrêts forcés sʼaccumulent et nombreux sont les passagers qui doivent donner de leur personne pour dégager leur véhicule des sables. Dʼautant que, sous la pression des chameliers, des restrictions à lʼimportation ont été imposées. Elles ont entraîné un vieillissement du parc, déjà éprouvé par des durées dʼimmobilisation hors pèlerinage souvent supérieures à six mois. En 1931, plus de la moitié des doléances des pèlerins indiens portent ainsi sur les déplacements intérieurs108. En plus de la mauvaise qualité des routes, les pèlerins incriminent les retards excessifs, les pertes de bagages, la séparation des familles, lʼinexpérience des conducteurs.
66Le consul britannique Andrew Ryan juge le moment opportun pour intervenir. Après avoir dénoncé par lʼintermédiaire de son vice-consul lʼincurie de lʼadministration saoudienne et le népotisme de ses gouvernants soumis à la pression de « capitalistes influents » – Harry Saint John Philby vient alors, il est vrai, de se voir attribuer un monopole pour dix ans sur lʼimportation de véhicules Ford, de pneus et dʼarticles de stations-service – le consul recommande la création de stations-relais sur les routes du pèlerinage disposant de stocks dʼhuile et dʼessence ainsi que de véhicules de remplacement. La solution est adoptée en 1933, assortie d'une durée maximale de trajet109.
67Cet accord trouvé avec les Britanniques est perçu par le gouvernement saoudien comme un encouragement à contrôler lʼoffre de transports par lʼinstauration dʼun monopole. En 1934, Ibn Sa῾ūd prend ainsi la décision de fusionner lʼensemble des compagnies dans une seule et même société composée de deux sections, la première constituée par les véhicules du gouvernement, la seconde par les voitures des compagnies privées qui représentent les deux tiers du parc global. La première année de fonctionnement de ce cartel est calamiteuse. Si 60 % des pèlerins indiens prennent encore lʼautomobile en 1935, la part chute de moitié lʼannée suivante. Réticents au projet de compagnie nationale, les propriétaires privés ont en effet vendu leurs derniers véhicules neufs et le manque de voitures de tourisme a contraint les notables du pèlerinage à voyager dans des camions du gouvernement110.
68La situation sʼaméliore à compter de 1937 où, à la faveur de la reprise du pèlerinage, le nombre de voyages par automobiles a doublé111. En prévision de cette hausse, quatre-vingts nouveaux véhicules ont été importés et un service dʼautobus instauré entre La Mecque et ῾Arafāt ainsi que vers Médine. Le retour des pèlerins vers lʼautomobile se confirme durant les deux années suivantes. Le transport par automobile tend peu à peu à se généraliser, certains pèlerins en profitant même pour accomplir le rite du sa῾īy en voiture. La compagnie nationale est désormais à même de dégager des bénéfices importants qui profitent à lʼune de ses nouvelles composantes, lʼArab Motor Company (AMC), dont le principal actionnaire nʼest autre que ʼAbd Allāh Sulaymān, ministre des Finances du royaume et grand organisateur du ḥajj112.
La route de Zubayda, symbole du nouveau pèlerinage irakien
69Après son indépendance obtenue en 1932, le royaume hachémite dʼIrak cherche symboliquement à rouvrir lʼancienne piste de Nadjaf à Médine, dite « piste de Zubayda », autrefois empruntée par Hārūn al-Rašīd et les califes de Bagdad pour se rendre aux Lieux saints. Imaginée à lʼorigine par des transporteurs britanniques113, cette initiative est présentée comme une œuvre de reconquête du ḥajj dans les milieux nationalistes. Elle présente en effet lʼavantage de contourner les monopoles maritimes de la Société orientale de navigation de Beyrouth et de la Khedivial Mail Line, ainsi quʼun moyen de tenir en échec la compagnie automobile britannique Mesopotamia Persia Corporation Ltd, représentante à Bagdad de la Khedivial Mail Line. On comprend dʼautant mieux les réserves émises par les Français et les Anglais quant à cette initiative qui, pour le chargé dʼaffaires français en Irak, serait le produit des « tendances fâcheuses issues du nationalisme intégral114 ».
70Dès le début de la décennie 1930, un nombre croissant de pèlerins iraniens et irakiens du Moyen-Euphrate commence à emprunter lʼancienne route des Abbassides. Un diplomate français estime alors que ces pèlerins auraient été encouragés à cette fin par des prédicateurs locaux ; ces derniers faisant miroiter les avantages politiques, économiques et moraux dʼun parcours en terre indépendante « qui les soustrait au surplus au contrôle de lʼétranger et à ces désagréables exigences quarantenaires115 ».
