Conclusion
p. 833-839
Texte intégral
1La logique de l'organisation interne de l'espace urbain apparaît, désormais, clairement. L'identité des solutions adoptées, dans les trois agglomérations, l'application des transformations aux périphéries des villes anciennes concrétisent le fait que cette logique interne a des justifications externes.
2Dans la manière dont ce renouvellement des structures urbaines a été réalisé, deux aspects méritent d'être soulignés.
3La prise en charge par l'Etat du problème du logement social constitue l'un de ces facteurs. Elle se traduit par une injection massive de crédits et d'épargne publics dans la construction des logements sociaux. Elle répond à la volonté des entreprises de limiter leurs interventions dans le secteur du logement (comme d'ailleurs dans celui des transports). Elle permet de minimiser le coût de reproduction de la force de travail, grâce à une rémunération des capitaux publics plus faible que celle des capitaux privés. Elle signifie que l'Etat prend à sa charge une partie du coût de reproduction de la force de travail. L'Etat apparaît donc comme l'intervenant qui va permettre - par l'intermédiaire de sa politique du logement, - la mise en place, à Chartres, à Dreux et à Evreux, des conditions d'un certain style de développement économique urbain. Et, à l'intérieur de chaque agglomération, la différence est bien nette entre le secteur du logement social, régi par des solutions d'Etat et le secteur résidentiel, contrôlé par les promoteurs privés.
4Le second trait concerne les procédures de la progression du construit urbain1. Malgré l'ampleur de celle-ci (ou, peut-être, à cause d'elle), les agents de l'urbanisation n'ont jamais réussi à la maîtriser, encore moins à la planifier. La nouveauté, la rapidité, la brutalité de la croissance imposée à ces organismes urbains modestes, peu préparés à la recevoir et totalement incapables de la contrôler, la font ressembler à une agression. On n'y répond que par des mesures d'urgence, d'envergure limitée.
5Pendant toute cette période, l'organisation urbaine procède par juxtaposition de plans de masse. Leur initiative et leur conception ressortent d'un dialogue entre le maître d'ouvrage (O.P.H.L.M., le plus souvent) et le maître d'oeuvre (architecte-concepteur). Leur situation et leur extension territoriales dépendent du hasard des libérations de terrains, par la mise en oeuvre des processus d'expropriation ou d'accord amiable.
6La planification urbaine n'a jamais été effective. Les décisions ont été prises en dehors de tout document officiel de référence. Les documents d'urbanisme, quand ils existent, n'ont eu qu'une faible incidence sur le processus de croissance.
7Pourtant, des documents considérant globalement l'organisation de l'espace urbain existent. Ils sont issus de la loi du 15 juin 1943 qui a mis en place une véritable législation urbaine et donné naissance aux plans d'aménagement et de reconstruction. Celui de Chartres, par exemple, date de 1948. Il concerne les sept communes de l'agglomération. Il a été approuvé et a donc servi de base de réglementation au développement de l'agglomération.
8Mais, ces documents ne répondent absolument pas à un objectif de planification. D'une part, ils s'intéressent plus à analyser la situation qu'à définir les buts à atteindre. D'autre part, ils procèdent plus d'une organisation des permis de construire que d'une organisation du développement urbain, dans le temps. Ils définissent des zones, des affectations, des possibles et des impossibles. Ils créent le moule théorique et juridique du développement urbain. Mais s'ils sont très rigoureux, dans la réglementation des détails de la construction, ils sont plus vagues dans la définition des zones et des secteurs, et deviennent tout à fait muets quant à la conception de l'avenir urbain. Ils envisagent la poursuite du développement urbain sous les mêmes formes qu'autrefois.
9Or, on l'a vu, après la guerre, les formes, le financement et les mécanismes du construit font appel à des processus nouveaux. Ceux-ci n'avaient pas été prévus. Ils sont restés ignorés. A Chartres, jusqu'en 1976, date d'approbation du Plan d'Occupation des Sols, le plan d'urbanisme de 1948 est resté le seul document de référence. Les grandes initiatives qui ont été prises pendant toute cette période ne reposent donc sur aucune base officielle. Elles se sont surimposées, avec plus ou moins de bonheur, au zonage du plan de 1948.
10La plus grande partie du construit urbain de la période d'expansion des agglomérations s'est donc faite, en dehors de toute planification. Cela signifie absence de projet et passivité des agglomérations, qui subissent les phénomènes mais, ne les dominent pas.
11A ce sujet, on aperçoit, dans l'agglomération de Chartres, un contraste très net entre le manque d'intérêt, le sentiment d'impuissance et, même, l'opposition, manifestés par les responsables locaux à l'égard d'une planification de la croissance urbaine, et le succès et l'efficacité des mesures prises, à la suite de la loi du 4 août 1962, pour assurer la densification, la rénovation et la réhabilitation du secteur sauvegardé (Fig. 139 et Planches).
12Malgré l'ampleur des évolutions structurelles, l'attachement à la vieille ville et à son image demeure constant. Son entretien est, sans doute, aussi, un moyen d'affirmer - à un moment où des forces de destruction le menacent plus que jamais - la réalité de l'organisme urbain.
13L'organisation de l'espace urbain, au cours de cette période de forte croissance, a surtout procédé par des mesures d'adaptation, destinées à accompagner les actions externes, ou à en atténuer les déréglements.
14Au terme de ces analyses, l'inclusion des agglomérations de Chartres, Dreux et Evreux, dans le système urbano-industriel, se trouve démontrée, dans la mesure où cette inclusion signifie : nouvelles réalités économiques, sociales et démographiques et nouvelles structures spatiales locales.
15L'hypothèse de départ, selon laquelle l'innovation industrielle - sous la forme d'activités d'exécution - a été le principal moteur du changement, la cause de la prolétarisation et du rajeunissement, se trouve également vérifiée.
16Mais, elle demande a être nuancée et - surtout - complétée. Des phénomènes, latéraux plus qu'induits, accompagnent l'essor des activités industrielles. Ils visent à faire adopter par les villes de Chartres, de Dreux et d'Evreux, les modes de vie urbains (formes du commerce de masse, généralisation des pratiques bancaires...). Ils confirment l'emprise de l'appareil d'Etat sur deux, au moins, des trois agglomérations.
17Tous ces mécanismes concourent à mettre chaque ville au service d'un système politico-économico-social dominant, et à la faire participer à son extension. La ville exécute les ordres des firmes industrielles et assure la reproduction d'un certain type de force de travail. La ville sert de support aux stratégies des firmes commerciales et collabore au développement de la société de consommation. La ville relaie les décisions du pouvoir central.
18La ville se voit attribuer un rôle particulier au sein du système urbain français, par une redéfinition de ses fonctions, dans le cadre d'organisations qui, très largement, la dépassent.
19Les effets de l'inclusion des agglomérations de Chartres, Dreux et Evreux, dans le système urbano-industriel, ne peuvent donc être, seulement, perçus à l'intérieur du cadre urbain. Les fonctions médiatrices de la ville s'exercent par rapport à son environnement externe, dans un sens ou dans l'autre, et à des échelles variées.
20C'est à cette série de relations et de flux qu'il faut, maintenant, s'intéresser.
Notes de bas de page
1 L'analyse du contenu et du rôle des documents d'urbanisme, appliqués à l'agglomération de Chartres, a été faite par D. Imbault (s.d.)
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