Chapitre IV. Comment occuper les territoires ? (1900-1930)
p. 265-304
Texte intégral
1Le moment de conquête est dans cette région plus long qu’ailleurs, il faut près de trente ans à la France pour maîtriser la totalité de l’espace qu’elle s’est approprié entre Niger et Tchad ainsi que pour construire un appareil d’occupation relativement efficace. Durant cette première période, l’occupation coloniale au Niger est marquée par une logique de conquête, caractérisée par une discontinuité sociale et géographique de la souveraineté coloniale : d’une part, certains lieux compris à l’intérieur du territoire revendiqué par la puissance coloniale restent hors d’atteinte des agents coloniaux et, d’autre part, l’occupant ne peut exercer son action sur un mode direct et doit s’allier aux réseaux de pouvoir existants1. Ce moment est également caractérisé par une faible différenciation fonctionnelle du personnel colonial, ses agents concentrant entre leurs mains tous les pouvoirs et exerçant différents types de fonctions. Enfin, il est défini par une importante autonomie des acteurs coloniaux sur le terrain vis-à-vis des institutions politiques de la métropole, alors incapables d’exercer un contrôle sur leurs activités. La politique coloniale appartient en propre aux autorités militaires, qui peinent à contrôler leurs lieutenants et sous-traitent une partie de leurs prérogatives de coercition aux populations locales considérées comme alliées. Les préoccupations de la conquête, notamment l’occupation et la sécurité, se combinent alors à une faiblesse des outils de contrôle et des moyens d’exercice de l’autorité qui sont encore en construction. Il s’agit ici d’observer comment des institutions de contrôle du territoire émergent malgré des moyens militaires et administratifs réduits, mais aussi d’observer, au-delà du discours, la réalité sur le terrain des modalités de l’action coloniale. Le territoire militaire du Niger apparaît, en effet, comme un lieu où la distorsion entre les ambitions coloniales et la réalisation de celles-ci, entre le discours que la colonisation tient sur elle-même et la réalité du terrain est prégnante.
2Les oppositions et les résistances sont nombreuses et régulières2, les conditions environnementales et climatiques sont difficiles pour les Européens et enfin, plus encore qu’ailleurs en Afrique de l’Ouest, les moyens dont disposent l’occupant y sont dérisoires. Les militaires en poste sur place sont extrêmement peu nombreux et ont pour tâche d’occuper un espace qui s’accroît au rythme de la conquête. De larges portions de ce territoire échappent complètement à leur contrôle et celui-ci n’est occupé qu’à partir de points d’ancrage. De plus, ils ne disposent pas encore d’outils cartographiques précis, permettant d’acquérir un regard global sur l’espace. Cette période d’installation est marquée par la construction d’un système essentiellement défensif et par la volonté d’engager des effectifs les moins nombreux possible. L’attitude à la fois hostile et sur la défensive de l’occupant détermine ses logiques et la conduite de l’occupation.
TERRITOIRE, OCCUPATION ET ADMINISTRATION
3Au Niger, la mise en place de l’administration se réalise en même temps que la conquête. Ainsi, lorsque le troisième territoire militaire est institué en 1900, le colonel Péroz nommé à sa tête a pour tâche de conquérir le territoire mais aussi de réaliser l’occupation des régions conquises et de mettre en place l’administration. Le territoire est en même temps conquis, construit et des embryons d’administrations sont mis en place par les mêmes hommes, sans plan d’ensemble ou instructions précises. Pendant les deux premières décennies d’occupation, les tâches et les objectifs des militaires restent aussi étendus. Le territoire qu’ils doivent contrôler et administrer s’agrandit de mois en mois sans que leurs moyens ou leurs effectifs augmentent. Pacification, conquête, administration, perception de l’impôt, justice, construction de l’organisation territoriale, gestion administrative, cartographie… les tâches dévolues aux militaires sont diverses et concernent autant les domaines militaires que civils.
Sous administration et gestion territoriales
4L’occupation coloniale est alors mise en œuvre par une poignée de militaires qui exercent toutes les tâches, de l’administration au combat. Les effectifs des militaires présents sur le terrain pendant les vingt premières années de l’occupation varient peu. Si, au moment de la conquête, Péroz dispose d’une centaine d’hommes, dès la fusion du premier et du troisième territoire militaire, par le décret du 18 octobre 1904, l’effectif franchit le seuil des deux cents hommes3. De 1907 à 1922, les Français théoriquement présents sur place représentent en moyenne 240 hommes. Mais selon le commandant du territoire en 1909, un tiers de ces hommes ne sont pas réellement sur place, ils sont soit malades, soit rapatriés, soit en voyage pour arriver ou repartir de la colonie4
5.
Évolution de la présence française au Niger5
6Cet effectif doit gérer un territoire qui est, jusqu’en 1910, bien plus important que le territoire actuel du Niger, puisqu’il comprend aussi les cercles de Gao et Tombouctou, et s’étend sur près de 1 400 000 km2. Si l’on rapporte les chiffres des effectifs de l’occupant à la population et à l’étendue du territoire la relation est saisissante. En 1909, il y a un occupant pour 4 053 habitants6 et en 1908 la proportion d’occupants pour l’ensemble du territoire est d’un pour 6 347 kilomètres carrés. En 1926, on retrouve un rapport semblable, quoique diminué, d’un Français pour 4 760 personnes. Pour les appuyer, les militaires français disposent d’un bataillon de tirailleurs sénégalais qui compte entre 700 et 1 500 hommes sur la période.
7Ces effectifs doivent être rapportés à la très grande disparité territoriale de la présence coloniale. En effet, plus de la moitié des occupants sont localisés dans les grandes villes et particulièrement dans le chef-lieu de territoire, à Zinder ou Niamey, selon les périodes. Ainsi en 1922, dans sa description de Zinder, alors le chef-lieu du territoire, Delavignette évoque la soixantaine d’Européens vivant dans la ville, ce qui représente selon lui près d’un tiers des Français théoriquement présents au Niger7. Tandis que l’effectif des cadres de l’administration territoriale, dispersés sur l’ensemble d’un territoire deux fois supérieur à la France, serait alors aussi d’une soixantaine d’hommes : « Sept cercles avec vingt et un administrateurs et trente-neuf agents des affaires indigènes, en tout soixante hommes de commandement8. » La société coloniale, selon Delavignette, « agglutine ses hommes par plaques9 » et la situation perdure lorsque le chef-lieu de territoire est déplacé à Niamey10. De plus, les occupants disséminés à l’intérieur du territoire, qui assurent l’administration territoriale, sont, eux aussi, installés dans les villes et particulièrement dans les chefs-lieux de cercles. Enfin, la taille des commandements est extrêmement variable, mais la structure administrative reste dans tous les cas sensiblement la même : un commandant de cercle européen assisté d’un second, même dans le cas du cercle d’Agadez qui représente entre 700 000 et 900 000 km2 selon les périodes11.
8Les hommes qui réalisent l’occupation du territoire entre 1900 et 1922 sont, dans leur très grande majorité, des militaires. Ainsi, en 1908, sur un effectif de 218 occupants français, 198 sont militaires, 4 sont fonctionnaires et 11 sont commerçants12. Après le passage à l’administration civile, les civils les remplacent, mais les postes du Nord et de l’Est restent administrés par des militaires. En 1927, les cercles de N’Guigmi, Tahoua, Agadez et Bilma sont toujours administrés par des militaires, qui cumulent les responsabilités civiles et militaires13. Le commandant de cercle de N’Guigmi est aussi en 1927 commandant de compagnie et est à la fois sous les ordres du gouverneur et sous ceux du commandant du 3e bataillon de Zinder ; son adjoint, le lieutenant Chapelle, cumule lui aussi ces doubles fonctions, il est adjoint du commandant de cercle et adjoint du commandant de compagnie14.
9Moins de deux cent quarante hommes, plus d’un million d’administrés et plus d’un million deux cent mille kilomètres carrés, ces données de base établies, on peut s’interroger sur les moyens dont disposent ces hommes pour assurer l’occupation et l’administration. Si les effectifs sont limités, les moyens sont, eux, dérisoires. La première difficulté est la maîtrise du terrain. Pour l’occupant français, le principal problème est de se rendre d’un lieu à un autre. Le territoire est immense et largement désertique. Se déplacer est à la fois compliqué, dangereux et coûteux. En 1912, selon le récit du commandant Rivet, rédigé à son retour du territoire, il faut « encore 75 jours, repos compris, à un convoi escorté ou à un détachement de troupes pour se rendre de Niamey à N’Guigmi par la route principale d’étape15 ». Plus de deux mois pour traverser les 1 489 kilomètres16 du territoire d’ouest en est rendent évidemment ardu le contrôle territorial. Dix ans plus tard, en 1922, la route de Niamey à N’Guigmi compte toujours soixante-quinze jours d’étape et celle de Gaya à Bardaï qui traverse le territoire du sud-ouest au nord-est compte, elle, quatre-vingt-dix-huit jours17. Les moyens de déplacement sont eux aussi réduits18. En 1927, la voiture a à peine fait son apparition, seuls les cercles de Niamey, Dosso, Birnin Konni et Tessaoua sont dotés d’une voiture de tourisme et la colonie n’a été survolée que par trois avions19. Les déplacements se font donc à cheval et à dos de chameau20. En 1932, une seule route est praticable toute l’année, celle de Niamey à Gaya par Dosso, qui fait 302 kilomètres, toutes les autres pistes ne sont praticables qu’en saison sèche21.
10La difficulté pour l’administration est de réussir à maintenir le contact entre le chef-lieu de territoire et les postes les plus éloignés, tels Agadez, N’Guigmi ou Bilma22. Dans l’impossibilité matérielle d’assurer eux-mêmes des convois réguliers, les militaires sont obligés d’utiliser les méthodes de transports existantes et notamment les caravaniers touaregs. Jusqu’en 1913, au moins, ce sont ainsi les Touaregs qui, payés par l’occupant, effectuent le ravitaillement et la circulation du courrier vers les postes éloignés. Mais l’occupation du Tibesti, à partir de 1913, révèle les limites de ce système. L’administration de cette région, distante de plus de 1400 kilomètres du centre de commandement, s’avère un véritable casse-tête. Durant l’automne 1916, les autorités coloniales réquisitionnent plus de 1 550 chameaux afin d’acheminer courrier et ravitaillement. Ces difficultés et les conséquences de la pression des réquisitions furent une des raisons principales de la position des autorités de la colonie du Niger en faveur du rattachement de cette région à l’AEF.
11Les communications avec les autres colonies de l’Empire français sont, elles aussi, rendues difficiles par l’absence d’infrastructures. À la fin des années 1920, pour se rendre au Niger depuis Dakar, les administrateurs français passent encore par Lagos et le chemin de fer britannique23. Il existe dans les années 1930 un camp français à Kano qui accueille les nouveaux administrateurs affectés dans la colonie du Niger24. Comme cela est souvent répété aux administrateurs auxquels on annonce à Dakar leur affectation, le Niger « c’est le bout du monde25 ».
Administrer le bout du monde
12Au-delà de ces conditions générales, ce qui frappe à la lecture des rapports de l’administration coloniale, à l’échelle locale du cercle ou de la subdivision, c’est le sentiment d’impuissance dont font régulièrement état les militaires en poste dans cette région. Les rapports écrits durant les premières décennies d’occupation sont pleins de références aux endroits où ils ne peuvent se rendre, aux populations sur lesquelles il est interdit de faire acte d’administration pour des raisons de sécurité et aux ordres qu’ils sont incapables de mettre en œuvre.
13Les rapports sont nourris de questionnements à l’égard des ordres qui leur sont donnés et des logiques de l’action coloniale dans la région. Ils regrettent le manque d’ambition des instructions qu’ils reçoivent ou, à l’inverse, leur aspect irréaliste. Dans son récit de souvenirs, le général Gouraud évoque a posteriori son irritation face à l’inaction qui lui est imposée. Selon ses termes, le troisième territoire est alors « étroitement tenu en lisière26 » et il leur est interdit de dépasser Zinder ou de se rendre à Agadez27. En 1917, le commandant de cercle de N’Guigmi a ce même sentiment d’impuissance. Il déplore le fait que, depuis plus d’un an, il n’ait « pas encore eu l’autorisation de sortir » du chef-lieu de cercle et constate
« qu’il est bien difficile d’administrer d’un bureau, surtout dans un pays que l’on ne connaît pas, de régler les contestations de gens dont on ignore les mœurs et les coutumes, de répartir les réquisitions, les fournitures et les transports sans connaître les ressources des cantons, ressources qui souvent peuvent varier d’une année à l’autre28 ».
