Chapitre I. Évolution des logiques territoriales, le tournant de l’entre-deux-guerres
p. 309-351
Texte intégral
1Le 1er janvier 1912, par un arrêté du gouverneur général de l’AOF William Ponty, le territoire militaire du Niger, jusque-là dépendant du Haut-Sénégal-Niger, reçoit son autonomie administrative. Mais cette transformation ne signifie nullement que le territoire soit alors entièrement occupé ou conquis, l’occupation y est encore fragile. Les actions de guerre sont fréquentes et des résistances ont vu le jour dans tout le territoire pendant ces deux premières décennies d’occupation. Des révoltes ont lieu et continuent de se produire, dans l’Ouest en 1905-1906, à Orida en 1906, à Agadem en 1908, à Achegour, Dirki et Achourat en 1909, à Karam et Asselagh en 19101. Alors que l’occupation se met à peine en place, la Première Guerre mondiale commence, favorisant le soulèvement et la désobéissance de nombreuses populations assujetties. Ce n’est qu’après la guerre de l’Aïr2, la défaite de Kaocen en 1917 et la terrible répression qui s’en est suivie3 que les populations du territoire militaire du Niger, et particulièrement les Touaregs, abandonnent la stratégie de l’affrontement, prennent acte des nouveaux rapports de force et acceptent le compromis avec les autorités coloniales.
2La période de conquête se termine au Niger au cours des années 1920 et s’amorce avec le passage à l’administration civile lorsque le territoire militaire devient colonie en 1922. Pour les régions que le colonisateur désigne comme l’espace utile, l’administration civile met effectivement fin à cette période de conquête. Mais, pour le Nord, l’Est et le Nord-Est du territoire, considérés par l’occupant comme des marches inutiles, cette période s’étend jusqu’aux années 1930. Le passage à l’administration civile et plus encore la reconnaissance et la délimitation de l’ensemble du territoire en 1930 marquent le début d’une nouvelle période d’administration.
3Le territoire théoriquement pacifié, selon la terminologie coloniale, les administrateurs et les militaires peuvent désormais se préoccuper d’administration. L’entre-deux-guerres est une période de changement de personnel, les militaires laissent peu à peu la place aux civils et à une nouvelle génération d’administrateurs sortant de l’École coloniale4. Ces jeunes hommes posent un regard neuf sur les organisations territoriales coloniales et sur leurs frontières. À partir de 1930, les préoccupations administratives prennent progressivement le pas sur les logiques militaires. Une administration bureaucratique se met en place, avec des objectifs qui restent concentrés sur le contrôle et la surveillance.
TERRITOIRE « PACIFIÉ », TERRITOIRE RECONFIGURÉ
4La période d’administration coloniale au Niger, qui commence en 1922, est un moment de redéfinition territoriale. En effet, les préoccupations de l’administration coloniale – contrôle des migrations, recrutement, gestion de la chefferie, perception des impôts – impliquent un cadre territorial clairement défini. Plus l’administration se développe, plus ce cadre doit être rigoureusement et strictement déterminé, ses frontières connues, voire visibles, pour que les populations sachent quand elles les transgressent et pour que l’administration puisse identifier de quel territoire dépend chaque individu. Or, le cadre territorial, tel qu’il existe en 1922, ne répond pas à ces besoins. Les années 1920 inaugurent ainsi une période d’accroissement de l’activité territoriale de l’administration coloniale, caractérisée par la volonté de redéfinir et de repréciser les tracés précédemment établis5. Mais, si les besoins ont changé, les moyens de l’occupant sont toujours extrêmement faibles. Le Niger est un territoire sous-administré, avec un personnel colonial, militaire et administratif confondu d’à peine 220 hommes pour gérer plus d’un million d’habitants et un territoire d’1 200 000 kilomètres carrés.
Le contrôle des confins sahariens
5Paradoxalement, au moment où s’affirme l’idée d’un territoire entièrement conquis, une des préoccupations de l’occupant colonial est de reprendre l’avancée saharienne. Le caractère stratégique du Sahara oriental pour la sécurité de l’Algérie et de l’AOF et pour l’unité de l’Afrique française est de nouveau mis en avant dans l’entre-deux-guerres. Les préoccupations sécuritaires, révélées par le soulèvement de l’Aïr, se combinent alors avec un nouvel âge d’or de fascination pour le Sahara, notamment à travers la réactivation du projet transsaharien, la naissance d’un discours sur les possibilités du sous-sol et le développement du roman saharien6. C’est donc vers le nord et le nord-est, en direction des frontières algérienne, fezzanaise et du Tibesti, que s’orientent les intérêts des militaires français7.
6Toute cette région échappe encore largement à l’administration du Niger, tout comme aux militaires du territoire des oasis et aux nouveaux occupants italiens. Le Tibesti, occupé en 1913, est abandonné en 1916 par crainte d’une offensive sanûsî imaginaire9, tout comme le Kaouar, Ghadamès et Djanet qui sont alternativement occupés, abandonnés et réoccupés. Cette région constitue une sorte d’angle mort de l’occupation française du Sahara. Comme le montre la carte de la colonie du Niger, publiée en 1922 par le Commissariat de l’AOF à l’occasion de l’Exposition coloniale de Marseille, et reproduite par le BCAF à l’occasion du passage à l’administration civile, ou les territoires au nord, à l’est et au nord-est sont de fait volontairement relégués hors du cadre. Ces régions sont mal connues, les données cartographiques fragmentaires et la frontière entre la colonie du Niger et le Fezzan n’a jamais été clairement précisée.
7Par un concours de circonstances historiques, diplomatiques et politiques, cette frontière a donné lieu à plusieurs accords, mais qui sont tous restés lettre morte. Paradoxalement, cette frontière est d’abord issue de l’accord du 21 mars 1899 entre la France et la Grande-Bretagne, bien que ce pays n’ait jamais colonisé la région, qui définit une ligne idéale s’appuyant uniquement sur des axes géométriques et dont l’objectif est de garantir le bloc africain français et, pour la Grande-Bretagne, l’hinterland égyptien10. À l’issue de ce tracé vague, la France ne se préoccupe plus pendant dix ans des confins nord-est du territoire militaire du Niger, considérés alors comme inaccessibles et impossibles à administrer. En 1911, la France et la Turquie s’apprêtent à délimiter leurs territoires respectifs, lorsque éclate la guerre italo-turque. En 1914, c’est avec l’Italie que la France s’apprête à négocier quand la Première Guerre mondiale est déclarée. Dans le cadre des compensations négociées lors du traité de Londres du 26 avril 1915, l’Italie souhaite modifier la frontière de 189911. Le traité Pichon-Bonin de 1919 établit un nouveau tracé. Mais cet accord ne met pas fin aux revendications italiennes, et l’Italie le dénonce dès 1921. C’est dans ce contexte, et afin d’affirmer les droits français sur la région, que l’oasis de Djado est occupée en 192312. En 1926, le puits de Toummo est visité pour la première fois par une mission de reconnaissance des troupes de la colonie du Niger13. En 1930, face aux revendications actives de l’Italie dans la presse et sur le terrain, un poste est créé à Madama par le lieutenant Séré de Rivière14. Après plusieurs incursions italiennes en territoire français et une campagne médiatique et politique en Italie, un nouvel accord est signé le 7 janvier 1935. Selon ce dernier, dit accord « Laval-Mussolini », la France consent à l’Italie plusieurs abandons territoriaux et notamment celui de la région à l’est de Toummo. Mais le traité ne sera jamais ratifié en raison de la rupture entre la France et l’Italie en 1938. Ici, la volonté de redéfinition territoriale est un échec. Malgré plusieurs négociations, la situation de la frontière demeure indéterminée.
8Toujours dans la perspective d’en finir avec le flou territorial, l’administration coloniale du Niger cherche à clarifier la situation du Tibesti. Le capitaine Gilles, commandant du cercle de Bilma, décrit avec humour en 1941 la situation paradoxale de la région à la fin des années 1910 : « Le cercle portait alors le nom pompeux de cercle du Kaouar-Tibesti, mais le Tibesti jouissait d’une situation très particulière : il était interdit au commandant de cercle et aux unités méharistes de s’y aventurer15. » Les militaires français ont, en effet, longtemps eu interdiction d’approcher la frontière du Fezzan16. Les commandants des cercles de Bilma et de Faya demandent, à plusieurs reprises, l’autorisation d’opérer une jonction afin de tracer la frontière entre leurs deux domaines d’administration, mais cela leur est formellement refusé17.
9La conquête du Fezzan par les Italiens en 1926 change clairement la donne, pour deux raisons. Premièrement, leur arrivée a pour conséquence un déplacement de populations vers le Tibesti dont les effets déséquilibrent les territoires plus au sud. Deuxièmement, les Français s’inquiètent de l’extension de l’avancée italienne. En effet, la frontière négociée en 1919 n’a jamais été délimitée sur le terrain. Il devient urgent d’acquérir de meilleures connaissances sur la région. Dans la logique qui prévaut depuis la conquête, l’occupation effective est le seul gage de la colonisation du point de vue du droit international. Ainsi, le cas où les Italiens installeraient des postes au Tibesti, ou dans la région de Toummo, ils pourraient, en l’absence de toute marque d’occupation française, se prévaloir de droits supérieurs à ceux de la France. De plus, peu satisfaite du tracé obtenu lors de la négociation de 1919, l’Italie mène une campagne pour affirmer ses droits sur le Tibesti. Pour toutes ces raisons, la nécessité de l’occupation effective du Tibesti s’impose aux autorités coloniales du Niger. Mais leur sentiment d’urgence n’est pas toujours partagé en haut lieu. Ainsi, en 1926, le gouverneur Brévié18 souhaite autoriser une tournée dans le Tibesti19, le ministre des Colonies, par la voie du gouverneur général, lui répond qu’il n’y a pas lieu de prendre au « tragique », les menaces italiennes. Il est, d’après lui, inutile de se rendre dans cette région clairement attribuée à la France, depuis 1899, et de risquer une mission dispendieuse, en des temps de restriction budgétaire. Mais il conclut en nuançant son propos et en laissant le gouverneur général seul juge20. Une fois encore, il est fait confiance aux hommes de terrain.
10Une tournée est donc projetée à la mi-novembre 1926. Dans ses instructions, le gouverneur Brévié évoque les raisons politiques qui la justifient, et replace la question du Tibesti dans une perspective plus administrative. Au-delà de la concurrence internationale, se posent les problèmes de la délimitation de l’AEF et de l’AOF, qui n’a jusque-là fait l’objet que d’accords temporaires entre commandants de cercle, et n’a donné lieu à aucun acte juridique, et la question de l’occupation et de l’administration du Tibesti. En effet, face aux difficultés que représente l’occupation de cette région pour la colonie du Niger, le gouverneur général avait proposé que cette zone soit rattachée à l’AEF. Le gouverneur Brévié avoue sa perplexité face à cette proposition et affirme que le mieux serait de maintenir le statu quo et donc de renoncer à l’occupation du Tibesti. Dans sa remarque conclusive, il avance que, si l’occupation effective était décidée, il préférerait qu’elle soit réalisée par l’AEF plutôt que par la colonie du Niger et se prononce dans ce cas pour le rattachement à l’AEF21.
11Une tournée de reconnaissance est envoyée sur le terrain, dirigée par le capitaine Rottier. Spécialement recommandé par le gouverneur Brévié auprès du gouverneur général, ce dernier a déjà effectué plusieurs tournées au Tibesti, en mai 1921, janvier-mai 1922 et juillet-septembre 1922. Il a également publié quelque temps auparavant une notice sur le Sahara oriental22 et serait, selon Brévié, « mieux qualifié que quiconque […] en raison de ses connaissances approfondies du pays et de ses habitants23 ». La mission, composée de deux officiers, d’un sous-officier et de quarante tirailleurs, atteint le Tibesti en décembre 1926 et rejoint Zinder en mars 192724. À l’issue de cette tournée, le capitaine Rottier rédige un long rapport dans lequel il se prononce pour le rattachement du Tibesti à l’AEF. Après une description géographique de quarante pages, il conclut à l’existence de deux régions au sein de ce que l’on nomme habituellement le Tibesti, celle du Tchigaï, habitée par la tribu des Goundas qui ont pour la plupart abandonné le Tibesti et ont émigré vers le Djado, et celle du massif du Tibesti, habité par les Touzoubas et les Tomaghéras25. La frontière préconisée par le commandant Rottier laisse à l’AOF la tribu des Goundas et ses terrains de parcours dans son entier, à l’exception de la fraction d’Issaï, dont les terrains de parcours excentrés feraient faire un détour trop important à la frontière.
12Il s’ensuit près de deux ans de débats épistolaires entre les commandants de cercle et les chefs de circonscription de Bilma, Zinder, du Borkou-Ennedi et de Faya, les gouverneurs du Niger et du Tchad, les gouverneurs généraux et le ministre26. Si l’option du rattachement, à l’exception du Tchigaï et de la tribu des Goundas, est acceptée par tous, plusieurs questions demeurent : la forme que devra prendre l’occupation, la localisation des postes à installer, le tracé exact de la frontière, les règles à adopter sur la question des mouvements des populations nomades et, enfin, la question d’Abo. Les administrateurs et les militaires argumentent, produisent des croquis, comme celui du commandant Aubert, afin de défendre leurs points de vue respectifs. En 1929, le gouverneur du Niger envoie de nouveau Rottier au Tibesti afin de démêler les différents arguments produits et de résoudre les « questions pendantes », lors d’une jonction avec le chef de bataillon Aubert, commandant la région du Borkou-Ennedi. Le commandant Rottier rédige, à l’issue de cette mission, un second rapport dans lequel il déclare que la question d’Abo ne se pose pas, « Abo n’est géographiquement, ethnographiquement, traditionnellement qu’une partie du Tibesti27 ». La délimitation future devra, selon lui, laisser à l’AEF le massif du Tibesti dans son entier, ainsi que les terrains de pâturage qui le bordent. Tandis que le Tchigaï tout entier devra rester à l’AOF. En transmettant ce rapport au département, Brévié insiste pour que le rattachement du Tibesti à l’AEF soit décidé dans les plus brefs délais car la situation devient critique28. En juillet 1929, la décision est prise et le Tibesti est définitivement rattaché à l’AEF.
