Chapitre 5. La justice des non-musulmans dans le Proche-Orient islamique
p. 455-533
Texte intégral
1La conquête de l’Irak entre 12/633 et 21/642, et celle de la Syrie entre 13/634 et 19/6411, eurent un profond impact sur la vie et l’organisation des populations locales. Ces deux provinces devinrent des centres secondaires, puis principaux, d’un pouvoir politique musulman à vocation impériale. L’impact de la conquête sur les structures locales du pouvoir demeure cependant difficile à évaluer. Les autorités civiles byzantines et sassanides disparurent-elles dès l’arrivée des Arabes musulmans ? Tout laisse à penser que ce ne fut pas le cas2. D’autres provinces, mieux documentées, montrent que les structures administratives des anciens empires se maintinrent souvent pendant plusieurs décennies. En Égypte, nous l’avons vu, le pouvoir provincial intégra dans son appareil administratif les ducs et les pagarques qui continuèrent d’assumer le rôle judiciaire qu’ils jouaient avant la conquête. En Mésopotamie, région connue grâce à une abondante littérature syriaque, les affaires civiles des populations chrétiennes étaient encore, à l’époque sufyānide, aux mains de mdabrōnē (« dirigeants ») locaux, sans qu’il soit possible de déterminer si ceux-ci étaient des laïcs ou des clercs3. Mais si différents types d’élites civiles continuèrent d’encadrer la société chrétienne postconquête, une partie des cadres administratifs de l’Empire byzantin fut à terme remplacée.
2Cette disparition laissa un vide qui profita aux institutions religieuses qui, de leur côté, résistèrent mieux aux conquêtes que les structures administratives impériales. Une fois les conquérants installés dans les territoires dont ils s’étaient emparés par la force ou au terme de traités de paix, les adhérents des « religions du Livre » furent considérés comme tributaires et, en tant que tels, protégés. Le nouveau pouvoir, qui se substituait à la fois aux Byzantins et aux Sassanides, mit du temps à définir ses relations avec les non-musulmans. En Irak, ce sont les représentants des populations juives et chrétiennes qui firent le premier pas pour se rapprocher des chefs musulmans et obtenir, peu à peu, la reconnaissance de leur autorité sur leurs ouailles4.
3Les relations entre musulmans et non-musulmans qui se mirent en place dans la seconde moitié du viie siècle5 aboutirent ainsi à la reconnaissance d’un système « communautaire », dans lequel les adhérents d’une religion définie se trouvaient sous l’autorité de leurs propres dirigeants spirituels. À l’échelon supérieur de cette organisation, les gouvernants non musulmans se voyaient rattachés, au moins nominalement, au pouvoir musulman : leur désignation ou leur élection était conditionnée par leur acceptation, tacite ou explicite, par des autorités musulmanes qui pouvaient aussi les destituer et arbitrer leurs querelles politiques internes. Cette forme d’intégration à la structure étatique se manifestait en outre par l’emploi de non-musulmans dans les administrations centrales et provinciales et dans la perception du tribut que les membres de leur communauté devaient payer aux conquérants. À l’échelon inférieur, une fois acceptés ou entérinés par le pouvoir musulman, les dirigeants non-musulmans jouissaient d’une libre autorité sur leurs communautés : en plus de leur leadership spirituel, ils disposaient de leurs propres institutions qu’ils pouvaient entretenir en levant des impôts qui se rajoutaient au tribut exigé par les musulmans. Les historiens ont coutume de souligner le caractère « autonome » des communautés non musulmanes au sein de ce système6. Cette autonomie était toutefois relative dans la mesure où elle participait de relations hiérarchisées entre le pouvoir musulman et les autorités religieuses qu’il acceptait de reconnaître.
4Ce système concernait les seuls « gens du Livre » (ahl al-kitāb), adhérents de courants religieux acceptés par les conquérants – c’est-à-dire les juifs, les chrétiens – ou assimilés à ces derniers comme les zoroastriens7. Les autorités de certains de ces groupes développèrent plus que d’autres leurs institutions à l’ombre du pouvoir musulman. Bien que les sources restent silencieuses à ce sujet8, les tribunaux sassanides ne disparurent probablement pas du jour au lendemain : les juges les plus élevés dans la hiérarchie zoroastrienne fuirent sans doute devant les envahisseurs, mais on peut penser que les prêtres de rang inférieur demeurèrent dans leurs provinces et que la population zoroastrienne, par habitude ou par conviction, continua de leur soumettre ses litiges comme à des arbitres9. Notre méconnaissance de cette justice en terre d’Islam suggère néanmoins qu’elle ne prit jamais un essor comparable à celui des institutions juives et chrétiennes.
5C’est en effet au sein de ces deux ensembles religieux que les institutions judiciaires connurent les développements les plus significatifs, objets du présent chapitre. Mais encore convient-il de signaler que les évolutions des systèmes juifs et chrétiens sont inégalement connues pour les premiers siècles de l’hégire. Celui des juifs n’est documenté en profondeur qu’à partir du xe siècle, et ne peut que faire l’objet de reconstructions partielles avant cela. Dans le domaine chrétien, la littérature juridique melkite ne se développa de manière significative qu’à partir du xie siècle, et la littérature maronite qu’au xiiie siècle10, ce qui ne permet pas de les prendre en compte ici et nous oblige, de nouveau, à braquer l’objectif vers les communautés syro-occidentales et syro-orientales.
1. JUSTICE ET PROCÉDURES DANS LES COMMUNAUTÉS JUIVES
6L’Islam fit son apparition au Proche-Orient au cours de la période que l’historiographie juive qualifie de gaonique. L’institution du gaon (pl. geonim) qui donne son nom à cette période serait née à la fin du vie siècle de notre ère – certaines sources suggèrent une date plus tardive, vers la fin du premier siècle de l’hégire, mais les historiens modernes considèrent en général ces sources comme mal renseignées11. La période gaonique commence donc, à proprement parler, avant l’Islam ; mais aucune source directe ne remonte à l’époque gaonique antéislamique12 et toutes les informations disponibles sur le droit et la justice des gaons sont contemporaines de l’Islam.
7En termes de peuplement, la conquête du Proche-Orient par les Arabes musulmans ne provoqua pas de changement radical. Les importantes poches de populations juives en Palestine, en Babylonie et en Perse se maintinrent. Au ixe siècle, des régions entières du Sawād irakien, comme les environs de Sura, étaient encore principalement habitées par des juifs13.
8Le système judiciaire gaonique peut être reconstitué à partir de deux catégories principales de sources. La première est celle des traités juridiques, rares néanmoins. Seuls deux d’entre eux sont antérieurs au xe siècle. Le premier, intitulé Halakhot pesukot, remonte peut-être à la seconde moitié du viiie siècle, mais fut sans doute composé hors de Babylonie où il n’était pas encore connu au milieu du ixe siècle14. Le second, Halakhot gedolot, fut rédigé vers le milieu du ixe siècle15. Ces deux ouvrages, qui se présentent avant tout comme des résumés du Talmud, furent écrits dans un mélange d’hébreu et d’araméen et ne sont traduits dans aucune langue occidentale. La seconde catégorie est celle des responsa, les avis des gaons de Sura et de Pumbedita envoyés aux communautés juives de Méditerranée suite à la réception de questions juridiques par les académies irakiennes. Les responsa disponibles, généralement écrits en araméen, sont néanmoins très rares avant le ixe siècle, et ne sont conservés dans des proportions importantes que pour les xe et xie siècles, notamment grâce à la Geniza16. De fait, il n’existe presque aucune source gaonique antérieure à la révolution abbasside, au milieu du viiie siècle, et nombre de responsa connus pour des époques plus tardives posent des problèmes de datation et d’attribution jusqu’ici irrésolus17. Les chercheurs considèrent souvent que ce que l’on sait des siècles suivants peut être projeté en arrière, en raison du caractère « fondamentalement conservateur de la période et de ses institutions18 ». Néanmoins la plus grande prudence s’impose : comme nous le verrons, le droit et les institutions juives de l’époque gaonique ne furent pas plus conservatrices que leurs équivalents chrétiens et musulmans, et gardent trace d’importantes évolutions. C’est pourquoi nous nous abstiendrons ici de projeter sur les premiers temps de l’Islam des informations qui n’apparaissent dans les sources juives que plusieurs siècles après.
1.1. Les autorités judiciaires
1.1.1. L’exilarque
9L’institution de l’exilarcat faillit disparaître au cours des dernières décennies de l’empire sassanide : en raison de persécutions récurrentes contre les juifs de Babylonie à partir de 590, il n’y eut plus ni exilarque ni gouvernement juif jusqu’à la conquête arabo-musulmane19. Cette dernière permit à l’institution de renaître, et les Arabes musulmans reconnurent l’exilarque – appelé ra’s al-ǧālūt dans les sources arabes20 – comme le chef de la communauté juive : celui-ci retrouva la position dont il avait longtemps joui sous les Sassanides21. Le rôle que lui assignait le nouveau pouvoir est peu clair cependant : par analogie avec un acte de désignation d’un catholicos émis par le calife à une période beaucoup plus tardive, au xiie siècle, certains chercheurs proposent que l’exilarque se vit officiellement reconnaître le droit d’intervenir comme médiateur dans les disputes qui divisaient sa communauté et de rendre la justice22. Il n’en existe néanmoins pas de preuve textuelle pour les premiers siècles de l’Islam. Les historiens d’aujourd’hui tendent à considérer l’exilarque de l’époque gaonique comme une autorité « séculière », par opposition aux gaons, qui représentaient la principale autorité « religieuse », et sur lesquels nous allons revenir. Ils remarquent toutefois que l’exilarque était à la tête de sa propre académie religieuse, dans l’ombre de celle de Sura – elles sont parfois appelées « les deux académies » (héb. shetey ha-yeshivot, aram. tarten metivata), avec laquelle elle promulguait des ordonnances officielles communes23.
10Aux deux premiers siècles de l’hégire, l’exilarque conservait la haute main sur l’administration judiciaire des juifs de Babylonie, et continuait à désigner leurs juges (héb. dayyanim)24. Cependant l’institution de l’exilarcat tendait à s’affaiblir en raison de la rivalité qui l’opposait à des savants qui revendiquaient de manière croissante la capacité d’interpréter et d’appliquer la loi religieuse25. Le schisme entre rabbanites (qui continuaient de suivre la tradition exégétique des autorités juives traditionnelles) et les karaïtes (qui prétendaient s’en affranchir) ne fit qu’accélérer le déclin de l’institution. La diminution progressive du pouvoir de l’exilarque fut sanctionnée, sous le règne de David b. Judah, par le calife al-Ma’mūn (r. 198-218/813-833), qui reconnut officiellement le chef des karaïtes comme le nasi d’une communauté juive distincte26. À partir de cette époque, selon les très rares sources qui évoquent l’organisation administrative de la Babylonie gaonique, la province aurait été divisée en trois sphères d’autorité (rashut)27 : l’une demeurait sous juridiction de l’exilarque, qui continuait d’y nommer les juges, tandis que les deux autres passèrent sous la tutelle administrative des gaons de Sura et de Pumbedita28. Cette division de compétences n’allait pas toujours de soi et les différentes institutions continuaient de rivaliser pour imposer leur pouvoir ; souvent les juges locaux avaient besoin de deux rescrits de nomination, l’un émis par un gaon et l’autre par l’exilarque. En revanche, un jugement prononcé dans un des trois domaines ne pouvait être porté en appel devant l’autorité d’un autre29.
11L’exilarque de la période gaonique possédait toujours son propre tribunal, appelé en araméen bet dina de-nasi ou bava de-maruta (« porte du maître ») et situé à Bagdad à partir de la seconde moitié du viiie siècle. S’il était un savant qualifié (héb. ḥakham), il le présidait en personne. Mais la plupart du temps, il continuait de déléguer cette fonction au dayyana de-bava30. Aux deux premiers siècles de l’hégire, l’exilarque disposait encore de moyens pénaux conséquents, comme la mise à l’amende, l’emprisonnement et la flagellation. Son autorité fut néanmoins réduite au début du ixe siècle : selon al-Ǧāḥiẓ, il ne pouvait plus désormais qu’imposer des amendes pécuniaires ou prononcer l’excommunication, comme son homologue nestorien, le catholicos. En théorie, au moins, il n’avait pas (ou plus) le pouvoir de juger des affaires criminelles, bien qu’en pratique il y ait sans doute eu des exceptions et que la flagellation, pour le moins, ait continué d’être appliquée31.
1.1.2. Les gaons
12Le titre de gaon (« Excellence ») était porté par les directeurs des deux académies (héb. yeshiva, pl. yeshivot) de Sura et de Pumbedita, considérées comme les héritières du Sanhedrin de l’époque du second Temple. La date exacte de son apparition, nous l’avons mentionné plus haut, fait l’objet de controverses. Les écrits de Sherira Gaon (Pumbedita, 968 à 998) et d’auteurs plus tardifs désignent comme gaons les chefs des deux académies à partir de l’an 589 ; aux yeux de certains chercheurs, néanmoins, ce titre et les privilèges des académies ne furent pas garantis avant la conquête arabo-musulmane32. Sura (aussi appelée Mata Meḥasia dans les sources gaoniques) aurait été la première ville dotée d’un gaon, suivie, en 591, par Pumbedita (Fīrūz Šābūr, connue dans les textes arabo-musulmans sous le nom d’al-Anbār, qui prend aussi le nom de Nehardea dans les sources juives33). Le gaonat de Sura aurait été officiellement reconnu par le pouvoir musulman en 658, sous le règne du calife ʿAlī34. Les deux académies rivales finirent par quitter leurs villes d’origine pour s’installer à Bagdad : celle de Pumbedita peu avant 889, celle de Sura dans le premier quart du xe siècle35.
13Aux deux premiers siècles de l’hégire, les gaons étaient nommés par l’exilarque, alors au plus haut de sa puissance. À partir du règne d’al-Ma’mūn, l’affaiblissement de l’exilarcat permit néanmoins aux savants des académies d’acquérir une influence décisive sur la désignation de leurs gaons, notamment à Pumbedita36. Le rôle primordial du gaon consistait à présider une académie de 70 savants, dans laquelle il représentait la plus haute autorité spirituelle et l’arbitre de la loi (halakhah). Il y enseignait et signait les responsa envoyés, au nom de l’académie – et après consultation de ses savants –, en réponse aux questions juridiques des communautés juives de la diaspora. Certains gaons furent aussi les auteurs de commentaires du Talmud et de codes juridiques. Héritiers de la tradition talmudique babylonienne, ils pouvaient – bien que les exemples soient rares – émettre de nouvelles régulations plus conformes aux nécessités de leur époque, sous la forme d’ordonnances (taqqanot)37.
14Chaque académie jouait un rôle judiciaire majeur. Le gaon disposait de son propre tribunal, le bet din ha-gadol, qui constituait l’équivalent d’une cour suprême bien qu’aucun système d’appel n’ait en théorie existé38. Le second personnage de l’académie portait le titre de av bet din (« père du tribunal ») ; au ixe siècle, ce personnage est attesté comme président d’une autre cour de justice qui semble distincte du bet din ha-gadol, sans que la différence entre les deux soit connue39. Bien qu’un rescrit de nomination signé de l’exilarque fût longtemps resté nécessaire pour désigner les juges, à partir du ixe siècle les gaons eurent en pratique la haute main sur l’organisation des tribunaux dans une grande partie de la Babylonie. Ce rôle s’accentua encore à la fin du xe siècle, sous le règne de Hai, gaon de Pumbedita : l’exilarque perdit toute prérogative en matière de désignation des juges, qui furent désormais nommés par la seule cour suprême du gaon40.
15Aux académies de Sura et de Pumbedita, il faut ajouter une troisième, moins connue, à l’extérieur de la juridiction de l’exilarque : la yeshiva de Palestine, considérée comme l’héritière du Sanhedrin. Celle-ci était implantée à Tibériade au moment de la conquête arabo-musulmane et y demeura jusqu’au milieu du xe siècle, avant de s’installer à Jérusalem41. Le chef de l’académie portait le titre de rosh ha-yeshiva, ainsi que celui de gaon, et il se voyait secondé d’un av bet din42. Il était reconnu par les juifs de Palestine comme leur autorité judiciaire suprême43. Le fonctionnement et les activités de cette académie sont néanmoins très mal connus avant la fin du xe siècle, lorsqu’elle commence à être documentée par la Geniza44.
1.1.3. Les juges locaux
16Les tribunaux (héb. bet din) des communautés juives de Babylonie étaient en général constitués de trois juges (héb. dayyan-s). Le gaon en envoyait un – le président de la cour – dans chaque communauté assez importante pour recevoir un tribunal. À son arrivée, le juge désigné sélectionnait à son tour deux savants locaux comme assesseurs, ce qui permettait à la fois d’atteindre le nombre de juges requis et d’avoir parmi eux des membres respectés de la communauté locale, mieux placés que le président pour évaluer les enjeux de certains conflits. La justice était gratuite pour les plaideurs – qui pouvaient néanmoins avoir à payer le scribe du tribunal, seul autorisé à établir les documents qu’ils réclamaient45. Le juge principal, qui portait le titre araméen de rosh kalla (ar. ra’s al-kull)46 était entretenu grâce aux impôts levés sur place. Il employait des assistants qui s’assuraient que la population de son ressort s’acquittait de ses responsabilités financières. Le juge pouvait être révoqué à tout moment par le gaon, notamment en cas de plainte de la part des justiciables de son district47. En Palestine également, les juges principaux étaient désignés par le gaon de Tibériade. Ils portaient le titre hébreu de ḥaver (« savant » ; ar. ḥabr)48.
17Les tribunaux semblent avoir disposé de prisons destinées à enfermer les personnes accusées de crime dans l’attente de leur procès ; les peines d’emprisonnement étaient en revanche très rares, et réservées aux meurtriers et aux coupables multirécidivistes qui avait déjà reçu deux flagellations49. En cas de doute concernant une décision, les juges locaux pouvaient demander l’avis de l’autorité judiciaire supérieure, l’exilarque ou un gaon selon la juridiction dont ils dépendaient. Le bet din supervisait par ailleurs les affaires religieuses. Depuis le début de la période gaonique, il semble qu’il ait disposé d’une police secrète, notamment chargée de vérifier que nul ne cachait du pain au levain pendant la Pâque50.
18Le bet din ne représentait pas la seule institution judiciaire locale. Certaines communautés ne disposaient d’aucun tribunal permanent, d’autres en avaient peut-être deux, concurrents l’un de l’autre51. Par ailleurs les gaons étaient obligés de reconnaître l’existence de tribunaux qui ne relevaient pas de leur autorité, et dont ils n’avaient pas désigné les juges52. L’arbitrage était un mode courant de résolution des conflits : les parties pouvaient solliciter un ou trois laïcs (hedyota) dépourvus de savoir juridique, ou des experts (mumhe) formés dans une institution rabbinique53. Si deux adversaires ne s’accordaient pas sur un tribunal officiel, ils pouvaient solliciter des tiers non institués par l’académie : chacun sélectionnait un arbitre, et ces deux arbitres en nommaient un troisième54. Un plaideur pouvait en outre refuser de comparaître au tribunal de son district et demander que son procès ait lieu devant la haute cour de l’exilarque55.
1.2. Les procédures
19Les procédures mises en œuvre par les tribunaux rabbiniques d’époque gaonique demeuraient fondées sur le droit talmudique56. L’autorité des gaons leur garantissait néanmoins une importante faculté d’intervention dans le domaine du droit, et les règles suivies par les tribunaux connurent des modifications57. En raison du caractère tardif de la plupart des responsa retrouvés, rarement antérieurs au xe siècle, le fonctionnement précis des tribunaux de Babylonie et de Palestine aux premiers siècles de l’hégire et leur adaptation au nouveau contexte nous échappent. Nous devrons donc ici nous contenter d’évoquer quelques points de procédure.
1.2.1. Plaideurs et témoins
20Au début de l’Islam, les règles de l’audience continuaient d’obéir aux préceptes talmudiques. Les plaideurs devaient se tenir debout devant leurs juges, ainsi que les témoins venus effectuer leur déposition58. Un responsum d’un gaon anonyme, cité à la fin du xie ou au début du xiie siècle par Yehuda al-Barceloni, vint modifier cette norme : les plaideurs comme les témoins avaient dorénavant le droit de s’asseoir au tribunal59.
21Certaines procédures destinées à favoriser la venue de témoins récalcitrants apparurent par ailleurs au cours de la période gaonique. Les tribunaux pouvaient autoriser un plaideur à prononcer la mise au ban ou la malédiction de toute personne qui refuserait de venir au bet din pour apporter son témoignage. Au début du xie siècle, Hai Gaon limita cette pratique aux plaintes d’orphelins (ou de leurs tuteurs) à l’encontre de personnes soupçonnées de s’être emparées de leurs héritages60.
22Si les juges découvraient qu’un témoin avait menti, ils pouvaient l’excommunier, lui faire infliger des coups de fouet, et annonçaient publiquement leur méfait61. En revanche, les autorités juives se montraient très réticentes à l’idée d’enquêter sur la moralité de leurs fidèles, et le tribunal ne commandait d’investigation qu’en cas de rumeurs persistantes quant au comportement d’un membre de la communauté62.
1.2.2. Documents
23Les règles relatives à la preuve documentaire ne connurent pas de grand changement à l’époque gaonique. Le terme ketav était désormais souvent employé pour désigner un document juridique63. Le recours essentiel à la preuve documentaire devant les tribunaux rabbiniques conduisit à l’élaboration de recueils de formules juridiques (sifrei sheṭarot) destinées aux scribes-notaires, peut-être dès le viie siècle. Les plus anciens sont conservés dans des responsa des gaons de Pumbedita Natronai Ier b. Nehemyah (r. 719-730) et Palṭoi bar Abbaye (r. 842-857), avant que le genre ne s’épanouisse dans des ouvrages spécialisés composés par Saadia Gaon (m. 942), puis Hai Gaon (m. 1038)64.
24Le principal infléchissement concerne la réception des documents émis par des tribunaux non juifs. La Mishna et le Talmud acceptaient comme preuve nombre de pièces rédigées par des autorités non juives, à l’exception des pièces produisant en elles-mêmes un effet juridique comme les actes de divorce, d’affranchissement et de donation65. Au viiie siècle, un gaon de Sura, Ḥaninai (r. 769-774), n’excluait plus que les actes de divorce et d’affranchissement, mais sa position semble avoir été isolée66. Certains responsa de gaons, malheureusement non datés avec précision – ils sont cités par des gaons des xe et xie siècles –, reviennent à la règle talmudique, et reconnaissent les documents servant de simples preuves (reconnaissances de dettes, actes de ventes) émis par les tribunaux non juifs de Bagdad et des grandes villes ; ceux qui sont établis dans des tribunaux musulmans de localités secondaires ou de villages doivent en revanche être rejetés en raison de leur fiabilité douteuse67.
1.2.3. Serments
25La première évolution du serment judiciaire, à l’époque gaonique, concerne son objet. Comme nous l’avons vu plus haut, la Mishna n’autorisait les plaideurs à prêter serment qu’au sujet de propriétés mobilières : cela excluait la terre, les esclaves et les actes écrits. Le Talmud évoquait déjà des exceptions à cette règle, mais il faut attendre l’arrivée de l’Islam pour que les gaons promulguent un avis contraire, autorisant officiellement le serment relatif à des propriétés foncières68. Nous avons de même mentionné que le Talmud ne permettait pas au débiteur de jurer de son insolvabilité69. Cette règle tomba en désuétude et les gaons autorisèrent le détenu pour dette à prêter serment sur la Torah qu’il était insolvable et n’avait pas transféré sa propriété à autrui pour se soustraire à ses engagements financiers70.
26La seconde réforme touche la forme même du serment. À l’époque talmudique, le serment judiciaire consistait à prendre Dieu à témoin d’une affirmation, en mentionnant Son nom ou un attribut divin. Or les gaons pensaient que la punition divine pour un serment mensonger n’atteignait pas que le parjure, mais s’étendait au monde entier. Craignant que la multiplication des faux serments ne mette l’univers en péril, certains gaons décidèrent de remplacer le serment talmudique par une imprécation appelée gezerta. Le terme apparaît pour la première fois dans un responsum de Natronai, gaon de Sura de 853 à 858 ; mais la pratique est plus ancienne, car Natronai l’attribue à un gaon antérieur de Sura, Zadok Mar bar Ishi (r. 816-818)71. Un responsum de Palṭoi, gaon de Pumbedita (r. 842-857) évoque également la gezerta72. Dans ce nouveau type de serment – qui ne pouvait néanmoins se substituer qu’aux serments bibliques et mishnaïques, et non aux serments postmishnaïques –, le nom de Dieu n’était plus mentionné, et le jureur se contentait d’appeler la malédiction sur sa propre personne s’il venait à mentir ; la punition divine était alors supposée n’atteindre que le parjure73. La prestation de serment, à la synagogue le lundi ou le jeudi après le service du matin, était accompagnée d’une cérémonie rituelle destinée à impressionner le plaideur et à lui faire prendre conscience de la gravité des paroles qu’il prononçait devant le tribunal74.
1.2.4. Jugement et exécution
27À l’époque islamique, les tribunaux juifs de Babylonie ne disposaient plus – comme cela avait sans doute été le cas sous les Sassanides – de l’appui de la force publique pour faire exécuter leurs jugements. Ils ne demeuraient cependant pas sans moyen d’action. Le tribunal pouvait ainsi autoriser la saisie des biens d’un débiteur récalcitrant, qui refusait de se présenter face à son adversaire ou fuyait le pays pour éviter d’exécuter le jugement du bet din ; son créancier était alors remboursé sur les biens saisis75.
28Afin de rendre exécutoire leurs jugements, les juges disposaient de l’arme de l’excommunication, leur permettant de déclarer la mise au ban de la société juive. Celle d’un condamné récalcitrant était envoyée à toutes les communautés du district où il résidait. La plus légère, prononcée pour une durée de trente jours, demandait aux juifs de se tenir à l’écart de la personne concernée. Une excommunication plus sévère leur interdisait – sous peine d’être eux-mêmes excommuniés – de consommer toute nourriture ou boisson avec elle, de lui tenir compagnie, de circoncire son fils, d’enseigner à ses enfants dans les écoles publiques et d’assister aux funérailles d’un de ses proches76. Un condamné à la flagellation qui tentait d’échapper à sa peine se voyait frappé d’excommunication tant qu’il ne se livrait pas aux autorités juives77.
29Il existait néanmoins des cas où le droit juif ne permettait pas à tous les juges de rendre un verdict. Selon une ancienne coutume entérinée par le Talmud, les procès pour insultes et coups et blessures ne pouvaient être conduits qu’en Palestine. Seuls les bet din de cette province avaient le pouvoir de condamner les coupables de ces délits à des amendes. En Babylonie, les gaons durent trouver un dispositif leur permettant de contourner cette prescription afin de maintenir l’ordre public. Là encore, l’excommunication offrit une solution. Le gaon de Sura Zadok Mar bar Ishi (r. 816-818) décida que le bet din devait obliger le coupable, sous peine d’excommunication, à se réconcilier avec son adversaire : il devrait s’accorder sur le montant d’une compensation que le tribunal n’avait pas le droit de décréter. Cette pratique fut suivie par les gaons suivants, notamment Natronai (r. 853-858)78.
2. LA JUSTICE DE L’ÉGLISE SYRO-OCCIDENTALE
30À la différence de l’Église syro-orientale, l’Église syro-occidentale n’a livré qu’un nombre réduit de sources permettant de retracer l’histoire de son activité canonique79. Le seul Synodicon jusqu’ici retrouvé et publié par Vööbus, dont le manuscrit fut copié en 120480, fut vraisemblablement compilé à l’époque islamique81, mais il n’inclut qu’un nombre limité de synodes de cette période. Le plus ancien synode « islamique » mentionné dans le Synodicon est celui de Gīwargī, en 75882. D’autres sources viennent cependant jeter quelque lumière sur la manière dont l’Église syro-occidentale concevait son rôle judiciaire.
2.1. Une extension de la juridiction ecclésiastique
31Le droit canonique élaboré sous l’Islam lors des synodes syro-occidentaux ne reflète aucune évolution immédiate de la justice ecclésiastique. Les synodes du viiie siècle ne la mentionnent pas, comme si l’Église était plus préoccupée par la résolution de ses querelles hiérarchiques que par celle des litiges ordinaires83. Néanmoins la justice épiscopale se manifeste de loin en loin dans les sources. Plusieurs synodes furent convoqués afin d’instruire des plaintes à l’encontre d’évêques. Vers 758, un certain Jean de Goulmarghé fut jugé devant une « assemblée » suite à l’accusation de ses diocésains84 ; le synode de Kapharnabu (près de Serug) fut réuni en 785 par Gīwargī, patriarche d’Antioche, pour examiner les accusations portées par les habitants de Takrīt à l’encontre du métropolite Yūḥanōn85. Ces affaires, qui n’impliquent que des ecclésiastiques, sont toujours liées aux récurrentes querelles d’autorité au sein de l’Église. Selon le synode de Bēt Mār Šīlā en 89686, tout évêque faisant l’objet d’une plainte solide doit être traduit devant le patriarche, qui enregistrera par écrit les témoignages qui le visent et le jugera assisté de dix évêques87.
32Il apparaît cependant que l’Église syro-occidentale séculière revendiquait désormais l’exercice de la justice auprès des populations laïques – revendication qui n’avait jamais été formulée de manière aussi claire avant l’Islam. Si l’on en croit une citation tardive, par Bar Hebraeus, de Georges « l’évêque des Arabes » (m. 725)88, ce dernier aurait déclaré qu’il n’était « pas permis aux chefs de monastères et aux stylites d’écrire de lettres d’anathèmes, de jugements (dīnē) ou d’admonitions aux villes et aux villages89 ». À la même époque, Jacques d’Édesse (m. 708) affirmait non seulement que les clercs ne devaient pas se tourner vers les autorités « étrangères » à l’Église en cas de conflit, mais désapprouvait aussi le rôle des stylites dans la résolution des litiges entre laïcs90 : manifestement, le peuple chrétien s’adressait souvent à eux alors que le clergé séculier prétendait au monopole de la justice. Jacques d’Édesse insiste en outre pour que les prêtres ne recourent pas à la parole de Dieu pour « se faire justice tout seuls » (dīnō l-napšeh)91 quand ils sont victimes de l’iniquité d’autrui.
