Chapitre IV. Les mouvements régionaux de dissidence au xie siècle
p. 379-412
Texte intégral
1Les régions périphériques de l’Empire, exposées aux attaques barbares, formaient une zone sensible que les stratèges devaient gouverner avec un soin tout particulier, comme l’expose Kékauménos : “le responsable byzantin ne doit pas châtier trop vite ceux qui manifestent quelque insolence à son égard, car il risque de voir éclater des troubles difficiles à maîtriser”1. En matière fiscale aussi, il faut modifier les impôts provinciaux avec une très grande prudence lorsqu’il s’agit des thèmes frontaliers2. Dans ces zones en effet subsistait le risque permanent de voir la population mécontente passer à l’adversaire.
2L’expansion byzantine du xe siècle et du début du xie siècle avait eu pour effet d’estomper ces dangers. En Orient, les anciennes zones de guerre, le Dar al Harb des Arabes, Chaldée, Charsianon et Likandos, étaient désormais séparées des territoires non byzantins par un glacis de nouveaux thèmes, d’étendue restreinte et solidement fortifiés. En Occident, pour la première fois depuis le VIIe siècle, le Danube formait une limite clairement marquée et efficace entre le territoire impérial et celui des peuples barbares. Les révoltes susceptibles d’éclater de façon limitée dans une ou deux des provinces depuis longtemps contrôlées par l’Empire ne pouvaient donc plus se renforcer par le soutien des populations périphériques étrangères puisqu’elles en étaient désormais séparées. Cette expansion ne comportait pas que des aspects positifs, puisque l’Empire avait absorbé des populations difficilement assimilables pour des raisons religieuses ou ethniques, tels les Syriens, les Arméniens, les Bulgares pour n’en citer que les plus importantes. En effet les empereurs du xie siècle crurent possible d’abolir la frontière telle qu’elle avait existé jusqu’au xe siècle en Orient lorsque des populations, Arméniens ou Pauliciens, menaient un jeu de bascule entre Byzantins et Musulmans. Désormais ces groupes étaient sommés de rallier le camp victorieux, celui des Byzantins.
3Au xie siècle, l’Empire avait atteint ses limites et ne s’accrut modestement que par la conquête d’Édesse, d’Ani et de Kars, au moment même où de nouveaux adversaires se présentaient sur chacune de ses frontières, Turcs à l’est, Petchénègues et autres peuples des steppes au nord, Normands en Italie. La situation devenait alors favorable à l’éclatement de nouvelles dissidences dans les provinces limitrophes de l’Empire. Une politique franchement expansionniste, quand les capacités militaires de l’Empire le permettaient encore, eût été irréaliste, comme le comprenaient parfaitement les plus lucides des généraux. Isaac Comnène devenu empereur refusa de recevoir de nouvelles forteresses et de nouveaux territoires de la part des peuples étrangers, “non qu’il vît d’un mauvais oeil un accroissement du territoire de l’Empire romain, mais parce qu’il savait que, pour de telles annexions, il est besoin de beaucoup d’argent et de bras vaillants et d’une réserve suffisante, et que, s’il n’en va pas ainsi, l’augmentation c’est la diminution”3.
4L’affaiblissement progressif de l’Empire au cours de la seconde moitié du xie siècle et par conséquent l’audace croissante de ses adversaires, provoqua dans les régions frontières des manifestations d’indépendance à l’égard du pouvoir de Constantinople. Ce phénomène concerna non seulement des provinces peuplées en minorité de Grecs orthodoxes, mais s’étendit même à des thèmes jusqu’alors bien intégrés à l’Empire et peuplés dans leur majorité de Grecs.
5Les provinces italiennes, réoccupées dès la fin du ixe siècle, la Chersonèse Taurique, les provinces orientales organisées autour d’Antioche, celles constituées d’anciens territoires arméniens ou géorgiens et, dans une moindre mesure, l’ancienne Bulgarie, présentaient en dépit de leur diversité, quelques caractéristiques communes.
6Des populations allogènes, Latins, Bulgares, Arméniens, Syriens..., y résidaient ; certaines, de surcroît, étaient hétérodoxes, majoritaires localement, organisées autour d’Églises dont le siège patriarcal n’était pas établi à Constantinople, mais dans une ville hors du contrôle impérial, telle Rome, ou bien dans une capitale régionale, telle Antioche. Lorsque des barbares s’établirent durablement dans des provinces de l’Empire, Petchénègues dans les Balkans, dès le règne de Monomaque, Turcs en Orient à partir de celui de Michel Doukas, ils se mêlèrent aux autochtones, devenant selon l’expression des Byzantins des “mixobarbares”, c’est-à-dire des gens qui n’étaient plus vraiment des Scythes ou des Turcs, mais pas encore des Romains, effaçant la frontière du Danube ou de l’Euphrate comme séparation franche entre le monde barbare et le monde civilisé. Psellos, dans une lettre anépigraphe, mais apparemment adressée à un empereur ou à un stratège, a décrit l’inquiétude d’un lettré devant ces “mixobarbares” : “ravins, montagnes et fleuves formaient des frontières naturelles, renforcées par les villes et les forteresses construites de la main de l’homme. Le barbare qui poussait sa monture jusqu’à elles, à leur vue, la retenait et n’osait plus pénétrer sur ce territoire : la forteresse lui faisait obstacle. Mais puisque cette enceinte est brisée, tous ceux d’en face s’engouffrent chez nous, comme le courant d’un fleuve dont la digue de retenue est rompue. Maintenant la romanité et la barbarie ne sont plus délimitées, elles sont mêlées et vivent ensemble. Pour cette raison, les barbares sont en guerre avec nous, les uns, sur l’Euphrate, les autres, sur le Danube”4.
7Les villes semblent plus nombreuses et plus riches à la périphérie que dans le reste de l’Empire5 à l’exception de Constantinople. À côté de nombreuses et puissantes forteresses, Harput, Mar’ash, Adata ou Likandos, des cités comme Bari, Trani, Preslav, Antioche, Édesse, Mélitène, Théodosioupolis, Ani, Trébizonde, Cherson peut-être, étaient de vastes métropoles régionales dont les activités commerciales fournissaient d’importants revenus à l’empereur6. Chacune de ces villes pouvait acquérir une certaine autonomie politique et économique. Sises au milieu de plaines assez fertiles et vastes pour assurer leur ravitaillement, elles disposaient d’imposantes murailles pour leur défense -sauf Mélitène et Sébastè jusqu’à ce que Constantin X ait fait reconstruire l’enceinte aux frais des plus riches citoyens. Au reste, avant la conquête byzantine, Bari, Édesse, Mélitène, Ani, avaient été les capitales de petits États musulmans ou arméniens.
8En Italie et en Orient, la population des villes était fortement diversifiée ; à leur tête, une aristocratie se distingue, fort active lors des troubles qui agitèrent notamment Bari ou Antioche ; cette élite demeure pour nous quelque peu mystérieuse dans la mesure où elle ne s’intégra pas -à peu d’exceptions près - à l’administration byzantine, mais continua à résider dans ses villes d’origine, en Italie comme en Orient7. Elle était assez importante pour que de nombreuses familles regroupées en clans se disputent le pouvoir local, situation qui devenait dangereuse pour les autorités lorsque des ennemis menaçaient la province, car le groupe exclu des affaires était suceptible de s’allier à eux dans l’espoir de retrouver son crédit.
9Cette élite se distinguait par sa richesse, appréciée par l’État byzantin pour ses capacités fiscales. Cette prospérité trouvait son origine probable dans le commerce, du moins en Orient. “À Antioche, bien des Syriens possédaient de l’or, de l’argent et toutes sortes de biens en abondance. Quand leurs enfants allaient à l’église de leur foi, cinq cents garçons étaient montés à dos de mules... L’un des hommes les plus riches de cette ethnie syrienne possédait beaucoup d’esclaves”8. Les marchands étaient réputés fort nombreux et malhonnêtes, à Arz, Ani ou Mélitène9. Dans les villes d’Arménie, à côté des marchands vivaient, comme à Ani, des aristocrates qui constituaient la cour des princes au temps où ceux-ci étaient indépendants, et qui ensuite durent servir auprès des ducs et catépans qui les remplacèrent. Cette aristocratie locale participait à la gestion des villes, sous le contrôle de l’administration byzantine10.
10Le pouvoir impérial reposait sur la présence des contingents des tagmata, l’armée d’élite, étrangère aux populations qu’elle défendait ou surveillait le cas échéant. Les catépanats d’Italie et d’Antioche furent créés tous deux au début du règne de Tzimiskès, sans avoir jamais connu le régime des terres stratiotiques, et les territoires frontaliers conquis ultérieurement suivirent le même modèle. L’Italie fut défendue par les Excubites et les Manglabites au xe siècle, puis les Varanges au xie siècle. À Antioche était établie une garnison de quatre mille hommes composée entre autres de Francs et d’Arméniens, et la défense des autres forteresses dans le duché était aussi assurée par de l’infanterie arménienne sous les ordres de taxiarques. À Édesse aussi, le nombre des soldats avoisinait, semble-t-il, quatre mille, peut-être moins11. Plusieurs de ces villes, Bari, Édesse, Antioche, Ani possédaient, outre leur enceinte, une forteresse, à la fois ultime recours en cas de succès ennemi et lieu de sûreté des autorités byzantines s’il y éclatait des troubles. Des milices locales, peu efficaces, pouvaient renforcer la défense des villes. La présence de telles milices est ainsi bien attestée en Italie et à Édesse. Des habitants de Mantzikert et d’Ani participèrent activement à la défense de leur ville contre les Turcs12. Le long du Danube, les villes semblent avoir aussi mobilisé des milices en sus des troupes impériales13. Ailleurs, l’empereur avait préféré démobiliser les troupes locales jugées peu sûres. Monomaque avait remplacé par l’impôt le service des populations d’Ibérie, mesure mal accueillie par les intéressés14.
11Les listes des ducs ou catépans commandant l’Italie, la Bulgarie et les provinces de l’Est15 nous sont assez bien connues, mieux même que celles des provinces traditionnelles, Anatoliques, Thracésiens, indice de l’importance prise par l’armée des frontières. Ces commandements furent réservés aux meilleurs généraux de l’Empire, puisqu’il n’est pas un militaire parmi ceux qui jouèrent un rôle politique d’envergure, Comnènes, Doukai, Kékauménoi, princes bulgares, à l’exception remarquable du groupe des Macédoniens, qui n’ait commandé un des ces thèmes. Autre point notable, la politique de nomination à ces postes ne différait pas de celle des autres provinces ; dans la première moitié du xie siècle, les empereurs évitaient de nommer sur place des personnalités locales, alors que dans la seconde moitié de ce siècle, en particulier sous les règnes de Romain Diogénès et de Michel VII, de telles réticences s’estompèrent.
12Ces listes, bien qu’incomplètes, révèlent également que les empereurs ne laissèrent pas les ducs ou catépans exercer longtemps leur mandat dans le même thème et veillèrent à la rapide rotation des titulaires. Il ne s’agissait pas d’une mesure spécifique aux provinces orientales, mais avant tout d’une mesure d’ordre intérieur, destinée à prévenir les rébellions militaires comparables à celles de Nicéphore ou Isaac Comnène. L’importance des armées stationnées dans ces thèmes ne doit plus être interprétée comme le signe d’une inquiétude particulière vis-à-vis des populations indigènes ; elle manifeste seulement la persistance d’une menace en provenance des nomades du Nord et des pays musulmans. Il n’y a donc pas de particularisme dans l’administration militaire des grands thèmes orientaux, preuve, nous semble-t-il, d’un retour rapide à une situation normale.
13Aux côtés des autorités militaires prédominantes, l’administration civile, mal connue, fait piètre figure. Il ne semble pas qu’aient été établis des kritai permanents en Italie, en Bulgarie, ou dans les duchés d’Antioche ou d’Édesse. Auprès du catépan collaborait, en Bulgarie et à Antioche, un préteur16. De la même manière, chaque petit thème arménien ne disposait pas de juge permanent, mais la sigillographie nous révèle l’existence de juges des thèmes arméniens (ἀρμενικὰ θέματα), qu’il ne faut nullement confondre avec ceux du thème des Arméniaques, juges dont la fonction s’exerçait sur plusieurs petits thèmes simultanément. En Italie, Vera Von Falkenhausen a relevé les noms de quelques juges de thèmes dont elle a bien noté le caractère modeste des dignités. Nous ignorons qui étaient ces juges impériaux17, certains, comme Choirosphaktès, ou Léon, juge de Longobardie et de Calabre, étaient envoyés par l’administration constantinopolitaine, mais d’autres étaient de simples juges locaux18.
14La valeur économique de ces territoires est soulignée par la présence généralisée de commerciaires (Longobardie, Dristra, Cherson, Antioche) et d’une administration fiscale fort développée, avec des mentions de basilikoi à Antioche, à Mélitène, de curateurs en Longobardie, à Antioche, Tarse, à Mélitène, ou Mantzikert19.
15L’Église constituait la seule autorité susceptible de rivaliser avec celle du catépan. L’empereur veillait à ce qu’aucun adversaire politique ne fût élu à un poste important. En Italie, en 1036, Romuald le protospathaire avait été choisi comme archevêque de Bari, mais il ne reçut point l’agrément du gouvernement impérial ; il ne fut donc pas consacré mais exilé à Constantinople, et remplacé à Bari par Nicolas. À une exception près, lorsqu’en juin 1054, l’archevêque de Tarente participa à une rébellion contre l’empereur20, le clergé, y compris celui de rite latin21, garda jusqu’au bout sa fidélité à Byzance.
16Le patriarcat d’Antioche fut prudemment et progressivement rétabli et demeura sous le contrôle vigilant des empereurs qui ne choisirent pas les patriarches parmi les autochtones, à l’exception de Pierre22. L’Église chalcédonienne se heurtait vivement aux Églises syrienne et arménienne implantées de longue date dans les régions orientales de l’Empire. Par la séduction ou par la force, des conversions furent opérées, mais sans modifier très sensiblement les rapports de forces23. Sans cesse les Chalcédoniens, tentant de s’appuyer sur les autorités constantinopolitaines, cherchaient à s’étendre aux dépens de ceux qu’ils considéraient comme des hérétiques. Au premier plan de la lutte figuraient les métropolites de Mélitène et de Césarée de Cappadoce24. Les autorités civiles locales évitaient de prendre part à ces conflits, comme en témoignent les réticences du juge Chrysobourgios (Chrysobergès ?) à arrêter le patriarche jacobite de Mélitène en 1029, période où pourtant la politique impériale était officiellement hostile aux jacobites ; le duc d’Antioche lui-même aurait compté parmi les admirateurs de ce patriarche25.
17Les empereurs qui, seuls, avaient le pouvoir de mener une vraie persécution, hésitèrent constamment entre deux attitudes, l’une tolérante lorsque les Byzantins avaient besoin du soutien des indigènes pour défendre ou étendre leur territoire, l’autre assimilatrice lorsque les empereurs mettaient au premier plan l’homogénéité des populations de l’Empire, sans viser son accroissement26.
