Chapitre II. Les motifs d’une écriture
p. 59-90
Texte intégral
1La géographie médiévale, au même titre que la philosophie, le droit ou toute autre discipline de ce temps, ne peut être analysée en dehors du contexte de son élaboration car elle formule des questions et des concepts que d’autres époques trouvent invariablement incongrus ou anachroniques. L’écriture de la géographie varie ainsi considérablement au fil des siècles, ce qui rend pertinent de délimiter, pour chacun des grands moments de son histoire, les principaux motifs qui la constituent. Que choisissent de décrire les géographes andalous et comment le font-ils ? Comment la discipline, qui se propose alors de divertir tout autant que d’instruire, concilie-t-elle rigueur scientifique et exigences des belles lettres et de l’adab ?
INVENTAIRE CHOISI PLUS QUE DESCRIPTION EXHAUSTIVE
Une géographie du connu
2La démarche géographique consiste à présenter, de l’infinie diversité de la Création et des réalisations des hommes, ce qui est remarquable, ce qui « jouit de notoriété », définissant par là même ce qui est digne de constituer un objet d’étude. Au-delà de l’évidence que constitue une telle assertion, l’une des principales caractéristiques de la géographie antique comme médiévale se dessine ici : il ne s’agit pas d’une géographie des découvertes, comme celle qu’écrivait Vivien de Saint-Martin dans les années 1870 dans le but de faire découvrir à ses concitoyens l’exotisme des contrées que l’entreprise coloniale avait contribué à faire sortir du néant géographique, mais de celle de la consolidation des acquis. Les géographes arabes comme leurs prédécesseurs grecs, en des temps où l’on a conscience que la géographie, contrairement à d’autres disciplines, ne peut véritablement traiter que de l’œkoumène1, de la « Terre des hommes », du « monde habité », pratiquent une géographie du connu. Une géographie qui appréhende son objet d’étude, qui le reconnaît au sens propre du terme, en énumérant ce qui le constitue. Elle est un état des lieux, une mémoire des connaissances concernant une région ou un pays2.
3On consigne ce que l’on connaît déjà, dans le dessein de le mieux maîtriser, afin que le monde rentre peu ou prou dans le cadre restreint d’une carte ou d’un récit. Et si l’on privilégie l’inventaire au détriment de la description, c’est parce que le but n’est pas de donner à voir, mais de dresser la liste de ce que l’on connaît déjà. Égrener noms de peuples et noms de lieux, accumuler les données permettent d’apprivoiser l’espace, d’en mémoriser les éléments constitutifs afin de construire une représentation mentale du paysage physique et humain. La géographie rassemble alors ces éléments au sein d’un récit, les agence : l’inventaire combine dans un même discours les lieux de la Terre des hommes, et l’écriture remplit le même office que le parcours puisqu’elle réunit ces éléments épars. Dans la construction d’une image de l’œkoumène, la démarche descriptive ne pouvait suffire.
4C’est également vrai à l’échelle du territoire andalou : qu’ils soient savants ou simplement cultivés, les lecteurs connaissent cette terre. Au xie siècle, parce qu’ils y vivent ou qu’ils ont lu des ouvrages la décrivant, au xive siècle parce que le but des œuvres de géographie est de conserver la mémoire d’une terre en grande partie perdue. Plus que jamais il faut alors garder le souvenir de ce qui était connu. Puisque le lecteur connaît al-Andalus, point n’est donc besoin de décrire afin de renseigner et de rendre compte d’une réalité3. Qui d’ailleurs pourrait se faire une idée de Cordoue ou de Séville à la lumière des seules notices que leur consacrent les géographes ? Que l’on en juge à partir de la « description » que fait Idrīsī de Séville :
« Séville est grande et prospère (ʿāmir). Elle est entourée d’une enceinte solide ; elle est dotée de nombreux marchés dynamiques. Sa population est riche. L’essentiel du commerce qui a lieu dans cette ville concerne l’huile d’olive qu’on expédie jusqu’aux extrémités de l’Orient et de l’Occident par terre et par mer. Cette huile afflue dans la ville depuis le territoire de l’Aljarafe, dont l’étendue de quarante milles se traverse tout entière à l’ombre des oliviers et des figuiers. En largeur, il va de Séville jusqu’à Niebla, soit environ douze milles ou plus, couverts d’oliviers. Il y existe, dit-on, huit mille villages (qarya) prospères et bien peuplés, dotés de bains et de jolies demeures. De Séville à l’Aljarafe, on compte trois milles. Ce territoire est nommé al-Šarf (“la partie élevée”), parce qu’il est situé en hauteur par rapport à Séville. Il s’étend du nord au sud, formant une colline de couleur rouge. On cultive l’olivier depuis ce lieu jusqu’au pont de Niebla. Séville est bâtie sur les bords du “grand fleuve” (Guadalquivir), qui est le fleuve de Cordoue4. »
5Il s’agit là de construire une représentation du territoire où se côtoient plusieurs registres d’information : énumération des lieux, mention des fleuves et des montagnes, des ressources minérales et végétales, ainsi que des principales productions locales en matière d’agriculture et d’artisanat. Les lieux recensés sont autant de relais qui prennent place, de manière graduelle, dans une projection plus vaste, à l’échelle de la Terre ou de ses principales régions. L’utilisation systématique du concept de « géographie descriptive » pour qualifier la géographie médiévale n’est donc pas pertinente. La description induit la présentation d’une identité alors que l’inventaire en revanche efface les particularismes : les lieux deviennent complémentaires et le tableau de leur interdépendance dessine les contours du territoire andalou dans sa globalité. Une telle entreprise est vouée à se fonder principalement sur la reprise d’informations antérieures.
La nécessité de la compilation
6À la lecture des œuvres de la géographie andalouse s’impose l’impression d’une indubitable parenté entre les différents auteurs. Depuis Rāzī au xe siècle jusqu’à Ḥimyarī (début du xive siècle), les variations semblent infimes au regard de ce qui constitue l’essentiel : la permanence des paysages, la même litanie des noms, la récurrence des anecdotes. Sur plusieurs siècles se constitue dans une formidable continuité le socle du discours géographique concernant al-Andalus. C’est moins dû, n’en déplaise aux émules de Sanchez Albornoz, à la lente élaboration d’une longue œuvre géographique proprement espagnole et initiée dans l’Antiquité qu’à l’importance de la compilation. Comme nombre de disciplines, la géographie médiévale s’est constituée sur la base de l’emprunt.
7Le principe même de la compilation soulève un certain nombre de problèmes, dont l’un des moindres n’est pas la question de l’honnêteté intellectuelle de l’auteur. Assimilée trop longtemps au plagiat, la compilation s’apparente de fait plus à la nécessité de se conformer à un modèle. Comme le souligne André Miquel, « loin d’être une faiblesse ou une facilité, l’emprunt (intiḥāl) est la sanction de la connaissance et de l’art tout ensemble : c’est par lui qu’on démontre, en un jeu subtil, qu’on est assez fidèle à l’esprit de ses classiques non seulement pour les bien connaître, mais encore pour parfaire, à partir de leurs textes qu’on remodèle ou amplifie, une tradition dont on prétend être, mieux qu’ils ne le furent, le dépositaire. De ce point de vue, la Création ne se conçoit guère que sous la forme de retouches perpétuellement apportées à un legs commun5 ».
8Cela explique en partie la très fréquente juxtaposition de récits souvent semblables traitant d’un même sujet. Dans la description qu’il fait de la grande mosquée de Cordoue, Ḥimyarī met ainsi bout à bout des passages recopiés dans les ouvrages de ʿUḏrī, Bakrī et Idrīsī6. L’emprunt n’est pas dissimulé. Il est même parfois clairement signalé. Dans la notice consacrée à la ville de Séville, le géographe évoque une violente crue du fleuve et signale à ce propos qu’elle « est mentionnée au tome second de l’ouvrage intitulé Ğāli al-fikar7, au premier feuillet, sous l’année 597 » ; il ajoute même : « Le passage en question y est à recopier8. » On ne peut guère estimer qu’il s’agisse là de l’équivalent d’un moderne « pense-bête », d’une allusion vouée à disparaître, dans la mesure où la formule figure en plein centre de la page, au cœur d’un paragraphe. Reconnaissons cependant que, s’il cite parfois ses sources, Ḥimyarī passe l’essentiel de ses emprunts sous silence. Pourtant, même inavoués, ceux-ci ne sont pas réductibles au plagiat.
9La liste des auteurs mentionnés dans son ouvrage, le Kitāb al-rawḍ al-muʿaṭṭar, est édifiante à plusieurs égards : les géographes antérieurs ne sont pratiquement jamais nommément cités, à l’exception de deux brèves allusions à Rāzī9 et d’une à Idrīsī10. Parmi les historiens qu’il a recopiés, Ḥimyarī ne cite, outre Rāzī, qu’Ibn Ḥayyān11, l’auteur du Muqtabas, lorsqu’il a besoin de renseignements concernant l’époque omeyyade, et Ibn ʿAsākir, le grand historien syrien (499/1105-571/1176), auteur d’un dictionnaire biographique des personnages importants de Damas12. Le traitement n’est guère plus glorieux que celui réservé aux géographes ! Notre auteur fait preuve d’une exceptionnelle mauvaise foi, comme en témoigne la tirade qu’il se permet à l’encontre de l’ouvrage d’Idrīsī, qu’il a pourtant abondamment recopié13. Cette volée de bois vert est d’autant plus déplacée que Ḥimyarī reprend la quasi-intégralité de la description que fait Idrīsī de la péninsule Ibérique14. Les conclusions que l’on peut en tirer doivent cependant être prudentes : il ne s’agit pas tant d’un refus d’assumer pleinement l’emprunt que de la prétention à faire mieux dans la même veine, à partir du canevas stéréotypé que constitue la description des routes et des étapes. Ḥimyarī ne s’approprie pas les pages d’Idrīsī, il les retouche. Il en a déontologiquement le « droit » dans la mesure où Idrīsī lui-même en a également hérité de ses prédécesseurs. Dans le prologue de la Nuzhat al-muštāq, le géographe sicilien fournit la liste des ouvrages sur lesquels il s’est appuyé, mais il ajoute que ces informations ne furent pas suffisantes et qu’il dut avoir recours à l’enquête15. L’indication des autorités auxquelles il s’est référé est cependant incontournable.
10La compilation n’est donc ni honteuse ni cachée. Les ouvrages antérieurs ont été digérés puis retranscrits sans qu’il soit même nécessaire de les citer lorsqu’on les reprend. La notion même de propriété intellectuelle n’existe pas et l’on peut à loisir puiser dans les données antérieures, tombées dans une sorte de « domaine public » de la pensée. Recopier les illustres prédécesseurs revient à s’inscrire dans une tradition. Or, dans une culture où la tradition est synonyme de vérité, écrire implique d’emprunter, puisque c’est par la référence, parfois littérale, aux œuvres des devanciers qu’on s’assurera leur caution. De plus, le rapport au fait de recopier était bien différent du nôtre en ces temps où les difficiles conditions matérielles de diffusion de l’écrit faisaient de ce geste non l’acte de voler les idées de l’autre mais, au contraire, le moyen de les diffuser. Ḥimyarī le souligne lui-même dans son prologue : « Je me suis rendu compte que mon livre ressemblait à une voie largement frayée, dans laquelle les gens s’engageaient ; un groupe de savants y a pris intérêt, des personnages aux vastes connaissances en ont établi des copies. Personne ne faillira à les imiter. »
11La compilation, largement pratiquée dans toutes les œuvres médiévales, latines comme arabes, occidentales comme orientales, réussit donc particulièrement à exposer la géographie du connu ; elle confère même à ce champ du savoir une ampleur certaine dans la mesure où ces ouvrages tendent à réunir sous une forme littéraire toutes les données rassemblées par les générations antérieures. Il semble en effet qu’il ait été plus important de transmettre un savoir déjà acquis, sans souvent vérifier sa véracité, que de découvrir de nouveaux éléments propres à faire progresser la discipline. L’acte d’écrire, comme l’explique André Miquel, vise à affirmer l’appartenance de l’auteur à un groupe social, celui des lettrés, et non à le glorifier en tant qu’individualité créatrice.
