Chapitre 3. La justice du cadi aux deux premiers siècles de l’Islam
p. 179-377
Texte intégral
1Une institution judiciaire peut être étudiée selon au moins deux axes distincts : 1) celui de son rattachement institutionnel – sa place au sein d’un système politique ; 2) celui de sa structure et de son fonctionnement interne. C’est à travers ce deuxième axe que nous souhaiterions maintenant envisager les premiers développements de la judicature musulmane. En deçà de ses connexions au monde du pouvoir, une institution judiciaire se caractérise en effet par sa manière de traiter les litiges qui lui sont soumis. La tenue de l’audience, la réception des plaideurs et leur audition, les preuves que ceux-ci produisent constituent autant de marqueurs qui définissent une institution et la distinguent des autres. Il convient donc de comprendre ce qu’il se passait – ou aurait dû se passer – à partir du moment où un cadi établissait son audience pour y entendre des justiciables.
2L’organisation de la judicature musulmane classique est bien connue. Depuis les travaux pionniers d’Émile Tyan, des chercheurs comme Farhat Ziadeh et Wael Hallaq ont approfondi l’étude du fonctionnement des tribunaux1. L’évolution qui aboutit au système classique tel qu’il est décrit par le fiqh et parfois illustré par la littérature narrative est en revanche beaucoup plus obscure. Ziadeh s’est surtout attelé à la description de certaines procédures du iiie/ixe et du ive/xe siècle. Quant à Hallaq, qui remonte plus haut, il tend à voir la judicature musulmane sous sa forme classique dès une époque précoce (la fin du viie siècle), suivant en cela des sources islamiques plus soucieuses de légitimer le fonctionnement de l’institution que d’en retracer l’histoire. Par ailleurs, aucune étude relative à la judicature et à ses premiers développements n’a jusqu’à présent tenté d’en évaluer la dimension régionale. Les historiens sont tous partis du principe – qui reste à démontrer – que le système judiciaire musulman constitue une unité depuis le début de l’Islam. Cette approche unitariste représente un obstacle épistémologique à deux niveaux. Elle empêche en premier lieu de mesurer l’impact des cultures antérieures à l’Islam et des traditions judiciaires locales – impact pourtant postulé par Émile Tyan comme par Joseph Schacht2. En second lieu, elle ne permet d’aborder la relation entre droit et justice qu’à travers un paradigme d’opposition : à la « pratique administrative » des Omeyyades s’opposeraient les premières théories juridiques des « anciennes écoles », dont Schacht défend pourtant la nature régionale3. Une approche régionaliste est donc indispensable afin de mettre à l’épreuve la théorie des écoles régionales, et d’étudier l’interaction entre les pratiques judiciaires et les débats auxquelles elles donnèrent lieu.
3Nous n’envisageons pas ici une reconstitution complète des audiences judiciaires. Une telle restitution nous éloignerait trop, en effet, de la perspective comparatiste que nous adoptons. Nombre d’aspects essentiels de la judicature sont mal documentés pour les périodes anciennes – notamment l’énoncé des verdicts, l’application des jugements, etc., peut-être parce qu’ils suscitèrent peu de débats et, de fait, furent peu théorisés par le fiqh –, et ne permettent pas de comparaison entre les provinces du monde musulman. Nous nous contenterons donc d’explorer deux thématiques parmi celles qui donnèrent lieu au plus grand nombre de controverses juridiques : celle de l’organisation matérielle et humaine de l’audience, et celle des preuves et de leur réception.
1. ORGANISATION DES AUDIENCES JUDICIAIRES
4La justice religieuse est « généralement chiche en symboles : le cadi peut statuer n’importe où, sans grand formalisme, seule compte sa connaissance du Livre4 », affirme Antoine Garapon dans un essai consacré aux rituels judiciaires. Sans doute part-il du constat que, dans de nombreuses sociétés, la scène de la justice nécessite un théâtre spécifique. Or en Islam, avant l’invention des dār al-ʿadl sous Nūr al-Dīn Zankī (r. 541-565/1146-1174)5, la justice n’eut jamais de palais réservé, mais se tint dans des lieux dont la principale destination n’était pas de juger les hommes. Le rituel judiciaire des premiers temps de l’Islam n’en est pas pour autant dépourvu de symboles et de formalisme. Encore convient-il de retracer l’histoire de ce rituel, de sa scène et de ses artefacts, afin d’en saisir l’articulation avec la construction de la cité islamique.
5L’organisation des tribunaux fut fixée, à partir du iiie/ixe siècle, par la littérature d’adab al-qāḍī6. Le lieu de l’audience, la manière de siéger, le mode de convocation et de réception des plaideurs furent théorisés et cette théorie marqua la judicature, avec des adaptations, pendant tout le reste du Moyen Âge. L’évolution qui aboutit à cette théorisation demeure jusqu’ici dans l’ombre. Il est néanmoins possible d’en retracer quelques lignes de force, et d’entrapercevoir les débats qui aboutirent, finalement, à l’émergence d’une théorie classique sur l’organisation des audiences judiciaires.
1.1. Lieux de l’audience
1.1.1. Controverses omeyyades sur le lieu de l’audience
6La théorie juridique élaborée par la plupart des maḏhab-s classiques – à l’exception notable des šāfiʿites7 – considère la mosquée comme le lieu de l’audience par excellence8. À en croire Émile Tyan, « c’est dans les mosquées, principalement, que, comme nous les représentent les textes, les tribunaux ont toujours fonctionné9 ». Émile Tyan fonde l’essentiel de ses conclusions sur les informations rapportées par al-Kindī à propos de l’Égypte, et ne relève presque aucun exemple antérieur à la fin de la période omeyyade10. Or la question n’allait pas de soi au iie/viiie siècle, comme en témoigne le court chapitre qu’Ibn Abī Šayba (m. 235/849) consacre au thème du « cadi qui rend la justice dans la mosquée » (al-qāḍī yaqḍī fī l-masǧid). Sur les cinq traditions qu’il rapporte à ce sujet (toutes non prophétiques), deux sont opposées à la tenue de l’audience dans la mosquée, tandis que deux y sont favorables. La dernière, selon laquelle Šurayḥ siégeait chez lui les jours de pluie, semble a priori défavorable, mais laisse aussi entendre qu’il siégeait à la mosquée les autres jours11. Ces traditions non prophétiques isolées, non reprises dans les corpus de ḥadīṯ canonique postérieurs, ne peuvent être datées avec précision12. Trois d’entre elles se présentent sous forme de témoignages, un narrateur affirmant avoir vu (ra’aytu) un cadi rendre la justice à un endroit précis13. Les cadis pris pour exemple (Šurayḥ ; Zurāra b. Awfā, en poste à Baṣra vers 50/670 ; Yaḥyā b. Yaʿmar, Baṣrien en poste à Marw vers 90/71014 ; al-Ḥasan al-Baṣrī, en poste à Baṣra vers 101/720) laissent penser que la controverse, au cours de laquelle plusieurs individus rapportèrent leurs souvenirs, date d’une ou deux générations après l’exercice de ces juges, vers la fin de la période omeyyade ou le début de l’époque abbasside.
7Cette controverse pourrait être liée au statut de la mosquée, et à la faculté que les non-musulmans avaient d’y pénétrer. Dans un autre chapitre de son Muṣannaf, Ibn Abī Šayba expose à ce sujet des divergences qui recoupent en partie celles qui touchent au lieu de l’audience judiciaire. Plusieurs traditions, rapportées à travers des isnād-s baṣriens, admettent les juifs et les chrétiens dans la mosquée. Deux autres, aux transmissions plus éclectiques (médinoises, kūfiotes, khurasaniennes), reflètent un refus de voir des non-musulmans dans la mosquée, tout particulièrement dans un contexte judiciaire15. L’absence de distinction régionale forte dans les isnād-s laisse penser que des controverses sur le lieu de l’audience avaient lieu au sein même de plusieurs provinces16.
1.1.2. Des lieux d’audience diversifiés
8Les controverses relatives à l’usage de la mosquée comme lieu d’audience judiciaire conduisirent les musulmans à rechercher des précédents qui furent d’abord fixés dans des recueils de traditions comme celui d’Ibn Abī Šayba, puis dans la littérature narrative relative aux cadis. Toutes les provinces ne figurent pas de manière égale dans cette quête d’autorité. Al-Kindī ne mentionne aucun lieu d’audience en Égypte avant les années 120/738. Sa première évocation d’un lieu, à propos du cadi Ḫayr b. Nuʿaym (en poste de 120/738 à 127/745), fait état d’une double audience, l’une à la mosquée pour les musulmans, et l’autre à l’extérieur pour les ḏimmīs17, et par la suite il semble que la mosquée demeure le lieu de justice par excellence18. De même, Wakīʿ ne localise pratiquement pas l’audience de Médine : il affirme juste que, dans les années 90/710, Abū Bakr b. Muḥammad b. ʿAmr b. Ḥazm (en poste c. 87-96/706-715) siégeait dans la mosquée, au pied d’une colonne19. Selon Ibn Ḥanbal, un de ses successeurs, Yaḥyā b. Saʿīd al-Anṣārī (en poste v. 126/743-4) tenait aussi audience à la mosquée20. En revanche ʿUṯmān b. ʿUmar al-Taymī (en poste de 126/744 à 132/749 ; Ibn Ḥanbal l’identifie à tort à un cadi de Baṣra) siégeait chez lui21. Les traditions relatives à l’Irak sont plus diversifiées, et montrent que, à l’inverse de ce qui est le plus souvent admis22, la mosquée ne s’imposa pas dès l’origine comme le lieu privilégié de la justice.
• Kūfa
9À Kūfa, les indications les plus anciennes remontent à Šurayḥ, auquel sont attribuées des opinions contradictoires – tantôt il aurait siégé à la mosquée23, tantôt à son domicile24, tantôt aux deux en fonction des conditions météorologiques25 – reflétant des débats postérieurs, chaque parti ayant sans doute tenu à l’ériger en apôtre de sa position. Bien que suspecte, également, car relative à un personnage emblématique, une tradition rapporte que le cadi Abū Burda b. Abī Mūsā (en poste c. 79-81/698-701) siégeait dans sa maison26. À partir du tournant du iie/seconde décennie du viiie siècle, l’image devient plus homogène. La mosquée fait désormais l’unanimité comme lieu d’audience à Kūfa. Al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1) y aurait siégé27. Le récit que propose Wakīʿ suggère que c’est à ce moment-là qu’une tradition durable s’instaura à Kūfa :
Aḥmad b. Manṣūr al-Ramādī nous rapporta d’après Abū Salama,
d’après Abū ʿAwāna, d’après Ṭāriq b. ʿAbd al-Raḥmān :
Un des mendiants (sā’il) qui fréquentaient la mosquée s’approcha de
ʿĀmir [al-Šaʿbī], alors qu’il était cadi, et lui dit :
– Tu me traites injustement !
– Et en quoi donc ? [lui demanda al-Šaʿbī].
– Tu sièges à l’endroit où j’avais l’habitude de m’asseoir.
– C’est l’endroit où Šurayḥ rendait la justice, répliqua ʿĀmir, et j’y ai
plus droit [que toi]28 !
10Sous couvert de décrire une tradition pérenne et immémoriale – la mosquée comme lieu de justice de Šurayḥ à al-Šaʿbī –, ce récit révèle peut-être un tournant dans les usages. Il montre tout d’abord comment une pratique put trouver sa légitimité dans un précédent incontestable. En outre il semble refléter un moment de transition historique, lorsqu’un nouvel ordre fut adopté, non sans résistance. De fait, si l’on fait abstraction des traditions décrivant Šurayḥ rendant la justice à la mosquée – que cela soit historique ou non, aucun de ses contemporains n’ayant pris la peine de s’en souvenir –, al-Šaʿbī est le premier dont il est dit qu’il adopta cette pratique. Que l’événement remonte à al-Šaʿbī ou à la génération suivante, il se peut que cet usage se soit instauré au début du iie siècle de l’hégire.
11Après cette date, les ḫabar-s portant mention d’un lieu d’audience à Kūfa ne s’inscrivent plus dans un débat centré sur l’opposition mosquée versus domicile du cadi. Désormais, que l’audience ait lieu à la mosquée semble tenu pour acquis29. La question qui transparaît – et qui correspond peut-être à une deuxième étape du débat à Kūfa, encore à la fin de la période omeyyade ? – est dès lors celle de l’endroit précis de la mosquée. Selon un récit, al-Šaʿbī siégeait dans la ḥuǧra de la mosquée, probablement une pièce séparée de la salle de prière30. Selon une tradition, c’est aussi dans la ḥuǧra que Muḥārib b. Diṯār (en poste vers 110/728) tenait audience31. D’autres récits évoquent plutôt le « côté » (ǧānib) de la mosquée pour ce même cadi32, ou encore la zāwiya de la mosquée (peut-être un autre type de pièce séparée de la salle de prière)33. La dernière mention explicite d’un lieu d’audience remonte au tout début de l’époque abbasside, la mosquée apparaissant comme siège de la justice34. Du cadi Šarīk b. ʿAbd Allāh (en poste de 153/770 à c. 170/786-7), il est dit qu’il commença un jour par faire la prière à son arrivée à l’audience – pratique conforme à la théorie plus tardive du fiqh35 –, ce qui suggère qu’il se trouvait à la mosquée36. Mais cela allait désormais de soi et il n’était plus besoin de le préciser.
• Baṣra
12Le siège du tribunal de Baṣra a une histoire différente. Si l’un des tout premiers cadis de la ville, Kaʿb b. Sūr al-Azdī (supposément en poste sous le calife ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb), est décrit comme rendant la justice dans sa maison37, l’opposition mosquée/domicile du cadi semble moins au centre des récits relatifs à cette ville. Deux ḫabar-s consacrés à ʿImrān b. Ḥuṣayn (en poste c. 45/665) et Iyās b. Muʿāwiya (en poste c. 100/718) sous-entendent qu’ils siégeaient à la mosquée : le premier fut accosté par un plaideur mécontent à sa sortie de la maqṣūra, le second est escorté par des gardes jusqu’à l’audience, où il commence par prier deux rakʿa-s38. Néanmoins, jusqu’à la fin du ier siècle, la plupart des allusions au lieu de l’audience pointent vers des espaces autres que la mosquée.
13Wakīʿ rapporte une tradition, déjà citée par Ibn Abī Šayba, selon laquelle les cadis Zurāra b. Awfā (en poste c. 75/694-5), puis al-Ḥasan al-Baṣrī (en poste de 101/719-20 à 102/720-1), rendaient la justice « sur la raḥaba39 ». L’information est confirmée par un ḫabar plus long, dont le propos n’est pas centré sur le lieu de l’audience, rapportant qu’al-Ḥasan al-Baṣrī rendait la justice « sur la raḥaba des Banū Sulaym40 », c’est-à-dire sur l’esplanade centrale de la ville, à proximité de la grande mosquée41. À plusieurs reprises, il est par ailleurs fait état d’un cadi qui rendit la justice dans le marché (sūq) ou dans la rue, notamment à propos d’Iyās b. Muʿāwiya (en poste c. 100/718)42, et la pratique est encore rapportée pour le début de l’époque abbasside43. Le même Iyās b. Muʿāwiya aurait enfin rendu un jugement dans la maison d’un particulier, un certain Ḫālid b. Yazīd, chez qui le cadi convoqua un jour un plaideur pour le confronter à son adversaire44.
• Damas
14De rares informations nous sont parvenues sur les lieux d’audience des cadis de Damas45. Celles-ci suggèrent que, pendant longtemps, la mosquée n’y fut pas le principal lieu de justice. Comme pour Baṣra, les plus anciennes indications sont loin d’être claires. Al-Balāḏurī rapporte que le calife Muʿāwiya (r. 41-60/661-680) convoqua un jour son cadi Faḍāla b. ʿUbayd al-Anṣārī à son palais pour lui confier un procès ; le cadi ne se présenta pas et les plaideurs allèrent le trouver chez lui. Il n’est, en tout état de cause, pas question de mosquée dans ce passage46. Selon Ibn ʿAsākir, le calife al-Walīd b. ʿAbd al-Malik (r. 86-96/705-15)47 aurait dit un jour au cadi de Damas ʿAbd Allāh b. ʿĀmir b. Yazīd (m. 118/736)48 : « Où se trouve ton audience (maǧlis), Ibn ʿĀmir ? Elle se trouve entre al-ǧunāna (le bouclier)/al-ǧabbāna (le cimetière)/al-ḥināya (la sinuosité) et l’arc (al-qanṭara)49. » Le premier terme, que l’éditeur d’Ibn ʿAsākir peine à lire et à identifier, correspond vraisemblablement à un lieu ou à un élément architectural. Est-il possible d’y voir une corruption du terme al-ḥaniyya qui désigne, selon Ibn ʿAsākir, l’arcade ouest de la grande mosquée50 ? « L’arc » mentionné sans autre qualificatif pourrait être la grande porte à fronton antique, dont les vestiges sont encore visibles aujourd’hui51, qu’Ibn ʿAsākir appelle également al-qanṭara dans un passage de sa description de Damas52. Si ces deux hypothèses sont exactes, l’audience de ʿAbd Allāh b. ʿĀmir b. Yazīd pourrait avoir été située quelque part à l’extérieur de la grande mosquée, sur la rue bordée de colonnades conduisant de la porte occidentale (Bāb al-Barīd) à l’arc susmentionné (fig. 6). La grande mosquée étant en construction à l’époque de ce cadi, il semble en tout état de cause que ces indications ne peuvent renvoyer à un espace à l’intérieur du lieu de culte.
15Une quarantaine d’années plus tard, sous le premier calife abbasside, al-Saffāḥ (r. 132-136/749-754), Sālim b. ʿAbd Allāh al-Muḥāribī siégeait, dit-on, à Bāb al-Barīd53, c’est-à-dire cette même porte occidentale conduisant à l’arc. Son successeur immédiat, Muḥammad b. ʿAbd Allāh b. Labīd al-Asadī (m. 150/767), installa son audience à Bāb al-Sāʿāt (la Porte des Heures)54 – aussi appelé « Bāb al-Ziyāda » –, entrée ouest du mur sud de la grande mosquée55. Cette porte, près de laquelle se dressait une horloge hydraulique, conduisait par une colonnade monumentale au palais califal (puis émiral)56, al-Ḫaḍrā’. Il ne s’agissait pas pour autant d’un accès réservé au souverain – ce dernier disposait d’une autre entrée, dans la partie orientale du mur de qibla –, mais plutôt d’une ouverture publique, servant à la fois aux fidèles et aux cérémonies, près de laquelle s’alignaient peutêtre des boutiques57. Ces mentions de cadis siégeant « à la porte » de la mosquée sont ambiguës : se tenaient-ils à l’intérieur, ou à l’extérieur ? L’exemple contemporain du cadi égyptien Ḫayr b. Nuʿaym, qui siégeait également « à la porte de la mosquée » pour les chrétiens, mais cette fois-ci clairement à l’extérieur – al-Kindī affirme qu’il s’asseyait dans les escaliers58 –, suggère que les cadis de Damas se tenaient aussi dehors. Quelques années plus tard, l’audience se tient explicitement à l’extérieur de la mosquée : au début du règne du calife al-Manṣūr (r. 136-158/754-775), le cadi de Damas Ṯumāma b. Yazīd al-Azdī (m. 163/779-80)59 siégeait sur la raḥaba60, et c’était encore le cas d’un de ses successeurs, Yaḥyā b. Ḥamza al-Ḥaḍramī (en poste de 153/770 à 183/799, avec une interruption)61. Cette pratique de siéger sur la raḥaba dut disparaître ensuite ; elle était en tout cas devenue obsolète aux yeux de Dāwūd b. Rušayd al-Ḫuwārazmī (m. 239/854)62, qui affirma quelques décennies plus tard : « Je suis assez vieux pour avoir connu (adraktu) cet homme [le cadi] à l’époque où il siégeait sur la raḥaba63. » De quelle raḥaba s’agissait-il ? La description de Damas d’Ibn ʿAsākir en mentionne plusieurs64, dont la plus importante semble avoir été la raḥabat Ḫālid b. Usayd, située dans l’angle nord-est de la ville, à l’emplacement de l’ancienne agora65. La raḥaba mentionnée par Ibn ʿAsākir pourrait aussi correspondre à l’espace libre – probablement une grande cour – entouré de colonnades séparant la grande mosquée du palais d’al-Ḫaḍrā’66, seul espace qui puisse être comparé, de par sa position centrale, à la raḥaba de Kūfa.
• Hypothèses
16De tels ḫabar-s laissent penser que ni les cadis de Baṣra ni ceux de Damas ne siégèrent de manière privilégiée dans la mosquée durant une grande partie de la période omeyyade. L’adoption de la raḥaba est peut-être la plus significative. Mieux connue à Kūfa qu’à Baṣra ou Damas, la raḥaba jouait le rôle, selon Hichem Djaït, de lieu de rassemblement pour les hommes du gouverneur, et accueillait des cérémonies militaires. À la différence de l’agora classique, insiste le même auteur, la raḥaba n’était ni une place politique, ni un lieu de palabres67. L’utilisation de la raḥaba comme lieu de justice à Baṣra et Damas permet de nuancer ce jugement : bien que limitée aux affaires juridiques, l’audience judiciaire représentait à bien des égards un lieu de discussion. La proximité entre la raḥaba et le palais permet par ailleurs de supposer que la justice fut perçue, à certaines époques, comme l’expression de la puissance politique du gouverneur. Si les cadis Ṯumāma b. Yazīd et Yaḥyā b. Ḥamza siégèrent bien dans la cour qui séparait la mosquée du palais, ce n’est sans doute pas un hasard : alors que le pouvoir abbasside faisait face à une contestation récurrente en Syrie68, rapprocher le lieu de l’audience du palais rappelait que la nouvelle dynastie incarnait désormais la véritable justice.
17Dans certaines régions, l’utilisation judiciaire des raḥaba-s se prolongea encore un temps. Selon al-Iṣfahānī, le vicaire (ḫalīfa) du gouverneur de Médine Ǧaʿfar b. Sulaymān (r. 146-150/763-767, puis 161-166/777-783) rendait la justice sur la raḥabat al-qaḍā’, à côté de la mosquée69, et le mālikite Ibn Ḥabīb (m. 238/853)70 recommandait encore, quelques années plus tard, que la justice soit rendue « dans les riḥāb des mosquées, à l’extérieur de ces dernières, conformément à la pratique des anciens » – il faisait allusion, selon Ibn Farḥūn (m. 799/1397), à cette même raḥabat al-qaḍā’de Médine71. Au début de l’Islam comme par la suite, les litiges commerciaux devaient représenter une grande partie des affaires soumises aux cadis, et la tenue d’audiences dans la rue ou dans les souks trouve peut-être là sa justification72.
18On peut enfin se demander dans quelle mesure la tenue récurrente d’audiences judiciaires à l’extérieur de la mosquée reflète la manière dont la jeune communauté musulmane se représentait et concevait ses rapports à l’autre. Les débats du viiie siècle sur le lieu de l’audience sont en partie liés, nous l’avons vu, à la question des relations entre musulmans et ḏimmī-s. Les opposants à la tenue d’audiences judiciaires dans la mosquée et à la venue de ḏimmī-s dans le lieu de culte musulman semblent avoir été les mêmes. Le choix du siège de l’audience dépendait donc de la manière dont les musulmans percevaient leur communauté : soit comme une société ayant pour vocation d’intégrer les non-musulmans – jusqu’à un certain point –, soit comme une communauté exclusive.
19Fred Donner, mais aussi Robert Hoyland et d’autres chercheurs, ont ces dernières années formulé l’hypothèse que la umma primitive se définissait avant tout comme une communauté de mu’minūn (« croyants ») dénuée de barrières confessionnelles rigides ; ce n’est que dans un deuxième temps, vers la seconde fitna et la prise du pouvoir par les Marwānides, qu’une communauté de muslimūn se serait plus strictement distinguée des autres monothéistes73. Cette définition exclusive de la umma musulmane eut des répercussions jusque dans les discussions que les juristes classiques entretinrent à propos des plaideurs non musulmans souhaitant comparaître devant un cadi. Si les fuqahā’affirmaient à l’unanimité qu’un cadi devait trancher tout litige opposant un musulman et un non-musulman74, il en allait autrement lorsque deux ḏimmī-s d’une même religion se présentaient à lui. Dans l’Irak de la fin du viiie siècle, Abū Yūsuf souhaitait que le cadi traite leur affaire, mais pour la plupart des autres juristes (y compris Abū Ḥanīfa), cette obligation tombait lorsqu’un des plaideurs ne désirait pas soumettre l’affaire au cadi75. Al-Šāfiʿī préférait que le cadi s’abstienne de juger des ḏimmī-s si aucun musulman n’était impliqué dans leur conflit : il pouvait alors renvoyer le procès devant un juge de leur communauté76. L’existence de telles discussions au tournant du iiie/ixe siècle suppose que la question de la séparation judiciaire des communautés n’allait pas de soi.
20Les traces de controverses sur ce point remontent aux premières décennies du viiie siècle. Dans un chapitre intitulé « Les musulmans jugent-ils les [gens du Livre] ? », ʿAbd al-Razzāq expose différents points de vue. Le calife ʿUmar II aurait donné pour instruction au gouverneur de Mossoul, ʿAdī b. ʿAdī77, de donner satisfaction aux non-musulmans venus solliciter sa justice78. Le Mecquois ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ, le Baṣrien Ibrāhīm al-Naḫaʿī et le Kūfiote ʿĀmir al-Šaʿbī concèdent que l’autorité judiciaire musulmane (les deux derniers parlent de wālī, probablement un gouverneur) est libre de juger les affaires opposant des gens du Livre ou de les renvoyer devant leurs institutions communautaires79. Pour al-Zuhrī (m. 124/742)80, enfin, « la coutume veut (maḍat al-sunna) que les [gens du Livre] soient renvoyés, pour ce qui concerne leurs droits (ḥuqūq, c’est-à-dire les litiges matériels) et leurs héritages, devant ceux de leur religion » ; la seule exception concerne les affaires impliquant des peines corporelles (ḥadd), dont les ḏimmī-s peuvent réclamer l’application devant les autorités musulmanes81.
21En admettant que l’instruction attribuée à ʿUmar II représente la pratique officielle de l’État omeyyade – pratique discutée par les juristes de son époque et des décennies suivantes –, il est probable que sous les Omeyyades, les audiences judiciaires aient été plus ouvertes aux non-musulmans que le reste de la tradition narrative n’en garde trace82. L’adoption d’espaces neutres pour siège du tribunal pourrait ainsi constituer un indice du caractère religieusement moins tranché, et plus « œcuménique », des débuts de la justice islamique. À Baṣra en particulier, peut-on établir un parallèle entre l’utilisation d’espaces publics ouverts comme la raḥaba, d’un côté, et de l’autre une tendance prononcée, au viiie siècle, à accepter les non-musulmans dans la mosquée (notamment dans un contexte judiciaire)83 ? Plus que dans les autres métropoles, la compétence judiciaire du pouvoir islamique sur les non-musulmans s’y serait maintenue.
1.1.3. Vers l’adoption de la mosquée comme siège du tribunal
22Même lorsque le cadi tenait audience à l’extérieur de la mosquée, il n’en était pas loin. Malgré la difficulté de leur interprétation, les exemples damascènes le montrent bien : on siège plus ou moins près des portes de la mosquée voire, peut-être, derrière le mur de qibla. L’adoption définitive de la mosquée comme lieu d’audience ne peut être datée avec précision en raison des possibles projections de cette pratique sur une ou deux générations antérieures. D’après les sources narratives, cette habitude serait apparue dans les deux villes de Baṣra et Kūfa vers les années 100-110/718-72884. Certains récits sont néanmoins suspects. Ainsi dit-on qu’à Baṣra, al-Ḥasan al-Baṣrī s’asseyait « au pied de l’antique minaret (al-manāra al-ʿatīqa), à l’arrière de la mosquée85 ». Or, si l’on en croit Jonathan Bloom, la mention d’un minaret à Baṣra au milieu de la période omeyyade serait anachronique, car nulle mosquée irakienne n’aurait été dotée de tour avant la fin du iie/viiie siècle86. S’il s’agit d’une projection dans un cadre polémique, peut-être est-ce néanmoins dans les amṣār du Sud irakien qu’une insistance croissante sur l’adoption de ce monument vit d’abord le jour. À Baṣra, l’habitude de siéger en pleine rue réapparut par la suite de temps à autre87, mais à l’époque abbasside, cette pratique relevait de l’exception et la mosquée était désormais le lieu privilégié88. À Médine aussi, le cadi des années 140/757 semblait siéger à la mosquée89. À Fusṭāṭ, les mentions de mosquées comme sièges d’audiences judiciaires apparaissent dans les années 120/738 et se multiplient à la période abbasside90. À Damas en revanche, des espaces extérieurs à la mosquée – notamment la raḥaba – demeurèrent encore des lieux de justice privilégiés jusqu’à la seconde moitié du viiie siècle.
23L’adoption de la mosquée comme siège du tribunal, à la fin de l’époque omeyyade – voire, pour certaines villes, sous les premiers Abbassides – fut probablement à l’origine des interrogations sur le statut de la mosquée et, peut-être, sur la compétence des autorités musulmanes en matière de litiges entre ḏimmī-s. En tenant audience sur la raḥaba ou à leur domicile, les anciens cadis agissaient avant tout en représentants de l’autorité publique, et l’appartenance religieuse des plaideurs portait peu à conséquence. En revanche, avec l’adoption du lieu de culte des musulmans, à une époque où une frontière claire était désormais tracée entre communautés, l’admission des non-musulmans à l’audience n’allait plus de soi, et les paradoxes provoqués par cette « islamisation » de la justice suscitèrent les controverses que nous avons évoquées plus haut. Une des premières solutions envisagées à Fusṭāṭ consista à organiser un tribunal « mixte » : vers 120/738, le cadi Ḫayr b. Nuʿaym siégeait dans la mosquée pour les musulmans, et à l’extérieur, sur le parvis, pour les ḏimmī-s91. Cette situation sembla se maintenir pendant plusieurs décennies et ce n’est que vers 177/793 qu’un cadi ḥanafite, Muḥammad b. Masrūq al-Kindī, se mit à admettre les non-musulmans à son audience à l’intérieur de la mosquée92. Peut-être cette pratique avait-elle auparavant déjà été admise en Irak, province dont ce cadi était originaire93.
24La mosquée ne semble pas avoir été élue comme lieu d’audience privilégié partout au même moment. Les premières villes à avoir connu cette évolution sont les amṣār irakiens, Kūfa et Baṣra. Serait-ce parce que les non-musulmans y étaient moins nombreux qu’ailleurs, ce qui aurait permis une délimitation spatiale plus précoce entre les communautés et leurs justices ? L’adoption de la mosquée comme lieu d’audience est en tout cas bien postérieure à la fin de la seconde fitna (73/692), repère proposé par Donner pour marquer la naissance véritable d’une communauté distincte de muslimūn. Vingt à trente ans – l’espace d’une génération – s’étaient écoulés avant qu’une telle distinction entre communautés s’établisse au niveau judiciaire. À Fusṭāṭ, ville fondée par les musulmans mais intégrant la Babylone chrétienne, la séparation semble intervenir une ou deux décennies plus tard. Il semble que la mosquée fut adoptée le plus tardivement comme lieu de justice à Damas, dans la seconde moitié du viiie siècle, peut-être parce que c’est là que les non-musulmans étaient les plus nombreux, et qu’ils interagissaient le plus avec les musulmans au quotidien. Le contexte socioreligieux de Damas fut responsable d’expérimentations inédites ailleurs : vers les années 180/790, la ville eut une judicature bicéphale, avec un cadi pour les musulmans (Yaḥyā b. Ḥamza) et un cadi pour les non-musulmans (Suwayd b. ʿAbd al-ʿAzīz, m. c. 194/809). Le second était un mawlā de la tribu du premier, et était appelé qāḍī l-ʿaǧam (le cadi des non-Arabes)94. Yaḥyā b. Ḥamza, nous l’avons vu plus haut, est le dernier cadi connu pour avoir tenu audience sur la raḥaba de Damas. Peut-on penser qu’il fut aussi celui qui fit définitivement entrer la justice des musulmans à la mosquée, dans la seconde partie de sa longue judicature, tandis que Suwayd b. ʿAbd al-ʿAzīz demeurait sur la raḥaba pour les non-musulmans ? L’hypothèse est séduisante.
25Les mosquées devinrent donc le lieu d’audience judiciaire le plus courant, mais il reste à déterminer lesquelles jouèrent ce rôle. On accepte en général l’idée que ce furent dès l’origine les grandes mosquées – centrales, où s’effectuait la prière et le prône du vendredi – qui accueillirent les tribunaux95. Au niveau terminologique, des auteurs comme Wakīʿ ou al-Kindī distinguent la simple mosquée (masǧid) de la grande mosquée (al-masǧid al-ǧāmiʿ à Baṣra, Fusṭāṭ et Bagdad ; al-masǧid al-aʿẓam à Kūfa). Cette distinction n’est pas toujours significative : en dépit de l’apparition, entre 650 et 750, de mosquées à minbar dans les principales villes du monde musulman, aucun terme ne les distingua, dans un premier temps, des simples mosquées de quartier96. Ainsi, dans l’historiographie égyptienne, le terme masǧid sert-il parfois à désigner la « grande » mosquée de ʿAmr97. Masǧid pourrait donc bien renvoyer, dans l’historiographie consacrée aux cadis, à la grande mosquée de leur district.
26L’exemple égyptien oblige néanmoins à nuancer ce jugement. À deux reprises, al-Kindī précise en effet qu’un cadi siégeait dans une mosquée qui n’était pas la « grande » mosquée. En 140/757-8, Yazīd b. ʿAbd Allāh b. ʿAbd al-Raḥmān b. Bilāl rendait la justice dans une mosquée tribale, celle de Ḥaḍramawt98. Vers 168/785, al-Mufaḍḍal b. Faḍāla tenait audience dans « sa » mosquée, peut-être un oratoire privé ou la mosquée tribale de son quartier99. Il est impossible de savoir si ces deux cas relèvent de l’exception ou de la règle100 ; l’existence avérée de tels cas à Fusṭāṭ laisse néanmoins penser que le terme al-masǧid peut en certains cas renvoyer à l’institution de la mosquée en général101.
27Cela est d’autant plus vrai que, chronologiquement, les termes masǧid et al-masǧid al-ǧāmiʿ/al-aʿẓam ne sont pas employés pour les mêmes époques. En Égypte, la grande mosquée apparaît de manière explicite comme lieu de l’audience dans le dernier quart du iie/viiie siècle, et les références à cet édifice ne se multiplient qu’au début du siècle suivant, dans les années 200-210/820-830102. Chez Wakīʿ, les premières occurrences du terme al-masǧid al-ǧāmiʿ/al-aʿẓam en lien avec une audience judiciaire renvoient à des cadis de Kūfa : ʿAbd Allāh b. Nawf al-Taymī, qui aurait exercé vers la fin des années 110/728, mais dont Wakīʿ doute qu’il fût jamais cadi103 ; plus historique, sans doute, est le cas d’Ibn Abī Laylā (en poste de 121/739 à 129/746-7, puis de 132/749 à 148/765-6)104. La grande mosquée apparaît ensuite comme lieu de l’audience à Bagdad, sous les califes al-Manṣūr (r. 136-158/754-775) et al-Mahdī (r. 158-169/775-785)105, puis un peu plus tard à Baṣra, vers 199/814-5106. Ces indications éparses ne permettent pas de conclusion définitive. Elles révèlent néanmoins une certaine tendance : celle de l’adoption progressive de la grande mosquée comme lieu de l’audience judiciaire, d’abord à Kūfa et à Bagdad (peut-être au début de l’époque abbasside107), puis à Baṣra dans la seconde moitié du iie/viiie siècle, puis enfin à Fusṭāṭ au début du siècle suivant, peut-être sous l’influence de cadis envoyés d’Irak108.
28L’arrivée au pouvoir des Abbassides apparaît, chez certains auteurs irakiens, comme un réel tournant dans cette évolution. Ibn Ḥanbal rapporte ainsi :
On demanda à Sufyān [b. ʿUyayna] :
– Où l’as-tu vu ? – C’est-à-dire Muḥārib b. [Diṯār].
– Dans la zāwiya – c’est-à-dire qu’il y tenait audience judiciaire. Puis, quand arrivèrent ceux-là (hā’ulā’), Ibn Abī Laylā alla s’asseoir auprès des gens des tapis (aṣḥāb al-ḫumūr)109.
29« Ceux-là » désignent sans doute possible les Abbassides, dont Ibn Abī Laylā fut un des premiers cadis à Kūfa110. L’expression aṣḥāb al-ḫumūr reste mystérieuse : les ḫumūr sont-ils ces petites nattes dont parle l’éditeur d’al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl111 ? Devrait-on lire aṣḥāb al-ḥumur (« les âniers ») ? Dans un cas comme dans l’autre, le récit témoigne d’un déplacement de l’audience vers un endroit de la mosquée plus ouvert au grand public que la simple zāwiya – probablement la salle de prière. Ce tournant est sans doute plus symbolique que réel ; il n’en demeure pas moins que chez les savants de la première moitié du ixe siècle, le renversement dynastique restait associé au souvenir de changements dans les pratiques judiciaires.
30Est-ce à dire que les générations de cadis précédentes ne siégeaient jamais à la grande mosquée ? Rien ne permet de le dire. Tout au plus peut-on remarquer que l’association terminologique entre la « grande » mosquée et l’audience judiciaire correspond à une période où la place des grandes mosquées dans l’espace urbain connut une forte expansion. La mosquée de Baṣra fit l’objet d’agrandissements considérables sous al-Mahdī et al-Rašīd112. Celle de Médine fut restaurée et élargie par al-Saffāḥ puis al-Mahdī113. À Fusṭāṭ, le plus spectaculaire agrandissement de la mosquée de ʿAmr se produisit un peu plus tard, à partir de 212/827, sous le gouverneur ʿAbd Allāh b. Ṭāhir : la surface de la mosquée fut doublée114. À la même époque, les grandes mosquées commencèrent à se doter de minarets – d’abord à Bagdad sous al-Rašīd, si l’on suit l’interprétation de Bloom, puis dans les provinces. À travers ce nouvel élément architectural, qui marqua sur le long terme les paysages urbains de l’Islam, la mosquée s’emparait du droit à la hauteur monumentale, privilège que le pouvoir califal monopolisait jusque-là : de manière symbolique, le pouvoir religieux était transféré du palais vers le temple115. Bien que les preuves textuelles fassent défaut, il est possible que l’adoption définitive de la grande mosquée comme siège de l’audience soit liée à un processus identique. Au transfert de l’autorité religieuse – autrefois aux mains du calife – vers les hommes de mosquée, à l’épanouissement d’une judicature échappant désormais au pouvoir des gouverneurs116, correspondrait le déplacement de l’audience de lieux peu connotés religieusement à la mosquée, puis à la grande mosquée. Quoi qu’il en soit, l’installation de l’audience judiciaire à la mosquée marque l’instauration progressive d’une justice se réclamant de l’islam.
31En Irak en particulier, le lien entre justice et religion fut souligné par les rites précédant l’ouverture de l’audience judiciaire. La littérature narrative relate qu’au début du viiie siècle, le cadi Iyās b. Muʿāwiya priait deux rakʿa-s avant de siéger à Baṣra117. Dans la Kūfa des années 110-120/730, des cadis comme Muḥārib b. Diṯār et ʿAbd Allāh b. Šubruma auraient prié quatre rakʿa-s, puis imploré Dieu de les assister dans leur mission, avant de tenir leur première audience après leur désignation comme cadis118. Historiques ou non, ces rituels se virent légalement sanctionnés, un siècle plus tard, dans la théorie ḥanafite de la judicature telle que la représentent al-Ḫaṣṣāf et son commentateur :
Il dit :
{Lorsque le cadi entre dans la mosquée et souhaite commencer à
[rendre la justice], il prie deux ou quatre rakʿa-s}, c’est-à-dire ce qui
lui est le plus aisé. Il s’agit d’une salutation (taḥiyya) de la mosquée qui
n’est pas réservée au cadi.
Abū Bakr dit :
On rapporte d’après lui – que la prière et le salut d’Allāh soient sur lui
– qu’il dit : « Le salut de la mosquée consiste en deux rakʿa-s. Lorsque l’un d’entre vous vient à la mosquée, qu’il prie deux rakʿa-s. »
Il dit :
{Après sa prière, [le cadi] supplie (yadʿū) Allāh le Très-Haut de l’assister (an yuwaffiqa-hu), de le guider (an yusaddida-hu) vers le bon droit (al-ḥaqq) et de le prémunir de toute désobéissance [à Ses commandements]. Puis il s’assied pour rendre la justice, le visage tourné vers la qibla.} En effet on rapporte d’après le Prophète – que la prière et le salut d’Allāh soient sur lui – qu’il a dit : « Le lieu orienté vers la qibla est le plus noble pour siéger »119.
32Ce double rite – l’un commun à tous les musulmans, la salutation de la mosquée par la prière canonique ; l’autre propre au cadi, par une invocation (duʿā’) adressée à Dieu – reflète la sacralisation croissante dont faisait l’objet l’exercice de la justice. Trancher entre les plaideurs n’était pas seulement l’œuvre d’un représentant du pouvoir ; c’était, aussi, une mission religieuse nécessitant une mise en condition spirituelle. Réalisée en public et visible par tous, cette préparation spirituelle contribuait à promouvoir une justice placée sous le signe de l’islam.
1.2. L’organisation matérielle du tribunal
33L’administration judiciaire ne disposant pas d’un édifice réservé, le tribunal devait s’adapter à l’espace réduit où le cadi faisait aménager son audience – à la mosquée ou ailleurs –, peut-être de manière temporaire. Comme le souligne Antoine Garapon, toute audience judiciaire se présente comme un spectacle, structuré autour de deux pôles : la scène, réservée aux acteurs (personnel judiciaire et plaideurs), et la salle où se pressent les spectateurs, ces deux pôles n’existant que l’un par rapport à l’autre120. La manière de structurer cet espace, de le hiérarchiser, de créer une symbolique, diffère néanmoins d’une culture à l’autre, voire au sein d’un même monde social. Plusieurs éléments relatifs à cette organisation reviennent dans les sources : l’organisation spatiale de l’audience, son mobilier, la manière de se vêtir du cadi, etc., qui participent tous à la théâtralité de la justice et constituent autant d’indices de la place que le système judiciaire occupe dans la société. Les éléments connus pour les premiers siècles de l’hégire, nous allons le voir, pointent vers une évolution des modes de représentation théâtrale.
1.2.1. Organisation spatiale et distance des plaideurs
34Peut-être en raison de l’absence de lieu spécifiquement consacré à la justice dans l’Islam des premiers siècles, les deux grands pôles du théâtre judiciaire – « la scène » (cadi, auxiliaires et justiciables) et « la salle » (public) – ne faisaient pas l’objet d’un cloisonnement matériel (bancs, barrières, tables) comme il en existe dans les palais de justice contemporains121. La limite entre ces deux espaces était donc potentiellement à géométrie variable. L’appréhension de la « frontière » entre le tribunal et le public évolua de manière insensible, mais néanmoins incontestable, au cours du temps.
35L’organisation horizontale – spatiale – de l’audience ne semble pas connaître de particularités régionales fondamentales au début de l’époque omeyyade. Les premières indications textuelles, notamment pour Kūfa, laissent transparaître une forte proximité entre le cadi, les justiciables et la foule. Des récits de transmission kūfiote dépeignent un Šurayḥ près duquel les gens s’asseyent alors qu’il tient audience122. Il aurait salué les plaideurs123, dont il aurait été si proche qu’un jour un plaignant bédouin (aʿrābī) lui prit la main au cours de sa plaidoirie124. Dans la première moitié du viiie siècle, les récits relatifs à la judicature de Kūfa se distinguent par leur description de cadis aux côtés desquels se tiennent un ou deux faqīh-s prêts à les conseiller125. De telles indications cessent après la fin de la période omeyyade, et cette pratique ne semble correspondre à celle d’aucune autre ville d’Orient, à l’exception, peut-être, de Médine126. La manière de siéger semblait quelque peu différente dans la Baṣra de la fin du ier siècle. La présence de savants auprès de ses cadis est rarement évoquée dans les sources ; l’unique mention d’un Médinois aux côtés d’al-Naḍr b. Anas (en poste c. 75/694-5) semble relever de l’exception127. Ce n’est que dans le droit mālikite occidental et dans le droit ibāḍite d’origine baṣrienne que le cadi se voit demander de s’entourer d’un conseil de savants (šūra) que le cadi doit consulter avant de rendre son jugement128. Il est difficile de savoir si cette théorie plonge ses racines dans la pratique des anciens cadis médinois et baṣriens. On peut seulement constater que deux droits issus des milieux médinois et baṣrien aboutirent à des positions proches sur ce sujet.
36La proximité du public n’était pas sans occasionner parfois une certaine gêne pour le cadi. Wakīʿ relate qu’à la nomination d’al-Ḥasan al-Baṣrī en 101/719-20, la foule se pressait tant auprès de lui que les spectateurs allaient jusqu’à poser leurs mains sur ses épaules. Le cadi se serait exclamé : « Ce sont des gardes du corps (wazaʿa) qu’il faudrait à ces gens129 ! » Au début de l’époque abbasside, les sources mentionnent plus souvent que le public affluait au tribunal130. Lors d’un procès de maẓālim où le cadi de Baṣra ʿĪsā b. Abān fut lui-même appelé à comparaître, au début du iiie/ixe siècle, on proposa de déplacer l’audience dans la maqṣūra de la mosquée afin d’isoler le tribunal de la foule nombreuse qui assistait au procès, mais le cadi refusa131.
37La promiscuité qui résultait d’une telle réunion du tribunal et du public dans un espace non cloisonné amena plusieurs cadis à réorganiser l’audience. Deux cadis de Fusṭāṭ entreprirent d’éloigner d’eux le public : le ḥanafite Muḥammad b. Masrūq (en poste de 177/793 à 184/800)132, puis le mālikite Hārūn b. ʿAbd Allāh (en poste de 217/832 à 226/840), ce dernier étant connu pour avoir « interdit à ceux qui venaient prier de s’approcher de lui et éloign[é] ses scribes ainsi que les plaideurs133 ». Toujours attentif aux innovations qui modifièrent le visage de la judicature égyptienne, al-Kindī affirme que ce cadi fut le premier à agir de la sorte134, et sans doute ne fut-il pas le dernier. Malgré leur différence d’affiliation juridique, Muḥammad b. Masrūq et Hārūn b. ʿAbd Allāh avaient pour point commun d’avoir tous les deux longtemps séjourné et/ou exercé la judicature en Irak, et il est possible, bien que Wakīʿ – qui s’intéresse moins qu’al-Kindī à l’administration des tribunaux – n’en fasse pas état, que l’habitude d’éloigner du cadi la foule compacte des plaideurs ait commencé à se répandre en Irak dans la seconde moitié du viiie siècle. Quoi qu’il en soit, la théorie juridique s’empara rapidement de la question. Au iiie/ixe siècle, les juristes ḥanafites d’Irak se mirent en effet à concevoir une séparation plus stricte entre le public et le cadi. Al-Ḫaṣṣāf (m. 261/874) recommande au cadi de maintenir la presse à distance, de sorte qu’elle ne puisse entendre les échanges entre le juge et les justiciables135. Ce à quoi le juriste al-Ǧaṣṣāṣ ajoute, un siècle plus tard, qu’une telle distance est indispensable pour que le cadi ne soit pas dérangé par les bavardages du public, et pour que ce dernier ne puisse suggérer leurs réponses aux plaideurs136.
1.2.2. Mobilier de l’audience
38Les quelques indications qui nous sont parvenues sur le mobilier de l’audience ne laissent pas transparaître de divergences régionales notables aux premiers siècles de l’hégire. Comme souvent, la plus ancienne indication concerne Šurayḥ, à Kūfa. Celui-ci se serait tenu assis sur une ṭinfisa, terme qui peut à la fois signifier un tapis et une simple natte de jonc137. Nulle autre information n’est fournie pour l’époque omeyyade et le terme ṭinfisa, assez général pour désigner tant un support rustique qu’un tapis plus confortable, est manifestement un générique commode permettant d’englober les catégories qui se développèrent par la suite.
39En dépit de l’ambiguïté et, parfois, de la polysémie du vocabulaire relatif aux tapis dans l’Islam médiéval, les textes laissent entrevoir les grandes lignes d’une évolution qui tend vers l’utilisation d’un mobilier d’apparat. Au début de la période abbasside, deux conceptions se développent et s’opposent : celle de la natte rustique et celle du tapis confortable. Dans les années 140/757-8, le cadi de Baṣra, Sawwār b. ʿAbd Allāh, est dépeint comme un homme simple malgré les hautes fonctions qu’il occupe (il était également gouverneur de la ville), un juge qui siège sur une natte ordinaire (ḥaṣīr), les jambes enserrées dans son vêtement138. Une telle image de simplicité et de piété – peut-être un topos139 – fut plus tard remise au goût du jour par le cadi de Bagdad ʿAlī b. Ẓabyān (en poste c. 190/805-6). Celui-ci abandonna le tapis plus confortable de ses prédécesseurs au profit d’une natte de roseaux (bāriya)140. C’est qu’en effet l’époque abbasside vit se répandre des supports plus luxueux. À Fusṭāṭ, le cadi siégeait désormais sur un mafraš dans les années 130/750141, celui de Baṣra sur un farš dans les années 210/825142. Selon Joseph Sadan, le terme mafraš – littéralement « ce que l’on déploie » – désigne souvent la couche nocturne, mais peut aussi s’appliquer à un tapis143. Le farš, également tapis, peut aussi qualifier ce que nous appellerions « trône »144. Tapis et matelas ne différaient pas nécessairement dans leur nature, car la couche était souvent constituée de tapis superposés145. Bien que la définition exacte de ces farš-s ou mafraš-s ne puisse que faire l’objet de spéculations, il s’agissait de toute évidence d’objets mobiliers plus confortables que la natte (ḥaṣīr ou bāriya) que préféraient encore certains cadis du premier âge abbasside. Il en va de même du waṭā’– « ce que l’on étend par terre ou sur un lit pour y être plus mollement146 » – que les cadis de Bagdad employèrent jusqu’à ce que ʿAlī b. Ẓabyān en rejette (sans doute temporairement) l’usage au tout début du ixe siècle147. Certains cadis disposaient de tapis de qualité et coûteux, tel ʿĪsā b. Abān dans la Baṣra des années 210/825, dont le farš venait du Ṭabaristān148. D’autres types de tapis furent utilisés à Fusṭāṭ au début du ixe siècle : al-Kindī évoque à deux reprises des muṣallā-s (lit. « tapis de prière ») que des cadis avaient disposés à leur audience149. Vers 194/810, le muṣallā du cadi Hāšim b. Abī Bakr al-Bakrī couvrait même une paire de ciseaux qui lui servirent à détruire un jugement de son prédécesseur150.
40Les nattes ne disparurent pas pour autant, mais peut-être ne constituaientelles plus le support sur lequel les cadis s’asseyaient directement. En 235/850, le cadi responsable de l’application de la miḥna en Égypte, Muḥammad b. Abī l-Layṯ, fut arrêté et emprisonné. La populace, qui détestait ce cadi, prit son audience d’assaut et jeta « ses nattes » (ḥuṣur) avant de laver l’emplacement à grande eau151. Il est probable que le cadi, alors révoqué, avait déjà remporté son mobilier de la mosquée et que les nattes qui furent jetées aux ordures dans un geste de purification symbolique étaient tout ce qui restait de son tribunal152.
41Avec le tapis sur lequel était installé le cadi, les coussins constituaient le principal mobilier de l’audience sous les Abbassides. Vers 166/782-3, Ḫālid b. Ṭalīq siégeait, à Baṣra, sur « deux wisāda-s superposées153 ». Une quarantaine d’années plus tard, dans la même ville, les coussins (wasā’id) servaient de dossier au cadi154. Le terme wisāda, observe Joseph Sadan, s’applique à un type de coussin long, susceptible d’être plié en deux, et peut désigner un « coussin-siège »155 ; ces coussins amélioraient le confort déjà procuré par les tapis, mais surtout, ils rehaussaient l’assise du cadi, le rendant plus visible et le mettant en valeur à l’intérieur de la mosquée156. Cette surélévation – surtout par le biais de coussins doubles157 – participait enfin à la mise en avant du rang, de l’honneur et de l’autorité du cadi, qui occupait une place plus élevée que son personnel et que les plaideurs, position équivalente au ṣadr en d’autres assemblées158. Au début de l’époque abbasside, l’usage de coussins devint en tout cas si typique de la judicature que le savant égyptien Yazīd b. Abī Ḥabīb159 aurait vanté le futur cadi ʿAbd Allāh b. Lahīʿa (en poste de 155/771-2 à 164/780) en lui disant : « C’est comme si tu étais [déjà] assis sur les coussins ! » – ces derniers étant pris, selon al-Kindī, comme métonymie de l’audience judiciaire160.
1.3. Le personnel judiciaire
42L’évolution des traits formels de l’audience suggère que nombre de caractéristiques classiques de la judicature musulmane n’apparurent que progressivement, à la fin de la période omeyyade et dans le courant de l’époque abbasside. Qu’en estil de l’organisation humaine de la judicature ? Où et quand des tribunaux peuplés d’un personnel varié apparurent-ils, contribuant à faire de l’audience ce théâtre judiciaire où chacun tenait un rôle précis ? Les fonctions de héraut (munādī), de scribe, de chambellan (ḥāǧib), de policier chargé du maintien de l’ordre (ǧilwāz) et d’auxiliaires judiciaires (aʿwān) aux tâches variées sont bien connues grâce aux travaux d’Émile Tyan et, plus récemment, de Wael Hallaq161. Ces études ne prennent cependant en considération ni les variantes géographiques de l’institution, ni ses transformations, ce qui aboutit à un portrait souvent essentialiste des ressources humaines du tribunal. Or les sources narratives permettent de reconstruire une image plus historicisée de la scène judiciaire.
1.3.1. Kūfa
43Comme il est de mise pour de nombreux aspects de la judicature, les sources narratives tendent à tenir pour acquise l’existence d’un personnel judiciaire varié à l’époque de Šurayḥ : ce dernier aurait bénéficié de l’assistance d’un héraut (munādī) ou, tout au moins, d’un auxiliaire qui se tenait près de lui162 et admonestait les plaideurs ou leur demandait d’exposer leur cause163. Il aurait également été secondé par un homme chargé de maintenir l’ordre à l’audience, tantôt appelé ǧilwāz164 – le savant Ibrāhīm al-Naḫaʿī est réputé avoir occupé pour lui cette fonction165 –, tantôt qualifié de šurṭī166. Cette dernière dénomination permet à Hallaq de conclure que l’institution de la šurṭa (police) put détacher un garde auprès du cadi167. Si la présence de tels personnages aux côtés de Šurayḥ est historique, il est possible que les fonctions de héraut et de garde de l’audience n’aient en réalité fait qu’une car Wakīʿ n’évoque, à chaque fois, qu’un unique personnage remplissant ces tâches auprès du cadi. Mais il est à craindre qu’une fois encore, les éléments disponibles sur Šurayḥ résultent d’une projection en arrière. Toute information relative au personnel judiciaire de ses successeurs fait défaut168. On ne peut exclure que le récit faisant d’Ibrāhīm al-Naḫaʿī le ǧilwāz de Šurayḥ entende avant tout expliquer comment ce personnage, un des principaux transmetteurs de la sunna de Šurayḥ, connaissait aussi bien ses pratiques, et ainsi rendre vraisemblable la transmission de cette sunna.
44Après les informations suspectes relatives à Šurayḥ, il faut attendre les années 100/720 pour que réapparaisse la mention de fonctions judiciaires subalternes169. Saʿīd b. al-Ašwaʿ (en poste c. 105/723-4) se voit accompagné d’un héraut (munādī)170 et d’auxiliaires (aʿwān) aux missions indéfinies171. Ce n’est que sous les derniers Omeyyades qu’un garde (ḥaras) préposé à la police de l’audience est à nouveau évoqué. Selon le récit de Wakīʿ, Ibn Abī Laylā en aurait expressément demandé un au gouverneur Yūsuf b. ʿUmar, lors de sa nomination en 121/739, « afin que les gens le voient et qu’ainsi [sa] gloire n’en soit que plus grande172 ». Cette précision suggère qu’associer un garde au cadi n’était pas chose courante jusque-là, et que son adjonction participa d’une mise en valeur du cadi, érigé en homme de pouvoir, à la fin de l’époque omeyyade. C’est aussi avec Ibn Abī Laylā qu’apparaît, de manière indirecte, une référence à des scribes ayant notamment pour mission de consigner les témoignages portés devant le cadi173. Un scribe est encore mentionné, au début de la période abbasside, sous la judicature de Šarīk b. ʿAbd Allāh (en poste de 153/770 à 169/785-6 ou 170/786-7)174, mais les références à cette fonction restent rares par la suite.
45D’autres auxiliaires apparaissent sous les Abbassides : dans les années 170/780, al-Qāsim b. Maʿn possédait un ḫāzin (trésorier ?)175. Certains récits laissent penser que les cadis recouraient de plus en plus à un personnel secondaire : vers l’an 800, Ḥafṣ b. Ġiyāṯ envoya un certain Ṭalq b. Ġānim enquêter sur le prétendant d’une noble femme avant de la marier176. Mais d’une manière générale, Wakīʿ recourt peu à la terminologie qui en vint à désigner les principaux auxiliaires des cadis. L’impression dominante est que le cadi pouvait recourir à l’aide ponctuelle de son entourage ; on peut toutefois douter que les individus gravitant autour de lui se consacraient tous au service du cadi, à plein temps et avec un titre spécifique177. À l’exception de son scribe et d’un ou deux autres employés ponctuels, le cadi de Kūfa semblait s’appuyer avant tout sur un entourage non professionnel et sur des réseaux sociaux.
1.3.2. Baṣra
46L’histoire du personnel judiciaire à Baṣra est comparable, dans ses grandes lignes, à celle de Kūfa. À l’exception d’une mention de scribe178 et d’auxiliaires179 pour l’époque d’Abū Mūsā al-Ašʿarī – qui fut avant tout un gouverneur de Kūfa en 22/642-3180 –, il faut attendre la fin des années 90/710 pour qu’un personnel judiciaire réapparaisse dans les sources. Au personnage d’Iyās b. Muʿāwiya est associé un scribe181. Un garde (ḥarasī) lui semble aussi attaché, ayant notamment pour tâche d’introduire les plaideurs182 – des ḥaras sont aussi mentionnés à propos d’al-Ḥasan al-Baṣrī, mais dans un passage obscur où une partie du texte semble altérée183. Le personnel des cadis demeurait toutefois limité dans la Baṣra omeyyade. Les rares mentions d’un « chambellan » (āḏin) responsable de l’introduction des plaignants n’apparaissent qu’à propos d’un cadi qui exerçait en même temps la fonction de gouverneur et de ṣāḥib al-šurṭa, Bilāl b. Abī Burda184. Tout se passe comme si de telles fonctions auxiliaires étaient encore réservées aux responsables politico-militaires, catégorie à laquelle les cadis n’appartenaient pas. Le cumul de plusieurs fonctions administratives obligea ce cadi aux attributions multiples à organiser son audience de manière spécifique. Lassé de voir les mêmes plaideurs se présenter chaque jour alors qu’il ne pouvait passer ses journées entières à les auditionner, il délégua une partie de la procédure à un auxiliaire, ʿAbd Allāh b. Iyās b. Abī Maryam al-Ḥanafī. Ce dernier devait, tout d’abord, préparer chaque jour les dossiers de dix procès, dans lesquels il consignait les documents (ḥuǧaǧ) apportés par les plaideurs ainsi que leurs preuves testimoniales (bayyināt). Les justiciables étaient ensuite introduits devant le cadi et le dossier permettait à ce dernier de rendre un verdict presque immédiat185. Le même auxiliaire avait aussi pour fonction de faire exécuter les jugements du cadi, ce qui devait éviter que des procès arrivés à leur terme ne soient rouverts sans considération du jugement déjà rendu186. Il n’est pas sûr que les cadis suivants aient suivi son exemple : l’emploi du temps surchargé de ce cadi-gouverneur-préfet de police nécessitait une organisation particulièrement efficace, et ce sont, peutêtre, les moyens exceptionnels dont disposait ce haut fonctionnaire qui lui permirent d’organiser son activité judiciaire de la sorte.
47La mention d’un amīn sous le cadi Iyās b. Muʿāwiya laisse penser à première vue que ce dernier disposait déjà d’administrateurs de biens, sens que ce terme prend dans le fiqh classique. Un examen attentif du contexte narratif suggère pourtant qu’il n’en est rien, et que l’amīn en question, dépositaire d’une somme pour un particulier, était simplement l’« homme de confiance » de ce dernier et non un employé du cadi187. Quelques années plus tard, les biens des orphelins semblaient d’ailleurs encore administrés par les exécuteurs testamentaires (waṣī-s) de leurs pères décédés188.
48L’image du personnel judiciaire change au début de la période abbasside. Les mentions de scribes se multiplient189, et il devient exceptionnel qu’un cadi prenne lui-même en note les dépositions de témoins190. Un héraut (munādī) est désormais attaché à la personne des cadis191. ʿUmar b. ʿĀmir (en poste de 137/754-5 à c. 139/756-7) semblait disposer d’un auxiliaire (dont le titre est inconnu) s’occupant des plaideurs192. La fonction de chambellan (portant dès lors généralement le titre de ḥāǧib) semble encore réservée, au début, aux cadis qui cumulent leurs fonctions judiciaires avec celle de gouverneur, tels Sawwār b. ʿAbd Allāh et ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan193. Mais dans les années 170/780, un auxiliaire se tient désormais près du cadi – même s’il n’est pas gouverneur – et joue un rôle similaire194. S’il n’est pas certain que les fonctions de héraut et de chambellan étaient distinctes à cette époque – sauf quand le cadi se trouvait être le gouverneur –, le cadi semblait maintenant disposer de manière pérenne d’auxiliaires qu’on n’avait pu qu’entr’apercevoir de temps à autre sous les Omeyyades. C’est enfin à partir de cette époque que des administrateurs de biens professionnels, rétribués par le cadi et appelés umanā’(sing. amīn), font leur apparition auprès des cadis de Baṣra195 : Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste de 140/757-8 à 145/762-3) aurait été « le premier à prendre des amīn-s, à leur verser un salaire (arzāq), […] à placer les exécuteurs testamentaires (awṣiyā’) sous l’autorité d’amīn-s (adḫala ʿalā al-awṣiyā’al-umanā’)196 ». Comme cela se produisit à Fusṭāṭ au même moment, ce cadi fut aussi le premier à « s’emparer [de la gestion] des fondations pieuses » (qabaḍa l-wuqūf)197. Nombre d’affaires régulées par le droit musulman en cours de construction échappèrent ainsi aux personnes privées qui les administraient jusqu’alors pour passer aux mains de l’autorité publique.
1.3.3. Médine
49Les sources disponibles ne rendent compte d’aucun personnel auxiliaire auprès des cadis de Médine avant le début des années 700. Les principales informations concernent les gardes (ḥaras) dont les cadis semblent entourés dès cette époque. Abū Bakr b. Muḥammad b. ʿAmr b. Ḥazm en employait plusieurs, armés de fouets198. Un de ses successeurs, Saʿd b. Ibrāhīm (en poste vers 105/723), avait pour garde un de ses mawālī, nommé Šuʿba199, et vers 118/736, Muḥammad b. Ṣafwān al-Ǧumaḥī disposait toujours d’un ḥarasī à ses côtés200. Cette présence de gardes armés à l’audience, rappelant certaines informations relevées plus haut à propos de Baṣra, tranche en revanche avec les pratiques de Kūfa, où le cadi ne semble avoir eu droit à de tels auxiliaires qu’à la toute fin des Omeyyades. La présence de gardes auprès du cadi se poursuit sous les Abbassides201. Le principal changement est alors l’apparition, dans les textes, du terme ǧilwāz parallèlement à celui de ḥaras ou de ḥarasī202. Il reste difficile de déterminer si les deux termes sont synonymes ou si le ǧilwāz assumait, parmi les gardes, des fonctions spécifiques. Toujours est-il que, si les ḫabār-s relatifs aux cadis de Médine conservent une terminologie reflétant le vocabulaire employé à au moment des faits narrés, le terme ǧilwāz – non usité pour la Médine omeyyade – fut peut-être introduit sous l’effet d’une influence irakienne203.
50Tout comme en Irak, les cadis de Médine ne semblent pas avoir eu de ḥāǧib à l’époque omeyyade. Un poète en cite un à propos d’Abū Bakr b. Muḥammad b. ʿAmr b. Ḥazm (cadi dans les années 80-90/700-710), mais l’allusion est vraisemblablement postérieure à sa judicature, alors qu’Abū Bakr occupait le poste de gouverneur de Médine – le poète s’émerveille ainsi de le voir « monter sur les minbars », évoquant la prérogative gouvernorale de la ḫuṭba204. Quant aux scribes judiciaires205 et aux « auxiliaires » (aʿwān)206 généraux, ils ne font leur apparition dans la littérature relative à Médine qu’au début de la période abbasside. Est-ce à dire qu’ils n’existaient pas avant ? Il y a en tout cas là un nouvel indice du renforcement institutionnel de la judicature dans la seconde moitié du viiie siècle.
1.3.4. Fusṭāṭ
51L’histoire de Fusṭāṭ tranche avec celle des cités-garnisons irakiennes en ce que ses principaux historiens, al-Kindī et Ibn Ḥaǧar, ne cherchent pas à tout prix l’existence d’un personnel judiciaire varié dès les premiers temps de l’Islam. La fonction subalterne qui y fait son apparition en premier est celle de scribe. Des greffiers sont connus à partir de ʿAbd al-Raḥmān b. Ḥuǧayra al-Ḫawlānī (en poste de 97/716 à 98/717)207 et continuent d’être mentionnés dans les sources sans interruption significative jusqu’au iiie/ixe siècle. Al-Kindī précise souvent leurs noms, ce qui a permis d’en ébaucher une histoire sociale impossible à réaliser pour les scribes irakiens ou médinois208. Sous les Marwānides, l’institution du greffe se limitait sans doute à un scribe par cadi209. Le nombre des scribes judiciaires se multiplia en revanche à l’époque abbasside. À partir des années 780, plus un seul cadi de Fusṭāṭ n’est connu pour n’avoir eu qu’un unique greffier210. ʿAbd al-Malik b. Muḥammad al-Ḥazmī en avait trois211, ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAbd Allāh al-ʿUmarī cinq212, Hāšim b. Abī Bakr al-Bakrī deux ou trois213, etc. Si l’on en croit l’exemple d’al-ʿUmarī (en poste de 185/801 à 194/810), une hiérarchie de scribes s’instaura alors, l’un d’entre eux devenant greffier en chef214.
52Plus que dans aucune des villes jusqu’ici examinées, cette évolution témoigne d’un renforcement considérable de la structure bureaucratique de la justice.
53Cette consolidation de l’institution se traduisit aussi par une multiplication des auxiliaires de justice. Sobhi Bouderbala a récemment montré les changements qui affectèrent la gestion des biens des orphelins : administrés par des ʿarīf-s tribaux sous les Omeyyades, ils leur furent retirés au début de la période abbasside pour être confiés aux cadis215. Les avoirs des orphelins ne furent pas le seul domaine à tomber sous la coupe de la judicature. Depuis la fin de l’époque omeyyade et Tawba b. Namir (en poste de 115/733 à 120/738), les cadis avaient instauré un certain contrôle sur les biens de mainmorte (ḥubs). Las de voir ces fondations supposées inaliénables être héritées au même titre que d’autres capitaux, Tawba avait constitué un registre/une administration (dīwān) permettant de vérifier que leurs revenus allaient aux pauvres et aux indigents216. Le rôle de l’État – et de son représentant, le cadi – dans la gestion des ḥubs se renforça sous les Abbassides : dès le règne d’al-Manṣūr, l’argent qu’ils produisaient échut au Trésor public217. On vit bientôt al-Ḥazmī (en poste de 170/786 à 174/790) consacrer trois jours par mois à l’inspection des fondations pieuses et à leur entretien218. Au début des années 800, al-ʿUmarī organisait personnellement leur restauration quand celle-ci s’avérait nécessaire219. Une décennie plus tard, Lahīʿa b. ʿĪsā renforça encore son contrôle des biens de mainmorte en passant des jugements sur chacun d’entre eux220.
54La concentration aux mains du cadi de Fusṭāṭ de prérogatives administratives qui lui échappaient jusque-là l’amena à se reposer sur un personnel plus diversifié. À partir des années 170/786, al-Kindī mentionne l’existence de ʿummāl (agents) et de mutawallī-s (administrateurs) responsables de la gestion des fondations pieuses (ḥubs) devant le cadi221. Dans les années 174/790, le cadi al-Mufaḍḍal b. Faḍāla disposait d’un qassām (auxiliaire chargé de répartir les héritages) auquel il attribuait un pourcentage des successions qui passaient entre ses mains. Comme cela ne suffisait pas, le cadi finit par lui allouer un complément sur ses propres deniers222. On ignore si les gardiens de dépôts (wadā’iʿ) étaient formellement employés par le cadi223 ; en revanche les biens des orphelins furent sans doute confiés à des administrateurs officiels au début des années 184/800224. À la fin des années 205/820, le cadi ʿĪsā b. al-Munkadir était secondé par Sulaymān b. Burd, qui supervisait « l’ensemble de ses affaires225 ». Quelque temps plus tard, Muḥammad b. Abī l-Layṯ disposait d’un certain nombre d’auxiliaires (aʿwān)226.
55Remarquant, d’après l’exemple égyptien, qu’un grand nombre de cadis du ier/viie siècle occupaient en parallèle le poste de chef de la police (šurṭa), Wael Hallaq suppose que les cadis disposèrent dès le début d’une police de l’audience que leur double fonction leur permettait de s’attacher227. Soulignons toutefois que le modèle du cadi-ṣāḥib al-šurṭa est typiquement égyptien et ne se retrouve en Irak ou à Médine que de manière exceptionnelle228, et que l’hypothèse de Hallaq ne peut être généralisée. Par ailleurs al-Kindī, pourtant soucieux d’évoquer avec précision l’organisation administrative de la judicature, ne mentionne pas de police de l’audience à Fusṭāṭ avant les années 225/840, lorsque le cadi Ibn Abī l-Layṯ appliquait la miḥna avec l’aide de deux acolytes nommés ʿAbd al-Ġanī et Maṭar229 – c’est également pendant la miḥna qu’est citée pour la première fois à Fusṭāṭ la fonction de héraut (munādī)230. L’existence à Fusṭāṭ d’une police de l’audience aux viie et viiie siècles reste donc une hypothèse que les sources ne permettent pas de confirmer.
1.3.5. Conclusions
56Bien que la quantité inégale d’informations disponibles pour chaque province fasse obstacle à une comparaison régionale détaillée, le personnel judiciaire accuse quelques particularités locales sous les Omeyyades. Ainsi Médine donne-t-elle l’image d’une judicature plus militarisée que les autres, par la présence récurrente d’un garde auprès du cadi – image que cette ville partage, dans une moindre mesure, avec Baṣra. À l’inverse, les forces de l’ordre apparaissent comme étonnamment peu présentes à Fusṭāṭ – alors même que plusieurs de ses premiers cadis furent aussi chefs de la police –, tandis que la judicature semble y développer une organisation administrative plus poussée qu’ailleurs. Le caractère bureaucratique de Fusṭāṭ pourrait être lié aux tâches qui incombaient à ses cadis. Comme nous l’avons vu, la judicature de Fusṭāṭ fut rapidement chargée de gérer plusieurs catégories de biens – fondations pieuses, propriétés des orphelins –, parfois dès la fin de l’époque omeyyade, mais surtout à partir du début de la période abbasside. Les informations relatives à d’autres villes du Proche-Orient ne permettent pas de savoir si leurs cadis assumaient autant de tâches administratives. Ainsi rien ne permet de déterminer à partir de quand les cadis de Kūfa et de Médine supervisèrent la gestion des fondations pieuses ou des avoirs des orphelins231. Ce n’est qu’à la fin du viiie siècle, dans l’œuvre d’al-Šaybānī, que le rôle du cadi dans la gestion des biens des orphelins commence à être évoqué232. Peut-être les fonctions administratives des cadis de Fusṭāṭ se développèrent-elles avec une longueur d’avance sur les autres provinces ? Évaluer la pertinence historique de telles variantes demeure néanmoins une gageure. Celles-ci pourraient résulter d’un effet de source, chaque auteur et transmetteur ayant pu s’intéresser à certains éléments au détriment d’un autre.
57Les informations disponibles sur les cadis des principales villes du Proche-Orient omeyyade convergent pourtant. La constitution d’un « tribunal » au personnel varié, assistant le cadi dans ses tâches judiciaires et administratives, fut un processus lent. Il n’existe aucune indication textuelle fiable permettant d’affirmer que, jusqu’aux années 700 ou 710, les cadis disposèrent d’un quelconque personnel. Cela ne signifie pas qu’ils étaient seuls dans l’accomplissement de leurs missions, mais que leurs assistants, s’il y en eut, n’avaient probablement pas un statut permanent et identifiable comme tel. Ce n’est qu’à partir du début du viiie siècle que des auxiliaires désignés par un titre (kātib, ḥarasī, ǧilwāz) commencent à faire leur apparition, mais en nombre réduit : autant que les textes permettent d’en juger, le personnel judiciaire se limitait à un secrétaire et, éventuellement, à un « garde » responsable de l’ordre. Il faut attendre l’époque abbasside et la seconde moitié du viiie siècle pour que s’ajoutent de nouvelles catégories – héraut, chambellan, administrateur de biens, enquêteurs233, etc.
58Cette évolution confirme et complète ainsi nos conclusions tirées de l’étude des lieux d’audience et de leur organisation matérielle : la judicature se dota peu à peu, dans la seconde moitié de la période omeyyade, d’une structure humaine assistant le cadi dans une mission d’importance croissante. La centralité de la judicature se renforça sous les Abbassides, quand un personnel nouveau vint non seulement conférer au cadi les attributs d’un homme de pouvoir, mais aussi lui permettre d’accomplir les tâches administratives qui lui incombaient désormais. Ces nouveaux auxiliaires, nous en avons relevé quelques indices, occupaient des fonctions officielles auprès des cadis et étaient, pour au moins une partie d’entre eux, rémunérés. Il est possible, comme quelques exemples le suggèrent, que les cadis payèrent dès lors une partie de leur personnel sur leurs fonds propres. La forte augmentation de leurs salaires dans le courant de l’époque abbasside234 servit peut-être à entretenir certains de ces auxiliaires. Le pouvoir leur aurait ainsi donné les moyens matériels de consolider la structure administrative d’une judicature en pleine croissance.
59La multiplication des greffiers permit une gestion scripturaire accrue. Ce n’est pas un hasard si Wakīʿ comme al-Kindī remarquent dans des termes presque similaires l’évolution fondamentale qui se produisit dans la seconde moitié du viiie siècle : à Baṣra, Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste de 140/757-8 à 145/762-3), en sus de diverses innovations, « fut le premier […] à allonger les registres (siǧillāt)235 » ; dans la Fusṭāṭ des années 780, « al-Mufaḍḍal b. Faḍāla fut le premier cadi à allonger les registres (siǧillāt), à y copier les parchemins (kutub al-siḥā’)236, les testaments (waṣāyā) et les [reconnaissances de] dettes (duyūn). Avant lui, cela ne se faisait pas237 ». À une ou deux décennies de distance, l’Égypte emboitait le pas à l’Irak et constituait une judicature bureaucratique fondée sur un enregistrement systématique. Afin d’améliorer la gestion de leurs archives, les cadis de Fusṭāṭ ne tarderaient pas à adopter le qimaṭr, cette sorte de caisse qui avait fait son apparition en Irak sous les premiers Abbassides238.
60D’après les indices fournis par al-Kindī, on serait tenté de croire que, au moins en Égypte, l’audience acheva de prendre sa forme « classique » avec la miḥna des années 830-840 : le renforcement des pouvoirs coercitifs du cadi, érigé en homme de pouvoir à part entière, amena sur le devant de la scène des auxiliaires de justice (aʿwān, munādī) qui, s’ils existaient auparavant, n’avaient jamais joué un rôle aussi visible dans la mise en scène de la justice. L’apparition de ce nouveau personnel ne fut d’ailleurs pas sans provoquer des controverses, l’assimilation des cadis à des hommes de pouvoir étant ressentie par d’aucuns comme une menace, en particulier durant la miḥna. La délégation de certaines tâches à des auxiliaires multipliait les risques de corruption, comme l’œuvre d’al-Kindī en témoigne à plusieurs reprises. L’apparition de ḥāǧib-s ne fit pas non plus l’unanimité : considérée par certains comme un écran entre le cadi et les plaideurs, leur fonction fit l’objet de critiques, en particulier dans le fiqh šāfiʿite qui se développa à partir du ixe siècle239.