71Soucieux de ne pas concurrencer son propre projet de route vers la province orientale dʼAl-Hassa, le gouvernement saoudien aurait tout dʼabord cherché à temporiser. Mais, devant lʼenthousiasme provoqué au Hedjaz par cette initiative et la perspective dʼun accroissement des arrivées de pèlerins, une commission mixte irako-saoudienne est mise en place à la fin de lʼannée 1934 afin de fixer le tracé de la nouvelle route. En février 1935, à quelques jours de lʼouverture du pèlerinage, un accord est trouvé entre les délégués des deux États réunis à Djeddah : de Nadjaf à Médine, le transport sera assuré par cinq compagnies irakiennes privées tandis que lʼArabie Saoudite réserve à sa compagnie nationale la section comprise entre Médine et La Mecque116. La piste est inaugurée en grande pompe sous la forme dʼune « croisade de pèlerins intellectuels », composée dʼinstituteurs et dʼétudiants irakiens117. Une liaison télégraphique est ouverte pour lʼoccasion entre lʼIrak et le Najd. Pour contrer le risque de contagion sanitaire, un lazaret provisoire est établi à al-Raḥba, tandis que des missions gouvernementales composées de médecins, dʼingénieurs et dʼofficiers de police sont envoyées pour améliorer les postes quarantenaires et installer des dépôts de vivres et de carburant le long de la piste. Il sʼagit en effet de ne pas prêter le flanc à la critique des autorités sanitaires internationales. Si, du fait de lʼouverture tardive de la piste, ce premier pèlerinage par automobile nʼest pas à la hauteur des résultats attendus118, il a suscité lʼintérêt du roi ῾Abd Allāh de Transjordanie et celui, à Beyrouth, du haut-commissariat français qui songe à ouvrir un itinéraire concurrent à travers le désert du Hauran119.
72Lʼannée 1936 consacre le succès de la nouvelle route, à la faveur du traité dʼamitié signé entre lʼIrak et lʼArabie Saoudite. Plus de deux mille pèlerins font le choix de la voie terrestre dont le coût est deux fois moins élevé que la voie maritime et louent le confort des voitures irakiennes ainsi que les arrangements pris en matière de sécurité et dʼapprovisionnement en eau. LʼÉtat irakien en profite pour établir un monopole sur le transport automobile des pèlerins. En retour, la voie maritime depuis Beyrouth sʼeffondre. Le directeur du service de la Santé du haut-commissariat ne peut que constater que les effectifs enregistrés au départ de Beyrouth en 1936 nʼont jamais été aussi bas depuis quinze ans120.
73La Commission du pèlerinage de lʼOIHP nʼa dʼautre choix que de reconnaître que lʼautomobile constitue « un mode de transport qui a pris et prendra, sans doute, un développement de plus en plus grand » ; elle signale aux États concernés la nécessité de lui notifier les routes autorisées ainsi que de renforcer le contrôle sanitaire au retour121. Cʼest chose faite lʼannée suivante avec lʼintégration du nouvel itinéraire dans le champ dʼapplication de la convention de Paris de 1931. Les pèlerins empruntant cette voie sont désormais tenus de fournir passeports, carnets de pèlerinages, certificats médicaux et billets aller et retour ainsi que de procéder au dépôt dʼun cautionnement auprès du trésor irakien122. Des quatre routes terrestres officiellement reconnues par la convention, le ministre de France en Irak doit admettre que cʼest désormais la voie Nadjaf-Médine qui remporte la faveur des pèlerins123.
74Une tendance comparable à la nationalisation des transports de pèlerins peut être observée en Égypte, où le système de concession maritime pour vingt ans, introduit en 1932, vise à favoriser les compagnies nationales recrutant des agents égyptiens. Le regain du pèlerinage égyptien à partir de 1935 contribue à viabiliser ce modèle. Conséquence du traité anglo-égyptien de 1936, la Khedivial Mail Line change de pavillon en 1937, provoquant une réduction de moitié du nombre de voyages effectués sous pavillon britannique. À la fin de la décennie, la flotte égyptienne effectue une percée remarquable et dépasse même la Grande-Bretagne en termes de déplacements effectués dans le cadre du ḥajj. Cependant cette tendance passe relativement inaperçue, à la différence de lʼévénement que constitue le premier pèlerinage effectué en avion. En 1936, lʼinfluente banque Misr, qui possède déjà sa propre compagnie de navigation, la Misr Steamship Line, affrète un avion de sa compagnie Air Misr entre Le Caire et Djeddah, afin de permettre à la sœur de lʼancien khédive de voyager sans encombre une fois ses rituels de pèlerinage achevés124. Lʼaffaire est aussitôt signalée par la Commission du pèlerinage de lʼOIHP et le Conseil sanitaire dʼAlexandrie car elle nʼest pas sans poser des problèmes au regard des règles dʼhygiène internationale qui imposent une quarantaine au retour. En lʼabsence de dispositions spécifiques, il est alors décidé dʼétendre les articles de la convention de 1926 prévus pour les navires à pèlerins à ce cas dʼespèce125. Lʼannée suivante, une ligne régulière Le Caire-Djeddah et Djeddah-Médine est ouverte au profit de nombreuses personnalités égyptiennes. Ce succès autorise le directeur de cette même banque, ṭala῾at ḥarb, à prendre la tête du maḥmal égyptien126. Cependant, lʼÉtat saoudien ayant imposé une taxe élevée sur les transports aériens, la ligne est supprimée en 1939127.