18Les principales raisons qui poussèrent telle province ou telle ethnie à repousser l’autorité centrale sont au nombre de quatre : les modifications de la fiscalité, la conscience ethnique, la répercussion locale d’un conflit constantinopolitain pour le contrôle du pouvoir et enfin le sentiment d’abandon des populations mal ou peu défendues face à un envahisseur. Presque toujours plusieurs de ces motivations jouèrent simultanément, ce qui rend impossible une étude thématique de ces mouvements, nous avons donc choisi de suivre un ordre géographique d’Ouest en Est.
L’Occident
L’Italie
19La permanence des troubles relatifs à l’Italie nous incite à en dresser un bref tableau extrait de nos fiches documentaires :
20965 Révolte des habitants de Rossano.
21981 Combat entre les habitants de Siponte et d’Ascoli27.
22981/2 Révolte des villes de Pouille, Trani, Bari, Ascoli.
23987/9 Nouveaux troubles à Bari ; le protospathaire Serge, favorable aux Byzantins, fut tué ; Adralestos périt de la main de Nicolas le Kritès et le catépan Jean Amiropoulos exécuta en retour Nicolas le Kritès et Léon Hikanatos.28
24990/1 L’excubite Pierre fut tué.
25997/8 L’excubite Théodore fut assassiné à Oria par Smaragdos qui tenta ultérieurement de livrer Bari aux Musulmans.
26avant 999 Théophylacte29, notable de Bari, s’était rebellé.
27999/1000 Le catépan Grégoire Tarchaneiôtès remit de l’ordre :
- il assiégea Gravina et captura Théophylacte,
- il s’empara de Smaragdos,
- il mit fin aux activités du renégat chrétien Lucas qui contrôlait Petrapertusa d’où il ravageait la Lucanie.
281009 Début de la révolte de Mélès.
29Printemps 1017/18, fin de la révolte de ce dernier.
301040 Assassinat de Choirosphaktès, révolte des Kontaratoi ; révolte d’Ardouin le Milanais.
311041/2 Révolte d’Argyros, fils de Mélès
321051 Argyros, duc d’Italie, entra à Bari ; Malapezzi fut tué, Pierre et Romuald furent pris et emprisonnés à Constantinople.
331054 Rébellion à Tarente.
341058 Le patrice Thrymbos fit tuer les Skribônés près de Crotone.
351071 Argyritzos favorisa la reddition de Bari aux Normands.
36Les raisons de ces troubles endémiques nous échappent en bonne partie - pourquoi Léon Thrymbos, catépan d’Italie, a-t-il fait massacrer les Skribônés, et qui étaient ces derniers30 ? Cette agitation cependant nous conduit à nous demander si elle traduit un profond sentiment de dissidence.
37La révolte des habitants de Rossano en 965, comme celle des villes de Pouille autour des années 1040 furent toutes deux liées à l’effort de reconquête de la Sicile par les Byzantins, et aux conséquences financières qu’elle impliquait, l’alourdissement des impôts. Mais l’Italie ne se distinguait pas sur ce point des autres provinces de l’Empire où éclataient sporadiquement des révoltes de caractère fiscal.
38Ces mesures fiscales nous paraissent insuffisantes pour expliquer les rébellions de Mélès et d’Argyros, même si, en tant que riches citoyens, ils avaient dû être lourdement taxés à cette occasion31. Sans exclure des ambitions personnelles, Mélès et Argyros avaient en fait aspiré à briser cette règle tacite qui interdisait aux notables locaux d’exercer la direction de la province. Leur appel aux Lombards et aux Normands ne se comprend que par la nécessité où les rebelles se trouvaient de disposer d’une armée capable de s’opposer aux troupes du catépan. Les milices locales susceptibles de les suivre avaient manifestement peu de valeur, et de surcroît, à aucun moment, pas plus Mélès qu’Argyros n’entraînèrent l’ensemble de l’Italie ni même de la Pouille à leur suite. Constantin Monomaque comprit les aspirations d’Argyros, et également contraint par la révolte de Maniakès, il nomma Argyros responsable de l’Italie, sans toutefois lui conférer le titre de catépan (confié à Basile Théodôrokanos), calmant par cette simple mesure les troubles de Pouille. Après qu’Argyros eût séjourné à Constantinople et manifesté son attachement à Monomaque, en particulier contre Tornikios en 1047, l’empereur le nomma duc en 105132.
39L’impression dominante demeure celle de la fidélité des provinces italiennes à l’Empire, même si de nombreux incidents isolés ont eu pour victimes des fonctionnaires impériaux : l’assassinat de l’Excubite Théodore en 99733, celui du juge Choirosphaktès en 1040.
40D’autre part, la position excentrique de l’Italie lui évita de prendre part aux guerres civiles qui ravagèrent l’Orient sous Basile II ou Michel VI. Même la révolte de Maniakès qui commença sur le sol italien n’intéressait pas ses habitants ; le général, s’étant fait détester des populations indigènes, ne put recruter sur place.
41Le gouvernement impérial ne se désintéressait pas non plus du destin de ses possessions italiennes puisque lorsque l’Empire faisait encore preuve d’un certain dynamisme conquérant, à plusieurs reprises sous Basile II, Constantin VIII, Michel IV et Michel V, de fortes armées byzantines furent envoyées pour reprendre la Sicile, signe de l’attachement des empereurs au maintien d’une forte présence dans cette région. Lorsque dans la seconde moitié du xie siècle, les périls exigèrent un choix de plus en plus urgent des provinces à défendre en priorité, l’Italie ne fut pas totalement négligée, au moins jusque sous Constantin Doukas. L’armée qu’il envoya en 1060 remporta les derniers succès byzantins en Italie et l’empereur y maintint ensuite des tagmata qui comptaient parmi les meilleurs de l’Empire, comme les Varanges. Sans doute Romain Diogénès se tourna-t-il sans hésiter contre les Turcs qui menaçaient la Cappadoce, sa province d’origine, mais il envoya tout de même une ultime flotte de renfort aux assiégés de Bari en 1071. La disproportion des forces engagées lors de sa campagne en Orient et la modestie de la flotte de Patéranos dirigée vers Bari montre clairement l’état d’esprit de l’empereur.
42Il ne faut donc pas attribuer la chute de l’Italie à une dissidence de la population qui se serait ralliée aux envahisseurs. Au contraire, la mesure de l’attachement de la Pouille et de la Calabre est donnée par la résistance opposée aux Normands qui bénéficièrent rarement de complicités34. Alors qu’un Malapezzi était opposé à l’autorité byzantine en 1051 à Bari, un autre défendit vivement Otrante quelques années plus tard35. L’absence d’une armée de valeur recrutée localement, l’impossibilité de recevoir des renforts suffisants conduisirent les Italiens à négocier leur reddition à Guiscard, encore qu’un parti probyzantin subsistât jusqu’à la fin de la présence byzantine et même au-delà36.
Les Balkans
43Lorsque Jean Tzimiskès eut repoussé l’attaque des Russes en Bulgarie, il avait pu éprouver le sentiment d’avoir, par cette campagne, soumis les Bulgares eux-mêmes. Peu après la mort de l’empereur, un soulèvement dirigé par les fils d’un comte bulgare, Nicolas, gouverneur de Macédoine37, entraîna la reconstitution d’un État bulgare indépendant auquel Basile II mit fin en 1018. Le centre de résistance s’était déplacé, entre les règnes de Jean I et de Basile II, de la région du Paristrion à la Macédoine (Achrida, Skopje, et le territoire s’étendant jusqu’à Dyrrachion) qui avait constitué le dernier bastion de ceux que les Byzantins considéraient comme des rebelles. Après la bataille du Kleidion, Basile II vainqueur avait en effet condamné les soldats bulgares faits prisonniers à l’aveuglement, châtiment réservé précisément aux coupables du crime de rébellion. Mais cette dure répression fut combinée avec une grande clémence lorsque les ultimes résistants, découragés, offrirent leur reddition : "tous les chefs bulgares allèrent à la rencontre de l’empereur ; on lui amena aussi la femme de Haroun, roi des Bulgares et ses enfants. L’empereur prit possession de leurs forteresses, se montra bienveillant envers eux et il accorda à chacun un titre conforme à son mérite. Il conserva intactes les forteresses puissantes, y mit des gouverneurs grecs et fit raser les autres. Il rétablit l’ordre en Bulgarie, y nomma des “basilikoi, c’est à dire des fonctionnaires chargés de l’administration des finances et des revenus de l’État. Le royaume de Bulgarie fut annexé à l’empire et transformé en catépanat”38.
44Ce remarquable exposé de Yahya d’Antioche définit nettement les lignes de force de la politique de Basile II envers la Bulgarie : honorer son aristocratie pour la domestiquer et percevoir avec exactitude les impôts dont l’empereur ne modifia ni l’assiette ni le mode de paiement ; il garda les populations sur place, ce qui était peu dans les habitudes byzantines. Mieux encore, les habitants conservèrent leurs propres notables (ἄρχοντες)39 ; une partie des troupes bulgares avait été envoyée en Orient, mais une autre servait dans les villes qui, jadis, avaient appartenu, au moins temporairement, à la Bulgarie. À côté de ces mesures modérées, rappelons que Basile II avait eu la prudence d’éloigner de Bulgarie les descendants directs des tsars bulgares.
45Pendant une génération, les peuples balkaniques se tinrent tranquilles après la démonstration de la supériorité écrasante des armées byzantines, si nous exceptons la tentative d’Élinagos qui, avec la complicité d’un officier grec, Gabras, voulut faire revivre un État bulgare. À deux reprises, des aspirations à l’indépendance se manifestèrent lors de réformes fiscales entreprises dans tout l’Empire, qui transformaient les services en nature en impôts monétarisés au temps de Jean l’Orphanotrophe, frère de Michel IV, et de Nicéphoritzès, ministre de Michel VII, provoquant respectivement les révoltes de Deljean et de Constantin Bodin40.
46Deljean se présenta, à tort ou à raison, peu importe, comme un descendant du tsar Samuel, ce qui lui permit de capitaliser la sympathie de la nation (τò σύμπαν ἕθνος), dont il avait compris qu’elle était prête à la révolte et attendait un chef. Proclamé basileus des Bulgares, il annonça la sécession officielle des Romains et des Bulgares et le recouvrement de l’autonomie politique, que les chroniqueurs byzantins nomment l’éleuthéria41. L’armée du thème de Dyrrachion envoyée contre lui se révolta à son tour et choisit pour chef un officier bulgare, Teichomèros. Comme lui, Litoboès, Ibatzès, Kaukanos appartenaient à des familles de notables bulgares dont beaucoup s’étaient illustrées contre Basile II42. Quant au dernier des soutiens de Deljean, qui devait causer sa perte, Alousianos, il était fils de Jean Vladislav. De tous les officiers de Deljean, seul Anthime était peut-être byzantin, encore que le prénom ne puisse à lui seul révéler une identité ethnique.
47La guerre bulgare de 1040-1041 commença dans la région de Nich, Skopje, et les opérations s’étendirent rapidement vers le sud en direction de Dyrrachion qui tomba plutôt facilement -si nous comparons sa chute rapide aux mains de Deljean au long siège que dut soutenir Guiscard en 1081 pour s’en emparer. La zone des combats atteignit ensuite Thessalonique et la Grèce centrale. Nous retrouvons la marque des campagnes de Samuel. Précisément, la région touchée était le coeur de l’ancien royaume de ce tsar, alors que la Bulgarie orientale, au sud du Danube, resta pacifique. Il est donc clair que le mouvement de 1040 tentait de faire revivre l’État bulgare disparu un quart de siècle auparavant : il fut mené par des chefs bulgares, à la tête de troupes bulgares, dans la dernière région qui avait été indépendante. Les causes de l’échec sont bien connues, la division parmi les Bulgares, la rapidité de la réaction de Michel IV et la supériorité militaire byzantine -nous ne nous y attarderons point.
48Le sentiment national bulgare ne fut pas complètement anéanti après la défaite de 1041. En effet en 1072, profitant du contrecoup de la guerre civile en Anatolie, des notables bulgares crurent opportun de rejeter à nouveau la domination byzantine. Les descendants des tsars bulgares s’étant parfaitement intégrés à l’aristocratie byzantine, et le précédent d’Alousianos les ayant à coup sûr incités à la prudence, les rebelles, dirigés par Georges Boïtachos, exarque des proéchontés de Skopje43, c’est-à-dire principal notable de la ville, firent appel à un prince étranger, Bodin, fils de Michel, maître de la Serbie et marié à la fille d’Argyritzès, chef de la faction anti-byzantine de Bari. Le prétexte de la rébellion fut le même qu’au temps de Deljean, la pression fiscale exercée par Nicéphoritzès, le ministre de Michel VII Doukas. Comme le remarque le Continuateur de Skylitzès, les mêmes causes produisirent les mêmes effets. Le mouvement affecta à l’origine la même région de Skopje et de Nich que celui de Deljean, mais ne prit guère d’ampleur, en dépit du ralliement d’un chef militaire important, Longibardopoulos, chef d’un tagma franc. Ce Byzantin de fraîche date, fils d’un Franc d’Italie à en croire son patronyme, agit par opportunisme, se rapprochant de Michaèlas dont il épousa la fille quand les Byzantins de Dalassènos furent battus, mais changeant à nouveau de camp lorsque la fortune de Bodin déclina. Cette révolte de 1073-1074 fut donc la réplique affaiblie de celle de 1040-1041, alors que la situation de l’Empire s’était par ailleurs bien détériorée. La rébellion n’avait pu s’étendre au-delà de la moitié nord du thème de Bulgarie. Elle manifeste à la fois la persistance d’une conscience bulgare et son déclin.
49L’assoupissement se confirma lorsque les armées de Robert Guiscard en 1081, puis celles des Croisés à partir de 1096, traversèrent la région de Dyrrachion pour avancer le long de la via Egnatia. Les ennemis de Byzance ne reçurent pas un accueil favorable de la part des populations de ces provinces qui étaient décidément devenues fidèles à l’Empire, en dépit de l’apparente aggravation de la pression fiscale44. Cette entorse à la règle habituellement constatée, qu’une augmentation de l’imposition déclenchait des mouvements d’émancipation des populations, notamment allogènes, s’explique peut-être par les succès militaires d’Alexis qui mettaient la Bulgarie à l’abri des invasions.
50Plus à l’ouest, le Paristrion ne fut pas épargné par les troubles, mais ils n’y revêtirent pas un caractère ethnique marqué, car le souvenir de l’appartenance de ces terres à l’État bulgare s’était estompé ; la présence byzantine, quoique intermittente y était plus ancienne -Jean Tzimiskès en avait une première fois réalisé la conquête -et plus durable puisque ces territoires furent les premiers repris par Basile II. L’équilibre régional fut modifié par les invasions des peuples nomades du nord, ceux que les Byzantins appelaient Scythes, sans toujours prendre la peine de distinguer Ouzes, Petchénègues ou Coumans. Avant 1050, des masses de nomades avaient été établis au sud du Danube, les empereurs estimant préférable de les assimiler et de les enrôler dans l’armée plutôt que de les combattre45. Selon la tradition byzantine, leurs chefs furent baptisés, honorés de hautes dignités et devinrent membres du Sénat : Kégénès le premier reçut le titre de patrice, puis Tyrach à son tour avec cent quarante compagnons fut accueilli par Monomaque à Constantinople.
