Chapitre V. Monnaie et économie réelle
p. 93-102
Texte intégral
Les théories monétaires
1Aborder les problèmes complexes posés par la monnaie en quelques dizaines de pages, peut paraître présomptueux quand on sait que la Théorie Néo-classique n'a finalement jamais pu en venir à bout et que son modèle le plus élaboré (Arrow-Debreu) décrit une économie de troc. À vrai dire, nous avons longtemps hésité face au danger que représentait une généralisation trop abusive des mécanismes monétaires. Mais ignorer le rôle fondamental de la monnaie pour la compréhension du rachat et des déséquilibres temporels que nous tentons de mettre en évidence, eut été un oubli encore plus grave. Comment aurions-nous pu, en effet, laisser de côté le problème de la création monétaire, quand celle-ci était censée fournir le “carburant” nécessaire à l'accumulation et au rachat de valeur ? Comment aborder, un peu plus tard, les flux de marchandises et de facteurs dans l'espace géographique en ignorant le problème des taux de change ? Comment enfin ne pas relier l'aspect symbolique de l'évolution des systèmes monétaires avec la mécanique de création de richesse et de destruction de valeur ?
2L'importante quantité de travaux consacrés à l'étude de la monnaie est marquée par une opposition majeure. Les uns font de l'objet monétaire une simple marchandise passive, quand les autres estiment au contraire qu'elle joue un rôle de tout premier ordre dans la dynamique économique et dans les déséquilibres qu'elle incorpore.
3Le concept de monnaie-marchandise, précisé par les grands auteurs classiques (Ricardo, Pareto, etc.), fut prolongé par leurs successeurs néoclassiques. Ainsi D. Patinkin (1972) affirme qu'il “n'y a aucune raison pour que nous ne puissions pas profiter de la liberté (...) consistant à dire que les biens permettent d'acheter de la monnaie, et à décrire en conséquence une fonction de demande de monnaie inverse de la fonction de demande globale des biens”. Indépendamment du fait que le raisonnement en termes de prix relatifs (de la monnaie et des marchandises) fait perdre de vue l'essentiel – à savoir que la demande accrue de marchandises implique aussi une demande accrue de monnaie – l'introduction d'une nouvelle marchandise (la monnaie) dans les équations de l'Équilibre Général conserve paradoxalement le principe d'une économie de troc. Le rôle symbolique de la monnaie est volontairement ignoré, son aspect durable – par opposition aux autres marchandises – est laissé de côté et surtout, elle est toujours considérée comme un stock alors qu'elle est essentiellement un flux. Cette approche du phénomène monétaire en termes de stock de marchandises servant à payer d'autres stocks de marchandises débouche finalement sur la Théorie Quantitative de la Monnaie, élément incontournable des analyses monétaires classiques et néo-classiques.
4La Théorie Quantitative de la Monnaie est présentée sous sa forme la plus simple dans la célèbre équation de I. Fischer : PQ = MV ; où P est le prix des marchandises, Q leur quantité, M la masse monétaire et V sa vitesse de circulation. L'équation faisait initialement référence à une monnaie métallique, mais l'intégration de la monnaie fiduciaire et scripturale peut se réaliser facilement en remplaçant MV par MV + M'V’ ; où M’et V’ représentent la masse et la vitesse de circulation des moyens de paiement non métalliques.
5Poser l'équivalence entre le produit total des richesses (en valeur) et la quantité de monnaie active (masse monétaire x vitesse de circulation) ne suffit cependant pas à démontrer la neutralité de la monnaie sur l'économie réelle et à faire de la quantité de monnaie la cause du niveau des prix. À ce stade l'équation de Fischer n’est encore qu'une simple identité. C’est pourquoi les quantitativistes introduisent de surcroît deux hypothèses fortes : la fixité de V et l'offre exogène de M ; à partir desquelles ils tirent une relation causale qui va de la masse monétaire vers les prix. Tous les prix s'élevant ou s'abaissant en même temps que la quantité de monnaie s'accroît ou diminue (en supposant le volume de la production inchangé), la monnaie devient alors un voile qui n'a aucune incidence sur l'économie réelle.