14Il conclut en demandant qu’il lui soit permis de sortir au moins une fois par mois. Cette situation est certainement liée à la très grande faiblesse des effectifs pendant la Première Guerre mondiale. Néanmoins, de manière récurrente, les militaires déplorent l’inaction qui leur est imposée. Régulièrement, ils reçoivent instruction de ne pas se rendre dans des régions considérées comme dangereuses, notamment au nord d’Agadez vers la frontière algérienne ou dans les confins libyens. Ainsi, le Nord, le Nord-Est et l’Est du territoire, bien qu’étant, par les traités, attribués à la France, ne voient pas l’ombre d’un militaire français pendant presque toute la première décennie d’occupation.
15Dans certains cas, les militaires sont invités par leur hiérarchie à ne pas faire acte d’administration sur certaines populations. C’est le cas du commandant du cercle de N’Guigmi auquel on donne, en 1905, l’instruction de ne pas essayer d’administrer les populations touboues29. De même, les militaires de la région d’Agadez ont interdiction de poursuivre les rezzous, ce qui amène le commandant du cercle d’Agadez, Dario, en août 1909, à écrire au commandant de la région de Zinder pour lui demander l’autorisation de mettre fin à ces « affronts continuels30 ».
16La tournée est le fondement de l’administration territoriale en AOF, qui est d’abord une administration foraine31. Mais l’attitude défensive adoptée dans cette période de conquête limite, pour une grande part, les déplacements des administrateurs dans le territoire du Niger, et la population est peu visitée. Le commandant de cercle est souvent le seul Européen de son cercle, et son absence au chef-lieu pose des problèmes de commandement. En 1907, la région de Konni, qui appartient à la zone disputée entre les autorités coloniales françaises et britanniques, redevient française et est alors rattachée au cercle de Tahoua, dont le chef-lieu est distant de 120 kilomètres. Les occupants de ce poste se trouvent alors face à la difficile tâche de contrôler une dépendance aussi lointaine. Il faut, en effet, six jours pour se rendre de Tahoua à Konni, et une tournée dans la région occasionne une absence d’un mois loin du chef-lieu. Le commandant de cercle de Tahoua ne s’y rend donc qu’exceptionnellement32.
17De ce fait, dans la majorité du territoire militaire du Niger, l’impôt est perçu de manière globale et les chefs, désignés par l’administration, sont invités à payer pour l’ensemble de ceux qu’ils déclarent être sous leur autorité33. Le recensement est alors numérique, les chefs de village et de fraction sont appelés à déclarer le nombre d’habitants dans leur village ou leur groupe. Peu de tournées de recensement, peu de déplacements, les contacts sont réduits entre le colonisateur et les populations et s’effectuent majoritairement par la médiation de la chefferie. À tel point qu’en 1914, le commandant de cercle de Dogondoutchi observe dans la section Esprit des populations de son rapport trimestriel : « La population du secteur ignore la présence de l’Européen à Dogondoutchi. Tout se passe à l’amiable entre indigènes. Jamais un différend n’est soumis au commandant de secteur34. » Lorsque le lieutenant Périé entreprend sa première tournée de recensement en 1936, dans le canton de Tomassa près de Zinder, les populations qu’il visite n’ont pas vu un Blanc depuis six ans et selon lui « on pouvait d’ailleurs compter d’une seule main les Européens qui [étaient] venus dans le canton depuis la conquête35 ».
18La logique de l’administration territoriale au Niger, durant cette longue période de conquête, est avant tout de réussir à gérer cet immense territoire en investissant le moins possible d’hommes et de moyens. Administrer consiste alors majoritairement à recueillir assez d’impôts pour équilibrer le budget et à maintenir suffisamment de calme pour que l’occupation ne soit pas remise en cause. Pour ce faire, la pratique adoptée est celle d’une administration théoriquement directe, mais où, en réalité, la plupart des actes administratifs se réalisent par le biais des autorités locales. Face à des populations souvent hostiles, résistant activement ou passivement, la mise en place de l’administration est exécutée dans une double perspective, la coercition en cas de crise et, paradoxalement, une attitude de retrait, voire d’effacement, en période calme. L’occupation s’appuie donc sur une portion de la population, particulièrement les éléments dominants, qui y trouvent un intérêt.
19Les militaires sont peu nombreux, concentrés, pour moitié, dans le chef-lieu de colonie et, pour le reste, dans les différents chefs-lieux de cercles. Localisée majoritairement dans les villes, l’occupation française se préoccupe alors peu de faire acte de présence ou d’instituer un rapport direct entre ses agents et les autochtones. L’administration est réduite à sa plus simple expression, matérialisant l’occupation par la perception de l’impôt qui s’opère, particulièrement pendant la première décennie, par le biais de l’institution de la chefferie. C’est un pouvoir en pointillé, concentré en certains lieux et auquel il est possible d’échapper en quittant ces mêmes lieux.
LA FRONTIÈRE AU QUOTIDIEN
20Dans cette situation de très faible emprise d’une administration plus concentrée sur les manifestations symboliques de son occupation que sur ses manifestations effectives, les frontières ne peuvent à l’évidence être des instruments de contrôle effectifs et permanents. La frontière incarne alors un paradoxe : censée réaliser et matérialiser l’occupation de la France en s’imposant aux populations, elle ne s’impose souvent à personne, si ce n’est, dans certains cas, aux administrateurs eux-mêmes.
Construire le territoire par simple « jeu d’écritures36 »
21Les configurations territoriales, quelle que soit leur échelle, sont conçues par les autorités coloniales, qu’elles soient militaires ou administratives, comme des productions temporaires et conjoncturelles devant évoluer en fonction des circonstances et du contexte. Le territoire se forme au fur et à mesure de la conquête, par agglutinement d’espace conquis, sans plan d’ensemble préconçu et sans s’appuyer sur une procédure classique ayant fait ses preuves ailleurs. C’est un territoire plastique, à toutes les échelles, du secteur à la frontière, qui évolue constamment au gré des avancées de la conquête, de l’occupation puis de l’administration. C’est d’abord à l’écrit que ces limites bougent. Changer la donne sur le papier, c’est rendre l’administration plus efficace par simple « jeu d’écritures », réorganiser les territoires, changer une frontière ou une limite administrative, c’est d’abord écrire un nouveau texte, ce n’est pas toujours la changer matériellement sur le terrain. Pour l’occupant colonial, le cadre territorial n’est qu’un outil qui sert la domination, rend possible l’administration et reste, de ce fait, soumis aux transformations de la conjoncture et des enjeux.
22Dans le contexte troublé de la conquête, mêlant périodes d’accalmie et regains de tension, les configurations territoriales changent à chaque fois que la situation l’impose. La structure territoriale du troisième territoire militaire, puis du territoire militaire du Niger, ne cesse d’évoluer au cours des deux premières décennies de son existence. Les logiques de conquête, puis d’occupation par la force du territoire, ont constamment guidé la définition des structures territoriales. Il serait fastidieux de reconstituer l’ensemble des évolutions territoriales qu’a connues le territoire du Niger pendant les deux premières décennies d’occupation, mais quelques repères chronologiques permettent de saisir combien l’organisation territoriale fut changeante37.
23Le chef-lieu de territoire est d’abord établi en 1900, à Sansané Haoussa, puis, après quelques mois, à Sorbo-Haoussa, puis à Zinder en 1901, en 1903 à Niamey, de nouveau à Zinder en 1911 et définitivement à Niamey en 1926. En 1903, le territoire est composé par les régions administratives de Gao, Tombouctou, Gourma, Dori, Niamey et Zinder. En 1905, le territoire se trouve divisé en trois régions administratives, Niamey, Tahoua, Zinder, puis en 1907 en cinq : Niamey, Zinder, Bilma, Tombouctou et Gao. Say passe ensuite du Dahomey au territoire du Niger et Tillabéri et Dori de Gao au territoire militaire du Niger. En 1911, Tombouctou, Gao, Dori et Say rejoignent le Haut-Sénégal-Niger. En 1912, le territoire militaire du Niger comprend donc six cercles : Niamey, Madaoua, Zinder, Agadez, N’Guigmi et Bilma. À toutes les échelles, du canton au cercle, de la limite de secteur à la frontière internationale, on retrouve la même instabilité des configurations territoriales.
24Pour les administrateurs et les militaires, la contingence du cadre territorial est claire. Pour le colonel Venel, commandant du territoire en 1909, les territoires militaires « doivent adapter à chaque moment leur constitution aux transformation d’état du pays et de ses populations38 ». La contingence est parfois explicitement formulée, à l’image du gouverneur du Tchad en 1921 qui écrit : « Des raisons d’ordre militaire, politique et économique ont présidé à la division de la colonie en circonscriptions. Si les raisons déterminantes changent, la répartition peut être modifiée39. » Le colonel Maurice Abadie, qui a été en poste dans le territoire militaire, décrit ainsi l’organisation administrative de la colonie :
« Le territoire de la colonie est administrativement divisé en cercles comprenant chacun une ou plusieurs subdivisions […]. Cette répartition n’est pas immuable ; elle a subi de fréquentes modifications (nécessité de service budgétaire, regroupements administratifs, etc.) ; un cercle peut être transformé en subdivision rattachée à un cercle voisin ; inversement une subdivision peut être transformée en cercle40. »
25L’organisation administrative n’est donc qu’une répartition conjoncturelle et temporaire. Il est intéressant de remarquer que le colonel Abadie n’évoque comme raisons des modifications que des logiques administratives, alors que les modifications sont le plus souvent liées à des contraintes militaires ou stratégique.
26Certains postes sont en effet établis uniquement afin d’assurer la sécurité d’une zone et, lorsque la région devient calme, ils sont démantelés. Mais, si la situation se détériore de nouveau, ils sont recréés temporairement. Ainsi, dans la région de Magaria, à la frontière avec les possessions britanniques, à la suite des attaques des populations du Daoura anglais contre les habitants des villages de Maïdumongia et de Gueri, le poste de Daombeï, pourtant démantelé, est rétabli en novembre 190841.
27Le caractère évolutif des configurations territoriales se réalise aussi dans les changements d’échelle que subissent régulièrement les limites. Ainsi, une limite de secteur peut devenir limite de cercle, qui peut devenir, elle, limite de colonie, et inversement une limite de territoire peut redevenir une simple limite de cercle. Pour les administrateurs, il n’existe pas de différence dans la manière de définir les structures territoriales. Les mêmes méthodes sont appliquées, quelle que soit l’échelle de la limite. Lorsqu’une reconfiguration territoriale transforme une limite de cercle en une limite de territoire, celle-ci n’évolue pas nécessairement. Son changement de statut n’implique pas automatiquement un changement dans le tracé ou dans la méthode de gestion.
28Le sens de ces modifications et de ces transformations permanentes ne semble pas apparaître clairement aux yeux des sujets coloniaux. Dans un rapport de 1923 concernant la création d’un nouveau cercle dans la région de Birnin Konni, le rédacteur s’étonne d’un détail curieux. Il lui a été signalé que le chef du canton de Birnin Konni « aurait fait des gris-gris pour que le poste administratif fût supprimé et que n’y revînt jamais plus d’Européens. Les événements lui ayant donné satisfaction, il a retiré de ses soi-disant pouvoirs occultes un prestige et une autorité considérables42 ». Si ce comportement paraît irrationnel aux administrateurs, le leur apparaît tout aussi incohérent aux populations de Konni. Celles-ci ont en effet été visitées par Cazemajou pacifiquement, puis assiégées violemment par la mission Afrique centrale l’année suivante. Mais les conquérants ont ensuite disparu pendant près de cinq ans, derrière une ligne imaginaire qu’ils n’avaient pas le droit de dépasser, la région étant devenue britannique. En 1907, elle redevient française et est rattachée au cercle de Tahoua. Konni a donc été française, puis anglaise et de nouveau française, puis tantôt simple canton, tantôt secteur, tantôt subdivision, tantôt cercle. Les occupants français ont disparu pendant de longues périodes sans que rien aux yeux des populations locales ne permette d’expliquer pourquoi. L’inconstance de l’occupant français justifie certainement la réputation des pouvoirs occultes du chef de canton de Konni. Mais, à l’issue de ce rapport, Konni est érigé en subdivision et les Français reviennent s’y installer.
29Cette difficulté à comprendre la logique territoriale du colonisateur se retrouve dans d’autres régions. En 1910, le commandant de cercle de Gaya s’insurge contre les « mensonges, tendancieux et le plus souvent intéressés » qui seraient constants « chez les mauvais éléments qui pullulent aux frontières43 ». La raison de son mécontentement est un bruit persistant selon lequel Tounouga, Dolé et Bengou passeront bientôt côté anglais. Pour preuve, un Blanc aurait été vu parcourant la frontière. Après dix ans d’incertitude sur leur sort et après avoir été attribuées successivement à la France, au Royaume-Uni, puis à nouveau la France, les populations semblent s’attendre à un nouveau changement imminent. Le simple passage d’un Européen dans la zone rappelle aux populations celui des missions de reconnaissance et de délimitation, qui ont souvent eu pour conséquences un changement de leur situation et leur passage d’un côté à l’autre de la frontière.