12Pour l’historien, l’emprunt est souvent plus signifiant que la nouveauté tant il est vrai que la répétition d’un propos, au cours d’une œuvre comme au sein d’un discours, témoigne de sa pérennité et de son universalité. « L’œuvre, à son départ, s’oppose et se conjugue à des textes antécédents, assimile et transforme des livres précurseurs : son originalité, son individualité se détachent sur un fond constitué par la masse collective des ressources de langage, des formes littéraires reçues, des croyances, des connaissances, qu’elle réactive, qu’elle critique, et auxquelles elle s’ajoute. Ce sont là autant de couches et de plis de terrain (avec sources, affluents, soulèvements) où l’œuvre choisit son site et ses entours. Si, d’une part, les limites propres de l’œuvre s’en trouvent moins nettes, elle devient d’autre part la révélatrice, par ses multiples attaches, de tout un horizon qui ne se laisse plus séparer d’elle », écrit Jean Starobinski16. L’emprunt, revendiqué par l’auteur et essentiel aux yeux de l’historien, est bien plus qu’une contrainte que nous devons nous résoudre à accepter, ou qu’une faiblesse mettant en relief la fragilité générale de l’ouvrage. Il est une méthode et un outil17. Il ne faut donc pas accuser ces géographes de mauvaise foi ou les taxer d’anachronisme lorsqu’ils retranscrivent un renseignement périmé depuis plusieurs siècles18. Ils livrent en fait une vision de l’espace qui se nourrit de multiples références, dont celle d’un passé appelé à la rescousse parce qu’il continue à signifier quelque chose. Écrire, comme Ḥimyarī, qu’al-Andalus s’étend jusqu’à Narbonne a un sens. Le géographe assigne comme bornes à ce territoire celles de l’ensemble physique que constitue la Péninsule19 et considère par là même que les limites de ce qui fut à l’Islam sont des frontières « naturelles ».
13La compilation n’est pas l’inverse de l’expérimentation directe que procurent le terrain, l’autopsie, elle la complète. On a beau jeu d’opposer à longueur de pages le « géographe en chambre », l’homme de cabinet, à l’homme de terrain20, l’un et l’autre participent de la même démarche : collecter les informations qui, mises bout à bout, constituent le socle du discours de la géographie. En quoi « manipuler l’abstrait déjà élaboré par autrui21 » serait-il une démarche moins valide que le travail sur le terrain, le fieldwork, lieu supposé produire des « données brutes » que l’on sous-entend plus « objectives » et proches de la vérité ? Denys d’Alexandrie, au iie siècle de notre ère, écrivait déjà :
« Je te peindrai facilement cette mer aussi, sans en avoir vu les chemins au loin, ni l’avoir traversée sur un navire, car ma vie n’est pas sur les sombres nefs et je n’ai pas de commerce hérité de mon père, je ne vais pas, près du Gange, comme beaucoup qui traversent la mer Érythrée, insoucieux de leur vie, pour s’emparer d’une fortune infinie et je ne me mêle pas aux Hyrcaniens et ne suis pas en quête des collines caucasiennes des Arianiens Érythréens, mais l’intellect des Muses me porte, qui peuvent sans course errante mesurer la vaste mer, les montagnes, le continent et le chemin éthéré des étoiles22. »
14À la myopie d’un voyageur mû par l’intérêt et le goût de l’aventure, le géographe-philosophe oppose la curiosité intellectuelle et désintéressée du savant, lequel peut prétendre à la complétude d’une vision du monde qui dépasse le terrain. « Ce principe moteur qu’est l’intelligence des Muses pourrait être la métaphore de l’intelligence humaine qui, dans la vulgate philosophique de l’époque, a le pouvoir de “voir”, de se déplacer dans l’espace infini du cosmos et de survoler la terre et la mer, à la vitesse d’un oiseau en plein vol. L’intelligence est le guide de l’âme humaine et lui permet de se libérer de l’enveloppe charnelle pour accéder aux visions ineffables s’offrant à qui voyage en esprit », souligne Christian Jacob, le traducteur du poème géographique de Denys23. Le concept néoplatonicien du voyage de l’esprit est ainsi plus efficient que celui de voyage sur le terrain.
15Qu’importe donc que Bakrī n’ait jamais voyagé hors d’Espagne, ses passages relatifs au Maghreb n’en sont pas moins fondamentaux. La « grande bibliothèque24 » était un terrain autrement plus fécond que les investigations in situ ; elle seule rassemblait suffisamment d’informations et d’archives pour espérer embrasser en une vaste fresque la peinture de l’ensemble territorial du Maghreb et son histoire. Quant aux pages que le géographe consacre à l’Orient, elles sont directement inspirées des œuvres de Masʿūdī, Ibn Rustah et Ibn Ḥawqal. Ne livrent-elles pas de renseignements tout aussi intéressants, au sein de descriptions devenues classiques, que les indications glanées auprès de quelque marchand dont la principale vertu serait d’être contemporain, donc prétendument fiable25 ? La géographie du connu n’obéit guère aux règles des récits de découvertes. S’il est un endroit que tout lettré andalou connaît, en dépit des milliers de kilomètres de distance, c’est bien le cœur oriental du monde musulman.
16L’opposition cependant entre compilation, d’une part, et voyage, observation directe (ʿiyān), d’autre part, n’est pas constitutive de notre pensée géographique contemporaine, elle est un cliché aussi vieux que la géographie elle-même26, un cliché qui constitue un angle d’attaque pratique pour se distinguer des différents prédécesseurs et néanmoins modèles. Masʿūdī écrit ainsi à propos de Ğāhiẓ (m. 255/868), pourtant le premier tenant de l’autopsie : « Ğāhiẓ prétend que l’Indus provient du Nil, et en donne comme preuve l’existence de crocodiles dans ce dernier. J’ignore où il a été cherché pareil argument. Il a avancé cette thèse dans son Livre des métropoles et des merveilles des pays. C’est un excellent travail, bien que l’homme n’ait pas navigué ni assez voyagé pour connaître les royaumes et les cités27. »
17C’est avec les grands géographes des masālik wa al-mamālik, Yaʿqūbī (m. 276/889), Ibn Ḥawqal et Muqaddasī, que le voyage, dont Pascal pense qu’il n’est que vaine curiosité, devient le fondement méthodologique de la démarche géographique. Dans la préface de leurs ouvrages, ils affirment la valeur heuristique de l’autopsie, du travail sur le terrain28. Muqaddasī critique vertement ses prédécesseurs, ceux qui ont « composé leur œuvre, douillettement installés, d’après le ouï-dire29 ». Il est conscient cependant que le regard ne peut être le seul moyen d’information et il précise qu’il a dû aussi puiser dans les livres de ses devanciers : « Notre livre se compose de trois parties : ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu de [personnes] dignes de confiance, ce que nous avons trouvé dans les ouvrages consacrés à ce sujet ou à d’autres30. »
18Houari Touati déduit de cette énumération qu’elle est une discrimination entre les modes d’appréhension du savoir, visant à privilégier le regard. Nous pensons plutôt qu’il s’agit là de la reconnaissance de leur complémentarité, et que la différenciation épistémologique qui leur est appliquée est le moyen pratique, et à bon compte, de faire oublier le poids écrasant de la compilation. Nous ne pouvons que conclure à l’ambiguïté de la compilation, reprise nécessaire des traditions antérieures qu’il faut perpétuer afin de témoigner que l’on s’inscrit bien dans une chaîne intellectuelle, pratique cependant dont on ne peut se satisfaire et que l’on prétend transcender en ayant recours au travail sur le terrain. La compilation n’est donc pas réductible au simple plagiat ; elle est une exigence méthodologique puisqu’elle rassemble des données éparses et met en forme au sein d’un récit unique différentes strates d’informations, amoncelées depuis plusieurs générations.
19Le discours géographique est bien un héritage que ne vient troubler sur plusieurs siècles de distance nulle révolution épistémologique, mais que chaque auteur remanie avec plus ou moins d’ampleur selon le contexte dans lequel il vit et selon son propre talent. Rāzī excelle à vanter les mérites de la terre espagnole, Bakrī est inégalé dans la façon de présenter les ressources de la flore, Ḥimyarī réintroduit de manière systématique des récits d’ordre historique. Tous cependant participent à la même œuvre. L’une des principales caractéristiques de ce discours est d’être une constante réécriture. Cette continuité est la condition essentielle de la transmission d’une véritable représentation du territoire, transcendant les aléas du temps.
La constitution d’une image globale du territoire andalou
20L’inventaire, qui est une systématique, permet de dépasser le « terrain » et de construire une image globale. La compilation, enrichie de l’apport de chacun, donne alors naissance à une représentation cohérente et quasi immuable du territoire andalou. Que privilégie-t-on dans cette peinture d’ensemble ? Que choisit-on dans le catalogue des informations que serait susceptible de fournir tout inventaire discursif ?
21Idrīsī insiste à plusieurs reprises sur l’ampleur de sa documentation et sur le souci qu’il a eu de recueillir le plus d’informations possible. Ḥimyarī assume, et même revendique, le choix auquel il a dû procéder : « Si je m’étais appliqué à citer les localités et les pays d’une manière exhaustive, j’aurais imposé à mon ouvrage une ampleur démesurée, et il n’eût été réservé qu’à un petit nombre de lecteurs d’en profiter. » Il est, certes, une évidence que tout discours est une construction, donc un choix, mais ce qui est plus intéressant, nous semble-t-il, c’est la volonté affichée de la géographie de privilégier la peinture d’ensemble au détriment de celle des détails. Si les traités de « simples » ou de jurisprudence sont astreints à la minutie dans la mesure où ils se doivent de faire le tour d’une question délimitée, la géographie en revanche se propose rien moins que de décrire l’ensemble de la Terre habitée.
22Elle doit donc épurer de façon drastique l’objet de son étude. C’est déjà ce que soulignait Strabon :
« De la même manière que, en histoire, on ne fait mention que de ce qui est relatif aux hommes illustres et à leur existence, tandis qu’on omet les détails mineurs et sans gloire, de même ici, il faut négliger les détails mineurs et sans notoriété et s’étendre à loisir sur les caractères connus et importants qui sont tout à la fois utiles pour l’action, mémorables, et pleins d’agrément. Tout ainsi que, dans des statues colossales, l’on ne cherche pas l’exactitude de chaque détail, mais l’on s’attache plutôt à l’ensemble pour voir si l’allure générale est correcte, de même devrait-on procéder pour juger ces sortes d’ouvrages ; car c’est une œuvre colossale que celle-ci, qui brosse de grands traits et de grands ensembles31. »
23L’architecture générale prime : les sept climats de l’œkoumène, les douze, quatorze ou vingt régions du dār al-islām doivent pouvoir être immédiatement localisés, distribués sur un support écrit ou figuratif. Qu’importe si leur délimitation reste imprécise, si d’importantes zones d’ombre subsistent, et si l’on déforme et plie ce que l’on perçoit comme la réalité physique afin de lui faire épouser une division mathématique de l’espace. L’essentiel est de faire figurer l’ensemble. Le discours géographique, comme la carte, livre une « grille d’intelligibilité32 ».
24La géographie cependant se veut savante ; elle va donc à certains moments, mais à certains moments seulement car elle se défie de toute systématique, être pointilliste à l’extrême, développant jusqu’à épuisement du sujet (et du lecteur) quelque sujet saugrenu. Parfois cependant, le pointillisme fait sens, comme lorsque Rāzī inventorie par le menu les forteresses qui balisent le territoire d’al-Andalus. Dans la notice qu’il consacre au district de Lérida, il écrit ainsi :
« Lérida possède sur son territoire des villes et des châteaux. L’un d’eux est Carabinas, sur le río Noguera. Un autre est le château de Balaguer, sur le río Segre. Un autre est le château de Fraga, situé sur la rivière des Oliviers. Un autre château est celui d’Alcolea de Cinca, avec un territoire bien arrosé, planté d’arbres et de vignobles ; c’est une localité pourvue de nombreux avantages. Un autre château est celui de Monzón, extrêmement fort et élevé ; il domine le Cinca et a de belles vegas couvertes d’arbres et de vignes ; c’est une grande et belle ville. Un autre château est celui de Tamarite (de Litera) ; un autre, celui de Pedro, où l’on fabrique de bonnes étoffes ; un autre celui d’al-Baydāʾ, qui est une forteresse très belle. Un autre château est celui qui s’appelle Almotaxon, situé à 19 milles de Lérida et à 80 de Saragosse. Lérida possède des vestiges antiques, et c’est une localité très renommée. Sur son territoire se trouvent le château de Belicana, celui de Loribas et celui de Lasegi. Quand les musulmans entrèrent en Espagne, les habitants de ces châteaux conclurent avec eux un pacte ; ils demeurèrent dans leurs châteaux et les musulmans avec eux, sans nulle discussion. Sur le territoire de Lérida, il y a un château nommé Ayrash, un autre nommé Destiben33. »
25Rāzī, qui ne décrit pas la grande mosquée de Cordoue, met ainsi un soin méticuleux à évoquer jusqu’aux châteaux les plus reculés, témoignant ainsi du soin que met le jeune califat omeyyade, proclamé quelques années avant en 929, à proclamer qu’il maîtrise son territoire.
