Figures exemplaires et communauté parfaite
p. 97-105
Texte intégral
21. Revolutions, nouveaux États et modèle prophetique : la communauté idéale de Tazrut
1La plupart des mouvements politico-religieux qui visaient à fonder un nouvel État et un ordre rompant avec celui en place dans le monde islamique médiéval ont prôné des règles de vie en société conçues comme un retour à l’idéal des origines prophétiques et annoncé une fin des temps synonyme d’avènement de la justice. La biographie des fondateurs de ces États suit souvent un modèle proche de l’hagiographie muhammadienne. Les Fatimides ne font pas exception, même si le modèle s’étend à Abū ‘Abd Allāh, missionnaire principal du mouvement au Maghreb (?-911).
2Si la propagande (da‘wa*) fatimide n’est pas le premier mouvement originaire d’Orient à gagner le Maghreb et à y bâtir un État (cf. les kharijites de Tahart ou de Sijilmāsa), ni même le premier d’inspiration chiite (cf. les Idrissides), elle innove en fixant à l’imamat l’objectif de détruire les califats impies et de construire un empire. En outre, Rustamides et Idrissides s’étaient appuyés en partie sur les tribus berbères, mais dans un cadre urbain. Abū ‘ Abd Allāh fait le choix d’un cadre rural, périphérique, en suivant des pélerins Kutāma rencontrés à La Mekke en 893. Il développe en Petite Kabylie, à Ikjān, puis Tazrūt, jusqu’à la prise du pouvoir en 909, un nouvel État, c’est-à-dire un nouvel ordre du monde, à une échelle réduite, mais conçue comme exemplaire. Accueilli dans un cadre tribal, il en modifie les structures, au service du projet fatimide, en se référant à l’action accomplie à Médine par Muḥammad, selon la Tradition. Il est vrai que cet aspect est documenté avant tout par les sources pro-fatimides, mais s’il est difficile d’être certain que les choses se sont réellement passées ainsi, le mouvement a bien mis fin à la dynastie aghlabide, modifié durablement la situation politique au Maghreb, construit un empire, ce qui supposait au minimum un changement de conception de l’ordre du monde ; or, la doctrine ésotérique ismaïlienne était réservée à de rares initiés. En revanche, la fidélité à la famille de Muḥammad, dont se réclamaient les Fatimides, l’idéal prophétique d’égalitarisme et de piété et l’annonce d’un âge de justice se prêtaient mieux à enthousiasmer les foules.
3On ignore tout du Qāḍi al-Nu‘mān (?-973) avant son entrée au service du premier calife fatimide en 925. L’ismaïlisme de son père pourrait expliquer son ascension fulgurante : il est grand cadi*, sommet de la hiérarchie judiciaire du califat, dès 948. Véritable idéologue, il rédige de multiples traités afin démontrer la légitimité du califat aux non-ismaïliens et de consigner l’histoire idéalisée des débuts de la dynastie. Dispensant un enseignement élaboré en relation étroite avec l’imam fatimide, qui est le dépositaire de la doctrine, le Qāḍi al-Nu‘mān écrit, en 957-958, l’Iftitāḥ al-da‘wa [Les débuts de la mission], source majeure pour les débuts du mouvement fatimide dont il retrace les origines orientales.
4Source : al-Qāḍī al-Nu‘mān, Risālat iftitāḥ al-da‘wa, éd. W. al-Qāḍī, Beyrouth, Dār al-Thaqāfa, 1970, p. 124-128 ; 130 ; 132-133 ; trad. A. Nef.