13Le détachement d’une région et son passage d’un territoire à l’autre, ne sont pas un phénomène nouveau dans l’histoire de la gestion territoriale coloniale française. L’identification de régions, leur rattachement à un territoire mais aussi la modification de ce rattachement en fonction des évolutions du contexte et des difficultés de gestion sont une pratique courante. L’occupant a le souci d’améliorer son dispositif et, ainsi, de perfectionner le contrôle effectif du territoire. Les représentants de la colonie du Niger insistent, par exemple, longuement dans leurs rapports sur l’impossibilité pour le cercle de Bilma de contrôler un territoire éloigné par 600 kilomètres de désert aride. Mais si durant la période de conquête les arguments du contrôle territorial s’étaient conjugués avec ceux du respect des structures et des limites existantes, cette perspective semble jouer un rôle moindre dans cette période de redéfinition des tracés. C’est toujours à l’homme du terrain ayant effectué une longue mission de reconnaissance et ayant vécu parmi les populations qu’il est accordé le plus de crédit. Ici, le rapport du commandant Rottier a représenté la pierre angulaire de la décision. Mais les arguments et les méthodes considérés comme probants semblent avoir changé. Rottier fonde sa proposition de tracé sur la délimitation de deux régions géographiques et humaines. Son rapport s’appuie majoritairement sur une longue description géographique et peu sur des enquêtes réalisées auprès des populations ou sur des faits d’ordre historique ou politique. C’est sur ses propres observations qu’il fait reposer son analyse, là où, au début du siècle, l’interrogation des populations représentait le cœur de l’argumentation. La nouvelle frontière coupe d’ailleurs les terrains de parcours des Goundas pour des raisons de facilité administrative, rompant avec le principe de respect des terrains de parcours des nomades29. Le débat entre administrateurs et militaires se concentre désormais sur des questions d’administration et de gestion.
Repenser le puzzle de l’AOF
14À l’échelle impériale, la fin proclamée de la conquête et de la pacification de l’Afrique de l’Ouest ouvre une ère d’imagination territoriale. La configuration de l’AOF donne alors lieu à une série de projets plus ou moins précis et plus ou moins utopiques, visant à redéfinir sa composition territoriale au regard de sa nouvelles situation de territoire entièrement pacifié.
15Durant la Première Guerre mondiale, dès 1916, les lobbyistes du Comité de l’Afrique française s’interrogent sur les vastes réorganisations africaines qui pourront être réalisées à l’issue de la guerre. Augustin Terrier, secrétaire général du Comité, déclare lors d’une réunion à la Société de géographie que les accords de paix devraient permettre à la France d’acquérir non seulement des territoires allemands mais aussi ceux des alliés neutres afin de réaliser l’unification de l’Afrique de l’Ouest31. Son intervention rencontre un certain succès auprès des milieux coloniaux. À la fin du conflit, la question de l’attribution des territoires coloniaux allemands pousse le gouverneur général Angoulvant32 à imaginer de nouvelles configurations. Il préconise ainsi l’échange du Togo contre la Gambie, de la Sierra Leone contre le Dahomey, du Liberia contre les marges orientales du Niger – Gouré, N’Guigmi et les rives du lac Tchad – et, enfin, d’abandonner à l’allié italien les parties nord et est du territoire du Niger33. L’objectif est de créer un territoire plus homogène et plus cohérent. Dans ce projet, le territoire du Niger perd près de la moitié de sa superficie, considérée comme inutile et pouvant être offerte en contrepartie de territoires plus intéressants. En 1917, le gouverneur général Clozel élabore un autre projet du même type, selon lequel les frontières de l’Afrique de l’Ouest devraient être redessinées afin de tenir compte de son organisation humaine et de sa géographie économique34. Dans une sorte d’utopie territoriale, il accapare les territoires britanniques du Nigeria qu’il absorbe dans l’AEF35.
16En 1927, le colonel Maurice Abadie propose, lui, le démantèlement de la colonie du Niger et sa séparation en deux blocs, d’un côté la colonie du Moyen-Niger à cheval sur le fleuve Niger et, de l’autre, un Centre africain relevant de l’AEF36. Ce projet sera jugé peu viable et rapidement abandonné. En 1932, un vaste programme de réorganisation est élaboré par le gouverneur général Brévié, il propose la suppression de la Haute-Volta et la fusion de la Mauritanie et du Sénégal37. Finalement, seule la première partie du projet sera réalisée. En 1937, c’est le gouverneur général de Coppet qui propose un énième projet de réorganisation. Il réactive l’idée d’une fusion du Sénégal et de la Mauritanie et propose, dans la même logique, celle du Dahomey et du Niger38. Le projet séduit en partie le ministère et restera dans les cartons jusqu’à la conférence de Brazzaville. En 1941, c’est le gouverneur Deschamps qui propose un redécoupage de l’AOF en trois ensembles : une fédération Côte d’Ivoire, Haute-Volta et Guinée, une autre regroupant Sénégal, Mauritanie et Soudan, et enfin une dernière rassemblant Togo, Dahomey et Niger39.
17Tous ces projets ont des logiques sensiblement similaires, aux objectifs doubles : améliorer l’homogénéité de l’AOF et son rendement économique en réduisant les frais d’occupation et en facilitant la circulation à l’intérieur de la fédération.
Améliorer le dispositif
18D’autres réorganisations de grande ampleur touchent alors la colonie du Niger. En 1926, le cercle de Say lui est rattaché. À cette occasion un palabre est organisé, réunissant tous les « chefs du pays », selon la formule de l’administration coloniale. Mais il n’est plus question de demander aux populations de définir leur territoire, ou de recueillir leur avis sur les réorganisations territoriales en cours. L’objectif est de les prévenir qu’elles seront désormais rattachées au Niger et de leur présenter leur nouveau chef, le gouverneur du Niger Brévié41. Les populations ne sont sollicitées que pour se voir signifier la nouvelle disposition et afin qu’elles donnent leur approbation. Il n’est fait aucune référence à leurs savoirs ou à leur histoire, et c’est d’ailleurs le gouverneur « qui leur parle longuement de leurs affaires et de leurs pays42 ». L’expertise des administrateurs se suffit désormais à elle-même et la définition territoriale ne semble plus passer systématiquement par l’enquête et l’interrogation des populations.
19En 1932, la suppression de la Haute-Volta entraîne une autre réorganisation. Cette colonie, créée en 1919, est supprimée par décret le 5 septembre 1932. Les cercles de Dori et de Fada sont alors rattachés à la colonie du Niger, entraînant un débat sur la situation du cercle de Téra43. En effet, afin de créer une frontière naturelle, selon la terminologie utilisée par les administrateurs, entre la Haute-Volta et le territoire du Niger, la subdivision de Téra est détachée de celui-ci en 1910 et le fleuve Niger choisi comme frontière44. Or, rapidement, cette « délimitation arbitraire s’est révélée comme une faute45 » et les administrateurs s’insurgent dans leurs rapports contre cette « hérésie46 ». Selon eux, la frontière ne tient aucun compte des besoins économiques, politiques ou ethniques des populations ainsi séparées. En effet les populations de ces régions ont toujours vécu de part et d’autre du fleuve qui, bien loin de constituer une barrière, est au contraire le trait d’union permettant des échanges incessants entre les populations riveraines apportant, avec l’eau, la richesse dans le pays. Les administrateurs appellent donc de leurs vœux une nouvelle modification qui mettrait fin à cette situation absurde, entravant les populations dans leurs habitudes et leurs modes de vie. Mais au-delà de ces considérations, un thème rarement évoqué jusque-là à propos des délimitations de territoire apparaît dans les rapports de 1932 : selon les administrateurs, le tracé empêcherait la mise en valeur du Niger47. Les arguments d’ordre économique jouent un rôle déterminant dans leur argumentation sur le rattachement de Téra48.
20Des réorganisations ont aussi lieu à l’intérieur de la colonie à l’échelle des cercles. Par un arrêté du 28 mars 1931, la partie nord des cercles de Maradi et de Zinder est détachée afin de créer le cercle de Tanout. L’objectif est de « séparer nomades et sédentaires. Tanout devant être peuplé uniquement de nomades49 ». Il s’agit de créer un cercle à la population homogène et qui pourrait être géré selon les principes spécifiques de l’administration en territoire nomade. Selon le lieutenant Périé, « le but recherché était de réunir sous le même commandement des régions à peu près semblables géographiquement, humainement et économiquement50 ». Mais bien que, d’après l’administrateur Périé, ce but soit logique, cette réorganisation devient rapidement une source de difficultés considérables. En effet, les administrateurs réalisent vite que la nouvelle frontière coupe
« toutes lignes vitales de la région : voies de communication, routes commerciales, routes de transhumance de direction nord-sud, et permet à toute une population de transhumants d’échapper à l’impôt et aux taxes de pacage. D’autre part même pour les sédentaires, elle n’est pas une limite normale, car la zone des cultures sédentaires déborde vers le nord et atteint la vallée de Tarka51 ».
21La création de la subdivision de Tanout n’a donc pas rempli ses objectifs et n’a, en aucun cas, facilité l’administration. À la lumière du constat ainsi établi, on peut remarquer que la modification ne s’est pas appuyée sur une analyse fine des sociétés locales et de leurs modes de vie. Elle repose sur un présupposé, qui se renforce à l’époque et devient un thème récurrent de l’administration coloniale, l’incompatibilité naturelle des modes de vie sédentaire et nomade. Mais ce présupposé, une fois mis en pratique, révèle son absurdité. Les sédentaires et les nomades ont, dans la région, des modes de vie complémentaires fondés sur des échanges réciproques. Une fois l’expérience du cercle de Tanout abandonnée, le commandant de cercle de Maradi constate en 1955 que celui-ci a une structure « que l’on peut espérer définitive car elle répond exactement aux impératifs politiques et surtout économiques de la région52 ».
22Les colonisateurs semblent avoir changé de logique et de méthode. Leurs méthodes et leurs pratiques semblent désormais influencées par la volonté de créer des espaces uniformes géographiquement et humainement. L’objectif est de créer des unités homogènes fondées, dans la mesure du possible, sur une uniformité géographique et humaine. Ainsi, en 1927, un administrateur propose de détacher le canton du Dargol de la subdivision de Tillabéri, parce qu’il constitue une enclave ethnique que rien ne semble justifier54, ce canton étant, d’après lui, « peuplé de Songhaï-kadots [il] se rattache donc davantage ethniquement au reste de la subdivision de Téra qu’à la subdivision centrale de Tillabéri55 ». Les avantages seraient doubles : adéquation avec les frontières naturelles et plus grande homogénéité de la circonscription de Téra par l’adjonction du canton du Dargol56.
23La production de territoire, selon ces nouveaux critères, n’est plus le fruit de données politiques ou historiques locales, mais doit être conçue en se conformant à une uniformité géographique et ethnique présupposée. L’homogénéité et les intérêts économiques deviennent des critères prédominants. Or, il est intéressant de remarquer que, dans cette région, la construction coloniale des territoires ne reposait pas jusque-là sur des données uniquement identitaires. Désormais, ce n’est plus l’enquête auprès des populations qui fonde le regard des administrateurs mais leurs propres observations nourries par les discours de la géographie de leur temps qui lient peuplement, milieu naturel et genre de vie57. La géographie de l’entre-deux-guerres, marquée par les théories vidaliennes et l’approche chorologique, découpe la surface terrestre en régions géographiques, possédant chacune une originalité résultant de l’agencement de spécificités physiques et humaines. Les concepts de région naturelle58 et d’ethnie deviennent les clefs de l’analyse et de la création des territoires. Dans cette perspective, la constitution de l’organisation administrative doit chercher à retrouver, par l’observation et la classification des individus, ces régions naturelles qui correspondraient à un peuplement homogène. Enfin, les arguments économiques qui, jusque-là, soit n’étaient pas évoqués, soit étaient accessoires dans le discours des colonisateurs, ont désormais une place de choix. Ainsi, en 1923, la réorganisation territoriale de l’AOF est présentée par le ministre des Colonies Paul Reynaud comme un moyen de redresser sa situation économique59.
24La définition des territoires reste une question ouverte pendant tout le moment colonial. Les administrateurs ont constamment à cœur d’améliorer l’organisation des territoires et ne sont jamais satisfaits des configurations existantes. L’ensemble du cadre territorial dessiné au moment de la conquête est périodiquement questionné, redessiné, précisé. Une deuxième période de définition territoriale s’ouvre alors, dans un contexte sensiblement différent. L’idée que les configurations territoriales ne sont que des structures contingentes changeant en fonction du contexte et des enjeux est conservée durant la période d’administration. Mais la perspective qui guide les choix et les méthodes des administrateurs semble avoir évolué. Les sociétés locales ne sont plus perçues à travers leurs dynamiques historiques et politiques propres que les militaires suivaient parce qu’ils y voyaient le moyen de garantir des frontières acceptées par tous et donc de faciliter leur domination. Elles sont désormais perçues à travers le prisme du regard que la science occidentale porte sur elles. Définir des territoires, ce n’est plus retrouver ce qui existe, mais construire ce qui correspond le mieux à l’idée que l’on se fait des populations et de leur mode de vie. Les occupants considèrent désormais leurs connaissances et leurs analyses comme suffisamment fines pour pouvoir établir ce qui sera préférable pour les populations, selon leurs propres critères.
PRATIQUES DE L’ESPACE, MOBILITÉ ET CIRCULATION EN SITUATION COLONIALE
25Dans les régions entre Niger et Tchad, les autorités coloniales n’ont jamais eu ni la capacité ni la volonté de contraindre l’ensemble des déplacements et des circulations. Dans une région caractérisée par des mouvements constants à grande et petite échelles, les administrateurs n’ont pas les moyens nécessaires pour les empêcher. L’action coloniale consiste donc à les identifier, les analyser et les surveiller. D’un point de vue légal, la circulation des personnes est à la fois autorisée et néanmoins constamment l’objet de réglementations fédérales et surtout locales. Les législations et les règlements se développent dans le sens d’une plus grande liberté de circulation et dans le même temps encadrent de plus en plus fortement cette liberté. Durant la période coloniale, les mouvements restent importants et nombreux. L’un des enjeux primordiaux de la gestion territoriale semble se concentrer sur les moyens de contrôler les mouvements des hommes.