1.4. La réception des plaideurs
1.4.1. Placets, ruqʿa-s, qiṣṣa-s
61Dans le droit ḥanafite tel qu’on le trouve codifié au iiie/ixe siècle, la réception des plaideurs a lieu au terme d’une procédure écrite. Supposant qu’une foule nombreuse se presse à la mosquée pour soumettre ses litiges au cadi, al-Ḫaṣṣāf décrit comment ce dernier doit recevoir tous les plaideurs sans en privilégier aucun. Le demandeur devait rédiger un placet (ruqʿa, pl. riqāʿ) portant son nom (accompagné de celui de son père), ainsi que le nom de son adversaire240. Ces placets, qui servaient de « tickets d’appel » au cours de l’audience, ne paraissaient pas mentionner l’objet du litige. Ils étaient ramassés par le scribe – auquel pouvait être associé un homme de confiance du cadi – à la porte de la mosquée, avant l’arrivée du juge. Lorsque le nombre de placets collectés à l’entrée de l’audience était trop élevé pour que les affaires correspondantes puissent être examinées dans la journée, le cadi devait les regrouper en plusieurs liasses (comportant chacune une cinquantaine de placets241) et les répartir sur les audiences suivantes par tirage au sort. Pour ce faire, explique al-Ḫaṣṣāf, le cadi devait identifier chaque liasse par un billet (également appelé ruqʿa) sur lequel il écrivait le nom d’un des plaideurs qu’elle contenait ; les billets étaient froissés et mélangés dans un pot (ṭīn), puis tirés au sort et associés à un jour de la semaine. Un procès-verbal (ḏikr) du tirage au sort devait être rédigé et placé dans le qimaṭr du cadi, avec les liasses dont l’examen était ajourné. Chaque plaideur était ainsi informé de la date à laquelle son litige serait traité242. Au début de l’audience, le cadi devait défaire devant lui la liasse du jour et en mélanger les placets, afin que nul plaideur ne soit privilégié243. La seule dérogation à cet ordre consistait à traiter en priorité les litiges pour lesquels les plaignants avaient amené des témoins – sans doute afin de ne pas bloquer ces derniers de longues heures au tribunal en les empêchant de vaquer à leurs affaires244. Le cadi appelait ensuite, l’un après l’autre, les couples de justiciables, et ce n’est que lorsque ceux-ci s’avançaient devant lui que l’objet du litige lui était révélé. Le cadi devait interroger le demandeur, auteur du placet, sur la nature de sa revendication (daʿwā)245. L’affaire était ainsi présentée par oral au cadi. Toutefois, al-Ḫaṣṣāf considère que le demandeur pouvait éventuellement proposer un exposé écrit de sa plainte au cadi, sur un billet appelé cette fois-ci qiṣṣa246.
62Sur le plan théorique, ces deux écrits introductifs sont très différents. L’un (ruqʿa) est purement administratif, puisqu’il répond à la nécessité d’organiser l’audience ; l’autre (qiṣṣa) correspond à un mode d’exposition du fond d’une affaire. La pratique judiciaire, telle que la reflète la littérature narrative, est néanmoins plus complexe.
• Théorie de la qiṣṣa
63M. K. Masud croit pouvoir établir un lien entre la qiṣṣa remise au cadi et la fonction de qāṣṣ (en général traduit par « sermonnaire » ou « prédicateur ») qui fut parfois, au premier siècle de l’hégire, associée à celle de cadi en Égypte et, dans une moindre mesure, en Syrie247. Il suppose qu’en réalité le qāṣṣ n’était autre que l’employé du tribunal chargé de rédiger de tels billets exposant la nature des litiges pour les plaideurs et conclut que « la position du qāṣṣ doit avoir été bien différente de celle du prédicateur ou du conteur248 ». Quelles que soient les incertitudes pesant sur les fonctions, au demeurant mal connues, du qāṣṣ des premiers temps de l’Islam, l’hypothèse de Masud est trop spéculative pour être retenue. Nulle source ne vient suggérer que le qāṣṣ était attaché aux anciens tribunaux, ni que ses fonctions incluaient la rédaction de quelque document que ce fût pour les plaideurs. De plus l’hypothèse de Masud rend incompatible le cumul des fonctions de qāṣṣ et de cadi (alors qu’al-Kindī insiste sur ce type de cumul249) : qu’un cadi rédige des billets pour le compte des justiciables, afin d’exposer à lui-même leurs affaires, n’a aucun sens. Si l’on en croit Ibn Ḥaǧar (généralement fidèle à ses sources250), la fonction de qāṣṣ n’était pas associée, dans l’esprit d’un Égyptien du iie/viiie siècle tel al-Layṯ b. Saʿd, à autre chose qu’une forme de prédication édifiante, au contenu religieux et/ou politique, déclinable tant pour un public populaire que pour des auditeurs issus de l’élite sociale et politique251.
64S’il faut donc oublier l’idée d’un lien institutionnel entre la qiṣṣa judiciaire et la fonction de qāṣṣ, le terme qiṣṣa renvoie bien, en revanche, au champ sémantique du « récit » : celui que le plaideur fait de son litige. L’exposition peut être orale (comme dans l’expression qaṣṣa ʿalay-hi [qiṣṣata-hu]252) ou bien écrite, comme al-Ḫaṣṣāf en offre la possibilité. Il semble néanmoins que l’opportunité de présenter sa plainte par écrit au cadi – outre qu’elle se restreignait aux plaideurs lettrés ou ayant accès à un écrivain public253 – fit l’objet de débats aux deux premiers siècles de l’Islam. Ibn Abī Šayba consacre une brève entrée de son Muṣannaf au « cadi auquel on remet une qiṣṣa ». Les deux traditions qu’il y mentionne, mettant en scène le cadi Šurayḥ, sont contradictoires : dans la première, rapportée par Ibn Sīrīn (Baṣrien, m. 110/729254) < al-Šaʿbī (Kūfiote) < Ašʿaṯ < ʿAlī b. Mushir (m. 189/805 ; Kūfiote, un temps cadi de Mossoul255), Šurayḥ aurait accepté qu’une personne avoue par le biais d’une qiṣṣa256. Dans la seconde, rapportée par Furāt b. Abī Baḥr (Kūfiote)257 d’après son père < Wakīʿ [b. al-Ǧarrāḥ] (Kūfiote, m. 197/812)258, Šurayḥ aurait refusé de lire la qiṣṣa que lui soumettait un plaideur259. Si cette divergence fut un temps de nature régionale, cela ne peut que remonter à la génération d’Ibn Sīrīn, dans le premier quart du viiie siècle, car les deux traditions empruntent ensuite des isnād-s kūfiotes. Il est probable que, plus tard, certains Kūfiotes acceptèrent eux-mêmes l’utilisation de qiṣṣa-s dans un cadre judiciaire, ne serait-ce que de la part du défendeur.
65Les sources narratives relatives aux cadis emploient rarement le terme qiṣṣa dans le sens de pétition écrite. Dans ses Aḫbār al-quḍāṭ, Wakīʿ n’y fait référence qu’à propos de Šurayḥ, citant la tradition selon laquelle il aurait refusé de lire le billet tendu par un plaideur260. La principale occurrence, témoignant de l’emploi bien réel de la pétition judiciaire dans l’Égypte de la fin du viiie siècle, concerne le cadi de Fusṭāṭ al-Mufaḍḍal b. Faḍāla (en poste de 168/785 à 169/786, puis de 174/790 à 177/793). Un poète nommé Isḥāq b. Muʿāḏ intenta un jour un procès devant lui. Il avait préparé une qiṣṣa pour présenter sa plainte, et l’avait rangée dans sa manche. Mais quand vint son tour de comparaître devant le cadi, il se trompa de papier et, au lieu de la pétition, sortit un poème satirique qu’il avait composé sur le cadi et déposé au même endroit. Il fut sur-le-champ renvoyé de l’audience261.
66Ce n’est qu’un siècle environ après les premiers débats sur l’utilisation de la qiṣṣa que celle-ci refait surface dans la littérature théorique. Vers le milieu du iiie/ixe siècle, le ḥanafite al-Ḫaṣṣāf acceptait cette méthode de présentation de la plainte – même si l’expression « il n’y a pas de mal à ce que le cadi accepte les qiṣṣa-s » (lā ba’sa an yaqbala l-qāḍī al-qiṣaṣ) suggère qu’il était conscient des débats qui avaient existé ou existaient encore sur la question262. Un siècle plus tard, al-Ǧaṣṣāṣ lie la position de Šurayḥ à la nécessité de maintenir une égalité stricte entre les plaideurs, la qiṣṣa pouvant passer pour une forme de communication secrète entre le cadi et le plaignant263. Il en accepte toutefois la pratique, équivalente selon lui à la plainte orale pourvu que le plaignant soit lui-même l’auteur de la qiṣṣa et que cette dernière soit rédigée au style direct (ḫiṭāb)264. Pour al-Ǧaṣṣāṣ, le recours à l’écrit permet au plaideur impressionné par la mise en scène officielle du tribunal, ou éprouvant des difficultés à parler – peut-être en raison d’une mauvaise maîtrise de l’arabe littéraire265 –, de surmonter son handicap et d’exposer sa plainte266. Il semble ainsi que le recours à l’écrit par les plaideurs, parfois contesté à l’époque omeyyade en raison peut-être de l’inégalité qu’il créait entre des plaignants n’y ayant pas tous accès, fut par la suite toléré, voire accepté, au moins dans le milieu des ḥanafites irakiens.
• Pratiques de la ruqʿa
67Chez al-Ḫaṣṣāf, le terme ruqʿa renvoie au placet que les plaignants remettent au scribe du cadi pour être appelés. Cette formalité administrative retient peu l’attention des chroniqueurs ou des biographes de cadis, ce qui entrave toute entreprise d’archéologie textuelle dans la littérature narrative267. Un passage obscur de Wakīʿ permet néanmoins de formuler une hypothèse sur les premiers développements de cette technique procédurale. À propos du cadi de Baṣra Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste de 140/757-8 à 145/762-3), il raconte que celui-ci fut le premier à avoir « fait précéder [les autres] par tirage au sort » (qaddama ʿalā l-qurʿa)268. L’expression n’est pas sans évoquer les développements plus tardifs d’al-Ḫaṣṣāf sur l’ordre de comparution des justiciables par tirage au sort à l’aide de ruqʿa-s. Si cette interprétation se vérifiait, il faudrait en déduire que cette procédure apparut, au moins à Baṣra, dans la première partie du règne d’al-Manṣūr269.
68Une information rapportée plus tard par al-Ḫaṭīb al-Baġdādī suggère que, si l’usage des placets pour convoquer les plaideurs était connu au début de la période abbasside, il n’était pas toujours appliqué. À Kūfa, dit-il, le cadi Šarīk b. ʿAbd Allāh (en poste de 153/770 à c. 170/786) ouvrait bien l’audience en sortant une ruqʿa de son qimaṭr, mais il semble que celle-ci ne correspondait pas à un placet. Al-Ḫaṭīb raconte en effet qu’après avoir lu cette ruqʿa, Šarīk « appelait les plaideurs ; il se contentait de les faire avancer les uns après les autres, sans utiliser de ruqʿa-s pour déterminer leur ordre de comparution270 ». Que le narrateur signale cette absence de recours aux placets laisse supposer que ce système était connu, mais non pratiqué par tous les cadis de l’époque.
69L’histoire de la ruqʿa « placet » est d’autant plus difficile à reconstituer que le terme englobait plusieurs significations, y compris dans le champ du droit. Il désignait au sens premier un simple « morceau de papier », un « billet »271. La ruqʿa ne correspondait donc pas toujours à un document à usage judiciaire. Dans certains récits relatifs à des cadis, elle pouvait être un simple message personnel, transmis à titre privé entre individus272, ou une note à caractère général remise à un officiel273. Même dans ces cas, néanmoins, le sens de ruqʿa n’était jamais loin de celui de « requête » ou de « pétition ». Le terme apparaît souvent lorsque l’émetteur souhaite demander l’assistance (financière, etc.) du destinataire274. La demande pouvait aussi être adressée à Dieu, sous forme d’invocation (duʿā’) écrite sur un billet que l’on collait à une colonne de la mosquée275.
70Dans la théorie juridique de la judicature, le terme ruqʿa n’a pas seulement le sens de « placet ». Il désigne, de manière générale, tout billet servant à prendre des notes – une sorte de brouillon, susceptible d’être ensuite recopié au propre. La ruqʿa peut ainsi être la feuille sur laquelle le cadi consigne un témoignage, et qu’il transmet à son scribe pour rédaction d’un procès-verbal (maḥḍar) de la déposition276. Ce peut être également la feuille sur laquelle le scribe note le nom, l’adresse et le signalement des témoins devant faire l’objet d’une enquête de moralité277. Il peut aussi s’agir des billets servant à tirer au sort des lots en cas de partage successoral : comme dans le cas des placets introductifs, le qassām (fonctionnaire chargé par le cadi de procéder aux partages) écrit sur des ruqʿa-s les noms des bénéficiaires, les mélanges dans un pot et attribue des lots fonciers par tirage au sort278.
71Enfin, dans la littérature narrative, le mot ruqʿa désigne en général une authentique « pétition » judiciaire, devenant ainsi synonyme de qiṣṣa279. La raison en est peut-être simplement que la littérature narrative, moins attachée à une description précise des procédures – à la différence de l’adab al-qāḍī –, choisit une terminologie plus courante, voire plus claire pour le lecteur. Le terme qiṣṣa, nous l’avons vu, était ambigu même pour un lecteur/auditeur du Moyen Âge, puisqu’il renvoyait, hors contexte judiciaire, au « récit » oral d’une affaire ou d’un événement. Le terme ruqʿa évoquait tout de suite un billet écrit pour demander quelque chose, et l’on ne peut exclure que les qiṣṣa-s surtout envisagées par le fiqh ḥanafite aient été appelées au quotidien ruqʿa-s par les plaideurs.
72Le terme ruqʿa dans le sens de « pétition » apparaît dans un récit relatif au cadi de Fusṭāṭ Ḫayr b. Nuʿaym (en poste de 120/738 à 127/745), à la fin de la période omeyyade. Encore le récit d’Ibn Ḥaǧar (qui ne figure pas chez al-Kindī, mais est transmis d’après un auteur plus tardif) évoque-t-il non pas une pétition présentée par le demandeur pour expliquer l’affaire, mais une ruqʿa passée en catimini au cadi au cours de l’audience, dans laquelle le défendeur avoue sa dette, mais sous-entend qu’il est dans une situation financière si déplorable qu’il ira jusqu’à se parjurer pour éviter une condamnation280. Si le récit n’est pas inventé pour souligner les qualités humaines du cadi, ce type de « pétition » correspondrait plutôt au type de qiṣṣa « acceptable » selon une des traditions remontant à Šurayḥ, à savoir le billet dans lequel le défendeur avoue sa culpabilité.
73On pourrait supposer que ruqʿa prit le sens de qiṣṣa sur le tard, ce qui expliquerait son apparition dans ce sens chez Ibn Ḥaǧar et non chez al-Kindī. D’autres récits laissent pourtant penser que certaines ruqʿa-s constituèrent bien, dès l’époque abbasside, un « billet » transmis au cadi par un plaideur (qu’il s’agisse ou non d’une pétition introductive). Ainsi dans le récit d’al-Ḫaṭīb relatif à Šarīk b. ʿAbd Allāh, relevé plus haut, le cadi lit-il une ruqʿa au début de son audience (sous doute toujours la même, tirée de son qimaṭr), sur laquelle se trouve une invocation, peut-être adressée à Šarīk par un plaideur, à suivre le droit chemin et à craindre le Jugement dernier281. Son successeur à Kūfa, al-Qāsim b. Maʿn (en poste de c. 170/786 à 175/791-2), fut un jour observé en pleine contemplation d’une ruqʿa tirée de son qimaṭr, sur laquelle figuraient trois vers l’incitant au respect de la morale et de la religion282. Alors que Wakīʿ tait l’identité de l’auteur de ces vers, un ouvrage plus tardif suggère qu’il s’agit du cadi luimême283, tandis qu’al-Māwardī attribue le dernier (le plus significatif) au poète Saʿīd b. Ḥamīd (m. c. 250/864)284. Si al-Qāsim est l’auteur de ces vers, la ruqʿa était une simple note, écrite par le cadi, lui servant à se remémorer ses devoirs et ses responsabilités, et participait d’une même mise en condition (voire mise en scène) que la prière précédant l’ouverture de l’audience ou les invocations prononcées juste après par le cadi. Si, en revanche, ces vers lui avaient été transmis par autrui, il est possible qu’à l’instar de Šarīk, al-Qāsim b. Maʿn ait conservé ce « billet » dans ses archives parmi d’autres pétitions. L’usage de pétitions semble en tout cas avoir été institutionnalisé à Bagdad à la fin du viiie siècle, sous le calife Hārūn al-Rašīd : alors que le grand cadi Abū Yūsuf s’apprêtait à faire exécuter le coupable d’un homicide, une ruqʿa fut jetée, sur laquelle figuraient des vers accusant le cadi d’injustice – le condamné, musulman, avait assassiné un ḏimmī, et l’auteur du billet contestait l’application du talion. Un « préposé aux pétitions » (ṣāḥib al-riqāʿ) présent à l’audience ramassa le billet, le transmit à Abū Yūsuf, et ce dernier le mit dans son qimaṭr avant d’aller en donner lecture au calife285. De telles indications sont tardives : elles ne figurent que chez al-Ḫaṭīb al-Baġdādī, qui écrivit plusieurs siècles après ces événements. Aussi ne peut-on être sûr qu’il ne s’agit pas d’une projection de pratiques postérieures. Mais si ces informations correspondent au contexte historique avancé par al-Ḫaṭīb, elles témoignent peutêtre d’une institutionnalisation poussée de la collecte des pétitions dès l’époque abbasside, au moins à l’audience du grand cadi.
74C’est néanmoins dans un contexte un peu différent, celui des audiences de maẓālim, que le terme ruqʿa rejoint le plus clairement le sens de « pétition ». Ces tribunaux parallèles, incarnant la souveraineté judiciaire du pouvoir politique et traitant en particulier les cas d’abus par des puissants, prirent leur essor au début de l’époque abbasside et furent caractérisés, plus tard, par le développement considérable de leur organisation administrative286. Dès la seconde moitié du iie/viiie siècle, plusieurs exemples montrent qu’une plainte aux maẓālim devait être soumise par écrit, sous forme d’une ruqʿa. Al-Ṭabarī relate que Miswār b. Musāwir, victime d’une usurpation de la part d’un wakīl du calife al-Mahdī (r. 158-169/775-785), vint porter plainte auprès de Sallām, le préposé aux maẓālim (ṣāḥib al-maẓālim). Il lui présenta une « pétition écrite » (ruqʿa maktūba) que Sallām transmit au calife287. Au iiie/ixe siècle, la présentation de pétitions aux maẓālim semblait la procédure normale, qu’elles soient soumises directement au calife ou au juge qui le représentait288. Cette procédure était destinée à un grand avenir dans ce type de tribunal, si bien qu’au début du ixe/xve siècle, al-Qalqašandī théorisa la rédaction des ruqʿa-s – terme qu’il considère comme un synonyme exact de qiṣṣa dans un contexte de maẓālim289. L’acceptation de telles pétitions à l’audience du cadi par al-Ḫaṣṣāf, au iiie/ixe siècle, s’inscrit peut-être ainsi dans une généralisation de cette procédure dans les plus hauts tribunaux de Bagdad.
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75Ces informations disparates autorisent quelques conclusions provisoires sur le développement des procédures relatives à l’accueil des plaideurs. Les sources narratives offrent l’image d’un appareil judiciaire utilisant peu l’écrit dans la phase d’accès au juge comme dans celle de la présentation des plaintes. La soumission de placets n’est jamais mentionnée, et celle de pétitions très rarement, surtout pour en rejeter la pratique. Le refus des pétitions écrites attribué à Šurayḥ montre cependant que le sujet fut polémique à une certaine époque, sans doute dans la première moitié du viiie siècle, et donc que la pratique existait. De fait, bien qu’aucune pétition ne nous soit parvenue avant le iiie/ixe siècle, la procédure par rescrit mise en évidence pour la période marwānide suggère qu’au moins une partie des plaintes portées devant le gouverneur de Fusṭāṭ l’étaient par voie de pétitions, comme sous les Byzantins. Rien ne permet de dire si la pratique fut adoptée par les habitants de la Fusṭāṭ omeyyade (en majorité des Arabes musulmans). Les polémiques qui entourent l’usage de la pétition à Kūfa supposent en revanche un recours au moins occasionnel à ce procédé – bien que dans ce contexte une influence des pratiques judiciaires byzantines soit à exclure. Il reste à savoir pourquoi le sujet fut particulièrement polémique en Irak. Cela contredisait-il des usages locaux ? Faut-il penser, avec les auteurs plus tardifs, que le recours à l’écrit passait pour une infraction à un principe d’égalité des plaideurs déjà défendu par certains savants de la période marwānide ? L’inégalité dénoncée concernait-elle avant tout la capacité de recours à l’écrit (en arabe) dans une société où le taux d’illettrisme partiel ou total devait être élevé ? Faut-il y voir le reflet d’une administration judiciaire peu bureaucratisée, essentiellement basée sur l’oralité ? Si l’image des sources narratives a quelque signification, il semble en tout cas qu’un changement se produisit à l’époque abbasside. Dès la seconde moitié du viiie siècle, les allusions à des pétitions se multiplient dans les textes, ce qui suggère que, sans être généralisée, la pratique prit de l’ampleur tant auprès des cadis de Fusṭāṭ qu’en Irak.
76Le recours à des placets pour décider de l’ordre de comparution des plaideurs n’apparaît quant à lui qu’à propos de l’Irak abbasside (Kūfa, peut-être Baṣra). Si les récits relatifs à Šurayḥ sont bien représentatifs de pratiques et/ou de débats de la fin de l’époque omeyyade, la question n’était alors plus de savoir si le plaignant devait déposer un placet, mais si le cadi appelait lui-même les plaideurs ou passait par un héraut290. Encore l’usage du placet était-il loin d’être systématique dans la seconde moitié du viiie siècle. L’absence de toute mention pour l’Égypte ne permet aucune hypothèse concernant cette province. Ces différents éléments sont trop maigres pour autoriser quelque conclusion concernant la nature régionale des procédures à l’œuvre dans la réception des justiciables ; ils semblent néanmoins pointer vers une bureaucratisation croissante de l’appareil judiciaire sous les Abbassides, acceptant – voire encourageant – l’usage de l’écrit de la part des plaideurs. Cette évolution n’est probablement pas sans lien avec le développement de l’institution judiciaire par les premiers Abbassides. Peut-être l’organisation plus structurée dont témoignent ces procédures doit-elle également être mise en relation avec un recours croissant de la population aux tribunaux de cadis.
1.4.2. La convocation des plaideurs
77La réception de la plainte du demandeur par le cadi marquait la première phase du procès. Si son adversaire l’accompagnait, l’affaire pouvait être traitée séance tenante. Dans le cas contraire, il devait être convoqué devant le tribunal pour être entendu. Les gouverneurs de l’Égypte marwānide ordonnaient déjà une telle réunion des parties à leurs pagarques, sans qu’aucun détail ne transparaisse sur la procédure mise en œuvre – la simple instruction « réunis untel et untel » (iǧmaʿ bayna [fulān wa-fulān])291 n’autorisant que des spéculations. Un siècle et demi plus tard, al-Ḫaṣṣāf en théorise les différentes étapes.
78La convocation du défendeur, rappelle-t-il, est rendue nécessaire par son refus de se présenter spontanément avec son adversaire. Dans le vocabulaire juridique du iiie/ixe siècle, le cadi « assiste » (aʿdā) un demandeur qui « réclame son aide contre quelqu’un » (istaʿdā ʿalā fulān). La convocation, qui découle d’une réclamation explicite par le demandeur, passe d’abord par l’intermédiaire de ce dernier. Selon al-Ḫaṣṣāf, le cadi doit confier un sceau/cachet (ḫātam) ou une lettre/un billet (kitāb) au demandeur, afin que ce dernier le porte à son adversaire en guise de convocation – le sceau venant prouver que la convocation vient bien du cadi. Deux témoins l’accompagnent (des hommes mastūr-s, c’est-à-dire « respectables », dont l’honorabilité n’est pas aussi parfaite que celle de témoins de justice, qui doivent être ʿadl292) et attestent qu’il a bien transmis le message du cadi.
79Si, malgré cette sommation, le défendeur refuse toujours de se présenter – ce dont peuvent témoigner les hommes mastūr-s envoyés avec le demandeur –, le cadi doit recourir à des mesures coercitives293 : il écrit au gouverneur (wālī) de la ville et lui demande de faire comparaître l’individu294, qui encourt par ailleurs un emprisonnement disciplinaire (ta’dīb) laissé à la discrétion du cadi295. Si le défendeur refuse non seulement de venir mais s’enferme chez lui, sans que le gouverneur prenne de mesures coercitives à son encontre, le cadi peut l’assigner à résidence en faisant apposer des scellés sur la porte de son domicile. D’après la doctrine attribuée à Abū Yūsuf, si le défendeur ne se présente toujours pas, le cadi peut nommer d’office un mandataire (wakīl) chargé de le représenter à l’audience, après l’avoir fait prévenir par un héraut (munādī)296. Enfin, le cadi a le droit d’envoyer chercher de force le défendeur retranché chez lui, par le biais de deux hommes de confiance, de quelques femmes et d’auxiliaires (aʿwān) : tandis que les hommes garderont les issues, les femmes accompagnées d’esclaves de même sexe (ḫādim-s) doivent pénétrer chez lui par surprise, fouiller sa maison et l’amener à l’audience297. Envisageant les pires scénarios possibles, al-Ḫaṣṣāf décrit une procédure compliquée qui permet en théorie de venir à bout des plaideurs les plus récalcitrants. Dans la plupart des cas, néanmoins, le simple envoi d’une convocation devait suffire ; c’est en tout cas l’image qui ressort des sources narratives.
80Contrairement à d’autres procédures examinées plus haut, le mode de convocation d’un plaideur au tribunal ne semble pas avoir été l’objet de polémiques anciennes. Il retient d’ailleurs l’attention des auteurs de manière inégale. Al-Kindī, par exemple, n’évoque jamais ce type de procédure pour Fusṭāṭ. La plus ancienne citation à comparaître est mentionnée à propos de Médine, sous le cadi Nawfal b. Musāḥiq (en poste de 76/695-6 à 82/701). Un homme vint porter plainte contre un certain Marwān – probablement Marwān b. Abān b. ʿUṯmān b. ʿAffān, fils du gouverneur en poste à cette époque298 – dans le cadre d’un litige foncier. Le cadi envoya un messager (arsala) dire à Marwān qu’il devait soit satisfaire le demandeur, soit se présenter avec lui à l’audience – on ignore cependant si le message était oral ou écrit. Comme Marwān refusait de comparaître et demandait au cadi de rendre un jugement en son absence, Nawfal insista (toujours par le biais d’un messager), et Marwān finit par verser une compensation à son adversaire, mettant ainsi fin au procès sans avoir eu besoin de venir au tribunal299.
81Des mentions plus précises apparaissent à Médine, mais aussi en Irak, au début du iie/premier quart du viiie siècle. C’est sans doute vers 104/722-3 qu’il faut situer une anecdote rapportée par Wakīʿ à propos de Saʿd b. Ibrāhīm al-Zuhrī, cadi de Médine :
Ibrāhīm b. Abī ʿUṯmān me rapporta d’après Sulaymān b. Abī Šayḫ :
Un homme demanda à Saʿd b. Ibrāhīm de convoquer (istaʿdā) Find300, le mawlā de ʿĀ’iša bint Saʿd, un homme aux mœurs suspectes. [Le cadi] lui confia un sceau (ḫātam). Mais quand [l’homme] le montra à [Find], ce dernier l’attrapa et l’avala. L’homme retourna voir Saʿd et l’en informa. « Amenez-moi ce fils de noire ! » s’écria [le cadi].
– [Tu] as avalé mon sceau ? lui demanda-t-il quand il fut devant lui.
– Seigneur, répondit [Find], c’est la peur qui me l’a fait avaler, et je n’ai pas répondu à ta convocation avant que [ton sceau] ne m’ait purgé trente fois de ma peur301 !
82Cette historiette qui, à l’origine, participait d’une série de récits cocasses sur le personnage de Find, révèle l’existence, déjà à l’époque marwānide, d’un mode de convocation par l’envoi d’un cachet d’argile – matière en soi peu comestible. À peu près au même moment, le cadi de Kūfa Saʿīd b. al-Ašwaʿ al-Hamdānī (en poste ap. 105/723-4) disposait d’un sceau officiel sur lequel figurait : « Réponds [à la citation] du cadi Saʿīd b. alAšwaʿ302- », ou « Ses ennemis (aʿdā’u-hu, sic), réponds [à la citation] du cadi Saʿīd b. alAšwaʿ303- ». Une quinzaine d’années plus tard, le cadi de Kūfa ʿAbd Allāh b. Šubruma (en poste de 120/738 à 121/739) « convoquait les fonctionnaires (al-ʿummāl) à l’aide [d’un cachet] d’argile (ṭīna) porté par un homme » ; la personne ainsi convoquée était amenée à l’audience par ce même homme – le texte n’indique pas s’il s’agit d’un plaideur ou d’un auxiliaire de justice – et le cadi menaça un jour d’une fustigation sévère un accusé qui avait osé renvoyer le sceau deux fois sans se présenter à l’audience304. L’envoi d’un cachet d’argile avec un demandeur pour convoquer un puissant défendeur est encore mentionné sous le cadi Šarīk b. ʿAbd Allāh (en poste à Kūfa de 153/770 à c. 170/786-7)305.
83À l’époque abbasside, l’utilisation de sceaux d’argile en guise de convocation n’est plus mentionnée qu’à Kūfa. Dans d’autres villes de la seconde moitié du viiie siècle, une procédure différente semble avoir pris le dessus : celle de la citation écrite. À Médine, sous les premiers Abbassides, le cadi Muḥammad b. ʿImrān al-Ṭalḥī (en poste de c. 137/754-5 à 141/758-9) recourut à son scribe pour faire adresser une convocation (appelée ʿadwā, littéralement « assistance [prêtée au demandeur] ») au calife al-Manṣūr, contre lequel une plainte avait été déposée306. Son successeur, ʿAbd al-ʿAzīz b. al-Muṭṭalib (en poste de 141/758-9 à une date inconnue) envoyait quérir les défendeurs par le biais de messages307. De même à Baṣra, probablement en 155/772308, Sawwār b. ʿAbd Allāh (qui y fut cadi à plusieurs reprises entre 137/754-5 et 156/773) convoqua une noble femme en lui faisant porter un billet – comme elle refusa de se présenter, le cadi écrivit ensuite au gouverneur al-Hayṯam b. Muʿāwiya pour que celui-ci l’oblige à venir309. Quelques années plus tard, un autre cadi de Baṣra appela un plaideur par voie de message (arsala) à propos d’une fondation pieuse310.
84En Irak, la littérature narrative garde surtout le souvenir d’une telle procédure lorsque celle-ci se heurte à la mauvaise volonté des puissants311. Un récit relatif au grand cadi ʿAlī b. Ẓabyān (en poste sous al-Rašīd, d’une date inconnue à 192/807-8) est, peut-être, le plus représentatif. Un individu ayant porté plainte contre l’émir abbasside ʿĪsā b. Ǧaʿfar312, ʿAlī b. Ẓabyān lui fit porter trois messages à la sécheresse croissante – le premier multipliant les eulogies et invitant l’émir, « s’il le voulait bien » (in ra’ā), à se présenter à l’audience ou à nommer un mandataire ; le second lui ordonnant de venir ou de désigner un mandataire ; le dernier le sommant d’obtempérer et le menaçant d’en référer au calife. Ces messages furent portés par trois personnes successives : le demandeur, tout d’abord.
85Puis, face au mépris du défendeur, par deux auxiliaires judiciaires (ʿawnayn min aʿwāni-hi). Enfin, par deux de ses « compagnons » (raǧulayn min aṣḥābi-hi), sans doute membres de son entourage le plus proche313. Bien que les convocations citées par Wakīʿ aient très probablement été recomposées a posteriori, elles n’en sont peut-être pas moins représentatives de ce que devaient être de tels billets. Le récit montre par ailleurs comment, face à la résistance d’un défendeur se croyant au-dessus des lois, l’autorité de la convocation ne dépendait pas seulement du message écrit par le cadi, mais aussi de son porteur – le cadi ayant recours, après le demandeur, au service d’un personnel judiciaire de plus en plus élevé dans la hiérarchie.
86Les sources narratives relatives à l’Égypte demeurent floues quant au mode de convocation des plaideurs. Les verbes utilisés par al-Kindī, daʿā (« appeler ») ou aḥḍara (litt. « faire venir »), ne dévoilent pas la procédure mise en œuvre314. L’usage de convocations écrites au début de l’époque abbasside est néanmoins attesté par la papyrologie. Un billet émis par le cadi de Fusṭāṭ Ġawṯ b. Sulaymān, que l’on peut dater de 135-144/753-761 ou de 167-168/783-785 – périodes auxquelles ce cadi fut en poste – est adressé à un personnage, dont le nom a disparu, afin qu’il amène à l’audience le mari d’une certaine Munīra. Le texte de la convocation est le suivant :
[1] Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. [2] De Ġawṯ
b. Sulaymān à [3] Abū R [] ḥ. [Quant au s] ujet de cette lettre, amène
[4] avec Munīra l’époux de cette dernière. [5] Agis sans tarder [6] si
Dieu le veut ! [7] Que le salut soit sur toi315.
87Le billet n’est ni daté, ni signé. Le destinataire était probablement un auxiliaire du cadi, connu comme tel par la population de Fusṭāṭ. La citation à comparaître pourrait avoir été rédigée à deux mains, comme un formulaire : l’écriture des lignes 1, 2 et 7 se distingue du reste de la lettre, ce qui suggère que le cadi pourrait avoir lui-même prérédigé le document – en inscrivant notamment son nom dans l’adresse. Cela pourrait avoir conféré une autorité accrue à la convocation, l’écriture manuscrite du cadi tenant en quelque sorte lieu de signature316.
88Les indices recueillis pour Médine, Kūfa, Baṣra et Fusṭāṭ permettent d’envisager une évolution des procédures relatives à la convocation des plaideurs. La plus ancienne, en Irak comme à Médine, semble la convocation par l’intermédiaire d’un cachet. Sans qu’il soit possible de déterminer si les cadis perpétuaient là des traditions plus anciennes, soulignons que l’usage de sceaux d’argile, connus dans tout le Proche-Orient (y compris l’Égypte et l’Arabie317) depuis la plus haute Antiquité, était particulièrement développé en Mésopotamie et en Irak318. Des continuités entre les formules des sceaux sassanides et islamiques ont d’ailleurs été relevées319. La procédure judiciaire sassanide, dont des traces subsistent à l’époque islamique dans l’œuvre juridique du nestorien Išoʿbokht320, donnait une place considérable aux sceaux – à la fois les sceaux « privés » des plaideurs, les sceaux « personnels » de certains juges et les sceaux « administratifs » des tribunaux –, nécessaires pour la validation et l’authentification des documents321. Soulignons en outre que, dans une société en grande partie illettrée – surtout si l’on considère qu’une part importante des justiciables n’était pas arabophone (mawālī, ḏimmī-s, etc.) –, le signe visuel que constituait le cachet d’argile était peut-être plus évocateur et compréhensible qu’un billet écrit. D’après les sources, la situation changea dans la seconde moitié du viiie siècle. Tandis que le cachet d’argile continue d’être attesté à Kūfa – où son usage fut entériné par la doctrine ḥanafite telle que la reflète l’ouvrage d’al-Ḫaṣṣāf322 –, il semble que les cadis aient eu de plus en plus recours à des messages écrits, la preuve documentaire la plus éclatante étant fournie par le papyrus fusṭāṭien de Ġāwṯ b. Sulaymān. Peut-être l’augmentation du taux de lettrés, ou, sur le long terme, l’abaissement du prix des supports de l’écriture (notamment avec l’introduction du papier, dont l’usage se répandit au Levant dans la seconde moitié du iiie/ixe siècle323), permirent-ils cette évolution. Tout cela pointe, une fois encore, vers le développement d’une administration judiciaire toujours plus bureaucratique.
89Remarquons enfin que, à l’instar de ce qu’énonce la théorie juridique, ces convocations n’étaient pas « physiquement » contraignantes. Un plaideur pouvait toujours tenter de se soustraire à la justice, auquel cas le cadi devait en appeler à la puissance supérieure de l’autorité politique, incarnée par le gouverneur. Dans l’un des rares cas où un cadi put amener de force un plaideur au tribunal, ledit cadi était avant tout en charge des maẓālim, tribunal de redressement des abus dont le juge jouissait de pouvoirs supérieurs aux juges ordinaires : peu après 223/837, Aḥmad b. Riyāḥ fut investi des maẓālim à Baṣra, et put, à la différence des cadis ses prédécesseurs, faire amener (peut-être par la contrainte) certains plaideurs de haut rang contre qui des plaintes avaient été déposées324.
Conclusion : l’aura de la judicature
90Le renforcement politique de la judicature se manifesta peut-être, dès le début du viiie siècle, par l’appropriation d’attributs de souveraineté par les cadis. Ainsi raconte-t-on qu’al-Ḥasan al-Baṣrī rendait la justice un bâton (ou une verge, qaḍīb) à la main, d’une dimension comprise entre un empan (šibr) et une coudée (ḏirāʿ)325. Un tel qaḍīb, qui dans d’autres mondes sociaux s’apparenterait à un sceptre, fut dès l’époque omeyyade un des principaux symboles de la souveraineté califale326. Mais il faut attendre le début de la période abbasside, avec l’installation de sièges ostentatoires dans les tribunaux, pour que s’achève la promotion du cadi en incarnation incontournable du pouvoir. L’adoption de la grande mosquée comme lieu d’audience, tout comme l’introduction simultanée d’un mobilier d’apparat, pointent vers une mise en valeur progressive de l’audience judiciaire sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides. Quelles qu’aient été les pratiques originelles de la judicature, il semble que dans le courant du iie/viiie siècle, l’institution acquit une aura croissante dans les diverses provinces de l’empire. Le cadi en son audience pouvait désormais revendiquer les attributs d’un homme de pouvoir, comparable à certains égards au gouverneur en son palais.
91Parallèlement à ce renforcement politique de l’institution, la localisation de plus en plus généralisée de l’audience à la mosquée marquait en profondeur la justice du sceau de la religion. Les premiers cadis qui siégèrent à la mosquée, dans la Kūfa omeyyade, semblaient se tenir dans des pièces annexes ; dorénavant – si l’exemple de Fusṭāṭ peut être tenu pour représentatif –, l’audience avait lieu dans la salle de prière ou dans la cour, espaces qui, par leurs dimensions, offraient une apparence plus solennelle à l’exercice de la judicature.
92L’affermissement politique du cadi et la promotion d’une justice religieuse participaient d’une même dynamique : celle d’une construction institutionnelle dans laquelle pouvoir et religion apparaissaient comme indissociables. Le premier tirait sa légitimité de la seconde, tout en offrant à cette dernière le cadre institutionnel de son développement. Cette complémentarité n’était pas nécessairement vécue comme telle par les acteurs du système. En mettant l’accent sur un aspect ou l’autre de leurs fonctions, certains cadis orientaient le sens qu’ils donnaient à leur mission. De tels choix deviennent évidents à l’époque abbasside. La nouvelle dynastie revendiquait une légitimité religieuse et, sur le plan institutionnel, elle affirma rapidement sa volonté de placer la judicature sous l’autorité directe du califat. Certains, tel Ḫālid b. Ṭalīq (en poste de 166/782-3 à 167/783-4), laissèrent le souvenir de cadis avant tout soucieux de parer la judicature de ses atours politiques. Les deux coussins superposés sur lesquels ce cadi siégeait à Baṣra participaient d’une mise en scène n’ayant d’autre but que d’asseoir la majesté du juge et de susciter la crainte des plaideurs327. D’autres cadis de l’Irak abbasside mirent en exergue, à l’audience ou à l’extérieur, l’autorité temporelle dont ils se sentaient investis : qui en s’appropriant des attributs militaires, qui en s’entourant d’une garde, qui enfin en organisant son audience sur le modèle d’une cour princière328.
93À l’autre extrémité du spectre scénographique, certains cadis choisirent au contraire de rejeter les attributs temporels de leurs fonctions. Nous avons vu plus haut comment ʿAlī b. Ẓabyān, au début du ixe siècle, refusa d’adopter les tapis confortables de ses prédécesseurs. Un peu plus tard, ʿAbd Allāh b. Muḥammad al-Ḫalanǧī, lui aussi cadi d’al-Šarqiyya à Bagdad (en poste de 228/842-3 à 237/851-2), mit en scène une forme de dépouillement judiciaire strict, destiné à magnifier la rigueur religieuse de ses fonctions. Ibn ʿAsākir décrit d’après Wakīʿ comment ce cadi siégeait au pied d’une colonne de la mosquée, y appuyant son dos entre deux procès, dans une immobilité parfaite, et se redressant « de tout son corps » (bi-ǧamīʿ ǧasadi-hi) à l’arrivée de deux plaideurs. Beaucoup virent dans cette attitude le symptôme d’un orgueil démesuré. Afin de l’humilier, des plaisantins eurent un jour l’idée d’enduire de glu l’endroit de la colonne où le cadi faisait reposer sa tête ; lorsqu’il se redressa, son turban demeura collé et il se retrouva tête nue329. Cette forme d’ascétisme judiciaire n’est nulle part représentée avec autant d’ironie que chez al-Ǧāḥiẓ, lorsqu’il décrit son fameux « cadi à la mouche », ʿAbd Allāh b. Sawwār (en poste à Baṣra de 192/807-8 à 198/813-4) :
Nous avions à Baṣra un cadi nommé ʿAbd Allāh b. Sawwār. Jamais on n’avait vu de juge (ḥākim) au maintien si sévère, si grave et si digne, faisant preuve d’une telle longanimité, aussi maître de soi et de ses gestes. Il accomplissait la prière de l’aube chez lui – il habitait non loin de sa mosquée –, puis arrivait à l’audience, où il s’asseyait en enserrant ses reins dans son vêtement pour les soutenir. Il ne s’appuyait à rien et demeurait bien droit, sans esquisser le moindre geste, sans se tourner ni défaire le vêtement qui l’enserrait, sans décroiser les jambes ni se déhancher, tel un édifice inébranlable ou une stèle dressée. Il ne se levait que pour la prière de midi, puis reprenait sa position jusqu’à celle de l’après-midi. Après cette dernière, il revenait à sa place jusqu’à la prière du crépuscule. Parfois, il retournait de nouveau à l’audience – que dis-je, cela lui arrivait souvent, lorsqu’il lui restait des contrats, des clauses et d’autres documents juridiques à lire ! Il effectuait la dernière prière du soir et s’en retournait enfin. On raconte, en vérité, que pas une fois, de toute la durée de son exercice, il ne se leva pour faire ses ablutions, car il n’en eut pas besoin ; que jamais il ne but une gorgée d’eau ou d’une autre boisson. Il en allait ainsi chaque jour, qu’il fût long ou court, été comme hiver. Il ne bougeait pas le petit doigt ni n’adressait un quelconque signe de tête. Il parlait, néanmoins, mais avec concision, exprimant de grandes choses en peu de mots330.
94En offrant un tel spectacle, ce type de cadi monolithique revendiquait une autorité différente de celle que procuraient les accessoires d’apparat. Le cadi pensait gagner le respect des plaideurs en s’imposant une ascèse publique, en incarnant physiquement la droiture dépassionnée et inébranlable de la justice. Ce n’étaient point les artefacts prestigieux de l’homme de pouvoir mais le dépouillement de l’homme de religion qui magnifiaient la judicature. La justice relevait moins du pouvoir que de la foi. Bien sûr, les efforts du cadi touchaient à la caricature, et al-Ǧāḥiẓ le souligne avec ironie, montrant comment ce piétisme pouvait tendre, dans l’esprit de certains, vers la mégalomanie et le blasphème. Quand une mouche vint agacer ʿAbd Allāh b. Sawwār au point de lui faire perdre contenance, le cadi dut reconnaître que Dieu, dans sa grandeur, l’avait rappelé à un peu d’humilité par le biais de la plus simple des créatures331.
95Cette concurrence entre deux modèles d’audience prend tout son sens dans un contexte de flottement institutionnel. D’un côté, les États marwānide puis, surtout, abbasside, tendaient à intégrer de manière croissante l’appareil judiciaire dans une structure administrative califale – ce dont la centralisation des désignations, puis la mise en coupe réglée de la judicature pendant la miḥna, constituent l’expression la plus évidente. En se prêtant au jeu du cérémonial étatique, certains cadis acceptaient de voir découler leur autorité du pouvoir politique. D’autres, pour des raisons idéologiques ou en vertu de leur formation religieuse, délaissaient les symboles politiques au profit d’une mise en scène ascétique et piétiste destinée à mieux asseoir leur autorité sur des bases juridico-religieuses. Au ve/xie siècle, le juriste ḥanafite al-Simnānī (m. 499/1105-6) acceptait que le cadi s’asseye sur des tapis de feutre et des coussins, mais insistait néanmoins sur le fait que « les tapis (muṣalliyāt), les coussins (maḫādd)332 et les accoudoirs (marāfiq)333 ne font pas partie des ustensiles (āla) des juges (al-ḥukkām)334 ». Le cadi, sous-entendait-il, devait faire l’effort de s’asseoir sur les mêmes nattes que les témoins335. C’est que sa modestie, soulignait-il encore, devait être proportionnelle à la hauteur de sa tâche336.
96La compétition entre un modèle de judicature pieuse, placée sous le sceau de la religion, et une judicature-pouvoir, semble avoir diminué après le iiie/ixe siècle. Pour étrangère qu’elle soit à la présente étude, un saut dans l’époque seldjoukide n’en est pas moins révélateur. Dans son ouvrage d’adab al-qāḍī, al-Simnānī oppose à plusieurs reprises la théorie juridique, héritée des grands maîtres, à l’exemple de son contemporain, le grand cadi al-Dāmaġānī (en poste de 447/1056 à 478/1085)337. Loin du modèle d’humilité réclamé par le fiqh quand un cadi s’en va tenir audience, al-Dāmaġānī traversait les souks de Bagdad sur sa mule338 en grande pompe. Son ǧilwāz le précédait, appelant la protection de Dieu sur « le très grand seigneur et imam, l’incomparable grand cadi » ; il était accompagné d’une escorte à pied (rikābiyya) dont les membres criaient « Dégagez ! Dégagez ! Dégagez ! » en ouvrant un passage au milieu de la foule339. Et l’auteur de commenter avec ironie : « Ce que prescrivent les juristes, tous autant qu’ils sont, diffère totalement des mœurs que nous avons pu constater de visu. Mais peut-être la loi (al-qānūn) a-t-elle changé340 ! » De l’audience d’al-Dāmaġānī, qui siégeait à son domicile341, al-Simnānī dresse un portrait prenant le contre-pied de celui du cadi à la mouche :
Nous avons vu notre cheikh le grand cadi, qu’Allāh ait son âme, se tenir assis à son audience au creux d’un coussin-siège (dast)342 étendu par terre. Les témoins (šuhūd) l’entouraient, dans l’ordre selon lequel ils devaient effectuer leur déposition. La caisse à archives (qimaṭr) était posée devant lui. À sa gauche s’étalaient des coussins (maḫādd), derrière lui se dressait un dossier de fibres tressées (masad), et les gens se tenaient autour de lui. Les uns s’asseyaient au bord des coussins, d’autres prenaient place derrière, d’autres encore s’appuyaient contre le mur. Un cercle (ḥalqa) se tenait au bord du matelas (maṭraḥ)343. Les visages de certains témoins étaient cachés par d’autres les jours d’audience. Les mandataires (wukalā’) s’avançaient devant [le cadi] et les paroles fusaient, provoquant un grand brouhaha. Tantôt il engageait une dispute sur un point de droit, tantôt il rudoyait quelque mandataire ou témoin, tantôt il plaisantait avec eux. Lorsqu’entrait quelqu’un pour qui l’on se lève d’habitude [par respect], il se levait sans y prendre garde. Tantôt il prenait son châle (ṭaylasān) pour sortir, tantôt il le laissait344.
97À l’impassibilité ascétique d’un ʿAbd Allāh b. Sawwār décrite par al-Ǧāḥiẓ répond, deux siècles et demi plus tard, la nonchalance d’un al-Dāmaġānī siégeant, tel un potentat, sur une sorte d’estrade composée de divers types de coussins, au milieu d’une cour d’auxiliaires. À la concision du premier s’opposent les bavardages du second, prompt à houspiller ses suivants, à plaisanter ou raconter des histoires drôles, comme al-Simnānī le rapporte à d’autres reprises345. Ce contrepoint tardif laisse entrevoir une évolution, après le iiie/ixe siècle, à mesure qu’une judicature de plus en plus professionnalisée s’affirmait comme un rouage essentiel de l’État, vers la victoire d’une justice d’apparat, tirant certes sa légitimité d’un droit désormais codifié, mais adoptant, dans sa pratique, la mise en scène d’une autorité temporelle.
2. LES PREUVES LÉGALES : LE TÉMOIGNAGE
98Une fois les plaideurs admis à comparaître devant le cadi, et l’objet du procès exposé par voie orale ou écrite, le juge devait déterminer si la plainte du demandeur était justifiée. La recherche de cette vérité passait par la production de preuves – établissant le bien-fondé de la revendication, ou au contraire son caractère infondé.
99Le système des preuves légales dans le droit musulman classique est connu depuis longtemps, notamment grâce aux travaux de François Marneur, de Robert Brunschvig et de Joseph Schacht, qui ont décrit les principaux modes de preuve en justice que constituent l’aveu, le témoignage et le serment346. Commentant la maxime classique selon laquelle la preuve incombe au plaignant et le serment au défendeur – adage qui se transforma sur le tard en ḥadīṯ prophétique –, Schacht a montré que ce point de doctrine n’avait acquis sa forme finale que dans le courant du iie/viiie siècle. Il succédait à une conception moins cloisonnée de la preuve, dans laquelle le demandeur pouvait aussi prêter serment – conception que l’on trouve encore chez le juriste kūfiote Ibn Abī Laylā et, surtout, chez les mālikites et les šāfiʿites347. À une étape encore antérieure – reflétée par le Coran, 5 : 106 –, relève-t-il, le serment pouvait aussi incomber aux témoins, qui avaient moins pour fonction de prouver que d’affirmer par serment le bien-fondé de la revendication de leur parti348. Plus récemment, M. K. Masud et Christopher Melchert ont revisité l’histoire du serment judiciaire, montrant que le recours au serment n’en vint que peu à peu à se restreindre au défendeur et comment l’usage de faire jurer un demandeur qui ne pouvait présenter qu’un unique témoin survécut dans certaines doctrines juridiques349. Nous proposons de revoir ici les premiers développements du système de la preuve, en relevant l’évolution – éventuellement différenciée sur un plan régional – des pratiques telles que les reflète la littérature narrative. L’aveu librement formulé du défendeur ne semble jamais avoir posé de problèmes d’interprétation ni suscité de controverses350. C’est pourquoi les pages qui suivent seront avant tout consacrées aux deux autres principales catégories de preuve, le témoignage et le serment.
2.1. Les règles du témoignage
100Le Coran, qui prend racine dans une société aux structures étatiques peu développées, ne réglemente pas la procédure judiciaire à proprement parler. Il se contente d’évoquer quelques moyens permettant de se prémunir contre des accusations ultérieures en cas de transaction ou de dette, insistant par exemple sur la nécessité de faire établir des documents écrits (Coran, 2 : 282) et de prendre des personnes à témoin (Coran, 2 : 282 ; 4 : 15 ; 5 : 106-108 ; 65 : 2)351. Ces prescriptions n’interviennent qu’au stade préjudiciaire : elles ne préjugent pas de l’utilisation, devant un juge, des documents et des témoins ainsi constitués. De cet emploi nous ne conservons que quelques traces liées, comme d’autres procédures évoquées plus haut, à des discussions ou controverses ayant divisé les musulmans des premiers siècles.
101Au-delà des divergences de détail entre écoles, la doctrine juridique classique considère que la procédure accusatoire orchestrée par le cadi repose sur une répartition des preuves en fonction du rôle assumé par les plaideurs. Selon la fameuse maxime évoquée plus haut, rétroactivement attribuée au Prophète, « la double preuve testimoniale (bayyina) incombe à celui qui allègue, et le serment (yamīn) à celui qui nie352 ». La formule fut appelée faṣl al-ḫiṭāb353, ou, littéralement, « rupture du discours354 » : son application devait couper court à la dispute.
102La formulation de cet adage puise apparemment sa source dans une tradition irakienne où les villes de Baṣra et de Kūfa jouent un rôle de premier plan. Il apparaît dans la célèbre lettre que le calife ʿUmar (r. 13-23/634-644) aurait envoyée à Abū Mūsā al-Ašʿarī, que Wakīʿ classe parmi les cadis de Baṣra et qui fut aussi gouverneur de Kūfa355. Le caractère apocryphe de cette lettre à la tonalité ḥanafite, reflétant une théorie de la judicature déjà évoluée, a néanmoins été démontré depuis longtemps356.
103Une autre lettre de ʿUmar, cette fois-ci à Muʿāwiya b. Abī Sufyān, offre une image bien différente, et pourrait correspondre à une étape plus ancienne de la théorie judiciaire357. Sans aller aussi loin que Serjeant, qui tend à regarder cette lettre comme authentique358, son caractère archaïque est indéniable et reflète un état de la procédure antérieur à toute la réflexion théorique sur la judicature qui nous est parvenue, même dans les sources les plus anciennes. Telle que la reproduit Wakīʿ, la lettre à Muʿāwiya présente au juge une série de quatre recommandations, dont voici la première : « Lorsque deux plaideurs viennent te trouver, [exige pour] preuve les témoins honorables et les serments décisifs » (iḏā ḥaḍara l-ḫaṣmān fa-l-bayyina al-ʿudūl wa-l-aymān al-qāṭiʿa)359. Le témoignage et le serment n’apparaissent pas ici comme des modes de preuve incombant spécifiquement à l’une ou l’autre des parties360. Par ailleurs, le terme bayyina ne semble pas encore signifier « preuve testimoniale », mais garder son sens coranique général de « preuve manifeste » ou « preuve absolue », et se subdiviser en deux catégories distinctes : le témoignage et le serment. La substitution, dans la tradition islamique, de cette lettre par une autre à Abū Mūsā, résultant peut-être d’une réécriture par des proto-ḥanafites de la fin du viiie siècle, visait notamment à faire oublier les consignes trop floues – et devenues obsolètes – de la lettre à Muʿāwiya ; elle permettait en outre d’attribuer à ʿUmar le faṣl al-ḫiṭāb qui établissait une division claire et classique des preuves en fonction du rôle des plaideurs dans le procès.
104À côté de cette lettre, la tradition islamique fait remonter l’adage du faṣl al-ḫiṭāb à Šurayḥ361, pointant vers une origine kūfiote de cette stricte répartition362. Les ḥanafites l’attribuèrent à Ibrāhīm al-Naḫaʿī (< Ḥammād [b. Abī Sulaymān] < Abū Ḥanīfa, tous deux kūfiotes)363, avant de la faire remonter au Prophète par la même chaîne de transmetteurs364. Un autre isnād baṣrien fait rapporter les paroles de Šurayḥ par Muḥammad b. Sīrīn365. L’attribution de la maxime à des cadis semi-légendaires de Kūfa – dont l’un faisait aussi autorité à Baṣra – et sa transmission à travers des isnād-s kūfiotes comme baṣriens laissent penser que son autorité fut admise tant par des Kūfiotes que par des Baṣriens du viiie siècle. Elle le fut aussi – quoique plus tardivement366 – par les savants du Hedjaz (en particulier de La Mecque)367. Le faṣl al-ḫiṭāb fut néanmoins promu et diffusé afin de contrer des conceptions plus floues de la répartition des preuves. Il convient donc d’examiner le contexte polémique dans lequel cette maxime fut mise en avant, ainsi que les anciennes pratiques en matière de preuve. Nous examinerons successivement les informations relatives aux principaux centres d’Irak, du Hedjaz, de Syrie et d’Égypte.
2.1.1. Baṣra
105Kūfa fait généralement figure de reine dès qu’il s’agit d’histoire des « anciennes écoles ». Cette position, nous le verrons, se justifie par le rôle majeur que cette cité joua dans le tournant qui s’opéra, dans la première moitié du viiie siècle, vers l’invention d’un modèle de procédure dont dérivent les règles classiques. C’est bien parce que Kūfa propose, à bien des égards, le visage de la modernité, qu’il convient de commencer par sa grande rivale, Baṣra, qui préserve mieux le souvenir d’expériences judiciaires multiples, parfois contradictoires, et souvent devenues archaïques par la suite.
106Les informations relatives aux preuves admises à Baṣra sont très rares avant les années 60/680. Al-Balāḏurī parle de bayyina-s produites devant le gouverneur Ziyād b. Abīhi (r. 45-53/665-673) lors d’un procès368. Mais la nature exacte de ces preuves demeure obscure369. Comme nous l’avons vu plus haut, nul élément textuel ne permet d’établir avec certitude que la bayyina ait déjà eu, au ier/viie siècle, un sens terminologique plus précis que celui de « preuve ».
107Si l’on en croit un récit relatif au cadi de Baṣra ʿAbd al-Raḥmān b. Uḏayna, dans lequel un homme et deux femmes effectuent une déposition, il semblerait que l’incitation coranique à prendre « deux témoins parmi vos hommes » ou, à défaut, « un homme et deux femmes », était appliquée au tout début du viiie siècle370. Les allusions aux doubles témoignages se multiplient ensuite, sous le cadi Iyās b. Muʿāwiya (en poste de 95/713-4 à 101/719-20, avec une courte interruption)371, tandis qu’en parallèle, le mot bayyina fait explicitement son entrée dans la terminologie employée372. La multiplication concomitante des allusions au double témoignage et à la bayyina suggère qu’à l’époque d’Iyās – ou de ses successeurs à la judicature de Baṣra –, celui-ci était désormais reconnu comme la preuve par excellence. Il conserva ce statut dans la suite du viiie siècle, ce qu’attestent diverses références au double témoignage et à la bayyina sous les cadis suivants373.
108Plusieurs indices laissent cependant penser que le double témoignage n’était pas, à l’origine, le principal mode de preuve à Baṣra – ou, tout au moins, que d’autres types de dépositions lui faisaient concurrence. Il semble qu’à une époque ancienne, le nombre pouvait avoir une valeur probatoire et entraîner un jugement. Certains plaideurs amenaient de multiples témoins, l’organisation tribale favorisant une solidarité qui s’exprimait, notamment, par le témoignage374. Pendant un temps, à Baṣra, leur nombre permit de l’emporter. Encore dans la première décennie du viiie siècle, le cadi ʿAbd al-Raḥmān b. Uḏayna fut confronté à des surenchères testimoniales qui bloquèrent un procès. Une bête de somme faisait l’objet d’une dispute entre les membres de deux tribus rivales, les Azd et les Banū Asad. À chaque fois qu’une partie amenait des témoins pour déposer en sa faveur, l’autre contre-attaquait en produisant un nombre de témoins supérieur. L’affaire, dit-on, stagna ainsi pendant deux ans sans que le cadi, à court de ressources, ne parvînt à la débloquer. Il lui fallut se tourner vers Šurayḥ, à Kūfa, pour trouver une solution375.
109Que la surabondance de témoins en vienne à paralyser un procès montre que dans la pratique, leur nombre était censé l’emporter devant le tribunal de Baṣra jusqu’au début du viiie siècle, sans qu’aucune solution ne soit prévue en cas de contre-attaques répétées et d’inflation des dépositions376. Al-Ḥasan al-Baṣrī aurait de même été d’avis que la quantité de témoins l’emporte377. Notons que dans le droit ibāḍite, qui plonge ses racines dans le milieu des savants baṣriens, le nombre de témoins continua d’être pris en compte. Dans son traité al-Mudawwana al-ṣuġrā, le juriste ibāḍite Abū Ġānim al-Ḫurāsānī (m. début ixe siècle ?) s’appuie sur l’opinion d’Abū ʿUbayda al-Tamīmī (m. c. 145/762)378, selon qui le plaideur qui apporte la plus grande quantité de témoins gagne le procès379.
110De telles surenchères dans les témoignages suggèrent de surcroît que les catégories de preuves n’étaient pas réparties en fonction du rôle des plaideurs. Le demandeur comme le défendeur pouvaient produire des témoins sans qu’aucune hiérarchie des preuves ne permette de déterminer le vainqueur en cas d’égalité de nombre. Al-Balāḏurī rapporte ainsi le cas d’un procès, mené devant le gouverneur Ziyād b. Abīhi (r. 45-53/665-673), au cours duquel les bayyina-s produites par les deux groupes en présence se neutralisèrent380.
111À l’opposé des cas où le nombre l’emportait, certains cadis baṣriens du ier/viie siècle semblent avoir rendu des jugements sur la base de témoignages solitaires, tel Zurāra b. Awfā (en poste de c. 45/665 à 55/675)381. Dans une lettre d’instructions au gouverneur al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf, au début des années 80/700, le calife ʿAbd al-Malik aurait accepté la déposition d’un unique témoin honorable382. Un récit relatif à Mūsā b. Anas (en poste de c. 78/697-8 à 83/702) laisse entendre que le cadi accepta le témoignage unique d’un homme qui, à deux reprises, avait entendu un débiteur avouer sa dette383. Le recours à ce type de déposition solitaire est parfois condamné par les rapporteurs de telles anecdotes384. Si la prise en compte d’une attestation isolée fut – peut-être – un épiphénomène, elle montre que la règle du double témoignage mit du temps avant de s’imposer. Le phénomène se prolongea d’ailleurs dans la première moitié du viiie siècle, puisqu’un individu relate que le cadi Bilāl b. Abī Burda (en poste de 110/728 à 120/738) accepta un jour son témoignage isolé385.
112À cette dernière exception près, les mentions d’attestations isolées acceptées par un cadi disparaissent peu après le début du viiie siècle, au moment même où, comme nous l’avons vu plus haut, la bayyina semble s’imposer dans la procédure. À ce titre, la judicature d’Iyās b. Muʿāwiya représente peut-être un tournant – qu’il soit historique ou résulte d’une projection en arrière par les cadis suivants. Le récit d’une affaire laisse entendre qu’il n’acceptait pas de prendre en considération les témoignages isolés386. Une telle position entravait néanmoins le cours de la justice, de nombreux plaideurs n’ayant pas encore le réflexe de prendre à témoin plus d’un individu. Ce n’est donc probablement pas un hasard si les premières mentions de la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid (c’est-à-dire la preuve par adjonction du serment du demandeur à la déposition d’un témoin unique)387 apparaissent à Baṣra au même moment, sous Iyās b. Muʿāwiya. Quand un demandeur n’amenait qu’un témoin, le cadi lui demandait de prêter serment et rendait son jugement sur la base de ce qui lui apparaissait dès lors comme la preuve du bien-fondé de la revendication388. Son successeur, al-Ḥasan al-Baṣrī (en poste de 101/719-20 à 102/720-1), faisait jurer le demandeur lorsque celui-ci produisait une bayyina incomplète – par exemple un homme et une seule femme (au lieu de deux)389.
113Cette procédure fut néanmoins remise en question à Baṣra au début de l’époque abbasside. Le cadi Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste à trois reprises entre 137/754-5 et 156/773) l’identifiait à un usage typiquement médinois390 et, dubitatif, il aurait demandé à Rabīʿa al-Ra’y391 des informations sur les sources de cette pratique392. Il refusa d’ailleurs d’appliquer cette procédure lors d’un procès, provoquant la colère du demandeur qui espérait prêter serment afin de compléter la déposition de son témoin unique393. La procédure al-yamīn maʿa l-šāhid n’apparaît plus à Baṣra par la suite. Elle semble ainsi n’y avoir été appliquée que pendant une cinquantaine d’années, comme une forme de transition entre l’acceptation de témoins uniques et la restriction définitive de la preuve du demandeur au double témoignage honorable. Il est probable que l’abandon de la procédure par les cadis de Baṣra au début de l’époque abbasside donna lieu à des protestations, les partisans de la procédure mettant en circulation des ḥadīṯ-s qui en faisaient remonter la pratique au Prophète. Plus tard, le ḥanafite al-Ṭaḥāwī (m. 321/933) – et al-Ǧaṣṣāṣ (m. 370/980), auteur de l’abrégé (Muḫtaṣar) de l’œuvre du premier – réfuta les traditions prophétiques où apparaissait cette procédure, en citant Yaḥyā b. Maʿīn, selon qui tous ces ḥadīṯ-s, rapportés exclusivement par des Baṣriens, ne pouvaient être tenus pour authentiques394.
2.1.2. Kūfa
114À Kūfa, des récits mentionnant la production de « preuves » (bayyina-s) renvoient à une époque très ancienne, celle du premier cadi de la ville sous le règne du calife ʿUmar, ce qui ne laisse pas d’être suspect395. Comme la plupart des procédures, c’est surtout à Šurayḥ que le double témoignage – parfois identifié à la bayyina – est associé, sans doute par projection en arrière de pratiques qui ne durent se systématiser que plus tard396. La promotion du double témoignage honorable en preuve absolue, entraînant un jugement automatique en faveur de celui qui le produit, est illustrée par une parole de Šurayḥ, qui aurait affirmé au perdant d’un procès : « Ce n’est pas moi qui t’ai condamné, mais ces deux hommes musulmans397 ! » Comme à Baṣra, la répartition des preuves légales entre le demandeur et le défendeur ne semblait pas encore rigoureuse au viie siècle. Les deux parties pouvaient recourir à la preuve testimoniale. En revanche, contrairement à Baṣra où, comme nous l’avons vu, les bayyina-s produites par les deux camps pouvaient à l’origine se neutraliser – le nombre de témoins faisant la différence –, les récits relatifs à Kūfa laissent entrevoir le développement précoce de règles permettant de définir la bayyina qui devait l’emporter, par l’établissement d’une théorie de la présomption. Ainsi rapporte-t-on que Šurayḥ dut trancher un litige à propos d’un poulain que deux plaideurs revendiquaient. Chacun amena une preuve (bayyina) de propriété. Le cadi aurait rendu son jugement en faveur de la partie qui avait le poulain en sa possession (yad), estimant que l’absence de possession de l’objet revendiqué était suspecte398. La possession valait donc présomption de propriété.
115Cette règle, qui fut appliquée par ʿAbd Allāh b. ʿUtba (en poste de 65/684-5 à c. 67/686-7)399, aurait été théorisée par Ibrāhīm al-Naḫaʿī (m. c. 96/714)400. Elle fut rétroactivement attribuée à ʿAlī401, autorité importante de la tradition kūfiote402, puis au Prophète403, et se vit compléter pour faire face à toute situation : si les deux plaideurs possédaient l’objet du litige, celui-ci devait être partagé404.
116Les divergences dans la déposition de deux témoins – l’un témoignant qu’un certain montant était dû, l’autre évoquant un chiffre différent – posaient également problème. Il n’est pas sûr qu’à l’origine, des témoignages divergents aient été admis ; Šurayḥ aurait pour sa part établi pour règle qu’en pareil cas, la somme la plus basse devait être prise en compte et le double témoignage accepté405. Il aurait par ailleurs instauré une règle de présomption dans le cas où un vendeur et un acheteur en conflit auraient tous deux produit une bayyina : la parole du vendeur devait l’emporter406. Plus tard, al-Šaʿbī aurait décidé qu’en cas de procès pour dette, la bayyina du demandeur était supérieure à celle du défendeur407. Quelle que soit l’historicité de tels récits, la tradition islamique reconnaît un rôle prééminent au milieu kūfiote dans la promotion du double témoignage et dans l’élaboration de présomptions permettant de départager des parties qui amèneraient des bayyina-s opposées408.
117Malgré ces développements juridiques précoces, la bayyina ne représentait pas une forme exclusive de témoignage dans la Kūfa des débuts. Plusieurs traditions relatives à Šurayḥ relatent que ce dernier rendit des jugements sur la base d’un témoignage unique409. Parfois, le récit entend justifier cette pratique par des circonstances exceptionnelles. Dans un cas, le narrateur précise que Šurayḥ « connaissait [le témoin]410 » ; dans un autre, les deux plaideurs auraient été d’accord pour s’en remettre à la déposition d’une unique femme411. Tout se passe comme s’il avait fallu justifier une pratique qui, plus tard, n’apparut plus régulière. Les attestations isolées ne sont plus que rarement évoquées à Kūfa par la suite, mais Wakīʿ rapporte qu’à la fin de l’époque omeyyade, les cadis Ibn Šubruma et Ibn Abī Laylā autorisaient encore « le témoignage d’un homme [unique]412 ».
118Il est au moins deux différences majeures entre Kūfa et Baṣra concernant les règles du témoignage :
Rien n’indique, tout d’abord, que le nombre de témoins put s’avérer déterminant à Kūfa : comme nous l’avons vu plus haut, Šurayḥ est réputé s’être prononcé contre la surenchère des témoignages entre parties opposées, telle qu’elle se pratiquait à Baṣra, et avoir proposé en pareil cas de trancher sur la base de présomptions413. Une autre tradition kūfiote, attribuée au calife ʿAlī (< Simāk b. Ḥarb [Kūfiote, m. 123/740-1414 ?] < Ḥanash b. al-Muʿtamir [Kūfiote]), suggère qu’en cas d’inflation des attestations, un arrangement à l’amiable (ṣulḥ) supervisé par le cadi permettait de surmonter l’impasse judiciaire : chaque plaideur devait se voir attribuer un montant proportionnel au nombre de témoins qu’il avait produit. Alternativement, ʿAlī aurait proposé que le jugement soit prononcé en faveur de celui qui prêterait serment en plus de la déposition de ses témoins415.
Cette dernière proposition montre que la prestation d’un serment en plus de témoignages fut envisagée à Kūfa. Pourtant, à la différence de Baṣra, il ne semble pas que la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid – permettant à un demandeur de prêter serment en plus d’une déposition unique – y ait été pratiquée. Ou tout au moins, si elle le fut, elle se vit très tôt abandonnée. Certaines traditions affirment bien que Šurayḥ recourait à cette pratique, mais leurs isnād-s ne sont pas kūfiotes : l’une est rapportée par le Baṣrien Muḥammad b. Sīrīn416, l’autre à travers une chaîne de garants assez obscure, mais dans laquelle apparaissent des rapporteurs médinois et syriens417. Ibn Abī Šayba rapporte de même que le cadi de Kūfa ʿAbd Allāh b. ʿUtba (nommé en 65/684-5) aurait recouru à cette procédure418 ; l’isnād du récit a néanmoins une forte consonance baṣrienne, la chaîne se composant de Yaḥyā b. Saʿīd [al-Qaṭṭān] (Baṣrien, m. 198/813)419 < Šuʿba [b. al-Ḥaǧǧāǧ] (Wāsiṭī puis Baṣrien ; m. 160/776-7)420 < Ḥuṣayn [b. ʿAbd al-Raḥmān] (Kūfiote ; m. 137/754-5 ?)421. Il s’agit vraisemblablement de traditions forgées afin d’attribuer à une autorité kūfiote une pratique qui ne l’était pas, dans le contexte de polémiques entre Kūfiotes/proto-ḥanafites et Baṣriens/Médinois. Dans la tradition évoquant ʿAbd Allāh b. ʿUtba, le nom ambigu de Ḥuṣayn (trois personnages appelés Ḥuṣayn b. ʿAbd al-Raḥmān ayant vécu en même temps à Kūfa422) put servir à donner un cachet kūfiote à une transmission en réalité baṣrienne.
119Quoi qu’il en soit, au début du viiie siècle, la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid n’était pas (ou plus) d’un usage normal à Kūfa : une tradition attribue à ʿAbd al-Ḥamīd [b. ʿAbd al-Raḥmān], gouverneur de la ville à l’époque de ʿUmar II b. ʿAbd al-ʿAzīz423, la volonté de la mettre en œuvre, ce qui aurait provoqué des protestations au sein de la population. Le gouverneur dut réclamer la caution du calife pour la faire accepter424. À la même époque, le cadi al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1) aurait renvoyé un plaideur qui lui proposait, en guise de preuve, de prêter serment en plus de la déposition d’un unique témoin. « Non ! se serait-il exclamé. [Je n’accepte] que deux témoins, comme Allāh l’a prescrit425 ! » Le cadi al-Ḥakam b. ʿUtayba (en poste c. 119/737) aurait réprouvé cette pratique426. À la fin de l’époque omeyyade, Ibn Šubruma refusait de recourir à la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid : selon Wakīʿ, « lorsque lui arrivait une affaire de la part de Yaḥyā b. Saʿīd al-Anṣārī, dans laquelle [la preuve consistait en] la déposition d’un témoin accompagnée d’un serment, il ne cessait d’en retarder le traitement et finissait par la rejeter427 ». Cette affirmation fait probablement référence à une procédure épistolaire : le cadi de Médine Yaḥyā b. Saʿīd al-Anṣārī (m. c. 143/760)428 écrivait au cadi de Kūfa pour l’instruire des preuves que lui avait amenées un demandeur en procès contre un habitant de Kūfa429. Le cadi de Médine, favorable à cette procédure conformément à la doctrine médinoise, en faisait état dans ses lettres mais Ibn Šubruma, qui de son côté ne l’acceptait pas, refusait de rendre un jugement sur la base d’une telle preuve.
120Les procédures mises en œuvre à Baṣra et à Kūfa sous les Omeyyades accusent ainsi de nettes divergences. Tandis qu’à Baṣra, le témoignage prit longtemps des formes variées (collectif, le nombre l’emportant ; témoin unique ; puis témoin unique accompagné du serment du demandeur), les cadis de Kūfa semblent avoir plus rapidement restreint la preuve testimoniale à la seule bayyina composée d’un double (ou multiple) témoignage honorable. Šurayḥ, nous l’avons vu, est sans doute un prête-nom conférant de l’autorité aux pratiques locales, et plus probablement encore à la théorie qui émergea à Kūfa dans la première moitié du viiie siècle et servit de base à la doctrine ḥanafite. Les récits pseudo-historiques qui lui sont associés n’en témoignent pas moins de l’existence de pratiques distinctes à Kūfa et Baṣra, ainsi que des controverses qui opposèrent ces deux villes à l’époque où s’épanouissaient les anciennes écoles.
2.1.3. Médine
121Quoique beaucoup plus réduites que pour les amṣār irakiens, les informations disponibles sur la judicature au Hedjaz permettent de reconstituer dans leurs grandes lignes les principales caractéristiques des procédures relatives au témoignage.
122Si l’on se fie à un récit mettant en scène le calife ʿUmar et Ubayy b. Kaʿb, les Médinois faisaient remonter le recours à la bayyina – explicitement identifiée au double témoignage – aux premiers temps de l’Islam, avant même qu’une judicature régulière ne s’installât à Médine : pris comme arbitre (ḥakam) d’une dispute entre les deux hommes, Zayd b. Ṯābit aurait réclamé « deux témoins honorables » à Ubayy b. Kaʿb ; l’homme ayant répondu qu’il n’avait pas de bayyina, l’arbitre aurait demandé à son adversaire, le calife, de prêter serment (yamīn)430. L’application stricte de la maxime « la bayyina incombe au demandeur, et le serment (yamīn) à celui qui nie » est de toute évidence anachronique : son apparition dans ce récit, comme dans la lettre à Abū Mūsā al-Ašʿarī, vise à la faire remonter au calife ʿUmar afin de lui donner plus d’autorité dans un contexte de polémiques relatives aux preuves. Ce n’est que plus tard, au début du viiie siècle, que resurgissent des récits évoquant la production d’une bayyina – mais encore non expressément définie comme un double témoignage honorable431. Dans un cas relatif à une source disputée entre ʿAlīdes et descendants de Muʿāwiya, l’absence de production d’une bayyina par le demandeur (malgré le délai accordé par le cadi) n’entraîne d’ailleurs pas la victoire du défendeur – à qui, d’après le récit, nul serment ne semble avoir été demandé432. Que la bayyina (dans le sens de double témoignage) ait commencé à s’imposer n’excluait pas encore d’autres types de preuve, notamment par ordalie.
123C’est sans doute à Médine qu’il faut situer un récit, transmis par le Médinois Ibn Abī Mulayka, d’un procès au cours duquel Marwān [b. al-Ḥakam] (gouverneur de cette ville de 41 à 49/661-2 à 669, puis de 56 à 57/676 à 677433) rendit son jugement sur la base d’un témoignage unique434. Comme à Baṣra, le nombre de témoins semblait pouvoir l’emporter dans le Hedjaz du viie siècle435. Les solutions envisagées en cas d’égalité dans le nombre de témoins diffèrent des règles de présomption attribuées à Šurayḥ à Kūfa. Lors d’un procès qui semble s’être déroulé à Médine sous le gouvernorat de Marwān b. al-Ḥakam436, avec ʿAbd Allāh b. al-Zubayr pour juge, chaque partie produisit une quantité égale de témoins. La solution trouvée fait l’objet de divergences entre les auteurs. Selon ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Ibn al-Zubayr tira au sort (ashama) la partie qui devrait prêter serment, et jugea en sa faveur après qu’elle se fut exécutée ; selon Ibn Abī Šayba, Ibn al-Zubayr accorda simplement la victoire par tirage au sort (qurʿa) entre les parties437. La version de ʿAbd al-Razzāq, qui entremêle le tirage au sort et des serments plus tard préconisés par la théorie juridique, paraît plus suspecte que celle d’Ibn Abī Šayba. Il semble en tout cas que l’on ait recouru au hasard pour déterminer le vainqueur du procès. Le Médinois Saʿīd b. al-Musayyab (m. 94/713) aurait rapporté que le Prophète procédait à un tel tirage au sort, s’en remettant à Dieu pour déterminer le vainqueur438.
124Le tirage au sort en cas d’égalité des preuves est-il un héritage de l’Arabie antéislamique ? Ibn Hišām évoque une telle procédure devant la statue du dieu Hubal, à La Mecque, pour déterminer à qui revenait de payer le prix du sang en cas de contestation439. Patricia Crone et Adam Silverstein relèvent des traces, tant dans les papyrus de Petra et de Nessana (vie siècle) que dans la tradition musulmane, du recours au tirage au sort par les anciens Arabes, notamment lorsque les preuves permettant de départager des adversaires faisaient défaut440. Dans la première moitié du viiie siècle, une telle procédure semble avoir été rejetée par al-Zuhrī (m. 124/742). D’après une tradition rapportée par Ibn Abī l-Ḏi’b (Médinois, m. 158/775), al-Zuhrī aurait déclaré : « Lorsque les témoignages [apportés par les deux parties] divergent, qu’ils sont égaux en nombre et d’honorabilité équivalente, il revient au défendeur de prêter serment441. » À égalité entre les bayyina-s, il n’était plus question de tirage au sort mais de déférer un serment à l’une des parties442.