30En effet, la détermination des territoires n’obéit pas à une volonté clairement définie et préconçue, en haut lieu, par des autorités compétentes. Il n’existe pas de plan d’occupation préétabli qui décrirait l’ensemble des étapes de la construction territoriale ou qui préciserait les méthodes et les règles à employer dans le tracé des différentes frontières. Il n’existe pas non plus de corps professionnel dont la tâche spécifique serait de réaliser l’organisation des territoires ou la délimitation des frontières, ni de formation destinée à guider ceux qui réalisent les tracés. Ce sont les militaires et les administrateurs qui effectuent cette tâche dans le cadre de leurs attributions élargies. Les militaires, qui dessinent le cadre territorial, ne disposent, en général, d’aucune instruction spécifique sur les formes que doivent prendre les espaces ou sur la perspective qui doit les guider. Leurs instructions leur enjoignent ponctuellement de fixer quelle pourrait être la limite entre deux cercles ou de déterminer les zones d’action réciproque entre deux territoires, mais elles ne définissent quasiment jamais la logique qui doit les éclairer ou les méthodes qu’ils doivent employer. Ils n’ont, pour les guider, que leur propre expérience. Celle-ci peut parfois consister en une participation à la définition d’autres tracés pour d’autres territoires, mais elle réside surtout dans la connaissance du terrain, dans la vie au milieu des populations locales. Cette expérience est reconnue par ceux qui les chargent de définir ces limites, comme la meilleure garantie qu’ils traceront de bonnes frontières. Car une bonne frontière n’est pas celle qui constituera des espaces cohérents ou de taille réglementaire, mais celle qui aidera et facilitera l’occupation et l’administration. Il n’est d’autre logique que celle-là.
31Dans cette perspective, il n’existe pas un seul type de frontière coloniale ou une seule manière de tracer des frontières en situation coloniale. En fonction de l’attitude des populations, de la forme des structures politiques qui préexistent, de la configuration du terrain, du nombre d’occupants coloniaux et de leurs moyens, les choix en matière de frontières ne seront pas les mêmes. De plus, les configurations territoriales étant utilitaires et obéissant à une logique pragmatique, elles évoluent en fonction des transformations du contexte. Lors de la conquête, il est question avant tout de consolider les espaces conquis afin d’en faire des postes avancés qui permettront de s’implanter ailleurs. Une fois la « pacification » achevée, selon la terminologie coloniale, il s’agit de définir un cadre facilitant le contrôle des administrés et la perception des impôts.
Gestion administrative et frontière
32Durant les deux premières décennies d’occupation au Niger, la première difficulté des administrateurs vis-à-vis des frontières est de savoir où elles sont et même parfois de savoir si elles existent. En effet, si l’occupation est alors en pointillé, l’organisation territoriale est, elle, très fragmentaire. Plusieurs frontières du territoire ne sont pas définies et la plupart des limites de cercle et de subdivision non plus, sans parler des limites de canton.
33Les administrateurs en poste dans les régions frontalières ne sont pas toujours au courant des tracés et des délimitations qui les concernent. En 1910, un an après la conclusion de la convention de Niamey, qui fixait la frontière du territoire militaire du Niger et du territoire des oasis, et organisait la transhumance entre ces deux régions, le commandant de cercle d’Agadez n’en a aucune connaissance. Selon les termes de l’accord, les habitant du Ahaggar sont autorisés à se rendre sur le territoire nigérien en cas d’absence de pâturages chez eux, et un groupe de Kel Ahaggar algériens projette d’entrer dans le troisième territoire afin d’utiliser les pâturages de l’Aïr. Comme convenu dans la convention, le commandant du groupe de police mobile de l’Ahaggar Sigourney écrit donc au commandant du cercle d’Agadez pour l’en informer. Ce dernier apprend par ce courrier qu’il existe une convention concernant la frontière de son cercle. Dans une lettre rédigée à l’intention du gouverneur du territoire militaire, il avoue :
« avoir été désagréablement surpris d’apprendre par l’intermédiaire d’un officier étranger au territoire l’existence d’une convention intéressant le cercle d’Agadez. J’aurais désiré être appelé à donner mon avis sur l’opportunité d’accorder aux Hoggars algériens l’autorisation de venir utiliser les pâturages de l’Aïr […]. J’ai l’honneur de demander à être consulté, lorsqu’il s’agira de conclure des accords intéressants le cercle dont vous avez bien voulu me confier le commandement44 ».
34Ce cas n’est pas isolé. Souvent, les administrateurs constatent qu’ils n’ont aucune connaissance des textes relatifs aux frontières et, lorsqu’ils souhaitent les consulter, s’aperçoivent qu’il n’en existe aucune trace dans les postes. En 1941, dans l’introduction de sa monographie qui, selon les règles du genre, commence par l’exposé des limites de la région traitée, le lieutenant Périé, en poste à Bilma, remarque « qu’il n’existe pas au cercle de Bilma de renseignements plus précis » sur la frontière avec le territoire des oasis45. Concernant la limite avec le cercle d’Agadez, il constate qu’« aucune référence n’existe dans les archives du cercle concernant cette limite », et que celle-ci est simplement « indiquée par la carte du SGA et suit le 11e méridien est jusqu’à son intersection avec la frontière algérienne46 ». C’est d’ailleurs souvent aux cartes conservées dans les archives de postes que doivent se fier les administrateurs pour essayer d’identifier où se trouve la frontière, des cartes la plupart du temps à petite échelle et souvent anciennes. Dans la très grande majorité des cas, les frontières ne sont pas marquées sur le terrain. La seule limite qui est abornée à l’époque coloniale est celle du territoire militaire du Niger et des possessions britanniques du Nigeria, aborné en 1908 par la mission Tilho. Pour les autres frontières, il n’existe pratiquement pas de marquages sur le terrain et ceux qui existent sont très fragmentaires. Pour la frontière du Niger et de l’Algérie longue de près de 1 000 kilomètres, il n’existe en 1929 sur la piste Agadez-In Guezzam qu’un panneau à 7,6 km du puits d’In Guezzam, portant l’inscription : Colonie du Niger – Agadez 580 km47.
35Certaines frontières restent d’ailleurs longtemps indéterminées, comme la frontière avec le territoire militaire du Tchad, ce qui complique l’administration. Ainsi, lorsque le poste de Gouré est créé, N’Guigmi, village à l’extrémité est du cercle, est considéré comme sa limite d’action selon les instructions reçues par le commandant de cercle. Ces instructions précisent aussi que cette limite est théorique et qu’elle peut évoluer « après entente avec les officiers ou mieux le capitaine commandant de cercle du Kanem48 ». Mais aucune entente n’étant intervenue, deux ans plus tard, la situation est identique. Dans son rapport politique du mois de novembre 1907, le commandant du cercle de Gouré indique ainsi qu’à sa connaissance « la frontière entre les deux territoires militaires n’a jamais été tracée49 ». Deux groupes de Toubous viennent de s’installer dans la zone qui pourrait être celle de la frontière, le commandant de cercle est, à ce sujet, dans l’incertitude la plus complète. Il en est donc réduit aux conjectures sur cette frontière potentielle :
« Il n’y a d’ailleurs aucune raison d’admettre que la frontière théorique passe à N’Guigmi et en l’absence de toute décision à cet égard j’admets au contraire que cette frontière passe au moins à mi-chemin de Kouboua, dernier poste du Kanem et N’Guigmi, soit environ à deux journées de marche. La visite annoncée à N’Guigmi d’un officier de la compagnie du Kanem permettra d’ailleurs de s’occuper de cette séparation entre les deux colonies, et, suivant les résultats des conventions échangées, il est possible que j’aie prochainement à adresser des propositions fermes à ce sujet50. »
36La carte du Service géographique de l’armée figurant le Sahara oriental en 1914 ne porte d’ailleurs aucune frontière entre AOF et AEF51.
37C’est à la dure tâche d’identifier où se trouve cette frontière du Niger et de l’AEF que sont confrontés en 1928 Jean Chapelle, en poste à N’Guigmi, et le capitaine Marie, chargé de préparer l’infrastructure des futurs vols de l’aéronautique de l’AEF. Ce dernier doit pour cela identifier un terrain de secours tous les 50 kilomètres, la dernière étape de son périple est N’Guigmi, où il doit repérer un terrain à la frontière de l’AEF. Ayant choisi un lieu propice, près du village de Billabérim, il demande aux représentants de N’Guigmi et de la région du Kanem si cette zone dépend de l’AEF ou de l’AOF. Les deux administrateurs se trouvent alors plongés dans les conjectures les plus abstraites. En effet, aucun d’eux ne sait exactement où passe la frontière ni de qui dépend cette zone. Cherchant dans les archives du cercle, Chapelle trouve une carte « ni datée ni signée », qui n’est « qu’un assemblage d’itinéraires » mais qui présente une limite claire entre les deux cercles52. Poursuivant ses recherches, il retrouve « une sorte de convention locale entre chefs de circonscription53 ». Mais ces éléments ne suffisent pas au capitaine Marie qui souhaiterait, selon ses termes, une référence plus authentique. Comme souvent dans ces cas-là, c’est vers les représentants locaux que se tournent les administrateurs. Selon le récit de Chapelle, ils interrogent alors « des notables à barbiches blanche qui dis[ent] avoir assisté à la délimitation de la frontière par les Blancs54 ». Ceux-ci sont invités à montrer au commandant de cercle du Kanem, à Chapelle et au commandant Marie le lieu exact où se trouve la frontière. Les populations sont donc consultées afin de déterminer une décision qui relève d’un choix effectué par les Européens. Entre deux générations d’administrateurs coloniaux, la médiation des informations autochtones est paradoxalement encore une fois nécessaire.
38L’imprécision des tracés n’est pas toujours considérée comme un problème. Le gouverneur de la colonie du Niger plaide ainsi en 1909 auprès du gouverneur général de l’AOF pour ne pas avoir à formaliser précisémment par écrit les limites administratives entre les cercles, de manière à ce que les administrateurs puissent continuer à les faire évoluer selon les circonstances56. Ne pas trop formaliser les règles administratives organisant le territoire permettrait de laisser une plus grande marge de manœuvre à ceux qui administrent.
39Durant toute la période de conquête, certains groupes se déplacent au rythme de l’avancée des militaires afin de rester dans des zones non contrôlées. Les rapports évoquent ces populations dont on a entendu parler mais qu’on n’a encore jamais vues57. À la frontière du Niger et de l’Algérie, certaines fractions touarègues essayent « d’échapper à l’influence française en se tenant tantôt au nord, tantôt au sud de la frontière de façon à se dérober au-devant des tournées de police des officiers des deux territoires58 ». Des groupes toubous se déplacent vers le Tibesti et le Fezzan59, certains groupes touaregs migrent vers l’est jusqu’au Tchad, et pour certains, jusqu’à La Mecque. Le commandant Gouraud, alors qu’il commande le territoire militaire du Niger, reçoit le représentant des derniers compagnons d’Amadou Cheikhou. Après avoir quitté Ségou et Bandiagara à l’arrivée d’Archinard, ces derniers se sont implantés à Say. Avec l’arrivée des troupes françaises dans la région, ils se sont ensuite installés près de Sokoto, mais l’arrivée des troupes britanniques les poussent une nouvelle fois vers l’est et ils rejoignent le Bornou. Auprès du commandant Gouraud en ce début de xxe siècle, ils viennent solliciter l’autorisation de se rendre à La Mecque en traversant le territoire français. Interrogé sur le pourquoi de cet exode, leur représentant répond « qu’ils cherchent un pays où il n’y ait pas de Blancs, afin de ne pas payer l’impôt60 ». Mais les possibilités d’échapper à l’action coloniale par le déplacement ne cessent de se réduire au fur et à mesure de l’évolution des structures d’occupation.