Un individu, une race, un lieu de résidence
26Dans l’exercice de l’action coloniale, les administrateurs ont toujours cherché à identifier chaque individu comme le membre de fait d’un groupe ethnique ou d’une race déterminés, qui aurait un lieu ou une zone de résidence identifiable. Cette conception d’une population divisée en un certain nombre de races définies, qui s’accompagne de l’idée que chacune d’entre elles possède un mode de vie et un territoire qui lui sont propres, se renforce avec l’amélioration des dispositifs d’administration.
27L’établissement du recensement nominatif qui se met en place dans les années 1930, et surtout 1940, repose sur l’identification de chaque chef de case. Celui-ci est invité à déclarer l’ensemble des membres de sa famille et à se définir racialement, c’est-à-dire à déclarer appartenir à l’un des grands groupes dits ethniques, identifiés et reconnus par les Français. À l’extrême diversité des identités observées par les militaires au moment de la conquête, se substitue une vision restrictive, figée en sept grands groupes ethniques : Songhays, Haoussas, Touaregs, Peuls, Béribéris, Kanouris et Toubous. Les monographies et les rapports réalisés au moment de la conquête donnaient l’image d’une diversité des appartenances et d’une interpénétration forte des différentes populations60. Toutes les monographies réalisées durant les premières décennies d’occupation font état de cette diversité et des identités multiples qui se combinent et mêlent appartenance linguistique, politique, religieuse, professionnelle et locale, rendant parfois impossible l’identification univoque d’un individu ou d’un groupe61. Mais, dans la perspective administrative, l’extrême diversité des populations et leurs affiliations multiples représentent un obstacle. Dès lors, la logique est de réduire les critères de classification. Les groupes de petite taille se rattachant linguistiquement à l’une des langues véhiculaires sont fondus dans des groupes plus importants. Ce lissage et cette simplification s’accompagnent de la détermination de caractères de race qui correspondraient à chacun des grands groupes ainsi identifiés. Les enjeux politiques, qui représentaient au xixe siècle une part considérable des relations entre les individus et entre les différents groupes sociaux, disparaissent au profit d’une vision essentialiste qui définit des identités figées.
28Dans cette analyse, le cadre de vie de chaque individu est défini de fait. Un individu appartient à une race ou une ethnie et réside dans un village ou, s’il est nomade, dans une aire de nomadisation spécifique. Chacun doit pouvoir être identifié à un lieu ou un réseau de lieux déterminés. L’objectif des colonisateurs est de réaliser cette identification de manière systématique. Ainsi, l’étude monographique de la tribu Kel Férouane de l’administrateur Geyer d’Orth en 1952 établit un recensement de toutes les familles de cette tribu62 et figure sur un croquis l’ensemble des puits qu’ils utilisent. Le territoire quotidien de ces groupes est ainsi figé. Ces populations vivent, en effet, dans un territoire déterminé et défini, mais, jusque-là, celui-ci était susceptible d’évoluer en fonction des circonstances climatiques, sociales et politiques. La définition du groupe, de son identité et de son territoire n’est pas pour le colonisateur le résultat de processus et de logiques dynamiques, ils deviennent des faits qui auraient existé et existeront de manière similaire.
29Cette perspective se combine alors à une cartographie ethnographique qui représente la distribution des différents groupes identifiés. L’Atlas des cartes administratives et ethnographiques des colonies de l’AOF, publié en 1922 par le gouvernement général de l’AOF, présente une carte figurant les différentes races du Niger, ancrant chacune d’elles dans des régions particulières. Le processus d’appauvrissement des critères de classification est en cours et dix « races » différentes sont présentes sur la carte. Le type de figuration adopté interdit de représenter l’interpénétration des populations, et chaque type de population est identifié par une surface délimitée précisément. Ce qui exclut, de fait, la possibilité de représenter deux groupes distincts vivant dans un même lieu. Comme si un seul type de population vivait sur un territoire donné sans aucun mélange. Le métissage n’est pas prévu par cette carte63. Cette volonté de séparer territorialement les groupes, en essentialisant de supposées différences irréconciliables, se retrouve sur le terrain à travers la théorie d’une opposition naturelle, géographique et humaine entre nomades et sédentaires ; ainsi, en 1954, l’administrateur Malfette propose, selon un thème déjà développé dans les années 1920, d’établir une frontière bornée entre nomades et sédentaires64.
30Le rapport au territoire et les modes d’appropriation de l’espace étaient, dans cette région, caractérisés par des logiques extrêmement dynamiques. Le territoire évoluait notamment en fonction des modifications du milieu ou du climat. Un puits tari pouvait provoquer une réorientation des pratiques de l’espace vers une autre source, modifiant ainsi l’organisation territoriale. Le territoire évoluait aussi en fonction des relations de pouvoir. Une autorité affaiblie ou contestée pouvait voir naître à sa périphérie un autre espace politique, constitué par ses dissidents. À un rapport à l’espace dynamique, fondé sur une tension des relations politiques et sur des formes d’adaptation à la mobilité des écosystèmes, la définition coloniale des territoires substitue un territoire administratif dont l’évolution est déterminée par une procédure coloniale. Le territoire politique n’est plus défini par des pratiques politiques dynamiques mais par la volonté et les logiques d’une autorité étrangère. Ces territoires, qui évoluaient constamment, se trouvent ainsi figés. Si le colonisateur fait régulièrement évoluer son dispositif territorial, il le fait selon ses propres logiques qui sont liées à sa perspective administrative et il ne peut reproduire les dynamiques d’adaptation au milieu et aux enjeux politiques qui existaient jusque-là. Si les administrateurs ont conscience de la nécessité pour les populations d’adapter leur mode de vie aux conditions bioclimatiques, le cadre de la gestion coloniale s’accommode mal des modifications constantes des territoires que cela implique66.
31Ce n’est pas la définition d’un cadre territorial ou l’établissement de frontières qui transforment la vie des populations, celles-ci avaient l’habitude de vivre dans un territoire organisé, régi par des règles et des normes, mais c’est le type de restrictions et de contraintes introduites par les colonisateurs qui transforment le rapport à l’espace et les modalités de représentation et de pratique de l’espace. Plus l’administration coloniale se développe, plus elle cherche à établir une image claire à ses yeux de la société qu’elle domine et de ce fait contribue à en fixer de nouveaux contours.
32Les autorités politiques ont été conservées dans leur forme mais se sont vu retirer entre autres leurs anciennes prérogatives territoriales. Dans le cadre colonial, elles ont perdu le droit d’exercer un contrôle sur les déplacements à l’intérieur de leur territoire ou de percevoir des droits quelconques sur l’exploitation des terrains ou des puits, mais aussi d’attribuer les terrains de culture ou de pâturage. Ainsi disparaît une partie importante de leur pouvoir, qui reposait sur la capacité à régir les rapports à la terre, à contrôler l’accès à la terre et aux ressources et à organiser les déplacements. De même qu’ils perçoivent les autorités politiques locales comme des aristocraties despotiques et prédatrices qui exploitent les populations, les colonisateurs considèrent toutes les formes de droits perçus sur les déplacements – sur l’accès à la terre ou aux puits – comme des exactions que la colonisation a heureusement abolies. Ces formes d’exercice territorial de leur autorité qui marquaient l’appropriation politique du territoire disparaissent de fait. Les autorités politiques perdent ainsi à la fois une source de revenus et de prestige. Dans un rapport de 1941, évoquant les relations entre Peuls et Touaregs dans le cercle d’Agadez, le rédacteur explique à propos des Touaregs que « quelques fois ceux-ci créent des difficultés pour abreuver [les] animaux [des Peuls], leur interdisant les puits ou les obligeant à s’en servir à des heures incommodes67 ». Pour remédier à cette situation, les autorités coloniales réaffectent les différents puits, identifiant ceux qui seront réservés au Peuls et ceux qui reviennent aux Touaregs. Les difficultés évoquées par l’administrateur révèlent une compétition pour les droits d’accès aux réseaux hydrographiques, un enjeu de pouvoir entre deux groupes, chacun cherchant à faire valoir ses droits. Mais dans le contexte colonial, ce type de compétition, qui révèle des enjeux de pouvoir, est proscrit. Il n’existe qu’une autorité politique souveraine, celle de l’occupant. C’est particulièrement pour les populations touarègues et touboues que les conséquences de l’arrêt des perceptions de droits sur les déplacements ont été les plus importantes. La subsistance de certains groupes était jusqu’ici fondée sur la perception de droits de passage, voire sur l’extorsion. Ces mécanismes sont détruits de fait par l’exercice de l’autorité coloniale qui n’admet d’autre matérialisation de droits sur le territoire que la sienne.
33Les sociétés locales sont donc perçues par le colonisateur à travers une perspective essentialiste et fixiste, elles apparaissent comme des sociétés figées qui auraient existé sous la même forme depuis des temps immémoriaux et qui seraient liées chacune à un territoire spécifique. Ces classifications fondées, en théorie, sur la conscience de soi des groupes ainsi déterminés entrent en réalité en contradiction directe avec les situations qui avaient cours au xixe siècle. À des relations sociales et politiques mouvantes est substituée l’image d’une organisation ethnique statique, à des territoires constamment renégociés et dynamiques, un territoire unique et fixe, à la mobilité des hommes et des idées, une société morcelée et délimitée. Pourtant, ceci ne signifie pas que les dynamiques disparaissent, elles se transforment. La colonisation n’a jamais pu empêcher complètement la mobilité. Mais, fonder un nouveau village, quitter une zone où la subsistance est devenue difficile ou pratiquer un commerce de longue distance, ces stratégies d’adaptation au milieu sont rendues plus complexes dans un cadre colonial.
Transformation des circulations, réorientation des échanges
34La perspective coloniale sur la question des migrations est complexe68. Certains mouvements sont favorisés, d’autres inquiètent les administrateurs, mais tous font l’objet d’une surveillance qui ne cesse de croître avec le développement de l’organisation administrative. La première préoccupation des administrateurs est de quantifier l’importance des mouvements, d’établir leur durée, de repérer leurs lieux d’aboutissement, d’en comprendre les raisons et les logiques. Ces migrations et ces mouvements font ainsi l’objet d’une documentation importante, ce qui permet d’analyser l’évolution des mobilités au cours de la période coloniale.
35Certains mouvements disparaissent au début de l’établissement de l’administration coloniale, notamment les mouvements sur de grandes distances et particulièrement ceux liés au commerce transsaharien sur les deux routes Tripoli-Kano. La fin de cet axe commercial, qui structurait la région depuis plusieurs siècles, n’est pas le fait de l’imposition de la domination coloniale dans la région, mais plutôt, comme l’a montré Stephen Baier, le résultat de la fin de sa compétitivité commerciale. En effet, l’achèvement en 1912 du chemin de fer Lagos-Kano a pour conséquence la baisse des coûts du transport et donc du prix des marchandises en provenance de Kano69. Les circulations commerciales se réorientent en direction du Nord-Nigeria, où les conditions commerciales sont très favorables. Les régions du Niger qui étaient jusqu’ici des centres d’étape importants sur la route transsaharienne et dont les échanges étaient orientés dans une double direction nord et sud, sont désormais exclusivement tournées vers le sud. De plus, durant les deux premières décennies d’occupation, l’imposition d’une taxe sur les marchés dans le territoire militaire du Niger a pour conséquence l’évasion du commerce vers les possessions britanniques ; les administrateurs constatent que l’ensemble de l’activité commerciale se déroule désormais au Nigeria70.
36La fin de ce double axe commercial transsaharien et du commerce de grande distance sous cette forme a pour conséquence des modifications profondes dans l’organisation territoriale de la région, et particulièrement une accentuation de la différence entre Sahara et Sahel, entre populations nomades et sédentaires. L’économie intégrée fondée sur la complémentarité des différentes zones écologiques et des différents modes de production sédentaire et nomade, telle qu’elle existait au xixe siècle, est profondément transformée par la révolution des transports d’une part et par la domination coloniale d’autre part. Jusqu’ici au cœur d’un réseau d’échanges complexe et dynamique, le territoire du Niger devient au bout de dix ans de colonisation une zone de marche isolée des réseaux d’échanges. Ce sont les populations touarègues qui en subiront les conséquences les plus importantes, dans la mesure où elles étaient partie prenante de ce trafic.
37Si certains mouvements ont disparu, d’autres sont nés ou se sont développés dans le cadre colonial. Un mouvement important est favorisé par l’occupation coloniale, celui d’une dispersion des populations vers les campagnes. Après un siècle particulièrement troublé, durant lequel les épisodes conflictuels se sont succédé, la mise en place de la domination coloniale correspond à une période de calme et de sécurité71. Ce calme a pour conséquence une dispersion de l’habitat et une désurbanisation. Les villageois quittent les villes fortifiées qui avaient été au siècle précédent le refuge de tous ceux qui souhaitaient être protégés et s’installent souvent dans des zones isolées. Habiter dans une ville ou aux abords d’une ville signifiait, au xixe siècle, solliciter la protection du pouvoir politique dont elle était le siège et donc se soumettre à ses exigences. Quitter une ville et s’installer à l’extérieur de sa zone d’influence revenaient à prendre son indépendance, et s’installer dans un lieu isolé permettait de ne se soumettre à aucun pouvoir. C’est souvent dans cette perspective que se réalise cet exode urbain durant la période coloniale. Les populations qui avaient éprouvé le besoin de chercher protection auprès d’un pouvoir politique et militaire peuvent désormais assurer seules leur sécurité et reprennent ainsi leur indépendance.
38Cette situation est particulièrement accentuée dans l’ancienne zone de front entre le sultanat de Sokoto et les pouvoirs résistant à son hégémonie. Cette région a été durant un siècle de conflit entièrement dépeuplée et les populations s’étaient groupées des deux côtés de cette zone frontière dans des villes murées ou des ribats afin de se protéger des razzias. La fin des conflits et l’instauration d’une paix obligée voient cette zone devenue frontière des territoires français et britanniques se repeupler et de nombreux villages se former le long de la frontière72. Cette migration a lieu particulièrement dans le sens nord/sud, du territoire français vers les territoires britanniques. Selon lord Lugard, plusieurs milliers de personnes se seraient installées dans cette zone dès 190373. Ainsi, cette zone extrêmement fertile, qui avait été abandonnée pour des raisons politiques et militaires, est largement réinvestie, bien qu’elle soit devenue le lieu d’une frontière internationale. Les populations ont également parfaitement saisi l’avantage qu’il pouvait y avoir à vivre près de la ligne frontière, ce qui leur permet de changer de territoire chaque fois qu’elles ont intérêt à le faire. Les mouvements sur de petites distances sont constants le long de cette frontière durant tout le moment colonial. L’administrateur Coussirou, en 1955, évoque une « sorte de population flottante qui passe et repasse la frontière74 ». Ce sont particulièrement les femmes qui circulent : les mariages ont lieu de part et d’autre et en cas de divorce les femmes retournent dans leur village d’origine. Dans un cas comme dans l’autre, il leur faut traverser la frontière75.