125La procédure mentionnée le plus souvent à propos des cadis de Médine est néanmoins al-yamīn maʿa l-šāhid. Le cadi Abū Salama b. ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAwf (en poste de 49/669 à 54/674) aurait été un des premiers à permettre à un demandeur – ṣāḥib al-ḥaqq, dans la terminologie médinoise443 – de prêter serment afin de compléter la déposition d’un témoin isolé444. L’historicité de cette affirmation est sujette à caution, car elle est notamment transmise par ʿAbd Allāh b. Lahīʿa (m. 174/790), adepte de cette procédure à l’instar de nombreux cadis égyptiens, qui pourrait avoir recherché dans ce récit un précédent médinois cautionnant sa propre pratique. Un cadi antérieur, ʿAbd Allāh b. al-Ḥāriṯ (en poste de c. 41/661-2 à 49/669) est néanmoins lui aussi associé à cette procédure445. Il est indéniable que l’acceptation d’un unique témoignage accompagné du serment du demandeur fut assez tôt identifiée à la pratique médinoise. Dans une lettre qu’il écrivit à Mālik b. Anas, et qui semble nous être parvenue sous une forme proche de l’original446, le grand juriste égyptien al-Layṯ b. Saʿd (m. 175/791)447 considère cette procédure comme typiquement médinoise et affirme que ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz la mettait en œuvre quand il était gouverneur de cette ville448. Il semble en tout cas que la procédure était employée au début du viiie siècle : le cadi Abū Bakr b. Muḥammad b. ʿAmr b. Ḥazm (en poste de 87/706 à 96/714-5) y aurait eu recours449, ainsi que Yaḥyā b. Saʿīd al-Anṣārī (nommé vers 126/743-4) à la fin de l’époque omeyyade450. À la différence de Baṣra où, nous l’avons vu, la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid ne fut que transitoire, elle s’implanta plus durablement à Médine, jusqu’à intégrer la doctrine mālikite – Mālik la considérait comme relevant du ʿamal, ou pratique normative de Médine, concernant tous les procès relatifs à des biens matériels451. Elle semble aussi avoir été promue à La Mecque où elle fut encore appliquée au début du iiie/ixe siècle par le cadi Sulaymān b. Ḥarb al-Wāšiḥī (en poste de 213/828-9 à 219/834)452.
2.1.4. Damas
126Les informations relatives aux procédures suivies à Damas sont particulièrement ténues. Ni Ibn ʿAsākir ni Ibn Ṭūlūn ne mentionnent le recours au double témoignage honorable. Le caractère tardif des sources disponibles sur Damas laisse penser que la plupart des polémiques liées aux usages judiciaires des premiers temps de l’Islam disparurent avant d’être consignées par écrit.
127Toutes traces des anciennes pratiques ne sont cependant pas effacées. Deux traditions concernant la justice de califes omeyyades suggèrent qu’au viie siècle, comme dans les autres provinces, les preuves légales classiques – bayyina et serment – n’étaient pas strictement réparties en fonction du rôle joué par chacune des parties. ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī envisage, à propos de Muʿāwiya (r. 41-60/661-680) et de ʿAbd al-Malik (r. 65-86/685-705), que les preuves testimoniales se neutralisent : comme à Baṣra, le nombre de témoins devait pouvoir l’emporter453. Telle était encore l’opinion d’al-Awzāʿī (m. 157/774)454. En cas d’égalité, une tradition suggère que des formes élémentaires de présomption purent être utilisées : Muʿāwiya et ʿAbd al-Malik auraient tous deux attribué un point d’eau – dont l’un était situé entre Médine et la Syrie455 – en se fiant au nom de la source, considéré comme un indice susceptible de révéler l’identité de son propriétaire légitime456. Mais si l’on en croit une tradition remontant à Abū l-Dardā’(cadi de Damas sous le calife ʿUṯmān), celui-ci aurait attribué conjointement à deux adversaires la bête de somme qu’ils se disputaient et pour laquelle ils avaient tous deux amené une bayyina457. Cette tradition pourrait refléter la pratique de Damas où, comme à Baṣra et à la différence de Kūfa, nulle règle de présomption n’était généralement admise, l’objet du litige étant partagé en cas d’égalité des preuves.
128Une seconde série d’informations concerne la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid. Selon le Médinois al-Zuhrī – qui pour sa part la réprouvait –, le calife Muʿāwiya en aurait été l’inventeur. Le Mecquois ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ considère pour sa part qu’il s’agit du calife ʿAbd al-Malik458. Ces deux opinions sont de nature polémique, puisque d’après les propos attribués par al-Šaybānī (lui-même opposé à cette pratique) à al-Zuhrī, il s’agit d’une bidʿa (« innovation blâmable »). Elles n’en suggèrent pas moins un ancrage syrien de la procédure. Makḥūl (m. 112/730)459, un des principaux juristes syriens de l’époque omeyyade, s’y serait d’ailleurs montré favorable460. Le cadi Sulaymān b. Ḥabīb (m. entre 120/738 et 126/743-4 ; en poste à Damas à plusieurs reprises dans la première moitié du viiie siècle) en aurait été adepte461.
129Le recours à la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid semble pourtant avoir très tôt été remis en cause. Un autre cadi de la fin de la période omeyyade, Numayr b. Aws (en poste sous Hišām b. ʿAbd al-Malik) y aurait été opposé462. Dans la seconde moitié du viiie siècle, la procédure était manifestement tombée en désuétude, de sorte que dans sa lettre à Mālik b. Anas, le juriste al-Layṯ b. Saʿd considère qu’elle ne fait pas partie de la tradition vivante (attribuée aux Compagnons) de Damas ni de Ḥimṣ. Selon lui, le calife ʿUmar II b. ʿAbd al-ʿAzīz aurait refusé de mettre en œuvre en Syrie cette procédure qu’il avait adoptée à Médine, mais qui ne faisait pas partie des pratiques syriennes, et aurait recommandé l’application stricte de la bayyina463.
130Ces rares indices n’autorisent guère de conclusions. Tout au plus permettentils d’envisager : 1) qu’au viie siècle, le nombre de dépositions pouvait l’emporter, chaque partie pouvant apporter ses témoins, et l’objet du litige étant partagé en cas d’égalité des preuves ; 2) que dans la première moitié du viiie siècle, la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid fut utilisée pendant un temps avant, peut-être, que son usage ne soit limité par les cadis eux-mêmes ; 3) que dans la seconde moitié du viiie siècle, les règles de la bayyina avaient complètement effacé celles d’al-yamīn maʿa l-šāhid, au point qu’un juriste égyptien tel al-Layṯ b. Saʿd ne gardait plus souvenir de son application en Syrie.
2.1.5. Fusṭāṭ
131Comme à Kūfa ou à Médine, les sources disponibles pour la judicature de Fusṭāṭ font remonter le recours au double témoignage honorable à une période ancienne. Al-Kindī emploie pour la première fois le terme bayyina à propos du cadi Sulaym b. ʿItr (en poste de 40/660-1 à 60/679-80). En cas de blessure corporelle, les Égyptiens auraient « apporté au cadi [leurs] preuve[s] (bayyina) » à l’encontre du coupable464. Remarquons cependant une fois encore qu’à cette époque ancienne, rien ne permet d’identifier strictement la bayyina à la preuve testimoniale classique. Ce n’est qu’à propos d’une période plus tardive, vers le premier quart du viiie siècle, que la bayyina est explicitement définie comme une preuve testimoniale465.
132Il est clair que la preuve par témoignage se développa à Fusṭāṭ dans la seconde moitié du viie siècle. Les règles différaient néanmoins de la procédure classique. Comme à Kūfa, Baṣra, Médine et peut-être Damas, les deux parties en conflit pouvaient amener leurs témoins. ʿAbd Allāh b. Lahīʿa rapporte à propos du cadi ʿAbd al-Raḥmān b. Ḥuǧayra (en poste de 69/688-9 à 83/702) que le nombre de témoins était susceptible de l’emporter : il suffisait qu’un des plaideurs amène au moins deux témoins de plus que son adversaire. En cas de nombre équivalent des deux côtés, le cadi procédait à un tirage au sort (yushamu bayna-hum) pour déterminer le vainqueur466, ce qui n’est pas sans rappeler certaines procédures comparables – voire identiques – mises en œuvre à Médine à la même époque.
133L’acceptation d’un témoin unique, courante dans la Baṣra du viie siècle, est peu attestée à Fusṭāṭ à la même époque. Elle n’en est pas absente pour autant. Dans le souvenir de ʿAbd Allāh b. Lahīʿa, ʿAbd al-Raḥmān b. Ḥuǧayra y recourait. Les règles du témoignage isolé semblent néanmoins avoir été plus théorisées qu’à Baṣra : une déposition unique permettait à un plaideur de l’emporter si ce dernier se trouvait en possession du bien ou de la marchandise (silʿa) qu’il revendiquait. En pareil cas, la production d’un seul témoin honorable (ʿadl) faisait pencher le jugement en sa faveur même si son adversaire amenait un nombre supérieur de témoins467. Tout se passe donc comme si une réflexion sur la présomption, dont on a vu qu’elle semblait s’être développée d’abord à Kūfa, était venue préciser à Fusṭāṭ les conditions d’acceptation d’un témoignage unique468.
134Les règles évoluèrent néanmoins au viiie siècle, selon un schéma comparable aux changements qui intervinrent au même moment à Baṣra et à Médine. L’acceptation du témoignage unique renforcé par la présomption de propriété semble avoir disparu au profit de la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid. Le cadi Tawba b. Namir (en poste de 115/733 à 120/738), le premier Égyptien au nom duquel cette procédure est associée, jugeait des affaires mineures sur la base d’un seul témoignage accompagné par le serment du demandeur469. Cette procédure se perpétua au-delà de l’époque abbasside, puisque ʿAbd Allāh b. Lahīʿa (en poste de 155/771-2 à 164/780) s’y conformait470, ainsi que ʿAbd al-Malik b. Muḥammad al-Ḥazmī (en poste de 170/786 à 174/790)471. Dans son Muḫtaṣar, Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829) préconise encore d’y recourir dans certains cas472.
135Comme ailleurs, la bayyina devint le mode de preuve privilégié. Le double témoignage honorable sembla se développer à Fusṭāṭ à partir du début du viiie siècle. Les allusions aux témoignages se multiplient dès la seconde moitié de l’époque omeyyade473, et au début la période abbasside la production de deux témoins était indispensable pour prouver certaines accusations graves. Quand un homme amena devant Ḫayr b. Nuʿaym (lors de sa seconde judicature, de 133/751 à 135/753) un soldat qu’il accusait de l’avoir calomnié (qaḏafa)474, produisant un seul témoin à charge, le cadi requit un second. L’existence du premier témoin constituait néanmoins une présomption suffisante pour que le soldat fût incarcéré de manière temporaire, en attendant la production d’un autre témoignage475. Dans sa correspondance avec Mālik b. Anas dans la seconde moitié du viiie siècle, le juriste égyptien al-Layṯ b. Saʿd (m. 175/791) refusait d’associer la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid à la tradition des Compagnons installés en Égypte476. Il est possible que dans la pratique égyptienne cette procédure ait été un temps négligée au profit de la stricte bayyina, comme le suggère un cas datant du milieu du ixe siècle. En tant que mālikite, le cadi al-Ḥāriṯ b. Miskīn (en poste de 237/851 à 245/859) aurait dû, en théorie, être adepte de la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid devenue part intégrante de la doctrine mālikite, défendue jusqu’à Fusṭāṭ par Ibn ʿAbd al-Ḥakam477. Pourtant, un récit rapporté par al-Kindī laisse penser qu’il ne la mettait pas systématiquement en œuvre. Alors qu’il refusait d’agréer un des deux témoins produits par une plaignante dans une affaire d’usurpation (ġaṣb) liée à une succession, il ne lui proposa pas de compléter la déposition de son seul témoin honorable par un serment, et finit par offrir une compensation à la plaignante sur ses propres deniers478. Les affaires d’usurpation, pourtant, ne faisaient pas partie des cas où, selon Mālik, la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid ne pouvait s’appliquer479. Tout se passe comme si cette procédure, bien qu’entérinée par le mālikisme, était sur le déclin dans la judicature égyptienne, où la bayyina s’affirmait dorénavant comme la reine des preuves.
136Enfin, comme dans les autres villes, la répartition des modes de preuve en fonction du rôle joué dans le procès permit d’éviter la plupart des cas où deux bayyina-s auraient pu se neutraliser. Cela apparaît clairement dans al-Muḫtaṣar al-kabīr du mālikite égyptien Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829), qui refuse à un défendeur contre qui a été produite une bayyina de présenter à son tour des témoins attestant qu’il ne doit plus ce qu’on lui réclame480. Il restait évidemment des situations où les rôles ne pouvaient être déterminés, par exemple lorsque l’objet du litige était à la fois en possession d’un plaideur et de son adversaire – le défendeur étant autrement assimilé à la partie en possession de l’objet. Si chacun amenait un témoin, celui dont le témoin était considéré le plus honorable devait l’emporter. En cas d’égalité dans l’honorabilité des témoins, le témoignage était annulé ; les plaideurs devaient prêter serment et l’objet du litige était partagé entre eux481.
2.1.6. Bagdad
137Cette plongée dans les pratiques testimoniales des premiers siècles de l’hégire ne saurait être complète sans un bref aperçu des procédures employées à Bagdad à la fin du iie/viiie et au iiie/ixe siècle. Vierge de toute tradition juridique ou judiciaire locale lors de sa fondation en 145/762, la Ville du Salut (Madīnat al-Salām) s’épanouit à l’époque où, dans les principales cités de l’Orient islamique, les procédures avaient évolué et tendaient à marginaliser – voire éradiquer – tout témoignage non conforme aux règles de la bayyina. L’exemple bagdadien vient confirmer cette tendance. Nulle trace, dans les sources relatives à Bagdad, de dépositions se neutralisant ou de tirage au sort entre plaideurs. Si la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid fut mise en œuvre par les cadis médinois, puis mālikites, qui furent régulièrement nommés dans la circonscription de ʿAskar al-Mahdī jusqu’au milieu du iiie/ixe siècle482, les textes n’en gardent pas trace. Seul le double témoignage que constitue la bayyina est mentionné dans la littérature biographique et historiographique483. Même lorsque le calife al-Ma’mūn (r. 198-218/813-833) mit en accusation le cadi Bišr b. al-Walīd al-Kindī coupable, selon lui, d’atteintes graves aux règles de la procédure judiciaire, il ne put lui reprocher d’avoir fondé son jugement sur la déposition d’un témoin unique, mais seulement de ne pas s’être assuré de l’honorabilité du second témoin484. C’est que depuis quelque temps déjà, les débats entre juristes ne portaient plus tant sur les règles du témoignage que sur celle de l’acceptation des témoins dans le cadre d’une procédure faisant désormais l’objet d’un quasi-consensus.
2.1.7. Conclusion
138Les règles relatives à la production de preuves testimoniales mirent plus d’un siècle, après l’apparition de l’Islam, pour évoluer vers le modèle préconisé par la théorie juridique classique. Les débats qui s’engagèrent à ce sujet dans la première moitié du viiie siècle eurent pour effet de cristalliser, dans les sources littéraires du viiie et du ixe siècle, le souvenir de procédures archaïques qui n’avaient plus cours à l’époque où écrivaient leurs auteurs. Il ne s’agit toutefois que de souvenirs, fixés plusieurs décennies a posteriori, et le flou lié aux reconstructions, projections en arrière et autres quêtes d’autorité légitimante ne permet pas de reconstituer avec précision les évolutions qui eurent cours. Seule une chronologie relative peut être proposée ici.
139Dans toutes les grandes cités de l’Orient musulman que nous avons pu examiner, la preuve par témoignages existait dans la seconde moitié du viie siècle. Les plaideurs disposaient d’un large éventail de possibilités.
Chaque partie pouvait recourir à la preuve testimoniale – sans distinction entre demandeur et défendeur (toutes les villes examinées).
Très souvent, la déposition d’un témoin unique pouvait se voir accorder une valeur probatoire (Kūfa, Baṣra, Fusṭāṭ)485. Dans certaines régions, cette pratique se poursuivit au-delà de l’époque omeyyade. ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī (m. 211/827) affirme avoir lui-même témoigné seul devant le cadi de Ṣanʿā’Muṭarrif b. Māzin (m. à la fin du règne d’al-Rašīd), et que ce cadi entérina son témoignage486.
Si chaque partie produisait des témoins, leur nombre était généralement susceptible de l’emporter (Baṣra, Médine, Damas, Fusṭāṭ)487.
140Des divergences régionales apparaissent néanmoins dès cette époque ancienne. Le nombre de témoins produits par chaque partie étant déterminant, une quantité égale de témoignages pouvait bloquer la procédure. Des solutions différentes furent proposées pour résoudre ce problème. À Médine comme à Fusṭāṭ, le tirage au sort permettait de désigner le gagnant du procès488. Cette méthode, peut-être héritée de l’Arabie antéislamique, fut cependant critiquée dès l’époque omeyyade et les ḥanafites comme les mālikites finirent par la condamner, l’assimilant au jeu de hasard489. À Kūfa, en revanche, des présomptions (notamment la possession) furent prises en compte assez tôt, et tel fut peut-être aussi le cas à Damas490. Si l’on se fie aux anciennes traditions rapportées par ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, il semble en tout cas qu’une des premières questions que se posèrent les musulmans au tournant du viiie siècle fut de savoir comment gérer les problèmes suscités par la surabondance de témoignages491.
141Les pratiques testimoniales connurent des bouleversements dans la première moitié du viiie siècle. Dès les années 700 ou 710, le double témoignage (désormais considéré comme preuve par excellence, bayyina), dont l’usage restrictif pourrait s’être d’abord développé à Kūfa, se répandit dans tout l’Orient musulman492. En même temps que s’imposait le double témoignage, une forme de preuve combinant témoignage et serment fait son apparition dans les textes : la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid, qui permettait au demandeur de compléter la déposition d’un témoin isolé par un serment. Cette méthode, qui était peut-être apparue à Médine dans la seconde moitié du viie siècle, fut adoptée à Baṣra, à Damas et à Fusṭāṭ493. Il est probable qu’à l’exception de Médine, elle ne fut admise que de manière transitoire : on peut émettre l’hypothèse que le double témoignage était devenu la norme mais que, dans les faits, des plaideurs continuaient à ne produire qu’un témoin unique – peut-être parce qu’ils n’avaient pris qu’une personne à témoin lors de leurs transactions antérieures. Le serment du plaideur qui produisait un témoin permettait de se rapprocher de la bayyina idéale494. Au bout d’une ou deux générations, la transition vers un usage systématique du double témoignage étant terminée, la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid commença à tomber en désuétude : elle fut abandonnée à Damas comme à Baṣra dès la fin de la période omeyyade ou le début de l’époque abbasside, survécut encore quelque temps à Fusṭāṭ (peut-être parce que le milieu juridique de cette ville était influencé par le droit médinois), et ne s’imposa que dans la doctrine médinoise (puis mālikite, plus tard aussi l’école šāfiʿite ainsi que chez les chiites ismāʿīliens et imamites, qui suivaient en cela la position du Médinois Ǧaʿfar al-Ṣādiq495) grâce à la consécration du ʿamal comme source du droit.
142Les divergences originelles dans les pratiques testimoniales des provinces orientales sont excessivement difficiles à reconstituer en raison d’un manque d’informations sur les premières décennies de l’Islam et des projections en arrière que l’on peut souvent soupçonner. Malgré tout, même en scrutant les sources littéraires d’un œil critique, l’historien ne peut s’empêcher de voir Kūfa comme une ville à part. Certaines pratiques, telle la prise en compte du nombre de témoins, ou la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid, en sont absentes. L’évocation – même rétroactive – d’une réflexion sur les présomptions distingue également cette cité des villes contemporaines. Tout se passe comme si les cadis de Kūfa avaient restreint plus tôt la preuve testimoniale au double témoignage – ce qui aurait dispensé la ville de recourir provisoirement à la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid.
143En dehors de l’exception kūfiote et de quelques solutions divergentes face à un problème commun, les procédures testimoniales évoluèrent de manière comparable dans les provinces orientales au cours du premier siècle de l’hégire. Ce mouvement conjoint peut avoir été stimulé par plusieurs facteurs. Le premier est celui des interactions entre villes. Particulièrement évidentes au début de l’époque abbasside dans la correspondance entre le Médinois Mālik b. Anas et l’Égyptien al-Layṯ b. Saʿd, elles sont déjà visibles dans la première moitié du viiie siècle pour les villes de Kūfa et Baṣra. En quête de précédents et d’autorité, le Baṣrien Ibn Sīrīn (m. 110/729), nous l’avons vu, rapporta une partie de la tradition du Kūfiote Šurayḥ. Même s’il lui attribua, au passage, des pratiques baṣriennes qu’il convenait de justifier, l’existence de cette transmission (réelle ou fictive) montre que les Baṣriens de la première moitié du viiie siècle regardaient vers les pratiques kūfiotes, prêts à s’en inspirer ou à les infléchir. Les débats qui animèrent les milieux juridiques et judiciaires du viiie siècle n’étaient pas (ou pas seulement) des controverses internes à chaque province : le débat se faisait à l’échelle de l’empire.
144Un second facteur est de nature politique. Dans l’Égypte du début du viiie siècle, Qurra b. Šarīk instruisait ses pagarques de requérir des demandeurs la production d’une bayyina – alors que les documents de Ḫirbet el-Mird, remontant à la fin du viie siècle, n’ont pas conservé d’occurrence de ce terme496. Plus tard, dans sa lettre à Mālik b. Anas, al-Layṯ b. Saʿd considère le calife ʿUmar II b. ʿAbd al-ʿAzīz comme le promoteur du double témoignage, contre d’autres procédures qu’il aurait lui-même suivies auparavant497. Cette affirmation, formulée dans un contexte polémique, est néanmoins corroborée par les diverses instructions judiciaires que ce calife aurait envoyées à plusieurs gouverneurs, et dont des traces sont préservées par Ibn ʿAbd al-Ḥakam et al-Balāḏurī498. On ne peut donc exclure que le pouvoir omeyyade ait joué un rôle important dans la rationalisation des procédures et la restriction de la preuve testimoniale au double témoignage.
145Le recentrage de la procédure, dans la première moitié du viiie siècle, fit évoluer les problématiques judiciaires. La restriction progressive de la preuve testimoniale à la bayyina, éliminant au moins partiellement les possibilités de témoignages isolés, n’imposait pas en revanche de limite supérieure au nombre de témoins et la balance pouvait toujours, en théorie, pencher en faveur du plus grand nombre. Cette possibilité fut restreinte par l’élaboration d’une théorie définissant, en premier lieu, le rôle joué par chaque partie dans le procès (demandeur versus défendeur)499, et répartissant, en second lieu, les modes de preuve (preuve testimoniale versus serment) en fonction de ce rôle500. Enfin, d’aucuns commençaient à se demander dans quelle mesure la quantité devait l’emporter sur la qualité. Fallait-il prendre en considération le nombre de témoins ? Ou un nombre réduit de témoins considérés comme fiables pouvait-il l’emporter face à un nombre plus élevé de témoins à la parole suspecte501 ? Une nouvelle réflexion sur la capacité à témoigner était en passe de voir le jour, suivie d’une théorisation de l’honorabilité des témoins.
2.2. Qui peut témoigner ? Vers une théorie du témoin modèle
146Bien que le Coran reste flou quant aux procédures du témoignage en justice, il laisse déjà entendre que tout témoin ne doit pas être accepté. Ainsi enjoint-il aux musulmans de choisir « parmi ceux que vous agréez comme témoins » (mimman tarḍawna min al-šuhadā’) (Coran, 2 : 282), ce qui implique que certains, à l’inverse, ne peuvent être agréés. Mais de qui le témoignage est-il autorisé ? Quels témoins doit-on rejeter ? Jamais le premier Livre des musulmans n’offre d’indication explicite à ce sujet.
147Les sources biographiques consacrées aux cadis reflètent l’évolution de certaines pratiques judiciaires relatives à l’acceptation ou au rejet de plusieurs catégories de témoins. Elles font en cela écho à une littérature juridique plus théorique qui, jusque dans les grandes sommes des maḏhab-s classiques, consacre des chapitres entiers à la définition des témoins acceptables. On pourrait penser qu’à la différence de cette théorie qui, dans sa prétention à l’universalité, décontextualise la norme qu’elle tente de promouvoir, la littérature biographique permet de reconstituer quelques tendances historiques des controverses et des pratiques judiciaires afférentes à l’agrément des témoins. Cette littérature biographique est cependant insuffisante. Elle dispose en effet rarement d’informations originales en la matière, mais puise dans la réflexion juridique ancienne, tout particulièrement dans les grands recueils de traditions antérieurs à la canonisation du ḥadīṯ502. C’est donc avant tout à partir de ce corpus d’opinions juridiques primitives que nous proposons d’analyser les principales catégories de témoins qui firent l’objet d’une réflexion dans le cadre du fiqh préclassique et classique.
2.2.1. Témoignage du mineur
148La parole en justice des enfants (ṣabī, pl. ṣibyān ; parfois aussi appelés ġulām, pl. ġilmān) est évoquée dans la plupart des traités de fiqh classique. Les ḥanafites comme les šāfiʿites et les ismāʿīliens interdisent formellement leur témoignage503. Les mālikites l’autorisent, de leur côté, mais de manière restrictive : uniquement pour des affaires de coups et blessures (ǧirāḥ), et à condition qu’il soit recueilli avant que le groupe d’enfants (au sein duquel les blessures ont été infligées) ne se disperse504 ; il en va de même chez les zaydites505. Les imamites n’acceptent la parole d’enfants de moins de dix ans qu’en matière de meurtre506. Les ibāḍites sont en général hostiles au témoignage des mineurs, mais autorisent malgré tout des exceptions : en cas de coups et blessures infligés par un enfant sur un autre, mais à condition que les dépositions concordent en tout point – sinon il est nécessaire d’attendre qu’ils aient atteint leur majorité et de les réinterroger alors507.
149Les controverses quant au témoignage des garçons impubères ne semblent pas s’être développées avant le début du viiie siècle. Contrairement aux tendances du fiqh classique, qui le rejette majoritairement – à l’exception, mais avec certaines restrictions, des mālikites, des imamites et des ibāḍites –, les premières positions connues pointent vers une acceptation quasi généralisée de leur parole en justice508. Au Hedjaz, l’opinion la plus ancienne est attribuée au calife Ibn al-Zubayr (r. 63-73/683-692)509, autorité dont Mālik se réclame d’ailleurs dans son Muwaṭṭa’510. Alors que Mālik attribue à Ibn al-Zubayr les mêmes restrictions que lui – i.e. la limitation de leur témoignage aux coups et blessures511 –, les traditions que rapportent ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī et Ibn Abī Šayba à ce sujet suggèrent que le témoignage des mineurs était à l’origine plus ouvert. Selon la version de ʿAbd al-Razzāq, le calife aurait choisi d’accepter leurs dépositions et décidé qu’ils soient crus « à condition qu’ils aient compris ce qu’ils avaient vu, et que quelqu’un d’autre ait transmis leur témoignage512 ». Ibn Ḥazm rapporte une variante selon laquelle Ibn al-Zubayr aurait déclaré : « Si l’on amène [des témoins mineurs] en cas de malheur (muṣība), leur témoignage est autorisé513. » Ibn Abī Mulayka, cadi d’Ibn al-Zubayr à La Mecque, aurait affirmé que les cadis précédents avaient toujours agi de la sorte514 – ou, selon la version d’Ibn Ḥazm, que les cadis appliquèrent l’instruction du calife et acceptèrent le témoignage des mineurs dans des cas spécifiques515.
150Si aucune tradition n’a survécu à ce sujet pour la Syrie ni pour l’Égypte du viie siècle, il en va différemment à propos de l’Irak. À Baṣra, on relate que ʿAmīra b. Yaṯribī (en poste de 40/660 à 45/665) vérifiait (istaṯbata) le témoignage des jeunes garçons516 ; au début du viiie siècle, Ibn Sīrīn y tenait encore cette position, puisqu’il aurait affirmé que « l’on couche par écrit le témoignage des mineurs et on le vérifie517 ». À Kūfa, Šurayḥ est supposé s’être appuyé sur la parole d’enfants518. Certains récits tentent de limiter son acceptation à des cas spécifiques (dents cassées, blessures ouvertes ; témoignages relatifs aux mineurs eux-mêmes, à l’exclusion des adultes519), d’autres évoquent la nécessité de « vérifier » de tels témoignages comme dans la tradition baṣrienne520, ou encore d’attendre confirmation de leurs déclarations une fois qu’ils ont atteint l’âge de raison521. Un récit transmis par al-Šaʿbī affirme que le cadi Masrūq b. al-Aǧdaʿ (en poste c. 50/670) rendit une fois un jugement sur la base de la déposition de jeunes garçons522.
151La tradition islamique préserve donc l’image d’un viie siècle qui agréait le témoignage des mineurs – avec certaines restrictions –, y compris dans un Irak qui rejeta plus tard cette position. À Kūfa, l’acceptation semble toujours de mise dans la première moitié du viiie siècle : le cadi al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1) y aurait été favorable pour des cas n’impliquant que des mineurs et aurait interrogé chaque année les jeunes témoins afin de vérifier qu’ils ne changeaient pas leurs dépositions523. Muḥārib b. Diṯār (en poste vers 110/728) demandait également confirmation des témoignages à la majorité des témoins524. À la fin de la période omeyyade, le cadi Ibn Abī Laylā faisait coucher par écrit la déposition des mineurs et, une fois qu’ils avaient atteint leur majorité, leur demandait de la confirmer ; il l’entérinait alors, ou n’en tenait pas compte si les intéressés se rétractaient525. Même Ibrāhīm al-Naḫaʿī (m. c. 96/714), souvent regardé comme représentatif de la tradition kūfiote qui donna naissance au ḥanafisme, aurait accepté la déposition des enfants dans des affaires entre mineurs526. À Baṣra aussi, Iyās b. Muʿāwiya (en poste de 95/713-4 à 101/719-20) aurait encore été favorable au témoignage des enfants527.
152Il semble cependant que l’agrément des mineurs ait commencé à être remis en question dès la première moitié du viiie siècle. À Médine, le sujet suscitait manifestement des interrogations quand le cadi Salama b. ʿAbd Allāh al-Maḫzūmī (en poste de 101/720 à 104/722-3 ?), confronté au témoignage de jeunes garçons, envoya interroger deux savants sur la conduite à tenir. Ces derniers lui recommandèrent d’entériner leurs dépositions à condition que les garçons « commencent à avoir du poil [au menton] » (iḏā anbata l-šaʿr)528, restreignant ainsi cette faculté de témoigner aux adolescents proches de la puberté. Selon Ibn Ḥazm, les juristes médinois Ibn al-Musayyab (m. 94/713) et al-Zuhrī (m. 124/742) préconisaient d’accepter le témoignage des mineurs si celui-ci était renforcé par le serment du demandeur, et à condition qu’ils ne se soient pas encore dispersés529 ; le cadi Abū Bakr b. Muḥammad (en poste à Médine de 87/706 ? à 96/714-5 ?) aurait restreint le témoignage des enfants aux affaires qui les opposaient entre eux, à condition qu’ils ne se fussent pas dispersés530. Vers la même époque, le juriste syrien Makḥūl (m. 112/730) aurait préconisé de ne pas entendre les moins de quinze ans531. Dans l’Égypte des années 120/738, le cadi Ḫayr b. Nuʿaym acceptait la parole des impubères « pour les cas de blessures intervenues entre eux532 » – opinion conforme à la doctrine médinoise/mālikite classique.
153Les traditions relatives à Šurayḥ reflètent, peut-être, une restriction progressive du témoignage des mineurs à Kūfa – ou, en tout cas, des discussions sur les circonstances de sa prise en considération. Ibn Ḥazm rapporte des traditions d’origine baṣrienne (transmises d’après Qatāda < al-Ḥasan al-Baṣrī) selon lesquelles ʿAlī b. Abī Ṭālib et Muʿāwiya autorisaient leurs dépositions contre d’autres mineurs533, ce qui semble avoir aussi correspondu à l’opinion de ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ (m. c. 114/732)534. Certains Kūfiotes semblent ne l’avoir rejeté en bloc qu’à la fin de l’époque omeyyade. C’est ce qu’aurait fait le cadi ʿAbd Allāh b. Šubruma (en poste de 120/738 à 121/739)535, à la suite de quoi toute référence à la déposition d’un mineur semble disparaître à Kūfa.
154Le témoignage des mineurs semble ainsi avoir été généralement accepté dans la pratique judiciaire pendant la plus grande partie de l’époque omeyyade. Les différences observables entre le Hedjaz et l’Irak sont peu importantes en la matière. Sans être remis en cause en bloc, le sujet commença à faire l’objet d’interrogations au début du viiie siècle. Tandis que certains, à Kūfa, à Médine ou en Syrie, le circonscrivaient à une série de situations où un tel témoignage était indispensable (surtout le cas, que l’on distingue en toile de fond, d’accident corporel ou de blessure lors de jeux entre enfants), certains praticiens comme al-Šaʿbī ou Ibn Abī Laylā à Kūfa définissaient des procédures permettant de n’entériner leurs dépositions qu’une fois leur majorité atteinte. Si d’aucuns rejetaient purement et simplement ce type de témoignage, cette tendance devait encore être très minoritaire, et ce n’est qu’à l’aube de la période abbasside que l’on voit un cadi de Kūfa rejeter catégoriquement la parole des mineurs536. Sur ce plan, la doctrine ḥanafite classique ne se développa donc que sur la base d’une position adoptée à Kūfa sur le tard, et sans doute minoritaire dans cette même ville.
2.2.2. Témoignage des femmes
155Le témoignage des femmes est sujet à controverses dans le fiqh classique. Les différents maḏhab-s acceptent généralement la parole de femmes seules – non accompagnée d’un témoin masculin – à propos d’affaires dont les hommes sont exclus, en particulier les naissances ; les divergences entre juristes concernent surtout le nombre de femmes requises pour de telles dépositions537. Les controverses sont plus vives quand le témoignage de femmes, en compagnie d’hommes, touche d’autres situations. Les juristes excluent de manière unanime les déclarations des femmes dans des cas susceptibles d’entraîner un châtiment scripturaire (ḥadd)538. Les ḥanafites refusent leur témoignage en matière pénale, pour tout ce qui concerne les crimes tombant sous le coup du ḥadd ou du talion (qiṣāṣ), mais l’acceptent pour ce qui relève du droit civil539. Les ibāḍites ne l’excluent qu’en matière de relations sexuelles illicites (zinā’)540. Les autres écoles, en revanche, excluent aussi leur témoignage de la plupart des procès civils. Les mālikites l’acceptent lorsqu’il s’agit de la désignation d’un mandataire ou d’une succession, ou plus généralement de litiges matériels, mais l’excluent de tout ce qui concerne l’affranchissement, le divorce, le mariage, les généalogies, les liens de clientèle et le statut matrimonial (iḥṣān)541. Les šāfiʿites vont encore plus loin, l’excluant de tout ce qui n’est pas affaire financière542. Les ismāʿīliens l’acceptent dans cette dernière catégorie, mais ni en cas de divorce ni au pénal543, et les zaydites excluent la déposition de femmes relative à un mariage, un divorce, un crime tombant sous le coup du ḥadd ou du talion544.
156La participation des femmes comme témoins lors de procès n’est pas documentée de façon égale pour toutes les provinces orientales des premiers siècles de l’Islam. Parmi les biographes de cadis, Wakīʿ est le seul à s’y intéresser, et encore à propos des seuls tribunaux de Kūfa et de Baṣra. Afin d’appréhender les éventuelles distinctions régionales du rôle alloué aux femmes, il est donc nécessaire de prendre en compte plus que nous ne l’avons fait jusqu’à présent la position théorique de juristes non praticiens de la judicature.
157Le chapitre que ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿāni consacre au témoignage des femmes en compagnie de témoins masculins suggère que leur rôle fit l’objet de discussions dans la première moitié du viiie siècle. Quinze des dix-sept traditions rapportées par l’auteur évoquent l’opinion d’un Successeur ou d’un Successeur de Successeur actif à cette époque. Les tendances du fiqh classique commencent déjà à s’y dessiner. À Médine, al-Zuhrī (m. 124/742) se prononçait contre le témoignage des femmes tant pour ce qui relevait des ḥudūd qu’en matière de mariage et de divorce – mais il acceptait peut-être encore leur déposition à propos d’un testament ou d’un meurtre545. En Syrie, Makḥūl (m. 112/730) n’acceptait la parole des femmes qu’en matière de dette546 – position qui peut être rapprochée de celle d’al-Šāfiʿī plus tard. À Kūfa, le cadi al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1) l’autorisait pour des affaires de mariage et de divorce – selon lui, Šurayḥ l’acceptait également pour un affranchissement –, mais l’interdisait pour ce qui relevait des ḥudūd547.
158Pour autant, les lignes de démarcation ne sont pas aussi tranchées que ce que la théorie des anciennes écoles régionales pourrait laisser croire. À Kūfa, la position d’al-Šaʿbī était concurrencée par celle attribuée à Ibrāhīm al-Naḫaʿī (m. c. 96/714), qui aurait refusé le témoignage des femmes en matière de mariage, de divorce et de crime sujet au ḥadd548 – mais l’acceptait néanmoins en cas d’affranchissement, de dette et de testament549 – et se rapprochait ainsi de la position médinoise ; il en allait de même à Baṣra, où al-Ḥasan al-Baṣrī et Qatāda b. Diʿāma (m. c. 117/735) refusaient leur témoignage dans ces types d’affaires550. L’Arabie était elle aussi partagée : alors que les Médinois tendaient à exclure les femmes dans nombre de procès civils, les Mecquois leur accordaient un rôle plus large encore que les Kūfiotes les plus ouverts. Le Yéménite Ṭāwūs b. Kaysān (m. 106/724)551 agréait la parole des femmes en toutes circonstances, à l’exception des cas de fornication (zinā’), et le Mecquois ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ (m. c. 114/732)552 l’acceptait même dans ce dernier cas553. La Mecque et le sud de la péninsule Arabique se distinguaient donc du reste de l’Orient en la matière, peut-être pour des raisons liées à la place traditionnelle des femmes dans leurs sociétés. La démarcation opposait plutôt un axe La Mecque-Kūfa (une partie seulement), qui tendait vers l’acceptation des femmes, et un axe Médine-Syrie qui tendait à les exclure ; entre les deux, une tendance commune Baṣra-Kūfa (une autre partie) les excluait plus que les premiers, mais moins que les derniers.
159Les exemples judiciaires qui ont survécu pour Kūfa et Baṣra tendent surtout à justifier les positions doctrinales de la première moitié du viiie siècle, ou à les illustrer. À Kūfa, Šurayḥ aurait agréé quatre femmes témoignant qu’une cinquième avait eu ses menstruations pendant sa retraite de continence (ʿidda)554 ; il aurait aussi accepté le témoignage de femmes relatif au premier cri (istihlāl) d’un nouveau-né555. Ces deux traditions placent ainsi sous son autorité la capacité des femmes à témoigner pour des affaires proprement féminines, capacité reconnue par tous les maḏhab-s classiques. Šurayḥ aurait aussi accepté la déposition de quatre femmes en faveur d’une divorcée qui revendiquait le mobilier du domicile conjugal556 – la capacité des femmes à témoigner à propos de biens matériels faisant aussi l’objet d’un quasi-consensus dans le fiqh classique. Un dernier récit décrit Šurayḥ tranchant d’après la déposition d’une femme, mais avec l’accord explicite des parties en litige557. Ces deux derniers ḫabar-s sont rapportés par le Baṣrien Ibn Sīrīn, ce qui renforce l’impression que les traditions concernant Šurayḥ et le témoignage des femmes tendent à illustrer/justifier le terrain d’entente commun entre Kūfiotes et Baṣriens.
160Le seul cas kūfiote ayant une apparence plus « historique » concerne Ibn Šubruma, à la fin de l’époque omeyyade : ce cadi aurait entériné la déposition d’une femme concernant une répudiation558. Le témoignage des femmes à ce propos ne faisait pas l’objet d’un consensus à Kūfa, comme nous l’avons vu plus haut, et cette prise de position judiciaire atteste peut-être une évolution vers une position kūfiote plus tranchée en faveur du témoignage des femmes dans ce type d’affaires – position qui fut ensuite reprise par l’école ḥanafite.
161Les quelques indices préservés à propos des cadis baṣriens reflètent des pratiques ambivalentes, oscillant entre une tradition kūfiote « ouverte » et des traditions baṣriennes et médinoises plus « fermées » au témoignage des femmes : Ibn Uḏayna (en poste à Baṣra de 83/702 à 95/713-4) aurait accepté la déposition d’une femme relative à une généalogie (dans un cas de succession) – appliquant ainsi une instruction du calife ʿAbd al-Malik559. Quelques années plus tard, Iyās b. Muʿāwiya aurait voulu accepter les déclarations de femmes dans une affaire de divorce ; il aurait néanmoins été contraint de les rejeter suite aux instructions contraires du gouverneur de Baṣra – qui aurait suivi en cela l’avis des Baṣriens Qatāda et al-Ḥasan al-Baṣrī –, puis du calife ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz560. Selon al-Balāḏurī, le calife aurait envoyé au gouverneur de Baṣra une lettre l’invitant à ne pas accepter le témoignage de femmes seules561.
162L’image assez confuse qu’offrent les sources à ce sujet permet difficilement de retracer des évolutions franches ou des distinctions régionales prononcées562. Tout au plus constate-t-on l’important foisonnement d’opinions qui fleurirent dans la première moitié du viiie siècle, tant en Irak qu’en Arabie. On ignore tout de la manière dont le témoignage des femmes était perçu au viie siècle ; aussi estil impossible de dire si la multiplicité des avis tendit à restreindre ou au contraire à élargir la capacité des femmes à témoigner. Rien n’indique que l’exception mecquoise reflète un stade plus archaïque, et il est probable qu’avec la constitution des écoles juridiques classiques au ixe siècle cette exception disparut. Il faut néanmoins remarquer qu’au milieu de ce foisonnement, il revint parfois au pouvoir politique de trancher, notamment à Baṣra. Est-ce parce que les controverses, y compris au sein d’une même ville (tout particulièrement en Irak), risquaient de paralyser l’institution judiciaire ou de nuire à sa crédibilité ? Il apparaît en tout cas que lors de dissensions, l’arbitrage pouvait revenir au pouvoir investi, en dernier lieu, de l’autorité judiciaire suprême.
163Au-delà de ces divergences pléthoriques, les autorités de la période omeyyade étaient peut-être divisées en deux tendances principales : l’une, majoritaire et représentée dans toutes les grandes villes, acceptait que des femmes puissent témoigner seules, sans qu’aucun témoin masculin ne se joigne à elles – il restait ensuite à déterminer dans quel cas. Une autre opinion, peu représentée dans les sources qui nous sont parvenues, semble en revanche rejeter tout témoignage de femmes qui ne serait pas confirmé par un homme au moins. Une tradition transmise par Ibrāhīm b. Muḥammad b. Abī Yaḥyā (Médinois, m. c. 184/800) < Ibn Ḍamīra (m. ?), et rapportée par Ibn Ḥazm, fait déclarer au calife ʿAlī : « Le témoignage de femmes seules (baḥtan, litt. “sans mélange”) n’est pas autorisé ; il est nécessaire qu’il y ait un homme avec elles563. » Selon une autre, rapportée par ʿAbd al-Razzāq, le calife ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz aurait affirmé que « le témoignage des femmes n’est pas autorisé s’il n’y a pas d’homme avec elles564 ». Ces traditions peut-être d’origine médinoise, mais allant plus loin que la simple réticence généralement attribuée aux juristes locaux, restent ambiguës : ont-elles une portée générale ou doivent-elles être lues dans le contexte de discussions portant sur un type de litige particulier ? ʿAbd al-Razzāq rapporte aussi la tradition remontant à ʿAlī ; mais alors que pour Ibn Ḥazm les dires du calife ont un sens général, chez ʿAbd al-Razzāq ils ne s’appliquent qu’aux « affaires d’argent » (fī dirham)565. S’il convient de ne pas surinterpréter ces deux traditions, des traces de l’interdiction absolue faite aux femmes de témoigner survivent dans le droit égyptien du début du ixe siècle. Dans al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829) affirme qu’« il n’est pas autorisé de déclarer des femmes honorables » (lā yaǧūz taʿdīl al-nisā’), et que « seuls les hommes peuvent être déclarés honorables »566. Certes, il ne dit pas que la parole des femmes est rejetée dans l’absolu : un peu plus loin il détaille les cas où elle n’est pas autorisée, ce qui implique qu’elle l’est dans d’autres cas. Mais en leur refusant l’attribut d’honorabilité, il les écarte de fait de la procédure.
164Posons donc comme hypothèse que les traditions susmentionnées reflètent bien l’existence d’une tendance opposée au témoignage des femmes dans l’absolu. On pourrait alors se demander si cette position ne fut pas un temps adoptée de manière officielle par le pouvoir Omeyyade – au moins par le calife ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, qui aurait poussé jusqu’au bout une tendance présente à Médine. Dès lors, la grande quantité d’opinions contraires – déclinées avec une large palette de nuances – pourrait refléter la réaction de savants qui acceptaient de manière quasi unanime le principe selon lequel les femmes pouvaient témoigner seules en certaines circonstances. Même si cette hypothèse reste fragile, les traditions remontant à l’époque omeyyade n’en gardent pas moins une grande ambiguïté : les opinions attribuées aux divers savants du monde islamique précisent rarement si elles s’appliquent au témoignage des femmes seules ou accompagnées d’un homme. Cette ambiguïté était assez criante pour que les savants de la période abbasside prissent soin de préciser, à chaque fois, de quelle situation ils parlaient. Ainsi les nombreux avis remontant à la seconde moitié du viiie siècle (ceux de Sufyān al-Ṯawrī, ʿUṯmān al-Battī, al-Ḥasan b. Ḥayy, Ibn Abī Laylā, al-Layṯ b. Saʿd, Abū Ḥanīfa, etc.) et qu’Ibn Ḥazm collecte dans al-Muḥallā font usage d’une terminologie inédite dans les traditions plus anciennes : lorsque leurs opinions s’appliquent au témoignage de femmes « seules » (munfaridāt), Ibn Ḥazm le mentionne de manière systématique567.
2.2.3. Témoignage de l’esclave
165Le témoignage des esclaves est rejeté par la grande majorité des juristes sunnites de l’époque classique, aussi bien ḥanafites que mālikites et šāfiʿites568. L’école ḥanbalite constitue la principale exception, Aḥmad b. Ḥanbal étant réputé avoir agréé l’esclave honorable569. Pour les imamites, la condition d’esclave n’empêche point de témoigner570, et les ismāʿīliens comme les zaydites acceptent la déposition de l’esclave honorable tant qu’elle ne concerne pas son maître571. Si l’on exclut l’école ḥanbalite, de formation tardive par rapport à l’époque qui nous préoccupe, l’image qui prédomine dans le fiqh sunnite du iiie/ixe et du début du ive/xe siècle est celle d’un rejet du témoignage servile. Or cette position semble l’avoir emporté relativement tard (avant d’être remise en question par les ḥanbalites), au terme de débats qui, toujours dans la première moitié du viiie siècle, marginalisèrent des pratiques antérieures.
166Le Muṣannaf d’Ibn Abī Šayba préserve la trace d’anciennes divergences. Un récit relatif au Compagnon Anas b. Mālik (actif à Baṣra, m. c. 89/711)572 lui prête une posture favorable au témoignage des esclaves, et le Kūfiote Ibrāhīm al-Naḫaʿī (m. c. 96/714) aurait gardé le souvenir de la prise en compte de leur parole en cas de litiges mineurs573. Plusieurs traditions affirment que Šurayḥ acceptait celle des esclaves574, et à la fin de la période omeyyade, Ibn Šubruma s’y serait encore montré favorable575. C’est à Baṣra que la parole des esclaves demeura le plus longtemps regardée sous un jour favorable : Muḥammad b. Sīrīn (m. 110/729) en défendait l’usage576, conforme selon Ibn Ḥazm à la pratique du cadi baṣrien Zurāra b. Awfā (en poste de 45/665 ? à 55/675)577. Au début de l’époque abbasside, le juriste baṣrien al-Battī (m. 143/760-1)578 l’admettait encore si l’esclave témoignait en faveur de toute autre personne que son maître579.
167Le témoignage des esclaves semble véritablement remis en cause dans la première moitié du viiie siècle. Chez Ibn Abī Šayba, une interdiction totale est surtout associée aux Mecquois, notamment à ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ (m. c. 114/732) – certaines traditions lui faisant attribuer, sans doute de manière fictive, cette interdiction à Ibn ʿAbbās580. Le Syrien Makḥūl se serait aussi prononcé contre581. Il semble que les pratiques aient évolué dans le même sens à Kūfa au début du viiie siècle. Bien qu’il soit considéré comme un des rapporteurs de l’opinion positive de Šurayḥ à cet égard, le cadi al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1) aurait rejeté le témoignage des esclaves582. Dans la Baṣra de la même époque, Iyās b. Muʿāwiya n’accepta la déposition d’un esclave qu’à condition qu’il fût auparavant affranchi par sa maîtresse583. Dans la seconde moitié du viiie siècle, le Kūfiote Sufyān al-Ṯawrī (m. 161/778) niait la capacité de l’esclave à témoigner584.
168Ces quelques indications suggèrent qu’avant d’être interdit par la plupart des écoles juridiques sunnites, le témoignage des esclaves était pris en considération, au moins en Irak (Kūfa et Baṣra). Ce n’est que dans la première moitié du viiie siècle que des débats entre savants aboutirent à son rejet : peut-être, dans un premier temps, fut-il limité à des affaires mineures, avant d’être complètement interdit. Il fallut en tout cas attendre la fin de la période omeyyade ou le début de l’époque abbasside pour qu’il fût totalement écarté des pratiques judiciaires kūfiotes. Bien que la position des Mecquois du viie siècle soit inconnue, leur association particulière à ce rejet chez les traditionnistes de la fin du viiie siècle laisse penser que des controverses entre Irakiens et gens du Hedjaz purent jouer un rôle dans cette exclusion progressive des esclaves. Quoi qu’il en soit, au début du ixe siècle, al-Šāfiʿī considérait encore que le rejet du témoignage de l’esclave n’était pas fondé sur une règle coranique explicite, mais était simple question d’interprétation (huwa ta’wīl laysa bi-bayyin)585.
2.2.4. Témoignage des non-musulmans
169Le témoignage de non-musulmans au tribunal du cadi est abordé par le fiqh classique dans deux cas de figure : la déposition pour/contre un musulman, et celle d’adeptes d’une religion pour/contre ceux d’une autre (différente de l’islam). Examinons successivement ces deux types de situation.
• Vis-à-vis d’un musulman
170Le témoignage du non-musulman (ḏimmī) pour/contre un musulman donne lieu à peu de divergences dans le fiqh classique. Il est a priori exclu de tous types d’affaire586, à l’exception éventuellement des questions successorales, dans le cas particulier où un musulman mourrait en voyage et ne pourrait faire son testament (waṣiyya) que devant des non-musulmans. La plupart des écoles juridiques sunnites (ḥanafite, mālikite et šāfiʿite) considèrent néanmoins que même en pareille situation, le ḏimmī ne peut témoigner de ce qui concerne un musulman587. Mais les ḥanbalites, les ismāʿīliens, les imamites et une partie des ibāḍites acceptent le témoignage d’un non-musulman en matière successorale588.
171Si l’on en croit les sources musulmanes, qu’un ḏimmī puisse effectuer une déposition en faveur d’un musulman ou contre lui hors matière successorale semble n’avoir jamais été envisagé. Les sources syriaques laissent pourtant penser le contraire. Selon la Chronique de Zuqnīn, l’interdiction de témoigner aurait été prononcée par le calife Yazīd II (r. 101-105/720-723)589 ; d’après Michel le Syrien, elle remonterait à ʿUmar II (r. 99-101/717-720)590. Si une telle interdiction fut prononcée par décret califal, autour de l’an 720, c’est que le témoignage des ḏimmī-s vis-à-vis des musulmans était auparavant admis de facto. Le décret du calife omeyyade fit manifestement l’unanimité et les juristes musulmans ne ressentirent pas le besoin de préserver la mémoire d’une situation antérieure. Le consensus des sources islamiques cacherait ainsi une réalité plus complexe.
172Le cas des successions, nous venons de le voir, est le seul à susciter des divergences entre savants. La capacité des ḏimmī-s à témoigner en la matière demeura en effet une question ouverte en raison d’un verset coranique proclamant : « Quand la mort se présente à l’un de vous, deux hommes intègres, choisis parmi les vôtres (min-kum), seront appelés comme témoins au moment du testament – ou bien deux étrangers (aw āḫarāni min ġayri-kum), si vous êtes en voyage… » (5 : 106). Tout dépendait de l’interprétation donnée à l’expression min gayrikum591. Le Tafsīr d’al-Ṭabarī (m. 310/923) recense deux explications principales : selon la première – qu’al-Ṭabarī défend –, les « étrangers » sont ici les adeptes d’autres religions ; selon la seconde, il s’agit d’individus musulmans appartenant à un autre quartier ou une autre tribu592. Dans cette seconde interprétation, la capacité de témoigner serait exclusivement réservée aux musulmans. Selon al-Ṭabarī, aucune de ces deux visions n’aurait prévalu sur l’autre dans la première moitié du viiie siècle. L’auteur cite à ce sujet des paroles qu’aurait prononcées al-Zuhrī :
Nous n’avons entendu à propos de ce verset aucune sunna transmise d’après l’Envoyé d’Allāh – que la prière et le salut d’Allāh soient sur lui – ni d’après les Imams de la communauté (al-ʿāmma). Nous révisions parfois [l’interprétation de ce verset] avec certains de nos savants, et ceux-ci ne citaient nulle sunna connue, ni le jugement (qaḍā’) d’aucun Imam juste. Au contraire, ils exprimaient tous une opinion (ra’y) différente593.
173Bien qu’al-Ṭabarī prenne lui-même position pour le témoignage des ḏimmī-s à propos du testament d’un musulman mort en voyage, son Tafsīr laisse la porte ouverte à une interprétation divergente, permettant aux principaux maḏhab-s du début du ive/xe siècle de justifier leur position commune à ce sujet. Or les sources plus anciennes reflètent une image différente. Un des premiers tafsīr-s connus, celui de Muqātil b. Sulaymān (m. 150/767), interprète univoquement l’expression min ġayri-kum dans le sens de « ceux qui appartiennent à une autre religion594 ». De surcroît, l’exégèse proposée dans les Muṣannaf-s penche majoritairement en faveur d’une interprétation religieuse, les « étrangers » étant les ḏimmī-s. Selon ʿAbd al-Razzāq, qui cite des Successeurs dont les opinions ne reposent pas exclusivement sur la compréhension du verset, les Kūfiotes (Ibrāhīm al-Naḫaʿī, Šurayḥ, al-Šaʿbī) comme les Baṣriens (Ibn Sīrīn) et les Médinois (Ibn al-Musayyab) considéraient que les non-musulmans pouvaient témoigner en pareilles circonstances595. La même vision est encore plus claire chez Ibn Abī Šayba ; la seule opinion contraire mentionnée est attribuée au Médinois al-Zuhrī, pour qui les « étrangers » font partie des héritiers du défunt596.
174La littérature biographique n’est pas d’un grand secours sur ce point, car les seules allusions qu’elle contient concernent Šurayḥ qui, conformément aux traditions des Muṣannaf-s, est décrit comme favorable au témoignage des non-musulmans dans ce cas précis597. À l’exception, peut-être, d’al-Šaʿbī, la pratique des anciens cadis se confond avec les opinions probablement fictives qui leur sont attribuées598. Néanmoins on ne peut s’empêcher de penser, au regard des Muṣannaf-s, que le témoignage des ḏimmī-s relatif au testament d’un musulman mort en voyage était le plus souvent considéré comme valide, que ce soit en Irak ou à Médine599. Faut-il croire qu’une telle acceptation se justifiait particulièrement aux premiers temps de l’Islam ? Les conquérants musulmans formaient alors de petits îlots en pays conquis, et les risques qu’un musulman mourût loin de tout coreligionnaire à l’occasion d’un déplacement étaient réels. Ce n’est qu’après le milieu du viiie siècle, avec l’émergence des écoles juridiques classiques, qu’une opinion contraire se serait développée – tendant à attribuer des paroles opposées aux autorités du passé. L’islamisation croissante de l’arrièrepays permettait d’écarter ce cas de figure comme improbable, et de clore la barrière juridique qui séparait les musulmans de leurs voisins.
• Vis-à-vis d’autres non-musulmans
175Deux positions générales se dégagent dans le fiqh classique quant aux témoignages n’impliquant pas de musulmans. 1) Les ḥanafites acceptent non seulement la déposition d’un non-musulman vis-à-vis d’un coreligionnaire, mais aussi le témoignage transconfessionnel, quelle que soit la nature de l’affaire : celui de chrétiens pour/contre un juif ou un zoroastrien, celui de juifs pour/contre un chrétien ou un zoroastrien, etc.600. Les zaydites considèrent également qu’un ḏimmī peut déposer pour/contre un autre, mais d’aucuns excluent les zoroastriens601. Les ibāḍites acceptent tous le témoignage au sein d’un même groupe confessionnel (un chrétien pour/contre un chrétien, un juif pour/contre un juif), mais sont partagés concernant le témoignage transconfessionnel (un chrétien pour/contre un juif ou vice-versa), certains l’acceptant et d’autres non602. 2) En revanche, les mālikites, les šāfiʿites et les imamites s’opposent dans l’absolu à la déposition de ḏimmī-s vis-à-vis d’autres ḏimmī-s, qu’ils appartiennent ou non à la même confession603. Plus tard, les ḥanbalites ont les idées moins claires : la tradition attribue à Aḥmad b. Ḥanbal une position favorable aux témoignages entre ḏimmī-s, mais al-Ḫallāl se démarque de lui en interdisant le témoignage transconfessionnel604.
176La position des savants d’époque omeyyade est néanmoins plus confuse, ce que remarquait déjà Ibn Qayyim al-Ǧawziyya (m. 751/1350)605. Non seulement les traditions préservées par ʿAbd al-Razzāq et Ibn Abī Šayba ne permettent de reconstituer aucune unité régionale606, mais elles attribuent à plusieurs autorités des positions contradictoires. À Médine, al-Zuhrī est tantôt favorable, tantôt hostile aux témoignages entre non-musulmans607 ; à Kūfa, al-Šaʿbī se voit également attribuer des avis opposés608. Tout se passe comme si les débats s’étaient poursuivis sous les Abbassides, lors de la formation des écoles personnelles, les partisans d’une ou l’autre des opinions ayant attribué rétroactivement à certaines autorités des postures contraires à ce que rapportait jusque-là la tradition – à moins que certains savants de l’époque omeyyade n’aient tenu un discours différent à plusieurs moments de leurs carrières.
177S’il semble impossible de dégager une quelconque position univoque pour un ensemble régional ou même pour un savant, une différence majeure distingue les doctrines dominantes de la période omeyyade et celles de certains maḏhab-s classiques. Les Muṣannaf-s de ʿAbd al-Razzāq et d’Ibn Abī Šayba montrent en effet que les savants de la première moitié du viiie siècle (tant en Irak qu’au Hedjaz), qu’ils acceptent ou non le témoignage transconfessionnel, autorisaient tous celui de non-musulmans pour/contre un individu de la même confession609. Al-Ṭaḥāwī cite à ce sujet le grand cadi Yaḥyā b. Akṯam (m. 242/857), qui aurait déclaré : « J’ai réuni toutes les opinions relatives à ce chapitre, et je n’ai trouvé personne, parmi les anciens, qui ait rejeté le témoignage des chrétiens les uns envers les autres, à l’exception de Rabīʿa [al-Ra’y] ; j’ai trouvé que ce dernier le rejetait, mais aussi qu’il l’entérinait610. » Et l’auteur de constater que Mālik b. Anas contredit ses propres maîtres quand il interdit le témoignage de chrétiens vis-à-vis d’autres chrétiens611.
178Au-delà de la confusion des sources sur ce point, et malgré les débats qui perdurèrent longtemps sur la légalité des témoignages transconfessionnels, l’ancien droit omeyyade semble avoir unanimement accepté la déposition des ḏimmī-s pour ou contre des membres de leur propre communauté. Il est dès lors possible que la pratique du cadi égyptien Ḫayr b. Nuʿaym, dans les années 120/738, soit représentative d’une jurisprudence plus largement appliquée à l’époque omeyyade : al-Kindī relate en effet que celui-ci « acceptait le témoignage du chrétien contre un chrétien, du juif contre un juif, et enquêtait sur leur honorabilité (ʿadāla) auprès de leurs coreligionnaires612 ». Cette pratique, d’ailleurs conforme à ce que l’on connaît de la position du juriste égyptien al-Layṯ b. Saʿd (m. 175/791)613, tranchait avec la doctrine plus tard développée par l’école mālikite en Égypte614. Ce n’est vraisemblablement qu’au début de la période abbasside que Mālik b. Anas et ses disciples, puis al-Šāfiʿī, exclurent complètement la possibilité de considérer honorable (ʿadl) un non-musulman, et donc de l’admettre à témoigner même vis-à-vis de ses coreligionnaires. Mais si l’on en croit la Chronique de Zuqnīn, dans la Mésopotamie de la seconde moitié du viiie siècle, le témoignage de chrétiens vis-à-vis d’autres chrétiens en cas de litiges fiscaux était toujours accepté dans la pratique615.
2.2.5. Témoignage en faveur d’un proche
179Le fiqh classique limite la capacité de témoigner en faveur de certains parents616. Toutes les écoles valident la parole du frère, malgré quelques restrictions chez les mālikites et les šāfiʿites si les deux frères ont trop d’intérêts en commun617. Elles sont en revanche plus réservées à l’égard du témoignage en faveur d’un ascendant/descendant et d’un conjoint. Les ḥanafites, les mālikites et les ḥanbalites interdisent la déposition du conjoint618, tandis que les šāfiʿites, les ibāḍites, les imamites et les zaydites l’autorisent619. Les quatre écoles juridiques sunnites classiques rejettent à l’unanimité le témoignage du fils au profit de ses parents620, tout comme celui du père en faveur de sa descendance621. Il en va de même chez les zaydites (à quelques exceptions près)622. Les imamites acceptent en revanche le témoignage en faveur d’un ascendant ou d’un descendant623. Les ibāḍites acceptent la parole du fils au profit de son père, mais non l’inverse624.
180L’unanimité des juristes concernant le témoignage du frère était déjà en germe à l’époque omeyyade. À l’exception du Syrien al-Awzāʿī, qui se serait prononcé contre625, les autorités de Kūfa, Baṣra, La Mecque et Médine sont toutes réputées l’avoir accepté dans la première moitié du viiie siècle626. Dans la tradition kūfiote, Šurayḥ était considéré y avoir été favorable627. À Médine, Muḥammad b. Ṣafwān al-Ǧumaḥī (cadi après 106/724) agréait le témoignage du frère628, tout comme le cadi Ḫayr b. Nuʿaym dans la Fusṭāṭ de la fin des Omeyyades et du début des Abbassides629. Le panel des opinions était en revanche plus nuancé en ce qui concerne la déposition du conjoint et celle des ascendants/descendants.
• Témoignage du conjoint
181À Kūfa, deux positions sont attribuées à Šurayḥ : selon la première, il aurait rejeté tant le témoignage du fils pour son père que celui du père pour son fils, de la femme pour son époux ou de l’homme pour sa femme630 ; d’après une autre tradition, néanmoins, il aurait accepté celui du père pour sa fille et de l’époux pour sa femme, et celui du fils pour son père631. Cette contradiction reflète les controverses qui eurent lieu aux générations suivantes, chaque parti tentant d’attribuer à Šurayḥ sa propre position632. Dans une tradition transmise par Sufyān al-Ṯawrī633, Ibrāhīm al-Naḫaʿī (m. c. 96/714) affiche son hostilité au témoignage en faveur d’un conjoint, qu’il s’agisse d’un époux ou d’une épouse634. Les quelques traces de pratiques judiciaires existant pour Kūfa laissent cependant transparaître des opinions moins tranchées. Le cadi al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1) rejetait la déposition de la femme au profit de son mari, mais acceptait celle du mari pour son épouse635. Il en allait de même du cadi Ibn Abī Laylā (en poste de 121/739 à 129/746-7, puis de 132/749 à 148/765-6) et de Sufyān al-Ṯawrī (m. 161/778)636. À la fin de l’époque omeyyade, Ibn Šubruma acceptait pour sa part la déposition de la femme en faveur de son mari637.
182À Baṣra, al-Ḥasan al-Baṣrī est réputé avoir rejeté en bloc le témoignage pour un ascendant, un descendant ou un conjoint. La tradition, rapportée par le cadi Muḥammad b. ʿAbd Allāh al-Anṣārī (en poste à Baṣra de 198/813 à 202/817-8), pourrait néanmoins refléter l’opinion de ce dernier, et non celle des anciens savants baṣriens. En effet le juriste baṣrien al-Battī (m. 143/760-1) est connu pour avoir soutenu tous ces types de témoignage, pourvu que les témoins soient honorables638.
• Témoignage de l’ascendant et du descendant
183À Kūfa, Ibrāhīm al-Naḫaʿī – ou son transmetteur, Sufyān al-Ṯawrī – était hostile au témoignage en faveur d’ascendants ou de descendants639. Le juriste et cadi al-Šaʿbī, qui refusait la déposition d’un fils pour son père, acceptait en revanche celle du père au profit de son fils640. À Baṣra également, Iyās b. Muʿāwiya est réputé avoir agréé celle d’un père641 ; en revanche al-Ḥasan al-Baṣrī aurait rejeté le témoignage du fils en faveur de son père642.
184Dans ce qui est probablement une tradition médinoise, ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz autorise le témoignage du fils au profit de son père – à condition qu’il soit honorable643. Le cadi Abū Bakr b. Muḥammad b. Ḥazm (en poste de c. 87/706 à c. 96/714-5) aurait agréé un tel type de déposition dans sa pratique judiciaire644, et Ibn al-Qāṣṣ se fait l’écho d’une tradition selon laquelle Mālik b. Anas aurait encore adhéré à cette opinion645.
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185Ces quelques éléments permettent au moins deux conclusions. En premier lieu, le débat sur la licéité du témoignage pour un conjoint ou un ascendant/descendant fut particulièrement vif en Irak, à Baṣra et peut-être surtout à Kūfa, où les partisans des points de vue opposés projetèrent leurs avis sur la figure emblématique de Šurayḥ. Médine, en revanche, n’a pas laissé de traces de tels débats dans les grandes collections que sont les Muṣannaf-s. En second lieu, la justice mise en œuvre à Kūfa et à Médine, au moins, semble avoir été plus ouverte au témoignage des conjoints et des ascendants/descendants au viiie siècle que dans les maḏhab-s ḥanafite et mālikite, supposés issus des anciennes écoles de ces villes. Ce fossé entre les pratiques primitives et la doctrine classique est d’ailleurs remarqué par Saḥnūn dans sa Mudawwana :
Ibn Wahb raconte, d’après Yūnus, qu’Ibn Šihāb [al-Zuhrī] affirma : Les anciens musulmans pieux ne récusaient pas le témoignage du père pour son fils, ni celui du fils pour son père, du frère pour son frère ou du mari pour sa femme. Plus tard, les gens furent gagnés par la corruption et on les vit commettre des choses qui suscitèrent la suspicion des gouvernants (wulāt). Le témoignage des proches fut rejeté quand il paraissait suspect, comme celui du père, du fils, du mari et de l’épouse. Seules ces catégories sont suspectes jusqu’à présent646.
186Cette réflexion remonte manifestement à une époque où le rejet du témoignage des conjoints, ascendants et descendants s’était solidement ancré dans la doctrine juridique. Aussi peut-on douter que le Médinois al-Zuhrī (m. 124/742), qui fut actif alors que les controverses sur l’acceptation de ces témoignages étaient encore vives – et la pratique assez ouverte à ces témoins – en soit l’auteur. Peut-être fautil croire que son transmetteur, le mālikite égyptien Ibn Wahb (m. 197/813)647, lui attribua a posteriori cette réflexion sur une évolution qui demeurait encore perceptible à la fin du viiie ou au début du ixe siècle, et sur laquelle les premiers Muṣannaf-s offrent un regard concordant. Il est ainsi possible que les opinions hostiles au témoignage de ces catégories de parents se soient développées contre des pratiques judiciaires qui leur auraient pour leur part été assez favorables – la pratique de chaque cadi demeurant toutefois susceptible de différer de celle des autres. On comprendrait alors pourquoi la fameuse lettre de ʿUmar à Abū Mūsā al-Ašʿarī, dont la réécriture n’intervint probablement pas avant la fin du viiie siècle, insiste sur la nécessité d’exclure du témoignage la parenté (qarāba) du plaideur, alors que sa lettre à Muʿāwiya, de composition plus ancienne, reste silencieuse sur ce point648. Seuls des courants marginaux de l’islam continuèrent d’agréer sans difficulté le témoignage des proches. Ainsi les ismāʿīliens acceptaient-ils celui du père pour son fils, du fils pour son père, des frères, des proches et des époux les uns envers les autres, à la seule condition qu’ils soient honorables649.
2.2.6. Témoignage des infirmes : l’exemple de l’aveugle
187Le fiqh classique est partagé entre plusieurs tendances concernant la parole de l’aveugle. Bien que leur doctrine y soit hostile, les ḥanafites se montrent quelque peu hésitants. Le courant se réclamant d’Abū Ḥanīfa et d’al-Šaybānī rejette sans restriction le témoignage de l’aveugle ; Abū Yūsuf l’aurait généralement condamné, à moins que l’aveugle ait été pris à témoin ou ait connu ce dont il témoignait alors qu’il voyait encore650. La position de Zufar b. al-Huḏayl est quant à elle objet de contradictions : selon al-Ṭaḥāwī, il ne l’aurait accepté qu’au sujet des généalogies651 ; al-Saraḫsī, peut-être tenté de généraliser, lui fait dire que l’aveugle peut témoigner de tout ce qui ne fait appel qu’au sens de l’ouïe et ne nécessite donc pas de jouir de la vue652. Les ibāḍites n’autorisent de l’aveugle qu’un témoignage remontant à l’époque où il voyait encore, mais certains interdisent son témoignage dans l’absolu653. À l’opposé de la position générale des ḥanafites, les mālikites autorisent la déposition de l’aveugle quelle que soit la nature de l’affaire – à l’exception de l’accusation de fornication (zinā’) –, même si sa connaissance du cas remonte à un temps où il était déjà atteint de cécité654 ; les ḥanbalites et les imamites adoptent une position encore plus tranchée, autorisant sans condition le témoignage de l’aveugle655. Les šāfiʿites, de leur côté, se rapprochent de l’opinion d’Abū Yūsuf : l’aveugle ne peut témoigner de ce dont il a pris connaissance après avoir perdu la vue, mais peut le faire en ce qui concerne des événements antérieurs656. Enfin les ismāʿīliens acceptent que l’aveugle témoigne de ce qu’il a entendu et de ce qu’il sait657. La ligne de partage se fait donc entre, d’un côté, les ḥanafites et les šāfiʿites (plutôt contre, sauf exceptions), et de l’autre les mālikites, les ḥanbalites, les imamites et les ismāʿīliens (plutôt pour, sauf exceptions).
188La position des « anciennes écoles » à ce sujet apparaît sous un jour très différent. Le handicap de la cécité ne semblait pas une entrave au témoignage, de même qu’il n’empêchait pas d’exercer des fonctions religieuses comme la direction de la prière658. Dans leurs Muṣannaf-s, ʿAbd al-Razzāq et Ibn Abī Šayba citent presque exclusivement des traditions favorables au témoignage des aveugles. ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ (m. 114/732 ; La Mecque)659, al-Zuhrī et al-Qāsim b. Muḥammad660 (Médine)661, al-Šaʿbī et Ibn Abī Laylā (Kūfa)662 auraient tous défendu cette position. Al-Šaʿbī et Ibn Abī Laylā, tous deux cadis de Kūfa, auraient ainsi mis en pratique une opinion que la tradition fait remonter à Šurayḥ663.
189Les seuls avis opposés apparaissent à cette époque à Baṣra. Al-Ḥasan al-Baṣrī (cadi en 99/717-8) aurait accepté la déposition d’un aveugle relative à ce qu’il avait vu avant d’être atteint de cécité664 – position plus tard reprise par Abū Yūsuf et al-Šāfiʿī ; un autre récit, en revanche, déclare qu’il rejetait en bloc le témoignage des aveugles665. Une réticence similaire transparaît dans la pratique judiciaire : alors que ʿĀmir b. ʿUbayda al-Bāhilī (en poste à Baṣra de 120/738 à 126/744) autorisa la déposition d’un aveugle qui rapportait celle d’un tiers666, Iyās b. Muʿāwiya (en poste de 95/713-4 à 101/719-20) n’aurait pas été favorable au témoignage des aveugles. Selon un ḫabar, il aurait refusé d’entendre Qatāda b. Diʿāma (m. c. 117/735), qui était non voyant667 ; selon un autre il aurait entériné sa parole malgré ses réticences, parce qu’il connaissait bien le témoin, mais lui aurait demandé de s’abstenir désormais de toute déposition en justice668.
190Une fois encore, les divergences régionales constatées à la période omeyyade ne recoupent pas les clivages entre maḏhab-s classiques supposés dériver des anciennes écoles. L’hostilité des ḥanafites à l’égard du témoignage des aveugles n’a pas de racines visibles à Kūfa. Al-Ṭaḥāwī et al-Ǧaššāṣ l’avouent à demi-mot lorsqu’ils affirment que la position d’Abū Ḥanīfa est adoptée « par analogie (qiyās) avec la doctrine (qawl) d’Ibn Šubruma669 », et laissent donc supposer que telle n’était pas la doctrine explicite de ce dernier cadi. De fait, la position ḥanafite se fonda sur une classification systématique différenciant le témoignage (šahāda) de la simple transmission (ḫabar) : alors que la transmission de propos entendus sans voir le locuteur est possible dans le domaine du ḥadīṯ – ce qui justifie dans d’autres écoles la capacité de témoigner malgré la cécité –, cette transmission n’atteint pas le niveau plus restrictif du témoignage670.
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191Les exemples examinés jusqu’ici prennent en compte la position du témoin dans la société : son âge, son sexe, son statut de libre ou de non-libre, son lien de parenté avec les plaideurs ou son intégrité physique. Les sondages effectués dans ces catégories « sociales » font apparaître plusieurs choses. De manière générale, le droit musulman en formation tend vers une disqualification progressive de catégories majoritairement agréées à l’origine, ce qui aboutit dans le fiqh classique à la définition d’un témoin idéal majeur, de sexe masculin et jouissant de toutes ses facultés sensorielles. Cette définition positive procède donc d’une évolution historique qui restreignit, peu à peu, la capacité de témoigner.
192Les traces de ce mécanisme d’exclusion remontent pour l’essentiel à la première moitié du viiie siècle, période à laquelle d’intenses débats divisèrent les savants du Proche-Orient concernant l’aptitude au témoignage. Les vestiges de ces débats dans les Muṣannaf-s laissent transparaître des clivages régionaux, ce qui tendrait à confirmer l’hypothèse d’anciennes écoles régionales défendue par Joseph Schacht. Néanmoins, ces clivages recoupent rarement des entités géographiques de grande dimension (comme l’Irak ou le Hedjaz) : l’unité « doctrinale » de base correspond avant tout à une ville. Des cités telles Kūfa et Baṣra, ou La Mecque et Médine, sont loin de toujours adopter des positions similaires, ce qui laisse penser que l’opposition entre ahl al-ʿIrāq (« Irakiens ») et ahl al-Madīna (« Médinois ») définie par al-Šāfiʿī et reprise par Schacht est une simplification projetée en arrière depuis l’époque abbasside. Il est vrai, en revanche, que les controverses furent particulièrement vives en Irak – même ʿAbd al-Razzāq, plus intéressé par les traditions de La Mecque, rapporte majoritairement les controverses irakiennes –, tant entre Kūfa et Baṣra qu’au sein de Kūfa. Les débats internes à Kūfa semblent se multiplier dans le deuxième quart du viiie siècle, avec l’apparition de courants rivaux comme ceux d’Ibn Abī Laylā, de Sufyān al-Ṯawrī et, probablement, d’Abū Ḥanīfa – certaines opinions nouvelles étant peut-être alors projetées sur des figures antérieures comme celle d’Ibrāhīm al-Naḫaʿī.
193De fait, rattacher l’école ḥanafite postérieure à l’« Irak » en général ou à Kūfa en particulier est problématique : en ce qui concerne le droit du témoignage, la doctrine qui s’épanouit dans le ḥanafisme, pour peu qu’elle ait déjà été en germe sous les Omeyyades, correspond souvent à une des positions présentes à Kūfa, voire à une opinion surtout défendue à Baṣra. De manière générale, la doctrine ḥanafite prend plutôt le contre-pied des postures et des pratiques majoritaires dans la première moitié du viiie siècle, y compris en Irak, alors que le mālikisme – et, surtout, le ḥanbalisme, dans sa démarche « traditionaliste » consistant à se fonder sur les traditions, fussent-elles celles des pieux ancêtres en l’absence de ḥadīṯ prophétique – apparaît plus dans la continuité des anciennes écoles, notamment de celle de Médine.
194Dans la mesure où la pratique des cadis omeyyades (pour ce que l’on en connaît) demeure souvent conforme aux opinions recensées les plus reculées, il est possible que les débats qui se multiplièrent dans la première moitié du viiie siècle soient partis de remises en cause de telles pratiques – ce qui confirmerait l’hypothèse de Joseph Schacht selon laquelle le droit musulman naquit en partie d’une réflexion sur les pratiques administratives omeyyades671. Les données réunies ici sur le témoignage corroborent accessoirement les résultats de Schacht, qui montre à propos d’autres points de droit que les anciennes écoles avaient à l’origine des positions moins variées, et que les doctrines se diversifièrent dans un second temps672.