6Longtemps tombée en désuétude après les critiques de Wicksell (1936) et de Keynes (1942) et ses disciples, la Théorie Quantitative de la Monnaie fut réhabilitée par Milton Friedman (1971) à la fin des années soixante, avec quelques modifications. À partir d'une analyse empirique portant sur les XIXe et XXe siècles, Friedman formula l'hypothèse d'une demande stable de monnaie à long terme et relia les variations de la masse monétaire à celles du revenu nominal, la causalité partant de la monnaie112. Toutefois si l'économiste de Chicago est bien un “quantitativiste” lorsqu'il suppose une offre de monnaie exogène et une absence d'effet de cette offre sur l'économie réelle à long terme, il ne l'est déjà plus tout à fait lorsqu'il substitue à l'hypothèse de fixité de la vitesse de circulation, celle d'une demande de monnaie stable et lorsqu'il accepte un effet de la monnaie sur les variables réelles à court terme. Nous verrons un peu plus loin que certaines conclusions de Milton Friedman (demande de monnaie stable, relation entre la masse monétaire et le revenu nominal) sont parfaitement compatibles avec la Théorie du Rachat, à condition de laisser de côté les hypothèses d'offre de monnaie exogène et d'absence “d’illusion monétaire”, c'est-à-dire de neutralité de l'inflation dans le partage des revenus.
7C'est du reste ce rejet du concept de monnaie passive que partagent les adversaires de la Théorie Quantitative de la Monnaie, même si tous ne s'accordent pas sur l'aspect exogène ou endogène de la création monétaire. Ainsi K. Wicksell (1936), tout en reconnaissant l'importance des phénomènes monétaires dans l'économie réelle, conserve l'hypothèse d'une offre de monnaie indépendante, à la discrétion des banques. Keynes (1942) ne remet pas non plus en cause ce présupposé de l'offre exogène de monnaie, alors qu'il souligne par ailleurs le rôle actif de cette monnaie dans l'économie réelle. A. Maricic (in L.A.T.A.P.S.E.S., 1985) a cependant montré que le principe de l'exogénéité de la création monétaire chez Keynes était en contradiction avec sa démonstration de l'égalité entre épargne et investissement. Rappelons que dans la “Théorie Générale”, Keynes (1942) tire de l'équation Revenu = Valeur de la production = Consommation + Investissement, l'égalité : Épargne = Investissement (l'épargne étant égale à : Revenu - Consommation). Or cet ajustement toujours réalisé ex-post, passe forcement par une création ou une destruction de monnaie en cas d'inadaptation entre S (épargne) et I (investissement) ex-ante.
8C'est probablement la raison pour laquelle de nombreux économistes keynésiens ont supposé, au contraire, une offre de monnaie contrainte par la demande ; les variations de la vitesse de circulation compensant l’éventuelle inadaptation entre l'une et l'autre. Dans la tradition de la Banking School113 et de Schumpeter, ils font de la monnaie, un flux, une courroie de transmission élastique, entraînant l'économie réelle.
9C'est du côté de ces économistes post-keynésiens, que se situe notre propre approche des mécanismes monétaires à travers la dynamique du rachat. La demande de monnaie en vue du rachat sera ainsi supposée non seulement stable à long terme, mais rigide et, en tout cas, moins élastique que l'offre. Les mécanismes de création monétaire et de détermination des taux d'intérêts seront examinés à tour de rôle dans cette perspective.
10Le lecteur aura peut-être été surpris de ne trouver aucune définition de la monnaie dans cette brève introduction résumant les différentes approches théoriques du fait monétaire114. Cette omission est volontaire. Il s'agit d'une réalité complexe et sa définition ne saurait être appréhendée qu'après une réflexion approfondie sur la signification extra-économique du concept de monnaie. Dans le présent chapitre l'analyse de la création monétaire s'appuiera sur une définition classique de la monnaie : monnaie métallique, fiduciaire, scripturale, y compris l'épargne courte, autrement dit, l'agrégat M3115.