39Les populations nomades cherchent, elles aussi, à profiter du calme imposé par la colonisation pour acquérir plus de liberté. Pour celles-ci, la chronologie de la dispersion est plus tardive, dans la mesure où le contrôle colonial n’est pas effectif dans les régions sahariennes avant 1920. À partir de ce moment, les groupements s’effritent et se dispersent, chacun prenant ou reprenant sa liberté. Ce mouvement incontrôlable dérange profondément les administrateurs, à la fois parce qu’il rend leur tâche plus difficile et qu’il va à l’encontre de la perception qu’ils se font souvent de ces sociétés. En 1952, l’administrateur Geyer d’Orth regrette
« que les tribus, dont la sécurité est désormais assurée, depuis la présence française, se soient émiettées de façon excessive ; le souci du seul intérêt familial, correspondant à peu près à cet éclatement, ruine chez beaucoup le sentiment d’appartenir à une communauté forte et unie76 ».
40Leur seul intérêt personnel expliquerait cette dispersion et contribuerait à affaiblir leur sentiment d’appartenance communautaire. On retrouve ici l’idéal colonial d’une communauté ethnique soudée qui serait le seul type de lien social expérimenté par les populations de la région.
41Ce type de mobilité et de dispersion est souvent lié à des enjeux sociaux. En effet, certains dépendants, esclaves, cadets sociaux ou groupes assujettis gagnent avec la colonisation la liberté de se déplacer. Au xixe siècle, leur mobilité était étroitement liée au bon vouloir de ceux qui les dominaient. Un esclave avait besoin de l’autorisation de son maître pour se déplacer ou pour changer de résidence. L’interdiction théorique de l’esclavage par l’autorité coloniale permet à certains individus de se mouvoir librement. Les anciens esclaves, dont les maîtres refusent de renégocier les termes de la dépendance, choisissent ainsi souvent de partir77. Ces mouvements ne signifient pas que tous les liens de dépendance sont rompus. Ceux-ci persistent dans la majorité des cas, mais la nouvelle donne permet parfois d’en renégocier les termes. Ainsi, les anciens dépendants et esclaves des Touaregs dans la région de Tanout migrent vers le Nigeria du Nord78. L’administrateur Pujol observe, lui, que dans la région de Keita, le départ vers le Nigeria est parfois l’occasion de chantage. Selon lui, « lorsque les gens veulent obtenir quelque chose du chef, il n’est pas rare de les voir user de chantage : si nous n’obtenons pas satisfaction, nous partons en Nigeria79 ». Partir peut donc toujours être, comme au xixe siècle, un moyen de se libérer d’une dépendance ou de renverser un rapport de force.
42Un autre type de mouvement renforcé par la colonisation est celui des migrations de travail saisonnières qui ne cessent de s’accroître au cours de la période coloniale80. La migration de travail devient un phénomène massif pour les populations de l’Ouest, qui touche toutes les couches de la population, avec des motifs spécifiques selon les catégories sociales. La migration saisonnière fait désormais partie intégrante de la reproduction des communautés domestiques, les unités de production agricole dépendant sous plusieurs aspects de ces mouvements81. Un mouvement à grande échelle et régulier se renforce alors vers la Gold Coast, qui ne touche pas uniquement les populations songhays, mais toutes les populations des régions ouest. Cette migration, impliquant des échanges importants vers une région occupée par les Britanniques, devient, dans les années 1940, l’obsession des administrateurs coloniaux français qui comptabilisent à chaque tournée l’absence de ces jeunes qui ne peuvent résister à l’attraction exercée par la Gold Coast. Un autre mouvement de migration saisonnière existe en direction du Nigeria, qui concerne plutôt les régions est. En 1947, l’administrateur du poste de Myrriah décrit ce phénomène, « comme partout ailleurs les populations de ce canton sont souvent en mouvement82 », vers d’autres cantons, vers d’autres cercles, vers le Nigeria ou vers La Mecque. Parmi ces mouvements, il constate qu’un « bon nombre de jeunes gens vont après la récolte en Nigeria s’engager comme manœuvres pour se procurer des fonds83 ».
43Paradoxalement, les administrateurs coloniaux encouragent le passage des frontières lorsqu’il se fait dans le sens entrant. Pour les autorités coloniales, le nombre d’administrés est primordial et, si la fuite des administrés à l’extérieur des frontières de la colonie est le cauchemar du commandant de cercle, l’arrivée de nouveaux administrés et donc de nouveaux imposables est, à l’inverse, grandement appréciée. Ainsi en 1928, en plein débat autour de l’occupation du Tibesti et de l’action italienne au Fezzan, le gouverneur Brévié propose de payer le chef Maïna Adem qui se trouve alors au Fezzan afin qu’il vienne s’installer en territoire français, ce qui permettrait de garantir les droits français sur le Tibesti84. Les autorités coloniales du Niger critiquent souvent l’attitude des autorités britanniques qu’elles accusent de tout faire pour attirer leurs administrés dans leur territoire, mais elles font de même lorsque l’occasion se présente.
44La domination coloniale, est un moment de redistribution des circulations et des mouvements dans la région. La fin du commerce transsaharien provoque une réorientation des échanges vers le sud, le Nigeria du Nord et la Gold Coast. Autrefois zone de passage et de circulations productrices de richesse, le Sahara et les populations qui y vivent se retrouvent en marge de ces mouvements et des ressources qu’ils représentaient. Cet appauvrissement est accentué par la fin théorique de l’esclavage qui fait souvent perdre à ces groupes une deuxième source de revenus. Mais, si les mouvements ne cessent à aucun moment, cela ne signifie pas pour autant qu’ils s’effectuent librement et sans contrainte.
Entre liberté théorique et réglementations inapplicables
45Les travaux récents sur les migrations, le contrôle des étrangers, les dispositifs d’identification et de contrôle des déplacements en Europe ont montré combien la consolidation du fait national a influencé les procédures de distinction, d’identification et de contrôle des individus et des groupes, et a conduit à l’introduction d’une différenciation de plus en plus poussée entre les populations considérées comme citoyennes et les populations définies comme étrangères85. À partir du dernier tiers du xixe siècle, la concomitance entre l’afflux d’immigrés étrangers en France et l’affirmation républicaine d’un sol national unifié, sur lequel la libre circulation est garantie, a modifié les modalités de l’identification. Le contrôle des migrants est ainsi étroitement lié à la montée de l’emprise administrative, à l’institutionnalisation des procédures d’identification des nationaux, la carte nationale d’identité établissant un partage entre migrants étrangers et nationaux. La Première Guerre mondiale et le contexte d’hostilité relancent la volonté de contrôle des étrangers en Europe, tout comme la consolidation d’opinions sur les étrangers et sur les méthodes à adopter pour contrôler leurs mouvements. Afin d’assurer un meilleur contrôle des déplacements, les passeports sont rétablis sur tout le continent et leur rôle est confirmé par le droit international au cours des années 1920. En 1917, la France instaure par décret la carte d’identité obligatoire pour tous les étrangers âgés de plus de quinze ans. Le rétablissement du contrôle des passeports dans de nombreux pays européens et aux États-Unis après la Première Guerre mondiale constitue un aspect essentiel de la révolution identificatoire qui se réalise alors.
46L’évolution de la perception des migrants et du contrôle des mouvements de populations en AOF s’inscrit dans ce contexte. Parallèlement au développement de l’identification et à la distinction des nationaux et des étrangers en métropole, l’administration coloniale se lance dans un travail similaire d’identification des individus et particulièrement des migrants. Que ce soit en métropole ou sur le terrain colonial, la précision de l’arsenal réglementaire sans cesse amélioré et son accumulation ne signifient pas pour autant un contrôle efficient. Les indices de l’inefficacité des mesures de contrôle abondent, et les sources métropolitaines et coloniales regorgent de rapports déplorant le décalage entre les exigences réglementaires et la pauvreté des moyens. Évidemment, la faiblesse des moyens est plus prégnante en AOF et particulièrement dans la colonie du Niger. Le cadre législatif colonial encadrant le contrôle et l’identification des personnes n’est pas un simple calque des législations métropolitaines dans la mesure où la dichotomie français/étranger s’y complique des catégories d’indigènes, d’assimilés, de métisses.
47Dès l’établissement de la fédération de l’AOF en 1895, la liberté de circulation avait été érigée en principe, mais celui-ci était combiné dès l’origine à une volonté d’encadrer toutes les formes de mobilité donnant lieu à une production incessante de règlements. Incapable d’empêcher les mouvements, même quand elle le souhaite, l’administration coloniale cherche à les réguler et à les surveiller au plus près. La question de la réglementation de la circulation des personnes en AOF ne semble pas avoir fait immédiatement l’objet d’une législation générale applicable à l’ensemble de la fédération. Les autorités coloniales ont d’abord privilégié l’établissement de règlements locaux, applicables à un territoire particulier ou même à une portion de territoire. Le droit colonial est un droit purement administratif, dont l’élaboration est souvent réalisée sur le terrain à l’échelle de la colonie.
48Dans le territoire militaire du Niger, une des premières réglementations concerne la frontière avec le territoire des oasis. Après plusieurs rezzous dans la zone frontalière, les autorités coloniales décident de réglementer les circulations86. Lors d’une jonction à Iférouane le 30 octobre 1907, le commandant de cercle d’Agadez et son homologue du territoire des oasis négocient une réglementation des circulations qu’ils soumettent aux autorités supérieures. Ils proposent :
« 5-Obligation à tout individu porteur d’arme à tir rapide d’avoir un permis. 6-Obligation à tout convoyeur d’avoir un permis de circulation. 7-Obligation à tout individu ou tribu désirant quitter un territoire pour aller s’établir dans un autre d’être munis d’un permis87. »
49Ce règlement introduit en théorie l’obligation de posséder un permis ou une autorisation pour tous les types de déplacements, qu’ils soient commerciaux ou familiaux, qu’ils soient individuels ou de groupe. Mais il est dans les faits peu appliqué dans la mesure où la région n’est pas encore véritablement occupée ou administrée.
50Les règlements coloniaux se focalisent sur des régions spécifiques et sur le contrôle de certains types d’activités et de populations. Les mouvements des marchands sont particulièrement surveillés afin d’obtenir le règlement de droits de douane. En 1916, tous les marchands ont l’obligation d’être titulaires d’une carte de circulation lorsqu’ils se déplacent dans le cadre de leur commerce88. Autre forme de contrôle des mouvements, les autorités coloniales encadrent les circulations pastorales, économiques et religieuses. Ainsi la migration annuelle de la cure salée est accompagnée par des représentants de l’autorité coloniale, tout comme l’Azalaï89, la caravane de sel entre Agadez et Bilma, qui est escortée par des militaires coloniaux jusque dans les années 194090. Le pèlerinage à La Mecque fait l’objet d’une étroite surveillance et doit être autorisé par les autorités coloniales, chaque candidat devant se déclarer au départ être administrativement en règle et donner des garanties financières91. Face à ces contraintes, la majorité des pèlerins partent de manière clandestine. En 1936, pour l’ensemble de l’AOF, seuls 124 pèlerins sont partis avec l’autorisation de l’administration, alors que 2 089 pèlerins d’AOF sont recensés à Souakin au Soudan anglo-égyptien92. La surveillance des pèlerins est alors un axe important des recherches de renseignement des commandants de cercle, la section Affaires musulmanes des rapports politiques mensuels est très souvent consacrée au passage ou au départ des pèlerins clandestin.
51En 1928, après les exodes massifs observés dans plusieurs territoires lors des recrutements de la Première Guerre mondiale et les nombreuses fuites en direction des territoires britanniques, le gouvernement général élabore une législation fédérale portant sur la circulation des personnes à l’intérieur de la fédération. Le décret du 24 avril 1928 réglemente l’émigration et la circulation des indigènes en AOF, établissant que « tout indigène désirant sortir de sa colonie d’origine ou de la colonie de son domicile, pour se rendre par voie de terre ou de mer dans une autre colonie du groupe ou pour toute autre destination, doit se munir d’un livret d’identité93 ». Ce décret unifie l’AOF du point de vue de la circulation des personnes. Il vise à contrôler toutes les formes de circulation mais il a aussi pour effet de faciliter la circulation des individus à travers l’espace fédéral. Ce décret a d’ailleurs été très mal accepté par certains administrateurs sur le terrain, qui y voyaient une législation à la fois laxiste et inapplicable. Le commandant du cercle de Tahoua, Loppinot, qui fait face à un exode massif et régulier de ses administrés vers le Nigeria évoque, en 1932, le décret en ces termes :
« Une circulaire ministérielle reconnaît aux indigènes le droit de se déplacer où bon leur semble, les fruits amers que porteront cet encouragement involontaire à l’indiscipline, ou d’autres mesures du même genre, ce ne sont pas les signataires du textes qui auront à les consommer, mais bien les chefs de circonscription qui constituent ainsi qu’on se plaît à le proclamer l’armature de l’administration coloniale94. »
52Le décalage entre la volonté fédérale et métropolitaine et les réalités de l’action sur le terrain est manifeste. Les administrateurs doivent en théorie laisser passer dans d’autres territoires tous ceux qui le souhaitent, du moment que ceux-ci en demandent l’autorisation. Mais, pour l’administrateur, dont le budget de fonctionnement est étroitement lié à la perception des impôts, le risque est de voir ses administrés ne jamais revenir, faisant ainsi diminuer le rôle de l’impôt et donc ses ressources. De plus, délivrer des permis de circulation représente une charge de travail importante pour les administrateurs dont les attributions sont déjà très élargies. Ces règlements, qu’ils aillent dans le sens d’une plus grande liberté ou dans celui du contrôle et de la coercition, rencontrent ainsi le plus souvent la colère des administrateurs sur le terrain, la liberté de circulation, tout comme son contrôle, augmentant la difficulté d’administrer. Contrôler est, dans la plupart des cas, un objectif impossible à atteindre, et instituer une liberté totale de circulation revient pour eux à voir leurs administrés disparaître à chaque recensement ou perception. Leur attitude sera le plus souvent celle du laisser-faire, combinée à l’observation et à l’analyse de ces mouvements.