195L’importante place de Kūfa et de Baṣra dans les débats de l’époque omeyyade confirme, enfin, l’hypothèse avancée par Schacht concernant la centralité des villes irakiennes dans la formation d’un droit musulman673. Il est moins sûr, en revanche, que la doctrine des Médinois représente un développement postérieur à celle des Irakiens comme Schacht le suppose674. Si le droit mālikite accuse indubitablement des changements par rapport aux opinions médinoises primitives, sa conception du témoignage reste aussi souvent dans la continuité des doctrines qui prévalaient notamment dans la Médine omeyyade. La rupture la plus prononcée avec ces anciennes doctrines est sans conteste représentée par l’école ḥanafite, et il serait plus juste de dire que le droit mālikite correspond à un repositionnement du droit médinois dans un contexte juridique bouleversé par les ḥanafites. Ce bouleversement ḥanafite semble répondre à un désir de rationalisation et de systématisation du droit qui tend à rompre avec la tradition vivante des anciennes écoles.
2.2.7. Des critères moraux : vers une définition positive de la ʿadāla
196Les catégories de témoins jusqu’ici examinées furent agréées ou rejetées au terme de débats entre juristes et praticiens de la judicature. D’autres critères de recevabilité du témoignage apparurent cependant dès les premiers temps de l’Islam, dans le Coran. Celui-ci, nous l’avons vu, demande aux musulmans de s’adresser à « ceux que vous agréez comme témoins » (Coran, 2 : 282). D’autres versets qualifient les témoins agréés de ḏawī ʿadl (Coran, 5 : 106 ; 65 : 2) – des individus « justes », « équitables » –, sans pour autant définir en quoi consiste ce que les juristes postérieurs, reprenant la même racine, qualifièrent de ʿadāla. De manière négative, le rejet de certains témoins semble lié au péché (iṯm) qu’ils ont pu commettre (Coran, 5 : 107). Ces quelques éléments suffirent pour que, dès une époque reculée, les musulmans en déduisent que l’aptitude à témoigner dépendait de critères moraux et du respect d’une forme de « justice ».
• Le témoignage du qāḏif repenti
197Une seule fois le Coran se montre plus précis, dans la sourate al-Nūr : « Frappez de quatre-vingts coups de fouet ceux qui accusent les femmes honnêtes sans pouvoir désigner quatre témoins ; et n’acceptez plus jamais leur témoignage : voilà ceux qui sont pervers, à l’exception de ceux qui, à la suite de cela, se repentent (tābū) et se réforment. » (Coran, 24 : 4-5) Commençons par examiner de plus près les implications historiques de cette injonction.
198Le témoignage de celui que le fiqh considéra coupable de qaḏf (accusation calomnieuse – ou non prouvée – de fornication) donna lieu à une réflexion théorique à l’époque omeyyade. Bien qu’il soit impossible de dater avec précision le début de cette réflexion, il est probable, compte tenu de la prescription coranique, que celle-ci émergea très tôt, dès la seconde moitié du viie siècle, voire qu’elle servit de point de départ à l’élaboration de critères de moralité permettant de définir le mauvais témoin. Cette injonction, qui pourrait paraître claire, fut en réalité très tôt considérée comme équivoque et prêta à deux interprétations opposées que l’on retrouve dans le Tafsīr d’al-Ṭabarī675. Selon la première, l’« exception » dont parle le verset 5 permet aux repentis de témoigner676 ; selon la seconde, l’exception ne se rapporte qu’à la qualification de « pervers » (fāsiqūn) – aussi comprise comme signifiant « menteurs677 » –, et leur témoignage est à jamais proscrit678. Cette divergence se retrouve dans le fiqh sunnite classique : les ḥanafites rejettent la parole du qāḏif, même repentant, après qu’il a été condamné au ḥadd679 ; pour les mālikites, les šāfiʿites et les ḥanbalites, le qāḏif repenti retrouve la capacité de témoigner680.
199Le Muṣannaf de ʿAbd al-Razzāq offre l’image d’un clivage clair, dans la première moitié du viiie siècle, entre ceux qui autorisaient le témoignage du qāḏif repenti et ceux qui l’interdisaient. D’après sa recension, les Médinois (Ibn al-Musayyab et al-Zuhrī, mais aussi le cadi Abū Bakr b. Muḥammad b. Ḥazm, en poste de c. 87/706 à c. 96/714-5) auraient été favorables à leur déposition, tandis que les Kūfiotes (Šurayḥ < al-Šaʿbī, Ibrāhīm al-Naḫaʿī < al-Šaʿbī, Sufyān al-Ṯawrī) et les Baṣriens (al-Ḥasan al-Baṣrī < Qatāda) y auraient été opposés681. L’image offerte par Ibn Abī Šayba est à peine plus brouillée : si les Mecquois (ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ) et Yéménites (Ṭāwūs b. Kaysān) semblent univoquement accepter le témoignage des qāḏif-s repentis682, l’auteur mentionne des opinions contradictoires, en particulier à Kūfa. Tandis qu’Ibrāhīm al-Naḫaʿī, comme chez ʿAbd al-Razzāq, est considéré comme défavorable, Šurayḥ y est alternativement présenté comme favorable et défavorable683. Il est possible qu’une telle position ait été attribuée à Šurayḥ pour des raisons polémiques, lorsque les ḥanafites eurent définitivement pris parti contre le témoignage du qāḏif repenti. Plus tard, Ibn Ḥazm propose également l’image d’un milieu irakien partagé entre une tendance hostile au témoignage du qāḏif repenti, et d’autres savants tels le Kūfiote Ibn Abī Laylā (m. 148/765) et le Baṣrien al-Battī (m. 143/760-1) qui, au contraire, l’acceptaient684.
200De rares vestiges de la pratique judiciaire témoignent de tâtonnements moins clairs que l’image des anciennes doctrines véhiculée par les Muṣannaf-s. À Kūfa, Šurayḥ est alternativement présenté par Wakīʿ comme défavorable et favorable au témoignage du qāḏif repenti685. Plus significatif, le cadi Muḥārib b. Diṯār (en poste après 105/723) l’aurait accepté686, contre la doctrine qui semblait alors prédominer à Kūfa et qui s’épanouit dans le ḥanafisme. De même, alors que dans cette dernière école l’interdiction de témoignage s’étend à toute personne condamnée au ḥadd687, deux traditions rapportent que Šurayḥ aurait accepté la déposition d’anciens voleurs condamnés à l’amputation d’un ou de plusieurs membres688. Une fois encore, il est probable que la réflexion sur ce sujet se soit développée en interaction avec les pratiques judiciaires.
• Définition d’une moralité religieuse
201Les traditions relatives à Šurayḥ témoignent plus généralement des tâtonnements qui présidèrent à l’acceptation ou au rejet des témoins à l’époque omeyyade. Le cadi de Kūfa aurait agréé la parole d’hommes douteux, dont on ignorait s’ils étaient ou non musulmans689. C’est que la pratique religieuse apparut rapidement comme un critère essentiel de l’aptitude au témoignage. ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī cite un ḥadīṯ prophétique dans lequel Muḥammad est supposé avoir envoyé un héraut crier dans les souks que « le témoignage d’un adversaire (ḫaṣm) n’est pas autorisé, pas plus que celui du suspect (ẓanīn)690 ». À la question de savoir comment se définissait le « suspect », quelqu’un (le Prophète, son héraut ou Abū Hurayra, le premier transmetteur) répondit qu’il s’agissait de « celui qui fait l’objet d’accusations quant à sa religion » (al-muttaham fī dīni-hi)691. Ces dits furent attribués au Prophète a posteriori : Mālik b. Anas les attribue plutôt à ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb (sans isnād)692, et une ou deux générations auparavant, al-Zuhrī aurait considéré le rejet du témoignage de l’« adversaire » et du « suspect » comme relevant d’une tradition vivante anonyme (maḍat al-sunna)693. Le lien commun de plusieurs chaînes de transmission, le cadi médinois Ṭalḥa b. ʿAbd Allāh b. ʿAwf (en poste de 60/680 à c. 64/683-4), joua peut-être un rôle dans la mise en circulation du dit (qui a toute l’apparence d’une maxime) « le témoignage d’un adversaire n’est pas autorisé, pas plus que celui du suspect694 ». Le commentaire de cette tradition, identifiant le « suspect » à « celui qui fait l’objet d’accusations quant à sa religion », ne figure que chez ʿAbd al-Razzāq, et fut manifestement ajouté par la suite. Aussi faut-il sans doute envisager deux étapes successives : dans un premier temps, le témoin « suspect » aurait été discrédité, avant que, dans un second temps, la suspicion qu’il suscitait soit plus étroitement définie selon des critères religieux.
202Les traditions remontant à Šurayḥ témoignent d’un effort – qui ne semble pas circonscrit à une région spécifique – pour définir des critères religieux encore plus précis permettant d’exclure le témoignage d’un individu. Ainsi est-il réputé avoir rejeté celui d’un quidam dont on pouvait douter qu’il effectuât régulièrement ses ablutions695. À la question d’un savant qui lui demandait une définition de l’homme ʿadl, il aurait répondu en ces termes : « [C’est] celui qui s’assied là où s’assied sa tribu (qawm), qui assiste (yašhadu) avec eux aux prières, et qui ne fait l’objet d’aucune accusation en matière sexuelle (lā yuṭʿanu ʿalay-hi fī farǧ wa-lā baṭn)696. » L’emploi du verbe šahida (« témoigner ») à propos du fait d’assister à la prière établit ici une relation sémantique entre le témoignage et le culte. Un tel lien apparaît aussi à Baṣra dans les années 102/720 : le cadi ʿAbd al-Malik b. Yaʿlā al-Layṯī aurait interdit le témoignage de quiconque n’aurait pas assisté à la prière du vendredi trois fois sans raison valable697. Le lien étroit qui semble s’être établi, peut-être pas avant la première moitié du viiie siècle, entre le respect des obligations religieuses (en particulier la prière) et la capacité à témoigner, apparaît encore dans certains passages des Muṣannaf-s. Le traditionniste Ibn Ǧurayǧ (m. 150/767) justifiait la capacité de l’aveugle à témoigner par le fait que le Prophète, au sein d’un groupe de handicapés, confiait la direction de la prière à un aveugle698. À Médine, al-Qāsim b. Muḥammad (m. 107/725) établissait également un parallèle entre les aptitudes à diriger la prière et à témoigner699. Tout se passe comme si le témoin idéal n’était autre que l’imam.
203À l’époque marwānide, alors que le respect des devoirs cultuels apparaissait comme un critère essentiel d’acceptation du témoignage, les cadis jouissaient d’une certaine liberté pour apprécier la religiosité d’un témoin. À Fusṭāṭ, le cadi Tawba b. Namir (en poste de 115/733 à 120/738) rejeta la déposition d’un homme qui avait auparavant refusé devant lui d’offrir un cadeau compensatoire (matāʿ) à la femme qu’il avait répudiée ; le cadi ne considérait pas un tel présent comme une obligation légale, mais dans la mesure où le Coran affirmait qu’il s’agit d’un « devoir pour ceux qui font le bien (al-muḥsinīn) » et pour « ceux qui craignent Dieu (al-muttaqīn) »700, Tawba en déduisit que l’homme n’appartenait pas à ces catégories701, ce qui justifiait le rejet de sa déposition.
204Sous les Abbassides, quand des moyens plus conséquents furent employés pour enquêter sur les témoins, les signes extérieurs de piété ne suffirent plus pour agréer un témoin. En menant son enquête sur un homme, Sawwār b. ʿAbd Allāh apprit d’un de ses voisins qu’il était soupçonné d’avoir converti un chemin d’accès à une terre de ḫarāǧ en terre de ṣadaqa – afin de payer moins d’impôts –, accusation que le cadi considéra des plus graves et qui justifia sans doute le rejet de son témoignage702.
• Vers l’exclusion de groupes sociaux
205La réflexion menée sur les exigences morales et religieuses présidant à l’acceptation des témoins aboutit à l’exclusion de catégories de la population ne satisfaisant pas à ces critères. Certaines pratiques furent regardées comme révélatrices d’une moralité douteuse. Šurayḥ apparaît hostile au témoignage des colombophiles703. La consommation de vin (ḫamr) fut sujette à débats. À l’époque omeyyade, la parole du buveur n’était pas systématiquement rejetée si l’on en juge par plusieurs traditions évoquant l’acceptation de tels témoins par les Kūfiotes Šurayḥ et al-Šaʿbī704. À la fin de l’époque omeyyade ou au début de la période abbasside, le cadi Ibn Abī Laylā semble en revanche avoir rejeté la déposition d’un témoin auteur de vers bachiques705. Les poètes, de manière plus générale, pouvaient être suspects de moralité douteuse. À Baṣra, quand le poète al-Farazdaq (m. c. 110/728) se présenta à l’audience pour témoigner en compagnie d’un second quidam, Iyās b. Muʿāwiya réclama des témoins supplémentaires, ce qui fut interprété comme le signe qu’il n’agréait pas sa déposition. Le poète se serait exclamé que son rejet était bien compréhensible, tant il s’était rendu coupable de qaḏf dans sa poésie706 ! Iyās allait jusqu’à rechercher les indices de la mauvaise moralité des témoins dans leurs kunya-s : il rejeta le témoignage d’un certain Abū l-Rāziqī (« Père le Chardonnay »)707, certainement soupçonné de boire, ainsi qu’un Abū l-Kafūr (« Père l’infidèle »)708. À Médine, le cadi Muḥammad b. ʿImrān (en poste de 132/749 à 133/750, puis de c. 137/754-5 à 141/758-9) est réputé avoir rejeté la parole du poète Abū Saʿīd, mawlā de Fā’id, pour des vers de ġazal qui, évoquant la circumambulation autour de la Kaʿba, pouvaient passer pour impies709. Aux yeux du cadi de Fusṭāṭ Muḥammad b. Masrūq (en poste de 177/793 à 184/800), le simple fait d’écouter des chanteuses et de s’extasier devant leur art suffisait à disqualifier un grand notable710.
206D’autres comportements amenèrent à discréditer des témoins. À Médine, Saʿd b. Ibrāhīm al-Zuhrī (en poste de c. 104/722-3 à c. 106/724, puis de 125/743 à c. 126/743-4) n’agréait pas la déposition de quiconque urinait debout711, sans doute parce que les éclaboussures risquaient d’entacher la pureté rituelle712. À Kūfa, Ibn Abī Laylā aurait récusé un témoin dont la coiffure, les mains peintes au henné et le vêtement laissaient penser qu’il s’agissait d’un efféminé, si l’homme n’avait apporté des justifications à son accoutrement713. À la fin du viiie siècle, le cadi de Baṣra Muʿāḏ b. Muʿāḏ rejeta, sur le conseil d’autres savants, la déposition d’un individu après qu’une enquête de moralité eut révélé qu’il ne couvrait pas sa nudité au hammam714.
207En pratique, certains cadis furent accusés au siècle suivant de ne pas respecter les critères de moralité définis dès l’époque omeyyade. Dans le dernier quart du viiie siècle, le Baṣrien ʿUmar b. ʿUṯmān al-Taymī fut bien ennuyé quand il envisagea de rejeter le témoignage d’un individu qu’il savait adepte de chansons et de vin : l’homme lui répliqua que le cadi participait aux mêmes assemblées, et qu’il lui arrivait d’y chanter715 ! D’aucuns sont dépeints comme écartelés entre ce que réclamait la norme juridique et ce que de nombreux musulmans pratiquaient encore sans éprouver de scrupules. Muʿāḏ b. Muʿāḏ faillit ainsi rejeter le témoignage d’un zaydite qui avait participé à la révolte du Ḥasanide Ibrāhīm b. ʿAbd Allāh en 145/762716, oubliant qu’il y avait lui-même pris part717 … Dans la première moitié du ixe siècle, le cadi de Kūfa Ġassān b. Muḥammad al-Marwazī accepta celui d’un dresseur de pigeons, malgré la mauvaise réputation de ses semblables, lors d’un procès contre un individu accusé d’avoir médit du calife ʿAlī718. Peut-être la cause soulevée par le procès, intenté alors que les califes abbassides tentaient de consolider leur autorité à travers la miḥna, nécessitait-elle d’agréer un témoin douteux – auquel cas le cadi sortit de la neutralité qu’on attendait de lui. Mais peut-être ne s’agit-il là que d’un récit partisan, mentionnant l’acceptation d’un tel témoin afin de discréditer l’action de ce cadi honni pour sa participation active à la miḥna.
208Selon leurs origines géographiques et leur culture juridique, les plaideurs n’avaient pas les mêmes attentes du cadi. Dans la seconde moitié du viiie siècle, le cadi de La Mecque, ʿAbd al-ʿAzīz b. al-Muṭṭalib al-Maḫzūmī, fut accusé par un défendeur irakien d’avoir accepté contre lui le témoignage du poète Daḥmān, pourtant connu pour chanter et enseigner le chant aux jeunes femmes esclaves719. C’était suffisant, aux yeux de l’Irakien, pour que sa parole fût discréditée, mais cela ne l’était pas aux yeux du cadi mecquois720.
209En théorie, la définition d’exigences morales et religieuses n’aurait pas dû conduire à l’exclusion du témoignage selon des critères sociaux. Quel que fût le prestige d’un individu, sa mauvaise moralité devait le disqualifier. Tel est le sens d’un vers que le cadi de Kūfa Ibn Šubruma aurait déclamé, à la fin de l’ère omeyyade ou au début de l’époque abbasside, à un homme qui s’étonnait d’être récusé au terme d’une enquête commanditée par le cadi :
J’ai interrogé et, comme tu n’étais pas pressé721, j’ai enquêté de plus belle ;
Combien de ʿarīf-s furent-ils salis par les huppes722 !
210Les « huppes » (al-hadāhid), surnom donné par ce cadi à ses enquêteurs (aṣḥāb al-masā’il), devaient pouvoir récuser jusqu’aux ʿarīf-s, plus hauts représentants de la hiérarchie tribale, qui servaient d’intermédiaires entre l’administration du gouverneur et les hommes de tribus723. Le rejet du témoignage de grands notables n’était pas toujours bien accepté. Quand le cadi de Baṣra Muʿāḏ b. Muʿāḏ, au tournant du viiie et du ixe siècle, rejeta la déposition du futur cadi Muḥammad b. ʿAbd Allāh al-Anṣārī parce qu’il était impliqué dans l’affaire concernée, Muʿāḏ et toute sa famille subirent la vindicte des Baṣriens furieux d’un tel manque de respect724.
211Pourtant, si l’on en croit plusieurs récits sur la période omeyyade, le comportement individuel des témoins ne fut pas toujours pris en considération. En des temps où les enquêtes de moralité étaient encore balbutiantes, certains cadis privilégièrent une approche globale et exclurent des groupes sociaux ou professionnels entiers. Wakīʿ rapporte ainsi au sujet du Baṣrien Iyās b. Muʿāwiya (en poste de 95/713-4 à 101/719-20) :
Aḥmad b. ʿAlī me rapporta d’après Abū Ṭāhir Aḥmad b. ʿAmr b. al-Sarḥ, d’après Ibn Wahb, d’après ʿAbd Allāh b. Lahīʿa, d’après Muḥammad b. ʿAbd al-Raḥmān al-Qurašī :
Je demandai [un jour] à Iyās b. Muʿāwiya :
– On m’a raconté que tu n’autorisais le témoignage ni des ašrāf d’Irak, ni des marchands (tuǧǧār), ni des marins725.
– C’est vrai, répondit [le cadi]. En ce qui concerne les marins, ils prennent la mer et s’en vont jusqu’en Inde, où ils deviennent aveugles à la religion. Ils sacrifient tout à leurs ennemis par convoitise des biens de ce monde. Je sais que si l’un d’eux se voit offrir deux dirhams pour témoigner, rien ne le retiendra tant il est devenu imperméable aux choses de la religion. Quant à ceux qui commercent dans les villages du Fārs, les zoroastriens (al-maǧūs) les font goûter à l’usure (ribā), et ils ne l’ignorent pas. C’est à cause de l’usure que je n’autorise pas leur témoignage. Venons-en enfin aux ašrāf d’Irak. Si par malheur quelque calamité s’abat sur l’un d’entre eux, il court trouver le chef (sayyid) de sa tribu (qawm), et ce dernier témoigne et intercède en sa faveur. C’est pourquoi j’ai fait dire à ʿAbd al-Aʿlā b. ʿAbd Allāh b. ʿĀmir726 de ne point venir me trouver pour témoigner727.
212Ainsi l’exigence de moralité put-elle conduire à l’éviction de certaines des catégories sociales ou professionnelles les plus en vue : les grands marchands à cause de pratiques commerciales supposées dévoyées728, les Arabes des plus prestigieuses tribus en raison d’une solidarité excessive. Iyās aurait également rejeté le témoignage de Wakīʿ b. Abī Sūd, un noble (min al-ašrāf) ġudānite qui fut gouverneur du Khurasan729. Comme il n’était pas facile de récuser un personnage aussi puissant, Iyās aurait recouru à la ruse et touché son sens de l’honneur en lui disant : « Allons bon, Abū Muṭarrif ! Ce sont les clients (mawālī), les marchands (tuǧǧār) et les gens de basse condition (al-safila) qui témoignent, et non les nobles comme toi730 ! » Le contexte sociopolitique contribuait à la disqualification de groupes entiers. À Fusṭāṭ, Tawba b. Namir (en poste de 115/733 à 120/738) rejetait non seulement le témoignage des ašrāf, mais aussi celui de tout Muḍarite (Arabe du Nord) contre un Yamanite (Arabe du Sud) et vice-versa, préférant en ce cas renvoyer les plaideurs vers les instances de conciliation de leurs unités tribales (ʿašā’ir)731. Depuis la conquête, Fusṭāṭ était dominée par les Yamanites, et il est probable que les tensions tribales qui rongeaient les armées de certaines provinces depuis la bataille de Marǧ Rāhiṭ (65/684)732 furent longtemps moins sensibles à Fusṭāṭ que dans le reste de l’Empire. Sous le cadi Tawba b. Namir, néanmoins, plusieurs milliers d’Arabes du Nord venaient d’être transférés en Haute-Égypte733, accroissant peut-être les rivalités tribales. Certes, ces groupes tribaux n’étaient pas discrédités dans l’absolu (contrairement aux ašrāf), mais seulement lorsque leur témoignage visait un défendeur vis-à-vis duquel ils pouvaient être soupçonnés de malveillance. L’exclusion de groupes entiers put néanmoins être parfois envisagée.
213À l’autre bout du spectre social, les savants mirent aussi en doute la parole du pauvre (faqīr) et du mendiant (sā’il, qāniʿ) : non point en raison d’un comportement subversif qui leur serait attribué en bloc, mais à cause, sans doute, d’une vulnérabilité socio-économique qui permettait aisément de les acheter. À Kūfa, Ibn Abī Laylā semble ne pas avoir autorisé leur déposition, opinion qu’adoptèrent à leur tour les ḥanafites et les šāfiʿites – les mālikites ne l’autorisant que pour des affaires mineures. Une tradition qu’Ibn Ḥazm qualifie de « mensongère » affirme en outre que « les anciens n’acceptaient pas le témoignage du mendiant »734. Ce discrédit fondé sur des critères socio-économiques préfigure à bien des égards la restriction progressive du témoignage à une élite sociale (voir infra).
214Il semble que ce soit plus tard, peut-être au début de la période abbasside, que surgirent de nouvelles interrogations sur la parole des Bédouins. Les écoles juridiques classiques se demandent si leur témoignage est autorisé contre les sédentaires (al-qarawīyīn ou ahl al-qarya)735. À cette question, qui n’apparaît pas dans les Muṣannaf-s et à propos de laquelle nulle opinion de juriste omeyyade n’est citée, tous les maḏhab-s sunnites répondent par l’affirmative, à l’exception des mālikites. Ces derniers, qui ne l’autorisent qu’en cas de blessure (ou plus tard d’insulte, de consommation de vin, de fornication ou de meurtre)736 ou, alternativement, à propos du testament d’un sédentaire qui serait mort en voyage737, tendent par là même à assimiler les Bédouins soit à des mineurs, soit à des nonmusulmans738. Peut-être s’agissait-il de protéger les biens matériels des citadins contre les allégations de populations jugées capables de tout pour s’emparer de leurs richesses ? Chez les chiites, les ismāʿīliens affichent également une forte réticence à voir le Bédouin témoigner contre le citadin739, alors que les imamites s’y montrent favorables740.
• La šahāda ou le contour d’une orthodoxie
215Steven Judd a récemment montré qu’à une époque où l’autorité en matière doctrinale demeurait disputée, les califes marwānides (en particulier ʿAbd al-Malik et son fils Hišām) prétendirent définir une « orthodoxie » et poursuivre un certain nombre d’hérétiques, mettant en place une forme d’inquisition741. Les persécutions qui s’ensuivirent atteignirent les qadarites, apôtres du libre arbitre, et ne semblent pas avoir touché d’autres groupes doctrinaux742. À un niveau plus quotidien que les spectaculaires exécutions d’hérétiques, il apparaît que la judicature joua, dès la période marwānide, un rôle plus discret mais non moins essentiel dans la délimitation de l’« orthodoxie ». La définition d’une moralité religieuse présidant à l’acceptation du témoignage conduisit en effet à l’exclusion d’individus et de groupes adhérant à des doctrines ou des courants religieux jugés déviants. De telles exclusions apparaissent dans des contextes géographiques et/ou historiques spécifiques. Les premières disqualifications de témoins sur la base de leur foi apparaissent à Kūfa vers le milieu ou la fin des années 100/720 :
Abū Ṭāhir Aḥmad b. Bašīr b. ʿAbd al-Wahhāb me rapporta d’après Sulaymān b. Abī Šayḫ, d’après Aḥmad b. Bašīr, d’après al-Aʿmaš :
Un homme témoigna [un jour] devant Muḥārib b. Diṯār. Ce dernier lui déclara :
– Considère les deux hommes comme en charge de ta religion743, et j’accepterai ton témoignage. Sinon, je le rejetterai. – Tu sais bien, protesta l’homme, que je jeûne assidûment et que j’assiste à toutes les prières !
– Tu dis vrai, dit [le cadi]. Il n’en demeure pas moins que, si tu considères les deux hommes – c’est-à-dire Abū Bakr et ʿUmar – comme en charge de ta religion, j’accepterai ton témoignage. Dans le cas contraire, non.
L’homme se leva [et s’en alla]744.
216Bien qu’il soit très probablement reconstruit à des fins polémiques, ce récit reflète un temps où, comme le montrent les protestations du témoin, la pratique religieuse déterminait d’ores et déjà l’aptitude à la šahāda. Dans un contexte kūfiote où les mouvements d’inspiration chiite étaient en pleine expansion, la condamnation des « deux hommes » ou des « deux cheikhs » était le signe le plus visible de l’adhésion à un courant de ġūlāt, chiites « extrémistes » animés par des attentes messianiques que rejetait l’islam majoritaire745. Ces ġulāt ne déclenchèrent de révoltes contre Ḫālid al-Qaṣrī – le gouverneur qui avait nommé Muḥārib b. Diṯār cadi – qu’un peu plus tard, à partir de 737746. Mais à Kūfa, leurs idées devaient être combattues par les autorités omeyyades depuis longtemps. De son propre fait ou sur instruction du gouverneur, le cadi assimilait symboliquement le témoignage de ces chiites à celui de non-musulmans, unanimement réprouvé dès lors qu’il impliquait un musulman : il rejetait ainsi à la frontière de l’islam des individus aux croyances douteuses.
217La tendance à rejeter le témoignage des chiites se maintint à Kūfa : Ibn Abī Laylā (en poste de 121/739 à 129/746-7, puis de 132/749 à 148/765-6) récusait les témoins rāfiḍites747 – c’est-à-dire les proto-imamites748 – et Šarīk b. ʿAbd Allāh (en poste de 153/770 à c. 169/785-6) agissait de même749. Les chiites proto-imamites contestaient la légitimité de la famille abbasside et apportèrent leur soutien aux révoltes qui ébranlèrent la dynastie à plusieurs reprises. L’exclusion des rāfiḍites par Šarīk b. ʿAbd Allāh n’était pourtant pas – ou pas uniquement – une affaire politique. Il refusait en effet aussi le témoignage des murǧi’ites750 et disqualifia par exemple Ḥammād b. Abī Ḥanīfa, l’accusant avec son père (Abū Ḥanīfa) d’avoir appelé à enfreindre la sunna du Prophète751. Si les murǧi’ites, partisans d’un mouvement théologique excluant les œuvres de la foi, étaient sévèrement condamnés (voire rejetés de l’islam) par les traditionalistes752, à Kūfa en particulier, ils ne représentaient pas un danger politique et étaient plutôt bien vus par la dynastie abbasside, qui s’appuya sur le murǧi’ite notoire qu’était Abū Ḥanīfa753. À Baṣra également, Sawwār b. ʿAbd Allāh rejeta le témoignage d’al-Sayyid al-Ḥimyarī, qui cumulait les défauts d’être poète et chiite de tendance kaysānite754.
218D’autres disqualifications se situent à la limite entre la répression d’un comportement moralement/religieusement répréhensible et la censure d’une doctrine désapprouvée par le cadi. Une décision d’Ibn Abī Laylā ressortit très vraisemblablement de cette dernière catégorie. Il n’autorisait pas le témoignage de « ceux qui ne buvaient pas de nabīḏ755 », cette boisson légèrement fermentée dont la consommation en quantité modeste fut autorisée par les ḥanafites – comme pour rejeter tous ceux qui auraient désapprouvé une doctrine à laquelle adhéraient de nombreux Kūfiotes756. À l’inverse, à la même époque, le cadi de Baṣra Sawwār b. ʿAbd Allāh rejetait le témoignage des buveurs de nabīḏ757 – manière d’exclure non seulement des hommes coupables, à ses yeux, d’infraction à la Loi, mais peut-être aussi les adhérents d’un courant ḥanafite qui se répandait à Baṣra758.
219L’exclusion de groupes doctrinaux semble prendre de l’ampleur à la fin du viiie et au début du ixe siècle. À Baṣra, Muʿāḏ b. Muʿāḏ (en poste de 181/797-8 à 191/806-7) récusait les muʿtazilites759, fer de lance de théologiens (mutakallimūn) aux méthodes déjà décriées par de nombreux savants760. Le terme « persécution » serait sans doute trop fort pour désigner cette forme de marginalisation. Un tel rejet aux marges de l’islamité n’en représentait pas moins une sanction religieuse et sociale humiliante, dont les muʿtazilites se plaignirent au calife Hārūn al-Rašīd761. En Égypte, les premières disqualifications liées à la foi datent du début du ixe siècle, lorsque le cadi Lahīʿa b. ʿĪsā rejeta la déposition d’un notable qadarite762.
220Le fiqh classique, dont les premières grandes sommes achevaient de se constituer alors que l’exclusion par le témoignage de groupes « hétérodoxes » atteignait son paroxysme, s’interrogea sur la licéité de telles disqualifications. L’appellation ahl al-ahwā’ (« les gens de passions ») est appliquée à ces groupes, soulignant que leurs membres étaient animés d’un esprit enflammé et partisan763. Les ḥanafites et les šāfiʿites répondirent que la parole des hétérodoxes était généralement admise, à moins qu’une solidarité trop forte ne les lie – auquel cas ils n’hésitaient pas à effectuer de faux témoignages au profit de leurs coreligionnaires764 –, ou qu’ils n’insultent ouvertement les Compagnons du Prophète765. Après tout, les musulmans n’avaient cessé de diverger depuis la fitna et les adeptes de doctrines opposées n’avaient pas pour autant une morale répréhensible766. Les mālikites, en revanche, refusaient de prier derrière tout membre d’un groupe religieux déviant – le parangon de tels groupes étant celui des qadarites – et, par analogie, rejetaient le témoignage de tout individu qu’ils considéraient comme hétérodoxe767. Plus tard les ismāʿīliens refusèrent celui de musulmans affichant leur appartenance à un groupe qu’ils rejetaient – en particulier les ḫāriǧites, les qadarites, les murǧi’ites et les partisans des Omeyyades768. Le débat qui opposait les juristes trouve un écho dans certains récits relatifs à la judicature du début du ixe siècle. À l’arrivée en poste du cadi de Baṣra Ismāʿīl b. Ḥammād b. Abī Ḥanīfa, en 210/825-6, des notables (wuǧūh) et des gens de mosquée vinrent l’accueillir et l’un d’entre eux le pria de ne point accepter le témoignage des « gens de passions ». Au cadi qui demandait des explications, l’homme justifia sa requête par les « innovations [blâmables] » (iḥdāṯ) provoquées par de tels groupes. Le cadi, qui était ḥanafite, fit taire ces revendications en arguant qu’à ce titre, le témoignage des Compagnons qui combattirent les uns contre les autres à la bataille du Chameau n’eût pas été licite769 !
221Ces débats sur l’acceptation des ahl al-ahwā’, concluant en majorité à la licéité de leur témoignage, n’eurent pas d’impact immédiat sur le rôle de la judicature dans la définition d’une « orthodoxie ». L’exclusion des « hétérodoxes » atteignit son paroxysme pendant la miḥna, « épreuve » imposée par le califat abbasside par le biais de ses cadis (de 218/833 à une période comprise entre 234/848 et 237/852770). Au cours des quinze à vingt ans que dura cette « épreuve », les cadis furent officiellement instrumentalisés par le pouvoir afin d’exclure le témoignage de quiconque refusait d’adhérer au dogme de la création du Coran promu par al-Ma’mūn et ses deux successeurs, al-Muʿtaṣim et al-Wāṯiq771. C’est à propos de l’Égypte que l’application de la miḥna aux témoins est la mieux connue, peutêtre en raison de l’impact social qu’y eut l’exclusion du témoignage. Les cadis mirent en application les instructions califales avec plus ou moins de rigueur : tandis que Hārūn b. ʿAbd Allāh al-Zuhrī excluait les témoins réfractaires au dogme du Coran créé772, Ibn Abī al-Layṯ – pourtant connu pour avoir appliqué la miḥna avec une sévérité sans précédent773 – s’autorisa peut-être des exceptions774. L’arrêt de la miḥna sous al-Mutawakkil provoqua des évictions dans l’autre sens : désireux d’effacer toutes les traces d’un dogme désormais passé dans le camp de l’hétérodoxie, al-Ḥāriṯ b. Miskīn exclut certains témoins de son prédécesseur pour la simple raison qu’ils avaient pris part à la miḥna775.
• Une dialectique d’inclusion et d’exclusion
222Les processus étudiés jusqu’à présent procèdent de deux approches imbriquées, tantôt contemporaines l’une de l’autre, tantôt successives. La principale démarche dont témoigne la littérature narrative comme celle des traditions anciennes fonctionne par exclusion. Elle consiste à déterminer les critères permettant au cadi de rejeter les dépositions produites par les parties. Cette logique d’exclusion se voit relayée, parfois, par une dynamique d’inclusion, consistant à définir positivement le témoin recevable – ainsi les critères religieux attribués à Šurayḥ. La prédominance de l’approche exclusive, dans les controverses doctrinales du viiie siècle, ouvrait paradoxalement le témoignage à un grand nombre d’individus : malgré la restriction progressive de l’aptitude à témoigner, cette démarche procédait d’une logique voulant que « tout le monde puisse témoigner, sauf… ».
223La théorie du témoignage continua longtemps de reposer sur une dynamique d’exclusion, et les grands traités produits par les écoles juridiques classiques aux ixe et xe siècles développent, sur la base d’un raisonnement de mieux en mieux argumenté ou d’autorités scripturaires toujours plus nombreuses, les catégories d’individus dont la parole ne peut pas (ou peut éventuellement, par opposition à une école rivale) être reçue. Le plus souvent, le témoin fiable n’apparaît qu’en négatif : il a les qualités de ce qu’il n’est pas (enfant, esclave, de mauvaises mœurs, etc.). À notre connaissance, ce n’est qu’au début du ixe siècle, en Égypte, qu’une première définition positive du témoin est proposée. Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829) affirme dans al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr que seul est autorisé le témoignage « de l’individu libre (ḥurr), musulman et honorable (ʿadl)776 ». Al-Šāfiʿī est plus précis : « Seul est autorisé le témoignage des musulmans libres (aḥrār), majeurs (bāliġīn) et honorables (ʿudūl)777. » Encore la notion d’honorabilité nécessitait-elle des explications. D’après al-Muzanī, al-Šāfiʿī insistait sur l’importance de deux facteurs : l’obéissance (ṭāʿa, à laquelle s’oppose la désobéissance, maʿṣiya) et la muruwwa (à laquelle s’oppose l’absence de muruwwa, tark/ḫilāf al-muruwwa)778. Par « obéissance », il entend vraisemblablement soumission aux préceptes divins. La muruwwa, de son côté, correspond à la qualité d’homme en tant qu’être social ; en d’autres termes, la « vertu » liée à un comportement socialement acceptable779. La ʿadāla se trouve ainsi parée d’une double dimension : une verticale – reliant l’homme à son Créateur –, et une horizontale – l’homme dans ses rapports aux autres, la morale sociale. Bien sûr, remarque al-Šāfiʿī, même si tout être humain s’efforce de se rapprocher de l’obéissance et de la muruwwa pures, la perfection n’est jamais atteinte. Aussi le cadi doit-il prendre en considération le comportement dominant en apparence : celui chez qui l’obéissance et la muruwwa semblent l’emporter sera déclaré ʿadl, celui chez qui prévalent la désobéissance et l’absence de muruwwa sera rejeté780.
224La définition des qualités nécessaires au témoin fut plus tard développée par d’autres juristes. À la fin du xe siècle, le cadi ismāʿīlien al-Nuʿmān autorise le témoignage « de l’homme croyant (mu’min), majeur, libre, sensé (ʿāqil), doué de parole (nātiq), à la généalogie connue (maʿrūf al-nasab), […] pourvu qu’il soit honorable (ʿadl)781 ». Dans l’islam sunnite, la définition classique du témoin est celle du šāfiʿite al-Māwardī (m. 450/1058). Le témoin, dit-il, doit réunir cinq qualités afin que sa parole soit validée : 1) être de condition libre (al-ḥurriyya) ; 2) être majeur (al-bulūġ) ; 3) jouir de ses facultés mentales (al-ʿaql) ; 4) être musulman (al-islām) ; 5) être honorable (al-ʿadāla)782.
225Une définition positive du témoin acceptable semble donc apparaître vers le début du ixe siècle783. Cela ne fit que couronner l’évolution d’un système judiciaire qui avait commencé plus tôt à suivre une logique d’inclusion, en mettant au point des procédures permettant non plus seulement de rejeter des témoignages suspects, mais d’établir la fiabilité d’un témoin784. C’est l’histoire de ce processus de taʿdīl qu’il convient maintenant d’examiner.
2.3. Procédures de sélection des témoins
226L’appartenance d’un individu à un groupe rejeté comme hétérodoxe par le pouvoir ou par une majorité de musulmans conduisit dès l’époque marwānide vers l’exclusion de son témoignage. Les prémices d’une mécanique positive d’inclusion virent le jour en même temps. La religiosité d’un individu particulier put ainsi faire admettre son témoignage quand celui d’un autre eût été rejeté. Le cadi de Médine Abū Bakr b. Muḥammad b. Ḥazm (en poste de c. 87/706 à c. 96/714-5) accepta ainsi celui du célèbre juriste al-Qāsim b. Muḥammad (m. 107/725) – plus tard considéré comme l’un des sept grands juristes de Médine785 – alors que celui-ci, dans un premier temps, n’avait plus souvenir de ce dont il témoignait. Le cadi aurait déclaré qu’en pareil cas, il aurait rejeté la déposition de toute autre personne786. Les qualités religieuses, par le plébiscite dont elles faisaient l’objet, commençaient à distinguer des individus dont la parole apparaissait plus fiable que celle du commun des mortels. Le processus que cette logique mit en branle ne trouva pourtant son accomplissement qu’un à deux siècles plus tard.
227Le droit musulman classique prône l’acceptation définitive des témoins au terme d’une enquête dite de tazkiya permettant d’établir leur honorabilité787. Selon Wael Hallaq, ce processus, mené à bien par un auxiliaire du cadi appelé ṣāḥib al-masā’il, puis muzakkī, remonte dans son essence à une mécanique mise en place dans les années 670, et dont les institutions caractéristiques furent établies avant les années 110/730788. L’hypothèse de Hallaq est cependant spéculative et repose sur l’idée – contestable, comme nous allons le voir – qu’en toute logique, le cadi dut depuis toujours enquêter pour déterminer la fiabilité des témoins789. L’évolution qui conduisit à la procédure classique est en réalité plus complexe, les procédures relevant en la matière moins d’une « logique » faussement évidente que de tâtonnements empiriques.
228Le processus d’acceptation ou de refus des témoins procède de deux démarches successives, à l’instar de la réflexion théorique à ce sujet. L’expression al-ǧarḥ wa-l-taʿdīl, qui en vint à désigner dans le droit classique la méthode générale de sélection des témoins, résulte de la fusion de deux approches historiquement distinctes. La démarche de ǧarḥ (« récusation ») semble l’avoir emporté dans un premier temps, avant qu’une dynamique « inclusive » de taʿdīl (« établissement de l’honorabilité ») se mette en place, d’abord par le biais des plaideurs et des témoins, puis par celui de l’institution judiciaire.
2.3.1. Une sélection négative ou l’empirisme des débuts
229Définir des critères moraux et religieux conditionnant l’acceptation d’un témoignage ne suffisait pas : encore fallait-il que le cadi parvienne à les appliquer au cas par cas. Or il ne pouvait connaître la moralité ou la religiosité de tous ceux que les plaideurs lui amenaient. Aussi des procédures empiriques furent-elles mises en œuvre à l’époque omeyyade afin de déterminer la moralité des témoins.
230À Baṣra, al-Ḥasan al-Baṣrī (cadi en 99/717-8) avait la réputation d’accepter a priori le témoignage de tout musulman, à moins que le défendeur contre qui était produit un témoin ne le récuse790. Le cadi attendait donc que le témoin fasse l’objet d’accusations – mais de la part de quelqu’un qui avait intérêt à mettre sa parole en doute. Rien ne dit que ce cadi menait ensuite une enquête, et les informations transmises par Wakīʿ impliquent que la récusation par l’adversaire suffisait pour que le témoin soit écarté. À l’inverse, si le défendeur admettait que les témoins étaient honorables, le cadi les agréait et pouvait ainsi rendre son jugement contre le défendeur791. Une procédure identique est attribuée à Šurayḥ, à Kūfa, plus probablement à mettre au crédit du transmetteur de cette tradition, le cadi al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1)792. À la même époque qu’al-Ḥasan al-Baṣrī, le Baṣrien Iyās b. Muʿāwiya semble avoir adhéré à l’opinion du Médinois al-Qāsim b. Muḥammad (m. 107/725), selon qui l’honorabilité d’un seul témoin suffisait à confirmer la parole d’un deuxième témoin douteux793. Un peu plus tard, Bilāl b. Abī Burda (en poste de 110/728-9 à 120/738) pouvait demander à un témoin qu’il connaissait ce qu’il pensait d’un autre témoin, alors que tous deux effectuaient ensemble leur déposition794. La difficulté de déterminer la sincérité des témoins, dans ces conditions, trouve sa meilleure expression dans une tradition selon laquelle Šurayḥ admonestait les témoins récusés par un défendeur, les appelant à faire preuve de responsabilité et d’honnêteté795. Muḥārib b. Diṯār sermonna également des témoins dont le défendeur s’étonnait des affirmations, car il tenait au moins l’un d’entre eux pour un homme digne de louanges ; après que le cadi les eut impressionnés par des récits sur l’enfer, les deux témoins se rétractèrent796. C’est que les cadis, encore au début du viiie siècle, manquaient cruellement d’instruments efficaces pour déterminer la fiabilité des témoins.
231Au début de la période abbasside, la récusation du témoin par le défendeur demeurait essentielle, même si elle ne suffisait plus à elle seule. Une telle récusation donnait lieu à une sorte de procès dans le procès, le témoin se trouvant lui-même mis en accusation. Son honnêteté ou sa malhonnêteté devait alors être prouvée. À Baṣra, Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste à trois reprises entre 137/754-5 et 156/773) rejeta la déposition d’un homme que le défendeur accusait d’avoir subi le ḥadd, mais seulement après que le témoin eut avoué797. À Fusṭāṭ, al-Layṯ b. Saʿd (m. 175/791) gardait le souvenir d’une époque où nulle enquête n’était menée sur les témoins, et où le défendeur devait lui-même prouver, dépositions à l’appui, que les individus produits contre lui n’étaient pas fiables798. Il est probable que c’est à la suite de telles récusations par un défendeur que certains cadis entreprirent des enquêtes sur les témoins. Mais dans le Muḫtaṣar d’Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829), la reconnaissance par un plaideur de la fiabilité d’un témoin qui s’apprête à déposer contre lui suffit encore à le faire agréer par le cadi799.
232L’acceptation de témoins sans enquête systématique trouve un écho jusque dans la doctrine ḥanafite. Conformément à la lettre de ʿUmar à Abū Mūsā al-Ašʿarī, qui considère « tous les musulmans comme honorables les uns vis-àvis des autres » à l’exception des condamnés au ḥadd800, Abū Ḥanīfa acceptait que tout musulman soit reconnu ʿadl en l’absence de preuve du contraire. Il recommandait de n’interroger sur la moralité des témoins que lorsque le défendeur le récusait – à moins qu’il ne s’agît d’une affaire pénale, auquel cas une enquête s’imposait801. Néanmoins cette position était de plus en plus contestée. Une instruction similaire à celle de ʿUmar à Abū Mūsā est attribuée au Prophète dans un ḥadīṯ transmis par al-Ḥaǧǧāǧ b. Arṭāt (Kūfiote, cadi de Baṣra en 133/750), ce qui semble témoigner de la nécessité précoce de défendre ce point de vue en l’attribuant au Prophète802.
233La seconde génération de ḥanafites, représentée par Abū Yūsuf et al-Šaybānī, insiste d’ailleurs sur l’accomplissement d’enquêtes plus systématiques803, signe que les pratiques judiciaires avaient entre-temps évolué804. Mais chez les imamites, au xie siècle, al-Ṭūsī permet encore au défendeur de récuser les témoins de son adversaire, même après que le cadi eut enquêté sur eux ; le cadi doit alors lui accorder un délai pour qu’il puisse prouver que les témoins ne sont pas honorables805. L’ismāʿīlien al-Qāḍī al-Nuʿmān considérait aussi qu’il revenait au défendeur d’apporter la preuve du caractère peu fiable des déclarations faites à son encontre806.
2.3.2. Quand le témoin amène son propre témoin
234La multiplication des récusations par des défendeurs fut probablement à l’origine de nouvelles pratiques, le témoin prenant les devants et comparaissant avec les preuves de sa bonne moralité. Si l’on en croit Wakīʿ, Kūfa joua un rôle de premier plan dans l’expérimentation de cette nouvelle procédure, dès le deuxième quart du viiie siècle. Le cadi al-Šaʿbī aurait demandé que chaque témoin amène avec lui quelqu’un susceptible de le « purifier » (yuzakkī-hi), c’est-à-dire de certifier ses bonnes mœurs. La procédure, dit-on, fut maintenue par la suite807, et l’on voit vers 102/720-1 le cadi al-Qāsim b. ʿAbd al-Raḥmān demander à un témoin, Munḏir al-Ṯawrī, d’amener un tiers pour attester sa moralité808.
235À Baṣra, les témoins n’amenaient pas (ou pas toujours) spontanément leur « purificateur », mais là aussi le cadi pouvait leur demander de produire quelqu’un pour confirmer leur moralité. Une anecdote relate que ʿAbbād b. Manṣūr al-Nāǧī (en poste de 126/744 à 132/749, puis de 133/750-1 à 137/754-5) demanda à un témoin : « Qui te connaît ? », comme si le témoin devait apporter lui-même les tiers susceptibles d’attester ses bonnes mœurs. En l’occurrence, le témoin eut le malheur de répondre que le fils du cadi le connaissait ; celui-ci étant un chanteur, qui avait osé satiriser son propre père, le cadi renvoya le témoin sans autre justification809. Dans la Médine du début des Abbassides, le cadi Muḥammad b. ʿImrān demandait à un témoin en qui il avait personnellement confiance, Namā al-Ḫayyāṭ, ce qu’il pensait des autres témoins qui venaient effectuer leurs dépositions en sa compagnie810. De manière plus générale, il semble que de nombreux cadis de cette époque se fiaient à leur connaissance personnelle des témoins811 et ne leur demandaient de prouver leur bonne moralité que s’ils n’en savaient pas assez sur eux. Encore dans le droit ibāḍite (baṣrien) de la fin du viiie siècle, le cadi n’a pas besoin de mener d’enquête à propos d’un témoin qu’il connaît en profondeur812.
236Même après le développement des enquêtes de moralité, certains témoins se virent encore demander de produire des personnes attestant leur honorabilité, comme le montre un exemple bagdadien du début du ixe siècle813. Ces témoins secondaires ne jouaient plus néanmoins qu’un rôle superficiel, et servaient à afficher « publiquement » (ẓāhiran) une honorabilité déjà établie auprès du cadi par le biais d’une enquête.
2.3.3. Des enquêtes de moralité
237La seconde moitié du viiie siècle est en effet marquée par l’apparition de véritables enquêtes, d’abord menées par le cadi au coup par coup – notamment si un témoin était récusé par le défendeur –, puis de manière plus régulière par un personnel spécialisé.
• Quand le cadi mène l’enquête
238Certains cadis se mirent à mener en personne des enquêtes de moralité. Wakīʿ décrit ainsi Sawwār b. ʿAbd Allāh, cadi de Baṣra, qui se rend sur sa mule dans le quartier de Azd, à la nuit tombée, en compagnie d’un auxiliaire juché sur un âne – auxiliaire qui devint lui-même cadi une vingtaine d’années plus tard –, et frappe aux portes de plusieurs maisons pour interroger leurs habitants à propos d’un témoin814. Il est probable toutefois que tous les témoins ne faisaient pas l’objet d’une enquête, et que celle-ci ne s’imposait qu’en cas de fiabilité douteuse. La logique était encore celle de l’exclusion : tout individu peut témoigner, sauf s’il s’avère qu’il ne le peut pas. À Baṣra, ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan al-ʿAnbarī (en poste de 156/773 à 166/782-3) ne décida un jour d’enquêter sur un témoin que parce qu’il lui paraissait suspect – en effet il ne connaissait pas de célèbres vers récités par un de ses contribules. Il écrivit son nom et sans doute procédat-il ensuite comme son prédécesseur Sawwār815. ʿAbd al-Raḥmān b. Muḥammad al-Maḫzūmī (en poste en 172/788-9) enquêtait toujours en personne sur les témoins816. Dans le droit ibāḍite baṣrien de la fin du viiie siècle, c’est toujours le cadi qui est supposé interroger « les gens de bien et de savoir » (ahl al-ḫayr wa-l-maʿrifa) sur les témoins qu’il ne connaît pas817. L’enquête menée par le cadi prend un tour particulier en cas d’homicide, lorsque le meurtrier avoue son crime mais prétend l’avoir commis pour des raisons légitimes. Il lui faut, pour échapper au talion, apporter des témoins qui attestent le bien-fondé de son crime, et le cadi évalue la véracité de leurs dires non en fonction de leur moralité personnelle, mais en vérifiant que leur conception du crime légitime est conforme à celle des ʿulamā’(ibāḍites)818.
239En Égypte aussi, à l’aube de l’époque abbasside, tout individu bien considéré était admis à témoigner, et toute personne à la mauvaise réputation se voyait exclue. De sommaires enquêtes auprès de voisins n’étaient entreprises que dans le cas où le témoin s’avérait un parfait inconnu819. Al-Kindī ne dit pas clairement, en revanche, si le cadi effectuait ces enquêtes en personne ou s’il déléguait quelqu’un à cet effet. Un récit relatif à Ḫayr b. Nuʿaym (en poste de 120/738 à 127/745, puis de 133/751 à 135/753) laisse néanmoins envisager que ce dernier interrogeait lui-même les coreligionnaires des témoins chrétiens et juifs pour déterminer leur moralité820. Dans la première moitié du ixe siècle, il arrivait au cadi ʿĪsā b. al-Munkadir (en poste de 212/827 à 214/829) de se déguiser pour aller vérifier, la nuit, le résultat des enquêtes menées par son ṣāḥib al-masā’il821.
• Des enquêtes systématiques
240Le deuxième quart du viiie siècle vit se développer des procédures d’enquête plus complexes. Le renforcement de l’appareil administratif permit aux cadis de faire appel à des tiers, puis à un personnel spécialisé. Dans la Baṣra de la toute fin du viiie siècle, Muʿāḏ b. Muʿāḏ demanda à ʿAffān b. Muslim822 d’enquêter à propos d’un témoin823.
241C’est néanmoins à Kūfa que semblent s’être développées de nouvelles techniques d’enquête, promises à un grand avenir824. Il faut sans doute rejeter l’attribution à Šurayḥ des premières enquêtes secrètes sur les témoins825, qui furent plus vraisemblablement inventée par ʿAbd Allāh b. Šubruma (en poste de 120/738 à 121/739 ; il fut aussi cadi du sawād de Kūfa sous les Abbassides826), qui employa de surcroît des auxiliaires pour les mener. Ibn Šubruma aurait justifié le recours à des enquêtes secrètes de la manière suivante :
Yūsuf b. Mūsā b. al-Qaṭṭān rapporta d’après ʿAlī b. ʿĀṣim, d’après Ibn Šubruma :
Je suis le premier à avoir mené des enquêtes secrètes (sa’ala fī l-sirr). Quand on demandait à un homme « amène quelqu’un attestant ta moralité (yuzakkī-ka) », il allait trouver sa tribu (qawm) [et revenait] en disant : « Les gens de ma tribu attestent ma moralité ! » La tribu n’osait pas le contredire (yastaḥī) et attestait sa moralité. Voyant cela, je me mis à interroger les gens en secret, et lorsque la déposition d’un témoin s’avérait saine, je lui demandais : « Amène [maintenant] quelqu’un qui atteste ta moralité en public (fī ʿalāniyya) ! »827.
242Demander au témoin de faire attester sa moralité par ses proches pouvait s’avérer embarrassant pour ces derniers : comment refuser une telle attestation sans se fâcher avec son voisin, son ami, son beau-frère, et rompre ainsi un lien social peut-être capital ? La dynamique de préservation des réseaux sociaux l’emportait et ces attestations produites par le témoin lui-même n’étaient pas fiables828. L’enquête « secrète », menée loin du regard du témoin visé, permettait seule d’appréhender sa moralité. La confidentialité de l’enquête ne pouvait néanmoins être atteinte si le cadi la menait lui-même, comme cela se faisait encore à Baṣra au début de l’époque abbasside. Le juge, personnalité trop connue dans la ville, devait recruter des auxiliaires à cette fin. C’est ce que fit également Ibn Šubruma, réputé avoir employé pour la première fois des « maîtres des questions » (aṣḥāb al-masā’il) chargés de mener ces enquêtes secrètes829. Il n’est pas sûr que son initiative ait été poursuivie par ses successeurs à la judicature de Kūfa : il aurait luimême déclaré que les cadis suivants avaient abandonné les enquêtes secrètes830. Pourtant Ibn Abī Laylā, qui fut cadi après lui sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides, semble avoir aussi usé d’auxiliaires pour enquêter sur les témoins – on connaît un homme, ʿAlī b. Nizār, qui joua ce rôle au moins de manière épisodique831. Si Ibn Abī Laylā eut bien un ṣāḥib al-masā’il, comme l’affirme un autre récit, peut-être ne recourait-il encore à ses services qu’en cas de doutes sur la moralité d’un témoin832.
243Les techniques développées à Kūfa apparurent un peu plus tard en Égypte. Le cadi Ġawṯ b. Sulaymān (en poste à deux reprises entre 135/753 et 168/785) est connu pour avoir introduit à Fusṭāṭ les enquêtes secrètes833, probablement suite à un séjour en Irak où il put observer ce type de pratique834. Dans un second temps, vers 174/790, le cadi al-Mufaḍḍal b. Faḍāla introduisit la fonction de ṣāḥib al-masā’il dans la judicature égyptienne835, fonction que conservèrent les cadis égyptiens suivants836.
2.3.4. Vers une restriction de la capacité à témoigner
244Le droit musulman vint sanctionner l’organisation d’enquêtes systématiques sur les témoins. Les ḥanafites, qui pourtant continuaient à considérer le témoignage de tout un chacun comme ouvert tant qu’il n’était pas établi qu’il devait être rejeté (procédure par exclusion), se mirent à recommander la tenue d’enquêtes sur tous les témoins, y compris ceux dont le défendeur reconnaissait l’honorabilité837. De même, les mālikites et les šāfiʿites en vinrent à soutenir que le témoignage de tout musulman devait être rejeté en attendant que son honorabilité (ʿadāla) fût établie838. La question n’était plus désormais de savoir si une enquête était indispensable, mais d’en déterminer les modalités. Combien d’enquêteurs étaient-ils nécessaires ? Combien de personnes fallait-il interroger pour qu’un individu soit déclaré honorable ? Les déclarations à propos d’un témoin avaient-elles le statut de témoignage – auquel cas deux individus devaient déposer en faveur de chaque témoin ? Telles furent les questions auxquelles s’attelèrent désormais les juristes839.
245La systématisation des enquêtes eut à terme des conséquences plus profondes sur l’organisation du témoignage. Elle retourna en effet comme un gant la logique qui avait longtemps présidé à la sélection des témoins : d’une démarche exclusive, où tout un chacun était un témoin potentiel (sauf si…), l’institution judiciaire mit en place une démarche inclusive, où le témoignage de tout individu était suspendu dans l’attente que l’enquête établisse sa moralité, et donc sa fiabilité. Les discussions de juristes relatives à ces enquêtes peuvent être lues au miroir d’un tel retournement.
246La prolifération des enquêtes entraîna en effet des débats concernant la manière d’interpréter les réponses des personnes interrogées. Un premier problème fut soulevé : ces dernières oseraient-elles dire du mal de leurs voisins, même interrogées « en secret » ? Une tradition peut-être baṣrienne, remontant à Ibn Sīrīn mais probablement mise en circulation plus tard – tant son contenu paraît anachronique au début du viiie siècle – fait dire à Šurayḥ : « Interroge à propos [du témoin]. Si l’on te répond “Allāh est le plus savant ! Allāh est le plus savant !”, n’autorise pas leur [sic] témoignage, car les gens savent ce qu’ils disent : c’est un homme mauvais. Si en revanche on te répond “À notre connaissance, il n’y a rien à lui reprocher (lā ba’sa bi-hi)”, son témoignage est autorisé840. » La formule négative lā ba’sa bi-hi, faut-il remarquer, entre typiquement dans une démarche exclusive.
247La forme même (positive/négative) de telles réponses commença à être discutée dans la seconde moitié du viiie siècle. Pouvait-on se satisfaire d’une déclaration affirmant qu’il n’y avait pas de raison de l’exclure ? Ou fallait-il en obtenir une qui attribuait positivement la qualité de ʿadl au témoin, et l’incluait de la sorte parmi les personnes agréées ? Les ḥanafites et d’autres courants irakiens, fidèles à la tendance selon laquelle le témoignage devait a priori être accepté (sauf si…)841, continuèrent à valider les anciennes formules employées dans le cadre de l’enquête. Le ḥanafite Abū Yūsuf, mais aussi le Baṣrien al-Battī (m. 143/760-1), considéraient que la réponse « Nous ne connaissons rien de lui, si ce n’est du bien » (lā naʿlamu min-hu illā ḫayran) suffisait à établir la bonne moralité du témoin. En revanche, les mālikites comme les šāfiʿites refusaient cette formule et attendaient une déclaration inclusive sans équivoque, dans laquelle la personne interrogée affirmait explicitement que l’homme était « honorable » (ʿadl) à ses yeux842.
248L’importance croissante d’une ʿadāla positive transparaît jusque dans les textes narratifs, où les références à ce concept se multiplient à partir du iiie/ixe siècle. Dans les écrits d’Ibn Ṭayfūr (m. 280/893) relatifs au califat d’al-Ma’mūn, le témoin recevable appartient aux ahl al-ʿadāla wa-l-ṣalāḥ, les « gens honorables et sans défauts843 ». Viendrait bientôt le temps où le terme ʿadl apparaîtrait comme un synonyme de šāhid, le témoin n’étant plus conçu qu’à travers sa qualité d’homme honorable.
249Le développement de cette dynamique inclusive aboutit en fin de compte à restreindre drastiquement la capacité de témoigner. Tout commença à Fusṭāṭ, où les conditions sociopolitiques furent particulièrement favorables à une telle évolution : la centralisation des désignations par le calife abbasside se traduisit de plus en plus souvent par l’envoi de cadis « étrangers » à Fusṭāṭ qui ne pouvaient s’appuyer sur une connaissance de la population locale, et durent développer des réseaux réduits de témoins fiables844. En même temps qu’il instaurait un ṣāḥib al-masā’il, le cadi al-Mufaḍḍal b. Faḍāla établit un groupe de dix témoins chargés d’assister avec lui aux audiences. Il avait ainsi à sa disposition un corps d’hommes honorables sur qui compter, pour témoigner notamment de ses propres jugements. L’innovation fut déjà assez dérangeante pour susciter l’inquiétude de la population de Fusṭāṭ845. Le pas décisif fut franchi quelques années plus tard par le ḥanafite Muḥammad b. Masrūq al-Kindī. Vers 177/793, ce dernier rejeta le témoignage des gens ordinaires pour n’agréer que celui d’une élite sélectionnée et limitée en nombre846. Quelques années plus tard, le mālikite al-ʿUmarī (en poste de 185/801 à 194/810) confirma la constitution d’un groupe resserré de témoins et acheva la réforme en enregistrant (dawwana) leurs noms par écrit, c’est-à-dire en établissant une liste officielle847 ; un chef (ra’īs) fut placé à leur tête848. « C’est ainsi que l’on procède jusqu’à nos jours849 », commente al-Kindī.
250Le caractère strictement exclusif de ce groupe de témoins peut être mis en doute. Bien qu’al-Kindī affirme que les gens ordinaires ne virent plus leurs témoignages acceptés, le même auteur évoque des affaires impliquant la déposition d’hommes qui n’appartenaient manifestement pas à ce groupe à l’origine850. Al-Kindī semble par ailleurs faire une différence entre les šuhūd et d’autres individus se distinguant néanmoins « par leur capacité à témoigner » (mawṣūmīn bi-l-šahāda)851. Il est donc probable que, dans les faits, deux cercles de témoins aient existé : un groupe restreint de témoins « professionnels », enregistrés auprès du tribunal852, sur lesquels un cadi tel Lahīʿa b. ʿĪsā (en poste de 196/812 à 198/813, puis de 199/814 à 204/820) faisait renouveler les enquêtes tous les six mois853, et un cercle plus large de témoins occasionnels dont il était difficile de se passer pour certaines affaires, mais dont la parole risquait d’être récusée au tribunal – si tant est que le cadi accepte de les entendre854. Il n’en demeure pas moins que l’institution du témoignage professionnel (ou notariat) était née, et que désormais les habitants de Fusṭāṭ furent encouragés à faire appel à ce corps officiellement agréé pour faire témoigner de leurs transactions.
251D’après le récit d’al-Kindī, ce cercle restreint de témoins professionnels ne se définissait pas uniquement par la condition juridico-religieuse de la ʿadāla, mais aussi par les critères à connotation tant sociale que religieuse du sitr (respectabilité, qualité du mastūr, homme dont le comportement et l’entourage constituent un « voile » le protégeant du regard d’autrui855) et du faḍl (mérite/vertu)856. Une nouvelle élite d’hommes se distinguant tant par leur moralité religieuse que par leur respectabilité fut ainsi instaurée par l’institution judiciaire, remodelant les frontières sociales en excluant certaines notabilités de Fusṭāṭ857 et en intégrant des individus d’origine modeste, sans prestige personnel et n’appartenant à aucune des grandes familles locales858. Entrer dans un tel cercle n’offrait néanmoins nul statut définitif : les enquêtes étaient renouvelées tous les six mois et une récusation suffisait pour en être définitivement exclu859.
252Cette évolution ne fit pas l’unanimité. En effet la définition d’un groupe de témoins renversait la logique de la tazkiya. Auparavant, un témoin effectuait sa déposition, puis une enquête déterminait si son témoignage devait être agréé. Or la réforme opérée par les cadis de Fusṭāṭ signifiait que les témoins étaient agréés avant même d’avoir déposé. Sans doute en réaction, certains juristes s’opposèrent à cette pratique, tels les mālikites Ibn al-Māǧišūn (sans doute ʿAbd al-Malik b. al-Māǧišūn, m. 212/827) et al-Muṭarrif (m. 220/835)860. De fait, cette évolution semble être restée confinée à l’Égypte pendant plusieurs décennies, et ce n’est que dans la seconde moitié du iiie/ixe siècle qu’apparaissent des traces, en Irak, de la formation d’une élite caractérisée par l’aptitude à témoigner861. Alors que les écrits du juriste ḥanafite al-Ḫaṣṣāf (m. 261/874) ne conservent pas trace d’un témoignage « professionnel » et supposent, conformément à la doctrine d’Abū Ḥanīfa, que tout bon musulman est susceptible de témoigner862, au ive/xe siècle al-Ǧaṣṣāṣ évoque le classement d’une population donnée en catégories sociales hiérarchisées, procédure typique de l’établissement d’une élite de témoins instrumentaires863. Tout se passe comme si la place centrale qu’occupait le ḥanafisme, courant qui demeura le plus longtemps favorable à une dynamique exclusive du témoignage (« tout le monde peut témoigner (sauf si…) »), avait retardé la diffusion en Irak du modèle égyptien. Néanmoins, le point de vue des ḥanafites sur cette question ne tarda pas à évoluer, et alors que chez al-Ḫaṣṣāf le témoin est présumé honorable (sauf preuve du contraire), al-Ǧaṣṣāṣ émet de sérieux doutes à ce sujet, affirmant pour sa part que le fisq (« débauche », antonyme de la ʿadāla) est majoritaire864.
2.3.5. Le témoignage au fondement de la science islamique
253La mise en place de procédures sophistiquées afin de déterminer l’honorabilité des témoins eut des conséquences importantes au-delà du domaine judiciaire, en particulier dans les sciences religieuses. John Burton a déjà évoqué la ressemblance entre le témoignage et la transmission du ḥadīṯ, qui devaient tous deux privilégier la voie orale par rapport à celle de l’écrit865. Les ḥanafites eurent beau nier que le statut du témoignage (šahāda) soit similaire à celui du récit rapporté (ḫabar)866, le parallèle n’en était pas moins frappant. Cela n’échappa pas à al-Šāfiʿī (m. 204/820), qui ressent dans sa Risāla la nécessité de comparer presque point par point le témoignage et la transmission du ḥadīṯ867.
254Les procédures de tazkiya se développèrent alors même que le ḥadīṯ, prenant une importance croissante dans la culture musulmane, se dotait d’isnād-s et commençait à être sévèrement critiqué par les savants qui soupçonnaient le caractère apocryphe d’un grand nombre de traditions. Il n’y a pas lieu de traiter ici des méthodes critiques qui virent le jour dans ce domaine. Il convient en revanche de souligner que le vocabulaire de la science du ḥadīṯ plonge ses racines dans le champ lexical judiciaire. Il n’est que de mentionner l’expression al-ǧarḥ wa-l-taʿdīl, qui en vint à désigner au ive/xe siècle la science établissant ou rejetant la fiabilité des transmetteurs868, et qui reprend des verbes déjà employés auparavant pour évoquer la « récusation » d’un témoin ou la « reconnaissance de son honorabilité ». D’autres termes consacrés par la science du ḥadīṯ proviennent du champ judiciaire. Un témoin suspect est ainsi qualifié de ḍaʿīf (« faible ») dans un récit mettant en scène un cadi du viiie siècle869 ; l’adjectif en vint à s’appliquer au transmetteur qui commet des erreurs en raison d’une mémoire défaillante870. À l’inverse, le transmetteur idéal est qualifié de ʿadl, puisqu’il réunit les qualités religieuses et morales définissant le témoin honorable871.
255Que la personnalité des transmetteurs de ḥadīṯ ait commencé à faire l’objet d’investigations dans la seconde moitié du viiie siècle872, tandis que l’appareil judiciaire mettait au point des techniques d’enquête permettant d’évaluer la fiabilité des témoins, ne tient pas au hasard. Dans les deux domaines – la « science » et la justice –, on prit conscience que l’appartenance à l’islam ne garantissait pas l’honnêteté et que d’autres critères devaient être fixés afin d’approcher la vérité. Les réformes judiciaires précédèrent-elles la critique du ḥadīṯ ? Bien qu’il soit difficile de prouver une telle antériorité, les présomptions font pencher la balance en sa faveur. La fiabilité des transmetteurs du ḥadīṯ ne peut être établie qu’à partir du moment où ceux-ci sont connus : ce truisme implique un développement du système de l’isnād antérieur à celui de la critique des transmetteurs. Or, si l’apparition des isnād-s est difficile à dater – pour certains elle remonterait à la première fitna entre ʿAlī et Muʿāwiya, pour d’autres à la fin de l’époque omeyyade873 –, les chaînes de transmission ne se systématisèrent pas avant la fin du viiie ou le début du ixe siècle874, afin de garantir l’authenticité des traditions : elles agissaient, en quelque sorte, à la manière de témoins. Mais, comme nous l’avons vu, la vérification de la fiabilité des témoins correspond à une étape postérieure à la reconnaissance du témoignage comme preuve idéale. Aussi n’est-ce probablement qu’une fois le système de l’isnād bien établi que, le doute subsistant sur l’honnêteté de nombreux transmetteurs, des enquêtes sur leur personnalité furent instaurées par analogie avec le fonctionnement de l’institution judiciaire.
256Un dernier élément suggère l’antériorité des techniques judiciaires d’examen des témoins par rapport à la critique des transmetteurs. Comme nous l’avons évoqué plus haut, al-Šāfiʿī entreprend de comparer la critique du ḥadīṯ à celle des témoignages – en particulier rapportés (al-šahāda ʿalā l-šahāda) –, et cela afin de justifier l’autorité des traditions isolées (ḫabar al-wāḥid). Al-Šāfiʿī constate que nombre de traditionnistes manquent de rigueur en rapportant le ḥadīṯ d’après des individus qu’ils connaissent mal, qui eux-mêmes transmettent d’après des gens dont ils ignorent tout875. Ce type de transmission est comparable au témoignage rapporté, lorsqu’une personne transmet devant le cadi la déposition d’un témoin absent. La différence, dit l’auteur, est qu’un cadi n’accepte pas le témoignage rapporté s’il n’acquiert pas la conviction personnelle de l’honorabilité du témoin originel comme de celle du rapporteur876. En d’autres termes, al-Šāfiʿī préconise l’application à la science du ḥadīṯ des règles et méthodes en vigueur dans l’administration judiciaire. Au début du ixe siècle, la critique des témoignages en justice avait atteint une certaine maturité ; celle des rapporteurs de ḥadīṯ commençait à peine.
Conclusion
257Les normes régissant l’aptitude à témoigner prirent forme progressivement au cours des premiers siècles de l’Islam. Les incertitudes pesant sur le viie siècle ne permettent pas de remonter plus haut que les environs de l’an 700 ; il est en effet pour l’instant impossible de dire si les échos transmis par les sources postérieures ressortissent d’une pure reconstruction à des fins polémiques, ou si cette littérature conserve malgré tout l’empreinte des plus anciennes discussions sur le sujet. Les traces conservées pour l’époque marwānide ne permettent pas non plus de distinguer des évolutions régionales tranchées. Chacune des principales villes du Proche-Orient semblait adhérer à une opinion dominante, mais d’autres voix pouvaient, au même endroit, exprimer un avis différent. L’impression laissée par les sources les plus archaïques, comme les écrits de ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī et d’Ibn Abī Šayba, est celle d’un champ juridique en formation dans lequel les hommes communiquaient et où les idées circulaient.
258Les autorités de la première moitié du viiie siècle avaient beau défendre des idées différentes, on constate que leurs discussions abordaient des problématiques communes, que ce soit à Kūfa, Baṣra, Médine, La Mecque ou Damas : tout se passe comme si l’émergence d’une question à un endroit determiné, donnant lieu à une réponse locale, avait automatiquement entraîné une réaction à un autre endroit – fût-il éloigné de centaines de kilomètres. Ces interactions entre savants tissèrent le canevas de la réflexion juridique et des grandes questionscadres qui servit aux sommes de fiqh à partir de la fin du viiie siècle.
259S’il est une distinction régionale frappante, c’est celle que représente l’Égypte par rapport aux provinces orientales. Nulle autorité égyptienne d’époque marwānide n’apparaît dans les controverses relatives aux règles d’acceptation et de rejet des témoins. La première autorité égyptienne citée de manière régulière – mais dans des ouvrages plus tardifs que les Muṣannaf-s – est al-Layṯ b. Saʿd, actif au début de la période abbasside877. Faut-il en conclure, à l’instar de Schacht, que l’Égypte joua un rôle marginal dans la formation ancienne d’un droit musulman878 ? On ne peut exclure que des auteurs tels ʿAbd al-Razzāq (qui étudia et vécut dans la péninsule Arabique) et Ibn Abī Šayba (un Irakien) étaient peu au fait des opinions des Égyptiens (ou choisirent de les ignorer), tant ils se focalisaient sur une rivalité opposant surtout les Irakiens et les gens du Hedjaz. Il est pourtant vrai que, même chez al-Kindī, les allusions aux règles de l’acceptation/du refus du témoignage sont beaucoup moins nombreuses que chez Wakīʿ à propos de l’Irak, signe que les controverses qui purent avoir lieu à Fusṭāṭ (si tant est qu’elles se soient manifestées dès l’époque marwānide) ne laissèrent pas d’empreinte profonde dans la mémoire des Égyptiens.
260La réflexion sur la capacité à témoigner suivit une évolution qui peut être schématisée de la manière suivante :
L’une des premières questions soulevées fut celle de l’exclusion d’individus dont la parole pouvait être mise en doute en raison de leur inimitié connue avec le défendeur ou de leurs liens avec la personne en faveur de laquelle ils témoignaient, soit qu’ils soient au nombre de leurs proches parents, soit qu’ils partagent avec eux des intérêts économiques – associé (šarīk), bailleur (aǧīr), débiteur (muġram)879. En fonction du contexte, ce type de discrédit put s’étendre à des catégories sociales entières : ašrāf connus pour leur trop forte solidarité avec les membres de leur tribu, groupes tribaux en cas de tensions tribales fortes, comme dans les dernières décennies des Marwānides. La réflexion s’engagea par ailleurs à propos de catégories de la population dont le statut personnel (enfants, femmes, esclaves, ḏimmī-s) permettait de douter qu’elles pussent témoigner au même titre que les autres.
Rapidement, les brèves recommandations coraniques relatives à l’éviction de certains témoins donnèrent lieu à une réflexion sur les critères moraux et religieux à prendre en compte pour agréer un témoin. Cet effort aboutit à la mise en avant d’une ʿadāla définie par un comportement spécifique.
L’épanouissement du concept de ʿadāla remit en cause le témoignage d’individus ou de groupes dont la foi n’était pas conforme à celle de la majorité ou au dogme promu par le pouvoir. L’exclusion de groupes « hétérodoxes » commença vers la fin de l’époque marwānide et se prolongea – à des échelles plus ou moins grandes selon le contexte historique – jusqu’à culminer pendant la miḥna, dans la première moitié du ixe siècle.
261Si, à l’échelle macroscopique, les opinions juridiques et les pratiques judiciaires connues permettent difficilement de reconstruire des blocs régionaux distincts sous les Marwānides, le renforcement des structures judiciaires qui se produisit à l’époque abbasside, en lien avec la centralisation opérée par le calife al-Manṣūr et ses successeurs, mit en branle de nouvelles dynamiques institutionnelles. Le dialogue entre tendances juridiques se doubla d’interactions entre modèles d’organisation administrative distincts. Le recours aux commissions d’enquêtes sur les témoins, expérimenté pour la première fois en Irak à la fin de la période omeyyade, trouve son développement le plus abouti en Égypte une cinquantaine d’années plus tard, avant que le modèle égyptien ne vienne à son tour modifier les pratiques judiciaires irakiennes. Le régionalisme que l’historien peut percevoir dès l’époque marwānide apparaît ainsi comme dialectique : il serait faux de concevoir un Empire islamique divisé clairement entre traditions régionales opposées. Les lignes de partages étaient mouvantes, et évoluaient parallèlement aux interactions entre savants et institutions.
3. LES PREUVES LÉGALES : LE SERMENT JUDICIAIRE
262Nombre de cultures eurent recours au serment, parole par laquelle un individu s’engage devant le divin et s’expose par là même à son châtiment. Il était connu des anciens Arabes880, des droits romain, sassanide et canonique881. En tant que telle, l’utilisation du serment dans un cadre judiciaire n’a donc rien d’exceptionnel ni de significatif pour l’histoire d’une institution. En revanche, les modalités du serment peuvent accuser des différences : serments décisoires, supplétoires, etc., ne sont pas employés dans toutes les traditions ; le rôle dans le procès de la personne à laquelle est déféré le serment est également un marqueur important de la procédure.
263Depuis les travaux de Joseph Schacht et de Robert Brunschvig, l’histoire du serment judiciaire a fait l’objet d’un profond réexamen par Christopher Melchert. Partant du célèbre ḥadīṯ selon lequel « la preuve (bayyina) incombe au demandeur, et le serment (yamīn) à celui qui nie », il montre que, contrairement à cette maxime classique, les deux parties pouvaient à l’origine recourir au serment ou se le voir prescrire. C’est seulement plus tard, vers le deuxième quart du viiie siècle, que le milieu juridique kūfiote aurait rationalisé les pratiques et restreint la capacité de prêter serment au défendeur882.
264Melchert appuie avant tout ses résultats sur une analyse détaillée du ḥadīṯ prophétique et de la littérature juridique. Nous proposons ici un réexamen historique fondé, autant que possible, sur les traces des anciennes pratiques des cadis, en prenant en considération les usages multiples qui purent être faits du serment en justice.
3.1. Quand les témoins devaient prêter serment
265Le serment judiciaire apparaît dans le Coran à propos de « curieuses dispositions », selon l’expression de Robert Brunschvig, « relatives aux témoins du testament oral que fait le voyageur à l’article de la mort »883. Curieuses, ces dispositions le sont en effet dans la mesure où, entrant en contradiction évidente avec les règles du fiqh classique, elles donnèrent du fil à retordre aux exégètes. Ceux-ci ne ménagèrent point leur peine pour donner une interprétation plus « orthodoxe » à un verset qui fait écho à des procédures archaïques rapidement rejetées par les savants.