51Entre les règnes de Constantin X et Alexis I, les invasions successives mêlèrent les populations au point d’en faire des “mixobarbares”. Les habitants de ces villes danubiennes, ceux de Dristra au premier chef, et les troupes stationnées en garnison dans ces forteresses, se sentirent négligés par le gouvernement central au point d’affirmer qu’ils n’étaient pas gouvernés46, d’autant plus que Nicéphoritzès dans son effort de rigueur financière, réduisit les subsides annuels que le trésor impérial versait à ces villes47, modifiant ainsi l’équilibre économique antérieur. Ils n’hésitèrent donc point à traiter avec les bandes nomades ; le Petchénègue Tatrys (ou Tatou) put ainsi occuper Dristra48. Du reste, une délégation de cette ville parvint à Constantinople, promettant que si l’empereur désignait un gouverneur, la ville se rallierait de nouveau à lui. Cet épisode fournit, selon nous, deux enseignements. D’une part, il existait toujours dans les villes occupées par les Scythes un important parti pro-byzantin ; d’autre part, la défection de ces villes était due à l’incapacité d’assurer leur défense, et non à une volonté de séparation d’avec l’État byzantin, contrairement au cas des Bulgares de Deljean.
52Pour mettre fin à cette situation, Michel VII Doukas envoya comme gouverneur du Paristrion Nestor, un familier de sa famille, peut-être slave ou bulgare49, qui avait servi son père Constantin, alors qu’il n’était pas encore empereur50, mais Nicéphoritzès, manquant d’argent, confisqua ses biens pour financer sa campagne. Nestor furieux se rebella, voulant reprendre ce qu’il avait perdu ; le danger vint de ce qu’il se concilia des nomades toujours prêts à piller sans risquer une riposte immédiate de l’Empire qui manquait de soldats. Lorsqu’il sentit que la diplomatie de Michel VII risquait de renouveler le succès obtenu contre Roussel de Bailleul, au même moment, en soudoyant les alliés barbares de l’adversaire, il repartit vers le Paristrion ; son destin ultérieur ne nous est pas connu, ce qui est regrettable puisque nous ignorons s’il revint dans l’administration byzantine ou vécut au milieu des Scythes. La révolte de Nestor, aventure personnelle sans valeur d’exemple, révèle bien le désarroi des populations proches du Danube.
53Le sort de ces provinces entre 1073 et 1091 reste mal connu, mais l’administration byzantine ne semble point s’y être rétablie avant l’écrasement des Petchénègues à la bataille du Lébounion. En 1086 en effet, la ville de Dristra était encore entre les mains de Tatou, tandis que d’autres cités, Bitzina, Glabinitza, étaient sous le contrôle de Chatlès, Sesthlav et Satzas51. En 1087, Alexis dut s’employer à reprendre la ville sans parvenir à s’emparer des citadelles. En dépit de cette longue occupation, la région ne fut pas perdue pour l’Empire qui la recouvra après 1091. En effet avant même que l’administration byzantine eût été réinstallée, l’intégration des envahisseurs était en cours ; les mixobarbares n’étaient pas des éléments toujours sûrs, comme en témoignent les nombreuses trahisons de Néantzès, mais précisément un mixobarbare en dénonça une à Alexis52. Pour mesurer l’évolution du comportement des Petchénègues établis dans l’Empire, nous opposons l’échec complet de la tentative de Monomaque pour les faire servir en Orient53, à leur utilisation constante et efficace par Alexis Comnène face aux Croisés54. Parmi les officiers les plus fidèles d’Alexis, on compte Ouzas, Monastras, Karatzas dont les noms dénotent l’origine “scythe”, qu’elle fût sauromate, ouze ou petchénègue. La conversion progressive au christianisme, possible puisque ces tribus étaient païennes et non point musulmanes comme en Anatolie, facilita l’assimilation.
54En dehors de l’agitation due aux Bulgares et aux peuples scythes, la péninsule balkanique connut une relative tranquillité, en dépit de quelques soulèvements sporadiques, qui ne prirent d’ampleur qu’une fois relayés par des soutiens extérieurs. Les Slaves installés depuis longtemps dans l’Empire ne se joignirent pas massivement, semble-t-il, aux envahisseurs. Notre connaissance de la révolte des Valaques de Thessalie tient seulement au hasard par lequel un parent de Kékauménos, Nikoulitzas, y fut mêlé. Les Valaques, nomades, n’avaient jamais constitué d’État ; aussi lorsqu’un alourdissement fiscal provoqua leur colère, ils manquaient de chefs et firent appel à un notable local, Nikoulitzas, qui accepta, de crainte d’être tué avec sa famille. Telle est du moins la version de Kékauménos55, qu’il ne faut pas nécessairement rejeter car elle est fort plausible : Nikoulitzas avait peu à gagner d’une telle révolte dont le seul objectif réaliste était de contraindre l’empereur à négocier un compromis fiscal.
55Les Manichéens établis dans la région de Philippoupolis profitèrent des désordres causés par les invasions petchénègues pour manifester leur esprit indocile. Avant le règne de Nicéphore Botaneiatès, l’un d’eux, Lékas, apparenté à des Petchénègues, avait fait défection chez eux et s’était joint à Dobromir, dont nous ne savons rien sinon qu’il portait un nom d’origine slave ou bulgare et qu’il tenait la région de Mésembria56. Bien que Lékas ait massacré l’évêque de Sofia, il ne faut pas surestimer ses méfaits, car il n’est cité que pour faire ressortir le prestige du nouvel empereur Botaneiatès devant qui se soumirent tous ceux qui étaient en rébellion, du moins selon Attaleiatès, admirateur du souverain. Il est vrai que les Manichéens firent à nouveau parler d’eux après 1081 ; lorsqu’Alexis Comnène voulut rallier les débris de son armée rescapés de la défaite de Dyrrachion, le tagma des Manichéens refusa le service dû et leurs biens furent alors confisqués. Un de leurs anciens congénères, Traulos, pourtant baptisé et au service personnel d’Alexis quand celui-ci n’était encore que grand domestique, ne put supporter de voir ses soeurs jetées en prison ; avec un groupe de Manichéens, il se réfugia dans une forteresse proche de Philippoupolis, Beliatoba, alors déserte. De là, il pilla les environs avec l’appui des Scythes57. Le sort de Traulos est inconnu, il dut être tué ou quitter le territoire byzantin, comme ses alliés, après la bataille du Lébounion. Sa trahison eut finalement peu de conséquences, car il n’entraîna pas l’ensemble du tagma des Manichéens ; à Dristra en 1087, au moment même de la rébellion de Traulos, des Manichéens furent capturés par les Scythes car ils avaient lutté trop audacieusement pour défendre la tente de l’empereur un moment menacée par l’ennemi58.
56Les incidents que nous venons de décrire restèrent mineurs et ne sauraient être considérés comme l’indice d’une fragilité particulière de la domination byzantine, encore que la présence d’ennemis sur le territoire byzantin offrît à ceux qui songeaient à s’émanciper des possibilités de réaliser ce projet.
L’Orient
Un comptoir byzantin : la Chersonèse du Bosphore Cimmérien
57Le stratège de Cherson devait se défier des autorités locales et d’éventuelles dissidences devaient être réduites par des sanctions économiques : ne plus acheter aux habitants de la péninsule leurs fourrures et leur cire et ne plus leur vendre de blé pontique59. La sigillographie et une inscription datée de 105860 nous assurent que Byzance a maintenu une administration régulière jusqu’à cette date au moins. Sur l’origine et la personnalité des stratèges de Cherson et du poste voisin du Bosphore, nous sommes peu renseignés puisque nous sont parvenus seulement les noms de Tzoulas61, Iasitès62 et Alyatès, tous du xie siècle. Les deux derniers patronymes manifestent qu’au milieu du xie siècle, le poste de stratège de Cherson faisait partie du cursus des membres de l’aristocratie byzantine à laquelle les Iasitai et les Alyatai appartenaient.
58Le nom de Tzoulas63 présente un bien plus vif intérêt dans la mesure où Georges Tzoulas fut l’instigateur d’une révolte contre l’Empire en 1017-1018. Qualifié par Skylitzès d’archonte de Chazarie, il nous a laissé plusieurs sceaux. Sur l’un d’eux, il est protospathaire et stratège de Cherson64, sur un autre stratège( ?) du Bosphore Cimmérien, ce qui s’accorderait bien avec le texte de Skylitzès65. La plupart des sceaux de Tzoulas ayant été trouvés en Crimée, nous admettrons, sans certitude absolue là encore, qu’il s’agissait bien d’une famille autochtone.
59Quelle interprétation donner à sa rébellion ? I. V. Sokolova pense que l’administration était aux mains des citoyens de Cherson au début du xie siècle ; l’argument s’appuie sur l’existence des sceaux de Georges, stratège de Cherson et de Michel, épi tôn oikeiakôn et prôteuôn de Cherson. Ce dernier plomb, peut-être datable de la seconde moitié du xe siècle plutôt que du xie siècle66, nous semble seulement prouver qu’à côté du stratège subsistaient les archontes ou les prôteuontés de Cherson. Le maintien du prôteuôn de Cherson au Xe siècle est bien attesté, puisque Nicéphore Phocas fit appel à Kalokyros, fils du prôteuôn, qu’il nomma patrice, pour engager les Russes à intervenir contre les Bulgares67. Que l’ambition personnelle de Kalokyros et les succès remportés par les Russes l’aient poussé à revendiquer la couronne impériale n’implique pas de tendances séparatistes en Chersonèse Taurique.
60Que signifie donc la nomination de Tzoulas comme stratège de Cherson ? Il est certes surprenant que Basile II, qui prenait soin, à la fin de son règne, de ne pas nommer de puissants dans leur thème d’origine, ait fait exception pour la Chersonèse. Mais rien, dans la titulature de Tzoulas, tout à fait conforme aux habitudes administratives byzantines, ne permet de voir en lui un stratège nommé par la volonté des habitants de la presqu’île. Tzoulas a pu recevoir leur appui dans sa rébellion, encore que la rapidité de sa défaite implique une résistance très modérée.
61Au printemps 989, Cherson fut assiégée et prise par Vladimir de Kiev. Traditionnellement, on estimait que cette attaque reflétait le mécontentement du prince russe de ne pas recevoir sa fiancée, la porphyrogénète Anne, soeur de Basile II68. A. Poppe a remarquablement rétabli la chronologie et le sens des événements de ce printemps. À ce moment précis, Basile II se trouvait dans une situation difficile face à la révolte de Bardas Phocas, et Poppe a montré qu’en attaquant Cherson, Vladimir remplissait une des clauses de l’alliance conclue avec l’empereur l’été précédent, en reprenant une ville qui s’était ralliée aux partisans de Bardas Phocas69. Ce soutien aux rebelles ne surprend pas dans la mesure où la plus grande partie de l’Asie Mineure pontique était en leurs mains ; or les relations économiques avec cette région demeuraient vitales pour Cherson.
62La rébellion de 989, celle de Tzoulas en 1017-1018, l’assassinat en 1066 d’un officier byzantin, peut-être le catépan70, ne marquaient pas une dégradation de la situation traditionnelle de la Chersonèse Taurique qui, à l’image de l’Italie, garda fidèlement ses liens avec l’Empire en dépit de quelques troubles sporadiques. Sous Alexis Comnène, elle était encore dans l’orbite byzantine puisque l’empereur y envoya en résidence forcée un Pseudo-Diogénès71.
Le comportement des ethnies frontalières
Les Arabes
63Parmi les groupes allogènes composant la population indigène, les Musulmans, principalement des Arabes et quelques Kurdes, se montrèrent des plus calmes. Au reste, nombre de chefs arabes furent attirés par l’Empire et intégrèrent les élites byzantines, Kouleip puis son fils Bardas72, ou les Aposaïtai73. À l’exception de la révolte des habitants de Laodicée en 992 ou 99374, nous ne connaissons pas de trouble où l’ethnie arabe ait été impliquée. Les combats que dut mener au début du xie siècle Nicéphore Ouranos l’opposèrent à des tribus nomades bédouines installées hors du territoire byzantin. À peine plus grave fut la mésaventure du catépan Spondylès qui, au début du règne de Romain III, confia à un émir arabe, Mousaraf (Nasr ibn Musharaf) l’importante place forte de Maniqa. Ce dernier trahit mais fut finalement chassé de la forteresse qu’il occupait et tué75. Les populations arabes ne disposaient plus de soutien extérieur efficace depuis que l’Egypte fatimide avait perdu de sa vigueur expansionniste et préférait traiter avec Byzance.
Les Syriens
64Les Syriens n’avaient pas de tradition militaire puisqu’ils avaient été soumis depuis longtemps à la domination musulmane qui ne leur permettait pas de porter les armes. Ils ne disposaient pas non plus d’un État, hors des frontières de l’Empire, sur lequel ils auraient pu s’appuyer. Ils pouvaient seulement se réfugier chez leurs congénères restés sous la domination musulmane quand leur situation dans l’Empire s’aggravait, sauvegarde que plusieurs patriarches jacobites mirent à profit. Plutôt qu’une farouche opposition, leur attitude révélerait un manque d’adhésion au pouvoir byzantin ; déjà en effet au moment de la conquête, les Syriens n’avaient pas facilité l’expansion byzantine76.
65Peu de membres de leurs élites semblent avoir cédé à la tentation d’une carrière dans l’administration byzantine. En un siècle de domination impériale, un seul nom peut être relevé, celui de Pierre Libellisios, dont Attaleiatès nous affirme qu’il était de “race assyrienne”, né au sein d’une famille d’Antioche, et qu’il possédait la double culture “romaine et sarrasine”77. Peut-être aussi faut-il compter au nombre des Syriens d’origine la famille Syropoulos, qui fournit de nombreux fonctionnaires à l’administration byzantine au cours du xie siècle78. Cette élite syrienne n’était pas complètement coupée de la capitale. Nous savons en effet que, lors du synode destiné à condamner les jacobites, Bar Cauma Seraphi résidait à Constantinople où il avait une demeure, tandis qu’un autre membre de sa famille, Pierre, servait d’interprète aux évêques du synode, déformant du reste en un sens défavorable les paroles du patriarche jacobite79.
Les Arméniens, une nation divisée
66Le poids administratif et militaire des Arméniens était de beaucoup supérieur à celui des deux groupes ethniques précédents. Par la place qu’ils occupaient dans l’aristocratie byzantine, leur comportement eut des conséquences sensibles non seulement dans les provinces orientales de l’Empire, mais dans toute l’étendue de celui-ci. Cette ethnie prit une part active à la lutte pour le pouvoir dans la seconde moitié du xie siècle. Les Arméniens étaient eux-mêmes divisés en deux catégories bien distinctes et souvent antagonistes, d’une part les anciens rois et princes arméniens restés fidèles à leur religion, et d’autre part des Arméniens de moindre qualité sociale passés au service de l’Empire en se convertissant à l’orthodoxie chalcédonienne80.
