Chapitre 1. La justice en terre d’Islam d’après les papyrus
p. 29-145
Texte intégral
1L’Islam médiéval est encore trop souvent considéré comme une civilisation sans archives. Les guerres, les conquêtes successives, les retournements dynastiques et, d’une manière plus générale, l’absence de soin porté sur le long terme à la conservation des documents1 obligeraient les historiens d’aujourd’hui à exploiter des sources littéraires. Le problème serait particulièrement aigu pour les deux ou trois premiers siècles de l’Islam, connus par le biais de sources arabes postérieures, et donc soupçonnées de refondre l’histoire des origines dans un moule idéologique anachronique. Sans être dénuée de tout fondement, comme nous aurons l’occasion de le voir, cette analyse n’en est pas moins exagérée. Dès le ier siècle de l’hégire, de multiples sources documentaires viennent témoigner des pratiques, voire de l’idéologie des conquérants arabo-musulmans. Graffiti, ostraca, inscriptions monumentales, monnaies, papyrus ou parchemins viennent lever un pan de voile sur les siècles mal connus de l’Islam naissant. L’historien qui s’appuierait de manière exclusive sur l’épigraphie, la numismatique et la papyrologie irait au-devant de bien des frustrations. Ces sources existent, néanmoins, et bien qu’elles ne répondent pas à toutes les questions, elles demeurent encore sous-exploitées.
2À notre connaissance, l’administration judiciaire n’a pas laissé de traces épigraphiques. Les hommes gravaient dans la pierre leurs invocations à Dieu ou leurs déclarations à leurs semblables ; la résolution de conflits ponctuels entre individus ne nécessitait ni proclamation officielle, ni pétrification pour l’éternité. C’est pourquoi, par exemple, les systèmes judiciaires des royaumes sudarabiques antéislamiques nous sont presque inconnus2. La résolution des litiges donnait lieu en revanche à la rédaction de documents périssables qui, bien que n’étant pas destinés à survivre au-delà de quelques générations, nous sont parfois parvenus. Depuis le xixe siècle, la découverte puis l’édition de milliers de papyrus grecs, gréco-coptes, gréco-arabes, coptes, copto-arabes et arabes, a offert aux historiens de l’Islam une masse documentaire considérable. Un nombre non négligeable de ces documents relève, d’une manière ou d’une autre, de la sphère judiciaire. Pourtant, jamais les données fournies par la papyrologie n’ont été intégrées dans aucune étude générale du système judiciaire islamique. Est-ce en raison du caractère fragmenté et fragmentaire de cette documentation ? Du fossé qui sépare, souvent, leur contenu du système décrit dans la littérature postérieure ? Ou de la frontière qui distingue artificiellement les spécialités, les juristes osant peu se frotter à la papyrologie ? Certains travaux de synthèse ont pourtant été entrepris. Geoffrey Khan, en particulier, s’est penché au cours des deux dernières décennies sur les formules employées dans les papyrus, sur les distinctions stylistiques régionales, sur les influences rédactionnelles (en particulier venues d’Orient), sur l’usage de l’écrit dans le témoignage, etc.3. Ses travaux, qui reposent sur des analyses linguistiques approfondies, ont considérablement fait avancer notre compréhension des traditions littéraires et juridiques dont se nourrit l’art de la rédaction documentaire aux premiers siècles de l’hégire. Plus récemment, Lucian Reinfandt s’est engagé dans l’étude du crime et des châtiments dans l’Égypte des premiers siècles de l’Islam4. Ce que ces documents peuvent nous apprendre sur le fonctionnement des institutions en tant que telles demeure, malgré cela, largement inexploré.
3La rareté des études de synthèse reposant sur les papyrus provient en outre de la relative jeunesse de la papyrologie arabe. En raison du haut degré de spécialisation requis pour lire et éditer les papyrus, seule une petite partie de la documentation préservée a jusqu’ici été éditée – deux mille pièces environ, sur un total de plusieurs dizaines de milliers5. En d’autres termes, il a pu – et il peut encore – paraître prématuré de tirer des conclusions générales à partir d’un échantillon aussi réduit. Les pistes proposées dans le présent chapitre ne sauraient donc qu’être provisoires, et nos hypothèses devront être amendées au fur et à mesure que les publications de papyrus arabes viendront apporter de nouvelles pièces au puzzle. Notre ambition n’est pas non plus de proposer une synthèse sur les débuts de la justice islamique qui prendrait en compte tant la documentation papyrologique que les sources littéraires. Il serait en effet risqué de croiser des pièces d’époque avec les informations livrées plusieurs siècles plus tard par les sources narratives. Il faut oublier, momentanément, l’image véhiculée par cette littérature – celle d’une judicature acquérant dès l’époque omeyyade une grande partie de ses caractéristiques « classiques » –, et tenter de reconstituer, même à grands traits, le schéma du système judiciaire archaïque tel qu’il transparaît dans les papyrus à l’exclusion de toute autre source. Cette nouvelle image, même hypothétique et partielle, ne pourra être comparée aux données des sources littéraires que dans un second temps.
1. LES LIMITES DE LA PAPYROLOGIE
4L’image des institutions judiciaires que l’on peut espérer reconstruire à partir de la documentation papyrologique est limitée par la nature des documents, par le lieu de leur découverte et par la date de leur composition.
1.1. Papyrus juridiques et judiciaires
5Il convient en premier lieu de distinguer le juridique du judiciaire. Tous les papyrus au contenu juridique, et généralement classés comme tels dans les grandes collections du xxe siècle, ne permettent pas d’appréhender le fonctionnement de l’administration judiciaire. Les papyrus juridiques sont pour l’essentiel constitués d’actes privés – contrats de vente ou de mariage, reconnaissances de dettes, etc. –, établis entre particuliers. Ces documents, attestant une transaction ou un accord, ne sont pas sans lien avec l’institution judiciaire : trace écrite du marché conclu, ils étaient établis dans le but, si le besoin s’en faisait plus tard sentir, de les produire devant une autorité judiciaire afin d’étayer une plainte. Le développement du notariat musulman renforça rapidement les liens entre ces actes privés et les institutions judiciaires. La restriction de la faculté de témoigner à un petit nombre d’individus, d’abord en Égypte au tournant du iie/viiie et du iiie/ixe siècle, puis en Irak une centaine d’années plus tard, laisse penser que les témoins des transactions – dont les noms figurent dans ces documents – furent de plus en plus liés à l’institution judiciaire : sélectionnés par le cadi et par ses auxiliaires (en particulier le ṣāḥib al-masā’il), ils s’apparentèrent de plus en plus à un corps de témoins professionnels attachés au tribunal6. À partir d’une certaine époque, nombre de ces documents passèrent par le tribunal pour y être enregistrés et validés7.
6En un sens, donc, le juridique et le judiciaire étaient intrinsèquement liés, et les actes privés, parce qu’ils anticipaient une comparution au tribunal, en reflètent le paysage social comme le fonctionnement institutionnel : les catégories de populations justiciables, les preuves recevables, les témoins attendus, etc. L’image que cette documentation produit devra donc être étudiée. Pour autant, les institutions judiciaires n’y apparaissent pas directement, et il conviendra avant tout de se tourner vers des sources « judiciaires », c’est-à-dire des documents émis/reçus par un tribunal ou par une institution en lien étroit avec l’administration judiciaire – ces papyrus sont d’ordinaire classés comme « administratifs » ou « officiels » dans les grands recueils édités8.
7La préservation de tels documents administratifs ne va pas sans poser problème. Wael Hallaq considère que, jusqu’à l’époque ottomane, les tribunaux musulmans n’assurèrent pas de préservation institutionnelle de leurs archives, ce qui conduisit au recyclage rapide des supports (papyrus, parchemin, papier) ou à la destruction pure et simple des documents9. Nous avons en partie remis en cause cette interprétation, montrant que les cadis assuraient une conservation institutionnelle de leurs archives à l’époque abbasside10 ; il n’en demeure pas moins que, sur le plan juridique, le système classique de la preuve dévalorisait la plupart du temps le support écrit, et que, sur le long terme, l’érosion de la valeur des actes n’encourageait pas leur préservation.
8Le contexte de découverte d’une grande part des papyrus arabes est mal documenté, voire inconnu, car beaucoup proviennent de fouilles hâtives réalisées par des paysans égyptiens. Certains documents destinés à l’administration semblent avoir été préservés, parfois sous la forme de copies ou de brouillons, dans des archives familiales privées11. L’archéologie a aussi mis au jour certaines liasses de papyrus qui firent sans doute partie, à l’origine, de collections institutionnelles, offrant aux historiens un échantillon de ce que purent être les archives étatiques12.
9Pour la période omeyyade, la célèbre série de papyrus d’Aphroditō, remontant surtout au mandat du gouverneur égyptien Qurra b. Šarīk (r. 90-96/709-714), offre le meilleur exemple d’une telle préservation « archivistique ». Les dizaines de documents retrouvés (en copte, en grec et en arabe13), en grande partie émis par l’administration du gouverneur, appartenaient selon toute vraisemblance à un fonds d’archives conservées avec soin par l’administrateur local, Basile, lui-même destinataire ou rédacteur de la plupart de ces écrits14. Comme nous aurons l’occasion de le voir plus en détail, cet administrateur exerçait, entre autres fonctions, celle de juge, et une partie de ses archives relevait de l’administration judiciaire.
10Le nombre de documents « judiciaires » sur lesquels se base la plus grande partie de cette étude est assez réduit15. La représentativité de ce corpus n’en est que plus difficile à déterminer ; elle doit d’autant plus être mise en question que, comme nous allons le voir, les papyrus judiciaires ne peuvent être étudiés que dans des contextes historiques et géographiques limités.
1.2. Représentativité spatio-temporelle des papyrus judiciaires
1.2.1. Provenance géographique des papyrus
11Comme le souligne Petra Sijpesteijn, les découvertes de papyrus arabes ont jusqu’ici été circonscrites à quelques localités principalement égyptiennes16. Cela est vrai, a fortiori, pour les papyrus judiciaires, qui ne représentent qu’une infime proportion de la totalité des documents préservés. La provenance des papyrus judiciaires (arabes, grecs et coptes) édités pour les trois premiers siècles de l’hégire est synthétisée dans le tableau suivant (tabl. 1) :
Tableau 1 — Lieux de découverte des papyrus judiciaires
Lieu | Nombre de papyrus |
Égypte | 35 |
Fayyūm1 | 3 |
Aḥnās2 | 1 |
al-Ušmūnayn/Ušmūn al-ʿUlyā3 | 54 |
Aphroditō/Išqūh5 | 8 |
Jēme6 | 12 |
Edfou7 | 6 |
Palestine | 3 |
Ḫirbet el-Mird8 | 3 |
Total | 38 |
12La quasi-totalité des trente-huit papyrus dont l’origine est connue proviennent d’Égypte. Ils furent tous rédigés en Haute-Égypte (Ṣaʿīd)17, c’est-à-dire la partie de la vallée du Nil s’étendant entre Fusṭāṭ et Assouan, à laquelle s’ajoute la dépression du Fayyūm au sud-ouest de Fusṭāṭ18. Des six centres représentés, l’oasis du Fayyūm – et sa capitale, Madīnat al-Fayyūm – est le plus au nord19, suivie, en direction du sud, par le village d’Ahnās20. Al-Ušmūnayn, ancienne Hermopolis Magna, était partagée au début de l’époque islamique en deux implantations distinctes : al-Ušmūn al-Suflā (la Basse), et al-Ušmūn al-ʿUlyā (la Haute), dénomination qui apparaît dans les papyrus provenant de cette localité. Al-Ušmūnayn était chef-lieu d’un district (kūra) et manifestement placée sous l’autorité d’un pagarque (ṣāḥib) aux deux premiers siècles de l’hégire21. Dans une vallée du Nil presque exclusivement peuplée de Coptes, al-Ušmūnayn représentait un des principaux lieux d’implantation d’une garnison musulmane, et il semble que le gouverneur (wālī l-ḥarb) du Ṣaʿīd y résidait22. Plus au sud, Išqūh/Ašqūh (aujourd’hui Kōm Išqūh) est le nom arabe – correspondant au copte Jkōw – d’un village connu sous le nom grec d’Aphrodité avant la conquête, puis celui d’Aphroditō après cette dernière. Située entre Asyūṭ et Aḫmīm, Išqūh était à l’époque omeyyade un petit centre administratif à la tête duquel se trouvait un dioiketes, ou ṣāḥib en arabe, sans doute assimilable aux pagarques de centres plus importants23. Plus au sud, le village copte de Jēme (grec Memnonia) correspondait à l’ancienne Thèbes occidentale, sur la rive gauche du Nil, en face de Louxor ; il appartenait à la pagarchie de Hermonthis (aujourd’hui Armant)24. Edfou/Adfū, enfin, dernière localité d’où proviennent des papyrus judiciaires, correspond à l’ancienne ville d’Apollōnos Anō, située dans le sud de la Thébaïde25.
13Les papyrus judiciaires égyptiens offrent ainsi un éclairage sur les pratiques qui eurent cours dans plusieurs centres de taille et d’importance variées dans une région (le Ṣaʿīd) que les sources littéraires ignorent presque totalement pour les premiers siècles de l’Islam. À ce titre, ils viennent compléter les informations de chroniqueurs comme al-Kindī (m. 360/961), qui ne s’éloigne de Fusṭāṭ que pour évoquer des révoltes peu représentatives de l’administration quotidienne du territoire. Cette complémentarité n’en correspond pas moins à une réalité bien différente de celle de la capitale provinciale. À l’exception d’al-Ušmūnayn qui, comme nous l’avons vu, disposait d’une petite garnison musulmane, les localités du Ṣaʿīd mentionnées ci-dessus étaient toutes chrétiennes à l’origine, et l’islam ne s’y implanta que lentement, au gré de conversions ou de l’installation de tribus arabes. Il faut donc s’attendre à découvrir, pour les deux ou trois premiers siècles de l’Islam, un système judiciaire en partie différent de celui qui était connu à Fusṭāṭ ou dans d’autres cités du dār al-islām.
14Les papyrus arabes de Ḫirbet el-Mird reflètent également des pratiques a priori distinctes de celles observées dans les grandes villes de l’Islam. Le contexte n’en est pas moins très différent de celui du Ṣaʿīd égyptien. Découverts dans une grotte de Palestine (Wādī al-Nār, au sud-est de Jérusalem) au milieu de textes grecs et syriaques entreposés là à une date inconnue26, ces papyrus sont représentatifs de réalités propres au ǧund de Filasṭīn dans la seconde partie du ier/viie et la première moitié du iie/viiie siècle. À la différence de l’Égypte, où les musulmans demeurèrent longtemps concentrés à Fusṭāṭ, les ǧund-s du Bilād al-Šām connurent une dispersion précoce des populations arabo-musulmanes, qui s’installèrent dans des villes de taille moyenne27. Il est possible, dès lors, que le système judiciaire reflété par les papyrus de Ḫirbet el-Mird corresponde à un contexte plus « islamisé » que la Haute-Égypte, caractérisé par une répartition plus homogène des musulmans sur le territoire.
1.2.2. Fourchette chronologique
15Le hasard des découvertes donne à la chronologie des papyrus « judiciaires » un caractère tout à fait remarquable (voir tabl. 2). Alors que les sources narratives font grandement défaut pour les deux premiers siècles de l’Islam – ou que leur authenticité est mise en cause –, certains papyrus remontent à une époque précoce. Le plus ancien papyrus judiciaire daté fut écrit en 65/684-5 selon Werner Diem – qui conteste la date de 165 ou 175 H. avancée par Margoliouth28. La jarre d’Edfou a par ailleurs préservé une série de papyrus grecs et coptes témoignant de l’organisation judiciaire en Haute-Égypte à l’époque de Muʿāwiya, autour des années 67029. Mais c’est à la période marwānide que se concentre la grande majorité des papyrus judiciaires, grâce à la correspondance du gouverneur Qurra b. Šarīk, remontant aux années 709-710, et aux archives coptes de Jēme. Contrairement à la production littéraire narrative, qui se développe de manière exponentielle à l’époque abbasside, les papyrus judiciaires n’apparaissent plus qu’en nombre limité après 750, entre deux et quatre par siècle en moyenne, n’offrant qu’un éclairage épisodique sur les pratiques de leur époque.
Tableau 2 — Dates des papyrus judiciaires
Date | Nombre de papyrus | Lieu |
650-699 | 9 | |
Papyrus arabes | ||
2e moitié viie s. | 3 | Ḫirbet el-Mird1 |
65/684-5 | 1 | al-Ušmūnayn2 ? |
Papyrus grecs | ||
années 40/660 ou 50/670 | 5 | Edfou3 |
700-749 | 24 | |
Papyrus arabes | ||
90/709 | 2 | Išqūh4 ; Ahnās5 |
91/709 | 4 | Išqūh6 |
91/710 ( ?) | 3 | Išqūh7 ; al-Ušmūnayn8 ; inconnu9 |
730-750 | 1 | Fayyūm10 |
Papyrus grecs | ||
91/709-10 | 2 | Išqūh11 |
Papyrus coptes | ||
c. 711-738 | 12 | Jēme12 |
750-799 | 6 | |
Papyrus arabes | ||
c. 133/751 | 2 | Fayyūm13 ; inconnu14 |
135-144/753-761, ou 167-168/783-785 | 1 | Fusṭāṭ15 ? |
168-169/785-786, ou 174-177/790-793 | 1 | Fusṭāṭ16 ? |
iie/viiie s. | 2 | inconnu17 |
800-899 | 3 | |
Papyrus arabes | ||
205-206/820-22 ( ?) | 1 | Edfou18 |
iiie/ixe s. | 1 | Fayyūm19 |
iiie-ive/ixe-xe s. | 1 | al-Ušmūnayn20 |
900-999 | 2 | |
Papyrus arabes | ||
ive/xe s. | 2 | al-Ušmūnayn21 |
Total | 44 |
16Grâce à une telle courbe temporelle, la documentation papyrologique s’impose comme une source majeure de l’histoire judiciaire omeyyade (tout particulièrement marwānide), pour laquelle les sources littéraires (narratives ou juridiques) font défaut ou peuvent être suspectées de reconstructions postérieures. Bien qu’ils apportent une lumière non négligeable sur la période abbasside, ces documents ne permettent pas en revanche d’expliquer à eux seuls le fonctionnement de la justice après 750.
1.2.3. Autres papyrus
17Aux documents dont l’origine judiciaire peut être clairement établie s’ajoute une série de papyrus de nature plus incertaine.
181) Un document de Nessana/Naṣṭān (Néguev), daté de 67/687 (P. Ness. 56), mentionne parmi d’autres témoins un certain Yazīd b. Fā’id que Casper J. Kraemer suppose avoir été un cadi local par rapprochement avec un autre texte du même fonds30. Si le papyrus bilingue (arabe et grec) possède sans conteste un contenu juridique – il semble s’agir d’une quittance de dette –, il apparaît plutôt comme un acte privé conclu entre deux parties, sans qu’il ait nécessairement été enregistré auprès d’un tribunal. Le rôle de Yazīd b. Fā’id se limite ici à celui de témoin31. En supposant que les règles de procédure plus tardives aient déjà été appliquées à cette époque ancienne, il est peu concevable qu’un individu ait pu être à la fois juge et témoin du même cas. Un second document de Nessana (P. Ness. 77), édité depuis peu par Robert Hoyland, suggère enfin à ce dernier que Yazīd b. Fā’id n’était point un cadi mais un agent du fisc (ʿāmil)32.
192) Dans une lettre qu’Albert Dietrich propose de dater des années 205-206/820-822 et qui provient d’Edfou33, l’auteur se plaint d’un fonctionnaire (nommé Kaṯīr) qui tente semble-t-il de s’emparer d’héritages. La lettre pourrait émaner d’un cadi – dont une des fonctions consistait à gérer les successions –, mais l’obscurité du texte et l’absence de contexte ne permettent pas de l’affirmer.
203) Un document daté de 267/861 se présente comme un témoignage de divorce par un certain Muḥammad b. Sahl b. ʿAbd Allāh b. ʿAmr34. Giorgio Levi Della Vida, qui a édité le texte, remarque la longue généalogie de ce personnage distingué, et propose qu’il s’agit peut-être d’un cadi à qui la déclaration de divorce a été rapportée35. Néanmoins rien, dans le papyrus, ne permet d’aller jusque-là. En premier lieu, Muḥammad b. Sahl n’est pas qualifié de qāḍī. Cela ne constitue pas une preuve en soi dans la mesure où une convocation émise par un cadi de Fusṭāṭ au début de l’époque abbasside ne mentionne pas son titre36 ; d’autres papyrus le précisent pourtant lorsqu’il s’agit d’un cadi37 37. En second lieu, Muḥammad b. Sahl affirme témoigner à la demande de l’homme qui vient de répudier sa femme (ašhada-nī ʿalā nafsi-hi). Or, si les cadis furent bien utilisés pour enregistrer des actes, rien ne permet de penser qu’ils étaient régulièrement saisis en qualité de simples témoins. Il est plus probable que ce document ait été destiné à étayer un témoignage devant un cadi, en cas de contestation du divorce, et qu’il fut l’œuvre d’un témoin instrumentaire.
214) Un dernier papyrus pourrait avoir été émis par une institution judiciaire. Dans une lettre qu’Adolf Grohmann date du iiie/ixe siècle, Yuḥannis et Masīs, les deux fils de Qīr, de Sāqiyat Balāwa, sont convoqués devant une autorité non nommée. La nature judiciaire de ce papyrus est inférée par Grohmann à partir de la dernière ligne : wa-lā turaḫḫiṣ li-aḥadin min-hum fī l-ḫalafi in shā’Allāh (« et ne permets à aucun d’entre eux [de nommer] un représentant, si Dieu le veut »). Selon Grohmann, le terme ḫalaf renvoie vraisemblablement à l’idée de représentation devant un juge38. Bien que cette interprétation semble possible, le contexte de ce papyrus est trop flou pour autoriser aucune conclusion. Ḫalaf évoque bien ḫalīfa, utilisé à la même époque pour désigner un juge substitut39. Néanmoins le représentant d’un plaignant est en général appelé wakīl dans les sources littéraires de la même époque. La racine ḫ. l. f. est d’ailleurs polysémique et il pourrait s’agir d’une simple injonction à ne laisser personne « rester en arrière », c’est-à-dire ne pas répondre à la convocation40. Même dans cette hypothèse, rien ne prouve qu’il s’agit d’une citation au tribunal. Il pourrait aussi bien s’agir d’une convocation devant l’administration fiscale, à l’instar d’un autre papyrus dans lequel le destinataire est prié de se présenter au dīwān41.
*
22L’origine géographique tout comme la répartition chronologique des papyrus judiciaires nous obligent à relativiser d’avance les résultats qui suivent. Les chercheurs ne disposent jusqu’ici que d’échantillons papyrologiques extrêmement limités. Toutes les époques sont loin d’être représentées dans les mêmes proportions : certains trésors archéologiques, comme la jarre d’Edfou ou le fonds de Qurra b. Šarīk, mettent en lumière certaines périodes tandis que d’autres restent dans l’ombre. Les évolutions sont ainsi difficiles à retracer et il faudra souvent se contenter de tendances indicatives. Par ailleurs, seule une partie de l’Égypte est représentée dans le corpus des papyrus judiciaires. La plupart des documents proviennent de Haute-Égypte, et de surcroît tout le Ṣaʿīd n’est pas représenté dans les mêmes proportions : les papyrus de Thébaïde sont bien plus nombreux que ceux d’Arcadie. L’échantillon de papyrus judiciaires est encore plus réduit en Palestine. Aussi toute tentative de généralisation obligera-t-elle à des extrapolations demeurant en partie spéculatives.
2. ENTRE LE DUX ET LE PAGARQUE : LA JUSTICE À L’ÉPOQUE SUFYĀNIDE
23L’Égypte postjustinienne n’était plus un diocèse uni mais une série de provinces dirigées par un duc – qui cumulait désormais pouvoirs civils et militaires, et était directement responsable devant le préfet du prétoire d’Orient42. Le duc se voyait avant tout chargé de la justice, de la police et du maintien de l’ordre, tandis que la fiscalité était confiée, dans certaines provinces (ou duchés) à des praesides se trouvant à la tête d’éparchies – une en Aegyptus, deux en Thébaïde, deux en Augustamnique, une en Arcadie, une en Libye et une en Pentapole43.
24L’arrivée de l’Islam permit à l’Égypte de retrouver une unité, car dès les années 640 elle fut placée sous l’autorité d’un gouverneur unique. La structure de base de l’Égypte omeyyade demeurait néanmoins proche du système byzantin antérieur à la conquête44. La province restait divisée en cinq duchés, eux-mêmes subdivisés en pagarchies. La Basse-Égypte (Asfal al-arḍ) comprenait les duchés d’Égypte (Aegyptus, à l’ouest) et d’Augustamnique (à l’est) ; la Haute-Égypte (al-Ṣaʿīd), celui d’Arcadie (au nord) et de Thébaïde (au sud)45. À ces quatre duchés venait s’ajouter celui de Pentapole (Barqa), encore plus à l’est. Chacun de ces cinq duchés était dirigé par un dux ou amīr, nommé par le gouverneur de Fusṭāṭ46. Certains, comme Menas en Aegyptus, avaient déjà exercé comme praeses à l’époque byzantine, et furent reconduits comme ducs par les musulmans47. Le rôle militaire de ces ducs disparut sans doute après la conquête, et il leur demeura surtout des attributions fiscales48. Ils avaient autorité sur les pagarques (grec pagarchos ; arabe ṣāḥib al-kūra, au nombre de 50 ou 60 pour la totalité de l’Égypte) qui, à un degré inférieur, géraient chacun une ville et son territoire – la pagarchie (ar. kūra)49. Au cours des décennies qui avaient précédé la conquête, certaines pagarchies avaient été divisées en deux skelos (partie nord et partie sud). C’était notamment le cas des pagarchies d’Héracléopolite (kūra d’Aḥnās) et d’Hermopolite (kūra d’al-Ušmūnayn)50. À la tête de chaque village de la pagarchie se trouvait un meizōn (gr.) (copte lashane ; ar. māzūt) issu des notabilités locales51.
25Les papyrus préservés pour les deux ou trois premières décennies qui suivirent la conquête arabe de l’Égypte ne permettent pas, en l’état actuel, de reconstituer le fonctionnement d’un système judiciaire. La documentation la plus riche est constituée des archives de Senouthios anystes, responsable du skelos nord de l’Hermopolite, dont les lettres peuvent être datées des environs de 643-64452. Nombre de textes récemment publiés par Federico Morelli sont des pétitions, envoyées à Senouthios par de riches propriétaires fonciers, afin d’obtenir la relaxe de dépendants selon eux injustement arrêtés53. D’autres sont des ordres de libération54. Malgré le recours à un vocabulaire « judiciaire », il semble que ces papyrus ne soient pas liés à l’administration de la justice, mais à des réquisitions forcées de main-d’œuvre envoyée à Babylone-Fusṭāṭ pour servir les projets urbanistiques des musulmans. Ils montrent, tout au plus, que le responsable du skelos pouvait intervenir auprès du pagarque pour faire annuler certaines réquisitions. Dans un autre papyrus, Ioannes, représentant d’un niveau administratif supérieur, se plaint que son correspondant, un certain Senouthios dioiketes mal identifié, n’a pas donné la bastonnade à un bucellaire responsable du retard de bateaux55. La mention d’un tel châtiment évoque une peine, mais ledit Ioannes pourrait ici simplement exercer son autorité sur un subordonné sans qu’il y ait règlement judiciaire. Il faut espérer que d’autres papyrus de Senouthios, toujours en cours de publication par Federico Morelli, viendront éclairer le fonctionnement de la justice au lendemain de la conquête.
26L’appareil judiciaire égyptien apparaît de manière plus claire à l’époque sufyānide. L’administration de la Haute-Égypte est alors surtout connue grâce aux papyrus de Papas, retrouvées dans la « jarre d’Edfou ». Ces documents, dont seule la partie grecque (107 textes) a jusqu’ici été éditée, appartenaient aux archives privées de Flavius Papas, pagarque d’Apollōnos Anō/Edfou sous le règne du calife Muʿāwiya (r. 41-60/661-680), et remontent selon toute vraisemblance aux années 660 ou 67056. Un grand nombre de lettres contenues dans ces archives furent rédigées par l’administration du duc (ou émir) de Thébaïde57. Ce dernier était basé à Antinoé, à 550 km au nord d’Edfou, mais ne s’y trouvait que rarement : lorsqu’il n’était pas en tournée dans son duché, il semblait résider pour de longues périodes à Fusṭāṭ près du gouverneur58. Il était représenté à Antinoé par un topotérète (grec topoteretes, « lieutenant »)59, lui-même assisté par des notarioi chargés de rédiger ses lettres aux pagarques de sa circonscription60. Cette structure reflète une stricte hiérarchie, les ordres passant par chaque niveau d’autorité avant d’atteindre la population61. Plusieurs lettres des archives de Papas témoignent du rôle judiciaire de ce dernier comme de celui de ses supérieurs hiérarchiques, le dux et le topotérète.
2.1. Des ordonnances ducales
27L’administration du duc de Thébaïde émettait en premier lieu des ordonnances à caractère judiciaire, destinées non point à trancher un litige entre particuliers mais à exposer une règle et une sanction en cas d’infraction. Dans P. Apoll. 9, le notarios (scribe) Helladios écrit ainsi à Papas pour lui transmettre une circulaire dans laquelle Jordanès (r. 669 à 675-6, ou 660-1 à 669), duc de Thébaïde et probablement d’Arcadie, ordonne d’arrêter des calfats en fuite : un grand nombre d’ouvriers réquisitionnés pour le calfatage des navires sont en effet repartis de l’arsenal de Babylone sans en avoir obtenu l’autorisation. Les pagarques qui cacheraient ou laisseraient passer ces calfats auront à payer une amende de 1 000 solidi62. L’ordonnance du duc, envoyée au topotérète, est ensuite diffusée par les notarioi de ce dernier auprès des pagarques du duché.
28Roger Rémondon conclut d’un tel exemple que le duc/émir avait la haute main sur la justice63. Si la circulaire envoyée aux pagarques a indubitablement un contenu juridique, il relève plus d’une forme de législation que de la mise en œuvre d’une procédure judiciaire : on ne sait, d’après ce document, quelles mesures étaient prises pour poursuivre les contrevenants ni quelles procédures permettaient de les traduire en justice, ni même quelle autorité était chargée d’examiner une telle affaire.
29Une autre ordonnance laisse toutefois mieux entrevoir l’articulation du système judiciaire. Le papyrus P. Apoll. 28 ne concerne pas un litige privé à proprement parler, mais une plainte collective. Des marins ayant été réquisitionnés pour le service du pouvoir musulman, un litige éclata entre eux et les habitants de leurs pagarchies. Selon l’hypothèse de Rémondon, il est possible que ces derniers, face à l’obligation de fournir des marins, aient engagé des hommes auxquels ils ne remettaient qu’une partie de la solde envoyée par le pouvoir en échange de leurs services, gardant pour eux la différence. Les marins ainsi lésés auraient porté plainte pour récupérer la totalité des sommes dues64. Leur pétition fut manifestement amenée au topotérète, qui écrivit au duc pour lui soumettre l’affaire. Dans sa réponse au topotérète, le duc ordonna que les marins se voient rétribués à hauteur des sommes engagées par le Trésor public. Elias, notarios du topotérète, transmit cette ordonnance – sans doute accompagnée d’une copie de la lettre originale du duc, comme dans P. Apoll. 9 – aux pagarques des pagarchies concernées65. Il apparaît bien d’après cet exemple que le duc de Thébaïde assumait le rôle d’autorité judiciaire ; le topotérète, saisi en tant que représentant local de cette autorité, ne tranche pas lui-même le conflit mais en réfère à son supérieur. Le duc n’agit néanmoins pas en tant que juge : comme dans le document précédent, il se contente d’édicter une règle, de légiférer. Il est probable que le véritable procès – si tant est qu’il y en ait un –, où chaque partie expose ses griefs et ses preuves, est censé avoir lieu devant le pagarque destinataire final de l’ordonnance ducale.
