Les détenteurs du pouvoir
p. 23-24
Texte intégral
1Les termes qui servent à désigner les détenteurs du pouvoir en Islam sont divers et n’ont pas toujours eu la même signification, selon les époques et les régions. Celui de calife (khalīfa) implique l’idée de succession ou de vicariat et s’applique au chef spirituel et temporel de la communauté (umma*) musulmane. Le titre de khalīfat Allāh (vicaire de Dieu) a été porté par les califes au début de la période omeyyade, mais les Abbassides lui préférèrent celui de khalīfat rasūl Allāh (successeur de l’envoyé de Dieu). Le calife fut, plus souvent encore, appelé Émir des croyants (Amīr al-mu’minīn). Les chiites et les kharijites* employèrent plutôt le terme d’imam. Ils se différencièrent toutefois sur la nature de cette fonction. Alors que pour les premiers, l’imam désigné par son prédécesseur dans la lignée de ‘Alī et Fāṭima, était un guide choisi et inspiré par Dieu, donc infaillible, pour les seconds, l’imam devait être choisi collégialement en fonction de ses mérites, quelle que soit son origine, et pouvait être déchu s’il se montrait injuste ou tyrannique.
2Les califes pouvaient déléguer leur pouvoir à des émirs (de l’arabe amīr « celui détient le commandement ») qui étaient avant tout des chefs militaires. Cependant, lorsqu’ils furent en charge du gouvernement d’une région, ils acquirent aussi des pouvoirs civils et certains fondèrent même des dynasties émirales (Aghlabides, Hamdanides, Bouyides, Zenguides, Zirides, Kalbides, Hammadides, etc). Même les Almoravides conservèrent le titre d’émir, mais sous la forme « Émirs des musulmans », qui rappelait le titre califal d’Émir des croyants. Au milieu du xie siècle, l’attribution aux Seljoukides par le calife abbasside de Bagdad du titre souverain de « sultan » plaça ces derniers au-dessus des émirs dans la hiérarchie des pouvoirs. Après la disparition des Seljoukides d’Irak et d’Iran, en 1194, le titre de sultan se dévalua et fut plus largement porté par les souverains d’Orient (Ayyoubides, Rassoulides, Mamlouks) et d’Occident (Mérinides). En Orient, à partir de l’époque bouyide, des dirigeants portèrent le titre de roi (malik-s), ce qui les situait théoriquement au-dessus des émirs, mais en-dessous des sultans. D’autres personnages, civils ou militaires, jouèrent aussi un rôle important au sommet de l’État, tels que le vizir qui dirigeait l’administration ou le ḥājib qui désignait en Orient le chambellan, et en al-Andalus, selon les cas, le chef de l’armée ou de l’administration. Sous les Mamlouks, les hautes fonctions militaires se multiplièrent et les émirs furent classés en fonction du nombre de mamlouks qu’ils pouvaient entretenir pour les besoins de la guerre : émirs de 10, de 40, de 100 ou de 1 000.
3L’avènement et l’investiture d’un souverain étaient toujours des moments importants dans la vie politique. Souvent, pour éviter les conflits de succession, le souverain prenait soin de désigner son héritier de son vivant. Celui-ci devenait alors son successeur désigné (walī al-‘ahd) et les grands du royaume devaient lui prêter publiquement serment. Le serment d’allégeance (bay‘a*) par lequel les représentants du peuple juraient fidélité et obéissance au nouveau souverain, était un moment fort de l’investiture. Il devait être prêté dans la capitale, mais aussi par les gouverneurs des divers territoires soumis à son autorité.
4Dans les sociétés islamiques médiévales, on ne peut manquer d’être frappé par la place que tenaient, dans la vie politique ou militaire, les esclaves des deux sexes. Les concubines, lorsqu’elles donnaient un fils à leur maître, pouvaient espérer non seulement être affranchies, mais également jouer un rôle à la tête de l’État, dans l’ombre, comme conseillères, ou en pleine lumière en tant que régentes et plus exceptionnellement en tant que sultane (Shajarr al-Durr en Égypte en 1250). Nombre de califes eurent pour mère d’anciennes esclaves. Les rivalités et les jalousies, au sein du harem, pouvaient être vives et ce ne sont pas toujours les épouses d’origine libre qui en sortaient victorieuses. Pour peu qu’un esclave militaire ait joui de la faveur d’un homme puissant, ou qu’il se fût distingué par sa bravoure et ses qualités guerrières, il pouvait gravir relativement vite les échelons et parvenir aux plus hautes marches du pouvoir. On peut évoquer l’exemple, en al-Andalus, à l’époque des royaumes de Taïfas, des émirats esclavons dirigés par d’anciens esclaves originaires d’Europe. La carrière de Badr al-Jamālī, ancien esclave d’origine arménienne, nommé vizir de plume et de sabre par le calife fatimide du Caire en 1073, illustre aussi très bien cette remarquable ascension sociale ; sans parler de la dynastie mamlouke qui fit de l’esclavage le fondement même du système de recrutement de ses gouvernants.
5Dans l’administration et les milieux religieux, il était également possible de partir de très bas pour s’élever dans la société, même s’il était plus facile et plus fréquent de devenir haut fonctionnaire ou cadi quand on était issu d’une grande famille de lettrés ou de savants. Les alliances matrimoniales pouvaient participer de cette ascension sociale. Elles permettaient en tout cas de tisser des liens entre les différents groupes qui dirigeaient l’État et les mariages firent partie intégrante de la stratégie politique des souverains. Pour un chef militaire, épouser la fille, la sœur ou la veuve d’un souverain plus puissant ou hiérarchiquement supérieur, était un excellent moyen d’affirmer sa légitimité. Inversement donner sa fille en mariage à un homme jugé inférieur hiérarchiquement était dur à accepter. Les califes abbassides durent pourtant s’y résoudre, à plusieurs reprises, contraints par la puissance militaire des Seljoukides.
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