La création de monnaie
11L'essentiel de la Théorie Quantitative de la Monnaie repose, nous l'avons vu, sur l’hypothèse d'une offre de monnaie exogène. Nombreux sont cependant les économistes qui récusent ce principe. On a déjà cité la Banking School et Joseph Schumpeter. Plus près de nous on retiendra également les noms de Nicholas Kaldor (1985) et John Hicks (1977). En France B. Guerrien (1989 et in Kaldor, 1985) a également défendu la thèse de l'offre de monnaie endogène en soulignant que, si les banques centrales refusaient le refinancement des autres banques, elles mettraient du même coup tout le système économique en danger. De nos jours, une éventuelle création monétaire de la part des banques secondaires est en effet entérinée ou non par la banque centrale auprès de laquelle ces banques se refinancent.
12Michèle Saint Marc (1983) a d'autre part noté une forte corrélation entre les émissions de crédits bancaires et la croissance de M1 (espèces métalliques et fiduciaires) au XIXe siècle. Elle en déduit que c'est la hausse des prix qui stimule le volume de monnaie et non le contraire116.
13Cette position revient finalement à assimiler crédit et création monétaire. Inversement, les défenseurs de la Théorie Quantitative de la Monnaie se doivent absolument de distinguer l'un et l'autre pour conserver l'hypothèse d'une offre de monnaie exogène. Les titres (reconnaissances de dettes) étant détruits lors du remboursement du crédit, le titre est alors assimilé à un bien banal qui s'achète et se vend (Patinkin, 1972) et la différence entre la monnaie – qui ne rapporte pas d'intérêt – et le crédit – qui s'autodétruit lors du remboursement – est affirmée avec insistance. À l’opposé F. Braudel (1979, I) affirme, citant Schumpeter : “Tout est monnaie, tout est crédit”. Heinsohn et Steiger (1983) défendent également le point de vue selon lequel toute monnaie a été au départ un crédit sur des biens réels, tout comme M. Saint Marc (1983) qui affirme que “la monnaie est une créance sur l'actif du pays où elle a cours”. Or il suffit pour accepter cette équivalence crédit/création monétaire d'admettre que les remboursements des prêts sont plus lents que les crédits accordés et/ou que les émetteurs de crédits réinjectent leur capital dans le circuit économique après le remboursement des prêts. Quelques économistes se sont d'ailleurs intéressés au fait que si les emprunts des producteurs étaient totalement neutralisés lors du remboursement, les avances ultérieures et l'accumulation du capital le seraient tout autant. Ainsi B. Graziani (1984) envisage finalement un transfert de propriété du capital fixe vers les banques en cas de non remboursement, par les producteurs, des intérêts de leurs emprunts. Pourquoi ne pas aller plus loin et supposer que les émetteurs de crédits utilisent en même temps que l'intérêt qu'ils perçoivent, leur capital à des fins de consommation ou d'investissement (au sens habituel du terme : achat de capital fixe). De tels investissements sont fréquents de la part des banques au XIXe siècle (chemin de fer, sidérurgie, etc.) et encore aujourd’hui. Si tel est bien le cas, ils sont donc condamnés à créer de la monnaie s'ils veulent continuer à jouer leur rôle de bailleurs de fonds. Ainsi en était-il du “Prince” à des époques plus reculées, qui faute de fournir du crédit, détenait en tout cas une part du métal précieux, prélevée lors de la frappe des monnaies (seigneuriage). Une fois ce métal acquis, il était condamné à augmenter la part prélevée et à alléger le poids des espèces s'il désirait maintenir la consommation de l'État au niveau de la création de richesses, sans se dessaisir de son métal. Il créait de ce fait des moyens de paiement non métalliques. Ainsi en est-il de tout seigneuriage privé ou public, lié à la baisse de l'aloi ou du poids des espèces (Boyer-Xambeu, Deleplace, Gillard, 1986)117. Ainsi en est-il du seigneuriage bancaire à partir du moment où les banques ne se contentent pas seulement de prêter de la monnaie, mais participent également aux actes de consommation et d'investissement. Dès lors, elles sont contraintes d'alléger le poids des espèces métalliques (création de monnaie fiduciaire), faute de quoi elles se dessaisiraient de leur encaisse. Ajoutons que, plus encore que le “Prince”, elles se trouvent en situation particulièrement privilégiée pour créer de la monnaie, puisqu'il leur suffit pour cela de faire acquérir une certaine liquidité aux titres qu'elles détiennent.