2.2. L’examen des litiges privés
2.2.1. Par le duc/émir
30Le topotérète paraît avoir joué un rôle judiciaire limité au niveau du duché. Si la plainte collective évoquée dans P. Apoll. 28 fut portée devant lui, il semble n’avoir pas rendu de verdict et s’être contenté d’un rôle d’intermédiaire entre la « législation » ducale et son application par le pagarque. La documentation d’Edfou ne permet pas de déterminer s’il lui était possible d’instruire des procès et de rendre des jugements66. Comme à l’époque byzantine67, ce rôle revenait avant tout au duc/émir68, que le topotérète ne suppléait que jusqu’à un certain point pendant son absence. Dans P. Apoll. 18, le notarios Helladios écrit à Papas de la part du topotérète pour l’enjoindre de lui envoyer les adversaires d’un certain Sabinos, sans doute pour instruire la plainte de ce dernier à leur encontre et obliger lesdits adversaires à « s’acquitter de leurs obligations69 ». Afin de garantir la comparution des défendeurs, Papas se voit ordonner d’emprisonner leurs épouses pour un temps. La lettre laisserait penser que le topotérète présidera lui-même le procès, n’était une phrase tronquée, à la fin de la partie préservée, impliquant que l’émir s’apprête à venir à Antinoé et qu’il tranchera le litige en personne70. Rémondon en conclut, sans doute à juste titre, que le duc/émir profite de ses séjours en Thébaïde pour régler les procès en suspens71. Le ton de la lettre, ainsi que les mesures drastiques employées pour obliger les défendeurs à comparaître (emprisonnement de leurs femmes), suggèrent que l’affaire était grave – accusation de crime ? litige portant sur un montant très élevé ? La procédure évoquée ici pourrait donc correspondre à une haute justice directement administrée par le duc, tandis qu’une basse justice serait aux mains d’autres représentants du pouvoir72.
2.2.2. Par le pagarque
31Le rôle judiciaire du pagarque apparaît dans une série de papyrus faisant référence à des litiges entre particuliers. Un premier document, P. Apoll. 61, est une lettre envoyée à Papas par son père, Libérios – qui fut lui-même pagarque d’Edfou en 649 ou 65173. Libérios reproche à Papas d’avoir traité injustement une mère en procès avec son fils, en croyant ce dernier sur parole. Les procédures mises en œuvre sont loin d’être claires : d’après la traduction proposée par Rémondon, le litige aurait fait l’objet d’un premier arbitrage, et Libérios propose que les plaideurs passent à nouveau devant un arbitre. Selon toute vraisemblance, l’arbitrage évoqué n’est pas celui du pagarque. Pourtant ce dernier semble être intervenu, en « laiss[ant] traîner » la mère sur une distance de 48 milles – ce qui suggère soit que Papas joua un rôle dans l’application de la sentence arbitrale, soit, au moins, qu’il laissa/fit infliger à la femme un châtiment dans le cadre de cette affaire. Libérios plaide en faveur d’une réouverture de l’affaire par Papas, qu’il appelle à jouer soit un rôle de conciliateur entre les deux plaideurs, soit, si les parties souhaitent de nouveau recourir à une procédure arbitrale, à garantir l’application de la sentence en obligeant les plaideurs à s’y conformer74.
32La justice de Papas est également évoquée dans P. Apoll. 37. Dans cette lettre envoyée au pagarque d’Edfou, Platon, lui-même pagarque de Latopolis75, évoque un procès impliquant un certain Ananias et une femme (peut-être sa mère) au sujet d’esclaves. Platon semble avoir été saisi du dossier mais, peut-être en raison de limites juridictionnelles, il a décidé de transférer le procès devant Papas. Ce dernier se montre néanmoins hésitant et suggère, par écrit, que l’affaire est du ressort de Christophoros, peut-être un troisième pagarque ou, si l’interprétation de Rémondon est exacte, le topotérète du duché76.
33Le rôle judiciaire du pagarque apparaît plus nettement encore dans une affaire dite « du batelier Phêü ». Trois lettres envoyées à Papas par Théodoros, notarios attaché au topotérète d’Antinoé, permettent la reconstitution approximative d’un litige privé77. Dans la plus ancienne, Théodoros informe Papas qu’un certain Phêü, batelier, est venu le trouver pour se plaindre qu’un agent du pagarque s’est emparé d’une cour lui appartenant. Au nom du topotérète – ou du duc ? –, Théodoros énonce une règle que le pagarque est appelé à faire appliquer, probablement à travers l’énonciation d’un verdict78. À la suite de cette lettre, il semble qu’un jugement soit rendu en faveur de Phêü, condamnant l’agent du pagarque à lui verser une indemnité de deux solidi79. Si la troisième lettre concerne bien la même affaire, l’agent condamné serait néanmoins mort avant d’avoir payé cette indemnité ; or son héritier (son beau-père) refuse d’acquitter cette dette. Théodoros demande donc à Papas, au nom du topotérète ou du duc, d’obliger ledit héritier à verser au batelier la somme qui lui est due, arguant que le batelier affirme avoir des témoins susceptibles de déposer en sa faveur80.
34Cette affaire reflète plusieurs aspects essentiels de la procédure judiciaire en usage sous les Sufyānides :
Le demandeur saisit l’administration du duc de Thébaïde – le topotérète, ou le duc en personne. La plainte est mentionnée explicitement dans P. Apoll. 22 ; elle ne l’est que de manière implicite dans P. Apoll. 24, sans doute parce qu’il s’agit d’une lettre de rappel, la même instruction ayant déjà été envoyée à Papas sans avoir été suivie d’effet81. Le demandeur peut évoquer l’existence d’une preuve mais ne la produit pas devant l’administration du duché.
Le topotérète, en son nom ou en celui du duc, fait envoyer au pagarque des instructions, l’enjoignant à juger le litige et à trancher en faveur du demandeur si ses allégations sont confirmées.
35Ici, la justice est à nouveau rendue par le pagarque, mais sur ordre écrit du duc ou du topotérète. S’agit-il d’un cas exceptionnel ? La nature de l’affaire le laisse penser. Le premier défendeur, coupable de s’être approprié une cour, est un agent du pagarque, et le demandeur pouvait craindre (à tort ou à raison) que le pagarque fasse preuve de partialité ; peut-être est-ce pour cette raison que le batelier décida de porter sa plainte devant l’administration ducale. Le second procès contre l’héritier de l’agent aurait été conduit devant la même administration car Papas montrait des réticences à trancher l’affaire – ce dont témoigne la troisième lettre de Théodoros.
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36Les papyrus grecs d’Apollōnos Anō/Edfou permettent d’entrapercevoir un système judiciaire fonctionnant en autarcie au sein du duché. Le duc/émir de Thébaïde apparaît comme l’autorité judiciaire supérieure, rôle qui prolonge celui qu’il jouait à la fin de la période byzantine82. Assisté du topotérète qui le représentait à Antinoé, il promulguait des ordonnances légales à caractère général, tenait d’épisodiques audiences judiciaires – peut-être pour des affaires relevant de la haute justice –, et pouvait être saisi par des plaideurs venant de pagarchies éloignées, notamment si ces derniers craignaient l’injustice de leurs juges ordinaires. Au quotidien, le pagarque apparaît néanmoins comme la principale autorité judiciaire. C’est visiblement devant lui que se présentaient nombre de plaideurs désireux de recourir à une justice non arbitrale, et c’est à lui que le duc ou le topotérète déféraient les plaintes dont leur administration avait été saisie, lui envoyant de sommaires instructions relatives aux verdicts.
37Il reste à déterminer dans quelle mesure cette organisation diffère du fonctionnement de la justice byzantine dans l’Égypte antérieure à la conquête arabomusulmane. Selon Germaine Rouillard, au vie siècle le pagarque jouait déjà un rôle judiciaire – bien que mal connu83 –, mais le principal juge local demeurait le defensor civitatis, magistrat municipal qui dans les villes était compétent à la fois au civil (pour les affaires inférieures à 300 solidi) et au pénal depuis Justinien84. Or après la conquête, le rôle judiciaire du defensor civitatis n’apparaît plus dans les papyrus. Pourtant ce magistrat municipal ne s’éclipsa pas du jour au lendemain, tant s’en faut. On sait qu’à Arsinoé, au Fayyūm, un defensor civitatis se maintint en place au moins jusqu’en 65385. Le dossier de Papas préserve par ailleurs un document évoquant le rôle d’un defensor civitatis lors d’une prise de garant86. Ce type de magistrat était-il toujours investi d’une autorité judiciaire dans les villes ? Les sources papyrologiques, qui nous renseignent beaucoup mieux sur le niveau administratif du pagus, donnent en tout cas l’impression qu’à l’époque de Papas le pagarque restait la principale institution judiciaire.
38Bien que l’intervention de l’administration ducale auprès des pagarques ait eu des résultats – en témoigne la condamnation de l’agent dans l’affaire du batelier Phêü –, un pagarque comme Papas semble avoir parfois rechigné à appliquer les instructions envoyées par Antinoé. L’autorité judiciaire dont se prévalait le duc auprès des pagarques était peut-être en perte de vitesse dans les années 660-670. De fait, le rôle judiciaire du duc et du topotérète disparaît par la suite de la documentation papyrologique pour laisser place à un nouvel intervenant, le gouverneur de Fusṭāṭ.
3. LE GOUVERNEUR ET LE PAGARQUE : LA JUSTICE À L’ÉPOQUE MARWĀNIDE
39La fin de la période sufyānide et l’époque de la seconde fitna, qui se termine sous le règne du calife ʿAbd al-Malik b. Marwān (r. 65-86/685-705), ne sont pas éclairées par des papyrus judiciaires. Il faut attendre le début du viiie siècle pour qu’un second dossier offre un éclairage significatif sur l’administration judiciaire en Haute-Égypte, avec les fameux papyrus de Qurra b. Šarīk. Non seulement ces lettres permettent d’entrevoir avec plus de détails l’organisation quotidienne de la justice (types de litiges, acteurs, procédures), mais elles témoignent aussi d’importantes évolutions dans la structure du système judiciaire égyptien. Leur nombre relativement élevé – en comparaison avec les quelques papyrus judiciaires de l’époque sufyānide – autorise une analyse de détail plus systématique que la documentation judiciaire de Papas.
3.1. De Fusṭāṭ à Išqūh : la justice de Qurra b. Šarīk
40Les papyrus de Qurra b. Šarīk (r. 90-96/709-714)87 datent pour la plupart de ses premières années de règne (709-710), sous le calife al-Walīd b. ʿAbd al-Malik (r. 86-96/705-715)88. Ce début de viiie siècle vit se consolider la construction étatique commencée par ʿAbd al-Malik b. Marwān à la fin du siècle précédent89. Tant en Syrie qu’en Égypte, une politique de grands travaux aboutit au remodelage du paysage urbain, notamment par l’érection de lieux de culte monumentaux. Tandis qu’à Damas, le calife al-Walīd édifiait la mosquée des Omeyyades aux dimensions qu’on lui connaît encore aujourd’hui, Qurra b. Šarīk faisait reconstruire, sur ordre du calife, la mosquée de ʿAmr en agrandissant dans de fortes proportions l’espace du premier oratoire90. Il fit par ailleurs élever à Fusṭāṭ un palais pour le calife91. Sur le plan administratif, Qurra fut en outre l’auteur d’une importante révision des registres tribaux (dīwān) égyptiens92. La dizaine de papyrus judiciaires de Qurra b. Šarīk témoigne elle aussi d’un renforcement des structures étatiques.
41La plus grande partie de ces papyrus judiciaires émane de l’administration centrale égyptienne. Il s’agit, dans la plupart des cas, de lettres rédigées au nom du gouverneur de Fusṭāṭ et adressées à un fonctionnaire de province, en général un pagarque, soit pour lui ordonner d’examiner une plainte, soit – moins souvent – pour lui adresser des reproches à la suite d’une plainte déposée contre lui93. L’image qu’offre ce corpus est ainsi partielle : seules des lettres émises par le gouverneur nous sont parvenues et, à une exception près, aucun document de fonctionnaire judiciaire provincial n’a survécu. Pour cette raison, le système ne transparaît pas dans son intégralité et certaines clés de compréhension nous échappent, obligeant à proposer des hypothèses provisoires.
3.1.1. Un bureau des plaintes ?
• L’administration de la province égyptienne
42Dans un ouvrage paru en 2004, Ǧāsir Abū Ṣafya a réédité les papyrus arabes de Qurra b. Šarīk. Cette collection, la première à regrouper la plupart des documents arabes de Qurra94, est précédée d’une longue introduction dans laquelle l’éditeur propose une synthèse thématique. À l’instar de plusieurs de ses prédécesseurs, qui ont insisté sur l’image positive et très différente de la tradition islamique que ces papyrus renvoient du gouverneur, Abū Ṣafya souligne l’esprit de justice qui se dégage de ses lettres : Qurra b. Šarīk, loin d’être le pendant égyptien d’un al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf (m. 95/714) tel que les sources arabes décrivent ce dernier95, se serait illustré comme défenseur du droit et des opprimés96. Ces documents sont peut-être révélateurs de la politique de Qurra ; mais ils sont aussi – et surtout – significatifs de pratiques administratives qui dépassent la question de la moralité personnelle du gouverneur. Ce sont ces pratiques, ainsi que le système dont elles sont l’expression, qu’il convient ici de reconstituer.
43Les lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk sont adressées à des pagarques, tel Zakariyyā’à al-Ušmūnayn97 et Mīnā à Ahnās98. Le cas le mieux documenté, celui de Basile à Išqūh/Aphroditō99, est aussi le plus problématique. Isabelle Marthot remarque que ce personnage porte généralement le titre de dioiketes dans les papyrus grecs, et non celui de pagarque. Un texte copte semble pourtant l’identifier à un pagarque. Peut-être la raison de son appellation grecque tient-elle à la superficie très réduite du territoire d’Aphroditō100. La question de savoir si Basile doit être assimilé à un pagarque reste donc en suspens. Dans la mesure où cet administrateur semble avoir assumé les fonctions d’un pagarque, même sans en avoir le titre, nous continuerons dans ce qui suit à le considérer comme tel.
44Plusieurs chercheurs notent que les papyrus de Qurra témoignent de relations directes entre le gouverneur de Fusṭāṭ et les pagarques au début du viiie siècle, alors que, d’après les archives de Flavius Papas à Edfou, sous Muʿāwiya les pagarques n’entretenaient de relations qu’avec l’administration ducale, au niveau du duché. Cela laisse penser que la stricte hiérarchie qui semblait dominer à l’époque sufyānide, dans laquelle l’émir/ dux jouait un rôle administratif central, s’était peu à peu assouplie101. Les recherches les plus récentes suggèrent même que le système des duchés était en voie de disparition à l’époque de Qurra b. Šarīk. Selon Petra Sijpesteijn, la dernière mention d’un duc dans un document date du milieu du viiie siècle102, et Marie Legendre note que le dernier duc attesté pour la Thébaïde est Atias (r. 694-703)103. Il semble bien qu’au début du viiie siècle, les ducs perdirent peu à peu leurs prérogatives au profit des pagarques, et finirent par disparaître. Les papyrus judiciaires de Qurra b. Šarīk reflètent cette nouvelle organisation administrative, et la relation judiciaire qui lie le gouverneur au pagarque apparaît désormais sans intermédiaire.
• Structure des lettres judiciaires
45Les lettres judiciaires de Qurra aux pagarques se présentent comme des réponses à des plaintes qui lui ont auparavant été soumises. Écrites par des secrétaires de chancellerie – dont les noms nous sont parvenus (voir infra) – dans une écriture qualifiée par Beatrice Gruendler de « cursive de chancellerie pour correspondance gouvernorale104 », ces lettres furent vraisemblablement élaborées au sein des bureaux de l’administration provinciale basés à Fusṭāṭ. Ces services sont jusqu’ici mal connus105, et les caractéristiques des papyrus judiciaires de Qurra permettent de lever un coin de voile sur leur fonctionnement comme sur le contexte de rédaction de ces lettres.
46Le premier élément qui doit retenir notre attention est de nature stylistique. Abū Ṣafya relève que les lettres judiciaires (en arabe) de Qurra b. Šarīk présentent une structure commune. Le gouverneur commence par exposer brièvement le contenu de la plainte qui lui a été soumise ; le pagarque est invité à entendre les preuves que le demandeur produira, et son adversaire devra ensuite lui rendre ce qu’il lui doit si la plainte est justifiée. Dans le cas contraire, le pagarque devra en référer au gouverneur106. En général, nul détail n’est donné concernant le litige (seule sa nature est précisée – souvent une dette, accompagnée du montant réclamé)107.
47Au-delà de leur structure commune, ces lettres emploient des expressions récurrentes. Hormis les formules protocolaires initiales108 et finales109, que l’on retrouve dans des documents de nature non judiciaire, plusieurs expressions confèrent un « air de famille » très prononcé à ces différentes lettres. Le demandeur « prétend » (yazʿamu) se trouver victime d’un préjudice110 ; il affirme par ailleurs que son adversaire « s’est emparé de son droit » (ġalaba-hu ʿalā ?aqqihi)111. Le gouverneur emploie ensuite une phrase conditionnelle dont la protase est le plus souvent « s’il [le demandeur] présente la preuve de ce qu’il m’a rapporté » (fa-in aqāma l-bayyina ʿalā mā aḫbara-nī)112, ou, plus rarement, « si ce qu’il m’a rapporté est vrai » (fa-in kāna mā aḫbara-nī ḥaqqan)113. L’apodose de cette même conditionnelle est formulée à l’impératif, « assure-toi qu’il [l’adversaire] rende ce qu’il lui doit » (fa-staḫriǧ la-hu ḥaqqa-hu)114, immédiatement suivie de l’injonction : « et qu’il [le demandeur] ne soit pas traité injustement devant toi » (wa-lā yuẓlamanna ʿinda-ka)115. À plusieurs reprises, enfin, le gouverneur conclut : « à moins que son affaire [celle du demandeur] ne corresponde pas à cela [à ses allégations] : informe-m’en alors par écrit » (illā an yakūna ša’nu-hu ġayra ḏālika fa-taktubu ilayya bi-hi)116.
48Comme le remarque Werner Diem, toutes ces expressions, qui rythment ces lettres et leur donnent une apparence similaire, se présentent comme autant de formules standardisées117, répétées de missive en missive avec de légères variantes. Tout se passe comme si les rédacteurs se conformaient à un modèle préalable, un formulaire qu’ils se contentaient d’adapter à chaque affaire judiciaire, modifiant essentiellement l’identité des plaideurs et la nature de la plainte.
• Les scribes
49Les noms des scribes qui élaborèrent ces lettres judiciaires constituent un deuxième élément d’appréciation essentiel118. À une exception près, le rédacteur (celui qui écrit, kataba) est toujours un certain Muslim b. Labnan119, peut-être un Copte converti à l’islam si l’on en croit l’analyse de Becker120. Nabia Abbott remarque que ce personnage apparaît à plusieurs reprises dans les lettres de Qurra et conclut qu’il « devait être un scribe très occupé121 ». Très occupé, peutêtre l’était-il, mais pas à n’importe quelle tâche. Muslim b. Labnan n’apparaît en effet comme scribe que dans la série de lettres judiciaires qui nous est parvenue. Un autre Muslim, sans nasab, est bien cité comme rédacteur d’une missive, mandée par Qurra au pagarque d’Išqūh, dans laquelle le gouverneur demande à son destinataire de ne pas mettre à l’amende les villages en retard dans le paiement de l’impôt (ǧizya). Adolf Grohmann émet l’hypothèse qu’il pourrait s’agir du même Muslim b. Labnan122. On peut toutefois douter que ce soit le cas dans la mesure où Muslim b. Labnan n’apparaît dans aucun autre papyrus extrajudiciaire123.
50Le scribe Muslim b. Labnan se voit associé à deux copistes au moins. Le plus fréquemment cité, al-Ṣalt b. Masʿūd, apparaît à cinq reprises comme ayant copié (nasaḫa) l’exemplaire de la lettre envoyé au pagarque124 – l’original étant sans doute archivé dans la chancellerie de Fusṭāṭ. Dans la lettre la plus ancienne de la série, datée de ramaḍān 90/juil.-août 709, al-Ṣalt b. Masʿūd est même mentionné comme rédacteur – et non simple copiste –, mais cette lettre n’évoque pas de copie125. Un deuxième copiste, Saʿīd, est associé une seule fois à Muslim b. Labnan, dans une lettre envoyée au pagarque d’al-Ušmūnayn en ǧumādā I 91/mars-avril 710126.
51L’association des mêmes scribes aux lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk laisse supposer qu’au sein de la chancellerie, une équipe de secrétaires était chargée des affaires judiciaires et de la correspondance que celles-ci nécessitaient avec les pagarques de province. Dans un autre domaine, celui des entagia (ordres de levée d’impôts), Yūsuf Rāġib relève pas moins de vingt scribes différents au service de Qurra b. Šarīk127 ; le monopole des lettres judiciaires par un seul rédacteur ne laisse donc pas de poser question. De là à voir en Muslim b. Labnan le chef d’un « bureau des plaintes », il n’y a qu’un pas. On peut ainsi supposer que le gouverneur, saisi de plaintes dont il reste à examiner la nature, déléguait le soin de répondre à un bureau spécialisé où Muslim b. Labnan jouait un rôle prépondérant. Ce dernier rédigeait des réponses standardisées et confiait à un copiste – al-Ṣalt b. Masʿūd en particulier, peut-être son assistant et, parfois, son remplaçant dans la rédaction des missives – le soin de réaliser la copie envoyée au destinataire. Peut-être converti, Muslim b. Labnan était un homme libre si l’on se fie à la mention systématique de son nasab, privilège en théorie réservé aux non-esclaves128. Son « assistant », al-Ṣalt b. Masʿūd, semble avoir été un Arabe129. Si l’hypothèse d’un « bureau des plaintes » spécialisé dans la gestion des affaires judiciaires provinciales se confirmait, un pas important serait franchi dans notre connaissance de l’organisation administrative de la province égyptienne à l’époque omeyyade. Accessoirement, cela permettrait de préciser la nature de certains papyrus fragmentaires. Le papyrus Sorbonne Inv. 2346, rédigé par Musli[m b. Labnan] et copié par al-Ṣalt b. Masʿū[d] pourrait ainsi correspondre, lui aussi à une lettre judiciaire envoyée à un pagarque130.
52Si un tel « bureau des plaintes », habitué à traiter les affaires judiciaires de manière standardisée, existait bien, il est probable que le gouverneur d’Égypte n’avait pas besoin de dicter lui-même ses missives131. Le principal signe d’intervention directe du gouverneur est la présence de son sceau, représentant un animal quadrupède132, qui vient authentifier la lettre dans sa partie inférieure133.
53Il resterait, enfin, à dater l’apparition d’un tel « bureau des plaintes » à Fusṭāṭ, ainsi que celle de la procédure qui y fut mise en œuvre. Un fragment de papyrus conservé à la John Ryland Library (P. Ryl. Arab. I 59), manifestement relatif à une affaire judiciaire, se distingue par l’utilisation d’une terminologie très proche des lettres de Qurra b. Šarīk (notamment l’emploi des verbes ġalaba, istaḫraǧa, ou encore du nom ḥaqq). L’hypothèse de D. S. Margoliouth, qui date le fragment de l’année 165/781-782 ou 175/791-792, a été remise en cause par Werner Diem, qui propose la date de 65/684-685 pour sa rédaction134. La procédure transparaissant dans les papyrus de Qurra b. Šarīk pourrait donc avoir été mise en œuvre, au moins dans ses grandes lignes, dès la fin du viie siècle. Nous verrons que des documents palestiniens – exceptionnels tant par leur rareté que par leur qualité – pourraient confirmer l’ancienneté de cette procédure.
3.1.2. La justice du gouverneur
54Les lettres de Qurra b. Šarīk qui nous sont parvenues n’offrent qu’un maigre échantillon de sa correspondance judiciaire. Quelques caractéristiques méritent néanmoins d’être relevées, qui mettent en lumière les pouvoirs de justice du gouverneur.
• Typologie des affaires soumises
55Deux catégories d’affaires apparaissent dans les réponses de Qurra à des plaintes.
La première concerne des dettes. Le demandeur se plaint que son débiteur ne l’a pas remboursé – une telle situation devint paradigmatique dans le fiqh classique. Telles sont les sommes mentionnées : plus de 10 dinars dans un cas (les unités sont effacées du papyrus)135, 23 dinars ⅓ dus par un paysan136, 10 dinars ½ dus par un autre137, 18 dinars réclamés à un prêtre138. À titre de comparaison, des actes de vente du iie/viiie siècle mentionnent les prix de 2 dinars pour l’achat de deux vaches, et de 5 dinars pour celui d’un mulet139. Les contrats de mariages établis en Égypte entre le iie/viiie et le ve/xie siècle mentionnent par ailleurs des douaires (ṣadāq-s) oscillant entre 2 et 10 dinars et tournant généralement autour de 4 ou 5 dinars, ce qui permettait d’acheter à al-Ušmūnayn une maison assez grande pour un couple140. Les sommes en jeu sont donc conséquentes, voire très élevées dans un contexte rural ou semi-rural.
La seconde relève de l’usurpation, c’est-à-dire l’appropriation illégale de ce qui appartient à autrui, en général par un puissant (ce que le fiqh classique appelle ġaṣb141). Une plainte concerne ainsi l’appropriation « injuste » (ẓulman) d’une somme inconnue (en dinars) par un individu, peut-être un chef de village142. Dans un autre papyrus, le plaignant dénonce le māzūt de son village qui est entré dans sa maison et s’y est installé143. Ici encore, les litiges semblent concerner des sommes élevées.
• Les acteurs
56Les lettres de Qurra b. Šarīk font état de deux catégories d’acteur : des demandeurs et des défendeurs. Les premiers sont toujours cités nominalement, identifiés à la fois par leur ism et par la première génération de leur nasab : Ibšādah b. Abnīla144, Marqus b. Ǧurayǧ145, Biqtur b. Ǧamūl146, Yuḥannis b. Šanūda147, Dāwūd b. Baddās148, portent tous des noms coptes et sont vraisemblablement chrétiens. La seule exception est le papyrus P. Heid. Arab. I 11, dans lequel le demandeur semble n’être désigné que par le pronom man (« quelqu’un »)149.
57Les noms des défendeurs, en revanche, apparaissent peu. Le plus souvent, le défendeur est juste identifié comme « un (ou des) paysan(s) (nabaṭī/anbāṭ) de telle kūra150 ». Sur sept documents faisant état de plaideurs, seuls deux mentionnent le nom du défendeur : Anbā Ṣalm, un prêtre151 ; M [īnā], un chef de village si l’on suit l’interprétation de Becker et d’Abū Ṣafya152. On pourrait en conclure que le défendeur n’est identifié nominalement que lorsqu’il s’agit d’un personnage d’un certain rang, voire d’un notable. Dans un dernier papyrus, néanmoins, un probable chef de village ([māzū]t) apparaît comme défendeur sans que son nom soit mentionné153.
58Cette différence dans le traitement du demandeur et du défendeur offre peutêtre un indice concernant la procédure suivie. L’absence répétée d’identification du défendeur laisse penser que celui-ci n’est pas toujours connu du gouverneur – ou pour le moins que son identité est secondaire. Si le demandeur comme le défendeur s’étaient présentés devant le gouverneur, cette distinction de traitement n’aurait pas de sens. Il est probable, donc, que le défendeur, pour le moins, n’a pas comparu devant Qurra b. Šarīk. Le gouverneur a pour l’essentiel été en contact avec le demandeur, un notable ayant les moyens de porter sa plainte à Fusṭāṭ154. Si cette hypothèse est exacte, la procédure précédant la rédaction de la lettre se précise, au moins en négatif : il n’y a pas eu procès se traduisant par la comparution des deux parties. On peut donc a priori éliminer l’hypothèse d’un procès en appel devant le gouverneur de Fusṭāṭ. Les instructions de l’émir ne résulteraient pas d’une confrontation qui aurait eu lieu devant lui, mais concerneraient une audience à venir. Le demandeur, connu du gouverneur, serait identifié avec précision pour que le pagarque puisse rapprocher la lettre d’un litige particulier et agir en conséquence. Par ailleurs, la note préservée au verso du papyrus P. Qurra 3 (=P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31) suggère que le nom du demandeur servait de référence au cas à examiner, peut-être dans la perspective d’un enregistrement administratif de l’affaire. La deuxième ligne, qui fait suite à la mention de l’expéditeur et du destinataire, précise en effet : « À propos d’Ibšādah b. Abnīla concernant un paysan » ([fī] Ibšādah b. Abnīla fī nabaṭ[ī])155.
59En revanche, l’identification du défendeur est secondaire, car lors du procès à venir le demandeur sera, de toute façon, amené à préciser l’identité de son adversaire. Devant le gouverneur de Fusṭāṭ, le demandeur n’identifiait nominalement son adversaire que s’il s’agissait d’un notable – sans doute pour que la mention de son nom dans une lettre au pagarque facilite sa convocation, les puissants notables étant peut-être moins enclins à répondre à une citation à comparaître que les petites gens. Si le défendeur était un simple paysan, en revanche, une identification orale par le demandeur devant le pagarque devait suffire156. En bref, la lettre du gouverneur semblait avoir pour fonction d’initier une procédure, le procès étant dans un second temps orchestré par le destinataire, le pagarque.
• La procédure : un appel au gouverneur ?
60Si, comme nous l’avons vu, le gouverneur ne semble pas avoir présidé un procès, il a bien été en contact avec le demandeur. La nature de ce contact est néanmoins incertaine, car les lettres de Qurra b. Šarīk n’en font état qu’à travers une expression standardisée et concise à l’extrême : « tel plaignant m’a informé que (aḫbara-nī anna)157 … » Le verbe aḫbara, plus tard utilisé dans la littérature religieuse, historique ou d’adab pour signaler la transmission d’un récit, laisse a priori supposer que le demandeur a exposé sa plainte par oral, peut-être lors d’une rencontre directe avec le gouverneur. Nabia Abbott souligne pourtant le caractère ambigu d’un tel verbe – en particulier dans le contexte d’un isnād –, qui connote l’oralité mais peut, dans une société lettrée, renvoyer en réalité à une communication écrite158. Les plaintes sous forme de pétitions étant attestées pour une époque plus tardive (dès le iiie/ixe siècle, voir infra), on ne peut exclure que les demandeurs concernés ici aient rédigé leurs adresses à Qurra b. Šarīk.
61Que la rencontre entre le demandeur et le gouverneur ait eu lieu de visu ou par voie de pétition, la principale question est celle de la place de cette interaction dans le processus judiciaire. Comme nous l’avons dit, si entrevue il y a, celle-ci ne prend probablement pas la forme d’un procès. Les instructions du gouverneur supposent l’organisation d’un procès après la rencontre et l’envoi de la lettre au pagarque. Mais que s’est-il passé avant ? Un procès a-t-il été entamé, ou a-t-il déjà eu lieu ? En d’autres termes, le gouverneur est-il sollicité dans le cadre d’une procédure de première instance, ou bien comme une forme d’appel contre un verdict déjà prononcé ?