40L’imprécision des frontières rend le travail d’administration difficile ; en effet, comment contrôler les entrées, les sorties, les installations sur le territoire si on ne sait pas où passe la frontière. Jean Chapelle expérimente en 1928 la tâche ardue d’effectuer un recensement dans une région frontalière. Il est chargé de réaliser une tournée des îles du lac Tchad dont les populations n’ont encore jamais été recensées et n’ont été visitées qu’à deux reprises en vingt ans de colonisation. Il parcourt le lac pendant plusieurs semaines, en pirogue, accompagné d’un groupe de Boudoumas habitants de ces îles qui ont été réquisitionnés pour l’occasion. Toutes les îles où il se rend sont vides, mais il trouve partout des traces de campements abandonnés. Exaspéré, il convoque ses guides boudoumas et leur demande pourquoi il n’a pas encore réussi à rencontrer un seul insulaire. Ceux-ci lui expliquent que les habitants ont pris peur et se sont cachés. À l’issue de cette discussion, ils affirment qu’il rencontrera, dès le lendemain, « beaucoup de Boudoumas61 ». En effet, le lendemain, ils le mènent sur une île habitée. Ravi, Chapelle pense enfin pouvoir exercer son autorité administrative. Mais, peu après son arrivée, le chef du village lui présente des documents prouvant que l’ensemble des habitants présents sont des ressortissants du Bornou et dépendent donc de l’Angleterre. D’après son relevé d’itinéraire, l’île est pourtant en territoire français. Mais cela ne change rien. Il termine sa tournée en ayant croisé moins de cinq de ses administrés. Cette expérience montre combien les outils de contrôle sont encore peu efficaces. Chapelle ne dispose au départ d’aucune information précise sur la position des villages où résident les populations, ni sur le nombre d’habitants de cette région, l’impôt ayant été jusqu’ici perçu de manière globale. L’administrateur dépend des informations de ceux qu’il est censé contrôler pour exercer son administration. Ce qui laisse une longueur d’avance aux populations pour se soustraire à cette autorité.
41En 1911, afin de surveiller la frontière avec le Nigeria et de percevoir les droits d’oussourou62, l’occupant recrute dans le Damagaram, en raison de la faiblesse de l’encadrement européen, des « indigènes connus » qui, échelonnés le long de la frontière, ont pour consigne de ne laisser passer que les caravanes munies d’une autorisation63. Cette technique se révèle infructueuse, selon les termes du rapport, notamment parce que les « indigènes recrutés ne savaient pas lire », le contrôle des laissez-passer étant par voie de conséquence limité. Ici aussi les militaires s’en remettent aux populations locales pour exercer le contrôle. La raison de cette délégation de pouvoir est évidemment à rechercher dans l’incapacité de l’administration à exercer elle-même ce contrôle, en raison de la faiblesse de ses effectifs et de l’immensité du territoire à contrôler. En 1909, de retour de tournée, le commandant Roujat, qui dirige la section de nomadisation des confins, exprime les difficultés qu’il rencontre à veiller à la protection de la frontière de l’Aïr, d’Iféourane à Beukrott. Selon lui :
« Cette mission est de beaucoup la plus difficile à remplir étant donné la longueur de la frontière, le peu de fusils dont on dispose et les différents services à assumer. En effet chaque escorte de Bilma absorbe comme nous l’avons vu pendant près de deux mois le commandant de la section montée avec tout son personnel disponible. Pendant quatre mois de l’année environ, cette frontière est complètement dégarnie. Pendant le reste de l’année la protection assurée n’est pas plus efficace. La frontière Iférouane, Farass, Agnangna, Takolokouzet, beurkott, s’étend sur un front de plus de 300 kilomètres. Un pareil front ne peut être protégé par un seul détachement quelle que soit du reste l’activité déployée par son chef. La preuve en a été faite en juillet 1909. Un rezzou de 150 fusils s’est produit dans la région Adodé, dans laquelle venait de circuler pendant un mois le détachement de la section montée, huit jours après le départ de celle-ci64. »
42Des effectifs dérisoires, un territoire immense et une population extrêmement mobile, maîtrisant mieux l’environnement et le terrain, les difficultés auxquelles doivent faire face les militaires en poste dans la région sont importantes. Durant cette période de conquête, leurs effectifs, leurs moyens et leurs outils de contrôle ne permettent pas aux occupants d’établir une surveillance et un contrôle stricts de leurs administrés. Les administrateurs sont ainsi souvent dans la situation paradoxale de devoir veiller à ce que les populations qu’ils administrent ne disparaissent pas, sans pouvoir, pour autant, les en empêcher.
Ne pas faire fuir les administrés, ne pas trop faire sentir son action
43Une fois la conquête théoriquement réalisée et l’alliance avec les pouvoirs locaux établie, l’administration coloniale cherche pendant quelques années à se faire oublier. Les rapports et les instructions sont émaillés de préventions qui enjoignent aux militaires d’éviter de faire fuir leurs administrés. C’est particulièrement le cas dans les régions frontalières, où la fuite représente un moyen facile d’échapper à la contrainte. Les colonisateurs ont donc à cœur de ne pas trop faire sentir leur action dans ces régions car les conséquences peuvent en être désastreuses.
44Le système colonial et particulièrement son économie reposent sur les hommes : plus ils sont nombreux, plus importants sont l’impôt et les possibilités de production. L’économie des territoires coloniaux est en AOF autosuffisante, leur budget est entièrement constitué des revenus que les administrateurs auront générés l’année précédente, notamment par le biais de l’impôt. Le pouvoir colonial se préoccupe donc avant tout des hommes, de leur nombre et de les maintenir en place. L’occupation de la région ayant donné lieu à de nombreux mouvements de population, voire à des exodes importants, les autorités coloniales ont désormais à cœur de ne pas provoquer d’autres migrations, elles ont conscience que chaque mesure impopulaire ou chaque demande accrue peuvent avoir des conséquences directes sur l’effectif des administrés et donc sur l’impôt.
45L’autorité coloniale adapte son action à l’attitude des populations et aux situations locales, particulièrement aux frontières. L’exemple de l’administration de la région de Dogondoutchi, au tournant de la première décennie d’occupation, permet d’observer cet accommodement du pouvoir colonial à des réalités qui parfois dépassent ses moyens. La zone est de la région de Dogondoutchi fait partie des territoires dont la situation est restée indécise pendant plusieurs années. Cette région n’ayant été clairement délimitée qu’en 1906, ni les Français ni les Britanniques n’y ont réellement exercé d’administration jusque-là. Une fois la zone de Kaouara attribuée à la France et la frontière bornée, les autorités coloniales ont le plus grand mal à imposer leur autorité. Dans le rapport politique du mois de novembre 1912, le rédacteur insiste sur les difficultés d’administration qu’il rencontre. Après une tournée de recensement, il constate combien « permanente est la difficulté de notre action sur les villages frontières ». Il conclut que, « si nous voulons conserver nos sujets, il serait même désirable que les dits villages soient favorisés en matière d’impôt pour résister aux promesses d’agents nigéri[a]ns plus ou moins qualifiés65 ». Les rapports suivants confirment son analyse. Au mois de janvier 1913, le village de Kaouara a perdu 100 habitants depuis novembre 1912. L’administrateur propose alors que ce village ne soit « plus compris dans le rôle des prestations66 ». Favoriser ainsi les populations les plus réfractaires à l’occupation en ne les soumettant pas à l’impôt est une pratique qui se retrouve dans d’autres régions frontalières du territoire du Niger. Ainsi, lorsque Jean Chapelle, en tant qu’adjoint du commandant du cercle de N’Guigmi, est chargé de recueillir l’impôt, son supérieur, le capitaine Bigoulin, insiste sur le fait qu’il doit « accepter purement et simplement les déclarations. Inutiles de presser les gens, de les contraindre, de faire des vérifications. Qu’ils mentent ou fraudent n’a que peu d’importance67 ». Plutôt que de perdre leurs administrés des régions frontières, les occupants préfèrent donc abaisser leurs exigences, quitte à augmenter l’impôt ailleurs dans des régions calmes et soumises.
46Pendant les premières décennies d’occupation, les militaires et les administrateurs semblent souvent cantonnés au rôle d’observateur des mouvements qui traversent les frontières des territoires dont ils ont la charge. Ainsi, même lorsque la frontière est tracée et matérialisée sur le terrain par des bornes, comme c’est le cas à partir de 1908 pour la frontière franco-britannique, les administrateurs ne peuvent que constater les mouvements, parfois les comptabiliser, mais en aucun cas les contraindre. Le recrutement des tirailleurs lors de la Première Guerre mondiale entraîne, sur toute la longueur de la frontière, un exode massif vers les territoires britanniques68. Pendant près de dix ans, les commandants de cercle ne peuvent que le déplorer. Selon le commandant de cercle de N’Guigmi, au moment du premier recrutement de 1916-1917, « plus de 10 000 imposables sont partis au Nigeria, du fait seul et direct du recrutement69 ». Le commandant du cercle de Zinder, le capitaine Ferrière, comptabilise, lui, 32 000 départs pour la seule année 191470. Dans le cercle de Tahoua, 10 000 départs sont constatés71. La seule possibilité alors offerte à l’administrateur est de compter, village par village, l’ensemble de ces administrés fantômes. Pour recruter les 3 675 hommes qui seront incorporés72, les autorités françaises ont fait fuir de ces trois cercles plus de 50 000 personnes. Il est intéressant de remarquer que le recrutement a pourtant été opéré majoritairement dans l’Ouest du territoire, à plus de 1 400 kilomètres de N’Guigmi et à 900 kilomètres de Zinder. Bien que les populations de l’Est, tout comme les populations nomades, ne soient quasiment pas concernées par le recrutement, elles ont néanmoins préféré quitter le territoire. À l’issue de la guerre, l’exode continue, à la consternation des commandants de cercle. À la fin des années 1920, le constat reste le même dans plusieurs cercles et cantons. En 1932, dans la région de Keita, qui dépend du cercle de Tahoua, l’administrateur Loppinot constate que sur 2 656 chefs de cases en 1927, un millier a disparu en 1931, tous passés en Nigeria73. Il observe ainsi que des villages entiers se sont créés de l’autre côté de la frontière, entièrement peuplés de ressortissants du canton de Keita. Un autre rapport, daté de 1933 et rédigé par le même Loppinot, établit que « depuis 1916 le cercle de Tahoua a perdu 25 000 hommes74 ».
47L’attitude des militaires évolue selon les résultats et les effets de leurs actions. Ainsi, lors de la délimitation de la frontière du premier et du troisième territoire militaire, les îles du bras du fleuve Niger utilisées comme frontières ont été réparties entre les deux territoires, et l’article 5 de la délimitation indiquait que « les habitants des îles n’aur[aient] le droit d’établir leurs cultures que sur la rive du fleuve appartenant au territoire dont ils dépendent75 ». Mais, trois ans plus tard, cette mesure restrictive s’étant révélée inapplicable et ingérable, un nouvel arrêté modifie le texte dans un sens moins limitatif :
« Le texte de l’art. 5 de l’arrêté 228 du 20 mars 1902 est supprimé et remplacé par le suivant : les habitants des îles continueront à cultiver les mêmes terrains que par le passé suivant les coutumes du pays, que ces territoires soient sur le 1er ou sur le 3e territoire où est établi leur domicile habituel76. »
48Par la suite, ce type de logique pragmatique a été appliqué dans la plupart des cas. Si une frontière ou une limite administrative entre en contradiction avec des pratiques existantes, les militaires adoptent une attitude de laisser-faire. Lors de la cession du Tibesti à l’AEF, la frontière définie par l’accord coupant les Goundas d’une partie de leurs terrains de nomadisation, les administrateurs décident que ceux-ci restent « à leur disposition comme par le passé77 ». Cette logique pragmatique, dictée par la faiblesse des effectifs et les difficultés de contrôle que rencontrent les administrateurs, est l’une des caractéristiques de la gestion coloniale des frontières dans la région.
49Dans les zones nomades, où le contrôle des mouvements de populations est l’un des axes premiers de l’administration, on retrouve une perspective similaire. Notamment vis-à-vis des Toubous qui, à la suite de la conquête, ont quitté pendant près de vingt ans leur territoire pour se réfugier dans les régions encore inoccupées78. Dans un rapport de 1936, le capitaine Amiel, commandant du cercle de Bilma, déclare : « Le contrôle doit être obtenu sans heurter le nomade et surtout sans lui donner l’impression d’être traqué : le Toubou aurait bientôt fait de repasser la frontière de Libye79. » Non seulement les moyens de contrôle et d’exercice de la domination sont limités, mais l’autorité coloniale ne les utilise pas tous. Ainsi, l’administration préfère réduire ses demandes plutôt que de voir disparaître une population qu’elle n’a ni les moyens ni les capacités de fixer en un lieu. L’institution de la douane, mise en place en 1914 sur la frontière avec le Nigeria britannique, est abandonnée dès 191880. L’établissement de cette barrière douanière, en pleine période de famine, était, dès le départ, apparu aux administrateurs comme une absurdité. Quand il se révèle que la douane coûte plus qu’elle ne rapporte et provoque le déplacement toutes les activités commerciales en Nigeria, elle est abandonnée81.
50En définitive, les seuls individus pour lesquels le passage de la frontière est strictement impossible sont les administrateurs, sauf quand un droit de suite leur a été accordé par l’administration de l’autre côté de la frontière. Que ce soit les frontières internationales avec les possessions britanniques, le Fezzan, ou les frontières avec les autres territoires français, militaires et administrateurs ne peuvent les franchir sans risquer l’incident diplomatique ou le conflit de pouvoir. Le commandant de cercle de N’Guigmi enjoint ainsi à Chapelle au départ d’une de ses tournées de ne surtout pas entrer sur le territoire de l’AEF en franchissant « par mégarde un méridien invisible » et de ne pas essayer d’aller trouver des administrés « au-delà » de cette limite fatidique », sinon « les gens se plaignent d’exactions, un rapport part à Brazzaville et nous revient par Dakar82 ».