5Les gens pesaient leurs actions et se tenaient sur leurs gardes ; ils savaient qu’il ne leur passerait rien et ne fermerait pas les yeux [sur leurs actes]. Leur situation se redressa et leur condition se conforma à la piété. Ensuite il durcit les châtiments de ceux qui en méritaient. Il les châtiait par l’épée et les punissait par la peur. Il mettait la correction entre leurs mains, ne la déléguant à personne d’autre et ne les mettant sous l’autorité de personne d’autre qu’eux-mêmes. S’il désirait mettre à mort l’un d’entre eux qu’il avait condamné à mort, il en donnait l’ordre à son frère ou à son père ou à la personne la plus proche de lui. Il y voyait une preuve d’obéissance […]. Plusieurs bienfaits en découlaient : ils évitaient de commettre des péchés et s’abstenaient de méfaits honteux, la masse de la population [étant mue] par la peur, le souci de bien faire, la dissimulation ou la terreur. Ils étaient certains qu’il n’y aurait ni tolérance ni pardon pour ce type d’actes. Ils cessèrent d’être tentés par ces derniers. La corruption et la trahison disparurent, tandis que la piété, la religion et l’honnêteté se répandaient. […]
6Personne n’avait vu ni entendu parler d’un groupe aussi vertueux et aussi droit que celui des compagnons d’Abū ‘Abd Allāh : ainsi les marchands, qu’ils aient voyagé avec des biens peu apparents ou avec des richesses évidentes, les transportaient seuls ou à deux à travers les montagnes, les déserts, les espaces ouverts et les lieux isolés. […]
7Les gens se tenaient éloignés des vices et délaissaient le débat entre les écoles juridiques ; ils unirent leurs personnes Ils s’appelaient « frères » et nouaient des liens secrètement ou en toute publicité. Si l’un d’entre eux appelait quelqu’un dont il ne connaissait pas le nom, ou dont il ne souhaitait pas mentionner la kunya* en l’appelant ou en lui parlant, il disait « Ô notre frère ! » […]
8Abū ‘Abd Allāh répartit les Kutāma en sept groupes et assigna à chaque septième des troupes et un commandant pour les diriger. Il désigna un dā‘ī* dans chaque localité. Il appela les commandants et les dā‘ī-s « les anciens » (al-mashāyikh), même s’ils n’en avaient pas l’âge et il leur confia les affaires des croyants et ce qu’Allāh réservait du butin au chef des musulmans (wālī al-muslimīn). Lui-même n’en toucha jamais une part, n’y avait pas accès et ne le voyait même pas ; il resta entre leurs mains jusqu’à l’arrivée du Mahdī – la paix de Dieu soit sur lui – auquel ils le remirent alors. Cela sema la zizanie parmi eux car ils estimaient que le butin aurait dû rester entre leurs mains ainsi pour toujours. […]
9Il envoyait certains d’entre eux vers l’Orient avant l’hégire du Mahdī – les prières de Dieu soient sur lui –, et vers Sijilmāsa après qu’il y était arrivé, et vers des régions lointaines dans la direction qu’il voulait. Quand il choisissait quelqu’un pour cela et qu’il lui confiait une mission, il le faisait en secret, sans en informer personne de sa famille ni de ses enfants ; aucun d’entre eux ne savait où il allait et vers où il se dirigeait. Il était isolé d’eux jusqu’à son retour. Abū ‘Abd Allāh leur confiait des sommes immenses qu’ils emportaient. Ils voyageaient et marchaient déguisés en pauvres et en pèlerins de l’extrémité du Maghreb, en haillons et vêtements usés, jusqu’à ce qu’ils aient remis ce qui leur avait été confié à l’imam, puis ils revenaient de la même manière, avec le même aspect. […]
10Parmi les choses qu’il faisait, il prenait constamment soin de les conseiller, de leur rappeler et de leur répéter exhortations et maximes de sagesse. Pour cela, il les réunissait et il tenait des séances (majālis*) avec eux la plupart des jours. Il ordonnait à ceux qu’il désignait comme dā‘ī-s de faire de même et les entraînait à cela. Ils passaient la plupart de leur temps à assister à des séances et à écouter des exhortations […].
11Il y avait des femmes qui se conduisaient de la sorte et se consacraient à cela en y cherchant leur récompense, telle l’épouse de Yaḥyā b. Yūsuf, connu sous le nom d’Ibn al-Aṣamm al-Ijjānī qui était un compagnon d’al-Ḥulwānī déjà mentionné […]. Elle était encore en vie quand Abū ‘Abd Allāh arriva et elle rejoignit la da‘wa ; sa conduite était bonne et elle lui apporta l’argent et le lui remit1, en lui faisant part des dernières volontés de son mari. Elle avait de l’argent qu’elle dépensait pour le jihad et elle préparait de ses mains la nourriture pour ceux qui le menaient, pour les croyants pauvres et pour ceux qui s’arrêtaient dans sa famille jusqu’à ce que ses mains saignassent à force de moudre et de leur servir à manger. D’autres femmes se conduisaient de même et les évoquer allongerait le livre. Elles se rendaient aux séances et écoutaient les maximes de sagesse. Parmi elles, de vieilles femmes suivaient cet enseignement et atteignaient le niveau de dā‘ī-s, telle Umm Mūsā fille d’al-Ḥulwānī.