26C’est cette même volonté des géographes de maîtriser l’espace, ou du moins sa représentation, qui explique la géométrisation du territoire péninsulaire auquel on assigne une forme triangulaire ; cette conception, que Rāzī reprend à Orose et Isidore de Séville, constitue à la fois une façon mnémotechnique de se représenter le territoire en évitant que l’image soit altérée et déformée au fil de la transmission, et le moyen pratique d’individualiser cet espace. La forme géométrique s’est imposée au sein de la géographie andalouse, au détriment de l’image, également héritée de l’Antiquité et bien plus usitée alors, de la peau de bœuf déployée. Nos textes constituent donc, plus qu’une description, une présentation et une construction de l’espace. Le mode de l’inventaire permet de le faire exister, bien mieux certainement que n’aurait su le faire la carte, support extrêmement rare.
DES ITINÉRAIRES ET NON DES CARTES : UN ESPACE QUI EST CELUI DU PARCOURS
Géographie et cartographie
27Géographie et cartographie entretiennent des liens suffisamment étroits pour qu’il arrive qu’on les confonde (en grec, le geographos est celui qui décrit la Terre tout autant qu’il est celui qui la dessine34) ou, au contraire, qu’on les oppose35. On a ainsi longtemps pensé que la description littéraire de la Terre avait prévalu jusqu’à l’époque moderne et qu’on lui avait par la suite substitué une représentation imagée et cartographiée de l’espace, rendue possible par les progrès scientifiques. S’il est indéniable que le support cartographique fut nettement plus usité à partir du xvie siècle et que sa plus grande diffusion explique en partie l’assertion précédente, il faut toutefois préciser que ces deux conceptions de l’espace terrestre ont toujours coexisté, et ce depuis les origines grecques de la géographie : vers 550 av. J.-C., Anaximandre dresse la première carte du monde ; au ve siècle avant J.-C., Hécatée de Milet écrit la première Périégèse36. Récit géographique et cartographie ne sont donc pas tant deux façons successives d’aborder la discipline géographique que deux démarches qui appréhendent de façon différente la question de la représentation de l’espace : « À la linéarité séquentielle du langage, la carte substitue l’évidence synoptique d’un dessin où s’articulent simultanément des éléments d’information distincts », écrit Christian Jacob37. Toute réflexion sur la géographie entraîne inévitablement une interrogation sur la représentation de l’espace, mais l’on pense, souvent à tort, que la meilleure expression de celle-ci est, et fut, la carte38. Les œuvres de la géographie andalouse nous donnent une tout autre image, si l’on ose dire, de la question.
28À l’exception notable de l’ouvrage d’Idrīsī, qui se veut le complément d’un planisphère39, les textes que nous étudions ne s’accompagnent pas de l’établissement d’une carte. Il est d’ailleurs à peu près impossible de dessiner al-Andalus à l’aide des seules annotations de nos auteurs. Nous avons déjà souligné qu’il n’y avait pas description au sens strict du terme, mais plutôt inventaire : alors que « la carte étale le monde aux yeux de qui sait la lire40 », dans une immédiateté que seule procure l’autopsie, le discours géographique ne se livre qu’au rythme de son écriture. Les géographes andalous ne signalent ainsi jamais le tracé des côtes et l’indication des distances qui séparent les villes les unes des autres vise à établir des itinéraires plus qu’à doter ces dernières de coordonnées intangibles : lorsque la géographie change d’échelle, elle ne se transforme pas pour autant en une chorographie. C’est en ceci que les portulans dont se servent les marins sont radicalement différents d’une littérature géographique à laquelle on les associe trop fréquemment. Les géographes, qui se targuent d’avoir accumulé une très large documentation en interrogeant navigateurs et commerçants, omettent la plupart du temps de mentionner les éléments techniques sans lesquels la carte ou le portulan ne peut exister : direction des itinéraires, tracé des côtes, indications topographiques41. Le livre de géographie n’est pas un guide ; son mérite est autre : il témoigne d’une conception de l’espace ; une conception qui obéit à d’autres lois que celles de la cartographie et qui privilégie l’énumération des toponymes, la composition des itinéraires, l’évocation des curiosités ou le récit d’une anecdote.
29Ce qu’écrit Christian Jacob à propos du poème géographique composé par Denys d’Alexandrie au iie siècle de notre ère est en partie vrai pour les œuvres de la géographie arabe : « Le texte est un aide-mémoire, un instrument efficace pour graver dans l’esprit de ses lecteurs une image ordonnée, cohérente et signifiante du monde. […] Cette image du monde n’a pas la consistance, la stabilité, la matérialité d’une carte projetée sur une tablette ou un papyrus, mais elle a l’existence fragile de l’imaginaire, des noms au pouvoir évocateur, des mythes et du chant poétique. Le monde habité se réduit ainsi à une litanie de noms propres, comptine à mémoriser et à réciter, itinéraire à parcourir par la voix et à suivre par l’oreille, sur le rythme régulier, métronomique, des “pieds” de la poésie42. » Si les œuvres de la géographie arabe n’ont pas emprunté les voies de la poésie43, certains passages, les Laudes Hispaniae44 ou l’énumération des plantes de la Péninsule45 par exemple, remplissent la même fonction : l’évocation de ces merveilles divertit, instruit et rappelle à la mémoire des souvenirs effacés. Toutes sont liées à un lieu, et c’est en suivant pas à pas l’itinéraire que nous présente le géographe que le paysage se dévoile.
Des itinéraires
30S’il est un élément que les géographes andalous signalent chaque fois qu’ils le peuvent, c’est bien les distances qui séparent deux villes entre elles et les itinéraires qui les relient. Le discours géographique semble parfois se résumer à l’exposé de ce genre de données ; certains lieux, sans existence propre, ne sont évoqués que dans le but de préciser des distances. La notice que consacre par exemple Ḥimyarī à Estepa ne donne guère de renseignements sur l’identité de cette bourgade et n’a de sens que dans la mesure où elle s’insère dans une représentation globale du territoire andalou : « Estepa : ville d’al-Andalus, à vingtcinq milles de Calsena. De Calsena, qui est le chef-lieu du cercle (ʿamal) de Sidona, à Cordoue, il y a quatre jours de marche, correspondant à une distance de cent dix milles46. » Or les traités de géographie n’ont guère vocation à servir de guides aux voyageur craignant de se perdre ; si les distances séparant les villes sont mentionnées, les directions à prendre ou les refuges où s’abriter ne sont presque jamais évoqués. Il faut donc croire que l’indication des distances participe bien à la constitution de cette image globale du territoire dont nous avons tenté de montrer qu’elle était la préoccupation essentielle de la géographie. Le récit, contrairement à la carte, s’organise au fil de l’énumération des lieux décrits. L’itinéraire fait figure de fil directeur ; il organise la démarche, au sens propre du terme, du géographe.
31La notion de parcours n’est pas une invention de la géographie arabe. La littérature des périples, ou Périégèse, en Grèce ancienne, obéissait à la même loi : la succession des lieux, la juxtaposition des territoires et des îles offrent autant de « cases » où consigner l’information47. La géographie des masālik wa al-mamālik, des « routes et des royaumes », fait également de l’itinéraire le principe ordonnateur de ses ouvrages. Dans le Kitāb al-buldān de Yaʿqūbī, le Kitāb al-masālik wa al-mamālik d’Istaḫrī, le Kitāb ṣūrat al-ard d’Ibn Ḥawqal, le Kitāb al-masālik wa al-mamālik de Muhallabī et le Kitāb aḥsan al-taqāsīm fī maʿrifat al-aqālīm de Muqaddasī, l’espace est appréhendé sur le mode du parcours. Un parcours qui ne s’apparente guère à une promenade dans le « jardin géographique48 », mais plutôt à la constitution d’itinéraires qui sont l’ossature de cette représentation de l’espace. Ils font de ce qui relie les villes ou les provinces entre elles le principe ordonnateur de leurs ouvrages. Cette géographie humaine, qui privilégie l’étude et la description d’un monde musulman alors divisé politiquement, fait du lien un élément central. Il s’agit alors de présenter tout ce qui relie entre eux les membres épars de l’empire islamique dont l’unité avait volé en éclats au début du xe siècle, avec l’existence de trois califats rivaux. Les géographes orientaux prennent acte de l’existence de multiples royaumes au sein du dār al-islām, mais insistent sur les routes et itinéraires qui relient ces territoires entre eux, qui les font exister au sein d’un espace désormais uni différemment et que parcourent inlassablement pèlerins et aventuriers, missionnaires (duʿāt), marchands et lettrés.
32Les géographes andalous participent de la même démarche lorsqu’ils continuent à dépeindre le dār al-islām et ses marges alors que l’on n’écrit plus ce genre de traités en Orient. C’est une façon d’affirmer l’unité du monde islamique par-delà ses divisions politiques, et l’on aurait tort de ne voir par exemple dans le titre de l’ouvrage de Bakrī, Kitāb al-masālik wa al-mamālik, une simple reprise des titres de ses prédécesseurs orientaux. Il s’agit pour notre géographe orientaux d’insister sur ce qui unit le dār al-islām, au moment même où l’Occident latin commence à se faire menaçant.
33À l’échelle même de la Péninsule, la mention quasi systématique des itinéraires et des distances est également signifiante. Lorsque Bakrī écrit son ouvrage, en 1068, l’unité andalouse qui avait prévalu du fait de l’instauration du califat de Cordoue a fait long feu. Depuis 1031 et la suppression de la suzeraineté omeyyade, une multitude de petits États, les royaumes des Taïfas, se sont partagé la domination du territoire andalou. Le géographe tente de réaffirmer l’unité de cet espace en décrivant les routes et les distances qui existent entre les différentes villes d’al-Andalus. Le parcours, comme l’écriture géographique, vise alors à construire le territoire, par-delà les aléas du temps et les revers politiques. Idrīsī, dont l’ouvrage est contemporain de l’établissement d’une seconde vague de Taïfas en Espagne, après l’effondrement du pouvoir almoravide et avant la reprise en main almohade, poursuit dans la même voie ; il est, de tous les géographes, celui qui épouse le plus étroitement le mode du parcours. Inventorier les villes selon leur succession spatiale, c’est aussi ne pas les énumérer dans le cadre de la présentation des principautés dont elles sont les chefs-lieux, et, partant, éviter l’écueil d’avoir à rendre compte de l’échec que constitue l’éclatement des pouvoirs. Le discours géographique, et c’est là l’une de ses principales caractéristiques, tente sans cesse de contourner l’histoire. C’est encore plus flagrant lorsque Ḥimyarī précise dans son dictionnaire géographique quelles sont les routes qui organisent le territoire andalou et qui relient les grandes villes de toute la Péninsule entre elles ; pourtant lorsqu’il écrit, au xive siècle, al-Andalus se réduit au petit royaume de Grenade-Malaga, mais l’évocation des voies qui relient entre elles ces principales villes continue à faire exister un territoire qui n’est désormais plus que celui du géographe.
34L’inventaire des lieux et des ressources, la mention des routes et des distances sont donc, en l’absence de carte, constitutifs de la représentation de l’espace andalou et contribuent également à donner une image dynamique d’un territoire qui n’existe parfois plus que dans le souvenir. Le discours géographique cependant serait un peu sec s’il n’était que cela. À l’ambition d’instruire, il ajoute celle de divertir le lecteur. C’est une des fonctions que remplit le merveilleux.