51Les administrateurs se trouvent dans la situation paradoxale de devoir faire respecter des frontières dont ils ignorent la plupart du temps la localisation exacte et les textes qui les réglementent. L’idée d’un territoire clairement découpé et soumis à des règles strictes s’efface devant la réalité d’une administration avant tout pragmatique et évolutive. Manquant des données les plus élémentaires et des outils les plus indispensables, les autorités coloniales mettent plusieurs décennies avant de constituer les savoirs nécessaires à la compréhension d’un milieu considéré et vécu comme largement hostile.
ADMINISTRER, C’EST CONNAÎTRE : LA GÉOGRAPHIE ENJEU DE L’OCCUPATION
52Science géographique et impérialisme européen ont parfois été présentés comme indissociables, la première étant considéré comme l’outil du second83. Mais si la géographie contribue à rendre intelligibles et gérable les espaces occupés, le lien entre savoir académique et gouvernement colonial reste ambigu84. L’appropriation de l’espace par les savoirs géographiques joue certes un rôle dans la conquête militaire et la domination politique des territoires colonisés, mais la domination n’est pas l’horizon de toute connaissance sur l’espace pendant la colonisation, et les savoirs vernaculaires, bien que non identifiés en tant que tels, jouent un rôle crucial dans la définition des territoires et la production de savoirs sur l’espace85.
Conquête et dépendance à l’égard des savoirs autochtones
53Le récit des premières années de la conquête dans le territoire militaire est ponctuée par l’évocation d’attaques victorieuses, de populations soumises mais aussi de description des dangers d’un milieu hostile. Comme le décrit le gouverneur Brévié, c’est une lutte contre une « nature rebelle » et un « climat meurtrier86 ». Cet affrontement avec l’environnement tient une bonne place dans la geste héroïque de la « bibliothèque coloniale87 ». Ainsi, les monographies écrites dans les années 1950 rappellent souvent cette époque de conquête où l’on risquait de mourir de soif au cours d’une reconnaissance88. Mais au-delà de la mise en scène coloniale du triomphe sur une nature hostile, la maîtrise des ressources en eau, mais aussi celle des routes et des itinéraires sont des enjeux primordiaux de la conquête. Pendant les premières années d’occupation, les militaires, nouveaux dans une région peu connue, manquent d’informations précises89. La cartographie fragmentaire se résume aux itinéraires des explorations et des expéditions et figure d’étroites bandes de territoire reconnu au sein d’un espace encore largement blanc, de plus elle est alors réalisée à une échelle loin de pouvoir répondre aux besoins de l’occupation.
54Durant cette période, le contexte de conquête confère un caractère particulièrement aigu aux questions de territorialité. Le vocabulaire et le discours de la reconnaissance géographique se mêlent intimement au discours de prise de possession des territoires. Dans leurs rapports, lorsque les officiers évoquent une région qu’ils ont décidé d’occuper, ils ne parlent ni de combats ni de conquête mais de reconnaissance géographique et d’exploration de territoires nouveaux. En 1900-1901, la conquête de l’Ouest nigérien est décrite en ces termes : « La partie nord du Dallol Bosso n’avait pas encore été explorée. Le commandant du troisième territoire militaire en décida la reconnaissance et l’occupation par ordre suivant90. » Cet ordre dépêche le lieutenant With à la tête d’un détachement de 60 hommes « très valides » pour établir un poste à Filingué91. Si le vocabulaire peut prêter à confusion, c’est bien un détachement d’hommes armés qui part à la conquête d’une région insoumise. La même confusion sémantique se retrouve, six ans plus tard, dans les régions nord-ouest, lorsque le lieutenant-colonel Cristofari, commandant du territoire militaire du Niger, donne ses instructions au commandant du territoire de Zinder :
« Je viens de prescrire à la section de Gao, organisée à effectif aussi fort que possible, de préparer une reconnaissance dans la direction de l’Adrar en se rabattant vers l’est de façon à reconnaître une nouvelle portion non encore explorée de l’Azaoua […]. Il est bien entendu que ces reconnaissances devront être dirigées sans hâte, et, en prenant comme objectif non la rapidité du parcours, mais le maximum possible de rendement au point de vue de la reconnaissance du pays92. »
55« Reconnaissance », « région non encore explorée », le discours de l’exploration géographique et celui de la conquête se mêlent, révélant combien une des préoccupations premières des militaires est de recueillir les données qui permettront de construire les outils d’une connaissance précise de la région et donc d’une cartographie à grande échelle. Ces reconnaissances ont effectivement pour double objectif de conquérir et de produire des données précises sur ces régions inexplorées afin de pouvoir, à terme, les cartographier et ainsi de s’y déplacer librement, sans dépendre lors du moindre déplacement d’informations locales.
56La dépendance à l’égard des savoirs locaux est, en effet, constante durant la première période d’occupation. La recherche de renseignements auprès des populations locales occupe une part non négligeable des activités des militaires. Les choix les plus simples nécessitent de s’en remettre à l’autochtone : se déplacer, installer un campement, trouver de l’eau, se servir d’un puits. Les militaires se déplacent alors avec de lourdes colonnes et ne peuvent partir sans être sûrs de pouvoir rapidement se ravitailler à l’étape. Chaque déplacement donne donc lieu à de patientes enquêtes préalables pour obtenir des informations. Au moment du départ de la colonne du Djerma, les instructions adressées au commandant Gouraud insistent sur cette question, il est engagé à reconnaître la région et à recueillir des « renseignements topographiques et de routes […] soit directement par observation soit par renseignement, [ceux-ci] ne seront jamais trop nombreux et trop détaillés, particulièrement au point de vue des ressources pour des convois transitant dans le pays93 ». Le récit de souvenirs du commandant Gouraud est émaillé de références à ces recherches de renseignements. Celui-ci évoque ainsi « Gaden [qui] s’exaspère à tirer d’un mauvais interprète les renseignements le plus contradictoires sur l’étape de ce soir94 ». C’est à partir de ces renseignements que les militaires construisent au jour le jour leurs itinéraires, identifient les points d’eau95, déterminent les étapes de la marche, établissent les distances à parcourir96. Lors de l’occupation du Borkou en 191397, la colonne à laquelle participe le lieutenant Ferrandi doit aussi faire appel aux autochtones :
« Jusque-là, le commandant Tilho nous avait conduits à la boussole et sans s’occuper des guides. Mais cette méthode ne peut suffire jusqu’au bout. Il arrive un moment, en effet, où seuls des gens connaissant le pays peuvent choisir le cheminement qui va au puits qu’on s’est fixé. Nous en étions là98. »
57Les militaires recueillent alors les donnés nécessaires pour organiser la marche :
« Avant de quitter Faya, les guides nous ont indiqué les points d’eau où nous devrons nous arrêter et les distances qui les séparent. C’est ainsi que le colonel a fixé notre tableau de marche de telle sorte que nous devions arriver à Gouro le 1499. »
58Ferrandi conclut en saluant la « remarquable concordance entre les renseignements des indigènes et [leurs] constatations100 ». Afin de le prouver, il reproduit sous la forme d’un tableau le nombre de kilomètres qui leur avait été indiqué et celui qu’ils ont réellement constaté.
59Dans la majorité des cas, les informations des populations locales ne sont prises en compte que dans cet objectif de construction d’un itinéraire. Les militaires ne s’intéressent pas aux savoirs locaux pour eux-mêmes, mais uniquement pour les informations pratiques qu’ils peuvent fournir. C’est concernant les régions les plus hostiles, les zones difficiles d’accès, ou trop dangereuses, dans lesquelles il n’est pas possible d’effectuer un travail de terrain ou de pratiquer des relevés, que les officiers s’en remettent aux savoirs locaux. En 1912, les autorités françaises projetant d’investir le Tibesti, le gouverneur enjoint au commandant du cercle de N’Guigmi de lui communiquer des informations sur cette région. Dans son rapport, le capitaine Barbeyrac décrit longuement comment il a obtenu ses données auprès d’un Toubou nommé Anar, qui vit dans le campement de Mohammed Cosso près de N’Guigmi :
« Il m’a fait avec le sable un relief simple du Tibesti, sur lequel il a placé les villages. Ce travail a dû être repris à plusieurs intervalles pour rafraîchir la mémoire de l’informateur et s’est amélioré un peu à chacun d’eux. Il en est sorti un premier croquis que j’ai comparé avec des morceaux de la carte de l’ouvrage de Nachtigal que possède le cercle. La comparaison donne entre le croquis et la carte une similitude assez rapprochée de forme et d’orientation du massif du Tibesti, une ressemblance presque parfaite de noms, avec la seule nuance que Nachtigal leur a donné une orthographe germanique et que se faisant interpréter en arabe, ses consonances sont de ce fait plus dures que celles du Toubou Anar101. »
60Au cours de leurs différentes conversations, le capitaine Barbeyrac a ainsi pu contrôler les différents renseignements présents dans l’ouvrage de l’explorateur Nachtigal. Anar aurait, par exemple, entendu parler de tous les chefs nommés par l’explorateur. Barbeyrac en conclut que l’ouvrage doit être considéré comme sérieux, puisque presque tout ce qui y est écrit est conforme aux dires d’un informateur ayant voyagé dans la région. De ces échanges avec Anar, Barbeyrac détermine la meilleure période de l’année pour attaquer le Tibesti102. Si ce dernier semble avoir gardé de ses échanges avec Anar une impression très positive, ses supérieurs jugeront les résultats ainsi obtenus de manière moins indulgente comme « très incertains » puisque provenant d’indigènes « connus pour leur manque de franchise103 ». C’est pourtant le plus souvent à partir d’informations recueillies auprès des populations locales que les militaires construisent leur plan d’occupation.
61Mais il arrive que les militaires refusent d’écouter leurs informateurs, se mettant ainsi en danger. Le commandant Gouraud, alors qu’il commande la région ouest, raconte comment, arrivant un soir de 1901 au puits d’Onagueur, ses hommes et lui décident de s’installer sous l’arbre unique de ce lieu. Ils ordonnent aux gens d’un village voisin d’y construire une case. Ceux-ci « objectent que, pendant la saison des pluies, l’arbre se trouve au milieu d’une mare104 ». Mais le ciel est clair et le soleil chaud, Gouraud et ses hommes décident tout de même de s’y installer. Quelques instants plus tard, une tornade éclate et ils constatent « avec terreur que les gens de tout à l’heure avaient bien raison. Il y a bien vingt centimètres d’eau par terre105 ». Les informations fournies par les populations locales n’ont jamais qu’une valeur indicative pour les militaires qui considèrent leurs propres connaissances et leur propre registre de scientificité comme largement supérieurs.
62Une des stratégies adoptées afin de réduire les difficultés d’ordre géographique semble avoir été de recruter les spécialistes du déplacement qui existaient dans les sociétés locales106. Ces renseignements ont un prix. En effet, les informateurs, à l’exception des prisonniers, sont la plupart du temps rémunérés. Durant la période de conquête, la communication de renseignements géographiques pouvait même rapporter plus qu’une simple rémunération. Ainsi dans la région de Niamey, le neveu du chef de Dounga, Baniou, se propose en 1898 comme guide pour la mission Voulet et Chanoine. Il sert ensuite de « guide aux premières reconnaissances et [se] distingu[e] par ses services à la cause française107 ». Pour cela, il reçoit quelques années plus tard le commandement du canton de Niamey. L’enjeu stratégique que représente la communication d’informations géographiques est, à ce moment, parfaitement perçu par les populations locales. Ainsi, la tradition orale se souvient d’Anawar comme de celui qui « montra Ménaka aux Blancs ; [celui] qui leur fit connaître Ménaka et toute la brousse environnante108 ». Celui-ci servit, en effet, de guide aux nombreuses reconnaissances du capitaine Moll à partir de Doulsou.
63Durant la période de grande hostilité de 1898 à 1901, les tournées de reconnaissance ou les expéditions punitives trouvent souvent les villages entièrement évacués et les puits bouchés, dans une forme de résistance par le vide. Une monographie anonyme du cercle de Niamey en 1901 décrit comment « la reconnaissance du commandant Gouraud, dans ce pays, […] ne rencontra aucune résistance, si ce n’est la soif et la faim et l’évacuation totale des villages109 ». Le capitaine Jigaudon fait un récit semblable110. Dans cette situation, les occupants ont le plus grand mal à continuer leur route, sans savoir où trouver les puits ni où se ravitailler111. Ils utilisent alors la coercition pour recruter des guides et ce sont souvent des prisonniers qui sont utilisés comme source de renseignements. Les populations locales, contraintes de guider les colonnes de combat, utilisent différentes stratégies pour éviter de mener l’ennemi à bon port. Ainsi, à la veille de l’attaque des Kel Gress à Zanguébé, le guide disparaît et la colonne ne trouve qu’avec difficulté ceux qu’elle veut combattre112.