67Les princes arméniens établis par Basile II, Constantin IX et Constantin X à l’intérieur du territoire de l’Empire reçurent des terres dans les thèmes de Sébastè, du Charsianon et de Cappadoce81, et des titres qu’ils purent transmettre à leurs héritiers. En revanche, les empereurs ne leur conférèrent que rarement des commandements militaires. La nomination par Basile II de Sénachérim comme stratège de Cappadoce82 constitua en fait une exception qu’explique le caractère volontaire du tranfert de ce prince dans l’Empire. Sénachérim fut aussi, semble-t-il, le seul à avoir laissé une descendance suffisamment intégrée à l’aristocratie byzantine pour survivre à la perte de l’Asie Mineure83. De plus, Basile II ne pouvait ignorer les mauvaises relations qu’entretenaient avec les Arméniens les Phocas et les Maléïnoi, et il avait dû trouver une certaine ironie à nommer un stratège arménien dans des territoires situés au coeur de leur ancienne zone d’influence. Mais il est remarquable que ni les fils de Sénachérim, Adom et Abouçahl, ni Kakikios d’Ani pas plus que Kakikios de Kars n’obtinrent de charge officielle, car il eût été imprudent de confier à des ennemis potentiels des commandements dans des thèmes orientaux si proches de leur ancien pays. Ces princes disposaient sans aucun doute de leurs milices personnelles, dont l’importance ne devait guère dépasser celle des groupes qu’entretenaient les plus influents Byzantins en province. Nous aurons une idée des effectifs de ces troupes en sachant qu’en 1049 le catholicos Pierre quitta Ani pour gagner Constantinople avec une escorte de trois cents soldats84.
68Aux yeux des Arméniens résidant dans les provinces byzantines, les anciens rois d’Arménie conservaient leur autorité traditionnelle sur leurs congénères, et G. Dédéyan observe à juste titre la persistance des structures nationales arméniennes à l’intérieur du cadre de l’Empire85. C’étaient donc ces forces privées, leur richesse et surtout leur prestige auprès de leurs anciens sujets, qui fondaient l’influence de ces Arméniens sur les villes où ils résidaient, et non des fonctions exercées localement86.
69Au xie siècle, les Arméniens servaient nombreux dans les armées byzantines, formant l’essentiel des troupes de garnison du duché d’Antioche, mais fournissant aussi des cadres. Ils occupèrent le sommet de la hiérarchie militaire à partir du moment où les guerres turques nécessitèrent l’appel à des combattants de valeur. Il est donc naturel de trouver, sous les ordres de l’empereur le plus actif contre les Turcs, Romain Diogénès, Philarète Brachamios, stratège autokratôr87, Chatatourios, duc d’Antioche88, Basilakios, duc de Théodosioupolis89, Tornikios Kotertzès, commandant des troupes ouzes à Mantzikert90. Déjà sous le prédécesseur de Romain, Constantin X, Pankratios (Bagrat) avait courageusement, mais en vain, défendu Ani contre le sultan Alp Arslan en 106491, et le catépan de Mélitène, Krinotès, trouva la mort en d’obscures circonstances au cours d’une attaque turque en 1059-106092. Tous ces Arméniens étaient soit bien implantés depuis longtemps dans l’Empire, tels les Brachamioi ou les Krinitai, soit arrivés depuis peu de temps, mais convertis à l’orthodoxie chalcédonienne. À ce groupe il faut adjoindre quelques militaires d’origine géorgienne, qui se mêlèrent volontiers à eux, Basile Apokapès93 ou les Pakourianoi94.
70Les Arméniens ne formaient donc pas une communauté unie dans son hostilité à Byzance, mais ceux qui avaient choisi le service de l’Empire s’opposaient vivement aux anciens princes et à leurs suivants. L’harmonie n’était pas non plus parfaite entre les princes eux-mêmes, car ils n’avaient pas oublié les rivalités qui les divisaient lorsqu’ils étaient encore indépendants. Les relations entre Arméniens et Byzantins, mais aussi entre Arméniens, furent profondément modifiées par l’avance turque qui eut pour conséquence essentielle, à partir du règne de Michel VII, de séparer Constantinople et les provinces maritimes du groupe des thèmes centrés sur les chaînes de montagnes s’étendant du Pont jusqu’au golfe d’Antioche, thèmes qui durent organiser leur défense de manière autonome.
71Ces provinces furent particulièrement touchées par les guerres civiles qui déchirèrent l’Empire entre 1072 et 108195, opposant les Doukai à Romain Diogénès et ultérieurement à Nicéphore Botaneiatès. Parmi les officiers byzantins qui s’étaient illustrés contre les Turcs entre 1068 et 1071, des Cappadociens comme Alyatès, mais aussi des Arméniens ou des Géorgiens, tels Chatatourios et probablement Philarète Brachamios ainsi que Basile Apokapès apportèrent leur soutien à l’empereur déchu contre Michel VII. Lorsque ce dernier fut victorieux, les survivants du groupe, Philarète et Apokapès, restèrent rebelles à son autorité, gardant sous leur commandement des soldats byzantins qui leur avaient été confiés. C’est ainsi que Philarète disposa de troupes ethniquement disparates, arméniennes certes, mais aussi franques96 et grecques, sans que leur chef eût privilégié tel ou tel groupe, du moins dans la phase d’extension de son État. Parmi les lieutenants de Philarète se comptaient des Grecs, tel Palatianos qui gouverna un temps Mélitène. Sans être nécessairement sous ses ordres, les frères Mandalai, établis à Kybistra, défendaient cette forteresse contre les même ennemis arméniens. Les Roupénides, établis dans l’Empire depuis longtemps97, commencèrent probablement leur ascension comme officiers de Philarète.
72Par réaction à l’attitude de Philarète favorable à Diogénès, l’empereur Michel VII Doukas fit appel pour le mettre en échec à l’autre groupe arménien, celui des anciennes familles dirigeantes des États arméniens annexés, dont nous rappelons qu’ils avaient conservé leur religion et avaient été jusqu’ici tenus dans l’ensemble à l’écart des responsabilités. Sur les conseils du César Jean Doukas et de Nicéphoritzès, respectivement ancien duc d’Édesse et ancien duc d’Antioche, l’empereur évita de confier les responsabilités aux princes les plus importants. Il nomma Abelgharib, issu d’une branche cadette des Ardzrouni, stratège de Tarse et de Cilicie98, et Tornik, stratège du Sassoun99. Lorsqu’Isaac Comnène, duc d’Antioche nommé par Michel VII, fut rappelé à Constantinople en 1078, il préféra confier le gouvernement de la métropole à Vasak, fils de Grégoire Magistros, plutôt que de voir Philarète risquer de s’en emparer100. Dans le même esprit de conciliation avec les Arméniens, Grégoire fut reçu avec honneur à Constantinople par l’empereur Michel Doukas, dont le comportement amical lui valut un éloge remarquable de la part de Matthieu d’Édesse101.
73Lorsque, par un nouveau renversement de la situation à Constantinople, Nicéphore III succéda à Michel VII, les anciens rebelles, Philarète, Basile Apokapès, Gabriel, retrouvèrent leur légitimité, sanctionnée par des promotions : Philarète devint protocuropalate puis sébaste, Basile fut titré proèdre102, Gabriel devint curopalate puis protocuropalate et protonobélissime103. En conséquence, en 1078, aux yeux du gouvernement byzantin, la situation en Orient était la suivante : Philarète était duc d’Antioche, Basile Apokapès, duc d’Édesse et peut-être Gabriel, duc de Mélitène104. Ainsi la situation administrative sur l’ensemble de cette frontière pouvait être considérée comme “normale”.
74Il faut donc se garder de voir dans la constitution de l’État de Philarète exclusivement un mouvement séparatiste arménien. En effet, les principaux responsables de cet État étaient des officiers de l’armée impériale, appuyés au moins à l’origine sur des troupes byzantines, même si ultérieurement, faute de recevoir des renforts du gouvernement central, ils durent tirer leurs ressources en hommes et en argent des territoires qu’ils contrôlaient105 ; ils ne furent pas seuls à acquérir et à conserver leur autonomie puisque les frères Mandalai tinrent pendant une ou deux décennies la forteresse de Kybistra.
75Les haines entre factions arméniennes l’emportaient sur une solidarité ethnique, dont rien ne prouve qu’à cette date elle ait été ressentie comme primordiale. Les bouleversements politiques à Constantinople eurent encore d’importantes répercussions, au moins jusqu’en 1081, sur les luttes pour le pouvoir dans les territoires orientaux, et par le jeu des renversements d’alliances, il n’y eut pas de groupe arménien qui n’ait pu, finalement, se prévaloir d’une légitimité venant de la capitale de l’Empire, preuve qu’à une date fort avancée dans le xie siècle, l’influence de l’Empire restait plus forte que ne le laisserait supposer sa situation militaire très détériorée. Dans les années 1070 et 1080, avoir été fonctionnaire byzantin donnait un avantage décisif pour être accepté des populations locales. En 1094 encore, Thoros avait renforcé son droit à gouverner Édesse non seulement par ses capacités militaires, mais aussi en tant qu’ancien officier byzantin, lieutenant de Philarète106. La reconnaissance de l’autorité acquise sur place de la part de Constantinople restait recherchée par les nouveaux maîtres, même si l’Empire ne détenait aucun pouvoir de fait, encore que J. Laurent, selon nous, surestime la rapidité avec laquelle avaient été interrompues les relations entre l’Empire et les provinces orientales, rupture qui ne fut pas réelle avant la prise d’Antioche par les Turcs. J. Laurent estime en particulier qu’Édesse ne cessa pas d’être vassale du sultan depuis l’accord conclu en 1071, car il tient Léon, frère de Tavadanos -il faut lire selon nous Diabatènos -, duc d’Édesse en 1078, pour un gouverneur plus ou moins indépendant de Constantinople, à l’instar de Philarète. Or Léon Diabatènos107 se comporta ultérieurement en fonctionaire byzantin et ne gouverna pas Édesse autrement qu’à la même date Nicéphore Paléologue, le duché de Mésopotamie108. Il ne faut donc pas sous-estimer la résistance byzantine. Des possibilités de liaisons subsistèrent par mer jusqu’à la fin de 1084, car les Turcs ne disposaient pas encore d’une flotte notable. Les administrateurs locaux cherchaient à imiter le style des anciens ducs et catépans byzantins et demandèrent ou reçurent des dignités auliques, et ce à une date tardive. Gabriel, qui fut protonobélissime, ne put guère obtenir cette dignité avant 1081, et ce fut sans doute encore l’empereur Alexis I qui conféra à Philarète la dignité de sébaste.
76Au cours du quart de siècle 1075-1100, pendant lequel les provinces orientales furent gouvernées sans que Constantinople pût y exercer un contrôle direct, le phénomène décisif fut le déplacement de la population arménienne, principalement en raison de la pression turque. Bousculée par les envahisseurs dans les provinces du nord, en Cappadoce, à Sébastè, elle descendit vers la Cilicie et dans une moindre mesure vers le duché d’Antioche ; outre les conditions naturelles favorables à la défense dans les monts du Taurus, elle était plus proche des garnisons arméniennes qui constituaient une grande partie des défenses de ces provinces. Certains empereurs, tel Michel VII, en nommant Abelgharib stratège de Tarse et de Cilicie, favorisèrent ce mouvement. À cette période de la désagrégation administrative byzantine, le facteur religieux a pu jouer un certain rôle, que nous pensons mineur à côté du poids des échecs militaires, dans la mesure où Philarète représentait les Chalcédoniens -il jouissait du reste de l’appui d’Émilien, patriarche melkite d’Antioche. Lorsque les déplacements de populations rendirent les Arméniens non chalcédoniens fort nombreux sinon majoritaires en Cilicie et dans certaines parties des duchés d’Antioche et d’Édesse, Philarète fut mis en difficulté à l’intérieur même de ses territoires au moment précis où les nécessités de la guerre l’obligeaient à demander un effort fiscal considérable. Aussi Philarète s’efforça-t-il d’établir un catholicos à Mar’as, centre de son territoire, bien que lui-même fût chalcédonien. Cette action fut, semble-t-il, la conséquence et non la cause de l’autonomie des provinces orientales.
77Que penser alors de l’interprétation byzantine, illustrée par Michel Attaleiatès, qui fait de la trahison des populations frontalières le principal motif du recul byzantin, allégation reprise par de nombreux historiens modernes ?
78S’il est indéniable qu’une hostilité régnait entre Chalcédoniens et Arméniens, nous ne voyons pas que ces derniers perçurent favorablement la domination turque, à l’exception de la courte période du règne du sultan Malik Shah, et même dans ce cas, le sentiment de sécurité engendré par la présence de ce prince et sa tolérance envers les chrétiens était partagé tant par des Arméniens que par des Orthodoxes comme Nikôn de la Montagne Noire qui écrivait : “récemment, par la grâce de Dieu, la paix est venue depuis que les Turcs sont maîtres du pays, comme il n’en existait pas alors que c’étaient les ὁμόπιστοι qui détenaient la souveraineté (ἐπικράτησις)”109. En 1097, lorsque les Croisés parvinrent dans la région, les populations arméniennes les accueillirent avec enthousiasme, comme des libérateurs du joug turc, quitte à être ultérieurement désillusionnés.
79La fidélité des troupes arméniennes valait celle des troupes grecques. Une défaillance de l’infanterie arménienne devant Hiérapolis n’entama pas la confiance de Romain IV envers elle et il lui confia la garde de la forteresse110. De nombreux exploits comptent à l’actif des soldats arméniens : défense d’Édesse, reprise du butin conquis par les Turcs à Iconium, capture de la citadelle de Mantzikert en 1071111. Mantzikert, Sébastè, Arz, Ani, cités peuplées toutes d’Arméniens, ne succombèrent pas par trahison. Le banditisme arménien ne s’exerçait pas exclusivement aux dépens des soldats byzantins112.
80Deux épisodes empruntés à Matthieu d’Édesse113 ont souvent été mis en exergue pour illustrer la haine des Arméniens contre les Grecs. Romain Diogènès aurait fait piller Sébastè par ses troupes pour punir les Arméniens de la cité d’avoir collaboré au pillage par les Turcs jusqu’à ce que Kakikios d’Ani et Chrysoskoulos le Turc lui aient révélé l’innocence des Arméniens114. Il est pour le moins étrange qu’un empereur ait ravagé une ville de son Empire et qu’un prince de l’ethnie qu’il entendait punir ait arrêté le châtiment. Le même Kakikios, quelques années auparavant, revenant de Constantinople, aurait ordonné aux soldats de son escorte d’outrager les dames de la bonne société et de massacrer cruellement le métropolite de Césarée qui avait eu, il est vrai, la regrettable indélicatesse d’appeler son chien Armen. J. Laurent115 avait déjà noté qu’il semblait difficile d’accepter la chronologie de Matthieu d’Édesse. Comment imaginer que Kakikios, après de tels méfaits, ait compté, quelques années plus tard, parmi ceux dont Romain Diogénès acceptait les conseils de modération à Sébastè ? Nous nous demandons si cet épisode doit être reporté après 1071, et même s’il n’est pas aussi légendaire que la défection des Arméniens à Mantzikert rapportée par Michel le Syrien116 ?