12Bibliographie : F. Dachraoui, Le califat fatimide au Maghreb 296-362/909-973, Tunis, Société tunisienne de diffusion, 1981 ; H. Halm, The Empire of the Mahdi. The Rise of the Fatimids (875-973), Leyde, Brill, 1996 ; S. A. Hamdani, Between Revolution and State. The Path to Fatimid Statehood, Londres/New York, I. B. Tauris, 2006 ; J. E. Lindsay, « Prophetic Parallels in Abu ‘Abd Allah Al-Shi‘i’s Mission Among the Kutama Berbers, 893-910 », International Journal of Middle East Studies, 24, 1992, p. 39-56 ; al-Qāḍī al-Nu‘ mān, extraits de la Risālat Iftitāḥ al-da‘wa relatifs à la prédication puis à l’avènement des Fatimides (881-957), trad. H. Haji, Founding the Fatimid State : The Rise of an Early Islamic Empire, Londres/New York, I. B. Tauris, 2006, p. 102 et suiv.
22. Modèles de souverains épris de justice
13La justice du souverain est un thème central de la littérature de Miroirs des princes. Un court traité, écrit à la fin du xe siècle, vient en proposer une illustration originale. Son auteur, Abū Hilāl al-‘Askarī (m. vers 1010), est surtout connu pour son œuvre d’adab* et de théorie littéraire. Issu d’une famille de savants d’origine perse, il passa la majeure partie de sa vie à ‘Askar Mukram, dans la province du Khūzistān à l’est de l’Irak. Son affiliation religieuse reste l’objet de doutes : malgré une certaine inclination pour le chiisme en vogue dans le domaine bouyide, ses écrits sont surtout influencés par la théologie muʻtazilite et reflètent une ouverture sur la pensée sunnite. Marchand de vêtements, il ne parvint jamais à entrer comme secrétaire au service des vizirs bouyides Ibn al-‘Amīd (m. 970) et al-Sāḥib Ibn ‘Abbād (m. 995), comme il l’ambitionnait. Dans Le livre des califes qui s’en remirent au jugement d’un cadi, Abū Hilāl al-‘Askarī s’emploie à démontrer, dans une succession de récits anecdotiques, que le souverain modèle doit se soumettre à la justice des hommes. Le prince n’est pas au-dessus des lois et, mis en accusation, il doit comparaître devant le juge sur un pied d’égalité avec son adversaire. L’auteur exemplifie ainsi le thème de l’indépendance des magistrats, développé par les juristes sunnites depuis le ixe siècle. L’extrait sélectionné s’ouvre sur une série d’aphorismes attribués à des personnages emblématiques de la période antéislamique et des débuts de l’Islam, reprenant notamment la théorie orientale du « cercle de justice », un équilibre institutionnel sur lequel devait reposer le bon gouvernement.
14Source : Abū Hilāl al-‘Askarī, Le livre des califes qui s’en remirent au jugement d’un cadi, éd. et trad. M. Tillier, Le Caire, Ifao, 2011, p. 18-20.
15[Le Prophète] – la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui – a dit : « Garantissez-moi six choses et je vous garantirai le Paradis : ne vous montrez pas injustes lors du partage de vos héritages, ne fuyez pas par lâcheté la confrontation avec votre ennemi, ne surévaluez pas le montant de vos prises de guerre, faites preuve d’équité avec autrui, défendez ceux d’entre vous qui sont opprimés contre leurs oppresseurs, et n’attribuez pas à Dieu vos propres fautes. » Le Prophète – la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui – a dit également : « L’injustice [conduira] aux ténèbres au Jour de la Résurrection. » Il dit aussi – le salut soit sur lui – : « Dieu le Très-Haut a dit : “Ma colère s’abattra sur quiconque opprime celui qui n’a d’autre défenseur que moi”. »
16Les sages ont coutume de dire : « La justice du souverain (sulṭān*) est préférable à un siècle d’abondance. »
17Kisrā2 a dit : « Ne fais pas halte dans une ville où cinq choses ne sont pas réunies : un souverain victorieux, un juge équitable, un marché permanent, un médecin savant et une rivière pérenne. »
18Anūshirwān disposait de quatre sceaux : un sceau pour [ses] propriétés, sur lequel était gravé « la prospérité » ; un sceau pour l’impôt foncier, sur lequel était gravé « la justice » ; un sceau pour la poste, sur lequel était gravé « la fidélité » ; un sceau pour la police, sur lequel était gravé « la retenue ».