64Les premières années de la conquête sont donc, selon les discours des militaires eux-mêmes, celles d’une confrontation avec un milieu hostile, dont ils ne possèdent pas les clés de compréhension, et celles d’une dépendance à l’égard des savoirs autochtones. L’appropriation de l’espace et l’occupation ne pourront être efficacement réalisées qu’à travers la maîtrise des savoirs géographiques. La conquête s’accompagne donc d’un recueil constant de données dont l’un des objectifs premiers est la production de cartes. Pour les colonisateurs, le savoir territorial est déterminé par la représentation cartographique. Les militaires entreprennent, pour construire leur domination, une campagne intellectuelle dont l’objectif est de transformer un monde incompréhensible à leurs yeux en un territoire organisé selon leurs propres critères de savoir et dont la cartographie est l’un des instruments principaux113. Confrontées à la difficulté d’occuper et d’exercer un contrôle sur un monde étranger et largement inintelligible, les autorités coloniales font appel aux outils scientifiques de leur temps afin de réduire ce fossé.
Construire la carte, maîtriser la nature
65La maîtrise physique de l’étendue est à cette époque largement liée à une maîtrise théorique à travers la cartographie. La cartographie en contexte colonial est à la fois instrument de domination, discours du pouvoir colonial sur lui-même et objet de production scientifique. Ainsi, la cartographie joue un rôle dans la conquête militaire, et la domination politique des territoires colonisés, ce qui ne signifie pas que la domination soit l’objectif premier de toute carte produite en contexte colonial.
66La carte la plus précise du territoire militaire du Niger, qui a été la trame des représentations de ce territoire pendant les vingt premières années de son occupation, est constituée par l’ensemble des travaux réalisés lors de la mission Tilho entre 1906 et 1909114. Durant cette mission de délimitation, une carte au 1/500 000 des zones sud du territoire militaire du Niger d’ouest en est est produite. La cartographie représentait une part considérable des objectifs de cette mission, le travail cartographique que devaient effectuer ses membres comportait trois axes : établir le long de la frontière un réseau d’itinéraires aussi serré que possible afin de permettre de tracer sans ambiguïté la ligne de démarcation, produire un levé détaillé des rives du lac et établir pour l’ensemble du territoire français « un réseau d’itinéraires à mailles plus ou moins serrées, de manière à déterminer un canevas sur lequel les officiers en service dans ces régions pourront, par la suite, appuyer les levés complémentaires qu’ils exécuteront au cours de leurs reconnaissances dans les districts relevant de leur autorité115 ». Il s’agit donc à la fois de construire une représentation de l’ensemble de ces régions et de constituer les outils et la trame qui permettront aux militaires de réaliser quotidiennement leurs travaux cartographiques. Ces cartes seront bien utilisées par leur successeurs, le commandant de Madaoua, en 1912, raconte dans son récit de souvenirs avoir fréquenté pendant « huit mois quotidiennement » cette « carte dressée pour les gens de la brousse », « qui permet au voyageur de suivre avec discernement la route, d’en contrôler les grandes lignes, de confronter l’aspect du pays tel que vous l’observez avec le souvenir dont vos prédécesseurs ont conservé la trace sur le papier116 ».
67Durant les premières années de la conquête, la cartographie a essentiellement pour but d’être utile aux déplacements en localisant le réseau hydrographique, les routes et les populations. Les militaires sont ainsi constamment préoccupés de remplir la carte, et les rapports de fin de reconnaissance comptabilisent les kilomètres ajoutés à la connaissance du territoire occupé. Ainsi, le capitaine Delestre, commandant du cercle de Tahoua en 1905, indique qu’« au point de vue topographique, la tournée aura enrichi la carte du territoire de 500 nouveaux kilomètres d’itinéraires et aura eu pour résultat de fixer les point de Ménaka, Tagalatt, Anderaboukane, Chimagarouf et N’Tallack117 ». Dans les Documents scientifiques de la mission, le capitaine Tilho indique, lui, que le chiffre global des itinéraires levés par les membres de la mission représente 52 000 kilomètres118. La notion d’itinéraire est alors centrale, l’objectif est plus d’établir les routes qui permettent de se rendre d’un lieu à un autre que de construire les éléments d’une cartographie complète de l’ensemble du territoire. Afin de quadriller l’espace d’un réseau d’itinéraires maîtrisés et sûrs, d’identifier des routes jalonnées de points d’eau et où se trouvent des villages permettant de se ravitailler.
68Ainsi les membres de la mission Tilho tiennent des carnets d’itinéraires dans lesquels, outre les indications d’heures et d’azimuts, ils portent
« tous les renseignements utiles non seulement à la mise à net de l’itinéraire à l’arrivée à l’étape, c’est-à-dire les noms des villages, des puits ou autres endroits remarquables, avec figuré de leur position par rapport à la route suivie, mais encore de brèves indications sur la population, les ressources en eau et en vivres, les cultures, la flore, la minéralogie, etc.119. »
69Sur les pages de ces cahiers, la route se déploie, les informations scientifiques destinées à construire la carte se mêlant aux informations pratiques. Dans les cercles, il semble qu’on trouve parfois des cahiers d’itinéraires. Dans son rapport de tournée au Tibesti, le capitaine Rottier indique avoir reporté tous les levés effectués au cours de sa tournée dans le cahier d’itinéraires du cercle de Bilma à une échelle variant du 1/25 000 au 1/1 000 000 et sur la page de face écrit « un texte détaillé indiqu[ant] les points importants du parcours ([illisible], puits, mares, villages, pâturages…) susceptibles d’intéresser le voyageur qui aura plus tard à parcourir ces régions, et de lui permettre de régler ses déplacements en connaissance de cause121 ». Maurice Abadie reproduit en annexe XII de son ouvrage La colonie du Niger des tableaux listant les principaux itinéraires qui existent dans la colonie, tandis que la carte jointe à l’ouvrage les figure122. Chaque itinéraire mentionne les campements et les étapes habituelles où il convient de s’arrêter123. L’objectif est de construire des outils qui permettront aux militaires en poste sur le terrain d’organiser leurs déplacements grâce à la lecture de ces cahiers ou de ces cartes, limitant ainsi le recours aux informateurs locaux, faisant de la colonie du Niger un territoire parcouru et organisé par un réseau de routes expérimentées par l’occupant. Ces pratiques cartographiques se concentrent sur la représentation d’itinéraires reflet des déplacements, se désintéressant de la nature et de l’environnement qui ne sont renseignés qu’en fonction des routes, et reprennent la perspective de la géographie d’itinéraires pratiquée dans la région au xixe siècle.
70Cet usage, avant tout pratique, de la cartographie coloniale sur le terrain est clairement explicité par Édouard de Martonne : « La plus importante fonction de la cartographie coloniale consiste à tenir lieu de connaissance du pays pour les nouveaux arrivants. La carte, image du terrain, doit leur permettre de se diriger sur place, aussi bien dans la forêt tropicale que sur les pistes du désert124. » La carte, en tant que représentation exacte et complète du terrain, pourrait ainsi servir d’interface et de médiation entre l’administrateur et la région qu’il doit occuper.
71La cartographie fait alors partie de la routine de l’administration territoriale125. Chaque déplacement est l’occasion de relever les noms des villages, des points d’eau, des éléments du relief, les itinéraires et les routes et de reporter ces différentes informations sur des croquis, ou sur des cartes déjà existantes. Chaque rapport de tournée s’accompagne d’un croquis, plus ou moins détaillé selon les goûts et l’expérience du rédacteur. Ces croquis concernent les itinéraires parcourus, les questions de délimitation de territoire, la localisation des populations, la description de points d’eau permanents ou l’organisation administrative et les dispositifs de surveillance.
72Durant la période de conquête, ce sont les croquis d’itinéraires et ceux qui concernent la délimitation des territoires qui sont les plus nombreux. Ces croquis ne sont, dans la plupart des cas, pas destinés à être publiés ou à être rendus publics, mais plutôt à appuyer et à rendre intelligibles les rapports. Une autre type de pratique cartographique, dont l’importance est difficile à évaluer, est celle par laquelle les administrateurs raturent et corrigent à l’issue de leurs tournées les cartes affichées sur les murs des postes ou contenues dans les archives des cercles. Les cartes sont corrigées et complétées, en fonction de ce qui a été observé sur le terrain, afin d’indiquer à leurs successeurs des détails qui pourront être utiles. C’est une cartographie empirique, figurant les lieux vus et parcourus, et dont l’objectif est de partager son expérience et de couvrir par accumulation l’ensemble du territoire.
73Mais la période de conquête ne suffit pas à réaliser ce quadrillage cartographique de l’espace. Édouard de Martonne, nommé en 1922 à la tête du Service géographique de l’armée, entreprend un travail de recensement de l’ensemble des cartes disponibles sur l’Afrique de l’Ouest. Il établit une répartition en fonction de leur degré de précision. La colonie du Niger est, en 1936, couverte à 80 % par une topographie d’exploration, la moins précise. Seules les régions ouest ont fait l’objet d’une topographie de reconnaissance. Aucune région n’a fait l’objet de levés semi-réguliers ou réguliers. En effet, la précision de la cartographie est en AOF alors liée à l’importance économique des territoires qu’elle concerne. Les territoires intéressés par les cartes de reconnaissance ou d’exploration sont qualifiés de « contrées de faible population, sans intérêt économique » ou de « zones désertiques128 ». L’investissement dans une cartographie précise est réservé aux territoires considérés comme ayant des potentialités économiques ou humaines, révélant une convergence d’intérêts entre le programme cartographique et le programme économique de mise en valeur, ainsi le Sénégal ou la Guinée sont, dès 1895, l’objet d’un projet de carte complète129. En 1936, de larges espaces du territoire militaire du Niger ne sont, eux, pas encore couverts par la cartographie.
74Le savoir géographique joue un rôle clé dans cette période de conquête, pas comme outil de celle-ci, mais plutôt comme résultat. La production de cartes précises ne précède pas l’occupation, elle l’accompagne. Paradoxalement, la conquête est un moment de dépendance à l’égard des savoirs locaux, ainsi que de faiblesse des moyens de domination. Le recueil et la production de savoirs géographiques sont une des tâches centrales des militaires qui réalisent l’occupation. Les outils géographiques et cartographiques ainsi constitués sont largement formés en s’adaptant aux savoirs et aux pratiques géographiques locaux. La cartographie, ainsi constituée, est essentiellement à usage interne et vise d’abord à maîtriser l’espace et les déplacements. Au-delà de cette cartographie du quotidien, les militaires ont le souci de publier et de produire des cartes qui symbolisent et matérialisent leur domination.
CONCLUSION
75Peu nombreuse et très inégalement répartie durant cette période de conquête, l’administration territoriale n’a pas constitué les outils de contrôle qui pourraient lui permettre d’exercer de manière effective une domination territoriale hégémonique. En effet, il n’existe pas encore de recensement de l’ensemble de la population, pas non plus d’organisation territoriale clairement établie, de cartographie de l’ensemble du territoire ou d’infrastructure routière qui faciliterait les déplacements. Pendant plus de vingt ans, l’administration militaire semble naviguer à vue, dans une attitude défensive, en ayant pour objectifs principaux de maintenir et d’étendre l’occupation. Les autorités coloniales cherchent à conserver leurs positions en attendant que le rapport de force leur permette d’étendre leur rayon d’action. La volonté de l’occupant n’est pas de couvrir par son action l’ensemble du territoire théoriquement conquis ni d’encadrer la vie de chacun de ses administrés, mais de conserver les positions acquises et de maintenir le calme. Les militaires et les administrateurs ont pour objectif principal la maîtrise des routes, des itinéraires et des points de passage. Loin de souhaiter contrôler l’ensemble du territoire, de vouloir en saisir toute la surface ou d’en décrire la nature dans sa totalité, ils cherchent à assurer le contrôle des routes et à maîtriser les moyens de se déplacer d’un lieu à un autre. C’est un contrôle en réseau plus qu’en surface qui s’exerce alors. L’administration territoriale n’est pas à ce moment un corps spécifique dont les agents auraient un ensemble de tâches clairement définies. Les militaires exercent sur le terrain toutes les activités, du recensement à la cartographie, en passant par la répression et l’aménagement territorial, l’objectif principal étant de recueillir l’impôt et d’assurer la sécurité. Ce n’est qu’une fois l’administration civile mise en place, en 1922, qu’il sera question de commencer à construire des outils du contrôle.