B. Les discrets pèlerinages de lʼempire britannique
75Ces initiatives ne sont pas de nature à remettre en cause la suprématie maritime des Britanniques. Pendant lʼentre-deux-guerres, près de deux pèlerins sur trois – contre 20 % à peine pour les Hollandais – se rendent au Hedjaz sur des navires britanniques, soit un total de près de 500 000 pèlerins. Malgré tout, lʼimpression qui domine chez les observateurs européens est bien que la Grande-Bretagne nʼa pas de politique du pèlerinage. Ainsi lʼadministrateur Soubrillard sʼétonne-t-il que les pèlerins indiens soient bien traités sur mer et dans les Lieux saints alors que leur gouvernement, selon ses propres termes, « nʼorganise pas ses pèlerinages128 ». Quant au consul italien, il nʼhésite pas à écrire à son Département que « le pèlerinage des sujets anglais se déroule sans aucune attention particulière de la part du gouvernement et des autorités locales129 ».
76Il est vrai que les consuls britanniques de Djeddah cherchent alors à éviter toute démonstration visible de la puissance britannique, comme sʼil sʼagissait pour eux de mieux désamorcer les critiques dʼingérence qui pourraient être faites de la part de lʼopposition indienne :
« Un des aspects les plus déplaisants de la vie officielle à Djeddah, écrit le consul Bullard dans ses Mémoires, est la surveillance étroite que lʼon doit effectuer de quelques vauriens indiens qui vivent de fonctions religieuses ou politiques. Il existe un de ces individus dont le slogan est « En finir avec lʼingérence de la Légation britannique dans les affaires du pèlerinage ». Notre « ingérence » se limite à récolter les passeports des pèlerins et leurs billets retour quand ils sont sur place, afin que les guides ne le leur volent pas, ou ne le leur achètent pour les revendre à dʼautres personnes, ainsi que de rapatrier les indigents et, à certains égards, de les aider130. »
77Pour les Britanniques, dont lʼinfluence nʼa jamais été aussi forte dans la région, lʼenjeu semble en effet de dépolitiser le ḥajj pour mieux en dissimuler la nature impériale. Deux pistes sont alors privilégiées : lʼassociation des élites à lʼorganisation du ḥajj et lʼamélioration des conditions de traversée.
Entre pèlerinages civils et commissions dʼenquête : lʼassociation croissante des élites musulmanes à lʼorganisation du ḥajj
78Pendant lʼentre-deux-guerres, lʼattention portée aux élites musulmanes se manifeste par une opération de propagande originale : lʼorganisation, à lʼissue du ḥajj, de pèlerinages « civils » à destination de la métropole. À l᾿instar des autres grandes manifestations de propagande impériale131, ces pèlerinages ont pour objet de convaincre les élites musulmanes de la grandeur de l᾿empire britannique. C᾿est le Nigeria – territoire où Lord Lugard a éprouvé ses méthodes d᾿association – qui sert ici de territoire d᾿expérimentation. Dès 1921, le secrétaire dʼÉtat aux colonies Winston Churchill prête le plus grand intérêt au voyage en Angleterre de l᾿émir de Katsina, principauté musulmane du Nord Nigeria, à lʼissue de son ḥajj. Lʼenjeu consiste tout dʼabord à manifester une allégeance symbolique à l᾿Empire à travers son roi George V qui décerne au prince la médaille des Native Chiefs. L᾿émir de Katsina a par ailleurs fait part de son désir de rencontrer une légende vivante de lʼempire en la personne du colonel Lawrence. Cet attachement à l᾿empire passe aussi par le partage de valeurs communes à travers les loisirs aristocratiques que sont les courses de chevaux à Lingfield ou les matchs de polo à Hurlingham. Mais l᾿aspect le plus original de cette visite consiste dans son volet économique et technologique, destiné à affirmer la supériorité technologique de la métropole. Après la visite de la Bank of West Africa, des ingénieurs déploient devant les yeux admiratifs de leur hôte des trésors de technologie comme la machine à calculer ou le dictaphone132. Neuf ans plus tard, cʼest au tour de l᾿attah d᾿Igbirra de manifester son souhait de se rendre en pèlerinage à la mère patrie après avoir accompli ses obligations religieuses. Son programme de visite obéit à une logique plus subtile : il s᾿agit moins dʼimpressionner par la promotion des avancées technologiques que de convaincre de la nécessité d᾿accroître les échanges entre le Nigeria et la métropole. Après la crise de 1929, l᾿idée de préférence impériale a cheminé dans les esprits. Nos voyageurs se rendent ainsi à Birmingham et à Liverpool afin de visiter lʼentreprise de savon de Port Sunlight, produits fabriqués à base dʼhuile de palme importée de la province de Kabba d᾿où est originaire le prince. À Manchester, une étape est prévue à l᾿entreprise d᾿impression de calicot de Strines où l᾿attah et sa suite peuvent admirer des vêtements inspirés de l᾿Afrique de l᾿Ouest133. Ces opérations de propagande sont un succès. En 1933, une nouvelle visite est ainsi programmée à l᾿intention de l᾿émir de Katsina134.
