Chapitre 2. Regard historiographique sur la judicature musulmane
Les sources narratives
p. 149-177
Texte intégral
1L’étude des papyrus égyptiens et de la rare documentation palestinienne ouvre de nouvelles perspectives. D’un côté, nous l’avons vu, des procédures proches semblent avoir été mises en œuvre dans deux régions voisines (Égypte et Palestine) mais distinctes sur le plan administratif à l’époque omeyyade. Néanmoins dans le détail, les lettres judiciaires égyptiennes et palestiniennes – pour le petit nombre qui nous est parvenu – accusent des différences de forme comme de fond qui témoignent de l’adaptation des procédures à des contextes humains originaux. Au-delà de cette documentation, est-il possible de reconstituer les dynamiques régionales et/ou impériales qui présidèrent à la formation des systèmes judiciaires islamiques ? Peut-on penser que, dès la fin du ier/viie siècle, des facteurs d’unité existaient ? Dans quelle mesure les procédures se singularisaient-elles d’une région à l’autre de l’empire omeyyade ? Comment déterminer le poids d’éventuelles traditions communes, que celles-ci remontent à la période antérieure aux conquêtes, qu’elles découlent d’un modèle « islamique » partagé, ou d’une politique à l’échelle de l’empire ? Les procédures documentées pour la Haute-Égypte et, dans une moindre mesure, pour la Palestine, tranchent enfin avec la théorie élaborée par le droit musulman dès la fin du iie/viiie siècle. En quoi le système judiciaire fonctionnant à l’époque omeyyade se distinguait-il des modèles que promut plus tard le fiqh classique ?
2Les rares documents disponibles pour le Khurasan n’offrent qu’un regard en creux sur ses institutions judiciaires, et leur complète absence pour l’Irak, la Syrie et l’Arabie empêche d’élargir la comparaison aux autres provinces orientales. Ces questions ne peuvent donc trouver de réponse qu’au travers des sources narratives, par la collecte de détails relatifs aux procédures. Dans la mesure où celles-ci furent fixées par écrit longtemps après le premier siècle de l’Islam, ce travail d’archéologie textuelle ne peut être mené sans que l’on se soit interrogé au préalable sur l’historiographie de la judicature.
3L’histoire des institutions judiciaires est surtout connue grâce à des ouvrages que les musulmans, dès une époque ancienne, consacrèrent aux juges. À mi-chemin entre les chroniques et les dictionnaires biographiques, cette littérature parfois volumineuse offre une multitude de détails vivants – car rapportés sous la forme d’aḫbār, témoignages réels ou fictifs remontant à des contemporains – sur les tribunaux et la vie des cadis. Les historiens les ont souvent regardés comme un reflet de la pratique judiciaire, par opposition aux ouvrages théoriques de fiqh, notamment ceux d’adab al-qāḍī1. Pourtant, l’existence même de ces sources est problématique. Si l’on comprend sans peine pourquoi les juristes (fuqahā’) musulmans eurent besoin de réglementer, par écrit, l’organisation des tribunaux et des procédures, le développement d’une littérature narrative consacrée à la judicature va moins de soi. Au sein de l’empire islamique, ce genre se développa d’ailleurs exclusivement dans des communautés musulmanes. Ni les chrétiens, ni les juifs d’Orient – pour se limiter aux seuls adeptes de religions détentrices de fortes traditions juridiques – ne composèrent d’ouvrages sur les représentants de la profession judiciaire. L’élaboration d’un genre que nous qualifierons désormais d’aḫbār al-quḍāt correspond donc à un besoin original, propre aux musulmans à l’exclusion des groupes vivant à leurs côtés.
4La mise en récit de la judicature ne correspond pas pour autant à un souci d’objectivité historique. La démarche des auteurs d’aḫbār al-quḍāt, orientée vers les problématiques de leur présent, était avant tout téléologique. Il est à craindre que les filtres au travers desquels ils lurent le passé aient tendu à réagencer les événements, à les polir, voire à uniformiser l’histoire en lui donnant un sens aux yeux des lecteurs. Aussi peut-on soupçonner que les sources narratives gommèrent la complexité d’un système judiciaire peut-être multiforme avant le iiie/ixe siècle, et tendirent à le voir à travers le filtre de l’homogénéité prônée par la théorie juridique. On ne peut ainsi aborder cette littérature sans s’interroger sur les raisons de sa composition et sur son usage par les historiens.
1. PREMIERS OUVRAGES CONSACRÉS À LA JUDICATURE
5Selon les informations apportées par le bibliographe Ibn al-Nadīm (m. 385/995), le genre des aḫbār al-quḍāt aurait vu le jour en Irak vers la fin du iie/début du ixe siècle. C’est à cette époque qu’al-Hayṯam b. ʿAdī (m.c. 207/822) écrivit un Kitāb quḍāt al-Kūfa wa-l-Baṣra2, et qu’Abū ʿUbayda (m. 209/824-5) composa un Kitāb quḍāt al-Baṣra3. Quelques années plus tard, al-Madā’inī (m. c. 228/843) s’intéressa à nouveau à des cadis d’Irak dans un Kitāb quḍāt ahl al-Baṣra, et aux cadis de Médine dans un Kitāb quḍāt ahl al-Madīna4. Al-Ǧāḥiẓ (m. 255/868-9) aurait été l’auteur d’un Kitāb al-quḍāt wa-l-wulāt, aussi connu sous le titre Risāla fī l-quḍāt wa-l-wuzarā’wa-l-wulāt5. Le contenu exact de ces ouvrages perdus ne peut que faire l’objet de spéculations. On ignore tout de leur volume, de leur construction et des thèmes qu’ils abordaient. Quoi qu’il en soit, le genre ne se cantonna pas à l’Irak. Vers le milieu du iiie/ixe siècle, des sections d’ouvrages égyptiens commencèrent à réserver une place conséquente aux cadis de la province. Ce fut en particulier le cas des Futūḥ Miṣr d’Ibn ʿAbd al-Ḥakam (m. 257/871), qui leur réserva une vingtaine de pages sur un total d’environ trois cents6. Le genre s’autonomisa au début du siècle suivant avec Abū ʿUbayd Allāh Muḥammad b. al-Rabīʿ al-Ǧīzī (m. 324/936)7, auteur d’Aḫbār quḍāt Miṣr cités par Ibn Ḥaǧar8. Le genre semble être tombé en désuétude en Irak après le ive/xe siècle9, mais il remporta un vif succès en Égypte où il se maintint jusqu’au début de l’époque ottomane10.
6Bien que le contenu exact des ouvrages disparus ne puisse être reconstitué, leur existence témoigne de l’intérêt que les musulmans portèrent à l’histoire des cadis dès le premier âge abbasside. Leurs titres laissent penser qu’ils développaient des informations, peut-être classées par ordre chronologique, sur les cadis d’une ou plusieurs villes. Bien que plus tardif, le chapitre consacré aux cadis par Ibn ʿAbd al-Ḥakam dans ses Futūḥ Miṣr, plus ancien exemple survivant de telles compositions, se présente sous la forme d’une liste, brièvement commentée, des cadis qui se succédèrent à Fusṭāṭ jusqu’à son époque. Un des titres donnés au siècle suivant à l’ouvrage d’al-Kindī, Kitāb tasmiyat quḍāt Miṣr (Livre de la dénomination des cadis de Miṣr), laisse aussi entendre qu’une liste de cadis servit de matériau de base11.
7151 Il est probable que les premiers auteurs irakiens d’ouvrages consacrés aux cadis disposaient de tels inventaires que l’on retrouve, dans la seconde moitié du iiie/ixe siècle, dans d’autres ouvrages à dimension historique, comme le Ta’rīḫ de Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ (m. 240/854)12 ou le Ta’rīḫ d’Abū Zurʿa al-Dimašqī (m. 281/894-95)13. L’origine de ces recensements – qui ne concernent pas seulement les cadis, mais aussi d’autres catégories d’administrateurs ; pour la période antéislamique, on dispose même de listes de ḥakam-s établies par Ibn Ḥabīb (m. 245/860) et al-Yaʿqūbī14 – est considérée par Patricia Crone comme un des problèmes les plus importants de l’historiographie musulmane15. Fred Donner, un des rares historiens à avoir abordé cette question, lie leur constitution ancienne au désir de certains groupes de démontrer leur prééminence sociale en établissant la participation de leurs ancêtres aux événements fondateurs de l’Islam et de sa cité16. Un tel « chauvinisme » joua certainement un rôle dans la constitution de listes locales de cadis, peut-être dès l’époque des intenses conflits tribaux qui divisèrent une partie de la société omeyyade. Dans des villes où un groupe familial ou tribal monopolisa la judicature pendant de longues années, ces inventaires participèrent probablement à la formation d’une mémoire de groupe. Ainsi al-Kindī cite-t-il une brève liste de cadis appartenant à Ḥaḍramawt, préservée par fierté tribale, qui put constituer la trame d’un canevas historique plus développé par la suite17.
8Fred Donner avance de surcroît que de telles listes participèrent d’une volonté d’entretenir la mémoire de certaines pratiques administratives, l’État faisant figure de gardien et d’incarnation politique de la umma. La pérennité du califat et des pratiques administratives serait apparue comme l’expression de l’existence continue de la communauté18. Cette dernière interprétation semble toutefois insatisfaisante dans la mesure où de simples listes, brutes, de noms de 152 fonctionnaires, n’enregistraient pas les pratiques administratives : il y aurait donc un écart entre le but recherché (préserver une trace des pratiques et de leur continuité) et le support développé (des listes d’individus) – à moins que les premières listes n’aient servi d’aide-mémoire, de support écrit aidant à la préservation et à la transmission orale d’autres informations. L’interprétation de Donner devient en revanche plus pertinente si on l’applique non plus à de simples listes, mais à des livres ou des portions d’ouvrages constituées de listes commentées comparables à celle d’Ibn ʿAbd al-Ḥakam dans ses Futūḥ Miṣr, où des détails sur le fonctionnement de l’institution commencent à apparaître.
9Cette dernière hypothèse prend une signification accrue au regard des résultats obtenus plus haut à partir des sources papyrologiques. L’institution du cadi, nous l’avons vu, n’a laissé que de très rares traces documentaires avant l’époque abbasside. Elle devient véritablement visible dans les sources papyrologiques à partir du iiie/ixe siècle, peut-être en raison d’une bureaucratisation croissante de son administration, mais aussi, peut-on supposer, car c’est à cette époque qu’elle relégua durablement la justice des gouverneurs au second plan. L’apparition simultanée des cadis dans la documentation papyrologique et dans la littérature narrative laisse penser que la fin du iie/viiie ou le début du iiie/ixe siècle correspondit à un tournant dans l’histoire de la judicature. Le considérable développement bureaucratique qu’elle connut à cette époque-là l’érigea en institution majeure et, par contrecoup, stimula l’élaboration de son histoire. La composition des premiers ouvrages dédiés aux cadis put donc répondre à la nécessité nouvelle d’ancrer l’institution dans l’histoire en retraçant sa généalogie jusqu’aux débuts de l’Islam, et, peut-être, en restaurant les étapes essentielles de sa formation19.
2. LES TÉMOINS SURVIVANTS DE LA LITTÉRATURE CONSACRÉE AUX CADIS
2.1. Des approches diversifiées
10Le contenu exact des premiers ouvrages consacrés aux cadis est d’autant plus impossible à reconstruire que les exemples postérieurs d’une telle littérature adoptent des approches diversifiées, spécifiques à chacun de leurs auteurs. Le chapitre qu’Ibn ʿAbd al-Ḥakam dédie aux cadis de Fusṭāṭ, nous l’avons vu, se présente comme une liste assortie de commentaires de longueur variable, mais le plus souvent brefs, mentionnant quelques détails marquants de chaque judicature. Ses successeurs égyptiens et irakiens, aux œuvres plus conséquentes, sont tributaires des sources dont ils disposaient, mais se distinguent également par leurs choix « éditoriaux ».