33Dans les faits, Jacques d’Édesse n’ignorait pas qu’à la fin du viie ou au début du viiie siècle, la justice était encore aux mains de laïcs (ʿōlmōyē). Envisageant le cas où un juge laïc condamnerait un prêtre à ne plus pouvoir dire la messe, il considère que le prêtre doit se soumettre, « non en raison de l’autorité (litt. “la force”, ḥaylō) du laïc qui condamne le prêtre », mais parce que ce dernier est coupable92. S’il est innocent, en revanche, le prêtre n’a pas à respecter une condamnation illégitime93. Il est difficile de savoir quels étaient les juges laïcs auxquels Jacques d’Édesse fait référence. S’il ne s’agit manifestement pas de musulmans – qui auraient été qualifiés de « païens » ou d’« étrangers », et non de simples « laïcs » – mais plutôt de chrétiens, on ne peut que spéculer sur leur identité exacte et leur éventuelle appartenance à une structure officielle. Il est clair, en tout cas, que Jacques d’Édesse met en cause leur légitimité, du moins lorsque ceux-ci instrumentalisent le discours religieux. Pour lui, seuls « ceux qui ont été mis à la tête [de la communauté] pour juger » – c’est-à-dire les plus hautes autorités ecclésiastiques – ont le droit de recourir à la parole divine à des fins judiciaires94.
34Les synodes qui se réunirent aux siècles suivants confirment cette revendication, bien que le droit canonique évoque en priorité des cas impliquant des clercs. Tout litige doit être porté devant l’évêque de la ville, affirme le synode réuni par le patriarche Qyriaqos à Bēt Batīn (près de Ḥarrān) en 79495. En 878, un synode convoqué par le patriarche Ignaṭios mentionne des accusations de fornication portées à l’encontre d’un prêtre (qašīšō) ou d’un diacre (mšamšōnō)96 ; le canon suivant, en revanche, interdit à « qui que ce soit » (nōšīn) de saisir des autorités laïques (šūltōnē ʿōlmōnōyē), musulmanes ou chrétiennes, contre une sanction prononcée par un ecclésiastique97. En 896, le synode de Bēt Mār Šīlā (près de Serug) réuni par le patriarche Dionysios évoque, comme de coutume, les accusations portées contre un évêque98, mais parle aussi des laïcs (bnay ʿōlmō) parmi ceux qui font l’objet d’une « sentence » de l’évêque99. Le 15e canon s’étend sur des questions de dettes manifestement destinées à une audience générale100. Enfin, un chapitre du Synodicon consacré aux testaments, non daté mais remontant à l’époque islamique, fait allusion à des affaires judiciaires impliquant visiblement des laïcs101.
35Il reste à déterminer dans quelle mesure la hiérarchie ecclésiastique acquit le monopole de l’autorité judiciaire qu’elle revendiquait au sein de la communauté syro-occidentale. Le synode de Qyriaqos suggère que toute justice n’était pas rendue par les évêques. Le 46e canon évoque en effet le jugement de « juges de la cité » (dayōnē da-mdī(n) tō), autorités que le synode semble reconnaître au même titre que l’évêque mentionné dans le même canon102. Ces « juges » étaient-ils des ecclésiastiques, agissant par délégation de l’évêque ? Ou des autorités civiles opérant parallèlement à la justice épiscopale ? Il est impossible de répondre à cette interrogation pour le moment.
2.2. Règles de procédures
36Les procédures évoquées par les synodes d’époque islamique se situent dans la continuité de celles mises en œuvre dans l’episcopalis audientia romaine. Elles connaissent toutefois une inflexion notable. Il n’est plus question, dans le droit canonique, d’enquête menée sur les plaideurs pour déterminer la fiabilité de leur accusation ou de leur défense, élément capital avant l’Islam. De telles investigations furent-elles abandonnées, l’Église les considérant inappropriées ? Ou faut-il croire qu’elles étaient toujours pratiquées, en conformité avec les sources chrétiennes antiques ? L’Octateuque de Clément, une collection de canons pseudo-apostoliques peut-être traduite du grec en syriaque par Jacques d’Édesse103, sous-entend toujours qu’un évêque sera jugé si ses accusateurs sont « des hommes fidèles et dignes d’être écoutés104 ». Mais le texte grec original est sans doute antérieur à l’Islam et il est difficile de savoir si cette règle est encore d’actualité. En tout état de cause, si la Didascalia apostolorum est largement citée dans le Synodicon, aucun des passages évoquant la nécessité d’enquêter sur le demandeur n’y est reproduit. Cela pourrait signifier que, de fait, de telles enquêtes n’étaient plus considérées comme pertinentes par l’Église syro-occidentale. En revanche, la règle stipulant qu’un accusateur peut, si sa plainte s’avère infondée, recevoir le châtiment qu’aurait subi son adversaire, semble s’être maintenue105.
37La principale preuve demeurait le témoignage « de deux ou trois » personnes106 avec, semble-t-il, un infléchissement vers l’acceptation du minimum, deux témoins107. Là encore, la réflexion sur la preuve testimoniale évolua. Des qualités nécessaires pour témoigner commencèrent en effet à être évoquées au ixe siècle : tout témoignage n’était pas recevable, et il devait venir de gens « qui méritent d’être agréés » (d-šōwēn d-neṭqablūn)108. Toute accusation contre un évêque, en particulier, devait être étayée par des témoins « véridiques » (šarīrē) et « dignes de confiance » (d-šōwēn l-methaymnū), des individus vierges de toute accusation et peu sujets aux passions humaines (ḥašē nōšōyē)109. Le Synodicon précise ainsi : « S’ils ont une conduite blâmable et ne peuvent être agréés comme témoins véridiques, leur témoignage est caduc pour ce qui les concerne et pour ce qui concerne les autres110. » La preuve documentaire, enfin, continuait d’être prise en compte – ce qui justifiait l’insistance de l’Église sur l’établissement scrupuleux des reconnaissances de dettes111.
38Ces infléchissements des procédures héritées de l’époque antéislamique apparaissent de manière tardive : ce n’est que dans des synodes du ixe siècle que ces quelques éléments surgissent, de manière dispersée. On peut néanmoins se demander si d’autres sources juridiques ne vinrent pas préciser plus tôt le fonctionnement d’une institution épiscopale dont on a vu qu’elle revendiquait désormais pleinement son rôle judiciaire auprès des masses. Le Synodicon occidental inclut en effet de longues citations du Livre de droit syro-romain, phénomène dont Arthur Vööbus souligne le caractère original112. Cet ouvrage mystérieux a fait l’objet de nombreuses controverses depuis plus d’un siècle, tant sur sa nature que sur le lieu exact de sa composition113. Le Livre de droit syro-romain semble avoir à l’origine été écrit en grec dans le dernier quart du ve siècle114. Manuel utilisé pour l’enseignement du droit à l’école de Beyrouth selon certains115, recueil établi par la chancellerie du patriarcat d’Antioche pour d’autres116, l’ouvrage a plus récemment été regardé comme une collection d’interpretationes de constitutions impériales117. Comme nous l’avons vu, il fut probablement traduit en syriaque dans le courant du vie siècle118. L’assimilation du Livre de droit syro-romain par la tradition ecclésiastique est néanmoins difficile à dater. Si sa traduction en syriaque paraît antérieure à l’Islam, son intégration à des ouvrages canoniques ne semble pas remonter plus haut que le viiie siècle119. Dans l’Église syro-orientale, rien ne permet d’affirmer que le Livre était connu – ou servit de référence – avant le règne du catholicos Timothée Ier (r. 780-823)120. Bien qu’il soit impossible de déterminer à quelle époque précise le droit syro-romain intégra le droit canonique syro-occidental121, cette assimilation ne semble pouvoir être postérieure au début du xe siècle – un document établi en 914 constituant la source la plus tardive du Synodicon122.
39L’incorporation de ce droit syro-romain au droit canonique syro-occidental est lourde de signification tant pour l’histoire du droit que pour celle de la justice. Sur le plan juridique, elle reflète le défi représenté par l’Islam. Sous Byzance, l’Église syro-occidentale avait pu se référer au droit romain sans avoir besoin de s’en réclamer : si les canons conciliaires et synodaux venaient préciser la position de l’Église sur bien des points, le fond même du droit était romain123. La disparition de l’autorité byzantine créait dès lors un vide juridique : le droit canonique ne trouvait plus d’assise dans le droit de l’État. De ce point de vue, l’intégration du Livre de droit syro-romain à la littérature canonique permettait à l’Église syrooccidentale de retrouver la base juridique romaine qui avait toujours été la sienne de facto, et de revendiquer ouvertement la filiation de son droit avec la législation romaine impériale – qui plus est, promulguée par des empereurs chrétiens –, filiation jusque-là reconnue tacitement124.
40Nallino suggère qu’en pratique, la plus grande partie du Livre de droit syroromain était inutilisable par les chrétiens d’Orient125. L’assimilation de ce droit pourrait néanmoins avoir renforcé les assises institutionnelles de la justice épiscopale126. Les canons synodaux antéislamiques, comme nous l’avons vu, détaillaient peu la procédure. Or le droit syro-romain disponible en syriaque offrait toute une réglementation susceptible d’étayer les fondements théoriques d’une justice qui ne pouvait plus s’appuyer sur le socle législatif d’un État romain. Le droit syro-romain intégré au Synodicon vint ainsi éclairer nombre de points de procédure. Il établissait notamment les délais dont disposait un plaideur pour faire valoir ses droits en justice – dix ou vingt ans selon qu’il se trouvait chez lui ou à l’étranger127. Il rappelait les procédures romaines présidant à l’ouverture d’une audience : le demandeur devait faire parvenir à son adversaire une citation à comparaître (syr. prangeliyā = grec paraggelia128), après quoi le défendeur avait jusqu’à quatre mois pour se présenter129. Il était interdit de porter plainte le dimanche130, et les femmes ne pouvaient accuser leur mari ni les esclaves leur maître131. La preuve était également définie plus précisément. Les témoins pouvaient se voir demander de déposer sous serment (mawmtō)132, et la preuve documentaire était dotée d’une assise juridique solide133, notamment en matière de successions (testaments)134. Le serment décisoire était par ailleurs érigé en preuve et pouvait entraîner un jugement135. Il faut enfin remarquer que des qualités que le témoin doit réunir sont énumérées (sexe masculin, liberté, non-implication dans des actes de vol, de brigandage ou de sorcellerie ; absence de lien de parenté avec celui en faveur de qui ils témoignent ; âge supérieur à vingt-cinq ans)136, offrant une définition positive aux critères de fiabilité évoqués par les canons synodaux.
41Il reste bien entendu difficile de mesurer la portée de l’incorporation de ce droit syro-romain. Dans quelle mesure ces procédures issues d’un droit civil obsolète furent-elles appliquées par la justice épiscopale en terre d’Islam ? Si elles étaient déjà mises en œuvre par les évêques avant l’Islam, il est probable qu’elles le restèrent (un temps) et que le Livre de droit syro-romain ne vint que leur donner un fondement théorique. Si en revanche elles ne l’étaient pas, peut-on penser que les évêques renforcèrent le fonctionnement de la justice en recourant à ces anciennes règles de droit romain ? Certains chercheurs en doutent, supposant qu’un tel droit dérivant de sources romaines était peu adapté aux conditions de vie des chrétiens en terre d’Islam137. Si cette remarque s’applique à certains domaines du droit, elle ne peut concerner celui des procédures : rien, dans les procédures « syro-romaines » mentionnées ci-dessus, n’est incompatible avec le fonctionnement de l’episcopalis audientia sous domination musulmane. Quant à savoir si ces règles, applicables en théorie, le furent en pratique, il s’agit là d’une question à laquelle les sources disponibles ne permettent pas de répondre. Constatons simplement qu’un renforcement effectif des règles de procédure (notamment de la preuve) serait allé dans le sens voulu par l’Église, soucieuse d’offrir à ses ouailles un système judiciaire efficace et donc attractif, les dispensant de recourir à une justice musulmane de mieux en mieux structurée.
3. JUSTICE ET PROCÉDURES DANS LA CHRÉTIENTÉ SYRO-ORIENTALE
3.1. Rendre la justice à la fin du viie siècle : de Georges à Ḥnānīšoʿ
3.1.1. Première définition d’une justice ecclésiastique en terre d’Islam
42La chute des Sassanides lors des conquêtes arabo-musulmanes, dans les années 630, et la mort du dernier roi des rois Yazdgird III en 31/651, eut un profond impact sur l’Église syro-orientale. Avec la disparition de l’État sassanide, l’Église perdit son principal modèle d’organisation138 et l’absence de grand synode dans les années qui suivirent la conquête pourrait suggérer une certaine désorientation du clergé. Cette disparition laissait un vide dont les nestoriens, après un temps d’adaptation nécessaire, entendirent néanmoins profiter. L’Église demeurait la principale institution judiciaire en activité139, aux côtés des justices de communautés juives et zoroastriennes sans doute moins nombreuses. Les sources narratives offrant peu d’informations sur le fonctionnement de la justice syro-orientale140, c’est à nouveau vers les sources canoniques qu’il convient de se tourner.
• Une justice pour les laïcs
43Les décennies qui suivirent immédiatement la conquête sont peu documentées. S’il ne décrit pas le fonctionnement de la justice ecclésiastique, Siméon de Rēv-Ardašīr consacre vers le milieu du viie siècle un court traité sur les successions dans lequel il tient pour acquis que c’est à l’évêque de résoudre les conflits entre chrétiens141. Il faut attendre la période sufyānide142 pour que la justice ecclésiastique réapparaisse dans les sources synodales. Le synode de Georges Ier (Gīwargīs, r. 661-681)143, qui se tint en 676 à Darai/Dīrīn, sur l’île de Tārūt (Baḥrayn), et réunit le métropolite de Qaṭar ainsi que cinq évêques d’Arabie orientale144, témoigne de la place grandissante qu’occupait le tribunal épiscopal. Le catholicos Georges Ier exprime ouvertement sa volonté de consolider les fondements juridiques de l’Église pour répondre aux nécessités de son époque. Le prologue des canons insiste, plus qu’aucun des synodes antéislamiques, sur le rôle de législateur qui incombe à l’Église : Dieu a donné aux hommes une loi (nōmūsō), et depuis toujours le droit a dû être adapté aux conditions historiques145. Georges Ier justifie sa législation par les difficultés du moment (« en ce temps difficile de la fin du monde146 ») – allusion aux angoisses eschatologiques suscitées par la conquête arabo-musulmane. Un monde nouveau nécessitait de nouvelles lois.
44L’organisation judiciaire prend une place importante dans le synode de 676. Un siècle tout juste après celui d’Ézéchiel, qui pour la première fois faisait allusion à la justice rendue par les prêtres sur les laïcs, le principe en est réaffirmé et son inscription dans la hiérarchie ecclésiastique explicitée. Le 6e canon appelle les chrétiens à résoudre leurs procès (dīnē) et leurs querelles (ḥeryōnē) au sein de l’Église. Les autorités auxquelles ils doivent soumettre leurs litiges sont des prêtres (ou, éventuellement, des laïcs) désignés comme juges par leur évêque avec – au moins en théorie – le consentement de la communauté147. Le prêtrejuge doit réunir des qualités morales, spirituelles, intellectuelles et pratiques : l’amour de la vérité (reḥmat šrōrō), la crainte de Dieu (deḥltō d-alōhō), la science (īdaʿtō) et les compétences requises pour gérer les affaires de ce monde (sōpqūtō da-l-sūʿrōnē)148. L’évêque délégant garde son autorité judiciaire et peut être saisi par un plaideur qui ne souhaiterait pas s’adresser à son prêtre-juge – sans doute par crainte que son implication dans la communauté locale ne nuise à son impartialité149. En conditionnant l’exercice de la justice à une nomination officielle du juge par l’évêque, Georges Ier achève la construction d’une juridiction ecclésiastique sur le modèle étatique : le prêtre-juge n’est pas un arbitre que les plaideurs choisiraient librement, mais un juge institué par une autorité hiérarchique revendiquant le monopole de la justice. « Aucun fidèle, précise le même canon, ne peut […] s’attribuer de sa propre autorité les fonctions de juge des fidèles sans l’ordre de l’évêque et le consentement de la communauté150. » Selon Thomas de Margā, qui en profite pour vanter la clémence du catholicos, Georges Ier rendit lui-même la justice151.
45Le synode de Georges Ier insiste enfin sur le rôle de l’évêque dans la gestion des biens des orphelins, rôle pour la première fois défini en 585. Il affirme que l’évêque doit mener des enquêtes précises sur les biens laissés à leurs enfants mineurs par des parents décédés, et établir pour eux un « curateur » (epīṭrūpō), terme qui vient du grec epitropos et qui semble alors faire son apparition dans le droit syro-oriental – peut-être par le biais du Livre de droit syro-romain152. Justice auprès des laïcs et protection des plus faibles semblent une nouvelle fois connaître un développement parallèle.
• La concurrence de l’État musulman
46L’interdiction de s’autoproclamer juge suggère qu’une certaine forme de justice était, de facto, exercée par des individus (laïcs ou ecclésiastiques) non reconnus comme juges par la hiérarchie ecclésiastique. Le synode de Georges Ier est d’ailleurs obligé d’admettre en partie cet état de fait, et l’interdiction de rendre la justice sans désignation épiscopale est nuancée par l’adjonction d’une exception : « autant que la contrainte de l’ordre (pūqdōnō) des puissants du siècle ne l’y oblige pas153 ». De là, Neophyte Edelby puis Michael Morony suggèrent que la revendication d’une telle souveraineté sur la judicature des chrétiens s’oppose à des pratiques parfois différentes : il est possible, selon Morony, que le pouvoir musulman ait entrepris de nommer des juges pour les nestoriens avant 676, sous le gouvernorat de Ziyād b. Abīhi (règne de Muʿāwiya)154. Ce qui n’était, il y a trente ans, qu’une hypothèse semble aujourd’hui confirmé par les sources, qui évoquent des clercs investis de fonctions judiciaires par le pouvoir musulman. L’exemple de Theoduṭē (m. 698), évêque d’Āmīd à la fin du viie siècle et connu par une Vie dictée par un de ses disciples (encore inédite), en témoigne : l’autorité musulmane – le vice-roi d’Orient ou un gouverneur de province, peutêtre celui de Ǧazīra, Muḥammad b. Marwān – lui aurait officiellement remis la charge de rendre la justice entre les chrétiens155. Tel est sans doute le type de situation auquel Georges Ier fait référence : à Āmīd, l’autorité judiciaire était bien ecclésiastique, mais nommée par le pouvoir musulman. Le véritable problème du patriarche ou du catholicos était d’affermir et de généraliser une autorité hiérarchique qui, dans les faits, pouvait être court-circuitée par les musulmans.
47L’autorité de l’Église était plus menacée encore lorsque le pouvoir musulman instaurait des juges laïcs. De cela, il n’est pour l’instant pas de preuve textuelle, mais le scénario paraît vraisemblable. Nous avons vu qu’en Égypte, à la même époque, la justice était rendue au quotidien par des ducs et des pagarques chrétiens nommés par le gouvernement de Fusṭāṭ. Le gouverneur omeyyade d’Irak agissait-il de même, en confiant à des notables locaux – diḥqān-s, šahāriǧa156, mais surtout mdabrōnē, « dirigeants » mal définis par les sources syriaques157 – des fonctions judiciaires ? Ces notables assumaient d’autres prérogatives administratives, notamment dans le domaine de la perception fiscale158, et il n’est pas impossible que l’État musulman les ait aussi chargés de rendre la justice159. En (r) établissant une judicature ecclésiastique structurée et destinée aux laïcs, Georges Ier entendait selon toute vraisemblance renforcer la place de l’Église dans une justice qui continuait à lui échapper partiellement. Craignait-il que le vide laissé par les Sassanides, et dont profitait l’Église, ne vienne être comblé par l’État musulman et par ses relais dans la population chrétienne laïque ?
48Il est possible que les musulmans soient venus concurrencer la justice ecclésiastique de manière directe : avant même de définir l’autorité judiciaire légitime, le 6e canon du synode commence par interdire aux chrétiens de « sortir à l’extérieur » (lō nepqūn l-bar), comme « ceux qui n’ont pas de loi » (aylēn da-d-lō nōmūs enūn), pour soumettre leurs litiges à des « païens » (ḥanpē) ou des infidèles (lō mhaymnē)160. Le terme ḥanpē désigne vraisemblablement les musulmans161. L’allusion à « ceux qui n’ont pas de loi » est plus problématique : il pourrait s’agir, pour le coup, de « païens », mais il est difficile de concevoir les zoroastriens d’Irak comme une communauté sans loi. À défaut, il pourrait aussi s’agir de musulmans, soit que ceux-ci soient encore considérés comme des gens sans loi en raison de la faible avancée de leur réflexion juridique, soit que les musulmans les plus en contact avec les chrétiens soient peu au fait de la réflexion juridique naissante de leur communauté, soit, enfin, que leur qualification de gens sans loi soit simplement polémique et dépréciative.
49Selon Simonsohn, il serait difficile d’envisager que les chrétiens se soient adressés dès cette époque à une judicature musulmane encore rudimentaire162. Si l’institution cadiale dans son acception classique est assurément balbutiante à cette époque, d’autres autorités furent sollicitées, comme le montrent des cas d’appel au gouverneur de Mossoul et à des sous-gouverneurs de Ǧazīra dans les années 640 et 650163. On ne peut donc exclure que les autorités musulmanes – gouverneurs, cadis ou proto-cadis des grandes villes, mais aussi sous-gouverneurs fiscaux, commandants de garnisons, etc. – aient pu se voir investies de prérogatives judiciaires de plus en plus attractives aux yeux des populations chrétiennes : s’en remettre à une autorité politique désormais fermement établie pouvait déjà sembler plus efficace qu’une justice ecclésiastique investie de pouvoirs temporels inférieurs.
50La formation progressive d’un État musulman structuré, se dotant d’un système judiciaire à l’efficacité croissante, poussait l’Église dans ses retranchements : obligée, par certains côtés, de reconnaître cet État, elle entreprenait de resserrer ses fidèles autour de ses institutions traditionnelles, et mettait l’accent plus qu’elle ne l’avait jamais fait jusqu’alors sur le rôle législatif et judiciaire central qu’elle entendait jouer auprès des laïcs.
3.1.2. Les lettres de Ḥnānīšoʿ
51La pratique judiciaire des nestoriens d’Irak fait irruption dans les sources syriaques une dizaine d’années après le synode de Georges Ier. Les collections canoniques syro-orientales conservent en effet une série de lettres émanant du catholicos Ḥnānīšoʿ Ier qui révèlent, d’un seul coup, des usages judiciaires que la théorie du droit canonique n’abordait que de loin.
• Repères biographiques
52Ḥnānīšoʿ fut consacré patriarche d’al-Madā’in/Ctésiphon en l’an 997 de l’ère séleucide (686 ap. J.-C.)164. Il occupa officiellement cette fonction jusqu’en 693, date à laquelle le gouverneur de Kūfa, Bišr b. Marwān (r. 692-694)165, le révoqua à la suite d’un « complot » du métropolite de Nisibe, Yoḥanān de Dasen (ar. Yuḥannā al-Abraṣ), qui devint catholicos à sa place166. Après avoir été emprisonné pendant quelque temps par son successeur167, Ḥnānīšoʿ trouva refuge au monastère de Mār Yōnān (ar. Yūnus), à proximité de la partie occidentale de Ninive, en face de Mossoul168. À la mort de Yoḥanān en 695, après à peine un an et dix mois de règne169, le nouveau gouverneur d’Irak, al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf, semble avoir refusé l’élection d’un successeur et le catholicossat d’al-Madā’in/Ctésiphon demeura vacant jusqu’en 713170. Selon l’historien Mārī b. Sulaymān, Ḥnānīšoʿ aurait exclu de reprendre ses fonctions de catholicos171 – ce qui sousentend que le poste lui aurait été à nouveau proposé. Cela ne l’empêcha pas d’exercer un ministère spirituel s’étendant « à Nisibe, à Mossoul, à Bēt Garmē/Bāǧarmā172 et dans toutes les villes [de Mésopotamie ?], à l’exception de celles (aʿmāl) où al-Ḥaǧǧāǧ exerçait son autorité173 » : une sorte de « patriarcat fantôme » (shadow patriarchate)174, selon l’expression de Michael Morony. Ḥnānīšoʿ serait mort de la peste en l’an 1011 de l’ère séleucide (= 700)175.
53Ḥnānīšoʿ laissa une forte impression aux générations suivantes. ʿAmr b. Mattā raconte qu’au xive siècle, le cercueil où reposait le catholicos fut ouvert, faisant apparaître une dépouille miraculeusement préservée ; le chroniqueur affirme avoir vu lui-même ce corps « comme endormi » six cents ans après sa mort176. Mais Ḥnānīšoʿ passa surtout à la postérité en tant qu’auteur de nombreux ouvrages. ʿAmr b. Mattā lui attribue un Livre des homélies (Kitāb al-mayāmir), un Livre des correspondances (Kitāb al-murāsalāt), un Livre de la consolation (Kitāb al-taʿziya), et quatre livres de commentaires sur les Évangiles177. Dans une de ses lettres, Ḥnānīšoʿ affirme avoir écrit un Livre des sentences (Ktōbō d-zūdōqē) qui n’a pas laissé d’autres traces178. Son biographe relève enfin qu’il « établit vingt canons relatifs aux procès (ar. muḥākamāt), chacun comprenant lui-même plusieurs règles179 ».
54L’« autorité » (ar. amr)180 que Ḥnānīšoʿ se vit reconnaître aussi bien lorsqu’il était catholicos qu’au temps de sa retraite au couvent de Mār Yōnān n’est pas un vain mot. Le droit syro-oriental a préservé une série de lettres de ce catholicos, qui furent intégrées à la littérature canonique à côté des traités des plus grands juristes nestoriens. Cela montre combien sa parole demeura une référence essentielle au-delà de sa mort181. La collection qui nous est parvenue rassemble vingt-cinq lettres numérotées, certaines comprenant en réalité plusieurs extraits présentés les uns à la suite des autres182 : il s’agit là, peut-être, des « canons relatifs aux procès » que mentionne ʿAmr b. Mattā. La préservation de ces passages témoigne non seulement de l’autorité dont la parole de ce catholicos bénéficia auprès de générations de nestoriens, mais aussi du processus judiciaire auquel se soumettaient les chrétiens d’Irak à la fin du viie siècle.
• Des procédures épistolaires
55La plupart des lettres de Ḥnānīšoʿ ne sont pas datées. Elles furent cependant écrites à une époque où il se trouvait en position d’autorité, soit quand il officiait en tant que catholicos, soit, éventuellement, après sa révocation, alors qu’il jouissait d’une autorité officieuse – ou tout au moins non reconnue par l’État musulman – en Mésopotamie183. Plusieurs indices suggèrent que la première hypothèse doit être retenue : Ḥnānīšoʿ revendique dans ses lettres une autorité hiérarchique sur des ecclésiastiques qui lui sont manifestement subordonnés, comme nous allons le voir ; la mention de Kūfa (ʿĀqolā) et de Ḥīra dans une de ses lettres184, celle de Prat, Baṣra et al-Ubulla dans une autre185, suggèrent par ailleurs que son autorité était alors reconnue dans le sud de l’Irak – ce qui ne fut plus le cas après sa révocation selon Mārī b. Sulaymān ; enfin, une lettre est datée du « mois de mai 69 du pouvoir des musulmans186 », c’est-à-dire mai 689, alors que Ḥnānīšoʿ était encore catholicos. Dauvillier souligne néanmoins qu’il garda des prérogatives judiciaires après sa destitution, lors de sa retraite dans un couvent de Mésopotamie, et que certaines de ses lettres pourraient dater de cette époque187.
56Richard Payne qualifie ces lettres de responsa, interventions invitées dans les affaires judiciaires de communautés spécifiques188. Le terme est malvenu car il implique, tout d’abord, que les lettres de Ḥnānīšoʿ sont de nature homogène, et ensuite qu’elles constituent de simples « opinions » comparables à celles que les juristes romains pouvaient donner aux juges189. Il faut en réalité distinguer plusieurs types de lettres190 :
- des lettres contenant des exhortations, des recommandations ou des instructions extrajudiciaires191 ;
- des lettres envoyées à une (ou plusieurs) autorité(s) judiciaire(s), provoquées par le dépôt d’une plainte devant le catholicos192. Nous proposons de les qualifier de « rescrits judiciaires » ;
- des lettres envoyées à des individus, leur demandant d’intervenir pour faire appliquer le jugement du catholicos193. Celles-ci peuvent être définies comme des « rescrits d’application » ;
- des lettres envoyées à une autorité judiciaire en réponse à une sollicitation de cette même autorité194 ;
- des responsa envoyés à des individus ayant sollicité son opinion hors cadre judiciaire195 ;
- des extraits de jugements ou d’opinions juridiques cités hors contexte196. Cette classification permet de distinguer les écrits judiciaires et extrajudiciaires du catholicos. Le type 1, qui ne relève ni du juridique ni du judiciaire, ne nous intéresse pas immédiatement ; le type 5 correspond à des avis juridiques extrajudiciaires qui sont également secondaires pour notre propos ; les types 2, 3 et 4 relèvent de procédures judiciaires et c’est sur ces lettres qu’il convient de concentrer notre attention. Le type 6 peut relever alternativement de la seconde ou de la troisième catégorie, sans qu’il soit possible de le déterminer.
Une procédure par rescrit (types 2 et 3)
57Quatorze lettres envoyées à des autorités judiciaires, faisant suite au dépôt d’une plainte devant le catholicos, témoignent de la mise en œuvre d’une procédure « par rescrit », conduisant soit à un verdict prononcé par le catholicos, soit au transfert du procès devant une autorité déléguée. Voici une de ces lettres :
Sefray bar Sūrīn bar Beronā, de votre ville, par l’intermédiaire de qui nous vous écrivons, est venu devant nous porter plainte contre ses frères Mīhr Narsē et Mīhran. Il les accuse d’avoir donné sa liberté à un esclave laissé en héritage par leur père, sous prétexte qu’il est l’époux de leur nourrice. Ils allèguent que leur père avait décidé de l’affranchir à sa mort. Sefray souhaite que nous confiions à votre rectitude l’examen de cette affaire.