[106] Ô vous qui croyez ! Quand la mort se présente à l’un de vous, deux hommes intègres, choisis parmi les vôtres, seront appelés comme témoins au moment du testament, – ou bien deux étrangers, si vous êtes en voyage et que la calamité de la mort vous surprenne – vous retiendrez ces deux témoins après la prière. Si vous n’êtes pas sûrs d’eux, vous les ferez jurer par Dieu : « Nous ne ferons pas argent de cela, même au bénéfice d’un proche. Nous ne cacherons pas le témoignage de Dieu, car nous serions, alors, au nombre des pécheurs. » [107] Si l’on découvre que ces deux témoins sont coupables de péché, deux autres plus intègres, parmi ceux auxquels le tort a été fait, prendront leur place. Tous deux jureront par Dieu : « Oui, notre témoignage est plus sincère que celui des deux autres. Nous ne sommes pas transgresseurs, car nous serions, alors, au nombre des injustes. » [108] Il sera ainsi plus facile d’obtenir que les hommes rendent un témoignage vrai ou qu’ils craignent de voir récuser leurs serments après qu’ils les auront prononcés884.
266L’expression clé de ce passage, qui permit de lui donner une interprétation judiciaire, est « vous retiendrez ces deux témoins (taḥbisūna-humā) après la prière885 ». Sans cette expression, qui renvoie à un contexte où les témoins sont en présence non plus du mourant, mais d’autres membres de la communauté, ces versets pourraient simplement faire allusion à leur serment, au moment de leur prise à témoin par le mourant – et non plus tard –, de rester fidèles à leur parole. Ces trois versets demeurent toutefois ambigus. Ils entremêlent en effet deux concepts qui, aux yeux des juristes musulmans postérieurs, sont rigoureusement séparés : celui du témoignage et celui du serment. Deux hommes qualifiés de « témoins » sont appelés à prêter serment. Cela signifiait-il que l’on devait jurer de la véracité de son témoignage ? La question fut indubitablement posée, et dans son commentaire du Coran, al-Ṭabarī répond par la négative : « Nous ne sachons pas qu’Allāh ait mentionné quelque affaire nécessitant que le témoin prête serment », affirme-t-il à propos de ce verset886. Il y aurait eu là une contradiction flagrante avec les procédures mises en œuvre à son époque, contradiction que d’autres, avant lui, avaient déjà tenté de résoudre.
267Selon le commentaire plus ancien de Muqātil b. Sulaymān (m. 150/767), ces versets auraient été révélés à propos de Budayl b. Abī Māriya, mawlā d’al-ʿĀṣ b. Wā’il al-Sahmī, qui mourut sur le navire l’emmenant en Abyssinie dans le cadre de son commerce. Il confia ses biens à deux chrétiens qui l’accompagnaient et leur demanda de les remettre à sa famille. Quand il fut mort, les deux hommes jetèrent sa dépouille à la mer et s’approprièrent une aiguière d’argent sertie d’or qui lui avait appartenu. À leur retour à Médine, ils remirent à ses héritiers le reste de ses biens. Trouvant le testament au milieu des affaires qui leur avaient été remises, les héritiers interrogèrent les deux chrétiens pour savoir si c’était là tout ce que Budayl avait laissé, ce que les deux hommes affirmèrent. Pris de soupçons, les héritiers en référèrent au Prophète, qui fit arrêter les deux hommes et leur fit prêter serment après la prière de l’après-midi. Plus tard, on trouva l’aiguière dont ils s’étaient emparés. Les deux chrétiens prétendirent qu’ils l’avaient achetée à Budayl avant sa mort. Ils furent ramenés devant le Prophète qui, cette fois-ci, fit prêter serment à deux héritiers du défunt que l’aiguière faisait bien partie de ses possessions, et que les deux chrétiens l’avaient trahi887.
268Le récit exégétique proposé par Muqātil b. Sulaymān a notamment pour fonction de dissocier les rôles alloués aux deux hommes : celui de témoin et celui de jureur. Les deux chrétiens apparaissent en effet tout d’abord comme « témoins » de la volonté du défunt, rôle qu’ils assument jusqu’à ce qu’ils aient rapporté ses effets aux héritiers. Néanmoins, à partir du moment où ces derniers ont saisi le Prophète de l’affaire, et accusent, implicitement, les deux hommes de mentir, ceux-ci se retrouvent en position d’accusés, et c’est en tant que tels que le Prophète les appelle à prêter serment. Leur parole étant plus suspecte que jamais après que l’aiguière a été retrouvée, le serment est déféré à leurs accusateurs.
269Le Tafsīr d’al-Ṭabarī tente de manière plus évidente encore de faire entrer les trois versets problématiques dans le moule juridique de son temps. Dans le verset 106, le terme šahāda pourrait ne pas être compris dans le sens de « témoignage », mais dans celui de la simple « présence » auprès du mourant. Selon cette explication, le Coran n’appellerait pas à faire témoigner de son testament, mais à faire venir deux hommes près de soi. Al-Ṭabarī pousse l’interprétation encore plus loin : pour lui, le terme šahāda ne peut renvoyer à un « témoignage » devant le juge, mais doit être considéré comme synonyme de « serments » (aymān)888. Les deux « témoins » du testament ne sont donc pas appelés à prêter serment en tant que témoins, mais en tant que plaideurs devant faire face à l’accusation portée contre eux par les héritiers889.
270La tradition exégétique tendit donc, dès le viiie siècle, à imposer à ces versets une grille de lecture adaptant la prescription coranique à une tradition judiciaire qui séparait strictement le témoignage du serment, et imposait ce dernier à la partie accusée. Il est pourtant probable que telle ne fut pas la lecture des premières générations de musulmans. Al-Ṭabarī s’en fait l’écho quand il nie, à deux reprises, la possibilité que les deux hommes soient appelés à jurer de la véracité de leur témoignage. Il répond à l’interprétation de « certains » (qu’il ne nomme pas), selon lesquels « les deux hommes sont deux témoins témoignant du testament », et non de simples exécuteurs testamentaires (waṣī-s)890. Il semble ainsi que d’aucuns, au début de l’Islam, comprirent les trois versets coraniques comme une incitation à faire prêter serment à des témoins : selon l’expression de Joseph Schacht, ceux-ci jouaient un rôle de compurgator (témoin qui prouve par serment l’innocence d’un individu), les témoins étant moins appelés à prouver qu’à affirmer par serment la vérité de la revendication de leur camp891.
271Qu’une telle exégèse ait été de mise paraît confirmé par quelques traditions sporadiques relatives aux pratiques judiciaires du premier siècle de l’hégire. « Quand un témoin faisait l’objet d’accusations, Šurayḥ lui faisait prêter serment », rapporte Wakīʿ892. À Baṣra, Abū Mūsā al-Ašʿarī laissa l’image d’un cadi qui appliquait scrupuleusement le verset 5 : 106, appelant des témoins chrétiens à prêter serment, après la prière de l’après-midi, lors d’une affaire de testament893. L’exemple de Šurayḥ peut bien sûr être soupçonné de reconstructions ; celui d’Abū Mūsā vient illustrer une interprétation du texte coranique qui ouvre le témoignage aux non-musulmans dans une affaire de succession, question controversée chez les exégètes. Ces récits n’en montrent pas moins que, chez les générations suivantes, réclamer un serment aux témoins n’apparaissait ni absurde ni contraire aux procédures en vigueur.
272La prestation de serment par des témoins est particulièrement attestée à Baṣra au début de l’époque abbasside. Le cadi Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste à trois reprises entre 137/754-5 et 156/773) disait réclamer un serment aux témoins qui lui paraissaient suspects, et mit en application cette position à propos d’un témoignage rapporté894. Un autre récit montre le même Sawwār qui accepte, de mauvaise grâce, la déposition d’un témoin ayant spontanément juré « par Allāh que [son] témoignage était conforme à la vérité » ; il lui demanda néanmoins de ne plus revenir témoigner devant lui895. Son successeur, ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan (en poste de 156/773 à 166/782-3) désapprouva cette manière d’agir – pour lui un témoignage ne devait être accepté que si le témoin était regardé comme honorable –, signe que les règles de la procédure, en pleine consolidation et systématisation, excluaient de plus en plus ce type de pratique.
273Le serment des témoins n’est attesté ni au Hedjaz, ni à Fusṭāṭ, mais surtout à Baṣra896. On peut d’ailleurs penser que les versets 106-108 de la sourate al-Mā’ida y eurent une influence profonde sur les procédures. Même quand il ne leur faisait pas prêter serment, le cadi Sawwār b. ʿAbd Allāh demandait aux témoins de prononcer la formule « je rends témoignage de Dieu que… » (ašhadu šahādat Allāh ʿalā kaḏā)897. L’expression « témoignage de Dieu », tirée du même verset, était ambiguë aux yeux des écoles juridiques postérieures : comment un témoin pouvait-il transmettre le témoignage de Dieu ? La plupart des autres juristes, y compris certains Baṣriens, rétorquaient qu’on ne pouvait proposer que son propre témoignage. Une tradition remontant à Šurayḥ, transmise par Ibn Sīrīn, le fait ainsi s’opposer à cette formule898. Témoigner du « témoignage de Dieu » continuait de rapprocher le témoignage du serment, ce que la procédure classique finit par rejeter. Entre-temps, le développement de la réflexion sur la ʿadāla et les critères de recevabilité du témoignage avaient écarté assez de témoins pour qu’il ne soit plus jugé nécessaire de les faire jurer. Comme le dit beaucoup plus tard le mālikite Ibn Farḥūn (m. 799/1397), si un homme était honorable, son honorabilité suffisait pour qu’il puisse témoigner ; et s’il ne l’était pas, son serment ne compensait rien et il ne pouvait pas déposer en justice899.
274Le serment des témoins n’en fut pas pour autant écarté définitivement du fiqh : selon Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, en al-Andalus, le cadi cordouan Muḥammad b. Bašīr (m. 198/813) fit jurer des témoins lors d’une succession900, et le mālikite Ibn Waḍḍāḥ (m. 286/899)901 préconisait que le juge agisse ainsi « à cause de la corruption des gens902 ». Ibn ʿAbd al-Rafīʿ (m. 733/1332) transmet l’opinion selon laquelle les femmes témoignant (sans hommes) d’une chose qu’elles sont seules à pouvoir observer doivent compléter leur déposition par un serment903. Plusieurs siècles plus tard, le ḥanbalite Ibn Qayyim al-Ǧawziyya (m. 751/1350) acceptait cette procédure lorsque la « nécessité » (ḍarūra) obligeait à entendre des témoins suspects904. Le retour à des pratiques de l’Islam préclassique, rejetées ou oubliées, put ainsi inspirer certains des profonds renouveaux institutionnels de l’époque mamelouke.
3.2. Le serment du demandeur
275Dans son souci de répartir les modes de preuve en fonction du rôle joué par les plaideurs dans le procès, la doctrine juridique sunnite classique établit une frontière entre une bayyina qu’il revient au demandeur de produire et, en l’absence de témoignages, un serment qui échoit au défendeur. Les stratégies adoptées par les plaideurs permettant une inversion des rôles au cours du procès (un défendeur accusé de dette alléguant ensuite qu’il l’a remboursée, par exemple), chacun peut alternativement recourir aux deux types de preuve, mais non en faire un usage simultané. La répartition des preuves n’était pourtant pas aussi tranchée aux premiers temps de l’Islam.
3.2.1. La procédure du double serment
276Christopher Melchert remarque que dans certains cas où un vendeur et un acheteur divergeaient sur une transaction, le juge pouvait les faire jurer : s’ils prêtaient tous les deux serment, ou s’ils refusaient tous les deux, la vente était annulée ; si l’un prêtait serment mais non son adversaire, la revendication du jureur était jugée acquise905. Cette procédure, dont Melchert souligne qu’elle est promue par le Baṣrien Ibn Sīrīn dans le Muṣannaf de ʿAbd al-Razzāq906, est aussi mentionnée chez Wakīʿ d’après le même personnage, ce qui semble confirmer que cette procédure fut particulièrement défendue à Baṣra907. Dans les Aḫbār al-quḍāt, Ibn Sīrīn ne se contente pas de promouvoir ces doubles serments, mais en attribue la paternité à Šurayḥ : ce dernier l’aurait appliquée alors qu’un acheteur prétendait avoir acquis une jument qui, selon le vendeur, était sur le point de mettre bas. Šurayḥ fit jurer le vendeur qu’il la savait enceinte au moment de la vendre, et fit jurer l’acheteur que la jument n’était pas tombée depuis qu’il l’avait achetée908. Une seconde tradition, remontant à Šurayḥ par Ibn Sīrīn, montre que cette procédure n’impliquait pas seulement le serment : en cas de conflit sur la marchandise entre un vendeur et un acheteur, il est dit que Šurayḥ leur demandait d’abord, à tous les deux, une bayyina (celui qui la produisait l’emportait), et c’est uniquement en l’absence de témoignages que les deux parties étaient appelées à prêter serment909. Dans cette affaire, tout se passe comme si le cadi devançait la contre-attaque du défendeur, qui aurait pu, se trouvant dans l’impossibilité de prouver que la jument était enceinte au moment de la vente, accuser l’acheteur de dissimuler la perte postérieure du poulain. Mais cette procédure archaïque montre surtout que les rôles dans le procès n’étaient pas clairement répartis – ce que reflètent aussi les cas de bayyina-s concurrentes se paralysant910.
277Sur la base de ces autorités du viiie siècle, la procédure du double serment se maintint dans les écoles juridiques classiques en cas de divergence entre vendeur et acheteur sur le prix d’une marchandise911. Les šāfiʿites continuèrent de faire prêter serment aux deux parties même si celles-ci produisaient des bayyina-s, considérant que les témoignages se neutralisaient en ce cas. En revanche, la tradition kūfiote semble avoir développé dès la fin de la période omeyyade des techniques évitant de recourir à ce double serment. Le cadi Ibn Šubruma préconisait de s’appuyer sur des présomptions : en cas de divergence entre vendeur et acheteur, ce dernier devait être cru à condition qu’il prête serment, à moins que le vendeur ne produise une bayyina. Sans renier la procédure du double serment, les ḥanafites recommandèrent plus tard qu’en présence de bayyina-s de la part des deux plaideurs, celle du vendeur l’emportât912. De même, chez les mālikites, ce n’est que dans les cas où nulle présomption ne pouvait être établie en faveur d’une des parties que le double serment fut conservé. Dans la Fusṭāṭ du début du ixe siècle, Ibn ʿAbd al-Ḥakam dresse ainsi des listes de situations où la présomption penche en faveur d’une partie à laquelle est par conséquent déféré le serment913. Le double serment, peu conforme à l’idéal du faṣl al-ḫiṭāb, devait être évité au maximum.
3.2.2. Un serment en plus de la bayyina
278Nous avons vu qu’à l’époque marwānide, de nombreuses provinces recouraient à la procédure dite al-yamīn maʿa l-šāhid, permettant au demandeur de 327 prêter serment en plus d’un témoin unique, comme pour compléter une bayyina tronquée. Cette procédure, qui fut employée de manière temporaire dans plusieurs traditions juridiques, ne fut sanctionnée dans le fiqh classique que par l’école mālikite et d’autres écoles fidèles, sur ce point, aux anciennes pratiques médinoises. Cette procédure n’est pas la seule à attribuer deux modes de preuve complémentaires au demandeur.
279Christopher Melchert relève en effet qu’un certain nombre de juristes défendirent une procédure dans laquelle le double témoignage se voyait complété par le serment du demandeur914. Le Muṣannaf d’Ibn Abī Šayba rattache implicitement cette procédure à une tradition kūfiote : sa mise en œuvre est attribuée au calife ʿAlī dans des récits rapportés par des cadis kūfiotes tels Ḥafṣ b. Ġiyāṯ (m. c. 194/809-10), Ibn Abī Laylā et Saʿīd b. al-Ašwaʿ (en poste vers 105/723-4). Les cadis de Kūfa Šurayḥ915 et al-Šaʿbī916 sont supposés l’avoir appliquée ou s’être prononcés en sa faveur, ainsi que ʿAbd Allāh b. ʿUtba (en poste de 65/684-5 à c. 67/686-7)917. Encore sous les derniers Omeyyades, les cadis de Kūfa Ibn Šubruma et Ibn Abī Laylā recouraient au serment du demandeur en plus de ses témoins918.
280Cette pratique indubitablement kūfiote fut mise en œuvre jusqu’à la fin de l’époque omeyyade919. Plusieurs traditions rattachant cette procédure à Šurayḥ empruntent un isnād clairement baṣrien, passant par Ayyūb [al-Saḫtiyānī] (m. 131/749) et Muḥammad b. Sīrīn (m. 110/729)920, ce qui suggère qu’une telle procédure fut aussi mise en avant à Baṣra, au moins sur le plan théorique. Un autre Baṣrien, l’ibāḍite al-Rabīʿ b. Ḥabīb (m. c. 176/786)921, défendit l’idée que le demandeur devait prêter serment en plus des témoignages qu’il produisait – ajoutant que le défendeur n’avait pas à jurer si le demandeur n’amenait pas de témoins922. Mais cette position ne faisait pas l’unanimité chez les ibāḍites de Baṣra et Abū Ġānim al-Ḫurāsānī se réclame en la matière de ʿAbd Allāh b. ʿAbd al-ʿAzīz (mort à une date inconnue, mais contemporain d’al-Rabīʿ b. Ḥabīb), qui prônait de s’en tenir à la répartition des preuves définie par le faṣl al-ḫiṭāb923. Il n’est pas sûr, cependant, que la procédure fût jamais appliquée au tribunal de Baṣra, car nul cadi baṣrien n’est recensé parmi ceux qui y recoururent. Elle n’est pas non plus connue pour Médine, et elle n’apparaît en Syrie que dans des recommandations d’al-Awzāʿī924. Selon Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, elle aurait en revanche resurgi à Bagdad, où le cadi du côté est, ʿAwn b. ʿAbd Allāh – peut-être originaire de Kūfa – y aurait recouru en 193/809925. Une vingtaine d’années plus tôt, Abū Yūsuf se serait appuyé sur l’exemple d’Ibn Abī Laylā pour demander au calife al-Hādī (r. 169/785-170/786) de jurer que ses témoins disaient la vérité, dans le cadre d’un procès qui lui était intenté à propos d’un jardin ; pour ne pas prêter serment, le calife aurait renoncé à celui-ci926.
281On retrouve encore cette procédure à Fusṭāṭ dans la première moitié du ixe siècle : Ibn Ḥaǧar rapporte dans son Rafʿ al-iṣr que le cadi ʿĪsā b. al-Munkadir (en poste de 212/827 à 214/829) adopta le yamīn al-istiẓhār (« serment de clarification ») – appellation postérieure de la procédure où le demandeur prête serment en plus de sa bayyina927 – sur le conseil de ʿAbd Allāh b. ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829), « car les hommes s’étaient corrompus928 ». Mais globalement, la prestation de serment par le demandeur en plus de sa bayyina tomba en désuétude. Ibn Ḥazm note que ni Abū Ḥanīfa, ni Mālik b. Anas, ni al-Šāfiʿī, ni Ibn Ḥanbal n’y étaient favorables929. La pratique fut cependant préservée dans le chiisme zaydite et ismāʿīlien. Le Musnād al-imām Zayd, compilé à la fin du iiie/ixe siècle, place toujours cette procédure sous l’autorité de ʿAlī930. À la fin du ive/xe siècle, al-Qāḍī al-Nuʿmān est encore favorable au serment du demandeur si, une fois que ce dernier a produit sa bayyina, le défendeur continue de nier. Le demandeur doit alors jurer que le défendeur lui doit encore ce qu’il lui réclame931. Dans sa Risāla ḏāt al-bayān, il envisage même que le cadi propose systématiquement au défendeur incapable de réfuter les preuves de son adversaire de réclamer à ce dernier un serment en plus de sa bayyina932.
282Cette procédure ne fut sans doute jamais appliquée de manière systématique. C’est uniquement à la demande du défendeur, dit une tradition remontant à Šurayḥ, qu’un serment complémentaire était exigé du demandeur933. La question de la relation qu’entretient cette procédure avec celle dite al-yamīn maʿa l-šāhid – où le serment du demandeur s’ajoute à un témoignage unique – est problématique. Christopher Melchert interprète la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid comme un développement de la pratique consistant à faire prêter serment à un demandeur en plus de sa bayyina934. Cette explication suppose que la procédure bayyina + serment du demandeur est antérieure à celle al-yamīn maʿa l-šāhid. Or, les données textuelles ne permettent pas une telle conclusion : les deux procédures apparaissent à peu près à la même époque dans les sources, pour autant que l’on puisse remonter au-delà des années 700. Par ailleurs, nous avons vu que la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid était quasiment absente à Kūfa, alors que c’est dans cette ville qu’apparaît le plus la procédure bayyina + serment du demandeur. Enfin, la bayyina ne sembla s’affirmer comme mode préférentiel de preuve qu’au début du viiie siècle, et nous avons vu que Kūfa semblait avoir joué un rôle important dans sa promotion.
283Tout cela conduit à postuler l’existence d’un lien étroit entre le recours croissant à la bayyina et la procédure bayyina + serment du demandeur. On peut en effet penser que ces deux pratiques participent d’un même mouvement visant à imposer le double témoignage comme preuve préférentielle. L’adjonction d’un serment à la bayyina serait à mettre en relation avec la question cruciale de la fiabilité des témoins : alors que l’institution n’avait pas encore trouvé le moyen de déterminer leur crédibilité par le biais d’enquêtes systématiques, l’adjonction d’un serment par le demandeur permettait de pallier, au cas par cas, aux doutes qui pouvaient subsister quant à la moralité de certains935. La procédure bayyina + serment du demandeur aurait disparu quand l’institution généralisa les enquêtes de tazkiyya.
284Remarquons enfin que l’association entre bayyina et serment transparaît dans la lettre de ʿUmar à Muʿāwiya, dont nous avons évoqué plus haut certains des archaïsmes936. Dans cette lettre, les deux types de preuve (témoignage et serment) ne sont pas exclusifs l’un de l’autre : la conjonction de coordination « et » (wa-) permet de les interpréter comme des procédés complémentaires, voire cumulables937. Elle laisse ainsi ouverte la possibilité, pour un plaideur, de recourir à la fois aux témoins et au(x) serment(s) (le sien ou celui des témoins). Qu’une telle lecture ait été envisageable semble confirmé par les remaniements ultérieurs de la lettre, visant à empêcher cette interprétation et à faire mieux correspondre les instructions du deuxième calife à la procédure classique. Ainsi dans al-ʿIqd al-farīd d’Ibn ʿAbd Rabbih (m. 328/940), l’expression « la preuve [est constituée de] témoins honorables et de serments décisifs » (fa-l-bayyina al-ʿudūl wa-laymān al-qāṭiʿa) est-elle remplacée par « exige la bayyina honorable ou le serment décisif » (fa-ʿalay-ka bi-l-bayyina al-ʿādila aw al-yamīn al-qāṭiʿa)938. En séparant strictement ces deux modes de preuve, alternatifs et non cumulables, la lettre se coula dans le moule d’une procédure classique répartissant les preuves selon le rôle du plaideur dans le procès.
3.2.3. Le serment référé au demandeur (radd al-yamīn)
285Dans le fiqh classique, la seule circonstance dans laquelle un plaideur en situation de demandeur est appelé à jurer est celle où le défendeur refuserait de prêter lui-même serment (en l’absence de bayyina), auquel cas ledit serment peut être référé au demandeur – qui doit alors jurer du bien-fondé de sa prétention. Cette procédure, appelée radd al-yamīn (litt. « le renvoi du serment »), est acceptée tant par les mālikites et les šāfiʿites que par les imamites et les zaydites : le cadi doit en pareil cas juger en faveur du demandeur si ce dernier prête serment, en faveur du défendeur s’il refuse939. Pour les mālikites, le cadi se voit dans certaines circonstances obligé de référer le serment au demandeur même si le défendeur ne le demande pas940. Les ḥanafites, quant à eux, rejettent cette procédure et le refus de prêter serment par le défendeur entraîne sa condamnation par le cadi941. Les ibāḍites sont plus mitigés. D’aucuns, tels Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, l’acceptent. Mais des autorités plus anciennes rejettent catégoriquement le radd al-yamīn, jugeant que cette procédure enfreint la sunna concernant la répartition des preuves : si un demandeur n’a pas de bayyina, le défendeur n’a d’alternative que de prêter serment ou d’avouer, et le cadi peut l’emprisonner jusqu’à ce que le défendeur choisisse une de ces deux options942. Plus tard, les ḥanbalites se prononcèrent généralement aussi contre le radd al-yamīn, condamnant le défendeur sur son simple refus de prêter serment943.
286L’usage du radd al-yamīn était connu de l’administration judiciaire omeyyade. Alors que les ḥanafites y sont hostiles, c’est paradoxalement à Kūfa que la procédure apparaît le plus. Si les traditions attribuant son utilisation à Šurayḥ reflètent sans doute une théorie plus tardive944, la pratique y est également attribuée aux cadis ʿAbd Allāh b. ʿUtba (en poste de 65/684-5 à 67/686-7 ?)945 et al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1)946, et quelque temps plus tard à Ḥusayn b. al-Ḥasan al-Kindī (en poste de 104/722-3 à c. 105/723-4)947. Sous les derniers Omeyyades et/ou les premiers Abbassides, les cadis Ibn Šubruma et Ibn Abī Laylā référaient encore le serment au demandeur948. Dans la seconde moitié de l’époque marwānide, le radd al-yamīn semble avoir été régulièrement employé par les cadis kūfiotes. Une fois encore, la doctrine ḥanafite représenta donc une rupture avec les anciennes pratiques judiciaires de Kūfa, si ce n’est avec la tradition juridique majoritaire dans cette cité.
287Le radd al-yamīn n’est associé aux cadis de nulle autre ville d’Orient. De surcroît, pratiquement aucune autorité de la période omeyyade n’est invoquée par les juristes classiques en vue de justifier ou de réfuter cette procédure. Celle-ci n’est pas mentionnée par ʿAbd al-Razzāq dans son Muṣannaf, et si Ibn Abī Šayba l’évoque bien une fois en lien avec le Kūfiote al-Šaʿbī, le chapitre qu’il consacre à « l’homme que l’on appelle à jurer et qui s’abstient de prêter serment » entend illustrer que dans la majorité des cas, le refus de jurer entraîne une condamnation par le cadi. Et Ibn Abī Šayba d’avancer les exemples du Kūfiote Šurayḥ et du Mecquois Ibn Abī Mulayka, ainsi qu’une tradition manifestement médinoise rapportée par Yaḥyā b. Saʿīd al-Anṣārī949. Al-Šāfiʿī, qui promeut le recours au radd al-yamīn dans la procédure civile, n’en justifie l’usage que par des précédents en réalité relatifs à la qasāma950 – serment collectif prêté en cas d’homicide par la partie accusatrice (sauf chez les ḥanafites, pour lesquels ce sont les accusés qui doivent jurer951), et référé à la partie accusée si le nombre de jureurs est insuffisant chez les accusateurs. Au vu de cette littérature juridique, l’historien ne peut donc s’empêcher de penser que la réflexion sur le radd al-yamīn ne se développa que de manière assez tardive.
288Le radd al-yamīn apparaît bien dans le Muwaṭṭa’de Mālik b. Anas, tant dans le cadre de la procédure civile ordinaire952 qu’à propos de la qasāma953. Il y est présenté comme conforme à la tradition vivante de Médine, le ʿamal954, mais nul exemple historique de juge médinois ne vient, ni chez Mālik ni chez aucun autre auteur, parer la procédure d’une autorité jurisprudentielle.
289La seule association de cette procédure avec des cadis de Kūfa est donc problématique. On pourrait se demander si l’opposition des ḥanafites au radd al-yamīn n’amena pas certains adversaires kūfiotes du courant ḥanafite – notamment Sufyān al-Ṯawrī, transmetteur de plusieurs récits relatifs à cette pratique955 – à mettre en avant le fait que d’anciens cadis locaux y recouraient. L’insistance sur l’adoption de cette procédure par des cadis de Kūfa serait alors provoquée par la rupture que représentait la doctrine ḥanafite, et l’on ne pourrait en déduire que la procédure n’était pas appliquée ailleurs. Cette hypothèse est cependant fragile. En effet l’opposition au ḥanafisme fut surtout le fait d’écoles rivales qui se réclamaient d’autres traditions régionales, notamment médinoises. On devrait donc s’attendre, s’il s’agissait juste de contrer le refus ḥanafite du radd al-yamīn, à ce que les mālikites et les šāfiʿites recherchent l’autorité de cadis médinois, ou au moins de juristes associés à la tradition médinoise, pour prouver la licéité de cette procédure. Or, comme nous venons de le voir, ce ne fut pas le cas : aucune autorité de Médine n’était manifestement connue pour avoir référé le serment au demandeur.
290Faut-il donc conclure que nous avons là affaire à une procédure d’origine kūfiote qui, rejetée par les ḥanafites, trouva plus tard à s’épanouir dans les courants mālikite et šāfiʿite rivaux ? Si cette hypothèse s’avérait exacte, cela renforcerait l’idée, déjà proposée de manière sous-jacente, d’une profonde redistribution des cartes au sein des maḏhab-s classiques, dont la filiation avec les anciennes écoles « régionales » semble de plus en plus difficile à établir – au moins pour le ḥanafisme, qui apparaît en rupture avec les principaux courants kūfiotes antérieurs. En second lieu, cela confirmerait le rôle prééminent que joua Kūfa dans la formation des procédures judiciaires.
3.3. Le serment du défendeur
3.3.1. Premiers développements de la procédure
291Dans la théorie juridique classique, la répartition des preuves entre demandeur et défendeur provoque un mouvement de balancier quasi automatique. Si le premier n’a pas de preuve testimoniale à produire, toutes les écoles juridiques préconisent que le cadi se tourne vers le second et lui demande de prêter un serment l’innocentant de l’accusation dont il fait l’objet956. Comme nous l’avons vu à propos du témoignage, ce mouvement de balancier mit du temps à se mettre en place. Au viie et encore au début du viiie siècle, dans toutes les villes étudiées, les deux parties pouvaient indistinctement produire des témoignages sans que le serment soit mécaniquement déféré à une partie identifiée comme celle du défendeur. À l’exception de Kūfa, où une théorie des présomptions semble s’être développée très tôt, l’absence de répartition claire des rôles et des modes de preuve pouvait aboutir à des impasses judiciaires : nulle partie ne l’emportait, chacune se voyait condamnée à partager l’objet du litige avec la partie adverse, ou le vainqueur était tiré au sort. Il est probable que la théorie d’un serment déféré à une partie plutôt qu’une autre fut élaborée afin de remédier à de telles difficultés. De ce point de vue, les propos attribués au Médinois al-Zuhrī (m. 124/742) marquent une étape vers la systématisation de l’âge classique : en cas d’égalité entre les bayyina-s, dit-il, le serment doit être déféré au défendeur957. Le tirage au sort n’était plus de mise dans la première moitié du viiie siècle ; pour autant, les deux parties pouvaient toujours produire des preuves testimoniales susceptibles de se neutraliser. C’est là que le serment du défendeur entre en scène, permettant de départager les adversaires.
292Dans le Muṣannaf d’Ibn Abī Šayba, Kūfiotes et Médinois se disputent la paternité de l’attribution du serment au défendeur. À Médine, la référence au serment du défendeur remonte aussi haut que le califat de ʿUmar, alors que la ville n’avait pas de cadi et que le recours à des arbitres occasionnels était la norme. Lors d’une dispute entre le Compagnon Ubayy b. Kaʿb et ʿUmar, Zayd b. Ṯābit aurait été pris pour ḥakam et ce dernier aurait déféré un serment au défendeur958. Al-Zuhrī aurait plus tard affirmé, d’après Saʿīd b. al-Musayyab (m. 94/713), que « la coutume/pratique impose (maḍat al-sunna) que le serment revienne au défendeur959 ». La procédure faisait donc partie de la sunna māḍiya, pratique médinoise continue, venue du passé et toujours appliquée dans le présent960. Dans le Muwaṭṭa’, Mālik évoque aussi la procédure où le serment revient au défendeur (avant d’être éventuellement référé au demandeur) comme « la pratique de chez nous » (al-amr ʿinda-nā)961, c’est-à-dire une forme de ʿamal dérivant d’autorités postprophétiques962. Les Kūfiotes, pour leur part, attribuaient la pratique à Šurayḥ963 et à al-Šaʿbī964. Il est néanmoins frappant de constater qu’à part ces autorités, aucun autre cadi kūfiote n’est associé au serment du défendeur965.
293La pratique consistant à déférer le serment au défendeur est également mentionnée à propos d’autres villes. Un récit relatif à Kaʿb b. Sūr, cadi de Baṣra sous ʿUmar, évoque le serment qu’il réclama d’un ḏimmī sans que le rôle de ce dernier dans le procès ne soit précisé966. Le premier exemple explicite de défendeur appelé à prêter serment à Baṣra date du tournant du viiie siècle, sous la judicature de Mūsā b. Anas (en poste de c. 78/697-8 à 83/702)967. Plusieurs cadis baṣriens recoururent ensuite à de tels serments, comme Iyās b. Muʿāwiya (en poste de 95/713-4 à 101/719-20)968, al-Ḥasan al-Baṣrī (en poste en 99/717-8)969, Ṯumāma b. ʿAbd Allāh (en poste de 106/724-5 à 110/728-9)970, Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste à trois reprises entre 137/754-5 et 156/773)971, ou encore ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan al-ʿAnbarī (en poste de 156/773 à 166/782-3)972. À Bagdad, déférer le serment au défendeur semble avoir été une pratique bien établie dans la seconde moitié du viiie siècle973.
294Il convient néanmoins de relativiser le caractère systématique de la répartition des preuves en fonction du rôle joué dans le procès. Celle-ci demeura encore un temps théorique. Certains des manuels juridiques les plus anciens provoquent en effet l’impression que le rôle attribué à chacun des plaideurs pouvait varier selon les cas. Ainsi en va-t-il dans le Muḫtaṣar al-kabīr du mālikite égyptien Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 214/829). Ce dernier évoque le cas suivant : deux associés font leurs comptes et l’un rédige une quittance (barā’a) pour son compère ; le rédacteur de la quittance vient ensuite devant le cadi pour réclamer quelque chose qui n’y est pas mentionné, mais l’associé prétend que la somme y est en réalité incluse. C’est l’associé qui doit prêter serment. Accusé par son compagnon de devoir encore de l’argent, il est effectivement en position de défendeur. Cependant dans la mesure où il prétend que la somme est incluse dans la quittance, il est aussi demandeur, de manière secondaire. Ici tout se passe donc comme si le rôle principal dans le procès déterminait la répartition des preuves974. Une page plus loin, en revanche, un cas différent se présente : un homme rembourse sa dette et son créancier meurt peu après. Ses héritiers réclament le remboursement de la dette et l’ancien débiteur n’a pas de bayyina pour prouver qu’il a déjà rendu l’argent. Les héritiers prêtent serment qu’ils n’ont pas connaissance du remboursement. En ce cas, c’est le rôle secondaire du débiteur qui est pris en compte (celui de demandeur quand il prétend avoir payé ce qu’il devait), et non son rôle principal de défendeur face aux accusations des héritiers975. Il en va de même lorsqu’un débiteur, mis en accusation par son créancier, affirme avoir acquitté sa dette. C’est le créancier qui doit jurer, non en vertu de son rôle principal (demandeur), mais à cause de son rôle secondaire (défendeur face aux allégations de son débiteur, qui prétend avoir remboursé)976.
3.3.2. Des réticences face au serment
295Comme le serment s’ajoutant à la bayyina, celui du défendeur n’était déféré par le cadi qu’à la demande d’un plaideur (en l’occurrence le demandeur)977. Certaines réticences face à ce type de serment commencent à poindre à Médine et à Baṣra au début du viiie siècle. Iyās b. Muʿāwiya (en poste à Baṣra de 95/713-4 à 101/719-20) aurait adhéré à l’opinion de son contemporain médinois al-Qāsim b. Muḥammad978, qui préconisait de ne pas recourir systématiquement au serment du défendeur. Il convenait, dit-on, de prendre d’abord en compte la moralité des plaideurs : si un débauché (fāǧir) en appelait contre un homme de bien (ṣāliḥ), et que beaucoup regardaient sa réclamation comme mensongère, le cadi ne déférait pas le serment à l’homme de bien (en position de défendeur), et jugeait qu’en l’absence de preuves produites par le demandeur, la plainte n’était pas sérieuse979. Cette opinion d’origine médinoise, mais dont l’influence se faisait sentir jusqu’à Baṣra au début du viiie siècle, fut plus tard entérinée (sous couvert du ʿamal) par Mālik b. Anas dans son Muwaṭṭa’ : le serment n’était déféré qu’au terme d’un examen d’où il ressortait que les deux plaideurs avaient bien été en affaire980. Faire prêter serment était quelque chose de grave, auquel on ne pouvait recourir qu’à condition que l’accusation paraisse fondée. À Kūfa, le cadi al-Qāsim b. ʿAbd al-Raḥmān (en poste de 102/720-1 à 104/722-3) se montrait lui aussi réticent face à la perspective de faire jurer certains défendeurs981. Un récit selon lequel Abū Ḥanīfa aurait été contraint d’exercer la judicature pendant quelques jours au début de l’époque abbasside évoque sa crainte d’avoir à réclamer un serment au défendeur et les stratégies d’évitement auxquelles il aurait recouru : il aurait préféré payer de sa poche la somme réclamée par un demandeur plutôt que de déférer le serment au défendeur982.
296Aux yeux d’un défendeur peu scrupuleux, prêter serment pouvait s’avérer une manière facile de se dédouaner d’une accusation. Cela explique certaines des hésitations qui transparaissent dès les années 720. Quand le cadi de Baṣra Ṯumāma b. ʿAbd Allāh (en poste de 106/724-5 à 110/728-9) voulut faire jurer un défendeur face à une demandeuse qui n’avait pas de bayyina, celle-ci se récria que son adversaire risquait de prêter un serment mensonger. Elle suggéra de faire plutôt jurer un voisin de son adversaire, Isḥāq b. Suwayd, un savant réputé digne de confiance983 ; le cadi accepta et fit prêter serment à ce tiers984. La postérité, étonnée par une telle absurdité, jugea que ce cadi devait avoir les idées bien embrouillées. L’anecdote montre cependant combien recourir au serment du défendeur passait pour un mode de preuve incertain985. Encore au début de l’époque abbasside, le cadi de Médine Muḥammad b. ʿImrān (en poste de 132/749 à 133/750, puis de c. 137/754-5 à 141/758-9) admonestait le défendeur avant de le faire jurer, demandant à Dieu de provoquer sa ruine (terrestre, puis céleste) s’il s’aventurait à prêter un serment mensonger986.
297La réticence de certains cadis à l’idée de faire jurer un défendeur n’est pas anodine. En s’engageant devant Dieu, le plaideur risquait l’enfer. Or, était-il possible de jurer d’un état de fait sans être omniscient ? Face au risque de perdition, beaucoup de plaideurs devaient préférer s’abstenir de prêter serment987. C’est pourquoi les milieux juridiques irakiens de la première moitié du viiie siècle, parallèlement à la généralisation d’une procédure requérant le serment du défendeur, commencèrent à s’interroger sur le contenu de sa déclaration. Le défendeur devait-il jurer « dans l’absolu » (al-batta) qu’il était innocent de l’accusation dont il faisait l’objet, ou devait-il se contenter de jurer de sa bonne foi ? La question se posait notamment en cas de vice (ʿayb) affectant une marchandise. Une tradition kūfiote considérait, d’après l’exemple de Šurayḥ, qu’un serment absolu était requis en cas de vice apparent (ẓāhir), mais qu’un serment de bonne foi, par lequel le défendeur jurait n’avoir pas eu connaissance du défaut, était suffisant en cas de vice caché (bāṭin)988. La comparaison des isnād-s laisse penser que cette doctrine se cristallisa à la fin de la période omeyyade, à l’époque où le lien commun de sa transmission, al-Muṭarrif [b. Ṭarīf] (m. entre 133/750-1 et 143/760-1)989, la mit probablement en circulation990. Peut-être entre-temps des cadis kūfiotes comme al-Qāsim b. ʿAbd al-Raḥmān (en poste à Kūfa de 102/720-1 à 104/722-3) jouèrent-ils un rôle dans la promotion d’un serment de bonne foi, par lequel le défendeur ne jurait que de ce dont il avait connaissance991. À la fin des Omeyyades et au début des Abbassides, le cadi kūfiote Ibn Abī Laylā continuait de promouvoir, pour un grand nombre de litiges, un serment fondé uniquement sur la connaissance que le jureur avait de l’affaire992.
298Notons enfin que la capacité des mineurs (ṣibyān) à prêter serment est rarement discutée, alors que leur témoignage fit très tôt l’objet de controverses. À Kūfa, selon une tradition remontant, par l’intermédiaire d’al-Šaʿbī, à Šurayḥ, celui-ci eut à examiner le cas d’un mineur en position de défendeur dans un procès pour dette. Šurayḥ fut d’avis que le mineur ne pouvait prêter serment et aurait fait jurer le père que son fils ne devait pas la somme réclamée, ce qui provoqua le commentaire plus tardif d’un certain Muġīra (transmetteur de la génération postérieure à celle d’al-Šaʿbī) : « Cela ne nous étonne pas, mais [en pareil cas, le père] doit jurer par Allāh qu’il n’a pas connaissance que son fils doive cette somme993. » Qu’un mineur ne puisse prêter serment en justice semblait aller de soi dans la Kūfa du début du viiie siècle, mais la solution à ce problème faisait encore l’objet de tâtonnements. C’est dans l’Égypte du début du ixe siècle que l’on voit se profiler une théorisation plus systématique. Le mālikite égyptien Ibn ʿAbd al-Ḥakam affirme que les enfants n’ont pas besoin de prêter serment dans un litige successoral si des adultes sont aussi appelés à jurer994. L’auteur affirme plus loin qu’ils n’ont pas le droit de prêter serment pour d’autres affaires. Si un individu confie une somme à un enfant pour payer un achat, mais que l’enfant nie avoir reçu de lui l’argent, il ne peut prêter serment. Le juriste cherche donc un moyen détourné d’établir la vérité – il semble ici acquis que le demandeur n’a pas de bayyina – : le cadi demandera au vendeur de jurer qu’il n’a pas reçu l’argent et qu’il pense que l’enfant l’a volé995. Comme dans l’exemple de Šurayḥ commenté par Muġīra, c’est à nouveau à un tiers, qui n’est ni le demandeur ni le défendeur, qu’incombe la prestation de serment. Ibn ʿAbd al-Ḥakam considère que le mineur ne peut jurer qu’une fois qu’il a atteint la majorité996.
3.3.3. Le « jugement de David », une innovation du viiie siècle ?
299Déterminer le lieu et l’époque précise où la répartition stricte des preuves – bayyina et serment – se mit en place reste pour l’instant difficile. Christopher Melchert estime que la formule du faṣl al-ḫiṭāb ne s’imposa pas avant le deuxième quart du viiie siècle997. L’association précoce du serment du défendeur avec la pratique médinoise permet par ailleurs de supposer que c’est à Médine que cette partie de la procédure se développa en premier, avant de se répandre à Baṣra puis à Kūfa.
300Il apparaît en tout cas qu’une telle répartition rigoureuse fut ressentie à Kūfa comme une innovation. Une tradition rapportée par Ǧarīr < al-Aʿmaš (Kūfiote, m. 148/765 ?998) < Ḥabīb b. Sinān (transmetteur uniquement connu pour avoir rapporté à al-Aʿmaš999) relate que Šurayḥ intimait à tous les demandeurs qui se présentaient devant lui : « Tes deux témoins, ou son serment (i.e. celui du défendeur) ! » Un homme s’étonna de ce que le cadi appliquait indistinctement cette procédure à tout le monde1000. De fait, bien que l’anecdote soit vraisemblablement projetée sur une période où une telle systématisation n’était pas encore de mise, la répartition rigoureuse des preuves dut trancher avec les procédures plus archaïques que nous avons eu l’occasion d’examiner.
301La réponse de Šurayḥ aux protestations de l’homme est intrigante : « Il ose critiquer le jugement de David ? » se serait récrié le cadi1001. Cette surprenante qualification de la procédure mérite une explication. Le prophète David apparaît dans le Coran sous l’image d’un justicier, comparable en cela au Salomon biblique1002. Tandis que ce dernier usait de stratagèmes bien connus afin de découvrir la vérité des faits – comme dans l’histoire des deux sœurs revendiquant le même nourrisson –, David apparaît dans la tradition islamique en juge peutêtre moins efficace, mais plus rigoureux, s’appuyant sur des présomptions comme la possession ou d’autres règles tirées de « sa Loi (šarīʿa)1003 ». La place importante que joua David dans la représentation musulmane de la justice a laissé des traces épigraphiques. Le Wādī al-ʿUsayla, à 12 kilomètres au nord de La Mecque, conserve ainsi une inscription datée de 80/699-700, mentionnant le verset 38 : 26 dans lequel David est invité à juger les hommes avec justice (al-ḥaqq), sans suivre les passions qui risqueraient de l’écarter du chemin de Dieu (fig. 7)1004.
302Dans le Coran, David est celui à qui Dieu donna la sagesse (ḥikma) et « l’art de prononcer des jugements » (faṣl al-ḫiṭāb)1005 … Ce faṣl al-ḫiṭāb que, précisément, la tradition remontant à Šurayḥ identifiait à la maxime imposant que « la double preuve testimoniale (bayyina) incombe à celui qui allègue, et le serment (yamīn) à celui qui nie1006 ». Tout laisse croire qu’en associant cette stricte répartition des preuves à la fameuse formule coranique – en elle-même ambiguë – et, pardelà, à la figure de David, la tradition kūfiote remontant à la première moitié du viiie siècle (peut-être le deuxième quart, voire le début du troisième, si l’on considère qu’al-Aʿmaš mit ce récit en circulation) tentait d’imposer une procédure qui ne faisait pas encore l’unanimité1007. L’origine kūfiote de cette stricte répartition des preuves est étayée par un récit relatif au cadi ʿĪsā b. al-Musayyab al-Baǧalī, dans la Kūfa des années 730. Ce cadi originaire de Médine avoua au gouverneur de Kūfa, Ḫālid al-Qaṣrī, qu’il ne connaissait pas les règles de la judicature. « C’est très simple, dit le gouverneur. Il y a un demandeur et un défendeur ; le demandeur doit produire une bayyina, et le défendeur doit prêter serment1008 ! » L’histoire entend ridiculiser un Médinois ignorant de règles aussi basiques – le pauvre cadi s’emmêla ensuite dans sa pratique judiciaire, ne parvenant à distinguer le demandeur du défendeur –, mais elle n’en décrit pas moins une situation vraisemblable, dans laquelle le gouverneur impose au cadi le respect d’une procédure désormais de mise à Kūfa.
303L’impression que la répartition systématique des modes de preuve mit du temps à s’imposer est renforcée par un récit relatif au cadi al-Qāsim b. ʿAbd al-Raḥmān (en poste à Kūfa de 102/720-1 à 104/722-3). Al-Aʿmaš (m. 148/765) relate qu’il se trouvait auprès du cadi quand deux plaideurs se présentèrent. Le demandeur n’avait pas de bayyina et réclama que le cadi fasse prêter serment à son adversaire. Réticent, le cadi insista pour que le demandeur amène des témoins et n’oblige pas le défendeur à jurer. Al-Aʿmaš se récria alors que de telles exigences ne pouvaient qu’encourager le demandeur à produire des faux témoins1009 ! Ce ḫabar suggère que dans les années 720, la procédure consistant à déférer le serment au défendeur en l’absence de bayyina du demandeur n’était toujours pas normalisée, ou du moins que certains cadis hésitaient encore à l’appliquer. Des savants tel al-Aʿmaš jouèrent probablement un rôle, en invoquant l’exemple de Šurayḥ, dans la généralisation de cette procédure. Dans la seconde moitié du viiie siècle, néanmoins, l’ibāḍite baṣrien al-Rabīʿ b. Ḥabīb (m. c. 176/786) préconisait toujours le recours à une procédure très différente de celle du faṣl al-ḫiṭāb : la bayyina comme le serment revenaient au demandeur – ensemble, le demandeur ne pouvant jurer s’il n’avait pas de témoins –, et le défendeur ne pouvait prêter serment qu’à condition que le demandeur ait produit des témoins1010.
304La systématisation de la répartition des preuves laissait néanmoins ouverte la question de leur hiérarchie. Si le demandeur produisait une bayyina, il l’emportait. S’il n’en apportait pas et que le défendeur prêtait serment, le jugement était rendu en faveur de ce dernier. Mais que se passait-il si le demandeur, après que son adversaire eut juré, finissait par apporter la bayyina qu’il n’avait su produire au préalable ? Sa preuve testimoniale était-elle acceptable ? La réponse nécessitait une hiérarchisation des preuves (bayyina et serment), qui semble s’être mise en place en même temps que leur stricte répartition s’imposait. Ainsi, la tradition baṣrienne se réclame de Šurayḥ pour affirmer que la bayyina, dans la mesure où elle repose sur le témoignage d’individus en principe honorables et neutres (ou du moins non impliqués dans le procès), est supérieure au serment du défendeur. Une maxime juridique vint incarner cette hiérarchie : « Le double témoignage juste/honorable vaut mieux que le serment débauché » (al-bayyina al-ʿādila ḫayr min al-yamīn al-fāǧira)1011. Cette position justifiait qu’une bayyina apportée par le demandeur après le serment du défendeur soit malgré tout recevable et l’emporte1012. Selon Ibn Ḥazm, une position similaire fut défendue par Sufyān al-Ṯawrī et al-Layṯ b. Saʿd1013, et l’on retrouve la même idée au début du ixe siècle chez l’Égyptien Ibn ʿAbd al-Ḥakam1014. À cette doctrine s’oppose l’idée – peut-être plus ancienne mais encore présente chez l’ibāḍite al-Rabīʿ b. Ḥabīb – que le serment du défendeur permet de clore le procès. En effet, al-Rabīʿ n’acceptait pas que le cadi tienne compte d’une bayyina produite par le demandeur après que son adversaire eut juré : double témoignage honorable et serment avaient une valeur équivalente1015. Cette position n’eut pratiquement pas de postérité immédiate1016. Le recours de plus en plus fréquent au serment, dans une procédure rationalisée selon la formule du faṣl al-ḫiṭāb, vint ainsi en retour renforcer la valeur du double témoignage honorable, plus que jamais érigé en preuve absolue. Il fallut attendre Ibn Ḥazm (m. 456/1064) pour que ce principe soit remis en cause : le juriste ẓāhirite refuse quant à lui de regarder la preuve testimoniale comme supérieure au serment, à moins que le cadi n’ait la certitude que le témoignage est juste devant Dieu et que le serment est mensonger1017. Cette opinion resta néanmoins isolée.
3.4. Premières conclusions sur le serment
305Les informations disponibles sur le serment nous ont jusqu’ici conduit à privilégier une approche thématique. Tentons de synthétiser les apports des sources selon une grille géographique.
306Dans la Kūfa marwānide, les cadis avaient recours à plusieurs types de serments judiciaires. Un serment était parfois requis du demandeur en plus de sa bayyina ; il pouvait être déféré au défendeur et, bien souvent, référé au demandeur (radd al-yamīn). Le double serment du demandeur et du défendeur semble également avoir occupé une place importante au début du viiie siècle. L’époque marwānide est cependant marquée par un processus de rationalisation : vers la fin de la période (deuxième quart du viiie siècle), les cadis mettent en œuvre des stratégies permettant d’éviter le double serment (aux résultats peu convaincants), et systématisent une répartition des preuves selon le rôle joué dans le procès – bayyina produite par le demandeur, serment prêté par le défendeur. En grossissant le trait, la Kūfa du début du viiie siècle recourt au serment de manière éclectique, et le défère souvent – plus qu’ailleurs – au demandeur (en plus de la bayyina ou par le biais du radd al-yamīn). Cinquante ans plus tard, Kūfa a éliminé une grande partie de ces serments et limite leur utilisation au « jugement de David », procédure où le défendeur jure en l’absence de preuve testimoniale produite à son encontre, et où son serment demeure, quoi qu’il en soit, moins probant que la bayyina de son adversaire.
307Si Baṣra partage avec Kūfa le recours au double serment (au moins au niveau théorique), elle s’en distingue par les autres procédures qui y sont mises en œuvre. Le serment des témoins y est tout d’abord plus attesté que partout ailleurs, en particulier au début de l’époque abbasside ; il est possible (bien que ce ne soit là qu’une hypothèse) que la pratique ait été plus ancienne et remonte à la période omeyyade. Si le radd al-yamīn n’y est attesté que d’un point de vue théorique, les cadis de Baṣra semblent avoir insisté très tôt (plus tôt qu’à Kūfa en tout cas) pour que le serment soit rattaché au rôle de défendeur.
308Baṣra partage ce dernier développement avec Médine. Bien que les exemples pratiques manquent, il semble que dès le début du viiie siècle les juristes médinois aient insisté pour que le serment soit associé au défendeur, ce qui fut rapidement considéré comme le ʿamal de la ville. En revanche, le serment des témoins n’est pas attesté à Médine. Si le radd al-yamīn est associé, dans la seconde moitié du viiie siècle, au ʿamal de Médine, nulle autorité ou cadi médinois n’est connu pour l’avoir mis en œuvre à l’époque omeyyade, ce qui laisse soupçonner que la procédure s’y développa plus tardivement que la tradition ne le reconnaît.
309Les usages du serment à Fusṭāṭ, enfin, sont très peu connus. Ni le serment des témoins, ni le radd al-yamīn n’y sont attestés. Parmi tous les usages du serment répertoriés ailleurs, seul celui du demandeur apparaît tardivement, au début du ixe siècle, et correspond peut-être à une pratique exceptionnelle.
310Ces éléments conduisent à formuler plusieurs remarques. En premier lieu, les usages du serment variaient non seulement d’une ville à l’autre, mais évoluèrent aussi au sein de chaque cité au cours de la période marwānide. Les variations à l’intérieur d’une même région sont suffisamment importantes pour empêcher d’identifier une « école » irakienne par opposition à une médinoise ou hedjazienne. Si ligne de fracture il y eut en la matière, celle-ci passait entre Kūfa, d’un côté, et le couple Baṣra-Médine de l’autre. Tandis que Kūfa, pendant longtemps, associa aisément le serment au demandeur, Baṣra et Médine se rangèrent de manière précoce en faveur d’un serment prêté par le défendeur. Remarquant une frontière comparable dans d’autres domaines du droit, Christopher Melchert a proposé, développant en cela les conclusions de Joseph Schacht1018, que Kūfa et Baṣra se trouvaient au centre de la réflexion juridique sous les Omeyyades, et que la doctrine médinoise ne fut qu’une projection de la théorie baṣrienne1019. Comme le souligne Melchert, les données disponibles à propos du serment ne sont pas incompatibles avec ce modèle1020. Mais elles ne le confirment pas non plus, les procédures partagées par Baṣra et Médine étant avant tout connues à travers des développements théoriques qui plongent sans conteste leurs racines dans l’époque omeyyade. En l’absence d’élément déterminant, la prudence s’impose, et il est préférable de constater simplement que Baṣra et Médine évoluèrent, sous les Marwānides, dans une mouvance commune. Située plus au sud que Kūfa, aux portes du désert d’Arabie, Baṣra ne fut pas vue par tous les géographes comme appartenant à l’Irak. Selon al-Aṣmaʿī (m. 213/828), la péninsule Arabique s’étendait jusqu’à al-Ubulla (port de Baṣra, situé au-delà de cette dernière par rapport à l’Arabie), incluant ainsi Baṣra1021. Dans la seconde moitié du viiie siècle, la reconnaissance de cette frontière géographique eut des conséquences juridiques majeures : de là dépendait la nature des impôts que devaient payer les habitants du territoire baṣrien, et l’on vit le cadi ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan al-ʿAnbarī juger que les Baṣriens, à l’instar des autres habitants de la péninsule Arabique, ne devaient payer que la ṣadaqa1022. Malgré la distance qui séparait Baṣra de Médine, il existait manifestement un sentiment d’appartenance à un espace commun, et il est possible que dans plusieurs domaines – notamment juridique –, les interactions entre habitants de ces deux villes aient été particulièrement poussées. Le scénario selon lequel Médine n’aurait joué qu’un rôle juridique marginal (voire inexistant) aux premiers temps de l’Islam, la doctrine baṣrienne y étant plus tard projetée, mérite ainsi d’être au moins provisoirement mis de côté au profit d’un modèle prenant en compte la complexité des constructions culturelles. Peut-être faut-il concevoir des modèles judiciaires se développant de manière conjointe à Médine et à Baṣra, sans qu’une « origine » aussi illusoire que celle de la poule ou de l’œuf puisse être retrouvée, à travers les interactions constantes qu’entretenaient leurs habitants et premiers juristes.
311Une seconde remarque concerne le rôle joué par Kūfa dans l’élaboration des procédures. Pour autant qu’on puisse en juger, cette ville semble marquée au début du viiie siècle par des pratiques plus éclectiques qu’ailleurs. Plusieurs d’entre elles furent ensuite abandonnées dans le cadre d’un processus de « rationalisation » déjà constaté par Christopher Melchert1023. S’il n’est pas sûr, comme l’affirme ce dernier1024, que Kūfa fut responsable du rétrécissement du serment au défendeur – les données ci-dessus laissent plutôt penser à une démarche médinobaṣrienne –, ses cadis jouèrent incontestablement un rôle dans l’imposition d’une répartition stricte de modes de preuve hiérarchisés, par l’adoption d’une procédure associée à David et au faṣl al-ḫiṭāb mentionné à son propos dans le Coran. Nous voudrions proposer ici l’hypothèse que les évolutions majeures qui se produisirent à Kūfa, tant dans la pratique judiciaire que dans la théorie juridique qui s’y associait, contribuèrent à ériger cette ville en principal centre d’élaboration du droit. L’éclectisme originel de ses pratiques suscita vraisemblablement des polémiques internes dont les traces imprégnèrent longtemps la mémoire de la ville et furent enregistrées plus tard dans les premiers ouvrages de ḥadīṯ et de fiqh. Ces polémiques – qui étaient encore d’actualité à l’époque d’Abū Ḥanīfa et de ses disciples – auraient ainsi eu un effet grossissant, tant au viiie siècle que dans l’historiographie postérieure. À l’inverse, le manque d’informations sur les serments pratiqués et théorisés dans une ville comme Fusṭāṭ suggère une certaine unité dans les anciennes pratiques, peu propice à l’éclosion de débats ou de polémiques, et laissant ainsi l’Égypte dans l’ombre de l’histoire du droit.
4. AUTRES TYPES DE PREUVE
4.1. La preuve écrite
4.1.1. « Le témoignage des morts »
312Les actes écrits occupent une place indéniable dans l’histoire juridique et judiciaire de l’Islam, depuis les premiers papyrus jusqu’aux siǧillāt ottoman : nul ne saurait prétendre que le juridique ne passa pas, en grande partie, par l’écrit dès une époque ancienne1025, et que les documents ne prirent pas une place grandissante au fur et à mesure que se précisaient les formulaires (šurūṭ) destinés à consolider leur valeur1026. Aide-mémoire enregistrant des témoignages, l’acte notarié constituait une pièce essentielle dans l’affirmation des droits subjectifs, mais en théorie au moins, fut généralement marginalisé en tant que preuve. Le fiqh lui préférait des types de preuve oraux (témoignage, serment), ou insistait pour que l’écrit soit validé par de telles preuves1027. De ce point de vue, le fossé qui sépare le Coran qui recommande, en cas de transactions, l’établissement de documents (Coran, 2 : 282), et une pratique judiciaire reléguant l’écrit à une place secondaire, a souvent été remarqué par les chercheurs1028.
313La valeur probatoire de l’écrit disparut probablement très tôt dans l’histoire de l’Islam1029. Joseph Schacht souligne que Jean Damascène considérait déjà, dans la première moitié du viiie siècle, le témoignage comme typique des procédures de l’Islam1030. Cela ne signifie point, pourtant, que l’écrit ne se vit pas reconnaître une force probatoire au tout début de l’Islam, dans la lignée des injonctions coraniques. Un des plus anciens recueils de traditions connus, celui du Yéménite ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī (m. 211/826), s’en fait l’écho dans un passage, obscur au premier abord, consacré à ce qui fut qualifié de « témoignage des morts » (šahādat al-mawtā) :
ʿAbd al-Razzāq nous rapporta d’après Ibn Ǧurayǧ, d’après Ibn Šihāb [al-Zuhrī] :
Aux premiers temps (fī l-zamān al-awwal), on rendait la justice sur la base du témoignage des morts. Mais quand les gens devinrent iniques et se mirent à coucher par écrit (iktitāb)1031 le témoignage des morts, les cadis décidèrent, à la fin de la période (fī āḫir al-zamān), d’abroger le témoignage des morts ainsi que la possibilité d’intenter un procès à toute personne décédée. Cela ne demeura possible qu’à condition que le demandeur (ṭālib al-ḥaqq) produise des témoins rapportant le témoignage des morts, ou bien un écrit authentique, afin que l’on reconnaisse l’écriture (kitāb) de son auteur. Quiconque produisait un témoignage se voyait octroyer ce qu’établissait la déposition. Si quelqu’un amenait un écrit dont l’écriture était reconnue comme celle de l’auteur1032, on demandait au défendeur1033 de prêter serment : « Par Allāh, celui qui se réclame de cet écrit contre notre compagnon n’a aucun droit1034 ! » S’il refusait de jurer, le demandeur devait prêter le serment suivant : « Par Allāh, cet écrit est authentique ! » Tel est ce qui nous est parvenu à propos de la manière dont on rendait la justice sur la base du témoignage des morts aux premiers temps et à la fin de la période. Allāh sait mieux que quiconque de quoi il retourne1035 !
314Le sens de ce curieux « témoignage des morts », qui fait peut-être écho aux interrogations des premiers musulmans sur le sens du verset 5 : 106-1081036, est expliqué beaucoup plus tard par Ibn Qayyim al-Ǧawziyya (m. 751/1350). Muḥammad b. al-Ḥāriṯ1037, dit-il, demanda un jour à un cadi s’il autorisait le « témoignage des morts ». Surpris par cette question insolite, le cadi lui demanda ce qu’il entendait par là. Et l’autre de lui répondre : « Vous autorisez le témoignage d’un homme après sa mort lorsque vous trouvez son écriture sur un document (waṯīqa)1038 ! » Le récit de ʿAbd al-Razzāq, malgré les incertitudes pesant sur les dernières lignes, suggère qu’au milieu de l’époque omeyyade, al-Zuhrī gardait le souvenir d’un temps révolu où le document pouvait se voir accorder la valeur d’un témoignage. Il se substituait en quelque sorte à la parole du témoin, et la perpétuait au-delà de sa mort.
315Les sources narratives gardent de rares traces d’un tel recours à la preuve écrite. Al-Balāḏurī relate, d’après al-Wāqidī, le récit d’un litige foncier qui, sous le règne de Muʿāwiya, opposa à Médine le fondé de pouvoir du calife et ʿAbd al-Raḥmān b. Zayd b. al-Ḫaṭṭāb. Tandis que ce dernier avançait avoir une « preuve » (bayyina, terme qu’al-Wāqidī et al-Balāḏurī interprètent sans doute comme une preuve « testimoniale » conformément au sens qu’avait pris ce terme à leur époque) du bien-fondé de sa revendication, son adversaire se prétendit en possession d’un « document » (kitāb) rédigé par le calife ʿUṯmān et prouvant que ce dernier avait alloué la terre disputée à Muʿāwiya. Le gouverneur de Médine, devant qui l’affaire fut portée, s’abstint de trancher. Aux yeux des rapporteurs postérieurs, il va de soi que la bayyina aurait dû l’emporter et que le gouverneur n’a pas osé rendre le jugement qui s’imposait contre le calife1039. Une interprétation alternative est néanmoins possible : les règles de répartition des preuves n’étant pas encore définies, ni la valeur probatoire de l’écrit rejetée, le gouverneur pourrait simplement avoir considéré que les preuves réunies se neutralisaient.
316La multiplication des documents contrefaits – se prétendant la parole de morts qui, par définition, n’étaient plus là pour authentifier leurs écrits – aurait conduit au rejet de la valeur probatoire de tels documents, assimilés rétrospectivement à des « témoignages de morts » afin de mieux souligner l’impossibilité de les accepter comme fiables. La preuve écrite, selon le récit d’al-Zuhrī rapporté plus haut, ne demeura possible qu’à condition d’être accompagnée d’un serment – reproduisant un phénomène déjà entrevu à Baṣra, où le témoignage unique fut abandonné au profit de la bayyina, mais avec une transition d’une cinquantaine d’années au cours desquelles le témoignage unique resta possible à condition d’être accompagné du serment du demandeur. Mais, surtout, le récit d’al-Zuhrī laisse entendre que l’écrit dut désormais être confirmé par des témoins bien vivants, peut-être par analogie avec le témoignage rapporté (al-šahāda ʿalā l-šahāda) : la parole écrite du témoin ne survivait plus à sa propre mort. De preuve à part entière, le document devint accessoire, nécessitant confirmation par un des deux modes de preuve promus de manière croissante par les musulmans : le double témoignage et le serment. Il est probable que, dans un premier temps, le document ne se vit plus accorder que la valeur d’un témoin unique, nécessitant le serment complémentaire de celui qui le produisait ; dans un second temps, il perdit cette demi-valeur probatoire pour ne plus servir que de support (ou d’aide-mémoire) à la bayyina orale.
4.1.2. L’écrit devant les tribunaux
317Le récit d’al-Zuhrī relatif à l’ancienne acceptation de la preuve écrite n’est pas localisé : le savant parle en général, sans préciser s’il restitue les traces d’une mémoire locale (Médine, ou la Syrie1040 ?) ou de pratiques plus diffusées. Il semble en tout état de cause que cette acceptation remonte à une période antérieure aux années 700.
318Dans la littérature narrative, les plus anciennes allusions à la preuve écrite remontent aux années 710. La première se situe à Baṣra sous la judicature d’Iyās b. Muʿāwiya (en poste de 95/713-4 à 101/719-20) :
Aḥmad b. Manṣūr al-Ramādī nous rapporta d’après Abū Salama, d’après Abān b. Ḫālid :
J’étais présent auprès d’Iyās b. Muʿāwiya quand un homme lui amena un débiteur. Ce dernier dit à Iyās :
– Interroge le témoin sans lui montrer la reconnaissance de dette (al-ṣakk) ! Pardieu, il n’a aucune idée du montant qui y est indiqué, ni de quoi il s’agit.
Iyās demanda au témoin :
– Montre-moi la reconnaissance de dette !
L’homme la lui produisit et déclara :
– Je témoigne que le contenu de ce document [est conforme à la vérité].
[Iyās] entérina son témoignage1041.
319La seconde, presque contemporaine, nous emmène à Kūfa auprès du cadi al-Šaʿbī (en poste de 99/717-8 à 102/720-1) :
ʿAbd Allāh b. Aḥmad [b. Ḥanbal] me raconta d’après son père, d’ après
Abū Muʿāwiya, d’après ʿAmr b. ʿAbd Allāh :
Je dis à al-Šaʿbī :
– On me fait témoigner d’un témoignage, on m’amène la reconnaissance de dette, et je reconnaîtrai le sceau (al-ḫātam).
– Ne témoigne que si tu te souviens [du contenu] ! lui répondit
al-Šaʿbī1042.
320Ces deux passages permettent de remettre en perspective le récit d’al-Zuhrī. Ici, l’écrit n’est pas accompagné d’un serment. Dans la Baṣra et la Kūfa des années 710, en revanche, comme chez al-Zuhrī, le témoignage vient compléter la preuve documentaire. Il n’est point question de doubles témoignages, néanmoins, comme dans la procédure plus tard admise par l’école mālikite1043, et un seul témoin semble suffire.
321Malgré leurs similitudes, les récits relatifs à Iyās et à al-Šaʿbī ne décrivent pas la même procédure. Devant le cadi baṣrien, le témoin ne témoigne pas de la forme du document ; il ne vient pas authentifier la reconnaissance de dette, mais déposer contre le débiteur. La procédure suivie se réduit donc à la formule suivante : « 1 document + 1 témoin », dans laquelle le document semble se voir accorder une valeur probatoire, bien que celle-ci ne suffise pas à elle seule.
322Il en va autrement à Kūfa, où le témoin rapporte la déposition d’un autre, manifestement celui qui a apposé son sceau au bas de la reconnaissance de dette. Son témoignage consiste avant tout à authentifier le cachet du témoin (peut-être ce dernier est-il mort entre-temps). Le cadi insiste néanmoins pour que cette certification ne soit pas seulement formelle, mais concerne aussi le contenu de la déposition1044. La procédure est très proche de celle qu’acceptèrent plus tard les mālikites – authentification de l’écriture1045 –, bien qu’ici un seul témoin semble suffisant pour une telle authentification1046. À la différence de Baṣra, cependant, il ne semble pas que, dans le cas présent, le document soit produit au tribunal. L’écrit ne joue que le rôle d’un support à la véritable preuve, le témoignage.
323Au-delà de ces différences, il apparaît qu’à Kūfa comme à Baṣra, le document ne se voyait plus reconnaître le statut de preuve dans les années 710. La procédure suivie par Iyās à Baṣra paraît plus archaïque, dans la mesure où la reconnaissance de dette semble encore regardée comme une demi-preuve. Celle mise en œuvre à Kūfa tend en revanche à écarter le document dans sa forme pour insister sur son contenu, ce qui marque une étape vers la marginalisation de l’écrit au profit du seul témoignage relatif aux faits. Cette évolution vers une exclusion de la preuve documentaire trouve un reflet dans un récit relatif au calife ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz (r. 99-101/717-720). Lors d’un procès entre des musulmans et Rawḥ, le fils d’al-Walīd b. ʿAbd al-Malik, à propos de boutiques à Ḥimṣ, Rawḥ aurait présenté l’acte (siǧill) prouvant que son père lui en avait fait don. Mais le calife aurait répliqué : « Le siǧill d’al-Walīd ne te sert à rien, car les boutiques sont les leurs en vertu de la preuve testimoniale (bayyina) produite à leur sujet1047. » Le document exhibé par un plaideur fut sans doute marginalisé par la suite en tant que preuve. Il existe toutefois des exceptions. Le mālikisme développa en effet la procédure remontant à la Kūfa des années 710, fondée sur la reconnaissance de l’écriture ou du sceau, en l’adaptant aux règles de la bayyina1048. Par ailleurs, le mālikite de Fusṭāṭ Ibn ʿAbd al-Ḥakam semble défendre la valeur probatoire de l’écrit dès lors qu’il est accompagné de présomptions complémentaires :
[Prenons le cas où] quelqu’un prétend qu’un individu lui doit 200 dinars, et où l’individu [ainsi accusé] nie devoir plus de 100 dinars ; [le défendeur] affirme par ailleurs ne pas se souvenir de la somme exacte qu’il doit, et [le demandeur] conclut avec lui un accord à l’amiable (ṣulḥ) sur une somme qui dépasse les 100 [dinars]. Puis l’on retrouve le document (kitāb) dans lequel la somme due est mentionnée. En pareil cas [le défendeur] doit rembourser le reste de la somme qu’il devait1049.
324Tout se passe comme si la reconnaissance, par le défendeur, d’une partie de sa dette, constituait un indice suffisant qu’il devait la totalité de la somme réclamée pour qu’un document soit pris en considération. Cela ne signifie pas que l’écrit avait ici valeur de preuve, mais qu’il constituait une présomption qui, ajoutée à une autre, finit par emporter le jugement du cadi.
325Les documents officiels rédigés par les cadis gardèrent en revanche leur force probatoire. Un plaideur vint un jour trouver le cadi de Baṣra Ṯumāma b. ʿAbd Allāh (en poste de 106/724-5 à 110/728-9, puis en 126/744) « à propos d’un jugement qu’avait rendu al-Ḥasan [al-Baṣrī] ; [Ṯumāma] envoya chercher les documents (kutub) d’al-Ḥasan et exécuta son jugement1050 ». L’acte rédigé par un cadi précédent – dont le plaideur ne semble pas avoir eu copie ? – suffit à prouver qu’un jugement a bien été rendu1051. De même, pendant la plus grande partie de la période marwānide, les lettres de cadi à un autre cadi continuèrent à être prises en compte par leurs destinataires sans preuve complémentaire. Dans le cadre de cette procédure épistolaire, qui semble s’être développée à partir des années 720, l’écrit d’un cadi, pour peu qu’il soit authentifié par son sceau, était recevable sans autre preuve et le cadi destinataire rendait son jugement sur cette base1052. Ce n’est qu’avec le Kūfiote Ibn Abī Laylā, à la fin de l’époque omeyyade ou sous les premiers Abbassides, que les cadis cessèrent de voir de telles lettres comme probantes à elles seules et réclamèrent qu’elles fussent accompagnées de deux témoins attestant leur authenticité, tant sur la forme que sur le fond1053. Les lettres de cadis sont surtout connues pour l’Irak, qui vit s’y développer ce type de procédure1054, et Kūfa semble une fois encore avoir joué un rôle prééminent, avec Ibn Abī Laylā, dans la réflexion sur les preuves légales. La marginalisation du document écrit y apparaît comme le contrecoup de la promotion inexorable du double témoignage oral en preuve reine.
4.2. La connaissance préalable du cadi
326Une des questions de procédure qui divisent les juristes classiques concerne l’usage qu’un cadi peut faire de sa connaissance préalable d’une affaire. S’il sait, de manière personnelle, lequel des deux plaideurs est dans son droit, peut-il s’appuyer sur ce savoir pour rendre un jugement sans autre mode de preuve ? Bien que divisés dans le détail, les ḥanafites répondent par l’affirmative : le courant qui se réclame d’Abū Ḥanīfa accepte un tel jugement, à condition que le cadi ait acquis la connaissance des faits depuis qu’il exerce son mandat judiciaire et que l’affaire touche aux droits des hommes (qui, chez les ḥanafites, incluent le qaḏf, accusation calomnieuse de fornication). Pour Abū Yūsuf et al-Šaybānī, il peut s’appuyer sur un savoir précédant son entrée en fonction1055. Les šāfiʿites acceptent également un tel jugement relatif aux droits des hommes1056. À l’inverse, les mālikites rejettent tout jugement fondé sur la connaissance du cadi, quel que soit le domaine du droit1057.
327De rares exemples remontant à la première moitié du viiie siècle suggèrent que la connaissance que le cadi avait d’une affaire put servir de base à un jugement, et ce dans diverses provinces. Il semble qu’à Kūfa, Saʿīd b. al-Ašwaʿ (en poste vers 105/723-4) fit subir un tašhīr – sanction verbale, en l’occurrence, où les mauvaises actions d’un homme sont criées en public – à un homme, sans autre preuve que la rumeur publique l’accusant de s’adonner à l’usure (ribā)1058. À Médine, Saʿd b. Ibrāhīm (en poste de c. 104/722-3 à c. 106/724, puis de 125/743 à c. 126/743-4) convoqua un homme et lui fit administrer un châtiment corporel pour l’avoir entendu déclarer, avant sa nomination, que Kaʿb b. al-Ašraf1059 avait été tué par traîtrise1060. Dans le récit d’un procès au sujet d’une source, impliquant notamment un wakīl du calife al-Walīd II (r. 125-6/743-4), le même cadi médinois rend un jugement sur la base de ce qu’il connaît de l’affaire1061. Au début de l’époque abbasside, le cadi de La Mecque, al-Awqaṣ, trancha un litige relatif à une maison et impliquant le calife al-Mahdī sans entendre les arguments de son représentant : il connaissait la maison depuis son enfance, déclara-t-il, savait qu’elle était immobilisée en waqf et que le calife ne pouvait s’en prétendre propriétaire1062.
328Les quelques cas examinés pour le Hedjaz laissent penser que des cadis, dans la pratique, se fondaient sur leur connaissance au détriment d’autres preuves – allant à l’encontre de la doctrine mālikite plus tardive. Si l’on en juge par des exemples baṣriens du début des Abbassides, il n’en allait peut-être pas autrement en Irak : le cadi Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste à trois reprises entre 137/754-5 et 156/773) prenait en compte dans ses jugements la connaissance qu’il avait acquise des affaires avant sa nomination1063. Plus tard, ʿUmar b. Ḥabīb (en poste de 173/789-90 à 181/797-8) refusa d’écouter une preuve testimoniale qui contredisait une vérité qu’il connaissait1064.
329Il n’y aurait donc pas eu de grande différence, à l’époque marwānide, entre Irakiens et Hedjaziens dans la manière de concevoir le rôle alloué à la connaissance du cadi. Il semble néanmoins qu’une forte opposition à ces pratiques se soit élevée, dont témoignent les anciens Muṣannaf-s. Dans un chapitre qu’il intitule « Le témoignage de l’Imam » (šahādat al-imām), mais qui est en réalité consacré à la connaissance que tout juge peut avoir d’une affaire, ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī rapporte une grande majorité de traditions (sept sur neuf) hostiles à l’utilisation par le cadi de ce qu’il sait. Sur la base de récits mecquois1065, mais aussi kūfiotes (relatifs à Šurayḥ, par l’intermédiaire d’al-Šaʿbī et d’Ibn Šubruma)1066, il entend montrer que le cadi ne peut être à la fois juge et témoin dans une même affaire. Invoquant également la pratique du calife ʿAbd al-Malik (r. 65-86/685-705) – à laquelle il semble conférer la valeur d’une sunna –, il propose qu’un cadi ne peut utiliser ce qu’il a appris que devant un autre juge, en tant que témoin ordinaire. L’opposition dont son chapitre se fait l’écho repose sur une qualification poussée des divers rôles judiciaires : pour un cadi, s’appuyer sur une connaissance préalable s’apparente à un témoignage ; or les rôles de juge et de témoin ne peuvent se cumuler dans le cadre d’un même procès. Ce point de vue opposé à certaines pratiques judiciaires se développa manifestement au Hedjaz – aboutissant en fin de compte à la position mālikite classique –, mais aussi dans certains milieux kūfiotes1067 et baṣriens1068.