19Un roi sassanide a dit : « Il n’est de royaume sans hommes, ni d’hommes sans argent, ni d’argent sans impôt foncier, ni d’impôt foncier sans prospérité, ni de prospérité sans justice. »
20Un roi a dit : « Je possède les corps mais non les volontés ; je juge conformément à la justice et non selon mon bon plaisir ; je contrôle les œuvres mais non les âmes. »
21Al-Walīd3 écrivit à al-Hajjāj4, lui ordonnant de lui exposer sa conduite. [Al-Hajjāj] lui répondit : « J’ai tenu ma pensée en éveil et j’ai endormi mes passions ; j’ai rapproché le chef obéi de sa tribu ; j’ai nommé à la tête de l’armée l’homme ferme dans ses ordres et j’ai confié l’impôt foncier à l’économe, pour sa fiabilité. J’ai distribué à tous les plaignants une fraction de moi-même, leur accordant une part de mon attention et de ma bienveillante sollicitude. J’ai dirigé le sabre vers l’impur et le mauvais, de sorte que le fautif craigne la force du châtiment et que les gens honnêtes se cramponnent à leur lot de récompenses. »
22Al-Walīd demanda à ‘Abd al-Malik5 : « Père, en quoi consiste l’art de gouverner ?
23— Il consiste à susciter une crainte respectueuse auprès de l’élite tout en gagnant son amitié, à s’attacher les cœurs du commun en lui rendant justice et à supporter les errements des gens de métier. »
24Les rois perses éliminaient les sources d’injustice et d’oppression et assistaient la victime – même de vile condition – contre son agresseur – même s’il était noble. « Si le roi ne fait pas preuve de justice, il n’est qu’un voleur assis sur un trône », disaient-ils. […] À chaque Nayrūz6, il s’asseyait devant le mōbad7 et appelait : « Que s’avance tout individu ayant à se plaindre du roi ! » Lorsqu’il avait fait cela, […] et il [ne] traitait personne injustement ( ?).
25Ibrāhīm b. ‘Abd al-Ṣamad raconta :
26Quand Kisrā fit creuser le Qāṭūl8, les populations en aval furent soudain privées d’eau potable. Les habitants allèrent s’en plaindre à lui : ils le trouvèrent dans un parc lui appartenant, alors qu’il se promenait à cheval.
27— Ô roi, nous sommes venus nous plaindre de toi ! lui dirent-ils.
28Il descendit de sa monture et s’assit par terre.
29— Je n’aurai de cesse que j’aie dissipé vos sujets de plainte ! déclara-t-il.
30Ils racontèrent leur histoire et il ordonna de fermer le Qāṭūl.
31— Nous ne souhaitons pas infliger cela au roi ! répondirent-ils. Il te suffit de nous amener de l’eau [par un canal de dérivation creusé] en amont du Qāṭūl.
32Il ordonna donc de creuser un canal conduisant l’eau jusqu’à eux : c’est à cet épisode que remonte le Qūraj9.
33Un homme écrivit à un souverain (sulṭān*) : « Le devoir de faire le bien incombe avant tout au récipiendaire de la bonté divine ; celui de faire preuve de justice échoit avant tout au puissant. »
34Bibliographie : M. Abbès, Islam et politique à l’âge classique, Paris, Puf, 2009 ; D. Aigle, « La conception du pouvoir en islam. Miroirs des princes persans et théories sunnites (xie-xive siècles) », Perspectives médiévales, 31, 2007, p. 17-44 ; A. Al-Azmeh, Muslim Kingship. Power and the Sacred in Muslim, Christian and Pagan Polities, Londres/New York, I. B. Tauris, 2001 ; Y. Essid, At-Tadbîr/Oikonomia. Pour une critique des origines de la pensée économique arabo-musulmane, Tunis, Éditions T. S., 1993 ; A. K. S. Lambton, State and Government in Medieval Islam. An Introduction to the Study of Islamic Political Theory : The Jurists, Oxford/New York, Oxford University Press, 1981.