14Ex-post, c'est du reste le niveau de cette création monétaire qui fixe celui de l'accumulation et de l'expansion économique. Le profit monétaire, via la rente, ne pouvant assurer le financement des avances des producteurs qu'à partir du moment où il se transforme en monnaie réelle (cf. chapitre III), c'est donc cette création monétaire qui monétise le rachat de valeur. Sans elle, le profit monétaire demeurerait une simple accélération de la vitesse de circulation de la monnaie, incapable de se transformer en richesse réelle. Or le niveau des emprunts réalisés par les producteurs dépend en grande partie du profit pur monétisé, qu'ils ont reçu antérieurement, donc de la création monétaire. C’est la raison pour laquelle la demande de crédit et le niveau de la production dépendent, ex- post, de cette création monétaire. Mais inversement, la création de monnaie dépend elle-même des dépenses de ceux qui détiennent le contrôle de la masse des moyens de paiement – le Prince, les banques –. En supposant que leur propension à consommer ou à acheter du capital fixe suive la même courbe que la création de richesse118, alors la création monétaire qui en découle dépendrait aussi de la somme initiale avancée par les producteurs pour fabriquer cette richesse. Ainsi, crédit et monnaie seraient totalement interdépendants. Ils se confondraient même à partir du moment où la monnaie émise en vue du prêt serait retournée au producteur après que celui-ci l'ait remboursée ; ce retour étant assuré par les dépenses de consommation et d'investissement des bailleurs de fonds. Dès lors, non seulement la création monétaire est endogène, mais le crédit est assimilable à de la monnaie “fraîche”, nouvellement créée. Seule cette monnaie neuve porte intérêt, au contraire de la monnaie déjà en circulation. La raison en est probablement que cette nouvelle monnaie, que le seigneuriage a allégée en terme de métal précieux119, a besoin d'une garantie pour être universellement acceptée. Cela signifie que toute monnaie fiduciaire a probablement porté intérêt lors de sa création. Ainsi, on se souviendra par exemple que les premiers billets émis par la Banque d'Angleterre possédaient un taux d'intérêt de 3 %, que les assignats de la Révolution Française portaient également intérêt, etc.
15Cette endogénéité de la création de monnaie, surdéterminée par le rachat de valeur, ne signifie pas forcément que cette création soit toujours optimale. Certains paramètres peuvent en effet plus ou moins bloquer le mécanisme : confiance dans les moyens de paiement nouvellement créés, consommation et dépenses des émetteurs de monnaie, “partage” du revenu national etc. On serait tenté d'ajouter à cette liste, le niveau des taux d'intérêts. Nous allons pourtant montrer qu'il n'en est rien.
Le taux d’intérêt
16Rappelons une nouvelle fois que notre analyse ne concerne nullement la période actuelle (point nodal), c'est la raison pour laquelle le comportement erratique des taux d'intérêt depuis les années 70 ne sera pas abordé ici mais dans le chapitre XII.
17Si le crédit est bien un acte de création monétaire en vue du rachat, alors le taux d'intérêt devient du même coup le prix de cet acte. Une telle hypothèse est-elle compatible avec certaines approches théoriques du sujet ?
18Pour les Néo-classiques, le taux d'intérêt est une variable censée ajuster l'épargne à l'investissement120. Ce point de vue a été très tôt critiqué par Wicksell (1936) et probablement définitivement par Keynes (1942). Ce dernier montra que l'épargne et l'investissement étaient toujours équivalents ex-post. Dès lors le taux d'intérêt devenait un phénomène essentiellement monétaire. Keynes le définit comme “le prix auquel le désir de maintenir la richesse liquide se concilie avec la quantité de monnaie disponible” ; ou encore comme la “récompense de la renonciation à la liquidité”. Puisque Keynes conservait l'hypothèse d'une offre de monnaie exogène, le taux d'intérêt devenait donc, à la fois fonction de cette offre et de facteurs purement psychologiques121.