79Une autre modalité d᾿action consiste à renforcer lʼassociation des élites musulmanes à lʼorganisation du pèlerinage, à lʼinstar de ce qui est pratiqué en Inde. Il s᾿agit d᾿une donnée ancienne, à lʼimage du rôle joué, avant chaque départ en pèlerinage, par les « protecteurs des pèlerins », en bonne intelligence avec les notables des Haj Committees locaux. Le Haj Committee de Karachi, par exemple, comprend onze personnalités influentes représentant les différentes tendances de la communauté musulmane de la province. Avant chaque départ, leurs délégués visitent les pilgrim camps situés généralement dans une localité isolée et où chaque pèlerin est tenu de subir des opérations de vaccination et de désinfection sous la surveillance dʼun « protecteur des pèlerins ». À lʼoccasion, les Haj Committees font également office d'institutions charitables destinées à venir en aide aux pèlerins indigents. Ils ont également pour fonction de recueillir les observations et les critiques des pèlerins. Dans un rapport envoyé au président du Haj Committee de la province de Bihar en 1924, un pèlerin estime ainsi que les prix de passage vers les Lieux saints sont excessifs si on les compare à ceux de la ligne Bombay-Londres135. Les conditions de traversée sont souvent mises en cause, surtout lors des voyages retour caractérisés par un relâchement de la surveillance sanitaire, des navires surchargés, une nourriture de mauvaise qualité et enfin une absence de discipline à bord136.
80Parmi ces doléances, la question du délai dʼattente des navires au retour du ḥajj constitue lʼune des préoccupations majeures du pèlerinage indien. Un délai de quelques jours peut effectivement suffire à plonger dans lʼindigence des pèlerins partis avec le strict nécessaire. En effet, rien ne garantit que les mêmes navires qui ont acheminé les pèlerins à lʼaller iront rechercher ces derniers à leur retour de La Mecque. Soucieuses de rentrer dans leurs fonds après avoir concédé des baisses importantes de tarifs, il est fréquent que ces compagnies de navigation effectuent des trajets secondaires pendant la durée du pèlerinage, quand elles ne louent pas leurs navires à dʼautres compagnies, comme la Khedivial Mail Line pour faciliter le retour des pèlerins égyptiens. Dès lors, les pèlerins indiens se retrouvent fixés à Djeddah pour des périodes pouvant excéder un mois. À défaut dʼintervenir par une réglementation contraignante, le gouvernement de lʼInde fait le choix des sanctions pécuniaires. Dès 1925, un premier amendement est apporté à lʼIndian Merchant Shipping Act afin dʼimposer une amende dʼune roupie par jour au-delà dʼun délai dʼattente de vingt-cinq jours137. Mais lʼefficacité de cette mesure est limitée, certaines compagnies comme la Nemazee Line refusant purement et simplement de sʼacquitter de cette amende. Si bien quʼen 1929, Amir Ahmad Alawi, proche du Comité du Califat, se montre particulièrement critique à lʼégard de lʼorganisation britannique des déplacements qu᾿il nʼhésite pas à comparer à celle mise en œuvre par les Hollandais :
« Le consulat hollandais est très bien organisé […]. Ils [les Javanais] sont arrivés le matin, et les compagnies maritimes ont tamponné leur billet et leur ont demandé dʼembarquer. Aussi simple que cela ! Tous ces ennuis et ces peines sont seulement pour nous, pauvres Indiens, qui avons dû attendre trois jours durant à Djeddah et craignons pour nos vies. Jʼai mangé le sel de lʼempire britannique, reçu une instruction en langue anglaise, et acheté un billet de première classe. Jʼai dépensé beaucoup dʼargent pendant le voyage aller ; à cet instant il mʼen reste encore beaucoup. Cependant jʼai affronté de si grandes difficultés pour rentrer [en Inde]. Comment pourrai-je raconter les tourments quʼont subi ces pauvres hères illettrés qui sont couchés au bord de la route et nʼont même pas le courage dʼapprocher leurs gouvernants138 ? »
81Un certain nombre dʼanciens membres du Comité du Califat sʼemparent alors de la question. Ainsi lʼinfluent Abdul Kaser Kusuri se rend lui-même au Hedjaz en 1927 afin dʼétudier des mesures destinées à améliorer le sort de coreligionnaires139 tandis que Shaukat Ali, membre dʼun Haj Committee, vient en personne accueillir les pèlerins à leur retour de ḥajj140 .
82Pour remédier à ces vagues de critiques, le gouvernement de lʼInde institue en 1929 un « Comité dʼenquête sur le Ḥajj », composé de notabilités musulmanes, avec pour mission de dresser un état des lieux des conditions de traversée et de séjour des pèlerins indiens141. Sans surprise, toutes les propositions formulées par le rapport vont dans le sens dʼun encadrement croissant du pèlerinage, que ce soit la nécessité de rendre obligatoires les photographies sur les passeports ou dʼaccroître de la présence médicale indienne au Hedjaz, à travers la création de deux dispensaires supplémentaires à La Mecque. Le gouvernement de lʼInde attache une importance croissante à ces propositions, notamment à celles relatives à la vaccination obligatoire. Un rapport rendu en 1930 par deux anciens pèlerins signale, fort à propos, une disparition du préjugé antivaccin chez leurs coreligionnaires car le vaccin permet dʼéviter un séjour prolongé à Kamarān142. Lʼannée suivante, lʼensemble des pèlerins indiens sont ainsi vaccinés contre le choléra avant lʼembarquement, si bien que, pour la première fois depuis 1882, aucun navire en provenance dʼInde nʼest forcé de mouiller dans cette station.