11Muḥammad b. Ḫalaf Wakīʿ (m. 306/918)20, qui fut un temps cadi d’al-Ahwāz (Ḫūzistān)21, est l’auteur d’Aḫbār al-quḍāt surtout consacrés aux cadis de Médine, de Baṣra et de Kūfa jusqu’à la fin du iiie siècle de l’hégire, et de manière secondaire à ceux de Wāsiṭ, de Bagdad, d’al-Ahwāz et de Fusṭāṭ. Chaque ville fait l’objet d’une partie séparée, dans laquelle les cadis sont classés par ordre chronologique. L’ouvrage de Wakīʿ se caractérise par sa vision d’ensemble de la judicature, examinée à l’échelle impériale. Cependant, les riches sources dont il dispose pour les amṣār irakiens le conduisent à leur dédier la plus grande partie de son livre, tandis qu’il passe plus vite sur les autres provinces, faute de sources sans doute. Ainsi le chapitre que Wakīʿ consacre à Fusṭāṭ repose directement ou indirectement sur Ibn ʿAbd al-Ḥakam, qu’il n’a sans doute pu croiser avec d’autres textes22. Il n’en tente pas moins d’écrire une histoire générale de la justice musulmane, entreprise liée à une conception globalisante de l’empire et de son histoire.
12La seconde caractéristique des Aḫbār al-quḍāt est qu’ils s’inscrivent dans un projet juridico-moral. Wakīʿ s’intéresse peu à l’institution judiciaire en tant que système administratif : le personnel des cadis n’est presque jamais évoqué, le fonctionnement quotidien de l’audience transparaît à peine. Il ne s’agissait manifestement pas, pour lui, d’écrire une « histoire » de la judicature et de ses développements en tant qu’incarnation de l’État et de la communauté. De fait, par certains aspects, son ouvrage relève plus de l’adab que de l’histoire. Deux lignes directrices principales traversent son œuvre.
131) Pour la période ancienne – naissance de l’institution, début des Omeyyades –, Wakīʿ s’attache à collecter les dits et les décisions de cadis emblématiques des débuts de l’Islam, notamment Šurayḥ (m. entre 76/695-96 et 99/717-18), auquel est consacrée la plus longue notice de l’ouvrage23. L’auteur se préoccupe moins de la vie du célèbre cadi que de son autorité et de sa jurisprudence. Les développements qu’il propose sur Šurayḥ et d’autres cadis primitifs relèvent ainsi plus du recueil juridique que du genre biographique. Chez Wakīʿ, la quête d’autorité jurisprudentielle est très forte et concentrée sur le premier siècle et demi de l’Islam, jusqu’aux années 160/776 environ, c’est-à-dire la période « prélittéraire » du droit musulman, avant que l’émergence des écoles personnelles/doctrinales classiques ne conduise à la fixation de grandes sommes juridiques. Tout se passe comme si Wakīʿ – ou ses prédécesseurs – recherchait dans cette période prélittéraire les fondements de pratiques jurisprudentielles que le droit classique ne parvint jamais à justifier par une sunna prophétique24.
142) Aux périodes postérieures (fin des Omeyyades, Abbassides), les Aḫbār al-quḍāt prennent un ton plus « anecdotique », chaque notice incorporant des récits plus en prise avec la vie des cadis. Malgré cela, le matériau sélectionné par l’auteur – que ce dernier soit responsable de ce choix ou tributaire de ses sources – répond à des problématiques spécifiques. Un de ses thèmes favoris concerne l’insertion des cadis dans une élite religieuse et politique et, par là même, les relations entre cadis et gouvernants. De la sorte, l’ouvrage de Wakīʿ s’apparente aux chapitres d’adab al-sulṭān figurant dans plusieurs sommes d’adab écrites à la même époque, tels les ʿUyūn al-aḫbār d’Ibn Qutayba (m. 276/889) ou, plus tard, le ʿIqd al-farīd d’Ibn ʿAbd Rabbih (m. 328/940)25. La démarche de Wakīʿ se rapproche de celle de l’adīb : la question de l’exemplarité du cadi se tapit toujours en arrière-plan. Cette démarche est d’ailleurs annoncée, entre les lignes, dès l’introduction de l’ouvrage, dans laquelle l’auteur n’exprime pas son désir de retracer étape après étape l’histoire de l’institution judiciaire, mais met en garde son lecteur contre les dangers spirituels qui guettent le titulaire de la judicature. Chez Wakīʿ, qui écrit à l’époque où les fuqahā’tentent d’imposer un principe d’autonomie judiciaire, l’histoire est lue au filtre de conceptions idéologiques qui tendent à ériger le cadi en magistrat indépendant26.
15L’approche d’al-Kindī (m. 360/961) dans ses Aḫbār quḍāt Miṣr est très différente. Alors que l’ouvrage de Wakīʿ adopte une composition strictement biographique – chaque cadi d’une ville faisant l’objet d’une notice, quel que soit le nombre de fois où il y exerça un mandat judiciaire –, celui d’al-Kindī s’apparente plus à une chronique de l’institution. La structure biographique mise en exergue par les éditions contemporaines (qui rythment le texte de titres correspondant au nom de chaque cadi27) est en partie trompeuse : al-Kindī ne consacre pas une « notice » par cadi, mais par judicature, suivant de la sorte une structure chronologique stricte dans laquelle un cadi fait l’objet d’autant de « biographies » que de périodes où il s’est trouvé en poste. Le contenu de l’ouvrage diffère également de celui de Wakīʿ. Al-Kindī rassemble, autant qu’il le peut, les informations disponibles sur l’organisation judiciaire, le personnel des tribunaux, les techniques administratives mises en œuvre, etc. Influencé par le genre des awā’il, il met en exergue, sans porter de jugement moral, les « innovations » qui ont marqué la construction progressive de l’institution. Al-Kindī recherche moins une sunna susceptible de faire autorité qu’il ne tente de comprendre les étapes administratives de formation de la judicature. Écrivant à l’époque où l’Égypte se détachait du califat, il est surtout préoccupé par la place de la justice au sein des diverses composantes du pouvoir politique. Cela ne l’empêche pas, à de nombreuses reprises, d’évoquer les pratiques judiciaires, sur lesquelles il porte peut-être un regard plus historique que Wakīʿ – car moins parasité par les polémiques. Les choix d’al-Kindī reflètent aussi ceux de ses informateurs : dans les isnād-s cités par l’auteur, nombreux sont les cadis égyptiens ou leurs descendants qui racontèrent « leur » judicature et y portèrent, peut-être, un regard plus teinté d’intérêt pour l’administration que les informateurs irakiens de Wakīʿ.
16La démarche historienne d’al-Kindī et son insistance sur les évolutions institutionnelles ne signifient pas, néanmoins, que son œuvre est vierge de toute dimension idéologique. Il écrit à l’époque où l’Égypte, sous la dynastie iḫšīdide, connaît sa seconde tentative d’autonomisation. Son traitement de la justice ne passe pas par une approche globale (ou impériale) comme chez Wakīʿ : seule l’institution égyptienne retient son attention. C’est qu’à la différence de Wakīʿ, qui observe la judicature à travers le rayonnement impérial du califat, al-Kindī œuvre à la fabrique d’une histoire égyptienne en lien avec les problématiques politiques de son époque. Chaque ouvrage dédié aux cadis s’inscrit ainsi dans son temps et répond aux préoccupations de son époque. L’exemple le plus saisissant de telles (re) lectures de l’histoire des cadis est peut-être l’ouvrage d’Ibn al-Mulaqqin (m. 804/1401-2), Nuzhat al-nuẓẓār fī quḍāt al-amṣār28, dans lequel l’auteur réécrit l’histoire des premiers cadis égyptiens au filtre d’une société où le soufisme a pris une place prééminente29.
2.2. Une littérature post-miḥna
17La disparition des premiers ouvrages dédiés aux cadis ne tient pas au hasard et plusieurs facteurs expliquent sans doute ce résultat. Il se peut, tout d’abord, que ces ouvrages n’aient pas été « publiés » en tant que livres fixés par leurs auteurs, mais se soient présentés sous la forme de simples cahiers de notes (des hypomnēmata, selon la terminologie employée par Gregor Schoeler) qui ne furent pas conservés tels quels par la suite30. Si l’on accepte qu’Ibn al-Nadīm constata l’existence, à la fin du ive/xe siècle, de leurs manuscrits dans les bibliothèques d’Irak31, il faut en conclure que, pour une raison ou une autre, personne ne prit la peine de les convertir en livres fixés (syngramma), ou qu’ils cessèrent d’être copiés pour eux-mêmes et servirent simplement de sources aux auteurs postérieurs. À l’inverse, d’autres ouvrages firent l’objet d’un processus d’édition. Celui d’al-Kindī ne fut pas un livre fixé dès l’origine : la version qui nous est parvenue fut « éditée » par un inconnu qui, au ve/xie siècle, recueillit l’ouvrage auprès d’Abū Muḥammad ʿAbd al-Raḥmān b. ʿUmar b. Muḥammad b. Saʿīd al-Tuǧībī al-Bazzār, connu sous le nom d’Ibn al-Naḥḥās (m. 416/1025), lui-même disciple d’al-Kindī32.
18Cette absence de préservation sur le long terme des anciens ouvrages relatifs à la judicature pose question. Pourquoi, à quelques décennies de distance, certains furent-ils conservés et édités dans une version proche de celle de l’auteur, et d’autres non ? Se pourrait-il que des changements majeurs (politiques, sociaux, religieux) aient rendu caduques l’approche et les problématiques des œuvres les plus anciennes ?
19L’hypothèse n’est pas invraisemblable. Entre l’époque où écrivait un al-Madā’inī (m. c. 228/843) et celle où Wakīʿ composa ses Aḫbār al-quḍāt (vers la fin du iiie/ixe siècle), des transformations capitales avaient affecté la sphère politico-religieuse. Antoine Borrut remarque que le retour du califat à Bagdad en 279/892, après l’intermède de Sāmarrā’, suscita une importante réécriture de l’histoire à travers le filtre imposé par le nouveau contexte politique – développement de Bagdad, montée en puissance des officiers turcs, etc.33. Si le retour à Bagdad semble bien avoir déclenché la production d’une nouvelle vulgate de l’histoire politique, il est probable qu’en d’autres domaines historiographiques un point de rupture plus significatif soit à rechercher.
20Entre le deuxième quart et la fin du ixe siècle, l’événement qui marqua le plus le champ juridique fut sans doute la miḥna, cette période d’inquisition au cours de laquelle le califat tenta d’imposer au milieu des savants l’orthodoxie qu’il avait décrétée34. Ce n’est sans doute pas un hasard si, à l’exception peut-être du chapitre d’Ibn ʿAbd al-Ḥakam, rédigé avant 257/871, les livres dédiés à la judicature qui nous sont parvenus sont tous des ouvrages post-miḥna. L’histoire de l’institution judiciaire avait d’autant plus besoin d’être réécrite que les cadis avaient joué un rôle pivot dans l’inquisition : cette dernière avait été orchestrée par le grand cadi Ibn Abī Du’ād (en poste de 218/833 à 237/851-52), et mise en application par des cadis qui, d’abord obligés d’adhérer au dogme de la création du Coran, sélectionnèrent ensuite les témoins, au quotidien, en fonction de leur acceptation de ladite doctrine. Le traumatisme que cette période représenta auprès des ʿulamā’est surtout sensible chez al-Kindī, dont les Aḫbār al-quḍāt se terminent, précisément, sur l’arrêt de la miḥna et l’instauration d’une nouvelle « orthodoxie ». Tout se passe comme si une histoire de la judicature égyptienne était en partie rendue nécessaire par cette période troublée : al-Kindī et d’autres historiens cherchent à comprendre ces événements et à en offrir une interprétation, comme une clé de lecture du monde dans lequel ils vivent.