19Notre approche n'est apparemment compatible ni avec l'analyse néoclassique, ni avec la logique keynésienne. Nous ne considérons pas en effet, que l'offre de monnaie soit exogène, ainsi que nous l'avons expliqué précédemment, et le rôle d'éventuels facteurs psychologiques à l'origine des mécanismes économiques nous paraît tout à fait marginal, face à la lourde mécanique du rachat. D'autre part l'égalité épargne/investissement n'a plus de signification à partir du moment où l'on raisonne en terme de circuit.
20L'investissement, au sens habituel que lui donnent les économistes, équivaut à un achat de biens capitaux. Or si l'on se rapporte à ce que nous avons écrit dans les chapitres II et IV, le prix de tout bien capital comporte deux éléments :
- Un prix en tant que bien durable qui s'apparente à une rente foncière capitalisée et qui concerne les matériaux “terrestres” (pierres, métaux, etc.) qu'il inclut.
- Un prix en tant que bien fongible qui correspond à un produit qui sera consommé et détruit.
21Rappelons que selon nos présupposés du chapitre II, la part fongible d'un bien capital est considérée comme potentiellement détruite lors de son achat et dégage à ce titre un profit monétaire. Sa part durable s’apparentant, quant à elle, à un bien foncier, son achat n'est donc pas un investissement (achat de bien capital), mais un rachat de valeur. Il n'y a donc pas d'investissement dans le système du rachat, puisqu'il n'y a pas de biens durables côté richesse. Il n'y a pas non plus d'amortissement – ce qui, avouons-le, simplifie grandement la mesure du capital puisque celui-ci correspond toujours à un stock instantané de services fongibles –. Il n'y a que des consommations de produits fongibles qui servent à reconstituer des facteurs fongibles. Les seuls investissements réels sont les avances du producteur, lesquelles dépendent des revenus qu'il tire de la vente de ses produits. Ces avances équivalent à la consommation globale qui provient des revenus distribués (demande effective) : inputs + plus values + rentes. À partir de là, le taux d'intérêt ne peut donc être en aucun cas un lien entre épargne122 et investissement.
22Ainsi, bien que notre réfutation des hypothèses néo-classiques diffère de celle de Keynes, ses conséquences rejoignent les conclusions keynésiennes au sujet du taux d'intérêt. Mais plus que le loyer de l'argent, ce taux est en fait le prix de la création monétaire en vue du rachat. Son niveau dépend alors de l'offre et de la demande de crédit (monnaie nouvellement créée). La demande étant rigide en vue du rachat, c'est par conséquent l'offre qui – contrairement aux présupposés habituels – devient la variable flexible. Comment toutefois rendre compatible l'existence de moyens de paiement métalliques, dont la création est assurément rigide, avec une offre de monnaie flexible ? La réponse n'est guère compliquée : ce sont les moyens de paiement fiduciaires et scripturaux qui pallient cette rigidité. Leur élasticité de production étant proche de 1 et donc supérieure à l'élasticité de la demande de monnaie en vue du rachat, la création de monnaie non métallique flexibilise par conséquent l'offre totale de monnaie.
23Cette création de monnaie non métallique étant assimilable au crédit, le taux d'intérêt devient une variable ajustant l'offre et la demande de monnaie. Ainsi dans le cas d'une création insuffisante, la hausse du taux d'intérêt incitera les émetteurs de crédit à accroître leurs émissions, et les thésauriseurs à remettre leur épargne en circulation pour la prêter avec un bénéfice plus intéressant. En outre, cette hausse des taux d’intérêt attirera les capitaux étrangers à la recherche d'une rémunération accrue. Dans les trois cas, il y aura bien eu création monétaire puisque la déthésaurisation de l’épargne recrée une monnaie provisoirement détruite. Après quoi, la création monétaire accrue rééquilibrera l'offre et la demande de monnaie et le taux d'intérêt reviendra à son niveau “normal”. Inversement, si la création monétaire est trop abondante, le taux d'intérêt baissera et avec lui l’offre de crédit, ce qui là encore, rendra la quantité de monnaie existante compatible avec les besoins de l'économie et réajustera finalement le taux d'intérêt à son niveau “normal Ainsi le taux d'intérêt en s’élevant ou en s'abaissant, adapte la quantité de monnaie disponible aux besoins du rachat123. Reste à savoir, toutefois, à quoi correspond ce que nous avons appelé : niveau “normal” du taux d'intérêt.