81Ainsi les principales anecdotes censées démontrer la haine des Arméniens envers les Grecs sont erronées ou pour le moins douteuses. Nous n’entendons pas démontrer que l’harmonie régnait entre ces deux groupes, mais que les différences religieuses et ethniques ne sauraient à elles seules expliquer l’éloignement progressif des provinces orientales. En effet, les rivalités ethniques pouvaient s’accorder d’une certaine fidélité politique : Pakourianos, un Géorgien, très fidèle serviteur de l’Empire n’en conserva pas moins jusqu’à la fin de sa vie un certain mépris et une certaine réserve envers les Grecs117. Rien n’exprime mieux la séparation entre le domaine politique où l’autorité de l’Empire n’était pas contestée, et le domaine religieux où la liberté de culte était revendiquée, que ces paroles prêtées par Michel le Syrien au patriarche jacobite Jean devant le synode de Constantinople en 1029-1030 : “nous sommes soumis aux ordres du saint empereur en toutes choses, comme nous le devons ; mais nous ne changerons point notre confession”118.
Le rôle d’Antioche
82La reconquête d’une des villes qui fut parmi les plus actives du monde méditerranéen jusqu’au vie siècle modifia-t-elle réellement l’équilibre politique de l’Anatolie byzantine ? Au xe siècle Antioche avait singulièrement perdu de son importance au profit d’Alep sa voisine, devenue la capitale de la Syrie du nord, mais aux yeux des Byzantins, la ville gardait son prestige comme siège d’un des cinq patriarcats, sans compter la présence d’un patriarche jacobite. Le rayonnement politique et militaire de la cité excédait les limites du duché pour s’étendre à tout l’Orient. On a pu écrire que la reconquête “avec Antioche crée un second pôle, la capitale virtuelle d’un Orient romain. Les structures même de l’Empire s’en trouvent modifiées”119.
83Cependant Antioche fut-elle vraiment susceptible de devenir la capitale d’un État tourné autant vers le monde musulman que vers l’Empire byzantin ? On allègue l’accord entre Phocas et Sklèros pour appuyer cette hypothèse. Nous avons déjà dit que nous ne croyons pas qu’un véritable partage de l’Empire ait été envisagé. Au cours de la lutte des deux Bardas contre Basile II, à aucun moment Antioche ne fut un objectif privilégié : aussi bien Sklèros, pourtant parti des marches d’Orient, que Phocas, quittant Césarée de Cappadoce, s’avancèrent droit sur la capitale. Si les deux rebelles tinrent à s’assurer le duché d’Antioche, c’était en raison des importantes et nombreuses garnisons susceptibles de menacer leurs arrières. Mais après la mort de son père Bardas, Léon Phocas, établi à Antioche, ne tenta pas vraiment de constituer une zone de résistance dans le duché.
84Il est vrai qu’à nouveau Antioche, sous Khatchatour, puis sous Philarète, fut intégrée dans un ensemble soustrait à l’autorité de Constantinople. Mais dans le premier cas, le duché d’Antioche ne fit que servir à alimenter une armée de réserve pour Romain Diogénès après la dispersion de ses fidèles cappadociens. Ultérieurement, Antioche ne devint pas la vraie capitale de Philarète dont les États étaient centrés sur Mar’ash, sa “patrie”, et sur les forteresses avoisinantes du Taurus. Philarète occupa cette grande métropole parce que le pouvoir y était largement vacant et que la conquête lui apportait d’appréciables ressources économiques.
85Antioche constituait en fait un relai de l’autorité impériale, préoccupée de la fidélité des ducs et patriarches ; ainsi Michel IV y établit l’un de ses frères comme duc et Constantin X y envoya Nicéphoritzès, longtemps son homme de confiance. En Occident, Thessalonique jouait un rôle économique identique, sans qu’on ait vu en cette ville la capitale potentielle d’une entité territoriale autonome, du moins jusqu’au xiie siècle120. Ville-relai, mais aussi ville-reflet des luttes politiques à Constantinople : lorsque Constantin Dalassènos devint un prétendant sérieux au trône, l’agitation en sa faveur dans la capitale trouva un écho à Antioche où sa famille s’était montrée si active.
86Organiser un État autour d’Antioche aurait été fort difficile eu égard à la diversité ethnique de la population, qui rendait la ville, sinon l’acropole, bien difficile à défendre. Avant la reconquête byzantine, les émirs hamdanides mis en difficulté cherchaient refuge dans Alep la musulmane plutôt qu’à Antioche trop largement peuplée de chrétiens, et, en dépit de sa forte position et de ses célèbres murailles, Antioche fut parfois victime de trahisons. Ainsi en 969 Bourtzès y pénétra facilement. Un siècle plus tard, Philarète n’eut pas non plus à conquérir la ville car il y fit son entrée à l’appel d’une partie des habitants ; mais il la perdit aussi aisément : trois cents soldats suffirent à Soliman, sultan d’Iconium, pour surprendre la forteresse. Les Turcs eux-mêmes ne surent pas davantage conserver la cité et Bohémond le Franc se la fit livrer par un Arménien. Ce n’est qu’avec l’établissement d’une solide garnison franque et l’amoindrissement des menaces extérieures que la ville connut un siècle de tranquillité121.
87Antioche, centre de la plus haute importance pour l’Empire, ne parut jamais en mesure de constituer la capitale d’un État rival en Anatolie. Cependant, place indispensable pour tenir la Cilicie et la Syrie du nord, elle fut l’objectif majeur des empereurs byzantins, soucieux de recouvrer la prééminence en Anatolie, d’autant plus que ses nouveaux maîtres, les princes latins d’Antioche, d’origine normande, comptaient précisément parmi les pires ennemis de Byzance.
Les dissidences de provinces traditionnellement byzantines
88Tout un parti byzantin n’eut guère de regret de la perte des provinces les plus orientales, car il jugeait peu sûrs ces thèmes dits “arméniaques”. Mais, fait plus grave, des thèmes “romains” traditionnels cessèrent à la même époque de relever de l’autorité impériale. Nos informations, assez précises sur le thème de Chaldée, sont tout à fait insuffisantes sur les thèmes pourtant plus importants de Cappadoce, des Anatoliques et des Arméniaques. Il existe une grave lacune dans les sources entre l’époque de Nicéphore III lorsque Nicéphore Mélissènos, ancien monostratège des Anatoliques, retira les garnisons de nombreuses villes d’Orient pour marcher contre l’empereur au début de 1081, et le moment où l’État seldjoukide apparaît tout constitué autour de sa capitale Konya, l’ancienne Iconium, au début du xiie siècle. Ces vingt années décisives pour le sort de l’Anatolie byzantine restent obscures car Anne Comnène, principale source pour cette fin du siècle, ne voit l’histoire de l’Empire qu’au travers des faits et gestes de son père l’empereur Alexis qui s’était presque complètement désintéressé de l’Asie Mineure jusqu’à l’arrivée des Croisés en 1096.
Les Gabras en Chaldée
89Ce thème, dont la capitale était Trébizonde, constitue le plus remarquable exemple d’une population byzantine particulièrement menacée dans la décennie 1070 au point de tomber durant quelques années sous une domination étrangère et qui se donna pour chef un membre de l’aristocratie locale, officier de rang moyen, Théodore Gabras122, afin d’assurer sa défense en dehors de toute instruction et plus encore de tout renfort venant de Constantinople. Du moment où il reconquit Trébizonde sur les Turcs, Théodore se comporta jusqu’à sa mort en souverain autonome dans son territoire ; comme le dit fort bien Anne Comnène, il considérait Trébizonde, c’est-à-dire le thème de Chaldée, comme un bien patrimonial123. Tout lien cependant n’était pas rompu avec la cour de Constantinople puisque Théodore y séjourna vers 1091 alors qu’il désirait reprendre son fils, en quelque sorte otage d’Alexis Comnène. L’empereur souhaitait se concilier Théodore, guerrier redoutable et atout efficace dans la lutte contre les Turcs, et il proposa un mariage entre sa propre nièce, fille d’Isaac, et Grégoire, fils de Théodore. L’empereur agissait comme si Théodore était un prince étranger ou à tout le moins un toparque des frontières qui pouvait être rallié au prix d’une alliance matrimoniale.
90Il est certain que l’adhésion populaire ne manqua pas à Gabras au point d’être considéré comme un martyr, honneur exceptionnel, lorsqu’il fut exécuté par des Turcs pourtant sensibles à sa valeur124. Qu’il fût grec et orthodoxe ne l’avait pas incité à se soumettre à l’autorité impériale qui ne se rétablit sur cette province qu’après la mort de Théodore et encore de façon intermittente. En effet, désormais la province de Trébizonde conserva des tendances autonomistes, favorisée qu’elle était par l’abri de ses montagnes, par sa situation aux extrémités de l’Empire et par l’existence d’une métropole régionale économiquement prospère125, si bien que Grégoire Tarônitès, puis le neveu de Théodore, Constantin, purent de nouveau se rendre indépendants de la capitale.
91Le mode d’administration de sa province par Théodore nous échappe, faute de la moindre source, à moins d’admettre qu’il ne différait guère de celui mis en place quelques décennies plus tard par son neveu Constantin. Sous le gouvernement de ce dernier, tout reposait sur le recrutement et le paiement d’une armée qui, sans être nombreuse, eu égard à la modestie du territoire d’où elle tirait ses ressources, devait comporter les effectifs d’un ancien grand thème byzantin, plusieurs milliers d’hommes126. Comme les autres héritiers de la puissance byzantine en Orient et comme l’empereur lui-même à Constantinople, Constantin se heurta à de graves difficultés pour financer l’effort de guerre local. Comme Alexis, il eut recours aux biens d’Église pour payer ses soldats, dont certains étaient peut-être des Turcs, au grand scandale du métropolite de Trébizonde, Étienne Skylitzès127.
Les thèmes centraux des Arméniaques, des Anatoliques et de Cappadoce
92Les habitants du thème des Arméniaques, inquiets de la présence de nombreuses bandes turques, accueillirent avec une certaine satisfaction Roussel de Bailleul, pourtant déserteur de l’armée d’Isaac Comnène. En effet ce commandant des tagmata francs à l’époque de Diogénès avait une réputation méritée de grande vaillance. En 1073-74, la population d’Amasée, y compris ses notables, accepta de payer l’impôt au chef franc pour que lui et ses hommes occupent les forteresses du thème et repoussent les Turcs. Par exception donc, le bénéficiaire du soutien de la population des Arméniaques ne fut pas un membre de l’aristocratie locale, mais un étranger ; depuis lontemps cependant des troupes franques et varanges prenaient leurs quartiers d’hiver dans la région, elles étaient donc familières aux indigènes et appréciées par eux. Il faut en effet se garder d’imaginer que les mercenaires étrangers pillaient et maltraitaient systématiquement les populations qu’ils étaient chargés de défendre. Le récit d’Anne Comnène, au reste identique à celui de son époux Nicéphore Bryennios, ne parvient pas à masquer combien la population d’Amasée fut déçue par l’arrivée d’Alexis Comnène envoyé par Michel Doukas, l’empereur légitime, avec mission de rétablir l’ordre. Lorsque Alexis demanda aux gens d’Amasée de payer le Turc Toutach qui avait remis Roussel à Alexis, il manqua d’être mis à mal par la foule en colère et put craindre un moment qu’elle ne délivrât les prisonniers. Car, aux dires d’Anne Comnène, Roussel disposait de troupes abondantes et bien équipées, du moins par rapport à celles du stratopédarque128, et détenait de nombreuses forteresses. Or Alexis ne put s’emparer de l’homme qu’en faisant alliance avec l’envahisseur turc dont jusqu’ici Roussel avait préservé sa province : aux yeux des habitants donc, la situation présentait le paradoxe que le stratège byzantin, avec l’accord de l’ennemi, privait la province de son meilleur défenseur. Roussel de Bailleul, en raison de sa valeur militaire, n’était pas seulement populaire auprès des habitants des villes et des campagnes du thème des Arméniaques, mais aussi auprès des plus grandes familles de la région ; Théodore Dokeianos, neveu de l’empereur Isaac Comnène, réprimanda vivement son jeune cousin Alexis pour avoir aveuglé Roussel, ce qui était le châtiment normal envers un rebelle, car il privait ainsi l’Empire d’un défenseur de valeur. En revanche, dès que Dokeianos eut découvert qu’Alexis ne s’était livré qu’à un simulacre d’aveuglement, il félicita très vivement le stratège d’avoir sauvegardé un tel guerrier. Le sort du thème des Arméniaques après la capture de Roussel et le départ d’Alexis Comnène nous est inconnu, bien qu’Anne affirme que son père ait rétabli l’autorité de Michel VII sur toute la province. Il est sûr que la région passa sous la domination turque, et d’après l’épisode précédent, sans doute préféra-t-elle négocier avec l’envahisseur plutôt que de résister, dans la mesure où elle était privée de renforts venant de la capitale et de chefs locaux.
93Nous ignorons également comment le thème des Anatoliques et la région de la Cappadoce tout entière, longtemps coeur de l’Empire, lui furent enlevés. En 1081, des résistances sporadiques subsistaient en plusieurs points, celle de Bourtzès, appelé par Anne Comnène toparque de Cappadoce et de Chôma129, et celle de Diabatènos, établi plus au nord en Paphlagonie, autour d’Héraclée du Pont. Ces hommes disposaient de troupes et pouvaient encore effectuer de nouvelles levées ; ils étaient officiers de l’armée byzantine, topotèrètai, c’est-à-dire commandants en second du thème, dont les chefs avaient rejoint Constantinople lors des rébellions précédentes. Le supérieur de Bourtzès était normalement Nicéphore Mélissènos, stratège des Anatoliques130. Cependant le terme de toparque appliqué à l’un des Bourtzès indique clairement qu’ils avaient acquis une marge d’autonomie politique sans qu’il y eût volonté délibérée de rejeter l’autorité impériale ; mais cette autonomie résultait naturellement de leurs mauvaises communications, notamment par voie terrestre, avec la capitale. Pour Bourtzès au moins, nous ajouterons que son désir de résistance aux Turcs pouvait être renforcé par le sentiment de défendre ses terres, puisque, nous l’avons vu, les Anatoliques formaient, avec le duché d’Antioche, le centre des biens de la famille Bourtzès. Cette défense isolée du centre de l’Anatolie byzantine échoua, faute de soutien de la part de l’empereur, trop occupé par les dangers normand et petchénègue et, pis encore, si les ordres impériaux furent suivis, des contingents furent prélevés sur les forces subsistantes de ces provinces pour renforcer l’armée d’Occident131. Alexis Comnène ne saurait être entièrement rendu responsable de l’abandon de ces provinces, car plusieurs années auparavant, jeune stratège débutant, au retour de sa mission contre Roussel de Bailleul, il se dirigeait vers Héraclée du Pont et avait alors été attaqué par des maraudeurs turcs, car la province se trouvait mal défendue ; à Héraclée même, un homme d’origine modeste mais qui avait exercé les plus hautes charges, Maurix132, assurait la sécurité de la ville avec des troupes qui semblent bien avoir été constituées de ses propres gardes du corps, et non de soldats impériaux133.