21En effet la société islamique post-miḥna offrait un visage bien différent de ce que les anciens auteurs avaient connu. Suite aux vives controverses théologiques et méthodologiques dont la miḥna fut la plus forte expression, l’islam sunnite avait achevé de s’imposer. La victoire des traditionalistes, pour qui l’autorité religieuse devait reposer sur des fondements scripturaires (en particulier la tradition prophétique), sapait l’autorité à laquelle les califes (et derrière eux, une partie de la classe politique) avaient longtemps prétendu. Les ʿulamā’, dont les méthodes de transmission faisaient les héritiers spirituels du Prophète, définissaient de manière de plus en plus stricte un corpus de traditions canoniques (notamment al-Buḫārī et Muslim b. al-Ḥaǧǧāǧ), tandis que les écoles juridiques « classiques » achevaient de se mettre en place. La constitution d’un large corpus juridique, reposant sur l’autorité de maîtres charismatiques35, permit l’éclosion progressive d’une théorie de l’autonomie judiciaire, le délégant n’apparaissant plus comme investi d’une autorité juridique36. Dans le même temps, la professionnalisation du métier de cadi modifiait l’image de l’administration judiciaire37. Bref, le système politico-religieux de la fin du iiie/ixe siècle n’avait plus grand-chose de commun avec celui qui existait avant la miḥna ; un nouveau système de gouvernance était en train de se mettre en place. Il n’est guère étonnant, dès lors, que l’élite religieuse des musulmans ait souhaité une refonte de son histoire. Peutêtre est-ce aussi une des raisons pour lesquelles, en dépit de l’existence attestée d’une historiographie antérieure, les grandes sommes comme celle d’al-Ṭabarī (m. 310/923) – qui n’abordent pas l’histoire islamique de la même manière que les auteurs du siècle précédent, tel Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ38 – datent également de la période post-miḥna.
22Le filtre idéologique qui présida à la réécriture de l’histoire est encore plus évident dans d’autres sources. Ainsi en va-t-il du Kitāb mā ḥtakama bi-hi l-ḫulafā’ilā l-quḍāt d’Abū Hilāl al-ʿAskarī (m. c. 400/1010), qui n’est pas un dictionnaire biographique mais un opuscule d’adab qui s’en rapproche à certains égards. Cet essai, dans lequel l’auteur sélectionne des récits mettant en scène des souverains sassanides et musulmans acceptant de se soumettre à la décision d’un arbitre ou d’un cadi, entend montrer que la justice du souverain est subordonnée à celle de ses juges, pourtant ses délégués. Une telle interprétation eût été bien difficile à défendre aussi clairement au iiie/ixe siècle39.
23Notons enfin que la préservation d’ouvrages dédiés aux cadis put être motivée par leur portée juridique. Certaines parties du livre de Wakīʿ, nous l’avons vu, offrent une forme de « jurisprudence » qui serait celle de cadis emblématiques des premiers temps de l’Islam. Ce n’est point que Wakīʿ se fasse l’adepte et le promoteur de ce droit archaïque. La valeur jurisprudentielle de ces sections n’en contribue pourtant pas moins à éloigner son récit du genre historique pour le rapprocher de certains ouvrages de fiqh. Lors d’une précédente étude sur les femmes devant les tribunaux à l’époque abbasside, nous avons remarqué une forte convergence thématique entre la littérature narrative dédiée aux cadis (en particulier Wakīʿ) et les sources juridiques de la même époque : tout se passe comme si les récits mettant en scène des femmes devant les tribunaux étaient destinés à illustrer des points de la théorie élaborée par les fuqahā’40.
2.3. Une littérature d’adab ?
24Si l’adab se définit comme une littérature éthique, visant à enseigner à l’honnête homme des codes de conduite sociale à travers une série d’exempla41, les ouvrages d’aḫbār al-quḍāt peuvent aussi être classés dans cette catégorie. Ces ouvrages traitent des cadis en tant que juges, et non en tant que savants ou simples particuliers42 : centrés presque exclusivement sur les périodes où ces hommes exercèrent la judicature, ils ne proposent pas de modèle ni d’anti-modèle généraux de comportement. Ils se rapprochent, par là même, d’une littérature dédiée aux secrétaires de chancellerie (kātib, pl. kuttāb) comme le Kitāb al-wuzarā’wa-l-kuttāb d’al-Ǧahšiyārī (m. 331/943), pendant narratif de la réflexion déontologique, éthique et comportementale d’un adab plus théorique, né dans le microcosme des kātib-s et destiné à ce même milieu.
25À la suite de Stefan Leder, Michael Cooperson considère le développement du genre biographique par « métiers » (musiciens, poètes, grammairiens, traditionnistes, etc.) comme le reflet d’une professionnalisation croissante des disciplines scientifiques à partir du ixe siècle. Chaque « profession » entendait renforcer l’autorité de son savoir en établissant la généalogie qui le reliait aux experts du passé43, et définir ainsi un groupe légitime. Les auteurs de tels recueils biographiques appartenaient en général à la profession qu’ils défendaient44.
26L’application de ce modèle aux cadis pourrait a priori paraître discutable. Si les premiers auteurs d’adab furent avant tout des kātib-s, ceux d’ouvrages d’aḫbār al-quḍāt ne furent que rarement des juges. Wakīʿ exerça comme cadi et entreprit certes de mettre en avant les représentants d’une fonction que les fuqahā’voulaient voir au service du droit qu’ils formulaient, et non à celui du pouvoir politique45. En revanche, al-Kindī ne fut jamais cadi et semble peu enclin à défendre la légitimité de la profession. De surcroît, alors que le milieu des secrétaires apportait un public réceptif à une telle littérature « identitaire », les représentants de la judicature demeurèrent longtemps peu nombreux et éparpillés – un cadi unique par métropole46. Si l’on considère donc cette littérature comme l’expression d’un groupe professionnel réduit aux juges, le public visé apparaît extrêmement restreint.
27Remarquons toutefois que le genre des aḫbār al-quḍāt, sous la forme qui nous est parvenue, date d’une époque où la judicature avait connu de profonds changements. Au début du ive/xe siècle, le nombre des cadis avait augmenté dans de fortes proportions en raison de la multiplication des villes sièges d’une juridiction. Parallèlement, une professionnalisation toujours plus poussée amenait à la constitution d’un groupe de juristes travaillant au service des tribunaux et y poursuivant une carrière – scribes, auxiliaires de justice, administrateurs de biens, substituts, cadis47. Peut-être l’apparition d’un milieu judiciaire élargi, avec ses codes, son éthique et son sentiment d’appartenir à un groupe, nécessitaitelle plus que les simples manuels juridiques d’adab al-qāḍī que les fuqahā’rédigeaient depuis le début du iiie/ixe siècle. On peut ainsi émettre l’hypothèse que la littérature d’aḫbār al-quḍāt vint, sur le mode de l’adab, répondre aux nouvelles attentes de la profession, obligeant à réécrire et à compléter en profondeur les anciennes listes plus ou moins développées qui ne marquaient jusque-là que quelques jalons de la mémoire de la judicature.
3. L’HISTORIEN ET LE GENRE DES AḪBĀR AL-QUḌĀT
3.1. Les siècles nébuleux de la judicature : une quête jurisprudentielle des origines
28Les aḫbār al-quḍāt narrant l’histoire des cadis des trois premiers siècles de l’hégire sont pris entre deux forces opposées : d’un côté, un fond de matériel ancien, dont la mémoire fut probablement fixée à des époques de controverses doctrinales antérieures à ou contemporaines de l’éclosion des maḏhab-s préclassiques et classiques, chaque tendance juridique s’appuyant sur le souvenir de pratiques passées ; de l’autre, un mouvement de réécriture partielle, à la fin du iiie/ixe ou au début du ive/xe siècle, mû par les changements politiques et dogmatiques qui affectèrent à cette époque la société abbasside. Ces trois siècles peuvent ainsi être qualifiés de « siècles nébuleux » de la judicature, non parce qu’on n’en connaîtrait rien, mais parce que l’écheveau des informations, mêlant données objectives, souvenirs partiels et reconstructions teintées d’idéologie, ne permet pas d’atteindre une vision nette de cette histoire. Tentons déjà de clarifier quelques points.
29La période la plus obscure est sans aucun doute celle des débuts, au ier/viie siècle. En raison des divergences entre transmetteurs, des contradictions, de l’absence de datation précise, les historiens contemporains ont parfois renoncé à reconstituer les débuts du système judiciaire, voire ont rejeté ses premières décennies dans le domaine du légendaire48. Une telle attitude a ses limites, et nous avons précédemment montré que les sources islamiques laissent supposer l’existence précoce, dès l’époque du califat de Médine, d’un système de résolution des conflits organisé par le pouvoir en territoire conquis49. Il n’en demeure pas moins que l’identité et les fonctions exactes de ce que Wael Hallaq qualifie de « proto-cadis50 » demeurent dans un flou presque total. Une étude récente du personnage de Šurayḥ b. al-Ḥāriṯ al-Kindī (m. entre 76/695 et 99/717-8), considéré comme un des premiers cadis de Kūfa51, suggère que ses biographes du iiie/ixe et ive/xe siècle ne connaissaient rien de sûr à son sujet52. Cela ne les empêcha pas, pourtant, d’écrire sur son compte.
30Les développements que l’historiographie islamique consacre à des personnages aussi obscurs témoignent de l’importance que prit, à une certaine époque, la quête des origines de l’institution judiciaire. Comme le souligne Khaleel Mohammed, la transformation en modèle légendaire de Šurayḥ, sur la vie duquel les auteurs médiévaux furent bien en mal de s’accorder, relève moins d’une recherche historique per se que d’une quête d’autorité semblable à celle qui finit par élever Abū Ḥanīfa (m. 150/767) et al-Šāfiʿī (m. 204/820) au rang de figures éponymes d’écoles juridiques53. Selon le même auteur, Šurayḥ fut ainsi érigé – peut-être précisément en raison de son obscurité – en représentant archétypique de l’ancienne tradition kūfiote dont continuèrent à se réclamer les ḥanafites54. En tant que cadi, Šurayḥ n’incarnait pas seulement une sunna dans le sens général du terme. Les transmetteurs qui lui attribuèrent paroles et actes cherchaient, également, les traces concrètes d’une jurisprudence susceptible de faire autorité55. Pour un grand nombre de questions judiciaires controversées, des savants tentèrent de justifier leur point de vue en renvoyant à ce modèle des débuts de l’Islam56. Cette quête du cadi idéal remonterait peut-être, selon Khaleel Mohammed, à l’époque de Mālik b. Anas (m. 179/795), c’est-à-dire à la seconde moitié du iie/viiie siècle57.