330La date à laquelle émergea cette opposition est difficile à déterminer avec précision. Le lien commun de plusieurs traditions relatives à Šurayḥ, Ibn Šubruma, permet de penser qu’une partie fut mise en circulation vers la fin de la période omeyyade. Si cette opposition n’infléchit pas la doctrine ḥanafite classique – qui continua majoritairement à accepter que le cadi tranche sur la base de sa connaissance –, elle eut peut-être un impact réel sur les pratiques et la théorie défendues par plusieurs juristes dans la seconde moitié du viiie siècle. Une opinion intermédiaire – à mi-chemin entre l’autorisation et l’interdiction absolue du jugement fondé sur la connaissance du cadi – semble en effet se développer à cette époque sur la base des critiques adressées par les adversaires de cette procédure, qui insistaient sur l’impossibilité de confondre les rôles de juge et de témoin. Le juriste syrien al-Awzāʿī, ainsi que l’Égyptien al-Layṯ b. Saʿd, acceptent ainsi que le cadi se repose sur sa connaissance des faits, mais à condition que celle-ci soit confirmée par la déposition d’un témoin1069. Le Kūfiote Ibn Abī Laylā aurait exprimé une opinion comparable, mais en ajoutant que la connaissance du cadi devait avoir été acquise à l’audience (en prenant par exemple en compte un aveu qui n’avait pas eu de sanction juridique immédiate)1070. De son côté, le Kūfiote al-Ḥasan b. Ḥayy (m. 167/783-4)1071 considérait que si la connaissance avait été acquise avant que le cadi prenne ses fonctions, il ne pouvait l’utiliser pour rendre son jugement qu’après avoir déféré un serment au défendeur ; si elle datait de la période de sa judicature, elle devait être complétée par la déposition d’un témoin – ou de trois en cas de zinā1072. Témoin, le cadi pouvait l’être sans se départir de son rôle de juge, mais à la seule condition que la règle de la bayyina et/ou du serment du défendeur soit respectée : le cadi ne valait que pour un unique témoin, et sa seule connaissance ne lui permettait pas de rendre un jugement.
4.3. Des preuves circonstancielles1073
4.3.1. L’expertise
331Au viiie/xive siècle, la réflexion d’Ibn Qayyim al-Ǧawziyya sur la siyāsa šarʿiyya le conduit à remarquer qu’à l’origine, la bayyina n’était pas restreinte à la double (ou quadruple) preuve testimoniale, mais que le terme désignait, dans le Coran, la « preuve » au sens général. Critiquant les juristes qui donnaient à la bayyina une signification terminologique étroite, l’auteur ḥanbalite appelle le juge à prendre en considération les indices (qarā’in), les signes (amārāt) et les preuves circonstancielles (dalālat al-ḥāl)1074. En d’autres termes, dit-il, le juge ne doit pas hésiter à exercer sa firāsa1075.
332Ce faisant, Ibn Qayyim al-Ǧawziyya se distancie des procédures classiques, qui ne reconnaissaient pas au juge la capacité de partir en quête d’une vérité cachée. Dès le iiie/ixe siècle, la procédure accusatoire avait bien laissé quelque place à la prise en compte d’indices matériels par des experts et leur production devant le juge, mais leur présentation obéissait aux règles de la šahāda : un tiers, l’expert, « lisait » l’indice et l’attestait en faveur d’un plaideur. Le cadi, de son côté, restait cantonné dans son rôle de juge et ne relevait pas lui-même les signes1076.
333Le recours à des experts est mentionné à propos de périodes très anciennes. L’un des premiers cadis de Baṣra, Kaʿb b. Sūr (en poste sous le calife ʿUmar, jusque vers 23/643-4), aurait fait appel à des physiognomonistes (qāfa) pour décider à qui appartenait un nourrisson que deux femmes se disputaient1077. À Kūfa, un récit légendaire relate comment Šurayḥ et ʿAlī firent examiner un hermaphrodite pour déterminer son appartenance sexuelle ; on compta ses côtes et, trouvant qu’il en manquait une d’un côté – comme Adam auquel Dieu prit une côte pour créer Ève –, l’hermaphrodite fut déclaré homme et séparé de son mari1078. De même à Fusṭāṭ, le cadi Sulaym b. ʿItr (en poste de 40/660-1 à 60/679-80) faisait examiner par un fonctionnaire du Trésor public (bayt al-māl) les plaignants qui venaient porter plainte pour coups et blessures. Le fonctionnaire déterminait la nature de la blessure et, en fonction de ses conclusions, le cadi fixait le prix du sang qui devait être retenu par le dīwān sur les salaires de la ʿāqila (groupe de solidarité lignagère) du coupable1079. Beaucoup plus tard, vers 240/855, le cadi al-Ḥāriṯ b. Miskīn fit estimer un bien immobilier pour en payer le prix à une plaignante dont il refusait d’agréer un des témoins1080.
334Si elle semble avoir été connue très tôt, l’expertise apparaît pourtant peu dans les récits relatifs aux viie et viiie siècles, soit qu’elle ait été peu pratiquée – l’expertise suppose une forte structuration de l’appareil judiciaire, avec des ramifications dans le milieu professionnel1081 –, soit que le sujet ait manqué de pertinence aux yeux de ceux qui enregistrèrent la mémoire de l’institution – et pour qui la formation du système des preuves légales était beaucoup plus importante1082. Peut-être ce manque d’intérêt pour l’expertise s’explique-t-il par le rôle que certains cadis jouèrent eux-mêmes, pendant un certain temps, dans la recherche et l’appréciation des preuves circonstancielles.
4.3.2. La firāsa ou le « jugement de Salomon »
335Les sources narratives conservent le souvenir de pratiques qui tranchent avec la procédure classique, en ce que le cadi, lui-même expert, fonde son jugement sur l’enquête qu’il a entreprise en personne afin de découvrir la vérité sur une affaire. Ce type de procédure est notamment associé à Šurayḥ. Quand un homme vint se plaindre que la mule qu’il avait achetée s’était avérée n’être qu’une ânesse, le cadi fit placer l’animal dans une étable où se trouvaient à la fois un troupeau de mules et un groupe d’ânes ; la bête se joignit aux ânes, et Šurayḥ d’en déduire que le plaignant avait bien été floué1083. Il aurait aussi expertisé une esclave que son acheteur prétendait sotte1084.
336Mais c’est surtout au cadi baṣrien Iyās b. Muʿāwiya (en poste de 95/713-4 à 101/719-20) que la tradition islamique associe de tels procédés. Ce personnage, qui devint dans la littérature d’adab1085 un expert légendaire dans l’art de la physiognomonie (firāsa)1086, est représenté comme capable de deviner la profession, les préoccupations secrètes ou les détails physiques cachés d’individus qu’il ne connaît pas, rien qu’en observant leur comportement1087. Rompu dans l’art de la qiyāfa, science des traces et des visages héritée de l’Arabie préislamique1088, il est aussi décrit comme apte à reconnaître, à partir d’indices imperceptibles aux yeux de tout autre, le serpent caché sous la terre ou l’animal nichant dans un mur1089.
337Ce véritable « Sherlock Holmes » de l’Islam1090 mit ses compétences au service de la justice, ne se contentant pas d’entendre les témoignages ou les serments des plaideurs, mais menant, à l’occasion, de véritables investigations visant à découvrir la vérité. Soyons clair : ses enquêtes ne l’emmenaient pas sur le terrain, et c’est avant tout à travers d’habiles interrogatoires des plaideurs, en les poussant à se trahir1091, qu’il parvenait à ses fins. Il demanda ainsi à deux femmes qui se disputaient une pelote de laine autour de quoi le fil était enroulé : celle qui donna la bonne réponse fut déclarée vainqueur1092. Il aurait déterminé le propriétaire légitime d’un manteau en en faisant rechercher des fils dans la chevelure des adversaires1093. Il lui arrivait enfin d’expertiser lui-même l’objet de la querelle1094, comme dans cette affaire de fraude où il put conclure à la malhonnêteté d’un plaideur en examinant les dates figurant sur des pièces de monnaie en litige1095.
338Si Iyās représente le parangon de la firāsa judiciaire, de rares indices suggèrent qu’il ne fut pas le seul à se prévaloir d’une aptitude à lire et interpréter les signes extérieurs. Dans la Damas de Muʿāwiya (r. 41-60/661-680), le cadi Faḍāla b. ʿUbayd jugea d’après des signes extérieurs (aḫāla) qu’un homme n’avait fait que trouver l’objet qu’on l’accusait d’avoir volé1096. Le calife Muʿāwiya luimême, d’après ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, aurait jugé un litige opposant deux groupes à propos d’un point d’eau en l’attribuant au clan dont il portait le nom (al-Ġubar)1097. Quelques années plus tard, le calife ʿAbd al-Malik (r. 65-86/685-705) aurait agi de même à propos d’un autre point d’eau1098. Nous avons vu plus haut que dans ces cas damascènes, le nom constituait une présomption d’appartenance, permettant de trancher en cas de neutralisation des preuves légales. Une telle présomption n’en ressortit pas moins à une forme de déduction intuitive proche de la firāsa d’Iyās.
339Dans une anecdote tardive, Iyās définit la justice de la manière suivante :
Un homme dit à Iyās b. Muʿāwiya :
– Apprends-moi la justice (al-qaḍā’) !
– La justice ne s’enseigne pas, lui répondit-il, car la justice n’est que discernement (fahm). Dis plutôt : « Enseigne-moi la science (ʿilm)1099 ! »
340L’anecdote ne figure pas dans les premiers recueils de ḥadīṯ. Elle reprend pourtant une association très ancienne entre le personnage d’Iyās b. Muʿāwiya et la notion de fahm (discernement, intelligence, entendement)1100. Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, qui cite cette anecdote, la met aussitôt en relation avec la sourate 21 : 78-79, où David et Salomon apparaissent comme des justiciers modèles. L’« intelligence » évoquée par Iyās ne serait autre que celle donnée par Dieu à Salomon : « Nous avons fait comprendre (fahham-nā) cette affaire à Salomon. Nous avons donné à tous deux la Sagesse (ḥukm) et la Science (ʿilm)1101 » (21 : 79). Les deux prophètes bibliques furent des juges exemplaires, mais ils différaient par leurs méthodes. À la rigueur de David, dont nous avons vu qu’elle servait de référence aux procédures strictes de Kūfa, répondait le « discernement » de Salomon, capable, grâce à sa sagacité, d’interpréter les signes. « [Dieu] a distingué Salomon en lui accordant de comprendre les affaires, tandis qu’Il leur donnait la science à tous les deux [i.e. David et Salomon] », conclut Ibn Qayyim al-Ǧawziyya1102.
341L’exégèse est certes tardive. Elle ne fait cependant que recoller les morceaux d’une tradition éparse, et mettre en exergue la notion coranique de fahm qui est indubitablement associée au personnage d’Iyās b. Muʿāwiya dans la tradition antérieure. Un récit beaucoup plus précoce, dont l’isnād remonte à Wahb b. Munabbih et qui fut fixé par l’Égyptien ʿUmāra b. Waṯīma al-Fārisī al-Fasawī (m. 289/902)1103, suggère par ailleurs l’ancienneté de cette interprétation. ʿUmāra rapporte que David aurait décidé de déléguer ses pouvoirs à Salomon, son fils d’à peine douze ans, lorsqu’il constata la puissance de son discernement (fahm). Alors que son père lui demandait ce qu’était la raison (ʿaql), Salomon répondit à travers une succession d’exemples, dont le suivant : « Si [l’homme doué de raison] témoigne de quelque chose (šahida bi-šahāda), alors qu’il est étranger [au sein d’un groupe], [les membres du groupe] l’observent attentivement (tafarrasū bi-hi), concluent à son honnêteté et l’agréent1104. » Fahm, firāsa et procédure judiciaire s’entremêlent ici pour définir le personnage de Salomon.
342Iyās b. Muʿāwiya fut-il, de son temps ou au cours des décennies qui suivirent sa disparition, explicitement comparé à un nouveau Salomon ? Peut-être la légende qui l’entoura rapidement suffit-elle à l’associer au fahm salomonien. L’art d’interpréter les indices, comme la qiyāfa, est quant à lui expressément associé au personnage de Salomon. La conclusion du récit où le Baṣrien Kaʿb b. Sūr se réfère à des physiognomonistes pour attribuer un nourrisson fait dire au cadi : « Je ne suis pas Salomon fils de David ! Je n’ai rien trouvé de mieux que quatre témoins musulmans1105. » Il fait peu de doutes que ces paroles sont une reconstitution plus tardive visant à valoriser la procédure par témoignage et à marginaliser la prise en considération de preuves circonstancielles, à une époque où la preuve testimoniale était devenue reine. La réminiscence d’une association entre la qiyāfa et Salomon n’en est pas moins présente.
343Qiyāfa et firāsa, qui devinrent synonymes en Islam1106, apparaissaient comme un don de Dieu. Un adage rapporté pour la première fois par ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, plus tard transformé en ḥadīṯ prophétique, dit : « Prenez garde à la firāsa du croyant : il observe à la lumière d’Allāh1107 ! » Aux yeux de certains musulmans, la firāsa dépassait la simple perspicacité : il s’agissait d’une véritable clairvoyance. Comme le souligne Toufic Fahd, l’art du qā’if participait, dans une certaine mesure, d’une forme d’inspiration divine1108. C’est sans doute pourquoi la qiyāfa/firāsa fut finalement rejetée, car trop aléatoire1109 : seule une personne d’exception comme Salomon en était capable1110. Mieux valait, pour le commun des mortels, se contenter de la procédure rationalisée et rigoureuse associée à David1111.
344Au-delà, plusieurs indices laissent penser que le fahm, la firāsa et le « jugement de Salomon » sont autant de concepts liés une vision baṣrienne de la justice – et peut-être aussi, mais les sources sont plus vagues à cet égard, à une vision syrienne1112. Hormis Iyās b. Muʿāwiya, la notion de fahm est associée à l’un des premiers cadis de Baṣra, Kaʿb b. Sūr1113, dont nous venons de voir que la tradition l’avait rétrospectivement fait se détacher du « jugement de Salomon ». Si Šurayḥ est parfois évoqué dans des termes qui rappellent la firāsa d’Iyās b. Muʿāwiya, un des récits qui le présentent sous cet angle est rapporté par le Baṣrien Muḥammad b. Sīrīn1114. Enfin, la notion de fahm apparaît dans la fameuse lettre de ʿUmar à Abū Mūsā al-Ašʿarī, dont la version longue (devenue classique) nous est parvenue à travers une transmission baṣrienne passant par Qatāda b. Diʿāma (m. c. 117/735) < Saʿīd b. Abī Burda, ce dernier ayant détenu la lettre (ou une copie) que son père, Abū Burda b. Abī Mūsā al-Ašʿarī, aurait héritée de son propre père1115. Le calife ʿUmar y revient à deux reprises : « Fais preuve de discernement (ifham) lorsqu’on allègue devant toi ! », commence-t-il par ordonner, avant de reprendre un peu plus loin : « Fais preuve de discernement, oui, fais preuve de discernement (al-fahma al-fahma) lorsque tu sens en toi l’hésitation et l’incertitude1116… » Ces indices suggèrent qu’une conception spécifique de la justice demeura vivante à Baṣra jusqu’aux années 720 ou 730 : une justice où, parallèlement à d’autres modes de preuves (ou plutôt en leur absence), la réflexion du juge et sa mise en œuvre de stratégies inquisitoriales – visant à découvrir des preuves circonstancielles – se voyaient reconnaître un rôle primordial. Ce « jugement de Salomon », fondé sur une firāsa synonyme de discernement, mais aussi de clairvoyance, n’était pas à la portée de tous. Si Iyās b. Muʿāwiya entra dans la légende tant ses dons salomoniens provoquèrent l’admiration1117, cette justice reposait sur une forme d’empirisme qui risquait de dériver vers l’arbitraire. Ce n’est peut-être pas un hasard, de ce point de vue, si Bilāl b. Abī Burda, que Serjeant soupçonne d’être l’auteur de la lettre de ʿUmar à son grand-père Abū Mūsā, laissa dans la tradition l’image d’un cadi injuste et despotique1118. Le recours à la firāsa dans le domaine judiciaire est plus tard dénoncé avec véhémence dans la version arabe qu’Ibn al-Muqaffaʿ (actif notamment à Baṣra, m. c. 139/756) composa de Kalīla wa-Dimna. Dans le récit du procès de Dimna – souvent regardé comme un ajout d’Ibn al-Muqaffaʿ par rapport à l’original pehlvi1119 –, le maître de table (ṣāḥib al-mā’ida) du lion s’en prend en effet, en parlant du chacal mis en accusation, à « ce misérable dont [le corps] porte les stigmates de la méchanceté (ʿalāmāt al-šarr) et les signes de la débauche », avant d’ajouter : « Et les savants n’ignorent pas comment il convient de juger de tels hommes1120 ! » Après que le maître de table a décrit au chef des juges (ra’s al-quḍāt) ces signes et leur signification, Dimna se lance dans une longue diatribe dans laquelle il dénonce l’imposture d’une telle physiognomonie à usage judiciaire, démontrant au roi qu’une justice fondée sur des caractères physiques hérités ne peut être qu’arbitraire1121. Le juge ne peut donc retenir cette non-preuve, et ce n’est qu’au terme de la déposition de deux témoins qu’il condamne Dimna1122 – conformément à la procédure que l’Islam avait adoptée au moment où écrivait Ibn al-Muqaffaʿ. Ce fut donc le « jugement de David », particulièrement promu à Kūfa, reposant non pas sur une clairvoyance rarement atteinte mais sur une appréciation rigoureuse des apparences révélées par les preuves légales (témoignage et serment), qui finit par l’emporter et s’imposa pour longtemps dans le droit musulman.
345Il est pourtant des cas, dans la seconde moitié du viiie siècle, où l’aptitude du cadi à lire les preuves circonstancielles fut encore sollicitée. Ainsi le cadi de Fusṭāṭ al-Mufaḍḍal b. Faḍāla, vers 177/793, trancha-t-il un conflit de voisinage à propos d’un mur en venant examiner l’objet du litige et en déterminant, au vu d’indices matériels, à qui il appartenait1123. Mais il ne s’agissait plus là de véritable firāsa. Le cadi endossait simplement le rôle d’un expert, avant que les deux fonctions ne fussent durablement séparées.
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346Si les preuves circonstancielles – ou les indices – furent prises en considération dès le viie siècle, l’expertise, bien que présente, n’est que peu représentée dans la littérature relative aux premiers cadis. Au sein d’une administration judiciaire encore rudimentaire, où le tribunal était essentiellement composée du cadi, c’est à ce dernier que revint à l’origine de relever des indices – notamment par observation ou interrogatoire des plaideurs – et de pratiquer un raisonnement déductif afin d’atteindre une intime conviction. C’est pourquoi la firāsa du cadi semble avoir joué un rôle important, en l’absence de preuves directes (témoignages), dans les premiers temps de l’Islam. Notons que cette technique, que la tradition islamique interprète comme l’héritière de la qiyāfa antéislamique, dépasse la simple physiognomonie. L’emploi du terme firāsa dans les sources islamiques ne doit pas nous induire en erreur : rien ne vient prouver qu’Iyās b. Muʿāwiya, lorsqu’il met ses compétences d’interprète des signes au service de la justice, se réclame d’une culture judiciaire antéislamique. Son œil acéré était sans doute héritier d’un art cultivé dans l’Arabie ancienne ; mais il reste encore à déterminer dans quelle mesure les arbitres d’avant l’Islam en faisaient usage, et si ce procédé se voyait reconnu une valeur probatoire en dehors des affaires de généalogie. Nous y reviendrons. Contentons-nous pour l’instant de souligner que l’usage de la firāsa judiciaire, en particulier à Baṣra, jusqu’au début des années 720, révèle avant tout l’absence de règles strictes dans la dévolution des modes de preuve. C’est à Kūfa, nous l’avons vu, qu’apparut une rationalisation qualifiée de « jugement de David », déférant automatiquement un serment en l’absence de preuve testimoniale. Si le serment n’était pas inconnu à Baṣra – et nous avons vu que les juristes baṣriens font partie des premiers à l’avoir associé, mais non systématiquement, aux défendeurs –, l’absence de règle stricte permettait encore, dans le premier quart du viiie siècle, à un cadi comme Iyās b. Muʿāwiya d’y préférer à l’occasion l’examen de preuves circonstancielles qui lui semblaient plus fiables.
347Le juge n’était pas encore défini de manière stricte comme celui qui écoute les preuves mais, en principe, ne les produit pas, et rien n’interdisait aux cadis de prendre en compte leur propre connaissance des faits. Ce n’est qu’au terme d’un double processus de rationalisation de la preuve, entamé à Kūfa puis étendu aux autres villes, et de remise en cause de la capacité du juge à se fonder sur sa connaissance du litige, que ce mode de déduction intuitive fut exclu de la théorie des preuves légales.
348La firāsa ne disparut pas totalement de la judicature. Avant même qu’Ibn Qayyim al-Ǧawziyya ne prône son retour sur le devant de la scène judiciaire, au viiie/xive siècle, un cadi de Bagdad comme Abū Ḫāzim (en poste de 283/896 à 292/905) aurait encore eu recours, de manière toutefois limitée, à sa faculté d’évaluer un litige d’après des indices extérieurs. Observant (tafarrasa) l’attitude anormale de deux plaideurs, il se serait méfié et aurait ajourné l’audience1124. Son usage de la firāsa diffère néanmoins de celle d’Iyās, puisqu’elle ne constitue pas ici une preuve entraînant un jugement, mais jette simplement le doute sur la valeur des preuves produites (en l’occurrence l’aveu du défendeur).
349À terme, c’est à travers une procédure différente que les preuves circonstancielles intégrèrent le droit musulman : celle de l’expertise, en germe dès le premier siècle de l’hégire, dont l’usage semble avoir été croissant tout au long du Moyen Âge1125. L’art de déceler les indices n’appartenait plus au cadi, mais à un tiers, l’expert que ce dernier diligentait auprès de l’objet du litige, et dont la parole, parfois regardée comme un simple constat, put aussi être assimilée au témoignage1126. Échappant au cadi, l’expertise rejoignit ainsi le cadre strict de la procédure accusatoire telle qu’avaient fini par la définir les juristes du viiie siècle.
4.4. Le duel judiciaire, un procédé médinois archaïque ?
350Une dernière forme de « preuve » mérite de retenir brièvement notre attention. À deux reprises, Wakīʿ mentionne à propos de la judicature médinoise une situation où le cadi, plutôt que de s’en remettre à des preuves comme le témoignage, le serment ou les circonstances, puis de rendre son jugement, organise (ou propose d’organiser) un combat physique entre les plaideurs, au terme duquel le vainqueur (qui sera alors considéré comme étant dans son droit) infligera à son adversaire la punition qu’il mérite. Preuve, jugement et application du verdict se confondent dans cette procédure qui n’a laissé que peu de traces dans la littérature. Le premier cas apparaît lors de la judicature d’Abū Bakr b. Muḥammad b. ʿAmr b. Ḥazm (en poste de c. 87/706 à c. 96/714-5) :
Telle est la raison pour laquelle al-Aḥwaṣ b. Muḥammad al-Anṣārī1127 composa la satire (hiǧā’) d’Ibn Ḥazm, d’après ce que nous rapporta
Ḥammād, d’après son père :
Le frère d’Umm Ǧaʿfar, celle dont al-Aḥwaṣ dévoilait le nom dans sa
poésie, s’appelait Ayman. Il intenta un procès à al-Aḥwaṣ devant Abū
Bakr b. Ḥazm, qui détestait al-Aḥwaṣ. [Le cadi] convoqua [le poète]
et lui dit :
– Tu as sali le nom1128 de la sœur de cet homme !
– Ce n’est pas vrai, se défendit [al-Aḥwaṣ].
– Votre cas me pose problème, déclara [le cadi], qui leur donna à chacun un fouet et ajouta : Infligez-vous mutuellement des coups de fouet
devant moi !
Al-Aḥwaṣ était petit et rachitique, tandis qu’Ayman était grand, et ce
dernier lui infligea une bonne correction1129.
351L’attitude du cadi ne correspond en rien aux standards classiques de la judicature : au lieu de réclamer des preuves au demandeur, il impose un duel judiciaire où le fouet devient, pour le perdant, l’instrument du taʿzīr (châtiment discrétionnaire) que le cadi aurait pu lui infliger au terme du procès1130. Tel qu’il est rapporté par Wakīʿ, le récit pourrait n’être qu’une anecdote illustrant les ennuis de ce poète avec les autorités omeyyades, à la manière des Aġānī1131. Le cadi est d’ailleurs suspecté de partialité puisque, connu pour sa haine du poète, il propose un duel dont il apparaît d’avance qu’al-Aḥwaṣ sortira perdant. La représentativité de ce récit ferait donc l’objet de doutes sérieux, n’était un second ḫabar évoquant une pratique similaire une cinquantaine d’années plus tard :
Al-Zubayrī me rapporta d’après ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAbd Allāh :
Deux hommes de Qurayš se disputèrent un jour à l’audience de Muḥammad b. ʿAbd al-ʿAzīz [en poste de 143/760-1 à une date inconnue], qui était alors cadi de Médine. [Le cadi] ordonna à un
garde (ḥarasī) de s’interposer, mais ce dernier ne parvint pas à les séparer. Il dit alors au garde :
– Laisse-les donc s’étriper, le vainqueur sera considéré comme le plus
mauvais d’entre eux !
Ceci eut pour effet de les stopper net et ils cessèrent de se battre1132.
352Dans cet épisode remontant au début de la période abbasside, la solution proposée est inverse. Devant une bagarre qu’il ne parvient à maîtriser, le cadi propose (ironiquement) de l’envisager comme un élément de preuve permettant d’identifier le plaideur qui est dans son droit ; simplement, cette fois-ci, qui perd gagne, et le duel judiciaire est écarté en en inversant les règles. Cette fois encore, il est possible que ce récit soit purement anecdotique et ne soit en rien révélateur d’une procédure historique. Mais parce que ces récits uniques sont tous les deux localisés à Médine, à quelques décennies de distance, on ne peut tout à fait exclure qu’il y ait là quelque réminiscence d’une procédure qui fut peut-être un temps employée à Médine. Faut-il concevoir qu’au Hedjaz, l’ordalie fut un court moment appliquée au premier siècle de l’hégire ? Ou que ce mode de preuve fut au moins envisagé, avant d’être exclu par d’autres ? S’il y a là, véritablement, un archaïsme médinois – peut-être hérité de la période antéislamique –, il fit long feu et semble n’avoir gardé aucune influence sur les procédures de l’Islam classique.
353Signalons enfin le récit d’un procès mené devant le gouverneur d’Irak Ziyād b. Abīhi (r. 45-53/665-673), au cours duquel un des plaideurs proposa de jeter un homme – objet de revendications entre les deux parties – dans une rivière pour voir s’il coulait ou surnageait : il serait attribué à un groupe ou à un autre en fonction du résultat (les clans en présence portaient des noms dérivés des verbes « flotter » et « couler »). Néanmoins il ne s’agit pas ici d’une ordalie à proprement parler dans la mesure où l’épreuve concerne l’objet du litige, et non les plaideurs. De surcroît, le gouverneur n’aurait pas pris au sérieux cette proposition, qu’il considéra comme une plaisanterie1133.
CONCLUSION : LES DYNAMIQUES DE L’UNITÉ
354Tentons de comprendre dans quelle mesure les résultats obtenus jusqu’ici mettent en lumière les anciens développements de la judicature musulmane. L’approche comparatiste que nous avons suivie visait notamment, rappelons-le, à contourner la question des origines pour l’attaquer sur des bases historiques fermes. Il s’agissait de déterminer, avant toute chose, si la judicature avait connu des développements similaires dans des provinces ayant appartenu avant l’Islam à des domaines politiques distincts. La mise en évidence d’organisations judiciaires et de procédures différenciées selon les ensembles régionaux constituerait un premier indice de l’origine « exogène » de la judicature musulmane, qui se serait construite au commencement sur les fondations institutionnelles des systèmes étatiques antérieurs. Si, au contraire, un même modèle judiciaire s’était développé simultanément dans lesdites provinces, il faudrait soit conclure que la judicature musulmane prolongea un système arabe antéislamique propagé par les conquêtes, soit chercher d’autres causes à une telle unité transrégionale.
355Les sources littéraires sont loin d’offrir une réponse claire, en raison notamment d’un hiatus entre le retrait des empires byzantin et sassanide des territoires proche-orientaux et les premières informations fiables sur les procédures mises en œuvre dans les tribunaux musulmans. Le voile noir qui occulte les tout premiers temps de l’Islam – califat de Médine et époque sufyānide – se dérobe sans relâche devant l’historien qui tenterait d’en soulever un pan. Tout au plus, en prolongeant les lignes de fuite dont le tracé se précise aux périodes postérieures, peut-on avancer quelques remarques et hypothèses.
Un foisonnement intellectuel transprovincial
356Si l’on place le curseur sous les Marwānides, alors que des tendances historiques apparaissent avec une plus grande netteté, la comparaison entre les procédures judiciaires d’Égypte, d’Irak et d’Arabie ne permet pas de mettre en évidence des ensembles régionaux distincts à grande échelle. Les différences locales sont nombreuses, mais transcendent les lignes de partage entre les anciens empires. Si les pratiques judiciaires se distinguèrent, à une époque antérieure, selon qu’elles furent mises en œuvre dans l’ancienne sphère d’influence des Byzantins, des Sassanides ou des Arabes préislamiques, les frontières s’étaient définitivement brouillées au début du viiie siècle. Nul ensemble régional cohérent dans sa façon d’aborder les procédures judiciaires n’apparaît. Baṣra se rapproche tantôt de Kūfa, tantôt de Médine ; cette dernière partage avec Kūfa des caractéristiques que l’on ne trouve pas en Égypte ; etc. Il n’y a pas, en matière judiciaire, d’anciennes écoles régionales.
357Que les divergences constatées – et dont l’évolution chronologique ne peut être reconstruite que dans ses grandes lignes – proviennent d’anciens substrats régionaux liés aux empires qui se partageaient le Proche-Orient avant l’Islam reste probable. Mais jusqu’ici, les sources islamiques les plus anciennes font avant tout ressortir un lien étroit entre cette diversité et un contexte d’intense foisonnement intellectuel. La mise en place des règles régissant les procédures judiciaires, lorsque l’on commence à en déceler des traces historiques (dans la première moitié du viiie siècle), paraît résulter de l’effervescence dialogique qui s’empare alors des musulmans. On discute de tout et partout : non seulement dans chaque ville, mais aussi entre cités. Les débats sont purement théoriques ou, plus souvent sans doute, prennent pour objet des pratiques connues – ce qui conduisit Schacht à postuler que, dans plusieurs domaines, le droit musulman plongeait ses racines dans les pratiques administratives omeyyades1134. Mais il est encore difficile, à cette époque, d’opposer des « pratiques administratives » à un droit de « juristes ». Les pratiques des cadis sont elles-mêmes, en partie, le résultat des intenses cogitations qui animent la société ; elles s’appuient tantôt sur des idées de « juristes » (le fameux ra’y), tantôt sur des précédents judiciaires (la « jurisprudence » d’autres cadis), tantôt sur des tâtonnements empiriques, tantôt sur des formes de législation promulguée par le pouvoir politico-religieux. Les cadis cherchaient des solutions aux impasses judiciaires constatées au cours des décennies précédentes ; les « juristes » – des fuqahā’, ces particuliers auxquels les musulmans commençaient à reconnaître une capacité à « comprendre », à « appréhender » la Loi divine mieux que le commun des mortels – réfléchissaient aux pratiques, les critiquaient (de manière positive ou négative), se mettaient à rappeler (ou à inventer) l’exemple d’anciens cadis. On discutait, non seulement au sein d’une ville, mais également – sans doute avec un temps de retard – entre villes.
358Des usages furent abandonnés, d’autres généralisés. Tout en continuant d’être appliquées avec des variations non négligeables d’une ville à l’autre, les procédures se resserraient de plus en plus autour d’un noyau commun. Nous avons déjà souligné le rôle d’avant-garde que Kūfa semble avoir joué dans ce processus de resserrement. L’effort de « rationalisation » qui y fut mené – d’abord autour d’une théorie des présomptions permettant d’éliminer certaines procédures contre-productives (comme les témoignages concurrents), puis, peut-être dans le prolongement de cette réflexion, par la répartition systématique des modes de preuve en fonction du rôle tenu par chacun des plaideurs – se diffusa dans les autres villes et provinces. Les quelques divergences qui subsistèrent entre juristes ou « écoles régionales », après 750, ne faisaient plus que nuancer les applications d’un modèle commun.
359Quelques grandes tendances se dessinent malgré tout. Mais elles opposent moins l’Irak et le Hedjaz qu’elles ne mettent en concurrence les deux cités irakiennes de Kūfa et de Baṣra. Encore convient-il de prendre en considération les filtres historiographiques à travers lesquels cette image nous est parvenue. Une partie importante du matériel étudié a survécu dans les écrits d’auteurs irakiens tels Ibn Abī Šayba ou Wakīʿ, qui écrivaient alors que l’Irak, devenu ombilic du califat, s’était affirmé comme le principal centre de production du droit en Orient – c’est dans cette province que les écoles juridiques classiques prirent leur essor, y compris le mālikisme1135. Le recentrement des controverses doctrinales sur l’Irak à l’époque abbasside pourrait ainsi avoir accentué le contraste entre Kūfa et Baṣra. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que si les deux cités-garnisons furent souvent réunies sous l’autorité d’un même super-gouverneur à l’époque omeyyade, elles n’en étaient pas moins considérées comme toutes deux capitales de provinces distinctes, possédant chacune leurs dépendances orientales issues des conquêtes1136. La rivalité qui les opposait sur le plan politique et culturel1137 peut avoir eu pour effet de mettre en exergue les différences de leurs pratiques judiciaires et de leurs pensées juridiques.
360Aussi serait-il imprudent de minimiser les apports d’une réflexion hedjazienne sur les pratiques judiciaires. Peu citée par un Ibn Abī Šayba focalisé sur les rivalités internes à l’Irak, la pensée juridique d’Arabie est beaucoup plus présente chez ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī et ne correspond pas à une simple projection en arrière de la doctrine mālikite. Si ʿAbd al-Razzāq cite plus les opinions des juristes irakiens d’époque omeyyade qu’Ibn Abī Šayba ne mentionne les Médinois ou les Mecquois, cela montre surtout qu’au début du ixe siècle, la diversité du fiqh irakien n’avait pas besoin de Médine pour se positionner : l’Irak était traversé de tendances jugées assez nombreuses et représentatives. Le fiqh du Hedjaz n’existait en revanche qu’à travers le dialogue qu’il entretenait avec celui d’autres provinces, en particulier l’Irak.
361De manière plus générale, la relation dialogique que les « écoles » locales entretenaient les unes avec les autres tend à mélanger les cartes du régionalisme. Dans la mesure où l’émergence de pratiques ou d’opinions nouvelles ne peut être datée à l’année près, il demeure impossible de reconstituer les étapes précises de ce dialogue. Tout au plus peut-on mettre en évidence de grandes orientations, comme la tendance baṣrienne, dans le premier quart du viiie siècle, à accepter une forme de justice salomonienne, à laquelle vient s’opposer, dans le deuxième quart, une rationalisation kūfiote se réclamant de la justice davidienne.
362Notons aussi que, jusqu’au troisième quart du viiie siècle et le juriste al-Layṯ b. Saʿd, l’Égypte n’est pas incluse dans cette relation dialogique. Est-ce à dire que cette province n’avait pas de tradition propre ? Que l’administration judiciaire y fut avant tout une pratique que les intellectuels locaux laissèrent longtemps aux mains du pouvoir sans tenter d’y appliquer leur réflexion ? Alternativement, fautil croire que la tradition dont Fusṭāṭ se réclamait ne reconnaissait pas les mêmes fondements d’autorité que les autres cités, et de ce fait ne s’inscrivit pas dans la relation dialogique entamée ailleurs ? L’hypothèse n’est pas invraisemblable et oblige à se pencher sur le rôle que les autorités politiques jouèrent à l’époque omeyyade dans la définition des règles de la judicature.
Le contrôle politique de la justice
363Il convient en effet de souligner le rôle que le pouvoir omeyyade joua dans l’administration judiciaire. Les cadis étaient alors recrutés parmi les élites locales, ce qui aurait pu conduire au développement de traditions régionales fortement distinctes. Mais ces cadis agissaient par délégation de gouverneurs qui apparaissaient, dans le regard des musulmans et de leurs plus hautes autorités, comme les principaux juges. Les instructions attribuées au calife ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz (r. 99-101/717-720), dont nous avons proposé ailleurs une analyse, en sont le principal témoin1138. Une missive envoyée aux « émirs des ǧund-s » confirme l’importance des pouvoirs judiciaires du gouverneur. Après quelques mises en garde sur l’exercice du pouvoir et ses dangers, ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz en vient à l’objet véritable de sa lettre :
Lorsqu’un plaideur (ḫaṣm) ignorant et stupide vient te trouver – alors qu’Allāh a décidé de t’en confier l’affaire et de t’éprouver par son biais –, et que tu trouves en lui un homme peu scrupuleux et de mauvaise conduite dans ce qu’il doit comme ce qui lui échoit, efforce-toi de le remettre sur le droit chemin et de lui ouvrir les yeux, de l’accompagner et de l’instruire. S’il retrouve le droit chemin (ihtadā), s’il ouvre les yeux et apprend, c’est un don et une grâce d’Allāh. Si ses yeux ne se dessillent point et qu’il se montre imperméable à la science, ceci est une preuve (ḥuǧǧa) que tu dois prendre en compte en sa défaveur. Si tu trouves qu’il a commis une faute (ḏanab) méritant punition, ne le châtie pas en raison de la colère qu’il t’inspire au fond de ton cœur, mais corrige-le selon le bon droit, en assortissant sa peine à la gravité de son infraction. S’il ne mérite pas plus d’un coup de fouet, infligele-lui ; mais si son crime est odieux, et si tu envisages de le punir de mort ou d’un châtiment sévère, renvoie-le en prison, et que la présence d’autres personnes à tes côtés ne t’incite pas à hâter la sanction. Par ma vie, combien de fois un Imam a-t-il sévi en raison de son entourage, et du devoir d’éduquer les habitants de son pays qu’il lui signalait ! Il n’est d’Imam s’entourant de courtisans qui ne trouve en eux de telles dispositions, ni de groupe qui, à l’annonce du jugement (qaḍā’) d’un Imam, ne se divise à son sujet, chacun suivant ses passions. Seuls ceux dont Allāh a pitié font exception, car ceux dont Il a pitié ne se divisent pas au sujet d’un jugement […]1139.
364Le gouverneur, poursuit-il, ne doit pas prendre en considération l’image qu’il produit auprès de sa cour, mais le seul intérêt de son âme. Ces recommandations à visée morale s’accordent avec le portrait de calife pieux qu’Ibn ʿAbd al-Ḥakam entend brosser de ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, et peuvent en conséquence paraître suspectes à l’historien d’aujourd’hui1140. Il n’en demeure pas moins que cette lettre, au-delà des remaniements qu’elle peut avoir subis, place la fonction judiciaire au cœur des missions du gouverneur. C’est en tant qu’Imam – terme qui semble ici s’appliquer au gouverneur1141, alors que son usage se restreint plus tard à la souveraineté califale – qu’il rend la justice et que les plaideurs viennent le trouver.
365L’examen des plaintes était donc avant tout la prérogative du calife et de ses délégués directs, les gouverneurs de provinces. Ces derniers revendiquaient d’ailleurs officiellement leur autorité judiciaire. L’émir de Baṣra s’en prévalait jusque dans la ḫuṭba du vendredi. Selon un récit transmis par al-Balāḏurī, ʿAdī b. Arṭāt1142 aurait déclaré du haut du minbar : « Qu’ai-je fait pour être confronté à tant de témoignages et de disputes ? Je vous ai ouvert ma porte, j’ai assis parmi vous Iyās [b. Muʿāwiya], et votre nombre ne fait qu’augmenter1143 ! » Le gouverneur se plaint d’une judiciarisation croissante de la société, un phénomène dont il estime être la victime puisqu’à travers ses audiences publiques, il demeure le principal juge de la ville. Son cadi n’apparaît qu’en tant qu’adjoint1144.
366Cette vision d’une justice avant tout aux mains des gouverneurs concorde avec l’image véhiculée par les papyrus égyptiens contemporains : nous avons vu qu’à l’extérieur de Fusṭāṭ au moins, la justice n’y est pas encore celle de cadis, mais de pagarques ou sous-gouverneurs placés sous l’autorité judiciaire de l’émir de la province. Les sources littéraires se font, à l’occasion, l’écho d’une telle situation administrative. Al-Balāḏurī relate qu’un litige foncier entre ʿAbd al-Raḥmān b. Zayd b. al-Ḫaṭṭāb et un fondé de pouvoir (wakīl) du calife Muʿāwiya fut porté non pas devant le cadi de Médine, mais par-devers son gouverneur, Marwān b. al-Ḥakam – lequel n’osa pas rendre de verdict à l’encontre du calife et s’abstint de juger ; le seul cadi, dans le récit, est celui de Damas auquel le calife accepte en définitive de confier l’examen du litige1145. D’autres conflits entre simples particuliers furent portés devant le même gouverneur1146. Pendant ce temps-là, en Irak, l’historiographie générale – c’est-à-dire non focalisée sur les cadis – présente le gouverneur Ziyād b. Abīhi comme le principal juge1147. Dans la Baṣra des années 717-720, c’est devant le gouverneur ʿAdī b. Arṭāt qu’un procès pour vol à l’arraché est intenté, et les deux principaux savants de la ville – dont l’un occupait le poste de cadi – apparaissent seulement comme des conseillers de l’émir1148. Sous le calife Hišām b. ʿAbd al-Malik, le gouverneur de Kūfa Yūsuf b. ʿUmar al-Ṯaqafī (m. 127/745) jugea lui-même un litige financier sans en référer au cadi – peut-être en raison de l’arrière-plan politique de l’affaire dans ce cas-ci1149. À la fin de la période omeyyade, le gouverneur de Médine était encore considéré comme l’autorité compétente pour examiner une accusation d’homicide1150. Dans les volumes des Ansāb al-ašrāf consacrés à la période omeyyade, la plupart des procès évoqués sont conduits devant un gouverneur1151. Seuls les cas traités par le cadi baṣrien Iyās b. Muʿāwiya font exception à ce schéma – en raison, sans doute, de la vive impression que produisirent ses méthodes.
367La position de ces émirs les amenait non seulement à jouer le rôle de juges, mais leur conférait aussi une autorité juridique. Al-Šaʿbī rapporte qu’au tournant du viiie siècle, un homme vint trouver le gouverneur de Kūfa, ʿUrwa b. al-Muġīra b. Šuʿba, pour lui demander son avis sur le cas d’un homme ayant déclaré à sa femme qu’elle serait répudiée « définitivement » (al-batta) s’il sortait de chez lui. L’homme avait vraisemblablement interrogé autour de lui avant de venir trouver ʿUrwa, et certains tenaient, d’après ʿAlī, qu’il devait se séparer de sa femme, d’autres, d’après ʿUmar, que sa formule n’équivalait qu’à une répudiation simple et révocable. Après avoir entendu l’homme, l’émir rendit son avis, contredisant ce que l’on rapportait de ʿAlī et de ʿUmar, et niant la validité de la formule « définitivement » – non conforme selon lui à la sunna1152. Saisi comme le furent plus tard les muftī-s, le gouverneur avait autorité pour exercer sa réflexion juridique – quitte à contredire d’illustres prédécesseurs –, et donc pour dire le droit. Le savant et futur cadi al-Šaʿbī, rapporteur de ce récit, semble s’être plus tard réclamé de l’autorité de ce gouverneur, de même qu’il approuva a posteriori certains de ses jugements ou ceux de ses confrères1153. Ce n’est qu’à l’époque abbasside, avec le rattachement des cadis au califat entrepris par al-Manṣūr, que le modèle de la judicature musulmane « classique » acheva d’émerger, érigeant des juges issus des milieux savants en principale incarnation de la justice.
368À la différence de ceux que l’historiographie présente comme les premiers cadis, les émirs des Omeyyades n’étaient pas des « autochtones » durablement installés dans la capitale de leur ressort, mais des élites centrales envoyées dans les provinces sur une base temporaire. Leur origine, ainsi que les liens qu’ils entretenaient avec le califat, contribuèrent sans doute à l’unification des pratiques. La centralité des gouverneurs dans l’administration judiciaire omeyyade faisait d’eux des relais essentiels entre la tête du pouvoir et les fonctionnaires provinciaux. Dans une autre lettre envoyée aux « émirs des ǧund-s », ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz leur demande ainsi de transmettre par écrit ses instructions relatives à la prière « à [leurs] fonctionnaires (ʿummāl) se trouvant [à la tête] des villes et des villages », et d’ordonner « aux gens de savoir et de droit (ahl al-ʿilm wa-l-fiqh) de divulguer ce qu’Allāh a enseigné à ce sujet1154 ». De fait, dès les Sufyānides, l’existence d’une jurisprudence califienne était admise. Avec les Marwānides, l’autorité juridique du calife fut invoquée de manière croissante, et dans la première moitié du viiie siècle, un droit omeyyade était accepté par beaucoup. L’intervention du calife omeyyade dans le domaine de la justice se manifestait surtout par l’émission de rescrits envoyés dans les provinces, notamment pour orienter les procédures judiciaires. Les premières traces de cette pratique remontent au califat de ʿAbd Allāh b. al-Zubayr (r. 63-73/683-692), et elle fut immédiatement reprise par ʿAbd al-Malik (r. 65-86/685-705)1155. Nul calife n’est connu pour avoir édicté des règles de procédure pour l’ensemble de l’empire et, de fait, l’autorité souveraine ne s’exprimait qu’au coup par coup, souvent au terme d’une sollicitation face à l’incapacité d’un gouverneur à trouver une solution satisfaisante. Mais dans l’échelle administrative, la parole du calife était investie d’une autorité supérieure à toute autre et, par l’intermédiaire des gouverneurs, vint progressivement lisser des usages longtemps demeurés hétérogènes. Dans sa Risāla fī l-ṣāḥāba, Ibn al-Muqaffaʿ (m. c. 140/757) témoigne qu’il en allait encore ainsi au début de l’époque abbasside : nombre de juges continuaient à se référer aux pratiques de ʿAbd al-Malik où à celles de gouverneurs, considérées comme part de la sunna1156. Bien plus, la parole califale fut intégrée aux débats entre savants, comme le montre un récit rapporté par al-Balāḏurī :
ʿAbd Allāh b. Muʿāḏ b. Muʿāḏ me rapporta d’après son père, d’ après
Šuʿba, d’après Ḥammād [b. Abī Sulaymān, m. 120/738] :
ʿAbd al-Ḥamīd [b. ʿAbd al-Raḥmān, gouverneur de Kūfa] m’interro
gea à propos du chrétien dont la femme se convertit à l’islam.
– Ibrāhīm [al-Naḫaʿī] a dit qu’ils demeuraient mariés, lui répondis-je.
[ʿAbd al-Ḥamīd] écrivit à ʿUmar [b. ʿAbd al-ʿAzīz], et celui-ci lui
répondit : « Qu’on prononce leur séparation ! »
Ḥammād déclara : « Je préfère la réponse de ʿUmar »1157.
369Face à un cas particulier – sans doute une situation dans laquelle il jouait le rôle de juge –, le gouverneur commença par interroger un savant local, mais sa réponse laissait en lui des doutes. Il écrivit alors au calife qui lui prescrivit une règle différente. La réponse, diffusée auprès des savants locaux, suscita des débats et des changements d’opinion. À l’extérieur de l’administration, la parole califienne, sans perdre totalement son autorité, intégra donc l’effervescence dialogique qui caractérisait la période. Si elle orienta, peut-être plus que tout, certaines évolutions de la procédure, elle participa aussi à un processus plus général de réflexion au sein duquel elle fut examinée, confirmée ou critiquée par les « savants » dont l’autorité s’affirmait de manière croissante. La parole légiférante du calife apparut au final comme un amer aux yeux des juges, un fil d’Ariane indispensable pour se retrouver dans le labyrinthe intellectuel de l’époque.
Notes de bas de page
1 E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit. ; F. J. Ziadeh, « Integrity (ʿadālah) in Classical Islamic Law », dans N. Heer (dir.), Islamic Law and Jurisprudence, Washington, University of Washington Press, 1990 ; id., « Compelling Defendant’s Appearance at Court in Islamic Law », Islamic Law and Society, 3, 1996 ; id., « Mulāzama or Harassment of Recalcitrant Debtors in Islamic Law », Islamic Law and Society, 7, 2000 ; W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 59-63.
2 E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 95-97 ; J. Schacht, Introduction…, op. cit., p. 28-29.
3 J. Schacht, The Origins, op. cit., p. 198 et suiv.
4 A. Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 195.
5 Voir J. Nielsen, « Maẓālim », EI2, VI, p. 934.
6 Voir par exemple al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 85 et suiv.
7 Voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, éd. par Rifʿat Fawzī ʿAbd al-Muṭṭalib, al-Manṣūra, Dār al-wafā’, 2001, VII, p. 490 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar al-Muzanī fī furūʿ al-šāfiʿīyya, Beyrouth, Dār alkutub al-ʿilmiyya, 1998, p. 393. Le droit imamite se rapproche de la tradition šāfiʿite : al-Ṭūsī, bien qu’il rapporte que « le Commandeur des croyants » (c’est-à-dire ʿAlī) rendait la justice dans la mosquée, souligne la réticence des savants imamites. Pour certains, dit-il, le cadi ne peut y rendre la justice que s’il y est saisi d’une affaire à l’improviste, et il n’a pas à y installer son audience de manière durable. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ fī fiqh al-imāmiyya, Beyrouth, Dār al-kitāb al-islāmī, 1992, VIII, p. 87. Un peu plus loin, pourtant, il ne semble pas douter que la mosquée soit en pratique le lieu de l’audience par excellence. Ibid., p. 90.
8 Cette idée n’est pas toujours explicite. Ainsi le ḥanafite al-Ṭaḥāwī (m. 321/933) dit-il que le cadi peut tenir audience à son domicile, mais qu’il est toutefois préférable qu’il le fasse dans un lieu public (yaqḍī ḥayṯu l-ǧamāʿa). Al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar al-Ṭaḥāwī, éd. par Abū l-Wafā’al-Afġānī, Hyderabad, Laǧnat iḥyā’al-maʿārif al-nuʿmāniyya, s. d., p. 326-327.
9 E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 278. Voir également M. Morony, Iraq after the Muslim Conquest, op. cit., p. 441, pour qui la localisation de l’audience à la mosquée dès les premiers temps de l’Islam est « naturelle ». Voir W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 59.
10 Le seul exemple qu’il mentionne avant les années 120/738 est celui d’al-Aḫṭal, siégeant dans une mosquée selon les Aġānī. E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 276. Encore convient-il de signaler que le poète al-Aḫṭal n’agissait pas alors en tant que cadi, mais comme arbitre.
11 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 485.
12 La tradition 22137, rapportant qu’al-Ḥasan [al-Baṣrī] et Zurāra b. Awfā rendaient la justice sur la raḥaba, à l’extérieur de la mosquée, est néanmoins mentionnée par al-Buḫārī, mais sans isnād. Al-Buḫārī, al-Ṣaḥīḥ, al-Yamāma/Beyrouth, Dār Ibn Kaṯīr, 1987, VI, p. 2621.
13 Ces narrateurs sont Ibn Abī Ġaniyya (probablement Ḥamīd b. Abī Ġaniyya, d’Ispahan, voir al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., VII, p. 383), ʿAbd al-Raḥmān b. Qays (nom partagé par plusieurs transmetteurs) et al-Muṯannā b. Saʿīd (Baṣrien, voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 96).
14 Yaḥyā b. Yaʿmar, originaire de Baṣra, fut cadi de Marw sous Qutayba b. Muslim (gouv. de 85/704 ou 86/705 à 96/715, voir C. E. Bosworth, « Ḳutayba b. Muslim », EI2, V, p. 541). Voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 126 ; Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VII, p. 368 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 305-306.
15 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., III, p. 619-620. Voir notre analyse plus détaillée dans M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 230.
16 Une tradition remontant à ʿUmar II, importante autorité de la tradition médinoise, lui fait ainsi interdire au cadi de siéger dans la mosquée, car des non-musulmans pourraient venir l’y trouver (Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 485) ; or selon al-Ǧaṣṣāṣ, Mālik b. Anas concevait que le cadi juge dans la mosquée, et autorisait un ḏimmī à venir l’y trouver (al-Ǧaṣṣāṣ, Aḥkām al-Qur’ān, Le Caire, Dār al-awqāf al-islāmiyya, 1335 H., III, p. 88).
17 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 351. Voir A. S. Tritton, The Caliphs and their Non-Muslim Subjects : a Critical Study of the Covenant of ʿUmar, Londres/Bombay/Calcuta/Madras, Oxford University Press, 1930, p. 177-178.
18 Voir M. Tillier, « Introduction », dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 39-42.
19 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 145.
20 Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, éd. par Waṣī Allāh b. Muḥammad ʿAbbās, Riyad, Dār al-Ḫānī, 2001, I, p. 227 (je remercie Christopher Melchert de m’avoir indiqué cette référence).
21 Ibid., p. 227.
22 Voir par exemple S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 132.
23 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 224, 226, 294 ; ʿAbd al-ʿAzīz b. Isḥāq al-Baġdādī, Musnad al-imām Zayd, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1981, p. 264.
24 Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 134 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 225, 313. Voir al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 534.
25 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 316.
26 Ibid., p. 412.
27 Voir al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt, op. cit., I, p. 98.
28 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 414.
29 Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, op. cit., I, p. 227, 450 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 427 ; III, p. 18, 24, 36, 130, 164 ; Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., IV, p. 180. Signalons toutefois une exception : Ibn ʿAsākir rapporte qu’al-Qāsim b. Maʿn, dans les années 170/786, tint audience dans une maison (dār). Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Dimašq, op. cit., XLI, p. 192.
30 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 428.
31 Ibid., III, p. 31.
32 Ibid., p. 28.
33 Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 307 ; al-Fasawī, al-Maʿrifa wa-l-ta’rīḫ (éd. al-Manṣūr), op. cit., III, p. 35 ; Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, op. cit., I, p. 450. Al-Šaʿbī aurait siégé dans la zāwiya se trouvant près de la « porte de l’éléphant » (bāb al-fīl). Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 252. Sur la zāwiya, voir J. Pedersen, « Masdjid », EI2, VI, p. 662.
34 Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, op. cit., I, p. 227, 450 ; Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., IV, p. 180.
35 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 85.
36 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 164.
37 Ibid., I, p. 275.
38 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 291, 318.
39 Ibid., p. 296 ; II, p. 14.
40 Ibid., II, p. 14.
41 La raḥaba des Banū Sulaym se trouvait à proximité de la grande mosquée de Baṣra, comme en témoigne un récit dans lequel al-Ṭabarī affirme que le calife al-Mahdī « ordonna d’agrandir la grande mosquée de Baṣra ; […] elle fut agrandie sur la droite, du côté adjacent à la raḥaba des Banū Sulaym ». Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ, op. cit., VIII, p. 136.
42 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 333, 339, 341. Encore convient-il de s’interroger sur le sens exact de sūq dans l’Irak de la fin du viie siècle. En syriaque, le terme šūqō désigne plus souvent la « place publique », ou la « place du marché » (J. Payne Smith, A Compendious Syriac Dictionary, Oxford, Oxford University Press, 1902, p. 568 ; M. Sokoloff, A Syriac Lexicon, op. cit., p. 1534 ; pour des exemples d’utilisation, voir par exemple Chronique de Zuqnīn (Chronique de Denys de Tell-Mahré), Quatrième Partie, éd. par Jean-Baptiste Chabot, Paris, Librairie Émile Bouillon, 1895, p. 117/98), et l’on peut se demander si tel n’aurait pu être le sens donné à ce terme dans un Irak où la langue araméenne demeurait dominante.
43 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 136.
44 Ibid., I, p. 335. Il est possible que cette convocation dans la maison d’un tiers s’apparente à une ruse, le cadi n’ayant pas voulu éveiller les soupçons du défendeur qui, autrement, aurait peut-être refusé de se rendre à l’audience.
45 Contrairement à ce qu’affirme Steven Judd, selon qui « the sources for Damascus offer no hints about where [ qāḍīs] heard cases ». S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 108.
46 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., IVa, p. 132-133.
47 Sur ce calife omeyyade, voir H. Kennedy, « al-Walīd », EI2, XI, p. 139.
48 Voir Ibn Ṭūlūn, Quḍāt Dimašq, op. cit., p. 5.
49 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., XXIX, p. 280. Le terme qanṭara correspond, à Damas, à un « arc » ou une « arche », une « arcade » ou un « portique » (N. Elisséeff, dans Ibn ʿAsākir, La description de Damas d’Ibn ʿAsākir, trad. par N. Elisséeff, 2e éd., Damas, Ifpo [2008], p. 112, n. 4).
50 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq. Ḫiṭaṭ Dimašq, éd. par Ṣalāḥ al-Dīn al-Munaǧǧid, 2e éd., Damas, Ifpo, [2008], p. 14.
51 Voir N. Elisséeff, dans Ibn ʿAsākir, La description de Damas, op. cit., p. 132, n. 5.
52 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq. Ḫiṭaṭ Dimašq, op. cit., p. 75.
53 Ibn Ṭūlūn, Quḍāt Dimašq, op. cit., p. 11.
54 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., LIII, p. 405 ; Ibn Ṭūlūn, Quḍāt Dimašq, op. cit., p. 11.
55 N. Elisséeff, dans Ibn ʿAsākir, La description de Damas, op. cit., p. 11, n. 2 ; F. B. Flood, The Great Mosque of Damascus. Studies on the Makings of an Umayyad Visual Culture, Leyde/Boston/Cologne, Brill, 2001, p. 139.
56 Le palais d’al-Ḫaḍrā’fut un temps la résidence des gouverneurs abbassides de Syrie. Voir P. M. Cobb, White Banners. Contention in ʿAbbasid Syria, 750-880, Albany, State University of New York Press, 2001, p. 59.
57 F. B. Flood, The Great Mosque of Damascus, op. cit., p. 154-158, 181.
58 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 351.
59 Ibn Ṭūlūn, Quḍāt Dimašq, op. cit., p. 12.
60 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., XI, p. 161.
61 Ibid., LXIV, p. 131. Sur la date controversée de sa mort, voir ibid., p. 126, 127, 134, 135.
62 Sur ce personnage, voir al-Ḏahabī, Siyar aʿlām al-nubalā’, op. cit., XI, p. 133-134.
63 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., LXIV, p. 131.
64 Id., Ta’rīḫ Madīnat Dimašq. Ḫiṭaṭ Dimašq, op. cit., p. 71, 159, 163.
65 Ibid., p. 66, 67, 131, 160 ; J. Sauvaget, « Le plan antique de Damas », Syria, 26, 1949, p. 345-346. Sur cette place, voir N. Elisséeff, dans Ibn ʿAsākir, La description de Damas, op. cit., p. 113, n. 2.
66 F. B. Flood, The Great Mosque of Damascus, op. cit., p. 154.
67 H. Djaït, Al-Kūfa. Naissance de la ville islamique, Paris, Maisonneuve et Larose, 1986, p. 108.
68 Voir P. M. Cobb, White Banners, op. cit., passim.
69 Selon al-Ṭabarī, cette raḥaba porta ce nom en souvenir de l’« arbitrage » rendu par ʿAbd al-Raḥmān b. ʿAwf pour départager ʿUṯmān b. ʿAffān et ʿAlī b. Abī Ṭālib lors de la consultation qui suivit le meurtre de ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb en 23/44. Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ, IV, p. 237. Voir H. Djaït, Al-Kūfa, op. cit., p. 104. Néanmoins, l’interprétation d’al-Ṭabarī ne fait pas l’unanimité. Selon ʿUmar b. Šabba, la raḥabat al-qaḍā’se trouvait à l’emplacement d’une maison qui, ayant appartenu à ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb, fut vendue après sa mort pour rembourser une dette qu’il avait contractée. Cette dār al-qaḍā’(signifiant ainsi « maison du remboursement [de la dette] », et non « maison de la justice ») n’aurait été rasée et remplacée par la raḥabat al-qaḍā’qu’en 138/755-6, sur ordre du gouverneur de Médine Ziyād b. ʿUbayd Allāh. ʿUmar b. Šabba, Aḫbār al-Madīna, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1996, I, p. 144. Cette raḥaba existait sans aucun doute sous le gouverneur Ǧaʿfar b. Sulaymān. Al-Iṣfahānī, Kitāb al-aġānī, éd. par ʿAlī Manhā et Samīr Ǧābir, Beyrouth, Dār al-fikr, 1986, VI, p. 23 (notice de Dā’ūd b. Salm).
70 Sur ce juriste andalou, voir A. Huici-Miranda, « Ibn Ḥabīb », EI2, III, p. 775.
71 Ibn Farḥūn, Tabṣirat al-ḥukkām, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1995, I, p. 31-32. Notons que le fiqh imamite continuait, au ve/xie siècle, de préconiser la tenue d’audiences sur les raḥaba-s. Voir al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 87.
72 Mentionnons encore l’exemple de ʿĀṣim b. Sulaymān al-Aḥwal (m. entre 141/758-9 et 143/760-1), cadi d’al-Madā’in au début de l’époque abbasside qui, selon Wakīʿ, attendait les plaideurs tout en faisant paître ses chèvres. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 304. Voir « Un espace judiciaire entre public et privé. Audiences de cadis à l’époque ʿabbāside », Annales islamologiques, 38, 2004, p. 494.
73 F. Donner, « From Believers to Muslims… », art. cité ; id., Muhammad and the Believers, op. cit., p. 203-204. Voir R. Hoyland, Seeing Islam…, op. cit., p. 555-556 ; A. Papaconstantinou, « Between Umma and Dhimma. The Christians of the Middle East under the Umayyads », Annales islamologiques, 42, 2008, p. 138-139.
74 A. Fattal, Le statut légal des non-musulmans en pays d’Islam, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1958, p. 350.
75 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 596 ; Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 37-38. Le cadi agissait dès lors en tant qu’arbitre, et non en tant que juge. Voir N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 290. Pour les développements mālikites plus tardifs, voir Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām ʿalā l-qaḍāyā wa-l-aḥkām, éd. par Muḥammad Qāsim b. ʿIyāḍ, Dār al-ġarb al-islāmī, Tunis, 2011 (1re éd. 1989), II, p. 636.
76 Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 102. Voir Fattal, Le statut légal des non-musulmans, op. cit., p. 120 ; N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 287-288.
77 Sur ce personnage, voir Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., XL, p. 137 ; Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VII, p. 480.
78 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., X, p. 322.
79 Ibid., p. 321-322.
80 Sur Muḥammad b. Muslim b. ʿUbayd Allāh b. ʿAbd Allāh b. Šihāb al-Zuhrī (m. 124/742), éminent savant et traditionniste médinois et, peut-être, cadi d’une circonscription indéterminée à l’époque marwānide, voir M. Lecker, « al-Zuhrī, Ibn Shihāb », EI2, XI, p. 565 ; S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 52-61.
81 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., X, p. 322.
82 C’est également ce que suggère le discours des canonistes orientaux, prompts à condamner le recours des chrétiens aux tribunaux musulmans. Voir U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 157 et suiv.
83 Sur ce dernier point, voir M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 230.
84 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 414, 427, 438 ; III, p. 18, 24, 28, 31, 36.
85 Ibid., p. 7. Voir ibid., p. 10.
86 J. Bloom, Minaret. Symbol of Islam, Oxford, Oxford University Press, 1989, p. 74 et suiv. Le terme manāra désigne, à l’origine, un phare ou une tour servant à marquer une frontière (ibid., p. 39). Pourrait-on émettre l’hypothèse que d’anciens récits évoquaient effectivement le cadi au pied d’une manāra – sans mentionner de mosquée ? Remarquons que d’autres textes évoquent la présence ancienne d’une manāra à Baṣra. Al-Balāḏurī (Ansāb al-ašrāf [éd. Zakkār et Ziriklī], op. cit., V, p. 183) mentionne une manāra à Baṣra à l’époque de Muʿāwiya, manifestement associée à la mosquée des Banū Quṭayʿa. Abū Razīn Masʿūd b. Mālik al-Asadī (m. av. 95/713-4, voir Ibn Ḥaǧar, al-Iṣāba fī tamyīz al-ṣaḥāba, éd. par ʿAlī Muḥammad al-Baǧāwī, Beyrouth, Dār al-ǧīl, 1992, VII, p. 150) aurait par ailleurs été décapité sur la manāra de la grande mosquée (al-Ḏahabī, Ta’rīḫ al-islām, op. cit., VI, p. 517).
87 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 136.
88 Ibid., p. 93-95, 125, 126, 128, 158, 159, 163, 171, 178. La mosquée n’était pas pour autant le seul lieu d’audience. Ainsi le cadi ʿĪsā b. Abān (en poste à Baṣra de 211/826-7 à 220/835) siégea-t-il un temps à son domicile. Ibid., p. 172. Ibn Ḥanbal relate par ailleurs que Sawwār b. ʿAbd Allāh (en poste à Baṣra en 137/754-5, puis de 140/757-8 à 156/773) rendait la justice chez lui. Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, op. cit., I, p. 227 (je remercie Christopher Melchert de m’avoir signalé ce passage).
89 D’après al-Iṣfahānī, la mosquée est un des lieux où le cadi Muḥammad b. ʿImrān entendit la déposition d’un témoin qu’il avait commencé par récuser (al-Iṣfahānī, Kitāb al-aġānī, op. cit., I, p. 251). La mention d’un cadi siégeant à la mosquée dans les années 90/708-9 (Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 145) est difficile à interpréter, faute d’indices assez nombreux sur les pratiques de cette ville. S’il ne s’agit pas d’une projection en arrière, peut-on pour autant conclure que la mosquée fut adoptée comme principal lieu d’audience dès cette époque ancienne ?
90 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 351, 360, 378, 390, 428, 439, 442, 443, 460, 463, 467.
91 Ibid., p. 351. Voir ibid., p. 390-391.
92 Ibid., p. 390 ; al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-aʿšā fī ṣināʿat al-inšā’, Le Caire, Dār al-kutub al-sulṭāniyya, 1910-1919, I, p. 419.
93 Voir M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 230.
94 Ce n’était sans doute pas un converti, car son nasab remonte jusqu’à son grand-père Numayr. Il avait auparavant été cadi de Baʿlabakk. Voir Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., LXXII, p. 345, 351, 357.
95 Voir par exemple J. S. Staffa, Conquest and Fusion. The Social Evolution of Cairo, A. D. 642-1850, Leyde, Brill, 1977, p. 32 ; M. Tillier, « Un espace judiciaire… », art. cité, p. 497 et suiv.
96 O. Grabar, « The Architecture of the Middle-Eastern City : The Case of the Mosque », dans Islamic Art and Beyond, vol. III, Constructing the Study of Islamic Art, Hampshire, Ashgate Publishing Limited, 2006, p. 110.
97 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, op. cit., p. 97, 98, 111, 119, 120, 131 et index.
98 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 360.
99 Ibid., p. 378.
100 Voir notre introduction à al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 40.
101 Remarquons par ailleurs qu’à Ispahan, dans la seconde moitié du viiie siècle, le cadi Mubaššir b. Warqā’siégeait dans « la mosquée d’Ayyūb b. Ziyād ». Abū Nuʿaym al-Iṣbahānī, Ḏikr aḫbār Iṣbahān, s. l., Dār al-kutub al-islāmiyya, s. d., II, p. 318 (je dois cette référence à Christopher Melchert).
102 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 391, 428, 443, 463, 467.
103 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 24.
104 Ibid., p. 130. Voir également Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, op. cit., I, p. 227, où al-Ḥaǧǧāǧ b. Muḥammad (Bagdadien, m. 206/821-2) affirme avoir vu Ibn Abī Laylā siéger « dans la mosquée » (fī l-masǧid) (je remercie Christopher Melchert de m’avoir aimablement communiqué cette référence).
105 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 250, 251 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam fī tawārīḫ al-mulūk wa-l-umam, éd. par Suhayl Zakkār, Beyrouth, Dār al-fikr, 1995, V, p. 433 ; VI, p. 114 ; VII, p. 153. Ibn Saʿd raconte que le cadi de Bagdad ʿAlī b. Ẓabyān siégeait dans la mosquée du Ḫuld ; il semble cependant que ce soit à l’époque où le cadi était attaché à la personne du calife al-Rašīd, qui résidait dans le palais du même nom, et non à celle où il exerçait comme cadi d’al-Šarqiyya. Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., V, p. 402. Voir Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 562.
106 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 158.
107 Le cas d’Ibn Abī Laylā est ambigu, puisqu’il exerça à la fois sous les derniers Omeyyades et sous les premiers Abbassides. Il est néanmoins raisonnable de penser que sa dernière judicature sous les Abbassides est celle dont les historiens postérieurs se souvenaient le mieux.
108 Voir notre introduction à al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 41.
109 Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, op. cit., I, p. 450 (je remercie Christopher Melchert de m’avoir signalé ce texte).
110 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 99.
111 Waṣī Allāh b. Muḥammad ʿAbbās explique que les ḫumūr (sing. ḫumra) sont de petites nattes de taille suffisante pour qu’un individu s’y prosterne. Ibn Ḥanbal, al-ʿIlal wa-maʿrifat al-riǧāl, op. cit., I, p. 450, n. 5. Voir également R. Dozy, Supplément…, op. cit., I, p. 404.
112 Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ, op. cit., VIII, p. 136 ; Ch. Pellat, Le milieu baṣrien et la formation de Ǧāḥiẓ, Paris, Adrien Maisonneuve, 1953, p. 9.
113 H. Munt, The Holy City of Medina. Sacred Space in Early Islamic Arabia, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 115-116 ; F. Omar, « Some Observations on the Reign of the ʿAbbāsid Caliph al-Mahdī 158/775-169/785 », Arabica, 21, 1974, p. 139 ; H. Kennedy, When Baghdad ruled the Muslim World. The Rise and Fall of Islam’s Greatest Dynasty, Cambridge, Da Capo Press, 2004, p. 53.
114 A. C. Creswell, « La mosquée de ʿAmru », art. cité, p. 128.
115 J. Bloom, Minaret, op. cit., p. 57-61, 81-83.
116 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 505 et suiv.
117 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 318.
118 Ibid., III, p. 25, 26. Voir pour le début de l’époque abbasside, al-Ḫaṭīb al-Baġdādī, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, éd. par Baššār ʿAwwād Maʿrūf, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 2001, X, p. 399.
119 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., et al-Ǧaṣṣāṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 85-86 (les passages entre crochets correspondent au texte attribué à al-Ḫaṣṣāf, le reste constituant le commentaire d’al-Ǧaṣṣāṣ). Voir al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt, op. cit., I, p. 106.
120 A. Garapon, Bien juger, op. cit., p. 113.
121 Voir ibid., p. 34.
122 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 284, 295.
123 Ibid., p. 380, 392. La doctrine ḥanafite plus tardive demande au cadi de ne pas saluer les plaideurs lorsqu’il tient audience, sauf pour rendre un salut, et ceci afin de préserver l’égalité des justiciables. Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., et al-Ǧaṣṣāṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 119.
124 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 255.
125 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 538 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 414 ; III, p. 8, 22 (où les conseillers sont appelés mutafahhima), 24, 30 ; Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 346. Voir également S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 132.
126 Un récit mettant en scène le cadi Muḥammad b. ʿImrān (en poste de 132/749 à 133/750, puis de c. 137/754-5 à 141/758-9) et le philologue al-Aṣmaʿī (m. 213/828) laisse supposer qu’à Médine également, le cadi pouvait siéger avec un savant près de lui (Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 186). Il est néanmoins difficile de savoir dans quelle mesure ce récit isolé est révélateur de pratiques courantes. Au début du viiie siècle, le cadi Abū Bakr b. Muḥammad b. ʿAmr b. Ḥazm aurait consulté plusieurs personnes au sujet d’une affaire délicate, mais manifestement à l’extérieur de l’audience. Il envoya par ailleurs un plaideur demander des fatwā-s à des juristes qui ne siégeaient pas avec lui. Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ al-rusul wa-l-mulūk, éd. par M. J. de Goeje, Leyde, E. J. Brill, 2010 (1re éd. 1885-1889), II. 3, p. 1374.
127 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 308. L’expression yaqḍī bi-l-ḫalwa, employée par Wakīʿ à propos de deux cadis baṣriens de la fin du ier siècle, nous a un temps laissé penser que ces cadis « jugeaient à l’écart [de la foule] » (ibid., p. 302, 337). Il semble plus probable, comme l’explique Ibn Abī Šayba, que le mot ḫalwa relève ici de la terminologie du mariage et désigne une sorte de cadeau nuptial, peut-être apporté au moment de la consommation – les manuscrits comme les éditeurs du Muṣannaf divergent sur l’interprétation à donner à ce mot et sur son orthographe, certains lui préférant ǧilwa. Quoi qu’il en soit, il semblerait que ces deux cadis aient jugé ce cadeau obligatoire. Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, éd. par al-Ḥūt, op. cit., IV, p. 344 ; ibid., éd. par Ǧumʿa et al-Laḥīdān, op. cit., VI, p. 299-300.
128 Pour les mālikites, voir E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 230 et suiv. Pour les ibāḍites, voir Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, éd. par Muṣṭafā b. Ṣāliḥ Bāǧū, Mascate, Wizārat al-turāṯ wa-l-ṯaqāfa, 2007, III, p. 268.
129 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 6-7.
130 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 364 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 93-95 (Baṣra) ; III, p. 250 (Bagdad) ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., VI, p. 114 (Bagdad).
131 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 171.
132 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 388.
133 Ibid., p. 443.
134 Ibid., p. 443.
135 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 86.
136 Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 86.
137 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 295. Sur la définition de ṭinfisa, voir A. de B. Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, II, op. cit., p. 113. Gaston Wiet remarque qu’on fabriquait des ṭinfisa-s à Ḥīra, non loin de Kūfa, et le terme fut peut-être choisi pour signifier que Šurayḥ siégeait sur un tapis local. G. Wiet, « Tapis égyptiens », Arabica, 6, 1959, p. 6.
138 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 84.
139 Il est souvent difficile, pour le début de l’époque abbasside, de distinguer ce qui relève du topos littéraire et de la convention sociale. Nous avons vu ainsi que le fameux refus de la judicature par les savants, pour être un topos, n’en correspond pas moins à des pratiques sociales qui résultent de l’assimilation de ce topos par les acteurs eux-mêmes. Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 660 et suiv.
140 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 286 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 562. Sur le terme bāriya, voir al-Muʿǧam al-wasīṭ, racine b.w.r. Au ve/xie siècle, al-Simnānī ne considère pas les termes bāriya et ḥaṣīr comme synonymes. « On étend pour les témoins des ḥuṣur ou des bawārī s’il n’y a pas de ḥuṣur. » À son époque la bāriya correspondait manifestement à une qualité de natte inférieure, sans doute plus grossière. Al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt, op. cit., I, p. 104. Pour l’imamite al-Ṭūsī, la bāriya est la natte ordinaire dont est recouvert le sol de la mosquée. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 90.
141 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 356.
142 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 172.
143 J. Sadan, Le mobilier au Proche-Orient médiéval, Leyde, Brill, 1976, p. 25, 27.
144 Ibid., p. 27, n. 75.
145 Ibid., p. 27.
146 A. de B. Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, II, op. cit., p. 1560. Notons que la définition du même terme par Gaston Wiet, qui voit dans le waṭā’« un tapis qu’on foule aux pieds » (G. Wiet, « Tapis égyptiens », art. cité, p. 8), semble inadéquate au regard de l’usage qu’en firent les cadis pour se garantir un certain confort à l’audience.
147 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 286 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 562.
148 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 172. Les tapis du Ṭabaristān étaient réputés et appréciés. Voir G. Wiet, « Tapis égyptiens », art. cité, p. 16.
149 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 414, 428.
150 Ibid., p. 414.
151 Ibid., p. 463.
152 Peut-être les tapis étaient-ils posés sur ces nattes.
153 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 126.
154 Ibid., p. 172.
155 J. Sadan, Le mobilier au Proche-Orient médiéval, op. cit., p. 105.
156 Ainsi al-Simnānī évoque-t-il plus tard l’emploi de coussins en lien avec la nécessité de donner de la visibilité à l’audience judiciaire. Conscient des débats qui eurent lieu sur un tel mobilier d’apparat, l’auteur autorise le cadi à siéger sur un coussin – il parle également de « feutre blanc » (labd abyaḍ) –, tandis que les témoins instrumentaires, d’un rang inférieur, doivent se contenter de nattes (ḥuṣur). Al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt, op. cit., I, p. 104.
157 J. Sadan, « À propos de martaba : remarques sur l’étiquette dans le monde musulman médiéval », Revue des études islamiques, 41, 1973, p. 65.
158 J. Sadan, Le mobilier au Proche-Orient médiéval, op. cit., p. 15. Sur la hiérarchie des places selon le rang social, voir J. Sadan, « À propos de martaba », art. cité, p. 53.
159 Yazīd b. Suwayd al-Azdī, savant égyptien (m. 128/745) et transmetteur de ḥadīṯ. Il est considéré comme le grand maître de l’école égyptienne de ḥadīṯ que ses disciples (dont Ibn Lahīʿa) développèrent après lui. Selon Juynboll, il aurait été le premier à introduire le ḥadīṯ en Égypte. Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., VIII, p. 183-184 ; R. G. Khoury, ʿAbd Allāh Ibn Lahīʿa (97-174/715-790) : Juge et grand maître de l’école égyptienne, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1986, p. 114-115 ; G. H. A. Juynboll, Muslim Tradition, op. cit., p. 22.
160 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 370.
161 E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., I, p. 373-386 ; W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 60-62.
162 Certains de ces récits évoquent simplement « un homme qui se tenait à côté de lui ». Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 307, 317.