23. Saladin un nouveau Joseph ?
35De nombreux poètes, administrateurs, hommes de loi et de religion chantèrent les louanges de Saladin pour obtenir ses faveurs ou pour conférer une plus grande légitimité à son pouvoir. Al-‘Arqala (m. 1171-72) était un poète damascain qui lui aurait prédit la conquête de l’Égypte. Il fait ici probablement allusion aux fonctions de chef de la police exercées par Saladin à Damas sous le règne de Nūr al-Dīn. Le poète yéménite ‘Umāra (m. 1174) est connu, lui, pour avoir loué la dynastie fatimide. Il tenta de servir ensuite Saladin en Égypte, mais ne réussit pas à le convaincre de sa fidélité et finit par être exécuté au Caire, sur son ordre, en 1174. Al-Fāḍil (m. 1200) et Ibn Shaddād (m. 1234) furent les plus proches et les plus fidèles conseillers de Saladin. L’ouvrage d’Ibn Shaddād sur Saladin est l’une de nos principales sources sur ce souverain.
36Les rapprochements qui ont été faits entre Saladin et d’anciennes figures bibliques islamisées au travers du Coran et des qiṣaṣ al-anbiyā’ (contes édifiants qui racontent la vie des prophètes préislamiques) étaient destinés à le rapprocher, sinon de la sainteté, du moins de l’image du souverain idéal. Le choix de Joseph s’explique d’abord par leur homonymie – Saladin s’appelait Yūsuf c’est-à-dire Joseph en arabe – ainsi que par la ressemblance de certains épisodes de leur vie. Joseph est une figure importante du Coran dans lequel il apparaît comme un prophète précurseur de Muḥammad, incarnant savoir, clémence et droiture, et prêchant la foi en un seul Dieu. La sourate XII porte son nom et raconte son histoire à travers un récit fortement influencé par les traditions juives et chrétiennes, mais également empreint d’anciennes légendes égyptiennes et grecques.
37Source : Al-‘Arqala, cité par H. Möhring, « Zwischen Joseph-Legende und Mahdi-Erwartung : Erfolge und Ziele Sultan Saladins im Spiegel zeitgenössicher Dichtung und Weissagung », dans War and Society in the Eastern Mediterranean, 7th-15th Centuries, éd. Y. Lev, Leyde, Brill, 1997, p. 177-225, ici p. 187 ; trad. française A.-M. Eddé.
38« Doucement, voleurs de Syrie ! », c’est le conseil que je peux vous donner, Prenez garde car voici l’homonyme du prophète Joseph seigneur d’intelligence et de beauté,
39Amis, si celui-là coupait les mains des femmes, celui-ci coupe les mains des hommes10.
40Source : ‘Umāra al-Yamanī, Dīwān, trad. H. Derenbourg, ‘Oumâra du Yémen, sa vie et son œuvre, Paris, E. Leroux, 1897-1909, 2 tomes en 3 volumes, t. 2, Vie de ‘Oumâra du Yémen, p. 380-386.
41Ô toi qui ressembles à al-Ṣiddīq en justice, en bonté et en joli nom, qui l’as reproduit en pensées et en résidence,
42Ceci est le Miṣr* de Joseph. Un Joseph y a demeuré en roi, sans y avoir demeuré dans une prison.
43Ce qui a rappelé aux hommes le fils de Jacob, c’est, ô fils d’Ayyūb, ta belle manière de vivre,
44C’est toi qui as interdit qu’on y triplât ou qu’on y doublât par un culte autre que celui d’Allāh l’unique,
45Et qui l’as réparé par une victoire et par une lame, en substituant à la crainte qui voyage dans les ténèbres une ère de sécurité. […]
46Et tu as pris la lieutenance de Miṣr en raison de ton joli nom Joseph, comme une pluie fine qui dégoutte a pris la lieutenance en raison de la fertilité répandue.
47Tu as imité les deux effusions de sa rosée et de sa bonne direction, bien que ni prison, ni fosse ne t’ait enfermé,
48Et tu t’es accordé avec lui dans le pardon de tout péché, étant donné qu’il n’y a pas réprimande de ta part, même pour une faute grave11. […]
49« Par lui (Saladin) l’Égypte est revenue à la santé, et avant lui, elle se plaignait d’une maladie qui n’avait reçu l’appui d’aucun médecin,
50Ô merveille d’un miracle qui s’est produit à son époque, temps qui est le père de toute merveille !