GÉOGRAPHIE ET ADAB
35Un savoir qui se découvre au rythme de son écriture, qui énumère en une même litanie noms de lieux et inventaires des richesses, qui privilégie ce qui sort de l’ordinaire tout en indiquant scrupuleusement quantité de distances, un savoir, enfin, qui se donne pour règle de ne se spécialiser en rien, perd beaucoup de son intérêt à être disséqué. Aucun de ces aspects ne suffit à le résumer, mais tous concourent à sa définition. L’absence de spécialisation et la volonté d’instruire tout en divertissant placent de fait la géographie dans la littérature d’adab. Cette notion complexe, que l’on traduit approximativement en français par « culture générale » ou « culture moyenne », innerve en profondeur la prose arabe médiévale et a été abondamment étudiée par les spécialistes de l’Islam49. Grünebaum conclut ainsi très durement que, à partir du xie siècle, « [cette] littérarisation de toute pensée marque la fin de la contribution de l’Islam médiéval au progrès de l’humanité50 », dans la mesure où elle fige le discours et coupe court à toute recherche.
36André Miquel a pour sa part montré combien la géographie s’apparentait dès ses origines à ce genre littéraire, tout en distinguant plusieurs types d’adab : l’adab-recherche de Ğāhiẓ et l’adab figé d’Ibn Qutayba. À partir d’Ibn al-Faqīh, la géographie est désormais considérée et écrite du point de vue de l’adab51. André Miquel montre par quels mécanismes tout un pan du savoir se clôt :
« Le genre de l’adab domine de façon écrasante la prose arabe. C’est donc que celle-ci s’est délibérément prononcée, non pour la publication de problèmes ou de résultats strictement techniques, mais pour l’élaboration d’une mentalité moyenne, avec tous les dangers que cela comporte. De fait, la mode qui s’incarne dans l’adab se propose d’instruire en amusant, en touchant à tout, en parlant de tout sans insister sur rien, sans approfondir ou du moins sans retomber dans cette autre spécialité qu’est la spéculation pure ; elle considère, en un mot, que le goût est affaire de connaissance plus que de science, d’ampleur plus que de profondeur52. »
37Les données empruntées à l’astronomie ou à la botanique sont, dans la plupart des cas, traitées de manière littéraire et étroitement associées à des éléments relevant de l’histoire ou du merveilleux53. C’est aussi ce qui confère toute sa saveur, son originalité et sa richesse à cette littérature. Il serait ridicule de ne juger de sa recevabilité qu’à l’aune de sa scientificité ; il convient plutôt d’en considérer la cohérence interne et l’efficacité. La géographie, parce qu’elle mêle différents registres de connaissances, est un véritable savoir ; un savoir qui délivre des données à l’origine scientifiques dans un enrobage littéraire afin de mieux les faire passer. Et nul mieux que le merveilleux n’est efficace dans ce rôle de vulgarisateur auprès d’un public large.
La place du merveilleux
38Le merveilleux (les ʿağāʾib sont, selon le Lisān al-ʿArab, ce qui s’écarte de la norme courante54) est tout à la fois ce qui rompt la monotonie d’un discours technique et ce qui permet de mémoriser un lieu en lui accolant un élément qui sort de l’ordinaire. Loin d’être anecdotique, il occupe une place importante dans une littérature géographique qui s’est un temps nourrie des récits de marins et des relations de voyages effectués dans les pays lointains et exotiques. Et lorsque la discipline privilégie la description du seul dār al-islām, avec le genre des masālik wa al-mamālik, à partir du xe siècle, le merveilleux continue à être l’un des ressorts essentiels de l’écriture de la géographie. Il ne se réduit pas à l’exposé d’un fatras de superstitions ou de prodiges ; il est même l’occasion de la recherche, tant il vrai que décrire l’irrationnel, c’est prendre acte de son existence et rendre compte de ce qu’il n’est pas possible d’expliquer55. Le merveilleux est à ce titre pleinement constitutif d’un savoir géographique qui se fonde sur l’exposé des particularités d’une terre. Au sein d’un discours enclin à privilégier l’insolite, deux types principaux de merveilleux coexistent : le legs extraordinaire des civilisations du passé et le mystère de ce qui ne s’explique pas.
Les admirables et fascinantes merveilles des temps passés
39L’histoire a laissé des traces monumentales, ruines ou bâtiments encore intacts, qu’il faut connaître et que nos géographes ne se lassent pas d’admirer. Ces réalisations sont des ʿağāʾib dans la mesure où elles témoignent d’une grandeur révolue, d’un passé insaisissable dont elles sont les puissants vestiges, mais aussi parce qu’elles apparaissent dès lors comme décalées par rapport aux réalités du quotidien.
40Reconnaître ces merveilles en al-Andalus revient à créditer cette terre d’un passé glorieux. Lorsque Ibrāhim Ibn Wasīf Šāh dans son Abrégé des merveilles56, rédigé aux alentours de l’an mil, décrit les trésors de l’Égypte, il célèbre l’originalité et l’ancienneté de cette terre. C’est à n’en pas douter dans cette démarche que s’inscrivent les géographes andalous. L’évocation du merveilleux ne se réduit pas à divertir le lecteur, à faire figure de pause plaisante au cœur d’un exposé technique, elle contribue à doter la Péninsule d’un patrimoine lui permettant de rivaliser avec les terres du vieux cœur oriental du dār al-islām. Nos auteurs évoquent ainsi un certain nombre de mirabilia dont les plus importantes sont l’idole de Cadix57, le pont bâti par Alexandre sur le détroit de Gibraltar58, le palais de la reine Mérida59 ou la merveilleuse statue de femme d’Italica60. Plus que l’aqueduc de Huelva61, les canalisations de Pechina62, le pont sur le Tage63 ou les bains antiques de Jaén64, tous admirables, ils méritent l’appellation de ʿağāʾib.
41L’existence de ces merveilles, même lorsqu’elles ne subsistent qu’à l’état de ruines, est absolument irréfutable. Les géographes affirment les avoir vues de leurs propres yeux, ou du moins fondent-ils leurs assertions sur le témoignage de « personnages dignes de foi ». Notons à ce propos que la littérature géographique ne disserte guère sur la fameuse ville de cuivre localisée pourtant par le grand géographe oriental Ibn Al-Faqīh, sur la base de nombreuses traditions, en Espagne. Si le thème est développé à l’envi dans les contes ou les récits de merveilles, la géographie andalouse ne s’en fait guère l’écho. Peut-être l’impossibilité évidente de localiser une telle merveille explique-t-elle pareil silence65. Le pont d’Alexandre ou le palais de la reine Mérida, tout aussi étonnants, sont, quant à eux, attachés à des lieux bien précis et leur évocation sert à agrémenter les notices que les géographes consacrent à ces derniers.
42Les ʿağāʾib du passé trouvent donc leur place au sein de la littérature géographique dans la mesure où ils furent édifiés en des temps passés et en des lieux bien déterminés, parce que leur fonction ne s’explique pas toujours et parce qu’ils sont admirables. Ils échappent de ce fait aux aléas du temps, même s’ils sont l’indice le plus puissant de la fluctuation des sociétés humaines. Rāzī écrit à propos des vestiges de Tarragone que « leur construction est si solide qu’elle est à tout jamais indestructible, au contraire d’autres édifices. Mūsā Ibn Nuṣayr, quand il entra en Espagne, tua tous les habitants de Tarragone et abattit ses monuments, mais ne put les détruire tous, tant les Anciens les édifièrent solidement66 ». À Mérida, « on trouve des vestiges de constructions qui dureront éternellement, car personne ne pourrait les détruire, ni par la force, ni par la ruse, leur maçonnerie étant pareille à de la pierre très dure67 ». Et lorsque leur destruction se réalise, malheur à celui qui en est l’artisan. En al-Andalus, le plus emblématique de ces monuments extraordinaires du passé est sans conteste l’idole de Cadix68. Le traitement que lui réservent les géographes témoigne de la façon dont le merveilleux prend place au sein du savoir géographique. Rāzī, ʿUḏrī, Bakrī et Idrīsī l’évoquent tous dans la présentation générale qu’ils font des trois angles de la Péninsule. Zuhrī prétend l’avoir vue de ses propres yeux et livre de ce fait un tableau intéressant ; Ḥimyarī enfin livre le récit le plus complet ; il décrit précisément le temple, la statue qui le surmonte, et nous narre son histoire :
« Le plus étonnant des vestiges de Cadix est le temple (l’idole, ṣanam) que l’on désigne ordinairement du nom de cette presqu’île (Jazīrat Qādis). Il a été élevé par Hercule. Ce personnage tirait son origine des Rūm grecs (Iġrīqīyūn). C’était un général et un grand personnage des Rūm à l’époque de Moïse. On dit qu’il fut le premier en date des rois grecs ; il régna sur la plus grande partie de la terre. Il fit la guerre aux gens de l’Orient, conquit leurs villes et finit par arriver en Inde. Il partit aussi faire la conquête du pays des fils de Japhet et parvint en fin de compte en al-Andalus. Quand il fut arrivé au littoral occidental de la mer Environnante, il demanda ce qu’il y avait de l’autre côté. On lui dit que la traversée de ce bras de mer permettait de se rendre dans le pays d’al-Andalus. Il gagna alors la presqu’île de Cadix et y bâtit un haut et imposant édifice, surmonté d’une tour au sommet de laquelle il plaça une statue, coulée dans le bronze, à sa propre effigie. Cette statue, qui faisait face à l’Occident, représentait un personnage s’enveloppant dans un manteau qui le recouvrait des épaules jusqu’à mi-jambes et dans lequel il était drapé. Il tenait à la main gauche une clé de fer, tendue en direction du couchant, et à la main droite, une tablette de plomb gravée, contenant le récit de sa propre histoire. Cette tablette qu’il tenait ainsi rappelait qu’il avait fait la conquête des villes et des pays situés derrière lui.
Le temple est situé dans le milieu de la presqu’île, à une distance de six milles du château fort. Il est de plan quadrangulaire et chacun de ses côtés à la base a une longueur de quarante coudées. L’édifice est constitué à la base par un bloc de maçonnerie dont la plate-forme supérieure supporte un second bloc, également quadrangulaire, mais de base plus petite. Ce second bloc est lui-même surmonté d’un troisième bloc qui, lui, est de côtés moins longs. À partir du bas du bloc qui forme le quatrième étage, la construction va en se rétrécissant vers le haut, si bien que les deux pieds de la statue qui surmonte ce quatrième étage reposent sur une unique pierre de taille, carrée, qui, à vue d’œil, peut avoir quatre coudées de côté. Le pied droit de la statue est en avant, le pied gauche en arrière, dans la position d’un homme qui marche. Le temple, à partir du sol jusqu’au sommet de la statue, a une hauteur de cent vingt-quatre coudées, dont huit coudées – d’autres disent six – constituent la hauteur de la statue elle-même. Ces dimensions sont, dit-on, calculées en grandes coudées, dont chacune vaut trois empans et demi. Un montant de cuivre ou d’or, dont la partie inférieure s’engage entre les deux pieds de la statue, s’élève le long de celle-ci et dépasse sa tête d’environ, à vue d’œil, deux coudées. Les gens versés dans la science des prédictions, aux temps antiques, disaient : “Il est possible que l’une des deux clés tombe de la main de cette statue ; cette main agitera alors des révoltes dans al-Andalus ; si la seconde clé tombe aussi : ce sera alors irrémédiablement la ruine d’al-Andalus !” Or des gens de la population de Cadix rapportent que l’une des deux clés tomba dans l’année 400 (1010). L’objet fut ramassé et rapporté au seigneur de la ville de Ceuta69 ; celui-ci ordonna qu’on le pesât : son poids était de huit livres.
Le temple en question fut, dit-on, bâti dans la 2451e année qui suivit le Déluge. D’autres donnent pour date 2451 ans à partir d’Adam. Ce qui ne saurait faire de doute, c’est qu’il fut édifié à l’époque de Moïse. […] On racontait que la partie centrale de la Mer Occidentale, qu’on appelait Pelagos (Balāyu), n’avait jamais pu être atteinte jusqu’au jour où la clé tomba à terre. À partir de ce moment, on put se rendre par mer jusqu’à Salé, au Sūs et d’autres endroits. Cela est admis communément dans le pays.