53Il semble que les permis de circulation aient parfois été perçus par les populations comme un moyen de continuer à circuler librement tout en s’accommodant au cadre législatif colonial. Jean Chapelle raconte comment, en 1927, avant même l’obligation des permis de circulation, il est constamment sollicité en tant que commandant de cercle adjoint de N’Guigmi pour établir des papiers :
« À ce nœud de frontières qu’était N’Guigmi chacun éprouvait le besoin, pour passer dans un pays voisin, un cercle voisin, ou même circuler hors de son village, de porter sur soi un papier, garantissant l’identité, indiquant que l’impôt avait été payé, établissant l’intention honnête du déplacement. Ces documents étaient théoriquement inutiles puisque la liberté de circulation des personnes était un dogme, mais ils étaient en fait nécessaires, car tout étranger non identifié était un suspect désigné pour chaque groupe ethnique comme pour chaque circonscription administrative95. »
54Se mettre en règle en obtenant un papier pour se protéger des dangers du voyage, les populations ne cherchent peut-être pas ici à s’adapter aux règles coloniales, mais continuent peut-être à pratiquer le savoir-voyager du siècle précédent qui soumettait tout départ à l’autorisation de l’autorité politique locale.
55Le développement de l’arsenal législatif ainsi que d’une volonté de contrôle des déplacements et d’identification des étrangers se réalise donc parallèlement en métropole et sur le terrain colonial. L’élaboration d’une liberté de circulation encadrée voit le jour en AOF, dans laquelle tous les déplacements sont théoriquement soumis à une autorisation. Mais dans le cas d’une occupation qui peine à s’imposer en tout lieu, comme celle de la colonie du Niger, le contrôle est la plupart du temps loin d’être effectif et reste largement théorique.
DE LA MÉTROPOLE AU TERRAIN, LES FRONTIÈRES EN DÉBAT
56Au moment où, sur le terrain, l’administration coloniale entreprend un mouvement de réorganisation et de redéfinition de ses structures territoriales, en France, la question des frontières coloniales devient un sujet de débat. En métropole, puis sur le terrain, on s’interroge sur les configurations territoriales créées par la colonisation. Dans des ouvrages, des rapports, des articles, administrateurs, savants ou hommes politiques critiquent leur aspect arbitraire et le fait qu’elles ont été réalisées sans tenir compte des régions naturelles et des divisions ethniques.
Les puissances européennes ont taillé dans le costume africain
57L’après-guerre en Europe et les règlements territoriaux de 1919-1920 sont un moment de réinvention et de transformation de l’idée même de frontière ainsi que d’innovation quant aux méthodes et aux pratiques qui doivent être utilisées pour les définir96. Cette nouvelle approche se fonde sur l’idée qu’il est nécessaire de construire de bonnes frontières afin de garantir la stabilité et la paix, et considère pour cela l’expertise des sciences humaines comme indispensable au processus décisionnel. Elle s’appuie, de plus, sur un ensemble de présupposés théoriques qui font alors consensus, l’idée qu’il est nécessaire de conjuguer frontière et principe des nationalités, et l’idée, influencée par la notion de région vidalienne, que ce qui forme l’unité interne d’un territoire l’emporte sur ce qui en définit la limite. Dans des ouvrages largement diffusés, dans des collections destinées au grand public, des auteurs, considérés et reconnus comme des spécialistes des mondes colonisés, développent une critique sévère des frontières africaines jugées néfastes parce que produit de la conquête violente de l’Europe et du découpage arbitraire effectué au mépris de l’essence de la nature africaine.
58Dans le tome XI de la Géographie universelle, intitulé Afrique septentrionale et occidentale et publié en 1937, Augustin Bernard évoque dès l’introduction le partage du continent qui, selon lui, sera considéré dans l’avenir comme l’un des événements les plus considérables de l’histoire du monde97. Ce partage aurait vu les puissances européennes « taill[er] dans les territoires africains des domaines immenses, sans d’ailleurs tenir compte, dans les tracés purement artificiels des frontières, ni des conditions géographiques, ni des groupements indigènes98 ». Dans la deuxième partie consacrée à l’Afrique occidentale, il insiste sur l’absurdité du découpage politique de cette région « partagée comme un gâteau qu’on découpe en tranches99 ». Ainsi, les puissances européennes ne se seraient inspirées « d’aucun principe, sinon du désir de chaque nation de teinter à ses couleurs sur la carte des surfaces aussi étendues que possible » et se seraient « longtemps fort peu préoccupées d’améliorer le sort des populations indigènes100 ». Augustin Bernard, alors largement impliqué dans les milieux coloniaux algériens, est lié aux radicaux-socialistes et fervent partisan de leur politique indigène. Il porte un regard critique sur la colonisation telle qu’elle a été menée en Algérie et défend l’idée d’une colonisation qui ménagerait les transitions de manière à ce que l’évolution coloniale soit bénéfique aux indigènes eux-mêmes en s’adaptant au milieu et à la population101. Or, pour lui, la colonisation, telle qu’elle a été conduite jusqu’ici, aurait engendré une profonde désorganisation de la vie indigène102.
59Georges Hardy, alors directeur de l’École coloniale, dirige quant à lui la collection « Manuels coloniaux », dans laquelle il publie quatre ouvrages évoquant la question des frontières africaines : Géographie de la France extérieure, Géographie et colonisation, Vues générales de l’histoire de l’Afrique, et La politique coloniale et le partage de la terre. Dans ces deux derniers, Hardy décrit le processus de délimitation des frontières en situation coloniale. Le partage aurait vu s’opposer deux méthodes de détermination. Sur le terrain, dans la logique de la conquête, les colonisateurs auraient cherché à tracer les frontières en fonction des aires d’expansion ethnique et auraient opéré des découpages fondés en raison afin de maintenir les populations dans leurs unités vivantes103 et d’utiliser les structures traditionnelles de l’autorité104. Mais les diplomates, traçant sur des cartes des lignes dans des espaces qui leur paraissaient vides, auraient, en maints endroits, créé des frontières qui, « par suite d’un contre-sens initial, [ne sont] ni naturelles, ni ethniques, ni économiques, purement conventionnelles, elles s’opposent à la vie et pour cette raison demeurent inquiètes et fragiles105 ». Selon Hardy, les frontières auraient dû se fonder sur la géographie humaine et les limites ethniques, toute autre logique ayant un caractère purement arbitraire.
60Ce discours est aussi présent chez l’ancien administrateur colonial Robert Delavignette, dans son ouvrage Afrique occidentale française, rédigé pour l’Exposition coloniale de 1931 :
« De telles colonies ne sont que des divisions administratives. Un décret les a créées. Un nouveau décret peut les abolir. Elles ne correspondent pas en général à des zones naturelles ou à des races uniques. […] Il semble qu’une volonté jacobine ait taillé et tranché à même les pays et les gens106. »
61On retrouve ici le thème de l’aspect conjoncturel des divisions administratives et l’idée que les tracés ont été réalisés de manière absurde. Il conclut en évoquant ces « territoires que nous avons délimités arbitrairement107 ». Cette perspective est aussi celle retenue par le géographe Jacques Weulersse, notamment dans son ouvrage intitulé L’Afrique noire, publié en 1934 dans la collection « La géographie pour tous », où il affirme :
« L’Europe a taillé dedans suivant son bon plaisir, au hasard des complaisances diplomatiques. Le costume politique dont on a affublé le géant africain fut cousu ainsi. Mais, ce qu’on a taillé si facilement, peut être retaillé de même. Ces frontières si nettes, aux contours si précis, ne doivent pas faire illusion108. »
62Ces hommes sont largement marqués par la volonté d’accorder dans le cadre colonial plus d’attention aux indigènes en tant qu’acteurs politiques et historiques. Ils incarnent l’humanisme colonial, ce mouvement par lequel la conscience coloniale se remet en question sous l’impulsion de certains de ses principaux acteurs, savants, politiques ou écrivains109. Delavignette et Weulersse sont proches des réseaux réformistes et de la SFIO de Léon Blum et Marius Moutet et souhaitent imposer l’idée d’un Empire fédéral et décentralisé, fondé sur la collaboration entre Français et populations colonisées110. Dans cette perspective, le découpage de l’Afrique leur apparaît comme un stigmate des anciennes méthodes de colonisation qu’ils rejettent, comme la trace d’une logique coercitive et arbitraire, plus préoccupée d’impérialisme que des peuples et de l’amélioration de leur cadre de vie. Ces critiques sont liées au regard distancé que ces hommes portent sur les premiers temps de la colonisation. Hommes de terrain, civils, savants, enseignants ou administrateurs, ils perçoivent le découpage comme le fait de militaires et surtout de diplomates préoccupés d’expansion, de prestige national et de victoires militaires. À l’opposé, ils considèrent s’intéresser, avant tout, à la mise en valeur des territoires et aux populations. Le partage de l’Afrique est pour eux le symbole de l’action arbitraire de l’Europe sur les populations africaines. Ces positions critiques à l’égard de l’aspect autoritaire et coercitif du système colonial sont tenues au sein même de celui-ci et sont en réalité profondément marquées par les préjugés qui le fondent.
63Une vision spécifique de l’Afrique se dégage, en effet, de ces discours. Ainsi, la description que fait Augustin Bernard des populations africaines, de leur histoire et de leur genre de vie est marquée par le dogme du déterminisme climatique. Selon lui, les populations d’Afrique occidentale représentent un « amalgame de peuplades » et il est difficile de « s’y reconnaître dans ce chaos111 ». Au Soudan, les races auraient disparu mais les peuples ne se seraient pas encore formés112. Il souligne aussi qu’il n’existe pas de « régions naturelles en Afrique occidentale, mais seulement des zones de climat et de végétation, aux limites indécises113 ». Donc ni la nature ni l’organisation humaine de cette région ne seraient clairement déterminées. La structuration régionale des espaces serait chaotique et indéterminée puisque les populations de cette région se trouveraient à un stade intermédiaire, ni races ni peuples. Dans cette perspective, l’aspect arbitraire des frontières tracées par la colonisation découlerait tant du stade inférieur de civilisation des populations que du caractère brutal de la transformation introduite par le colonisateur.
64Hardy affirme, quant à lui, que la notion de frontière était inconnue avant la colonisation114. Il n’existerait en Afrique que des régions naturelles mal dessinées et, pour ainsi dire, pas de régions historiques, le continent serait constitué de bandes climatiques successives opposant nomades et sédentaires115. Dans cette configuration, où sont absentes les frontières naturelles, les unités politiques qui se forment ne rencontrent aucune opposition du terrain et se développent comme des « empires-champignons116 ». Le déterminant du climat et l’absence de frontières naturelles expliqueraient donc en partie l’étrange instabilité des dominations africaines. Dans ces conditions d’incertitude troublée, les groupements humains n’auraient ni le temps ni l’occasion de s’interpénétrer et conserveraient leur individualité ethnique117. En Afrique, la race primerait sur tout, là où, en Europe, les ensembles politiques auraient été construits par des peuples issus d’un mélange de races118. En l’absence de régions naturelles et historiques, de frontières naturelles et de peuples, les colonisateurs auraient provoqué en Afrique un véritable renversement des valeurs géographiques119. La frontière coloniale aurait fait naître un sentiment jusqu’ici insoupçonné : le lien entre conscience de race et occupation du sol. Le discours d’Hardy, profondément marqué par le déterminisme géographique et climatique et l’essentialisme, décrit un continent à la nature indéterminée, aux unités politiques instables et à l’organisation humaine encore au stade de la race. Une organisation territoriale selon des configurations ethniques serait dans cette perspective la seule voie possible.
65Delavignette dénonce, lui, une organisation coloniale arbitraire qui ne correspond ni aux divisions humaines ni à des régions naturelles, au nom d’un idéal d’homogénéité ethnique. Celle-ci aurait dû s’appuyer sur des races uniques ou sur des régions géographiques. Présentant une carte montrant la division administrative d’une région naturelle, il remarque que les entités créées par la colonisation sont de même nature que les départements. Mais là où, en France, le département est pour le paysan une fierté et une référence, en Afrique, pour les « naturels », selon sa formule, il ne représente rien, parce qu’il aurait été surimposé120.
66Au-delà du champ des sciences coloniales, l’idée d’une spécificité des frontières africaines apparaît aussi chez des géographes qui ne sont experts ni du terrain colonial ni de l’Afrique. Jacques Ancel, spécialiste des Balkans et disciple de Vidal de La Blache, développe dans sa Géographie des frontières une analyse fondée sur les liens entre géographie et ethnicité et sur les interactions réciproques entre milieux et sociétés121. Il consacre quelques pages aux limites des sociétés primitives qui seraient, du fait de leur milieu, étrangères au concept moderne de frontière. C’est, selon lui, le cas des sociétés nomades ou forestières et notamment de celles que l’on trouve en Afrique122. On reconnaît, dans cette argumentation, l’idée que le genre de vie se constituerait en fonction des modes matériels de production. Les sociétés de ces régions africaines n’auraient la capacité ni de se constituer en États structurés ni de produire des territoires clairement délimités en raison du milieu dans lequel ils vivent. C’est l’aspect fixe et permanent du rapport homme-milieu qui est, ici, mis en avant pour décrire les rapports territoriaux en Afrique.
67La dénonciation de l’inadéquation des limites coloniales avec la nature et les organisations humaines découle de plusieurs schèmes de pensée contemporains : le déterminisme climatique, l’idée d’une spécificité des réalités africaines et l’essentialisation du concept d’ethnie. Cette perspective critique naît ainsi d’un changement de paradigme. Là où la première génération de militaires et d’administrateurs cherchait des organisations politico-historiques sur lesquelles fonder leur domination, l’analyse de ces auteurs est nourrie de l’idée qu’il existe des groupes ethniques clairement identifiables et circonscrits dans des territoires. Cette conception est renforcée par le développement de la production de monographies décrivant les caractéristiques d’une population donnée, dans une vision essentialiste et fixiste, alors régulièrement publiées dans les revues scientifiques123. L’idée que le découpage n’ait pas tenu compte de cette organisation ethnique paraît incohérente à cette nouvelle génération. D’autant plus que se développe à l’époque une cartographie ethnologique qui permet de figurer clairement l’inadéquation entre les limites coloniales et les groupements ethniques.