94Le Seldjuknameh, notre seule source concernant la conquête de la Cappadoce par les Turcs, reste fort imprécis. Il conserve toutefois le souvenir que les Turcs, pour maîtriser Iconium, durent conquérir une forteresse proche de cette cité, défendue par des Grecs dont l’un se nommait Kostas (Constantin)134. Les lacunes de nos sources déforment peut-être en l’accentuant l’impression de facilité que donne la conquête turque, mais on est déconcerté par la faible résistance opposée par cette vaste région qui, s’étendant de Césarée à Ancyre jusqu’à Laodicée de Phrygie et Chôma à l’ouest, avait fourni la majeure partie des cadres et des hommes qui résistèrent trois siècles durant aux attaques arabes et entreprirent la reconquête du xe siècle. L’argument de la supériorité militaire des Turcs n’est pas totalement recevable ; l’effet de surprise ne jouait plus et les soldats grecs, quand ils étaient vraiment commandés et décidés à se battre, étaient capables de repousser l’ennemi, comme le montre l’exemple de Trébizonde.
95Sans doute, à l’instar des autres grands thèmes traditionnels, les soldats avaient-ils connu une certaine démobilisation au cours du xie siècle, mais en 1022, ceux originaires du thème des Anatoliques étaient encore suffisamment nombreux pour constituer une armée rebelle inquiétant Basile II135, pendant que simultanément d’autres soldats du même thème le servaient dans sa campagne contre les Géorgiens. Sans nier que la poussée turque qui se déversait par la région de Sébastè, évitant les monts du Taurus, ait été redoutable, les relations que les Cappadociens (au sens géographique du terme) entretinrent avec l’État byzantin conduisent à une explication satisfaisante. Au xe siècle, ces soldats avaient été le fer de lance de l’armée byzantine, menés par les chefs des grandes familles, Phocas, Sklèroi, Maléïnoi et avaient même placé l’un des leurs, Nicéphore Phocas, sur le trône de Constantinople. Sous le règne de Basile II, ils exerçaient encore nombreux la carrière des armes, mais dans les décennies suivantes, ils jouèrent un rôle effacé. Cependant avec l’arrivée de Romain Diogénès au pouvoir, la Cappadoce retrouva un poids considérable, puisque dans une certaine mesure, nous l’avons vu, Diogénès était l’héritier politique des Phocas, s’appuyant lui aussi sur les soldats de ces provinces, qui l’entouraient encore au moment de la défaite de Mantzikert. Nous savons quelles furent les conséquences de la terrible guerre civile qui suivit la libération de Romain Diogénès, et à quel point le sort de l’ancien empereur, qui avait incarné la politique de résistance militaire aux Turcs, fut unanimement regretté136, sauf par les partisans inconditionnels des Doukai. Comment ne pas imaginer que les Cappadociens, pour qui Diogénès était un véritable héros national, ne soient pas entrés en dissidence morale sinon ouverte137 ? Ils n’usèrent pas à coup sûr de toutes les ressources pour lutter contre les Turcs ; Diogénès n’avait-il pas été traité avec magnanimité par le sultan Alp Arslan ? Rappelons que sous le règne d’Alexis I, Nicéphore, fils de l’empereur aveuglé, fut au centre de l’opposition dans l’armée à Alexis Comnène, auquel on reprochait un désintérêt au moins apparent pour le sort de l’Anatolie138.
Les provinces de l’Égée : les indices d’une désaffection de la population
96À la faveur des guerres civiles de 1078 à 1081, les Turcs avaient occupé un certain nombre de villes et de forteresses, placées en théorie sous le contrôle des gouverneurs byzantins auxquels ils fournissaient des troupes auxiliaires. En réalité, plusieurs de leurs émirs, de leurs satrapes, dit Anne Comnène139, s’étaient rendus indépendants tant de l’autorité byzantine que de celle du sultan de Nicée. Parmi eux, plusieurs avaient connu la cour byzantine dont Tzachas, capturé par Alexandre Kabasilas et offert à l’empereur Botaneiatès qui l’avait comblé de dons et honoré de la dignité de protonobélissime140. Prétextant le renversement de cet empereur, Tzachas avait repris sa liberté et conquis un territoire autour de Smyrne.
97Nous n’avons aucun écho d’une résistance grecque à la mainmise turque, encore qu’en 1097-1098, au moment même où Alexis Comnène allait envoyer une expédition délivrer ces régions égéennes, les émirs locaux, Tzachas de Smyrne, Tangriperme d’Éphèse, pillaient les régions côtières, dévastant tout141. Il faudrait donc comprendre qu’à cette date très tardive des populations chrétiennes restaient encore insoumises aux Turcs qui les traitaient en ennemis. D’autres indices révèlent au contraire que des Grecs ont collaboré avec des émirs turcs, en favorisant particulièrement les entreprises de Tzachas. L’émir de Smyrne construisit une flotte grâce à l’aide d’un ingénieur originaire de cette ville142. Les rameurs de la flotte étaient aussi à coup sûr des Byzantins, car les Turcs n’avaient pas de tradition maritime et ne combattaient qu’à pied sur le pont des navires. Toutefois il serait imprudent d’y voir le signe d’une collaboration entre autochtones et Turcs, car les rameurs pouvaient être des prisonniers de guerre. En revanche, ceux qu’Anne Comnène qualifie de Turcs et qui composaient l’armée de Tzachas, n’appartenaient pas tous à cette ethnie. En effet, lorsque Constantin Dalassènos reconquit Chio, les Turcs menacés de périr implorèrent leurs adversaires en langue “romaine”143. S’ils n’étaient pas grecs, à tout le moins étaient-ils des mixobarbares issus des mariages entre les deux races, au même titre que les turcopoules servant fidèlement dans les armées de l’empereur Alexis. Lorsque Smyrne fut reprise, dix mille hommes furent tués144, chiffre élevé qui comportait sans doute des Turcs de la garnison, mais aussi bon nombre de ceux que nous appellerions aujourd’hui des collaborateurs. Parmi les habitants survécurent ceux dont Jean Doukas, le stratège d’Alexis, s’était assuré la fidélité.
98Les révoltes des îles de Crète et de Chypre auraient été de grande conséquence si elles n’avaient pas été rapidement réprimées. Le bref récit d’Anne Comnène ne se soucie pas d’exposer les causes de ces révoltes, aussi sommes-nous réduit aux hypothèses. La prosopographie n’est pas d’un grand secours, car les familles des instigateurs de ces deux révoltes, Karykès en Crète et Rapsomatès en Chypre, ne comptaient point parmi les plus illustres de l’Empire. Le seul Karykès notable fut Nicétas, protoproèdre et duc de Bulgarie entre les années 1070 et 1090145. Etait-ce lui qui fut nommé ultérieurement catépan de Crète et trouva une mort cruelle des mains des habitants de l’île ? Ce n’est pas assuré, bien que le récit d’Anne Comnène qui ne prend pas soin de mentionner le prénom du Karykès de Crète, laisserait entendre qu’il était à cette date un personnage assez célèbre. D’autres Karykai nous sont connus ; l’un d’eux, selon son sceau, était basilikos146. Au xiie siècle, Basile Karykès offrit la décoration d’une icône dédiée à saint Etienne147.
99Les Rapsommatai sont encore plus modestement représentés148. Le rebelle chypriote n’était assurément pas un militaire, d’après la description qu’en donne Anne Comnène. Sans doute s’agissait-il d’un fonctionnaire du fisc. L’absence d’un catépan de l’île est au reste étrange, car la fonction y est attestée antérieurement à la révolte149 et l’île n’était pas dépourvue de troupes ; peut-être ce militaire avait-il été éliminé, ou par exception, Rapsommatès cumulait-il une fonction civile avec une charge militaire150 ?
100Deux conjectures peuvent être avancées pour rendre compte de ces révoltes insulaires. La première, déjà formulée par Chalandon, les attribuait à des charges fiscales excessives. Les arguments en faveur de cette hypothèse sont au nombre de deux ; d’une part vers 1090-1092, le besoin de financement nécessité par l’effort de guerre contre les Petchénègues était à son apogée, et d’autre part les deux chefs rebelles auraient appartenu, semble-t-il, à l’administration fiscale. Le mécontentement fiscal, s’il était confirmé, ne serait pas récent, puisque Théophile Érôtikos déjà avait poussé les Chypriotes à le suivre en 1042, en les incitant à tuer Théophylacte, juge et praktôr, accusé par Théophile d’avoir lui aussi levé de lourdes contributions irrégulières151 . Une lettre de Psellos, où il félicite un curateur d’avoir apaisé des troubles, laisse entendre que l’île avait de nouveau connu des incidents152. Par ses fonctions un curateur était plutôt amené à prendre des mesures d’ordre économique et fiscal ; une allusion au César (Doukas) permet de la dater du règne d’un Doukas (Constantin X plutôt que Michel VII).
101Le second ressort vraisemblable du mouvement est le sentiment éprouvé par les habitants d’un abandon de la part de l’empereur, sentiment largement partagé, nous l’avons vu, par d’autres provinces de l’Empire et cause de bien des dissidences. En effet, la marine byzantine fut fort peu active jusqu’à ce que Tzachas ait constitué une menace réelle pour la capitale même. Les Crétois ne pouvaient ignorer que les Turcs s’étaient emparés de Chio, de Mytilène et de Rhodes153, et ils pouvaient craindre que leur île ne fût un prochain objectif de l’ennemi. Mais dès qu’une flotte constantinopolitaine en état de combattre se fut approchée de leurs côtes, les habitants préférèrent immédiatement revenir sous une autorité impériale réaffirmée. En Chypre, la menace turque fut sensible dès le moment où Soliman s’empara de la côte cilicienne et d’Antioche en 1084, et la population préféra s’en remettre à un chef local, issu du rang des fonctionnaires byzantins. Mais sitôt le débarquement d’un stratège expérimenté, Michel Boutoumitès, une partie des troupes chypriotes se rallia à lui sans combattre. Alexis “comprit qu’il fallait assurer la sécurité de l’île”154. D’une part, il établit un juge et répartiteur fiscal, Kalliparios, connu pour son esprit de justice, et d’autre part il fit fortifier le territoire, y établit des navires de guerre ainsi qu’une garnison de cavalerie sous la direction d’un des meilleurs généraux de l’Empire, Eumathios Philokalès. Répondant aux aspirations de la population, sécurité et justice fiscale, il assura la tranquillité des îles pour un siècle.
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102L’affaiblissement progressif des armées byzantines au cours du dernier tiers du xie siècle n’avait pas permis d’assurer la défense efficace d’un territoire devenu fort étendu et menacé simultanément par trois envahisseurs. La défaillance byzantine a rendu inévitable le développement d’autorités locales susceptibles d’assurer la sécurité, même de façon modeste et précaire, ou, en cas de nécessité, de traiter avec l’ennemi. Les pouvoirs locaux fleurissaient d’autant plus facilement qu’ils se situaient tous dans des zones urbaines plus développées que dans le reste de l’Empire, cités d’Italie du Sud, du Paristrion et de la frontière orientale, notamment Antioche et Trébizonde. Or ces villes importantes disposaient déjà, dans le cadre de l’Empire, d’une certaine autonomie, illustrée par l’existence de milices et appuyée sur une prospérité économique supérieure, semble-t-il, aux régions anciennement byzantines.
103Cette dissidence de fait n’a pas signifié, au moins dans un premier temps, un rejet des autorités byzantines, puisque précisément la presque totalité des chefs régionaux était issue des cadres de l’armée ou de l’administration restés sur place, tout particulièrement en Orient. L’essor de cette résistance locale fut compromis par la lutte entre les différentes factions byzantines, Doukai, Comnènes, Diogénai.
104Que les populations aient été allogènes -latines, arméniennes ou syriennes -, ne fut pas le facteur décisif, dans la mesure où il n’apparaît pas que les Byzantins aient perdu l’Italie ou la région du Taurus en raison de la désertion des habitants passés à l’ennemi. Il n’y avait certes jamais eu unanimité pour accepter la domination byzantine, et parmi les Italiens ou les Arméniens existait en permanence un parti hostile à l’Empire. Ce n’était pas une situation nouvelle au xie siècle. Déjà lors des guerres soutenues du viiie siècle au xe siècle contre les musulmans en Asie Mineure, de fréquentes trahisons en faveur des envahisseurs étaient survenues, parfois aussi des alliances, telle celle de Michel le Slave avec le calife de Bagdad. Mais le parti hostile aux Byzantins ne prit d’importance qu’avec l’affaiblissement de l’Empire et les populations menacées furent amenées à traiter avec les envahisseurs lorsque tout espoir de renfort fut perdu, comme à Bari en 1071. Des régions parfaitement hellénisées, même s’il s’y était développé un particularisme provincial, comme la Cappadoce ou le Pont, ont été frappées du même mal. La plus grave conséquence de ces résistances locales, hors de l’autorité impériale, fut précisément de faire prendre conscience à des populations grecques et orthodoxes qu’elles pouvaient s’administrer avec succès sans dépendre de Constantinople, et qu’assurant eux-mêmes la défense de leur pays, les habitants et leurs élites locales ne voyaient plus la nécessité d’entretenir une coûteuse administration impériale qui avait failli.
105La preuve que le processus de décadence pouvait être surmonté est apportée a contrario par le rétablissement de l’autorité byzantine dans les Balkans. Cette région était peuplée entre autres de Bulgares, seul groupe ethnique à conserver son identité parce qu’elle s’était auparavant incarnée dans un État indépendant. En 1040 encore, les Bulgares se montrèrent prêts à suivre des chefs issus de leur nation pour recouvrer une autonomie politique perdue depuis moins d’une génération. En 1072 survint l’ultime résurgence du sentiment national vite étouffée. La péninsule balkanique fut soumise aux incursions des Serbes et des Croates et à l’invasion de nombreuses bandes de Petchénègues et de Coumans dont une notable partie s’installa à l’intérieur des frontières byzantines, créant le long du Danube une nouvelle population de mixobarbares. Or les efforts constants des empereurs Doukai et Comnènes, même s’ils connurent parfois de lourds revers, permirent de rendre à nouveau la frontière danubienne imperméable aux raids des nomades du Nord. Cette sécurité retrouvée après la victoire du Lébounion en 1091 offrit un siècle de paix intérieure aux provinces balkaniques qui, à la différence des provinces orientales, avaient bénéficié de la sollicitude impériale.
106Ce que nous venons d’exposer relativise l’importance du facteur religieux comme explication possible de la perte des provinces orientales, puisque les provinces orthodoxes ne se comportaient pas différemment des provinces peuplées d’ “hérétiques”. Sans doute ne faut-il pas nier qu’il y ait eu des rivalités et même des haines religieuses, mais celles-ci ne dataient pas non plus de la fin du xie siècle et elles n’avaient pas entravé l’expansion byzantine de la première moitié de ce siècle. Pourtant c’est cette justification de type religieux qui a été avancée par les contemporains, tant byzantins qu’arméniens ou syriens155, pour justifier ce qui paraissait incroyable, l’effondrement en deux décennies du plus puissant État du Proche-Orient, alors que nous n’avons relevé d’hostilité à l’autorité impériale que lors d’un alourdissement de la fiscalité.