Un auteur qui a traité des prédictions curieuses a rapporté que la statue de Cadix fut élevée pour préserver le pays d’al-Andalus ; chacune de ses parties et chacun de ses membres correspondaient à une région du pays : ainsi la tête à Tolède, la poitrine à Cordoue, etc. Chaque fois qu’un accident survint à l’une des parties de la statue, une calamité s’abattit sur la région correspondante.
On lisait dans certain ouvrage : “Quand le temple de Cadix sera démoli, les chrétiens s’empareront du pays d’al-Andalus !” De fait, on put se rendre compte que l’époque à laquelle il fut détruit par Abū al-Ḥasan ʿAlī b. ʿĪsā Ibn Maymūn fut en même temps celle qui vit les chrétiens entrer dans Cordoue et s’en rendre maîtres […].
Voici dans quelles conditions ʿAlī b. ʿĪsā démolit le temple de Cadix : on lui avait fait croire qu’il était bâti au-dessus de trésors énormes et qu’il était lui-même rempli à l’intérieur de poudre d’or. Il fit alors venir des manœuvres et des maçons, qui se mirent à extraire des pierres de l’appareil de maçonnerie : chaque fois qu’une pierre avait été coupée, on étayait son ancien logement à l’aide de poutres. La masse énorme du temple finit ainsi par ne plus ne trouver soutenue que par des étais.
On mit ensuite le feu à cette charpente après avoir relié entre elles les poutres au moyen de morceaux de bois. Le tout s’écroula alors dans un vacarme épouvantable. On ne put extraire des décombres que le plomb qui liait les pierres les unes aux autres et le cuivre dont la statue était faite : c’était du cuivre doré. La vanité de l’entreprise d’Ibn Maymūn apparut alors tout entière. On disait que celui qui démolirait le temple de Cadix périrait de mort violente, et c’est bien ainsi qu’il en fut.
Les gens de Cadix prétendent qu’ils ont toujours entendu dire que les navigateurs qui s’embarquaient sur l’Océan et se dirigeaient vers la haute mer voyaient apparaître, quand le temple de Cadix n’était plus visible, un second temple tout pareil. Quand ils y étaient parvenus et l’avaient dépassé jusqu’à ce qu’il eût disparu à leurs regards, un troisième temple se présentait à leurs yeux. Quand ils avaient ainsi dépassé successivement sept temples, ils étaient parvenus dans le pays de l’Inde (bilād al-Hind). C’est là une tradition communément admise parmi la population de Cadix, qui la connaît et la propage, en se la transmettant de génération en génération70. »
43Ce long récit, extrêmement détaillé, présente et résume tous les ingrédients du merveilleux. L’auteur s’entoure de multiples précautions oratoires : « on dit », « on rapporte », « on lit dans un certain ouvrage », « les gens de la presqu’île de Cadix prétendent », etc. Point d’isnād ici pour garantir le récit, juste suffisamment de distance pour que le géographe ne soit que celui qui retranscrit le merveilleux. Il ne s’agit ni de dire le vrai ni de pointer les invraisemblances, mais de présenter ce qui fait partie intégrante d’une culture. L’intérêt de ce type de merveille est d’allier l’indéniable au fantastique. L’extrême précision de la description rend effectivement compte de l’existence d’un monument étonnant, peut-être un temple consacré à Hercule et datant de l’époque romaine. La géographie andalouse cependant en fait un symbole. Le symbole d’une terre restée longtemps païenne ; le symbole qu’avec ce monument, al-Andalus est bien la dernière terre à l’occident du monde habité, au-delà de laquelle commence l’inconnu. L’idole revêt suffisamment d’importance pour être l’une des bornes d’al-Andalus, l’un des angles du triangle que constitue la Péninsule. L’ouvrage apparaît même comme un repère, un phare guidant les navigateurs, et l’on ne peut manquer d’opérer un rapprochement avec le phare d’Alexandrie, lequel est attaché à un personnage tout aussi merveilleux que le temple de Cadix.
44La figure d’Hercule, comme celle d’Alexandre, est liée à la conquête des terres et à la clôture du monde habité. Elle est en elle-même une référence merveilleuse, à la fois ancrée localement et universelle : si le récit témoigne bien de l’immensité géographique des territoires conquis par Hercule, indissociable une fois encore d’Alexandre, il se nourrit indubitablement du mythe antique des colonnes d’Hercule, que les Anciens situaient précisément en Espagne. Le symbole est païen, donc il témoigne de l’ancienneté de la terre andalouse et de sa capacité à rivaliser avec ces autres lieux qui regorgent de ʿağʾib : l’Égypte et la Perse. L’idole devient même la métaphore de l’Espagne : Ḥimyarī reprend l’idée ancienne selon laquelle chacune des parties de la statue symboliserait une région d’al-Andalus et il expose les prédictions qui lient leur destin commun. Le mythe croise alors l’histoire de l’Islām. La statue laisse tomber l’une des deux clés qu’elle tient dans sa main en 400, c’est-à-dire en 1009-1010, l’année de la « révolution de Cordoue71 ».
45La destruction de l’idole par Abā l-Hasan ʿAlī b. ʿĪsā b. Maymūn s’avère tout aussi funeste. Cet amiral de la flotte almoravide tente de se rendre indépendant à Cadix dans les années 1140, profitant de la déroute de ses anciens maîtres. Mû par l’appât du gain et persuadé de trouver un trésor à l’intérieur de la statue, il passe outre les avis de la population et fait démolir le temple. Le géographe ne manque pas d’opérer un rapprochement entre la date de la destruction du monument et l’occupation de Cordoue par les chrétiens72. On peut établir un parallèle avec l’ouverture de la maison scellée de Tolède par Rodric, le dernier roi wisigoth. Les rois, ses prédécesseurs, avaient veillé à ce que la demeure reste fermée. À défaut d’y trouver d’innombrables richesses, le souverain y avait découvert un simple coffre contenant un tissu sur lequel étaient représentés des cavaliers arabes. Les deux prédictions semblent se faire face. Les merveilles et leurs mystères ne peuvent être violés sans risque pour l’auteur de ce qui s’apparente à un sacrilège.
46Lorsqu’elles sont moins directement funestes, les ʿağāʾib n’en sont pas moins dangereuses, par la fascination même que leur mystère exerce. Bakrī et Ḥimyarī rapportent ainsi qu’une fabuleuse statue de femme découverte à Italica et transportée dans l’un des bains de Séville ensorcelait littéralement qui la contemplait :
« Dans le district d’Italica, on a découvert une statue de marbre représentant une jeune femme accompagnée d’un enfant qu’elle veut protéger. Aucune chronique et aucun récit ni vestige n’ont fait état d’une perfection aussi accomplie. Elle est exposée dans un des bains publics de la ville, où beaucoup de gens la contemplent avec passion73. »
47Ḥimyarī, comme à l’accoutumée, ajoute quelques détails :
« Cette statue de jeune femme en marbre blanc de grandeur naturelle [était] d’une beauté inouïe. Son visage était charmant et chacun de ses membres et des détails de son corps avait été représenté à la perfection et avec tout ce que l’on apprécie de l’esthétique féminine. Sur ses genoux, elle tenait serré un petit garçon. Un serpent partait de ses pieds et se dressait comme s’il voulait mordre l’enfant. La femme regardait à la fois le serpent qui se dressait et l’enfant posé sur ses genoux, et son visage avait une double expression de tendresse et d’effroi. On aurait pu passer une journée entière à la considérer sans éprouver le moindre ennui, tant cette statue était artistiquement sculptée et d’un travail admirable. Cette statue est aujourd’hui placée dans l’un des thermes de Séville. Il arriva que des gens de la basse classe en tombèrent amoureux et s’en éprirent à un point tel qu’ils délaissèrent leurs occupations habituelles et virent péricliter leurs commerces, tant ils passaient de temps à la contempler74. »
48La fascination que ne pouvait manquer de provoquer cette statue féminine s’apparente ici au sentiment amoureux tel que le décrit Ibn Ḥazm. Le mystère de cette beauté est de plus accentué par l’impossibilité de développer un tel art dans la civilisation de l’Islām. Il s’agit bien là d’une merveille héritée d’un passé révolu, mais dont les charmes n’ont pas été altérés par le temps. Fascination, mystère, décalage, danger la caractérisent, tout autant que l’idole de Cadix ou le mystérieux pont d’Alexandre. Ce sont là cependant des merveilles qui, parce qu’elles ont une histoire ou parce qu’elles sont l’Histoire, s’expliquent. Elles sont à ce titre, bien que tout aussi nécessaires au récit, beaucoup moins étonnantes que les « fantaisies de la Création75 ».
L’irréductible mystère des fantaisies de la Création
49« Et quand le merveilleux décidément résiste, au moins sert-il à fixer les bornes de l’humain, à appréhender, au-delà, l’autre domaine, celui de l’infinie et secrète science de Dieu, bref, à ordonner la raison et la foi selon toute une série de signes déchiffrables entièrement, ou à demi, ou pas du tout », écrit André Miquel76. Nombreuses sont les ġarāʾib, les curiosités, que l’on ne peut expliquer par l’ingéniosité ou l’art des hommes du passé. La nature, donc la Création, recèle des mystères bien plus énigmatiques encore, et donne parfois à voir, sinon à comprendre, certains de ses secrets. Lorsque l’on répertorie de manière exhaustive ces mystères/merveilles, et que l’on laisse de côté les anecdotes divertissantes, telle celle qui traite de la fameuse cloche de Santo Aureliano77, laquelle a la particularité de faire gonfler les testicules de celui qui veut la dérober78, ou celle de l’étonnante femme à barbe de Tudèle79, il apparaît que les thèmes de prédilection du merveilleux sont l’eau, les grottes, et l’étonnante conservation de certains cadavres.
50Puits, sources, excavations, étangs sont, pour certains d’entre eux, des lieux bien étranges où l’eau, obéissant à ses propres lois, se donne ou se fait rare, sans que l’on puisse exercer le moindre contrôle sur le phénomène. Le merveilleux réside alors dans l’énigmatique débit de l’eau. Sur la dizaine de récits que Ḥimyarī consacre aux curiosités de ce type que l’on peut constater dans la Péninsule, sept traitent d’eaux dont on ne peut expliquer les variations de volume : de la source de Pleitas (Baltaš), près de Saragosse, l’eau douce ne sourd que pendant la première nuit du mois d’août80 ; dans le ribāt de Rota, non loin de Jerez, le niveau de l’eau monte dans un puit d’antique construction, afin que tout le monde puisse se désaltérer, et redescend lorsque les gens repartent81. Il existe le même phénomène dans le Ğabal al-Barānis82. À Santa Maria (de Algarve) au contraire, une abondante source se tarit lorsque l’on s’en approche83. Près de Guadix se trouve une source qui s’écoule pendant sept ans, puis disparaît sous terre sept autres années, entraînant alors le départ des habitants de la bourgade qui s’était formée auparavant84. À ʿAyn Wālgar85, c’est durant sept jours que l’eau est abondante, et durant sept autres jours qu’elle décroît86. À Huélamo (Walmū), dans la région de Cuenca, se trouve un étang dont l’eau croupissante est recouverte de mousse. Si l’on se trouve à côté et que l’on crie, l’eau se met à bouillonner et crève la nappe de mousse87. Les géographes indiquent qu’il s’agit là de curiosités que l’on peut soi-même constater, ou qui ont été rapportées par des témoins dignes de foi.
51Ces récits sont divertissants dans la mesure où ils rompent la monotonie d’un discours parfois trop technique ; ils permettent également de mieux mémoriser certains noms de lieux en leur accolant une particularité étonnante. Mais ce n’est pas tout. Ils contribuent puissamment à appréhender un territoire que l’homme ne peut prétendre comprendre dans sa globalité. Laisser une place à ce qu’on ne peut expliquer, c’est réintégrer au sein d’une littérature d’inventaires et d’itinéraires cette part de mystère dont il importe peu de savoir si elle est plausible. Loin des merveilles de l’étranger, de ces curiosités que sur le mode ethnographique les géographes relevaient dans les pays lointains et exotiques, les mystères « de l’intérieur » révèlent d’abord les énigmes de la nature. Le discours géographique, qui s’est pendant longtemps nourri des étonnantes coutumes qui suffisaient à définir ce qui n’était pas le dār al-islām, ne renonce pas pour autant à ce ressort essentiel de l’écriture qu’est l’exposé des merveilles, lorsqu’il ne décrit que le monde musulman. Ces mystères irréductibles sont alors ceux de la Création.