163 Ibid., p. 307, 317, 392.
164 Ibid., p. 283. L’origine du terme ǧilwāz n’a jamais été étudiée. En arabe la racine ǧ. l. z. renvoie avant tout à l’idée de « plier », « rouler », « entortiller » (voir A. de B. Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, I, op. cit., p. 314), sens qui semble bien éloigné des fonctions de ce personnage. Il conviendrait plutôt d’envisager une origine araméenne, langue des populations autochtones de Kūfa et des environs. En syriaque, la racine g. l. z. porte l’idée de « priver », « dépouiller », « contraindre ». Le gālūzā (syriaque oriental)/gōlūzō (syriaque occidental) est un « bandit » ou une « personne injuste » (J. Payne-Smith, A Compendious Syriac Dictionnary, op. cit., p. 70 ; M. Sokoloff, A Syriac Lexicon, op. cit., p. 233). Dans son dictionnaire syriaque-arabe, Bar Bahlūl (xe siècle) traduit gōlūzō par al-māniʿ (celui qui empêche, qui interdit) (Bar Bahlūl, Lexicon Syriacum, éd. par Rubens Duval, Paris, Reipublicae Typographaeo, 1901, I, p. 493). Si cette étymologie était confirmée, le terme ǧilwāz renverrait à la même idée d’interdiction et de contrainte.
165 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 215, 277.
166 Ibid., p. 320.
167 W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 60.
168 Notons toutefois qu’un poème relatif au cadi al-Šaʿbī mentionne, à la fin des années 710, un ǧilwāz chargé d’introduire un plaideur. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 417. Hallaq en déduit que la fonction était fermement établie dès cette époque (W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 60).
169 Steven Judd propose que vers 700, le cadi Abū Burda b. Abī Mūsā eut pour scribe Saʿīd b. Ǧubayr (S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 132). Cependant cette affirmation n’est pas confirmée par les sources, qui mentionnent simplement que le gouverneur al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf « fit siéger » (aqʿada) Saʿīd b. Ǧubayr avec Abū Burda. Le rôle exact de ce personnage demeure donc inconnu. Il se peut qu’il ait été conseiller du cadi, ou bien qu’une forme de judicature bicéphale ait été tentée (voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 281-284). Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 407, 411 ; Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., XXVI, p. 56.
170 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 20.
171 Ibid., p. 22.
172 Ibid., p. 130-131.
173 Ibid., III, p. 136.
174 Ibid., p. 164.
175 Ibid., p. 181.
176 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 188.
177 Dans les années 150/770, Šarīk b. ʿAbd Allāh en appela à des jeunes de son quartier (fityān) pour arrêter les acolytes d’un fonctionnaire chrétien coupable d’avoir maltraité un esclave musulman. Le cadi était alors près de sa maison et non à l’audience, ce qui peut expliquer qu’il recourut au bon vouloir de gens de son quartier. Ce récit n’en donne pas moins l’impression que le cadi était loin d’être toujours entouré d’un personnel professionnel. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 169-170.
178 Ibid., I, p. 286.
179 Ibid., p. 285.
180 Voir L. Veccia Vaglieri, « al-Ashʿarī, Abū Mūsā », EI2, I, p. 695.
181 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 336.
182 Ibid., p. 318.
183 Ibid., II, p. 8.
184 Ibid., p. 37, 41.
185 Steven Judd interprète autrement ce passage d’Ibn ʿAsākir. Il pense que le cadi Bilāl b. Abī Burda rendait son jugement sans recevoir les plaideurs. Le texte précise cependant que l’auxiliaire « amenait [les justiciables] » (yuḥḍiru-hum) et « les introduisait devant [le cadi] » (yudḫilu-hum ʿalay-hi). Le pronom pluriel-hum ne peut faire référence qu’aux plaideurs, et non aux dossiers (auquel cas le pronom-hā aurait été employé). Voir S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 126.
186 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., X, p. 513.
187 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 371. Le texte dit amīna-hu, le pronom suffixe renvoyant au particulier plutôt qu’au cadi.
188 Ibid., II, p. 9.
189 Ibid., p. 115, 125, 163.
190 Wakīʿ mentionne une exception dans ibid., p. 141.
191 Ibid., p. 108, 125, 178.
192 Ibid., p. 55.
193 Ibid., p. 81, 116.
194 Ibid., p. 126.
195 Ibid., p. 58, 62, 83, 112, 167. Voir ibid., p. 158, où il est question de aʿwān (auxiliaires).
196 Ibid., p. 58.
197 Ibid.
198 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 145.
199 Ibid., p. 158.
200 Ibid., p. 173.
201 Ibid., p. 203, 204, 214.
202 Ibid., p. 188, 204, 230.
203 Pour l’origine probablement araméenne de ce terme, voir supra.
204 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 137.
205 Ibid., p. 185, 193, 215, 240. On remarquera que plusieurs d’entre eux étaient mawālī (p. 215, 240). Sur l’appartenance d’une majorité des scribes judiciaires, à Fusṭāṭ, à la société des mawālī, voir M. Tillier, « Scribes et enquêteurs », art. cité, p. 387 et suiv.
206 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 245.
207 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 215.
208 M. Tillier, « Scribes et enquêteurs », art. cité, où nous reconstituons notamment une liste des scribes égyptiens. Il convient d’ajouter à cette liste les scribes anonymes évoqués par les sources, notamment ceux de Yaḥyā b. Maymūn (en poste de 105/724 à 114/732) dans al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 340.
209 Al-Kindī évoque « les scribes de Yaḥyā b. Maymūn », mais ce dernier cadi demeura en poste pendant plus de huit ans (voir note précédente), et il est probable qu’il changea de scribe au cours de son mandat – peut-être en raison des plaintes dont ses greffiers firent l’objet. Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 340.
210 Dans les années 205/820, Ibrāhīm b. al-Ǧarrāḥ n’a qu’un seul scribe connu ; mais il est possible qu’il en ait eu d’autres qu’al-Kindī ne cite pas. Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 428.
211 Ibid., p. 384.
212 Ibid., p. 394.
213 Ibid., p. 415-416.
214 Ibid., p. 394.
215 S. Bouderbala, Ǧund Miṣr, op. cit., p. 265-268.
216 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 346.
217 Ibid., p. 390.
218 Ibid., p. 383.
219 Ibid., p. 395.
220 Ibid., p. 424. Voir ibid., p. 450.
221 Ibid., p. 383, 388.
222 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 238.
223 Voir par exemple al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 391.
224 Voir ibid., p. 404.
225 Ibid., p. 435.
226 Ibid., p. 463.
227 W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 60.
228 Voir l’exemple du cadi médinois Musʿab b. ʿAbd al-Raḥmān (Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, I, op. cit., p. 118).
229 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 460.
230 Ibid., p. 450.
231 Wakīʿ décrit comment, sous les derniers Omeyyades ou les premiers Abbassides, le cadi Ibn Abī Laylā expliqua à une veuve qu’elle ne pouvait gérer les biens de son fils et devait les confier à un « homme digne de confiance » (ṯiqa). Rien n’indique cependant qu’un tel « homme de confiance » appartenait à l’appareil judiciaire, et le cadi peut avoir simplement exercé un contrôle indirect en appliquant la règle selon laquelle une femme n’a pas le droit de gérer la fortune de ses enfants orphelins de père. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 135.
232 Al-Šaybānī, al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, op. cit., p. 399.
233 Sur les enquêteurs chargés de vérifier la moralité des témoins, voir infra. Remarquons dès à présent qu’à la fin du viiie siècle, al-Šaybānī s’interroge sur le nombre d’enquêteurs devant être attachés à chaque cadi. Bien qu’Abū Ḥanīfa, selon lui, accepte un enquêteur unique, il exige pour sa part que le cadi en prenne deux. Al-Šaybānī, al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, op. cit., p. 401.
234 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 265 et suiv.
235 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 58.
236 « Les actes de fondations pieuses (kutub al-aḥbās) » dans Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 438.
237 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 379.
238 Voir M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 229.
239 Voir M. Tillier, « Un espace judiciaire… », art. cité, p. 507-508.
240 Sur cette procédure, voir B. Johansen, « Formes de langage et fonctions publiques : stéréotypes, témoins et offices dans la preuve par l’écrit en droit musulman », Arabica, 44, 1997, p. 344. Afin de préserver l’anonymat des femmes, celles-ci pouvaient être dispensées de rédiger un placet, auquel cas le cadi devait réserver un jour de la semaine à l’audition de leurs affaires. Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 54.
241 Cela signifie que, pour al-Ḫaṣṣāf, le cadi pouvait traiter une cinquantaine de litiges par jour. À titre de comparaison, Wakīʿ rapporte qu’Iyās b. Muʿāwiya (en poste à Baṣra c. 95/713-101/719) aurait été capable d’en traiter 70. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 318.
242 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 53-56.
243 Voir Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 45, où l’auteur passe beaucoup plus rapidement sur cette procédure et semble supposer que le cadi ne fait que « retourner » (qalaba) la pile de ruqʿa-s avant de tirer ces dernières les unes après les autres.
244 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 53, 86.
245 Ibid., p. 87, 129.
246 Ibid., p. 123. Sur les développements de la qiṣṣa après le ive/xe siècle, voir B. Johansen, « Formes de langage… », art. cité, p. 344-345.
247 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 303, 304, 315, 317 ; Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Dimašq, XXVI, p. 165. Notons qu’aucun cadi d’Irak ou du Hedjaz n’est associé à la fonction de qāṣṣ. Christopher Melchert relève l’exemple du « cadi baṣrien » Ṣāliḥ al-Murrī (m. 172/788-9 ?) qui aurait aussi été qāṣṣ (Chr. Melchert et A. Asfaruddin, « Reciters of the Qur’ān », Encyclopedia of the Qur’ān, éd. par J. D. McAuliffe, Leyde, Brill, 2001-2006, IV, p. 386). En réalité ce personnage ne semble pas avoir exercé la fonction de cadi : il n’apparaît dans aucune liste de cadi et ses biographies ne le mentionnent pas comme un juge.
248 M. K. Masud, « The Award of Matāʿ… », art. cité, p. 366.
249 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 303, 317.
250 Voir M. Tillier, « Introduction », dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 19.
251 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 166-167. Sur les fonctions du qāṣṣ, voir P. Pedersen, « The Islamic Preacher. Wāʿiẓ, mudhakkir, qāṣṣ », dans S. Löwinger, J. Somogyi (dir.), Ignace Goldziher Memorial Volume, I, Budapest, 1948, p. 235-236 ; Ch. Pellat, « Ḳāṣṣ », EI2, IV, p. 733 ; G. H. A. Juynboll, Muslim Tradition, op. cit., p. 14 ; Kh. ʿAthamina, « Al-Qasas : Its Emergence, Religious Origin and Its Socio-Political Impact on Early Muslim Society », Studia islamica, 76, 1992, p. 53-74 (en particulier p. 66 et suiv.).
252 Voir par exemple Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 784 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 94, 95, 394 ; III, p. 147 ; al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., VI, p. 52. Soulignons néanmoins l’ambiguïté graphique qui existe en arabe entre qiṣṣa قصة et qaḍiyya قضية. Deux éditions d’un passage d’al-Ǧawāhir al-muḍiyya d’Ibn Abī l-Wafā’, relatif au cadi de Baṣra ʿĪsā b. Abān (en poste de 211/826-7 à 220/835), donnent ainsi une lecture différente de ce terme. L’édition de Ḥaydarābād (I, p. 401) fait dire à une plaignante : « Ô cadi, interroge les juristes à propos de ma qiṣṣa avant de me condamner ! » ; l’édition d’al-Ḥulw (II, p. 680) lui fait dire en revanche : « Ô cadi, interroge les juristes à propos de mon affaire (qaḍiyya) avant de me condamner ! » Aucun éditeur ne commente son choix, et les deux semblent pouvoir se justifier.
253 Sur les différents niveaux d’accès à l’écrit dans l’Égypte du iie/viiie siècle, voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 218-219.
254 Voir références supra.
255 Voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., V, p. 22.
256 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 733. Notons qu’en pareil cas, la qiṣṣa devrait être présentée par le défendeur, et non par le demandeur, ce qui laisse supposer qu’il ne s’agit pas d’un billet exposant la plainte.
257 Ibn Ḥaǧar, Taʿǧīl al-manfaʿa bi-zawā’id riǧāl al-a’imma al-arbaʿa, éd. par Ikrām Allāh Imdād al-Ḥaqq, Beyrouth, Dār al-bašā’ir al-islāmiyya, 1996, II, p. 109.
258 Voir al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., VIII, p. 117.
259 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 734. Ces traditions ne figurent dans aucun autre recueil de ḥadīṯ, ce qui empêche de comparer d’éventuels isnād-s divergents.
260 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 307. Voir également Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 134.
261 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 379-380.
262 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 123.
263 Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 123.
264 Ibid., p. 123-4.
265 Sur la question de la langue employée au tribunal et des difficultés rencontrées par certains plaideurs, voir M. Tillier, « La société abbasside au miroir du tribunal. Égalité juridique et hiérarchie sociale », Annales islamologiques, 42, 2008, p. 173.
266 Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 123.
267 Un passage de Wakīʿ pourrait suggérer que la manière d’introduire les plaideurs fit l’objet d’une réflexion précoce. À propos d’Abū Mūsā al-Ašʿarī, qui aurait exercé la justice à Baṣra dans les années 20/640, Wakīʿ cite une lettre du calife ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb l’enjoignant à ne pas recevoir une foule désordonnée, et à introduire les gens à son audience dans un ordre hiérarchique (Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 286). L’énumération des « nobles » (ahl al-šaraf), des « spécialistes du Coran, des hommes pieux et religieux » laisse plutôt envisager le contexte d’une audience plus générale de ce personnage, qui fut aussi – ou surtout – gouverneur. Voir L. Veccia Vaglieri, « al-Ashʿarī, Abū Mūsā », EI2, I, p. 695.
268 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 58.
269 D’autres interprétations sont néanmoins possibles : dans un contexte où Wakīʿ évoque les administrateurs (umanā’) du cadi, l’expression pourrait signifier que ce dernier les « préposa [à l’administration de certains biens] par tirage au sort ».
270 Al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., X, p. 399. Voir Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 419.
271 A. de B. Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, I, op. cit., p. 908.
272 Voir par exemple Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 41 (Bilāl b. Abī Burda) ; al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., VIII, p. 325 (al-Ḥasan b. ʿUmāra écrit un billet à son wakīl pour qu’il donne sa part de l’argent à un solliciteur) ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., VI, p. 432 (poème de hiǧā’envoyé à un traditionniste).
273 Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 561 (requête du calife al-Rašīd à des juristes) ; Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Dimašq, op. cit., XXXIV, p. 83 (billet d’un vizir à un cadi réclamant la vente d’un bien).
274 Voir notamment Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., VI, p. 168-169 (al-Wāqidī sollicite l’aide financière du calife).
275 Voir Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Dimašq, op. cit., XXXII, p. 379.
276 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 91.
277 Ibid., p. 98.
278 Ibid., p. 610.
279 À de rares exceptions près, où le terme qiṣṣa est malgré tout employé. Voir par exemple al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 48.
280 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 155.
281 Al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., X, p. 399. Voir Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 419.
282 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 178.
283 Al-Marzubānī, Nūr al-qabas al-muḫtasar min al-muqtabas, éd. par Rudolf Sellheim, Wiesbaden, Franz Steiner, 1964, p. 280.
284 Al-Māwardī, Adab al-dunyā wa-l-dīn, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1987, p. 111. Sur ce poète, voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., III, p. 93.
285 Al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., XVI, p. 372-373.
286 J. S. Nielsen, « Maẓālim », EI2, VI, p. 934.
287 Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ, op. cit., VIII, p. 173.
288 Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., I, p. 398 (pétition présentée au calife al-Wāṯiq) ; al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., V, p. 239 (pétition présentée à al-Wāṯiq, et traitée par le grand cadi Aḥmad b. Abī Du’ād) ; al-Ṣābi’, al-Wuzarā’ : tuḥfat al-umarā’fī tārīḫ al-wuzarā’, éd. ʿAbd al-Sattār Aḥmad Farāǧ, s. l., Dār iḥyā’al-kutub al-ʿarabiyya, 1958, p. 242.
289 Al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-aʿšā, op. cit., VI, p. 202 et suiv.
290 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 307.
291 Voir supra.
292 Dans son commentaire d’al-Ḫaṣṣāf, al-Ǧaṣṣāṣ explique que la déposition de ces témoins n’entrainant pas de jugement (infāḏ ḥukm) à l’encontre du défendeur, mais une simple correction discrétionnaire, il n’est pas besoin qu’ils soient considérés comme ʿadl-s. Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 246.
293 Al-Ǧaṣṣāṣ souligne néanmoins (pour la réfuter) que la doctrine mālikite ne permet pas au cadi de faire comparaître un défendeur de force. Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 240.
294 Al-Ǧaṣṣāṣ considère quant à lui que c’est plutôt au chef de la police (ṣāḥib al-šurṭa) d’amener le récalcitrant sur demande du cadi, à moins que les propres auxiliaires (aṣḥāb) du cadi n’en aient les moyens. Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 246.
295 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 245.
296 Ibid., p. 247, 249.
297 Ibid., p. 252.
298 Ce personnage est mentionné plus loin par Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 159.
299 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 127.
300 Ce personnage à la lenteur légendaire était nommé Abū Zayd ʿAbd al-Muǧīb, mawlā de ʿĀ’iša bint Saʿd b. Abī Waqqās. Voir la note de l’éditeur dans Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 155.
301 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 155-156.
302 Ibn Abī Ḫayṯama, Ta’rīḫ Ibn Abī Ḫayṯama, éd. par Salāḥ b. Fatḥī Halal, Le Caire, al-Fārūq al-ḥadīṯa, 2004, III, p. 153. Sur ce type de phrase, que des théoriciens plus tardifs souhaitent voir figurer sur le sceau du cadi en vue de telles convocations, voir notamment al-Nawawī, Rawḍat al-ṭālibīn wa-ʿumdat al-muftiyīn, Beyrouth, al-Maktab al-islāmī, 1405 H., XI, p. 194.
303 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 18. La logique grammaticale de cette phrase est obscure, et il est possible que le texte de Wakīʿ soit corrompu à cet endroit. Si ces formules figuraient bien sur des sceaux, ces derniers correspondent à une typologie bien différente des sceaux privés, qui mentionnent le plus souvent des formules religieuses ou à caractère éthique. Voir par exemple Ph. Gignoux, L. Kalus, « Les formules des sceaux sasanides et islamiques : continuité ou mutation ? », Studia iranica, 11, 1982, p. 139-146.
304 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 124.
305 Ibid., p. 170.
306 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 193.
307 Ibid., I, p. 205. Le verbe employé dans ce ḫabar, arsala (« envoyer un message »), ne permet pas de conclusion quant à la nature exacte du message. Des contemporains crurent cependant que le défendeur (Mālik b. Anas) avait été demandé pour conseiller le cadi, et il semble peu probable que la confusion eût été possible si celui-ci avait envoyé un sceau d’argile.
308 C’est à cette date que fut en poste le gouverneur plus loin mentionné, al-Hayṯam b. Muʿāwiya al-ʿAtīkī. Voir E. de Zambaur, Manuel de généalogie, op. cit., p. 40.
309 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 62.
310 Ibid., p. 125.
311 Voir encore, à propos d’un cadi de Bagdad à l’époque d’al-Rašīd, al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., XIII, p. 29 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., VI, p. 162.
312 Il s’agit de ʿĪsā b. Ǧaʿfar b. al-Manṣūr al-ʿAbbāsī (m. 192/807-8), membre important de la famille abbasside. Il fut notamment gouverneur de Baṣra en 173/790. Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 564 ; Ch. Pellat, Le milieu baṣrien, op. cit., p. 281. Voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., V, p. 102 (celui-ci propose une autre date de mort).
313 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 287. Le récit est traduit dans son intégralité dans M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 521-522.
314 Voir par exemple al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, p. 335, 351, 390, 414, 456, 472.
315 M. Tillier, « Deux papyrus judiciaires de Fusṭāṭ », art. cité, p. 414.
316 Voir notre analyse détaillée dans ibid., p. 414, 422.
317 Remarquons néanmoins que les sceaux byzantins étaient généralement imprimés sur d’autres matériaux (or, plomb, argent, cire). J.-Cl. Cheynet, « L’usage des sceaux à Byzance », Res orientales, 10, 1997, p. 23.
318 Voir J. Allan, D. Sourdel, « Khātam », EI2, IV, p. 1103.
319 Ph. Gignoux, L. Kalus, « Les formules des sceaux », art. cité, p. 151-152.
320 Sur cet auteur, voir infra.
321 M. Macuch, « The Use of Seals in Sasanian Jurisprudence », Res orientales, 10, 1997, p. 80-86. Voir également quelques sceaux de juges sassanides publiés dans R. Gyselen, Sasanian Seals and Sealings in the A. Saeedi Collection, Louvain, Peeters, 2007, p. 180, 188, 190. Voir N. al-Kaʿbī, Ǧadaliyyat al-dawla wa-l-dīn fī l-fikr al-šarqī al-qadīm. Īrān al-ʿaṣr al-sāsānī anmūḏaǧan, Bagdad/Beyrouth, Manšūrāt al-ǧamal, 2010, p. 440. Remarquons cependant que la convocation de plaideurs par l’envoi d’un sceau n’est pas connue pour l’époque sassanide.
322 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 245.
323 Cl. Huart, A. Grohmann, « Kāghad », EI2, IV, p. 419.
324 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 178.
325 Le šibr correspond à la distance maximale entre le pouce et le petit doigt ; le ḏirāʿ à la distance entre le coude et le bout des doigts. Voir C. E. Bosworth, « Misāḥā », EI2, VII, p. 137.
326 D. Sourdel, « Ḳaḍīb », EI2, IV, p. 377.
327 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 126. Voir la traduction de ce passage dans M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 527. Au ve/xie siècle, sous les Būyides, l’imamite al-Ṭūsī recommande au cadi de « siéger sur des nattes (ḥaṣīr), des tapis (bisāṭ) ou autre chose, mais de ne pas s’asseoir par terre ou sur les simples nattes (bāriya) de la mosquée ; ainsi [le cadi] apparaît plus imposant (ahyab) aux yeux des plaideurs, et ses ordres n’en sont que plus respectés ». Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 90.
328 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 528-529. Pour Médine, voir également Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāṭ, op. cit., I, p. 145.
329 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Dimašq, op. cit., XXXII, p. 379-80. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 290 (le texte de Wakīʿ est manifestement altéré à cet endroit, le copiste ayant dû sauter plusieurs lignes).
330 Al-Ǧāḥiẓ, Kitāb al-ḥayawān, éd. par ʿAbd al-Salām Muḥammad Hārūn, Le Caire, Muṣṭafā al-Bābī al-Ḥalabī, 1965, III, p. 343-344. Voir la traduction proposée par L. Souami dans Jâhiz, Le cadi et la mouche. Anthologie du Livre des animaux, Paris, Sindbad, 1988, p. 309-310.
331 Al-Ǧāḥiẓ, Kitāb al-ḥayawān, op. cit., III, p. 344-345.
332 Miḫadda était devenu, au ve/xie siècle, un synonyme strict de wisāda. Voir J. Sadan, Le mobilier au Proche-Orient médiéval, op. cit., p. 105.
333 Sur le terme mirfaqa, voir J. Sadan, Le mobilier au Proche-Orient médiéval, op. cit., p. 111.
334 Al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt, op. cit., I, p. 104.
335 Ibid.
336 Ibid., p. 105.
337 Ibid., p. 92. Sur ce personnage, voir V. Van Renterghem, Les élites bagdadiennes au temps des Seldjoukides. Étude d’histoire sociale, Beyrouth/Damas, Presses de l’Ifpo, 2015, passim.
338 Al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt, op. cit., I, p. 92.
339 Ibid., p. 134.
340 Ibid., p. 134.
341 Ibid., p. 93.
342 Sur ce terme, voir J. Sadan, Le mobilier au Proche-Orient médiéval, op. cit., p. 107.
343 Ibid., p. 26.
344 Al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt, op. cit., I, p. 106-107.
345 Ibid., p. 92.
346 F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve en droit musulman, Paris, Recueil Sirey, 1910 ; R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité ; J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 187 ; id., Introduction au droit musulman, op. cit., p. 158-160.
347 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 187.
348 Ibid.
349 M. K. Masud, « Procedural Law between Traditionalists, Jurists and Judges : the Problem of Yamīn maʿ al-shāhid », al-Qanṭara, 20, 1999 ; Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité.
350 Pour les šāfiʿites et les ḥanafites, comme pour Ibn Abī Laylā, l’aveu forcé pouvait être déclaré nul si le défendeur apportait la preuve testimoniale (bayyina) de la contrainte exercée à son encontre. Voir par exemple al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 257.
351 Voir Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 310 ; R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 202.
352 R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 209 ; Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 309. Notons que la formule est reprise par les ismāʿīliens et certains imamites, qui différencient néanmoins les procès concernant des biens (amwāl) – pour laquelle la formule s’applique – des procès relatifs à un crime de sang (dimā’). Dans ce dernier cas, il revient au défendeur de prouver son innocence par le biais d’une bayyina, et à l’accusateur de prêter serment. Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 521 (voir ibid., p. 537) ; id., Risāla ḏāt al-bayān fī l-radd ʿalā Ibn Qutayba (The Epistle of the Eloquent Clarification Concerning the Refutation of Ibn Qutayba), éd. par Avraham Hakim, Leyde/Boston, Brill, 2012, p. 13, 17-18 ; al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, Beyrouth, Dār al-taʿāruf, 1993, V, p. 455. Voir al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 256. Les zaydites acceptent la même répartition des preuves que les sunnites : Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār al-ǧāmiʿ li-maḏāhib ʿulamā’al-amṣār, éd. par Muḥammad Muḥammad Tāmir, Beyrouth, Dār alkutub al-ʿilmiyya, VI, p. 199. Le fiqh ibāḍite reprend la formule dans des termes proches. Selon Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, « la sunna du Prophète – que le salut soit sur lui – est que le demandeur doit produire une bayyina, et que celui qui nie doit prêter serment (ʿalā l-muddaʿī al-bayyina wa-ʿalā l-munkir al-yamīn) ». Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, Oman, Wizārat al-turāṯ al-qawmī wa-l-ṯaqāfa, 1984, II, p. 164 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 117.
353 Wahb b. Munabbih, Ḥadīṯ Dāwūd, dans R. G. Khoury, Wahb b. Munabbih, Teil 1 : Der Heidelberger Papyrus PSR Heid. Arab. 23, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1972, p. 78 ; ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 273 ; ʿUmāra b. Wāṯima al-Fārisī, Kitāb bad’al-ḫalq wa-qiṣaṣ al-anbiyā’, éd. par R. G. Khoury, dans R. G. Khoury, Les légendes prophétiques dans l’Islam depuis le ier jusqu’au iiie siècle de l’Hégire, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1978, p. 109. L’expression faṣl al-ḫiṭāb est tirée du Coran, 38 : 20, où il est dit que Dieu donna à David « la sagesse (ḥikma) et l’art de prononcer les jugements (faṣl al-ḫiṭāb) » (trad. par Denise Masson). Dans un contexte épistolaire, l’expression faṣl al-ḫiṭāb désigne aussi la formule amma baʿd qui sert à introduire le contenu de la lettre. Sur cette expression et son importance juridique, voir B. Johansen, « Formes de langage… », art. cité, p. 353-354. Voir aussi H. Yaman, Prophetic Niche in the Virtuous City. The Concept of Ḥikmah in Early Islamic Thought, Leyde/Boston, Brill, 2011, p. 71.
354 Un récit de ʿUmāra b. Wāṯima al-Fārisī suggère que, dans le sens judiciaire qui lui est donné, cette maxime signifie que la procédure permet de « couper » le discours éloquent grâce auquel un plaideur habile pourrait induire le juge en erreur. ʿUmāra b. Wāṯima al-Fārisī, Kitāb bad’al-ḫalq, op. cit., p. 109.
355 Al-Ǧāḥiẓ, al-Bayān wa-l-tabyīn, éd. par ʿAbd al-Salām Hārūn, Le Caire, Maktabat al-Ḫānǧī, 7e éd, 1998, II, p. 49 ; al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., V, p. 449 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 72, 284 (version différente). Voir les références que nous donnons dans M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 69. Notons qu’al-Balāḏurī cite une lettre d’investiture de ʿAlī à Muḥammad b. Abī Bakr, lorsque ce dernier fut envoyé comme gouverneur d’Égypte, comportant nombre d’expressions rappelant les instructions à Abū Mūsā. Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., II, p. 348-349.
356 Voir E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 79-80 ; J. Schacht, Introduction…, op. cit., p. 25 ; Ch. Pellat, Le milieu baṣrien, op. cit., p. 283.
357 R. B. Serjeant, « The Caliph ʿUmar’s Letters to Abū Mūsā al-Ashʿarī and Muʿāwiya », Journal of Semitic Studies, 29, 1984, p. 76.
358 « There is no apparent reason why it cannot be accepted as genuine. » R. B. Serjeant, « The Caliph ʿUmar’s Letters… », art. cité, p. 76.
359 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 75. Serjeant a montré qu’al-ʿudūl, dans cette phrase, se trouvait en apposition, ce qui signifie que la preuve est constituée de ʿudūl et de aymān. Des versions remaniées de cette lettre transforment le mot en épithète afin de faire correspondre la phrase à la procédure classique (d’un côté des bayyināt ʿādila, de l’autre des aymān). R. B. Serjeant, « The Caliph ʿUmar’s Letters… », art. cité, p. 71. Voir la version « ancienne » de la lettre de ʿUmar à Abū Mūsā (où une expression comparable est employée) ibid., p. 68.
360 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 75.
361 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 273 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 355. Voir Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 313.
362 Voir également l’étude détaillée des ḥadīṯ-s prophétiques mentionnant cette maxime dans Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 316-320.
363 Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, éd. par Abū l-Wafā’al-Afġānī, Hyderabad, Laǧnat iḥyā’al-maʿārif al-nuʿmāniyya (reprint Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya), 1355 H., p. 161 ; al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 665.
364 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 312-313. Voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 293.
365 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 355. Voir Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 313.
366 La tradition mentionnée par ʿAbd al-Razzāq (voir note suivante) attribue la maxime au Prophète – quoi que sous une forme différente – ; or selon la théorie de Schacht, son attribution au Prophète intervint à une étape ultérieure. J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 187.
367 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 273-274 (l’adage est transmis par Ibn ʿAbbās, autorité de La Mecque [voir J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 249], qui en informe le cadi de Ṭā’if Ibn Abī Mulayka [sur ce cadi, voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 261]). Pour une analyse détaillée des traditions remontant à Ibn ʿAbbās par l’intermédiaire d’Ibn Abī Mulayka, voir Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 318-320.
368 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., IVa, p. 205.
369 Le récit d’un procès relatif à une succession, mené devant le cadi Hišām b. Hubayra (en poste à trois reprises entre 64/683-4 et 75/694-5), pourrait faire référence à une bayyina. Le cadi aurait déclaré que la sœur d’un défunt, qui revendiquait un legs équivalent à la part d’héritage d’un des fils, ne pourrait y prétendre « à moins qu’elle ne produise la preuve du bien-fondé de sa revendication » (in lam takun tubayyinu). Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 301. Néanmoins le verbe bayyana a sans doute ici le sens, non terminologique, de « préciser » : en l’absence de toute précision du défunt quant au legs, la sœur se verra attribuer une part équivalant à celle d’une de ses nièces.
370 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 305 (voir trad. supra). Voir Coran, 2 : 282.
371 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 315, 322, 339. Sur ce personnage, voir Ch. Pellat, « Iyās b. Muʿāwiya », EI2, IV, p. 291.
372 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 320, 329, 336.
373 Ibid., II, p. 18, 19 (ʿAbd al-Malik b. Yaʿlā), 87 (Bilāl b. Abī Burda), 49 (Muʿāwiya b. ʿAmr), 63, 65 (Sawwār b. ʿAbd Allāh), 117 (ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan), 176 (Aḥmad b. Riyāḥ).
374 Voir par exemple Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 19, 42. Pour d’autres cas de témoignages multiples, voir ibid., I, p. 369 ; II, p. 127, 135, 140.
375 Ibid., I, p. 304.
376 Ajoutons que la tradition baṣrienne, passant notamment par Qatāda b. Diʿāma (m. c. 117/735) < Saʿīd b. Abī Burda < Abū Mūsā al-Ašʿarī, prône de partager l’objet du litige en cas d’égalité des bayyina-s produites par chacune des parties. Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 359.
377 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, Le Caire, Idārat al-ṭibāʿa al-munīriyya, 1352 H., IX, p. 438.
378 Sur ce leader du courant ibāḍite basé à Baṣra, voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., VII, p. 222-323 ; T. Lewicki, « Ibāḍiyya », EI2, III, p. 649-650.
379 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 114. Voir également id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 101 (d’après l’opinion d’Abū l-Mu’arriǧ, m. seconde moitié du iie/viiie siècle ?).
380 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., IVa, p. 205.
381 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 337 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 705-706 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 293 ; al-Bayḥaqī, Sunan al-Bayḥaqī l-kubrā, éd. par Muḥammad ʿAbd al-Qādir ʿAṭā, La Mecque, Maktaba dār al-bāz, 1994, X, p. 174. Voir Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya fī l-siyāsat al-šarʿiyya, éd. par Muḥammad Ḥāmid al-Faqī, Le Caire, Maṭbaʿat al-sunna al-muḥammadiyya, 1953, p. 76. M. K. Masud considère à tort cet exemple comme un cas de yamīn maʿa l-šāhid, preuve mixte constituée d’un témoignage isolé et du serment du demandeur. M. K. Masud, « Procedural Law… », art. cité, p. 405.
382 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 305 (voir trad. supra).
383 Ibid., p. 309.
384 Voir par exemple Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 705-706 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 293.
385 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 35. Notons qu’en cas de châtiment corporel, le nombre de témoins requis pour assister à l’exécution faisait l’objet de divergences, et que d’aucuns considéraient qu’un seul témoin était suffisant. Voir Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., IX, p. 405.
386 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 315-316. Lors d’une affaire de répudiation, le cadi n’aurait pas pris en compte le témoignage du témoin unique de la demandeuse et aurait attendu, pour rendre un jugement en sa faveur, que celle-ci trouve un second témoin.
387 Le renforcement d’une preuve faible par un serment fut pratiqué au Proche-Orient, selon différents modes opératoires, depuis la plus haute antiquité. Voir par exemple B. Wells et al., « The Assertory Oath in Neo-Babylonian and Persian Administrative Texts », Revue internationale des droits de l’Antiquité, 57, 2010, p. 15.
388 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 331, 340. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 404. M. K. Masud interprète à tort cette affaire comme un cas de serment déféré au demandeur en l’absence de preuve. M. K. Masud, « Procedural Law… », art. cité, p. 405, 411. Voir également H. A. Al-Humaidan, The Islamic Theory of the Administration of Justice, al-Qaḍā’, and the Early Practice of this Institution up to the End of the Umayyad Period (132 A. H./750 A. D.), Ph. D. dissertation, University of St. Andrews, 1973, p. 303.
389 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 12.
390 Chez Ibn Abī Šayba, il interroge Rabīʿa al-Ra’y à ce sujet en parlant de « votre doctrine » (qawlu-kum). Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 720.
391 Abū ʿUṯmān Rabīʿa b. ʿAbd al-Raḥmān b. Farrūḫ al-Taymī al-Madanī, dit Rabīʿa al-Ra’y (m. 136/753), juriste médinois adepte du ra’y. Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., III, p. 17.
392 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 720 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 68. Rabīʿa al-Ra’y aurait affirmé que cette procédure était mentionnée dans « le livre de Saʿd b. ʿUbāda », un Compagnon (m. 14/635) réputé avoir écrit un « livre » (kitāb) contenant des traditions du Prophète (sur Saʿd b. ʿUbāda, voir A.-L. Ibn Dohaish, « Growth and Development of Islamic Libraries », Der Islam, 66, 1989, p. 291 ; Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., III, p. 85). Voir également al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 530.
393 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 87.
394 Al-Ṭaḥāwī et al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, éd. par ʿAbd Allāh Naḏīr Aḥmad, Beyrouth, Dār al-bašā’ir al-islāmiyya, 1995, III, p. 343. Voir al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 333.
395 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 188.
396 Pour les récits évoquant simplement un double (voire multiple) témoignage, voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 235, 266 (témoignage rapporté), 276, 288, 290, 291, 299, 315, 317, 323, 328, 333, 335, 343, 345, 347, 350, 351, 362, 363 ; pour les récits associant explicitement le double témoignage à la bayyina, voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 195, 306 (bayyina ʿadl, le qualificatif renvoyant à l’honorabilité des témoins) ; pour les récits parlant simplement de bayyina, voir ibid., p. 237, 247, 250, 254, 257, 258, 260, 270, 310, 312, 322, 334, 339, 342, 355, 360, 369, 373, 389, 390, 394.
397 Ibid., p. 347.
398 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 277 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 337. Voir Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 357. Voir également Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 304, où Šurayḥ recommande au cadi de Baṣra ʿAbd al-Raḥmān b. Uḏayna d’appliquer le même principe pour débloquer une affaire.
399 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 357-358.
400 Ibid., p. 358, 411.
401 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 278 (isnād kūfiote : al-Ḥasan b. ʿUmāra [Kūfiote, m. 153/770 ; voir Ibn Ḥaǧar, Lisān al-mīzān, Beyrouth, Mu’assasat al-aʿlamī li-lmaṭbūʿāt, 1986, VII, p. 196] < al-Ḥakam [b. ʿUtayba] [Kūfiote, m. 115/733-4 ; voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, p. 111] < Yaḥyā b. al-Ǧazzār [Kūfiote, voir Ibn Ḥaǧar, Lisān al-mīzān, op. cit., VII, p. 430].
402 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 32.
403 Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, op. cit., p. 160.
404 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 278. Notons qu’un tel partage est aussi attribué au Prophète dans la tradition kūfiote (ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 276, avec des isnād-s kūfiotes incluant Sufyān al-Ṯawrī, Simāk b. Ḥarb [voir Ibn Ḥibbān, al-Ṯiqāt, op. cit., IV, p. 339], Tamīm b. Ṭarafa [voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 104]). Sur les développements de cette procédure en droit ḥanafite, dans le cas où les deux plaideurs apparaissent comme des demandeurs (aucun ne disposant de l’objet du litige, ou bien les deux ayant prouvé qu’ils l’avaient en leur possession), voir al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVII, p. 35.
405 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 266, 290.
406 Ibid., p. 375.
407 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 280.
408 Au ixe siècle, al-Ḫaṣṣāf développa cette théorie de la présomption, énumérant diverses situations dans lesquelles l’un des plaideurs devait être considéré comme vainqueur en cas de neutralisation des bayyina-s. Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 391-393. Voir également al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 351-355.
409 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 706 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 271, 275, 294, 359 ; al-Bayḥaqī, Sunan al-Bayḥaqī, op. cit., X, p. 174. Voir Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 75-76.
410 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 275.
411 Ibid., p. 359.
412 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 80, 117.
413 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 304. Voir supra.
414 Al-Ḏahabī, Siyar aʿlām al-nubalā’, op. cit., V, p. 245.
415 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 277-278.
416 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 344.
417 Ibid., p. 310. Le Médinois identifié est Sulaymān b. Bilāl (m. 172/788-9 ; voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, p. 140) ; le Syrien est Ṯawr b. Yazīd (m. 155/772 ; voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, p. 181).
418 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 720. Voir al-Bayḥaqī, Sunan al-Bayḥaqī, op. cit., X, p. 174 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 404.
419 Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 161 ; al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., XXXI, p. 330.
420 Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 177 ; al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., XII, p. 479.
421 Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, p. 164.
422 Ibid., p. 164.
423 Sur ce gouverneur, voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 130 ; al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., XVI, p. 449.
424 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 720 ; al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., VIII, p. 189.
425 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 427-428.
426 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 404. Notons par ailleurs que l’ouvrage zaydite Musnad al-imām Zayd, op. cit., qui reflète la tradition juridique kūfiote (voir W. Madelung, « Zayd b. ʿAlī b. al-Ḥusayn », EI2, XII, p. 474), attribue à Zayd b. ʿAlī l’interdiction de la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid. ʿAbd al-ʿAzīz b. Isḥāq al-Baġdādī, Musnad al-imām Zayd, op. cit., p. 260.
427 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 87. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 404. M. K. Masud fait référence à ce récit comme si Ibn Šubruma avait accepté la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid, ce qui est un contresens. M. K. Masud, « Procedural Law… », art. cité, p. 405, 412.
428 Sur ce personnage, voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 98 et index.
429 Sur cette procédure, voir ibid., p. 366 et suiv.
430 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 109. Voir Abū Hilāl al-ʿAskarī, Le livre des califes, op. cit., p. 10 (texte arabe).
431 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 142, 152.
432 Ibid., p. 152.
433 E. de Zambaur, Manuel de généalogie, op. cit., p. 24.
434 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 337.
435 Voir ainsi l’opinion du Mecquois ʿAṭā’b. Abī Rabāḥ (m. c. 114/732) dans Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 438.
436 ʿAbd al-Razzāq précise qu’il était alors gouverneur de Médine, mais ce n’est pas le cas d’Ibn Abī Šayba. Notons qu’il fut aussi gouverneur de La Mecque de 48/668-9 à 53/673. E. de Zambaur, Manuel de généalogie, op. cit., p. 19.
437 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 279-80 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 411. La pratique judiciaire du tirage au sort trouve un écho dans certaines chroniques, qui décrivent en des termes similaires l’accession au califat de Marwān b. al-Ḥakam en 64/684. Selon Agapius, trois noms auraient été inscrits sur des flèches avant d’être tirés au sort, et le peuple accepta ce « jugement » (ḥukm). Agapius (Maḥbūb) de Menbidj, Kitāb al-ʿunwān, éd. et trad. par A. Vasiliev, II. 2, dans Patrologia orientalis, 8, 1912, p. 495-496. Voir P. Crone, A. Silverstein, « The Ancient Near-East and Islam : The Case of Lot-Casting », Journal of Semitic Studies, 55, 2010, p. 436.
438 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 279 ; al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 391 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 438.
439 Ibn Hišām, al-Sīra al-nabawiyya, op. cit., I, p. 174. Ce passage est traduit en anglais par R. Hoyland, Arabia and the Arabs from the Bronze Age to the Coming of Islam, Londres/New/York, Routledge, 2001, p. 156.
440 P. Crone, A. Silverstein, « The Ancient Near-East and Islam », art. cité, p. 429-430, 448.
441 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 411.
442 Au xe siècle, le ḥanafite al-Ǧaṣṣāṣ mentionne la possibilité de procéder à un tirage au sort en cas d’égalité des bayyina-s, mais pour la condamner. Il prend l’exemple du cadi de Damas Abū l-Dardā’qui, en pareil cas, aurait divisé en deux l’objet du litige, pour démontrer que la pratique du tirage au sort était inconnue au viie siècle. Au mieux, dit-il, la pratique du tirage au sort doit être considérée comme abrogée (mansūḫ) par le faṣl al-ḫiṭāb. Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 391.
443 Voir Mālik, Muwaṭṭa’al-imām Mālik (riwāyat Yaḥyā b. Yaḥyā al-Layṯī), éd. par Aḥmad Rātib ʿArmūš, Beyrouth, Dār al-nafā’is, 1971, p. 511 (= éd. par Baššār ʿAwwād Maʿrūf, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 1997, II, p. 264) ; id., al-Muwaṭṭa’(riwāyat Abī Muṣʿab al-Zuhrī al-Madanī), éd. par Baššār ʿAwwād Maʿrūf et Maḥmūd Muḥammad Ḫalīl, Beyrouth, Mu’assasat al-risāla, 1992, II, p. 473.
444 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 118. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 404.
445 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 113. M. K. Masud considère à tort la procédure suivie ici comme un cas de serment prêté par le demandeur en l’absence de bayyina. M. K. Masud, « Procedural Law… », art. cité, p. 405, 411.
446 R. Brunschvig, « Polémiques médiévales autour du rite de Mālik », al-Andalus 15, 1950, p. 380 ; R. G. Khoury, « Al-Layth Ibn Saʿd (94/713-175/791), grand maître et mécène de l’Égypte, vu à travers quelques documents islamiques anciens », Journal of Near Eastern Studies, 40, 1981, p. 194-196. Voir également notre analyse dans M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 217.
447 Sur ce juriste, considéré comme la plus grande autorité égyptienne de la seconde moitié du viiie siècle, voir Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., IV, p. 127 ; Ibn Ḥaǧar, Kitāb al-raḥma al-ġayṯiyya bi-l-tarǧama al-layṯiyya fī manāqib sayyidi-nā wa-mawlā-nā al-Imām al-Layṯ b. Saʿd, Le Caire, al-Maṭbaʿa al-mīriyya, 1301 H., p. 6 ; R. G. Khoury, « Al-Layth Ibn Saʿd… », art. cité, p. 189-202.
448 Yaḥyā b. Maʿīn, Ta’rīḫ, Ibn Maʿīn (riwāyat al-Dūrī), éd. par Aḥmad Muḥammad Nūr Sayf, La Mecque, Markaz al-baḥṯ al-ʿilmī wa-iḥyā’al-turāṯ al-islāmī, 1979, IV, p. 491 ; al-Fasawī, Kitāb al-maʿrifa wa-l-ta’rīḫ, éd. par Ḫalīl al-Manṣūr, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1999, I, p. 691 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, Iʿlām al-muwaqqiʿīn ʿan rabb al-ʿālamīn, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1991, III, p. 71.
449 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 140.
450 Ibid., III, p. 87.
451 Mālik, Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 511 (= éd. par Maʿrūf, II, p. 264) ; id., al-Muwaṭṭa’(recension d’Abū Muṣʿab al-Zuhrī), op. cit., II, p. 472-473. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 374. Al-Šāfiʿī s’inscrit en faux contre cette interprétation. Pour lui, la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid est justifiée par un ḥadīṯ prophétique (ḥadīṯ que Mālik cite, mais sans en faire son principal argument). Al-Šāfʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 530. Voir al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 404.
452 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 268. Notons cependant que Sulaymān b. Ḥarb était originaire de Baṣra, adepte un siècle auparavant de la même procédure. Son origine facilita-telle le recours à une procédure qui, entre-temps, avait manifestement disparu de la doctrine baṣrienne ? À moins que, à l’instar de nombreux Baṣriens, Sulaymān b. Ḥarb ait été attiré dans la mouvance du mālikisme. Sur ce phénomène, voir Chr. Melchert, The Formation of the Sunni Schools of Law, 9th-10th Centuries C. E., Leyde/New York/Cologne, Brill, 1997, p. 41. Sur Sulaymān b. Ḥarb, voir notamment al-Ḏahabī, Siyar aʿlām al-nubalā’, op. cit., X, p. 330-334.
453 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 280-281.
454 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 438. Sur cet éminent juriste syrien, voir S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 71-79.
455 Ġubar ; voir Yāqūt, Muʿǧam al-buldān, op. cit., IV, p. 185.
456 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 280-281.
457 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 359. Voir également al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 391.
458 Mālik b. Anas, Muwaṭṭa’al-imām Mālik (riwāyat Muḥammad b. al-Ḥasan al-Šaybānī), éd. par Taqī al-Dīn al-Nadwī, Damas, Dār al-qalam, 1991, III, p. 289 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 404.
459 Voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., VII, p. 284.
460 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., LXII, p. 230.
461 Ibid., XXII, p. 210-212 ; Ibn Ṭūlūn, Quḍāt Dimašq, op. cit., p. 10. Voir également Abū Zurʿa, Ta’rīḫ, op. cit., p. 49-50. Sulaymān b. Ḥabīb est qualifié de « cadi des ahl al-madīna », expression ambiguë car on pourrait en déduire qu’il était cadi de Médine ou qu’il adhérait à la doctrine médinoise. Ibn ʿAsākir explique néanmoins qu’al-madīna fait ici allusion à la « ville » de Damas. Selon S. Judd, il aurait été attaché à la personne du calife omeyyade, préfigurant ainsi le rôle du grand cadi. S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 95.
462 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., LXII, p. 230.
463 Yaḥyā b. Maʿīn, Ta’rīḫ Ibn Maʿīn, op. cit., IV, p. 491 ; al-Fasawī, Kitāb al-maʿrifa wa-l-ta’rīḫ, op. cit., I, p. 691 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, Iʿlām al-muwaqqiʿīn, op. cit., III, p. 71. Voir aussi Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 404.
464 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 309.
465 Ibid., p. 341 (sous le cadi Yaḥyā b. Maymūn, en poste de 105/724 à 114/732).
466 Ibid., p. 318.
467 Ibid.
468 L’attribution de telles règles à Ibn Ḥuǧayra, à un siècle de distance, par ʿAbd Allāh b. Lahīʿa, pourrait paraître suspecte. Elle pointe néanmoins dans la même direction que d’autres sources à propos de régions éloignées, et il est probable que, même si cette attribution est fictive, elle cristallise le souvenir de pratiques archaïques, encore vivace à l’époque où une rationalisation des procédures les fit évoluer vers leur forme classique.
469 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 344-345. Voir M. K. Masud, « Procedural Law… », art. cité, p. 390-391 ; ce dernier traduit improprement le passage d’al-Kindī par [he] applied this procedure even to smaller things (nous soulignons), ce qui l’amène à proposer que la procédure était déjà mise en application auparavant et que Tawba l’étendit aux affaires mineures. Or al-Kindī ne dit pas qu’il étendit cette procédure, mais simplement qu’il « rendait un jugement sur la base du serment de l’ayant droit [= demandeur] en plus d’un témoignage ». Selon toute probabilité, la procédure concernait avant tout les affaires mineures, pour lesquelles une preuve « incomplète » pouvait être acceptée sans conséquences graves.
470 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 236 ; al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 345.
471 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 384. Notons que ce dernier adhérait à la doctrine médinoise, elle aussi favorable à cette procédure.
472 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, éd. par Aḥmad b. ʿAbd al-Karīm Naǧīb, Dublin, Markaz Naǧībawayh, p. 286. Al-Muḫtaṣar al-kabīr est en grande partie perdu sous sa forme originelle. Des extraits en sont néanmoins préservés dans le commentaire qu’en proposa Abū Bakr al-Abharī (m. 375/985), et l’édition à laquelle nous nous référons est une tentative de reconstitution de l’ouvrage originel.
473 Voir par exemple al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 344, 381, 398, 407, 424, 455, 456, 467, 472.
474 C’est-à-dire que le soldat l’avait accusé de fornication sans en apporter la preuve, très probablement sous forme d’insulte scabreuse.
475 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 356.
476 Yaḥyā b. Maʿīn, Ta’rīḫ, op. cit., IV, p. 491 ; al-Fasawī, Kitāb al-maʿrifa wa-l-ta’rīḫ, op. cit., I, p. 691 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, Iʿlām al-muwaqqiʿīn, op. cit., III, p. 71.
477 Pour l’acceptation par Ibn ʿAbd al-Ḥakam de la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid, voir Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, ms. Süleymaniye no 966 (Istanbul), fol. 73v.
478 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 372.
479 Mālik, Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 511-513 (= éd. par Maʿrūf, II, p. 264-266) ; id., al-Muwaṭṭa’(recension d’al-Zuhrī), op. cit., II, p. 473.
480 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 288.
481 Id., al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73v.
482 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 154.
483 Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ, op. cit., VIII, p. 135 ; al-Hamaḏānī, Takmilat Ta’rīḫ al-Ṭabarī, dans Ḏuyūl Ta’rīḫ al-Ṭabarī, éd. par Muḥammad Abū l-Faḍl Ibrāhīm, Le Caire, Dār al-maʿārif, s. d., p. 219 ; al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-salām, op. cit., XVI, p. 373 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 433 ; VII, p. 364, 366 ; al-Ṣaymarī, Aḫbār Abī Ḥanīfa wa-aṣḥābi-hi, Beyrouth, ʿĀlam al-kutub, p. 105.
484 Al-Yaʿqūbī, Ta’rīḫ, op. cit., II, p. 239. Voir la traduction de ce passage dans M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 600-601.
485 L’acceptation d’un témoin unique fut justifiée, à une étape ultérieure, par un ḥadīṯ relatif au Prophète dans lequel ce dernier aurait agréé le témoignage isolé de Ḫuzayma b. Ṯābit, et considéré qu’en vertu de sa sincérité sa déposition valait double. En même temps, ce récit présente cette pratique sous le jour d’« exception qui confirme la règle », puisqu’il érige bien le double témoignage en norme. ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 366-367. Voir Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 76.
486 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 337. Sur Muṭarrif b. Māzin, voir Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., V, p. 548 ; Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ, Kitāb al-ṭabaqāt, op. cit., p. 288.
487 Encore aux ive/xe et ve/xie siècles, certains juristes imamites considéraient que la partie produisant le plus grand nombre de témoins (honorables) devait l’emporter. Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 459 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 258.
488 Sur la persistance, dans le droit chiite mais aussi chez al-Māwardī, du tirage au sort comme moyen (théorique) de déterminer le gagnant d’un procès, voir Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 311. Plus tard, Ibn Qayyim al-Ǧawziyya consacre encore de longs développements au tirage au sort. Chez ce dernier, comme chez al-Šāfiʿī ou chez le chiite imamite al-Ṭūsī, le tirage au sort apparaît néanmoins comme une technique auxiliaire, ne provoquant pas forcément un jugement à lui-seul, mais facilitant le recours à une preuve légale. Ainsi, en cas de bayyina-s multiples et contradictoires sur la propriété d’un esclave dont le possesseur reconnaît ne pas être le propriétaire (auquel cas nulle présomption ne permet de répartir la charge de la preuve, puisqu’il n’y a que des demandeurs et aucun défendeur), le tirage au sort permet de désigner celui qui, temporairement, sera considéré comme le défendeur ; à ce dernier reviendra alors de prêter serment, et c’est sur la base de ce serment que le jugement sera rendu. Le tirage au sort permet aussi, en cas de neutralisation des bayyina-s, de désigner lequel des plaideurs devra jurer que ses témoins disent la vérité. Ibn Qayyim al-Ǧawzīyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 323-324. Voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VI, p. 602 et suiv. ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 411 ; al-Ṭūsī, al-Ḫilāf, éd. par ʿAlī al-Ḫurāsānī, Ǧawād al-Šahrastānī et Muḥammad Mahdī Naǧaf, Qum, Mu’assasat al-našr al-islāmī, VI, p. 337 ; id., al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 258, 265 ; voir également al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 459-460 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 436-438. En revanche, le chiite ismāʿīlien al-Qāḍī al-Nuʿmān continue de penser, comme le Médinois Saʿīd b. al-Musayyab, que le tirage au sort représente une sorte de jugement de Dieu, le vainqueur étant déterminé par ce seul biais. Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 522.
489 P. Crone, A. Silverstein, « The Ancient Near-East and Islam », art. cité, p. 442. Les šāfiʿites et les ḥanbalites, en revanche, continuèrent à tolérer cette pratique.
490 La présomption de propriété en vertu de la possession fut reprise par les maḏhab-s classiques et justifiée par des ḥadīṯ-s prophétiques. Voir par exemple al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 581-582, où l’auteur prône qu’en cas de neutralisation des bayyina-s, le plaideur en possession de l’objet du litige soit considéré comme le propriétaire présumé. Chez al-Šāfiʿī (ibid.), le concept de « présomption » est exprimé en termes de causalité : le détenteur d’un objet a « de plus fortes raisons » (faḍl quwwa sababi-hi) d’être le propriétaire que son adversaire. Dans le cas où aucune présomption ne peut être prise en compte, Mālik aurait préconisé que le cadi suive « la plus honorable des deux bayyina-s ». Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 438.
491 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 277-278.
492 Au début du ixe siècle, al-Šāfiʿī défendit l’idée que la formule du faṣl al-ḫiṭāb était « générale » (ʿāmma) – alors que son interlocuteur fictif du Kitāb al-umm pensait qu’elle ne s’appliquait qu’à des cas particuliers (ḫāṣṣa). Al-Šāfiʿī faisait toutefois une exception en matière criminelle en prônant la procédure spécifique de la qasāma. Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 28 et suiv. Voir al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 411-412.
493 Christopher Melchert pense pour sa part qu’elle se développa d’abord à Baṣra et que son origine médinoise ne serait qu’une rétroprojection (« The History of the Judicial Oath », art. cité, p. 325). Cependant il ne prend pas en considération les récits affirmant que d’anciens cadis de Médine avaient recours à cette procédure.
494 Melchert fait quant à lui plutôt dériver la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid de la pratique consistant à faire prêter serment à un demandeur en plus de sa bayyina (« The History of the Judicial Oath », art. cité, p. 325). Pour un examen de cette hypothèse, voir infra.
495 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 321-322. Voir al-Šāfiʿī, Kitab al-umm, op. cit., VII, p. 631 et suiv. ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 401 ; al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, II, p. 522 ; ibid., Risāla ḏāt al-bayān, p. 22 ; al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 420 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 172, 189.
496 Voir supra, chap. 1.
497 Yaḥyā b. Maʿīn, Ta’rīḫ, op. cit., IV, p. 491 ; al-Fasawī, Kitāb al-maʿrifa wa-l-ta’rīḫ, op. cit., I, p. 691-692 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, Iʿlām al-muwaqqiʿīn, op. cit., III, p. 71-72.
498 M. Tillier, « Califes, émirs et cadis : le droit califal et l’articulation de l’autorité judiciaire à l’époque umayyade », Bulletin d’études orientales, 63, 2014 (Le pluralisme judiciaire dans l’Islam prémoderne), p. 180-182.
499 Une grande partie de la casuistique élaborée par la littérature juridique postérieure consiste ainsi à déterminer à quelle partie revient quel type de preuve en fonction des cas et des circonstances.
500 La répartition des rôles de demandeur et de défendeur ne résolut pas totalement le problème des bayyina-s contradictoires. Si, à la suite des Kūfiotes, les ḥanafites établirent une distinction stricte entre le demandeur (celui qui réclame quelque chose qu’il n’a pas) et le défendeur (celui qui possède quelque chose qu’on lui réclame) et associèrent à chacun un type spécifique de preuve (bayyina versus serment), d’autres juristes (en particulier šāfiʿites) demeurèrent plus nuancés. Al-Šāfiʿī reproche ainsi à « certains orientaux » (sous-entendu les ḥanafites) d’aller trop loin dans la systématisation, car le défendeur peut se muer en demandeur par le simple fait de clamer son innocence – auquel cas le recours à la bayyina lui est aussi permise. Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 582-584. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 436. Dans certains cas, il était d’ailleurs impossible de déterminer lequel des plaideurs était le demandeur et lequel le défendeur – notamment lorsque tous deux réclamaient un objet qu’aucun des deux n’avait en sa possession. C’est pourquoi le fiqh classique continue de réserver des chapitres aux cas de taʿāruḍ al-bayyinatayn (les bayyina-s contradictoires). La plupart des maḏhab-s classiques ne considèrent ni le nombre ni une meilleure honorabilité des témoins comme susceptibles de l’emporter (à l’exception de la doctrine mālikite), et prônent plutôt un partage de l’objet du litige entre les plaideurs. Voir al-Māwardī, al-Ḥāwī l-kabīr, éd. par ʿAlī Muḥammad Muʿawwaḍ et ʿĀdil Aḥmad ʿAbd al-Mawǧūd, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1999, XVII, p. 306. Voir W. B. Hallaq, Sharīʿa. Theory, Practice, Transformations, New York, Cambridge University Press, 2009, p. 346.
501 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 278-279.
502 La littérature biographique égyptienne fait cependant exception, dans la mesure où les anciens recueils que sont ceux de ʿAbd al-Razzāq et d’Ibn Abī Šayba recensent rarement la pratique des cadis de Fusṭāṭ. Les recueils égyptiens de la même époque (tels ceux d’Ibn Lahīʿa ou d’Ibn Wahb) ne nous sont parvenus qu’à l’état de fragments et ne conservent pas de parties dédiées à la judicature et à ses règles.
503 Al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, éd. par Ḫālid al-ʿAwwād, Damas/Beyrouth, Dār al-nawādir, 2008, II, p. 559 ; Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73v ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 335 ; al-Ṭaḥāwī et al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 337 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 136 ; XXX, p. 153 ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 119 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 401, 408 ; al-Māwardī, al-Ḥāwī l-kabīr, op. cit., XVII, p. 59 ; al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 510. Voir R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 212. Une telle interdiction formelle est également formulée par le ẓāhirite Ibn Ḥazm. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 420.
504 Sans doute pour qu’ils ne soient pas influencés ensuite par des éléments extérieurs au groupe. Voir Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73v ; Mālik, Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 515 ; id., al-Muwaṭṭa’(recension d’al-Zuhrī), op. cit., II, p. 477-478 ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1994, IV, p. 26 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 337. Voir ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 351, où cette règle est qualifiée de sunna par le Médinois al-Zuhrī. Cette opinion est par ailleurs attribuée au Médinois Rabīʿa al-Ra’y dans Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 171 ; cf. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 421. Sur la position des mālikites, voir aussi Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 172 ; F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 145-146 ; P. Scholz, « Legal Practice in the Malikite Law of Procedure », al-Qanṭara, 20, 1999, p. 429.
505 Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 31.
506 Ils préconisent alors de ne prendre en considération que ce qu’ils affirment spontanément en premier, et non ce qu’ils pourraient dire dans un second temps. Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 424-425.
507 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 110, 115-116 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 96, 103-104.
508 Voir J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 218.
509 Voir H. A. R. Gibb, « ʿAbd Allāh b. al-Zubayr », EI2, I, p. 54.
510 Voir supra.
511 Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), éd. Maʿrūf, II, p. 269. Cette restriction provient peut-être d’une autre tradition mentionnée par ʿAbd al-Razzāq à propos d’Ibn al-Zubayr, dans laquelle il aurait affirmé : « Si l’on amène [les mineurs] en cas de malheur (muṣība), leur témoignage est autorisé. » ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 349.
512 Ibid., p. 348. Voir Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 333.
513 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 420.
514 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 348-349. Voir Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 333 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 170. ʿAbd al-Razzāq rapporte plus loin une tradition d’après laquelle le calife Marwān b. al-Ḥakam aurait été le premier à autoriser le témoignage des mineurs, alors que celui-ci n’était pas accepté auparant (ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 351). On peut néanmoins se demander dans quelle mesure il ne s’agit pas d’une contre-tradition défendant l’interdiction du témoignage des mineurs (interdiction conforme à la doctrine ḥanafite) et faisant de son acceptation une bidʿa omeyyade.
515 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 420.
516 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 291.
517 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 334.
518 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 349-350 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 335 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 270, 308, 313. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 421 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 171.
519 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 351 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 313.
520 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 308.
521 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 350 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 334-335.
522 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 420.
523 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 349.
524 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 32.
525 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 335. Selon al-Ṭaḥāwī, Ibn Abī Laylā n’acceptait néanmoins que le témoignage des mineurs à l’encontre d’autres mineurs. Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 337. Ibn Ḥazm rapporte pour sa part qu’Ibn Abī Laylā aurait encore été favorable au témoignage des mineurs, quel que fût l’objet du litige. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 421.
526 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 332.
527 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 337. Wakīʿ affirme pourtant le contraire, mais peut-être s’agit-il d’une erreur de scribe ou d’édition. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 330.
528 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 334 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 148.
529 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 420. La procédure faisant appel au serment du demandeur en plus de la déposition des mineurs est également attribuée à ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 421.
530 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 421.
531 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 333. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 421, où l’auteur interprète que Makḥūl est univoquement hostile au témoignage des mineurs.
532 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 351.
533 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 420.
534 Ibid., p. 421.
535 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 85. Il aurait été suivi en cela par le Kūfiote Sufyān al-Ṯawrī. Voir al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 337.
536 L’expansion d’une position hostile au témoignage des mineurs aboutit sans doute à une réécriture de certaines traditions antérieures. Ainsi chez Ibn Ḥazm, plusieurs autorités de la première moitié du viiie siècle, présentées comme favorables à ce type de témoignage chez ʿAbd al-Razzāq ou Ibn Abī Šayba, se voient-elles également attribuer des opinions contraires. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 421.
537 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 346-347 ; al-Šaybānī, al-Aṣl, éd. par Muḥammad Būynūkālin, Beyrouth, Dār Ibn Ḥazm, 2012, XI, p. 520 ; Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73r ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 22 ; Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 655 ; al-Šāfiʿī, Kitāb alumm, op. cit., VIII, p. 117 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 399 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 161-162 ; al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 514 ; al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 427 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 172, 174-175 ; ʿAbd al-ʿAzīz b. Isḥāq al-Baġdādī, Musnad al-imām Zayd, op. cit., p. 265 ; Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 31 ; Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 109, 115 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 95, 109. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 148 ; R. Peters, « Shāhid », EI2, IX, p. 207 ; S. Spectorsky, Women in Classical Islamic Law. A Survey of the Sources, Leyde, Brill, 2010, p. 193.
538 S. Spectorsky, Women in Classical Islamic Law, op. cit., p. 192. Voir également H. Azam, « The Exclusion of Women’s Testimony in the Ḥudūd : Toward a Rethinking », dans K. Ali et al., A Jihad for Justice. Honoring the Life and Work of Amina Wadud, s. l., 48HrBooks, 2012.
539 Al-Šaybānī, al-Aṣl, op. cit., XI, p. 519 ; id., Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 556, 559-560 ; id., al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, Karatchi, Idārat al-Qur’ān wa-l-ʿulūm al-islāmiyya, 1990, p. 392 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 345. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 147 ; R. Peters, « Shāhid », EI2, IX, p. 207 ; S. Spectorsky, Women in Classical Islamic Law, op. cit., p. 194.
540 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 109 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 95, 103.
541 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73r, 73v ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 25 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 345-346 ; Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 654. Voir également P. Scholz, « Legal Practice… », art. cité, p. 429.
542 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, III, p. 345-346. Voir R. Peters, « Shāhid », EI2, IX, p. 207.
543 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 514. Les imamites ont des positions assez fluctuantes sur le sujet. Ainsi al-Ṭūsī adopte une position assez proche de celle des ḥanafites (al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 172), tandis que plus tôt al-Kulaynī rapportait des opinions plus conformes à celles des ismāʿīliens (Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 426-427).
544 ʿAbd al-ʿAzīz b. Isḥāq al-Baġdādī, Musnad al-imām Zayd, op. cit., p. 268, 301.
545 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 329, 331.
546 Ibid., p. 330. Voir aussi Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 657 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 396 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 152.
547 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 329, 331, 332. Voir également Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 658.
548 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 329, 330. Voir aussi Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., IX, p. 403 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 397.
549 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 657 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 397.
550 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 329 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 330 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 397.
551 Sur ce personnage, voir al-Rāzī, Ta’rīḫ Madīnat Ṣanʿā’, éd. par Ḥusayn b. ʿAbd Allāh al-ʿUmarī, Beyrouth/Damas, Dār al-fikr al-muʿāṣir-Dār al-fikr, 1989, p. 356 et suiv. ; Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., III, p. 224.
552 Voir al-Rāzī, Ta’rīḫ Madīnat Ṣanʿā’, op. cit., p. 398 et suiv. ; Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., IV, p. 235 ; H. Motzki, « The Muṣannaf of ʿAbd al-Razzāq », art. cité, p. 12 ; id., The Origins of Islamic Jurisprudence. Meccan Fiqh before the Classical Schools, trad. de l’allemand par Marion H. Katz, Leyde/Boston/Cologne, Brill, 2002, p. 246 et suiv.
553 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 331 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 397 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, éd. par Muḥammad Ǧamīl Ġāzī, op. cit., p. 224.
554 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 194.
555 Ibid., p. 234. Dans un autre ḫabar, il n’aurait pas tenu compte de témoignages de femmes attestant qu’un nouveau-né avait bougé, mais non qu’il avait poussé un cri. Ibid., p. 280.
556 Ibid., p. 349.
557 Ibid., p. 359.
558 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 74.
559 Ibid., I, p. 305.
560 Ibid., p. 330.
561 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., VIII, p. 158.
562 Le caractère confus de cette image est encore renforcé par la lecture d’Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 296-297.
563 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 396 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, éd. par Muḥammad Ǧamīl Ġāzī, op. cit., p. 223.
564 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 332.
565 Ibid.
566 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73r.
567 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 398-399.
568 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73v ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 116 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 401, 410 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 335 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 335-336. Voir R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 212.
569 Al-Marwazī, Masā’il al-Imām Aḥmad b. Ḥanbal wa-Isḥāq b. Rāhawayh, Médine, al-Ǧāmiʿa al-islāmiyya, 2004, VIII, p. 4104 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, éd. par ʿAbd Allāh b. ʿAbd al-Muḥsin al-Turkī et ʿAbd al-Fattāḥ Muḥammad al-Ḥulw, Riyad, ʿĀlam al-kutub, 1986, XIV, p. 185 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 165-166. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 134. Signalons que le ẓāhirite Ibn Ḥazm accepte également le témoignage de l’esclave. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 412.
570 Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 421, 425 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 217.
571 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 510 ; Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 58.
572 Voir A. J. Wensinck, J. Robson, « Anas b. Mālik », EI2, I, p. 482.
573 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 192. Voir al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 335 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 413 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 168. Il semble plus généralement que la responsabilité légale des esclaves ait été considérée à l’origine comme plus importante que dans le fiqh classique. Des cadis médinois infligèrent ainsi le ḥadd à des esclaves à la fin du viie et au début du viiie siècle (Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 127, 139). Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, qui cite la tradition remontant à Anas b. Mālik (ce dernier aurait dit : « Je ne connais personne qui ait rejeté le témoignage de l’esclave »), en déduit l’existence d’un ancien consensus (que l’auteur fait remonter à la génération des Compagnons) sur la capacité de l’esclave en cette matière. Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 166.
574 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 192-193 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 413.
575 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 335.
576 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 413.
577 Ibid., p. 413.
578 Sur al-Battī, voir J. van Ess, Theologie und Gesellschaft im 2. und 3. Jahrhundert Hidschra. Eine Geschichte des religiösen Denkens im frühen Islam, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 1991-1997, II, p. 146 et suiv. ; Chr. Melchert, The Formation…, op. cit., p. 41 ; N. Tsafrir, The History of an Islamic School of Law. The Early Spread of Hanafism, Cambridge, Harvard University Press, 2004, p. 31.
579 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 335. Dans une tradition dont la transmission est attribuée au Baṣrien Ibn Sīrīn, Šurayḥ est dit avoir refusé la déposition des esclaves en faveur de leur maître, ce qui laisse supposer qu’elle est valable quand leurs maîtres ne sont pas concernés. Cette opinion rejoint celle d’al-Battī. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 357-358. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 413.
580 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 193-194. Notons toutefois qu’Ibn Qayyim al-Ǧawziyya prête à ʿAṭā’l’acceptation du témoignage des esclaves. Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 168. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 413.
581 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 193. Voir aussi Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 412.
582 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 194. Peut-être faut-il dater de cette époque la mise en circulation de traditions affirmant que Šurayḥ n’acceptait pas le témoignage des esclaves (voir par exemple Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 290) ? Le rejet du témoignage de l’esclave par al-Šaʿbī est néanmoins controversé : Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, qui tente de justifier son acceptation par le maḏhab ḥanbalite, rapporte une tradition selon laquelle il y aurait été favorable. Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 168. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 412.
583 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 315-316. Ibn Qayyim al-Ǧawziyya interprète cependant de manière différente d’autres propos d’Iyās et pense qu’il était favorable au témoignage des esclaves. Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 168. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 413.
584 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 412.
585 Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 135. Voir al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 410.
586 Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 125 ; N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 295 ; A. Fattal, « How Dhimmīs were Judged in the Islamic World », dans R. Hoyland (dir.), Muslims and Others in Early Islamic Society, Aldershot, Ashgate, 2004, p. 98 ; R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 212 ; A. S. Tritton, The Caliphs and their Non-Muslim Subjects, op. cit., p. 186.
587 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 339 ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 21 ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 573-574 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 408 ; Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 104. Voir A. S. Tritton, The Caliphs and their Non-Muslim Subjects, op. cit., p. 186. Ibn Ḥazm mentionne toutefois que les mālikites acceptent le témoignage de deux médecins non musulmans lorsqu’aucun médecin musulman n’est disponible. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 409.
588 Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 170-171 ; Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 182 et suiv. ; al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 513 ; al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 436 ; Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 108. Il faut également ajouter le ẓāhirite Ibn Ḥazm, qui accepte le témoignage de non-musulmans relatif à un testament à condition que les témoins complètent leur déposition par un serment. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 373. Sur cette procédure, voir infra.
589 Chronique de Zuqnīn, op. cit., p. 20/18.
590 Michel le Syrien, Chronique, éd. et trad. par J.-B. Chabot, Paris, 1899-1910, II, p. 489. Voir A. S. Tritton, The Caliphs and their Non-Muslim Subjects, op. cit., p. 186.
591 Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 125-126.
592 Al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 160-169. Voir al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 513.
593 Al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 168.
594 Muqātil b. Sulaymān, Tafsīr Muqātil b. Sulaymān, éd. par Aḥmad Farīd, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, Beyrouth, 2003, I, p. 327.
595 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 359-360. Pour les Kūfiotes, voir également Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, op. cit., p. 166. Ibn al-Qāṣṣ ajoute les noms du Kūfiote Ibn Abī Laylā et du Syrien al-Awzāʿī. Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, p. 104. Voir encore Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 407-408.
596 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 610-612. Sur cette dernière interprétation, voir également al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 168.
597 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 281.
598 Remarquons que le cas de figure envisagé ne devait pas se présenter tous les jours.
599 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, IX, op. cit., p. 408.
600 Al-Ṭaḥāwī justifie cette règle en avançant que « l’impiété (kufr) constitue une religion (milla) unique ». Al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 335. Voir également al-Shaybānī, al-Aṣl, op. cit., VII, p. 588 ; XI, p. 516 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 409. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 143.
601 Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 35.
602 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 110-111 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 97, 107.
603 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 340. Voir aussi Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73r ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 21-22 ; Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 104 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 218. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 143 ; N. Edelby, Essai sur l’autonomie…, op. cit., p. 295-296 ; A. Fattal, « How Dhimmīs were Judged… », art. cité, p. 100.
604 Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 173. Le fiqh ismāʿīlien entre moins dans la nuance, se contentant d’autoriser le témoignage des non-musulmans les uns vis-à-vis des autres. Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 514.
605 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 176.
606 Ainsi à Médine, une tradition rapporte qu’al-Zuhrī y était favorable, mais une autre que Rabīʿa al-Ra’y y était opposé (ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 357).
607 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 357 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 694.
608 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 357 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 693, 694 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 415.
609 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 356-359 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 692-696. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 410 ; J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 210.
610 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 341.
611 Ibid., p. 341. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 411.
612 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 351.
613 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 340.
614 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73r.
615 Chronique de Zuqnīn, op. cit., p. 186/154, 205/170.
616 Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 135-139.
617 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 372. Voir également Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 21 ; Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 648 ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 115 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 121, 125 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 184 ; Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 56 ; Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 115 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 102.
618 Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, op. cit., p. 162 ; al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 557 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 332, 335 ; Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73r ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 20 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 343 ; Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 105 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 122, 137 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 183-184.
619 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 344 ; al-Šāfiʿī, Kitāb alumm, op. cit., VIII, p. 115 ; al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 429 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 220 ; Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 56 (notons toutefois que certains zaydites acceptent le témoignage de l’époux en faveur de sa femme, mais non l’inverse) ; Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 115 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 102, 106 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 416. Voir P. Scholz, « Legal Practice », art. cité, p. 431-432. Signalons que le ẓāhirite Ibn Ḥazm accepte le témoignage d’un individu ʿadl pour ou contre tout individu, quel que soit le degré de parenté ou de proximité qui les unit. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 415.
620 Al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 557 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 332, 335 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 344 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 121 ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 20 ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 114 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 407 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 181.
621 Al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 332 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 121 ; Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 20 ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 114 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 407 ; Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 105 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 181. Certains mālikites refusaient également le témoignage en faveur du gendre ou de la bru. Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 649.
622 ʿAbd al-ʿAzīz b. Isḥāq al-Baġdādī, Musnad al-imām Zayd, op. cit., p. 260 ; Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 55-56.
623 Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 429-430 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 219.
624 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 115 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 102, 106.
625 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 372.
626 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 343-344 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 477-478.
627 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 252.
628 Ibid., I, p. 169.
629 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 351.
630 Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, op. cit., p. 162 ; ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., p. 344 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 691 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 194.
631 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 344 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 692 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 276 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 416.
632 Au xie siècle, Ibn Ḥazm considère que les traditions attribuant à Šurayḥ le rejet de tels témoignages ne sont pas authentiques. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 415.
633 On pourrait suspecter Sufyān al-Ṯawrī d’avoir projeté son opinion sur Ibrāhīm al-Naḫaʿī ; Sufyān al-Ṯawrī semble néanmoins avoir été le tenant d’une opinion différente sur la question, autorisant le témoignage du mari pour sa femme et non celui de la femme pour son époux. Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 343.
634 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 344 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 691.
635 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 691. Selon al-Šaybānī, al-Šaʿbī aurait au contraire condamné aussi bien le témoignage de l’épouse pour son mari que celui du mari pour son épouse. Al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 558.
636 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 692 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 415.
637 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 80.
638 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 9 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 343.
639 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 344 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 691 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 415.
640 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 691.
641 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 340.
642 Ibid., II, p. 9.
643 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 344 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 416.
644 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 692 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 144 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 416.
645 Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 105.
646 Ṣaḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 20. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 415-416.
647 Sur ce savant, voir J. David-Weil, « Ibn Wahb », EI2, III, p. 963.
648 Voir R. B. Serjeant, « The Caliph ʿUmar’s Letters… », art. cité, p. 67-68. Serjeant avance pour sa part que l’interdiction du témoignage des parents s’oppose à la pratique préislamique de faire jurer des proches dans le cadre de la qasāma (ibid., p. 72). Le lien qu’il établit entre la qasāma et le témoignage semble néanmoins contestable.
649 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 509.
650 Al-Ṣaybānī, al-Mabsūṭ, op. cit., IV, p. 472, 516 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 332 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 337 ; Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 104 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 129.
651 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 338.
652 Al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 129. Al-Saraḫsī critique cette opinion, objectant que l’acte de témoigner fait lui-même appel au sens de la vue puisqu’il convient de montrer l’objet du litige ainsi que les plaideurs en faveur de/contre qui le témoignage est porté. Sur la position des ḥanafites, voir aussi F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 152-153.