Notes de bas de page
1 Conseils et Récits, p. 158-160.
2 Ibid., p. 152.
3 Psellos, Chronographie II, p. 114, trad. Renauld.
4 Idem, Scripta minora II, p. 239.
5 A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du xie siècle, II, Géographie arabe et représentation du monde : la terre et l’étranger, Paris 1975, p. 473 (d’après Ibn Hawqal).
6 Le tribut provenant d’Édesse et envoyé par Maniakès était de cinquante litres, Skylitzès, p. 388. Lors du pillage des villes de Sébastè, Arz, Mélitène par les Turcs, les chroniqueurs vantent la richesse de ces places en matières précieuses et le nombre de leurs marchands. De façon légendaire, mais significative, Michel Le Syrien (p. 145-146) rapporte que certains habitants de Mélitène auraient pu assurer la frappe des monnaies impériales pendant un an, et que tel autre a racheté les quinze mille prisonniers faits par les Turcs lors du sac de la ville, au prix de cinq dinars par tête. A propos de la situation économique et démographique de l’Orient byzantin, cf. Vryonis, Decline, p. 6-30. L’Italie disposait aussi de ressources considérables (A. Guillou, La soie du katépanat d’Italie, TM 6, 1976, p. 69-84).
7 Majores, boni homines, en Italie. En Orient, sur ce groupe social, cf. la note des éditeurs d’aristakès De Lastivert, p. 52 n. 1.
8 Matthieu D’édesse, trad. Dostourian, p. 133-134.
9 Aristakès De Lastivert, p. 63 pour Arz ; p. 74 pour Ani ; p. 113 pour Mélitène.
10 Vera Von Falkenhausen conteste que les villes de Pouille et de Calabre aient connu l’autonomie, alors que J. Gay observait une émancipation croissante de ces mêmes villes. Du point de vue institutionnel, le premier auteur a raison, mais on est frappé par l’activité de ces habitants qui aliénaient collectivement leurs terres communales ou intervenaient dans la nomination de l’abbé d’un monastère à l’intérieur des limites communales, en présence même d’officiers impériaux. On ne connaît rien de comparable dans la documentation d’archives contemporaines concernant la Macédoine ou l’Égée (Falkenhausen, Dominazione, p. 160 ; Gay, Italie, p. 563).
11 Matthieu D’édesse, trad. Dostourian, p. 184.
12 Aristakès De Lastivert, p. 87, 122.
13 Attaleiatès, p. 204, παράκεινται τῇ ὄχθῃ τούτου (le Danube) πολλαὶ καὶ μεγάλαι πόλεις, ἐκ πάσης γλώσσης συνηγμένον ἔχουσατ πλῆθος, δπλιτικòν οὐ μικρòν ἀποτρέφουσαι, la formulation d’Attaleiatès n’est pas explicite ; faut-il comprendre que ces villes entretenaient d’importantes garnisons, constituant des sortes de milices locales, ce qui expliquait les philotimiai dont elles bénéficiaient, ou bien étaient-elles pourvoyeuses de recrues ?
14 Skylitzès, p. 476 ; Conseils et Récits, p. 152 ; Attaleiatès, p. 44. Les contemporains ont unanimement critiqué la décision de Monomaque.
15 Pour toutes les références, Cheynet, Du stratège au duc, p. 183-193 ; pour Édesse, voir V. A. Arutjunova, Vizantijskie praviteli Èdessy v XI v., VV 35, 1973, p. 137-153.
16 Préteur de Bulgarie : Schlumberger, Sigillographie, p. 241 ; préteur d’Antioche : sceau Seyrig inédit n° 122 : + Θεοτόκε βοήθει τῷ σῷ δούλῳ Ἰωάννη πατρικίῳ, ἀνθυπάτῳ, βέστῃ, κριτῇ τοῦ βήλου καὶ πραίτωρι Ἀντιοχείας τῷ Κατωτικῷ (premier ou deuxième tiers du xie siècle).
17 Falkenhausen, Dominazione, p. 124-125. La sigillographie nous a fait connaître jusqu’à ce jour plusieurs sceaux de catépans d’Italie, de stratèges de Longobardie, de commerciaires de la même province, mais pas encore de kritès de ces thèmes. L’auteur en a déduit d’une part que le juge, aux attributions mal définies, était un subordonné du catépan, ce qui nous paraît justifié, et d’autre part que l’affirmation d’Hélène Ahrweiler, selon laquelle le juge, dès la seconde moitié du xe siècle, avait pris le contrôle des provinces, était exagérée. Nous pensons que Vera Von Falkenhausen a été trompée par la situation particulière de l’Italie et qu’on ne peut extrapoler les conclusions concernant cette région à tout l’Empire.
18 Ibid., p. 139. Sur l’administration du catépanat, voir aussi A. Guillou, Geografia administrativa del katepanato bizantino d’Italia (ixe -xie s.), Calabria bizantina, Reggio di Calabria 1974, p. 113-133 = Culture et Société en Italie Byzantine (vie -xie s.), Variorum Reprints 1978, n° IX.
19 Curateur de Longobardie : Laurent, Vatican, 111 ; curateur d’Antioche, Zacos-Nesbitt, n° 527 ; André, Jean ( ?), curateurs de Tarse : sceaux Shaw n° 745 et 747 ; Michel Kataphlôros, curateur de Mantzikert, sceau DO 58 106 5502, cité dans N. Oikonomidès, Byzantine lead Seals, Washington 1985, p. 24 et 28.
20 Aucune source cependant ne nous informe sur les motifs de cette sédition, mais il est exclu qu’elle ait été en rapport avec la querelle entre le pape et le patriarche Cérulaire, puisque cette dernière atteignit son paroxysme seulement le 15 juillet 1054, postérieurement aux événements de Tarente.
21 On ne voit pas que le schisme de 1054 ait eu la moindre conséquence concrète pour les relations entre l’empereur et le clergé latin d’Italie du Sud, quel qu’ait pu être le rôle d’Argyros dans les événements qui avaient conduit à cette rupture.
22 Sur la réorganisation du patriarcat d’Antioche, cf. entre autres V. Grumel, Le patriarcat et les patriarches d’Antioche sous la seconde domination byzantine (969-1084), EO 33, 1934, p. 129-147.
23 Michel Le Syrien (p. 131, 161) déplore les conversions de Syriens à Antioche.
24 Selon Michel Le Syrien (p. 141 sq.) le métropolite de Mélitène aurait été le principal accusateur des Jacobites devant le synode de 1029. Le patriarche chalcédonien d’Antioche fit preuve, en cette occasion, de retenue à l’égard des mêmes Jacobites.
25 Ibid., p. 139 sq.
26 Dagron, Immigration syrienne, p. 204.
27 Cette lutte intestine fut peut-être liée à la révolte des villes de Pouille : Siponte serait restée fidèle au basileus, tandis qu’Ascoli prenait le parti des révoltés.
28 S’agit-il d’un nom de fonction ou d’un patronyme ? Un autre Hikanatos, Jean, est attesté en 1034 (Anonyme de Bari, p. 149) et en 1044 (ibid., p. 152).
29 N. Oikonomidès, Theophylact excubitus and his crowned “portrait” : an Italian rebel of the late Xth century ? Δελτίον τῆς Χριστιανικῆς ἀρχαιολογικῆς ἑταιρείας, 12, 1984, ρ. 195-202.
30 S’agissait-il des officiers du tagma des Excubites dont plusieurs tombèrent sur le sol italien (Oikonomidès, Listes de Préséance, p. 330) ? Mais pourquoi se seraient-ils révoltés ? S’agirait-il d’une famille, d’autant plus qu’à cette date le tagma des Excubites semble être remplacé en Italie par celui des Varanges ?
31 Gay, Italie, p. 402.
32 La nomination d’Argyros traduit un changement dans l’administration de l’Italie, puisque pour la première fois y apparaît un duc, alors que traditionnellement y était nommé un catépan ; sans doute les deux fonctions étaient-elles équivalentes. Cependant, la titulature d’Argyros, duc de Calabre, de Sicile et de Paphlagonie n’impliquait pas de compétence territoriale sur ces provinces, mais le commandement des tagmata qui en étaient issus.
33 Deux autres Excubites trouvèrent une mort violente, Pierre en 990, en des circonstances que nous ignorons, et Léon Pakianos, tombé dans un combat contre Mélès en 1017.
34 Guillaume de Pouille (I, v. 379-381) rappelle que les Grecs, après avoir été vaincus à plusieurs reprises par les Normands d’Ardouin, rassemblèrent une nouvelle armée commandée par le fils de Basile Boîoannès auxquels les autochtones (indigenae) prêtèrent main-forte.
35 Conseils et Récits, p. 176.
36 De nombreux actes privés prennent pour date de référence l’année du règne d’Alexis Comnène (Trinchera, acte n° 49), et surtout des documents de Terlizzi sont datés jusqu’à la trentième année de son règne (Cod. dipl. Bar. III n° 24, 25, 26, notamment p. 54). Sur le faible attachement de la population aux Normands, Gay, Italie, p. 540-541.
37 W. Seibt, Untersuchungen zur Vor-und Frühgeschichte der “bulgarischen” Kometopoulen, Handes Amsorya 89, 1975, p. 65-100.
38 Yahya III, p. 217.
39 Skylitzès Continué, p. 162.
40 Cf. f. d. n° 45 et 98.
41 Psellos, Chronographie I, p. 76-77 ; Idem, MB V, p. 127.
42 Cf. supra, p. 234. Nicéphore Teichomèros est connu par le sceau IFEB n° 746, et V.
Laurent, dans ses notes, cite un Alexis Teichomèros, lié à un Tornikios, d’après un sceau dont la trace est perdue. Nous ne pensons pas qu’on puisse rapprocher le nom de Teichomèros de celui de Teichônas, chef bulgare qui opposa une belle résistance à Basile II devant Kolydros, Skylitzès, p. 344. Le père ( ?) d’Ibatzès avait vaincu une armée impériale commandée par le protospathaire Oreste (ibid., p. 354). Kaukanos fut déporté en 1015 dans le Vaspourakan en raison de sa résistance obstinée (ibid., p. 352).
43 Skylitzès Continué, p. 163.
44 Théophylacte, archevêque de Bulgarie, ne cessait de gémir contre les agents du fisc : “les percepteurs glanent jusqu’au moindre fétu qui reste sous la faux” (Théophylacte de Bulgarie, Lettres, p. 281) ; il exposait à l’évêque de Vidin que ses souffrances n’étaient rien à côté des siennes et que “les fonctionnaires n’hésitaient pas à prélever un enfant sur cinq pour le service (douleia), comme on prélève la dîme sur le bétail” (ibid., p. 323).
45 Skylitzès, p. 439.
46 Skylitzès Continué, p. 166 ; Attaleiatès, p. 204-205.
47 En temps de paix, les villes danubiennes jouissaient, semble-t-il, d’une certaine autonomie dans le cadre du duché du Paristrion.
48 Ibid., p. 205.
49 Attaleiatès, p. 205, le disait d’origine illyrienne. Les historiens roumains et bulgares se sont efforcés de prouver que Nestôr était soit valaque, soit bulgare. De toute façon, il était d’origine balkanique, ce qui confirme la tendance de Michel VII, que nous avons relevée par ailleurs, à nommer des indigènes aux plus hauts postes de responsabilités. Sur cette question du Paristrion, la bibliographie est abondante ; les ouvrages les plus importants sont cités par Ahrweiler, Société, p. 119 n. 82. On y ajoutera les écrits de Vasilka Τapkova-Zaimova, repris dans Byzance et les Balkans à partir de la fin du vie siècle ; les mouvements ethniques et les Etats, Variorum Reprints, Londres 1979.
50 C’est ainsi que nous comprenons Attaleiatès, qui qualifie Nestôr d’oikeiotatos de Michel et ancien doulos de son père : Attaleiatès, p. 205. Sur un sceau, il s’intitule ἄνθρωπος ἄνακτος τοῦ Δούκα (Ν. Oikonomidès, A collection of dated byzantine seals, Washington 1986, n° 95).
51 Alexiade II, p. 81-82.
52 Ibid., p. 177.
53 Skylitzès, p. 460, 465, 466 ; Zônaras, p. 642 : les quinze mille Scythes envoyés contre les Turcs ne dépassèrent pas Damatrys et firent demi-tour se livrant à leurs habituels pillages.
54 Par exemple, Albert d’Aix, RHC H. Occ. IV, p. 278, 279, 417, 579, 651.
55 Conseils et Récits, p. 258-260.
56 Attaleiatès, p. 302 ; Skylitzès Continué, p. 184.
57 Alexiade II, p. 48, 49, 82.
58 Ibid., p. 94.
59 D. Α. I. § 42, p. 184, μὴ τοῖς ἐκείνων καταπιστεύσης πρωτεύουσί τε καὶ ἄρχουσι.
60 V. Latišev, Sbornik grečeskich nadpisej christianskich vremen iz Južnoj Ross, Petroupolis 1896, p. 15-19, n. 8 ; en 1058, Léon Alyatès était stratège de Cherson et de Sougdaia.
61 I. V. Sokolova, Pecati Georgija Čuly i sobytija 1016 goda v Hersone, Pal Sbornik, 23, 1971, p. 69 n. 5.
62 Seibt, Bleisiegel, p. 140 n. 11.
63 Sont connus, en 942, Thomas, protospathaire, qui participa à la délimitation des biens respectifs de la commune de Hiérissos et des moines du Mont Athos (Prôtaton, acte n° 4, p. 191), Phôteinos Tzoulas, protospathaire, contemporain de Georges (Sceau Seyrig inédit n° 3) ; deux autres Tzoulai, sans prénom connu, qui vécurent au xe siècle et dont l’un exerça une charge à Cherson (Sokolova, op. cit., p. 70 ; Schlumberger, Sigillographie, p. 238). Le texte du sceau édité par Schlumberger fait difficulté. En effet, il n’est pas d’usage que le nom de lieu soit ainsi accolé à une dignité. L’absence d’article permet d’écarter l’hypothèse d’un anthroponyme du type Chersônitès. Aussi pensons-nous que la lecture doit être revue. Peut-être peut-on proposer, à titre d’hypothèse, de lire, au lieu de
···+ TZVΛ -AR’CΠA -APHωXP -ECωNO-···, la leçon suivante :
···+ TZVΛ -AR’CΠA -APXω’XP -ECωNO-···, archonte de Cherson, ce qui indiquerait qu’à la fin du Xe siècle, date du sceau, à côté du prôteuôn, était également conservé l’archonte de Cherson.
64 Dernière édition, Sokolova, op. cit., p. 69.
65 Ibid., p. 70 : + Γεωργίου πρωτοσπαθαρίου του Τζουλδ τοῦ Βοσφόρου. Le texte du sceau présente plusieurs anomalies, car la charge serait rejetée après le patronyme, ce qui est contraire à toute la tradition sigillographique byzantine. De plus, l’expression composée d’un article suivi d’un nom de lieu est tout à fait inhabituelle pour désigner un fonctionnaire byzantin.