52Tout autant que l’eau, les merveilles du monde enfoui, des espaces souterrains participent à cette géographie de l’imaginaire, à cette volonté de réunir au sein d’un même savoir les ressources quantifiées d’al-Andalus et ses mystères. Les grottes sont ces excavations qui laissent parfois entrapercevoir les entrailles de la terre. Dans la plupart des récits qui nous sont contés, l’homme ne peut en appréhender le fond ou les limites. Il en est ainsi de la grotte de Cabra, que décrit Ḥimyarī :
« [Dans la région de Cabra] se trouve la grotte connue sous le nom d’al-ʿArūb. On ne peut parvenir à l’extrémité de cette caverne, ni en explorer le fond. C’est l’une des portes qui donnent accès aux vents ; on l’appelle aussi le « Puits du Vent » (biʾr al-rīḥ). Certain calife omeyyade avait ordonné au gouverneur de Cabra de faire combler cette caverne, de réquisitionner à cet effet les gens de la région et de surveiller en personne l’opération. Il agit en conséquence et employa pendant un certain temps des gens à ce travail : pour combler la grotte, on utilisa notamment de la paille et de l’herbe. Quand le travail fut terminé, le gouverneur s’assit à l’entrée de la caverne, afin de rédiger à l’intention du souverain un message lui annonçant que ses ordres avaient été exécutés. À ce moment, le sol trembla, et tout ce qui avait servi à boucher la grotte s’engouffra dans la terre. Ce fut tout juste si le gouverneur put échapper au danger. On n’arriva dès lors, pas plus qu’auparavant, à atteindre le fond de la caverne. On ne sut pas non plus où s’en était allé tout ce qu’on y avait jeté pour la combler, sauf toutefois qu’on vit par la suite une partie de la paille utilisée réapparaître dans certaines sources de cette montagne. C’est dans cette grotte que furent précipités vivants un certain nombre de Slaves (Saqāliba), faits prisonniers à la suite d’une défaite qu’ils subirent88. »
53La terre, comme l’homme ou les plantes, est un organisme vivant ; avec l’eau et l’air, en constante interaction, elle manifeste ses humeurs. C’est un thème classique, ressassé à l’envi par les astronomes, les géographes et les philosophes arabes de l’époque classique, que l’on retrouve ici89. Les souffles qu’elle exhale sont les vents et ils parviennent jusqu’à nous par des failles, des fissures qui sont autant de portes ; la caverne que décrit ici Ḥimyarī en est une. L’homme, fût-il calife, ne peut prétendre influer sur cette nature vivante. Obstruer ces entrées sur les univers enfouis n’est pas de son ressort. Tout au plus peut-on profiter de ces abysses, qui deviennent alors les oubliettes de l’histoire, pour se débarrasser de ce dont on ne veut garder la mémoire. L’homme ne peut prétendre maîtriser la terre ; il ne peut parfois se maîtriser lui-même dans l’univers mystérieux des cavernes. Dans la montagne de Segura par exemple se trouvent des grottes dans lesquelles tout homme « éjacule sans la moindre envie ou le moindre souvenir érotique90 ».
54La nature n’est jamais mystérieuse en soi ou, plutôt, elle l’est toujours. C’est dans certaines de ses interactions avec l’homme que le merveilleux réside. La caverne devient étonnante lorsqu’elle réagit à l’intervention humaine, ou lorsqu’elle induit une réaction mystérieuse. Toutes les anecdotes que nous rapportent les géographes mêlent humanité et nature : sur le sol d’une grotte qui se trouve dans le Ğabal Tāriq, ce sont des empreintes de pas humains qui semblent gravées pour l’éternité et qui subsistent même lorsque l’on tente de les effacer91. À proximité de Sidonia, une pioche est encastrée dans une fissure de la montagne et jamais on ne put la retirer, même en y attelant deux équipages de bœufs92. Mais la plus merveilleuse de toutes ces histoires, celle qui transcende les frontières, celle où la caverne protectrice est l’instrument de la divinité, est bien sûr le récit du miracle de la grotte d’al-Raqīm, que dépeint Ḥimyarī :
« Dans al-Andalus, du côté de Grenade, près d’un bourg du nom de Loja, se trouve une caverne où gisent des cadavres humains, et, à côté, la dépouille d’un chien. La plupart de ces cadavres sont décharnés. L’un d’eux est encore bien conservé. Les siècles révolus ont passé sur eux, et nous n’avons trouvé personne qui sût leur histoire. Certains prétendent que ce sont les « gens de la caverne » (asḥāb al-kahf)93. »
55L’auteur prend bien des précautions lorsqu’il émet cette dernière hypothèse. S’agit-il d’une allusion aux sept dormants d’Éphèse ou aux gens qui accompagnèrent Muhammad dans l’Hégire et se trouvaient avec lui dans la caverne défendue par une araignée merveilleuse ? Dans les deux cas, il est bien peu commun de localiser en al-Andalus le théâtre de ces épisodes. Il n’empêche que, s’il s’agit d’une évocation de la légende des sept dormants d’Éphèse, l’allusion, même énoncée sous forme de supposition, participe à l’élaboration d’un adab andalou. En citant ces récits, nos auteurs contribuent à réaffirmer l’appartenance de cette terre à la civilisation musulmane, laquelle a recueilli et fait siens les signes que Dieu a envoyés aux hommes avant l’islam94.
56Le thème des corps qui ne s’altèrent pas revient à plusieurs reprises sous la plume des géographes. Outre celle que nous venons de citer, plusieurs autres anecdotes de ce genre figurent dans la littérature géographique : à Abtīr95, on peut voir un tombeau taillé dans le roc, connu sous le nom de « tombeau du Martyr » (qabr al-šahīd) ; lorsque l’on soulève l’une des dalles qui le recouvrent, apparaît un corps intact, dont les cheveux poussent96. Dans une grotte de Qarnāta, lieu énigmatique situé « dans une région éloignée des centres habités », se trouve également un cadavre d’homme demeuré intact97. À Loja, dans une caverne de la montagne, reposent quatre corps d’hommes dont on ignore l’origine :
« On se transmet de père en fils qu’on les a toujours vus là. Les souverains et les gouverneurs ont sans cesse fait prendre soin d’eux et veiller au renouvellement de leurs vêtements funéraires ; on ne les en revêt qu’après les avoir copieusement lacérés, pour enlever aux vauriens la possibilité d’en tirer profit, dans le cas où ils les en dépouilleraient98. »
57Le merveilleux réside là en la transgression des habituelles lois de l’humaine condition. Si le pays de Cocagne, inventé par l’Occident latin du xiiie siècle, apparaît comme la terre d’élection de pratiques qui se situent à l’opposé des contraintes du quotidien (oisiveté, liberté sexuelle, abondance alimentaire, etc.), nous touchons, avec ces histoires de cadavres qui ne se décomposent pas, au mystère absolu : celui de la mort.
58Si le merveilleux « lointain » est l’occasion de faire une intrusion dans les marges spatiales de l’Islam, le merveilleux de l’intérieur, celui des monuments du passé ou des mystères de la nature et de la Création, permet d’en explorer les marges temporelles. Le merveilleux est alors à la géographie ce que le mythe est à l’histoire : le moyen de divertir tout en instruisant, le procédé qui permet d’ancrer des thèmes universels dans un substrat local. Les ʿağāʾib ont donc toute leur place au sein de la géographie d’al-Andalus car, pour rendre compte de la diversité et de la richesse d’un territoire, il faut aussi en inventorier les mystères. Le merveilleux contribue dès lors, tout autant que la quantification des ressources ou l’énumération des toponymes, à l’élaboration d’un savoir sur la péninsule Ibérique et à la constitution d’un adab andalou.
Métissage des données et public de la géographie
59C’est davantage par l’intermédiaire de l’analyse d’une écriture que par celle de rares informations périphériques que l’on peut faire une histoire plus sociale ou sociétale de la géographie. Nous savons peu de chose de la diffusion de ces œuvres de géographie, leurs auteurs nous sont en grande partie inconnus, mais l’ancrage de la géographie dans la littérature d’adab permet d’entrapercevoir sa fonction et son public : vulgariser des données scientifiques et techniques en les « littérarisant », afin de donner à l’honnête homme, selon l’heureuse formule transposée par André Miquel, une vision d’un territoire, son territoire, celui du dār al-islām et de ses principales provinces. André Miquel a montré combien la géographie, écrite dans une langue « moyenne », par des auteurs éloignés des extrêmes dans le domaine religieux99, contribue à l’élaboration d’une culture générale de l’Islam, destinée à ceux que leur culture et certainement leurs revenus distinguent de la plèbe100. Les géographes sont certainement ces « bourgeois de l’intellect101 » qu’il décrit :
« Dilettantes, scribes, voyageurs ou commerçants, la fonction sociale et même l’origine de ces écrivains importent moins, au bout du compte, que le trait commun qui les réunit : la culture. Il s’agit là d’une classe véritable : celle qui lit et, à l’occasion, compose, celle qui, à défaut du sang, du rang ou de l’argent, trouve dans son savoir le moyen d’accéder à une élite dont elle est ainsi l’un des groupes : culture d’élite, donc, parce que, comme les autres formes du pouvoir social, le savoir permet d’échapper à la condition vulgaire, mais en même temps culture bourgeoise, dans la mesure où l’idéal qu’elle propose reste, à l’égal de l’argent et à la différence du sang ou du rang, accessible à tout homme moyen doté des qualités suffisantes102. »
60Le public visé serait donc plus large que les seuls cercles savants. La question du nombre de manuscrits conservés, reflet de la diffusion des ouvrages, est cependant à manipuler avec prudence car l’absence de sources ne peut suffire à fonder une problématique. Les aléas du temps et les problèmes de conservation de ces ouvrages expliquent bien des disparitions. C’est donc en précisant qu’il est bien difficile de les interpréter que nous livrons les données suivantes :
- Aucun exemplaire en arabe de l’ouvrage de Rāzī, même très postérieur, n’a été conservé. Nous ne disposons que d’une version castillane, elle-même établie à partir d’une traduction portugaise du début du xive siècle.
- De l’ouvrage de ʿUḏrī ne subsistent que les passages relatifs à certaines régions d’al-Andalus. Les feuillets ayant été découverts à Jérusalem, il est vraisemblable de penser que les lecteurs orientaux ont privilégié la description de l’occident du monde musulman.
- Nous conservons du Kitāb al-masālik wa al-mamālik de Bakrī douze manuscrits (qui se trouvent à Paris, Alger, Londres, Rabat, Fès, Istanbul, Madrid, mais aussi en Inde)103. Aucun n’est complet. Quatre d’entre eux sont datés : le plus ancien date du xiie siècle, le plus récent du xixe siècle.
- Plus nombreux sont les manuscrits qui nous sont parvenus de la Nuzhat al-muštāq d’Idrīsī, une quinzaine au total, selon R. Rubinacci104.
- Le texte presque complet de Ḥimyarī a été retrouvé par É. Lévi-Provençal dans les années 1930 ; ce dernier a reconstitué la partie relative à l’Espagne à l’aide de quatre manuscrits trouvés à Salé, Tombouctou, Fès et Meknès.
61Il semblerait donc que ces ouvrages de géographie, dont les auteurs ont été jugés peu dignes de figurer dans les dictionnaires biographiques, ont été néanmoins conservés, recopiés au fil des siècles et sauvés de l’oubli. La plupart des importants juristes médiévaux, objet en leurs temps de toute l’attention de leurs contemporains, ne peuvent être crédités d’un tel bilan105. Force est donc de manipuler avec précaution les informations fournies par la littérature biographique.
62Sont également fort instructives sur le public visé les réflexions que les géographes livrent eux-mêmes dans un exercice de style souvent convenu. Comme Strabon précisant que son traité se devait d’être d’« intérêt général et servir à la fois le citoyen actif et le peuple106 », les auteurs andalous ont l’ambition de faire œuvre utile. Or n’est utile que ce qui est compréhensible par un certain nombre et facilement utilisable, d’où le rejet d’une exhaustivité qui serait rébarbative107. Ḥimyarī souligne ainsi que, s’il avait dépeint dans son ouvrage toutes les localités, « il n’eût été réservé qu’à un petit nombre de lecteurs d’en profiter » ; s’il ajoute que son livre a intéressé un « groupe de savants » et que « des personnages aux vastes connaissances en ont établi des copies », c’est davantage pour justifier sa démarche, celle qui consiste à écrire un ouvrage de géographie, que pour indiquer la délimitation de son public.