83Cette politique dʼassociation des élites trouve son accomplissement dans la création, le 8 mai 1930, dʼun « Comité permanent du pèlerinage au Hedjaz », placé auprès du vice-roi afin de le conseiller dans les affaires du pèlerinage. Présidé par un fonctionnaire du Department of Education, Health and Lands auquel il est rattaché, ce comité comprend sept personnalités musulmanes dont cinq membres élus par la Legislative Assembly et deux par le Council of State143. En octobre 1932, le Port Haj Committees Act vient donner une existence légale aux Haj Committees des ports de Bombay, Calcutta et Karachi, composés de notables civils et religieux. Pour remédier aux difficultés de la traversée, il est décidé que les Haj Committees nommeront des délégués ayant pour mission de signaler toute irrégularité commise à lʼencontre de lʼIndian Merchant Shipping Act pendant le voyage. Ces délégués – dont le premier nʼest autre que le vice-président du Bombay Haj Committee – reçoivent lʼappellation dʼamīr al-ḥajj, référence empruntée aux caravanes de pèlerinage de l᾿empire moghol144.
Le monopole de fait de la Mogul Line et ses limites
84Enfin, un certain nombre de problèmes relatifs à la traversée trouvent alors leur solution dans lʼassociation des compagnies de navigation à la politique britannique du ḥajj. Dans lʼimmédiat-après-guerre, plusieurs compagnies de navigation se disputent le marché : certaines à capitaux exclusivement britanniques comme la Mogul Line, propriété des sieurs Turner et Morisson depuis 1913, dʼautres entre les mains de marchands hindous de Bombay comme la Scindhia Navigation Company, plus connue sous le nom de Haj Line. Parmi les compagnies présentes dans la région, on compte la Persian Gulf Steam Navigation Company, la Sushtary Line et la Nemazee Line de Singapour qui dessert également les archipels malais et indonésien, au même titre que la Straits-Hedjaz Steamship Company. Dès 1926 cependant, la Mogul Line achemine à elle seule plus de la moitié des 19 000 pèlerins indiens, ce qui la place en position dominante sur le marché. Branche de la Bombay and Persia Steam Navigation Company – une compagnie rachetée en 1912 par lʼAsiatic Steam Navigation Company et la British India Steam Navigation Company –, la Mogul Line est spécialisée dans les transports à destination de lʼExtrême-Orient, du golfe Persique et de la mer Rouge. À la faveur de la Grande Dépression, elle acquiert rapidement un monopole de fait sur le transport des pèlerins aux Lieux saints.
85Cette situation de monopole, si insatisfaisante quʼelle soit au regard des principes du libre-échange, nʼen contribue pas moins à lʼamélioration des conditions de voyage, la compagnie nʼétant plus contrainte de réduire le confort de traversée à sa plus simple expression afin dʼoffrir des billets au meilleur prix. La présence dʼun opérateur unique permet ainsi de mener une série dʼexpérimentations destinées à améliorer graduellement les équipements et services à bord, sans bouleverser les habitudes de voyage des pèlerins. Le principe de la prise en charge de la nourriture par lʼarmateur – le montant des repas étant inclus dans le prix du billet – est ainsi introduit à titre expérimental en 1929. Trois ans plus tard, cʼest au tour du déchargement direct des bagages dans le port de Djeddah – sans passer par lʼintermédiaire des sambouks de Djeddah, source perpétuelle de désordres et de pertes – de faire lʼobjet dʼune expérimentation avant dʼêtre généralisé. Une série dʼamendements à lʼIndian Merchant Shipping Act est ainsi adoptée en 1933 et 1934. Au titre des mesures les plus significatives, on compte lʼamélioration des équipements sanitaires, ou encore lʼobligation, pour des raisons d᾿hygiène et de sécurité, de prendre les repas servis à bord par des cuisiniers musulmans145. Cet épisode nʼest pas sans rappeler celui de lʼagence Cook dans la décennie 1880, les désagréments politiques et économiques dʼune concession en moins.
86Pour le voyage retour, le choix du système de la rotation, inspiré des méthodes hollandaises, finit progressivement par s᾿imposer. Un comité local, comprenant le délégué du kaïmakam, le président du Haj Committee de Djeddah et les représentants des compagnies de navigation, est ainsi chargé de dresser un ordre dʼembarquement en vertu duquel les premiers arrivés – un numéro dʼordre figure à cet effet sur le tout nouveau passeport – seront également les premiers à repartir. Les délais dʼattente se réduisent et, en 1933, pour la première fois depuis lʼaprès-guerre, tous les pèlerins indiens peuvent repartir aussitôt leur pèlerinage achevé146. Enfin, il n᾿est pas jusqu᾿au problème du rapatriement des indigents qui n᾿ait trouvé, dans ce contexte, sa solution, facilitée il est vrai par la politique de restriction à lʼimmigration pratiquée par le royaume saoudien. À compter de 1926, le gouvernement de Delhi sʼabrite derrière lʼoption laissée par la Convention sanitaire internationale entre la constitution dʼun dépôt préalable et lʼacquisition dʼun billet retour. Entre ces deux solutions, c᾿est la dernière, encouragée par les armateurs, qui tend à l᾿emporter. À partir de 1928, le seuil des trois quarts de billets retour vendus est atteint, avant que la pratique de lʼachat de billets simples ne sʼeffondre sous lʼeffet de la crise et de la volatilité des prix. Cette réforme est importante à plus dʼun titre. Dʼune part, avec la fin des billets simples, cʼest la coutume séculaire du patronage moghol où de riches Indiens offraient des aumônes sous forme de billets aller à des pauvres qui tend à disparaître. Dʼautre part, lʼaugmentation du coût du voyage induite par lʼachat du billet retour permet de réduire ipso facto la part des indigents embarqués et de renforcer la proportion des pèlerins aisés.