653 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 106.
654 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 336. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 152.
655 Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 438 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 178-179. Telle est également l’opinion du ẓāhirite Ibn Ḥazm. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 433.
656 Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 113 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 400 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 336 ; Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 103-104 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 433. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 153.
657 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 509-510.
658 Voir ce parallèle surprenant dans ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 323.
659 Ibid.
660 Sur ce juriste médinois (m. 107/725), voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., V, p. 181.
661 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 323 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 319.
662 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 323-324 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 319. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 433, selon qui Ibn Abī Laylā aurait aussi exprimé une opinion moins favorable, restreignant le témoignage de l’aveugle à ce dont il a pris connaissance avant sa cécité.
663 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 318 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 251.
664 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 318 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 433.
665 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 324.
666 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 42.
667 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 319. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 433.
668 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 340.
669 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 336.
670 Ibid., p. 336-337. Les autres écoles juridiques ont généralement un avis contraire sur ce sujet. Voir R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 205.
671 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 198 et suiv.
672 Ibid., p. 214.
673 Ibid., p. 224.
674 Ibid.
675 Al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XIX, p. 102-108.
676 Ibid., p. 102.
677 Ibid., p. 102.
678 Ibid., p. 105.
679 Al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 552-553 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 332 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 328 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 125. Voir Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 103 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 431 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 189 ; F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 129-130.
680 Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 510 (= éd. par Maʿrūf, II, op. cit., p. 262-263) ; Saḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 23 ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 517 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 328 ; Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 188. Les zaydites semblent également favorables à l’acceptation du qāḏif repenti. Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 58. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 128-129.
681 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 361-364. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 146 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 431.
682 Le cas des Médinois est plus problématique. Selon Ibn Abī Šayba, Ibn Šihāb al-Zuhrī aurait été favorable à leur témoignage, mais non Ibn al-Musayyab. Les paroles de ce dernier sont néanmoins transmises par un isnād baṣrien incluant Qatāda, ce qui laisse penser à une tradition baṣrienne tentant de faire appel à l’autorité du juriste médinois. Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 260. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 431.
683 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 259-260. Notons que dans le Kitāb al-āṭār d’Abū Yūsuf, les Kūfiotes Šurayḥ et al-Šaʿbī (l’opinion du premier étant sans doute une projection de celle du second) se montrent tous deux favorables au témoignage du qāḏif repenti, position contraire à la doctrine ḥanafite classique. Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, op. cit., p. 163. Al-Šaybanī signale lui aussi cette opinion avant de préciser : « Ce n’est pas cette doctrine que nous suivons. » Al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 553.
684 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 432.
685 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 284.
686 Ibid., III, p. 32.
687 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 328. Il semble cependant que les ḥanafites, comme les šāfiʿites, aient autorisé leur témoignage s’ils s’étaient repentis. Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 103. Le sujet faisait l’objet de controverses entre juristes imamites. Voir al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 434-435.
688 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 288, 395.
689 Ibid., p. 381. Les témoins, qui se présentèrent en guenilles, furent soupçonnés d’être des « Kurdes ». Peut-être faut-il relier ce récit aux controverses qui animèrent les écoles juridiques classiques au sujet du témoignage des Bédouins vis-à-vis des sédentaires ? Sur cette question, voir al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 338.
690 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 320.
691 Ibid.
692 Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 510 (= éd. par Maʿrūf, op. cit., II, p. 262).
693 Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 177.
694 Comparer les isnād-s mentionnés chez ʿAbd al-Razzāq et chez al-Bayḥaqī (al-Bayḥaqī, Sunan al-Bayḥaqī, op. cit., X, p. 201).
695 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 322 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 300.
696 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 385.
697 Ibid., p. 16.
698 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 323.
699 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 319.
700 Coran, 2 : 236, 241.
701 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 344.
702 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 83-84.
703 Ibid., p. 308. Les commentateurs postérieurs expliquent que le colombophile s’adonne non seulement à une activité futile, mais également qu’en montant sur les toits pour s’occuper de ses pigeons et les faire voler, il porte atteinte à la sécurité et à l’honneur de ses voisins qu’il peut observer à l’intérieur de leurs maisons. Voir par exemple Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 156. Voir al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 221-222 ; F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 132.
704 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 328-329 ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 477. Sur le témoignage du buveur et la distinction entre le consommateur de vin et celui d’autres boissons enivrantes, voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 510-511.
705 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 139.
706 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 348 ; al-Iṣfahānī, Kitāb al-aġānī, op. cit., X, p. 402. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 333-334.
707 Al-Rāziqī est le nom d’un cépage blanc de la région de Ṭā’if. Voir al-Zabīdī, Tāǧ al-ʿarūs min ǧawāhir al-qāmūs, s. l., Dār al-hidāya, s. d., XXV, p. 337.
708 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 343.
709 Al-Iṣfahānī, Kitāb al-aġānī, op. cit., IV, p. 331. D’après ce récit, le cadi aurait finalement été obligé d’agréer le témoignage du poète, car nombre de Médinois l’avaient pris à témoin et, craignant de se voir dans l’impossibilité de prouver leurs droits, ils firent pression sur le cadi en ce sens. Il est à noter qu’un récit comparable met en scène non le cadi de Médine, mais celui de La Mecque, [ʿAbd al-ʿAzīz b.] al-Muṭṭalib b. ʿAbd Allāh b. Ḥanṭab. Voir ibid., p. 332. Plus tard, les šāfiʿites acceptèrent le témoignage du poète à condition que ses vers n’insultent ni les gens, ni ne dressent d’eux un éloge excessif et mensonger, ni ne provoquent le scandale en mentionnant des femmes. Al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 408.
710 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 416-417.
711 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 156.
712 Voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 509 ; Saḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., I, p. 131. Sur les controverses suscitées par le fait d’uriner debout, voir Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., I, p. 225-227.
713 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 136. Sur les indices corporels permettant d’identifier un efféminé, voir E. K. Rowson, « The Effeminates of Early Medina », Journal of the American Oriental Society, 111, 1991, p. 675, 680.
714 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 153.
715 Ibid., p. 135.
716 Sur cette révolte, voir H. Kennedy, The Early Abbasid Caliphate. A Political History, Londres/Sydney, Croom Helm, 1981, p. 68-69 ; L. Veccia Vaglieri, « Ibrāhīm b. Muḥammad », EI2, III, p. 984.
717 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 154.
718 Ibid., III, p. 191.
719 Al-Iṣfahānī, Kitāb al-aġānī, op. cit., VI, p. 28.
720 La tradition de Médine, en tout cas, ne rejetait pas l’honorabilité du chanteur. Voir Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 160. Pour al-Šāfiʿī, l’homme qui chantait peu voyait encore son témoignage accepté. Al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 408.
721 Traduction hypothétique, une lettre étant effacée dans l’édition de Wakīʿ (fa-lam ta[ ?]ǧal).
722 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 106. Ibn Saʿd propose une autre version de ce vers : « Nous avons enquêté, [les enquêteurs] y mirent de la diligence, et j’ai interrogé de plus belle ; combien de gens nobles (karīm) furent-ils anéantis par les huppes ! » Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 351.
723 Sur les fonctions du ʿarīf, voir Salih A. el-Ali, Cl. Cahen, « ʿArīf », EI2, I, p. 629.
724 Al-Fasawī, al-Maʿrifa wa-l-ta’rīḫ (éd. al-Manṣūr), op. cit., II, p. 143.
725 Litt. « ceux qui prennent la mer ».
726 ʿAbd al-Aʿlā b. ʿAbd Allāh b. ʿĀmir b. Kurayz b. Rabīʿa b. Ḥabīb b. ʿAbd Šams al-Qurašī. Sur ce personnage, voir al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., XVI, p. 356.
727 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 359.
728 Sur l’exclusion, à une période plus tardive, d’autres groupes professionnels, voir R. Brunschvig, « Métiers vils », p. 57-8. L’imamite al-Ṭūsī exclut ainsi du témoignage ceux qui exercent une profession non noble, comme coiffeur, éboueur, gardien, etc. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 217-218. En revanche al-Kulaynī autorise celui d’autres professions non nobles comme celles de porteur, de chamelier ou de marin ; il exclut cependant celui du mendiant qui tend la main. Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 433-434.
729 Voir Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ, Ta’rīḫ (éd. al-ʿUmarī), op. cit., p. 318.
730 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 339. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 343.
731 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 345-346.
732 Sur ces tensions et leur signification, voir notamment P. Crone, « Were the Qays and Yemen of the Umayyad Period Political Parties ? », Der Islam, 71, 1994, p. 43-49 et passim.
733 Ce transfert commença en 109/727-8. Voir H. Kennedy, « Egypt as a Province of the Islamic Caliphate », dans C. F. Petry (dir.), The Cambridge History of Egypt, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 74-75.
734 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 419.
735 Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 144.
736 Ibn Qudāma transmet une opinion contraire, peut-être sur la base d’une mauvaise lecture. Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 150.
737 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 338-339. Plus tard, les mālikites firent exception pour le Bédouin qui, fréquentant assidument le milieu urbain, peut être assimilé au citadin. Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 648.
738 Voir supra.
739 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 511.
740 Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 228.
741 S. Judd, « Muslim Persecution of Heretics during the Marwānid Period (64-132/684-750) », al-Masāq, 23, 2011, p. 2 et suiv.
742 Ibid., p. 12. Certains cadis jouèrent d’ailleurs un rôle dans cette inquisition, comme le montre l’exemple du cadi de Damas Abū Idrīs al-Ḫawlānī, cité par S. Judd, « Muslim Persecution of Heretics… », art. cité, p. 3.
743 Tuwallī ḏayna-ka l-raǧulayn, dans l’édition de Wakīʿ. Nous pensons qu’il faut corriger ḏayna-ka en dīna-ka.
744 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 28.
745 Voir M. G. S. Hodgson, « How Did the Early Shîʿa Become Sectarian ? », Journal of the American Oriental Society, 75, 1955, p. 6.
746 Voir W. M. Watt, « Shiʿis under the Umayyads », Journal of the Royal Asiatic Society, 1960, p. 166 ; W. F. Tucker, « Rebels and Gnostics : al-Muġīra b. Saʿīd and the Muġīriyya », Arabica, 22, 1975, p. 33-36 ; id., « Bayān b. Samʿān and the Bayāniyya : Shīʿite Extremists of Umayyad Iraq », The Muslim World, 65, 1975, p. 242 et suiv.
747 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 133. À l’inverse, Ibn Abī Laylā aurait agréé le témoignage d’une pieuse femme ḫāriǧite. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 134.
748 E. Kohlberg, « Rāfiḍa », EI2, VIII, p. 386.
749 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 162.
750 Ibid.
751 Ibid., p. 167. Voir al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., X, p. 393.
752 W. Madelung, « Murdji’a », EI2, VII, p. 606-607.
753 N. Tsafrir, The History, op. cit., p. 27.
754 Al-Iṣfahānī, Kitāb al-aġānī, op. cit., VII, p. 274. Sur al-Sayyid al-Ḥimyarī, voir W. al-Qāḍī, « al-Sayyid al-Ḥimyarī », EI2, IX, p. 116-7. Les kaysāniyya se réclamaient du mouvement d’al-Muḫtār et voyaient en Muḥammad b. al-Ḥanafiyya l’Imam légitime et le mahdī. W. al-Qāḍī, al-Kaysāniyya fī l-tārīḫ wa-l-adab, Beyrouth, Dār al-ṯaqāfa, 1974, passim (en particulier les pages 322 à 356, consacrées à la poésie d’al-Sayyid al-Ḥimyarī).
755 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 137.
756 Voir notamment al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, IV, p. 371 et suiv.
757 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 83.
758 Voir N. Tsafrir, The History, op. cit., p. 30-32. Les ḥanafites autorisaient la consommation de petites quantités de nabīḏ, alors que les mālikites l’interdisaient. Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, IV, op. cit., p. 369-372. Voir A. J. Wensinck, « Khamr », EI2, IV, p. 996. Pour l’imamite al-Ṭūsī, qui considère que la consommation de nabīḏ fait perdre son honorabilité au témoin, les šāfiʿites tolèrent cette boisson. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 109, 222.
759 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 149.
760 Voir N. Hurvitz, « Miḥna as Self-Defense », Studia islamica, 92, 2001, p. 100, 109, qui pense que les mutakallimūn étaient sujets à des persécutions avant la miḥna.
761 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 149.
762 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 422.
763 Remarquons que le témoignage des ahl al-ahwā’n’est pas abordé dans les anciens Muṣannaf-s, ce qui semble indiquer que la question ne fut pas pertinente avant la seconde moitié du viiie siècle, période à laquelle les exclusions de groupes religieux se multiplièrent.
764 Ce qui était le cas des ḫaṭṭābiyya selon Abū Ḥanīfa. Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 302 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 334. Voir également F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 124. Sur la secte chiite des ḫaṭṭābiyya, qui se développa à Kūfa, voir W. Madelung, « Khaṭṭābiyya », EI2, IV, p. 1132.
765 Il s’agit là de l’opinion d’Abū Yūsuf et d’une référence transparente à la doctrine des rāfiḍites. Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 303 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 334. Sur l’opinion des ḥanafites en la matière, voir également al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XVI, p. 254-5. Pour l’opinion des šāfiʿites, voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 509-511 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 407.
766 Voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 509-511.
767 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 334. Voir la posture plus tardive des ḥanbalites dans Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 148-149. Les imamites adoptent une position comparable. Voir al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 220.
768 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 511-512.
769 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 170.
770 Sur la date d’arrêt de la miḥna, voir Chr. Melchert, « Religious Policies of the Caliphs from al-Mutawakkil to al-Muqtadir, A. H. 232-295/A. D. 847-908 », Islamic Law and Society, 3, 1996, p. 316 et suiv.
771 Voir la lettre d’al-Ma’mūn au gouverneur de Bagdad, Isḥāq b. Ibrāhīm, dans al-Ṭabarī, Ta’rīḫ, op. cit., VIII, p. 631-4 (à propos des témoins, voir p. 633). Voir également la lettre d’instructions du calife al-Muʿtaṣim aux cadis de Fusṭāṭ dans al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 446. Al-Kindī évoque aussi une lettre d’al-Wāṯiq. Ibid., p. 451.
772 Ibid. p. 447 ; Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 451.
773 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 451-452. Voir également Abū l-ʿArab al-Tamīmī, Kitāb al-miḥan, éd. par Yaḥyā Wahīb al-Ǧubūrī, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 1988 (1re éd. 1983), p. 442.
774 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 467.
775 Ibid., p. 474. Le refus du témoignage d’un Kūfiote par le même cadi relève peut-être d’une logique similaire, un Kūfiote supposément ḥanafite pouvant être soupçonné d’adhérer au dogme de la création du Coran. Ibid., p. 473-474.
776 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 73r.
777 Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 116. Voir al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 401, où le terme ʿudūl est remplacé par marḍiyūn (« agréés »).
778 Al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 407.
779 Al-Muzanī ne définit pas la muruwwa, mais des juristes plus tardifs le font. Au xie siècle, l’imamite al-Ṭūsī définit la ʿadāla comme conditionnée par trois facteurs : le statut légal (âge, sexe, etc.), la religion (être un bon musulman respectueux de la šarīʿa) et la muruwwa. Al-Ṭūsī exclut ainsi de la ʿadāla toute personne qui ne respecterait pas les règles de vie en société : celui qui allongerait la jambe en public (dans le Yémen contemporain, allonger la jambe au lieu de la garder pliée quand on est assis sur un matelas ou une natte est une insulte aux règles de savoir-vivre), celui qui porterait des vêtements teints ou des habits de femme. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 217.
780 Al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 407. Ibn Ḥazm critique plus tard le recours d’al-Šāfiʿī au concept de muruwwa, qu’il ne trouve pas pertinent en la matière. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 395.
781 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 509.
782 Al-Māwardī, al-Ḥāwī l-kabīr, op. cit., XVII, p. 58. Voir E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 242. Ces conditions, proches de celles qu’al-Māwardī définit comme nécessaires à l’exercice de la judicature (mais non totalement identiques), sont commentées par Émile Tyan, Ibid., p. 160-170. Voir également les conditions posées par Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 145 (ce dernier n’inclut pas la liberté, conformément à la position ḥanbalite) et la définition de la ʿadāla proposée par l’imamite al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 217.
783 Sur les critères d’acceptation du témoignage dans le fiqh classique, voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 123-135.
784 Une logique d’exclusion continua néanmoins d’être poursuivie dans nombre de manuels à l’usage des juges, par l’établissement de listes de comportements entrainant l’interdiction de témoigner. Voir par exemple, chez les mālikites, Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 644-645.
785 Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., V, p. 181.
786 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 144.
787 F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 157-166 ; E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 238-239. Toutes les écoles sunnites demandent au cadi de procéder à la tazkiya des témoins. Si le droit ismāʿīlien n’en conserve pas de trace, le chiisme imamite se penche longuement sur la procédure. Voir par exemple al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 105-112.
788 W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 85-86.
789 In this context, it must also have been the practice that, out of logical necessity, the proto-qāḍī had often to inquire into the rectitude of these witnesses or ask someone who did. Ibid., p. 85.
790 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 8, 13 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 394. Voir la lettre de ʿUmar à Abū Mūsā al-Ašʿarī, dans laquelle tous les musulmans sont considérés comme ʿadl les uns envers les autres, à moins qu’ils n’aient été condamnés au ḥadd ou ne se soient rendus coupables de faux témoignage, ou qu’ils soient soupçonnés de proximité familiale avec le plaideur. Voir notamment Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 72, 284.
791 Ibid., II, p. 11.
792 Ibid., p. 237. Voir également ibid., p. 254 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 416.
793 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 322.
794 Ibid., II, p. 87. Plus tard les mālikites interdirent de s’appuyer sur les déclarations d’un témoin au sujet du témoin qui déposait avec lui : les témoins d’une affaire ne pouvaient se déclarer mutuellement honorables. Voir Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 646.
795 Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 133, 136 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 354-355. Voir R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 207.
796 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 34.
797 Ibid., II, p. 63-64.
798 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., IV, p. 331.
799 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 285.
800 Voir notamment Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 70.
801 Al-Šaybānī, al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, op. cit., p. 392-393 ; al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 289 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 328 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., IV, p. 331. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 394 ; F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 160.
802 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 260. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 432.
803 Al-Šaybānī, al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, op. cit., p. 393 ; al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 289 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 328 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., IV, p. 331.
804 Notons qu’à Cordoue, le cadi Muḥammad b. Bašīr al-Maʿāfirī (m. 198/813) ne menait nulle enquête systématique sur les témoins, se fiant souvent à sa propre sagacité (firāsa) ou à des signes extérieurs (tawassum) pour déterminer leur fiabilité. Il n’enquêtait sur la bayyina que dans quelques cas. Al-Ḫušanī, Quḍāt Qurṭuba wa-ʿulamā’Ifrīqiyya, Le Caire, Maktabat al-Ḫānǧī, 1953, p. 56.
805 Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 159. Dans le droit mālikite, le droit qu’un plaideur avait de récuser des témoins prit le nom d’iʿḏār, terme par ailleurs polysémique. Voir à ce sujet N. Hentati, « L’iʿdhār : une procedure judiciaire dans le droit musulman », Islamic Law and Society, 13, 2006, p. 396.
806 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Risāla ḏāt al-bayān, op. cit., p. 13.
807 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 416.
808 Ibid., III, p. 8. Sur Munḏir al-Ṯawrī, traditionniste kūfiote, voir al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., XXVIII, p. 515.
809 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 46.
810 Ibid., I, p. 194.
811 Voir, à propos d’un cadi de La Mecque, al-Iṣfahānī, Kitāb al-aġānī, op. cit., IV, p. 28.
812 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 270.
813 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 268.
814 Ibid., II, p. 83-84.
815 Ibid., p. 110-111. Un autre passage suggère que ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan menait également ses enquêtes en personne. Ibid., p. 112.
816 Ibid., p. 141.
817 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 270.
818 Ibid., p. 334.
819 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 361.
820 Ibid., p. 351.
821 Ibid., p. 437.
822 Ce savant et traditionniste baṣrien (m. 220/835) est resté célèbre pour avoir été le premier à être interrogé sur la création du Coran pendant la miḥna. Voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., IV, p. 238.
823 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 153.
824 Voir par exemple al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 292 et suiv.
825 Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 133 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 369.
826 Voir Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 350.
827 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 331. Voir également al-Ǧaṣṣāṣ, Aḥkām al-Qur’ān, op. cit., II, p. 238 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 116.
828 Au début du ixe siècle, quand les enquêtes secrètes se furent systématisées, les juristes furent confrontés au problème opposé. Al-Šāfiʿī remarque ainsi que, interrogés en secret sur un témoin, les gens ont souvent tendance à dire du mal de lui sans raison objective… Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 508-509 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 395.
829 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 106. Voir Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 351. Quelques décennies plus tard, al-Šaybānī évoque l’« envoyé du cadi qui enquête sur les témoins » (rasūl al-qāḍī allaḏī yas’al ʿan al-šuhūd), périphrase correspondant à la même fonction. Al-Šaybānī, al-Ǧāmiʿ al-ṣaġīr, op. cit., p. 401.
830 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 120.
831 Ibid., p. 134. Sur ʿAlī b. Nizār b. Ḥayyān al-Asadī, mawlā des Banū Hāšim et transmetteur de ḥadīṯ, voir al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., XXI, p. 155.
832 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 138.
833 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 361.
834 Voir M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 224-225.
835 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, p. 385.
836 Voir M. Tillier, « Scribes et enquêteurs », art. cité, p. 379-381.
837 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 315 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 328.
838 Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 394.
839 Voir par exemple al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 508 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 328-329. Pour les mālikites, voir notamment Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., p. 643, 652.
840 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 341.
841 Voir al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 289-290, 297.
842 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, fol. 73r ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 509 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 395 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, III, p. 332. Plus tard certains mālikites exigèrent que les personnes attestant l’honorabilité d’un témoin justifient leur opinion, en particulier en cas de récusation. Voir Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 647.
843 Ibn Ṭayfūr, Kitāb Baġdād, éd. par Muḥammad Zāhid b. al-Ḥasan al-Kawṯarī, s. l., Maktab našr al-ṯaqāfa al-islāmiyya, 1949, p. 166.
844 M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 232-234.
845 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 386. Voir E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 239-240.
846 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 389. Voir al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-aʿšā, op. cit., I, p. 419.
847 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 392. Voir également Ibn al-Mulaqqin, Nuzhat al-nuẓẓār, op. cit., p. 119. Voir E. Tyan, Histoire de l’organisation judiciaire, op. cit., p. 244.
848 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 396.
849 Ibid., p. 394.
850 Ibid., p. 398, 407.
851 Ibid., p. 422.
852 On en comptait une trentaine sous le cadi Lahīʿa b. ʿĪsā (en poste de 199/814 à 204/820). Ibid., p. 422.
853 Ibid., p. 422.
854 Voir par exemple ibid., p. 472.
855 S. D. Goitein, A Mediterranean Society, V : The Individual, Londres, University of California Press, 1988, p. 76.
856 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 395.
857 M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité, p. 236-237. Voir également al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 472. La rigueur du processus de sélection des témoins en Égypte trouve peut-être un reflet dans la doctrine (égyptienne) d’al-Šāfiʿī, qui prescrit des règles strictes concernant l’agrément des témoins : une double enquête (secrète puis publique), deux enquêteurs irréprochables devant entendre chacun au moins deux témoins de l’honorabilité de chaque témoin, etc. Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VII, p. 507-509 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 394-395.
858 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 436, 472.
859 Ibid., p. 422.
860 Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 645.
861 M. Tillier, « Les réseaux judiciaires… », art. cité, p. 102-103. Voir également Cl. Cahen, « À propos des shuhūd », p. 76. Selon l’imamite al-Ṭūsī, le premier cadi à avoir établi une classe exclusive de témoins (en Irak) est le mālikite Ismāʿīl b. Isḥāq (en poste à Bagdad à partir de 262/875-6 ; sur ce cadi, voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., index). Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 111.
862 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 289 et suiv.
863 Al-Ḫaṣṣāf et al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 83-84. L’imamite al-Ṭūsī critique sévèrement l’établissement d’une telle hiérarchie (tartīb) de témoins, qui restreint la capacité de la population à faire attester de ses transactions quotidiennes. Il accepte néanmoins que le cadi se repose en priorité sur un groupe de témoins qu’il considère comme honorables, à condition qu’il n’exclue pas le témoignage des gens ordinaires, qu’il soumettra alors à la tazkiya. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 111-112.
864 Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 290. À la même époque, le fiqh imamite demeure néanmoins réticent à l’idée de telles enquêtes. Al-Kulaynī préconise ainsi de s’en tenir à l’apparence fiable des témoins, et de ne pas enquêter sur ce qu’ils cachent (bāṭin). Est-ce en réaction à des pratiques judiciaires qui tendaient à exclure du témoignage ceux dont on découvrait les sympathies chiites ? Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 471. Les débats plus tardifs envisagèrent également le cas où l’enquête sur un témoin aboutirait à une égalité numérique entre ceux qui l’agréent et ceux qui le récusent. Voir notamment, pour les mālikites, Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 647.
865 J. Burton, An Introduction to the Ḥadīth, Édimbourg, Edinburgh University Press, 1994,
866 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 336-337.
867 Al-Šāfiʿī, al-Risāla, éd. par Aḥmad Muḥammad Šākir, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, s. d., p. 373 et suiv. Voir l’analyse de J. E. Lowry, Early Islamic Legal Theory. The Risāla of Muḥammad ibn Idrīs al-Shāfiʿī, Leyde/Boston, Brill, 2007, p. 194-197.
868 J. A. C. Brown, Hadith. Muhammad’s Legacy in the Medieval and Modern World, Oxford, Oneworld, 2009, p. 80 ; J. Robson, « al-Djarḥ wa’l-taʿdīl », EI2, II, p. 462.
869 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 111.
870 J. Burton, An Introduction to the Ḥadīth, op. cit., p. 111.
871 Voir J. Burton, An Introduction to the Ḥadīth, op. cit., p. 110 ; J. A. C. Brown, Hadith, op. cit., p. 80, 82, 84.
872 J. A. C. Brown, Hadith, op. cit., p. 80.
873 Voir J. Burton, An Introduction to the Ḥadīth, op. cit., p. 116-117.
874 Ibid., p. 117.
875 Al-Šāfiʿī, al-Risāla, op. cit., p. 376-377 (§ 1023-1025). Voir également J. E. Lowry, Early Islamic Legal Theory, op. cit., p. 196.
876 Al-Šāfiʿī, al-Risāla, op. cit., p. 378 (§ 1029).
877 Encore faut-il remarquer que son opinion est surtout mentionnée dans l’Iḫtilāf al-ʿulamā’du juriste al-Ṭaḥāwī, un Égyptien qui tenait peut-être particulièrement à faire état de la tradition égyptienne ancienne.
878 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 9.
879 Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 341. Pour la réflexion des juristes plus tardifs, voir notamment Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 418 ; Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 649-651.
880 Voir par exemple Ṯaʿlab, Šarḥ šiʿr Zuhayr b. Abī Sulmā, éd. par Faḫr al-Dīn Qabāwa, Damas, Maktabat Hārūn al-Rašīd, 2008, p. 66 ; A. Arazi, S. Masalha, Six Early Arab Poets, op. cit., index, s. v. « yamīn ».
881 Voir infra, chap. 4.
882 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 322.
883 R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 204. Voir J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 188.
884 Coran, 5 : 106-108.
885 Voir notamment al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 172.
886 Al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 157, 202.
887 Muqātil b. Sulaymān, Tafsīr Muqātil, op. cit., I, p. 327-329. Voir al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 191-192 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 406.
888 Al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 157-158, 193.
889 Ibid., p. 183, 192-193.
890 Ibid., p. 156.
891 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 188.
892 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 377.
893 Ibid., I, p. 286.
894 Ibid., II, p. 65.
895 Ibid., p. 117.
896 Il est d’ailleurs possible que l’attribution de cette procédure à Šurayḥ soit baṣrienne, la tradition susmentionnée étant rapportée avec le même isnād que l’attribution de la même procédure au cadi Sawwār b. ʿAbd Allāh (Abū Qilāba < Abū ʿAmr al-Ḍarīr < Ḥammād b. Salama [Baṣrien, m. 167/783-4] ; voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 157). G. M. ʿAlī Solaimān affirme, d’après Ibn Qudāma, qu’al-Awzāʿī considérait le serment du témoin comme obligatoire, mais nous ne sommes pas parvenu à retrouver cette position dans le Muġnī d’Ibn Qudāma. G. M. ʿAlī Solaimān, Al-Awzāʿī’s Life and Thought with Special Emphasis on his Controversial Rulings, Ph. D., University of Exeter, 1991, p. 233.
897 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 417.
898 Ibid., p. 418.
899 Ibn Farḥūn, Tabṣirat al-ḥukkām, op. cit., I, p. 45.
900 Sur ce cadi, voir al-Ḫušanī, Quḍāt Qurṭuba, op. cit., p. 47-59 ; al-Nubaḥī, Ta’rīḫ quḍāt al-Andalus, Beyrouth, Dār al-āfāq al-ǧadīda, 1983, p. 47-53. Nous ne sommes pas parvenu à retrouver cette information dans ces deux ouvrages.
901 Sur ce savant cordouan, voir al-Zirkilī, al-Aʿlām, op. cit., VII, p. 133.
902 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 142-143. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 379.
903 Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 655.
904 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 143.
905 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 314.
906 Ibid. Voir ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 272.
907 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 329, 374.
908 Ibid., p. 329.
909 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 298-299 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 374. Voir al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 381 ; R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 210.
910 Voir supra. Dans le droit postérieur, les doubles serments ou doubles bayyina-s sont préconisées dans les cas où les deux plaideurs sont simultanément demandeurs, notamment lorsqu’ils sont tous deux en possession de l’objet du litige (l’absence de possession étant généralement considérée comme une caractéristique du demandeur). Or tel n’est pas le cas ici. Voir par exemple (pour le fiqh imamite) al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 257.
911 Voir Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 292-294.
912 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 381. Voir al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 257.
913 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 292-294.
914 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 314. Tel est notamment le cas de l’imamite al-Ṭūsī (al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 174, 259), qui autorise le serment du demandeur lorsqu’il ne peut produire que deux témoins féminins dans le cadre d’une affaire financière. Mais al-Ṭūsī reconnaît que la plupart des juristes sont opposés à cette vue. Un autre imamite, al-Kulaynī, préconise le serment du demandeur en plus de sa bayyina lorsque son adversaire est un mort – par définition dépourvu d’aucun moyen de défense –, mais rejette cette procédure dans tous les autres cas. Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 456, 457.
915 Voir également Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 133, 135-136 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 232, 328, 335-336, 355 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 371.
916 Voir également Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 416.
917 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 734-735.
918 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 81. Selon al-Šāfiʿī, Ibn Abī Laylā faisait du serment du demandeur une nécessité, contrairement à l’opinion d’Abū Ḥanīfa qui se réclamait d’une application stricte de la formule du faṣl al-ḫiṭāb. Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 293. Voir également ibid., p. 452, où Ibn Abī Laylā est rapporteur d’une tradition de ʿAlī défendant cette procédure. Pour Ibn Abī Laylā, voir encore al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 423.
919 Christopher Melchert en fait principalement une doctrine baṣrienne (même s’il remarque qu’elle était probablement aussi kūfiote). Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 315.
920 Voir en particulier Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 133, 135-136. Sur l’origine baṣrienne d’une telle transmission, voir Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 314.
921 Sur ce personnage, voir Muṣṭafā b. Ṣāliḥ Bāǧū, « al-Muqaddima », dans Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., I, p. 21-22.
922 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 145. La procédure défendue par al-Rabīʿ b. Ḥabīb est pour le moins inhabituelle. Il en découle en effet que le défendeur ne peut jurer que si le demandeur a produit des témoins, et le rôle de son serment n’est pas clair. Al-Rabīʿ affirme par ailleurs que le serment ne peut être référé au demandeur sur demande du défendeur – il faut, pour que le serment soit référé, que le défendeur accuse le défendeur de quelque chose. Ces deux affirmations semblent contradictoires : le demandeur ayant prêté serment en plus des témoignages en sa faveur, à quoi servirait-il que le défendeur lui demande à nouveau de jurer ?
923 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 145.
924 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 333.
925 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 146. Sur ce cadi de Bagdad, voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 720.
926 Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., VI, p. 384 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., V, p. 454. Pourtant dans son Kitāb al-āṯār, Abū Yūsuf rapporte que ni Ḥammād b. Abī Sulaymān, ni Abū Ḥanīfa, ne préconisaient le serment du demandeur en plus de la bayyina. Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, op. cit., p. 162.
927 Voir al-ʿAynī, ʿUmdat al-qāri’, Beyrouth, Dār iḥyā’al-turāṯ al-ʿarabī, s. d., XIII, p. 242, où la définition du yamīn al-istiẓhār correspond en tout point à la procédure du double témoignage renforcé par le serment du demandeur. La doctrine postclassique (notamment šāfiʿite) revint en effet au serment prêté par le demandeur en plus de sa bayyina lorsque son adversaire était un absent, un mineur, un fou, un faible d’esprit, etc. Voir Ibn Ḥaǧar al-Haytamī, al-Fatāwā l-fiqhiyya al-kubrā, Beyrouth, Dār al-fikr, s. d., IV, p. 308. Le serment du demandeur fut également préconisé par des mālikites, en certains cas, afin de compléter la déposition de témoins de sexe féminin. Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 655.
928 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 297. Dans son Muḫtaṣar, Ibn ʿAbd al-Ḥakam évoque le cas suivant : un homme doit cent dinars à un créancier, et le rembourse jusqu’à ce qu’il n’ait plus envers lui que vingt dinars de dette. Le créancier lui rédige un reçu, sur lequel la bayyina est datée. Puis le créancier réclame en justice le remboursement des vingt derniers dinars. Le débiteur présente alors une quittance de dix dinars, non datée et dont l’objet n’est pas précisé, prétendant qu’elle atteste le remboursement de la moitié de la somme réclamée. Le créancier affirme de son côté que la quittance ne concerne pas ces vingt dinars, mais le reste des cent dinars dus à l’origine. Le juriste prône alors que le créancier (demandeur) prouve d’abord par bayyina que son adversaire lui devait auparavant cent dinars ; puis qu’il jure que la quittance ne concerne pas les vingt dinars restant. En ce cas précis, le demandeur est à la fois amené à produire une bayyina et à prêter serment. Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 289. Néanmoins il n’est pas sûr que ce cas corresponde à ce qu’Ibn Ḥaǧar qualifie de yamīn al-istiẓhār : on pourrait en effet interpréter le serment comme celui du créancier en tant que défendeur (démentant la prétention du débiteur à avoir remboursé une partie des vingt dinars).
929 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 372. Ibn Ḥazm l’accepte quant à lui à propos des dispositions testamentaires : le témoignage de deux musulmans complété par leur serment peut annuler la déposition de deux témoins non musulmans. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 373.
930 ʿAbd al-ʿAzīz b. Isḥāq al-Baġdādī, Musnad al-imām Zayd, op. cit., p. 260.
931 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 521.
932 Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Risāla ḏāt al-bayān, op. cit., p. 13. Il y a là, en apparence, une incohérence dans la pensée du Qāḍī al-Nuʿmān. Des études récentes ont cependant montré que le droit ismāʿīlien s’élabora de manière progressive, dans l’œuvre même du Qāḍī al-Nuʿmān, qui affina et redéfinit ses positions juridiques jusqu’à son œuvre finale, les Daʿā’im al-islām. Voir A. Cilardo, The Early History of Ismaili Jurisprudence. Law under the Fatimids. A Critical Edition of the Arabic Text and English Translation of al-Qāḍī al-Nuʿmān’s Minhāj al-farā’iḍ, Londres/New York, I. B. Tauris, 2012, p. 82. Voir également la critique des positions sunnites sur cette question dans al-Qāḍī al-Nuʿmān, Risāla ḏāt al-bayān, op. cit., p. 15-16.
933 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., p. III, p. 333.
934 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 325.
935 Au xive siècle, Ibn Qayyim al-Ǧawziyya tend à expliquer cette procédure de la même manière. Demander le serment du demandeur en plus de sa bayyina peut se justifier, dit-il, mais à la seule condition que ses témoins soient suspects (maʿa wuǧūd al-tuhma). Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 146.
936 Voir R. B. Serjeant, « The Caliph ʿUmar’s Letters… », art. cité, p. 76.
937 Malgré des traces de remaniement (transformation de l’apposition al-ʿudūl en épithète al-ʿādila), la version de cette lettre qu’offre al-Balāḏurī conserve la conjonction de coordination wa-. Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., X, p. 391.
938 Ibn ʿAbd Rabbih, al-ʿIqd al-farīd, op. cit., I, p. 98. Notons également que le pluriel aymān a été remplacé par le singulier yamīn, correspondant plus précisément à la configuration dans laquelle le défendeur (et lui seul) prête serment.
939 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 383. Pour les šāfiʿites, voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 93, 293 ; Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, op. cit., fol. 74r ; id., al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 291 ; al-Muzanī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 406. Pour les imamites, voir al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 456-457 ; al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 159. Pour les zaydites, voir Ibn al-Murtaḍā, al-Baḥr al-zaḫḫār, op. cit., VI, p. 200. Voir également Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 377. Voir F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 239 ; R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 210-211.
940 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 286 ; Saḥnūn, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., IV, p. 7, 35, 278, 478, 659 ; V (éd. Maṭbaʿat al-saʿāda), op. cit., p. 141. Voir al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 383.
941 Abū Yūsuf, Kitāb al-āṯār, op. cit., p. 161, 162 ; al-Šaybānī, Kitāb al-āṯār, op. cit., II, p. 665-666 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 383 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, op. cit., XI, p. 83 ; XVI, p. 118. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 373 : selon lui, Abū Ḥanīfa ne condamnait pas la personne accusée de meurtre sur son simple refus de prêter serment, mais préconisait son emprisonnement jusqu’à ce qu’il avoue ou prête serment. En revanche Abū Yūsuf et Zufar condamnaient au talion sur simple refus de jurer. Voir aussi F. Marneur, Essai sur la théorie de la preuve, op. cit., p. 237.
942 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-ṣuġrā, op. cit., II, p. 165, 200 ; id., al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 117. Cette position selon laquelle le défendeur auquel le serment est déféré n’a pas le droit de se défausser, et peut y être contraint par la force, est plus tard reprise par Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 372-373. Ibn Ḥazm se prononce d’ailleurs contre le radd al-yamīn. Ibid., p. 380.
943 Ibn Qudāma, al-Muġnī, op. cit., XIV, p. 233.
944 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 232, 252. On notera cependant que la transmission de ces traditions emprunte des isnād-s kūfiotes passant notamment par al-Šaʿbī. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 377, où le début de l’isnād est baṣrien : Ibn Sīrīn < Hišām b. Ḥassān (Baṣrien, m. c. 147/764-5 ; voir Ibn Ḥaǧar, Tahḏīb al-tahḏīb, op. cit., XI, p. 32-4) < Yazīd b. Hārūn (Wāsiṭī, m. 206/821 ; voir Ibn Ḥibbān, al-Ṯiqāt, op. cit., VII, p. 632).
945 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 377.
946 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 479 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 377.
947 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 10.
948 Ibid., p. 81 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 383 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 377. Selon une des opinions attribuées à Ibn Abī Laylā, il ne référait le serment que dans le cas où la parole du demandeur paraissait suspecte. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 377. Plus loin, Ibn Ḥazm affirme qu’Ibn Abī Laylā, tout comme le cadi de Kūfa al-Ḥakam b. ʿUtayba (en poste avant 119/737), ne considéraient pas que le serment devait être référé au demandeur. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 382.
949 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 478-479. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 373.
950 Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 91-92.
951 J. Pedersen, Y. Linant de Bellefonds, « Ḳasam », EI2, IV, p. 689. Voir également R. Peters, « Murder in Khaybar », art. cité, p. 134.
952 Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 515 (= éd. par Maʿrūf, op. cit., II, p. 265, 267) ; id., al-Muwaṭṭa’(recension d’Abū Muṣʿab al-Zuhrī), op. cit., II, p. 477. Dans un autre passage du Muwaṭṭa’où l’on aurait pu s’attendre à voir apparaître cette procédure, compte tenu de la doctrine mālikite classique, le radd al-yamīn n’est pas mentionné. Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 534.
953 Voir également Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 635.
954 Mālik emploie, à propos de la procédure qui intègre le radd al-yamīn, l’expression « l’usage chez nous veut que… » (al-amr ʿinda-nā). Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 515 ; al-Muwaṭṭa’(recension d’Abū Muṣʿab al-Zuhrī), op. cit., II, p. 477.
955 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 252 ; III, p. 80.
956 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 378. Voir également R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 209 ; Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 309-310. Les mālikites n’acceptent pas, néanmoins, que le serment soit déféré au défendeur dans le cas où un esclave revendiquerait son affranchissement, ou une femme sa répudiation. Le demandeur doit alors produire un témoin avant que le serment ne soit déféré au défendeur, comme si la réclamation du demandeur, a priori suspecte, nécessitait d’être déjà à moitié prouvée pour être prise en compte. Mālik considère de même l’accusation d’usurpation (ġaṣb) comme suspecte et n’accepte de déférer le serment au défendeur que si de forts soupçons pèsent sur ce dernier. Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 378-379.
957 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 411.
958 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 109.
959 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 292.
960 Sur l’expression maḍat al-sunna et son corollaire, al-sunna al-māḍiya, voir S. Bravmann, The Spiritual Background of Early Islam, Leyde, Brill, 1972, p. 148 ; Y. Dutton, The Origins of Islamic Law. The Qur’an, the Muwaṭṭa’and Madinan ʿAmal, Surrey, Curzon, 1999, p. 164.
961 Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 515 (= éd. par Maʿrūf, op. cit., II, p. 268) ; id., al-Muwaṭṭa’(recension d’Abū Muṣʿab al-Zuhrī), op. cit., II, p. 477.
962 Y. Dutton, The Origins of Islamic Law, op. cit., p. 168.
963 Voir notamment Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 292, avec l’isnād Abū Muʿāwiya < al-Aʿmaš (Kūfiote, m. 147/764) < Ḥassān [b.] Abī l-Ašras (Kūfiote, voir Ibn Ḥaǧar, Tahḏīb al-tahḏīb, op. cit., II, p. 215) < Šurayḥ. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 299, 318 (où il faut probablement lire laysa lī bayyina au lieu de lī bayyina), 335, 345, 350, 394.
964 Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 292, 479, où l’attribution de cette procédure à al-Šaʿbī passe par Ibn Šubruma, autre cadi de Kūfa. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 415-6 (où al-Šaʿbī fait prêter serment à un défendeur chrétien).
965 On remarquera que la tradition égyptienne n’a laissé aucune trace, chez al-Kindī ou Ibn Ḥaǧar, de cadis déférant le serment au défendeur.
966 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 278. Notons que le jureur est décrit comme appartenant aux ahl al-kitāb, sans plus de précisions. D’après le récit, le cadi ne devait pas non plus identifier clairement sa religion puisqu’il le fit jurer avec la Torah sur les genoux et les Évangiles sur la tête.
967 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 309.
968 Ibid., p. 331.
969 Ibid., II, p. 10.
970 Ibid., p. 21.
971 Ibid., p. 63.
972 Ibid., p. 110. Voir encore, au début du ixe siècle, un exemple relatif au cadi ʿĪsā b. Abān dans al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Madīnat al-Salām, op. cit., XII, p. 482 ; Ibn al-Ǧawzī, al-Muntaẓam, op. cit., VI, p. 310.
973 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 250, 259.
974 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 287. Voir également ibid., p. 296, où un mari accusé par sa femme de ne pas avoir acheté ou vendu quelque chose pour son compte prétend l’avoir fait : il doit prêter serment, ce qui correspond à son rôle primaire de défendeur.
975 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 288.
976 Ibid., p. 289.
977 Voir l’exemple de Baṣra sous le cadi Iyās b. Muʿāwiya, dans Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 331.
978 Sur ce juriste médinois (m. 107/725), voir Ḫ.-D. al-Ziriklī, al-Aʿlām, op. cit., V, p. 181.
979 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 322.
980 Mālik b. Anas, al-Muwaṭṭa’(recension de Yaḥyā b. Yaḥyā), op. cit., p. 515 (= éd. par Maʿrūf, op. cit., II, p. 268) ; id., al-Muwaṭṭa’(recension d’Abū Muṣʿab al-Zuhrī), op. cit., II, p. 477. Voir P. Scholz, « Legal Practice », art. cité, p. 430-431.
981 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 8.
982 Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, op. cit., V, p. 407.
983 Sur le Baṣrien Isḥāq b. Suwayd (m. 131/749), voir Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VII, p. 243 ; Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, p. 152 ; Ibn Ḥaǧar, Tahḏīb al-tahḏīb, op. cit., I, p. 206.
984 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 21.
985 Encore à l’époque abbasside, des récits suggèrent que certains plaideurs prêtaient serment sans scrupules. Dans une anecdote relative au cadi de Baṣra ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan, un demandeur bédouin (aʿrābī) saute à la gorge de son adversaire après que ce dernier a prêté serment, ce qui montre que le bédouin considérait le serment comme mensonger. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 110.
986 Ibid., I, p. 191-192.
987 Voir par exemple Wakīʿ, ibid., III, p. 10. Voir al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 476.
988 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 241, 256. Voir ibid., p. 334.
989 Ibn Ḥaǧar, Tahḏīb al-tahḏīb, op. cit., X, p. 156.
990 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 241, 256.
991 Ibid., III, p. 9.
992 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 379.
993 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 249.
994 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 288.
995 Ibid., p. 289.
996 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-ṣaġīr, fol. 74r.
997 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 322.
998 Voir C. Brockelmann, Ch. Pellat, « al-Aʿmash », EI2, I, p. 431.
999 Al-Buḫārī, al-Ta’rīḫ al-kabīr, Hyderabad, Dā’irat al-maʿārif al-ʿuṯmāniyya, 1941, II, p. 319.
1000 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 317.
1001 Ibid., p. 317.
1002 Voir par exemple Coran, 21 : 78.
1003 Voir al-Nawawī, Šarḥ al-Nawawī ʿalā Ṣaḥīḥ Muslim, Beyrouth, Dār iḥyā’al-turāṯ al-ʿarabī, 1392 H., XII, p. 18.
1004 S. ʿA.-ʿA. al-Rāšid, Kitābāt islāmiyya min Makka al-mukarrama : dirāsa wa-taḥqīq, Riyad, 1416/1995, p. 160-161 (cité par L. Kalus, F. Soudan, Thesaurus d’épigraphie arabe, http://www. epigraphie-islamique. org, fiche 14316 [consulté le 10 mars 2013]).
1005 Coran, 38 : 20. Le terme ḥikma a fait l’objet d’interprétations différentes selon les exégètes. Il fut alternativement compris comme signifiant « discernement » (fahm), « intelligence » (ʿaql) et « prophétie » (nubuwwa). Voir H. Yaman, Prophetic Niche…, op. cit., p. 68.
1006 Selon ʿUmāra b. Wāṯima al-Fārisī, Kitāb bad’al-ḫalq, op. cit., p. 109, David aurait été le premier à déférer au demandeur la charge de la preuve et au défendeur le serment. Voir également Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 314-315. La tradition baṣrienne remontant à Bilāl b. Abī Burda (en poste de 110/728 à 120/738) semble avoir plutôt associé le faṣl al-ḫiṭāb de David à la formule amma baʿd (« ensuite »). Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 23. Sur les diverses interprétations auxquelles l’expression coranique a donné lieu, voir al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 107 ; H. Yaman, Prophetic Niche…, op. cit., p. 71.
1007 Un récit attribué à ʿAlī, et rapporté par le cadi ismāʿīlien al-Nuʿmān, fait également remonter les modes de preuve classiques (et leur répartition) à David, tout en gardant réminiscence des controverses qu’ils purent susciter. David se plaint de n’avoir comme Dieu l’omniscience qui seule permet de rendre une justice parfaite. Dieu lui répond de « rendre la justice entre [les hommes] sur la base des serments et des bayyina-s », mais David insiste pour que Dieu, grâce à Sa science, lui révèle les jugements qu’il doit rendre. Dieu accepte et, à trois reprises, lui ordonne de prononcer des verdicts apparemment injustes et arbitraires, ce qui provoque la colère du peuple. Dieu explique alors à David que, dans les trois cas, la victime apparente était en réalité le bourreau, sans qu’aucune preuve ne permette de le démontrer. David accepte finalement de s’en remettre aux preuves légales indiquées par Dieu, seules susceptibles de châtier le coupable apparent, et laisse à Dieu le soin de juger d’après la vérité des faits au dernier jour. Al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, op. cit., II, p. 518-520. Le même récit est rapporté par l’imamite al-Kulaynī dans une version abrégée. Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 454-455, 461-462, 472-473.
1008 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 22.
1009 Ibid., p. 8.
1010 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 145.
1011 Voir par exemple Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 342 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 372. Cette maxime figure aussi chez les zaydites sous la forme « le double témoignage juste/honorable prime sur le serment débauché » (al-bayyina al-ʿādila awlā min al-yamīn al-fāǧira). ʿAbd al-ʿAzīz b. Isḥāq al-Baġdādī, Musnad al-imām Zayd, op. cit., p. 264.
1012 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 342.
1013 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 371.
1014 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 286-287.
1015 Abū Ġānim al-Ḫurāsānī, al-Mudawwana al-kubrā, op. cit., III, p. 146.
1016 À l’exception, peut-être, de la doctrine mālikite. La bayyina apportée par le demandeur après le serment du défendeur n’y est considérée comme valable qu’à condition que le demandeur ait ignoré l’existence d’une bayyina lorsqu’il a demandé à son adversaire de prêter serment ; s’il savait disposer d’une bayyina lorsqu’il a réclamé le serment du défendeur, sa bayyina ne doit pas être prise en compte. Voir Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 371.
1017 Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 372.
1018 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 223.
1019 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 324-325. Le même auteur avait auparavant remarqué une proximité entre l’ancienne école baṣrienne et l’école médinoise, nombre de juristes baṣriens ayant fini par adhérer au courant mālikite. Chr. Melchert, The Formation…, op. cit., p. 41 et suiv.
1020 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 325.
1021 Yāqūt, Muʿǧam al-buldān, op. cit., II, p. 138.
1022 M. Tillier, « Un traité politique du iie/viiie siècle : l’épître de ʿUbayd Allāh b. al-Ḥasan al-ʿAnbarī au calife al-Mahdī », Annales islamologiques, 40, 2006, p. 143.
1023 Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 322.
1024 Ibid.
1025 E. Tyan, Le notariat…, op. cit., p. 7. Des archives semblent d’ailleurs avoir été conservées au Proche-Orient dès l’époque antique : à Hegra, les copies de certains documents étaient déposées dans un temple, tandis qu’à Palmyre existait peut-être un bureau des archives. Voir R. Hoyland, Arabia and the Arabs…, op. cit., p. 126.
1026 Voir E. Tyan, Le notariat…, op. cit., p. 37, 48 et suiv.
1027 Ibid., p. 11 ; R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 215 ; M. Tillier, « Le statut et la conservation… », art. cité, p. 271 ; Ch. Müller, « Écrire pour établir la preuve orale… », art. cité, p. 84.
1028 Voir notamment J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 188 ; H. A. Al-Humaidan, The Islamic Theory…, op. cit., p. 167. Au xie siècle, l’imamite al-Ṭūsī affirme que l’impératif uktubū (« écrivez ») signifie en réalité išhadū (« témoignez ») dans ce verset. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 171.
1029 Ce qui ne l’empêcha pas de revenir plus tard pour certains documents comme les lettres de cadis, notamment dans le mālikisme. Voir W. B. Hallaq, « Qāḍīs Communicating… », art. cité, p. 454 et suiv.
1030 J. Schacht, An Introduction to Islamic Law, Oxford, Clarendon Press, 1982, p. 19. Il faut néanmoins relever que Jean Damascène évoque cette question du témoignage dans le cadre d’un débat théologique : il entend démontrer que, selon leurs propres règles, les musulmans devraient produire des témoins de l’authenticité du Coran, ce qu’ils sont incapables de faire. Voir la traduction du chapitre 100-101 du De Haeresibus dans D. J. Sahas, John of Damascus on Islam : the “Heresy of the Ishmaelites”, Leyde, Brill, 1972, p. 135.
1031 Dans ce contexte, le verbe iktataba renvoie même, probablement, à l’idée de contrefaire des documents écrits.
1032 Le texte est ici difficile à suivre en raison d’une ponctuation (moderne) manifestement erronée et, sans doute, de lectures fautives de pronoms suffixes. Il est probable que ce passage, qui ne faisait déjà plus sens à l’époque de ʿAbd al-Razzāq, fut victime d’erreurs de copistes que l’éditeur du Muṣannaf n’a pas su corriger.
1033 Allaḏī iddaʿā/udduʿiya ʿalay-him. Noter que si le verbe est lu au passif, il y a incohérence entre le pronom relatif et le pronom suffixe. La lecture du verbe à l’actif doit cependant être rejetée, car ce syntagme s’oppose, à la ligne suivante, à ṭālib al-ḥaqq (le « demandeur ») ; la première partie est nécessairement constituée du (ou des) défendeur(s). Il faut donc probablement lire soit allaḏīna udduʿiya ʿalay-him, soit allaḏī udduʿiya ʿalay-hi.
1034 Bi-Llāh mā li-ṭālib hāḏā l-kitāb ʿalā ṣāḥibi-nā min ḥaqq. On peut se demander si cette phrase, qui fait pendant au serment suivant, n’a pas été corrompue, et s’il ne faut pas plutôt lire quelque chose du genre : * bi-Llāh mā li-hāḏā l-kitāb [min al-ṭālib ?] ʿalā ṣāḥibi-nā min ḥaqq (« Par Allāh, cette lettre présentée par le demandeur contre notre compagnon n’a rien d’authentique »). Demeure néanmoins ce « notre compagnon » mystérieux, qui laisse penser que le serment est prêté en faveur du défendeur (mais par qui ? des témoins ?) et non par le défendeur lui-même.
1035 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 354-355. Voir ibid., p. 339.
1036 Voir supra. Remarquons que si lesdits versets coraniques font référence à un testament oral, l’exégèse coranique mentionne l’existence parallèle d’un testament écrit.
1037 Il s’agit vraisemblablement d’al-Ḫušanī (m. 366/976), juriste mālikite d’Ifrīqiyya puis d’al-Andalus, notamment célèbre pour son histoire des cadis de Cordoue. Sur cet auteur, voir Ch. Pellat, « al-Khushanī », EI2, V, p. 71.
1038 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 209. Voir al-Nubahī, Ta’rīḫ quḍāt al-Andalus, op. cit., p. 204.
1039 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., IVa, p. 132.
1040 Bien que considéré comme un savant médinois, al-Zuhrī passa une grande partie de sa vie au service du califat omeyyade en Syrie. Voir A. Borrut, Entre mémoire et pouvoir, op. cit., p. 45-48.
1041 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 343.
1042 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 423. Voir aussi la version légèrement divergente proposée par ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 354.
1043 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 361. Voir Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 208.
1044 Voir al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 702.
1045 Voir al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 361. Voir Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 208.
1046 Voir un récit comparable (bien que certains éléments manifestement erronés en rendent difficile la compréhension de détail) relatif au cadi de Kūfa Saʿīd b. al-Ašwaʿ (en poste vers 105/723-4) dans Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 19.
1047 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Sīrat ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, op. cit., p. 51-52.
1048 Ce qui ne signifie pas nécessairement que l’école médinoise s’inspira d’une pratique kūfiote. Bien que les sources relatives à Médine soient silencieuses à ce sujet, on ne peut totalement exclure que des cadis médinois eurent recours à la même pratique à l’époque omeyyade. Signalons que le Yéménite Ṭāwūs b. Kaysān (m. 106/724) est supposé avoir rapporté que son père autorisait le témoignage fondé sur une simple reconnaissance du document/de l’écriture. ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 354.
1049 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, al-Muḫtaṣar al-kabīr, op. cit., p. 300.
1050 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 22.
1051 On vit encore le cadi suivant, Bilāl b. Abī Burda, rendre un jugement sur la base d’une « lettre d’intercession » (kitāb šufʿa) en faveur d’un demandeur. Le cadi la considéra-t-il comme une preuve ? La suite du récit suggère qu’il était pleinement conscient de commettre un abus de pouvoir, ce qui laisse penser qu’il ne nourrissait pas l’illusion de s’appuyer sur une preuve. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 36.
1052 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 8, 11, 12, 49, 416 ; III, p. 133.
1053 M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 371 et suiv.
1054 Le seul exemple connu pour le Hedjaz remonte au début de l’époque abbasside, à La Mecque. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 265.
1055 Al-Ǧaṣṣāṣ, dans al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 119-121 ; al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 332 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 369. Cependant al-Šaybānī, à un état antérieur de sa doctrine, se serait montré hostile à l’usage de la connaissance du cadi quel que soit le type d’affaire. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 427.
1056 Al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 258 ; al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 370.
1057 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 370. En revanche les mālikites considèrent que le cadi doit prendre en considération ce qu’il connaît lorsqu’il entend des témoignages : il ne doit pas accepter la déposition d’un témoin dont il sait qu’il n’est pas honorable ; de même, il ne doit pas accepter que soit récusé un témoin dont il sait par ailleurs que sa déposition est conforme à la vérité. Ibn ʿAbd al-Rafīʿ, Muʿīn al-ḥukkām, op. cit., II, p. 652. Pour les imamites, la question semble se poser dans des termes différents. Selon al-Ṭūsī, un cadi qui condamnerait un défendeur sur son simple aveu le ferait sur la base de son propre savoir – ce qui n’est pas répréhensible. Certains cadis préfèrent donc avoir près d’eux des témoins qui attestent avoir entendu l’aveu, ce qui permet au cadi de fonder son jugement sur une bayyina et non sur sa propre connaissance de l’aveu. Al-Ṭūsī, al-Mabsūṭ, op. cit., VIII, p. 91. Notons enfin qu’au ve/xie siècle, le ẓāhirite Ibn Ḥazm considère que la connaissance acquise par le cadi est la meilleure forme de preuve quel que soit le type d’affaire : en termes de hiérarchie des preuves, son ʿilm vient donc avant l’aveu du défendeur et la bayyina du demandeur. Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 426.
1058 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 19.
1059 Sur ce célèbre opposant au Prophète, assassiné en 3/624, voir W. Montgomery Watt, « Kaʿb b. al-Ashraf », EI2, IV, p. 314.
1060 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 158-159.
1061 Ibid., p. 152-153.
1062 Ibid., p. 266.
1063 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 78. Voir al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 369.
1064 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 144. Bien qu’il soit plus tard assimilé au ḥanafisme, ʿUmar b. Ḥabīb semble plutôt avoir été un représentant de la tradition juridique baṣrienne. Voir Chr. Melchert, The Formation…, op. cit., p. 42.
1065 Voir l’isnād d’une de ces traditions : Muḥammad b. Muslim < ʿAmr b. Dīnār (Mecquois, voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, p. 84) < Yaḥyā b. Ǧaʿda (Mecquois, voir Ibn Ḥibbān, Mašāhīr ʿulamā’al-amṣār, op. cit., p. 86). ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 340.
1066 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 341. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 238, 359 ; al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 257-258 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 427.
1067 Voir encore deux traditions sur l’opposition de Šurayḥ à la confusion des genres dans Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 503-504. Une troisième rapporte que Šurayḥ, face à une plaignante qui invoquait son témoignage en plus d’un autre témoin, accepta de rendre son jugement en sa faveur, mais seulement après lui avoir fait prêter serment. Il aurait donc appliqué la procédure al-yamīn maʿa l-šāhid et n’aurait pas dans les faits utilisé sa propre connaissance. Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., VII, p. 503
1068 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 359, où le refus de Šurayḥ de juger sur la base de son propre témoignage est transmis d’après le Baṣrien Ibn Sīrīn. On remarquera également qu’une des versions de la lettre de ʿUmar à Abū Mūsā al-Ašʿarī, transmise par al-Balāḏurī d’après le Baṣrien (puis Bagdadien) ʿUmar b. Šabba (m. 262/876), interdit au cadi de fonder son jugement sur sa connaissance des faits. Doit-on voir dans cette version de la lettre – par ailleurs peu connue – un manifeste (proto-) mālikite, prenant le contre-pied de la version (proto-) ḥanafite devenue classique ? Voir al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., V, p. 449-450.
1069 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 370 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 427.
1070 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 370. Voir al-Šāfiʿī, Kitāb al-umm, op. cit., VIII, p. 257.
1071 Sur ce savant, voir Ibn Ḥibbān, al-Ṯiqāt, op. cit., VI, p. 164-165.
1072 Al-Ṭaḥāwī, al-Ǧaṣṣāṣ, Muḫtaṣar iḫtilāf al-ʿulamā’, op. cit., III, p. 370 ; Ibn Ḥazm, al-Muḥallā, op. cit., IX, p. 427.
1073 Les preuves circonstancielles « sont celles qui résultent, non du témoignage des personnes, mais de l’existence de certains faits : faits distincts du fait principal qui est lui-même en question, mais tendant à établir l’existence de ce fait principal ». J. Bentham, Traité des preuves judiciaires, Paris, Bossange, 1823, p. 86.
1074 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 12, 24. Voir B. Johansen, « Signs as Evidences. The Doctrine of Ibn Taymiyya (1263-1328) and Ibn Qayyim al-Jawziyya (d. 1351) on Proof », Islamic Law and Society, 9, 2002, p. 187.
1075 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 12.
1076 Voir J.-P. Van Staëvel, « Savoir voir et le faire savoir : l’expertise judiciaire en matière de construction, d’après un auteur tunisois du 8e/xive siècle », Annales islamologiques, 35, 2001, p. 629. Notons par ailleurs que le signe n’avait pas nécessairement valeur de preuve : chez les mālikites, il n’apparaissait que comme une présomption et devait, tel un témoignage unique, être corroboré par un serment du demandeur pour acquérir force probatoire. J.-P. Van Staëvel, « Savoir voir et le faire savoir », art. cité, p. 646.
1077 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 280.
1078 Ibid., II, p. 197. La tradition chiite met également en avant l’exemple de ʿAlī qui, grâce à des indices matériels, aurait permis à ʿUmar de rendre un jugement juste lors d’une accusation de viol. Al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 462-463, 465.
1079 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 309.
1080 Ibid., p. 472.
1081 De telles ramifications semblaient encore lâches au début de l’époque abbasside. Décontenancé devant une plainte concernant le défaut physique qui affectait une esclave, le cadi de Baṣra ʿUmar b. ʿĀmir (en poste de 137/754-5 à c. 139/756-7) décida de faire interroger des maquignons (aṣḥāb al-raqīq) pour savoir s’ils considéraient ledit défaut comme un vice. Il ne s’agit pas ici d’une expertise à proprement parler, mais d’une enquête visant à déterminer la coutume du marché. Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 55.
1082 Sur des cas d’expertise plus tardifs, voir notamment al-Subkī, al-Ṭabaqāt al-šāfiʿiyya al-kubrā, éd. par ʿAbd al-Fattāḥ Muḥammad al-Ḥulw et Maḥmūd Muḥammad al-Ṭanāḥī, s. l., Maṭbaʿat ʿĪsā al-Bābī al-Ḥalabī, 1964, III, p. 452 (un cadi de Bagdad, au début du ive/xe siècle, demande à un témoin d’expertiser la plainte d’une femme qui prétend que le pénis de son mari est trop gros).
1083 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 335. Voir également ibid., p. 393, à propos d’un chaton que deux femmes se disputent.
1084 Ibid., p. 391. Dans la tradition chiite, ʿAlī aurait également joui d’une clairvoyance salomonienne lui permettant de rendre la justice en « piégeant » le coupable, et non en s’appuyant sur les preuves légales. Voir par exemple al-Kulaynī, Furūʿ al-kāfī, op. cit., V, p. 463-467.
1085 Voir F. Malti-Douglas, « The Classical Arabic Detective », Arabica, 35, 1988, p. 68-69 ; R. Hoyland, « Physiognomy in Islam », Jerusalem Studies in Arabic and Islam, 30, 2005, p. 372-377.
1086 La firāsa est définie par Toufic Fahd comme une « technique de divination inductive qui, des signes extérieurs et des états physiques, permet de présager de l’état moral et du comportement psychologique ». T. Fahd, « Firāsa », EI2, II, p. 937. Plutôt qu’une « technique de divination », nous tendrions à définir la firāsa, dans un contexte judiciaire, comme une forme de déduction intuitive à partir d’indices extérieurs.
1087 Voir les anecdotes rapportée par al-Ǧāḥiẓ, Kitāb al-ḥayawān, op. cit., II, p. 152 ; VI, p. 18-19 ; al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 348-349 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 328 ; Ibn al-Ǧawzī, Kitāb al-aḏkiyā’, op. cit., p. 90. Voir F. Malti-Douglas, « The Classical Arabic Detective », art. cité, p. 69.
1088 T. Fahd, La divination arabe. Études religieuses, sociologiques et folkloriques sur le milieu natif de l’islam, Leyde, Brill, 1966, p. 370-374 ; id., « Ḳiyāfa », EI2, V, p. 234. Voir également J.-P. Van Staëvel, Droit mālikite et habitat à Tunis au xive siècle : conflits de voisinage et normes juridiques, d’après le texte du maître-maçon Ibn al-Rāmī, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 2008, p. 544-546. Notons que Šurayḥ laissa également la réputation d’avoir été qā’if. T. Fahd, La divination arabe, op. cit., p. 376.
1089 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 364 ; al-Ǧāḥiẓ, Kitāb al-ḥayawān, op. cit., VI, p. 481. Voir également ibid., II, p. 75-76 ; al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 344, 348 ; Ibn al-Ǧawzī, Kitāb al-aḏkiyā’, p. 91. Sur sa capacité légendaire à reconnaître les liens familiaux ou l’origine géographique d’après les traits du visage, voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 333, 361, 364, 367, 368-369.
1090 F. Malti-Douglas, « The Classical Arabic Detective », art. cité, p. 69.
1091 Voir par exemple Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 342 ; Ibn al-Ǧawzī, Kitāb al-aḏkiyā’, op. cit., p. 92.
1092 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 332. Voir al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 339-340. Voir également Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 393, où une anecdote comparable est attribuée à Šurayḥ.
1093 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 338 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 338-339.
1094 Ainsi cette anecdote où Iyās interroge une jeune esclave pour vérifier les dires de son acheteur, qui souhaite la rendre au vendeur car elle est idiote. Ibn Qutayba, ʿUyūn al-aḫbār, op. cit., I, p. 74 ; al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 343 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 327.
1095 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 341 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 342. Les principaux récits relatifs à la firāsa d’Iyās b. Muʿāwiya sont repris par Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 31-34.
1096 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Dimašq, op. cit., XXXIV, p. 335.
1097 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 280.
1098 Ibid., p. 281.
1099 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 24. Voir Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Dimašq, op. cit., X, p. 30 ; al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl, op. cit., III, p. 435 ; al-Ḏahabī, Ta’rīḫ al-islām, op. cit., VII, p. 44.
1100 Voir notamment Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 332, 342-343.
1101 Voir le commentaire de Muqātil b. Sulaymān, Tafsīr, op. cit., II, p. 365-366. Voir également Wahb b. Munabbih, Ḥadīṯ Dāwūd, op. cit., p. 106 ; Ibn al-Faqīh, Kitāb al-buldān, éd. par M. J. de Goeje, Leyde, E. J. Brill, 1885, p. 94.
1102 Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, al-Ṭuruq al-ḥukmiyya, op. cit., p. 24. Sur l’association ancienne du fahm à Salomon, par opposition au modèle davidien de la justice, voir également ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, op. cit., VIII, p. 393. Il faut remarquer qu’au viie siècle, le juriste nestorien Siméon de Rēv-Ardašīr évoque la sagesse de Salomon dans le contexte d’une « histoire » de la justice prophétique. Comme celle de Moïse, sa sagesse (ḥekmtō) lui a été donnée par Dieu et participe de la révélation (gōlyōnō) divine. Syrische Rechtsbücher, éd. par E. Sachau, Berlin, Verlag von Georg Reimer, 1907-1914, III, p. 227.
1103 Sur cet auteur, voir R. G. Khoury, Les légendes prophétiques…, op. cit., p. 137-138.
1104 ʿUmāra b. Wāṯima al-Fārisī, Kitāb bad’al-ḫalq, op. cit., p. 127.
1105 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 280.
1106 R. Hoyland, « Physiognomy in Islam », art. cité, p. 363.
1107 ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, al-Muṣannaf, op. cit., X, p. 451. Robert Hoyland, qui ne relève cet adage que sous forme de ḥadīṯ prophétique, pense qu’il n’apparaît par écrit qu’une centaine d’années plus tard dans le Ta’rīḫ d’al-Buḫārī. R. Hoyland, « Physiognomy in Islam », art. cité, p. 364.
1108 T. Fahd, La divination arabe, op. cit., p. 377. Voir R. Hoyland, Arabia and the Arabs…, op. cit., p. 153, où l’auteur relève qu’en Arabie du Sud, la divinité pouvait répondre par le biais d’une vision à celui qui l’interrogeait.
1109 À l’époque classique, le recours à des qāfa est notamment condamné par les ḥanafites. Voir al-Ṭaḥāwī, Muḫtaṣar, op. cit., p. 358.
1110 Dans la poésie, certains califes furent aussi comparés à Salomon pour leur discernement en matière judiciaire. Voir P. Crone, M. Hinds, God’s Caliph. Religious Authority in the First Centuries of Islam, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 44.
1111 Notons que même Iyās b. Muʿāwiya fut critiqué pour la vitesse expéditive à laquelle il rendait la justice. Al-Ǧāḥiẓ, al-Bayān wa-l-tabyīn, op. cit., I, p. 100. Les ḥanafites finirent par totalement rejeter la physiognomonie, alors que les autres écoles juridiques continuèrent à en accepter la valeur pour établir une paternité. Voir R. Shaham, The Expert Witness in Islamic Courts. Medecine and Crafts in the Service of the Law, Chicago, The University of Chicago Press, 2010, p. 46, 157-158.
1112 Les exemples précédemment cités des califes Muʿāwiya et ʿAbd al-Malik, qui se fondaient sur une forme de déduction intuitive pour rendre la justice, renvoient peut-être au modèle salomonien. Sur la revendication par les Omeyyades d’une légitimité salomonienne, voir A. Borrut, Entre mémoire et pouvoir, op. cit., p. 220, 223.
1113 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 276.
1114 Ibid., II, p. 335.
1115 Ibid., I, p. 70, 283. Notons que le frère de Saʿīd b. Abī Burda, Bilāl b. Abī Burda, fut également cadi de Baṣra de 110/728-9 à 120/738. Serjeant propose que cette version de la lettre à Abū Mūsā fut recomposée par l’un de ses descendants, peut-être Bilāl b. Abī Burda. R. B. Serjeant, « The Caliph ʿUmar’s Letters… », art. cité, p. 76-78.
1116 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 71, 284 ; al-Ǧāḥiẓ, al-Bayān wa-l-tabyīn, op. cit., II, p. 49.
1117 Il convient également de remarquer qu’Iyās b. Muʿāwiya fut, à Baṣra, le cadi de l’an 100 de l’hégire, année marquée par des attentes messianiques. Il apparaît aussi comme un des rares cadis d’Orient à avoir été le destinataire de lettres écrites par ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz (voir M. Tillier, « Califes, émirs et cadis », art. cité, p. 174), calife qui semble avoir été soucieux de rétablir la justice et d’apparaître comme la figure du mahdī. Faut-il voir un lien entre ce contexte historique et l’usage qu’Iyās fit de la firāsa ? Le recours à une justice salomonienne pouvait-il apparaître, à Baṣra, comme le signe de l’instauration du royaume de Dieu sur terre ?
1118 Voir par exemple Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 36.
1119 F. de Blois, Burzōy’s Voyage to India and the Origin of the Book of Kalīlah wa Dimnah, Londres, Royal Asiatic Society, 1991, p. 14. Pour une opinion contraire, voir J. Jany, « The Origins of the Kalīlah wa Dimnah : Reconsideration in the Light of Sasanian Legal History », Journal of the Royal Asiatic Society, Series 3, 22, 2012, p. 518.
1120 Ibn al-Muqaffaʿ, Kalīla wa-Dimna, dans La version arabe de Kalîla et Dimna d’après le plus ancien manuscrit arabe daté, éd. par L. Cheikho, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1905, p. 119.
1121 Ibid., p. 119-120.
1122 Ibid., p. 124.
1123 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 387.
1124 Al-Tanūḫī, Nišwār al-muḥāḍara wa-aḫbār al-muḏākara, éd. par ʿAbbūd al-Šālǧī, s. l., 1971-1973, III, p. 11-13. Voir l’analyse de ce ḫabar par R. Hoyland, « Physiognomy in Islam », art. cité, p. 375 (l’auteur identifie néanmoins de manière erronée le cadi avec un personnage du viiie siècle).
1125 J.-P. Van Staëvel, Droit mālikite et habitat, op. cit., p. 545.
1126 Ibid., p. 567.
1127 Sur ce célèbre poète de ġazal mort en 110/728-9, voir K. Petraček, « al-Aḥwaṣ », EI2, I, p. 304.
1128 Littéralement « tu as rendu public » (šahharta).
1129 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 137.
1130 La fustigation comme châtiment discrétionnaire semble se développer en Irak et à Médine dès la seconde moitié du viie siècle. Voir Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 139, 154, 172, 188, 189, 274, 285, 302, 326, 329 ; II, p. 10, 19, 25, 28, 39, 41, 216, 309. Aucun exemple égyptien ne nous est parvenu avant la seconde moitié du viiie siècle. Les châtiments physiques discrétionnaires (bastonnade ou fustigation) semblent s’être particulièrement développés en Égypte au moment de la miḥna (voir al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 391, 392, 439, 444, 459, 469). Faut-il en déduire que ce genre de pratique s’y répandit depuis l’Irak ?
1131 Sur ces ennuis, qui valurent au poète un exil de plusieurs années aux îles Dahlak, voir K. Petraček, « al-Aḥwaṣ », EI2, I, p. 304.
1132 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 213-214.
1133 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., IVa, p. 205.
1134 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 198 et suiv.
1135 Voir Chr. Melchert, « How Ḥanafism Came to Originate in Kufa and Traditionalism in Medina », Islamic Law and Society, 6, 1999, p. 340, 342.
1136 Kh. Y. Blankinship, The End of the Jihād State, op. cit., p. 60-66.
1137 Voir ainsi la célèbre opposition entre les écoles de grammaire de Kūfa et de Baṣra dans G. Troupeau, « Naḥw », EI2, VII, p. 913-914.
1138 M. Tillier, « Califes, émirs et cadis », art. cité, p. 176.
1139 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Sīrat ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, op. cit., p. 68-69.
1140 Sur la question de l’authenticité de cette correspondance, voir M. Tillier, « Califes, émirs et cadis », art. cité, p. 165-167.
1141 Voir également Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Sīrat ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, op. cit., p. 83, où l’Imam, le ʿāmil et l’amīr sont mis sur le même plan.
1142 Sur ce gouverneur de Baṣra, voir al-Ḏahabī, Siyar aʿlām al-nubalā’, op. cit., V, p. 53.
1143 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., VIII, p. 206.
1144 Peut-être les gouverneurs avaient-ils d’autres assistants. Ainsi al-Balāḏurī fait-il d’al-Šaʿbī un responsable en charge des maẓālim de l’émir de Kūfa, Bišr b. Marwān (r. 71-74 ?/690-1 – 693-4 ?), à une époque où l’historiographie considère que Šurayḥ était cadi de la même ville. Mais aucun détail n’est donné sur ses activités. Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., IVb, p. 80.
1145 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., IVa, p. 132-133.
1146 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., IX, p. 360. Il est à noter qu’en ce cas, le gouverneur ne tranche pas le litige mais le renvoie devant ʿAbd Allāh b. ʿĀmir, un (ancien ?) émir de Baṣra, et non devant le cadi de Médine.
1147 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), IVa, p. 205, 205-6 ; al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XI, p. 115 (procès pour garde d’enfant). Ajoutons que dans les années 70/690, un procès eut lieu entre ʿUrwa b. al-Muġīra (émir de Kūfa) et al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf (gouverneur de tout l’Irak) au sujet d’un héritage. Selon al-Balāḏurī, l’affaire fut portée devant un certain « Ibn Ziyād » dont le nom ne correspond à aucun des cadis d’Irak à l’époque. Peut-on penser qu’il s’agit de ʿAdī b. Watād (le rasm de Watād داىو est très proche de Ziyād داىر), gouverneur de Rayy à la même époque, et dont al-Balāḏurī parle quelques lignes plus haut ? Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., VII, p. 404.
1148 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., VIII, p. 158.
1149 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), op. cit., II, p. 614, 617-618.
1150 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., IX, p. 250. Voir également ibid., VIII, p. 424-425, où le gouverneur de Médine se voit accusé devant le calife Hišām de s’être montré partial dans un procès. Notons toutefois que dans ce dernier cas, il s’agit d’un procès politique où les prévenus sont accusés d’être des ḫāriǧites. Le calife Hišām, saisi en appel par un plaideur, envoie au gouverneur un rescrit dans lequel il lui demande de faire examiner la plainte par un « groupe d’hommes vertueux, de bonne moralité, véridiques et purs » choisis par l’accusé – et non par le cadi de la ville.
1151 Recherche effectuée sur le logiciel al-Maktaba al-šāmila (version 3.48) le 16 avril 2013, à partir des occurrences des verbes ḫāṣama, taḫāṣama, iḫtaṣama, nāzaʿa, tanāzaʿa.
1152 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., XIII, p. 367.
1153 Voir par exemple ibid., X, p. 218 ; XIII, p. 367.
1154 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Sīrat ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, op. cit., p. 67-68.
1155 Voir M. Tillier, « Califes, émirs et cadis », art. cité, p. 160-165, 179-182, 184.
1156 Ibn al-Muqaffaʿ, Risāla fī l-ṣaḥāba, dans Ch. Pellat, Ibn al-Muqaffaʿ (mort vers 140/757) « conseilleur » du calife, Paris, Maisonneuve et Larose, 1976, p. 42-43.
1157 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Zakkār et Ziriklī), op. cit., VIII, p. 187.
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