62Les lettres de Qurra b. Šarīk ne mentionnent pas de procès antérieur. Une formule revient souvent après la présentation du demandeur : « [le demandeur] prétend (yazʿamu) que [son adversaire] s’est emparé de son droit » (anna-hu/hum ġalaba-hu/ġalabū-hu ʿalā ḥaqqi-hi)159. Le verbe ġalaba, qui contient l’idée de « vaincre160 », pourrait à la première lecture être compris comme une référence à un procès au terme duquel le demandeur aurait été « vaincu » par son adversaire, qui aurait ainsi accaparé son droit. Cette interprétation est néanmoins difficile à prouver. L’expression ġalaba ʿalā ḥaqqi-hi semble en effet faire simplement référence au processus par lequel un débiteur s’est approprié la somme prêtée par le demandeur, comme en témoignent les deux extraits suivants :
[1] Venons-en au sujet de cette lettre. Marqus b. [Ǧurayǧ] m’a informé qu’il réclamait à un paysan (nabaṭī) de ta kūra [la somme de] vingt-trois dinars et un tiers de dinar. Il prétend que le paysan est mort, et qu’un [autre] paysan de son village a pris son argent [i.e. l’argent du paysan mort161 ?] et qu’il s’est emparé de son droit162…
[2] Venons-en au sujet de cette lettre. Marqus b. Ǧurayǧ m’a informé qu’un paysan de ta kūra lui doit dix dinars et demi, et il prétend qu’il s’est emparé de son droit163…
63Dans le premier extrait, l’adversaire du plaignant a d’abord accaparé l’argent du débiteur décédé (peut-être sous forme d’héritage) puis, dans un second temps, s’est emparé de la somme due au demandeur (c’est-à-dire qu’il a refusé de lui rendre ce qui aurait dû lui revenir). Tout comme dans le second extrait, ġalaba ʿalā ḥaqqi-hi, plutôt qu’évoquer une condamnation antérieure, renvoie au simple fait que le débiteur refuse de rembourser sa dette. L’expression insisterait, de manière emphatique, sur l’injustice dont serait victime le demandeur, « vaincu » par son adversaire164.
64La justesse de cette interprétation semble confirmée par le fait que ġalaba ʿalā ḥaqqi-hi n’est employé que pour des affaires de dettes. En matière d’usurpation, l’injustice dont le demandeur se prétend victime est exprimée avec la même emphase, mais à l’aide d’une autre expression, ẓulman bi-ġayri ḥaqq :
[3] Quelqu’un [est venu] et m’a informé que [Mīnā, le chef de son village, lui a pris telle somme (inférieure à 10) en] dinars (dan[ā] nīr) de manière injuste et sans en avoir le droit (ẓulman bi-ġayri [ḥaqq])165.
[4] Dāwūd b. Baddās m’a informé [que le māzūt] de son village s’est installé dans sa maison avec des membres de sa famille et des affaires à lui, de manière injuste [et sans en avoir le droit] (ẓulman [bi-ġayri ḥa] qq)166.
65Cette expression qualifie l’acte du défendeur, et ne peut en aucun cas faire allusion au résultat d’un procès antérieur. On comprendrait mal pourquoi un procès, menant à la défaite du demandeur, aurait eu lieu avant la présentation de la plainte au gouverneur en cas de dette, mais non en cas d’usurpation. À ce stade, il vaut donc mieux mettre de côté l’idée qu’un procès a déjà eu lieu : le gouverneur de Fusṭāṭ n’est a priori pas saisi comme institution d’appel contre un jugement. Si cette interprétation est exacte, il y a bien « appel » (dans un sens non judiciaire) au gouverneur, mais cet appel ferait partie d’une procédure de première instance.
• L’objet de la lettre : la production de la preuve
66Il reste donc à examiner le rôle du gouverneur dans ces litiges. Sollicité par un demandeur, Qurra b. Šarīk écrit au pagarque, lui donnant toujours le même type de recommandation. Selon ses lettres, il revient au pagarque d’instruire le procès. Parfois, il se voit explicitement demander de convoquer ensemble le demandeur et son adversaire (litt. « réunis le [demandeur] et son compère », iǧmaʿ bayna-hu wa-bayna ṣāḥibi-hi) pour examiner leur litige167. Mais le thème le plus récurrent de ces lettres concerne la preuve : le demandeur devra produire devant le pagarque la preuve (bayyina) que sa revendication est fondée. Bien qu’elle soit loin d’être toujours précisée168, la place de cette preuve dans la procédure semble variable. Dans certains papyrus, l’établissement de la vérité (ḥaqq) par le biais de la preuve est prévu au cours de la confrontation entre le demandeur et son adversaire :
Dāwūd b. Baddās m’a informé [que le māzūt] de son village s’est installé dans sa maison avec des membres de sa famille et des affaires à lui, de manière injuste [et sans en avoir le droit]. Lorsque cette lettre te parviendra, réunis-les. Si ce dont [Dāwūd b. Baddās] m’a informé est vrai (ḥaqqan), fais rendre [à son adversaire] ce qu’il lui doit169.
67La procédure correspond ici à celle que l’on retrouvera plus tard dans le fiqh classique : la confrontation des plaideurs devant le juge précède l’exposition des preuves170. En d’autres endroits, néanmoins, la production de la preuve semble précéder la réunion des parties :
Venons-en au sujet de cette lettre. Yuḥannis b. Šanūda m’a informé qu’Anbā Ṣalm171, de sa kūra, a envers lui une dette de dix-huit dinars et qu’il s’est emparé de son droit. Si ce dont il m’a informé est vrai (ḥaqqan) et qu’il en produit la preuve (bayyina), convoque-le en même temps que son adversaire et fais rendre à ce dernier ce qu’il lui doit172.
68Dans ce type d’instruction, le pagarque semble recevoir en premier le demandeur qui, en l’absence de son adversaire, présente sa preuve. Dans un second temps seulement, une fois les prétentions du demandeur établies, le défendeur est convoqué et condamné.
69Deux hypothèses peuvent être formulées quant à la portée de ces instructions :
Si l’on admet que le gouverneur (ou son administration) envoie au pagarque des instructions que celui-ci doit respecter à la lettre, il faut supposer que la procédure à suivre est décrite de manière précise et que l’ordre des phrases correspond à plusieurs étapes successives. Il apparaît alors qu’en certains cas, la production de la preuve par le demandeur précède sa confrontation au défendeur, voire la conditionne : si le demandeur se montre dans l’incapacité de prouver son préjudice devant le pagarque, celui-ci ne convoque pas son adversaire. En d’autres cas, le pagarque est prié de convoquer les deux parties, et c’est au cours de cette confrontation que le demandeur expose sa preuve. Le nombre de papyrus judiciaires est trop réduit pour pousser l’analyse plus avant. La procédure change-telle selon l’objet du litige ? En fonction de l’identité des plaideurs (en particulier celle du défendeur) ? Seule la découverte et la publication de nouveaux papyrus judiciaires permettraient d’apporter une réponse à ces questions. Tout au plus peut-on constater une certaine fluidité de la procédure, qui ne fait pas encore de la réunion des parties devant le juge le préalable nécessaire à l’exposition des preuves comme dans le fiqh classique173. Il est possible que les lettres du gouverneur aient eu pour objet, dans certains cas, de préciser au pagarque le cours de la procédure à suivre.
Dans la mesure où l’ordre comparution → preuve, ou preuve → comparution est loin d’être toujours signalé dans les lettres de Qurra b. Šarīk, il est possible que l’ordre des phrases n’entende pas signifier au pagarque l’application d’une procédure aux étapes strictement définies. Il convient alors de chercher ailleurs l’objet principal de la lettre.
70La procédure la plus récurrente dans les missives judiciaires aux pagarques concerne la production de la preuve, la bayyina (pl. bayyināt). Ce terme apparaît à 71 reprises dans le Coran – 19 fois au singulier, 52 fois au pluriel174. Il désigne, à chaque fois, la « preuve manifeste175 », la « preuve irréfutable176 », ou encore la « Preuve177 » par excellence : celle que Dieu apporte aux hommes de Son existence et de la véracité du message transmis par Ses prophètes178, notamment la preuve scripturaire que constituent le Coran et ses versets. Bayyina en vint à signifier, dans le fiqh préclassique et classique, le principal mode de preuve judiciaire : la preuve testimoniale, constituée de la déposition de deux témoins honorables (ou quatre en cas d’accusation de fornication)179. Si le double témoignage est aussi évoqué dans le Coran180, à aucun endroit le témoignage judiciaire n’y est appelé bayyina. À l’époque prophétique, ce terme semble dénoter la « preuve » sans que celle-ci ne se restreigne à une procédure spécifique181.
71Entre la composition du Coran (ou sa recension), vers le milieu du viie siècle, et l’apparition des premiers ouvrages de fiqh qui nous sont parvenus, un siècle plus tard, s’est donc opérée une transformation terminologique, le mot bayyina acquérant quelque part au cours de ce siècle le sens de « double témoignage honorable ayant force probatoire ». Les lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk, rédigées au milieu de cette période, ne précisent pas le sens que le gouverneur attache à ce terme. Elles invitent juste le demandeur à « présenter la preuve de [sa revendication] » (aqāma l-bayyina ʿalā mā aḫbara-nī/aqāma ʿalā ḏālika l-bayyina). Le gouverneur entendait-il déjà, par-là, un double témoignage honorable ? Ou, comme dans le Coran, s’agissait-il de produire une « preuve irréfutable », quelle qu’en soit la nature ?
72Il est sans doute impossible d’apporter une réponse tranchée à cette question182. Les indices fournis par les papyrus sont trop sommaires, et les sources littéraires, tardives, ne permettent pas de déduire ce qu’un gouverneur musulman pouvait attendre d’un pagarque chrétien. Plusieurs remarques s’imposent néanmoins :
Les plus anciens actes privés sur papyrus suggèrent que le témoignage était considéré comme un mode de preuve important à l’époque de Qurra. Pour s’en tenir à la documentation en arabe, des reconnaissances de dettes remontant à 42/662-663 et 44/664 sont attestées par deux témoins chacune183. Les contrats, les reconnaissances de dettes et les quittances connus pour la fin du viie et le début du viiie siècle se concluent par la mention d’un nombre plus élevé de témoins – quatre en général, comme nous le verrons en détail184. Selon toute vraisemblance, ces attestations anticipaient un éventuel litige devant une institution judiciaire où le témoignage avait valeur de preuve. Le nombre de quatre témoins était sans doute jugé suffisant pour qu’au moins deux puissent se présenter au tribunal et confirmer leur témoignage par une déposition orale185. Mais on ne peut exclure que les documents eux-mêmes aient été acceptés comme preuves, les attestations écrites des témoins pouvant avoir été jugées suffisantes. Dans certains cas, l’un des témoins est l’auteur de la quittance, qui « témoigne contre lui-même » (šahida ʿalā nafsi-hi)186 : en cas de contestation, cette déclaration par l’une des parties devait pouvoir être utilisée contre lui, tel un aveu187.
Les lettres de Qurra b. Šarīk portent la première attestation de l’utilisation judiciaire du terme bayyina. Quel qu’en soit ici le sens, sa récurrence dans les lettres du gouverneur laisse penser que la terminologie « classique » de la procédure judiciaire était en voie de fixation en Égypte au début du viiie siècle, notamment le vocabulaire de la preuve.
Le terme bayyina participe d’une rhétorique coranique. Nulle attestation épigraphique ou poétique ne permet de prouver un tel usage terminologique avant l’Islam188. Le terme apparaît bien dans la « constitution » de Médine pour désigner la preuve devant être produite en cas d’accusation de meurtre189, et il est possible que cet usage se soit répandu dès les débuts de l’Islam. Même en admettant qu’il put être utilisé avant l’Islam, le grand nombre d’occurrences de ce mot dans le Coran lui confère une connotation coranique. D’autres mots auraient en effet pu être utilisés pour désigner la « preuve » : ḥuǧǧa, dalīl, ou encore burhān190. Également présents dans le Coran (quatre occurrences de ḥuǧǧa, une de dalīl et huit de burhān191), ces termes sont toutefois moins fréquents et connotent des formes de preuves inférieures, liées à la raison humaine, parfois de simples arguments susceptibles d’être réfutés192. En choisissant le terme bayyina, massivement présent dans le Coran et religieusement plus connoté que ses synonymes, le gouverneur inscrit sans doute la procédure judiciaire dans un cadre référentiel coranique193.
De cette troisième remarque découle une quatrième, sous forme d’hypothèse. Compte tenu de la centralité du mot bayyina dans les lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk, de son apparition quasi systématique et de sa connotation, il faut se demander si la production de la preuve n’est pas une des raisons essentielles de la rédaction de ces missives. Le gouverneur de Fusṭāṭ réclamerait aux pagarques la mise en œuvre d’une procédure intégrant un certain mode de preuve, la bayyina – peut-être, déjà, une preuve testimoniale reposant sur un nombre défini de témoins.
73Les lettres de Qurra b. Šarīk ne se contentent pas d’ordonner aux pagarques la comparution des parties et l’utilisation d’une procédure incluant la bayyina. Le gouverneur donne aussi des instructions relatives au verdict. Si le demandeur parvient, par le biais de la bayyina, à prouver ses prétentions, le pagarque devra condamner le défendeur à rendre ce qu’il doit au demandeur. Cette condamnation pourrait sembler découler naturellement de ce qui précède. En réalité, une telle instruction est peut-être plus signifiante qu’elle n’en a l’air. Elle signifie, en premier lieu, que le jugement du pagarque doit résulter de la production de la bayyina : ce mode de preuve, prescrit par le gouverneur, devient par là même contraignant, le pagarque devant s’y conformer. En second lieu, tout se passe comme si le gouverneur édictait lui-même un jugement conditionnel : n’ayant pas reçu les parties, ni constaté l’existence d’une preuve, il ne peut se faire juge194. Son verdict n’en demeure pas moins dicté au pagarque.
74La revendication d’une telle autorité judiciaire transparaît jusque dans la dernière phrase de plusieurs lettres judiciaires, juste avant les salutations finales. Si le demandeur ne parvient pas à prouver ses allégations, dit le gouverneur, le pagarque doit l’en informer par écrit (illā an yakūna ša’nu-hu ġayra ḏālika fa-taktubu ilayya bi-hi195). On pourrait croire, au premier regard, que Qurra b. Šarīk demande juste à être tenu au courant des suites de l’affaire196. Il n’en est rien cependant. Une telle phrase prend tout son sens dans la construction binaire qui préside aux instructions du gouverneur : si le demandeur produit une bayyina, le pagarque doit prononcer tel jugement ; si, au contraire, il n’en va pas ainsi (si le demandeur ne prouve pas ses prétentions), le pagarque doit écrire au gouverneur. C’est-à-dire qu’en cas d’absence de preuve de la part du demandeur, le pagarque ne doit pas rendre de jugement, mais se contenter d’en référer au gouverneur. Qu’advient-il dans la suite de ce scénario ? Le gouverneur, instruit par le pagarque, enverra-t-il de nouvelles instructions ? Imposera-t-il un autre mode de preuve (un serment, par exemple, si l’on suppose que la bayyina désigne déjà un double témoignage) ? Déférera-t-il la charge de la preuve au défendeur ? Instruira-t-il le pagarque d’un autre jugement ? Rien, dans la documentation égyptienne, ne permet de répondre à ces questions, et c’est vers une autre province du califat omeyyade qu’il faut se tourner pour mieux comprendre cette étape de la procédure. Nous y reviendrons. Il est en tout cas manifeste que le gouverneur de Fusṭāṭ revendique une large part de l’autorité judiciaire qu’il délègue, au cas par cas, au pagarque.
3.1.3. Conclusions
75Ces différents éléments constituent autant d’indices de la place du gouverneur et de son administration dans une procédure judiciaire que l’on peut qualifier de « provinciale » (i.e. extérieure à Fusṭāṭ). Résumons : des individus vivant loin de la capitale égyptienne saisissaient le gouverneur – par voie épistolaire (pétition) ou lors d’une rencontre directe –, et celui-ci écrivait au pagarque de la kūra du plaignant, l’instruisant principalement de l’identité du demandeur et de l’objet de la plainte, et lui ordonnant de juger l’affaire. Il réclamait l’application d’une procédure incluant, à un stade ou à un autre, la confrontation des parties, ainsi que la production par le demandeur d’une preuve, la bayyina. Si le demandeur apportait sa preuve, le pagarque devait rendre un jugement conforme aux instructions du gouverneur (c’est-à-dire la restitution au demandeur de l’objet du litige197) ; dans le cas contraire, le pagarque devait écrire au gouverneur et, peut-être, attendre de nouvelles instructions.
• Papas versus Qurra : éléments de comparaison
76Les missives judiciaires de Qurra b. Šarīk accusent plusieurs ressemblances avec certaines lettres grecques adressées par l’administration ducale au pagarque Papas, au point que des chercheurs ont tenté d’expliquer les unes par les autres à une époque où le dossier de Papas était supposé contemporain de celui de Qurra198. De fait, les lettres envoyées par l’administration ducale dans « l’affaire du batelier Phêü » reflètent une procédure assez comparable à celles suivies sous Qurra b. Šarīk : un demandeur se présentant devant une autorité supérieure (le topotérète), une lettre de ce dernier au pagarque lui demandant d’instruire le procès, certaines formules parallèles (« quand tu auras reçu cette lettre »). On peut ainsi supposer que les lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk prolongent une tradition déjà présente, à l’époque sufyānide, dans la documentation grecque.
77Au-delà de ces points communs, la correspondance de Qurra b. Šarīk témoigne d’importantes évolutions de la procédure199. En premier lieu, l’instance devant laquelle sont portées les affaires n’est plus l’administration ducale, à l’échelon du duché, mais celle du gouverneur de Fusṭāṭ, au niveau de la province. Tout se passe comme si le rôle judiciaire du duc s’était entre-temps effacé : est-ce en raison de l’efficacité déclinante de l’autorité ducale, dont on pouvait déjà apercevoir les signes du temps de Papas ? Les plaideurs préféraient-ils désormais recourir à une autorité supérieure, présumée plus efficace ? Plus généralement, le duc de Thébaïde disparaît de la documentation papyrologique au début du viiie siècle, ce qui permet en négatif de voir se dessiner une réforme administrative de grande ampleur et un renforcement de la centralisation autour de Fusṭāṭ200.
78En second lieu, les lettres judiciaires de Qurra apparaissent comme plus standardisées que celles de l’administration ducale à l’époque antérieure, ce qui suggère que le recours à sa justice était plus systématique et normalisé. En troisième lieu, les lettres de Qurra donnent une place centrale à un élément pratiquement absent de celles de l’administration ducale : la preuve. Le terme bayyina, presque toujours mentionné par Qurra b. Šarīk, constitue, comme nous l’avons vu, à la fois un marqueur symbolique (par sa connotation coranique) et une instruction pragmatique (bien que floue) quant à la procédure à suivre. Dans le dossier de Papas, les preuves ne sont que rarement évoquées, et quand elles le sont, l’expéditeur ne mentionne pas ce que le juge destinataire est supposé en faire : ainsi dans P. Apoll. 24, Théodoros affirme que « le créancier a, dit-il, des témoins qui savent que le défunt lui doit les deux solidi susmentionnés » ; mais il s’exprime dans le cadre d’une argumentation en faveur du plaignant, sans inciter Papas à entendre ces témoins. L’introduction de ce nouvel élément dans la correspondance de Qurra b. Šarīk témoigne d’un renforcement structurel de la procédure, au centre de laquelle le gouverneur musulman situe désormais la preuve.
• La nouvelle place du gouverneur
79À bien des égards, le gouverneur de Fusṭāṭ revendique la place nouvelle qu’il occupe dans l’appareil judiciaire égyptien. Qurra b. Šarīk s’érige en garant du respect de la justice, ce dont la formule récurrente fa-lā yuẓlamanna ʿinda-ka (« et qu’il [le demandeur] ne soit pas traité injustement devant toi201 ») est la plus significative. Mais son rôle n’est pas seulement symbolique : le gouverneur impose le respect de procédures qui, par le vocabulaire coranique qui les désigne, sont identifiables comme « islamiques ». De surcroît, le gouverneur dicte son jugement au pagarque ou, pour le moins, se présente comme l’autorité judiciaire de référence. En ce début de viiie siècle, la justice en Haute-Égypte est toujours celle de pagarques chrétiens ; les lettres de Qurra b. Šarīk contribuent néanmoins à l’intégrer dans un cadre islamique202.
80Peut-être l’emploi de l’arabe dans ces lettres judiciaires doit-il être compris dans ce cadre symbolique. Lors de communications officielles par écrit, le choix d’une langue n’est jamais spontané ni anodin, comme le souligne Sebastian Richter à propos du dossier de Qurra203. L’arabisation de l’administration omeyyade date, on le sait, des réformes entreprises par le calife ʿAbd al-Malik b. Marwān et son fils al-Walīd b. ʿAbd al-Malik, à la fin du viie et au début du viiie siècle. Malgré ces réformes, nombre de lettres de Qurra b. Šarīk continuaient d’être en grec ; tous ses rescrits judiciaires sont néanmoins en arabe. La théorie qui prévaut depuis Bell est que le gouverneur envoyait généralement ses lettres en double – un exemplaire en grec et un autre en arabe204. Néanmoins, comme le remarque Richter, le dossier de Qurra ne recèlerait aucune paire de documents205 et cette explication demeure hypothétique. Les seuls textes envoyés dans deux langues sont des entagia bilingues – demandes d’impôts envoyées aux habitants –, dans lesquels les textes arabe et grec figurent sur le même papyrus206. L’hypothèse de Bell est soutenue par le fait que certains types de lettres existent à la fois en grec et en arabe. En revanche, les « rescrits » judiciaires de Qurra b. Šarīk ne nous sont parvenus qu’en arabe. La seule lettre en grec que d’aucuns classent dans la catégorie des « instructions judiciaires », le papyrus P. Lond. IV 1356, n’est pas un rescrit concernant un litige particulier. Il s’agit simplement d’une lettre d’admonestation, incitant le pagarque et ses agents à se montrer justes207. Comment expliquer ce phénomène ? L’acheminement des rescrits judiciaires, nous le verrons bientôt, reste mal connu : on ne sait s’ils étaient portés aux pagarques par les agents de la poste officielle (barīd), par des réseaux de transporteurs privés ou par les demandeurs eux-mêmes208. Dans cette dernière hypothèse, peut-on penser qu’une copie en grec demeurait en possession du plaideur ? Que seuls les exemplaires arabes furent archivés par l’administration du pagarque ? Une telle explication demeure très spéculative et l’on peut se demander si, à la différence d’autres types de documents, les rescrits judiciaires n’étaient pas uniquement rédigés en arabe.
81Dans cette dernière hypothèse, le recours à l’arabe relèverait d’un choix délibéré – un choix surprenant puisqu’on peut supposer que les destinataires auraient mieux compris la substance de ces instructions si elles avaient été rédigées en grec. En réalité, l’arabe n’était pas forcément un obstacle à la compréhension de ces lettres par les pagarques : leur caractère standardisé laissait peu d’incertitudes sur leur contenu une fois le destinataire habitué à recevoir ce genre de missive. Les circonstances de réception et l’apparence formelle de la lettre devaient jouer autant que le message lui-même : quand un demandeur se présentait muni d’une telle lettre, la démarche à suivre faisait peu de doutes. On sait par ailleurs que le pagarque Basile disposait de scribes arabes dans son administration209, auxquels il pouvait recourir si le besoin s’en faisait sentir. Vu sous cet angle, l’emploi de l’arabe peut apparaître comme une affirmation symbolique d’autorité210, dans une province où le gouverneur s’imposait de manière croissante comme le représentant d’un pouvoir islamique et arabe incontournable. Sous les Marwānides, l’arabe parvint à détrôner le grec en tant que langue de prestige lié à l’autorité – prestige que le grec conservait encore à l’époque sufyānide211. L’usage d’un lexique et d’une rhétorique coraniques dans ces rescrits judiciaires participaient de ce même discours. La justice était désormais placée sous le sceau de l’islam. Ce message aurait-il été compris s’il avait été rédigé en grec ? Peut-être le recours à la langue du Coran fut-il considéré par le gouverneur comme le seul moyen d’affirmer qu’en matière de justice au moins, l’autorité était bien islamique.
• La procédure : hypothèses
82Il reste à déterminer plus précisément le contexte judiciaire dans lequel le gouverneur Qurra b. Šarīk fut saisi par des plaideurs chrétiens. Faut-il penser que ces derniers ne s’étaient pas adressés, auparavant, au pagarque de leur kūra ? Ou, comme c’était vraisemblablement le cas à l’époque sufyānide, qu’ils recouraient au gouverneur de manière exceptionnelle, lorsque des blocages institutionnels se faisaient sentir au niveau de la pagarchie ? Trois scénarios sont envisageables : 1) Le demandeur s’est adressé au pagarque, qui a rendu un verdict, mais celuici n’a pas convenu au plaideur et ce dernier s’est ensuite adressé au gouverneur. De tels appels contre la décision d’un juge local étaient monnaie courante dans l’Égypte byzantine212, et c’est ainsi que Nabia Abbott interprète la procédure dans les papyrus judiciaires de Qurra b. Šarīk qu’elle a étudiés213. Cette hypothèse, qui fait du recours au gouverneur de Fusṭāṭ un véritable appel contre le jugement d’un pagarque, entre en contradiction avec nos conclusions précédentes (voir supra). Envisageons toutefois que les indices relevés plus haut n’apportent pas la preuve absolue qu’aucun procès n’a déjà eu lieu devant le pagarque, et qu’il y a bien eu appel au gouverneur. Ce dernier, nous l’avons vu, ne peut en aucun cas être considéré comme présidant un procès en appel, puisqu’il ne reçoit pas le défendeur ni n’examine les preuves du demandeur, et qu’il ordonne au pagarque d’instruire un procès et de rendre un jugement. Les lettres de Qurra b. Šarīk ne mentionnent pas non plus d’injustice commise par le pagarque, ni de jugement que le gouverneur aurait cassé. Sur quoi l’appel porterait-il donc ? La centralité de la bayyina dans les lettres judiciaires offre une piste : ne peut-on envisager que le demandeur se soit plaint au gouverneur de la procédure mise en œuvre par le pagarque – et notamment du mode de preuve accepté par celui-ci ? On comprendrait alors que le gouverneur ordonne au pagarque de s’appuyer sur une preuve spécifique, la bayyina. Cette explication, la seule à supporter l’hypothèse d’un appel contre un verdict du pagarque, ne rend néanmoins pas compte des quelques papyrus où le terme bayyina n’apparaît pas214. Il semble donc, à nouveau, que le scénario d’un appel contre un jugement préalable ne tienne pas.
832) Le demandeur s’est adressé au pagarque, juge compétent sur sa kūra, mais celui-ci n’a pas donné suite, obligeant le demandeur à en appeler directement au gouverneur. Il y aurait, en ce cas, recours à une instance supérieure face à une forme d’abus de pouvoir : telle est l’interprétation que Steinwenter privilégie quant à lui215. Cependant les lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk n’évoquent nulle part le déni, par le pagarque, d’une plainte qui lui aurait auparavant été soumise. Une lettre grecque de Qurra à Basile vient bien lui reprocher son manque d’écoute de la population et l’enjoindre à plus de justice216. Selon Ǧ. Abū Ṣafya, la pratique judiciaire du pagarque serait visée : il ne jugerait pas les litiges qui lui sont soumis par sa population217. Cette interprétation semble néanmoins contestable, car le papyrus en question concerne avant tout la fiscalité et les exactions commises par les percepteurs aux ordres du pagarque. Si Qurra b. Šarīk incite Basile à plus de « justice », et s’il l’encourage à être plus présent qu’il ne l’est pour recevoir les plaintes de ses administrés, il s’agit là de justice fiscale, et non point du traitement de litiges entre particuliers. Des appels au duc de Thébaïde – voire à l’empereur – contre les exactions du pagarque d’Aphroditō ou de son personnel sont connus pour le vie siècle218, et le dossier de Papas suggère que la justice du duc pouvait encore être sollicitée à la fin du viie siècle si le demandeur craignait la partialité du pagarque (voir supra). Sous Qurra b. Šarīk, néanmoins, aucun indice sérieux ne permet d’établir que de tels appels au gouverneur étaient suscités par un déni de justice. Par ailleurs, le style standardisé de ces lettres, comme leur fréquence (les missives judiciaires de Qurra b. Šarīk s’échelonnant sur un peu plus d’une année seulement), ne permet pas de conclure à des abus ponctuels, mais oblige au contraire à envisager une procédure normale et régulière.
843) Le demandeur ne s’est pas encore adressé au pagarque, ou s’il l’a fait, celuici l’a aussitôt renvoyé vers le gouverneur de Fusṭāṭ. Dans ces deux hypothèses – qui n’en font qu’une en réalité –, nous aurions affaire à une action de première instance219. La procédure voudrait ainsi qu’en certains cas, un plaideur éloigné de Fusṭāṭ soumette son cas au gouverneur (ou à son administration), et que celui-ci transmette l’affaire au pagarque dans une lettre indiquant la procédure à suivre ainsi qu’un jugement conditionnel. Cette lettre serait le préalable à l’examen direct du litige par le pagarque. Cette hypothèse, qui semble la plus vraisemblable, laisse penser que l’autorité dont le gouverneur égyptien se prévalait dans ses lettres était inscrite dans la hiérarchie administrative. Bien que juge au niveau de sa kūra, le pagarque ne pouvait instruire certains procès sans l’autorisation écrite et les instructions du gouverneur de Fusṭāṭ. Les sommes élevées apparaissant dans les litiges documentés laissent à penser que les affaires relatives à des montants importants devaient passer par le bureau du gouverneur et ne pouvaient être instruites qu’avec son autorisation et ses instructions : la « haute justice » dont le duc semblait investi à l’époque antérieure serait ainsi passée sous l’autorité du gouverneur, lequel toutefois n’aurait pas tranché lui-même les cas soumis mais les aurait déférés au pagarque.
85Il est impossible de ne pas établir de parallèle entre ce dernier scénario et certaines procédures courantes dans l’Empire byzantin de l’Antiquité tardive. Dès le ive siècle ap. J.-C., les juges locaux ne pouvaient juger que les litiges mettant en jeu de faibles sommes, les cas les plus importants devant être transmis au gouverneur220. Constantin Zuckerman relève par ailleurs l’usage répandu d’une procédure par rescrit dans l’Égypte du vie siècle. Un demandeur adressait à l’empereur, en première instance, une pétition lui exposant son cas ; l’empereur (ou plutôt son administration) envoyait en retour un rescrit au duc de Thébaïde dans lequel il lui ordonnait d’instruire la plainte et de rendre justice au plaideur. « [L] es rescrits impériaux n’ont donc force exécutoire qu’après un procès mené par le duc en bonne et due forme, en présence des deux parties, et après le contrôle des faits cités par l’empereur uniquement sur la foi du plaignant221. » D’autres historiens constatent le développement, à partir du ve siècle ap. J.-C., de la procédure judiciaire par libelle222, dans laquelle un demandeur s’adressait au bureau du gouverneur par voie de pétition, y décrivant son adversaire ainsi que l’objet du litige. Le rescrit envoyé en retour ne jugeait pas si les accusations étaient justifiées, mais exposait la règle correspondant aux faits tels qu’ils étaient soumis, et autorisait la présentation de l’affaire devant un juge chargé de découvrir la vérité223. Le rescrit pouvait être envoyé au demandeur ou à l’officier local ayant juridiction sur ce type de litige224.