63Les géographes écrivent certes pour leurs alter ego, les lettrés, mais il est assez probable qu’ils s’adressent également à un public plus large : celui des hommes éclairés, ceux-là mêmes qui devaient fréquenter les bibliothèques108, des hommes avides de renseignements concernant l’exotisme divertissant des peuples inconnus, mais aussi traitant des autres parties du dār al-islām. Or quelle discipline sinon la littérature géographique peut fournir la liste des noms de lieux, énumérer les peuples lointains, indiquer les routes et les itinéraires, et rapporter les principales anecdotes ayant trait à chaque lieu ? La géographie participe à la constitution d’une culture commune à l’ensemble du monde musulman, culture qui fait office de liant permettant de préserver l’unité d’un ensemble qui a éclaté politiquement au xe siècle et au sein duquel un lettré andalou connaît semblet-il mieux son homologue du Khurāsān que ses voisins de Castille. Il semble donc probable que la littérature géographique dans son ensemble, tiraillée entre prétention « scientifique » et volonté de plaire, ait pu toucher un public bien plus large que ne le laisseraient supposer la faible quantité de manuscrits conservés ou le peu d’intérêt manifesté par les dictionnaires biographiques à l’égard de leurs auteurs, un public qu’il nous faut cependant nous résoudre à ne pas pouvoir cerner plus précisément.
Notes de bas de page
1 L’œkoumène est perçu comme une île aux dimensions réduites, perdue dans l’immensité du globe. Cratès de Mallos (vers 160 avant J.-C.) avait émis l’hypothèse de l’existence de trois autres œkoumènes dans les trois autres parties du monde. Cf. C. Nicolet, L’inventaire du monde. Géographie et politique aux origines de l’Empire romain, Paris, Hachette, 1988, p. 95 et suiv.
2 Dans un ouvrage intitulé L’empire des cartes (Paris, Albin Michel, 1992), C. Jacob montre le rapport ambigu qu’entretient le discours géographique avec l’« inconnu » : le support graphique qu’est la carte s’en défie ontologiquement au point que les « vides » sont parfois comblés par l’écriture même des légendes et traditions relatives à ces terres dont on pressent l’existence mais qui restent à découvrir. La mention même du terme de terra incognita sur les zones restées blanches contribue à la maîtrise symbolique de l’inconnu.
3 L’inutilité de la description de ce que l’on connaît déjà est notamment illustrée, à titre de comparaison, par la littérature byzantine : c’est aux croisés (comme Odon de Deuil), aux prisonniers (Hārūn ibn Yaḥyā au xe siècle) ou aux marchands qu’il revint de décrire la reine des villes, Constantinople.
4 Idrīsī, texte, p. 541 ; trad., p. 260.
5 A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., t. I, p. 357.
6 Ḥimyarī, texte, p. 153-158 ; trad., p. 183-190.
7 Cet ouvrage perdu est peut-être, de l’avis de Lévi-Provençal, une chronique de l’époque almohade.
8 Ḥimyarī, texte, p. 21 ; trad., p. 28.
9 Ḥimyarī, texte, p. 1-4 ; trad., p. 3-8.
10 Cette unique mention du nom d’Idrīsī figure dans la notice décrivant la grande mosquée de Cordoue, Ḥimyarī, texte, p. 156 ; trad., p. 187.
11 Ḥimyarī, texte, p. 100, 159, 216 ; trad., p. 80, 132, 180. Ibn Ḥayyān (987-1076) est l’auteur d’une grande histoire d’al-Andalus : le Muqtabas.
12 Ḥimyarī, texte, p. 37 ; trad., p. 46.
13 Dans le prologue de son ouvrage, Ḥimyarī écrit : « Après l’avoir rédigé, j’ai comparé mon ouvrage avec le livre documentaire intitulé Nuzhat al-muštāq [d’Idrīsī] ; j’ai trouvé que le mien est bien plus utile, renferme plus de renseignements, accuse plus d’ampleur en ce qui concerne les sciences de l’histoire et la variété des événements. Il embrasse même plus complètement la description des lieux géographiques ; l’autre ouvrage n’en mentionne en effet qu’un petit choix, sur des régions particulières et peu nombreuses ; il ne doit son étendue qu’à l’insistante répétition de phrases comme : “De tel endroit à tel autre, il y a cinquante milles ou vingt parasanges.” Quant aux détails sur les régions, qu’il est bon de rappeler et agréable d’entendre, ainsi des traits plaisants, des descriptions singulières ou charmantes, on ne les y trouve qu’en petit nombre de passages. Joignez-y la difficulté qu’on éprouve, en le consultant, à y découvrir du premier coup ce que l’on désire : on n’y parvient qu’au bout de pénibles recherches. »
14 Sur les cinquante-neuf localités andalouses que décrit Idrīsī dans son chapitre sur la première section du IVe climat, seules sept (Al-Fahmīn, Lucena, Zorita, Buriana, Daroca, Medinacelli et Elvas) ne font pas l’objet d’une notice dans le dictionnaire géographique d’Ḥimyarī, et quatre (Mequinenza, Najera, Carrion et Astorga) sur les treize localités andalouses du Ve climat. Dans la plupart des cas, l’intégralité des informations fournies par Idrīsī sont recopiées par Ḥimyarī et amalgamées à d’autres données.
15 Lorsque le géographe sicilien écrit que le roi Roger, en fait le géographe lui-même, s’est résolu à glaner des informations auprès d’indicateurs les plus divers après avoir constaté l’indigence des ouvrages de géographie antérieurs, il n’omet pas de donner la longue liste de ces livres afin que personne ne puisse l’accuser d’ignorer l’histoire de la discipline. Et si le géographe en conclut que le contenu de ces ouvrages n’est « ni clair, ni complet et détaillé, mais au contraire rapide », et qu’il dut faire appel à d’autres formes de témoignage, il n’entend pas pour autant abolir la tradition géographique, mais seulement confirmer, parfois même en l’enrichissant, un corpus de données.
16 J. Starobinski, « La littérature », dans J. Le Goff, P. Nora (dir.), Faire de l’histoire, t. II, Nouvelles approches, Paris, Gallimard, 1974, p. 170-171.
17 On ne recopie de plus jamais in extenso, on opère des choix ; or « cette pratique si répandue du recueil d’extraits, qui, dans le domaine patristique, ne suscite pas de jugements péjoratifs, est curieusement considérée comme le crime majeur de ces géographes de cabinet », souligne P. Gautier Dalché dans « Un problème d’histoire culturelle : perception et représentation de l’espace au Moyen Âge », Médiévales, 18, 1990, Espaces du Moyen Âge, p. 13.
18 C’est le cas notamment lorsque Bakrī (xie siècle) et même Ḥimyarī (xive siècle) donnent les chiffres de l’impôt du règne d’al-Hakam I (796-822).
19 Les géographes attribuent une forme triangulaire à la péninsule Ibérique. Elle est une île ou presqu’île (ğazīra).
20 Cette opposition, qui s’impose au début du xixe siècle chez les géologues, est considérée par les ethnologues actuels comme totalement dépassée ; cf. l’article de J.-Y. Durand, « Entre sédiments, strates et failles : le “terrain”, une métaphore minée ? », Ethnologie française, XXXI, janvier-mars 2001, Terrains minés en ethnologie.
21 Ibid., p. 129.
22 C. Jacob, La description de la terre habitée de Denys d’Alexandrie ou la leçon de géographie, Paris, Albin Michel, 1990, p. 24.
23 Ibid., p. 25-26.
24 Sous-entendu « de Cordoue », Bakrī, texte, p. 527 ; trad., p. 300.
25 Masʿūdī lui-même, grand défenseur du voyage, exprime cependant toute sa méfiance à l’égard des informations collectées auprès des marins : « J’ai remarqué que les navigateurs de Sīrāf et de l’Oman qui parcourent les mers de Chine, de l’Inde, du Sind, de Zanzibar, du Yémen, de Qulzum (la mer Rouge) et de l’Abyssinie fournissent sur l’océan Indien des renseignements qui diffèrent pour la plupart de ceux que donnent les philosophes et les autres [savants] d’après lesquels nous avons indiqué les dimensions et la superficie des mers. Ils soutiennent même qu’à certains endroits, l’immensité des eaux n’a pas de limites. J’ai fait la même observation dans la Méditerranée, auprès des capitaines de vaisseaux de guerre et de commerce, auprès des commandants et des officiers, enfin auprès de ceux qui sont préposés à l’organisation de la marine militaire […]. Tous exagèrent la longueur et la largeur de la Méditerranée, le nombre de ses golfes et de ses ramifications », Murūğ al-Ḏahab, I, p. 92, cité dans H. Touati, Islam et voyage au Moyen Âge…, op. cit., p. 148.
26 Ğāhiẓ, le célèbre polygraphe (m. 255/868), affirmait déjà la prééminence de l’œil : « J’ai vu des gens tenir tête à la vérité quand elle est acquise par déduction, je n’en ai jamais vu lui résister quand elle résulte de l’observation directe », Kitāb al-Tarbīʿ, p. 308, cité dans H. Touati, Islam et voyage au Moyen Âge…, op. cit., p. 132. Sur la différence entre l’œil et l’oreille, cf. F. Hartog, Le miroir d’Hérodote, Paris, Gallimard, 1980 [rééd. 1991], p. 395-459.
27 Masʿūdī, Murūj al-Ḏahab, I, p. 84-85, cité dans H. Touati, Islam et voyage au Moyen Âge…, op. cit., p. 139. « Que Masʿūdī place son œuvre, au moins en partie, sous le signe de l’aventure est révélateur de sa grande curiosité. Qu’il l’ouvre d’emblée par un éloge du voyage est une manière d’énoncer les vertus de l’autopsie. Loin de fonctionner comme un thème littéraire propre au genre de l’adab – c’est ainsi qu’il apparaît chez Ibn al-Faqīh par exemple – cet éloge va au-delà du simple usage ornemental. Il est mis en avant comme une autoréférence à laquelle sont assignées des fonctions d’adresse : il donne à voir un homme qui sait de quoi il parle pour avoir beaucoup voyagé », analyse H. Touati, ibid., p. 145.
28 Ibid., p. 161. À lire le fameux passage de Muqaddasī sur la nécessité du voyage, comment ne pas penser à Apolonios de Tyane, auquel Flaubert fait dire : « J’ai devisé avec les Samanéens du Gange, avec les astrologues de Chaldée, avec les mages de Babylone, avec les druides gaulois, avec les sacerdotes des nègres ! J’ai gravi les quatorze Olympes, j’ai sondé les lacs de Scythie, j’ai mesuré la grandeur du désert », La tentation de saint Antoine. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1951, t. I, p. 92.
29 Muqaddasī, Aḥsan al-Taqāsīm, p. 399, cité dans H. Touati, Islam et voyage au Moyen Âge…, op. cit., p. 163.
30 Ibid., p. 11-12.
31 Strabon, Géographie, texte établi et traduit par G. Aujac, Paris, Les Belles Lettres, 1969, t. I, 1re partie, § 23, p. 85.
32 C. Jacob, La description de la terre habitée de Denys d’Alexandrie…, op. cit., p. 13.
33 Rāzī, p. 74. La plupart de ces toponymes n’ont pu être identifiés par É. Lévi-Provençal.
34 La racine graphein signifie à la fois dessiner et écrire.
35 Sur les liens entre géographie et cartographie au Moyen Âge, voir le no 18 de Médiévales, de 1990, consacré à « L’espace du Moyen Âge », et notamment les contributions de P. Gautier Dalché : « Un problème d’histoire culturelle : perception et représentation de l’espace au Moyen Âge », p. 5-15, et de P. Arnaud : « Plurima Orbis Imago. Lectures conventionnelles des cartes au Moyen Âge », p. 33-51. Voir également J. Goody, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p. 108-196.