31Dans le chapitre de ses Aḫbār al-quḍāt qu’il lui consacre, Wakīʿ établit un inventaire, organisé par transmetteurs, de la sunna attribuée à Šurayḥ (voir tabl. 4). La classification qu’il opère en séparant les Kūfiotes des Baṣriens confirme que la sunna de Šurayḥ acquit une valeur particulière dans la tradition juridique irakienne – celle de Kūfa, ville où Šurayḥ passa l’essentiel de sa carrière, mais aussi celle de Baṣra. Elle permet accessoirement d’ébaucher quelques hypothèses sur la période de rassemblement de cette sunna et sur les motivations d’une telle collecte. Les principaux transmetteurs moururent tous dans une fourchette temporelle d’une trentaine d’années, entre 96/714-5 et 127/744-5. Selon Khaleel Mohammed, qui procède à une critique rigoureuse des sources biographiques consacrées à ce personnage, Šurayḥ n’exerça sans doute pas la judicature avant la date de 45/665, au début de l’époque omeyyade. La présence d’Ibrāhīm al-Naḫaʿī (m. c. 96/714-5) et d’autres personnages morts peu après dans la liste des transmetteurs laisse penser que les dates les plus tardives avancées pour la mort de Šurayḥ (jusqu’à 99/717-8) sont invraisemblables – la pratique de Šurayḥ n’ayant pu être érigée en sunna de son vivant – et qu’il mourut plus tôt, peut-être vers la fin du viie siècle comme d’autres récits l’affirment. Si l’on accepte que les traditions attribuées à Šurayḥ furent bien mises en circulation par ces individus, une génération environ devait s’être écoulée entre la mort de Šurayḥ et le début de la transmission de sa sunna par des hommes qui l’avaient fréquenté ou vu à l’œuvre dans la première moitié de leur vie.
Tableau 4 — Les transmetteurs de la sunna de Šurayḥ d’après Wakīʿ
Transmetteurs | Nombre de pages | % |
Kūfiotes | 97 | 57,4 |
Ibrāhīm al-Naḫaʿī (m. c. 96/714-5)1 | 8 | 4,7 |
Abū l-Duḥā Muslim b. Ṣubayḥ (m. c. 100/718)2 | 2 | 1,2 |
al-Šaʿbī (m. c. 103/721 ?)3 | 35 | 20,7 |
al-Ḥakam b. ʿUtayba4 (m. c. 115/733)5 | 5 | 3 |
al-Qāsim b. ʿAbd al-Raḥmān (m. c. 120/738)6 | 2 | 1,2 |
Abū Isḥāq al-Sabīʿī (m. c. 127/744)7 | 7 | 4,1 |
sā’ir ahl al-Kūfa (= Abū Ḥaṣīn ʿUṯmān b. ʿĀṣim, m. c. 127/744-58) | 3 | 1,8 |
ʿAbbās al-ʿĀmirī (m. ?) | 1 | 0,6 |
Transmetteurs variés9 | 34 | 20,1 |
Baṣriens | 62 | 36,7 |
Ḫalās b. ʿAmr (m. c. 100/718 ?)10 | 5 | 3 |
Muḥammad b. Sīrīn (m. 110/729)11 | 55 | 32,5 |
Anas b. Sīrīn (m. c. 118/736)12 | 2 | 1,2 |
Tout le monde (sā’ir al-nās) | 10 | 5,9 |
Total | 169 | 100 |
32Plusieurs transmetteurs de cette sunna rendirent eux-mêmes la justice à Kūfa au début du viiie siècle. Ce fut le cas d’al-Ḥakam b. ʿUtayba, d’al-Qāsim b. ʿAbd al-Raḥmān et, surtout, d’al-Šaʿbī, principal rapporteur des traditions de Šurayḥ avec le Baṣrien Muḥammad b. Sīrīn. On pourrait en conclure que ces cadis cherchèrent auprès de Šurayḥ la source – historique ou fictive – de leur propre pratique judiciaire. Comme nous le verrons plus loin, dans bien des cas la sunna de Šurayḥ correspond à l’expérience d’al-Šaʿbī telle qu’elle est rapportée par Wakīʿ. Cette quête de légitimation – dans un probable contexte de discussions et de polémiques à propos des procédures – remonterait ainsi aux deux ou trois premières décennies du viiie siècle. Il est pourtant possible que cette collecte jurisprudentielle soit un peu plus tardive. Si l’on en croit Joseph Schacht, les opinions et traditions relatives au droit positif et attribuées à al-Šaʿbī ne peuvent être considérées comme authentiques. Adepte du ra’y, celui-ci aurait été un prête-nom sur lequel furent projetés certains points de doctrine plus conformes à l’opinion de la génération suivante58. De fait, les traditions de Šurayḥ, rapportées par al-Šaʿbī ou conformes à sa « pratique », sont souvent comparables à celle de ʿAbd Allāh b. Šubruma (m. c. 145/762-3), supposément élève d’al-Šaʿbī et cadi de Kūfa dans les dernières années de l’époque omeyyade et au début de la période abbasside59. On ne peut ainsi exclure que la sunna de Šurayḥ reflète une étape postérieure à la judicature d’al-Šaʿbī, l’exemple de Šurayḥ étant invoqué pour justifier des usages qui étaient soit déjà ceux d’al-Šaʿbī, soit ceux de cadis de la fin des Omeyyades comme Ibn Šubruma – auquel cas il se pourrait que la « pratique » d’al-Šaʿbī corresponde aussi à la projection d’usages judiciaires de la fin de l’époque omeyyade60.
33Le cadi Iyās b. Muʿāwiya (en poste à Baṣra de 95/713-4 à 101/719-20, avec une courte interruption au milieu ; il mourut en 121/73961), qui doit sans doute une part de son exemplarité au fait d’avoir exercé sous le califat du charismatique ʿUmar II b. ʿAbd al-ʿAzīz (r. 99-101/717-720), incarne de son côté tout un versant de la tradition judiciaire baṣrienne. À certains égards, Iyās b. Muʿāwiya fait figure de contrepoint baṣrien de Šurayḥ : ce personnage lui-même charismatique, dont la biographie est imprégnée d’éléments légendaires réactualisant un modèle de justice salomonienne, se voit souvent attribuer l’application de règles entérinées par le fiqh classique. Comme pour Šurayḥ – mais à un degré peut-être moindre ? –, démêler les pratiques ou opinions d’Iyās b. Muʿāwiya de celles qui lui furent ultérieurement attribuées s’avère souvent impossible. On remarquera néanmoins que, contemporain d’al-Šaʿbī à Kūfa et d’un ʿUmar II resté célèbre pour l’impulsion qu’il donna à la collecte du ḥadīṯ62, Iyās appartient à une génération qui, vers le tournant des années 720, se distingua par sa volonté de rechercher, sinon de fixer, des normes islamiques jusque-là mal définies et fluctuantes. Aussi peut-on penser que, historique ou pseudo-historique, la jurisprudence qui lui est attribuée reflète un état de la réflexion juridique remontant au plus tard au milieu du viiie siècle et, sans doute, un certain nombre d’usages de la même époque.
34Dans l’hypothèse où les traditions remontant aux premiers cadis ne seraient que reconstitutions tardives, le flou des origines de la judicature s’étendrait grosso modo jusqu’à la fin de la période omeyyade. La jurisprudence attribuée à Šurayḥ correspond, on peut le craindre, à une projection postérieure. L’hypothèse vraisemblable selon laquelle il n’en irait pas différemment pour une partie au moins de celle attribuée à al-Šaʿbī, et, peut-être, à Iyās b. Muʿāwiya, pousse au pessimisme quant à la capacité des historiens à restituer le premier siècle de la judicature musulmane.
35S’il convient d’être prudent, un pessimisme excessif n’est pas non plus de mise. Il est certes difficile de remonter plus haut que la fin du ier/début du viiie siècle : seules quelques traces de la position administrative des plus anciens cadis ont survécu, notamment pour l’Égypte, et l’écheveau des traditions portant sur les procédures et les pratiques judiciaires est trop emmêlé pour que rien de certain puisse en être tiré. Sans être beaucoup plus claire, la première moitié du iie/viiie siècle offre néanmoins un peu plus de prise à l’historien. La fixation, à cette époque, de traditions concernant les pratiques soit des cadis de ce demisiècle, soit, de manière peut-être fictive, des cadis du siècle précédent, atteste l’intérêt croissant des musulmans pour le domaine judiciaire. De surcroît, la présence même de contradictions (surtout relatives à la période de Šurayḥ) dans ces traditions montre que les pratiques judiciaires faisaient l’objet d’une intense réflexion, accompagnée de controverses entre savants. Enfin, un grand nombre de divergences apparaissent entre des pratiques rapportées à propos de la fin du ier (ou le début du iie) et celles du milieu du iie siècle de l’hégire. Ces divergences peuvent avoir été polémiques, un opposant aux pratiques d’un cadi du milieu du iie siècle diffusant par exemple une tradition relatant les actions opposées d’un cadi du ier siècle. Mais de telles polémiques n’en témoignent pas moins de tensions entre tenants d’anciens usages et ceux de nouvelles procédures. Il est dès lors vraisemblable que ces discussions gardent la trace de pratiques historiques, bien que ces dernières demeurent difficiles à dater avec précision. Reconstituer quelques tendances de l’évolution de l’administration judiciaire au iie/viiie siècle est la seule mission – modeste, mais néanmoins utile – que peut raisonnablement s’autoriser l’historien.
3.2. Contradictions et hétérodoxie
36De par leurs méthodes de collecte et de reproduction de l’information, les ouvrages d’aḫbār al-quḍāt ne sont pas seulement des œuvres idéologiques. Plusieurs de leurs caractéristiques internes contribuent à en faire un matériau de choix pour l’historien.
37En premier lieu, ces ouvrages sont composés à partir de récits hétérogènes et parfois contradictoires. Leurs auteurs cherchent rarement à imposer un point de vue sur les événements du passé : ils se font l’écho des variantes qui leur sont parvenues. Dès l’époque médiévale, leur méthode ne fit pas l’unanimité : Ibn Ḥaǧar al-ʿAsqalānī (m. 852/1449) qualifiait déjà Wakīʿ de simple aḫbārī, moins fiable qu’un authentique traditionniste (muḥaddiṯ) car il ne s’adonne pas à une critique stricte de ses informateurs63. Nombre d’historiens considèrent aujourd’hui que les contradictions présentes dans de tels ouvrages renforcent leur caractère anhistorique : elles témoigneraient de débats idéologiques donnant la part belle aux inventions et aux rétroprojections. Cela est certainement vrai chaque fois qu’un thème fait l’objet de controverses. Il n’en demeure pas moins que de telles contradictions limitent la portée dogmatique de cette littérature : fidèles à une conception non despotique du savoir, les auteurs offrent à leurs lecteurs les informations dont ils disposent, leur laissant le soin de se faire leur opinion ; s’il leur arrive d’orienter cette dernière, ils leur proposent un matériau assez diversifié pour qu’ils tirent leurs propres conclusions. Il demeure certes à l’historien de démêler les versions « authentiques » et « apocryphes » – si tant est que la frontière qui les sépare soit aussi tranchée –, mais au moins les auteurs des sources lui ont-ils offert la possibilité d’exercer à son tour sa réflexion critique.