86La ressemblance entre les procédures par rescrit ou par libelle de l’Égypte byzantine et le système judiciaire qui transparaît tant dans les archives de Papas que dans les lettres de Qurra b. Šarīk est frappante. On serait ainsi tenté d’en déduire que la justice égyptienne, dans la seconde moitié du viie et au début du viiie siècle, conservait les principales caractéristiques de la procédure romanobyzantine tardive. Tout se passe comme si le libelle, autrefois porté à Constantinople, puis de plus en plus souvent aux ducs – et aux gouverneurs civils (praesides) qui dirigeaient une province comme l’Augustamnique à la fin de l’époque byzantine225 –, était toujours en usage en Haute-Égypte au début de la période islamique226. Sous les Sufyānides, le duc de Thébaïde ou son topotérète continuaient d’être saisis par des plaideurs et d’envoyer leurs instructions aux juges locaux. Au début du viiie siècle, une procédure comparable était mise en œuvre au niveau de l’autorité provinciale, le gouverneur de Fusṭāṭ envoyant aux pagarques des rescrits dans lesquels il leur indiquait les procédures à suivre et formulait des jugements conditionnels. On peut ainsi penser que la procédure par rescrit se perpétua dans l’Égypte islamique : dans les premières décennies qui suivirent la conquête, la disparition de l’autorité centrale byzantine aurait conduit à un recentrement de la procédure autour de la personne du duc, plus haute instance chrétienne de la nouvelle province, perpétuant (ou renforçant ?) ainsi son autorité judiciaire. Dans un second temps, l’affermissement du pouvoir provincial, peut-être doublé d’une désaffection des populations coptes vis-à-vis de l’autorité ducale, aurait abouti à l’époque marwānide au transfert de la procédure auprès du gouverneur et de son administration.
87Rien ne permet de savoir si la procédure que l’on voit fonctionner dans la correspondance de Qurra b. Šarīk était systématiquement suivie, ni si tout procès devait être initié par l’envoi préalable d’une pétition au gouverneur. Il est probable que, comme à l’époque sufyānide, les habitants d’Išqūh pouvaient aussi saisir directement leur pagarque, même si nous n’en conservons pas de trace. Le montant élevé des objets en litige suggère, comme nous l’avons vu, que les conflits portant sur une forte somme étaient les principaux à suivre cette procédure, les procès relatifs à des objets de valeur inférieure étant sans doute traités par les pagarques sans soumission préalable au gouverneur227.
88Bien qu’un émir tel Qurra b. Šarīk ait revendiqué une autorité judiciaire supérieure, il reste difficile de savoir si les gouverneurs marwānides accaparèrent volontairement la procédure par rescrit. Il est possible que la population chrétienne, face à un pouvoir musulman qui se renforçait – tandis que déclinaient d’autres institutions traditionnelles comme celle du duc –, ait conservé l’habitude d’adresser des pétitions au gouverneur, considérant que certains procès seraient ainsi instruits plus sérieusement par le pagarque228. Face à l’arrivée ininterrompue de pétitions, les gouverneurs de Fusṭāṭ n’auraient eu d’autre solution que d’y répondre et de constituer un bureau spécialisé dans leur traitement. Ils purent, par ce biais, établir une forme de contrôle sur la justice des communautés non musulmanes de leur province, et promouvoir l’application de procédures « islamiques ».
3.2. L’administration judiciaire en Palestine : l’exemple de Ḫirbet el-Mird
89Selon la datation proposée par Adolf Grohmann, les rares papyrus judiciaires de Palestine nous ramènent quelques années en arrière, vers la fin du viie siècle de notre ère, à Ḫirbet el-Mird. Bien que la datation de ces papyrus soit problématique, un terminus post quem peut être proposé. Un autre corpus palestiniens, celui de Nessana, comprend des documents s’échelonnant jusqu’en 70/689229. La grande majorité des papyrus datant de l’époque islamique y est rédigée en grec ; l’arabe est présent, mais surtout dans une poignée de textes bilingues – le corpus ne contenant que de rares documents rédigés exclusivement en arabe230. Comme le souligne Rachel Stroumsa, les papyrus de Nessana reflètent une étape antérieure à l’arabisation lancée dans les années 690 par le calife ʿAbd al-Malik b. Marwān231. De son côté, le corpus de Ḫirbet el-Mird (à environ 125 km au nord-est de Nessana) contient, outre quelques fragments grecs et syriaques, une grande majorité de papyrus arabes232. Le choix du grec ou de l’arabe, remarque Stroumsa, dépend moins de la langue d’expression quotidienne des scribes que du prestige associé à l’une des deux langues ; c’est pourquoi les populations de Nessana, qui parlaient manifestement un dialecte arabe, continuaient à écrire en grec à une époque où celui-ci demeurait la langue des écrits officiels233. Même en admettant que la population de Ḫirbet el-Mird ait été plus arabisée (et islamisée) que celle de Nessana, un tel facteur ne suffit donc pas à expliquer la prédominance de l’arabe dans le corpus de Ḫirbet el-Mird. Aussi peut-on penser que les papyrus arabes les plus anciens de ce corpus ne remontent pas plus haut que l’extrême fin du viie siècle (années 690), à une époque où les réformes affectant l’administration marwānide contribuèrent à ériger l’arabe en langue de prestige. Si les documents judiciaires de ce corpus semblent plus anciens que les papyrus de Qurra b. Šarīk – comme certains éléments onomastiques tendent aussi à le laisser penser (voir infra) –, ils semblent donc postérieurs d’une vingtaine d’années au moins au dossier de Papas, et reflètent sans doute le fonctionnement de la justice en Palestine au début de l’époque marwānide.
90Le contexte géographique et social de ces papyrus diffère à bien des égards de la Haute-Égypte de Qurra b. Šarīk. Toutefois, le système judiciaire qui transparaît dans les documents de Ḫirbet el-Mird y est comparable, comme nous allons le voir. Non seulement les procédures suivies dans les deux provinces sont assez ressemblantes, mais certains cas de Ḫirbet el-Mird viennent compléter le puzzle de nos connaissances fragmentaires sur la Haute-Égypte.
3.2.1. Deux rescrits judiciaires : P. Mird 19 et 20
91Le premier papyrus qui doit retenir notre attention, P. Mird 19, est interprété par Grohmann comme un ordre d’enquête à propos d’un vol de bijoux234. Werner Diem propose néanmoins que la missive ne concerne point une « parure » (zayn), mais de l’huile (zayt)235. Il faut revoir l’hypothèse de Grohmann quant à la nature du document. La lettre, dont l’auteur est inconnu, est adressée à un certain Qays b. Ǧarm (ou Ḥazm, ou Ḫurram). L’émetteur indique que quelqu’un s’est emparé d’huile236 avant de poursuivre :
Examine donc [l’affaire] (fa-nẓur) ; s’il a pris cette huile [ ]237 …
Examine donc ce qu’il a mentionné devant moi (ḏakara lī), puis rends
lui (ḫuḏ la-hu)ce que …
… justice. Si [en revanche] il nie (ankara), tu…
[ ] leur affaire conformément à son droit et à sa franchise, si Dieu
le veut.
92Le caractère fragmentaire de ce papyrus n’autorise pas de conclusion définitive. Selon toute vraisemblance, un homme de pouvoir (peut-être un gouverneur ou sous-gouverneur de Palestine) écrit à un subordonné pour l’informer d’un litige dont il a été saisi par un plaignant. Le destinataire doit instruire l’affaire, et soit rendre l’huile à son propriétaire légitime, soit faire autre chose (dont la lettre n’a pas conservé trace). L’hypothèse d’un objet précieux a suggéré à Grohmann qu’il s’agissait d’un vol, bien que le terme lui-même n’apparaisse pas dans ces lignes, et cette piste a orienté son interprétation du papyrus, lui laissant croire qu’il s’agissait d’un ordre d’enquête. Il est néanmoins plus vraisemblable, compte tenu de l’analyse que nous venons d’ébaucher, que la procédure évoquée soit de type accusatoire (un demandeur accusant un défendeur), et non inquisitoriale (il n’y a pas plainte contre X, et visiblement pas d’enquête).
93Cette missive peut être rapprochée des rescrits judiciaires de Qurra b. Šarīk et, dans une moindre mesure, de certaines lettres du dossier de Papas : une autorité est saisie par un demandeur – qui accuse son adversaire d’avoir « pris » de l’huile ; ladite autorité écrit à un juge inférieur, nommé Qays b. Ǧarm, pour le saisir de l’affaire. Ce dernier se voit ordonner d’examiner la plainte, peut-être de recevoir des preuves – un morceau de papyrus semble manquer à cet endroit –, et de rendre un jugement en faveur du demandeur si ses preuves sont recevables. Dans le cas contraire238, le juge se voit ordonner quelque chose, soit de prononcer un autre jugement, soit, peut-être, d’écrire à son supérieur. Malgré l’absence du terme bayyina, le vocabulaire employé (unẓur) tout comme la structure de la lettre rappellent fortement les missives de Qurra b. Šarīk à ses pagarques. La terminologie de P. Mird 19 accuse aussi des différences avec celle employée à Fusṭāṭ – qui est pour sa part très standardisée : « il a mentionné devant moi » (ḏakara lī) se distingue des « il m’a informé » (aḫbara-nī) de Qurra ; « rends-lui » (ḫuḏ la-hu) n’est pas son « assure-toi qu’il rende ce qu’il lui doit » (istaḫriǧ ḥaqqa-hu). Le champ sémantique demeure toutefois le même. Tout se passe comme si, à partir de procédures comparables, l’administration des deux provinces avait développé des usages rédactionnels légèrement différents.
94Cet exemple palestinien suggère que l’appel au gouverneur de la province par le biais de pétitions était également mis en œuvre dans le ǧund de Filasṭīn à la fin du viie ou au début du viiie siècle. L’apparition de cette procédure (ou d’une procédure très proche) en Palestine, territoire ayant auparavant appartenu à l’Empire romain d’Orient au même titre que l’Égypte, tendrait ainsi à confirmer qu’elle prolonge des usages judiciaires byzantins.
95L’autorité émettrice est-elle ici le gouverneur du ǧund ? Ou un subalterne aux pouvoirs plus restreints (équivalent du duc en Égypte) ? Que la lettre soit écrite en arabe et que le destinataire porte un nom arabe laissent penser qu’il s’agit d’une autorité musulmane, mais on ne peut en être sûr. Le juge destinataire, Qays b. Ǧarm, est-il ce que la tradition appela plus tard un qāḍī239 ? Ou s’agit-il d’une notabilité chrétienne (chef de tribu ou de village se voyant reconnu une autorité judiciaire) ? Si la ressemblance structurelle entre ce papyrus et les lettres de Qurra b. Šarīk est significative, il se pourrait que la missive soit rédigée par un gouverneur musulman à destination d’une autorité locale qui, à la différence de l’Égypte à la même époque, pourrait avoir été musulmane. Les plaideurs pourraient en revanche être chrétiens comme dans la documentation de Haute-Égypte. Selon Grohmann, la dernière ligne du papyrus mentionne en effet un certain « Faṭ[rī] q », demandeur dans l’affaire de l’huile240.
96Un second papyrus très fragmentaire, P. Mird 24, pourrait correspondre à un autre rescrit judiciaire, peut-être relatif à un divorce241. Les quelques bribes qu’il en reste suggèrent que l’auteur donne des instructions concernant un accusé, envisageant deux alternatives selon que ce dernier avoue (in aqarra) ou qu’il nie (in ankara). La dernière ligne de la lettre, si elle est lue correctement, mentionne deux termes relatifs à la preuve, reliés par la conjonction « ou » : la-hum min ḥuǧǧa aw-bayyina. Le terme bayyina, absent de P. Mird 19, apparaît ici, associé à un autre type de preuve présenté comme alternatif, celui de la ḥuǧǧa. La dichotomie entre bayyina et ḥuǧǧa pourrait-elle recouper l’opposition entre oral et écrit, entre témoignage et preuve documentaire ? Rien ne permet de répondre à cette question.
3.2.2. Le chaînon manquant ? P. Mird 18
97Un troisième papyrus de Ḫirbet el-Mird tranche avec la documentation égyptienne par son originalité242.
Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
À Dirʿ b. ʿAbd Allāh, de la part de ʿUmar b. ʿUbayd Allāh. Salut à toi. Je243 rends pour toi louange à Dieu l’unique !
Venons-en au sujet de cette lettre, et que Dieu t’offre Sa meilleure protection dans ce bas monde comme dans l’au-delà. Tu m’as écrit de la part d’Umm Iyās bt. Muʿārik244 qui a mentionné, devant toi, que son mari avait pris son cadeau compensatoire (matāʿ) et sa pension (nafaqa). Je les ai réunis [i.e. la femme et son mari] et j’ai interrogé [le mari] à propos de la plainte de sa femme. Il a avoué (iʿtarafa) concer nant son cadeau nuptial et je le lui ai fait restituer. Il a [en revanche] nié concernant sa pension, et la femme m’a demandé que je les défère devant toi, elle et [son mari]. C’est ce que j’ai fait : je leur ai ordonné de se rendre ensemble devant toi.
Tu m’as [aussi] écrit en m’ordonnant d’exécuter [ ?]…
98L’auteur de cette lettre, ʿUmar b. ʿUbayd Allāh, écrit à Dirʿ b. ʿAbd Allāh, un supérieur hiérarchique – ce que l’on peut déduire du fait que le destinataire lui a « ordonné » quelque chose245. Ce dernier, par chance, n’est pas un total inconnu : Ibn Ḥibbān évoque en effet un certain Abū Ṭalḥa Dirʿ b. ʿAbd Allāh al-Ḫawlānī, Successeur qui, vers la fin du viie siècle, fut « gouverneur de Jérusalem246 ». Regardé comme appartenant aux habitants de Palestine (ahl Filasṭīn), il est aussi considéré comme transmetteur de ḥadīṯ247. Son identification, par Ibn Ḥibbān, à un gouverneur de Jérusalem (Bayt al-Maqdis), est néanmoins à prendre avec précaution. Jérusalem ne fut en effet jamais capitale du ǧund de Palestine et, jusqu’à la fondation d’al-Ramla par Sulaymān b. ʿAbd al-Malik, sous le califat d’al-Walīd Ier (r. 86-96/705-715), Ludd (ancienne Lydda) demeura la capitale administrative de la province (carte 2)248. Aussi le texte d’Ibn Ḥibbān offre-t-il plusieurs interprétations possibles : soit Dirʿ b. ʿAbd Allāh fut gouverneur du ǧund de Filasṭīn dans son entier, auquel cas son administration était plus probablement basée à Ludd, soit il fut sous-gouverneur de Jérusalem et de son district (sa kūra, à laquelle appartenait Ḫirbet el-Mird)249.
99Rapprocher le Dirʿ b. ʿAbd Allāh du papyrus de celui que mentionne Ibn Ḥibbān apparaît comme une hypothèse vraisemblable. En admettant que cette identification soit exacte, le destinataire, un gouverneur ou un sous-gouverneur, a ordonné à l’émetteur – s’agit-il d’un juge ? d’un agent chargé de l’instruction d’un procès pour le compte du (sous) gouverneur ? – d’examiner la plainte d’une femme, Umm Iyās, à l’encontre de son époux (peut-être dans une affaire de divorce, comme le suggère l’apparition du terme matāʿ, cadeau compensatoire en cas de dissolution du mariage250). Comme dans les exemples égyptiens analysés plus haut, la plaignante avait commencé par porter son litige devant le (sous-) gouverneur. Suite aux instructions de ce dernier, ʿUmar b. ʿUbayd Allāh a convoqué les parties et les a entendues. Le mari ayant avoué le bien-fondé d’une des deux accusations, ʿUmar lui a fait restituer l’objet en litige. Face à ses dénégations devant la seconde accusation, et à la demande de la plaignante, l’agent renvoie néanmoins l’affaire devant le gouverneur.
100La procédure évoquée ressemble, à bien des égards, à celle mise en évidence ci-dessus à propos du Ṣaʿīd marwānide : le demandeur s’adresse au (sous-) gouverneur, celui-ci transmet l’affaire par écrit à un agent inférieur ; face à une preuve (ici l’aveu du défendeur), l’agent fait restituer l’objet du litige ; en l’absence de preuve concernant une autre partie du litige, l’affaire est renvoyée devant le (sous-) gouverneur. La principale différence – et c’est là que réside la valeur essentielle de ce papyrus – est que l’on n’a pas affaire ici à une lettre du (sous) gouverneur à un agent local, mais à une lettre de l’agent au (sous) gouverneur. La procédure est évoquée à travers le regard de l’agent inférieur, selon un point de vue que n’offre aucun des papyrus de Qurra b. Šarīk. Or les deux points de vue sur la procédure – celui du gouverneur dans le cas égyptien, celui de l’agent dans le cas présent – semblent converger.
101La rareté de la documentation palestinienne interdit toute conclusion définitive. Les trois papyrus judiciaires connus pour cette province offrent une image incomplète du système local de résolution des conflits. À la fin du viie siècle, celui-ci semble avoir accusé certaines différences par rapport à la justice du gouverneur égyptien au début du viiie siècle, notamment des usages rédactionnels quelque peu distincts251. D’autres éléments font néanmoins écho aux procédures mises en œuvre par Qurra b. Šarīk. Dans la mesure où le plus ancien rescrit judiciaire remonte à l’an 65/684-5, il est probable que des procédures comparables aient déjà existé en Palestine et en Égypte dans les deux dernières décennies du viie siècle.
102S’agit-il d’une seule et même procédure ? Les textes ne permettent pas de répondre : il manque, pour l’Égypte, des exemples de lettres judiciaires de pagarques au gouverneur, et pour la Palestine celui de rescrits de gouverneurs. Le dernier papyrus palestinien examiné laisse en tout cas penser que les acteurs n’étaient pas les mêmes. En Égypte, la procédure s’appliquait à des justiciables chrétiens par l’intermédiaire d’un pagarque de même confession ; en Palestine, les plaideurs sont musulmans (le nom de la plaignante, de même que les objets de litige, matāʿ et nafaqa, permettant de l’affirmer), ainsi que l’agent (son nom, ʿUmar b. ʿUbayd Allāh, laissant planer peu de doutes). P. Mird 18 demeure par ailleurs ambigu quant au rôle et à la fonction de son émetteur : ʿUmar b. ʿUbayd Allāh est-il un juge ? Il fait certes rendre le matāʿ suite à l’aveu du mari, mais prononce-t-il un jugement ? Ou convainc-t-il simplement le défendeur qui a avoué, afin d’éviter une comparution judiciaire dont le résultat serait inéluctable ? Dans cette seconde hypothèse, le rôle de l’agent correspondrait plus à celui d’un médiateur, auquel le (sous-) gouverneur aurait commissionné l’examen préalable d’un litige.
103Les papyrus judiciaires de Ḫirbet el-Mird laissent par ailleurs dans le flou l’identité de l’autorité judiciaire supérieure : s’agit-il du gouverneur du ǧund de Filasṭīn ? Dans ce cas, la procédure tendrait vers celle mise en œuvre en Égypte sous Qurra b. Šarīk. S’agit-il d’un sous-gouverneur ? La procédure serait alors plus proche de ce qu’évoquent certains papyrus de Papas, à la différence près que P. Mird 18 met en scène un juge et des plaideurs musulmans, et que le sous-gouverneur semble lui aussi musulman. Le système judiciaire palestinien se singulariserait ainsi par la mise en place précoce d’une structure administrative musulmane, correspondant probablement aux besoins d’une province plus islamisée que la Haute-Égypte à la même époque252.
104Si l’on accepte qu’au-delà de leurs différences, les procédures reflétées par les papyrus égyptiens et palestiniens paraissent reposer sur une structure identique – appel à une autorité judiciaire supérieure, qui envoie des instructions à un juge inférieur (en admettant que l’agent palestinien soit apte à rendre un jugement comme le pagarque) –, P. Mird 18 permet enfin d’avancer quelques hypothèses complémentaires quant aux litiges et à leur devenir. Les lettres de Qurra b. Šarīk n’évoquent que des cas de dettes et d’usurpations ; les papyrus palestiniens laissent penser que le (sous-) gouverneur pouvait être saisi de litiges d’autre nature – vol ou mise en dépôt, affaires matrimoniales. Par ailleurs, P. Mird 18 illustre une étape postérieure à celles évoquées par les lettres de Qurra b. Šarīk en Égypte. Ce dernier demande aux pagarques de le tenir informé en cas d’absence de preuve. P. Mird 18 suggère pour sa part qu’en l’absence d’aveu ou de preuve produite par le demandeur, l’agent pouvait renvoyer le procès devant le (sous-) gouverneur. Y était-il obligé parce qu’il n’était pas habilité à entendre certains types de preuve253 ? Son rôle se limitait-il à celui que les plaideurs voulaient bien lui reconnaître (arbitre ou médiateur) ? Le rôle de l’agent est loin d’être clair : d’un côté, l’affaire est déférée à son supérieur hiérarchique sur demande de la plaignante, ce qui évoque un arbitrage auquel un des plaideurs déciderait de se soustraire pour saisir une autorité judiciaire officielle ; de l’autre, ʿUmar b. ʿUbayd Allāh « ordonne » aux plaideurs de comparaître devant son supérieur, ce qui suggère plutôt que l’agent disposait d’une autorité supérieure à celle d’un arbitre.
3.3. Les autres attributions judiciaires du gouverneur marwānide
105La procédure analysée jusqu’ici correspond à un certain type d’affaire, dans laquelle un demandeur porte plainte devant le gouverneur contre un défendeur identifié et à propos d’un objet précis. Bien qu’il s’agisse de la procédure la plus documentée, et sans doute la plus courante, d’autres papyrus laissent penser qu’au début du viiie siècle, le rôle judiciaire du gouverneur de Fusṭāṭ pouvait se manifester sous d’autres formes, certaines n’étant pas sans rappeler le rôle des ducs de l’époque sufyānide254.
3.3.1. Des mandats d’amener : la justice directe du gouverneur ?
106Plusieurs papyrus de l’époque marwānide se présentent comme des mandats d’amener : le gouverneur ordonne par écrit à son destinataire d’arrêter un ou plusieurs individus et de les lui envoyer, vraisemblablement dans le cadre d’une enquête ou d’une procédure judiciaire.
Dans le document P. Heid. Arab. I 4, daté de rabīʿ I 90/janvier-février 709, Qurra b. Šarīk demande à son destinataire, sans doute un pagarque – chrétien si l’on se fie aux salutations finales (al-salām ʿalā man ittabaʿa l-hudā), le plus souvent adressées à un destinataire non musulman – de lui amener un suspect l-ḫašab255. L’homme semble accusé de « désobéissance » (šay’an min al-maʿāṣī) – sans que son crime soit explicité –, et il est probable que le gouverneur souhaite le faire comparaître pour le juger. Qurra précise qu’il a envoyé un avis de recherche indiquant son nom, ceux de son père et de son village, ainsi, peutêtre, que son signalement physique. Si le destinataire ne parvient pas à mettre la main sur l’accusé, le père et le fils de ce dernier devront être envoyés au gouverneur ; à défaut, si l’homme n’a aucun « garant » (ḥamīl, peut-être en référence aux membres de sa famille susmentionnés), sa femme ou le chef de son village ([ṣāḥib] qaryati-hi) lui seront mandés. Ici encore, la lettre est rédigée d’une main extérieure à l’hypothétique « bureau des plaintes », un certain ʿAbd Allāh256.
Une lettre de Qurra b. Šarīk, datée elle aussi de l’an 90 H., évoque une convocation similaire. Le gouverneur rappelle que, selon les dires du pagarque, ce dernier devait lui envoyer un paysan (nabaṭī) qui s’est enfui sans payer une amende de 4 dinars ⅓. Le paysan n’a pas encore été amené devant Qurra b. Šarīk et ce dernier demande, si son destinataire ne le lui a pas expédié avec le montant de l’amende, de le faire sans tarder. Le scribe, Muḥammad b. ʿUqba, est à nouveau différent de ceux qui apparaissent dans les lettres judiciaires examinées plus haut257.
107Ces papyrus rappellent, à bien des égards, des documents d’époque sufyānide comme P. Apoll. 18, où l’administration du topotérète demandait l’envoi par le pagarque de défendeurs devant le tribunal ducal. Les détails apportés par ces textes d’époque marwānide (pour au moins deux d’entre eux) permettent de cerner plus précisément le rôle de la justice directe du gouverneur – alors que celle du duc, sous les Sufyānides, demeure obscure. En effet, au-delà de leurs différences, les affaires évoquées dans les mandats d’amener de Qurra b. Šarīk présentent des caractéristiques communes. Dans le premier exemple, le terme maʿāṣī suppose qu’une « désobéissance » a eu lieu. Bien que très floue, cette appellation suggère que le crime relève plus d’une infraction à un devoir que d’un délit passible d’une condamnation civile ordinaire. Le second exemple évoque une situation assez familière : la fuite d’un paysan, se soustrayant à l’impôt ou à l’amende qu’il devait à l’État. En croisant ces quelques indices, on peut se demander si de telles convocations devant le gouverneur ne participent pas d’une justice « fiscale » aux multiples facettes : ces mandats d’amener concerneraient en particulier des personnes réfractaires à l’impôt, convoquées à Fusṭāṭ pour être punies, mais aussi, peut-être – comme le suggère le premier exemple –, des individus travaillant au service de l’État (des agents locaux du fisc ?) coupables d’exactions (fiscales ?). Ces convocations, qui suivraient une plainte « administrative » portée à leur encontre, ne seraient pas du ressort de la justice locale (du pagarque). Le gouverneur ne passait sans doute pas lui-même en revue le cas des nombreux fugitifs ; d’autres affaires nécessitaient peut-être en revanche une forme de procès258.
108Une dernière lettre semble confirmer le bien-fondé de cette hypothèse. Dans le papyrus grec P. Lond. IV 1360259, Qurra b. Šarīk informe Basile, le pagarque d’Išqūh, que son représentant à Fusṭāṭ a été arrêté pour n’avoir pu verser à l’administration centrale le produit total des impôts dus par son district. Le gouverneur réclame donc à son correspondant d’envoyer avec diligence la somme réclamée. Il n’y a pas, ici, de mandat d’amener, puisque l’accusé est déjà derrière les barreaux. La situation est néanmoins comparable : le retard de paiement de l’impôt, assimilé à une dette, semble avoir conduit à la comparution de l’agent du pagarque devant le gouverneur, à la suite de quoi ce dernier a décidé de son emprisonnement260. Dette d’un genre particulier – le créancier n’étant autre que le pouvoir provincial –, le retard de paiement de l’impôt ou l’évasion fiscale pouvaient être du ressort du tribunal gouvernoral de Fusṭāṭ. Encore faut-il remarquer que nous ne sommes point, en pareils cas, dans une configuration judiciaire civile classique où un juge départage deux individus en conflit. Le gouverneur était en charge de l’impôt en Égypte261, et l’on a plutôt affaire à un schéma où il se fait justice. Si le tribunal ducal de l’époque sufyānide était bien réservé à la « haute justice » entre des particuliers, la justice directe du gouverneur marwānide n’en est donc sans doute pas le prolongement immédiat puisqu’il s’agit avant tout, d’après la documentation disponible, de juger des délits commis contre l’État.
3.3.2. Justice fiscale et ordonnances législatives
109Comme celle du duc sufyānide, la justice du gouverneur marwānide s’exprimait enfin à travers des ordonnances envoyées à son administration provinciale. De rares documents concernent des cas spécifiques, comme cet entagion bilingue daté de 91/709 dans lequel Qurra semble réclamer une amende de 6 dinars à un collecteur d’impôts d’Ahnās/Herakleopolis qui aurait négligé sa tâche l’année précédente262.
110La plupart des ordonnances qui nous sont parvenues ne concernaient pas un individu ou une affaire en particulier, mais formulaient une réglementation générale pour une catégorie de cas définis. Elles sont surtout préservées dans les papyrus grecs de Qurra b. Šarīk. Dans une première ordonnance, P. Ross. Georg. IV 15, le gouverneur demande à un pagarque d’interdire à ses agents d’accaparer les héritages de riches individus, et de les mettre à l’amende – voire de leur faire subir un châtiment sévère – s’ils contreviennent à cet ordre263. En l’occurrence, l’objectif du gouverneur n’est pas simplement d’éviter aux populations de Haute-Égypte les exactions des administrateurs, mais aussi – et peut-être surtout – de défendre les intérêts financiers du pouvoir central. Comme Qurra le rappelle, l’impôt était encore dû sur certaines de ces successions, et de telles usurpations portaient aussi préjudice à l’État. Qurra b. Šarīk ordonne donc au pagarque de lui rendre compte par écrit des possessions de chaque défunt, de l’identité de ses héritiers et de la part qui doit revenir au fisc264.
111De telles ordonnances « judiciaires » – dans le sens où elles prévoient une peine pour un délit particulier – pouvaient être intégrées dans des lettres de mission plus générales. Dans une lettre à Basile, comportant des instructions concernant la levée de l’impôt (choix des agents du fisc, pesée des vivres, stockage dans le grenier, etc.), Qurra b. Šarīk ordonne au pagarque d’Išqūh de faire administrer cent coups de fouet aux percepteurs (qabbālūn) coupables d’extorquer aux contribuables des sommes supérieures à ce qu’ils doivent, de leur tondre la barbe et les cheveux et de leur imposer une amende de trente dinars. Il menace en outre Basile de représailles s’il apprend que des exactions ont été commises dans son district265.
112Dans ces deux cas, la justice du gouverneur et les châtiments qu’il ordonne à l’encontre des agents de l’autorité fiscale coupables d’exactions – qui ne sont peut-être autres que les maʿṣiya-s dont il a plus haut été question – ont pour but principal de maintenir un équilibre socio-économique (d’aucuns parleraient d’équité) dont la rupture aurait de graves répercussions jusqu’au sommet de l’État. Qurra b. Šarīk ne dit pas autre chose quand il affirme, dans la même lettre d’instructions à Basile concernant la levée des impôts :
Interdis à tes agents (ʿummāl) ainsi qu’à toi-même tout traitement injuste (ẓulm) des gens de la terre, car la terre ne peut endurer l’injustice ni y survivre. Si les gens de la terre subissent l’injustice et les pertes [qui en résultent] de ceux qui sont en charge de leurs affaires, ceci aboutit à leur destruction266.
113Dans la même perspective, une ordonnance de Qurra b. Šarīk a pour unique objet d’interdire au pagarque l’usage d’un type de torture – utilisant de la chaux et du vinaigre – à l’encontre de ses sujets. Un tel procédé, que l’on peut présumer avoir été employé contre des paysans réfractaires à l’impôt, a pour effet de rendre les victimes inaptes au travail. Et le gouverneur de menacer des pires châtiments et des plus lourdes amendes le pagarque qui ne ferait pas respecter cet ordre à ses agents267.
3.4. L’acheminement des lettres judiciaires
114Une dernière remarque concerne l’acheminement de telles ordonnances vers leurs destinataires. Trois principaux modes de transport des missives coexistaient aux premiers siècles de l’Islam : le barīd officiel, les compagnies commerciales privées, les porteurs informels268. L’adresse externe d’une missive peut parfois receler des indices concernant son mode d’acheminement269. La plupart des adresses figurant au dos des lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk ont disparu ou n’ont pas été éditées. Mais une, au moins, est connue. P. Qurra 3 (= Abū Ṣafya 31) mentionne l’adresse suivante :
De Qurra b. Šarīk à Ba[sīl]
[À propos de] Ibšādah b. Abnīla concernant un paysa[n]
115La partie droite du recto est manquante (environ quatre ou cinq lettres), ce qui implique que l’adresse au verso l’est aussi du côté gauche (en fin de ligne). La lacune est sans doute suffisante pour que le titre de Basile, ṣāḥib Išqūh, ait à l’origine figuré dans son entier270. Un réseau commercial privé, qui aurait eu besoin du nom et du lieu où trouver le destinataire pourrait donc avoir été utilisé, tout comme un porteur informel. Deux autres possibilités subsistent : le recours à la poste institutionnelle ou au plaideur lui-même.