87Ce renchérissement a cependant pour conséquence lʼapparition dʼun pèlerinage clandestin au départ de lʼInde. Rapporté au total des pèlerins indiens, ce phénomène reste marginal. Les itinéraires adoptés sont variés. Les pèlerins peuvent ainsi arriver aux Villes saintes depuis le Yémen, le Najd, la Transjordanie ou lʼIrak en empruntant des véhicules à moteur. De manière plus anecdotique, deux Indiens décident en 1933 dʼaccomplir leur pèlerinage à bicyclette. Lʼun dʼentre eux réussit même à atteindre Médine mais doit vendre son vélo pour payer ses taxes de pèlerinage. Les trajets par lʼIrak restent très minoritaires – à peine 10 % des clandestins – et semblent plutôt le fait de pèlerins indiens de confession chiite, qui profitent de leur voyage pour visiter les Lieux saints de Nadjaf et Karbala147.
88Plutôt que Bassorah, cʼest le port de Mascate qui constitue, pour les pèlerins indiens, la porte dʼentrée de la péninsule Arabique. Deux itinéraires sʼoffrent aux irréductibles de la voie de terre. Le premier traverse le Najd en passant par Riyad mais connaît une certaine désaffection après quʼen 1937 un convoi dʼune centaine de pèlerins a été stoppé par la police saoudienne et contraint à rebrousser chemin148. Lʼautre itinéraire consiste à longer la Côte de la Trève par Al-Mukallā dans le Hadramaout avant de rejoindre le Hedjaz par le Yémen. Or ces pèlerins sont particulièrement surveillés aux frontières du royaume saoudien149. Le gouvernement saoudien est en effet peu désireux dʼaccueillir des pèlerins dénués de ressources, dont le séjour sʼavère souvent une source de nuisances. Il concentre ses efforts de contrôle sur la frontière yéménite ainsi que sur ses frontières maritimes. En 1936, il interdit ainsi à cinq cents pèlerins indiens de quitter la province dʼal-Hassa, à charge pour le gouvernement de lʼInde de les rapatrier150. Quant aux indigents physiquement présents dans les Lieux saints, le gouvernement saoudien crée à leur intention des poor houses, où ils sont enfermés et occupés à des œuvres utiles. Les consuls dʼAngleterre préfèrent de loin cette solution – qui nʼest pas sans rappeler lʼAngleterre victorienne – à la prison151. Ces deux mesures conjuguées – obligation du billet retour et surveillance aux frontières – semblent avoir été relativement dissuasives, si lʼon en juge par la décroissance significative du nombre dʼindigents rapatriés enregistrée à partir de 1936.
89Pendant lʼentre-deux-guerres, lʼempire britannique domine incontestablement le pèlerinage à La Mecque : après le retrait des pèlerins indonésiens consécutif à la Grande Dépression, Indiens, Malais et Soudanais figurent parmi les plus importants contingents de pèlerins. Soucieux de désamorcer les critiques qui émergent au sein leur empire, les Britanniques veillent à associer au mieux les élites musulmanes à lʼorganisation du pèlerinage. Pendant la décennie 1930, les comparaisons avec les autres empires sʼestompent au fil des rapports consulaires, à commencer par les références à lʼorganisation hollandaise qui tendent à se faire plus discrètes. Quant aux autres empires, ils sont généralement ignorés. En 1927, par exemple, le consul britannique sʼétonne de « la présence inaccoutumée de Nord-Africains » en pèlerinage152. Cette absence du pèlerinage français semble plutôt relever dʼun effet de source, tant lʼempire français sʼattache, à la même époque à soigner son image dans le monde musulman en organisant de véritables croisières à lʼintention de ses pèlerins.
Notes de bas de page
1 M. Kramer, 1986, p. 186.
2 ADN, Beyrouth, 1043, 30 juin 1924.
3 ADN, Maroc, CD, 678 ; FO 371/11442, 17 septembre 1926.
4 ADN, Maroc, CD, 678, 5 et 15 mai 1926.
5 Créée en 1912 par Hadji Oemar Said Tjokroaminoto, cette association vise à défendre les droits des Indonésiens face au gouvernement hollandais. Elle fait notamment de lʼéducation lʼune de ses priorités.
6 IOR/L/PS/11/261, 12 juillet 1926.
7 ADN Beyrouth, 619, 7 août 1926.
8 M. Kramer, 1986, p. 116-117.
9 FO 371/ 11442, Umm-al-Qurā, 60, 19 février 1926.
10 FO 371/11436, rapport de pèlerinage de 1926.
11 ASMAE, Africa II, Pos 91-22, Fac. 51, 15 juin 1927.
12 FO 371/11436, FO 371/12248, rapports de pèlerinages de 1926 et 1927.
13 ASMAE, Arabia I, 798, rapport du consul de Djeddah du 12 avril 1926.
14 ANOM, GGA, 16h/92, rapport secret du 6 août 1928.
15 É. Dinet, 1930, p. 48-49.