36 Sur la complémentarité et la simultanéité de ces deux systèmes de représentation de l’espace, cf. C. Nicolet, L’inventaire du monde…, op. cit., Paris, Hachette, 1988, p. 106-107 ; C. Jacob, L’empire des cartes…, op. cit., 1992.
37 Ibid., p. 44.
38 Dans L’invention du quotidien, t. I, Arts de faire (Paris, UGE, 1980 ; rééd. Paris, Gallimard [Folio Essais], 1990), M. de Certeau distingue ainsi deux modèles de représentation de l’espace : l’itinéraire, une « série discursive d’opérations » et la carte, une « mise à plat totalisant les observations », p. 210-212.
39 Comme le souligne P. Gautier Dalché, spécialiste de la question, c’est au xiie siècle que l’on constate une « confiance accordée à la carte comme objet privilégié d’investigation et d’action sur le monde », La « Descriptio mappe mundi » de Hugues de Saint-Victor, Paris, Études augustiniennes, 1988, p. 124.
40 C. Jacob, L’empire des cartes…, op. cit., p. 29.
41 C’est ce qu’a démontré P. Gautier Dalché à propos d’Idrīsī dans Carte marine et portulan au xiie siècle. Le Liber de existencia riveriarum et forma maris nostri mediterranei (Pise, circa 1200), Rome, École française de Rome, 1995.
42 C. Jacob, La description de la terre habitée de Denys d’Alexandrie…, op. cit., p. 12.
43 Le fils de Rāzī précise que son père abandonna les belles lettres pour se livrer à l’étude de l’histoire ; cf. infra, troisième partie, chapitre consacré à Rāzī.
44 Rāzī, p. 62.
45 Bakrī est certainement de nos auteurs celui qui a décrit avec le plus de verve les merveilles de la flore andalouse, ainsi qu’en témoignent ces quelques extraits : « Près d’Ocsonoba, se trouve une montagne appelée montagne du paradis (Ğabal al-Ğanna) où l’on trouve en abondance un bois qui, une fois brûlé, exhale un parfum délicieux. […] On trouve dans l’île de Sātin une mousse précieuse (zabad), couverte de résine sur ses deux extrémités ; dans la montagne de Calatayud, la myrrhe est très agréable, etc. ». Bakrī, texte, p. 523 ; trad., p. 289.
46 Ḥimyarī, texte p. 23 ; trad., p. 29.
47 Les premières œuvres notables de ce type sont la Périégèse d’Hécatée de Milet (fin vie -début ve siècle av. J.-C.), celle d’Eudoxe de Cnide (ive siècle), ainsi que le long poème géographique de Denys d’Alexandrie. Strabon, dans les dix-sept livres de sa Géographie, s’inscrit également dans cette voie.
48 La formule, reprise par C. Jacob, renvoie à une curiosité du xixe siècle : la constitution de jardins géographiques dont les détails paysagers représentaient les contours de la Terre ou les principales caractéristiques physiques et topographiques, L’empire des cartes…, op. cit., p. 165.
49 G. von Grünebaum, L’Islam médiéval, histoire et civilisation, Paris, Payot, 1962, p. 274 et suiv. ; F. Gabrieli, EI, 2, t. I, p. 180-181 ; C. A. Nallino, La littérature arabe des origines à l’époque de la dynastie umayyade, trad. C. Pellat, Paris, Maisonneuve, 1950, p. 7 et suiv. ; C. Pellat, Langue et littérature arabes, Paris, Armand Colin, 1952, p. 127-128 ; A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., t. I.
50 G. von Grünebaum, L’Islam médiéval, histoire et civilisation, op. cit., p. 282.
51 Le titre du chapitre V du tome I de La géographie humaine du monde musulman s’intitule « Ibn al-Faqīh ou la géographie vue par l’adab », p. 153-189.
52 A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., t. I, p. 36.
53 M. G. S. Hodgson, The Venture of Islam, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1974, t. I, p. 453-454.
54 Éd. de Beyrouth, 1374-1376/1955-1956, 15 vol., t. I, p. 580-581.
55 Selon A. Miquel, c’est essentiellement avec le grand Ğāhiẓ que le merveilleux est l’occasion du doute et de la recherche, La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., t. I, p. 42 et suiv.
56 Ibrahīm Ibn Wasīf Šāh, Abrégé des merveilles, trad. et ann. par Carra de Vaux, Paris, Sindbad, 1984.
57 Rāzī, p. 60 ; Idrīsī, texte, p. 14 ; trad., p. 69 ; Ḥimyarī, texte, p. 145-149 ; trad., p. 173-178.
58 Idrīsī, texte, p. 526 ; trad., p. 246 ; Ḥimyarī, texte, p. 83 ; trad., p. 103.
59 Idrīsī, texte, p. 545-547 ; trad., p. 264-65.
60 Bakrī, texte, p. 537 ; trad., p. 313.
61 Ḥimyarī, texte, p. 35 ; trad., p. 44.
62 Idrīsī, texte, p. 565 ; trad., p. 285 ; Ḥimyarī, texte, p. 39 ; trad., p. 49.
63 Ḥimyarī, texte, p. 62 ; trad., p. 78.
64 Ḥimyarī, texte, p. 70-71 ; trad., p. 88.
65 Sur la ville de cuivre (ou d’airain), voir l’article de J. Dakhlia, « Un miroir de la royauté au Maghreb, la ville d’airain », dans P. Cressier, M. García-Arenal (éd.), Genèse de la ville islamique en al-Andalus et au Maghreb occidental, Madrid, Casa de Velázquez/CSIC, 1998, p. 17-36.
66 Rāzī, p. 73.
67 Rāzī, p. 84.
68 J. A. Fierro Cubiella, Puntualizaciones sobre el « Templo gaditano » descrito por los autores árabes, Cadix, 1983 ; J. Hernández Juberias, La península imaginaria, mitos y leyendas sobre al-Andalus, Madrid, CSIC, 1996.
69 La mention de la ville de Ceuta, dont on ne sait ce qu’elle vient faire à ce moment du récit, est peut-être l’indice d’un passage non pas compilé dans la littérature géographique andalouse antérieure, mais rédigé par Ḥimyarī lui-même, dont la famille était réfugiée à Ceuta. Peut-être a-t-il eu accès à certaines sources locales.
70 Ḥimyarī, texte, p. 145-148 ; trad., p. 173-177.
71 Le calife omeyyade Hišām II reconnut pour son héritier le fils d’al-Manṣūr, ʿAbd al-Raḥmān Sanğūl, ce qui eut pour conséquence le déclenchement d’une émeute à Cordoue, le 16 ğumādā II 399 (15 février 1009), et le début d’une guerre civile de trente ans (1009-1031), la fitna, au cours de laquelle le califat omeyyade devait sombrer.
72 En 1145, Cordoue fut momentanément occupée par le transfuge hudide Ahmad b. ʿAbd al-Malik, connu dans les chroniques chrétiennes sous le nom de Safadola (Sayf al-Dawla), avec l’aide de troupes chrétiennes fournies par Alphonse VII de Castille.
73 Bakrī, texte, p. 537 ; trad., p. 313.
74 Ḥimyarī, texte, p. 123 ; trad., p. 149-150. Cette statue inspira des vers à de nombreux poètes, dont Abū Tammām Ġālib b. Rabāḥ al-Ḥağğām, traduit par H. Pérès, Poésie andalouse, p. 333. Sa description constitue bien un cliché de la littérature andalouse.
75 L’expression est d’A. Miquel et figure dans la préface de L’abrégé des merveilles, op. cit., p. 13.
76 Ibid., p. 12.
77 Toponyme non identifié par É. Lévi-Provençal.
78 Ḥimyarī, texte, p. 113 ; trad., p. 138-139.
79 Bakrī, texte, p. 544 ; trad., p. 324 ; Ḥimyarī, texte, p. 64 ; trad., p. 80-81.
80 Ḥimyarī, texte, p. 47 ; trad., p. 59.
81 Ḥimyarī, texte, p. 102 ; trad., p. 125.
82 La Sierra de Almadén. Ḥimyarī, texte, p. 142 ; trad., p. 171.
83 Ḥimyarī, texte, p. 114-115 ; trad., p. 141.
84 Ḥimyarī, texte, p. 192 ; trad., p. 233.
85 Toponyme non identifié.
86 Ḥimyarī, texte, p. 194 ; trad., p. 235.
87 Ḥimyarī, texte, p. 194 ; trad., p. 235.
88 Ḥimyarī, texte, p. 150, trad., p. 179. L’existence de cette grotte est également mentionnée par Rāzī, cité par Maqqarī, Anal., I, p. 125, et par ʿUḏrī, cité par Qazwinī, Cosm., II, p. 368-369. Les Slaves évoqués ici sont peut-être ceux qui furent battus avec l’émir esclavon Zuhayr par le roi berbère de Grenade, Bādis, en 429/1038.
89 Cf. A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., t. III, p. 1-107.
90 Ḥimyarī, texte, p. 105 ; trad., p. 128.
91 Ḥimyarī, texte, p. 121 ; trad., p. 148. Il s’agit d’un thème de prédilection du merveilleux. Dans un célèbre passage, Ğāhiẓ évoquait la terre en ses premiers temps, marquée de l’empreinte d’Adam (cité dans A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., t. III, p. 104).
92 Ḥimyarī, texte, p. 100 ; trad., p. 123.
93 Ḥimyarī, texte, p. 78 ; trad., p. 98.
94 La légende des sept dormants d’Éphèse retrace l’épopée de sept jeunes gens chrétiens qui se seraient réfugiés et « endormis » dans une caverne au temps des persécutions, puis réveillés deux ou trois siècles plus tard alors que le christianisme s’est imposé. Ce récit est également exposé dans la sourate de la Caverne. La bibliographie concernant la caverne des sept dormants (ou parfois des cinq dormants) est pléthorique ; citons quelques références incontournables, dont L. Massignon, « Les sept dormants. Apocalypse de l’Islam », AB, LXVIII, 1950, p. 254-260 ; J. Hernández Juberias, La península imaginaria…, op. cit., p. 121-161.
95 Toponyme non identifié ; l’auteur précise qu’il s’agit d’un château fort situé à proximité de Badajoz.
96 Ḥimyarī, texte, p. 11 ; trad., p. 16. L’existence de cette caverne est également mentionnée par ʿUḏrī.
97 Ḥimyarī, texte, p. 160 ; trad., p. 191.
98 Ḥimyarī, texte, p. 173 ; trad., p. 208-209, d’après ʿUḏrī.
99 A. Miquel évoque l’appartenance de ces lettrés à un islam « doctrinalement divers et modéré », dans La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., t. I, p. 341. Les auteurs andalous ne consacrent pas une seule ligne à l’évocation d’un malikisme triomphant ou à la stigmatisation de la doctrine shiite par exemple.
100 Ibid., chap. IX, p. 331-362.
101 Ibid., p. 345.
102 A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman…, op. cit., p. 346-347.
103 S. Bouamrane, « Kitāb al-Masālik wa al-mamālik » de Abū ʿUbayd al-Bakrī ( xie siècle). Édition critique partielle avec introduction, traduction et notes, thèse de doctorat soutenue en 1993, à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de J. Devisse, non publiée, p. 34-40 ; EI, 2, t. I, p. 160-161.
104 R. Rubinacci, « La data della geografia di al-Idrīsī », Studi magrebini, III, 1970, p. 73-77.
105 Pieusement recensés dans les dictionnaires biographiques dont ils sont les ornements, ces juristes n’ont dans leur grande majorité rien écrit ; il ne reste d’eux que quelques notes de cours, disparues avec leurs disciples ou intégrées à des manuels.
106 Strabon, Géographie, texte établi et traduit par G. Aujac, Paris, Les Belles Lettres, 1969, t. I, première partie, § 22, p. 84.
107 Strabon précise que son lecteur doit posséder quelques notions de mathématiques, mais que les rudiments suffisent amplement car la géographie n’est pas l’astronomie (ibid., § 21, p. 83-84).
108 H. Touati précise l’importance des nombreuses bibliothèques privées et princières, largement ouvertes aux hommes de sciences, constituées parfois en donation pieuse, en bien de mainmorte (waqf), comme celle de Basra en Iraq, où l’on pouvait consulter de très riches ouvrages ; Islam et voyage au Moyen Âge…, op. cit., p. 167 et suiv.
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