116L’utilisation du barīd pour porter des lettres du gouverneur aux pagarques est attestée. Ainsi l’interdiction de la torture à la chaux et au vinaigre fut portée, selon la mention figurant au bas du document, par le service de la poste officielle271. C’est aussi le cas de nombreuses autres lettres en grec où le transporteur est qualifié de beredarios272. On sait par ailleurs que le barīd était impliqué dans le contrôle de l’administration fiscale et que le gouverneur de Fusṭāṭ entretenait à ce sujet une correspondance avec le chef de cette institution, l’informant des éventuelles exactions273. En revanche aucun papyrus relatif à la procédure judiciaire ne mentionne un tel organe de correspondance officielle.
117La description du processus de pétition dans les sources narratives suggère que la poste officielle pouvait être mise au service de la justice. Al-Ṭabarī relate qu’à l’époque sufyānide, le gouverneur de Médine faisait annoncer par un héraut le départ du barīd pour la capitale, et invitait la population à apporter les lettres qu’elle destinait au calife Muʿāwiya et qui comportaient ses doléances (ḥāǧa)274. Dans sa biographie de ʿUmar II, Ibn ʿAbd al-Ḥakam raconte que le service postal acceptait toute missive destinée au calife, et que ce dernier répondit même à une pauvre mawlā de Ǧīza qui se plaignait que des voleurs de poule pénètrent chez elles en profitant d’un mur trop bas275. Ce récit hagiographique est peutêtre exagéré, et suggère plutôt que l’emploi du barīd pour transmettre des pétitions relevait de l’exception. Dans un autre récit relatif à ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, une plaignante apporte elle-même au gouverneur la lettre dans laquelle le calife ordonne le rétablissement de ses droits276. Aux yeux des chroniqueurs et des hagiographes, néanmoins, le recours au barīd pour envoyer une requête au souverain était envisageable. Si une pétition pouvait emprunter le barīd, le rescrit du gouverneur à l’autorité judiciaire locale n’était-il pas plus susceptible encore d’être porté par le même service ?
118Dans le fiqh classique, le transport de lettres officielles par le demandeur et des témoins est la norme, et jamais la poste officielle n’est évoquée277. Il est cependant difficile de projeter en arrière des usages qui n’ont que peu de points communs avec la procédure judiciaire appliquée par les gouverneurs de l’Égypte omeyyade. On ne peut donc exclure que les services postaux du gouverneur aient été mis à contribution pour lui faire parvenir des plaintes et envoyer des rescrits en retour, au moins tant que le gouverneur de province apparut comme la principale autorité judiciaire. Mais il demeure difficile d’évaluer s’il s’agissait là de la norme administrative ou si une telle pratique restait exceptionnelle.
*
119La documentation papyrologique laisse entrevoir au final une importante évolution de l’administration judiciaire dans le courant de l’époque marwānide. Une grande partie des compétences qui demeuraient celles du duc ou de son représentant au niveau du duché semblent disparaître, dans la première moitié de l’époque marwānide, pour être accaparées par le gouverneur de Fusṭāṭ. La correspondance de ce dernier (en arabe ou en grec) témoigne du rôle qu’il entendait désormais jouer dans sa province : le duc qui, en résidant une grande partie de l’année à Fusṭāṭ, servait de relais essentiel avec les autorités de la pagarchie, fut évincé au profit d’un contrôle direct par le gouverneur. Cette évolution reflète l’intégration croissante du territoire égyptien : après quelques décennies de flottement, au cours desquelles le gouverneur régna de manière indirecte en s’appuyant sur les anciennes structures régionales – tout comme, en Syrie, le calife Muʿāwiya gouvernait à travers le relais des chefs tribaux –, l’administration marwānide développa un mode de gestion de la province plus centralisé, passant notamment par une prise en main de certaines formes de justice directe et par un contrôle plus étroit de la procédure mise en œuvre par les pagarques.
4. VERS UN RENFORCEMENT DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE DES PAGARQUES
120Le dossier de Qurra b. Šarīk laisse donc entrevoir une justice dans laquelle le gouverneur de Fusṭāṭ joue un rôle clé. Mais cette image, celle qu’entendait donner le pouvoir mawānide provincial, correspond au point de vue presque univoque qui nous est parvenu – celui de lettres écrites, précisément, par le gouverneur et son administration. L’action judiciaire quotidienne de Basile à Išqūh reste pratiquement inconnue. Le rôle des pagarques au début de l’époque islamique a été minimisé par Arthur Schiller qui considère que la résolution judiciaire des conflits avait disparu en Égypte depuis le ve siècle de notre ère au moins, pour être remplacée par la conciliation et l’arbitrage de personnes privées sans autorité judiciaire officielle278. À ses yeux, le pouvoir du pagarque à l’époque islamique est au mieux celui d’un juge de paix veillant à ce qu’aucun désordre ne vienne perturber son district279. Il est vrai que cette image de garant lointain de la justice transparaît dans certains papyrus. Un document copte évoque ainsi le pagarque de Hermonthis, Justin, qui, vers 728, a ordonné que des plaideurs parviennent à un accord, mais sans être autrement saisi du conflit – on ignore d’ailleurs si son ordre est général ou relatif à une affaire particulière280. De même, un papyrus copte comme CPR IV 51 est trop imprécis pour déterminer le rôle judiciaire exact du pagarque musulman d’al-Ušmūnayn, Rašīd b. Ḫālid (r. c. 724-731)281. Il est pourtant clair, si l’on se fie au dossier de Papas, que dès le viie siècle le pagarque était investi de compétences judiciaires. De même en Palestine, le rôle d’un représentant local du pouvoir comme ʿUmar b. ʿUbayd Allāh était loin d’être négligeable. L’image de pagarques investis de pouvoirs judiciaires importants se confirme et se précise vers la fin de l’époque omeyyade.
4.1. Émergence d’une justice omeyyade par délégation
4.1.1. La justice déléguée au Fayyūm
121Un papyrus du Fayyūm vient jeter quelque lumière sur le rôle judiciaire de l’autorité en poste dans la capitale de la kūra, Madīnat al-Fayyūm. Datant de la fin de l’époque omeyyade, il évoque un responsable musulman – si l’on en juge par son nom –, équivalent des pagarques du début du viiie siècle. Dans la mesure où de tels responsables n’apparaissent plus avec le titre de ṣāḥib en arabe et sont qualifiés d’amīr-s dans la documentation copte282, nous les qualifierons désormais de « sous-gouverneurs », appellation neutre qui reflète simplement leur place dans une hiérarchie administrative. Ce papyrus, P. MuslimState 21, est une lettre de Nāǧid b. Muslim, sous-gouverneur du Fayyūm à une date imprécise, entre 730 et 750 environ283. Celui-ci écrit à l’un de ses subordonnés, ʿAbd Allāh b. Asʿad, qui se trouve à la tête d’un district (ḥayyiz) de la kūra284. Dans la première partie de sa lettre, il l’informe que les deux fils d’un certain Dā’ūd font l’objet d’une plainte de la part d’un personnage dont le nom a disparu285. Le papyrus, lacunaire à cet endroit, laisse penser que Nāǧid demande à son subordonné de lui envoyer les deux défendeurs pour qu’il les fasse comparaître et examine la plainte286.
122Le rôle de ʿAbd Allāh b. Asʿad est peu clair287. D’après la restitution d’une lacune par Petra Sijpesteijn, il est possible que Nāǧid ait été saisi de l’affaire par le plaignant, et que ʿAbd Allāh b. Asʿad soit invité à entendre lui-même la plainte, dans un premier temps, avant le transfert des deux accusés devant le sous-gouverneur. Ce scénario laisserait supposer que celui-ci, au sein de sa kūra, jouait un rôle comparable à celui du gouverneur de Fusṭāṭ à l’époque de Qurra b. Šarīk : Nāǧid, saisi d’une plainte, envoie des instructions à son subordonné de l’échelon inférieur, lui demandant d’examiner l’affaire. Cette hypothèse, qui rappelle la procédure mise en œuvre à un échelon peut-être similaire dans la Palestine de la fin du viie siècle, n’est pas invraisemblable. Il semble néanmoins qu’ici le subordonné ne soit pas invité à juger l’affaire, mais à s’assurer du transfert des défendeurs devant le sous-gouverneur, qui serait alors le véritable juge. Le sousgouverneur fait ici figure d’autorité judiciaire supérieure dans une procédure pour laquelle il n’y a pas trace d’intervention du gouverneur de Fusṭāṭ.
4.1.2. Médiation et adjudication : la hiérarchie judiciaire à Jēme
123En Haute-Égypte, les papyrus de Jēme suggèrent que différentes solutions pouvaient être envisagées pour résoudre les conflits. Comme le montre une version de la formule destinée à assurer le caractère contraignant des accords à l’amiable et des sentences, toute une hiérarchie d’autorités, recourant ou non à l’adjudication, pouvaient être saisies par les plaideurs : « Nous ne pourrons nous intenter un procès, au tribunal ou à l’extérieur, dans une ville ou un nome, au praetorium ou selon aucune loi religieuse honorée et vénérée […]288. » Pour l’historien d’aujourd’hui, la distinction entre ces divers modes de résolution des litiges est rendue malaisée en raison de l’unité formelle des documents coptes qui nous sont parvenus : il s’agit, dans la plupart des cas, de l’engagement d’un des plaideurs à respecter la décision prise. Ce type de document, notarié et signé par plusieurs témoins (entre cinq et dix en moyenne), était vraisemblablement conservé par l’adversaire du signataire afin de servir de preuve en cas de contestation ultérieure. En apparence, donc, les rédacteurs de ces documents affirmaient accepter de leur plein gré la décision qui les touchait289. Cependant certains indices textuels permettent d’identifier des modes de résolution qui vont de la médiation au jugement prononcé par un juge, en passant par l’arbitrage d’individus choisis par les parties.
124À plusieurs reprises, dans la première moitié du viiie siècle, un conflit est porté devant le dioicète, un administrateur municipal chrétien290 qui n’est parfois, peut-être, autre que le chef de village appelé lashane en copte291. Deux lashane-s pouvaient être saisis par les parties et agir de manière collégiale292. Selon ces documents, le chef de village ne tranchait pas le litige à la manière d’un juge, mais indiquait la procédure à suivre pour parvenir à un accord entre les plaideurs – désignation d’un arbitre ou encouragement des adversaires à prêter des serments réciproques293. Il n’y avait pas, dans ce second cas de figure, de résolution judiciaire à proprement parler : il semble que le lashane procédait avant tout à une médiation, avec l’aide éventuelle d’un ecclésiastique, et la procédure se terminait par la rédaction d’un accord à l’amiable entre les parties294. Un document datant de 724 précise ainsi qu’un conflit a été examiné en présence de Jean, le dioicète de Jēme, mais que les adversaires sont eux-mêmes parvenus au « jugement » avec l’aide d’hommes respectables et expérimentés du village295. Dans un cas, un des lashane-s saisis, Victor, apparaît aussi parmi les témoins de l’accord à l’amiable, preuve qu’il n’agit pas comme juge296. Un dernier document remontant à l’année 738 évoque simplement la présence de deux lashane-s lors de la rédaction de l’accord à l’amiable auquel deux plaideurs sont parvenus grâce à la médiation de « grands hommes craignant Dieu297 ».
125L’arbitrage semblait également une pratique courante à Jēme. Deux papyrus remontant à 725 ou 740 enregistrent l’engagement de deux sœurs à respecter la sentence arbitrale qui les a départagées à propos de la maison dont elles avaient hérité de leur mère. Il y est précisé que les plaideuses ont « choisi » quelques grands hommes ainsi que le bâtisseur du village et les ont fait entrer dans la maison. Le collège d’arbitres a ensuite divisé la propriété et assigné un lot à chacune298. En 728, Abraham le lashane arbitre seul, cette fois-ci, un autre litige successoral et sa sentence oblige les plaideurs à reconnaître la validité du partage ainsi décidé299.
126La population chrétienne de Jēme préférait en général s’en remettre à la médiation, voire à l’arbitrage de ses grands hommes. Plusieurs documents du début du viiie siècle laissent entendre que l’accord à l’amiable avait pour objectif d’éviter la saisie d’un tribunal officiel. Mais le recours à la justice d’autorités supérieures, celle de « magistrats » ou celle d’évêques, est aussi envisagé par ces documents300. Un papyrus copte daté de l’an 722 évoque un procès conduit devant le duc d’Antinoé à propos de la vente d’une terre301. Pour les affaires graves, il apparaissait nécessaire de solliciter les autorités musulmanes302. Un papyrus évoque un litige tranché directement par un pagarque/sous-gouverneur musulman, nommé Sulaymān303. Un second, remontant à l’année 725 ou 726, fait état d’un procès conduit devant « le très glorieux amīr ʿAbd al-Homar [sic], représentant de […] l’amīr (c’est-à-dire le pagarque/sous-gouverneur) ». Ledit ʿAbd al-Homar n’apparaît pas comme un simple médiateur ou un arbitre, mais comme une autorité susceptible de contraindre. Il « ordonne » la comparution d’un personnage, envoie des notables du village pour expertiser une maison et leur donne des ordres concernant la procédure à suivre afin de la partager entre les plaideurs304.
127Deux papyrus datés de 120-1/737-8 confirment le rôle désormais joué par des autorités musulmanes inférieures305. Ces documents, établis par des plaideurs chrétiens pour reconnaître les droits de leurs adversaires306, font état de procès menés devant un certain « seigneur Hamer » (s’agit-il de la même personne que le ʿAbd al-Homar évoqué plus haut ?), représentant de l’« émir » – ce dernier étant le pagarque/sous-gouverneur de la circonscription307. Dans ces deux cas, le litige semble avoir été tranché par le représentant du sous-gouverneur, sans que l’on sache si ce dernier est intervenu à un point ou à un autre de la procédure. Le représentant du sous-gouverneur apparaissait bien comme la principale autorité judiciaire de Jēme. Il semblerait donc que le « pagarque », en cette fin de période omeyyade, ait acquis un pouvoir judiciaire supérieur à ceux du début du viiie siècle308, et qu’il pouvait désormais le déléguer à un échelon inférieur.
4.2. Les papyrus de ʿAbd al-Malik b. Yazīd : justice du gouverneur ou du sous-gouverneur abbasside ?
128Les sous-gouverneurs égyptiens conservèrent sous les Abbassides les prérogatives qu’on les voit exercer dans la seconde partie de l’époque omeyyade. Des papyrus de plusieurs provenances tendent à le montrer. Ainsi une lettre remontant au iie/viiie siècle (sans qu’il soit possible de la dater avec plus de précision) demande-t-elle au destinataire d’écrire à Saʿīd, un amīr d’Alexandrie non identifié, afin que ce dernier rende un jugement (qaḍā) entre deux plaideurs à propos d’une esclave309. Le recours direct à un sous-gouverneur semblait dorénavant chose courante. La question principale demeure celle de la place que les sousgouverneurs occupaient dans la hiérarchie judiciaire : le gouverneur de Fusṭāṭ continuait-il à exercer une autorité judiciaire concrète, leur envoyant des instructions à l’instar des émirs marwānides ? Ou vit-on se développer une justice par délégation permanente, dans laquelle le sous-gouverneur avait les coudées franches pour administrer la justice et, éventuellement, la déléguer lui-même à un personnel subalterne ?
4.2.1. Un problème d’identification
129Deux lettres judiciaires nous sont parvenues d’un certain ʿAbd al-Malik b. Yazīd, datant des années 130/747310. L’identification de ce personnage, dont seuls l’ism et le début du nasab sont donnés, est particulièrement délicate. Yūsuf Rāġib, le premier éditeur d’un des deux papyrus, l’identifie sans hésitation au gouverneur de Fusṭāṭ Abū ʿAwn ʿAbd al-Malik b. Yazīd (r. 133-136/751-754)311, et il est suivi en cela par Werner Diem312. L’interprétation de Rāġib et de Diem se justifie par la forme de la première lettre. Bien que le papyrus soit lacunaire, le style et le vocabulaire de P. Vindob. Inv. A. P. 1944313 sont très comparables aux lettres judiciaires de gouverneurs omeyyades comme Qurra b. Šarīk. Le ton, la terminologie, le type d’instruction correspondent presque en tout point à ceux employés par la chancellerie de Fusṭāṭ quelques décennies plus tôt. P. Vindob. Inv. A. P. 1944 se rapproche aussi, à certains égards, du style de P. MuslimState 21 – notamment par l’utilisation du verbe ġalaba314. Il n’est en revanche pas comparable à Chrest. Khoury I 84, plus direct et péremptoire, qui ne recourt pas aux expressions typiques des lettres de Qurra (ġalaba ʿalay-hi, istaḫriǧ, lā yaẓlamanna…). Bref, en règle générale P. Vindob. Inv. A. P. 1944 semble stylistiquement plus proche d’une lettre de gouverneur marwānide que d’un document émis par les sous-gouverneurs/pagarques de la fin de l’époque omeyyade.
130L’interprétation du second papyrus est plus problématique. P. Louvre Inv. 6377 emploie en effet un style et un vocabulaire moins standardisés que les papyrus de Qurra, ce qui permettrait de le rapprocher plus facilement d’une lettre de sousgouverneur. La principale ambiguïté vient du terme ʿamal, utilisé à deux reprises dans le document pour désigner le « district » du destinataire. Petra Sijpesteijn relève que dans la seconde moitié du viiie siècle, le ʿamal désigne de plus en plus la kūra, et qu’il existe au moins une attestation de cet emploi dans la correspondance de Qurra b. Šarīk au pagarque d’Išqūh315. Le ʿamal sur lequel Ḫuzayma b. Māhān est en poste pourrait donc être une kūra tout entière, et Ḫuzayma son sous-gouverneur/pagarque. Mais Sijpesteijn souligne que, dans les papyrus du viiie siècle, ce terme peut aussi désigner une sous-division de la kūra (pagarchie) équivalente au ḥayyiz316 ; en ce cas le destinataire, Ḫuzayma b. Māhān, pourrait être un responsable local comparable au ʿAbd Allāh b. Asʿad du dossier de Nāǧid b. Muslim. L’ambiguïté est d’autant plus grande que, par la suite, le terme ʿamal s’applique, dans la terminologie judiciaire, au district ou à la circonscription d’un juge, sans préjuger de sa taille317.
131Depuis les publications de Rāġib et de Diem, Federico Morelli a remis en question l’identification de ʿAbd al-Malik b. Yazīd à un gouverneur de Fusṭāṭ. Un papyrus grec qu’il a publié en 2001 (CPR XXII 7) mentionne un certain ʿAbd al-Malik b. Yazīd, pagarque (epikeimenos) d’Ahnās/Heracleopolis en 134/751-2318, ce qui amène Morelli à contester l’interprétation de ses prédécesseurs. Selon lui, « nul terme dans les deux papyrus ne vient confirmer cette affirmation » (i.e., l’identification de ʿAbd al-Malik b. Yazīd à un gouverneur de Fusṭāṭ). Le verso de P. Vindob. Inv. A. P. 1944, non édité par Diem, comprend une liste de toponymes proches d’Heracleopolis qui montrent que le papyrus vient à coup sûr de cette région, celle-là même sur laquelle le pagarque ʿAbd al-Malik b. Yazīd se trouvait en poste. Le ʿAbd al-Malik b. Yazīd de ces deux papyrus serait donc à rapprocher du pagarque homonyme d’Ahnās319.
132La découverte et la publication de CPR XXII 7 viennent donc jeter le doute sur l’identité du personnage figurant dans nos deux papyrus judiciaires. Si Federico Morelli a raison, ces documents furent émis par un sous-gouverneur/pagarque, et ses destinataires étaient des fonctionnaires subalternes locaux, en charge d’une subdivision de la pagarchie. Ils viendraient non seulement confirmer le rôle des sous-gouverneurs/pagarques musulmans au début de l’époque abbasside, mais montreraient aussi que ce rôle se renforça, les sous-gouverneurs pouvant prétendre à une autorité judiciaire supérieure. Il semble néanmoins impossible d’exclure totalement que ces deux papyrus aient été émis par la chancellerie du gouverneur de Fusṭāṭ, Abū ʿAwn ʿAbd al-Malik b. Yazīd, qui fut en poste à la même époque. C’est pourquoi, dans ce qui suit, nous présenterons à chaque fois deux interprétations alternatives, la première considérant que l’émetteur fut le gouverneur, la seconde qu’il s’agissait de son sous-gouverneur/pagarque.
4.2.2. P. Vindob. Inv. A. P. 1944 : les avatars de la procédure omeyyade
133Le papyrus P. Vindob. Inv. A. P. 1944, édité par Werner Diem, donne à lire le texte suivant :
[Au] nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
D[e] ʿAbd al-Malik b. Yazīd [à Untel fils d’Untel. Que le salut soit sur toi. Je rends] pour toi [louange] à Dieu [l’unique]. Venons-en au sujet de cette lettre. Aḥmad b. Muslim [m’a] éc[rit, prétendant qu’un paysan appartenant aux] habitants de ta terre […] à lui une maison et […]. Il la lui a achetée, mais il l’a privé de son (ġalaba ʿalay-hi) […]. Examine-donc ce qu’il est de ce qu’il a men[tionné] […]. [Si…], fais-lui rendre son droit (istaḫriǧ la-hu ḥaqqa-hu), et ne permets pas qu’une injustice reste intouchée. Ne prends pas […].
[Que le salut soit sur toi, ainsi que la mi] séricorde de Dieu320.
134Bien que fragmentaire, cette lettre rappelle fortement celles de Qurra b. Šarīk une quarantaine d’années plus tôt. La missive partage avec elles un vocabulaire commun : les verbes ġalaba, istaḫraǧa, naẓara, dont nous avons vu qu’ils participaient de formules standardisées à l’époque omeyyade, rythment toujours ce document. Le second point commun est le contenu de la lettre, dont la structure est proche de celles de Qurra : un demandeur s’est adressé à ʿAbd al-Malik b. Yazīd et lui a présenté sa plainte contre un individu. ʿAbd al-Malik écrit donc à son destinataire pour lui ordonner d’instruire un procès et de rendre justice au demandeur. Cette lettre apporte même une précision complémentaire : si l’interprétation de Diem est exacte, le demandeur aurait « écrit » (kataba)321 à ʿAbd al-Malik, verbe plus précis que le « m’a informé » (aḫbara-nī) employé dans le dossier de Qurra b. Šarīk : le plaignant aurait bien présenté sa pétition par écrit à l’auteur de la lettre.
135Quelle que soit l’hypothèse retenue concernant l’émetteur, il faut souligner que le plaignant est ici un musulman (Aḥmad b. Muslim), peut-être un converti de la première ou de la seconde génération – le nasab « b. Muslim », tout comme « b. ʿAbd Allāh », pouvant être fictif. Il est probable, selon Federico Morelli, que le papyrus provienne d’Ahnās, à proximité du Fayyūm322. L’apparition de ce nom reflète sans doute un phénomène d’islamisation progressive de la campagne égyptienne323.
• Hypothèse 1 : ʿAbd al-Malik b. Yazīd est gouverneur de Fusṭāṭ
136Si ʿAbd al-Malik b. Yazīd est identifiable à Abū ʿAwn, le gouverneur de Fusṭāṭ, le destinataire de la lettre est vraisemblablement un sous-gouverneur musulman ayant repris les anciennes fonctions du pagarque. Tout se passe alors comme si la procédure omeyyade décrite pour la fin du viie et le début du viiie siècle existait encore à l’aube de l’époque abbasside, au milieu du viiie siècle. Il était toujours d’usage qu’un plaignant de province s’adresse d’abord au gouverneur, par le biais d’une pétition, puis que celui-ci émette un rescrit ordonnant au sous-gouverneur local d’instruire le procès. Dans la forme, la chancellerie de Fusṭāṭ aurait conservé la plupart des normes stylistiques déjà présentes dans les lettres judiciaires de Qurra b. Šarīk. Une différence importante doit cependant être notée. La partie préservée du papyrus n’indique pas la procédure que le juge est appelé à suivre : la convocation des plaideurs n’apparaît pas, ni le type de preuve qu’ils doivent présenter. Le destinataire n’est pas non plus invité à en référer au gouverneur en l’absence de preuve de la part du demandeur. Il est possible que ces éléments aient été présents dans la partie endommagée du papyrus, auquel cas la lettre serait pratiquement conforme aux modèles omeyyades.
• Hypothèse 2 : ʿAbd al-Malik b. Yazīd est un sous-gouverneur
137Si, comme le suspecte Morelli, ʿAbd al-Malik b. Yazīd n’est pas le gouverneur de Fusṭāṭ mais un sous-gouverneur/pagarque, cette lettre est adressée à une autorité inférieure, responsable d’une subdivision de la kūra. Il faut alors imaginer un transfert de compétences au sous-gouverneur beaucoup plus prononcé que ce que P. MuslimState 21 laissait entrevoir pour la fin de la période omeyyade. En ce début d’époque abbasside, le sous-gouverneur jouirait d’une large autorité judiciaire dans sa kūra, lui permettant d’envoyer à ses subordonnés locaux des lettres d’instruction très comparables – tant sur le fond que sur la forme – à celles du gouverneur omeyyade à ses pagarques quelque quarante ans plus tôt. Cette lettre témoignerait d’un renforcement de l’autorité judiciaire au sein de la province égyptienne, l’autorité suprême du gouverneur se voyant déléguée de manière permanente aux sous-gouverneurs.
4.2.3. P. Louvre Inv. 6377 : un contrôle épisodique de la justice ?
138La seconde lettre, retrouvée à Madīnat al-Fāris dans le Fayyūm, reflète un aspect quelque peu différent de l’administration judiciaire provinciale. Hormis les problèmes d’interprétation liés à l’identification de l’émetteur, le texte de P. Louvre Inv. 6377324 est néanmoins peu clair, et deux interprétations en ont été données, l’une par son éditeur, Yūsuf Rāġib, et la seconde par Werner Diem.
139Selon l’édition et la traduction que Yūsuf Rāġib propose de ce document, ʿAbd al-Malik b. Yazīd écrit à Ḫuzayma b. Māhān afin de lui associer un second personnage, al-Ḥāriṯ b. Kāmil. Les deux hommes auront à examiner une plainte soumise à un certain ʿAbd al-Wāḥid b. Qays. La teneur judiciaire du papyrus est évidente, comme le montre l’utilisation par l’auteur du verbe šakā (se plaindre) à deux reprises, ainsi que du verbe iddaʿā (réclamer, prétendre à). Si l’on se conforme à l’interprétation de Rāġib, ʿAbd al-Malik demande à un subalterne de s’occuper, en collaboration avec un tiers, d’une plainte qui a été déposée devant ʿAbd al-Wāḥid b. Qays, que l’on peut en ce cas présumer être un juge. En d’autres termes, ʿAbd al-Malik réclamerait que deux de ses subalternes contrôlent la pratique judiciaire d’un juge. Le principal « contrôleur », Ḫuzayma b. Māhān (destinataire de la lettre), serait, en ce cas, le sous-gouverneur ou le responsable du district (ʿamal) où exerce le juge (le Fayyūm ?) ; son associé, al-Ḥāriṯ b. Kāmil, serait employé comme une sorte d’expert auprès de ce dernier. On aurait donc affaire à un cas de surveillance de la pratique judiciaire, peut-être à propos d’un litige sensible, surveillance dont d’autres types de sources se font ailleurs l’écho325.
140La situation décrite par Rāġib paraît néanmoins alambiquée et Werner Diem propose une autre traduction, dans laquelle ʿAbd al-Wāḥid b. Qays ne joue plus le rôle d’un juge sous contrôle du pouvoir, mais celui d’un accusé326. Bien que sa lecture semble plus juste, Diem se contente de rejeter l’interprétation de Rāġib sans pratiquement présenter d’argument. Or le texte du papyrus demeure, malgré tout, ambigu.
141La première ambiguïté vient du terme ʿamal qui, comme nous l’avons vu plus haut, peut désigner dans le champ sémantique de la judicature un district/une circonscription327. Le destinataire, Ḫuzayma b. Māhān, pourrait donc être lui-même le titulaire d’un poste judiciaire – ce qui n’est pas, en soi, incompatible avec une fonction de « sous-gouverneur » comme le comprend Rāġib. La seconde ambiguïté vient du rôle assigné à ʿAbd al-Wāḥid b. Qays. Sa position de « juge » semble établie par la préposition li-qui précède son nom à la ligne 9 : la plainte des habitants, d’après le texte, a été déposée « auprès » de lui328. Néanmoins, à la ligne suivante, ʿAbd al-Wāḥid b. Qays apparaît en complément d’objet direct du verbe au duel’.n. ẓ. rā. Rāġib, qui le traduit par « faites examiner », lit probablement anẓirā, impératif de la quatrième forme dérivée, qui peut avoir un sens causatif. La première forme, naẓara, a néanmoins une signification judiciaire plus précise, celle de « juger » (elle est alors généralement suivie de la préposition bayn, ce qui n’est pas le cas ici), ou, construit de manière transitive, d’« auditionner » quelqu’un – par exemple un plaideur. N’était la préposition li- qui, comme nous venons de le voir, pose ʿAbd al-Wāḥid en juge, la lecture unẓurā laisserait penser que ce personnage n’est pas ici en position de juge, mais plutôt dans la peau de l’accusé.
142Cette hypothèse semble confirmée par l’expression fī-mā yaddaʿūn qibala-hu (l. 11-12), que Rāġib traduit par « et ce en quoi vous réclamez son pouvoir329 ». Cette traduction, qui ne rend pas compte de la valeur terminologique du verbe iddaʿā dans ce contexte, est pour le moins inadéquate. Rāġib interprète en effet le mot qibal comme « pouvoir », par analogie avec le qibalu-kumā de la ligne 10. Or l’expression iddaʿā qibala fulān est attestée dans la littérature, dès une époque ancienne, dans le sens de « revendiquer [quelque chose] contre quelqu’un330 ». Il apparaît donc que ʿAbd al-Wāḥid b. Qays n’est pas le juge du procès entamé par les habitants de la circonscription, mais le défendeur : c’est de lui que les gens se plaignent.
143Demeure la question de šakwā […] li-ʿAbd al-Wāḥid (l. 9). Diem traduit l’expression par Klage der Bewohner deiner Provinz über ʿAbdalwāḥid (« la plainte des habitants de ta province au sujet de ʿAbd al-Wāḥid »)331, ce qui est littéralement un contresens. Deux possibilités s’offrent.
L’emploi de la préposition li-est une erreur de scribe, ou un usage archaïque disparu par la suite, et la ligne 10 mentionne bien une plainte « à l’encontre » de ʿAbd al-Wāḥid b. Qays, simple défendeur dans une affaire assez sensible – il s’agissait peut-être d’un fonctionnaire, comme le propose Diem332 – pour que ʿAbd al-Malik b. Yazīd adjoigne un second personnage au juge, Ḫuzayma b. Māhān. On aurait alors affaire à l’instauration ponctuelle d’un tribunal collégial, « bicéphale », à l’exemple d’autres tentatives attestées en Irak quelques années plus tard333.
La situation est en réalité plus complexe. ʿAbd al-Wāḥid b. Qays avait luimême des fonctions judiciaires. S’agissait-il d’un juge, au sens de cadi ? Peutêtre, si cela est exact, le juge fut-il saisi d’une plainte qu’il n’instruisit pas correctement ; ʿAbd al-Malik b. Yazīd aurait alors demandé à son subalterne d’examiner et de juger la plainte déposée à l’encontre du mauvais juge. La procédure ressemblerait donc à celle des maẓālim telle qu’il est possible de l’observer en Irak à la même époque : saisi d’une plainte à l’encontre d’un cadi, le gouverneur (ou le calife dans le cas irakien) envoie un juge de maẓālim instruire une action contre lui334. Une telle procédure d’appel n’entraîne pas la révision du procès, mais bien le passage en jugement du mauvais juge.