Dès que vous lirez cette lettre, convoquez donc les frères de Sefray et menez une enquête sur leur compte197 avec la rigueur qui vous est coutumière. Si vous trouvez au terme de l’enquête que l’esclave a été affranchi par son maître Sūrīn, vous confirmerez la liberté qui lui a été donnée par ordre de son maître conformément à son bon plaisir. Si en revanche leur père Sūrīn ne l’a pas affranchi, ce sont Mīhr Narsē et Mīhran ses fils qui ont affranchi l’esclave en raison de leur lien de parenté. C’est [donc] sur leur part [d’héritage] que l’affranchissement de l’esclave sera confirmé. Leurs autres frères, s’ils n’étaient pas d’accord avec l’affranchissement dudit esclave, ont droit de recevoir la part [de l’esclave] qui leur revient. C’est ainsi que vous devrez mettre fin à ce litige. Que Dieu vous garde de tout mal chaque jour qu’Il vous prête, et puissiez-vous demeurer en bonne santé198 !
58Les lettres du type 2 – rescrits judiciaires – révèlent un scénario identique : à chaque fois, un plaideur vient devant le catholicos pour lui exposer sa plainte. Le catholicos écrit une lettre à une ou plusieurs personnes de la ville du plaignant et charge ce dernier de la leur apporter. Dans sa missive, le catholicos ordonne à ses destinataires de convoquer le défendeur et d’examiner la plainte. La lettre se termine par l’énoncé d’un jugement conditionnel, dépendant du résultat des investigations conduites par le destinataire. Les lettres du type 3 – rescrits d’application – constituent une variante de ce schéma : soit la plainte devant le catholicos a eu lieu auparavant, mais le verdict qu’il a énoncé n’a pas été appliqué et le catholicos charge son destinataire de sa mise en œuvre ; soit la plainte devant le catholicos est accompagnée de preuves qui lui permettent d’énoncer un verdict inconditionnel, auquel cas il ordonne simplement à son destinataire de le mettre en application.
59Les demandeurs cités dans ces lettres sont le plus souvent des hommes, portant des noms syriaques (Yoḥanān, Isḥāq bar Qašīš)199 ou persans (Sefray bar Beronā, Posānoš)200. L’origine géographique des plaideurs n’est jamais connue – tout juste peut-on penser qu’ils habitent des « villes » (mdīnōtō) distantes du siège patriarcal, Séleucie-Ctésiphon. Des procès impliquent des esclaves, ce qui suggère qu’au moins certains plaideurs comparaissant devant le catholicos appartenaient à des milieux aisés, qu’il s’agisse de petits nobles perses (christianisés) ou de notabilités araméennes – un défendeur est ainsi fils de prêtre (qašīšō)201. Dix plaideurs sur douze sont des hommes. Malgré cette forte proportion, la présence de deux femmes (des veuves) est significative : toutes deux se sont présentées à l’audience du catholicos, et une au moins (no 14) est repartie avec un rescrit destiné à un responsable de sa localité. Cela montre que les femmes pouvaient accéder à l’audience judiciaire du catholicos – un si petit nombre ne permet pas néanmoins de savoir si les usages sociaux incitaient les femmes à s’y présenter.
Tableau 5 — Les rescrits du catholicos Ḥnānīšoʿ : personnes et litiges
Nombre de lettres | Numéros des lettres | |
Demandeur | ||
Homme | 10 | nos 4, 5, 7, 8, 10, 11, 151, 18(3), 24, 25 |
Femme | 2 | nos 12, 14 |
Défendeur | ||
1 individu | 6 | nos 5, 10, 11, 14, 15, 25 |
Plusieurs personnes | 5 | nos 7, 8, 12, 18(3), 24 |
Nombre de destinataires | ||
1 individu | 2 | nos 11, 22 |
2 individus | 3 | nos 5, 10, 14 |
3 individus | 2 | nos 12, 18(3) |
> 3 individus | 1 | no 4 |
Inconnu | 2 | nos 7, 8, 24, 25 |
Qualité des destinataires | ||
« prêtre » | 4 | nos 11, 14, 15, 18(3) |
« prêtre et juge » | 1 | no 5 |
« juge » | 0 | |
« croyant » | 3 | nos 10, 12, 14 |
« croyant et juge » | 1 | no 18(3) |
Non mentionnée | 6 | nos 4, 5, 7, 8, 22, 24 |
Objet du litige 2 | ||
Affranchissement | 2 | nos 5, 7 |
Succession | 12 | nos 4, 5, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 15, 22, 24, 25 |
Dot/douaire | 2 | nos 11, 14 |
Usurpation | 2 | nos 4, 8 |
Inconnu | 1 | nos 18(3) |
60Dans presque tous les cas, l’objet du litige est lié à une succession. Il ne faudrait pas en conclure trop vite que seules des affaires d’héritage parvenaient devant le catholicos. La compilation des lettres de Ḥnānīšoʿ répond vraisemblablement à un projet ciblé, la définition d’un droit des successions. Le sujet était sensible sous domination musulmane : les régimes successoraux étaient définis par l’islam de manière stricte, alors qu’ils l’étaient beaucoup moins par le christianisme. La question des successions était par ailleurs essentielle à la préservation des biens de la communauté. Il fallait, donc, définir aux plus près les règles de transmission du patrimoine et, notamment, se positionner tant par rapport aux normes musulmanes qu’au droit zoroastrien. À la fin du viiie siècle, Išoʿbokht privilégiait un système de successions proche du droit zoroastrien202 ; cent ans plus tard le catholicos Yoḥanān bar Abgārē composait un traité en faveur de règles successorales plus proches de celles des musulmans203. Les controverses allaient probablement bon train et l’éditeur anonyme des lettres de Ḥnānīšoʿ entendait sans doute participer aux débats de son époque. Le catholicos recevait donc certainement des plaideurs confrontés à d’autres problèmes : litiges commerciaux, affaires de dettes, de mariages, etc. Les lettres qui durent être rédigées à ces occasions ne retinrent simplement pas l’attention du compilateur.
61Les destinataires ne sont pas tout à fait les mêmes selon que la lettre du catholicos contient un jugement conditionnel (type 2) ou qu’il réclame l’application d’un verdict qu’il a déjà prononcé (type 3). Dans les deux cas, la lettre peut être envoyée à une ou plusieurs personnes, chargées soit d’instruire l’affaire et de rendre un jugement, soit d’appliquer celui du catholicos (jusqu’à trois personnes en cas de verdict conditionnel). Les deux types se distinguent en revanche par la qualité des destinataires. Les rescrits judiciaires – type 2 –, contenant un jugement conditionnel, sont généralement envoyés à des individus exerçant une fonction ecclésiastique (prêtre) ou judiciaire (juge, dayōnō) (nos 11, 14, 18[3]). Dans la mesure où ils devaient prononcer un verdict définitif, les prêtres étaient saisis en tant que juges délégués. Dans la lettre no 18(3), le « juge » n’est pas un prêtre mais un laïc (mhaymnō, littéralement « fidèle »204), peut-être une de ces autorités judiciaires mal connues qui subsistaient dans la Mésopotamie du viie siècle.
62Si des rescrits d’application (type 3) sont aussi adressés à des prêtres (nos 5, 15, 18[3]), ces lettres sont les seules à avoir pour destinataires des laïcs (mhaymnē) dont il n’est pas précisé qu’ils sont juges (nos 10, 12, 14)205 ; deux sont exclusivement destinées à des laïcs (nos 10, 12). Très souvent, ces destinataires portent des noms persans (nos 4, 10, 12, 15), ce qui suggère qu’il s’agit de notables perses. L’application d’un jugement déjà prononcé par le catholicos ne nécessitait pas forcément l’intervention d’une autorité judiciaire. Le recours à des laïcs, présumés influents, montre que la justice ecclésiastique était en partie appliquée par l’intermédiaire de puissants, capables de répercuter et éventuellement d’imposer les décisions de l’Église. Dans un cas, Ḥnānīšoʿ demande au laïc Dādā de faire usage de son pouvoir temporel (šūlṭōnō ʿōlmōnōyō) pour mettre en œuvre son jugement (no 14)206. Il est probable que, dans bien des cas, les laïcs ainsi saisis n’avaient pas besoin de recourir à des moyens de coercition, mais que leur influence et leur autorité sociale s’avéraient des instruments de persuasion suffisants.
63Le fait que ces rescrits soient souvent adressés à plusieurs personnes doit enfin retenir notre attention. À quelques reprises – notamment dans le cas de rescrits « judiciaires » –, les destinataires incluent à la fois des ecclésiastiques et des laïcs (nos 14, 18[3]). Cette association entre juges laïcs et ecclésiastiques pourrait avoir eu pour fonction de renforcer le poids de la sentence ecclésiastique : la pression sociale n’en était que plus grande. Il y aurait là le pendant, dans l’Église syroorientale, de procédures connues en Occident depuis l’Empire romain tardif : John Lamoreaux et Caroline Humfress relèvent en effet que certains évêques étaient accompagnés d’assesseurs laïcs207. Saint Augustin à Carthage et saint Ambroise à Milan demandaient même aux laïcs les plus riches et les plus respectables de leurs villes de les assister dans l’adjudication des cas difficiles208. Dans la Palaestina Tertia du vie siècle, certains conflits pouvaient être soumis à l’arbitrage simultané de deux individus. Un papyrus de Petra, remontant aux environs de 574, fait état d’un litige arbitré par un ecclésiastique et, vraisemblablement, un militaire, qui rendirent ensemble leur sentence209.
64La justice qui transparaît dans les lettres de Ḥnānīšoʿ est donc un système à deux niveaux qui peut être schématisé comme dans les figures 8 et 9. Elle était rendue, au niveau local, par des prêtres ou des laïcs dont on peut supposer qu’ils tenaient leur investiture du catholicos ou d’un évêque, ou du moins qu’ils étaient reconnus par le premier. Pour des raisons qui nous échappent, certains demandeurs préféraient s’adresser directement au catholicos ; peut-être étaientils victimes d’un déni de justice de la part de leur juge ordinaire, ou l’objet du litige avait-il une valeur particulièrement élevée, ou encore les plaideurs estimaient-ils que leurs droits auraient plus de chance d’être rétablis en passant par le catholicos. Ce dernier recevait les plaideurs en audience. Le demandeur s’y présentait seul – son adversaire n’ayant évidemment pas accepté de l’accompagner dans son voyage vers Ctésiphon – et présentait sa plainte. S’il apportait des preuves de sa revendication, le catholicos pouvait rendre un jugement et condamner son adversaire malgré son absence210. Il envoyait alors un rescrit dans la localité du demandeur, demandant aux autorités destinataires d’appliquer sonjugement. Dans certains cas, ce premier rescrit restait sans effet et le catholicos devait envoyer une lettre de rappel (nos 15, 22) réclamant aux mêmes autorités l’application effective de son jugement.
65Lorsque le demandeur n’avait pas de preuve à produire par-devers le catholicos, ce dernier renvoyait le procès devant la juridiction inférieure (paroisse du demandeur). Son rescrit au juge local comportait un jugement conditionnel. À l’issue du procès qu’il instruisait alors, le juge local était supposé rendre un jugement conforme à l’une des options envisagées par le catholicos, et le faire appliquer.
66Richard Payne affirme que les demandeurs suggèrent parfois eux-mêmes au catholicos le nom d’un individu comme « médiateur » – nous reviendrons sur ce dernier terme – et conteste l’idée que cette justice relève d’une « délégation de pouvoir abstraite de la part d’un évêque distant211 ». En réalité, les expressions employées sont loin d’être toujours claires. Dans la lettre no 7, le catholicos écrit : « Sefray [le demandeur] nous a demandé de confier l’examen [de sa plainte] à votre rectitude » (bʿō menan Sefray da-l-taqnūtkūn negʿel būḥōnō hōnō)212. Dans la no 14, il écrit : « elle [la demandeuse] nous a demandé de vous écrire » (bʿat menan da-lwōtkūn nektūb)213. L’expression est ambiguë et peut signifier soit, comme l’interprète Payne, que la demandeuse a suggéré le nom de la personne à qui écrire ; soit qu’elle a réclamé du catholicos la rédaction d’une lettre. On ne peut donc exclure que certains demandeurs suggèrent des juges – parce qu’ils connaissent mieux que le catholicos les noms de leurs autorités locales –, mais il se peut aussi qu’ils se contentent de demander l’application d’une procédure par rescrit qu’ils connaissent bien. Le seul cas où l’idée d’un « choix » par les parties est exprimée plus clairement est la lettre no 10, un « rescrit d’application » où les destinataires ne sont certainement pas saisis en tant que juges, mais en tant que notables influents susceptibles de faire accélérer l’application d’un verdict214. En tout état de cause, même si l’on considère que certains juges sont proposés par des demandeurs, le rescrit constitue en soi une délégation de pouvoirs : il y a bien nomination officielle, même au cas par cas, d’un juge compétent pour traiter l’affaire.
Le catholicos saisi par un juge (type 4)
67Deux lettres échappent au paradigme que nous venons d’étudier. Dans la première (no 9), Ḥnānīšoʿ répond à un certain Mār Gabriel – sans doute un ecclésiastique – au sujet de deux affaires d’héritage. Selon toute vraisemblance, Mār Gabriel a été saisi de plaintes qu’il n’est pas parvenu à trancher, et a écrit au catholicos pour solliciter son avis. Dans sa réponse, le catholicos résume brièvement les deux cas et expose son jugement, qu’il charge son correspondant de mettre à exécution215. La seconde (no 23) est envoyée à un destinataire non nommé – l’adresse a disparu –, manifestement un prêtre. Ce dernier avait écrit au catholicos à propos d’une affaire de concubinage, impliquant un diacre (mšamšōnō), qu’il n’était pas parvenu à résoudre et pour laquelle il avait demandé l’avis du catholicos. Dans sa lettre, Ḥnānīšoʿ lui expose les sanctions que le destinataire doit prononcer à l’encontre du diacre216.
68Dans ces deux cas, le catholicos n’est pas saisi en tant que juge par un demandeur, mais sollicité par un juge local confronté à un cas difficile à trancher. Tout se passe comme si, en vertu de cette sollicitation, le catholicos se considérait chargé de l’affaire : sa réponse comporte un jugement que le destinataire se voit demander de mettre à exécution sans autre forme de procès. Ces lettres reflètent, en négatif, la procédure « ordinaire » prescrite par les canons synodaux de la même époque : au niveau local, des prêtres rendaient la justice au quotidien. Dans certaines situations qu’ils ne parvenaient pas à démêler, ils pouvaient recourir à l’autorité du catholicos, qui se substituait alors à eux et leur dictait son jugement.
• Modes de preuve
69Les passages relatifs aux preuves sont assez rares dans la correspondance de Ḥnānīšoʿ. Dans la plupart des cas où il renvoie une affaire devant une autorité inférieure, le catholicos ne détaille pas les procédures permettant de découvrir la vérité. Ses lettres révèlent néanmoins dans leurs grandes lignes les types de preuve acceptés par le système judiciaire syro-oriental.
Tableau 6 — Les rescrits du catholicos Ḥnānīšoʿ : les preuves
Nombre de lettres | Numéros des lettres | |
Témoignage | 4 | nos 4, 21(6), 22, 23 |
Serment | 2 | nos 21(6), 24 |
Document | 3 | nos 5, 11, 14 |
« Enquête » (ʿūqōbō) | 6 | nos 7, 8, 10, 23, 24, 25 |
70La notion d’« enquête » – sous la forme du verbe ʿaqeb217 ou du substantif ʿūqōbō – est au centre de plusieurs rescrits judiciaires de Ḥnānīšoʿ. Dans six lettres, le catholicos demande à son destinataire d’« enquêter » sur l’affaire qu’il lui transmet, et de rendre un jugement conforme aux résultats des investigations.
71À première vue, cette notion pourrait renvoyer à l’un des aspects essentiels de la procédure dans le monde syriaque antéislamique, celle de l’enquête sur les plaideurs afin d’estimer la fiabilité de leurs propos. Il est néanmoins difficile de le savoir : à aucun moment le catholicos ne demande explicitement à l’un de ses destinataires d’examiner la personnalité et la réputation des plaideurs. On pourrait aussi envisager que le terme « enquête » fasse allusion à une procédure par laquelle le juge destinataire est supposé découvrir la vérité : l’institution ne se contenterait pas de réclamer aux plaideurs la production de leurs preuves, mais irait elle-même quérir des preuves complémentaires. Certaines lettres laissent cette possibilité ouverte : dans la missive no 23, le catholicos demande à son correspondant de mener une « enquête » afin de découvrir si la concubine d’un diacre est de condition servile et si elle s’adonne à la prostitution218. Il se pourrait bien que le juge doive ici aller chercher des éléments qu’aucun des plaideurs ne peut prouver. Un siècle plus tard, nous le verrons, le juriste nestorien Išoʿbokht préconisa le recours à des enquêtes auprès de personnes extérieures au procès, tant pour vérifier l’authenticité de documents que pour établir des présomptions en faveur de l’un ou l’autre des plaideurs.
72La théorie plus tardive d’Išoʿbokht laisse penser que les enquêtes ordonnées par Ḥnānīšoʿ pouvaient avoir un sens précis, assez évident pour que le catholicos n’ait pas besoin d’être plus explicite. Dans certains cas, l’« enquête » semble faire allusion aux informations que le juge pouvait retirer du simple fait d’« écouter » les deux camps219. Il apparaît donc que les investigations ordonnées par le catholicos purent recouvrir différents modes opératoires, découlant d’une règle générale selon laquelle le juge devait « chercher » la vérité, « examiner » l’affaire. Écouter les déclarations des plaideurs, les interroger, estimer leur fiabilité, faire examiner les preuves documentaires, établir des présomptions constituaient autant de moyens d’approcher la vérité.
73Le mode de preuve le plus présent dans les lettres de Ḥnānīšoʿ est le témoignage. Le témoignage probant est toujours celui de plusieurs personnes – le terme « témoins » (sōhdē) apparaissant systématiquement au pluriel dans ces missives. Tout témoignage n’était pas entériné : comme on le constate dans le droit syrooccidental à partir du ixe siècle, seuls des témoins à la fiabilité avérée devaient être acceptés. Dans l’affaire du diacre en concubinage (no 23), le catholicos évoque ainsi le cas où son destinataire aurait appris quelque chose de « témoins qui méritent d’être crus220 ». Comment leur crédibilité était-elle établie ? Rien dans les lettres de Ḥnānīšoʿ ne permet de le dire. Remarquons néanmoins que l’idée d’enquêter sur la fiabilité d’un individu était très présente dans le droit romain, qu’elle avait pénétré à une date précoce le droit syro-occidental et, de là, s’était peut-être répandue dans l’Église syro-orientale221. Les enquêtes de moralité étaient par ailleurs connues dans l’Irak chrétien du viie siècle. Dans l’affaire du diacre en concubinage (no 23), Ḥnānīšoʿ rappelle ainsi : « Ceux qui cherchent des témoignages concernant la condition d’une personne et ses manières ne se contentent pas de questionner la personne sujette à leur enquête, ou ses frères, mais interrogent des étrangers qui la connaissent, des voisins de son quartier, des [collègues] de travail, etc.222. » On ignore si, en pratique, les témoins faisaient l’objet d’une telle enquête de moralité ; mais les modalités d’investigation existaient au moins en théorie.
74Le serment décisoire apparaît à deux reprises : bien qu’il semble moins utilisé que le témoignage, le catholicos le considère comme un mode de preuve valide. Il y a donc ici une évolution majeure par rapport au droit syro-oriental antérieur à l’Islam, qui condamnait généralement le recours au serment : signe que les procédures avaient entre-temps évolué, peut-être en raison du nouveau contexte223 ? Deux usages du serment transparaissent. Dans le premier, il pouvait vraisemblablement être déféré à une partie ou à l’autre. Lors d’une affaire de succession (no 24), Ḥnānīšoʿ propose à son correspondant de faire prêter soit un serment négatif aux défendeurs – qui nieront la prétention du demandeur –, soit un serment positif au demandeur – qui jurera de la véracité de sa réclamation224. Une seconde lettre, lacunaire (no 21[6]), offre un point de vue différent, selon lequel la prestation de serment reviendrait plutôt au défendeur. En cas de dispute à propos d’un objet aux mains d’une partie – le défendeur, que le catholicos présente comme coupable (« injuste », ṭlīmō) –, le demandeur doit présenter des preuves testimoniales ou documentaires ; si ni le demandeur ni son adversaire n’ont de telles preuves, le défendeur peut jurer que son père était déjà en possession de l’objet du litige225. D’après cet extrait, les preuves auraient été hiérarchisées (témoignages et documents en premier ; serment en second) et chaque type aurait été associé à une des parties en litige (témoignages et documents produits par le demandeur, ou, à défaut, par le défendeur ; serment prêté par le défendeur).
75Ces deux visions de l’usage du serment sont-elles contradictoires ? Correspondent-elles à des cas différents ? Reflètent-elles l’hésitation du catholicos face à une question débattue ? Rien ne permet de le dire. Contentons-nous pour l’instant de remarquer que la place du serment dans la procédure faisait l’objet de débats chez les musulmans à peu près à la même époque. La seconde procédure, décrite dans la lettre no 21(6), est très proche de la doctrine qui finit par dominer en Islam. Nous reviendrons sur ce point.
76Le dernier type de preuve évoqué est de nature documentaire. Il est difficile de savoir dans quelle mesure celle-ci constituait une catégorie à part. La lettre no 4 parle en effet de « témoignages écrits ou oraux » (sōhdwōtō d-ba-ktībōtō aw b-meltō)226. L’extrait no 21(6), rapporté hors contexte, évoque par ailleurs la situation où « l’on n’a pas de témoignage, ni par écrit, ni par des paroles véridiques227 », comme si l’écrit constituait une forme de témoignage. Un peu plus loin, néanmoins, le témoin et le document sont plus clairement dissociés quand le catholicos s’interroge sur le cas où « il n’y aurait ni d’écrits, ni de témoins228 ». Cette ambiguïté est révélatrice de la manière dont les nestoriens se représentaient la preuve écrite : le document s’apparentait, par certains côtés, à un témoignage. Il avait simplement pour particularité d’être écrit au lieu d’être oral, ce qui permettait sa préservation sur le long terme : comme le savant musulman al-Zuhrī l’évoquait quelques années plus tard, alors que l’Islam avait en grande partie rejeté ce type de preuve, le document constituait le « témoignage des morts229 ». Mais l’écrit ne permettait pas seulement la conservation temporelle du témoignage : il assurait aussi son transport dans l’espace. C’est ainsi que plusieurs demandeurs, dans les lettres de Ḥnānīšoʿ, semblent s’être présentés devant le catholicos avec des preuves documentaires, alors qu’il leur aurait été plus malaisé de déplacer leurs témoins230.
77À plusieurs reprises dans ses lettres, il semble que le catholicos ait estimé les documents produits par le demandeur suffisamment probants pour qu’il rende son jugement en l’absence du défendeur. Son verdict est alors inconditionnel, et le destinataire (sans doute un juge, au moins dans certains cas) se voit demander de l’appliquer. Ainsi dans la lettre no 5, Ḥnānīšoʿ demande à Daniel – « prêtre et juge » – et à Sergius de convoquer un défendeur et de l’exhorter à donner ce qu’il doit. Le demandeur, un esclave affranchi que le fils de son maître décédé tente de ramener à sa condition servile, a déjà apporté devant le catholicos la preuve du bien-fondé de sa revendication – l’acte d’affranchissement231. De même, dans la lettre no 11, le demandeur a produit devant le catholicos les écrits prouvant ses revendications232. La recevabilité de telles preuves documentaires eut donc des conséquences profondes sur les procédures.
• La parole du catholicos et son statut
78Qu’il soit rendu par le catholicos ou par le(s) juge(s) destinataire(s), le jugement ecclésiastique est prononcé dans des termes ambigus : tantôt qualifié d’« ordre », il apparaît aussi sous des formes adoucies. Ḥnānīšoʿ demande parfois aux juges destinataires de « conseiller » au défendeur d’appliquer la sentence rendue ; d’autres doivent l’« exhorter » à l’obéissance. Lorsque le catholicos a rendu sa sentence, il demande parfois à ses destinataires de servir d’« intermédiaires »/« médiateurs » (mešʿōyē) auprès du condamné pour la faire appliquer233. De là, certains chercheurs ont émis des doutes sur la nature de la justice ecclésiastique : pour Richard Payne, les lettres de Ḥnānīšoʿ sont des responsa non contraignants, de simples instruments de persuasion dans le cadre de conflits entre élites234. La question du statut de la justice ecclésiastique se pose donc : le catholicos (et ses représentants) exerçait-il un pouvoir d’adjudication, ou se contentait-il d’intervenir par la médiation et la négociation235 ? Examinons le vocabulaire relatif à la parole du catholicos et de ses représentants, ainsi que les moyens de la sanctionner.
Tableau 7 — Les rescrits du catholicos Ḥnānīšoʿ : le jugement et sa sanction
Nombre de lettres | Numéro des lettres | |
Jugement 1 | ||
Jugement (dīnō) | 1 | no 11 |
Sentence (ḥūrqōnō ; verbe zadeq, « déclarer juste ») | 6 | nos 4, 9, 10, 15, 22, 25 |
Condamnation2 | 1 | no 11 |
Décision (pōsūqō, pūsqōnō)3 | 7 | nos 4, 9, 10, 15, 22, 23, 25 |
Décret (r. g. z. r., « trancher »4) | 2 | nos 4, 24 |
Ordre (pūqdōnō) | 4 | nos 5, 12, 14, 15 |
Exhortation (martyōnūtō) | 3 | nos 5, 11, 12, |
Confirmation (šūrōrō) | 1 | no 7 |
Conseil (melkō) | 1 | no 8 |
Sanction de la non-application | ||
Sanction ecclésiastique | 10 | nos 4, 5, 8, 9, 11, 14 ( ?), 15, 22, 24, 25 |
Sanction temporelle | 2 | nos 14, 22 |
Aucune mentionnée | 3 | nos 7, 10, 12 |
79Comme on peut le constater, la parole du catholicos est parfois appelée « conseil » ou « exhortation ». Mais les termes les plus fréquents pour la qualifier relèvent indubitablement de l’adjudication. Les mots « sentence », « décision », « ordre » et « décret » martèlent ces lettres, suggérant que l’autorité ecclésiastique ne se contente pas de demander : elle ordonne. De surcroît, la mention récurrente de sanctions visant les réfractaires à cette justice montre que la parole du catholicos et de ses représentants est bien de nature judiciaire : leur jugement est considéré comme contraignant. Dans un cas (no 14), le catholicos va jusqu’à réclamer la mise en œuvre de sanctions tant ecclésiastiques que temporelles pour que le condamné soit « contraint » (netēleṣ) d’obtempérer236. Quand bien même la punition prévue n’aurait pas d’effet réel, l’énonciation d’une telle sanction prouve qu’on a ici affaire à des jugements, et non à de simples actions de médiation. Les expressions « adoucies » relèvent en réalité d’une stratégie rhétorique : conformément à la tradition chrétienne que développait déjà la Didascalia apostolorum, le catholicos et ses délégués se présentent en « faiseurs de paix », dont la justice s’apparente à une médecine de l’âme et à un simple moyen de rétablir la concorde parmi les ouailles237. Dans l’idéal, l’Église souhaiterait que les fidèles se plient de bon gré à ses « recommandations » ; en pratique il leur est rappelé que ces recommandations sont obligatoires. Qu’on ne s’y trompe donc pas : sous ce masque rhétorique, la hiérarchie ecclésiastique revendique bien une autorité judiciaire contraignante.
80En raison de l’accent mis par l’Église sur les choses de l’au-delà, l’exécution effective de la sentence passe au second plan – au moins au niveau du discours. Comme le proclame le jacobite Jacques d’Édesse (m. 708), contemporain de Ḥnānīšoʿ, les juges « ne se servent pas de [la parole divine] pour les affaires de ce monde, mais en raison du péché [que représente] l’injustice238 ». Le rééquilibrage prononcé à travers la sentence ecclésiastique est avant tout spirituel. L’effet temporel du jugement fait dès lors l’objet d’interrogations. En théorie, les autorités juives et chrétiennes n’avaient pas le droit, en Islam, d’envoyer en prison ou d’infliger des châtiments physiques239. Le principal type de sanction prévu, remarquent d’aucuns, est l’excommunication240, dont on ne peut surestimer le poids : exclure un individu de l’Église était un moyen d’application bien peu coercitif. Cet argument peut être aisément mis en avant de nos jours, alors que l’Église ne joue plus qu’un rôle marginal dans le tissage des interactions sociales. Il ne faut pas oublier, comme nous l’avons déjà rappelé à propos de la justice syro-occidentale avant l’Islam, que dans les sociétés chrétiennes prémodernes, l’Église jouait un rôle central dans l’organisation de la vie sociale. La sanction d’excommunication n’avait pas seulement pour effet d’exclure l’individu de la participation aux sacrements, mais aussi celui de rompre ses liens sociaux au sein de la paroisse. Exclu de toute participation aux activités collectives, il se retrouvait au ban de la société. La sanction était peut-être légère ; elle n’en représentait pas moins un formidable instrument de pression sur le condamné241.
81Le catholicos et ses représentants jouaient aussi un rôle extrajudiciaire. Dans deux cas (type 5), Ḥnānīšoʿ répond aux lettres de laïcs242 qui l’ont sollicité sur des affaires juridiques (mariages et douaires). Les correspondants du catholicos ne sont apparemment pas encore impliqués dans un procès et lui réclament un avis juridique, peut-être, comme le pense Payne, afin d’exercer une pression plus forte sur leurs adversaires potentiels243. Bien que de tels avis soient eux aussi qualifiés d’« ordres » (pūqdōnō)244, nulle autorité n’est chargée de les appliquer ; il n’y a pas de procès, le catholicos ne fait pas œuvre d’adjudication, et l’avis qu’il donne s’apparente aux fatwā-s que les juristes musulmans de l’époque classique délivraient à des particuliers245. Dans un contexte extrajudiciaire, le catholicos jouait à l’occasion un rôle de « législateur », tout en sachant que sa parole n’était pas contraignante. Mais dans la correspondance préservée de Ḥnānīšoʿ, ce rôle est limité et le patriarche apparaît avant tout sous l’habit d’une autorité judiciaire.