38En deuxième lieu, les biographies de cadis ne portent pas toujours trace de reconstructions a posteriori. Les historiens musulmans dont les œuvres sont préservées tendent à idéaliser les premiers temps de l’Islam et à considérer leur histoire comme un lent éloignement du modèle des débuts. De manière générale, plus ils remontent vers une époque ancienne, plus le comportement des pieux anciens, notamment celui des Compagnons du Prophète et des Successeurs, est jugé bon. Or ce schéma n’est qu’en partie valable pour l’histoire des cadis. Certains des plus anciens ne sont pas présentés comme exemplaires, pour la simple raison que des historiens tels Wakīʿ ou al-Kindī ne connaissaient rien, ou presque, de leur vie ou de leurs activités judiciaires. Les détails relatifs à leur comportement sont rares, et ces auteurs s’abstiennent de leur attribuer les qualités de piété et de dévotion que l’on trouve souvent dans les biographies plus tardives de ʿulamā’. Hormis quelques informations généalogiques, administratives (dates de leurs judicatures) et jurisprudentielles (exemples de jugements), il semble que rien ou presque n’était connu d’eux au début du ive/xe siècle.
39À l’inverse, plusieurs cadis des premiers temps de l’Islam, parce qu’ils furent aussi de grands Compagnons, sont longuement évoqués dans certains dictionnaires biographiques. Ainsi Abū l-Dardā’(m. c. 32/652-3), considéré comme le premier cadi de Damas, se voit-il consacrer une biographie de 108 pages par Ibn ʿAsākir (m. 571/1176)64. Sur ce nombre, un seul ḫabar évoque sa pratique judiciaire, et encore de manière très floue65. Hormis de rares informations administratives sur les conditions de sa désignation66, l’essentiel de sa biographie restitue son humilité et sa légendaire piété. En raison du caractère charismatique du personnage, ses paroles, discours et harangues furent manifestement répétés et transmis dès une époque ancienne, alors que son activité judiciaire, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin, ne fut pas enregistrée. Quelques siècles plus tard, lorsqu’écrivait Ibn ʿAsākir, cette image prévalait encore. Entretemps, les développements de la judicature auraient pu conduire à la projection, sur ce Compagnon, de principes et de règles postérieures, mais il n’en fut rien. Une conclusion s’impose : la sécheresse et la concision d’un grand nombre de notices de cadis, ou, alternativement, l’absence de référence juridique dans la biographie d’un éminent cadi des débuts de l’Islam, prouve que les historiens de la justice ou leurs informateurs n’inventèrent pas d’anecdotes à leur sujet de manière systématique.
40En troisième lieu, les ouvrages d’aḫbār al-quḍāt, comme bien d’autres, contiennent du matériel « hétérodoxe ». On pourrait croire qu’une historiographie post-miḥna, telle que nous en avons dessiné les contours, évacuerait les anciennes conceptions non conformes à l’« orthodoxie » sunnite qui se mit en place dans la seconde moitié du iiie/ixe siècle. Or, si certains cadis affichent un comportement exemplaire67, d’autres ont des pratiques qui le sont moins. Citons, à seul titre d’exemple, les cadis ʿAbd al-Raḥmān b. Ḥuǧayra (en poste en Égypte de 69/688-9 à 83/702), Šurayḥ ou encore ʿAbd al-Malik b. ʿUmayr al-Laḫmī (en poste à Kūfa, probablement sous le calife ʿUmar II, r. 99-101/717-720), dont on rapporte qu’ils consommaient des boissons fermentées comme le nabīḏ ou des produits comparables (sawīq, ṭilā’)68 sans que leur exemplarité soit toutefois mise en doute. Il est certes possible que de telles informations aient proliféré à une époque (peut-être vers le milieu du iie/viiie siècle) marquée par d’intenses débats au sein de la communauté sur la licéité de telles liqueurs qui n’étaient pas du vin (ḫamr) à proprement parler69. Il n’en demeure pas moins que la majorité des écoles juridiques classiques prohibèrent la consommation de nabīḏ70, et qu’en raison de l’image défavorable (ou du moins non consensuelle) de cette boisson, une historiographie purement hagiographique de la judicature aurait gommé de tels points noirs71.
41Enfin, la pratique judiciaire des anciens cadis n’est pas décrite selon le canevas de la doxa juridique en vigueur au moment de la rédaction de ces ouvrages. Comme nous le verrons bientôt dans le détail, Wakīʿ et al-Kindī évoquent la mise en œuvre de procédures qui devaient paraître peu orthodoxes à leurs contemporains. Ils semblent rapporter ces pratiques avec un brin d’étonnement, mais ne tentent pas de les occulter. Une fois encore, peut-être le souvenir de telles procédures se cristallisa-t-il au moment où des controverses préludaient à l’éclosion des doctrines « classiques ». Mais l’important est que les historiens du ive/xe siècle ne tentèrent pas à tout prix de brosser le portrait de juges idéaux, conformes aux normes éthiques et juridiques de leur propre société. Ils semblent avoir accepté que les procédures de leur temps résultent de mutations, peut-être perçues pour une fois sous un jour positif. Retracer les étapes de cette évolution n’était sans doute pas la principale motivation d’al-Kindī, et certes pas celle de Wakīʿ, ce qui ne les empêcha pas, à l’occasion, d’enregistrer ces informations « hétérodoxes » comme autant de jalons vers les normes de leur temps.
3.3. Principes de sélection du matériau historique
42En l’absence de sources documentaires suffisantes, il demeure difficile d’évaluer dans quelle mesure les récits littéraires offrent une image représentative des pratiques historiques de l’institution. La dimension idéologique et jurisprudentielle des aḫbār al-quḍāt, nous l’avons vu, est incontestable à l’échelle macroscopique. Mais qu’en est-il à l’échelle microscopique ? Quelle valeur peuton accorder aux unités de base de cette littérature, les ḫabars ? Wakīʿ et al-Kindī évoquent-ils les pratiques les plus répandues ? Ou au contraire se concentrent-ils sur de l’« anecdotique » qui relèverait du bizarre et de l’inhabituel – retenant parfois plus l’attention que le quotidien –, donc sur des pratiques peu représentatives de tendances générales ? Comment savoir si, telles une loupe, les sources narratives ne grossissent pas des points historiquement négligeables, laissant dans l’ombre des réalités plus significatives aux yeux de l’historien contemporain, mais trop communes pour retenir l’attention des auteurs médiévaux ? Bref, comment mesurer l’effet de source ?
43Certaines formulations employées par les auteurs d’aḫbār al-quḍāt offrent un début de réponse. S’inscrivant dans une démarche proche de celle des awā’il, al-Kindī avance régulièrement que tel cadi fut « le premier » à adopter une pratique72, et que cette dernière s’est maintenue jusqu’à son époque73. Les plus sceptiques s’interrogeront certes sur l’authenticité historique de ces « premières ». Mais il paraît indubitable que de tels usages étaient considérés comme essentiels du temps de l’auteur. En retraçant l’apparition de pratiques judiciaires qui se perpétuèrent par la suite, al-Kindī s’extrait donc de l’anecdotique pour se concentrer sur ce qui lui paraît représentatif de l’institution sur le long terme.
44Il reste à comprendre la portée des autres ḫabar-s, infiniment plus nombreux, qui ne relèvent pas de la catégorie des awā’il. Plusieurs interprétations ont jusqu’ici été avancées quant aux critères de sélection des informations. Dans un article consacré au don nuptial (matāʿ) aux premiers siècles de l’Islam, M. K. Masud réfléchit aux méthodes de Wakīʿ. Se fondant sur l’introduction des Aḫbār al-quḍāt, Masud avance que Wakīʿ n’est pas intéressé par la collecte de récits déjà connus et cités par d’autres auteurs. Son principal objectif consisterait à combler les lacunes dans l’histoire des cadis les moins célèbres à son époque74. Wael Hallaq va dans le même sens lorsqu’il considère que les sources enregistrent avant tout l’inhabituel : seuls les événements qui se distinguaient du quotidien valaient selon lui la peine d’être notés, et les biographes comme les historiens n’étaient pas intéressés par la consignation de la routine journalière75. Cette hypothèse, si elle se vérifie, est évidemment problématique ; elle signifierait que l’ouvrage de Wakīʿ n’est représentatif ni de ce que l’on estimait important de son temps à propos des cadis, ni de pratiques historiques courantes. Son ouvrage entreprendrait plutôt de rassembler des informations marginales, et donc anecdotiques.
45Cette analyse est pourtant contestable. Dans son introduction, Wakīʿ justifie bien la structure de son livre en arguant que des cadis tels Šurayḥ et Ibn Šubruma sont méconnus à son époque, et sous-entend qu’il apporte un matériel inédit à leur sujet en leur consacrant les plus longues biographies de son ouvrage76. Mais ce que Masud interprète de manière littérale est un effet rhétorique qui ne rend pas compte des motivations réelles de Wakīʿ. À le croire, les récits relatifs à Ibn Šubruma auraient été rares à la fin du iiie/ixe siècle. Ce constat peut être réfuté sans peine. La biographie qu’Ibn Saʿd (m. 230/845) consacre à ce cadi dans son ouvrage al-Ṭabaqāt al-kubrā, bien que de longueur modeste par rapport à celle que lui dédie Wakīʿ, est plus longue que la moyenne des biographies de savants de la même génération77. Par ailleurs, les opinions juridiques attribuées à Šurayḥ et Ibn Šubruma étaient bien connues au début du iiie/ixe siècle. Selon Khaleel Mohammed, des centaines de traditions remontant à Šurayḥ sont citées dans les œuvres de ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī (m. 211/827), Ibn Saʿd et Ibn Abī Šayba (m. 235/849)78, et un sondage dans le Muṣannaf d’Ibn Abī Šayba montre que les opinions d’Ibn Šubruma étaient elles aussi bien connues et diffusées en Irak comme ailleurs79. Contrairement à ce que son introduction pourrait laisser croire, Wakīʿ ne choisit pas son matériau en fonction de sa rareté, et donc de son caractère anecdotique. Il sélectionne ce qui lui apparaît – ou ce qui, par le biais de la transmission, apparaissait aux générations précédentes – le plus pertinent. S’il consacre le plus long chapitre de son ouvrage à Šurayḥ, ce n’est pas parce que ce personnage était auparavant méconnu. C’est au contraire parce qu’il était si important dans la tradition irakienne que Wakīʿ voulut lui donner la place qu’il méritait.
46La généralisation que Wael Hallaq propose, plus spécifiquement, à propos des relations entre l’appareil judiciaire et le califat, n’est pas non plus convaincante. D’ailleurs, en soutenant que l’anecdotique constitue la principale préoccupation des biographes et des chroniqueurs, Hallaq contredit ses propres efforts de reconstitution historique de la judicature. S’il avait raison, il ne ferait que décrire un système non représentatif de la normalité historique. Il est vrai que les auteurs musulmans médiévaux ne visaient pas un enregistrement de la vie quotidienne, mais cela ne signifie pas non plus qu’ils s’en désintéressaient. En réalité, là n’est pas la question. L’idée que l’adab, auquel le genre des aḫbār al-quḍāt n’est pas étranger comme nous l’avons vu, serait une littérature anecdotique est désormais dépassée. L’adab poursuit un but didactique d’édification morale80. Le matériau n’y est pas sélectionné parce qu’il est anecdotique, mais parce qu’il est exemplaire, dans les deux sens du terme : soit il véhicule un modèle à suivre ou un contre-modèle à éviter, soit il apparaît représentatif de quelque chose – au niveau idéologique ou historique. Cette valeur exemplificatrice du ḫabar n’est d’ailleurs point réservée à l’adab : elle touche d’autres genres, comme les chroniques ou, bien sûr, une littérature qui se veut ouvertement normative (ḥadīṯ, fiqh). Ce mode de sélection n’exclut pas l’anecdotique ; simplement, ce dernier ne constitue pas un principe directeur. Prenons l’exemple d’une biographie mettant l’accent sur la piété d’un cadi, qui veille chaque nuit à lire le Coran81. On pourrait avancer, d’un côté, que l’histoire est anecdotique dans la mesure où de telles pratiques devaient être exceptionnelles. Ce n’est pourtant point pour cela que l’auteur en parle, mais parce que ce comportement est exemplaire à ses yeux, ou pertinent concernant sa conception de la judicature. Dans d’autres domaines, l’exemplarité peut s’enraciner dans des pratiques répandues. Même si les effets de source ne sont pas pour autant abolis, le principe d’exemplarité gagne à être pris en compte par l’historien qui doit se demander en quoi chaque récit a une portée édifiante, ou pourquoi il est pertinent aux yeux des auteurs médiévaux.