(1) Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. (2) De ʿAbd [al-Malik] b. Yazīd à Ḫuzayma b. Māhān, (3) salut. Je rends pour toi louange à (4) Dieu l’unique. (5) Venons-en au sujet de cette lettre. Je t’ai associé (6) al-Ḥāriṯ b. Kāmil, dans (7) ton district, et je lui ai ordonné de t’assister (8) et de t’aider concernant (9) la plainte des habitants de ton district auprès/à l’encontre ( ?) de ʿAbd al-Wāḥid b. (10) Qays. Occupez-vous donc de ce qui est en votre pouvoir et auditionnez (11) ʿAbd al-Wāḥid relativement à la plainte et ce qu’ils lui réclament. (12) Écris-moi ensuite (13) de quoi il en retourne, si Dieu le veut ! Que le salut (14) soit sur toi, ainsi que la miséricorde de Dieu ! (15) Rédigé par Ǧamīl en muḥarram de l’an (16) 13[ ]. |
144Au-delà des incertitudes qui demeurent, tentons d’éclaircir la signification de cette lettre selon les deux hypothèses retenues.
• Hypothèse 1 : ʿAbd al-Malik b. Yazīd est gouverneur de Fusṭāṭ
145En ce début de période abbasside, le gouverneur de Fusṭāṭ continuait à envoyer des instructions judiciaires dans les provinces d’Égypte en réponse aux pétitions que les plaideurs lui apportaient. Dans le premier scénario évoqué ci-dessus, les instructions seraient envoyées directement à un juge, auquel un second juge serait associé pour l’occasion, à propos d’une affaire sensible. Que le premier soit « cadi » ou « pagarque/sous-gouverneur » ne fait pas grande différence ; les deux sont manifestement musulmans et Ḫuzayma b. Māhān, si l’on en croit son nasab persan, est peut-être d’origine khurasanienne. L’important est surtout que, selon ce scénario, l’affaire est assez exceptionnelle pour justifier l’envoi d’un second juge ; en d’autres termes, une telle intervention du gouverneur dans les affaires judiciaires de la province serait plutôt rare. Dans le second scénario, le gouverneur instruirait un sous-gouverneur/pagarque de faire comparaître un juge contre lequel plainte a été portée par les habitants de son district. Là encore, ce serait l’injustice d’un fonctionnaire local qui déclencherait l’appel au gouverneur et la mise en place d’une procédure de maẓālim. Dans cette hypothèse, le gouverneur de Fusṭāṭ aurait conservé une forte mainmise sur le système judiciaire provincial, et serait intervenu au coup par coup pour résoudre les problèmes auxquels étaient confrontés ses sous-gouverneurs.
• Hypothèse 2 : ʿAbd al-Malik b. Yazīd est un sous-gouverneur
146Le sous-gouverneur ʿAbd al-Malik b. Yazīd a été mis au courant d’une affaire judiciaire sensible, soit par son subordonné Ḫuzayma b. Māhān, soit par une pétition que des plaignants lui ont adressée. Les deux scénarios envisageables sont les mêmes que dans l’hypothèse 1, à la différence près que l’autorité intervenant dans cette affaire est un sous-gouverneur. Le papyrus témoignerait donc à nouveau de la forte délégation de pouvoir judiciaire qui existait au début de l’époque abbasside, le sous-gouverneur ayant autorité pour adjoindre un juge associé à l’un de ses subalternes locaux. La hiérarchie administrative se serait enrichie d’un niveau à l’échelle locale, renforçant une tendance déjà sensible dans le Fayyūm de la fin de l’époque omeyyade.
4.3. Prolongements abbassides : développements d’une justice par délégation
147Quelle que soit l’hypothèse retenue quant à l’identité de ʿAbd al-Malik b. Yazīd, le développement d’une justice par délégation – le sous-gouverneur ou ses subordonnés jouant un rôle décisif dans la hiérarchie judiciaire – se confirme quelques décennies plus tard.
4.3.1. Chrest. Khoury I 84 : le sous-gouverneur et son wakīl
148Dans une lettre découverte au Fayyūm et datée du iiie/ixe siècle, un certain al-Fatḥ b. Sulaymān ordonne à Abū Furāt, wakīl à Babīǧ335, de « contraindre son adversaire à rendre justice à cet homme » [i.e. le porteur de la lettre] (anṣif hāḏa l-raǧul min ḫaṣmi-hi) et de lui faire rendre ce dont il est redevable. Si néanmoins le destinataire peine à résoudre l’affaire, il doit s’abstenir de rendre tout jugement et renvoyer les deux plaideurs devant al-Fatḥ b. Sulaymān, qui examinera lui-même leur litige336. Ce document rappelle encore certaines missives de Qurra b. Šarīk à l’époque marwānide, si ce n’est que le nom du demandeur n’est pas mentionné et qu’il n’est pas explicitement requis qu’il apporte une bayyina pour prouver ses allégations. Par ailleurs, la lettre a manifestement été rédigée par l’auteur, alors que Qurra b. Šarīk confiait la rédaction – et la copie – des missives à des scribes de son administration.
149Comme dans P. MuslimState 21, un sous-gouverneur (rôle que joue al-Fatḥ b. Sulaymān, quel que soit son titre officiel) s’adresse à un subordonné, qui porte cette fois-ci le titre de wakīl. Ce terme, en règle générale, désigne un « mandataire », un « fondé de pouvoir »337 chargé de gérer les affaires d’un individu et de le représenter. Ce « représentant » d’al-Fatḥ b. Sulaymān semble ainsi investi de pouvoirs judiciaires comparables, dans une large mesure, à ceux des pagarques de l’époque omeyyade.
150Ce papyrus évoque donc une situation où un sous-gouverneur fut saisi d’une affaire judiciaire par un plaignant. À la différence de P. MuslimState 21 qui, à la fin de l’époque omeyyade, suggère que le subordonné local du sous-gouverneur n’a pas forcément pour mission de trancher le litige, le wakīl du sous-gouverneur se voit ici explicitement confier la mission de juger l’affaire, bien que le sous-gouverneur se réserve le droit d’en reprendre lui-même l’instruction. Le wakīl Abū Furāt semble donc agir en tant que juge au service du sous-gouverneur, mais sans avoir le titre de qāḍī attesté à la même époque à Fusṭāṭ, et peut-être dans d’autres régions338. Faut-il penser que rendre la justice n’était qu’une de ses attributions, voire une fonction épisodique, et que le sous-gouverneur rendait parfois la justice en personne ? On comprendrait, en ce cas, qu’al-Fatḥ b. Sulaymān ne lui ait pas délégué l’administration judiciaire de manière permanente, mais se contente de lui confier un mandat ponctuel, au cas par cas. Il est clair, d’après ce papyrus, que la justice n’était plus simplement déléguée du gouverneur au sous-gouverneur, mais aussi de ce dernier à certains de ses subordonnés, ce qui laisse envisager une multiplication des agents judiciaires locaux. Alternativement, si le wakīl Abū Furāt se trouvait auprès du sous-gouverneur, on peut envisager que ce dernier, pris par d’autres tâches administratives, déléguait le traitement d’affaires judiciaires à l’un de ses agents sur place. Quoi qu’il en soit, il semble qu’une partie de la justice, dans le Fayyūm du iiie/ixe siècle, était encore rendue par des agents administratifs qui ne portaient pas le titre de qāḍī, mais celui de wakīl.
4.3.2. P. Cair. Arab. III 167 : du sous-gouverneur au cadi
151Quelle qu’ait été l’identité du ʿAbd al-Malik b. Yazīd mentionné plus haut, l’administration judiciaire se développa donc à des échelons inférieurs à celui de la kūra/pagarchie, tandis que le sous-gouverneur/pagarque tendait à se voir reconnaître une autorité judiciaire permanente. Au-delà de ce constat, le rôle imparti aux sous-gouverneurs dès le début de l’époque abbasside était assez important pour les préparer, parfois, à l’exercice de fonctions judiciaires à part entière. C’est ce dont témoigne un papyrus trilingue (arabe, grec et copte) datant des années 132/750. Celui-ci mentionne que Yazīd b. ʿAbd Allāh, représentant du gouverneur égyptien sur les kūra-s d’Aḫmīm et de Ṭahṭā en Haute-Égypte339, réunit les notables d’Aḫmīm afin de les interroger sur ʿAmr b. ʿAttās, un fonctionnaire des finances accusé avec ses scribes et ses percepteurs de maltraiter la population. ʿAmr b. ʿAttās fut innocenté sur leur témoignage et le document qui nous est parvenu fut rédigé pour lui servir de « quittance » (barā’a)340.
152Yazīd b. ʿAbd Allāh exerça quelques années plus tard comme vicaire du cadi de Fusṭāṭ, Ġawṯ b. Sulaymān (en 140/757-8)341, et Ibn Yūnus – puis, à sa suite, Ibn Ḥaǧar – pensent qu’il occupait à Aḫmīm un poste de cadi342. Bien malencontreusement, la plus grande partie de son titre a disparu dans la version arabe du texte, et Grohmann le restitue de la façon suivante : [ṣāḥib al-amīr wa-ḥ] āfiẓu-hu ʿalā kūrat Aḫmīm wa-Ṭahṭā343. La version copte le qualifie de dēmosios logos, « autorité publique », une expression qui, avant la conquête, pouvait faire allusion au gouverneur comme à un fonctionnaire inférieur344. Au ive/xe siècle, al-Kindī ne le qualifie pas de qāḍī : « Yazīd b. ʿAbd Allāh b. Bilāl était “gouverneur” (wālī) d’Aḫmīm345 », affirme-t-il. Cette mention, ainsi que le tronçon de titre préservé dans le papyrus, laisse penser qu’il exerçait plutôt un rôle de sous-gouverneur dans les districts d’Aḫmīm et de Ṭahṭā346.
153Ce papyrus montre en premier lieu que toutes les plaintes de nature fiscale n’allaient pas devant le gouverneur de Fusṭāṭ. Ses sous-gouverneurs en province (ou les représentants du wālī/ṣāḥib al-ḫarāǧ, le directeur des finances) semblaient habilités à instruire de tels litiges et à enquêter sur les fonctionnaires suspectés d’abus. En second lieu, il représente un témoignage unique sur les carrières possibles de tels sous-gouverneurs. Tout se passe comme si l’expérience judiciaire provinciale de Yazīd b. ʿAbd Allāh l’avait préparé à l’exercice de la judicature à Fusṭāṭ. Un lien commençait à s’établir entre la fonction de sous-gouverneur et celle de cadi.
154La sécheresse de la documentation ne permet pas, pour le moment, d’aller plus loin dans la reconstitution. On peut simplement postuler que les attributions judiciaires de fonctionnaires comme Yazīd b. ʿAbd Allāh les firent plus tard assimiler à des cadis par des historiens influencés par le modèle « classique » de l’administration judiciaire tel qu’il fut développé par le fiqh. De leur côté, peutêtre des wakīl-s de sous-gouverneurs furent-ils peu à peu remplacés par des cadis portant officiellement ce dernier titre.
4.4. La justice directe du gouverneur abbasside
155Les incertitudes pesant sur l’identité réelle de ʿAbd al-Malik b. Yazīd, dans les années 750, n’ont pas permis jusqu’ici d’évaluer l’étendue de l’autorité judiciaire des gouverneurs abbassides dans la province égyptienne. L’intervention des émirs de Fusṭāṭ dans les kūra-s égyptiennes, par leurs instructions écrites aux sousgouverneurs ou aux pagarques, demeurera incertaine tant que toute la lumière ne sera pas faite sur l’identité de ce personnage. D’autres papyrus laissent néanmoins penser que le gouverneur de Fusṭāṭ continuait à jouir d’une autorité judiciaire reconnue par ses sujets, et qu’il servait encore de recours régulier.
4.4.1. Des pétitions à l’émir de Fusṭāṭ
156La justice directe du gouverneur abbasside continuait d’être sollicitée à Fusṭāṭ même, comme en témoigne une pétition – datée du iie ou iiie/viiie ou ixe siècle par Grohmann – adressée à un amīr portant la kunya d’Abū l-Ḥasan, et identifié par Geoffrey Khan au gouverneur ʿAlī b. Sulaymān al-Hāšimī al-ʿAbbāsī (r. 169-171/786-787)347 :
R ° : Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
À Abū l-Ḥasan, que Dieu le préserve, lui prête longue vie et l’assiste dans la mission qu’Il lui a confiée dans ce bas monde et dans l’au-delà. Puisse-t-il le garder [et] le combler de Ses bienfaits dans ce monde et dans l’autre, jusqu’à son départ pour le paradis, dans la Miséricorde de Dieu !
[Je t’informe] – que Dieu te garde ! – que je suis un pauvre orphelin. Je me tourne vers Dieu et vers toi pour te demander […]. Je n’ai personne d’autre que Dieu et que toi, Ô mon maître… Le jour où mon père mourut, j’étais encore un petit enfant. Or mon père mourut en laissant une créance de quatre dinars, que lui devait Ilyās. Ce dernier les a employés pour assurer ma subsistance. Mais il est parti avec ce qui me permettait de vivre, en emportant les quatre dinars sans m’en reverser le moindre sou, ni à moi ni à ma mère ! Je suis un homme pauvre. […] ma mère grâce à [ta] gé[nérosi] té, mais il les a dépensés […].
Je n’ai personne vers qui me tourner que Dieu et toi. Ordonne, Ô mon maître, et envoie quérir cet homme qui lui [i.e. le père] a pris ces quatre dinars ! Interroge-le afin de connaître la vérité dans cette affaire ! Je demande à Dieu qu’il te prête une vie agréable et un illu[stre] avenir. Que le salut soit sur toi, ainsi que la miséricorde et la bénédiction de Dieu.
V ° : Pour l’émir, que Dieu le garde348.
157À notre connaissance, cette pétition est la plus ancienne conservée qui concerne explicitement une affaire judiciaire349. Elle doit ressembler, à bien des égards, à celles que les plaideurs envoyaient aux gouverneurs des Omeyyades et, peut-être, des premiers Abbassides, afin d’obtenir un rescrit leur permettant de réclamer justice dans leur pagarchie. Pourtant, la procédure s’éloigne à première vue de celle « par rescrit » qui apparaissait jusqu’ici comme le principal mode d’intervention du gouverneur dans les affaires judiciaires. En effet le plaignant, un musulman, ne demande pas au gouverneur d’émettre un rescrit à l’attention d’un autre juge, mais d’instruire lui-même le litige qui l’oppose à son adversaire, un probable parent qu’il accuse d’avoir profité de sa faiblesse pour ne pas rembourser la dette qu’il avait contractée auprès de son défunt père. Deux hypothèses peuvent être proposées.
L’appel du plaignant à la justice directe du gouverneur est rhétorique. Le demandeur sait, par avance, que l’émir déférera le procès devant un juge inférieur et se contentera d’écrire un rescrit, mais l’usage veut qu’il réclame la justice de l’émir en personne. Dans cette hypothèse – tout à fait vraisemblable –, la procédure correspondrait à celle du rescrit, et le procès dut être instruit dans la ville du plaignant (le lieu de découverte de ce papyrus est malheureusement inconnu). Si cette hypothèse se vérifiait, cela confirmerait que la procédure par rescrit du gouverneur se maintint à l’époque abbasside, ce qui rendrait l’attribution de P. Vindob. Inv. A. P. 1944 et de P. Louvre Inv. 6377 au gouverneur ʿAbd al-Malik b. Yazīd plus plausible que jamais.
Le gouverneur est réellement sollicité pour trancher lui-même le litige. Cela signifie que l’émir de Fusṭāṭ aurait, en cette fin de iie/viiie siècle, une véritable activité judiciaire, qu’il exerçait peut-être déjà auparavant mais qui n’est pas documentée pour l’époque omeyyade350. Il reste à savoir si le recours au gouverneur était régulier ou conjoncturel. Dans le schéma classique dessiné par les sources musulmanes, un tel litige civil aurait dû (ou pu ?) relever des compétences du cadi. Si, dans cette affaire, le demandeur comme le défendeur se trouvaient à Fusṭāṭ – ce que laisse supposer l’injonction à l’émir de convoquer l’adversaire –, pourquoi n’ont-ils pas recouru au cadi ?
158Au vu de la biographie de l’émir ʿAlī b. Sulaymān al-ʿAbbāsī, on peut se demander si le recours au gouverneur n’est pas surtout de circonstance. Al-Kindī explique en effet que ʿAlī b. Sulaymān se distingua par sa volonté d’appliquer avec fermeté le principe d’« ordonner le bien et d’interdire le mal » (al-amr bi-lmaʿrūf wa-l-nahy ʿan al-munkar), qui le conduisit, notamment, à interdire les instruments de musique et les boissons fermentées, et à détruire à Fusṭāṭ des églises construites à l’époque islamique351. Ibn Taġrī Birdī ajoute qu’il se distinguait par sa justice (ʿādil) et par sa bienveillance vis-à-vis du peuple (fī-hi rifq bi-lraʿiyya)352. De son côté, le cadi en poste sous son règne, al-Mufaḍḍal b. Faḍāla, laissa à la postérité l’image d’un cadi contesté, dont les compétences judiciaires faisaient l’objet de doutes et dont beaucoup de plaideurs étaient mécontents353. Peut-être n’est-ce pas un hasard si ʿAlī b. Sulaymān est un des rares gouverneurs dont al-Kindī évoque la pratique judiciaire dans ses Aḫbār al-quḍāt : il condamna à mort un chrétien coupable d’avoir insulté le Prophète354. Il se peut que des plaideurs, entre un gouverneur respecté pour sa droiture et un cadi décrié pour certaines de ses pratiques, aient volontairement délaissé l’audience du cadi pour s’adresser au gouverneur. Encore faut-il souligner qu’un tel choix n’était possible que parce que le gouverneur de Fusṭāṭ restait reconnu comme dispensateur de justice et comme un recours possible.
159Au iiie/ixe siècle, des pétitions judiciaires étaient toujours soumises à des gouverneurs égyptiens, comme en témoigne le papyrus P. Michaelides P. A43. L’auteur s’adresse à un amīr non identifié pour se plaindre d’un certain al-Ḥasan b. Turabī al-Bustabānī, qu’il accuse de ne pas avoir payé les deux années de loyer qu’il lui doit. Il affirme disposer d’une preuve (bayyina, sans nul doute une preuve testimoniale à cette époque) de sa revendication et demande au gouverneur d’examiner son affaire355. D’autres pétitions comportent des plaintes, bien que l’identité de leurs destinataires soit plus difficile à déterminer. Dans le brouillon d’une lettre du iiie/ixe siècle, le marchand d’étoffes du Fayyūm Abū Hurayra interpelle un représentant de l’ordre anonyme à propos d’une agression dont son frère a été victime, lui demandant d’intervenir, peut-être pour emprisonner les agresseurs356.
160De tels documents – dont l’existence est attestée bien au-delà de la période qui nous préoccupe357 – témoignent de la place pérenne que tint le recours au gouverneur. Dans leur forme, ces pétitions diffèrent peu de requêtes « non judiciaires », dans lesquelles ce n’est point justice qui est réclamée, mais une aide matérielle ou financière358.
4.4.2. Développements d’une justice « fiscale »
161Nous avions noté, pour la période marwānide, l’existence d’ordonnances générales du gouverneur concernant les injustices commises par des fonctionnaires fiscaux. De telles instructions, prévoyant des châtiments pour les auteurs d’exactions ou pour les réfractaires au paiement de l’impôt, continuèrent d’être émises à l’époque abbasside. La documentation papyrologique semble néanmoins pointer, désormais, vers des séries d’instructions ponctuelles, concernant des cas particuliers et non plus une réglementation générale.
162Dans un papyrus lacunaire du iiie/ixe siècle, de provenance indéterminée, l’auteur – inconnu mais dont on peut penser qu’il fut gouverneur de Fusṭāṭ – ordonne à son destinataire de faire administrer dix coups de fouet quotidiens à plusieurs individus et de les mettre à l’amende s’ils n’apportent pas une certaine somme359. Deux personnes citées – Aḥmad b. ʿAbd Allāh et Ḏakar b. Yaḥyā, dont on ne sait s’ils sont les accusés ou les hommes chargés d’appliquer les châtiments – apparaissent dans d’autres documents comme des percepteurs (ʿāmil-s) en activité vers l’an 224-225/838-840360, ce qui inscrit ces instructions dans le champ d’une justice « fiscale » par laquelle le gouverneur entend réglementer la perception des impôts et châtier les contrevenants. À la même époque, vers 205-206/820-822 selon la datation d’Albert Dietrich, une lettre découverte à Edfou évoque un fonctionnaire corrompu, qui a tenté de s’emparer de certains héritages. Le document mentionne une autre lettre par laquelle l’émir Abū Naṣr – vraisemblablement Muḥammad b. al-Sarī b. al-Ḥakam361 – a ordonné de faire rendre de l’argent audit fonctionnaire, à la suite de quoi son destinataire lui a également fait subir un châtiment corporel362. Ces deux documents, malgré leurs lacunes et leur difficulté d’interprétation, laissent penser que le gouverneur de Fusṭāṭ recevait toujours des plaintes relatives à certains de ses agents, et qu’il envoyait des instructions pour rétablir le bon droit – même si, en l’occurrence, une telle justice ne semblait pas passer par l’organisation de procès en bonne et due forme.
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163L’évolution générale de l’administration judiciaire à la fin de l’époque omeyyade et sous les premiers Abbassides est assez claire. Sous Qurra b. Šarīk, la justice était rendue par les pagarques à l’échelon de la kūra, et nous ne conservons pas trace de délégation judiciaire à un niveau inférieur. Le gouverneur de la province égyptienne revendiquait une autorité judiciaire souveraine, et envoyait en certains cas ses instructions écrites aux pagarques. Ces derniers conservaient de facto le pouvoir qu’ils avaient hérité de la période byzantine, mais on ne sait dans quelle mesure le gouverneur les reconnaissait comme des délégués judiciaires permanents. À la fin de l’époque omeyyade, la justice locale était désormais exercée par des sous-gouverneurs musulmans, et ils pouvaient pour leur part déléguer leurs pouvoirs à des subalternes.
164Cette évolution est symptomatique d’un processus d’islamisation de l’administration au sein de la province. Entre les papyrus de Qurra b. Šarīk et ceux du premier âge abbasside, la réforme entamée par le calife ʿUmar II b. ʿAbd al-ʿAzīz (r. 99-101/717-720) avait pénétré le Ṣaʿīd égyptien : les kūra-s n’étaient plus tenues par des pagarques chrétiens mais par des fonctionnaires musulmans – des fils de convertis pour certains, et, peut-être en majorité363, des Arabes de pure souche envoyés par Fusṭāṭ, tel Yazīd b. ʿAbd Allāh à Aḫmīm ou, probablement, Nāǧid b. Muslim au Fayyūm364. Ces fonctionnaires, ou « sous-gouverneurs » – c’est ainsi qu’un historien comme al-Kindī, qui parle de wālī, semble les considérer –, ne différaient pas fondamentalement des anciens pagarques365. Petra Sijpesteijn montre pourtant que le passage de pagarques chrétiens à des pagarques ou sous-gouverneurs musulmans traduit un renforcement important des structures étatiques à l’échelle égyptienne : à la différence de leurs prédécesseurs chrétiens, les sous-gouverneurs musulmans n’étaient plus de riches notables enracinés économiquement comme socialement dans leur kūra, mais des fonctionnaires délégués agissant avant tout pour le compte de l’État, des professionnels de l’administration366. L’apparition de ces fonctionnaires musulmans, qui semble concorder avec un certain renforcement de leur autorité judiciaire, suggère que l’islamisation de l’administration put susciter le développement d’une justice locale, y compris à un niveau inférieur à celui de la pagarchie367.
165Cette évolution se confirme au début de la période abbasside, lorsque le système s’achemine vers une délégation judiciaire permanente à l’échelon local. La procédure par rescrit disparaît des sources documentaires dans la seconde moitié du iie/viiie siècle. Un avatar de cette procédure, qui n’est connue à l’époque omeyyade que dans une relation Fusṭāṭ → ville de province, semble néanmoins réapparaître à l’échelle régionale sous les Abbassides, un sous-gouverneur autorisant au cas par cas le traitement d’une affaire par son représentant, tout en demeurant un référent judiciaire supérieur. Le transfert de cette procédure vers l’intérieur de la province pourrait témoigner d’une bureaucratisation croissante de la campagne égyptienne : à l’instar de l’émir de Fusṭāṭ, peut-être les sous-gouverneurs provinciaux étaient-ils désormais trop occupés pour continuer à rendre eux-mêmes la justice.
166Cela ne signifie pas pour autant l’éclipse totale du gouverneur de Fusṭāṭ. Au début de l’époque abbasside, celui-ci semblait toujours exercer une activité judiciaire. Si le ʿAbd al-Malik b. Yazīd des papyrus peut être identifié au gouverneur Abū ʿAwn, il faut en conclure que la procédure par rescrit ne disparut pas complètement, que le gouverneur revendiquait toujours une autorité judiciaire supérieure et qu’il continuait, au moins de manière épisodique, à envoyer des instructions à ses sous-gouverneurs. L’ancienne procédure, par laquelle un plaignant s’adressait d’abord au gouverneur par voie de pétition, avant que celui-ci n’envoie au juge local l’autorisation écrite d’instruire le procès, était peut-être toujours en vigueur – bien que sans doute sur le déclin. En ce cas l’arrivée au pouvoir des Abbassides serait loin d’avoir révolutionné le fonctionnement de l’administration judiciaire.
5. LA JUSTICE DU CADI D’APRÈS LES SOURCES PAPYROLOGIQUES
5.1. La naissance documentaire du cadi
5.1.1. Le cadi, absent des papyrus omeyyades
167Jusqu’ici le grand absent de la documentation judiciaire est le cadi. À l’exception, peut-être, du ʿUmar b. ʿUbayd Allāh de Ḫirbet el-Mird dont l’identification à un cadi reste spéculative368, aucun cadi n’apparaît nominalement dans les documents de l’époque omeyyade, et aucun document ne peut être identifié comme ayant été émis par le tribunal d’un cadi. Faut-il rendre le hasard des découvertes seul responsable de cette absence ? Alternativement, peut-on croire que les documents émis par les cadis ou leur étant destinés furent conservés avec moins de soin que ceux des gouverneurs et des pagarques ? Ou encore, faut-il penser que les sources littéraires, qui font remonter l’institution du cadi aux califes de Médine – ou, pour les plus critiques, au règne de Muʿāwiya (r. 41-60/661-680)369 –, ont projeté en arrière une institution qui n’existait pas encore ?
168La dernière hypothèse a récemment été privilégiée par Fred Donner : remarquant l’absence du mot qāḍī dans la documentation papyrologique du ier/viie siècle, Donner considère l’apparition du terme comme un exemple de la « coranisation » du vocabulaire politico-religieux qui se produisit dans le courant du iie/viiie siècle : the ruler seems to have initiated a new position or office, designated by the term qâḍî, to handle judicial procedures that heretofore had been part of the duties of a governor370. Le cadi serait ainsi une création du viiie siècle. Donner voit probablement juste quand il souligne que le titre de qāḍī renvoie à une rhétorique coranique ; de fait, on peut douter que ce titre ait été adopté aussi tôt que la tradition islamique le prétend. Pour autant, il faut remarquer que les papyrus arabes d’époque omeyyade emploient peu de titres officiels. Ainsi dans ses lettres arabes, Qurra b. Šarīk ne se présente jamais comme « gouverneur » – alors que son titre est mentionné dans ses lettres en grec et en copte371. Par ailleurs, l’invention tardive du titre entraîne-t-elle nécessairement l’inexistence antérieure des fonctions qui l’accompagnent ?
169La question est difficile à trancher. Les développements qui précèdent suggèrent que la fonction de cadi n’existait pas en Haute-Égypte avant l’époque abbasside, ce qui pourrait être dû à l’absence de larges groupes de musulmans dans les villes secondaires. Mais qu’en était-il dans les grandes cités de la province ? Faut-il considérer que la justice était l’apanage du seul gouverneur, ou peut-on penser, en conformité avec ce qu’affirme la tradition postérieure, qu’une partie de la justice fut exercée dès le viie siècle par des juges délégués (qu’ils portent ou non le titre de cadi) ? Comment interpréter les sources littéraires affirmant que des cadis furent actifs à Fusṭāṭ depuis 23/643 et à Alexandrie depuis la fin du viie siècle372 ? La documentation connue n’apporte pas de réponse. L’absence des « cadis » de Fusṭāṭ dans les papyrus omeyyades doit néanmoins prendre en compte deux facteurs. Le premier est la relative rareté des papyrus livrés par Fusṭāṭ373. Le second est l’usage de l’écrit et le recours à l’archivage par les institutions judiciaires musulmanes. Observons le discours des sources littéraires relatives aux cadis.
170Dans ses Aḫbār quḍāt Miṣr, al-Kindī mentionne peu l’utilisation de l’écrit par les cadis de l’époque omeyyade. Il enregistre, autant qu’il le peut, les noms des scribes ou greffiers qui œuvrèrent pour les cadis de Fusṭāṭ. Le plus ancien scribe qu’il parvient à citer nommément fut au service de Tawba b. Namir al-Ḥaḍramī (115-120/733-738)374. Plus tard, peut-être sur la base d’autres sources, Ibn Ḥaǧar al-ʿAsqalānī parvint à retrouver les noms de scribes antérieurs : le plus ancien, ʿAbd al-Malik b. Abī l-ʿAwwām, travailla pour le cadi ʿAbd al-Raḥmān b. Ḥuǧayra al-Ḫawlānī (97-98/716-717)375. Al-Kindī mentionne des « scribes » (kuttāb) de Yaḥyā b. Maymūn al-Ḥaḍramī (105-114/724-732), qui firent l’objet de plaintes376, mais aucun autre nom de greffier n’est connu entre 98/717 et 114/732377. L’association de scribes aux cadis de Fusṭāṭ n’est donc pas attestée avant 97/716, et l’on peut se demander si l’institution du secrétariat judiciaire ne se développa pas véritablement dans les années 720, voire 730.
171L’inexistence d’un personnel judiciaire spécialisé dans l’écrit avant une date assez tardive – postérieure, en tout cas, aux papyrus de Qurra b. Šarīk – permettrait-elle d’expliquer l’absence des cadis dans la documentation omeyyade ? Cette hypothèse est plausible. Si les cadis de la période sufyānide et du début de l’époque marwānide ne ressentirent pas le besoin de s’associer un secrétaire, est-ce parce que leur production écrite ne le nécessitait pas encore ? Le premier dīwān – à prendre probablement dans le sens d’« archives » – de cadi connu fut fondé en 118/736 pour gérer des biens de mainmorte378. Selon al-Kindī, l’utilisation de l’écrit dans la procédure judiciaire cadiale ne connut de changements significatifs qu’au milieu du premier âge abbasside, à la fin du viiie siècle. Dans la tradition des awā’il, cet historien guette les « inventeurs » d’une pratique379 et note à propos du cadi al-Mufaḍḍal b. Faḍāla (en poste de 174/790 à 177/793) :
Al-Mufaḍḍal b. Faḍāla fut le premier cadi à allonger les registres (siǧillāt), à y copier les parchemins (kutub al-siḥā’)380, les testaments (waṣāyā) et les [reconnaissances de] dettes (duyūn). Avant lui, cela ne se faisait pas381.