68Or, les délimitations ne se sont pas appuyées sur des configurations ethniques mais sur la structure d’organisations politiques qui paraissaient à ceux qui les ont tracées comme le phénomène le plus prégnant. L’essentialisation de l’Afrique en une superposition de groupes ethniques distincts évacue de fait les réalités politiques et la perspective historique, au profit d’une logique imaginant des organisations humaines immuables et avant tout fondées sur les structures familiales. Ces critiques concernent d’ailleurs l’ensemble du continent et sont formulées à petite échelle, ce qui facilite l’oblitération de la logique politique ainsi que la prégnance des facteurs climatiques. Ainsi, paradoxalement, la perspective humaniste et centrée sur les populations africaines que défendent plusieurs de ces hommes a pour conséquence de faire oublier l’histoire des structures politiques africaines et le rôle des populations locales dans la définition des frontières.
69Ces discours auront un impact et une postérité importants, révélant la situation de monopole de l’autorité et la compétence scientifiques des sciences coloniales dans la constitution des discours sur l’Afrique. Les écrits de ces hommes sont publiés dans des maisons d’édition importantes, reflétant la position prépondérante de ces auteurs mais aussi la place des sciences coloniales dans le champ des sciences humaines de l’entre-deux-guerres. La place de ces hommes dans les institutions d’enseignement proposant des cours consacrés aux colonies est certainement un autre élément d’explication de l’aura de leurs théories. La structure de l’enseignement colonial français, fondé sur le quasi-monopole de l’École coloniale sur la haute fonction publique coloniale, offre évidemment un poids certain à la parole de ceux qui en ont été ses directeurs.
70La critique du partage de l’Afrique n’est pas pour ces hommes une remise en cause du bien-fondé de la colonisation mais une critique des méthodes utilisées par celle-ci. Ceci démontre combien, au sein des élites colonisatrices – même si elles sont convaincues de leur supériorité et de celle de la civilisation occidentale –, des tensions surgissent entre ceux qui veulent sauver des âmes ou civiliser les indigènes et ceux qui considèrent le colonisé comme un objet utilisable et jetable à volonté125. Bien que se voulant critiques à l’égard de l’arbitraire colonial, ces discours sont néanmoins symptomatiques d’une vision du monde marquée par le projet colonial. Faire des colonies de pures créations de la conquête ne remontant qu’à quelques décennies et dont la fondation ne résulterait que d’actions européennes contribue à dénier au continent africain la capacité à construire son propre destin politique. Marquer les organisations territoriales africaines du sceau de l’artificialité coloniale, c’est leur dénier de fait toute historicité. Ce discours, développé par les tenants d’une parole légitime, a contribué à imposer cette image d’un continent africain marqué du sceau de sa faiblesse, taillé en morceaux incohérents par des colonisateurs tout-puissants. Ces appréciations négatives des tracés créés pendant la période coloniale ne restent pas circonscrites à la métropole, mais se retrouvent par la suite diffusées aussi sur le terrain.
Entre essentialisation de l’ethnie et critique des frontières, le regard des administrateurs
71À partir des années 1940, les administrateurs formés par ces hommes et nourris des mêmes théories jettent à leur tour un regard critique sur les configurations territoriales qu’ils observent au jour le jour. Les appréciations négatives portées sur les organisations territoriales ont existé dès les débuts de la période coloniale, les militaires comme les administrateurs ont toujours questionné des tracés qu’ils considéraient comme des conventions susceptibles d’être améliorées. Ces critiques visaient, en général, à identifier un problème et à proposer une nouvelle structure afin de le résoudre. Il était alors assez rare qu’elles portent sur le bien-fondé des tracés, puisqu’ils étaient, de fait, considérés comme de simples compromis temporaires. Ces critiques font alors état de l’impossibilité de réaliser de bons tracés à cause de la faible organisation des sociétés africaines. Ainsi, le commandant de cercle de N’Guigmi, dans sa monographie de 1913, explique le caractère artificiel du découpage administratif du cercle par le fait que les colonisateurs n’ont trouvé, à leur arrivée, qu’une « désorganisation complète126 ». Ici, c’est dans les spécificités des réalités africaines qu’est cherchée une explication à l’artificialité du découpage. Mais ce type de critique reste alors marginal127. Ce n’est qu’après la guerre que la dénonciation des frontières coloniales devient un thème récurrent chez les administrateurs.
72En effet, dans les années 1940 et 1950, les administrateurs font régulièrement état, dans leurs monographies régionales, de limites administratives qu’ils jugent artificielles. Certains questionnements portent sur le fait que le découpage ne correspond à rien « ni dans l’histoire ni dans les traditions du pays128 ». C’est en ces termes que s’exprime le rédacteur de la monographie de Tillabéri en 1955 ; le cercle est, selon lui, divisé en trois subdivisions, dont une seule, Ouallam, correspond à une entité géographique, tandis que la division en cantons ne prend pas en compte les diverses races ou familles, et la limite entre les cantons de Tondikindi et de Ouallam partage les villages de Lafaré et de Kallé129. On retrouve, ici, la double critique portant sur l’absence de respect des unités géographiques naturelles et des frontières ethniques. Pour Alexandre Loysance, rédacteur d’une note sur le canton de Boboye en 1946, si la limite sud de celui-ci est « un peu artificielle », c’est parce qu’elle coupe la vallée du moyen Dallol Bosso, alors que ce canton forme quasiment un tout géographique constitué par cette grande vallée130. Les rapports font alors souvent référence au fait que l’homogénéité géographique des régions n’a pas été respectée lors des tracés131. En 1952, le lieutenant Prautois termine, lui, sa synthèse géographique en dénonçant
« le ridicule de la frontière actuelle qui sépare les cercles de Tahoua et d’Agadès. Purement artificielle et tracée sans tenir compte de la topographie ou du peuplement des régions limitrophes, elle présente l’inconvénient de couper en deux une région naturelle dont In Gal est le pôle d’attraction incontesté. Il n’y a aucune raison pour que les Igdalen de Mohammed Aguissouf, les Tagarégaré de Mohammed el Moumine ou les Kel Nane de Bazo dépendent de l’administration de Tahoua alors que leur cercle de nomadisation les ramène périodiquement sur le territoire d’Agadès. Les différends survenant entre des tribus vivant côte à côte mais relevant d’autorités différentes sont beaucoup plus délicats et plus longs à régler que si un même chef présidait aux destinées de cette communauté132 ».
73La charge du lieutenant Prautois rassemble tous les types de critiques régulièrement invoqués : l’inadéquation des limites administratives avec les régions naturelles et les groupements humains, ainsi que l’idée qu’il est nécessaire de réunir les populations expérimentant un même genre de vie dans une même unité administrative. Cette essentialisation des populations et cette naturalisation de leur mode de vie apparaissent à d’autres endroits de son rapport. Ainsi, face à la montée des Peuls, dans des régions habituellement habitées par des Touaregs, il propose cette solution :
« Il semble toutefois que la limite géographique naturelle des Peulh pourrait être constituée par la falaise qui, ainsi que nous l’avons vu dans la géographie physique, constitue vraiment une zone de transition climatique. Cette limite naturelle serait facile à faire respecter si l’administration interdisait l’Irazer à leur pénétration133. »
74Selon cette logique, chaque population aurait donc un territoire naturel qu’il conviendrait de faire respecter en interdisant à d’autres groupes d’y accéder. Une des incompréhensions fondamentales des administrateurs de cette époque concerne le fait que les limites coloniales ne tiennent pas « compte des réalités ethniques, économiques et politiques134 ». Ainsi, selon l’administrateur Francis Nicolas, « les limites actuelles partagent arbitrairement des groupements semblables, tel celui des Ioullimeden, séparé par la limite soudanaise135 ». La référence des administrateurs est le groupe ethnique qui leur apparaît comme une entité fondamentale ahistorique ayant existé sous une forme identique au moment de la conquête et à celui de leurs observations136. Tandis que les autorités politiques qui ont servi de référent lors du découpage au moment de la conquête sont pour eux des pouvoirs de façade corrompus et inutiles, n’ayant de sens que dans le cadre de l’administration territoriale.
75Il est intéressant de remarquer que les rapports et les monographies à cette période ne sont plus constitués uniquement à partir des observations des administrateurs. Ils contiennent alors souvent des notes de bas de pages et des bibliographies qui témoignent des recherches documentaires effectuées dans les bibliothèques de cercles. Ces lectures révèlent un intérêt des administrateurs pour les théories de leur temps. Au détour des citations, apparaissent en premier lieu les rapports et les ouvrages de leurs prédécesseurs, mais ce sont ensuite les auteurs contemporains ou récents qui sont les plus cités. Ainsi le rédacteur de la monographie de Zinder de 1942, le lieutenant Montalembert, cite Paysans d’Afrique d’Henri Labouret et La géographie humaine de Vidal de La Blache137.
76Les représentations liées aux frontières africaines évoluent profondément durant l’entre-deux-guerres. Le regard des observateurs des réalités africaines change. Marqués désormais par l’évolution des sciences sociales et le développement de l’anthropologie, ceux-ci cherchent à faire correspondre ce qu’ils voient à des modèles. L’influence d’une vision classificatoire, qui observe l’Afrique par le biais du paradigme ethnique et d’une géographie marquée par la théorie des genres de vie et l’idée de région naturelle, aboutit à une perception négative des frontières coloniales. Elles sont considérées comme n’étant ni naturelles, ni ethniques, ni avantageuses économiquement.
CONCLUSION
77Au fur et à mesure qu’ils produisent des savoirs et qu’ils accumulent des connaissances, les administrateurs renforcent leur confiance dans leur propre capacité à expliquer et à comprendre les sociétés africaines. Dans l’entre-deux-guerres, les sociétés ne sont plus perçues à travers les discours qu’elles tiennent sur elles-mêmes, mais à travers une grille de lecture fondée sur une ethnographie géographique qui guide les regards européens. La construction des configurations territoriales ne se fonde plus sur une élaboration concertée, réalisée à partir de l’enquête auprès des populations locales, mais sur les conceptions préétablies que les administrateurs et les militaires se font des sociétés africaines. Ce changement de méthode s’accompagne d’un changement de perspective et de paradigme. Là où, au moment de la conquête, suivant en cela les vœux des populations, les militaires fondaient la définition des espaces sur les structures politico-historiques, les colonisateurs souhaitent désormais reconstruire l’espace en fonction d’une vision essentialiste et naturalisée des réalités africaines. Il s’agirait de repenser le découpage en fonction d’ethnies, de leurs régions naturelles et de leurs genres de vie. Suivant cette logique, le cadre territorial de la conquête, dont on a oublié la provenance largement africaine des savoirs et des conceptions qui ont servi à le former, est dénoncé et jugé inadapté aux spécificités de la réalité africaine. Mais cette réalité ainsi définie, par une mosaïque d’isolats ethniques et géographiques, n’existe que dans l’imaginaire européen.
78La construction de l’espace de la colonie du Niger apparaît donc comme un processus où acteurs européens et africains ont d’abord collaboré, dans des positions inégales certes, mais dans un contexte où la médiation des savoirs et des discours africains était indispensable à l’occupant européen. L’idée d’un partage colonial au cours duquel la toute-puissance européenne aurait réalisé le découpage des espaces au mépris des réalités africaines, et dans la passivité des acteurs africains, apparaît comme une construction théorique formulée a posteriori par une nouvelle génération d’acteurs et d’observateurs de la colonisation qui ne perçoivent plus les raisons qui ont guidé le tracé des frontières138. Bien que relevant d’une perspective humaniste et soucieuse des populations africaines, cette théorie contribue paradoxalement à nier l’action de celles-ci et à fantasmer une toute-puissance européenne. Par ailleurs, un autre paradoxe se fait jour. Les autorités coloniales, en définissant les espaces, ont souhaité, dans leur propre intérêt, reconduire les configurations existantes et conserver l’organisation territoriale des sociétés locales. Pourtant, ce faisant, elles ont contribué à détruire les fondements du rapport à l’espace existant dans la région et à déstructurer profondément l’organisation spatiale.
Notes de bas de page
1 Commandant de l’infanterie coloniale Rivet, Notice illustrée…, op. cit., p. 26-28.
2 La formule est de Jean-Louis Triaud, La légende noire de la Sanûsiyya, op. cit., tome 2, p. 854.
3 Id., « 1920, l’Aïr en ruines », dans Edmond Bernus, Pierre Boilley, Jean Clauzel, Jean-Louis Triaud (dir.), Nomades et commandants. Administration coloniale et sociétés nomades dans l’ancienne AOF, Paris, Karthala, 1993, p. 87-100.
4 Depuis 1912, l’accès au corps des administrateurs coloniaux est réservé aux fonctionnaires brevetés de l’École coloniale, Pierre Singaravélou, Professer l’Empire, op. cit., p. 55.
5 Ce constat est aussi celui de Christelle Jus, Soudan français, Mauritanie, une géopolitique coloniale 1880-1963. Tracer une ligne dans le désert, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 37.
6 Voir à ce sujet Marie Tranchet, « La représentation des Touaregs dans le roman saharien français. Étude d’un mythe historique à travers le regard littéraire : 1830-1998 », dans gemdev et université du Mali, Mali-France. Regards sur une histoire partagée, Paris/Bamako, Karthala/Donniya, 2005, p. 183-199.
7 Le gouverneur Brévié indique en s’adressant au commandant du cercle : « Si le cercle de Bilma n’a qu’une importance secondaire au point de vue administratif, j’estime qu’il a un rôle capital à remplir en raison de sa situation aux confins de l’Algérie, de la Tripolitaine et du Tibesti », ANN 5 E 8. 3, Territoire du Niger, relation Niger-Fezzan, 1927-1955.
8 Dans Camille Guy, « Le nouveau gouvernement du Niger », BCAF, 1, janvier 1923, p. 7 ; Commissariat de l’Afrique occidentale, Le territoire du Niger, Montauban, Barrier et Cie, 1922, 32 p.