24L'analyse du taux d'intérêt “réel” à long terme peut être envisagée ici en éliminant le problème de l’articulation taux longs/taux courts : le court terme sortant de notre sujet.
25Précisons en outre que ce taux d'intérêt “réel” ne doit pas être confondu avec le “taux d'intérêt spécifique”, c'est-à-dire le taux d'intérêt non monétaire d'un bien quelconque. Nous entendons ce taux d'intérêt “réel” en tant que taux nominal déflaté par l'indice des prix. Ce taux est donc le prix du crédit, lequel inclut, comme tout produit fongible, un profit monétaire lors de sa disparition. La monnaie survivant à la destruction du crédit (sinon il n'y aurait pas de création monétaire), le taux d'intérêt nominal inclut par conséquent ce profit monétaire, lequel croît au même rythme que l'inflation. Mais le taux d'intérêt “réel” n'est cependant pas nul, dans la mesure où la création monétaire a elle-même un prix. Il serait probablement intéressant d'envisager les mécanismes de détermination du prix en question, mais tel n'est pas notre propos. Nous voulions essentiellement démontrer ici que la création monétaire s'ajustait aux besoins de monnaie suscités par le rachat à long terme et il semble que cette tâche ait été effectuée. Aussi laisserons-nous désormais la question du taux d'intérêt de côté, pour revenir en conclusion aux conséquences macro-économiques de cette création monétaire endogène.
Conclusion
26Au terme de cette analyse concernant les relations entre la monnaie et l'économie réelle dans le cadre du rachat de valeur, que reste-t-il de la Théorie Quantitative de la Monnaie ?
27Nous avons montré que la création monétaire s'ajustait toujours, ex-post, au rachat. Cette création de monnaie doit être entendue comme une accélération de la vitesse de circulation du métal, sous la forme de nouveaux moyens de paiement, fiduciaires ou scripturaux, mais on ignore pour l’instant dans quelle mesure la création monétaire peut également inclure les moyens de paiement métalliques. Cette question sera abordée dans le prochain chapitre. Quoiqu'il en soit, si l'on considère la masse monétaire au sens large (M3), l'équivalence (création de monnaie = rachat) débouche forcément sur une équivalence entre masse monétaire et P.I.B. monétarisé en valeur (richesse x valeur implicite). S'il en est bien ainsi, la vitesse de circulation124 de M3 devrait être fixe. Or si l'on observe les données fournies, par exemple, par N. Kaldor 1985), (il semble que cette vitesse ait eu tendance à ralentir au fur et à mesure que le développement s'effectuait dans les différents pays. Ainsi la vitesse de circulation de M3 est encore élevée dans les pays sous-développés ou en voie de développement (Inde, Corée, Brésil) tandis qu'elle est faible dans les pays développés (France, Belgique, USA et, surtout, Italie, Suisse, Allemagne) (Kaldor, 1985).
28Mais ce ralentissement est en réalité, un argument de plus en faveur de la théorie du rachat. La vitesse de circulation est en effet calculée par rapport au P.I.B. total y compris la part du P.I.B. non monétarisée. Dès lors, la diminution de la vitesse de circulation de M3 montre tout simplement la progression de la monétarisation de l'économie, la progression de la richesse aux dépens de la valeur, à mesure que le rachat s'effectue. La production non monétarisée représentant l'essentiel du P.I.B. dans les pays sous-développés. La masse monétaire y étant réduite aux faibles dimensions du marché, il est donc clair que la vitesse apparente de circulation de M3 est beaucoup plus forte dans ces pays que dans les pays où la monétarisation est plus avancée.