3.2. La codification des procédures au tournant du ixe siècle
82Après l’éclairage direct porté par les lettres de Ḥnānīšoʿ, le système judiciaire syro-oriental replonge dans l’ombre pendant un siècle. Il faut attendre le tournant du ixe siècle pour que la réflexion des juristes chrétiens réapparaisse dans les sources syriaques, non plus dans des actes synodaux ou dans une correspondance officielle, mais à travers de véritables traités de droit ecclésiastique246. Les nestoriens d’Irak et de Perse entreprirent en effet à cette époque de reformuler le droit canonique dans des ouvrages thématiques plus aisés à manipuler, en apportant une réponse ecclésiastique à des questions séculières jusque-là peu abordées dans les synodes247. L’innovation est de taille, mais ne doit pas non plus être surestimée. L’Église antérieure ne négligeait pas les affaires des laïcs, tant s’en faut. Si la littérature synodale en faisait peu état, le clergé, dans la pratique, était quotidiennement confronté aux problèmes juridiques de ses ouailles et devait y apporter sa réponse. Nous avons vu que depuis le synode de Georges Ier au moins, l’Église syro-orientale revendiquait un pouvoir juridictionnel sur ses fidèles, et que le droit développé par Ḥnānīšoʿ dans sa correspondance était avant tout consacré aux affaires séculières. La nouveauté ne résidait pas dans l’intérêt que l’Église portait aux problèmes du bas-monde, mais dans l’approche systématique que certains de ses représentants entendaient maintenant adopter.
83L’élaboration de traités synthétiques répondait à un besoin institutionnel : il fallait offrir aux juges ecclésiastiques des règles précises et adaptées aux interrogations de l’époque. Ces traités ambitionnaient certainement d’augmenter l’efficacité du système judiciaire syro-oriental ; il s’agissait sans doute, comme le dit Putman, de retenir des chrétiens qui, autrement, seraient allés trouver des juges musulmans248. Les affaires quotidiennes des chrétiens faisaient l’objet d’une théorisation juridique insuffisante, et l’Église les traitait de manière peu unifiée. Dès le milieu du viie siècle, le métropolite perse Siméon de Rēv-Ardašīr (actif vers 647-658249) avait constaté cette diversité sans pour autant la critiquer : à ses yeux, les pratiques variées n’en venaient pas moins d’une même tradition apostolique de service de l’Église. Peu désireux de remettre en cause ce pluralisme, le juriste nestorien invitait même ses contemporains à proposer des normes différentes de ses propres canons250.
84Un siècle après, une telle position n’était plus tenable en raison du défi représenté par l’Islam. Dans la seconde moitié du viiie siècle, la réflexion juridique entamée par les musulmans aboutit à la formation de courants juridiques distincts, au sein desquels naquirent les premières grandes synthèses de fiqh – tout particulièrement en Irak, autour des disciples d’Abū Ḥanīfa. Dans l’introduction de son traité de droit, Išoʿbokht constate ce qu’Ibn al-Muqaffaʿ remarquait déjà, quelques années plus tôt, du côté musulman : le droit chrétien est hétéroclite, les pratiques varient selon les régions et reposent sur un empirisme issu de la réflexion individuelle de chaque praticien251. Les musulmans accusaient ainsi les chrétiens d’être des sans-loi252. Sans doute le juriste nestorien entendait-il prouver le contraire – aux yeux des musulmans comme à ceux de ses coreligionnaires. La synthèse qu’Išoʿbokht apporte aux nestoriens s’inscrit ainsi dans un projet d’unification des pratiques et de codification d’une justice ecclésiastique en pleine expansion. S’il s’agit bien, d’un côté, de se défendre contre les potentielles attaques des musulmans, il s’agit également de consolider les fondations d’un édifice institutionnel qui n’a jamais été en aussi bonne santé.
85La chronologie des traités syro-orientaux est difficile à établir, pour la simple raison que les dates du plus grand juriste de l’époque, Išoʿbokht, sont inconnues. Tout au plus peut-on estimer qu’il écrivit à la fin du viiie ou au tout début du ixe siècle. C’est pourquoi, dans ce qui suit, nous commencerons par nous pencher sur deux auteurs secondaires pour notre propos, avant de nous attarder plus longuement sur le traité d’Išoʿbokht.
3.2.1. De Timothée Ier à Išoʿ bar Nūn
• Deux catholicos
86Le premier juriste nestorien à s’être distingué par son œuvre de synthèse est le catholicos Timothée Ier (r. 779-823)253. Patriarche au règne très long – plus de quarante-trois ans –, Timothée s’illustra par ses efforts d’unification de l’Église syro-orientale, minée par les conflits d’autorité. C’est à lui que l’on doit le transfert du siège patriarcal de Séleucie-Ctésiphon (ar. al-Madā’in) à Bagdad254, et les liens étroits qu’il entretint avec les cinq califes sous lesquels il régna (al-Mahdī, al-Hādī, al-Rašīd, al-Amīn et al-Ma’mūn) font jusqu’à aujourd’hui de lui un symbole du dialogue islamo-chrétien des premiers siècles255. L’importance qu’il accordait au droit transparaît dans une anecdote rapportée par un de ses biographes, ʿAmr b. Mattā. Le calife al-Rašīd lui aurait un jour demandé au moment de lever son audience : « Ô père des chrétiens ! Réponds brièvement à la question que je m’en vais te poser : quelle est la vraie religion aux yeux de Dieu ? » Et Timothée de répliquer sans hésitation : « Celle dont les lois (šarā’iʿ) et les préceptes (waṣāyā) sont à l’image de ce que Dieu fait pour Sa création256 ! » Évitant de citer aucun culte257, le catholicos érigeait implicitement le christianisme en religion de la Loi, au même titre que l’islam. La légende s’empara du personnage au point que l’hagiographie chrétienne orientale le voit comme l’auteur d’une ruse juridique qui permit à Hārūn al-Rašīd de garder sa femme Zubayda après qu’il eut juré de la répudier. Il aurait ainsi gagné la généreuse reconnaissance de Zubayda, qui lui aurait dès lors accordé un soutien inconditionnel258. Dans la littérature musulmane, une ruse comparable est attribuée au contemporain du catholicos, le grand cadi Abū Yūsuf259, et c’est à ce dernier que Zubayda aurait décerné ses faveurs260. Cela n’a rien d’une coïncidence : le lecteur cultivé de l’époque médiévale ne pouvait que saisir le parallèle ainsi ébauché entre Timothée et Abū Yūsuf. Ces deux hommes, qui se croisaient certainement au palais califal, qui assumaient l’un comme l’autre les plus hautes responsabilités judiciaires, représentaient chacun pour leur communauté le parangon du juriste de cour261.
87L’œuvre juridique de Timothée, telle qu’elle nous est parvenue, comprend deux volets. Les historiens contemporains regardent en général Timothée comme le probable compilateur du Synodicon orientale (recueil des synodes syro-orientaux)262, qui se termine sur le synode de Ḥnānīšoʿ II en 775, quelques années avant l’intronisation de Timothée263. Bien que spéculative – elle n’est pas étayée par les sources –, l’hypothèse est séduisante et concorde avec l’image du personnage. La réunion des synodes syro-orientaux refléterait le désir de ce catholicos de doter son Église d’une référence juridique stable et accessible – au moins à l’élite du clergé264. Timothée fut par ailleurs l’auteur d’un traité juridique, intitulé Taksē d-dīnē ʿi(d) tōnōyē w-d-yōrtwōtō (« Règles des jugements ecclésiastiques et des successions »), vraisemblablement composé en 804 ou 805265. Malgré son titre, l’ouvrage traite peu d’organisation judiciaire et de procédures, mais s’attache surtout à mieux définir la hiérarchie ecclésiastique, avant de développer un droit des mariages et des successions266. Les 99 paragraphes ou « canons » de cet ouvrage sont rédigés sous la forme de « questions-réponses », style couramment rencontré dans la littérature syriaque – comme, au tournant du viiie siècle, dans les « canons » de Jacques d’Édesse267 – et que l’on retrouve, à la même époque, sous la plume des premiers juristes musulmans268.
88Išoʿ bar Nūn succéda à Timothée Ier en 824 (1135 de l’ère séleucide) et demeura catholicos jusqu’à sa mort en 828 (1139 de l’ère séleucide)269. Timothée et lui, qui étaient contemporains, reçurent ensemble leur éducation religieuse270 et la rivalité intellectuelle qui les opposait se prolongea jusqu’après la mort de Timothée : devenu catholicos, Išoʿ bar Nūn tenta de faire condamner les écrits de son illustre prédécesseur271. Išoʿ bar Nūn, qui fut élu patriarche alors qu’il avait autour de quatre-vingts ans, passa la plus grande partie de sa vie aux monastères de Mār Abrāhām puis de Mār Elias, à Mossoul272. Il assuma aussi, pendant quelques mois, la direction de l’école de théologie de Séleucie/al-Madā’in273, et entre deux retraites fut le précepteur du futur médecin Yūḥannā b. Māsawayh (m. 243/857)274.
89À l’instar de Timothée, Išoʿ bar Nūn s’illustra par la rédaction d’un traité juridique connu sous le titre de Qōnūnē w-nōmūsē w-psōq dīnē (« Canons, lois et sentences »)275. L’ouvrage fut vraisemblablement écrit alors qu’il était catholicos et fut soumis à un synode pour approbation276. Composé non plus sous la forme de questions-réponses, mais comme une liste de 133 cas277 – au conditionnel : si telle et telle chose… alors telle règle278 –, l’ouvrage traite avant tout de droit successoral et de « règles religieuses » (al-aḥkām al-dīniyya selon l’un de ses biographes arabes). Il aurait également été l’auteur d’un autre livre, en soixante-dix « questions et réponses », qui ne semble pas préservé279.
• Leur vision de l’administration judiciaire
Le juge
90Timothée Ier et Išoʿ bar Nūn considèrent la compétence judiciaire des autorités ecclésiastiques comme acquise : même les crimes de sang, avancent-ils chacun de leur côté, doivent être examinés par un tribunal ecclésiastique et non par des juges extérieurs à la communauté (musulmans)280. Pour Išoʿ bar Nūn, le juge des litiges civils est par excellence le « prêtre en chef » ou le « prêtre administrateur » (kōhnō mdabrōnō) – certainement l’évêque281. Dans un autre passage, le même juriste sous-entend néanmoins qu’en pratique, la justice « épiscopale » était rendue au quotidien non par l’évêque, mais par son représentant, « l’archidiacre qui est chargé de la justice ecclésiastique ou autre à la porte du mdabrōnō282 ». Cette dernière précision laisse penser que le tribunal diocésain était généralement tenu par l’archidiacre, qui tenait audience pour les laïcs au palais épiscopal. Les accusations contre un membre du clergé devaient être examinées par l’autorité ecclésiastique immédiatement supérieure283.
91Išoʿ bar Nūn insiste à plusieurs reprises sur l’impartialité qui incombe au juge : du catholicos au diacre, tout clerc qui inclinerait en faveur d’un plaideur lui ayant versé un pot-de-vin (šūḥdō), ou qui ferait preuve de partialité (masab b-apē) à cause de ses sentiments ou pour toute autre raison, devrait être exclu de la prêtrise284.
92La gestion des conflits, chez ces deux juristes, reste empreinte de morale évangélique : tout contentieux ne devrait pas conduire à un jugement, et l’œuvre conciliatrice du juge – les musulmans parleraient de ṣulḥ – reste toujours à l’arrière-plan. Ainsi le créancier est-il incité à faire preuve de compassion vis-à-vis de son débiteur si ce dernier est dans la gêne285, ou le juge à pardonner au voleur si son délit est motivé par le besoin et non par le vice286.
La preuve
93Bien que leurs ouvrages soient manifestement motivés par des questions judiciaires, ni Timothée ni Išoʿ bar Nūn ne consacrent de longs développements au fonctionnement de l’audience ou aux procédures. Ces dernières ne font surface que de manière épisodique.
94Le témoignage apparaît comme le principal mode de preuve : la déposition de témoins véridiques (sōhdē šarīrē) est, selon les termes d’Išoʿ bar Nūn, ce qui rend une affaire « claire et évidente » (gōlō […] w-danīḥ)287. Les juristes du tournant du ixe siècle prêtent une attention particulière à la vérification de la fiabilité des témoins. Comme dans les lettres de Ḥnānīšoʿ, Timothée recommande aux juges d’« enquêter » (etbaḥan) en cas de plainte – en particulier lorsqu’elle touche un ecclésiastique288. L’investigation ainsi préconisée consiste en l’audition de témoins véridiques – et, peut-être, en la vérification que ces derniers font bien partie de « ceux dont on accepte le témoignage289 ». Alors qu’il s’interroge sur certains types de relations avec les musulmans (mašlmōnē) – se demandant par exemple si un chrétien peut préposer un musulman sur sa maison et ses enfants290 –, Timothée envisage le cas où un musulman serait témoin contre un chrétien dans une affaire de dette291. Cela est permis, dit-il, à la seule condition que le musulman soit animé de la « crainte de Dieu » et qu’il soit irréprochable : il peut alors être compté au nombre des témoins « dont on accepte [la déposition]292 ». On ignore cependant si les autorités chrétiennes sont supposées estimer elles-mêmes sa fiabilité, ou si elles s’en remettent à l’évaluation de l’autorité musulmane293.
95Dans certains cas, le témoignage oral ne semble néanmoins pas suffisant et une preuve écrite est réclamée. Si un homme meurt intestat et endetté, ses créanciers peuvent réclamer le remboursement de la dette avant qu’on ne procède au partage successoral. Selon Išoʿ bar Nūn, ils doivent toutefois produire des documents (šṭōrayhūn) prouvant l’existence de ces dettes, ainsi que des témoins véridiques294.
96Le recours au serment, accepté par Ḥnānīšoʿ un siècle plus tôt, faisait toujours l’objet de débats à la fin du viiie siècle. Bien qu’il ne traite pas explicitement du serment judiciaire, Timothée adopte une position si radicale qu’il paraît raisonnable d’en déduire qu’elle s’applique aussi au système judiciaire : un chrétien ne doit ni prêter serment (nīmē), ni demander à quelqu’un de jurer (nawmē), et tout manquement à cette double règle est un péché295. À l’inverse, non seulement Išoʿ bar Nūn accepte le serment judiciaire, mais il le recommande à de multiples reprises. Face à une situation aussi critique, pour des héritiers, que celle où un défunt est mort intestat et couvert de dettes, le juriste préconise que les créanciers, en plus de prouver leurs droits par des documents et des témoins, « finissent par jurer qu’ils n’ont absolument rien récupéré de l’argent prêté296 ». En l’absence du principal intéressé, qui est mort, établir l’existence de la dette ne suffit pas : encore faut-il prouver qu’elle n’a pas été remboursée (ou qu’aucun gage n’a été remis), et le serment des demandeurs est en ce cas la seule issue possible. Il en va de même lorsqu’un défunt intestat a laissé des associés, et que ses héritiers peuvent seulement prétendre à une partie des biens que le défunt partageait avec eux : en cas de doute des héritiers sur la réalité de l’association, il doit être demandé aux associés de jurer – à défaut, l’anathème peut être prononcé à leur encontre297. Dans tous ces cas, le serment incombe au demandeur. Il peut aussi, selon Išoʿ bar Nūn, compenser l’absence de preuve du demandeur. Si un individu accuse un autre d’avoir reçu de lui un dépôt (gūʿlōnō) mais ne parvient pas à le prouver par des témoins, un serment peut être déféré au défendeur298.
97Interdit en théorie, car condamné dans l’Évangile, le serment était en pratique admis dans la procédure judiciaire, peut-être parce qu’il apparaissait incontournable en l’absence d’autres preuves. Išoʿ bar Nūn l’associe alors à l’anathème : il semblerait qu’un anathème (ḥōrmō, lawṭtō) conditionnel prononcé sur la personne du jureur puisse le remplacer299. Une malédiction formulée par un tiers se substitue alors à l’auto-malédiction du jureur, peut-être encore en raison d’une réticence persistante vis-à-vis du serment. Le parjure, s’il appartenait au clergé, se voyait excommunié et irrémédiablement déchu de ses fonctions ecclésiastiques300.
98Il faut par ailleurs remarquer le rôle important que la théorie juridique accordait à l’appréciation du juge. Išoʿ bar Nūn évoque ainsi le cas où un homme mourrait en ne laissant que des petits-enfants (ses propres fils étant morts avant lui). Le juriste recommande que ceux-ci soient proclamés seuls héritiers, et que les frères et neveux du défunt soient exclus de la succession. Si toutefois ceuxci s’opposent à un tel partage, il revient au prêtre de juger l’affaire conformément « à ce qu’il voit » (a (y) k d-ḥōzīn ʿaynaw(hī))301. En pareil cas il ne revient apparemment pas aux plaideurs d’apporter la preuve de leur revendication. Le prêtre, supposé connaître les familles de sa paroisse, doit trancher d’après ce qu’il connaît de la situation familiale des intéressés.
99Enfin, à l’instar des développements constatés dans le droit syro-occidental, Timothée recommande la plus grande intransigeance vis-à-vis des fausses accusations visant un membre du clergé. S’il s’avère qu’un accusateur a menti – pour une affaire relevant du droit pénal –, il doit subir le châtiment encouru par le défenseur302. Ce principe de réciprocité de la peine apparaît encore chez Išoʿ bar Nūn : dans ce qui semble relever d’affaires civiles, un laïc coupable d’une fausse accusation contre un clerc doit être excommunié303. En matière pénale, le principe n’est plus associé au seul clergé : tout accusateur dont le mensonge est révélé au grand jour doit subir la sanction qu’encourrait son adversaire304. On retrouve là un des derniers avatars de la procédure prescrite par la Didascalia, qui manifestait un attachement particulier à la personnalité des plaideurs.
3.2.2. La codification juridique d’Išoʿbokht
100Avec Išoʿbokht, métropolite de Rēv-Ardašīr dans le Fārs305, la codification des procédures atteint un degré de systématisation inconnu jusqu’alors. Son Livre des lois ou des jugements (Maktbōnūtō d-ʿal dīnē)306 est construit en six parties, dont la dernière est en totalité consacrée au droit des procédures307. Le traité est difficile à dater avec précision : son auteur est en effet mal connu. La date de sa mort n’est pas mentionnée par les sources, et les historiens modernes estiment qu’il dut être productif à la fin du viiie ou au début du ixe siècle, autour de l’an 800308. Vraisemblablement nommé métropolite par le catholicos Ḥnānīšoʿ II (r. 773-780)309, il aurait été contemporain de la première partie du règne de Timothée Ier. L’ouvrage d’Išoʿbokht fut à l’origine rédigé en pehlvi/moyen-perse, et la page de titre du manuscrit édité par Sachau précise que la traduction en syriaque fut réalisée sur ordre du catholicos Timothée310.
101D’un point de vue de stricte chronologie, l’ouvrage d’Išoʿbokht est probablement antérieur à ceux de Timothée et d’Išoʿ bar Nūn. Pourtant, à bien des égards, le traité d’Išoʿbokht s’impose comme une synthèse théorique plus aboutie. L’auteur, qui semble avoir bénéficié d’une solide formation en philosophie311, propose un ouvrage original et, dans une large mesure, pragmatique. Les œuvres de Timothée et d’Išoʿ bar Nūn restent tributaires, en ce qui concerne la procédure, de la tradition synodale, et les points de droit qu’ils abordent au cas par cas entendent surtout préciser ou compléter la législation canonique traditionnelle. De son côté Išoʿbokht, chargé de gérer une administration ecclésiastique provinciale, se voit contraint de répondre aux problèmes quotidiens de ses ouailles. De ce fait, sa « synthèse312 » ressortit au droit canonique syro-oriental tout en intégrant nombre de dispositions propres à la tradition zoroastro-sassanide – encore très présente à son époque sur le plateau iranien –, de règles du droit syro-romain et de solutions adoptées par les musulmans313. Son pragmatisme le rapproche, à certains égards, de celui de Ḥnānīšoʿ Ier un siècle plus tôt – à la différence près que son ouvrage propose une systématisation inconnue de Ḥnānīšoʿ.
102La qualité de l’ouvrage fut reconnue par Timothée Ier lui-même, si ce dernier est bien le commanditaire de la traduction syriaque : preuve qu’Išoʿbokht avait réalisé une œuvre avec laquelle ni le catholicos Timothée, ni même son successeur Išoʿ bar Nūn, ne prétendaient rivaliser. Le traité d’Išoʿbokht semble de fait avoir joui d’une renommée pérenne et d’une influence incomparable à celle de ses pairs. Au xie siècle, la synthèse d’Ibn al-Ṭayyib314 repose en grande partie sur Išoʿbokht – sa principale source, notamment, pour tout ce qui a trait aux procédures judiciaires315.
• L’Église et les affaires juridiques
103Dès le début de son ouvrage, Išoʿbokht prend soin de définir trois notions fondamentales : celles de « justice », de « morale » et de « droit ». « La justice (dīnō), écrit-il, est une balance (matqōlō), c’est-à-dire droite, qui départage conformément au droit (nōmūsōīt) et qui attribue à chacun ce qui lui appartient316. » Le dīnō correspond donc au domaine du judiciaire, et il se distingue de la morale (trīṣūtō, litt. « rectitude »)317. « Tout ce qui est [judiciairement] juste (b-dīnō) n’est pas moral, ni tout ce qui est moral n’est sanctionné par la justice318 », explique-t-il. Et Išoʿbokht de donner deux exemples : si X dit à Y qu’il lui donnera quelque chose, mais ne le fait pas, sur le plan de la morale la chose devrait appartenir à Y, mais la justice ne peut la lui attribuer. Si, d’un autre côté, un demandeur produit devant un juge une reconnaissance de dette, alors que le débiteur l’a déjà remboursée sans que le juge le sache, ce dernier condamne le débiteur à rembourser sa dette : la décision est conforme aux règles de la justice, mais non à la morale319. Ainsi la justice repose-t-elle sur deux fondements : en premier lieu, le droit (nōmūsō), c’est-à-dire l’ensemble des règles (pūqdōnē) décrivant « ce que l’on doit faire ou éviter, promettant de bonnes choses à ceux qui les respectent et menaçant de sanctions les contrevenants320 » ; en second lieu, la démonstration/les apparences (metḥawyōnūtō, litt. « ce qui est rendu manifeste321 ») – en d’autres termes la partie de la vérité à laquelle le juge peut accéder grâce aux preuves.
104C’est à ces deux piliers de la justice qu’est consacré le traité d’Išoʿbokht, qui expose nombre de règles de droit (notamment successoral), mais dédie aussi, pour la première fois dans l’histoire du droit syriaque, un chapitre entier au déroulement de l’audience, aux preuves et à leur réception. Faut-il voir là le signe que la judiciarisation de la société chrétienne était désormais pleinement reconnue, au moins par une partie de l’Église – en l’occurrence au Fārs ? Išoʿbokht recourt à une terminologie qui, dans la traduction de son ouvrage, atteint une précision jusque-là inédite dans les écrits syriaques. Peut-être le pehlvi du texte original, imprégné de la longue tradition juridique sassanide, obligea-t-il le traducteur à développer une terminologie adaptée. Une distinction claire est établie entre les plaideurs en fonction de leur rôle dans le procès : au demandeur (bʿōl dīnō qadmōyō, litt. « le premier adversaire » ; parfois qṭīgrōnō, « accusateur »322), qui vient en premier devant le juge, s’oppose un défendeur (bʿōl dīnō (a) ḥrōyō, litt. « l’autre adversaire » ; parfois metqaṭrgōnō, « accusé »323). Le demandeur intente un procès à son adversaire (mqaṭreg l-ḥabreh) devant le juge324. Le procès se conclut par une décision ou une sentence (metpseq/metʿbed… dīnō)325, etc.
105Quelques remarques s’imposent toutefois, qui dérivent de la distinction théorique qu’Išoʿbokht établit entre « justice », « morale » et « droit ». Tout ce qui relève du droit ne nécessite pas de traitement judiciaire, et Išoʿbokht le montre à plusieurs reprises. Dans bien des cas, la bonne volonté des parties ou la médiation de tiers devait permettre aux affaires de se résoudre d’elles-mêmes. Le juriste évoque ainsi le cas où un mari découvrirait la nuit de noce que sa femme n’est pas vierge comme elle le prétendait. S’il paraît évident – notamment en raison de son comportement antérieur – qu’elle a fauté, il n’est pas requis qu’elle soit traduite en justice et elle doit simplement être renvoyée chez son père. Ce n’est qu’en cas de doute concernant sa culpabilité qu’elle est amenée à l’église devant des juges (dayōnē) avec son père et son mari326. Cela pose bien sûr question : comment distinguer les cas où des preuves doivent être produites et un jugement rendu de ceux où la société décide d’elle-même ? Nous reviendrons sur cette question cruciale à propos des présomptions. Ce cas de litige matrimonial laisse en tout cas supposer qu’au quotidien, de telles affaires pouvaient être examinées à l’église (ʿi(d) tō), notamment lorsqu’un serment risquait d’être requis327.
106Notons aussi que le recours à l’Église pouvait intervenir à un stade préjudiciaire, avant que les conflits n’aboutissent au procès. Išoʿbokht évoque ainsi le cas où un homme mourrait couvert de dettes. Plutôt que de se voir impliqués dans un procès sans fin avec les créanciers, ses héritiers peuvent tout simplement renoncer à la succession. Il leur suffit pour cela d’aller à l’église et de déclarer, devant les dirigeants de l’Église (mdabrōnē d-ʿi(d) tō) et en prenant l’assemblée des fidèles à témoin : « Nous renonçons à tous les biens de notre père ; nous [vous] remettons ceux dont nous connaissons l’existence, et jurons [de vous remettre] ceux dont nous n’aurions pas connaissance. » Ils rédigent en outre un acte confirmant leur renonciation à l’héritage en faveur des créanciers, sur lequel les dirigeants de l’Église apposent leur sceau328. Ceux-ci confient alors à un pieux fidèle le soin de répartir les biens laissés par le défunt entre les créanciers et ces derniers ne peuvent plus se retourner contre les (ex-) héritiers329.
107Cette procédure illustre le rôle administratif qui incombait désormais à l’Église dans la gestion des successions330. Ces mdabrōnē d-ʿi(d) tō, dont on ne peut que supposer qu’il s’agit d’ecclésiastiques – peut-être les mêmes qui, à un autre stade, interviennent comme dayōnē, ou leurs assistants ? –, assument ici la fonction de notaires. Sur le plan symbolique, l’institutionnalisation de cette activité permit à l’Église de jouer ce rôle idéal de « pacificateur » qu’elle ne cessait de revendiquer depuis l’Antiquité, en désamorçant des conflits avant qu’ils n’aboutissent au procès. Par leur présence et par leurs sceaux, les mdabrōnē authentifiaient la validité d’un acte juridique par ailleurs entérinée de trois manières complémentaires : par le recours à des témoins, par un serment et par l’établissement d’un document. Ces trois catégories se retrouvent, sans surprise, comme modes de preuve privilégiés dans le cadre d’un procès.
• L’audience
108L’audience s’ouvrait suite au dépôt d’une doléance devant le juge. Il n’y avait apparemment pas de restriction légale pour porter plainte : un fils pouvait accuser son père, une femme son mari, un esclave son maître331. Après présentation de la plainte, il semble que le juge fixait une date pour l’audition des plaideurs, et Išoʿbokht prévoit qu’il convoque (qōrē, litt. « appelle ») le défendeur. Ce dernier devait répondre à la convocation et se comporter correctement à l’audience – ne pas insulter son adversaire ni se battre avec lui, respecter la parole du juge, etc. Dans le cas contraire, le juriste recommande au juge d’admonester le contrevenant, de lui administrer un châtiment (asōrō), voire de l’excommunier332.
109La fixation d’une date pour l’audience pouvait être retardée : Išoʿbokht prévoit le cas où « l’on ne connaîtrait pas la date du jugement333 ». En attendant le procès, les plaideurs étaient libres de vaquer à leurs occupations, et nul ne pouvait empêcher son adversaire de quitter la ville. Le juriste envisage aussi qu’un défendeur, manifestement présent lors du dépôt de la plainte, se prétende trop occupé pour venir au procès quelle qu’en soit la date – allégation dont le juge ne doit pas tenir compte334.
110L’une ou l’autre des parties pouvait demander un délai (zabnō) – le temps de réunir des preuves, ou parce qu’elle devait s’absenter335. Au terme de ce délai, le demandeur, s’il ne pouvait se présenter au procès, avait le droit de déléguer un fondé de pouvoir pour le représenter (mqīm ḥlōpaw(hī) l-nōš wa-mšaleṭ leh b-dīnō) ; il lui remettait un document écrit (ktōbō) contenant le récit de l’affaire, et le juge devait le traiter comme s’il s’agissait du demandeur lui-même. En revanche, Išoʿbokht n’évoque nulle possibilité pour le défendeur de nommer un mandataire, et son absence de comparution à la date prévue pour le procès devait entraîner sa condamnation immédiate336.
111Un demandeur ne pouvait intenter qu’un seul procès à la fois au même adversaire : il devait attendre que le juge ait tranché la première affaire pour attaquer le défendeur sur un autre sujet337.
112Le procès s’ouvrait lorsque les deux adversaires se présentaient devant le juge. Ce dernier entendait sans doute la plainte du demandeur, puis se tournait vers le défendeur et l’interrogeait (mš’al leh) – c’est-à-dire lui demandait de répondre à l’accusation338.