16 ASMAE, AP, Egiaz (1920-1925), 13 juillet 1928.
17 AMAE, Correspondance/E/Levant, 59, 26 juin 1931 (apostille).
18 FO 371/11442, rapport du pèlerinage de 1926 ; ADN, Maroc, CD, 678, 19 juillet 1926.
19 FO 371/11436, 26 août 1926 ; FO 371/1142, Djeddah report de juin-juillet 1926.
20 ASMAE, Arabia I, 798, 30 mai 1926.
21 CO 732, 24/2, 15 et 16 avril 1927.
22 FO 371/15 29, rapport du pèlerinage de 1931.
23 FO E/3631/20/91, 12 juin 1926.
24 C. Leatherdale, 1983, p. 59-63.
25 G. Troeller, 1976, p. 239.
26 A. Vassiliev, 2000, p. 296.
27 ADN, Beyrouth 663, 24 février 1933.
28 J. Slight, 2015 p. 288-292.
29 FO 371/15291, rapport de pèlerinage pour 1931.
30 Sources : rapports de pèlerinage de 1926 à 1939 (FO). La « péninsule Arabique » comprend la colonie dʼAden et les protectorats du Hadramaout, de Mascate, Koweït et Bahrein. Lʼ« Afrique de lʼEst » comprend notamment le Somaliland et Zanzibar.
31 E. Kane, 2006, p. 157-174.
32 Entre 1926 et 1927, le nombre de pèlerins soviétiques passe de 1 470 à 3 469. FO 371/11436 et FO 371/12248, 26 août 1926 et 24 septembre 1927.
33 IOR/L/P&S/10/1155, 19 novembre 1926.
34 ASMAE, Arabia II, 25, pos. 1-4, 31 juillet 1929.
35 FO 371/12248, 25 juillet 1927.
36 FO 371/12248, 9 avril 1928.
37 M. Fiore, 2010, p. 15-22.
38 R. Quartararo, 1979, p. 811-871.
39 M. Fiore, 2010, p. 21.
40 ASMAE, Africa I, 91-22, 51, 13 juillet 1928.
41 ASMAE, Arabia I, 798, 12 avril 1926.
42 Ibid.
43 E. Rosenthal, 1982.
44 FO 371/12 999, 12 septembre 1928.
45 FO 371/11436, 26 août 1926.
46 N. Howard-Jones, 1975, p. 106.
47 Conférence sanitaire internationale de Paris (10 mai-21 juin 1926). Procès-verbaux, 1927.
48 FO 371/15291, rapport de pèlerinage de 1931.
49 FO 371/11442, Djeddah reports de février et mars 1927.
50 FO 371/20840, 9 août 1937.
51 FO 371/14456, 3 avril 1930.
52 ADN, Beyrouth, 663, 4 mars 1926.
53 AMAE, Correspondance, E, Levant, 33, 31 juillet 1927.
54 « Le pèlerinage moderne à La Mecque », Le Matin, 1er mai 1932, p. 2.
55 ANOM, GGA, 16h/83, rapport du 19 juillet 1929.
56 F. Duguet, 1932, p. 260.
57 ADN, Beyrouth, 874. Cabinet politique. Hygiène, assistance publique, 1926-39.
58 MAE, Correspondance, E, Levant, 35, rapport de la commission chargée dʼexaminer les questions relatives au contrôle sanitaire du pèlerinage.