172Les particuliers recourraient auparavant à l’écrit pour consigner leurs actes privés ou leurs testaments382. Peut-être les produisaient-ils au tribunal, et sans doute les scribes de cadis émettaient-ils des jugements écrits. En revanche, si l’on en croit ce passage, l’usage administratif de l’écrit était limité. Les cadis n’avaient pas coutume d’enregistrer systématiquement les pièces versées aux dossiers qu’ils traitaient. L’usage de l’écrit dans les tribunaux des cadis semble donc avoir connu un développement progressif ; c’est seulement à l’époque abbasside qu’une administration judiciaire fondée sur l’écrit acheva de se mettre en place sous la forme qui allait demeurer la sienne383. Cela ne signifie pas pour autant que les cadis ne jouaient aucun rôle significatif avant cela : nul besoin en réalité de jugement écrit pour que la parole du cadi produise un effet performatif384. Cela signifie simplement que le cadi, quels qu’aient été ses pouvoirs et son titre réel, se trouvait à la tête d’une structure de dimension modeste, sans rien de commun avec la lourde administration du gouverneur.
5.1.2. Premières traces documentaires de l’appel au cadi
173Le mot « cadi » apparaît peut-être dans la documentation papyrologique vers la fin de l’époque omeyyade. Dans une lettre remontant aux années 730 ou 740, et concernant une dette, un qaḍī (sic) pourrait être évoqué385. Celui-ci semble impliqué dans quelque réseau commercial, et a priori il ne joue pas de rôle judiciaire dans l’affaire de dette386. S’il s’agit bien d’un « cadi » – mais la lecture du papyrus, qui présente de nombreuses erreurs et fautes d’orthographe, pourrait être incertaine à cet endroit387 –, ce dernier était probablement en poste à Fusṭāṭ388. Ce papyrus, qui représente la première attestation documentaire du titre de cadi, ne permet néanmoins pas d’autre conclusion que l’existence de relations commerciales entre un cadi de Fusṭāṭ et un particulier du Fayyūm.
174Si l’on excepte cette mention difficile à interpréter – et pour tout dire assez hypothétique –, c’est à la période abbasside que le cadi fait son apparition dans la documentation papyrologique. Dans une pétition datée approximativement du iie/viiie siècle par Werner Diem389, un demandeur s’adresse à un qāḍī – non nommé dans le fragment qui a survécu – pour se plaindre d’une de ses sœurs. Après la mort de leur mère, celle-ci s’est en effet emparée de revenus locatifs qui auraient dû être partagés entre les héritiers. Visiblement, le cadi avait déjà été saisi de l’affaire et le demandeur avait fait témoigner (ašhada) plusieurs individus de ses droits. Pour une raison inconnue, le demandeur n’a pas encore obtenu de jugement en sa faveur, et il prie instamment le cadi de rendre à chacun ce qui lui revient de droit ([…] kull ḏī ḥaqq ḥaqqa-hu)390.
175Un tel document, même difficile à dater de manière précise, montre que la procédure suivie devant le cadi d’époque abbasside ne différait pas fondamentalement du recours au gouverneur : le demandeur commençait par lui exposer sa plainte par écrit avant que le cadi n’examine son affaire en sa présence – et probablement celle du demandeur – dans le cadre de l’audience judiciaire. Dans la littérature consacrée aux cadis, de telles pétitions judiciaires sont appelées qiṣṣa-s ou ruqʿa-s : Wakīʿ en mentionne l’existence, en Irak, à partir des années 140/757391, et la première mention par al-Kindī remonte au début des années 790, sous la judicature d’al-Mufaḍḍal b. Faḍāla, réputé avoir développé l’usage de l’écrit dans l’administration judiciaire392. D’après ce dernier auteur, le plaideur apportait sa pétition au tribunal et la remettait au cadi393. Plus tard, la théorie juridique prescrivit que de telles pétitions soient collectées par le scribe du cadi au début de chaque audience394.
176Plusieurs papyrus témoignent de l’activité scripturaire croissante des cadis de Fusṭāṭ. La bibliothèque de Cambridge recèle une courte convocation émise par Ġawṯ b. Sulaymān, cadi de Fusṭāṭ en poste de 135/753 à 144/761, puis de 167/783 à 168/785395. Un autre document enregistre un témoignage effectué devant son successeur immédiat, al-Mufaḍḍal b. Faḍāla (en poste de 168/785 à 169/786, puis de 174/790 à 177/793)396. Enfin, un papyrus provenant des fouilles de Fusṭāṭ mentionne à deux reprises le cadi ʿĪsā b. al-Munkadir (en poste de 212/827 à 214/829)397 ; ce même cadi est cité, avec son titre et le nom de son vicaire (ḫalīfa) au Fayyūm, dans un document édité par Petra Sijpesteijn398. Une reconnaissance de dette datée de 214/829, publiée par Yūsuf Rāġib, évoque aussi ce personnage, ce qui signifie que la dette fit l’objet d’un témoignage devant le tribunal399.
5.1.3. Une structure judiciaire de transition ?
177La pétition CPR XVI 3, évoquée plus haut, révèle l’existence d’un tribunal cadial fonctionnant de manière relativement autonome sur le plan administratif. Mais la documentation papyrologique témoigne aussi du lien persistant qui, comme pour les anciens pagarques, continuait d’unir le juge au gouverneur de Fusṭāṭ. Une lettre de l’émir Mūsā b. Kaʿb (r. 141/758-9)400, surtout remarquée, jusqu’ici, parce qu’elle atteste l’existence historique du baqṭ (traité entre l’Égypte et la Nubie401), constitue un des plus anciens documents qui nomment un cadi. À la suite d’accusations portées contre le roi de Nubie, qui aurait emprisonné et maltraité deux marchands musulmans, une plainte fut déposée auprès du sousgouverneur (ʿāmil) d’Assouan, Salm b. Sulaymān. Celui-ci réclama à Muḥammad b. Zayd, le maître d’un des marchands (de condition servile) emprisonnés en Nubie, d’apporter la preuve (bayyina) du bien-fondé de sa plainte. Le demandeur produisit plusieurs musulmans honorables (ʿudūl) qui témoignèrent que le marchand était arrivé en Nubie et qu’il y avait été maltraité. Le ʿāmil d’Assouan écrivit donc au gouverneur de Fusṭāṭ pour l’en informer, et lui envoya Muḥammad b. Zayd. Le gouverneur explique qu’il a fait comparaître (ǧamaʿa) devant lui Muḥammad b. Zayd à son arrivée à Fusṭāṭ, en compagnie de l’émissaire du roi de Nubie, un certain Petre (Biṭreh). Au lieu de juger l’affaire en personne, néanmoins, le gouverneur a ordonné au « cadi des habitants de Miṣr » (qāḍī ahl Miṣr), Ġawṯ b. Sulaymān (en poste de 135/753 à 144/761)402 d’« examiner leur affaire » (an yanẓura fī amri-him), et celui-ci a rendu son jugement : il a condamné Petre à libérer le marchand avec ses biens si ce dernier est encore vivant, et, dans le cas contraire, à payer une compensation (diya) de 1 000 dinars403.
178L’affaire de ce marchand emprisonné par le roi de Nubie semble représentative d’une période de transition. Le demandeur, Muḥammad b. Zayd, commence par porter plainte devant un sous-gouverneur portant ici le titre de ʿāmil404. Celui-ci réunit des preuves du bien-fondé de la plainte, puis écrit au gouverneur de Fusṭāṭ. Ce dernier décide de traiter l’affaire dans la capitale et, dans un premier temps, il auditionne le demandeur et son adversaire, avant de transmettre l’affaire au cadi qui, enfin, rend un jugement. À bien des égards, la première partie de la procédure ressemble à celle qui était mise en œuvre à la même époque devant d’autres gouverneurs ou sous-gouverneurs. Elle rappelle également la procédure suivie sous les Omeyyades : le ʿāmil-juge, bien qu’il entende les preuves, ne rend pas de jugement mais en réfère à son supérieur – dans le cas présent, ce dernier décide de reprendre l’affaire en main. La seconde partie de la procédure est plus originale : au lieu de juger le litige en personne, le gouverneur confie cette tâche au cadi de Fusṭāṭ. Deux procédures, l’une « archaïque » devant le gouverneur, l’autre « moderne » devant le cadi, semblent ainsi fusionner, le cadi ne traitant l’affaire que sur demande expresse du gouverneur. Le schéma qui se dessine confirme ainsi celui d’une justice qui demeure, en ce début d’époque abbasside, avant tout celle du gouverneur. Le cadi est présent, mais dans une position de subordonné.
179On pourrait objecter que l’affaire n’était pas seulement judiciaire, mais aussi diplomatique, ce qui expliquerait le rôle majeur joué par le gouverneur et son sous-gouverneur. Cette objection pourrait être retenue si d’autres indices documentaires, analysés ci-dessus, ne désignaient pas eux aussi les gouverneurs comme des acteurs majeurs du système judiciaire. Il est possible néanmoins que le renvoi final de l’affaire devant le cadi soit symptomatique de la reconnaissance montante dont ce juge bénéficiait : bien qu’il le considérât encore comme un subordonné, le gouverneur (ou ses contemporains) reconnaissait peut-être à sa parole une valeur susceptible de parer son jugement d’une légitimité accrue. On remarque par ailleurs la tonalité islamique « classique » que prend la procédure conduite devant le ʿāmil : pour la première fois dans un papyrus, la bayyina est clairement assimilée à une série de témoignages. La preuve par excellence est bien, au milieu du iie siècle de l’hégire, celle que définissent les juristes musulmans : une preuve testimoniale. Bien qu’il fût encore regardé comme la principale autorité judiciaire de la province, le gouverneur n’en avait pas moins besoin de s’appuyer, de manière croissante, sur un spécialiste du droit et de la justice.
5.2. La judicature au miroir des documents notariés
180Le très faible nombre de papyrus portant mention de cadis ou émis par une institution judiciaire aux trois premiers siècles de l’Islam oblige à rechercher d’autres indices documentaires, signalant en négatif l’existence d’un système de résolution des litiges. Des traces indirectes apparaissent dans les actes privés rédigés en amont des conflits, et portant des noms de témoins. La plupart de ces documents ne mentionnent ni juge ni institution judiciaire, mais les attestations dont ils font l’objet – que l’on peut assimiler à une forme de « notariat » – anticipent une action en justice, soit que le document lui-même puisse servir de preuve ou de présomption, soit qu’il facilite le rassemblement des preuves. Une recherche systématique du verbe šahida – qui introduit toujours les témoignages en début ou en fin de document – sur l’Arabic Papyrology Database a permis d’isoler un corpus de 83 documents arabes notariés, datés entre les débuts de l’Islam et l’an 900, provenant surtout d’Égypte mais également, dans une moindre mesure, de Palestine et du Khurasan405. Il s’agit pour l’essentiel de contrats de vente, de location ou de mariage, de reconnaissances de dettes et de quittances406.
181L’apport de ces actes notariés à l’histoire des institutions judiciaires est limité : ils n’indiquent jamais l’autorité compétente en cas de litige, ni même s’il s’agit d’une institution judiciaire, arbitrale, ou de formes plus informelles de médiation. Dans la mesure où leurs auteurs, soucieux de défendre leurs droits, adaptent ces documents aux attentes des institutions dont ils envisagent l’intervention, ils offrent néanmoins un certain nombre d’indications sur leur diffusion et sur leur fonctionnement. Le corpus étudié ici est circonscrit aux textes publiés et recensés dans l’Arabic Papyrology Database, ce qui limite la portée des analyses statistiques proposées. Mais à l’instar de tout échantillon, celui-ci apparaît comme révélateur de grandes tendances historiques.
5.2.1. Le notariat : une croissance exponentielle
182Le classement chronologique des actes notariés fait tout d’abord apparaître une augmentation exponentielle de leur nombre entre le viie et la fin du ixe siècle. Très peu sont conservés pour la période omeyyade (7,2 % du corpus). Durant le premier siècle des Abbassides leur nombre augmente de manière sensible (36,2 % du corpus), mais c’est dans la seconde moitié du ixe siècle qu’il explose littéralement (56,6 %, soit plus de la moitié du corpus pour les seules cinquante dernières années de la période étudiée). Cette évolution pourrait s’expliquer en partie par un risque accru de disparition ou de détérioration rendant impossible toute datation précise des papyrus les plus anciens. La conservation de documents égyptiens pour des périodes bien plus anciennes permet néanmoins de relativiser ce facteur et de considérer la tendance observée comme révélatrice de transformations historiques. Cette évolution reste par ailleurs tributaire des découvertes de papyrus : l’effacement de la Palestine au cours de la période, tout comme la concentration des documents khurasaniens au début de l’époque abbasside, tiennent à des conditions de conservation moins favorables qu’en Égypte. Cette dernière province est pour sa part inégalement représentée, rares étant les papyrus de Fusṭāṭ à nous être parvenus. La courbe d’augmentation des actes notariés est donc avant tout significative d’évolutions propres à la Haute-Égypte.
183Cette répartition chronologique suggère que les pratiques notariales en arabe connurent une faible croissance en Haute-Égypte jusqu’au début du ixe siècle. La seconde moitié du ixe siècle marque un tournant vers une multiplication des actes juridiques établis dans la perspective d’un procès, ce qui suggère l’augmentation concomitante de la présence des institutions judiciaires. Leur nature exacte nous échappe : on peut juste présumer, pour l’instant, que l’arabe y était la langue dominante. Cette conclusion n’implique donc pas une progression générale du nombre de tribunaux, mais témoigne simplement de l’importance croissante prise par les tribunaux arabophones407.
184La provenance d’une grande partie du corpus étant inconnue, une géographie précise des pratiques notariales s’avère impossible. Les papyrus dont la provenance est connue – ou peut être déduite à partir des toponymes cités dans le texte – témoignent néanmoins de la pénétration progressive de ces pratiques en Haute-Égypte : alors qu’au début de l’époque abbasside seuls le Fayyūm et la ville d’al-Ušmūnayn sont représentés, le ixe siècle voit progressivement apparaître les villes d’Edfou, puis d’Aḫmīm, tandis que le nombre de documents originaires du Fayyūm et d’al-Ušmūnayn augmente (cartes 3-5).
5.2.2. La confession des parties
185L’appartenance religieuse des individus qui firent rédiger ces actes notariés apparaît comme un premier indice de l’institution à laquelle ils étaient potentiellement destinés. En l’absence d’autre information, l’onomastique constitue le principal indicateur de la confession, les anthroponymes à consonance arabe étant souvent tenus pour refléter l’adhésion à l’islam, tandis que les noms coptes permettraient de présumer de la christianité. La réalité est parfois plus complexe : si les noms arabes, associés à une généalogie typiquement arabe et à une nisba tribale témoignent sans ambiguïté de l’islamité, dans nombre de cas l’onomastique peut s’avérer trompeuse. Certains Égyptiens autochtones portaient à la fois un nom copte et un nom arabe – ce dernier pouvant indiquer la conversion de l’individu, mais pas toujours. Il est par ailleurs difficile de mesurer l’effet de mode, qui put amener des parents chrétiens à donner à leur enfant un nom arabe. Inversement, un anthroponyme autochtone peut dissimuler la conversion de son porteur. Enfin, certains noms partagés par des communautés distinctes – comme les noms bibliques – peuvent tout aussi bien être portés par des autochtones chrétiens, par des convertis ou descendants de convertis, et par des Arabes musulmans408. Les anthroponymes permettent donc rarement d’établir la preuve d’une appartenance confessionnelle. Ils constituent tout au plus des présomptions : la probabilité qu’un individu au nom et à la généalogie arabes soit musulman est élevée, a fortiori lorsque lui est associée une profession musulmane par excellence, comme al-ḫaṭīb (le prédicateur) ou al-mu’aḏḏin (le muezzin) ; en revanche la christianité d’un individu au nom copte est plus sujette au doute. Ces difficultés impliquent donc une marge d’erreur dans les résultats qui suivent (fig. 3).
186À l’époque omeyyade, l’échantillon étudié ne mentionne que des parties contractantes présumées musulmanes, tant en Égypte qu’en Palestine. Les pratiques notariales en arabe semblent avoir été avant tout celles d’Arabes issus de l’élite conquérante, et peut-être de convertis arabisés, dont les litiges étaient destinés à être traités devant une autorité arabo-musulmane. En Égypte, plusieurs documents furent établis par des membres des grandes tribus yéménites qui dominaient Fusṭāṭ, comme Yaḥsub, Laḫm, Maʿāfir409, Ḥaḍramawt410, Tuǧīb411. Ils étaient sans doute liés de près à Fusṭāṭ et à ses élites, et l’on peut présumer que ces documents anticipaient un éventuel procès devant l’autorité judiciaire de Fusṭāṭ – son cadi. En revanche, la période omeyyade ne garde pas trace de contrats notariés en arabe impliquant des chrétiens. Le faible nombre de papyrus retrouvés ne permet pas de conclusion définitive, mais cette absence pourrait révéler la faiblesse des interactions contractuelles entre conquérants et conquis ; il est par ailleurs probable que les populations coptes prévoyaient surtout des procès devant les autorités locales qui demeurèrent majoritairement chrétiennes et non arabes jusqu’aux dernières décennies de l’époque omeyyade, comme nous l’avons vu plus haut.
187La prédominance de parties musulmanes se confirme au cours du premier siècle des Abbassides. Un nombre croissant d’individus présumés non musulmans apparaît néanmoins : des chrétiens en Égypte, et des personnes de religion non musulmane au Khurasan – notamment des proches de Mīr b. Bēk, un notable de la région de Bāmiyān412. Ces documents notariés impliquent en général une partie musulmane. Ils témoignent donc d’interactions contractuelles grandissantes entre musulmans et non-musulmans, qui anticipent la résolution d’un futur conflit devant une institution arabo-musulmane. Mais on trouve aussi un contrat de vente vraisemblablement passé entre des chrétiens, daté de 205/821, ce qui pourrait refléter le pouvoir d’attraction que les tribunaux musulmans exerçaient dorénavant sur les non-musulmans413.
188Dans la première moitié du ixe siècle, le corpus étudié produit l’impression que les chrétiens d’Égypte constituent près de la moitié des parties contractantes. On ne peut exclure une illusion produite par l’onomastique, certains noms à consonance chrétienne pouvant masquer des conversions, auquel cas cette proportion révélerait surtout la progression de l’islamisation de la province. Elle semble aussi refléter la diffusion croissante d’institutions judiciaires musulmanes, en lien avec l’implantation d’Arabes musulmans dans les villes secondaires de la vallée du Nil et la multiplication des conversions. La seconde moitié du ixe siècle voit augmenter le nombre de parties présumées non musulmanes, mais en proportion beaucoup plus réduite que celui des musulmans, dont la progression exponentielle semble ici encore traduire l’accélération du processus d’islamisation. L’augmentation des documents établis entre des parties aux anthroponymes chrétiens414 suggère que les normes arabo-islamiques de rédaction des documents étaient désormais adoptées par les non-musulmans dans les affaires internes à leur communauté. Cela pourrait-il refléter le recul des institutions judiciaires chrétiennes traditionnelles ? Un nombre croissant de non-musulmans semble quoi qu’il en soit prévoir de résoudre leurs litiges internes devant une autorité musulmane.
5.2.3. Les témoins
• Musulmans et chrétiens
189Les actes notariés du corpus analysé portent, pour 95 % d’entre eux, la mention exclusive de témoins portant des noms musulmans. Dans la mesure où, comme nous venons de le voir, une proportion non négligeable des parties semble non-musulmane, l’appel à des témoins musulmans ne peut être considéré comme un reflet du milieu confessionnel dans lequel évoluaient les contractants. Cette donnée montre plutôt que les documents notariés en arabe, dès l’origine et quelle que fût la confession des parties, étaient destinés à être produits devant une institution judiciaire musulmane qui, comme nous le verrons plus en détail, acceptait plus volontiers – si ce n’est exclusivement – le témoignage de musulmans.
190Quelques exceptions obligent néanmoins à nuancer cette conclusion. Le papyrus P. Torrey (205/821) mentionne deux témoins musulmans et quatre (présumés) chrétiens, dans un contrat entre chrétiens. Les témoins chrétiens ont tous fait écrire leur attestation par un certain ʿAbd al-Ṣamad al-Sarrāǧ, vraisemblablement musulman et peut-être scribe de profession. Selon l’édition du document, dont les dernières lignes posent des problèmes de lecture415, cette consignation par ʿAbd al-Ṣamad aurait eu lieu dans la mosquée d’Alexandrie. Un reçu de taxe daté de 233/847, prouvant qu’un individu sans doute musulman (Untel b. al-Muwaffaq) a versé les sommes dues par des contribuables à un percepteur semble-t-il chrétien (Menas), est attesté par un musulman et deux hommes aux noms et nasab-s chrétiens416. Dans P. Cair. Arab. 114 (274/855-6), qui concerne à nouveau une affaire entre un chrétien et un musulman, le témoignage d’un chrétien s’ajoute à celui de quatre musulmans. Un document dont il ne reste que les témoignages mentionne quatre personnages à la généalogie copte, deux portant des noms chrétiens et les deux autres celui plus ambigu d’Ibrāhīm417. Enfin, un contrat de vente conclu à Ṭuṭūn en 265/879 entre un musulman et un chrétien est signé par quatre témoins musulmans et un présumé chrétien418.
191Dans la plupart de ces exemples, les parties sont mixtes et les témoins musulmans, dans deux cas au moins, sont plus nombreux que les chrétiens. Mais dans les documents n’impliquant que des parties chrétiennes, la proportion de témoins chrétiens et musulmans peut s’inverser, voire, peut-être, ne comporter que des témoignages d’individus portant des noms chrétiens. Certains chrétiens escomptaient-ils que le témoignage de leurs coreligionnaires serait admis devant la justice musulmane ? Le recours à des témoins chrétiens additionnels devait-il garantir la légalité de leurs contrats devant leurs propres autorités judiciaires, que celles-ci soient ou non envisagées comme un recours possible ? Il se peut aussi que l’attestation de chrétiens, en plus de témoins musulmans, ait eu une fonction sociale : elle contribuait à publiciser une transaction dans le milieu communautaire copte que le notariat musulman aurait autrement tenu à l’écart. En l’état actuel, il demeure impossible de privilégier une hypothèse sur une autre.
• Le nombre des témoins
192L’étude quantitative des témoins est entravée par le caractère mutilé de nombreux documents de notre corpus, qui ne préservent pas l’ensemble des attestations. Les analyses qui suivent reposent sur des chiffres qui devraient parfois être majorés, et comportent une certaine marge d’erreur.
Tableau 3 — Nombre moyen de témoins par document
Années | Égypte | Palestine | Khurasan |
650-750 | 3,7 | 3,5 | |
751-800 | 3,8 | 11 | |
801-850 | 5,4 | ||
851-900 | 4,7 |
193Au niveau macroscopique, le nombre de témoins ne connaît pas d’évolution spectaculaire en Égypte, seule province documentée pour les trois siècles. La moyenne passe de 3,7 témoins à l’époque omeyyade à 4,7 pour la seconde moitié du ixe siècle. Cette augmentation traduit toutefois un renforcement du notariat au cours de la période, surtout sensible dans la première moitié du ixe siècle. Dès l’époque omeyyade, comme nous l’avons remarqué plus haut, les parties contractantes semblent faire appel en Égypte à quatre témoins, un chiffre estimé suffisant en prévision d’un procès. Les usages en la matière semblent comparables en Égypte et en Palestine, et ne pas connaître de changement particulier sous les premiers Abbassides.
194Les documents khurasaniens de la seconde moitié du viiie siècle adoptent en revanche des normes distinctes, avec un nombre de témoins bien plus élevé – 11 en moyenne, et jusqu’à 20. Par ailleurs, à la différence des actes égyptiens, ces documents se terminent souvent par des bulles portant l’empreinte de sceaux personnels (ou celle d’un ongle) qui, quand il est possible de le déterminer, appartiennent soit aux parties soit aux témoins419. Ces deux éléments suggèrent que le fonctionnement de la preuve pouvait être différent en Égypte et au Khurasan au début de l’époque abbasside. Les papyrus égyptiens laissent penser qu’un nombre réduit de témoins suffisait à constituer une preuve. Au Khurasan, en revanche, la multiplication des attestations conduit à énoncer plusieurs hypothèses. Soit la preuve légale reposait sur la déposition d’un nombre minimal de témoins plus élevé qu’en Égypte ; soit les parties contractantes craignaient la récusation de certains de leurs témoins et devaient en solliciter plus par sécurité ; soit, enfin, la surenchère dans le nombre des témoins était de mise lors d’un procès, la production d’une quantité supérieure à celle de l’adversaire permettant de l’emporter – cette dernière hypothèse trouvant un écho dans les récits relatifs à plusieurs provinces des débuts de l’Islam, comme nous le verrons plus loin. La présence récurrente de sceaux sur les actes khurasaniens conduit par ailleurs à s’interroger sur leur utilisation comme preuve documentaire, peut-être plus poussée qu’en Égypte. Certains documents bactriens provenant également des archives de Mīr b. Bēk sont doubles, une partie demeurant scellée jusqu’à ce qu’un juge la décachette, ce qui permettait de les utiliser comme preuves420. Ce n’est pas le cas des actes juridiques arabes, mais la présence de sceaux multiples oblige à s’interroger sur leur valeur probatoire. En tout état de cause, les pratiques notariales dans l’Égypte et le Khurasan du viiie siècle étaient, selon toute vraisemblance, adaptées à des pratiques judiciaires distinctes.
195Bien que le nombre moyen de témoins dans l’Égypte du ixe siècle augmente à peine, beaucoup de documents affichent désormais une quantité accrue, comparable aux ordres de grandeur constatés dans les actes khurasaniens du siècle précédent. Une reconnaissance de dette datée de 233/847 mentionne jusqu’à 25 témoins421. Cette inflation est parfois due à l’introduction de témoignages rapportés, deux témoins secondaires étant nécessaires pour transmettre la déposition d’un témoin original422. L’augmentation du nombre de témoins pourrait refléter l’influence des normes notariales orientales, sensibles en Égypte à la même époque423. Mais on ne peut exclure d’autres facteurs, liés à l’évolution du droit de la preuve : la multiplication des attestations pourrait se justifier, comme nous le verrons plus loin, par le risque de disqualification des témoignages par des tribunaux musulmans de plus en plus soucieux de n’entendre que des témoins à l’honorabilité indiscutée. Quelques documents du ixe siècle, portant soit un petit nombre de témoignages424 soit au contraire de multiples attestations425, prennent également Dieu à témoin. Dieu ne pouvant témoigner en justice, la formule sert avant tout à engager les parties contractantes à la manière d’un serment, afin de les inciter à ne pas saisir la justice pour contester leur accord.
5.2.4. Les allusions aux institutions judiciaires
196Les institutions judiciaires, à destination desquelles ces documents privés furent rédigés, n’y sont jamais mentionnées de manière directe. Quelques évocations de procès à venir apparaissent néanmoins dans le Khurasan du viiie siècle, à travers des formules où une des parties s’engage à ne pas attaquer l’autre en justice ou déclare nulle toute plainte ultérieure426. La terminologie relative aux procès – « intenter un procès », ḫāṣama ; « plainte », daʿwa ; « procès », ḫuṣūma – est conforme à celle que le fiqh élaborait en Orient à la même époque. Il faut attendre le ixe siècle pour que de telles allusions transparaissent en Égypte, dans des engagements et des termes comparables (lā ḫuṣūma wa-lā ṭalba)427.
197Dans tous ces documents, le fonctionnement de la justice reste, au mieux, allusif. Le système de la preuve n’est pas évoqué avant le milieu du ixe siècle. Dans les reconnaissances de dette (ḏikr ḥaqq), la formule juridique invitant un débiteur à « ne pas présenter de preuve » (lā yaḥtaǧǧu bi-ḥuǧǧa) pour nier ses obligations apparaît dans notre corpus pour la première fois en 272/885428. L’expression standardisée reste néanmoins floue, et pourrait aussi être traduite par « ne pas user d’arguments pour se défendre ». Rien n’indique en tout cas la nature de l’éventuelle preuve – témoignage oral, document ou autre.
5.3. Diffusion des tribunaux de cadis
198Le développement administratif de la judicature, notamment par le recours croissant à l’écrit et à l’archivage, se répercute sur la documentation surtout à partir de la fin du iie/début du ixe siècle. Non seulement les actes privés, destinés à supporter une éventuelle plainte, se multiplient dans la documentation papyrologique – témoignant d’une présence musulmane renforcée dans la campagne égyptienne429 –, mais des documents émis par des tribunaux de cadi commencent à apparaître. Le papyrus P. Cair. Arab. I 51, malgré son caractère lacunaire, semble ainsi correspondre à l’enregistrement d’un jugement relatif à un litige successoral430. Le document fut rédigé en šaʿbān 195/avril-mai 811 sur l’ordre d’un qāḍī, nommé ʿAmr b. Abī Bakr431, et se termine sur une liste de témoins appelés à authentifier l’acte432. Une lettre privée de provenance inconnue, remontant selon toute vraisemblance au iiie/ixe siècle, mentionne un certain Abū Yazīd, « scribe du cadi » (kātib al-qāḍī)433. Un autre document du iiie/ixe siècle, très fragmentaire et jusqu’ici inédit, pourrait avoir été émis par un tribunal (jugement ou procès-verbal d’audience, maḥḍar) si l’on s’en tient aux principales expressions lisibles, « il a témoigné en sa faveur » (wa-šahida la-hu) et « il a avoué cela » (wa-aqarra bi-hi)434. Enfin, certains documents commencent à faire référence à des pratiques judiciaires, comme ce papyrus du iiie/ixe siècle dans lequel l’auteur demande d’informer un certain Abū l-Ḥasan que son nom ne figure pas dans le maḥḍar, compte-rendu d’un événement risquant de donner lieu à une procédure judiciaire, ou procès-verbal d’une audience de cadi435.
5.3.1. Des citations à comparaître : une juridiction musulmane dans la campagne copte
199À partir de cette époque, les documents judiciaires les plus nombreux sont néanmoins des citations à comparaître, pour la plupart découvertes à al-Ušmūnayn. Le plus ancien de la série, dont on estime qu’il remonte au iiie/ixe ou ive/xe siècle, se présente de la manière suivante :
Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Louange à Dieu
l’unique !
[Que] Ṯiyudur b. Kayl [Théodore b. Chael] et Fenūfe b. Abrāse, résidant à Abū Qolte, se présentent devant le tribunal (maǧlis al-ḥukm) d’al-Ušmūnayn, afin qu’ils se prêtent aux exigences de la justice (al-ḥaqq) si Dieu le veut436.
200Comme d’autres du même type, cette citation émanant d’une institution judiciaire musulmane (d’après les formules protocolaires) ne paraît pas avoir été signée. Selon la littérature juridique qui nous est parvenue de la même époque pour l’Irak, de tels billets sommaires pouvaient être accompagnés d’un sceau d’argile (ṭīna) authentifiant la provenance de la convocation437. Cette série de citations en justice, publiée par R. G. Khoury438, atteste la présence d’un tribunal musulman dans la ville d’al-Ušmūnayn, en Haute-Égypte, probablement dès le iiie/ixe siècle, assurément au ive/xe siècle439.