113Cette réflexion théorique sur l’organisation de l’audience judiciaire trouve un écho dans la littérature hagiographique. Dans son histoire monastique, Thomas de Margā (m. ap. 850 ?) évoque un procès mené devant Mār Aḥā, métropolite d’Adiabène en Mésopotamie dans la seconde moitié du viiie siècle339. Plusieurs personnes portèrent plainte contre un individu dont le délit n’est pas précisé. Le métropolite siégeait dans la nef (hayklō) de l’Église et reçut les demandeurs, qui vinrent accompagnés de « témoins oculaires » (margšōyē) et exposèrent devant lui leur accusation (qareb(ū) qbīltōhūn). Le métropolite envoya alors chercher le défendeur (šadar bōtreh). La suite du récit tient plus de l’hagiographie que de l’histoire : conformément à l’idéal de l’Église, qui privilégiait le repentir du pécheur sur la réparation des préjudices, le métropolite aurait blâmé le coupable, l’incitant à reconnaître son méfait et à se repentir. Comme le défendeur refusait, Mār Aḥā invoqua la malédiction divine, et aussitôt la voûte de l’église s’effondra sur la tête du malheureux340. Dans un second récit mettant en scène le même métropolite, des moines viennent porter plainte contre un vieil ermite qu’ils croient coupable de déroger à la règle monastique, et Mār Aḥā leur demande d’aller eux-mêmes chercher celui qu’ils accusent341.
• Le témoignage
114Le témoignage, en général produit par le demandeur342, est un des principaux modes de preuve343. Išoʿbokht pousse sa théorisation beaucoup plus loin que Timothée ou Išoʿ bar Nūn. Comme dans le droit syro-occidental ou même dans la Didascalia apostolorum, le principe du témoignage repose sur des versets de la Bible et des Évangiles344. Pourtant Išoʿbokht s’éloigne sensiblement de l’interprétation syro-occidentale. Le juriste perse considère en effet que la nécessité d’entendre au moins « deux ou trois » témoins peut faire l’objet d’exceptions car cette règle « ne concerne pas les hommes véridiques et craignant Dieu345 ». Si la (bonne) foi d’un homme, sa crainte de Dieu et sa droiture font l’unanimité ; si tout un chacun affirme qu’il n’est ni cupide ni dissimulateur, qu’il n’est pas en conflit avec la personne contre laquelle il témoigne, et qu’il n’incline pas en faveur d’un plaideur en raison de liens de parenté, alors sa déposition doit être crue même s’il est le seul témoin. « Si toutes ces conditions ne sont pas réunies, et que de nombreuses personnes connaissent [le témoin] pour sa rectitude, son absence de cupidité et sa bonne foi, il faut deux ou trois témoins de cette sorte pour que leur déposition soit acceptée346. » Si le témoin n’a aucune de ces qualités, sa parole est suspecte et ne doit donc être prise en considération ; enfin, le témoin connu pour ses mensonges, ses faux témoignages et son injustice doit voir sa déposition irrémédiablement rejetée347. Išoʿbokht s’éloigne ainsi de la division binaire entre témoins fiables et témoins suspects pour définir une troisième catégorie : celle du témoin idéal, dont la parole isolée fait foi. Le nombre de témoins et la confirmation des dires de l’un par les autres n’est plus un critère pertinent dès lors que le témoin est irréprochable à tous points de vue. Le juriste syro-oriental se démarque ainsi non seulement de la tradition chrétienne héritée de l’époque apostolique, mais aussi du droit musulman qui, en cette fin du viiie siècle, n’accepte plus comme preuve le témoignage isolé.
115Le portrait du témoin idéal, tel que le dessine Išoʿbokht, met en avant trois catégories de critères à prendre en compte : la foi ou la piété, la moralité et la neutralité dans l’affaire en cours. Les qualités exigées, supposées empêcher toute déclaration mensongère, doivent être corroborées par les affirmations d’un grand nombre de personnes, ce qui permet d’envisager le recours à des enquêtes – bien que le texte d’Išoʿbokht reste silencieux sur ce point.
116Il est enfin un cas où l’appréciation d’un témoignage semble indépendante de la réputation des témoins : celui où la déposition porte préjudice au témoin luimême ou profite à l’adversaire (de la partie en faveur de laquelle il témoigne). En pareil cas, affirme Išoʿbokht, le témoignage doit être accepté348 : le fait qu’il aille dans un sens inattendu laisse présumer sa véracité. De même, si un document à la valeur suspecte (šṭōrō d-pūšōkō) était produit accompagné de témoins, la suspicion qui le touchait s’étendait aux témoins, et un serment pouvait être déféré au défendeur comme en l’absence de toute preuve349. À un niveau plus général, l’acceptation d’un témoignage reposait sur la prise en considération des présomptions, sur lesquelles nous allons revenir en détail.
117La preuve par témoins n’est pas regardée comme des plus fiables dans l’historiographie syriaque. À plusieurs reprises, la Chronique de Zuqnīn dénonce les abus des chrétiens de Mésopotamie dans la seconde moitié du viiie siècle : quand un juge (dayōnō) exigeait la production de témoins, le plaideur s’en allait sur la place publique et demandait à n’importe qui350 de déposer en sa faveur ; le quidam acceptait de témoigner avant même de savoir de quoi il retournait351. Le chroniqueur se plaint de surcroît que les faux témoins aient été faciles à acheter352. Le pessimisme de l’auteur anonyme de cette Chronique, qui voyait en les malheurs du temps le châtiment divin, invite à considérer son constat avec prudence. Il n’en demeure pas moins que le témoignage, largement utilisé dans la procédure judiciaire, paraissait souvent suspect aux yeux des contemporains d’Išoʿbokht. Ce n’est donc pas un hasard si la preuve documentaire jouissait d’une place considérable dans la procédure.
• Les preuves documentaires
118Les sources narratives témoignent de l’importance de l’écrit dans les transactions en milieu chrétien. L’auteur anonyme de la Chronique de Zuqnīn, déplorant les difficultés rencontrées par les paysans de Mésopotamie pour payer leurs impôts, évoque comment ceux-ci devaient recourir à des usuriers qui exigeaient d’eux des « écrits » – c’est-à-dire des reconnaissances de dette susceptibles d’être produites contre eux353. La preuve documentaire est acceptée par Išoʿbokht comme elle l’était de ses prédécesseurs. En principe présentée par le demandeur354, elle semble tantôt une alternative au témoignage355, tantôt un mode de preuve complémentaire, notamment en cas de dette : le juriste évoque une quittance (ktōbō d-pūrʿōnō) que le débiteur est supposé produire, en plus de ses témoins, pour prouver qu’il a remboursé son créancier356. Tout se passe comme si la preuve idéale était mixte – composée à la fois d’un nombre suffisant de témoins et d’un écrit.
119La preuve écrite pouvait néanmoins se suffire à elle seule. Un document, même ancien, devait être pris en considération et, après examen de son authenticité, donner lieu à un jugement :
Si un homme intente un procès à un autre à propos d’une affaire ancienne, et apporte au milieu [du procès] un vieux document, l’ancienneté du cas ne nous empêche pas de rendre un jugement. Nous devons observer le vieux document qu’il amène, l’examiner et enquêter à son sujet, et seulement ensuite rendre notre jugement357.
120Les verbes « observer » (neḥzē), « examiner » (nbaḥen) et « enquêter » (nʿaqeb) sont trop généraux pour reconstituer la procédure précise. Peut-être, si le document comporte les noms de témoins, le juge doit-il essayer de retrouver ces derniers. L’observation et l’examen requis de lui laissent néanmoins penser qu’une partie importante de l’authentification passait par le sceau apposé sur le document.
Sceaux
121Le sceau (ḥōtmō) s’avérait en effet essentiel pour authentifier le document et en déterminer la valeur. Išoʿbokht commence ainsi le sous-chapitre qu’il consacre à la preuve écrite :
Le document authentique358 est celui qui porte le sceau de membres du clergé, de rois ou de gouvernants (šalīṭōnē) ; [de tels documents sont ainsi] approuvés et entérinés. [Le document] suspect est celui qui porte les sceaux de témoins.
Quand un document authentique est apporté à des juges, ils l’utilisent [en le considérant conforme à] la vérité. En revanche, [les documents] portant les sceaux de témoins doivent faire l’objet d’une enquête. Si les témoins qui ont scellé le document sont dignes de confiance (mhaymanīn), connus de tous dans ce pays et cette Église pour leur crainte de Dieu, et s’il existe des témoignages honorables à leur sujet, nous le traitons comme s’il s’agissait d’un document authentique. Mais s’il n’en va pas ainsi, nous doutons de son [authenticité]359.
122La synthèse d’Išoʿbokht esquisse ainsi un système de preuves légales hiérarchisées : au sommet se tient le « document authentique », rendu indiscutable, comme chez les Sassanides360, par le sceau des plus hautes autorités laïques ou ecclésiastiques. De valeur moindre, l’écrit scellé par des témoins privés ne constitue pas une preuve indiscutable et doit donner lieu à des vérifications. Enfin, en bas de l’échelle, vient le simple témoignage oral361.
Originaux et copies
123La valeur probatoire du document ne résidait pas uniquement dans le sceau qui l’accompagnait. Un écrit original vieux et « rongé » par le temps – vraisemblablement mutilé – semblait avoir perdu une partie de sa valeur, même s’il était frappé d’un sceau authentique. Si le document original était accompagné d’une copie (paršagnō, mot d’origine perse), les présomptions devenaient néanmoins assez fortes pour que le juge puisse le prendre en considération et le traiter comme un écrit authentique. C’était là, affirme Išoʿbokht, une des spécificités du système judiciaire syro-oriental : « Les juges séculiers ne rendent pas de jugement sur la base d’une copie de document362 », dit-il.
124Mais la copie n’avait elle-même valeur de présomption qu’en vertu du fait qu’elle portait elle aussi un sceau363. Les copies de certains documents, à l’instar des testaments et des actes d’affranchissement, avaient valeur de preuve si elles étaient scellées, même si elles n’étaient pas accompagnées de l’original364. Les copies de reconnaissances de dettes faisaient toutefois exception365, et celles d’actes de vente devaient faire l’objet d’une enquête (ʿūqōbō) par le juge366.
Faux et usage de faux
125La valeur juridique de l’écrit rendait l’Église particulièrement attentive aux risques de faux. Išoʿbokht distingue plusieurs catégories de documents : le document simplement « corrompu » (štōrō da-srīḥ), le faux élaboré de toutes pièces (štōrō d-šūqrō, litt. « document mensonger »), et le document « falsifié et trafiqué » (štōrō da-b-pūrsō w-tūkōnō metʿbed). Qu’un individu soit trouvé en possession d’un document corrompu, et il doit subir une sévère correction : ses cheveux et sa barbe doivent être tondus et il doit se tenir à la porte de l’église, pendant au moins un mois, vêtu d’un simple sac et couvert de cendres367. Si l’on trouve quelqu’un en possession d’un faux, le (présumé) faussaire doit assumer toutes les pertes occasionnées par le faux ou, en l’absence de préjudice, payer une amende équivalente aux pertes potentielles, dont le montant sera distribué en œuvres charitables. La sanction est beaucoup plus forte si, en plus de cela, le faussaire a apposé son sceau sur le faux : il doit se voir frappé d’interdit et « attaché »368 ; par la suite son témoignage doit être systématiquement rejeté et l’homme doit être désormais considéré comme indigne de confiance369. Quant à la fabrication et à l’usage de documents trafiqués, elle expose au blâme et à l’exclusion de l’Église370.
Procédures spécifiques
126Le recours à la preuve documentaire permit le développement de procédures exceptionnelles. Une affaire douteuse pour laquelle le plaideur ne pouvait produire aucune preuve écrite tournait vite court : le juge ne devait pas se prononcer. Si en revanche le plaideur pouvait faire parvenir un document à un autre juge que celui auquel il s’était présenté, le juge qui avait vu le document pouvait témoigner devant le magistrat en charge du procès371. Une telle procédure, où un écrit n’est pas soumis au juge de l’affaire mais à un magistrat éloigné qui agit ensuite en tant que témoin, peut être interprétée comme une procédure épistolaire. La correspondance entre juges aurait ainsi permis à un demandeur de faire valoir une preuve documentaire qu’il n’avait pas en sa possession au tribunal, mais qu’il pouvait faire produire devant un juge éloigné. Dans le détail, cette hypothèse reste spéculative car le texte d’Išoʿbokht est trop concis pour autoriser aucune certitude. Il est clair, en revanche, que la preuve écrite donne ici lieu à une procédure spécifique.
127Malgré la confiance qu’Išoʿbokht place en l’écrit, le juriste montre qu’en certains cas il n’a pas lieu d’être pris en considération. Si un créancier produit une reconnaissance de dette (štōr ḥawbōtō) et prétend que son débiteur ne lui a rien remboursé – ce que ce dernier nie –, le document ne peut rien prouver puisqu’il établit l’existence de la dette mais ne dit rien du remboursement. Le créancier demandeur doit donc trouver d’autres preuves et le juge l’écoute « comme quelqu’un qui n’aurait apporté aucun document372 ».
• La charge de la preuve
128Selon Išoʿbokht, la preuve testimoniale peut être réclamée tant au demandeur qu’au défendeur. Le juriste expose des situations où, en apparence, le défendeur se voit réclamer la preuve de son innocence. Si un créancier attaque son débiteur en justice pour exiger remboursement, et si ce dernier nie sans pouvoir prouver son innocence par le biais de témoins ou de documents établissant qu’il a réglé sa dette, le débiteur doit être condamné, quitte à ce que le juge revienne plus tard sur sa décision au vu de preuves373. En apparence, donc, la preuve est ici demandée au défendeur qui se contente de nier devoir quoi que ce soit – il répond à l’accusation en disant « je ne dois rien » (lō ḥōyeb (e) nō)374. Deux siècles et demi plus tard, Ibn al-Ṭayyib interprète différemment ce passage, considérant que le débiteur ne se contente pas de nier mais prétend avoir remboursé sa dette (iddaʿā l-qaḍā [sic])375, ce qui le place non plus en position de défendeur mais de demandeur (muddaʿī). S’agit-il là d’une rationalisation influencée par la procédure musulmane, qui veut à cette époque que la charge de la preuve n’incombe qu’au demandeur ? Ou faut-il penser qu’Išoʿbokht considérait déjà, implicitement, que le débiteur prétendait avoir remboursé sa dette et devait donc prouver son affirmation ? Le texte syriaque d’Išoʿbokht, en tout cas, n’évoque qu’un débiteur en position de défendeur, ce qui montre soit que l’auteur considérait que la charge de la preuve pouvait incomber au défendeur, soit que le droit chrétien n’était alors pas assez systématisé pour qu’Išoʿbokht (ou son traducteur) ressente le besoin d’expliciter que le débiteur se trouvait alors en position de demandeur.
• Le serment
129Le serment, nous l’avons vu, faisait encore l’objet de controverses à la fin du viiie siècle, entre un Timothée qui le condamnait sans rémission et un Išoʿ bar Nūn qui préconisait d’y recourir. De son côté Išoʿbokht, conscient de l’utilité de cette preuve dans la procédure judiciaire, entreprend d’en justifier la pratique :
Concernant les serments, Moïse a donné la loi suivante : « Tu ne prêteras pas de serment mensonger » (Lev. 19 : 12). Puis notre Seigneur a ordonné : « Ne jurez pas du tout ! » (Matt. 5 : 34). Quant à nous, cependant, pour raison de nécessité (ananqī), il nous arrive parfois de prescrire le recours à des serments. Ce n’est point que nous nous opposions au commandement de notre Seigneur ; l’apôtre saint Paul lui-même ne s’opposait point à notre Seigneur quand il disait que « les hommes jurent par Celui qui est plus grand qu’eux, et leurs différends trouvent un terme définitif dans le serment » (Heb. 6 : 16).
Notre Seigneur n’a instauré cette loi ni pour les affaires de ce monde, ni pour les juges rendant la justice dans ce type [d’affaire]. Tu vois bien qu’Il a ordonné : « Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui l’autre joue. Si quelqu’un veut t’intenter un procès et prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau ! » (Matt. 5 : 39-40.) Ce n’est pas pour autant que, si un homme vient se plaindre devant nous qu’un autre l’a giflé, nous lui ordonnons de tendre l’autre joue ; ni pour autant que nous ordonnons à celui auquel on a pris sa tunique de donner son manteau. Notre Seigneur a en effet défini cette loi pour Ses apôtres, qui avaient une conscience parfaite de toutes les affaires de ce monde, et à qui Il a également demandé de porter leurs croix et de le suivre376. [Cette règle] s’offre à la volonté de ceux qui désirent s’approcher de la perfection absolue. Il en va de même quand Il recommande : « Ne jurez pas du tout ! » [Cette injonction] ne signifie pas qu’il est interdit [de jurer] dans le cadre de procès opposant des hommes, procès qu’il serait impossible de mener à bien sans recours aux serments. C’est à l’intention de Ses disciples qu’Il a formulé cette recommandation, car ils étaient justes et il n’était pas nécessaire qu’ils recourent aux serments : ils disaient ce qui était comme cela était, et ce qui n’était pas comme cela n’était pas.
En revanche, parce que nous réservons un traitement judiciaire aux affaires de ce monde, nous ne pouvons de notre côté nous passer des serments lorsque nous rendons la justice entre les hommes. C’est pourquoi nous nous appliquons autant que possible à admonester les plaideurs : nous [les instruisons] de ne pas prêter ni faire prêter de serment s’ils peuvent l’éviter, de se réconcilier et de se comporter de manière intègre pendant le procès. Le demandeur qui intente un procès à son compère a bien souvent tendance à réclamer de lui un serment ; nous lui conseillons, autant que possible, de ne pas le faire jurer et de supporter – confiant dans la rétribution divine – l’injustice qui lui est faite. Mais si le juge souhaite [recourir au serment], nous ne l’en empêchons pas.
Quant au défendeur, il ne nous est pas souvent possible de lui interdire de prêter serment. En effet, on lui réclame souvent quelque chose qui est au-dessus de ses forces, ou à laquelle il ne comprend rien. Même à celui-là, nous recommandons dans la mesure du possible de ne pas jurer. Mais s’il n’y a pas d’autre moyen, nous ne lui refusons pas de [faire usage] de son droit [de jurer]377.
130Bien qu’il soit moralement répréhensible en théorie, le serment n’en est pas moins indispensable au bon fonctionnement de la justice : Išoʿbokht recourt ici au concept de « nécessité » (ananqī), équivalent de celui de ḍarūra qui se développa à l’intérieur de l’Islam378. La pratique judiciaire nécessite l’adoption de solutions pragmatiques, même en décalage avec la parole divine.
131Le serment devient un mode de preuve acceptable lorsque le demandeur est incapable de produire de témoignages ou de document379, ou encore, en certains cas, lorsque les présomptions sont insuffisantes380. Sur le plan purement théorique, Išoʿbokht préconise que le serment commence par être déféré au défendeur qui peut parfois, à son tour, demander au juge de référer le serment au demandeur381. Dans certains cas, cependant, le serment ne pouvait être référé, par exemple lorsque le gardien d’un dépôt était traduit en justice après l’avoir perdu (du fait de sa négligence ou des mauvaises intentions de tiers, des voleurs par exemple) : en l’absence de témoin, le juge ne pouvait que demander au défendeur de jurer de sa bonne foi382.
132Dans la pratique, selon les cas abordés par Išoʿbokht, le serment pouvait en réalité être réclamé soit au demandeur, soit au défendeur. En cas d’accusation d’adultère portée sans preuve par un mari contre son épouse, le serment revenait à l’époux (demandeur) si la femme était connue pour ses mauvaises mœurs, et à l’épouse (défenderesse) si tel n’était pas le cas383. Si le mari accusait sa femme de ne pas avoir été vierge au moment du mariage, il incombait à l’épouse (défenderesse) de jurer384. En cas de litige relatif à la propriété d’un bien, le serment pouvait être déféré soit à une partie, soit à l’autre385. De fait, l’invitation à jurer ne dépendait pas du rôle de la partie dans le procès (défendeur ou demandeur), comme dans le droit musulman classique, mais de présomptions : la partie supposée la plus susceptible d’affirmer la vérité était appelée à jurer, et ce n’est qu’en cas de refus que le serment était référé386. Nous allons y revenir.
133Le serment faisait l’objet d’un rituel religieux. Dans le cas où un mari accusait sa femme de ne pas avoir été vierge au moment du mariage, celle-ci pouvait se voir demander de prêter serment à l’église, « devant le saint autel (madbḥō)387, les Évangiles et le signe de croix388 ».
• Présomptions et preuves circonstancielles
134Le chapitre qu’Išoʿbokht consacre aux procédures s’ouvre sur une apologie du système judiciaire syro-oriental, dont l’auteur exalte la principale vertu au regard des systèmes judiciaires « étrangers » (da-l-bar) : contrairement aux tribunaux extérieurs, qui n’écoutent pas un demandeur si celui-ci n’apporte pas des témoins véridiques et/(ou ?) un document authentique (šṭōrō šarīrō) – ou si les preuves produites sont suspectes –, les tribunaux nestoriens écoutent les plaideurs quoi qu’il arrive. Et le juriste d’expliquer :
C’est que, de notre côté, nous [prenons en considération] ce que nous savons et ce dont nous sommes persuadés389. En effet, nombre d’individus donnent à d’autres en secret, sans que nul ne le sache. Tant que le demandeur n’est pas connu pour être menteur, pour lancer de fausses accusations et pour son goût pour les procès, nous entendons ce qu’il a à dire, même s’il n’apporte ni document, ni témoins. Et nous lui rendons justice conformément au bon droit390.
135L’identification des tribunaux « extérieurs » dont parle Išoʿbokht est malaisée. Uriel Simonsohn y voit une allusion évidente aux tribunaux musulmans auxquels pouvaient recourir les chrétiens391, interprétation que justifie, au paragraphe suivant, une interdiction plus explicite de recourir au « juge païen » (dayōnō ḥanpō)392. Il faut néanmoins observer que l’écrit ne fait pas partie des preuves généralement réclamées par les tribunaux musulmans. On ne peut donc exclure que cette comparaison vise (ou touche aussi) d’autres tribunaux – chrétiens jacobites ou melkites, hypothèse que Simonsohn ne formule pas. Comme nous avons eu l’occasion de le voir, le droit syro-occidental des premiers siècles de l’Islam reconnaît également la preuve documentaire, mais n’évoque nulle part la possibilité qu’a le juge de fonder sa décision sur sa propre appréciation de la fiabilité du demandeur. Quoi qu’il en soit, la spécificité du système syro-oriental réside, selon Išoʿbokht, dans la capacité du juge à estimer le bien-fondé d’une plainte en fonction de la réputation du demandeur. Ce mode d’appréciation, auquel on trouve encore des allusions dans les écrits d’Išoʿ bar Nūn, se trouvait déjà au cœur de la Didascalia apostolorum et affleurait peut-être dans la correspondance de Ḥnānīšoʿ. Pour Išoʿbokht, ce principe est essentiel et distinctif : la réputation d’un demandeur a valeur de présomption, et peut éventuellement dispenser des autres modes de preuve.
136Au fondement de la présomption, il y a la connaissance ou la reconnaissance d’un fait. Ainsi, Išoʿbokht explique que la propriété d’un bien est établie quand « tout le monde » en a connaissance (īdīʿūtō) ou, à défaut, un certain nombre d’hommes « bons et renommés » (ṭōbē w-šapīray šmō) ; à l’inverse, une possession non reconnue par autrui est considérée comme indue393. En cas de procès, le juge ou ses hommes de confiance peuvent donc, à défaut d’autres preuves, mener une enquête (ʿūqōbō) et interroger – devant les plaideurs ou en secret – les habitants de leur région ou de leur village ; le jugement est ensuite rendu en fonction des conclusions des investigations394. La possession d’un bien sur la longue durée – plus de cinquante ans, ou la transmission sur trois générations – valait également présomption de propriété. De surcroît, cette présomption pouvait revêtir une valeur telle que les autres preuves s’effaçaient : pour peu que, en plus de cette durée, le bien ait été transmis par des personnes « non connues pour leur recours à la fraude, pour leur autorité ou pour leur usage de la force », la présomption de propriété qui en résultait était considérée comme supérieure à un document authentique395. Qu’un adversaire se présente et revendique le bien en apportant un tel document, et ce dernier perdait toute valeur probatoire. Présomption de propriété et écrit authentique s’annihilaient, et il ne restait plus, pour départager les plaideurs, qu’à recourir au serment – d’abord déféré au possesseur de l’objet du litige, puis éventuellement référé au demandeur396.
137Il ressort que la prise en compte de telles présomptions faisait de l’enquête (ʿūqōbō) une étape essentielle de nombreux procès : il convenait avant toute chose de déterminer de quel côté penchait la balance. Si un demandeur (X) réclamait un bien en possession de son adversaire (Y), affirmant qu’il possédait autrefois ledit bien et que Y s’en était emparé, le juge devait déterminer si X avait effectivement été, jadis, en possession de l’objet du litige et diligentait une enquête à cet effet397. Ce n’est que dans un second temps, en fonction du résultat des investigations, que des preuves étaient réclamées à l’un ou l’autre des plaideurs – acte de vente, témoins ou serments398.
Quand la présomption l’emporte sur la preuve
138De telles présomptions avaient également une incidence sur la prise en compte des preuves légales. En cas de dispute sur la propriété d’un bien (aux mains d’un défendeur), les documents authentiques produits par le demandeur n’avaient manifestement pas d’effet juridique si le défendeur était en possession du bien depuis plus de cinquante ans (ou trois générations)399. De même, la production d’une reconnaissance de dette par un demandeur contre son débiteur peut-elle avoir un effet nul auprès du juge « si l’on sait (metīdaʿ) que [le débiteur] a remboursé une partie [de sa dette]400 ». Nous avons vu plus haut que la preuve documentaire d’une dette ne signifiait pas que celle-ci n’avait pas été remboursée. Il est possible, néanmoins, qu’en ce cas la présomption constitue un élément clé : si le savoir collectif (certains diraient : la rumeur) suggère que le défendeur est innocent, le document n’est pas pris en compte ; s’il laisse penser que le défendeur est coupable, l’écrit, bien qu’il ne puisse servir de preuve en ce cas, peut constituer un indice de plus pointant vers sa culpabilité. Il en va de même quand un demandeur produit la preuve écrite d’un achat : s’il « est connu » que le demandeur s’est en fait rétracté et a repris son argent, l’acte d’achat doit être regardé comme suspect par le juge et ne doit pas être pris en considération401.
Effet des présomptions sur la charge de la preuve
139Certaines présomptions pouvaient renverser la charge de la preuve. Si le juge suspectait la culpabilité du défendeur (détenteur d’un objet revendiqué par son adversaire), il ne revenait plus au demandeur de prouver sa prétention, mais au défendeur de prouver qu’il n’était pas coupable. Si une enquête permettait de suspecter une appropriation frauduleuse ou forcée, l’absence de production d’un acte d’achat par la partie en possession du bien en litige renforçait encore les présomptions pesant contre elle402. De même, quand un fils était en possession d’un bien de son père (encore en vie), ou si quelqu’un utilisait un esclave non connu pour lui appartenir, il leur revenait de prouver la validité de leur possession par un document écrit ou la production de témoins403.
140Le serment pouvait incomber à l’un des plaideurs en fonction de la présomption d’innocence ou de culpabilité pesant sur la personne du défendeur. Mettons qu’un homme accuse son épouse d’adultère – car il l’a surprise avec son amant – mais ne puisse produire de témoins ; si la femme est connue pour sa lascivité et son comportement licencieux, le serment incombe au mari (demandeur) et entraîne la sentence du prêtre, qui prononce alors la séparation des époux. Si, en revanche, la femme jouit d’une bonne réputation, c’est à elle (en position de défendeur) de jurer de son innocence, auquel cas le prêtre maintient ensemble les deux époux404. Il en va de même lorsque la propriété d’un bien ne peut être établie avec certitude, ni par la production de preuves légales, ni par la reconnaissance publique : le serment est alors déféré à celui en faveur duquel les présomptions penchent le plus (parce que la rumeur publique lui profite)405. Dans ces cas, au moins, le serment incombe à celui des plaideurs vers lequel tendent les présomptions.
141Celles-ci pouvaient parfois entraîner à elles seules une condamnation. Selon Išoʿbokht, si un mari accuse sa femme de ne pas avoir été vierge au moment de leur mariage, et que celle-ci est « connue » (metīdʿō) pour ses mauvaises mœurs, elle est renvoyée chez son père sans plus de preuves406. La réputation d’une personne, ce que l’on « connaissait » d’elle, ce qui était « évident » (galyō) aux yeux de tous pouvait ainsi l’emporter en l’absence d’autre preuve. En cas de dispute entre les héritiers d’un débiteur et ses créanciers à propos du gage laissé par le débiteur, le gage pouvait être vendu à la seule condition que les juges de l’Église et certains laïcs en connaissent (īdaʿtō) l’existence407.
142À ce type de présomption sont apparentés certains signes matériels que le juge pouvait prendre en compte. Quand un plaideur accusait son adversaire de produire un document falsifié, le juge ne devait l’écouter à moins que le plaideur n’en apporte la preuve (par des témoins) ou que lui-même ne constate les signes d’une telle falsification : la « preuve » (mḥawiyū), constituée de témoins (sōhdē) et produite par un plaideur, peut être suppléée par la « connaissance » (īdīʿūtō), fruit de l’observation de « signes » (šū(w) dōʿē, même racine que īdīʿūtō) par le juge408.
• Le jugement
143Išoʿbokht considère la fonction de juge ecclésiastique comme particulièrement délicate : en raison de sa place dans la société, le prêtre investi de pouvoirs judiciaires doit veiller à ne pas encourir les reproches de ses ouailles, et à ne pas susciter de murmures à son encontre. Or prononcer un verdict juste et équilibré s’avère souvent difficile. C’est pourquoi, dit-il, les juges ecclésiastiques, parce qu’ils sont les éducateurs (malpōnē) de la chrétienté, doivent recourir tant à des formes « inférieures » qu’à des formes « supérieures » de jugement (ḥasīrūt dīnō et yatīrūt dīnō)409. Il entend par là – explique-t-il – que les juges « doivent prodiguer des conseils (melkō) et user de l’admonestation (martyōnūtō), et non donner des ordres (pūqdōnō) aux plaideurs410 ». Il est donc préférable de ne pas rendre de jugement et que les ecclésiastiques, dans la mission pacificatrice qui leur incombe, parviennent à convaincre les parties de faire preuve elles-mêmes de justice. Dans l’idéal, le juge-prêtre devrait se contenter de son rôle de guide pastoral411 et ne pas exercer d’autorité contraignante. Après tout, comme le rappelle Išoʿbokht, Jésus et ses apôtres n’étaient pas tournés vers les affaires de ce monde et n’ont pas parlé de la justice humaine : seul le verdict de Dieu compte véritablement, et c’est la crainte de ce jugement à venir qui doit pousser les hommes à respecter les commandements divins et à ne pas tomber dans le péché412.