59 F. Duguet, 1932, p. 251.
60 AMAE, CPC, E, Levant, 56, 25 juillet 1930.
61 ASMAE, Africa I, fasc. 91-22, 51, 13 juillet 1928.
62 FO 371/14456, 18 juillet 1931.
63 ADN, Maroc, CD, 678, 15 mars 1928 et rapport du pèlerinage de 1929.
64 ASMAE, Africa I, pos. 91-22, fasc. 51, rapport sur le pèlerinage de 1933 et réponse du 7 août 1933.
65 FO 371/14456, « Confidential Report », 18 juillet 1831.
66 ADN, CIAM, 2 Mi 103, 11e vol., procès-verbal de la séance du 18 janvier 1929.
67 FO 371/12248, 24 septembre 1927.
68 Les pèlerins indiens enregistrés dans le port de Djeddah passent ainsi de 7 276 à 9 634 individus.
69 E. Tagliacozzo, 2014 (b), p. 79.
70 FO 371/20840, 9 août 1937.
71 FO 371/11436, 26 août 1926 ; FO 371,12248, 18 mars 1927.
72 FO 371/15291, rapport du pèlerinage de 1931.
73 FO 371/17932, 11 août 1934.
74 FO 371/16018, tarif officiel pour 1933.
75 ADN, Beyrouth 663, 10 juin 1936.
76 R. Bullard, 1993, p. 153.
77 AMAE, E, Levant, 57, 24 novembre 1930.
78 Ibid., 23 octobre 1929.
79 ASMAE, Arabia II, 25, pos. 1/4, 30 décembre 1929 et 18 juin 1930.
80 Ibid., pos. 1/11, 26 novembre 1934 et 29 avril 1935.
81 FO 371/16018, 28 décembre 1931.
82 H. St John Philby, 1964, p. 113.
83 FO 371/16018, 28 décembre 1931.
84 H. Philby, 1964, p. 126-127.
85 E. Monroe, 1981, p. 95.
86 H. Philby, 1955, p 330.
87 FO 371/20839, 11 mars 1937.
88 M. Kent, 1993, p. 156-158.
89 FO 406/20840, rapport de pèlerinage du 16 août 1938.
90 H. Philby, 1955, p. 331.
91 ADN, Beyrouth, 705, procès-verbal du 15 juin 1926.
92 Ibid., rapport sur la Conférence de Caïffa du 20 août 1928.
93 Ibid., 7 juillet 1931.
94 Ibid., 7 décembre 1931.
95 ADN, CIAM, 56, procès-verbal de la séance no 161 du 21 décembre 1931.
96 ADN, Beyrouth, 705, 24 décembre 1932 et 17 août 1934.
97 FO 371/ 15290, 13 mai 1931.
98 AMAE, Correspondance, E, Levant, 59, 26 juin 1931.
99 Y. Porath, 1986, p. 14-16.
100 A. Al-Enazy, 2010, p. 132-133.
101 ADN, Beyrouth, 705, compte-rendu de la conférence tenue le 10 octobre 1935 à Caïffa.
102 FO 371/11436, 26 août 1926.
103 ASMAE, Arabia II, Fasc. 52, 11 avril 1934.
104 P. Giudicci, 1929, p. 219.
105 Ibid., p. 117.
106 M. Asad, 1976, p. 330-331.
107 FO 406/77, 5 septembre 1939.
108 FO 371/15292, 29 septembre 1931.
109 FO 371/15291 et FO 371/16857, 29 juillet 1933.
110 FO 371/19002, 4 août 1935.
111 Près de la moitié des pèlerins, soit 58 000, ont choisi de voyager en voiture 1937 contre 24 000 lʼannée précédente. La hausse se confirme en 1939 avec 75 000 passagers.
112 FO 371/20840, 9 août 1937 et 16 août 1938.
113 CO 732, 24/2, 14 septembre 1927.
114 AMAE, CPC, E, Levant, 59, 3 mai 1931.
115 ADN, Beyrouth, 664, 31 décembre 1934. Selon ce dernier, ils auraient été entre trois et quatre cents à voyager sur ces pistes en 1934. Le curateur de lʼHôtellerie des Maghrébins en dénombre quant à lui 700 par la route de Zubayda et 200 Indiens et Afghans par la route du Najd. AMAE, CPC, E, Levant, 63, rapport de pèlerinage pour 1934.
116 FO 371/19002, 27 février 1935.
117 ADN, Beyrouth, 664, 6 février 1935. Extrait du journal El Bilad du 1er février 1935.
118 FO 371/19002, 4 août 1935. Sur les quatre mille pèlerins attendus, seuls 398 pèlerins auraient finalement choisi cet itinéraire.
119 ADN, Beyrouth, 664, 17 janvier et 8 juin 1935.
120 AMAE, CPC, E, Levant, 62, 10 août 1936.
121 Ibid., rapport adopté par lʼOIHP dans sa séance du 26 octobre 1926.
122 Journal officiel du gouvernement irakien, no 1553 du 18 janvier 1937.
123 AMAE, CPC, E, Levant, 62, 29 janvier 1937.
124 FO 371/20055, rapport de pèlerinage du 3 août 1936.
125 ADN, Beyrouth, 664, rapport adopté par le comité permanent de lʼOIHP dans sa séance du 26 octobre 1936.
126 ADN, Beyrouth, 663, 20 juillet 1937.
127 FO 406/77, 5 septembre 1939.
128 ANOM, GGA 16h/96, rapport relatif au pèlerinage de 1932.
129 ASMAE, Arabia II, 22, fasc. 1, 3 mai 1937.
130 R. Bullard, 1993, p. 256.
131 J. Mackenzie, 1984.
132 CO 583/187/11. 1933, dépêche de Churchill du 11 juillet 1922 citée par le gouverneur du Nigeria, 6 janvier 1933.
133 CO 583/174/3, 9 juillet 1930.
134 CO 583/187/11, 3 février et 15 avril 1933.
135 FO 371/10 000, 16 février 1924.
136 FO 371/15291, rapport de Khan Bahadur Abdul Latif Haji Hazratkhan et Khan Bahadur M. I. Kadri.
137 FO 371/12248.
138 M. Hasan and R. Jalil, 2009, p. 236.
139 FO 371/12250, Jeddah reports du 1er au 31 juillet 1927.
140 M. Hasan et R. Jalil, 2009, p. 254.
141 FO 371/14456, rapport du Haj Inquiry Committee.
142 FO 371/15291, rapport de Khan Bahadur Abdul Latif Hazratkhan et Khan Bahadur Kadri.
143 Notification du Department of Education, Health and Lands, no 1025-H(G) du 8 mai 1930, Records of the Hajj, vol. 6 (1926-1935), p. 309-311.
144 FO 371/17932, 11 août 1934.
145 FO 371/17933, 31 octobre 1934.
146 FO 371/16857, 29 juillet 1933.
147 FO 371/20055, 3 août 1936 ; FO 371/20840, 9 août 1937 ; FO 371/20840, 16 août 1938.
148 R. Bullard, 1993, p. 151.
149 FO 371//20840, Djeddah report octobre 1938.
150 FO 371/20055, 3 août 1936.
151 FO 371/19002, 4 août 1935.
152 FO 371/12248, 24 septembre 1927.
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