Notes de bas de page
1 Selon le modèle de l’État de conquête de Bruce Berman, John Lonsdale, Unhappy Valley. Conflict in Kenya and Africa, Londres/Nairobi/Athènes, James Currey/Heinemann Kenya/Ohio University Press, 1992, tome 1, p. 13-44 ; voir aussi Romain Bertrand, État colonial, noblesse et nationalisme à Java : la tradition parfaite, Paris, Karthala, 2005, p. 299-305.
2 Mallam Issa, « Les résistances anticoloniales des peuples du Niger », dans Association des historiens nigériens, Histoire de l’espace nigérien, op. cit., p. 248-275 ; Idrissa Kimba, Guerres et sociétés, op. cit., p. 133-222 ; Jean-Pierre Olivier de Sardan, Les sociétés songhay-zarma, op. cit., p. 159-187.
3 Les chiffres sont difficiles à établir pour la période antérieure à 1907, en effet, jusque-là, les statistiques portent sur l’ensemble du Haut-Sénégal-Niger, sans préciser celles qui concernent spécifiquement les territoires militaires. De plus, les chiffres de la Statistique générale de l’AOF correspondent aux effectifs du personnel affecté sur place, sans différencier ceux qui sont réellement sur le terrain de ceux qui sont en congé. Il faudrait donc soustraire à ces chiffres la part non négligeable de personnel affecté dans ce territoire mais qui, pour des raisons médicales ou familiales ou parce qu’ils sont en congé, n’y sont pas. Les statistiques différencient parfois le nombre de Français et le nombre d’Européens, mais la plupart du temps, seul est donné un chiffre global pour l’ensemble des Européens présents dans la colonie. Ce chiffre correspond alors, selon la circulaire de 1909, à « toutes les populations de race blanche ou assimilées, qu’elles soient nées en Europe ou non ». Ce chiffre comprend aussi bien les militaires que les administrateurs ou les commerçants, quelle que soit leur nationalité, Raymond Gervais, Issiaka Mandé, « Comment compter les sujets de l’empire ? Les étapes d’une démographie impériale en AOF avant 1946 », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 95, juillet-septembre 2007, p. 67-68.
4 Idrissa Kimba, La formation de la colonie du Niger, op. cit., p. 299.
5 Voir annexe V, infra, p. 467-470.
6 Ces chiffres restent toutefois bien plus importants qu’au Nigeria où le rapport est d’un Britannique pour environ 15200 habitants. Mais ces chiffres sont difficilement comparables. En effet, la population du Nigeria est alors presque vingt fois plus importante que celle du Niger, en 1938, le Nigeria rassemble 20 000 000 habitants pour 1315 fonctionnaires européens, Robert Delavignette, Service africain, Paris, Gallimard, 1946, p. 40. Tandis que le Niger compte, en 1939, environ 500 administrateurs européens pour 1 750 000 habitants. À l’inverse, la superficie des deux territoires est comparable, de 1 300 000 km2 pour la colonie du Niger et 900 000 km2 pour le Nigeria. Le rapport occupants/superficie est donc largement supérieure pour le Nigeria :
7 Robert Delavignette, Service africain, op. cit., p. 19. Cet ouvrage est une réédition de 1946 de l’ouvrage Les vrais chefs de l’Empire, récit de souvenirs écrit en 1939, alors qu’il est directeur de l’École coloniale et censuré par Vichy. Le chiffre de soixante Européens peut paraître important, mais il doit être rapporté à la population totale de la ville de 10 000 habitants et à celle du cercle qui est sous son autorité de 135 000 personnes.
8 Robert Delavignette, Service africain, op. cit., p. 21.
9 En 1938, sur environ 500 Français présents au Niger, 240 sont concentrés dans les deux centres de Niamey et Zinder, Robert Delavignette, Service africain, op. cit., p. 51.
10 En 1936, Jean Périé fait le même constat : « À Niamey était rassemblée à peu près la moitié de la population européenne de la colonie, ça ne dépassait pas 150 individus », Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, Paris, La Pensée universelle, 1994, p. 39.
11 Lorsque le cercle d’Agadez comprend la région de Bilma, il représente 900 000 km2, Après la création du cercle de Bilma, il représente environ 700 000 km2. ANN 2. 1. 19, L’Aïr et les confins sahariens, sans auteur, Cercle d’Agadez, sans date après 1952, p. 1.
12 Voir Évolution de la présence française au Niger, supra, p. 267.
13 Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., p. 334.
14 Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 111.
15 Commandant de l’infanterie coloniale Rivet, Notice illustrée sur le territoire militaire du Niger et le bataillon de tirailleurs de Zinder, Paris, Charles Lavauzelle, éditeur militaire, 1912, p. 134.
16 Selon la route actuelle qui suit le même trajet, Tableau des distances kilométriques, Carte touristique du Niger, IGN, 1993.
17 Robert Delavignette, Service africain, op. cit., p. 18.
18 Jean Chapelle évoque ces difficultés à propos de Zinder : « Le colonel lui-même à Zinder, n’avait pas d’automobile en 1927 et ne pouvait circuler qu’à pied, à cheval ou à chameau. Il n’y avait même pas une seule bicyclette dans la ville de Zinder. Il fallait aller à Kano pour voir des camions et des vélos », Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 67. Les tournées en voiture ne commenceront qu’en 1933 pour le cercle d’Agadez.
19 Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., p. 297 et 300.
20 « La presque totalité des transports s’effectue au Niger au moyen d’animaux : chevaux exclusivement utilisés comme animaux de selle, chameaux, bœufs et ânes servant au transport des bagages ou des marchandises et pouvant également transporter du personnel », Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., p. 298.
21 Gouvernement général de l’AOF, La colonie du Niger, Paris, Agence économique de l’AOF, 1932, p. 5.
22 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 83 et 90.
23 Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 35-39.
24 Jacques Weulersse l’évoque dans son récit de voyage au Nigeria : « Kano, capitale de l’émirat du même nom, et terminus du chemin de fer, à plus de 1 100 km de Lagos, bien que faisant partie du Nigeria anglais, possède un campement français. C’est par là que passent les fonctionnaires de notre colonie du Niger : Zinder est à quelques heures d’auto de Kano, et Kano lui-même, par les trains express, n’est qu’à quarante-deux heures de Lagos. C’est donc un voyage facile, comparé à celui qu’il faudrait faire par l’intérieur du Dahomey. Le gouvernement anglais nous a même permis des transports militaires, et c’est l’autorité militaire française qui dirige le camp », Jacques Weulersse, Noirs et Blancs : à travers l’Afrique nouvelle : de Dakar au Cap, Paris, Éd. du CTHS, 1993 [1931], p. 70.
25 C’est encore en ces termes que le gouverneur général annonce à Michel Bonfils son affectation au Niger en 1958. Il lui présente ses condoléances et lui dit : « Vous allez en baver, le Niger c’est le bout du monde. » Entretien avec Michel Bonfils, à son domicile au Buisson, en juillet 2006. Pour les détails concernant cet entretien, voir infra, p. 493.
26 Général Gouraud, Zinder Tchad, op. cit., 1944, p. 91.
27 Le 14 juillet 1901 : « Le colonel me communique une dépêche inquiétante d’après laquelle il est interdit de pousser au-delà de Zinder, tant que le bataillon ne sera pas porté à 1 000 hommes comme il était prévu. Or, pour moment, il en compte 800 et les crédits ne sont votés que pour 600 », général Gouraud, Zinder Tchad, op. cit., 1944, p. 51. Le commandant du poste de Zinder a, lui, interdiction d’agir à l’extérieur du Damagaram : « Le premier commandant de poste de Zinder à qui toute action extérieure avait été interdite avait fortifié notre position dans le pays », ANN 23. 1. 10, Historique du blockhaus de Zinder, 1898-1942, aspirant Gissot, avril 1942, p. 3.
28 ANN 1 E 8. 10, Rapport de tournée faite dans le canton est de la subdivision du 9 au 30 mai 1917 par le commandant de cercle, 1917.
29 ANN 27. 12, Rapport de reconnaissance effectuée du 6 octobre au 14 décembre à N’Guigmi par le lieutenant Ronjat, 1905.
30 « Voilà deux ans, mon commandant, que je me contente d’“enregistrer” les rezzous et les coups que reçoivent mes administrés touaregs. J’ai personnellement le sentiment profond que nous avons, avec la section d’Agadez, le goum touareg ayant une réelle valeur guerrière, et le concours du groupe de Bilma, que nous détenons en Aïr, tous les moyens pour tirer vengeance de ces affronts continuels », MAE-CADN, Carton territoire militaire du Niger 1904-1924 Lettre no 386 du commandant du cercle d’Agadez dario à monsieur le commandant de la région de Zinder, Agadez le 9 août 1909, p. 695.
31 Francis Simonis, Le commandant en tournée. Une administration au contact des populations en Afrique noire coloniale, Paris, Seli Arslan, 2005, p. 12.
32 ANN 11. 7. 1, Correspondance relative à l’organisation territoriale du cercle de Konni, 1909-1923.
33 En 1927, Jean Chapelle, adjoint du commandant du cercle de N’Guigmi, remarque : « Nous disposions d’un gros stock de carnets de familles, nos prédécesseurs ne les ayant guère utilisés, car ils se contentaient de réclamer l’impôt globalement aux chefs de canton et de tribu », Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 120.
34 ANN 6. 1. 6, Rapports trimestriels et mensuels poste de Dogondoutchi, 1909-1916, Rapport politique deuxième trimestre 1914.
35 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 37.
36 « Tout le reste ou à peu près se réaliserait par un simple jeu d’écritures, faisant passer sur place tel ou tel détachement d’une compagnie à une autre », ANN 1 E 5. 45, Rapport du lieutenant-colonel Venel sur un projet de modification à la répartition des troupes de la région de Zinder, 11 août 1909, p. 75.
37 Edmond Séré de Rivière, Histoire du Niger, Paris, Berger-Levrault, 1965, p. 235-236.
38 ANN 1 E 5. 45, Rapport du lieutenant-colonel Venel, portant projet de réorganisation du territoire militaire du Niger, 27 janvier 1910, p. 1.
39 ANN 5 E 1. 7, Rapport sur l’ensemble de la situation de la colonie du Tchad pendant l’année 1921, 1922, section Des chefs de circonscription et de subdivision.
40 Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., p. 334.
41 ANN 1 E 5. 24, Rapports politiques et médicaux mensuels et activités économiques, 1909, Rapport du mois de janvier 1909.
42 ANN 11. 7. 1, Correspondance relative à l’organisation territoriale du cercle de Konni, 1909-1923.
43 ANN 5. 1. 4, Monographie de Gaya. Le droit tienga, Eperet 1917, Marsoud 1909, Archives des Études nigériennes, Dosso, p. 39.
44 MAE-CADN, Carton territoire militaire du Niger 1904-1924, Lettre no 814 du 26 novembre 1910 du commandant de cercle d’Agadez Connot au commandant du territoire militaire.
45 ANN 3. 1. 4, Carnet monographiques du cercle de Bilma, lieutenant Périé, Bilma, 1941, p. 6.
46 Ibid., p. 8.
47 ANN 2. 1. 5, À propos de la route In Abbangarit-In Gezzam par le capitaine Rottier, 1925.
48 ANN 27. 12, Rapport de reconnaissance effectuée du 6 octobre au 14 décembre à N’Guigmi par le lieutenant Roujat, 1905.
49 ANN 1 E 3. 42, Rapport politique des mois de septembre, octobre, novembre, décembre 1907, Colonna de Leca, Rapport Mouret novembre 1907, cercle de Gouré.
50 Ibid.
51 Colonel Édouard de Martonne, Inventaire méthodique des cartes et croquis, imprimés et manuscrits relatifs à l’Afrique occidentale existant au gouvernement général de l’AOF à Dakar, Laval, Imprimerie Goupil, 1926, p. 88.
52 Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 242. Cette frontière a, en effet, été figurée sur les cartes bien avant qu’aucun texte juridique ne la détermine. Ainsi, dans l’Atlas des cartes administratives et ethnographiques des colonies de l’AOF de 1922, cette frontière est figurée, mais il est aussi indiqué qu’elle n’est concernée par aucun accord, Gouvernement général de l’AOF, Atlas des cartes administratives et ethnographiques des colonies de l’AOF, Paris, 1922, Maison Forest Géographe-Éditeur, carte d’ensemble.
53 Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 242-243.
54 Ibid., p. 243.
55 Dans Gouvernement général de l’AOF, Atlas des cartes…, op. cit., carte d’ensemble.
56 ANN 1 E 5. 45, Rapport no 4 du 18 juin 1909, du lieutenant-colonel Venel au sujet de créations et de suppressions de postes et de secteurs dans les cercles de Madaoua et Zinder et au sujet de la fixation de limites exactes des nouvelles divisions territoriales de l’Est, p. 41.