144Cela signifie-t-il que, pour Išoʿbokht, le juge ne prononce jamais de jugement ? Sans doute pas. En formulant cet idéal de prêtre médiateur et conciliateur, l’auteur inscrit sa réflexion dans une longue tradition, remontant à l’Antiquité et insistant sur le rôle pastoral du clergé. Les hommes ayant atteint la vertu parfaite ou la crainte de Dieu suprême n’ont pas besoin de recourir aux procès : le système judiciaire est fait pour les gens de peu de conscience, enclins à l’injustice et animés par leurs passions tels des enfants413. Les conseils et admonestations du juge ne suffisent donc pas toujours : tel est bien le sens de tout le chapitre 6 de son traité, qui décrit des procédures conduisant le juge, en règle générale, à se prononcer. Conseils et admonestations constituent une étape qui, dans l’idéal, devrait suffire à mettre fin au conflit. S’ils se heurtent à la mauvaise volonté des plaideurs, en revanche, le juge-prêtre doit trancher. Il demeure possible que ce jugement n’adopte pas toujours la forme d’une sentence exécutoire, mais puisse aussi, pour sauver les apparences, se traduire sous la forme d’un accord à l’amiable entre les plaideurs, comme il arrivait souvent dans l’Antiquité tardive414.
145En raison sans doute de son inscription dans une rhétorique de pacification et de médiation, le traité d’Išoʿbokht s’étend d’ailleurs peu sur le statut du verdict. Tout au plus apparaît-il que la sentence prononcée par le juge ecclésiastique est susceptible de révision. Selon Išoʿbokht, un débiteur incapable de prouver qu’il a remboursé sa dette peut être condamné, mais s’il produit plus tard les preuves demandées, un nouveau jugement peut être rendu en sa faveur ; les biens qu’il aurait été obligé de vendre pour payer son créancier lui sont alors restitués avec intérêts415.
CONCLUSION
146L’effondrement de l’Empire sassanide et le recul de l’Empire byzantin jusqu’aux monts Taurus lors des conquêtes arabes eut un impact important sur l’évolution des justices communautaires. Les changements apportés au fonctionnement des tribunaux rabbiniques sont peu visibles pour les quatre premiers siècles de l’Islam à cause du manque de sources produites à cette période. Il est probable que leurs pratiques, ancrées dans la tradition talmudique, n’aient mué que lentement. Les responsa gaoniques les plus anciens permettent néanmoins de constater plusieurs réformes des procédures, notamment relatives à la position des plaideurs à l’audience et à la prestation de serment. Un des développements les plus significatifs concerne la forme désormais prise par le droit : les gaons légiféraient par le biais de leurs responsa, et à partir de la fin du viiie et surtout du ixe siècle apparurent des traités juridiques qui se distinguaient du Talmud, et qui prirent parfois la forme très pragmatique de manuels destinés à la rédaction des documents juridiques.
147La chute des empires eut une incidence plus profonde sur les chrétiens du Proche-Orient. Alors que la justice des Églises syro-occidentale et syro-orientale occupait une position marginale au sein de deux empires dotés de fortes structures judiciaires, la disparition des institutions byzantines et sassanides laissa le champ libre au renforcement de la justice ecclésiastique. Certes, toutes les structures byzantines ne disparurent pas du jour au lendemain et l’exemple de l’Égypte montre que les autorités locales continuèrent d’administrer la justice comme elles l’avaient fait avant l’Islam. Malgré la survivance d’une concurrence laïque forte, l’Église acquit probablement un rôle essentiel dans la résolution des conflits. Les institutions que mirent en place les nouveaux pouvoirs musulmans ne tardèrent pas à proposer une nouvelle alternative aux tribunaux chrétiens. Mais une justice musulmane mit longtemps à trouver ses marques et à offrir un système stable et prévisible. Entre-temps, l’Église avait renforcé ses prérogatives judiciaires et revendiquait, plus qu’elle ne l’avait jamais fait avant l’Islam, la place qu’elle entendait désormais tenir de manière exclusive auprès des fidèles.
148La disparition des deux empires laissa les Églises syro-occidentale et syroorientale sans autre référent que leurs propres législations. La justice ecclésiastique pouvait suivre son cours sans l’appui systématique d’un droit canonique civil et pénal : ainsi fonctionnait-elle déjà dans l’Antiquité tardive. Les anciens droits et la coutume proposaient un arsenal hétérogène, mais suffisant. En cas de doute, l’autorité des plus hauts représentants de l’Église – comme le catholicos Ḥnānīšoʿ – pouvait être sollicitée. Néanmoins, dès les premières décennies qui suivirent l’apparition de l’Islam, les nestoriens ressentirent le besoin de renforcer les fondements juridiques de leur société et se mirent à rédiger des traités. Ceux d’Išoʿyahb (catholicos de 650 à 658) et de Ḥnānīšoʿ n’ont pas survécu. Peut-être s’agissait-il d’ouvrages réduits, comme celui de Siméon de Rēv-Ardašīr qui, au milieu du viie siècle, se penchait surtout sur le droit des successions416. Chez les jacobites, dès la fin du viie ou le début du viiie siècle, un Jacques d’Édesse s’engageait dans la constitution de canons adaptés à la société postconquête. Sans un arsenal juridique répondant aux questions cruciales de la vie quotidienne des fidèles – mariages, successions, transactions, etc. –, la justice ecclésiastique risquait d’offrir des solutions hétérogènes et peu prédictibles par les plaideurs.
149L’intense réflexion juridique à laquelle s’adonnèrent les musulmans, qui aboutit à la fin du viiie siècle à l’apparition des premières grandes collections de fiqh, entraîna-t-elle par contrecoup un mouvement similaire dans la chrétienté orientale et, à moindre échelle, dans le judaïsme ? Est-ce poussés dans leurs retranchements que les chrétiens développèrent leur droit ? Un dialogue syriaque mettant en scène le conquérant ʿAmr b. Saʿd et le patriarche Jean417, dans lequel le premier met le second au défi de prouver que les chrétiens ont des lois écrites dans l’Évangile, pourrait le laisser penser418. Les autorités chrétiennes se sentaient sommées de justifier la validité de leurs institutions419. Pour garder leurs fidèles, sans doute était-il aussi nécessaire de leur démontrer la capacité de l’Église à fournir un cadre stable à l’exercice de la justice420.
150Il demeure que les chrétiens avaient, en apparence, une longueur d’avance sur les musulmans. Les plus anciens traités de droit canonique oriental qui nous soient parvenus sont un court ouvrage sur le mariage, composé par le catholicos Mār Abbā (r. 539-561), et le traité principalement consacré aux successions par Siméon de Rēv-Ardašīr (milieu viie siècle)421. Ce dernier ouvrage précède d’un siècle les plus anciens traités musulmans qui aient survécu. Si les nestoriens prirent manifestement de l’avance par écrit, en raison peut-être de leur tradition scripturaire antérieure, leur production semble néanmoins s’inscrire dans le même mouvement de théorisation juridique qui entraîna l’Islam. Les grandes systématisations canoniques qui sont l’œuvre, en Irak et en Iran, d’Išoʿbokht, de Timothée et d’Išoʿ bar Nūn – incorporant à différents degrés des règles de droit procédural – virent le jour à la fin du viiie siècle, tandis qu’apparaissaient au même endroit les premiers traités généraux de fiqh, notamment ceux des ḥanafites Abū Yūsuf et al-Šaybānī.
151Y eut-il influence d’un milieu religieux sur un autre ? Encore faudrait-il, pour répondre par l’affirmative, pouvoir déterminer l’antériorité d’un système. L’ancienneté du droit et des institutions juifs est incontestable, et nous reviendrons plus loin sur les modèles que ce système put représenter aux yeux des premières générations de musulmans. Néanmoins, les sources préservées pour l’époque gaonique laissent penser que les juifs se mirent plus tardivement à composer des monographies juridiques comparables à celles des musulmans422. En ce qui concerne les droits musulman et chrétien, il semble qu’ils se développèrent ensemble, d’un même élan. L’Islam et sa religion de la Loi représentaient un défi auquel les chrétiens étaient déjà prêts à faire face. L’intense bouillonnement intellectuel qui caractérise l’Irak de la fin de l’époque omeyyade et du début des Abbassides, en particulier à Bagdad où le catholicos nestorien ne tarda pas à s’installer423, permit aux deux cultures juridiques de s’épanouir, tant l’une avec l’autre que l’une contre l’autre424.
152Il resterait à déterminer dans quelle mesure on peut parler d’une justice au sein de chaque communauté non musulmane en terre d’Islam. Bien que celle des communautés juives de Palestine ne soit pas documentée pour les débuts de l’Islam, il est probable qu’elle se distinguait assez peu, comme à l’époque talmudique, de celle de Babylonie. De leur côté, les systèmes syro-occidental et syro-oriental ne sont pas en tout point similaires – bien que la comparaison soit rendue difficile par la moindre quantité de sources du côté syro-occidental. Leurs différences, qui tiennent en partie à l’intégration de coutumes locales425, semblent néanmoins mineures, et les systèmes judiciaires syro-occidental et syro-oriental sont unis par leur référence à un fonds antique commun. Hormis leur appui sur les sources scripturaires (Bible et Nouveau Testament), ils se revendiquent tous deux de l’autorité des Pères et du droit romain – même l’Église syro-orientale qui, sous l’Islam, finit par intégrer des éléments du droit syro-romain. Le droit romain, quand il émanait d’empereurs chrétiens, offrait à la justice ecclésiastique un cadre structuré et, surtout, légitime. Chez les nestoriens, le droit sassanide demeura source d’inspiration – notamment chez Išoʿbokht426 –, mais avant tout dans le domaine du droit civil. En matière de procédures, il imprégna surtout le droit de la preuve documentaire, comme lorsqu’Išoʿbokht distingue deux degrés de validité des documents selon qu’ils portent le sceau d’institutions ou de simples particuliers. Mais ce que l’on connaît des procédures judiciaires sassanides semble avoir laissé peu d’autres traces tangibles chez les canonistes syroorientaux. Sans être unifiés, les systèmes judiciaires chrétiens de Syrie, d’Irak et d’Iran fonctionnaient donc de manière très proche. On peut suspecter qu’il n’en allait pas autrement en Égypte, ce que seules de futures études sur le droit copte permettront de vérifier. Il reste maintenant à évaluer dans quelle mesure ces justices juives et chrétiennes purent contribuer à la formation d’un système judiciaire musulman.
Notes de bas de page
1 Pour un aperçu des étapes de cette conquête, voir D. Sourdel, « ʿIrāḳ », EI2, III, p. 1287 ; Th. Bianquis et al., « La première conquête et ses frontières », dans Th. Bianquis, P. Guichard, M. Tillier (dir.), Les débuts du monde musulman, op. cit., p. 110.
2 Uriel Simonsohn remarque qu’au début de l’Islam, les villages de Syrie du Nord avaient des églises mais presque aucun autre type d’édifice public (U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 102). Cette remarque ne s’applique néanmoins qu’à de petites agglomérations où l’autorité byzantine devait déjà être peu présente avant l’Islam.
3 C. F. Robinson, Empire and Elites after the Muslim Conquest. The Transformation of Northern Mesopotamia, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 54-57.
4 Voir M. Morony, « Religious Communities… », art. cité, p. 119-120.
5 La seconde fitna, dans les années 680, semble avoir marqué un tournant dans l’évolution de ces relations. Voir M. Morony, « Religious Communities… », art. cité, p. 128-129.
6 Voir par exemple N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit. ; J. Nielsen, Secular Justice in an Islamic State : Maẓālim under the Baḥrī Mamlūks, 662/1264-789/1387, Leyde, Nederlands Historisch-Archaeologisch Instituut te Istanbul, 1985, p. 109-110.
7 Voir Cl. Cahen, « Dhimma », EI2, II, p. 227. Les « gens du Livre » furent peu à peu tenus de se conformer à des réglementations, rétroactivement attribuées au calife ʿUmar, qui symbolisaient leur infériorité sociale par rapport aux musulmans et qui prirent un caractère officiel à partir du califat d’al-Mutawakkil (r. 232-247/847-861). Voir M. Levy-Rubin, Non-Muslims in the Early Islamic Empire. From Surrender to Coexistence, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 99-103.
8 M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 300.
9 Voir par exemple The Dâdistân-i Dînîk, op. cit., p. 6, dans lequel l’auteur évoque, au ixe siècle, des « juges » qui continuent d’exercer aux côtés des prêtres. Voir également R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 196.
10 Sur les développements du droit melkite, voir C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 565-566 ; N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 265-267 ; J.-B. Darblade, La collection canonique arabe des melkites ( xiiie-xviie siècle), Harissa, Imprimerie de Saint-Paul, 1946 ; H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 222-238. Sur le droit maronite, voir C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 571 ; H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 255-263.
11 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. xv, xxiii, 9, 10 ; J. Brand, S. Assaf, D. Derovan, « Gaon », EJ2, VII, p. 380.
12 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 3.
13 M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 57-58.
14 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 217-221.
15 Ibid., p. 223-229.
16 Ibid., p. 56.
17 Ibid., p. xxiii, 3, 197-200. Voir par exemple L. Ginzberg, « Geonic Responsa », The Jewish Quarterly Review, 20, 1907, p. 95.
18 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. xxiii.
19 M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 320.
20 M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 88.
21 J. Neusner E. Bashan, « Exilarch », EJ2, VI, p. 603 ; M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 320.
22 J. Neusner, E. Bashan, « Exilarch », EJ2, VI, p. 605.
23 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 40.
24 H. H. Cohn, I. Levitats, M. Drori, « Bet Din and Judges », EJ2, III, p. 516 ; J. Neusner, E. Bashan, « Exilarch », EJ2, VI, p. 605.
25 J. Neusner, A History of the Jews in Babylonia, op. cit., V, p. 246-247 ; M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 321.
26 M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 105-111 ; J. Neusner, E. Bashan, « Exilarch », EJ2, VI, p. 603.
27 M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 92 ; U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 122.
28 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 337 ; H. H. Cohn, I. Levitats, M. Drori, « Bet Din and Judges », EJ2, III, p. 516.
29 M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 93.
30 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 338 ; M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 89 ; J. Neusner, E. Bashan, « Exilarch », EJ2, VI, p. 605.
31 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 336, 342, 356, 360 ; S. D. Goitein, A Mediterranean Society, op. cit., II, p. 311 ; J. Neusner, E. Bashan, « Exilarch », EJ2, VI, p. 605. Sur la peine d’excommunication chez les juifs à une époque plus tardive, voir M. Gil, A History of Palestine, op. cit., p. 522-525.
32 J. Brand, S. Assaf, D. Derovan, « Gaon », EJ2, VII, p. 380 ; M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 323.
33 M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 121.
34 M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 324.
35 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 36 ; M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 342.
36 J. Brand, S. Assaf, D. Derovan, « Gaon », EJ2, VII, p. 380.
37 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 43-48, 61-62 ; M. Gil, Jews in Islamic Countries, op. cit., p. 117, 120 ; id., A History of Palestine, op. cit., p. 493-494 ; J. Brand, S. Assaf, D. Derovan, « Gaon », EJ2, VII, p. 380-381.
38 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 43-48, 57 ; J. Brand, S. Assaf, D. Derovan, « Gaon », EJ2, VII, p. 380.
39 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 49, 58 ; J. Brand, S. Assaf, D. Derovan, « Gaon », EJ2, VII, p. 381. Voir J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 339. Le troisième personnage était sans doute le scribe de l’académie (sofer ha-yeshivah), qui écrivait les responsa sous la dictée du gaon. R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 50.
40 J. Brand, S. Assaf, D. Derovan, « Gaon », EJ2, VII, p. 381 ; J. Neusner, E. Bashan, « Exilarch », EJ2, VI, p. 605.
41 M. Gil, A History of Palestine, op. cit., p. 499-500.
42 Ibid., p. 505.
43 Ibid., p. 509.
44 Pour le fonctionnement de la justice en Palestine à partir de la fin du xe siècle, voir M. Gil, A History of Palestine, op. cit., p. 516-522. Voir également S. D. Goitein, A Mediterranean Society, op. cit., II, p. 311-345.
45 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 338, 340 ; S. D. Goitein, A Mediterranean Society, op. cit., II, p. 312.
46 M. Gil, A History of Palestine, op. cit., p. 506.
47 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 338 ; R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 59 ; M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 325 ; H. H. Cohn, I. Levitats, M. Drori, « Bet Din and Judges », EJ2, III, p. 516.
48 M. Gil, A History of Palestine, op. cit., p. 506.
49 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 344-345.
50 Ibid., p. 354.
51 Ibid., p. 340 ; U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 134.
52 U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 136.
53 Ibid., p. 133.
54 Ibid., p. 134 ; H. H. Cohn, I. Levitats, M. Drori, « Bet Din and Judges », EJ2, III, p. 516.
55 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 339.
56 Ibid., p. 342.
57 R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 63.
58 G. Libson, Jewish and Islamic Law, op. cit., p. 105.
59 H. Tykocinski, Die gaonäischen Verordnungen, op. cit., p. 167-168. Voir également G. Libson, Jewish and Islamic Law, op. cit., p. 106.
60 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 347-348.
61 Ibid., p. 352.
62 Ibid., p. 353.
63 A. M. Fuss, « Shetar », EJ2, XVIII, p. 467.
64 J. Olszowy-Schlanger, « Formules juridiques des documents médiévaux en caractères hébraïques et les livres de formulaires-modèles », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 143, 2012, p. 24 ; A. M. Fuss, « Shetar », EJ2, XVIII, p. 467, 470. Voir également S. D. Goitein, A Mediterranean Society, op. cit., II, p. 337.
65 Voir supra.
66 U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 197.
67 Ibid., p. 186-187 ; Ph. Ackerman-Lieberman, « Legal Pluralism… », art. cité, p. 84 ; H. H. Cohn, Y. Sinai, « Witness », EJ2, XXI, p. 119.
68 G. Libson, Jewish and Islamic Law, op. cit., p. 104-105.
69 Voir supra.
70 M. Greenberg, H. H. Cohn, M. Elon, « Oath », EJ2, XV, p. 363.
71 H. Tykocinski, Die gaonäischen Verordnungen, op. cit., p. 80 et suiv.
72 Ibid., p. 83.
73 G. Libson, « Gezerta », EJ2, VII, p. 570 ; L. Ginzberg, « Geonic Responsa », art. cité, p. 99 ; R. Brody, The Geonim of Babylonia, op. cit., p. 63, n. 48. Voir J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 345-346. Il fallut attendre le xive siècle pour qu’une nouvelle catégorie de serment s’ajoute aux anciennes formes talmudiques : celle du serment testimonial, demandé aux témoins pour s’assurer qu’ils allaient dire la vérité. M. Greenberg, H. H. Cohn, M. Elon, « Oath », EJ2, XV, p. 362-363.
74 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 346-347. Sur le serment d’après les documents de la Geniza, voir S. D. Goitein, A Mediterranean Society, op. cit., II, p. 340.
75 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 351.
76 Ibid., p. 348-350. Voir U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 141-142.
77 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 361. Sur l’excommunication dans les documents de la Geniza, voir S. D. Goitein, A Mediterranean Society, op. cit., II, p. 332-333.
78 J. Mann, « The Responsa… », art. cité, p. 357.
79 En 1950, N. Edelby considérait que seule l’Église syro-orientale avait connu « une activité juridique digne de ce nom » avant le xiie siècle (N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 256). La découverte de nouvelles sources depuis lors ne permet plus une affirmation aussi tranchée. Voir H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 245-246.
80 W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., II, p. 153.
81 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., I, p. 3-9. Sur cet ouvrage, voir également H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 245-246.
82 Il existe quelques indices, malgré tout, de l’importance que les Jacobites accordèrent à la préservation de leur corpus canonique antérieur. Dès 668-669, alors que l’usage du grec commençait à se perdre en Orient, le presbytéros Athanase de Nisibe traduisit en syriaque le sixième livre de la collection de lettres de Sévère d’Antioche (m. 538), principalement dédié à la discipline des clercs : l’épiscopat syro-occidental, commanditaire de cette traduction, était soucieux de conserver dans une langue accessible cette partie au moins de la tradition canonique. F. Alpi, « La correspondance… », art. cité, p. 335.
83 Nombre de synodes sont alors tenus pour résoudre des désaccords concernant la hiérarchie ecclésiastique. Voir J. Mounayer, Les synodes syriens jacobites, op. cit., p. 112.
84 J. Mounayer évoque le « synode de Knouchyo », qui ne semble pas un toponyme. Dans la mesure où knūšyō signifie « assemblée » en syriaque, il est possible qu’il s’agisse simplement d’une assemblée synodale, sans autre précision de lieu. Ibid., p. 41.
85 Ibid., p. 42-43. Sur ce synode, voir The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 5 ; W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., II, p. 204. Voir J. Mounayer, Les synodes syriens jacobites, op. cit., p. 68, 72. Bar Hebraeus évoque cet épisode en ces termes : « Yūḥanōn Kyūnyō, le maphrien, fut mis en accusation devant le patriarche par les habitants de Takrīt ; sa faute fut prouvée et il fut déposé. » Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, éd. par Joannes Baptista Abbeloos et Thomas Josephus Lamy, Paris/Louvain, Maisonneuve/Peeters, 1877, III, p. 175.
86 Sur ce synode, voir A. Vööbus, dans The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., I, p. 8.
87 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 58/63.
88 Georges fut nommé évêque des tribus arabes de Mésopotamie vers 688. Son siège épiscopal se trouvait à Kūfa (syr. ʿĀqolā). F. Nau (éd. et trad.), Les canons et les résolutions canoniques de Rabboula, Jean de Tella, Cyriaque d’Amid, Jacques d’Édesse, Georges des Arabes, Cyriaque d’Antioche, Jean III, Théodose d’Antioche et des Perses, Paris, P. Lethielleux, 1906, p. 80 ; S. Qāšā, Aḥwāl naṣārā l-ʿIrāq, II, p. 416, 419. Sur la présence de diocèses arabes en Orient dès le ve siècle, dépendant du patriarcat d’Antioche puis également du patriarcat de Jérusalem, voir I. Shahîd, Byzantium and the Arabs in the Fifth Century, op. cit., p. 178-179, 214 et suiv., 520 et suiv., 528 ; B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 19.
89 Bar Hebraeus, Nomocanon, éd. par P. Bedjan, Lepzig, Otto Harrassowitz, 1898, p. 113 ; trad. F. Nau, Les canons et les résolutions, op. cit. p. 94 (trad. modifiée).
90 Voir U. I. Simonsohn, « Seeking Justice among the “Outsiders” : Christian Recourse to Non-Ecclesiastical Judical Systems under Early Islam », Church History and Religious Culture, 83, 2009, p. 212 ; id., A Common Justice, op. cit., p. 106, texte syriaque dans J. Tannous, Syria between Byzantium and Islam : Making Incommensurables Speak, Ph. D. dissertation, Princeton, 2010, p. 544. Sur Jacques d’Édesse, voir notamment R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 160-167, 601-610 ; H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 249-250.
91 Dissertatio de syrorum fide, op. cit., p. 146. Voir la traduction de F. Nau, Les canons et les résolutions, op. cit., p. 58, qui traduit par « se venger » l’expression kad ʿbad dīnō l-napšeh.
92 Dissertatio de syrorum fide, op. cit., p. 148. Jacques justifie aussi ce devoir de soumission par le zèle (ṭnōnō) du laïc – zèle louable si le prêtre est coupable, mais inapproprié dans le cas contraire.
93 Ibid., p. 148-150.
94 Ibid., p. 148 ; trad. F. Nau, Les canons et les résolutions, op. cit., p. 58 (trad. modifiée).
95 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 12/14. Le canon est ambigu, car le début condamne l’intervention des laïcs dans les affaires de l’Église. L’ordre de soumettre tout litige à l’évêque « de la ville » suggère cependant que la seconde partie du canon s’adresse à des populations laïques. Voir également J. Mounayer, Les synodes syriens jacobites, op. cit., p. 48. Sur ce synode, voir A. Vööbus, dans The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., I, p. 6.
96 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 57/53.
97 Ibid., II, p. 57/53.
98 Ibid., II, p. 58/63.
99 Ibid., II, p. 61/65, 63/67.
100 Ibid., II, p. 62/66.
101 Ibid., II, p. 80-81/87-88.
102 Ibid., II, p. 17/18 ; J. Mounayer, Les synodes syriens jacobites, op. cit., p. 53.
103 Voir supra.
104 Reliquiae, op. cit., p. 57 ; trad. par F. Nau, op. cit., p. 126.
105 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 59/63.
106 Ibid., p. 53/57.
107 Ibid., p. 81/87.
108 Ibid., p. 53/57.
109 Ibid., p. 58/63.
110 Ibid., p. 81/87.
111 Ibid., p. 62/66.
112 Ibid., I, p. 21.
113 Pour un résumé de ces polémiques, voir J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 336-340 ; A. Vööbus, The Syro-Roman Lawbook. The Syriac Text of the Recently Discovered Manuscripts Accompanied by a Facsimile Edition and Furnished with an Introduction and Translation, éd. par A. Vööbus, Stockholm, ETSE, 1982, I, p. xx-xxvi ; W. Selb et H. Kaufhold, dans Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., I, p. 37-41. Plusieurs éditions de ce livre ont vu le jour depuis un peu plus d’un siècle. Les trois principales recensions à travers lesquelles l’ouvrage nous est parvenu (abrégées R I, R II et R III) furent éditées par Eduard Sachau, au début du xxe siècle, à partir d’un manuscrit copié dans l’Église syro-orientale au xixe siècle (Syrische Rechtsbücher, op. cit., I). Plus récemment, Arthur Vööbus a procédé à une nouvelle édition de l’ouvrage, à partir de manuscrits plus anciens appartenant à la tradition syro-occidentale (A. Vööbus, The Syro-Roman Lawbook, op. cit., I, p. xxviii-xxxiv). Enfin, Walter Selb et Hubert Kaufhold ont proposé en 2002 une édition critique du Livre de droit syro-romain (Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., II).
114 W. Selb et H. Kaufhold, dans Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., I, p. 43-46.
115 C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 545-546 ; J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 339.
116 J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 338.
117 W. Selb et H. Kaufhold, dans Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., I, p. 45 ; III, p. 14.
118 Selon Selb et Kaufhold, une traduction unique aurait servi de base aux différentes versions qui nous en sont parvenues. W. Selb et H. Kaufhold, dans Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., I, p. 53.
119 W. Selb et H. Kaufhold, dans Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., I, p. 54 ; H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 217. La recension arabe du livre syro-romain remonterait au xiie siècle ; elle fut également intégrée aux recueils canoniques de l’Église melkite. Voir J.-B. Darblade, La collection canonique arabe…, op. cit., p. 163.
120 W. Selb et H. Kaufhold, dans Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., I, p. 60.
121 Nallino émet l’hypothèse que le Livre de droit syro-romain fut traduit et commença à servir de référence dans le courant du viiie siècle, quelque part entre la Syrie et la Mésopotamie (C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 561-564).
122 A. Vööbus, dans The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., I, p. 10. L’ouvrage fit plus tard l’objet de plusieurs traductions à partir du syriaque – notamment en arabe pour l’Église melkite : Syrisch-Römisches Rechtsbuch, p. 68-94.
123 Voir R. B. Rose, « Islam and the Development… », art. cité, p. 161 ; P. Crone, Roman…, op. cit., p. 15 ; U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 113.
124 Voir C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 562 ; E. Volterra, « Il Libro siro-romano… », art. cité, p. 315. Pour Patricia Crone, le Livre de droit syro-romain aurait été traduit en syriaque à l’époque islamique, en réaction aux accusations musulmanes qui reprochaient aux chrétiens de ne pas avoir de loi. P. Crone, Roman…, op. cit., p. 12. Voir également R. B. Rose, « Islam and the Development… », art. cité, p. 165.
125 C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 563.
126 En témoigne la version arabe du Livre, dans laquelle il est mainte fois fait référence à l’évêque (usquf) et aux prêtres. Voir par exemple K. G. Bruns, E. Sachau (éd.), « Die Arabische Version », dans Syrisch-Römisches Rechtsbuch aus dem fünften Jahrhundert, Leipzig, F. A. Brockhaus, 1880, p. 75, 77, etc.
127 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 114/119-120. Le délai de prescription passe à trente ans dans la version arabe. K. G. Bruns, E. Sachau (éd.), « Die Arabische Version », art. cité, p. 78.
128 Sur cette procédure, voir B. Kelly, Petitions, Litigation, and Social Control in Roman Egypt, New York, Oxford University Press, 2011, p. 95-96. Dans l’Égypte romaine, la convocation du défendeur s’effectuait en lui faisant parvenir une copie certifiée de la pétition adressée à l’autorité publique par le demandeur.
129 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 115/120. Voir K. G. Bruns, E. Sachau (éd.), « Die Arabische Version », art. cité, p. 78-79.
130 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 119-120/124. Voir K. G. Bruns, E. Sachau (éd.), « Die Arabische Version », art. cité, p. 80.
131 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 129/132. La version arabe dit quant à elle qu’il « est interdit qu’un homme mandate son esclave pour intenter un procès à son adversaire devant le cadi, car l’esclave et l’homme libre ne sont pas de dignité (karāma) égale ». K. G. Bruns, E. Sachau (éd.), « Die Arabische Version », art. cité, p. 75.
132 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 152/154. Voir Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., II, p. 176.
133 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 152/154. Voir The Syro-Roman Lawbook, op. cit., I, p. 62.
134 Voir Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., II, p. 116-118. Encore convient-il de noter que deux ou trois des témoins ayant assisté à la rédaction du testament et y ayant apposé leurs sceaux doivent authentifier le document au moment de son enregistrement dans les archives. Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., II, p. 116 (§ 88a).