9 Jean-Louis Triaud, La légende noire de la Sanûsiyya, op. cit., tome 2, p. 815.
10 Article 3, déclaration additionnelle du 21 mars 1899 : « Il est entendu en principe qu’au nord du 15° parallèle la zone française sera limitée au nord-est et à l’est par une ligne qui partira du point de rencontre du tropique du Cancer avec le 16° de longitude est de Greenwich (13° 40 est de Paris), descendra dans la direction du sud-est jusqu’à sa rencontre avec le 24° degré de longitude (21° 40 est de Paris), et suivra ensuite le 24° jusqu’à sa rencontre au nord du 15° parallèle de latitude avec la frontière du Darfour telle qu’elle sera ultérieurement fixée », Boureima Diambeidou, Recueil des déclarations…, op. cit., p. 63. Voir la carte supra, p. 219. Bernard Lannes, Tchad-Libye, la querelle des frontières, Paris, Karthala, 1982, p. 21.
11 Cet accord autorisait l’Italie à réclamer des compensations dans le cas où la France et la Grande-Bretagne augmenteraient leurs domaines coloniaux aux dépens de l’Allemagne.
12 ANN 3. 1. 5, Carnet monographique de Bilma, 1941.
13 SHD 1H 1083, sous-dossier Liaison Djanet-Djado avec les méharistes de Bilma par le capitaine Duprez. Reconnaissance de la frontière franco-italienne entre In Ezzam et le mont Tummo, Tripoli délimitation, 1927-1928.
14 « En 1930, les Italiens achevaient de conquérir la Tripolitaine et ne se gênaient pas pour effectuer des reconnaissances et poursuivre leurs adversaires jusque sur le territoire français. Le groupe nomade commandé par le lieutenant Feyler, qui nomadisait alors le long de la frontière, avait eu avec eux plusieurs incidents. Le poste de Madama fut construit pour préciser nos droits sur les confins nord du cercle de Bilma et surveiller la grande piste, Mourzouk, Toummo, Yat, Bilma, principale voie d’accès de la Tripolitaine au Niger », SHD 5H211 d. 2, Cercle de Bilma 1930-1956, p. 1. Il ne s’agit pas de l’administrateur Edmond Séré de Rivière qui arrive dans la colonie après la guerre.
15 ANN 3. 1. 5, Carnet monographique du cercle de Bilma par le capitaine Gilles commandant de cercle de Bilma, le lieutenant Périer administrateur des colonies et le médecin capitaine Le Drezen médecin chef du cercle, 1941. Section la seconde pacification, sous-section 4-La Pacification 1923-1930.
16 « Les instructions données chaque année à l’officier commandant le groupe méhariste qui effectue cette tournée lui interdisent formellement de s’approcher de la frontière du Fezzan, ce pays étant en pleine anarchie », ANN 5 E 1. 3, Liaison saharienne, liaison avec le Soudan, 1957, lettre no 3947 du 8 octobre 1926 du gouverneur général du Niger Brévié à monsieur le colonel commandant de la subdivision militaire du Niger.
17 « Tout déplacement important est interdit – stop – conséquence m’oppose formellement à délimitation qu’envisagez en avril-mai », ANN 1 E 9. 85, Rapport et correspondance du capitaine Lelong sur sa tournée au Tibesti malgré l’interdiction formelle, mai-novembre 1924, télégramme no 196 du 7 novembre 1922 du gouverneur du Niger au cercle de Bilma.
18 Brévié est le premier gouverneur civil de la colonie du Niger en poste de 1922 à 1929.
19 « Le but de cette tournée est de faire acte de souveraineté au Tibesti ; l’Italie a, en effet, sur cette région des visées qu’elle prétend justifier par le fait que nous l’avons évacuée et que nous nous en désintéressons. La présence de troupes françaises arrêtera ainsi le cours de la prescription dont l’Italie pourrait se prévaloir », ANN 21. 0. 36, Correspondance relative au Tibesti, 1926, directive du lieutenant-gouverneur du Niger, no 2988AG/I relative 1o à la liaison avec les Sahariens d’Algérie vers Djado, 2o à la tournée au Tibesti, 3o à la liaison au retour du Tibesti avec les méharistes du Tchad, Brévié lieutenant-gouverneur de la colonie, 16 août 1926, p. 4.
20 « Si toutefois vous estimez que cette démonstration, pour des raisons de politique locale qui m’échappent un peu, doit avoir lieu », ANN 21. 0. 36, Correspondance relative au Tibesti, 1926, lettre no 302 du ministre des Colonies à monsieur le gouverneur général de l’AOF, Paris, le 20 août 1926, au sujet du Tibesti, p. 2.
21 « Si cependant cette manière de voir ne prévalait pas et si l’on décidait d’occuper effectivement le Tibesti, je déclare nettement que j’aimerais mieux voir cette difficile et onéreuse expérience tentée par l’AEF que par la colonie que j’ai l’honneur d’administrer », ANN 21. 0. 36, Correspondance relative au Tibesti, 1926, lettre no 3854AG/I, du 4 octobre 1926 à monsieur le gouverneur général de l’AOF, direction des affaires politiques et administratives, cabinet militaire Dakar, p. 9.
22 Capitaine Rottier, « Sahara oriental. Kaouar-Djado-Tibesti », BCAF, Renseignements coloniaux, 1, janvier 1924, p. 1-14.
23 ANN 21. 0. 36, Correspondance relative au Tibesti, 1926, lettre no 3854AG/I, du 4 octobre 1926 à monsieur le gouverneur général de l’AOF, direction des affaires politiques et administratives, cabinet militaire Dakar, p. 1. Au-delà de ses capacités et de son expérience, Rottier est un ami d’enfance du gouverneur Brévié, toulousain d’origine comme lui, et a travaillé à ses côtés plusieurs années, Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 197-198.
24 Capitaine Rottier, « Une mission au Tibesti octobre 1926-mars 1927 », BCAF, Renseignements coloniaux, 7, juillet 1928, p. 425.
25 ANN 1 E 10. 45, Rapport Rottier. Tibesti 1927. Renseignement documentaire d’ordre divers : économique, administratif, social, géographique, 1929.
26 Jean Chapelle qui arrive au Niger à cette époque évoque ces débats, ainsi le capitaine Têtu commandant du cercle de Bilma qui « opposait ses informations directes et ses vues personnelles à celles, plus théoriques, du chef de cabinet militaire du gouverneur Brévié, le capitaine Rottier, d’où l’épaisseur des difficultés qui se développaient entre eux », Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 43.
27 ANN 1 E 11. 40, Rapport Rottier. Rapport de mission au Tibesti, 1929, p. 74-75.
28 ANN 21. 0. 39, Correspondance relative au Tibesti, 1929, lettre no 1516 AGI de Brévié à monsieur le gouverneur des colonies lieutenant-gouverneur du Tchad, Niamey le 8 juin 1929, p. 4.
29 Cette frontière « laisse à l’AOF toute la tribu Goundas moins la fraction Issaï dont les terrains de nomadisation situés autour de Dourso se trouveront en territoire de l’AEF, il n’était pas possible de faire autrement sans dessiner un crochet qui eût été particulièrement gênant tant pour l’administration du pays que pour la circulation des sections méharistes », ANN 21. 0. 39, Correspondance relative au Tibesti, 1929, rapport no 14 CC du chef de bataillon Aubert chef de la circonscription du Borkou Ennedi sur la reconnaissance effectuée au Tibesti par le groupe nomade de la 7e compagnie, Faya le 10 avril 1929, p. 12.
30 Dans la lettre no 1 8 GD, de Faya le 25 avril 1929 du chef de bataillon Aubert chef de la circonscription de Borkou Ennedi à monsieur le commandant du cercle du Kaouar au Tibesti, p. 2.
31 Christopher Andrew, Sidney Kanya-Forstner, « World War I and Africa », The Journal of African History, 19/1, 1978, p. 12.
32 Gabriel Angoulvant exerce alors temporairement les fonctions de gouverneur général de l’AOF et de l’AEF, Alice Conklin, « “Democracy” Rediscovered : Civilization through Association in French West Africa (1914-1930) », Cahiers d’études africaines, 37/145, 1997, p. 62.
33 Yves Marguerat, « À quoi rêvaient les gouverneurs généraux ? Les projets de “remembrement” de l’Afrique de l’ouest pendant la Première Guerre mondiale », dans Charles Becker, Saliou Mbaye, Ibrahima Thioub (dir.), AOF, réalités et héritages, Dakar, Direction des Archives du Sénégal, 1997, p. 90-91.
34 Alice Conklin, A Mission to Civilize. The Republican Idea of Empire in France and West Africa, Stanford, Stanford University Press, p. 178.
35 Yves Marguerat, « À quoi rêvaient les gouverneurs généraux ? », art. cité, p. 92.
36 Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., p. 357. La carte de l’ouvrage d’Abadie figure la frontière de ce territoire du centre africain.
37 Joseph Roger de Benoist, La balkanisation de l’AOF, Dakar, Les Nouvelles Éditions africaines, 1978, p. 42-43.
38 Ibid., p. 43-44.
39 Ibid., p. 45.
40 Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., en fin de volume.
41 « Le lendemain matin à 8 heures, nous fîmes un palabre avec tous les chefs du pays réunis. Je pris d’abord la parole pour leur présenter leur nouveau gouverneur. […] Aucun incident ne fut soulevé, et tous même le chef des Touaregs Logomaten acceptèrent monsieur le gouverneur du Niger, pour nouveau chef », ANN 19. 8. 4, Suppression de la colonie de la Haute-Volta, Téra, 1927, lettre no 89 de l’inspecteur Lefilliatre des affaires administratives de la Haute-Volta à monsieur le gouverneur de la Haute-Volta, Ouagadougou, 18/02/1927, p. 2.
42 Ibid.
43 Bi Gnangoran Yao, « La mise sous tutelle de la Haute-Volta, actuel Burkina Faso (1932-1944) », dans Yénouyaba Georges Madiega, Oumarou Nao, Burkina Faso, cent ans d’histoire 1895-1995, Paris, Karthala/PUO, 2003, p. 766-778.
44 « La raison dominante de ce détachement a été le désir d’assurer rapidement une limite naturelle entre les colonies de la Haute-Volta et du Niger », ANN 19. 8. 8, Modifications territoriales consécutives à la suppression de la Haute-Volta, Téra, 1932, lettre no 368AP, du gouverneur du Niger au gouverneur de l’AOF du 22 juin 1933, p. 1.
45 Ibid.
46 « Cette mesure qui s’expliquait à la rigueur par la nécessité d’avoir une frontière nette, le Niger, entre les deux colonies, fut au point de vue politique et économique une grosse faute, une hérésie comme l’a dit un des officiers qui a commandé pendant plusieurs années différents cercles de cette région. En effet, tous les cantons du fleuve qui auparavant s’étendaient sur les deux rives du Niger, furent amputés de leurs villages situés sur la rive droite. Cette rive droite, que ses intérêts politiques et économiques rattachent intimement à la vallée du Niger, dut s’orienter vers Dori », ANN 19. 8. 9, Raisons militant en faveur du rattachement de Téra (Haute-Volta) à la colonie du Niger, sans auteur ni date, Téra, colonie du Niger, bureau politique (souligné dans le texte).
47 ANN 19. 8. 8, Modifications territoriales consécutives à la suppression de la Haute-Volta, Téra, 1932, lettre no 368AP, du gouverneur du Niger au gouverneur de l’AOF du 22 juin 1933, p. 1.
48 « Au point de vue économique, il y aurait incontestablement intérêt à ce que les deux rives du Niger soient placées sous la même autorité. Cela n’est pas à démontrer, surtout si l’on veut observer les directives de monsieur le ministre sur la mise en valeur des colonies. Le point de vue de monsieur le gouverneur Jules Brévié qui consiste en le rattachement au Niger du cercle de Say et de la subdivision de Téra doit donc prévaloir, en tout cas, c’est celui qui répond le mieux aux nécessités de l’heure présente, en ce qui concerne la mise en valeur », ANN 19. 8. 9, Raisons militant en faveur du rattachement de Téra (Haute-Volta) à la colonie du Niger, sans auteur ni date, Téra, colonie du Niger, bureau politique.
49 ANN 14. 1. 9, Monographie du cercle de Maradi en 1955, Maradi, 1955, p. 1-2.
50 ANN 14. 1. 2, Carnets monographique du cercle de Maradi, Périé, Maradi, 1945.
51 Ibid.
52 ANN 14. 1. 9, Monographie du cercle de Maradi en 1955, Maradi, 1955, p. 1-2.
53 Dans ANN 18. 1. 1, Histoire du commandement du Damergou, Tanout, Mathey, mai 1935.
54 « En effet, la population du canton de Dargol est uniquement composée de Songhais. Pourquoi ce canton resterait-il rattaché à Tilla qui n’en a pas sur son territoire ? », ANN 19. 8. 6, Rattachement de Téra au cercle de Dori, Téra, 1932, lettre no 28 de l’administrateur des colonies commandant le cercle de Tillabéri au gouverneur du Niger, le 9/12/1932, p. 1.
55 ANN 19. 8. 2, Carte d’identité du cercle de Tillabéri, Téra, 1927.
56 Ibid.
57 La géographie est un des enseignements phares de l’École coloniale depuis 1889, Pierre Singaravélou, Professer l’Empire, op. cit., p. 244.
58 Paul Claval, « Continuité et mutation dans la géographie régionale de 1920 à 1960 », dans Id., André Louis Sanguin (dir.), La géographie à l’époque classique (1918-1968), Paris, L’Harmattan, p. 159-184.
59 Joseph Roger de Benoist, La balkanisation de l’AOF, op. cit., p. 42.
60 En 1913, le commandant de cercle de N’Guigmi constatait que « non seulement la multiplicité des races est considérable, mais encore elles sont souvent enchevêtrées, mêlées de la façon la plus intime, pour en citer un exemple, le seul petit village de Barroua comprend à la fois des Kanembous, des Moheurs et des Bédès », ANN 24. 1. 2, Monographie du cercle de N’Guigumi, le commandant de cercle, avril 1913, p. 3.
61 En 1917, le rédacteur de la monographie du secteur de Gaya évoque la région du Dendi qui selon lui « renferm[e] un certain nombre de races d’origines diverses, tantôt librement juxtaposées, tantôt plus ou moins fortement mélangées ». Il poursuit en indiquant qu’avec une « telle confusion de langues et de races il [est] difficile de trouver quelque unité pour l’organisation du pays », ANN 5. 1. 4, Monographie de Gaya. Le droit tienga, Eperet, 1917, Marsoud, 1909, Archives des Études nigériennes, Dosso, p. 9 et 23.