51C’est par lui qu’Allāh a renouvelé l’histoire de Joseph par un enchaînement de circonstances rapprochées,
52Ses frères et son père sont venus le joindre à Miṣr par étapes, en ordre régulier,
53Sois donc heureux par un très noble arrivant et par une race, dont les fortes aspirations t’ont assisté par leur souffle !
54Source : al-Qāḍī al-Fāḍil cité par Abū Shāma, Kitāb al-rawḍatayn fī akhbār al-dawlatayn [Livre des deux jardins sur l’histoire des deux dynasties], Būlāq, 1871-1875, 2 vol., t. 2, p. 215 ; trad. A. C. Barbier de Meynard, Recueils des historiens des croisades, Historiens orientaux, t. 5, Paris, 1906, p. 97 (traduction légèrement modifiée).
55La nuit où mourut le sultan, quelqu’un entendit en songe une voix qui disait : « Cette nuit, Joseph est sorti de sa prison », ce qui est conforme à cette parole du Prophète : « Ce monde est la prison du vrai croyant et le paradis de l’infidèle. » En effet, notre Joseph – que Dieu lui soit miséricordieux – était ici-bas dans une prison en comparaison de la place qu’il occupe dans l’autre monde. Que Dieu fasse grâce à son âme et lui ouvre le paradis : c’est la victoire suprême que le sultan ambitionnait.
56Source : Ibn Shaddād Bahā’al-Dīn, al-Nawādir al-sulṭāniyya wa l-maḥāsin al-Yūsufiyya, éd. par J. al-Dīn al-Shayyāl, Le Caire, 1964, p. 44, trad. anglaise D. S. Richards, The Rare and Excellent History of Saladin, Crusade Texts in Translation, Aldershot, 2001, p. 47 ; trad. française A.-M. Eddé.
57Le sultan envoya chercher son père pour que son bonheur soit complet et sa joie couronnée et pour que l’histoire ressemble à ce qui arriva au prophète Joseph – que la bénédiction de Dieu soit sur lui et sur tous les autres prophètes. Son père Najm al-Dīn arriva auprès de lui durant le mois de jumāda II 565/20 février-20 mars 1170. Saladin le reçut avec son habituelle courtoisie et l’investit de tout le pouvoir mais Najm al-Dīn refusa de l’exercer et dit : « Mon fils, Dieu ne t’a choisi pour cette tâche que parce que tu en es digne ; on ne doit pas changer le récipiendaire de cette félicité. » Le sultan lui donna néanmoins toute autorité sur ses trésors. Il était généreux, prêt à donner sans jamais repousser. Le sultan garda toute l’autorité du vizirat jusqu’à la mort d’al-‘Āḍid Abū Muḥammad ‘Abd Allāh, celui-ci étant le dernier des [souverains] égyptiens12.
58Bibliographie : A. -M. Eddé, Saladin, Paris, Flammarion, 2008 ; H. Möhring, « Zwischen Joseph-Legende und Mahdi-Erwartung : Erfolge und Ziele Sultan Saladins im Spiegel zeitgenössicher Dichtung und Weissagung », dans War and Society in the Eastern Mediterranean, 7th-15th Centuries, éd. Y. Lev, Leyde, Brill, 1997, p. 177-225.
Notes de bas de page
1 Son premier mari lui avait confié de l’argent avant sa mort pour financer le futur jihad des Fatimides.
2 Nom que les Arabes donnent généralement au roi sassanide Kisrā Anūshirwān (531-579) ou Kisrā Parvīz (591-628).
3 Al-Walīd Ier, calife omeyyade de 705 à 715.
4 Al-Ḥajjāj b. Yūsuf al-Thaqafī (m. 714), gouverneur d’Irak et d’Orient pour le compte de plusieurs califes omeyyades.
5 ‘Abd al-Malik b. Marwān, calife omeyyade de 685 à 705.
6 Premier jour de l’année solaire persane.
7 Grand pontife du culte zoroastrien, qui faisait aussi office de grand juge.
8 Canal dérivé du Tigre à la hauteur de Samarra, en Irak.
9 Canal entre Bagdad et le Qāṭūl.
10 Allusion au Coran : 12, 3. Les femmes rassemblées autour de la femme de Putiphar sont tellement éblouies par la beauté de Joseph qu’elles en oublient le couteau qu’elles tiennent et se coupent la main.
11 Allusion au Coran : 12, 92.
12 Dernier calife fatimide (1160-1171).
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