135 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 133/136. Voir Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., II, p. 188 ; The Syro-Roman Lawbook, op. cit., I, p. 62.
136 The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., II, p. 153/154. Voir The Syro-Roman Lawbook, op. cit., I, p. 62. Les mêmes critères d’âge et d’absence de lien familial avec le plaideur sont proposés, dans le droit syro-oriental, par Yūḥannā b. al-Aʿraǧ (sur cet auteur du xe siècle, dont le nom syriaque est Yoḥanān bar Abgārē, voir J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 350). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 189.
137 C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… » , art. cité, p. 582 ; R. B. Rose, « Islam and the Development… » , art. cité, p. 164.
138 M. Morony, « Religious Communities… » , art. cité, p. 120.
139 Sur la vitalité de l’Église au cours des décennies qui suivirent la conquête, voir U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 101.
140 On notera néanmoins la remarque de Jean bar Penkāyē qui, à la fin du viie siècle, se lamente sur la décadence de la société chrétienne à son époque : « Pour ce qui est des juges, ils se laissent corrompre par des présents ; tromperie et hypocrisie, colère, méchanceté et dureté sont leur propre. » Jean bar Penkāyē, Ktābā d-rēš mellē, op. cit., p. 150/178. Au-delà du topos de la corruption, il demeure difficile de savoir si cette affirmation concerne la justice ecclésiastique ou d’autres institutions.
141 R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 204-205 (s’appuyant sur E. Sachau, Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 229-231).
142 L’appellation « sufyānide » suit une chronologie classique, selon laquelle Muʿāwiya fut le souverain reconnu dans l’ensemble de l’empire islamique en formation dès l’« année de la réconciliation (ǧamāʿa) » (41/660-1) (voir H. Laoust, Les schismes dans l’Islam. Introduction à une étude de la religion musulmane, Paris, Payot, 1965, p. 17). On constatera néanmoins que cette chronologie n’est pas universellement acceptée. Dans sa chronique monastique, Thomas de Margā (m. ap. 860) considère que le catholicos Georges Ier – strict contemporain de Muʿāwiya selon la chronologie classique (voir note suivante) – monta sur le trône en même temps qu’al-Ḥasan b. ʿAlī et qu’il fut contemporain de son règne (Thomas de Margā, The Book of Governors, éd. par E. A. Wallis Budge, Londres, Kegan Paul, Trench, Trübner and co, 1893, p. 88/207-208). Thomas de Margā commet sans doute une erreur lorsqu’il affirme qu’al-Ḥasan régna vingt-deux ans – selon la chronologie musulmane, il serait mort en 49/669-7, mais certaines sources avancent la date de 59/678-9 (L. Vecchia Vaglieri, « al-Ḥasan b. ʿAlī b. Abī Ṭālib », EI2, III, p. 242). On peut ainsi se demander si al-Ḥasan, en dépit d’une historiographie musulmane qui insiste sur son abdication et son retrait de la vie publique, ne continua pas à être reconnu comme calife dans une partie de l’empire (notamment le sud de l’Irak) dans les années 660.
143 Sur ce patriarche d’al-Madā’in/Ctésiphon, qui régna de 661 à 681, voir Thomas de Margā, The Book of Governors, op. cit., p. 80-85/179-186, 88-89/207-209 ; Élie de Nisibe, Opus chronologicum, éd. par E. W. Brooks, Paris/Lepzig, Carolus Poussielgue/Otto Harrassowitz, 1910, I, p. 54 ; ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 57 ; R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 192-194 ; H. Teule, « Ghiwarghis I », dans D. Thomas, B. Roggema (dir.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History. Volume 1 (600-900), Leyde, Brill, 2009, p. 151 ; S. Qāšā, Aḥwāl naṣārā l-ʿIrāq, op. cit., II, p. 332. Depuis le vie siècle, les titres de patriarche et de catholicos sont employés comme des synonymes pour désigner l’évêque de Séleucie-Ctésiphon. Voir J.-M. Fiey, Jalons pour une histoire…, op. cit., p. 80.
144 R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 193. Sur ce synode, voir aussi N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 183-184 ; S. Qāšā, Aḥwāl naṣārā l-ʿIrāq, op. cit., II, p. 338 ; R. Le Coz, L’Église d’Orient, op. cit., p. 142. Sur Dīrīn, voir J.-M. Fiey, « Diocèses syriens orientaux du golfe Persique », dans J.-M. Fiey, Communautés syriaques en Iran et Irak des origines à 1552, Londres, Variorum Reprints, 1979, p. 213-214 ; F. Briquel Chatonnet, « L’expansion du christianisme… », art. cité, p. 179.
145 Synodicon orientale, op. cit., p. 215/481 : « De même, les saints apôtres, les prêtres et les savants qui vinrent après eux, établirent des lois selon le temps, la nécessité et le besoin, et enseignèrent aux hommes à marcher dans la voie de la justice » (trad. adaptée de celle de J.-B. Chabot).
146 Ibid., p. 216/481.
147 Ibid., p. 219/484 (une traduction anglaise est proposée par U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 103). Cette règle voulant que la légitimité du juge repose tant sur la désignation hiérarchique que sur l’accord de la communauté chrétienne est reprise au xiiie siècle par ʿAbdīšoʿ dans son Livre des règles des jugements ecclésiastiques. ʿAbdīšoʿ, Penqītō d-ṭūkōs dīnē ʿi(d) tōnōyē (The Order of Ecclesiastical Regulations), édition fac-similé, s. l., Atour Publications, s. d., fo 93r (« Tous ses concitoyens ou la majorité d’entre eux [doivent] être d’accord pour qu’il exerce sur eux son autorité »). Sur ce synode, voir également R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 198-201.
148 Synodicon orientale, op. cit., p. 219-220/485. Chabot traduit sōpqūtō par « connaissance », ce qui ne rend pas compte de la qualité pratique ici réclamée : celle d’un bon administrateur.
149 Ibid., p. 220/485. Au xie siècle, Ibn al-Ṭayyib interprète différemment ce canon, et considère que l’évêque n’a pas à rendre la justice en personne. Il doit « s’élever au-dessus des affaires de ce monde » et se consacrer à l’étude, tandis que la justice sera rendue par un clerc inférieur. Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 73.
150 Synodicon orientale, op. cit., p. 220/485.
151 Thomas de Margā, The Book of Governors, op. cit., I, p. 83/II, p. 184.
152 Synodicon orientale, op. cit., p. 222/487. Le terme epīṭrūpō apparaît à plusieurs reprises dans le Livre de droit syro-romain : voir Das Syrisch-Römische Rechtsbuch, op. cit., III, p. 300 (index).
153 Synodicon orientale, op. cit., p. 220/485. La contrainte que le pouvoir musulman était susceptible d’exercer sur les autorités de l’Église faisait l’objet de nombreuses interrogations au premier siècle après la conquête. Du côté syro-occidental, Addai demande ainsi à Jacques d’Édesse ce que doit faire l’économe d’un monastère si un émir (amīrō) lui ordonne de manger avec lui dans le plat. Jacques répond que ce n’est pas conseillé, mais que la nécessité l’y oblige. Dissertatio de syrorum fide, op. cit., p. 156 ; trad. F. Nau, Les canons et résolutions, op. cit., p. 61.
154 N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 184, 277 ; M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 367, n. 141. Voir également A. Fattal, « How Dhimmīs were Judged… », art. cité, p. 85.
155 R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 159 ; A. Palmer, « Āmīd in the Seventh-Century Life of Theodūṭē », dans E. Grypeou, M. N. Swanson, D. R. Thomas (dir.), The Encounter of Eastern Christianity with Early Islam, Leyde, Brill, 2006, p. 112, 127. Sur ce personnage, voir R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 156-160.
156 Sur les šahāriǧa, notables issus de la petite noblesse terrienne sassanide, voir M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 187 ; W. G. Young, Patriarch, Shah and Caliph, op. cit., p. 118 ; C. F. Robinson, Empire and Elites…, op. cit., p. 90-108.
157 C. F. Robinson, Empire and Elites…, op. cit., p. 54-58.
158 Le synode de Georges évoque plus loin des « fidèles qui détiennent l’autorité » (mhaymnē aylen d-aḥīdīn šūlṭōnō) auxquels il interdit de soumettre l’évêque à l’impôt (Synodicon orientale, op. cit., p. 225-256/489-490). Il s’agit vraisemblablement de tels notables chargés de percevoir les taxes pour le compte du pouvoir musulman. (Chase Robinson a pour sa part nuancé ce rôle fiscal en montrant qu’en Ǧazīra, les perceptions d’impôts demeuraient assez exceptionnelles à l’époque sufyānide, et que la présence de l’État islamique y était très faible. C. F. Robinson, Empire and Elites…, op. cit., p. 44 et suiv.)
159 La Chronique de Zuqnīn évoque à plusieurs reprises des « juges » (dayōnē) nommés par le pouvoir musulman parmi les populations chrétiennes de Mésopotamie dans la seconde moitié du viiie siècle. Néanmoins le contexte fiscal dans lequel ces « juges » sont mentionnés laisse penser qu’il s’agit de collecteurs d’impôts, assimilés par l’auteur à des juges en raison des pouvoirs coercitifs qui leur sont alloués. Chronique de Zuqnīn, p. 192/159, 198/164, 202/168, 204/169, 205/170. N. Edelby propose que de tels juges institués par l’autorité musulmane pour les chrétiens purent porter le titre de qāḍī l-naṣārā (N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 184). Cette hypothèse n’est pas confirmée par les sources. Une recherche systématique de ce titre sur la bibliothèque électronique al-Maktaba al-šāmila (version 3.28) ne révèle qu’un usage en contexte andalou à des époques postérieures.
160 Synodicon orientale, op. cit., p. 219/484.
161 Voir S. Griffith, Syriac Writers on Muslims and the Religious Challenge of Islam, Kottayam, St. Ephraem Ecumenical Research Institute, 1995, p. 8 ; id., « The Prophet Muḥammad, His Scripture and His Message, According to the Christian Apologies in Arabic and Syriac from the First Abbasid Century », dans La vie du Prophète Mahomet. Colloque de Strasbourg, 1983, p. 118.
162 U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 104.
163 Voir R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 200-201. La Chronique du Khuzistan relate qu’au lendemain de la conquête arabe, « Qoryaqos de Nisibe mourut. En raison de la haine qu’ils éprouvaient pour lui, les habitants de Nisibe intentèrent un procès (qaṭrag(ū)) à ses disciples devant l’émir (amīrō) de la ville. Ce dernier envoya les mettre en prison ». Chronique du Khuzistan, p. 31. Voir également Chronique de Séert, op. cit., II-2, p. 599 (cas d’appel à un gouverneur contre des mesures fiscales touchant le clergé).
164 Élie de Nisibe, Opus chronologicum, op. cit., I, p. 55 ; ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 59 ; Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 135. La principale biographie moderne de ce catholicos est celle de M. Tamcke, « Henanischoʿ I », dans O. Jastrow, Sh. Talay, H. Hafenrichter (dir.), Studien zur Semitistik und Arabistik : Festschrift für Hartmut Bobzin zum 60. Geburtstag, Wiesbaden, Otto Harassowitz Verlag, 2008, p. 395-402. Voir également W. Wright, A Short History of Syriac Literature, Londres, Adam and Charles Black, 1894, p. 181-182 ; W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., I, p. 177 ; B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 29 ; S. Qāšā, Aḥwāl naṣārā l-ʿIrāq, op. cit., II, p. 346 et suiv.
165 Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 63. ʿAmr b. Mattā évoque une déposition par le calife ʿAbd al-Malik, mais l’intervention directe du calife omeyyade est peu vraisemblable. Voir ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 59.
166 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 59 ; Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 63. Selon Bar Hebraeus, Ḥnānīšoʿ rencontra le calife ʿAbd al-Malik en Irak et provoqua sa colère ; l’incident offrit à Yoḥanān l’occasion de réaliser ses ambitions. Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 137-139. W. G. Young pense que sa destitution est plutôt due à la situation politique de l’empire, Ḥnānīšoʿ ayant été catholicos pendant la deuxième fitna, au moment où l’Irak était sous la domination d’al-Muḫtār et des Zubayrides. W. G. Young, Patriarch, Shah and Caliph, op. cit., p. 103, 160. Voir également M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 352 ; J.-M. Fiey, Assyrie chrétienne, op. cit., II, p. 499-500 ; B. Landron, « Les relations originelles entre chrétiens de l’Est, nestoriens et musulmans », Parole de l’Orient, 10, 1981-1982, p. 198-199 ; id., Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 29, 43 ; R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 201 ; S. Qāšā, Aḥwāl naṣārā l-ʿIrāq, II, p. 347-348.
167 Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 137.
168 Élie de Nisibe, Opus chronologicum, op. cit., I, p. 55 ; ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 59 ; Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 137. Sur ce couvent, voir J.-M. Fiey, Assyrie chrétienne, op. cit., II, p. 493-524.
169 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 59.
170 Élie de Nisibe, Opus chronologicum, op. cit., I, p. 55 ; ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 59 ; Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 64. Voir M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 353. Bar Hebraeus affirme que Ḥnānīšoʿ « reprit ses fonctions » après la mort de Yoḥanān. Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 137.
171 Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 64.
172 Sur cette province de Mésopotamie du nord (dont la ville principale est Kirkouk), voir Yāqūt, Muʿǧam al-buldān, op. cit., I, p. 313 ; M. Streck, « Bādjarmā », EI2, I, p. 864 ; J.-M. Fiey, Assyrie chrétienne, op. cit., III, p. 11-16.
173 Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 64-65.
174 M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 353.
175 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 60 ; Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 65.
176 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 60. Voir J.-M. Fiey, Assyrie chrétienne, op. cit., II, p. 506-507. Ce passage du Kitāb al-maǧdal fut peut-être, en réalité, ajouté par Ṣalībā b. Yūḥannā, lui-même prêtre de Mossoul. Voir B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 101. Sur le Kitāb al-maǧdal et sa composition, voir M. N. Swanson, « Kitāb almajdal », dans D. Thomas, A. Mallett (dir.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History. Volume 2 (900-1050), Leyde, Brill, 2010, p. 627-628.
177 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 58.
178 J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 336. Voir Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 16 : « comme on peut l’apprendre dans le Livre des sentences que nous avons précédemment composé ».
179 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 58.
180 Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 64.
181 Le même phénomène se produisit dans l’Occident chrétien, où les lettres papales de l’Antiquité tardive intégrèrent les collections canoniques. Voir J. Gaudemet, L’Église dans l’Empire romain, op. cit., p. 221.
182 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 1-51. Voir également H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 306.
183 Claudia Rapp définit trois types d’autorité à propos des évêques de l’Antiquité tardive : l’autorité pragmatique, qui repose sur des actions publiques ; l’autorité spirituelle, caractérisant l’individu touché par le Saint-Esprit, et n’étant pas nécessairement acceptée par autrui ; l’autorité ascétique, conférée par un certain style de vie et reconnue par les autres. Cl. Rapp, Holy Bishops…, op. cit., p. 16-17. Selon cette classification, l’autorité du catholicos en exercice correspondrait à une autorité pragmatique, tandis que celle du catholicos déchu en retraite relèverait plus de l’autorité spirituelle et ascétique.
184 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 28 (no 15).
185 Ibid. (no 16). Sachau traduit par erreur ܐܪܨܒ par « Bosra ». Or dans sa lettre, le catholicos regrette de ne pouvoir effectuer de tournée pastorale dans une région incluant les paroisses de Prat (ܬܪܦ), al-Ubulla (ܗܘܒܘܠܬ) et ܐܪܨܒ, et envoie un évêque pour les administrer à sa place. Il ne peut donc que s’agir de la ville de Baṣra, à proximité immédiate des deux autres, et non de la lointaine Bosra située en Syrie. Sur la ville de Prat (ou Forat-Maysān, ou encore Prat d-Mayšān), située sur la rive occidentale du Tigre, à quelques kilomètres au sud de Baṣra et séparée d’al-Ubulla par un canal, voir M. Reinaud, « Royaume de la Mésène », p. 208-209 ; le site de Maġlūb, dans le sud de l’Irak, a plus récemment été identifié à l’ancienne Prat (J. Hansman, « Characene and Charax », EIr, V, p. 365 ; voir B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 7, 61). La présence de nestoriens à Baṣra est encore attestée un siècle plus tard, dans une lettre du catholicos Timothée Ier relative à des controverses entre les prêtres et les fidèles de Baṣra et d’al-Ubulla (voir R. Bidawid, Les lettres du patriarche nestorien Timothée I, Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 1956, p. 30). À la même époque, le métropolite de Baṣra reçut l’autorisation d’y ériger une église (ibid., p. 77).
186 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 6. La datation en années « du pouvoir des musulmans » correspond au calendrier hégirien.
187 J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 335. Thomas de Margā préserve le récit d’un procès en hérésie dont Ḥnānīšoʿ aurait été saisi lors de sa retraite. Le patriarche aurait renvoyé les accusés devant des clercs plus compétents que lui. Thomas de Margā, The Book of Governors, op. cit., p. 53-54/95-97.
188 R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 208.
189 Selon la définition traditionnelle, un responsum est la réponse d’un juriste à une question qui lui est adressée ; il s’agit donc d’une opinion qui n’est pas contraignante, telle une fatwā dans le domaine musulman. Voir A. Berger, Encyclopedic Dictionary of Roman Law, op. cit., p. 681.
190 Certains extraits sont néanmoins trop courts pour pouvoir être classifiés : Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, nos 18(1) (2), 20(9) (les numéros renvoient à la numérotation de Sachau ; les chiffres en exposant renvoient aux extraits groupés sous un même numéro). Richard Payne définit trois situations ayant donné lieu à la rédaction d’une lettre (laïcs qui vont trouver le catholicos pour solliciter son jugement ; laïcs qui lui écrivent pour exposer leurs litiges ; prêtres ou évêques saisis comme juges et demandant conseil au catholicos), mais ne distingue pas ces situations dans l’analyse qu’il propose de ces lettres. R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 208. W. Selb propose quatre catégories de lettres : celles où le catholicos rend lui-même un jugement ; celles où il demande l’application de son jugement ; celles où il confie le soin de juger à une juridiction inférieure, à laquelle il envoie un rescrit précisant la règle ; celles où il propose une règle pour un cas qui ne s’est pas encore présenté. W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., I, p. 175.
191 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, nos 1, 2, 3, 6, 16, 17.
192 Ibid., nos 7, 8, 12, 14, 18(3), 24, 25.
193 Ibid., nos 4, 5, 10, 11, 15 (prêtre), 22.
194 Ibid., nos 9, 23.
195 Ibid., nos 13, 21(5).
196 Ibid., nos 19(1-4), 20(1-8), 21(1-4) (6-8). Il faut ajouter à ces extraits d’autres qui, bien que mieux contextualisés, restent néanmoins trop courts pour être classifiés : Ibid., nos 18(1) (2), 20(9).
197 Litt. « avec eux » (ʿam-hūn). L’utilisation de la préposition ʿam (alors qu’on attendrait plutôt ʿal, « sur ») pourrait suggérer que le verbe ʿaqeb a ici le sens de « discuter » (J. Payne-Smith, A Compendious Syriac Dictionary, op. cit., p. 424). Le contexte, de même que l’utilisation du même verbe dans d’autres lettres avec le sens d’« enquêter » (voir par exemple nos 23, 25), nous pousse à traduire ici aussi ce terme par « enquêter » et non par « discuter avec ». On ne peut exclure, néanmoins, que cette association ambiguë entre le verbe et la préposition signifie que l’« enquête » ou l’« examen » passe avant tout par l’audition contradictoire des plaideurs et la discussion du juge avec eux. Sur le sens de ʿūqōbō, voir infra.
198 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 14.
199 Nos 5, 11.
200 Nos 7, 8. Un défendeur portant un nom persan apparait dans la lettre no 11 (Yazd bar Šalīṭā). Il faut noter que sous les Sassanides, les convertis au christianisme ne changeaient bien souvent pas de nom. Des familles chrétiennes entières continuaient de porter des noms moyen-perses. Voir Ph. Gignoux, Ch. Jullien, « L’onomastique iranienne dans les sources syriaques », Parole de l’Orient, 31, 2006, p. 284-287.
201 No 5.
202 Voir R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 222.
203 J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 350. Le traité a été édité par H. Kaufhold, Syrische Texte…, op. cit. Ajoutons que dans un dialogue entre l’émir ʿAmr b. Saʿd et le patriarche Jean, peut-être composé au début du viiie siècle et retranscrit dans un manuscrit daté de 874, le droit des successions est déjà au centre des discussions juridiques entre chrétiens et musulmans. F. Nau, « Un colloque du patriarche Jean », p. 251-252/261-262. Sur ce dialogue, voir également R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 459-465 ; B. Roggema, « The Debate between Patriarch John and an Emir of the Mhaggrāyē : a Reconsideration of the Earliest Christian-Muslim Debate », dans M. Tamcke (dir.), Christians and Muslims in Dialogue in the Islamic Orient of the Middle Ages, Wurtzbourg, Orient-Institut Beirut/Ergon-Verlag, 2007, p. 21-39.
204 Notons qu’au xie siècle, Ibn al-Ṭayyib traduit mhaymnō par mastūr, c’est-à-dire « une personne de bonne mœurs ». Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 51. Le terme mhaymnō ne fait que désigner, au sens propre, les « croyants ». Il peut néanmoins être interprété comme une manière de désigner un laïc quand il n’est pas accompagné de qualificatifs montrant que l’individu ainsi désigné appartient au clergé.
205 Il faut sans doute ajouter la lettre no 4, adressée à quatre destinataires portant des noms persans, probablement des laïcs bien que le terme mhaymnō n’apparaisse pas.
206 Voir U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 104 (Simonsohn transcrit par erreur šulṭānā ʿidtnāyā au lieu de šulṭānā ʿālmānāyā).
207 C. Humfress, Orthodoxy and the Courts…, op. cit., p. 170. Voir également Cl. Rapp, Holy Bishops…, op. cit., p. 246-247.
208 J. C. Lamoreaux, « Episcopal Courts… », art. cité, p. 160.
209 M. Kaimio, « P. Petra inv. 83 », art. cité, p. 721.
210 Il est néanmoins des cas où le catholicos demande l’application de son jugement sans mentionner que des preuves ont été produites devant lui (nos 12, 15). Dans d’autres extraits, la comparution de plaideurs devant le catholicos n’est pas évoquée (no 22) ; il est possible qu’elle l’ait été dans une partie disparue de la lettre, ou, dans le cas de la lettre no 22 – qui semble une lettre de rappel –, que la comparution du demandeur ait déjà fait l’objet d’une précédente missive.
211 R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 238. Malheureusement, l’auteur ne renvoie à aucun exemple précis.
212 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 14.
213 Ibid., p. 26. Voir également no 8 (p. 16).
214 Ibid., p. 18 : « À vous qui avez été choisis comme médiateurs par les deux parties… »
215 Ibid., p. 16-18.
216 Ces cas ne sont pas sans rappeler ceux des consultatio de l’Empire romain, quand un iudex incertain de son jugement écrivait à l’empereur. Voir J. Harries, Law and Empire…, op. cit., p. 111.
217 Ou encore le réfléchi etʿaqab (voir par exemple Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 18, 44).
218 Ibid., p. 44.
219 Ibid., p. 16 (no 8).
220 Ibid., p. 44.
221 La Didascalia apostolorum semble avoir été connue en Mésopotamie avant l’Islam, même si les nestoriens ne la retinrent pas comme source de leur droit. Voir J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 296.
222 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 44.
223 Rappelons qu’aux yeux d’Išoʿyahb, la pratique déviante du serment était liée aux interactions avec les païens et les infidèles. Le contact avec les musulmans, qui recouraient largement aux serments dans le cadre judiciaire, est-il responsable de cette évolution ?
224 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 48.
225 Ibid., p. 40.
226 Ibid., p. 8.
227 Ibid., p. 40.
228 Ibid., p. 40.
229 Voir chap. 3.
230 La difficulté à produire des témoins lorsque les plaideurs vivaient éloignés l’un de l’autre conduisit l’administration judiciaire musulmane à élaborer une procédure épistolaire dans laquelle le seul document acceptable (dans certaines limites) était la lettre d’un juge. Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq, p. 366 et suiv.
231 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 12.
232 Ibid., p. 20.
233 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 18, 22.
234 R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 237-238. Ajoutons que dès le Moyen Âge, les musulmans eurent eux-mêmes tendance à considérer la justice des chrétiens comme un système inférieur à l’adjudication. Dans les actes d’investiture de deux catholicos nestoriens du xie siècle, le calife qualifie le rôle judiciaire des catholicos de simple « médiation » (wāsiṭa) (Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 136, 149-150. Voir N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 280). Ce regard tardif du pouvoir musulman sur la justice chrétienne ne préjuge pas cependant de la manière dont les évêques concevaient eux-mêmes leur autorité. Par ailleurs, un acte de nomination préservé par al-Qalqašandī évoque un patriarche melkite investi d’un véritable pouvoir judiciaire, susceptible de trancher (faṣl) – même si dans l’idéal la réconciliation des plaideurs demeure une priorité. Al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-aʿšā, op. cit., XI, p. 394. Voir également A. Fattal, « How Dhimmīs were Judged… », art. cité, p. 95.
235 Nous reprenons ici la distinction élaborée par l’anthropologue Philip Gulliver, cité par Jill Harries (J. Harries, Law and Empire…, op. cit., p. 174) : l’adjudication se caractérise par le fait que la prise de décision est contrôlée par un tiers, exerçant un certain degré d’autorité acceptée (juge, arbitre) ; à l’inverse, le médiateur ne fait que faciliter un processus de négociation où la décision est prise par les parties elles-mêmes. De son côté, Shafik Allam distingue trois types de processus : la négociation, dans laquelle les parties trouvent une solution sans l’intervention de tiers ; la médiation ou conciliation, lorsqu’un tiers est sollicité pour les réconcilier sans que sa parole soit considérée comme contraignante ; l’arbitrage, lorsque le tiers choisi par les plaideurs se voit reconnaître une autorité contraignante par les parties. Sh. Allam, « Observations on Civil Jurisdiction… », art. cité, p. 3.
236 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 26.
237 Voir J. Harries, Law and Empire…, op. cit., p. 221. Caroline Humfress remarque néanmoins qu’au-delà de ce discours, les évêques de l’Antiquité tardive adhéraient à différents modèles culturels, y compris celui du magistrat séculier ; à partir du ive siècle, l’espiscopalis audientia de l’Empire romain devient de plus en plus le miroir des tribunaux étatiques. C. Humfress, Orthodoxy and the Courts…, op. cit., p. 155, 167.
238 Dissertatio de syrorum fide, op. cit., p. 148. Voir également R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 169.
239 Al-Ǧāḥiẓ, Kitāb al-ḥayawān, op. cit., IV, p. 27.
240 Voir A. Fattal, « How Dhimmīs were Judged… », art. cité, p. 88 ; J. Nielsen, A Secular Justice, op. cit., p. 110.
241 Certains chercheurs soulignent le faible poids institutionnel de l’excommunication, qui n’aurait selon eux pas eu d’efficacité réelle ; ceci aurait poussé de nombreux chrétiens à recourir aux tribunaux musulmans (U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 148). Il faut néanmoins remarquer que les tribunaux musulmans ne disposaient pas, pour la plupart des affaires civiles, de moyens d’application plus importants que les tribunaux chrétiens (ils ne disposaient même pas de l’excommunication) : si la šurṭa fut certainement appelée à mettre à exécution des jugements relevant du pénal, il ne faudrait pas y voir comme le fait Simonsohn un instrument mis systématiquement au service des cadis. Nulle source ne suggère, par exemple, que la police faisait appliquer des jugements relatifs à des dettes ou à des héritages : la publicité de l’audience constituait à elle seule un puissant moyen de pression à l’encontre du condamné. Comme chez les chrétiens, un musulman désireux de ne pas se marginaliser avait tout intérêt à se conformer à sa condamnation. Remarquons enfin que toute législation n’est pas assortie de sanctions : comme le remarque Jean Gaudemet à propos du droit romain, le législateur pose la règle mais laisse souvent au juge le soin de la faire respecter sans préciser les moyens de contrainte qu’il pourra employer. J. Gaudemet, L’Église dans l’Empire romain, op. cit., p. 218.
242 C’est le cas dans la lettre no 13 (sur cette lettre, que Payne ne distingue pas des rescrits judiciaires, voir R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 237). L’extrait no 21(5) n’est pas assez précis pour autoriser quelque certitude à ce sujet.
243 R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 237.
244 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 24.
245 Frédéric Alpi note également l’importance des consultations juridiques rédigées par le patriarche syro-occidental Sévère d’Antioche au début du vie siècle. F. Alpi, La route royale, op. cit., p. 73.
246 Sur ce tournant dans la littérature canonique orientale, voir W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., I, p. 176. Voir H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 304-307.
247 H. Putman, L’Église et l’Islam…, op. cit., p. 61.
248 Ibid.
249 C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 553. Sur cet auteur, voir également H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 305.
250 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 235.
251 Ibid., p. 20 (§ 13). Voir la traduction anglaise de ce passage par R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 207.
252 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 20 (§ 14). Voir R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 208.
253 Sur ce catholicos, voir Élie de Nisibe, Opus chronologicum, op. cit., I, p. 58-59 ; Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 165 et suiv. ; ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 64-66 ; Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 71-75 ; R. Bidawid, Les lettres du patriarche, op. cit., p. 1-11 ; M. Allard, « Les chrétiens à Baġdād », Arabica, 9, 1962, p. 377-378 ; H. Putman, L’Église et l’Islam sous Timothée I (780-823). Étude sur l’Église nestorienne au temps des premiers ‘ Abbāsides, Beyrouth, Dar el-Machreq, 1975, passim ; J.-M. Fiey, Chrétiens syriaques sous les Abbassides, surtout à Bagdad (749-1258), Louvain, Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, 1980, p. 38-39 ; A.-M. Eddé et al., Communautés chrétiennes en pays d’Islam du début du viie siècle au milieu du xie siècle, Paris, Sedes, 1997, p. 142-145 ; B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 46-53 ; R. Le Coz, L’Église d’Orient, op. cit., p. 157-160 ; R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 472-475 ; W. Baum, D. Winkler, The Church of the East, op. cit., p. 60-63 ; S. H. Griffith, The Church in the Shadow…, op. cit., p. 45. Pour une bibliographie complète, voir M. Heimgartner, « Timothy I », dans D. Thomas, B. Roggema (dir.), Christian-Muslim Relations, I, op. cit., p. 515-519. Voir également W. Wright, A Short History, op. cit., p. 191-194. Timothée fut élu patriarche à la fin de l’an 779, mais il ne put être consacré comme catholicos à al-Madā’in/Séleucie-Ctésiphon que quelques mois plus tard, en 780. Voir R. Bidawid, Les lettres du patriarche, op. cit., p. 3.