47Si l’on revient à l’échelle macroscopique, la prise en considération du principe de pertinence permet d’expliquer certaines dynamiques de mémorisation et d’oubli de données historiques ou pseudo-historiques. La surabondance de paroles attribuées à Šurayḥ, on l’a vu, s’explique par la projection sur ce personnage de débats entre Irakiens dans la première moitié du iie/viiie siècle. À l’inverse, l’absence quasi totale de récits relatifs aux procédures judiciaires jusqu’à la fin du ier/début du viiie siècle, alors qu’une forme de justice existait sans aucun doute, laisse penser que la question des procédures manqua longtemps de pertinence. Une société qui ne s’interrogeait pas sur son mode d’administration de la justice n’enregistra pas la pratique de ses cadis. Ce n’est qu’à partir du moment où un retour réflexif sur les pratiques se produisit, accompagné de débats et de controverses concernant celles qu’il convenait d’adopter, que non seulement certaines doctrines furent projetées dans le passé dans une quête de légitimation, mais aussi que la mémoire collective se mit à enregistrer les pratiques du temps. Si l’on admet, comme nos précédentes analyses tendent à le montrer, que l’éclosion d’une jurisprudence attribuée en Irak à Šurayḥ date grosso modo de la première moitié du viiie siècle, cela signifie qu’avant cela, pendant une grande partie de l’époque omeyyade, soit les procédures judiciaires ne faisaient ni l’objet de discussion ni même ne suscitaient d’intérêt, soit que la place de la judicature n’était tout simplement pas assez centrale pour enclencher le mécanisme d’enregistrement historiographique82. On rejoindrait ainsi, par une autre voie, l’image que la documentation papyrologique offre de la judicature : celle d’une institution dont la centralité s’élabora, par retour réflexif, dans la seconde moitié de l’époque omeyyade, et dont la « percée » ne se produisit, au niveau documentaire, que sous les Abbassides.
4. À LA RECHERCHE DES ANCIENNES STRATES DE CONTROVERSES JURIDIQUES
48Les pratiques judiciaires ne peuvent qu’imparfaitement être étudiées par le biais des sources narratives puisque ces dernières constituent elles-mêmes une illustration de la théorie. Le regard que Wakīʿ et al-Kindī portent sur la judicature doit ainsi être confronté aux débats cette fois-ci purement théoriques qui eurent lieu à différentes époques. L’ancien droit de la période omeyyade et du début des Abbassides nous est avant tout parvenu à travers deux recueils de traditions « précanoniques » composés au début du ixe siècle par ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī (m. 211/827) et Ibn Abī Šayba (m. 235/849). Ces ouvrages consacrent des chapitres entiers à la théorie judiciaire, dans lesquels leurs auteurs recensent les traditions relatives aux procédures qu’ils ont entendues dans la seconde moitié du viiie ou au début du ixe siècle. À de rares exceptions près, ces traditions ne prétendent pas remonter au Prophète ni aux Compagnons, mais transmettent l’opinion (ra’y) des savants des générations suivantes (Successeurs ou Successeurs des Successeurs). Qu’elles proviennent historiquement de ces figures de la fin du viie ou du début du viiie siècle ou qu’elles résultent de projections par les générations suivantes, ces opinions reflètent l’évolution de la pensée juridique au sein des « anciennes écoles » antérieures à la formation des maḏhabs classiques. Malgré une tendance déjà sensible à projeter en arrière certaines opinions plus tardives, ces ouvrages offrent une image plus nette de l’ancien droit que les recueils canoniques postérieurs. Ils furent en effet rédigés alors que la norme n’était pas encore recherchée à tout prix dans l’autorité prophétique, et où la « tradition vivante », c’est-à-dire l’idée qu’un reflet fidèle de la sunna pouvait être appréhendé à travers le discours ou les pratiques de figures charismatiques du présent ou du passé proche, était encore acceptée. Au ixe siècle, l’assimilation systématique de l’autorité juridique à l’exemplarité prophétique aboutit au remaniement de beaucoup de ces traditions et à l’oubli d’un plus grand nombre encore, ce qui eut pour effet de brouiller les cartes dont dispose l’historien. Les anciens Muṣannaf-s offrent ainsi un instantané plus clair, si ce n’est de ce que les savants omeyyades dirent véritablement, du moins du souvenir que ceux de la seconde moitié du viiie siècle en conservaient.
49L’étude du ḥadīṯ pose toutefois de sérieux problèmes méthodologiques. Joseph Schacht, qui développe en cela les théories d’Ignaz Goldziher, a montré que le genre du ḥadīṯ procédait non pas d’une transmission ininterrompue depuis la personne dont on rapportait les propos, comme la tradition musulmane l’affirme, mais d’une quête d’autorité. Aux yeux de l’historien, un ḥadīṯ prophétique ne reflète pas ce que le Prophète put dire en son temps, mais ce que certains musulmans lui attribuèrent rétrospectivement afin de justifier leur propre position doctrinale83. Le même phénomène de projection dans le passé s’appliquerait au ḥadīṯ des Compagnons et, même, à celui des Successeurs84. Selon le modèle élaboré par Schacht, plus une tradition prétend remonter haut, plus la chaîne de transmission semble parfaite, et plus il est probable que cette tradition ait été mise en circulation sous cette forme tardivement – à une époque où la quête d’autorité obligeait désormais à se référer au Prophète et où les critères formels d’acceptation des traditions étaient élaborés85. Le modèle de Schacht, qui gêne autant certains musulmans que les historiens soucieux de remonter au plus haut dans l’histoire de l’Islam, n’a cessé d’être critiqué depuis plus de soixante ans. Certaines techniques permettent aujourd’hui, en cumulant les analyses d’isnād-s (common link) et de contenu des traditions, de proposer des mises en circulation un peu plus anciennes que ce que Schacht suggérait86. Il n’en demeure pas moins, comme le soulignait Patricia Crone il y a vingt-cinq ans, que l’historien est toujours obligé de manier les traditions avec la plus grande prudence87.
50La question de l’authenticité du ḥadīṯ prophétique est marginale pour notre objet d’étude. En effet, hormis de rares traditions relatives à quelques règles élémentaires de la procédure judiciaire classique – notamment la formule du faṣl al-ḫiṭāb attribuant à chaque catégorie de plaideur un type de preuve précis88 –, la figure du Prophète n’est presque jamais invoquée par les traditionnistes et juristes intéressés par les rouages de l’audience judiciaire89. Cette absence est d’ailleurs surprenante. Faut-il en déduire, si les théories sceptiques de Schacht et de ses pairs sont justes, que le processus de projection dans le passé ne s’accomplit que de manière marginale pour ce qui concerne le droit des procédures ? Si l’on accepte que la quête d’autorité pût être liée aux controverses doctrinales, faut-il penser que les modes de fonctionnement de la judicature firent l’objet d’un relatif consensus de manière précoce, avant que la traditionalisation du droit ne s’achève, dans le cours du iiie/ixe siècle ? Ou au contraire, si l’on considère que la tradition prophétique incarne une forme de consensus auquel parvinrent les musulmans du iiie/ixe siècle, « lissant » les divergences des traditions se réclamant d’autres autorités90, doit-on croire qu’un tel consensus ne fut que rarement atteint ? Les divergences entre écoles juridiques ne sont pourtant ni moins importantes ni plus prononcées en matière de procédures qu’en d’autres domaines du droit. Convient-il donc de penser plutôt que la judicature demeura une institution associée dans l’esprit des musulmans à une pratique postprophétique, celle d’un État tel qu’il se mit en place lors du processus de conquête ? Même cette dernière explication est insatisfaisante, car on s’attendrait alors à voir une personnalité comme ʿUmar b. al-Ḫaṭṭāb se voir attribuer un nombre important de règles judiciaires. Or, à quelques exceptions près – notamment ses fameuses instructions à Abū Mūsā al-Ašʿarī, sur lesquelles nous reviendrons –, ce n’est pas le cas. Les autres Compagnons ne sont pas non plus regardés comme sources d’une sunna importante en ce domaine.
51Quelles qu’en soient les raisons, le fonctionnement de la justice est longtemps demeuré une affaire de ra’y en droit musulman, comme si ce domaine du fiqh avait largement échappé au phénomène de traditionalisation caractéristique du ixe siècle. Ainsi chez les ḥanafites, bien qu’al-Ǧaṣṣāṣ (m. 370/980) tente, dans son commentaire de l’Adab al-qāḍī d’al-Ḫaṣṣāf (m. 261/874), de justifier la norme par un retour aux sources du droit, la règle demeure, d’abord et avant tout, le ra’y de son prédécesseur91. Les anciens corpus de ḥadīṯ précanonique ne renvoient qu’exceptionnellement à l’exemple du Prophète, et très peu à celui de ses Compagnons. De fait, ce type de ḥadīṯ remonte rarement au-delà d’une retranscription/reconstruction du ra’y des Successeurs ou des Successeurs des Successeurs. Or selon le modèle de Schacht, l’un des plus critiques quant à l’authenticité de toutes les traditions, l’attribution de paroles à des Successeurs correspondrait historiquement à la première phase de la quête d’autorité, bien antérieure à l’attribution des mêmes paroles aux Compagnons puis au Prophète. Le ḥadīṯ des Successeurs ne devrait ainsi avoir été mis en circulation plus d’une génération (au maximum deux) après ceux-ci ; en tout état de cause, il le fut alors que la parole de ces Successeurs faisait encore autorité, au moins à l’échelon local. Des traditions divergentes à propos de certains Successeurs tendent à montrer que des opinions contraires furent attribuées à la même personne pour des raisons polémiques. Ces traditions peuvent ainsi être suspectées de reconstruction92. Nous verrons que les opinions attribuées à d’autres Successeurs, et plus encore à la génération des Successeurs des Successeurs, sont en revanche stables d’une tradition à l’autre93. Bref, si les ḥadīṯ-s remontant aux générations postérieures aux Compagnons doivent toujours être considérés d’un œil critique, et si leur datation absolue demeure en général impossible, ils ouvrent mieux qu’aucune autre source une fenêtre sur les développements juridiques de l’époque omeyyade.
CONCLUSION
52Cet aperçu historiographique aboutit à plusieurs conclusions méthodologiques. En premier lieu, le flou qui entoure la période des origines de la judicature (la seconde moitié du viie siècle) ne peut être dissipé en l’état actuel des sources. Il y a peu de doutes qu’une forme d’institution judiciaire étatique ait existé, dès une époque reculée. Il se peut néanmoins que les « cadis » aient été des fonctionnaires trop bas dans l’échelle administrative pour que leurs faits, ou même la liste chronologique des juges, soient enregistrés. Il est possible, de même, que les premiers musulmans n’aient tout simplement pas regardé la judicature comme une institution pertinente pour la définition de leur monde social. Il faut attendre la première moitié du viiie siècle pour que s’amorce un processus mémoriel significatif d’importantes évolutions de l’institution et de sa place dans la société musulmane.