62 ANN 2. 1. 13, Étude monographique sur la tribu Kel Férouane, M. de Geyer d’Orth rédacteur de l’AGOM, cercle d’Agadez, 1952.
63 Selon la formule de Marie-Albane de Suremain, « Un chef-d’œuvre de la cartographie colocoloniale ? Les cartes ethnodémographiques de l’Afrique occidentale », Mappemonde, 92/4, 2008, p. 5.
64 ANN 1 E 45. 1, Rapport de tournée de recensement effectué dans l’Anzourou, par l’administrateur adjoint Malfettes, octobre-novembre 1954.
65 Dans Gouvernement général de l’AOF, Atlas des cartes administratives…, op. cit., 1922.
66 Comme le montre le texte de la conférence de Labbezenga qui vise à réglementer la question des migrations à la frontière des colonies du Niger et du Soudan : « S’il ne faut pas entraver la nomadisation des pasteurs touaregs, arabes et peuls qui suivent la nécessité de la saison, et suivant les ressources en pâturages et en passant d’une colonie dans l’autre, il convient toutefois conformément au principe d’ordre général posé plus haut de ne pas les laisser s’installer définitivement dans une circonscription autre que leur circonscription d’origine sans avertir celle-ci et lui demander des renseignements et son avis », ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, convention de Labbezenga, 12 mai 1927, procès-verbal.
67 ANN 2. 1. 10, Carnet monographique d’Agadez, Laffite, 1940-1941, pagination multiple.
68 Sur cette question voir Daouda Gary-Tounkara, Migrants soudanais/maliens et conscience ivoirienne. Les étrangers en Côte d’Ivoire (1903-1980), Paris, L’Harmattan, 2008 ; François Manchuelle, Les diasporas des travailleurs soninké (1848-1960) : migrants volontaires, Paris, Karthala, 2004 ; Issiaka Mandé, Les migrations de travail en Haute-Volta (actuel Burkina Faso), mise en perspective historique 1919-1960, thèse de doctorat, dirigée par Catherine Coquery-Vidrovitch, université Paris 7, 1997 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Odile Goerg, Issiaka Mande, Faranirina Rajaonah (dir.), Être étranger et migrant en Afrique au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2003.
69 Stephen Baier, An Economic History of Central Niger, op. cit., p. 89.
70 Ibid., p. 102.
71 Bien que le thème de la paix française soit un des poncifs du discours colonial, il correspond dans la région à une réalité. Il ne s’agit pas de reprendre le mythe d’une colonisation souhaitée et invoquée par des populations victimes d’une aristocratie prédatrice et de pouvoirs abusifs, qui auraient accueilli la colonisation comme une libération, mais de constater que la domination coloniale une fois l’occupation réalisée a imposé, à certains moments et dans certains lieux, le calme, dans la mesure où elle revendiquait le monopole de la violence.
72 Derrick J. Thom, The Niger-Nigeria Boundary, 1890-1906, op. cit., p. 35-38.
73 Ibid., p. 35.
74 ANN 1 E 45. 6, Rapport sur le recensement du canton de Babantapki par l’administrateur adjoint Coussirou du 28 mai au 15 juin 1955, cercle de Zinder, 1955.
75 ANN 1 E 35. 16, Rapport de tournée effectuée par le chef de la subdivision de Magaria, Poujol dans le canton de Gouchy, 1947. Sur la mobilité des femmes haoussas au long de leur vie et en fonction de leur mariage, Barbara Cooper, Mariage in Maradi, op. cit., p. 62-64.
76 ANN 2. 1. 13, Étude monographique sur la tribu Kel Férouane, M. de Geyer d’Orth rédacteur de l’AGOM, cercle d’Agadez, 1952, p. 4-5.
77 Benedetta Rossi, « Slavery and Migration : Social and Physical Mobility in Ader (Niger) », dans Id. (dir.), Reconfiguring Slavery : West African Trajectories, Liverpool, Liverpool University Press, 2009, p. 182-206.
78 « Les Bouzous constituent les 3/4 voir les 9/10e de la plupart des tribus touaregs, ils ont tendance à s’émanciper, surtout ceux qui vivent au contact des populations sédentaires. Souvent ils vont s’installer dans les cercles du Sud et même en Nigeria. Il existe en Nigeria de nombreux Bouzous notamment dans la région de Dankama et autour de Jibia », ANN 18. 1. 3, Monographie du cercle de Tanout, M. Riou, 1945, Tanout, p. 41.
79 ANN 1 E 35. 42, Rapport de tournée de l’élève administrateur Pujol sur le recensement de Keita, 1947.
80 Jean Rouch, Migration au Ghana (Gold Coast), Paris, CNRS, 1956 ; Thomas M. Painter, « From Warriors to Migrants : Critical Perspectives on Early Migrations among the Zarma of Niger », Africa Journal of the International African Institute, 58/1, 1988, p. 87-100 ; Jean-Pierre Olivier de Sardan, Les sociétés songhay-zarma, op. cit., p. 253-262 ; Benedetta Rossi, « Slavery and Migration », art. cité, p. 182-206.
81 Jean-Pierre Olivier de Sardan, Les sociétés songhay-zarma, op. cit., p. 256.
82 ANN 1 E 35. 25, Rapport de tournée, recensement du canton de Myrriah du 17 mars au 15 avril effectué par l’administrateur adjoint des colonies, adjoint du commandant de cercle Bailly, 1947.
83 Ibid.
84 ANN 21. 0. 38, Correspondance relative au Tibesti no 3 à 48, manquent 1, 2, 18, 19, Tibesti, 1928, télégramme 594 du gouverneur Brévié aux affaires courantes à Dakar, décembre 1928.
85 Gérard Noiriel, « Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la 1re à la 3e République », Genèses, 30, mars 1998, p. 77-100 ; Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (dir.), Police et migrants. France 1667-1939, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001 ; John Torpey, L’invention du passeport. États, citoyennté et surveillance, Paris, Belin, 2005 ; Vincent Denis, Une histoire de l’identité. France, 1715-1815, Seyssel, Champ Vallon, 2008.
86 En 1905 a eu lieu un important rezzou mené par les Kel Ahaggar dissidents et les Toubous, en 1906 une caravane est attaquée à Fachi, faisant perdre 2 500 chameaux aux caravaniers, et en 1907 les Kel Ahaggar pillent les Kel Fadei.
87 ANN 1 E 3 40, cercle d’Agadez, 1907.
88 Benedetta Rossi, « Slavery and Migration », art. cité, p. 182-206. Le contrôle des marchands migrants est exercé de manière similaire en métropole, Claire Zalc, « Contrôler et surveiller le commerce migrants. Nomades, forains et ambulants à Paris (1912-1940) », Marie-Claude Blanc-Chaléard, Caroline Douki, Nicole Dyonet, Vincent Milliot (dir.), Police et migrants, op. cit., p. 365-388.
89 C’est le nom donné à cette caravane par les autorités coloniales.
90 Dans ce rapport le gouverneur Toby indique que l’Azalaï ne nécessite plus d’escorte armée. ANN 19. 1. 12, Projet de modification des limites territoriales Algérie-Soudan-Niger, Toby gouverneur du Niger, Téra, 1946, p. 6.
91 Vincent Joly, « Un aspect de la politique musulmane de la France : l’administration de l’AOF et le pèlerinage à La Mecque (1930-1950) », Annales du Levant, 5, 1992, p. 37-41.
92 Ibid., p. 42.
93 Daouda Gary-Tounkara, Migrants soudanais/maliens, op. cit., p. 87-88.
94 ANN 1 E 13. 75, Rapport de tournée dans la région de Keïta par le commandant de cercle de Tahoua Loppinot, situation générale, exode en Nigeria, Recensement, 1932.
95 Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 119.
96 Camille Lefebvre, « We Have Tailored Africa : French Colonialism and the “Artificiality” of Africa’s Borders in the Interwar Period », Journal of Historical Geography, 37/2, 2010, p. 1-3.
97 Augustin Bernard, Géographie universelle, tome XI, Afrique septentrionale et occidentale. Deuxième partie Sahara – Afrique occidentale, Paris, Armand Colin, 1939, tome 1, p. 23.
98 Ibid.
99 Ibid., tome 2, p. 447.
100 Ibid., p. 446-447.
101 Florence Deprest, Géographes en Algérie, 1880-1950 : savoirs universitaires en situation coloniale, Paris, Belin, 2009, p. 197-198.
102 Ibid., p. 199.
103 Georges Hardy, La politique coloniale et le partage de la terre aux xixe et xxe siècles, Paris, Albin Michel, 1937, p. 410.
104 Ibid., p. 411.
105 Ibid., p. 412.
106 Robert Delavignette, Afrique occidentale française, op. cit., p. 32.
107 Ibid., p. 33.
108 Jacques Weulersse, L’Afrique noire, Paris, Fayard (Géographie pour tous), 1934, p. 38.
109 Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, La Table ronde, 1972, p. 253-273.
110 Pierre Singaravélou, Professer l’Empire, op. cit., p. 132.
111 Augustin Bernard, Géographie universelle, tome XI, op. cit., tome 2, p. 421.
112 Ibid., p. 422.
113 Ibid., p. 447.
114 Georges Hardy, La politique coloniale…, op. cit., p. 408-409.
115 Id., Vues générales de l’Histoire d’Afrique, Paris, Librairie Armand Colin, 1942 [1923], p. xiii.
116 Ibid., p. xvi.
117 Ibid.
118 Ibid., p. xvii.
119 Ibid., p. xix.
120 Robert Delavignette, Afrique occidentale française, op. cit., p. 32.
121 Pierre-Yves Pechoux, Michel Sivignon, « Jacques Ancel (1882-1943) géographe entre-deuxguerres (1919-1945) », dans Paul Claval, André Louis Sanguin, La géographie à l’époque classique, op. cit., p. 217.
122 Jacques Ancel, Géographie des frontières, Paris, Gallimard, 1938, p. 8.
123 Marie-Albane de Suremain, L’Afrique en revues : le discours africaniste français, des sciences coloniales aux sciences sociales (anthropologie, ethnologie, géographie humaine, sociologie), 1919-1946, thèse de doctorat, dirigée par Catherine Coquery-Vidrovitch, université Paris 7, 2001, p. 342-345.
124 Dans Robert Delavignette, Afrique occidentale française, op. cit., p. 29.
125 Frederick Cooper, Le colonialisme en question : théorie, connaissance, histoire, Paris, Payot, 2010, p. 37.
126 « En somme nous n’avons rien trouvé d’organisé, ou plutôt nous n’avons vu que désorganisation complète. Pour y remédier, il a fallu donner une répartition en cantons se rapprochant très vaguement de l’organisation en groupements existant antérieurement mais il faut reconnaître qu’elle est très artificielle », ANN 24. 1. 2, Monographie du cercle de N’Guigumi, le commandant de cercle, avril 1913, p. 22.
127 Dans son récit de souvenirs, Jean Chapelle, arrivé à Zinder en 1927, remarque qu’à cette époque il aurait été considéré comme subversif de critiquer la frontière franco-britannique. Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 81.
128 « Administrativement le cercle est divisé en trois subdivisions groupant plusieurs cantons. Seule la subdivision de Ouallam correspond à une entité géographique : le Djemaganda ou pays des Djermas. Mais le découpage artificiel des cantons de cette subdivision, fait au début de l’occupation française par le premier poste militaire de Sorbon, ne correspond à rien, ni dans l’histoire, ni dans les traditions du pays », ANN 22. 1. 8, Monographie du cercle de Tillabéri, sans auteur, juillet 1955, p. 23.
129 Ibid., p. 24.
130 ANN 15. 1. 4, Notes sur le canton de Boboye, stagiaire de l’administration coloniale Alexandre Loysance, octobre 1946, Niamey, p. 1.
131 ANN 5. 1. 22, Monographie du cercle de Dosso 1934-1941, Archives des Études nigériennes, Dosso, p. 1-2.
132 ANN 2. 1. 15, Le pays d’In Gal : Tadress et Irhazer, lieutenant Prautois commandant le peloton méhariste de l’Aïr, cercle D’Agadez, 15 octobre 1952, p. 14.
133 Ibid., p. 12.
134 ANN 1 E 23. 87, Rapport de tournée effectuée en 1939 par le chef de subdivision Francis Nicolas : question des Hoggars et limites de circonscriptions, 1939.
135 Ibid.
136 La littérature sur la rigidification des catégories ethniques pendant la colonisation est particulièrement abondante, voir : Jean-Loup Amselle, Elikia M’Bokolo, Au cœur de l’ethnie, op. cit. ; Terence Ranger, « L’invention de la tradition en Afrique à l’époque coloniale », dans Eric Hobsbawn, Terence Ranger (dir.), L’invention de la tradition, Paris, Amsterdam, 2006 [1983], p. 225-278 ; Terence Ranger, « The Invention of Tradition Revisited : The Case of Colonial Africa », dans Terence Ranger, Olufemi Vaughan (dir.), Legitimacy and the State in Twentieth Century Africa. Essays in Honour of A. H. M. Kirk-Greene, Oxford, Macmillan Press, p. 62-111 ; Jean-Pierre Chrétien, Gérard Prunier (dir.), Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala, 1989.
137 ANN 23. 1. 9, Monographie de Zinder, sous-lieutenant Montalembert, le 18 mars 1942.
138 L’idée que le tracé des frontières a pu s’appuyer sur des délimitations africaines et a pu être réalisé par la sollicitation des populations locales a largement été oubliée par la nouvelle génération d’administrateurs. Les traités, les conventions de frontières n’en faisaient jamais mention, pas plus que les médias qui font la publicité de l’action coloniale. On retrouve cette discrétion dans d’autres circonstances. Ainsi le travail des scientifiques auprès des diplomates dans le redessin des frontières de l’Europe à l’issue de la Première et de la Seconde Guerre mondiale a aussi fait l’objet d’un processus de refoulement. Plus largement, il semble que l’investissement des géographes dans la définition des tracés frontaliers ait été largement oublié par la mémoire collective de la corporation, Michel Foucher, « Les géographes et les frontières », Hérodote, 33-34, 1984, p. 125-128 ; Emmanuelle Boulineau, « Un géographe traceur de frontières : Emmanuel de Martonne et la Roumanie », L’espace géographique, 4, 2001, p. 368.
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