L’évolution de la géographie andalouse
p. 259-260
Texte intégral
1L’étude sociologique des lieux communs de la littérature géographique d’al-Andalus ne peut suffire à analyser ce champ du savoir. S’en contenter signifierait qu’on le pose d’emblée comme figé, statufié dans une cohérence intangible que n’affecterait pas le cours de l’histoire. Nous disposons pourtant avec ces pages d’un magistral exemple de l’évolution d’un genre, sur un sujet d’études restreint, au cours d’une période de près de cinq siècles. Nous le voyons naître au xe siècle, puis suivons les voies de son développement, par apports successifs sur un temps long, jusqu’à la disparition de la Terre qu’il se propose de décrire, et même au-delà. Existe-t-il seulement une autre discipline que l’on puisse ainsi accompagner, d’œuvre en œuvre, au fil des siècles, dans la cohérence d’un discours qui évolue sans révolution ?
2En dépit d’une propension à la compilation, aux redites et à la clôture du savoir, la géographie, à l’instar des autres disciplines, témoigne avant tout du contexte de son élaboration. Le principe même de la reprise quasi systématique des informations antérieures nous guide dans la recherche des transformations qui ont affecté la géographie, tant il est vrai que chaque changement saute littéralement aux yeux et que la différence devient alors particulièrement signifiante. Entre Rāzī et Ḥimyarī, il y a certes l’étonnante continuité d’un discours qui se fonde sur l’autorité des modèles, mais il y a aussi la transformation d’une discipline qui évolue au gré des contextes.
3Or les enjeux de ce savoir sont loin d’être anodins. La géographie, qui ne se propose rien moins que de rendre compte du territoire andalou et de la place qu’il occupe au sein de différents ensembles ou face à d’autres espaces, ne pouvait être indifférente aux soubresauts d’une histoire particulièrement mouvementée, dont la phase ultime correspond à l’irrémédiable disparition de ce territoire qui en fut le théâtre. Mais la géographie, hélas, ne déroule pas de façon chronologique et précise les différentes étapes de l’inexorable rétrécissement d’al-Andalus. C’est même l’inverse qu’elle se propose de faire puisqu’elle prétend ne pas être inféodée à l’histoire. Dans sa volonté farouche de supprimer le temps, de postuler l’intemporalité d’une terre, artificiellement figée dans sa dimension physique et dans des renseignements souvent périmés, la géographie andalouse ne nous convainc guère et se dévoile néanmoins dans le traitement même de ses informations, dans son agencement et dans ce qu’elle choisit de mettre en valeur, selon les préoccupations du temps. Il est donc possible, peut-être malgré elle, de retracer son évolution, de suivre le chemin de ses étapes, qui sont autant de moments de l’histoire d’un savoir, mais aussi de l’histoire tout court.
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