53La recherche de plus en plus poussée de normes de conduite islamiques, puisant leur source dans le comportement ou les dires des générations passées, joua probablement un rôle essentiel dans l’enclenchement de ce processus historiographique. La génération des Successeurs et, peut-être surtout, celle des Successeurs des Successeurs, voyant s’effacer la mémoire vivante de ceux qui avaient bâti l’Islam à travers l’œuvre de conquête, entreprit de la restituer et de la transmettre. Dans une société de plus en plus complexe, le besoin de normativité suscita en outre une quête d’autorité. Les usages existant se virent procurer un statut normatif par leur projection partielle sur les générations antérieures, parées rétrospectivement d’une aura charismatique. Dans ce processus de cristallisation de la sunna autour des pieux anciens, quelques « proto-cadis » – ceux dont le souvenir, quoique flou, était le plus positif – furent érigés en autorités. L’institution du cadi occupait une place croissante dans la résolution des conflits comme dans la gestion des sociétés urbaines, et la parole d’anciens cadis acquit une valeur jurisprudentielle justifiant, aux yeux de certains juges comme à ceux de savants indépendants, les décisions ou les procédures désormais appliquées.
54Tel qu’il se constitua dans ces « anciennes écoles », le droit musulman ne repose néanmoins que de manière mineure sur une jurisprudence de juges. À l’exception d’une poignée de cadis emblématiques tel Šurayḥ, la plupart des cadis de la seconde moitié du viie siècle ne servirent pas d’incarnation au système juridique dans son ensemble94. Il faut peut-être en déduire que, dans la première moitié du viiie siècle, les cadis n’étaient pas considérés comme les principaux représentants de la Loi ; c’est ailleurs, dans les paroles ou les comportements de Compagnons ou de Successeurs plus charismatiques, que la source de la sunna fut d’abord recherchée. Ce n’est que plus tard – au début de la période abbasside, dans la seconde moitié du viiie siècle – qu’un intérêt grandissant pour les cadis et leur justice conduisit à une restitution plus systématique des pratiques des générations les plus récentes. En d’autres termes, il semble que la mémoire de la judicature soit intimement liée, 1) à la place qu’elle occupait dans la société – place qui, d’après les indices documentaires et littéraires que nous avons exposés, se renforça à l’époque abbasside ; 2) à la valeur normative reconnue aux paroles et aux actes de cadis. Cette dernière explique pourquoi Wakīʿ cesse de véritablement s’intéresser à la « jurisprudence cadiale » après les années 160/776-786 : les générations qui suivirent assistèrent à de profondes transformations dans la conception dominante de l’autorité juridique, le débat sur le ḥadīṯ et le ra’y conduisant, inexorablement, à rechercher l’autorité au plus près de la prédication prophétique.
55Ces conclusions obligent à nuancer une des principales hypothèses de Joseph Schacht. Ce dernier oppose la « pratique » administrative des Omeyyades – qu’il associe à celle des cadis – à la réflexion théorique des savants, à partir de laquelle se développa le fiqh musulman95. Ce schéma, nous l’avons vu, est en partie confirmé par la documentation papyrologique. Nous aurons également l’occasion de constater que, de fait, la réflexion théorique prit souvent pour objet ce qui semble avoir été des pratiques judiciaires. Néanmoins l’historien ne peut toujours accéder à la strate de ces pratiques à partir des sources narratives : le souvenir qu’il en reste n’a été préservé qu’en raison de sa pertinence sur le plan théorique, soit vers la fin de l’époque omeyyade soit sous les Abbassides. Bref, dans les textes littéraires, la pratique ne s’oppose pas à la théorie : elle en fait partie intégrante, même si elle continue de refléter, de manière sélective, certains aspects du fonctionnement historique de la judicature.
56Si la restitution historique du/des système(s) judiciaire(s) des origines semble constituer une mission impossible, ceux de la première moitié du viiie siècle peuvent, éventuellement, sortir quelque peu de l’ombre. Deux strates doivent faire l’objet d’investigations. À un premier niveau, la projection sur le viie siècle de doctrines postérieures laisse penser qu’il est au moins possible de reconstituer une partie des débats qui animèrent les générations suivantes et qui nécessitèrent l’invention d’une jurisprudence. À un second niveau, la cristallisation d’une mémoire de l’institution dans la première moitié du viiie siècle permet de retracer une partie des évolutions historiques qui affectèrent l’organisation des tribunaux et les procédures judiciaires à la période marwānide.
Notes de bas de page
1 Cette idée n’est pas toujours formulée de manière explicite, mais transparaît derrière l’utilisation de ces sources. Les historiens de la judicature utilisent généralement les sources biographiques consacrées aux cadis pour montrer comment, en pratique, le droit formulé dans les ouvrages de fiqh était appliqué.
2 Ibn al-Nadīm, Kitāb al-fihrist, éd. par Ayman Fu’ād Sayyid, Londres, al-Furqan Islamic Heritage Foundation, 2009, I, p. 312 ; Yāqūt, Muʿǧam al-udabā’, éd. par Iḥsān ʿAbbās, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 1993, VI, p. 2792. Voir Ṣ. A. al-ʿAlī, « Maṣādir dirāsat tārīḫ al-Kūfa fī l-qurūn al-islāmiyya al-ūlā », Maǧallat al-Maǧmaʿ al-ʿilmī al-ʿirāqī, 24, 1974, p. 145. Sur al-Hayṯam b. ʿAdī, voir Ch. Pellat, « al-Haytham b. ʿAdī », EI2, III, p. 328.
3 Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, op. cit., I, p. 152 ; Yāqūt, Muʿǧam al-udabā’, op. cit., XIX, p. 162. Voir également H. A. R. Gibb, « Abū ʿUbayda », EI2, I, p. 158.
4 Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, op. cit., I, p. 322. Voir également F. Sezgin, « al-Madā’inī », EI2, V, p. 950 et suiv.
5 Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, op. cit., I, p. 588 ; Ch. Pellat, « Ǧāḥiẓiana III. Essai d’inventaire de l’œuvre ǧāḥiẓienne », Arabica, 3, 1956, p. 171.
6 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, op. cit., p. 226-247.
7 Al-Samʿānī, al-Ansāb, éd. par ʿAbd Allāh ʿUmar al-Bārūdī, Beyrouth, Dār al-ǧanān, 1988, II, p. 144 (l’auteur mentionne à tort qu’il mourut en 220) ; al-Ḏahabī, Ta’rīḫ al-islām, éd. par ʿUmar ʿAbd al-Salām Tadmurī, Beyrouth, Dār al-kitāb al-ʿarabī, 1987, XXIV, p. 161. Sur ce personnage, voir également Ibn Zabr al-Rabaʿī, Ta’rīḫ mawlid al-ʿulamā’wa-wafayāti-him, éd. ʿAbd Allāh b. Aḥmad b. Sulaymān al-Ḥamd, Riyad, Dār al-ʿāṣima, 1410 H., II, p. 655.
8 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 439.
9 Hormis l’ouvrage de Wakīʿ (voir infra), les derniers ouvrages irakiens consacrés aux cadis semblent ceux de Ṭalḥa b. Muḥammad b. Ǧaʿfar (m. 380/990), Kitāb tasmiyat quḍāt Baġdād, du šarīf al-Raḍī (m. 406/1016), Aḫbār quḍāt Baġdād, et de Muḥammad b. ʿAlī al-Naqqāš (m. 414/1023), Kitāb al-quḍāt wa-l-šuhūd. Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 31.
10 Voir M. Tillier, « Introduction », dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 7-9.
11 Ibid., p. 9.
12 Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ, Ta’rīḫ, éd. par Muṣṭafā Naǧīb Fawwāz et Ḥikmat Kašlī Fawwāz, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1995, p. 88, 107, 121, 140-141, 159, 168-169, 187-188, 199-200, 207-208, 215, 235, 239, 242, etc. Voir les remarques de J. Schacht, « The Kitāb al-Ta’rīḫ of Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ », Arabica, 16, 1969, p. 79-80.
13 Abū Zurʿa compile une longue liste de cadis de Damas, de Palestine et de Marw. Abū Zurʿa, Ta’rīḫ Abī Zurʿa al-Dimašqī, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 1996, p. 48-54.
14 Ibn Ḥabīb, Kitāb al-muḥabbar, éd. par Ilse Lichtenstadter, Beyrouth, Dār al-āfāq al-ǧadīda, s. d. (1re éd. 1942), p. 132-137 ; al-Yaʿqūbī, Ta’rīḫ, éd. par Ḫalīl al-Manṣūr, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 2002, I, p. 220.
15 P. Crone, Slaves on Horses. The Evolution of the Islamic Polity, Cambridge, Cambridge University Press, 1980, p. 16. Sur les premières listes de personnages historiques, voir également M. Cooperson, Classical Arabic Biography. The Heirs of the Prophets in the Age of al-Ma’mūn, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 3.
16 F. M. Donner, Narratives of Islamic Origins. The Beginnings of Islamic Historical Writing, Princeton, The Darwin Press, 1998, p. 165.
17 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 425. La liste des cadis ḥaḍramites aurait été rapportée – si ce n’est élaborée – par le cadi ʿĪsā b. Lahīʿa (m. 204/820).
18 F. M. Donner, Narratives of Islamic Origins, op. cit., p. 167.
19 Signalons qu’al-Madā’inī, un des premiers auteurs d’ouvrages consacrés aux cadis, est également considéré comme l’auteur d’un Kitāb al-awā’il, dédié aux « inventeurs » d’une pratique (Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, op. cit., I, p. 321). Sur ce genre historique ou pseudo-historique, voir A. Nef, M. Tillier, « Introduction », art. cité, p. 8-10.
20 Sur la date de sa mort, voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 31, n. 41.
21 Voir les références données ibid., p. 32.
22 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 220-241. Voir Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, op. cit., p. 226-247.
23 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 189-398.
24 La branche du droit consacrée à l’adab al-qāḍī, en particulier, repose très peu sur le ḥadīṯ prophétique ou l’exemple des Compagnons.
25 Ibn Qutayba, ʿUyūn al-aḫbār, Le Caire, Dār al-kutub al-miṣriyya, 1996, I, p. 60 et suiv. ; Ibn ʿAbd Rabbih, al-ʿIqd al-farīd, éd. par Aḥmad Amīn, Aḥmad al-Zīn et Ibrāhīm al-Abyārī, Le Caire, Maktabat al-nahḍa al-miṣriyya, 1953, I, p. 89 et suiv.
26 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 633-634.
27 De tels titres n’apparaissent pas dans le manuscrit unicum dont sont tirées ces éditions. Voir les fac-similés publiés par R. Guest dans l’introduction de The Governors and Judges of Egypt, op. cit.
28 Ibn al-Mulaqqin, Nuzhat al-nuẓẓār fī quḍāt al-amṣār, éd. par Madīḥa Muḥammad al-Šarqāwī, Le Caire, Maktabat al-ṯaqāfa al-dīniyya, 1996.
29 Voir M. Tillier, « Introduction », dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 15-17.
30 G. Schoeler, Écrire et transmettre dans les débuts de l’islam, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 22 et passim.
31 Voir F. W. Fück, « Ibn al-Nadīm », EI2, III, p. 395.
32 Voir M. Tillier, « Introduction », dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 4.
33 A. Borrut, Entre mémoire et pouvoir. L’espace syrien sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides (v. 72-193/692-809), Leyde/Boston, Brill, 2011, p. 97-102.