57 « En ce qui concerne les tribus non soumises du Bornou, nous ne pouvons pas espérer les voir venir à nous avant l’occupation de ce pays. Elles savent trop bien maintenant l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de les gêner en quoi que ce soit et du reste à mon avis, ils sont poussés à résister à nos offres de soumission par leurs camarades soumis qui peuvent ainsi rejeter sur eux leur méfaits », ANN 27. 12, Rapport de reconnaissance effectué du 6 octobre au 14 décembre 1905 à N’Guigumi, lieutenant Ronjat, 1905, p. 13-14.
58 ANN 27. 19, Rapport de tournée au Soudan et au Ahaggar (8 avril au 30 septembre 1909), colonel Laperrine, commandant militaire du territoire des oasis, p. 34.
59 « L’oasis de Djado compte environ 130 habitants mais le chiffre de sa population est très variable. Fin 1906, la plupart des habitants s’étaient retirés à Tadjéré (Fezzan) et ne venaient plus dans l’oasis que pour la récolte des dattes », ANN 3. 1. 2, Monographie Bilma, capitaine Pouvreau, commandant le cercle de Bilma, 1912, p. 1-2.
60 Général Gouraud, Zinder Tchad, op. cit., p. 97.
61 Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 183.
62 L’oussourou est un prélèvement de 10 % sur les marchandises transportées par les caravanes.
63 ANN 23. 8. 8, Rapport de tournée dans le Demagherim du 8 au 31 mai 1911, 1911, signé Paupel.
64 MAE-CADN, Carton territoire militaire du Niger 1904-1924, Rapport de tournée du lieutenant Roujat, Tamanit, le 10 novembre 1909.
65 ANN 6. 1. 6, Rapports trimestriels et mensuels poste de Dogondoutchi, 1909-1916, rapport politique du mois de novembre 1912.
66 Ibid., rapport politique du mois de janvier 1913.
67 Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 122.
68 « Nous avons à notre porte cinq pompes aspirantes fonctionnant automatiquement à chaque fois que nous prenons des mesures impopulaires », ANN 1 E 13. 75, Rapport de tournée dans la région de Keïta par le commandant de cercle de Tahoua Loppinot, situation générale, exode en Nigeria, Recensement, 1932.
69 ANN 1 E 8. 10, Rapport de tournée faite dans le canton est de la subdivision du 9 au 30 mai 1917 par le commandant de cercle, 1917.
70 ANN Rapport du commandant de cercle de Zinder le capitaine Ferrière au gouverneur, de Myrriah le 5 avril 1915, Fuglestad Finn, A History of Niger, op. cit., p. 91.
71 « Indiscutablement oui à la suite du grand recrutement de 1916-1917, plus de 10 000 habitants ont passé en Nigeria », ANN 17. 7. 4, Lettre no 10 c. du 21 octobre 1933 du commandant de cercle de Tahoua au gouverneur du Niger à Niamey relative à la cause des émigrations vers le Nigeria, 1933.
72 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., 1983, p. 101.
73 ANN 1 E 13. 75, Rapport de tournée dans la région de Keïta par le commandant de cercle de Tahoua Loppinot, situation générale, exode en Nigeria, Recensement, 1932.
74 ANN 17. 7. 4, Lettre no 10 c. du 21 octobre 1933 du commandant de cercle de Tahoua au gouverneur du Niger à Niamey relative à la cause des émigrations vers le Nigeria, 1933.
75 ANN 15. 1. 1, Monographie du cercle du Djerma, Niamey, 1901-1907, Arrêté du gouverneur général de l’AOF no 228 du 20 mars 1902, p. 8-9.
76 Ibid., Arrêté no 227, du gouverneur général P. I. de l’AOF chevalier de la Légion d’honneur.
77 ANN 3. 8. 8, Conférence de Bilma. Statut des Goundas. Questions de la frontière Niger Tchad aux abords du Tibesti. Cession du Tibesti à l’AEF, 1929-1931.
78 « La soumission du Djado date de 1923. Les Toubbous nomades ont fait leur soumission entre les années 1923 et 1928 et sont revenus à cette époque du Zeila où ils étaient tout d’abord réfugiés pour fuir la conquête française. On peut dire que la pacification définitive du cercle ne fut réalisée que lorsque le Tibesti eut été réoccupé par les troupes de l’AEF (1929) et lorsque le Fezzan eut été reconquis par les Italiens (1930) », ANN 3. 1. 4, Carnet monographiques du cercle de Bilma, lieutenant de réserve Périé, Bilma, 1941, p. 3.
79 ANN 1 E 20. 11, Rapport du capitaine Amiel commandant de cercle de Bilma au sujet d’une tournée effectuée dans le nord du cercle du 6 au 26 septembre 1936, 1936.
80 Idrissa Kimba, La formation de la colonie du Niger, op. cit., p. 27-28.
81 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 88 et 102 ; Stephen Baier, An Economic History of Central Niger, op. cit., p. 103-104.
82 Au moment de son départ pour sa tournée dans le lac Tchad, le capitaine commandant du cercle de N’Guigmi Bigoulin enjoint à Chapelle de ne pas traverser la frontière, il lui dit après, Jean Chapelle, Souvenirs du Sahel, op. cit., p. 178.
83 À l’image d’Edward Saïd qui qualifiait l’impérialisme d’« acte de violence géographique, par lequel la quasi-totalité de l’espace mondial est exploré, cartographié et finalement annexé », Edward Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p. 320.
84 Frederick Cooper, Ann Laura Stoler, Tensions of Empire, op. cit., p. 14.
85 Hélène Blais, Florence Deprest, Pierre Singaravélou (dir.), Territoires impériaux, op. cit., p. 7.
86 Lieutenant-gouverneur Jules Brévié, En souvenir du colonel Monteil. L’inauguration du monument de Niamey, Paris, Comité de l’Afrique française, 1929, p. 16.
87 Valentin Yves Mudimbe, The Invention of Africa, Bloomington/Londres, Indiana University Press/James Currey, 1988, p 181.
88 « Le lieutenant Guyon-Verdier faillit mourir de soif en essayant de gagner Tahoua par Fillingué », ANN 17. 1. 10, Monographie-Rapport d’ensemble et recensement, Roger Malfettes, chargé de la subdivision centrale du cercle de Tahoua, 1950-1951, Tahoua, p. 39.
89 « La pacification n’est pas complète, il y a quelques mois la reconnaissance du pays n’était pas achevée, sa frontière définitive même, pas fixée ; sur bien des points nous n’avons donc que des données imprécises », capitaine Henri Gaden, Notice sur la résidence de Zinder, Paris, Charles Lavauzelle, 1904, p. 5.
90 ANN 15. 1. 1, Monographie du cercle du Djerma, Niamey, 1901-1907, pagination multiple.
91 Ibid.
92 MAE-CADN, Carton territoire militaire du Niger 1904-1924, lettre no 103 AI, de Niamey le 28 février 1907, le commandant Cristofari commandant du territoire militaire du Niger au commandant du territoire de Zinder.
93 ANN 27. 2, Correspondance de la colonne du Djerma, instructions, notes de services et ordres, Péroz et Gouraud, 1900-1901, Instruction no 47 du lieutenant colonel commandant le iiie territoire AOF à monsieur le commandant Gouraud commandant la colonne du Djerma le 20 décembre 1900, verso.
94 Général Gouraud, Zinder Tchad, op. cit., p. 31.
95 « À Mogodiougou, nous sommes bien reçus et l’on établit une carte par renseignements des mares de l’Azaoua », ibid., p. 23.
96 « Nous partons à 7 heures du soir pour couvrir une vingtaine de kilomètres, d’après les renseignements », ibid., p. 32.
97 Sur le Borkou, Jean-Louis Triaud, La légende noire de la Sanûsiyya, op. cit., tome 2, p. 759-768.
98 Lieutenant-colonel Jean Ferrandi, Le Centre africain français. Tchad, Borkou, Ennedi. Leur conquête, Paris, Lavauzelle et Cie, 1930, p. 59.
99 Ibid., p. 148.
100 Ibid.
101 ANN 21. 0. 1, Renseignement sur le Tibesti, capitaine Barbeyrac, commandant le cercle de N’Guigmi, 9 février 1912, p. 1.
102 « Époque climatique favorable à la pénétration : la saison chaude d’après Anar, pour qui il fait très froid au Tibesti de novembre à fin février et nos chameaux du Sud ne supporteraient pas ce froid », ANN 21. 0. 1, Renseignement sur le Tibesti, capitaine Barbeyrac, commandant le cercle de N’Guigmi, 9 février 1912, p. 5.
103 « Il ressort de l’exposé géographique ci-dessus que nous n’avons en somme sur le Tibesti que des renseignements très incertains, étant donné qu’ils proviennent d’indigènes intéressés et connus pour leur manque de franchise », ANN 21. 0. 8, Mémoire sur le Tibesti, colonel Hocquart, commissaire du gouvernement général, 12 août 1913, Tibesti, p. 7.
104 Général Gouraud, Zinder Tchad, op. cit., p. 52.
105 Ibid.
106 Jean Chapelle évoque le souvenir d’un goumier qui, alors qu’il rencontre un groupe de Toubous de Dibella rentrant du Fezzan, recrute sur-le-champ l’un d’eux qu’on lui a signalé comme guide réputé, Jean Chapelle, Nomades noirs du Sahara, Paris, L’Harmattan, 1992 [1958], p. 173.
107 ANN 15. 1. 1, Monographie du cercle du Djerma, Niamey, 1901-1907, canton de Niamey, p. 59.
108 Jean-Pierre Olivier de Sardan (éd.), Quand nos pères…, op. cit., p. 102, section 51.
109 ANN 15. 1. 1, Monographie du cercle du Djerma, Niamey, 1901-1907, section Djerma-Ganda, pagination multiple.
110 « La marche fut très pénible pour le détachement par suite du vide absolu fait devant lui par les populations. Les questions d’eau, de vivres, de guides et de portage sans pouvoir être jamais bien résolues suscitèrent de nombreuses difficultés », ANN 27. 1, Rapport du lieutenant Jigandon sur la marche de Say à Zinder, 17 août au 6 novembre 1900.
111 « Le capitaine Cornu part un jour de Filingué avec 45 tirailleurs et un convoi léger. Trompé par des renseignements indigènes, le petit détachement s’égare et erre dans la brousse pendant deux jours. Enfin Cornu retrouve la direction. Mais il ne lui reste plus que trente litres d’eau et il est encore à 20 kilomètres de Laham. Cinq tirailleurs sont déjà morts de soif », général Gouraud, Zinder Tchad, op. cit., p. 41.
112 Le 13 avril 1901, jour pressenti de l’attaque : « La veille au moment du dîner, le lieutenant Bachellez annonce que le guide a disparu », ibid., p. 36.
113 Comme dans le cas de l’Inde : Matthew Edney, Mapping an Empire. The Geographical Construction of British India, 1765-1843, Chicago, University of Chicago Press, 1997.
114 La carte de la mission Tilho est longtemps « restée l’unique document original pour cette région », Édouard de Martonne, Cartographie coloniale, Paris, Librairie Larose, 1935, p. 240.
115 Capitaine Tilho, Documents scientifiques, op. cit., tome 2, p. 278.
116 Thomas Saint-Maur, Odyssée d’un soldat nomade, t. I, Mathô, Paris, Witho, 1944, p. 457.
117 ANN 1 E 2. 13, Rapport du capitaine Delestre commandant de cercle de Tahoua au sujet de la reconnaissance qu’il a dirigé dans l’Azawa, du 14 février au 11 mars 1905, 1905.
118 Capitaine Tilho, Documents scientifiques, op. cit., tome 2, p. 279.
119 Ibid., p. 294.
120 Dans capitaine Tilho, Documents scientifiques…, op. cit., tome 2, p. 294.
121 ANN 1 E 10. 45, Rapport Rottier. Tibesti 1927. Renseignement documentaire d’ordre divers : économique, administratif, social, géographique, 1929, p. 1-2.
122 Voir la carte de la colonie du Niger de Maurice Abadie, en fin de volume.
123 Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., p. 298.
124 Édouard de Martonne, Cartographie coloniale, op. cit., p. 196.
125 Jeffrey Stone a réalisé un constat similaire concernant la Rhodésie coloniale, Jeffrey C. Stone, A Short History of the Cartography of Africa, op. cit., p. 122.
126 Dans Maurice Abadie, La colonie du Niger, op. cit., p. 426.
127 Ibid., p. 431.
128 Édouard de Martonne, Cartographie coloniale, op. cit., p. 194.
129 Marie-Albane de Suremain, « Cartographie coloniale et encadrement des populations en Afrique », art. cité, p. 37 ; Odile Goerg, « Mettre en carte la conquête : les Français en Guinée à la fin du xixe siècle », dans Isabelle Laboulais-Lesage, Combler…, op. cit., p. 296.
130 Édouard de Martonne, Cartographie coloniale, op. cit., p. 265.
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