254 W. G. Young, Patriarch, Shah and Caliph, op. cit., p. 133 ; B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 48 ; M. Heimgartner, « Timothy I », p. 516 ; S. H. Griffith, The Church in the Shadow…, op. cit., p. 45. Le catholicos, qui résida désormais au monastère Dayr al-ǧāṯalīq sur la rive occidentale de Bagdad, était toujours consacré à l’église de Kokhē (Séleucie-Ctésiphon). W. Baum, D. Winkler, The Church of the East, op. cit., p. 60.
255 En particulier à cause de ses discussions théologiques avec le calife al-Mahdī, que le catholicos évoque dans une de ses lettres. Voir R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 473-475.
256 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 65.
257 Al-Rašīd aurait admiré l’intelligence de cette réponse : si Timothée avait mentionné le christianisme, le calife l’eût en effet puni ; s’il avait mentionné l’islam, il l’eût obligé à se convertir. ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 65.
258 Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 75. Voir R. Bidawid, Les lettres du patriarche, op. cit., p. 77 ; W. G. Young, Patriarch, Shah and Caliph, op. cit., p. 165 ; B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 46, 49.
259 Voir par exemple al-Tanūḫī, Nišwār al-muḥāḍara, op. cit., I, p. 252-253 ; al-Ṣaymarī, Aḫbār Abī Ḥanīfa, op. cit., p. 105 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 453, 455-457 ; Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., VI, p. 381, 384-386.
260 Al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., XVI, p. 370-371 ; Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., VI, p. 386-387.
261 Le parallèle que l’on peut établir entre Abū Yūsuf et Timothée n’est pas que littéraire. Tout comme le grand cadi, que le calife emmenait souvent avec lui dans ses voyages (voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 434), le catholicos était tenu de suivre le calife dans ses campagnes. B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 48 (d’après une lettre inédite de Timothée).
262 Il s’agit du Synodicon orientale, op. cit., sur lequel repose une partie de nos précédentes analyses.
263 J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 344 ; H. Putman, L’Église et l’Islam…, op. cit., p. 62 ; R. Le Coz, L’Église d’Orient, op. cit., p. 159 ; A.-M. Eddé et al., Communautés chrétiennes…, op. cit., p. 143.
264 Philip Wood a même proposé récemment qu’en compilant le Synodicon, Timothée revendiquait pour le catholicos une autorité juridique accrue par rapport à celle de ses prédécesseurs. Ph. Wood, The Chronicle…, op. cit., p. 231-232.
265 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 53-117. Sur la date de cette œuvre, voir J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 345 ; R. Bidawid, Les lettres du patriarche, op. cit., p. 9 ; W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., I, p. 174 ; R. Le Coz, L’Église d’Orient, op. cit., p. 159.
266 Voir H. Putman, L’Église et l’Islam…, op. cit., p. 64-66. Sur l’œuvre juridique de Timothée, voir W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., I, p. 174 ; H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 306. Dans une de ses lettres, Timothée déclare son intention d’établir un droit matrimonial sur la base des canons apostoliques du ive siècle, des canons du concile de Néo-Césarée et des lois des empereurs romains acceptées par les saints synodes. Cité par U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 114.
267 Voir A. Vööbus, dans The Synodicon in the West Syrian Tradition, op. cit., p. 16-18 ; H. Teule, « Jacob of Edessa and Canon Law », dans Bas ter Haar Romeny (dir.), Jacob of Edessa and the Syriac Culture of his Day, Leyde, Brill, 2008, p. 90 ; R. Hoyland, « Jacob and Early Islamic Edessa », dans Bas ter Haar Romeny (dir.), Jacob of Edessa…, op. cit., p. 16. Sur l’usage de ce style dans la littérature apologétique, voir S. H. Griffith, The Church in the Shadow…, op. cit., p. 81 et suiv.
268 Voir N. Calder, Studies in Early Muslim Jurisprudence, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 4, 10, 50, 51, 55 ; P. C. Hennigan, The Birth of a Legal Institution, op. cit., p. 21-23.
269 Voir Élie de Nisibe, Opus chronologicum, op. cit., I, p. 58 (qui donne des dates d’un an plus anciennes dans l’ère séleucide) ; Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 184-187 ; ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 66-68 ; Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 75-76. Parmi les études modernes, voir notamment W. Wright, A Short History, op. cit., p. 216-218 ; J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 348-349 ; A. Vööbus, dans Syriac and Arabic Documents, op. cit., p. 189 ; W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., I, p. 178.
270 Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 75.
271 Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 181 ; Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 76.
272 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 66. Voir Bar Hebraeus, Chronicon ecclesiasticum, op. cit., III, p. 181, où il est question de « trente-huit années passées au couvent de Saʿīd à côté de Mossoul ».
273 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 66 ; Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 75. Voir aussi A. Vööbus, dans Syriac and Arabic Documents, op. cit., p. 189.
274 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 66. Voir B. Landron, « Les relations originelles », art. cité, p. 203. Sur ce médecin, voir J.-C. Vadet, « Ibn Māsawayh », EI2, III, p. 872. De son côté, Mārī b. Sulaymān mentionne seulement qu’il « demeura pendant quelques mois chez Ǧiwarǧis – surnommé Māsawayh – à donner des leçons à son fils ». Mārī b. Sulaymān, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 75.
275 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 120. Voir également H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 306.
276 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 67. Voir aussi A. Vööbus, dans Syriac and Arabic Documents, op. cit., p. 189.
277 ʿAmr b. Mattā en compte 130. ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 67.
278 Cette forme était déjà adoptée par certaines juristes ḥanafites, notamment al-Šaybānī dans al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr.
279 ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 67.
280 U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 164-165. Cette vision est en partie idéologique, comme le souligne Uriel Simonsohn, et vise notamment à détourner les plaideurs chrétiens des tribunaux musulmans. Dans une de ses lettres, Timothée reproche à Barsāhdē, évêque de Hormīzd-Ardašīr, d’avoir livré un autre évêque « aux juges séculiers » au lieu de s’adresser à son métropolite ou au patriarche. R. Bidawid, Les lettres du patriarche, op. cit., p. 41.
281 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 144 (§ 60).
282 Ibid., p. 170 (§ 116).
283 Ibid., p. 166 (§ 109). L’évêque doit être jugé par le métropolite, le métropolite par le catholicos, le catholicos par un concile général.
284 Ibid., p. 158-160 (§ 95) ; II, p. 171 (§ 116). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 73.
285 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 156-158 (§ 89). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 203.
286 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 158 (§ 90-91). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 203.
287 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 152 (§ 77). Voir également ibid., p. 164 (§ 107), où Išoʿ bar Nūn évoque le cas où « un plaideur prouverait la vérité de son accusation, soit par le biais de témoins, soit par le biais d’autres [preuves] claires ». Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 201. On notera que ces idées de clarté et d’évidence (non mentionnées chez Ibn al-Ṭayyib) rappellent le concept musulman de bayyina, devenu à cette époque la désignation juridique du double témoignage honorable.
288 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 64 (§ 10). Voir H. Kaufhold, « Der Richter… », art. cité, p. 93.
289 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 64.
290 Ibid., p. 106 (§ 75).
291 Nous avons vu plus haut que les juristes musulmans du viiie siècle s’interrogeaient également sur la validité du témoignage d’un non-musulman vis-à-vis d’un musulman.
292 Ibid., p. 108 (§ 76).
293 Concernant le faux témoin, Išoʿ bar Nūn affirme que s’il s’agit d’un ecclésiastique, il doit être dégradé de la prêtrise. Ibid., p. 160 (§ 98).
294 Ibid., p. 154 (§ 82) – ces preuves ne suffisent d’ailleurs pas, et les créanciers sont également appelés à prêter serment comme nous le verrons plus bas. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 201 : Ibn al-Ṭayyib omet pour sa part toute mention d’un document écrit. Pour cet auteur, qui se rapproche en cela de la procédure musulmane, les seules preuves demandées aux créanciers sont les témoignages de personnes de confiances (ṯiqāt) et le serment des créanciers.
295 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 108 (§ 80). Voir H. Kaufhold, « Der Richter… », art. cité, p. 93.
296 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 154 (§ 82).
297 Ibid., p. 155 (§ 83). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 202.
298 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 156 (§ 87). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 202-203 ; II, p. 57, 149.
299 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 156 (§ 87). Cette procédure n’est pas sans évoquer la gezerta juive évoquée plus haut.
300 Ibid., p. 156 (§ 87).
301 Ibid., p. 144 (§ 60).
302 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 66. Au xie siècle, Ibn al-Ṭayyib se montre moins précis : « Le menteur reçoit ce qu’il mérite » (yuqābilu l-kāḏib bi-mā yastaḥiqq). On peut ainsi se demander si la règle d’équivalence stricte entre la peine du défendeur et celle du coupable d’accusation mensongère n’avait pas entre-temps été abandonnée. Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 183.
303 Syrische Rechtsbücher, op. cit., II, p. 166 (§ 108).
304 Ibid., p. 164-6 (§ 107). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 65-66.
305 Sur cette localité, voir J.-M. Fiey, « Diocèses syriens orientaux », art. cité, p. 179 et suiv.
306 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 1-201. N. Pigulevskaja relève dans le texte d’autres titres alternatifs : Ktōbō d-dīnē (« Livre des lois »), Ktōbō d-ʿal gzōrdīnē (« Livre des solutions juridiques »), Gzōrdīnē (« Les solutions juridiques »). N. Pigulevskaja, Les villes de l’État iranien, op. cit., p. 109.
307 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 182-201. Voir H. Kaufhold, « Der Richter… », art. cité, p. 94.
308 R. Duval, La littérature syriaque, Paris, Librairie Victor Lecoffre, 1907, p. 171 ; J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 340 ; W. Selb, Orientalisches Kirchenrecht, op. cit., I, p. 177. Išoʿbokht fut aussi l’auteur d’ouvrages de géographie. R. Duval, La littérature syriaque, op. cit., p. 280.
309 J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 340.
310 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 2. Voir aussi l’introduction de Sachau, ibid., p. ix, xv ; J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 340 ; N. Pigulevskaja, Les villes de l’État iranien, op. cit., p. 106. Sur Išoʿbokht, voir encore R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 205-209 ; H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 305. Sur l’usage du pehlvi dans les communautés chrétiennes de l’est du golfe Persique, voir F. Briquel Chatonnet, « L’expansion du christianisme… », art. cité, p. 181.
311 J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 340.
312 Ibid.
313 C. A. Nallino, « Sul Libro siro-romano… », art. cité, p. 573 ; J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 341.
314 Le Bagdadien Abū l-Faraǧ ʿAbd Allāh b. al-Ṭayyib (m. 434/1043) fut non seulement un important canoniste nestorien, mais aussi un philosophe, commentateur d’Aristote. Prêtre et médecin, il enseigna au principal hôpital de Bagdad et fut secrétaire de deux patriarches. Sur cet auteur, voir Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-anbā’fī ṭabaqāt al-aṭibbā’, éd. par August Müller, Le Caire, 1299 H., I, p. 239-241 ; B. Landron, Chrétiens et musulmans…, op. cit., p. 108-112 ; R. Le Coz, L’Église d’Orient, op. cit., p. 191 ; J. Faultless, « Ibn al-Ṭayyib », dans D. Thomas, A. Mallett (dir.), Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History. Volume 2 (900-1050), Leyde, Brill, 2010, p. 667-671 ; H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 310-311.
315 Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 63-133. Sur l’influence d’Išoʿbokht sur le droit syro-oriental postérieur, voir N. Pigulevskaja, Les villes de l’État iranien, op. cit., p. 108.
316 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 10. Sachau traduit le terme dīnō chez Išoʿbokht par « bürgerliche Recht » (droit civil), par opposition au nōmūsō qui serait le « christlische Idealrecht » (droit chrétien idéal) (Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 290-291 ; repris par U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 111-112, qui parle de civil law et de Christian law). Cette interprétation est justifiée par le parallèle que ces auteurs établissent entre les catégories du droit sassanide et celles que définit Išoʿbokht. Relevons toutefois que le terme dādestān – que traduirait dīnō – est polysémique : il peut certes renvoyer au droit civil, mais qualifie aussi un jugement ou même un procès (voir M. Shaki, « Dādestān »). Le terme dīnō recouvre également plusieurs sens – Išoʿbokht l’emploie aussi pour désigner le procès ou le jugement – ce qui rend son interprétation d’autant moins évidente dans le présent contexte. Le simple fait que le dīnō s’appuie sur le nōmūsō, comme l’explique Išoʿbokht, rend l’interprétation de Sachau improbable. Par ailleurs le nōmūsō n’est pas spécifiquement la loi religieuse car, comme le dit plus loin Išoʿbokht, il « est parfois imposé par [le roi] à ses sujets, parfois par le père à des fils, parfois par le maître à ses disciples » (Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 14). Dauvillier interprète pour sa part le dīnō comme le « droit appliqué au for externe » (J. Dauvillier, « Chaldéen [droit] », DDC, III, p. 341). Cette interprétation, qui en fait l’expression de la juridiction temporelle de l’Église, semble beaucoup plus appropriée. Par souci de simplification et pour ne pas recourir à une terminologie catholique moderne, nous rendons dīnō par « justice » – dans le sens de système judiciaire. On ne peut enfin s’empêcher de rapprocher cette définition de celle que le ḥanafite al-Ǧaṣṣāṣ donne de la justice au xe siècle : la mission du cadi, dit-il, « est de permettre aux détenteurs d’un droit d’accéder à ce droit » (īṣāl ḏawī l-ḥuqūq ilā ḥuqūqi-him). Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 237, 254.
317 Ce concept semble tiré d’une conception zoroastrienne de l’éthique. Voir Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 290 ; J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 342.
318 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 12.
319 Ibid.
320 Ibid., p. 14. Išoʿbokht ajoute que le droit (nōmūsō) se distingue de la justice (dīnō) en ce que la justice dépasse le niveau théorique pour mettre en application les sanctions prévues par le droit : « La justice est le bras armé (tōbūʿō, litt. le « vengeur ») du droit. »
321 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 12.
322 Pour cette dernière appellation, voir notamment ibid., p. 192 (§ 3, 5), 198 (§ 6).
323 Ibid., p. 182. Pour la seconde appellation, voir ibid., p. 198 (§ 6). On remarquera qu’au xie siècle, Ibn al-Ṭayyib emploie également une terminologie fluctuante, évoquant parfois un muddaʿī et un muddaʿī ʿalay-hi (terminologie conforme à celle du fiqh musulman), parfois un mutaẓallim et un mutaẓallim min-hu. Sur cette dernière appellation, voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 70.
324 Voir par exemple Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 196 (§ 3).
325 Ibid., p. 14, 186, 192.
326 Il s’avère un peu plus loin qu’au moins un de ces juges est un prêtre (kōhnō). Ibid., p. 80.
327 Ibid.
328 Ibid., p. 150. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 50. Ibn al-Ṭayyib reprend la même procédure, mais dit plus précisément que les héritiers doivent « faire témoigner [de leur renonciation] devant l’autel (al-maḏbaḥ) ».
329 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 150.
330 Voir les développements qu’Išoʿbokht continue de consacrer à la gestion des successions par l’Église dans ibid., p. 150-152. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 50-53.
331 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 196 (§ 4).
332 Ibid., p. 182-184. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 63. Pour des exemples de convocation du défendeur, voir également Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 196 (§ 3).
333 Ibid., p. 186 (§ 8).
334 Ibid. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 64.
335 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 184.
336 Ibid. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 63.
337 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 186 (§ 7). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 64.
338 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 196 (§ 3).
339 Mār Aḥā exerça principalement ses fonctions de métropolite sous les catholicos Sūrīn (r. 752-754) et Yaʿqob (r. 757-773) (sur ces deux catholicos, voir ʿAmr b. Mattā, Aḫbār faṭārika, op. cit., p. 62-63). Thomas de Margā, The Book of Governors, op. cit., I, p. 137/II, p. 283-284.
340 Ibid., I, p. 122/II, p. 260-261.
341 Ibid., I, p. 128/II, p. 271.
342 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 198 (§ 6). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 70. Dans la seconde moitié du viiie siècle, ce sont également les demandeurs qui amènent des témoins oculaires devant le métropolite Mār Aḥā. Thomas de Margā, The Book of Governors, I, p. 122/II, p. 260-261.
343 Voir par exemple Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 184 (§ 4), 196 (§ 3), et passim.
344 Voir références supra.
345 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 194 (§ 1).
346 Ibid., p. 194-196 (§ 1). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 69.
347 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 196 (§ 1, 2).
348 Ibid., p. 196 (§ 2). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 69.
349 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 198-200 (§ 8).
350 Le texte syriaque parle de ḥabrō : un compagnon, un ami, un voisin…
351 Chronique de Zuqnīn, p. 116-117/98, 182/151.
352 Ibid., p. 182/151.
353 Ibid., p. 184/152. L’usurier type disait à son futur débiteur : « Je réclame un écrit contre toi. » Les débiteurs « rédigeaient un document en faveur [du créancier] ».
354 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 198 (§ 6). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 70.
355 Voir par exemple Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 188 (§ 2), 194 (§ 7).
356 Ibid., p. 164. Voir également ibid., p. 184 (§ 4). Dans sa traduction-adaptation des mêmes passages, en revanche, Ibn al-Ṭayyib ne mentionne pas la preuve documentaire, signe que celle-ci était entre-temps tombée en désuétude – peut-être sous influence des procédures musulmanes. Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 54, 64.
357 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 184 (§ 5). Un peu plus loin, Išoʿbokht revient sur la même idée : « Un document ne doit pas être écarté en raison de son ancienneté et de son âge, mais doit au contraire être traité comme authentique. » Ibid., p. 188-190 (§ 7).
358 Le terme utilisé en syriaque est šarīrō, qui peut aussi vouloir dire « solide », « sain ». Voir L. Costaz, Dictionnaire syriaque-français, Syriac-English Dictionary, Beyrouth, Dar el-Machreq, 3e éd., 2002 p. 381.
359 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 186-188 (§ 1).
360 Voir supra.
361 Cette hiérarchie incluant le témoignage oral semble implicite quelques lignes plus loin : Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 188 (§ 2). Il est à noter que dans la traduction-adaptation du même paragraphe, Ibn al-Ṭayyib élimine une fois de plus toute référence à la preuve documentaire. S’il conserve la preuve testimoniale, il ajoute aussi une référence à l’aveu du défendeur, rendant ainsi la procédure parfaitement conforme à celle des tribunaux musulmans. Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 67.
362 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 188 (§ 5).
363 Voir ibid. (§ 6).
364 Ibid.
365 Ibid. (§ 5).
366 Ibid. (§ 6).
367 Ibid., p. 190 (§ 1).
368 Le syriaque lit netēser, ce qui pourrait signifier « être mis en prison ». Un peu plus loin, le juriste ou son traducteur explique le mot esrō (même racine, litt. « lien ») par celui de kelyōnō (« interdit [religieux] »). Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 190 (§ 3).
369 Ibid., p. 190 (§ 2).
370 Ibid. (§ 3). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 67.
371 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 184 (§ 6). Ce passage est loin d’être clair, notamment parce que « l’autre juge » (dayōnō (a) ḥrōnō) semble apparaître à la ligne suivante comme « le premier juge » (dayōnō qadmōyō). Notre interprétation de cette procédure suit l’explication qu’en donne plus tard Ibn al-Ṭayyib, qui dit « si [le plaideur] a avec lui un document dont l’authenticité a été établie devant un autre juge » (wa-in kāna maʿa-hu kitāb qad ṯabuta ʿinda ḥākim āḫar) (Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 64). La particule qad suppose l’antériorité de la soumission du document à l’autre juge, ce qui laisse penser que c’est ce même autre juge qui intervient alors en tant que témoin (de l’authenticité du document).
372 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 188 (§ 3). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 67.
373 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 164. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 54.
374 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 164.
375 Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 54.
376 Voir Siméon de Rēv-Ardašīr dans Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 213.
377 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 197-198 (§ 1-5). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 72.
378 Voir Y. Linant de Bellefonds, « Ḍarūra », EI2, II, p. 163. Le concept de ḍarūra est déjà présent dans les sources juridiques musulmanes de la fin du iie/ viiie siècle. Voir par exemple al-Šaybānī, Kitāb al-aṣl al-maʿrūf bi-l-Mabsūṭ, éd. par Abū al-Wafā’al-Afġānī, Beyrouth, ʿĀlam al-kutub, 1990, II, p. 483, 497 ; III, p. 34. Au xie siècle, Ibn al-Ṭayyib traduit d’ailleurs ananqī par ḍarūra. Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 72.
379 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 198 (§ 6). Le serment était également demandé en cas de preuve documentaire neutralisée par une forte présomption : si, par exemple, une dispute à propos d’un bien opposait un demandeur produisant des documents authentiques et un défendeur en possession du bien depuis plus de cinquante ans : la durée de la possession faisait pencher la présomption en faveur du défendeur et celui-ci pouvait prêter un serment qui l’emportait sur la preuve documentaire. Ibid., p. 198 (§ 8).
380 Voir par exemple ibid., p. 80. Comme nous le verrons plus loin, des présomptions pouvaient être suffisantes pour donner lieu à un jugement. En cas de dispute relative à une propriété, ce n’est ainsi qu’en l’absence de présomptions permettant « une appréciation/connaissance claire (qriḥōīt) » de la vérité que le juge devait recourir au serment. Ibid., p. 190 (§ 2).
381 Ibid., p. 198 (§ 6). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 70. Quand le défendeur avoue qu’il devait bien quelque chose mais prétend l’avoir déjà rendu, les rôles s’inversent (le défendeur clame quelque chose) et le serment est déféré à son adversaire. Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 198 (§ 7). Voir également ibid., p. 198-199 (§ 8-9) – où le serment revient le plus souvent au défendeur.
382 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 200 (§ 10). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 71.
383 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 64.
384 Ibid., p. 80.
385 Ibid., p. 190 (§ 2). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 68.
386 Cette règle, transposée dans le droit musulman, reviendrait à faire jurer en priorité le défendeur. En effet la possession de l’objet du litige par le défendeur (la réclamation de l’objet provenant d’un demandeur qui n’est pas en sa possession) rendait plus probable qu’il en soit le propriétaire. Voir par exemple al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 393.
387 Il faut noter que le terme madbḥō peut aussi désigner l’abside de l’église. Voir E. A. W. Budge, dans Thomas de Margā, The Book of Governors, op. cit., II, p. 431.
388 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 80. Dans la version arabe de la vie de l’évêque égyptien Pisentius (m. 631), remaniée à l’époque islamique, une femme accusée d’adultère se voit demander, à titre d’ordalie, de boire de l’huile sainte face à la croix. E. De Lacy O’Leary, « The Arabic Life… », art. cité, p. 440-441.
389 U. I. Simonsohn, qui suit en cela l’interprétation de Sachau, propose une traduction un peu différente de ce passage : We, however, as we know and are convinced that [there are] many [who] give one another a thing discreetly… (U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 163). La particule d- qui précède sagiyē peut néanmoins avoir une valeur causale (« en effet »). D’autre part, que l’auteur dise « qu’il sait et est persuadé » que des transactions se font de manière strictement privée reviendrait à insister lourdement sur quelque chose d’évident ; l’expression yōdʿīn ḥnan wa-mpōsīnan fait plus logiquement écho au mō d-lō īdīʿ de la ligne suivante, allusion explicite à ce que le juge peut savoir du plaideur.
390 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 182. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 63.
391 U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 162-163.
392 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 184.
393 Ibid., p. 190 (§ 1).
394 Ibid. (§ 2).
395 Le demandeur pouvait néanmoins tenter de prouver que son adversaire tenait le bien de personnes malhonnêtes. Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 192 (§ 4). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 68.
396 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 192 (§ 3). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 68.
397 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 192 (§ 5).
398 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 192 (§ 5). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 68.
399 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 198 (§ 8).
400 Ibid., p. 188 (§ 3). Dans sa traduction-adaptation du même passage, Ibn al-Ṭayyib élimine toute allusion à « ce que l’on sait » du remboursement de la dette : pour lui, ce savoir n’était manifestement pas un argument juridique. Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 67.
401 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 188 (§ 4).
402 Ibid., p. 192 (§ 6). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 68-69.
403 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 194 (§ 7). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 69. On remarquera qu’en ce cas, la possession de l’objet ne vaut pas présomption de propriété, à l’inverse de ce que propose généralement le droit musulman.
404 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 64. Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., I, p. 164. Cette procédure, qui rappelle à certains égards le serment d’anathème réciproque (liʿān) du droit musulman, s’en distingue donc par des aspects essentiels.
405 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 190 (§ 2). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 67, qui ne prend pas en compte ce type de présomption et considère que les plaideurs se mettent d’accord pour savoir à qui revient le serment.
406 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 80.
407 Ibid., p. 154.
408 Ibid., p. 190 (§ 4). Voir Ibn al-Ṭayyib, Fiqh al-naṣrāniyya, op. cit., II, p. 67. Ibn al-Ṭayyib évacue toute référence aux traces matérielles qui, pour lui, ne constituent manifestement plus des présomptions légales. De son point de vue, seul le témoignage permet d’établir la falsification d’un document.
409 Ces expressions sont difficiles à interpréter. Sachau les traduit par « Rechtsminus » et « Rechtsplus », traduction littérale qui n’éclaire pas leur sens. Ḥasīrūt dīnō, qui peut signifier aussi « absence/manque de jugement », pourrait désigner une parole dépourvue du caractère exécutoire d’un jugement. En ce cas, le yatīrūt dīnō pourrait-il désigner le jugement « complet » (auquel cas il ne serait pas inclus dans les recommandations de l’auteur) ? Ou une autre forme de parole ? Dernière hypothèse, le ḥasīrūt dīnō (moins-que-jugement) serait le conseil, et le yatīrūt dīnō (plus-que-jugement) l’admonestation dont il est question juste après.
410 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 14. Voir H. Kaufhold, « Der Richter… », art. cité, p. 93-94.
411 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 20. L’idéal est que le clergé s’adonne au tūrṣō (rectification, correction = fait de montrer le droit chemin) et non au dīnō (justice à travers un jugement) – peut-être, d’après Sachau, une allusion à 2 Tim 3 : 16 (qui emploie le terme tūrṣō). Voir également J. Dauvillier, « Chaldéen (droit) », DDC, III, p. 342.
412 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 16-18, 20-22. Voir Siméon de Rēv-Ardašīr dans ibid., III, p. 213.
413 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 18.
414 Voir supra à propos de l’arbitrage en droit romain et des procédures dans les communautés juives.
415 Syrische Rechtsbücher, op. cit., III, p. 164.
416 Voir R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 201-202.
417 Le premier peut être identifié à ʿUmayr b. Saʿd al-Anṣārī, gouverneur de Ḥimṣ jusqu’à fin 644, et le second à Jean Sedra, patriarche d’Antioche de c. 630 à 648. Voir B. Roggema, « The Debate… », art. cité, p. 26.
418 F. Nau, « Un colloque du patriarche Jean », p. 251-252/261-262.
419 Voir P. Crone, « Islam, Judeo-Christianity and Byzantine Iconoclasm », Jerusalem Studies in Arabic and Islam, 2, 1980, p. 71.
420 Voir A. Fattal, « How Dhimmīs were Judged… », art. cité, p. 85.
421 H. Kaufhold, « Sources of Canon Law », art. cité, p. 305.
422 G. Libson, Jewish and Islamic Law, op. cit., p. 90.
423 Voir S. H. Griffith, The Church in the Shadow…, op. cit., p. 45.
424 Cette dynamique des premiers siècles de l’Islam finit néanmoins par ralentir. Les musulmans firent bientôt du fiqh la discipline islamique par excellence, alors que les chrétiens ne développèrent jamais le droit canonique dans des proportions comparables. Comme le remarque Edelby, à partir du xiie siècle, ce furent les musulmans qui enjoignirent les chrétiens de préciser leur droit, et les grands nomocanons qui virent le jour au siècle suivant, comme ceux de Bar Hebraeus et de ʿAbdīšoʿ, s’inspirèrent clairement du droit musulman (N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 261). Signe que les Églises orientales, comme sous les Byzantins et les Sassanides, étaient toujours prêtes à s’accommoder des législations dominantes tant que ces dernières ne contredisaient pas les fondements spirituels de l’Église.
425 Sur la prise en compte du droit coutumier par Išoʿbokht, voir N. Pigulevskaja, Les villes de l’État iranien, op. cit., p. 110.
426 R. Payne, Christianity and Iranian Society, op. cit., p. 193.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L’Arabie marchande
État et commerce sous les sultans rasūlides du Yémen (626-858/1229-1454)
Éric Vallet
2010
Esclaves et maîtres
Les Mamelouks des Beys de Tunis du xviie siècle aux années 1880
M’hamed Oualdi
2011
Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval (viie-xiie siècle)
Dominique Valérian (dir.)
2011
L'invention du cadi
La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l'Islam
Mathieu Tillier
2017
Gouverner en Islam (xe-xve siècle)
Textes et de documents
Anne-Marie Eddé et Sylvie Denoix (dir.)
2015
Une histoire du Proche-Orient au temps présent
Études en hommage à Nadine Picaudou
Philippe Pétriat et Pierre Vermeren (dir.)
2015
Frontières de sable, frontières de papier
Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, xixe-xxe siècles
Camille Lefebvre
2015
Géographes d’al-Andalus
De l’inventaire d’un territoire à la construction d’une mémoire
Emmanuelle Tixier Du Mesnil
2014
Les maîtres du jeu
Pouvoir et violence politique à l'aube du sultanat mamlouk circassien (784-815/1382-1412)
Clément Onimus
2019