34 La miḥna désigne la période d’« épreuve » au cours de laquelle le califat abbasside tenta de mettre au pas les traditionalistes musulmans et de saper leur autorité croissante auprès des masses, en obligeant leurs principaux représentants à adhérer au dogme théologique impopulaire de la création du Coran. Elle dura de 212/827 aux environs de 234/848. Pour une synthèse récente, voir M. Tillier, Th. Bianquis, « Le premier âge abbasside (132-218/750-833) », dans Th. Bianquis, P. Guichard, M. Tillier (dir.), Les débuts du monde musulman ( viie- xe siècle). De Muhammad aux dynasties autonomes, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 135.
35 Voir J. E. Brockopp, « Theorizing Charismatic Authority in Early Islamic Law », Comparative Islamic Studies, 1, 2005, p. 138 et suiv.
36 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 661 et suiv.
37 Ibid., p. 357.
38 Voir A. Borrut, Entre mémoire et pouvoir, op. cit., p. 94.
39 Voir notre introduction à Abū Hilāl al-ʿAskarī, Le livre des califes qui s’en remirent au jugement d’un cadi, éd. et trad. par Mathieu Tillier, Le Caire, Ifao, 2011, p. 10-12.
40 M. Tillier, « Women before the qāḍī under the Abbasids », Islamic Law and Society, 16, 2009, p. 293-294.
41 Voir K. Zakharia, « Genèse et évolution de la prose littéraire : du kātib à l’adīb », dans Th. Bianquis, P. Guichard, M. Tillier (dir.), Les débuts du monde musulman ( viie- xe siècle). De Muhammad aux dynasties autonomes, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 317-318.
42 Il en va plus tard différemment : dans son Rafʿ al-iṣr, Ibn Ḥaǧar s’intéresse aussi aux cadis en tant que savants transmetteurs de ḥadīṯ, et consacre le début de chaque notice à une énumération des maîtres et disciples de ses juges.
43 M. Cooperson, Classical Arabic Biography, op. cit., p. 13.
44 Ibid., p. 19.
45 Wakīʿ se fait implicitement l’apôtre d’une telle conception de la judicature dans son introduction aux Aḫbār al-quḍāt. Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 625-627, 634.
46 Voir ainsi la carte des juridictions irakiennes dans M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 302.
47 Voir ibid., p. 323, 357.
48 Voir ibid., p. 70.
49 Ibid., p. 71-75.
50 W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 34 et suiv.
51 Voir E. Kohlberg, « Shurayḥ », EI2, IX, p. 508.
52 Kh. I. Mohammed, Development of an Archetype : Studies in the Shurayḥ Traditions, Ph. D. dissertation, McGill University, Montreal, 2001, p. 57-58.
53 Ibid., p. 58, 83. Voir S. C. Judd, Religious Scholars, op. cit., p. 119, aux yeux de qui la centralité de Šurayḥ est une réalité historique. Judd pense en effet que Šurayḥ exerça la judicature pendant soixante ans, comme l’affirment certains récits hagiographiques, sans prendre en considération les mentions de très nombreux autres cadis de Kūfa pendant la même période. Voir notre liste des cadis de Kūfa en annexe.
54 Kh. I. Mohammed, Development of an Archetype, op. cit., p. 131, 192. C’est ainsi qu’un grand nombre de maximes juridiques originaires de Kūfa lui sont attribuées. Ibid., p. 171.
55 Voir ibid., p. 190.
56 Voir la liste commentée de questions judiciaires controversées établie dans Ibid., p. 88-130. Dans une moindre mesure, un cadi comme Abū Burda b. Abī Mūsā (en poste à Kūfa vers le tournant du viiie siècle) fit aussi l’objet de projections plus tardives. Voir J. Schacht, « al-Ashʿarī, Abū Burda », EI2, I, p. 693.
57 L’auteur s’appuie pour cela sur un texte du viiie/xive siècle dans lequel ʿAbd al-Rafīʿ (m. 733/1332) fait dire à Mālik : « Personne aujourd’hui n’a plus les qualités d’un cadi ! ». Il ajoute plus loin qu’un certain nombre de dits attribués à Šurayḥ, dans lesquels ce dernier s’appuie sur l’autorité du calife ʿUmar, refirent peut-être surface à l’époque où la sunna commençait à se restreindre à celle du Prophète et de ses Compagnons. Kh. I. Mohammed, Development of an Archetype, op. cit., p. 132, 170.
58 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 231.
59 Comparer par exemple, à propos de la demande de serment au demandeur en plus de sa bayyina : Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 232, 328, 355 ; II, p. 416 ; III, p. 81. Concernant la manière d’établir l’honorabilité d’un témoin, noter le parallèle entre Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, 369 ; II, p. 416 ; III, p. 106, 116.
60 Voir Chr. Melchert, « The History of the Judicial Oath… », art. cité, p. 313.
61 Ch. Pellat, « Iyās b. Muʿāwiya », EI2, IV, p. 291.
62 Voir notamment H. Berg, The Development of Exegesis in Early Islam. The Authenticity of Muslim Literature from the Formative Period, Richmond, Curzon, 2000, p. 7, 19, 28.
63 Voir M. K. Masud, « The Award of Matāʿ… », art. cité, p. 351.
64 Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., XLVII, p. 93-201.
65 Ibid., p. 141.
66 Ibid., p. 102.
67 Voir par exemple al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 307 (le cadi égyptien Sulaym b. ʿItr accomplit chaque nuit trois récitations complètes du Coran, et passe sept jours en dévotions dans une caverne).
68 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 319 ; Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 212, 226, 270 ; III, p. 6.
69 Voir les traces de tels débats dans Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., II, p. 83 (où Sawwār b. ʿAbd Allāh, cadi de Baṣra dans les années 140/757, boit du nabīḏ mais refuse le témoignage de ceux qui font de même) ; III, p. 43, 54. Voir Kh. I. Mohammed, Development of an Archetype, op. cit., p. 55-56 ; W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 40.
70 À l’exception des ḥanafites, qui autorisèrent longtemps une consommation modérée de cette boisson. Voir par exemple Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 511 (trad. p. 64) et P. Heine, « Nabīdh », EI2, VIII, p. 841.
71 Certains récits plus tardifs, datant du viie/xiiie siècle, tendent ainsi à occulter que Šurayḥ buvait du nabīḏ. Voir Kh. I. Mohammed, Development of an Archetype, op. cit., p. 53.
72 Voir l’exploitation historique que l’on peut tirer de telles informations dans M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ », art. cité.
73 Voir par exemple al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 394, 435.
74 M. K. Masud, « The Award of Matāʿ… », art. cité, p. 352.
75 W. B. Hallaq, The Origins…, op. cit., p. 190.
76 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, op. cit., I, p. 5.
77 Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, op. cit., VI, p. 131-145.
78 Kh. I. Mohammed, Development of an Archetype, op. cit., p. 131.
79 Voir par exemple ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, Muṣannaf, éd. par Ḥabīb al-Raḥmān al-Aʿẓamī, Beyrouth, al-Maktab al-islāmī, 1983, IV, p. 208 ; VI, p. 166, 222, 224, 377, 380, 499 ; VII, p. 84, 94, 173, 220, 256, 355, 356 ; VIII, p. 44, 46, 47, 85, 88, etc. ; Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, op. cit., I, p. 109, 112, 389 ; II, p. 6 ; III, p. 386 ; IV, p. 79, 198, 334, 454, 551, 552 ; V, p. 404 ; VII, p. 191.
80 Voir H. Toelle, K. Zakharia, À la découverte de la littérature arabe, Paris, Flammarion, 2003. p. 100-101.
81 Voir par exemple Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 506 (trad. par M. Tillier, Vies des cadis de Miṣr (237/851-366/976), Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 2002, p. 55).
82 Notons que pour certaines régions, la question des procédures judiciaires semble n’avoir jamais acquis de pertinence. Ainsi en va-t-il des cadis de Syrie, pour laquelle les informations de cet ordre sont presque inexistantes chez Wakīʿ (Aḫbār al-quḍāt, op. cit., III, p. 199-213) comme plus tard chez Ibn ʿAsākir. Il est possible que le caractère dominant des débats juridiques entre Irakiens et Médinois, et secondairement Égyptiens, à la fin de la période omeyyade et au début de l’époque abbasside, ait marginalisé la jurisprudence syrienne. Alternativement, on peut se demander si le droit syrien, dont le principal représentant est al-Awzāʿī, s’intéressait autant que le fiqh irakien ou médinois à la question des procédures.
83 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 128 et suiv.
84 Ibid., p. 169.
85 Ibid., p. 163-165.
86 Sur la critique du modèle schachtien et sur l’affinement de ses méthodes, voir l’excellente synthèse de H. Berg, The Development of Exegesis…, op. cit., en particulier p. 26 et suiv. pour les théories de Juynboll et p. 36 et suiv. pour celles de Motzki.
87 P. Crone, Roman…, op. cit., p. 33.
88 Voir infra.
89 La situation est identique dans le droit chiite, où seuls des ḥadīṯ-s à portée plus générale (corruption, moralité, etc.) remontent à ʿAlī à propos de la judicature. Voir par exemple al-Qāḍī al-Nuʿmān, Daʿā’im al-islām, éd. par ʿĀsif b. ʿAlī Aṣġar Fayḍī, Le Caire, Dār al-maʿārif, 1951, II, p. 527-541.
90 Sur cette idée, voir P. Crone, Roman…, op. cit., p. 26.
91 Al-Ḫaṣṣāf et al-Ǧaṣṣāṣ, Adab al-qāḍī, op. cit.
92 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 155.
93 Une telle stabilité peut également être constatée entre des recueils provenant de traditions juridiques distinctes, comme le sont les Muṣannaf-s du Yéménite ʿAbd al-Razzāq et celui de l’Irakien Ibn Abī Šayba – la principale différence étant que le premier cite surtout l’opinion des savants du Hedjaz, tandis que le second s’appuie en priorité sur celle des Irakiens. Harald Motzki, qui a plus que tout autre chercheur exploré le Muṣannaf de ʿAbd al-Razzāq, montre en outre de manière convaincante que ni son auteur, ni un de ses principaux maîtres, Ibn Ǧurayǧ, n’apparaissent comme des forgeurs de traditions. Pour lui, les commentaires qu’Ibn Ǧurayǧ fait à propos des paroles (responsa ou dicta) de son principal maître, ʿAṭā’, ses opinions divergentes, etc., sont clairement le signe qu’il ne cherche pas à lui attribuer rétrospectivement ses propres opinions. H. Motzki, « The Muṣannaf of ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī as a Source of Authentic aḥādīth of the First Century A. H. », Journal of Near Eastern Studies, 50, 1991, p. 7-12. Plus récemment, B. Sadeghi a montré que dans le Kitāb al-āṯār d’al-Šaybānī, ce dernier divergeait souvent de son maître Abū Ḥanīfa, tout comme Abū Ḥanīfa divergeait souvent d’Ibrāhīm al-Naḫaʿī : on ne peut dès lors prétendre que chacun de ces juristes projetait sa propre doctrine sur les générations précédentes. B. Sadeghi, « The Authenticity of Two 2nd/8th Century Ḥanafī Legal Texts : the Kitāb al-āthār and al-Muwaṭṭa’of Muḥammad b. al-Ḥasan al-Shaybānī », Islamic Law and Society, 17, 2010, p. 309.
94 Gauthier Juynboll remarque de son côté la faible participation des cadis dans la mise en circulation de ḥadīṯ-s avant la seconde moitié du viiie siècle, ce qui pointe vers la même conclusion. G. H. A. Juynboll, Muslim Tradition. Studies in Chronology, Provenance and Authorship of Early Hadîth, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 94.
95 J. Schacht, The Origins, p. 198 et suiv.
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