66 Il n’existe pas de reproduction photographique du sceau ; mais la description du motif iconographique, une croix avec monogramme à rayons, incite à dater le sceau de la fin du xe siècle.
67 Skylitzès, p. 277.
68 Pour une présentation de cette opinion, Ostrogorsky, Histoire, p. 330.
69 A. Poppe, Political background, p. 197-244.
70 La Chronique Vieille Russe, p. 145, rapporte qu’un officier byzantin aurait assassiné Rostislav, le maître de Tmutorakan. De retour à Cherson, le meurtrier fut lapidé par la population, si puissante y était, semble-t-il, la popularité du prince russe.
71 Alexiade II, p. 191.
72 Zacos-Nesbitt, sceau n° 371.
73 Le nom hellénisé recouvre celui des Abou Saïd, Laurent, Orghidan, n° 413.
74 Voir f. d. 13, n. 1.
75 En 1029-1030, Skylitzès, p. 375, 382-3. W. Felix, Byzanz und Islam, p. 92-95.
76 Ainsi en 1034, lorsque Georges Maniakès s’était emparé par surprise de la forteresse d’Édesse, les habitants, chrétiens, ne manifestèrent pas leur joie d’être délivrés du joug musulman, mais tout au contraire, selon Aristakès de Lastivert (p. 31), “ils furent saisis de peur, et n’ayant pas les moyens de comprendre le cours des événements, ayant été élevés dans les lois mahométanes, ils coururent en hâte, au cours de la nuit, vers les villes voisines, pour y chercher du secours”.
77 Attaleiatès, p. 110 : on notera la confusion des termes assyrien et sarrasin.
78 Sont connus par des sceaux : Pierre, spatharocandidat et tourmarque, dans la seconde moitié du xe siècle ; Georges patrice, Nicétas patrice, au xie siècle (toutes références dans Seibt, Bleisiegel I, n° 141) ; Constantin, chartulaire du stratiôtikon et anagrapheus des Anatoliques, sceau DO 58 106 2446.
79 Michel le Syrien, p. 143-4.
80 C. J. Yarnley, The Armenian Philhellenes. A Study on the spread of Byzantine Religious and Cultural Ideas among the Armenians, X-XIth cent., Eastern Church Review, t. VIII, 1976, p. 45-63.
81 Sur le détail de la dotation des princes arméniens, voir aussi Dédéyan, Immigration arménienne, p. 86.
82 Skylitzès, p. 355.
83 Voir f. d. n° 209, note 2.
84 Matthieu D’édesse, traduction Dostourian, p. 122.
85 Dédéyan, Immigration arménienne, p. 90-93.
86 Sur ce point, nous nous opposons donc partiellement aux conclusions de G. Dédéyan qui estime notamment que “les chefs arméniens exilés ont été des stratèges plus ou moins héréditaires”.
87 Skylitzès Continué, p. 136. Sur sa carrière, voir Cheynet, Trois familles, notice n° 13, p. 66-73.
88 Attaleiatès, p. 137 ; Zônaras, p. 693.
89 Attaleiatès, p. 155.
90 Skylitzès Continué, p. 147.
91 Attaleiatès, p. 80-82 ; Skylitzès Continué, p. 113.
92 Michel Le Syrien, p. 164, 165.
93 Lemerle, Cinq études, p. 50-52. Un sceau nous apprend qu’il fut aussi catépan du Vaspourakan et vestarque, dignité qui convient bien pour le règne de Constantin IX ou de Romain IV, V. S. Sandrovskaja, Fourth International Symposium on Armenian Art, Erevan 1985, p. 77.
94 Lemerle, Cinq études, p. 158-161.
95 J. Laurent, Édesse, p. 367-449 ; repris dans J. Laurent, Études d’histoire arménienne, Louvain 1971, p. 61-128. Ce travail demeure un des meilleurs qui aient été écrits sur les troubles de la période séparant la domination byzantine de l’établissement des Croisés latins. L’auteur, p. 390, a noté combien la date de 1072 est davantage symbolique que celle de 1071 pour le déclin de la puissance byzantine en Anatolie, selon le jugement des chroniqueurs orientaux.
96 Parmi ces troupes, citons particulièrement un ou deux tagmata francs d’un effectif de huit cents hommes (et non huit mille comme l’a traduit Dulaurier), commandés par Rambaud.
97 Skylitzès, p. 364 : Roupénès actif pendant les guerres bulgares ; Peira, p. 260 : Toupénès, à lire Roupénès, qui épousa une Dermokaïtès, grande lignée orientale.
98 Hovsep’ean, Recueil de colophons, viii-xiiie siècle, Antélias 1951, col. 551, (je dois cette référence à G. Dédéyan). Le sceau de cet Apelgaripès nous est conservé : il était magistre, Zacos-Nesbitt, sceau n° 362 (Apnelgaripès).
99 Michel le Syrien, p. 179, 181.
100 Philarète et les siens vouaient une haine farouche à la lignée de Grégoire Magistros. Philarète en effet laissa assassiner -s’il ne fut pas l’instigateur du crime -Vasak fils de Grégoire, et tua Tornik du Sassoun, son gendre ; le catholicos Grégoire, fils de Grégoire Magistros refusa de s’établir sur le territoire contrôlé par Philarète.
101 Matthieu d’Édesse, trad. Dostourian, p. 246-247.
102 Sceau DO 58 106 4763, de facture provinciale, qui donnerait à penser que le boullôtèrion fut fabriqué localement.
103 Zacos-Nesbitt, sceau n° 464, de Gabriel, protocuropalate, émir et duc, et sceau n° 465, de Gabriel, protonobélissime et duc de Mélitène.
104 La date exacte où Philarète remit à Gabriel le gouvernement de Mélitène est inconnue.
105 Une note marginale à un manuscrit arabe de Michel Le Syrien, p. 174, remarque que “Philarète n’avait pas enlevé aux Turcs les pays et les villes, mais que les Grecs le firent régner sur eux pour qu’il les leur conservât”.
106 Laurent, Édesse, p. 434.
107 Léon ne fut pas tué à Édesse, contrairement à l’affirmation de J. Laurent (Édesse,
p. 393). D’après Matthieu d’Édesse, trad. Dulaurier, p. 181, ce fut son lieutenant, le proximos, qui tomba.
108 Bryennios, p. 239.
109 V. Benešević, Catalogus codicum I, p. 561.
110 Attaleiatès, p. 113, 116. À part les mercenaires francs, aucune autre troupe impériale n’avait défendu le camp contre les cavaliers arabes.
111 Zônaras p. 592 ; Matthieu d’Edesse, p. 137, 151, 184.
112 Ibn al-Athir notait déjà qu’en 1036 les Sanassunites du Tarôn pillèrent une caravane de pèlerins musulmans, traduction d’Aristakès de Lastivert, p. 107 n. 1.
113 Chez Matthieu d’Édesse qui écrivit au début du xiie siècle le récit des malheurs des Arméniens jusqu’en 1100, et aussi chez Michel le Syrien qui rédigea son Histoire dans la seconde moitié de ce siècle, des erreurs de fait peuvent être relevées quand le récit ne devient pas légende. Leur interprétation des faits est déformée dans la mesure où ils vivaient dans des pays séparés de l’Empire depuis un long moment et devenus hostiles aux Byzantins. Ils considèrent l’histoire de Byzance et des ethnies arméniennes ou syriennes au xie siècle avec les sentiments d’hommes du xiie siècle, donnant à leurs textes une coloration antibyzantine qui a pu tromper jusqu’à des commentateurs modernes, mais V. Arutjunova -Fidanjan a redonné à ces témoignages leur juste valeur (Sur le problème des provinces byzantines orientales, REA 14, 1980, p. 157-170).
114 Matthieu d’Edesse, p. 232.
115 Laurent, Édesse, p. 77.
116 Michel le Syrien, p. 169. Le reste du récit de la bataille est de la même veine et se trouve totalement démenti par les contemporains, tant byzantin, Michel Attaleiatès, qu’arménien, Aristakès de Lastivert.
117 Dans le typikon (Gautier, Pakourianos, p. 105) qu’il établit pour son monastère de Backovo, il recommande à sès vieux compagnons géorgiens de toujours se méfier des Grecs et de les exclure de son monastère.
118 Michel le Syrien, p. 142.
119 Dagron, Immigration syrienne, p. 205.
120 Nicéphore Mélissènos y reçut des terres, et ses hommes participaient à l’administration publique, mais son pouvoir sur Thessalonique et sa région était du même type que celui des princes arméniens ou de Grégoire Magistros sur les régions dont les revenus leur étaient accordés.
121 Cependant les princes d’Antioche ne furent pas en mesure de s’opposer aux efforts des empereurs Jean II et Manuel Comnène et furent contraints de les laisser pénétrer dans la cité.
122 En 1072, il était seulement hypatos et topotèrètès de Colonée, Spatharakès, The Portrait in Byzantine illuminated Manuscripts, Leyde 1976, p. 60. Plusieurs générations de Gabras avaient exercé des charges militaires, sans qu’aucun d’eux toutefois eût obtenu de commandement très élevé, domestique des Scholes ou stratège des Anatoliques, du moins à notre connaissance. Ils semblent plutôt indisciplinés et participèrent à plusieurs complots, même contre Basile II, complots dont les motifs n’apparaissent pas toujours clairement. Quels intérêts communs en effet pouvaient unir le Bulgare Élinagos Phrantzès et le Trébizontain Gabras en 1018 (voir f. d. n° 20) ?
123 Alexiade II, p. 151 : ὡς ἴδιον λάχος ἑαυτῷ ἀποκληρωσάμενος.
124 Théodore tient une place considérable dans la geste des Danishmendides : Irène Mélikoff, La geste de Melik Danismend, Étude critique du Danismendname I et II, Bib. Archéo. et Hist, de l’Inst. Français d’Archéo. d’Istanbul, 10, 11, Paris 1960.
125 Un atelier monétaire était actif en 1081. Théodore Gabras lui fit émettre des pièces à l’effigie de saint Théodore ; son neveu Constantin poursuivit, semble-t-il, sa politique d’indépendance monétaire : cf. S. Bendall, The Mint of Trebizond under Alexios I and the Gabrades, Numismatic Chronicle, Seventh Series XVII, 1977, p. 126-136 et Hendy, Monetary Economy, p. 438.
126 Ibn Al-Athir, R.H.C., Historiens Orientaux I, p. 341, évoque une défaite désastreuse des Grecs de Gabras où ils auraient perdu cinq mille hommes, tués ou faits prisonniers par l’émir ortokide Balak.
127 Skylitzès, Monodie, p. 100. C’est ainsi qu’on peut interpréter la violente réaction de l’auteur de la Monodie, affirmant que Gabras avait fait de l’Église, non pas celle du Christ, mais celle de la race étrangère des Agarènes.
128 Alexiade I, p. 11.
129 Ibid., p. 131.
130 Nous remarquerons de nouveau l’association entre un Mélissènos et un Bourtzès, dont nous avons par ailleurs noté la proche parenté, supra, p. 238.
131 Ibid., p. 131. Il semble que ces hommes acceptèrent de quitter leur pays pour secourir l’empereur. Des Bourtzai sont ultérieurement attestés à la cour d’Alexis, Alexiade III, p. 200-202.
132 Sur sa carrière, voir Seibt, Bleisiegel I, n° 58.
133 Bryennios, p. 197.
134 Cahen, Seldjuknameh, p. 97-106.
135 Il s’agit de la rébellion de Nicéphore Phocas et de Nicéphore Xiphias en 1022. L’armée de Basile II avait été saisie de crainte, car beaucoup de soldats pensaient à leurs familles susceptibles d’être menacées par les révoltés : elles vivaient donc dans ce thème, Yahya III, p. 241.
136 Attaleiatès, p. 176 ; Skylitzès Continué, p. 154 ; Bryennios, p. 139-141 ; Zônaras, p. 706 ; Guillaume De Pouille, p. 168 ; Lupus Protospatharius, p. 60 ; Matthieu D’édesse, trad. Dulaurier, p. 170 ; Michel Le Syrien, p. 169-170 ; Aristakès De Lastivert, p. 127.
137 Aristakès de Lastivert, p. 127, date de l’aveuglement de Romain IV l’exaspération des troubles en Asie Mineure : “Romain IV fut victime des odieux outrages de ses sujets qui le tuèrent, l’ayant aveuglé et éclaboussèrent le trône impérial d’un sang ineffaçable. À partir de ce moment, les chefs et les soldats perdirent courage et la victoire ne vint plus à l’Empire. La perfidie et la haine divisèrent les puissants qui foulèrent aux pieds la justice...”
138 L’évolution de l’art cappadocien reflète remarquablement le rôle politique joué par cette province au cours du xie siècle. Catherine Jolivet (La peinture byzantine en Cappadoce de la fin de l’iconoclasme à la conquête turque, Le aree omogene délia civilta rupestre nell’ambito dell’ impero bizantino. La Cappadocia, Galatina 1981, p. 190-191) conclut son étude en notant un certain déclin dans la première moitié du xie siècle (correspondant aux troubles engendrés par Nicéphore Phocas) avant que cet art ne connaisse une renaissance brillante et éphémère vers 1060-1080 et puis n’entre en décadence.
139 Alexiade III, p. 23.
140 Ibid. II, p. 114.
141 Ibid. III, p. 23.
142 Ibid. II, p. 110.
143 Ibid. II, p. 111.
144 Anne Comnène ne veut pas faire porter la responsabilité du massacre sur Jean Doukas, son oncle maternel (ibid. III, p. 25). De même, elle innocentait son père lors du massacre des Scythes (ibid. II, p. 144-5).
145 Ses sceaux ont été édités par Laurent, Bulles Métriques, n° 97, et H. Hunger, Zehn unedierte byzantinische Beamtemsiegel, JÖB XVII, 1968, p. 186. La dignité de protoproèdre est la plus appropriée pour un duc de Bulgarie entre 1070 et 1080.
146 Konstantopoulos, Molybdoboulla, n° 371 : + ΘKER. -ΗΘΕΙΘΕΟ –ΦANHRAC-.ΛΙΚ -KAPIK., lu de cette façon : + Θεοτόκε βοήθει Θεοφάνη βασιλικῷ καρίκῃ. L’auteur a considéré Karykès comme le nom d’une fonction, non attestée par ailleurs. Nous préférons y voir un patronyme en dépit de l’absence d’article précédant le nom. Le basilikos était un fonctionnaire fiscal, Ahrweiler, Administration, p. 74.
147 Markianos 524, n° 281, n° 524.
148 Cf. f. d. n° 126 note 2.
149 Sceau de Michel, magistre et catépan de Chypre, datable des années 1060-1080, Schlumberger, Sigillographie, p. 305 n° 2.
150 Un tel cumul, rare, se rencontre en Chypre : ibid., p. 306 n° 1 ; sceau d’un kritès et catépan de l’île, ibid., p. 283, n. 38.
151 Skylitzès, p. 429.
152 Psellos, Scripta Minora II, p. 110-111.
153 Alexiade III, p.-23.
154 Ibid. II, p. 164.
155 Par contemporains, nous opposons les chroniqueurs des xie et xiie siècles aux historiens modernes.
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