29Toutefois ce ralentissement n'est qu'apparent puisqu'il est calculé en englobant une part de la production qui n'est pas concernée par la circulation monétaire (fig. 5.1).
30Enfin, la masse monétaire est bien en relation avec le revenu nominal, comme l'affirme M. Friedman (1971), mais cette relation est surdéterminée. Ce n'est pas la croissance de la masse monétaire qui détermine la hausse du revenu nominal, c'est la progression du rachat qui détermine, ex-post, une création équivalente de monnaie, laquelle débouche finalement sur une hausse du revenu global (tous revenus confondus). La causalité ne va donc pas de la quantité de monnaie vers le revenu, mais du rachat et de la hausse de la production vers la hausse des prix, laquelle débouche sur une création monétaire endogène qui stimule finalement le revenu nominal. La corrélation quantité de monnaie/revenu nominal, mise en évidence par Friedman, n'est par conséquent qu’une apparence statistique. Elle est liée à la présence d'un facteur caché : le rachat de valeur.
Notes de bas de page
112 Pour une présentation plus détaillée et une critique des thèses de M. Friedman, voir par exemple : Guerrien (1989).
113 École de pensée économique dont le chef de file était T. Tooke, qui s'opposait à la Currency School et à la Théorie Quantitative de la Monnaie au début du XIXe siècle.
114 Pour une analyse plus complète des théories monétaires, voir par exemple : Bessoni, Bertone (1994).
115 La réflexion sur le sens du concept sera abordée dans le prochain chapitre.
116 Traditionnellement on distingue les agrégats M1, M2 (M1 + dépôts à terme dans les banques et au Trésor) et M3 (M2 + dépôts dans les caisses d'épargne) pour définir la monnaie dans un sens plus ou moins large.
117 Ces auteurs montrent comment au XVIe siècle, les marchands banquiers créaient de la monnaie en jouant sur les différences de valeur intrinsèque et extrinsèque (valeur intrinsèque + seigneuriage) des espèces régnicoles et étrangères.
118 Cette question sera réexaminée au chapitre VII.
119 Nous aborderons dans le prochain chapitre le problème des monnaies non convertibles en métal précieux.
120 Cette présentation succinte de l'analyse néo-classique du taux d'intérêt traduit mal la richesse de l'approche libérale du phénomène. Pour avoir un aperçu de celle-ci, on pourra se reporter à : Patinkin (1972).
121 Nous n'insisterons pas sur l'interprétation du taux d'intérêt en tant que résultat d'anticipations inflationnistes, N. Kaldor (1985) a écarté cette hypothèse en soulignant que les actifs liquides se dévaluaient aussi bien que les titres.
122 L'épargne étant toujours égale à “l'excès de revenu sur ce qui est dépensé pour la consommation” (Keynes, 1942). Faute d'investissement possible, cette épargne reste forcément oisive et son rôle est négatif puisqu'il débouche sur une absence de consommation, donc sur une crise de surproduction.
123 Précisons qu'il s’agit là d'un ajustement à long terme, il n’est bien entendu pas exclu, qu'à court terme, les fluctuations du taux d'intérêt lorsqu'elles sont trop fortes, puissent avoir un effet déstabilisant en rendant provisoirement trop rigide l'offre de monnaie, ainsi que l'ont envisagé la plupart des économistes.
124 Nous parlons ici de vitesse-revenu, dans la mesure où la vitesse de circulation réelle de la monnaie (y compris transactions intermédiaires, achat/vente d'occasion, etc.) est totalement insaisissable.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La discontinuité critique
Essai sur les principes a priori de la géographie humaine
Jean-Paul Hubert
1993
Tsunarisque
Le tsunami du 26 décembre 2004 à Aceh, Indonésie
Franck Lavigne et Raphaël Paris (dir.)
2011
La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ?
Paul Arnould et Éric Glon (dir.)
2005
Forêts et sociétés
Logiques d’action des propriétaires privés et production de l’espace forestier. L’exemple du Rouergue
Pascal Marty
2004
Politiques et dynamiques territoriales dans les pays du Sud
Jean-Louis Chaléard et Roland Pourtier (dir.)
2000