201Cela ne signifie pas, tant s’en faut, que la ville était devenue musulmane. Le papyrus Chrest. Khoury I 78, nous venons de le voir, convoque des plaideurs dont l’identité copte ne fait aucun doute, et il est clair que les chrétiens de la ville pouvaient avoir à répondre de leurs actes devant le tribunal musulman, surtout si leur accusateur était lui-même musulman440. D’autres documents des ive/xe et ve/xie siècles citent un nombre croissant de plaideurs musulmans, mais les chrétiens ne disparaissent pas complètement. Dans un papyrus du ve/xie siècle, un certain Dāniyāl est convoqué devant le tribunal d’al-Ušmūnayn pour y être confronté à son adversaire Balbeh441. On peut ainsi conclure qu’un tribunal de cadi fut implanté dans la ville d’al-Ušmūnayn, au iiie/ixe ou ive/xe siècle, alors que celle-ci était encore en grande partie peuplée de chrétiens. La ville, nous l’avons vu plus haut, fut le siège d’une des principales garnisons musulmanes de Haute-Égypte. La première mention par un texte littéraire d’un wālī l-ḥarb (gouverneur militaire) résidant à al-Ušmūnayn concerne des événements de l’an 335/946, à l’époque iḫšīdide442. Compte tenu du peu d’intérêt qu’al-Kindī porte aux contrées extérieures à Fusṭāṭ, il est probable que la garnison existait auparavant, et cette présence musulmane permanente pourrait avoir justifié l’implantation d’un tribunal de cadi. On peut supposer que l’installation de populations civiles musulmanes autour de la garnison443, dont un nombre croissant de convertis444, nécessita l’instauration d’un système judiciaire conforme au modèle institutionnel faisant désormais l’unanimité dans l’Islam. L’institution n’en devint pas moins attractive pour les chrétiens, et le papyrus Chrest. Khoury II 33 confirme qu’il leur arrivait d’y recourir pour des litiges internes à leur communauté445. Accessoirement, la rédaction en arabe, peut-être dès le iiie/ixe siècle, de citations destinées à des défendeurs chrétiens, témoigne de l’arabisation avancée de la population d’al-Ušmūnayn et des environs446. En recevant ces convocations, les destinataires étaient censés être capable de les lire, ou de trouver quelqu’un susceptible de les y aider. La justice à laquelle ils devaient se soumettre ne se définissait pas seulement comme islamique : elle était aussi arabe.
202Ces citations à comparaître renseignent par ailleurs sur le pouvoir d’attraction du tribunal d’al-Ušmūnayn. Les lieux de résidence de plusieurs défendeurs sont en effet mentionnés dans ces papyrus : Abū Qolte447, Itlīdim448 ou plus tard al-Rayramūn449, tandis qu’un des demandeurs d’une convocation fatimide, Sulaymān al-Qolobbī, venait sans doute d’un lieu-dit appartenant au territoire de Mallawī450. Ces villages se trouvent, respectivement, à environ 10, 13, 5 et 8 km d’al-Ušmūnayn (carte 6). Cela confirme, s’il en était encore besoin, que le pouvoir du cadi s’étendait bien au-delà de la ville où il siégeait et que son district englobait les territoires environnants. Sur la base de la littérature juridique, nous avions précédemment conclu que les districts de cadis correspondaient à un cercle au rayon d’une demi-étape, soit une vingtaine de kilomètres451. L’exemple du district d’al-Ušmūnayn vient confirmer la réalité historique de la théorie des juristes.
5.3.2. La judicature et son référent juridique
203La présence d’un tribunal de cadi à al-Ušmūnayn suscita la production d’autres types de documents. Un papier du ive/xe siècle pourrait correspondre à une pétition : l’auteur, inconnu, en appelle à un qāḍī, auprès duquel il sollicite peut-être une entrevue afin, dit-il, de « l’informer d’une chose dont il a besoin ». Le billet est endommagé et, plutôt qu’un appel au cadi contre un défendeur, il pourrait concerner d’autres attributions du cadi, comme la gestion de biens452.
204La diffusion de tribunaux de cadis en Haute-Égypte conduisit à une évolution des pratiques. C’est à partir du ive/xe siècle que l’on voit apparaître, sur certains documents juridiques, des marques d’enregistrement par l’institution judiciaire : le verbe ṣaḥḥa (« authentique ») ou l’expression ṣaḥḥa ḏālika (« ceci est authentique »), apposé(e) sur le document par le cadi, vient certifier sa valeur juridique453. Non seulement les musulmans, mais aussi les chrétiens, venaient désormais faire authentifier leurs actes, dont ils faisaient par ailleurs témoigner des musulmans peut-être attachés au tribunal454.
205Le développement du système judiciaire cadial dans la province égyptienne transparaît enfin dans des documents qui inscrivent résolument la judicature dans une pensée juridique régie par les ʿulamā’. Un papier de provenance inconnue, qui daterait du ive/xe siècle, se présente comme le brouillon455 d’une demande de fatwā concernant une affaire judiciaire. Le destinataire – désigné comme šayḫ, probablement un faqīh – est interrogé à propos d’un homme qui, après que sa tante eut vendu du blé qu’il avait placé en dépôt chez elle, lui a intenté un procès au tribunal (maǧlis al-ḥukm). La tante ayant avoué (iʿtarafat), le juge (ḥākim) l’a condamnée et a rédigé un jugement en faveur du plaignant. La tante est néanmoins décédée avant d’avoir achevé le remboursement du blé. L’auteur demande donc au jurisconsulte si, d’après le droit (litt. « le savoir », ʿilm), le juge doit exiger des héritiers le remboursement du blé en nature ou en espèces456. Le juge en question, ici appelé ḥākim, n’est probablement autre qu’un cadi. Il n’est pas rare que le fiqh de la même période emploie ce terme, plus général que celui de qāḍī, lorsqu’il édicte une règle ; selon toute vraisemblance, la demande de fatwā se plaçant sur un plan théorique, l’auteur adopte cet usage et remplace le titre de qāḍī par le générique ḥākim.
6. AUTRES INSTANCES JUDICIAIRES ET PARAJUDICIAIRES
6.1. Documents de l’administration carcérale
206À l’époque préclassique et classique, le fiqh considérait qu’une partie au moins de l’administration carcérale relevait du cadi. Lieu d’incarcération préventive, punitive ou administrative, la prison apparaissait comme un outil nécessaire à la judicature457. C’est pourquoi les quelques papyrus arabes relatifs aux prisons qui nous sont parvenus pour les premiers siècles de l’Islam pourraient être classés dans la documentation liée au tribunal du cadi. Les incertitudes qui planent sur ces papyrus interdisent néanmoins toute conclusion hâtive. L’emprisonnement avait en effet une longue tradition en Égypte458. Des registres de prisonniers en grec – incluant les causes de leur incarcération – sont encore connus pour l’Arsinoïde (Fayyūm) au iie/viiie siècle459, témoignant de la persistance d’une administration carcérale sous l’autorité de pagarques ou, parfois, d’évêques460. La documentation arabe qui commence à surgir à propos des prisons à partir du ixe siècle permet néanmoins de proposer quelques hypothèses concernant l’institution du cadi.
207Deux principaux documents en arabe émanent de l’administration carcérale. Ils sont, tous deux, relatifs à des libérations de prisonniers : dans la terminologie moderne, il s’agit de levées d’écrou. La première remonte au milieu du ive/xe siècle : datée de 348/959, elle est appelée taḏkira (« certificat ») et enregistre la sortie d’un détenu nommé Abū l-Samḥ ʿUqba b. Ḫalīfa b. Muḥammad al-Fāḍilī, un personnage de haut rang si l’on en croit l’eulogie (ayyada-hu llāh, « que Dieu lui prête assistance ! ») qui accompagne son nom. La taḏkira se présente sous la forme d’un témoignage écrit par un certain ʿĀmir b. Yazīd b. Maǧd Allāh, peutêtre le geôlier461. Ce document montre l’existence, au xe siècle, d’une administration carcérale dotée d’un fonctionnement bureaucratique avancé, enregistrant avec précision le jour et l’heure d’élargissement d’un détenu462. Malheureusement, la provenance du document est inconnue. Si le prisonnier élargi était bien un homme de rang respectable – il semble en tout cas respecté par l’administration carcérale –, peut-être s’agissait-il d’un débiteur, libéré au terme d’une période d’emprisonnement de quelques mois ? Dans un système judiciaire idéal, tel que le représentent les juristes musulmans, le cadi aurait dû avoir autorité sur un tel débiteur – si l’endettement est bien la cause de son emprisonnement –, auquel cas la note pourrait lui avoir été destinée. La taḏkira ne porte pourtant pas d’adresse et mentionne juste, au verso : « Taḏkira concernant l’heure à laquelle Abū l-Samḥ ʿUqba b. Ḫalīfa a été libéré, que Dieu lui prête assistance ! » Rien n’indique donc que la note fut envoyée à un juge, et il est plus probable, d’après le titre qui apparaît au verso, qu’elle ait été destinée à un archivage interne à l’administration carcérale. Ce document est finalement bien peu à même de nous renseigner sur la place de la prison dans le système judiciaire.
208Quoiqu’objet d’incertitudes plus grandes encore, le second document offre peut-être des pistes intéressantes. Une levée d’écrou découverte à al-Ušmūnayn, et datant du iiie-ive/ixe-xe siècle, concerne manifestement un débiteur, Yuḥannis Kināna. Il y est ordonné de le libérer après qu’un certain Abū Rāzī s’est porté garant (ḍamina) de la somme qu’il doit :
[1] Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
[2] Puissé-je te servir de rançon ! [3] Libère (iṭlaq) Yuḥannis Kināna,
car [4] Abū Rāzī s’est porté garant de l’argent qu’il doit devant nous,
[5] après qu’il aura été libéré. Le garant (al-mutaqabbil) est digne de
confiance si Dieu le veut. Puissé-je te servir de rançon463 !
209Cette levée d’écrou n’est pas une note destinée aux archives, mais une lettre adressée à un personnage inconnu. Dans son édition du document, D. S. Margoliouth remarque que, de manière inattendue, le destinataire semble être de rang supérieur à l’émetteur – ce que trahit l’eulogie ǧuʿiltu fidā-k), et se demande comment un individu peut adresser une telle injonction à son supérieur464. Faudrait-il lire ce billet non comme un ordre de libération, mais comme un rapport indiquant que ledit prisonnier « a été élargi » (en lisant’.ṭ. l. q au passif, uṭliqa) ? Cette solution n’est pas satisfaisante, car on attendrait alors un verbe à l’accompli (māḍī) à la ligne 5, baʿda an uṭliqa (« après qu’il a été libéré ») et non baʿda an yuṭlaq (« après qu’il aura été libéré ») comme dans le papyrus. Il n’y a, en réalité, de paradoxe que si l’on considère – à l’instar de Margoliouth – que celui qui ordonne la libération doit occuper un rang plus élevé que celui qui libère. Or nous avons montré ailleurs que les prisons, à l’époque abbasside, relevaient le plus souvent d’autorités politico-militaires tel le gouverneur ou le chef de la šurṭa, et que le pouvoir que les juristes attribuaient aux cadis en la matière était très théorique, voire rhétorique – les fuqahā’prônant le contrôle de « sa » prison par le cadi, alors qu’il ne pouvait en réalité que rarement l’exercer465. Si l’on postule qu’à al-Ušmūnayn, également, la prison où se trouvait ce débiteur relevait d’une autorité politico-militaire par laquelle devait passer le juge responsable de l’incarcération afin de mettre fin à celle-ci, la logique de ce document apparaît plus clairement. Il est ainsi possible que ce billet, demandant la remise en liberté de Yuḥannis Kināna, ait été émis par le cadi d’al-Ušmūnayn (responsable de l’incarcération pour dette) à l’attention du sous-gouverneur (ayant autorité sur la prison). En vertu de ses pouvoirs judiciaires, le cadi pouvait « ordonner » à un officier de rang supérieur ou égal au sien de libérer un de ses prisonniers. Ce papyrus viendrait ainsi confirmer que l’administration carcérale ne relevait pas du cadi, en tout cas à al-Ušmūnayn.
6.2. Des instances de médiation et d’arbitrage ?
210D’autres documents, de nature judiciaire en apparence, peinent à être rattachés à une institution spécifique. Le caractère isolé de ces papyrus, l’absence d’éléments explicatifs internes et de contextes ne permettent pas d’interprétation univoque de leur contenu. Il faut donc une fois encore se contenter d’hypothèses.
211Dans une lettre datant probablement du iiie/ixe siècle, publiée par Werner Diem, un personnage anonyme s’adresse à un interlocuteur de haut rang – ce dont témoignent les eulogies du protocole, « que Dieu te garde longtemps en vie et perpétue la considération dont tu jouis » (aṭāla llāhu baqā’a-ka wa-adāma ʿizza-ka) – pour demander son intervention dans une affaire d’argent. Dans le titre qu’il donne à ce papyrus, Diem suggère qu’il s’agit d’une demande de paiement à un « caissier »466. Plusieurs éléments laissent penser que l’affaire concerne plutôt un emprunt : le verbe maṭala (« remettre à plus tard », « différer [le paiement de sa dette] ») – si tant est que la restitution de ce mot, à moitié tronqué dans le papyrus, soit exacte – est typique du champ lexical de la dette. Il semble par ailleurs que la personne à laquelle de l’argent est réclamé s’apprête à « partir » (yurīd al-ḫurūǧ), ce qui pourrait correspondre à un cas de débiteur sur le point de quitter la ville sans régler ses dettes467. Le verbe aqarra (« avouer »), qui apparaît vers la fin, suggère qu’il s’agit d’une affaire judiciaire. Il n’est pas sûr, pour autant, que le destinataire soit un juge institutionnel. En effet, dans le fragment préservé de ce qui pourrait être une pétition, l’auteur ne semble pas demander à son destinataire de convoquer son adversaire, mais simplement de « lui parler en tête à tête » (taḫlū bi-hi), expression qui semble trop faible pour évoquer une audience judiciaire. De là, on peut se demander si le destinataire, quelle que soit sa position – officielle ou non –, n’est pas sollicité pour servir de médiateur : le plaignant ne lui demanderait pas de condamner son débiteur, mais de faire pression sur lui afin qu’il rembourse. Il s’agirait, dans cette hypothèse, d’une démarche « préjudiciaire » et d’un appel à la médiation d’un puissant. Mais ce n’est, encore une fois, qu’une spéculation invérifiable.
212Une autre pétition, d’origine inconnue, fut rédigée par un certain Abū Samra au iiie/ixe siècle. L’homme, manifestement musulman, se plaint qu’un affranchi de son père s’introduit chez lui pour voler de la paille (tibn). Il demande à son destinataire, Abū l-Walīd, dont la fonction n’est pas connue – et qui bénéficie d’eulogies de rang moyen, « que Dieu te préserve, te donne la santé et te laisse jouir de ce monde » (ḥafiẓa-ka llāh wa-ʿāfā-ka wa-amtaʿa bi-ka) –, de faire peur au voleur en lui infligeant une bastonnade, afin qu’il cesse ses agissements et rende ce qu’il a volé. La requête ne concerne pas un procès, mais réclame plutôt une forme d’intimidation à propos d’un larcin de peu de valeur. Le personnage auquel la pétition est adressée est-il un représentant de l’ordre (émir local, membre de la šurṭa, etc.) ? Un simple notable influent, assisté d’hommes de main ? Ces deux exemples, dont l’interprétation ne peut que faire l’objet d’hypothèses, laissent entrevoir l’existence de formes moins officielles de résolution des conflits, par le biais de médiateurs ou de puissants notables.
213Un dernier papyrus, rédigé au Fayyūm en 258/872, permet d’explorer cette piste plus avant. P. Marchands I 10, présenté par Yūsuf Rāġib comme le « procèsverbal d’un litige », ressemble à première vue à un document judiciaire. Deux frères sont en conflit à propos d’une livraison de tissus, que l’un prétend avoir envoyée et l’autre nie avoir reçue. Les preuves mentionnées – preuve testimoniale (bayyina) et serment (yamīn) – sont conformes, selon le fiqh, à celles retenues par le cadi. Pourtant, de juge il n’est pas question dans le texte, ni de tribunal. L’acte est rédigé par Abū Hurayra, fameux marchand d’étoffes et notaire pour le compte de son entourage familial et professionnel468. Les témoins attestent que le livreur a reconnu (iqrār) qu’il devait bien livrer les pièces de toile réclamées, et le document sert à définir la procédure à suivre : le destinataire de la livraison (accusateur) devra prêter serment qu’il ne l’a pas reçue, et le livreur (accusé) devra produire la preuve testimoniale qu’il a expédié le colis ; en cas de témoignages en sa faveur, l’accusé sera innocenté, et en l’absence de tels témoignages, il demeurera redevable des pièces de toile. Le document se présente en réalité comme un accord entre les parties, conclu avec l’aide du notaire Abū Hurayra, par lequel l’accusateur accepte (raḍiya) de renoncer à sa réclamation si l’accusé prouve sa bonne foi. Sans être un compromis d’arbitrage, puisqu’aucun arbitre n’y est désigné469, le papyrus s’y apparente toutefois puisque les parties s’engagent à suivre une procédure et à respecter son issue. Cet accord put préparer un procès en bonne et due forme devant un cadi – les juristes évoquant ce type de ṣulḥ tentant de modifier le déroulement de l’audience470. Mais il est aussi possible qu’il ait simplement défini la procédure à suivre devant une personne privée, peutêtre Abū Hurayra lui-même qui, en vertu de ses compétences juridiques et de sa position respectée dans le milieu des marchands d’étoffes, put être appelé à arbitrer le conflit.
CONCLUSION
214Cet essai de synthèse sur la documentation papyrologique judiciaire, délibérément détaché, autant que possible, des sources littéraires, conduit à formuler plusieurs remarques.
2151) Sur le plan lexical, une terminologie judiciaire arabe semble en place dès la fin du ier/fin viie-début viiie siècle, c’est-à-dire dès le début de la période marwānide. Le demandeur « prétend » (yazʿamu) à un « droit » (ḥaqq) que lui dénie le défendeur. Le juge, qui « réunit les plaideurs » (ǧamaʿa bayna-humā)471, est appelé à « examiner » (naẓara) leur affaire472. La preuve demandée est nommée bayyina473, et elle ne semble pas nécessaire si la partie accusée « avoue » (iʿtarafa)474. De surcroît, le vocabulaire de plusieurs types d’affaires semble déjà fixé : la dette (dayn)475, la pension de la femme mariée (nafaqa)476, le cadeau compensatoire (matāʿ)477, tous des termes coraniques478.
216De manière plus générale, le vocabulaire de la justice fait écho à la prose coranique dès l’époque omeyyade. Nous avons vu plus haut que le choix du terme bayyina pour désigner la preuve judiciaire est loin d’être anodin, puisqu’il renvoie à la preuve par excellence mise en exergue par le Coran. Il en va de même d’autres termes ou expressions clés : ǧamaʿa bayna (« réunir ») est employé dans le Coran pour évoquer le Jugement dernier : « Dis : Notre Seigneur nous réunira tous (yaǧmaʿu bayna-nā) puis il jugera entre nous, selon la Vérité (al-ḥaqq)… » (34 : 26)479. Plus courants – et donc moins révélateurs –, les verbes naẓara, iʿtarafa, zaʿama apparaissent tous à de multiples reprises dans le Coran480. La répétition – voire la scansion – des racines ḥ. q. q. et ẓ. l. m.481 renvoie également à une opposition coranique entre le bien/la vérité/la justice (al-ḥaqq) et le mal/l’injustice (al-ẓulm)482, cette dernière notion – et ses dérivés ẓālim, ẓalama, etc. – apparaissant plus de 280 fois dans le Coran483. Par l’utilisation d’un tel vocabulaire, les gouverneurs égyptiens se présentent comme les défenseurs d’une justice islamique aux références coraniques.
217Cette terminologie judiciaire est très proche de, voire identique à celle que sanctionnèrent les ouvrages de fiqh au cours des siècles suivants. L’historien habitué à ce dernier type de source tend à décrypter le sens des papyrus judiciaires à la lumière de cette théorie préclassique ou classique. Rappelons néanmoins que le sens terminologique de certains mots ne peut être projeté sans autre indice textuel. Ainsi en va-t-il du terme bayyina, qui en vint à désigner la « double preuve testimoniale » dans les ouvrages préclassiques et classiques, mais dont on ne peut pour l’instant déterminer si, à l’époque marwānide, il désignait quelque chose de plus précis que la « preuve » en général.
218Insistons aussi sur le fait que cette terminologie, attestée dès la fin du ier siècle de l’hégire, précède toute tentative connue de systématisation juridique par ceux qui furent plus tard qualifiés de ʿulamā’. Cela tend à confirmer la théorie de Joseph Schacht selon laquelle une partie du droit musulman plonge ses racines dans la pratique administrative omeyyade484. Schacht considère que c’est en matière de droit de la guerre, de droit fiscal et de droit pénal que le lien avec les pratiques administratives est le plus sensible. Il semble qu’à ces domaines il soit maintenant nécessaire d’ajouter le droit des procédures485. Cela ne signifie pas, néanmoins, que les procédures théorisées par le fiqh ne sont autres que celles mises en œuvre à l’époque omeyyade : comme nous l’avons vu, la procédure par rescrit employée par les gouverneurs marwānides n’a que peu de rapports avec les audiences accusatoires orchestrées par les cadis de l’époque classique. Les racines administratives de la procédure judiciaire, telle qu’elle fut élaborée par le fiqh, sont avant tout de nature lexicale : lorsqu’ils entreprirent de théoriser la justice et d’en fixer les règles, les ʿulamā’étaient héritiers d’une terminologie suffisamment établie pour qu’ils n’envisagent pas d’en changer. C’est à un autre niveau, par des infléchissements de sens ou le remodelage de définitions, qu’ils agirent désormais sur son cours.
2192) En dépit de la terminologie employée, la documentation papyrologique offre une image bien différente de la justice omeyyade que celle transmise par les sources littéraires. Le cadi est complètement absent et la justice est avant tout celle du gouverneur et des pagarques. Il y a là, peut-être, un effet de sources : les conditions climatiques de Haute-Égypte et, à un moindre degré, de Palestine, ont permis la conservation de papyrus qui ont disparu ailleurs, offrant ainsi l’image d’une justice « provinciale », alors que les sources littéraires se concentrent avant tout sur l’administration judiciaire des capitales. Il faut espérer que l’édition des papyrus de Fusṭāṭ viendra nuancer les présentes conclusions et documenter le système de l’époque omeyyade. Le climat n’est pourtant pas seul en cause : comme nous l’avons vu, le développement tardif d’une administration judiciaire « bureaucratique » à Fusṭāṭ, caractérisée par une forte production écrite et par des pratiques d’archivage, pourrait expliquer l’absence de la judicature « classique » des sources documentaires. Il faut peut-être aussi conclure que, sans que son existence historique soit contestable, l’institution du cadi demeura longtemps en retrait par rapport à la justice du gouverneur, et que ce dernier s’imposa comme la principale autorité judiciaire dans l’Égypte et la Palestine omeyyades486.
220De fait, l’absence documentaire du cadi n’est pas la seule différence par rapport à l’époque classique. La justice du gouverneur diverge considérablement de celle qui fut théorisée par les juristes préclassiques et classiques. Dans la procédure accusatoire conduite devant le cadi, selon le schéma développé par le fiqh, le juge est saisi par un demandeur, qu’il entend en compagnie de son adversaire (qu’il a auparavant convoqué si le défendeur ne s’est pas présenté de lui-même) avant de rendre son jugement. Le système théorisé par le fiqh et décrit dans la plupart des sources narratives fonctionne en autarcie par rapport au pouvoir politique. À l’époque marwānide, la procédure la mieux documentée est en revanche celle par rescrit : saisi par un demandeur, le pagarque chrétien écrivait au gouverneur de Fusṭāṭ en lui exposant brièvement l’affaire, et en retour le gouverneur (ou plutôt son administration) lui envoyait un rescrit l’autorisant à trancher l’affaire sur la base de la preuve produite par le demandeur. Si ce dernier n’était pas en mesure de présenter la preuve requise, le pagarque devait écrire à nouveau au gouverneur et suivre ses instructions. Cette procédure rappelle, à bien des égards, des pratiques judiciaires en cours dans l’Égypte byzantine et survivant à l’époque sufyānide au niveau du duché. Il n’en demeure pas moins que, par le référent coranique qui la décrit, la procédure n’est pas un simple emprunt aux institutions byzantines : elle témoigne d’une assimilation, voire d’un remodelage, du système judiciaire par un pouvoir qui entend imposer un mode islamique de résolution des conflits. De ce point de vue, le processus d’assimilation du système judiciaire byzantin suivit un cours comparable à celui de la monnaie qui, en adaptant des modèles byzantins ou sassanides antérieurs, n’en vit pas moins la création de types monétaires originaux. Plutôt que d’imposer des références heurtant les usages de la société de conquête, les nouveaux pouvoirs s’approprièrent les anciens modèles et les transformèrent, avant de s’en détacher progressivement.
221Il reste à savoir dans quelle mesure les paradigmes mis au jour dans les campagnes ou les villes secondaires d’Égypte et de Palestine s’appliquent également aux grands centres comme Fusṭāṭ ou d’autres capitales provinciales. Quel rapport existe-t-il entre le système judiciaire des « provinces », oubliées des sources littéraires, et celui des « capitales », absentes de la documentation publiée ? Les cadis de l’époque omeyyade étaient-ils aussi liés aux gouverneurs que les pagarques ? Leur intervention s’inscrivait-elle dans une procédure par rescrit orchestrée par le gouverneur ? Le fiqh classique évoque des correspondances entre gouverneurs et cadis que l’on ne retrouve presque jamais mentionnées dans la littérature narrative. Ainsi le ḥanafite irakien al-Ḫaṣṣāf (m. 261/874) interdit-il, au iiie/ive siècle, que le cadi reçoive les lettres judiciaires – susceptibles de comporter un jugement – de la part d’un ʿāmil (intendant des finances ? sous-gouverneur ?)487. On comprendrait mal cette prescription, qui ne correspond à rien de connu à l’époque abbasside, si celle-ci ne découlait pas de pratiques réminiscentes, attestées plus tôt et désormais condamnées par les juristes. Cette allusion constitue peut-être, rétrospectivement, un indice du fait que les juges d’une époque ancienne recevaient des instructions de la part de gouverneurs ou de sous-gouverneurs.
2223) La correspondance, en Égypte comme en Palestine, entre des autorités supérieures (gouverneur ou sous-gouverneur) et des agents subordonnés (pagarques ou autres), suggère l’existence d’une procédure par rescrit, dans des termes proches, en Haute-Égypte et en Palestine, et donc une certaine uniformité des pratiques judiciaires à l’époque marwānide – au moins dans les provinces auparavant byzantines. L’adoption de procédures comparables résulta-t-elle d’une politique centrale réfléchie et harmonisée ? Ou simplement d’une même faculté d’adaptation à des pratiques comparables ? La procédure par rescrit fut-elle mise en œuvre dans d’autres provinces – y compris des provinces de tradition non byzantine ? L’absence de documentation judiciaire connue pour les provinces orientales du califat empêche pour l’instant de répondre à ces questions.
223Pour ce que les rares papyrus palestiniens permettent d’en dire, cette uniformité est néanmoins relative. Au-delà d’une structure de base commune, les autorités judiciaires semblaient différentes dans la Palestine de la fin du viie siècle et dans l’Égypte du début du viiie siècle. Tandis qu’en Haute-Égypte la justice était rendue au quotidien par des pagarques chrétiens, en Palestine elle semble avoir été aux mains de « juges » musulmans dont le rôle et les fonctions officielles demeurent mal connues. Les procès documentés y opposent par ailleurs des musulmans, alors que les justiciables connus pour le Ṣaʿīd égyptien semblent tous chrétiens.
2244) Insistons, enfin, sur la longévité du fonctionnement administratif mis en évidence pour l’époque omeyyade. Bien qu’il soit impossible, en l’état actuel de la documentation, de tirer des conclusions définitives sur l’intervention des premiers gouverneurs abbassides dans la justice provinciale, il apparaît que la procédure par rescrit se maintint au-delà de la révolution abbasside, ne seraitce qu’à l’échelon de la kūra – le sous-gouverneur envoyant en ce cas ses rescrits à un subordonné local. Cela confirme que la « révolution » abbasside, bien que révolutionnaire dans son idéologie, conduisit avant tout à une évolution des pratiques488.
225Le rôle du gouverneur dans la procédure judiciaire s’efface de la documentation papyrologique en même temps que le cadi s’y affirme peu à peu. Est-ce le fruit du hasard ? Ou faut-il en déduire que la forme classique de la judicature est une invention abbasside ? L’exemple du Fayyūm et d’al-Ušmūnayn révèlent en tout cas que la judicature ne commença à se développer, dans les centres secondaires de la province égyptienne, que dans le courant du iiie/ixe siècle, suivant en cela un modèle que nous avions mis en évidence – à partir des seules sources littéraires – pour l’Irak abbasside489. Le renforcement progressif de telles judicatures provinciales se traduit par l’apparition dans la documentation papyrologique de « vicaires » (ḫalīfa) du cadi de Fusṭāṭ490. À al-Ušmūnayn, le doublement du cadi local par au moins un vicaire témoigne d’un développement considérable des structures judiciaires dans cette ville secondaire de la vallée du Nil491.
226Faute de réponses satisfaisantes à nombre de questions soulevées par la documentation papyrologique, il convient maintenant de se tourner vers d’autres types de sources. Seul un travail d’archéologie littéraire, accompagné d’une étude historiographique de la judicature, permettra de mieux comprendre la formation de l’institution judiciaire musulmane et ses dynamiques historiques.
Notes de bas de page
1 W. B. Hallaq, « The Qāḍī’s Dīwān… », art. cité, p. 434-435. Nous avons en partie remis en cause l’analyse de Hallaq dans M. Tillier, « Le statut et la conservation des archives judiciaires », dans L’autorité de l’écrit au Moyen Âge (Orient-Occident), Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 263-276. Voir également Cl. Cahen, « Du Moyen Âge aux Temps modernes », dans J. Berque, D. Chevallier (dir.), Les Arabes par leurs archives (xvie-xxe siècle), Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1976, p. 11-12.
2 Voir les rares renseignements connus sur les institutions d’arbitrage ou sur le droit criminel dans A. K. Irvine, « Homicide in Pre-Islamic South Arabia », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 30, 1967, p. 277-292 ; I. Gajda, Le royaume de Ḥimyar à l’époque monothéiste, Paris, Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles lettres, 2009, p. 179.
3 P. KhanLegalDocument, p. 366 ; G. Khan, « The Pre-Islamic Background of Muslim Legal Formularies », Aram, 6, 1994, p. 193-224 ; P. Khurasan. Voir également G. Frantz-Murphy, « A Comparison of the Arabic and Earlier Egyptian Contract Formularies », I, Journal of Near-Eastern Studies, 40, 1981, p. 203-225 ; II, ibid., 44, 1985, p. 99-114 ; III, ibid., 47, 1988, p. 105-112, 269-280 ; V, ibid., 48, 1989, p. 97-107.
4 L. Reinfandt, « Crime and Punishment in Early Islamic Egypt (AD 642-969). The Arabic Papyrological Evidence », dans Proceedings of the Twenty-Fifth International Congress of Papyrology, Ann Arbor 2007, Ann Arbor, American Studies in Papyrology, 2010, p. 633-640.
5 P. M. Sijpesteijn, J. F. Oates, A. Kaplony, « Checklist of Arabic Papyri », Bulletin of the American Society of Papyrologists, 42, 2005, p. 128.
6 M. Tillier, « Les “premiers” cadis de Fusṭāṭ et les dynamiques régionales de l’innovation judiciaire (750-833) », Annales islamologiques, 45, 2011, p. 234 et suiv.
7 E. Tyan, Le notariat et le régime de la preuve par écrit dans la pratique du droit musulman, Beyrouth, Université de Lyon/Annales de l’École française de droit de Beyrouth, 1945, p. 95-99 ; Y. Rāġib, Actes de vente d’esclaves et d’animaux d’Égypte médiévale, t. II, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 2006, p. 118-119. Tyan demeure flou quant à la période à laquelle un tel rôle notarial du tribunal se développa. Rāġib note quant à lui que le plus ancien document portant une formule de validation date de 335/946.
8 Sur une telle classification des papyrus, voir R. G. Khoury, « Papyrus », EI2, VIII, p. 263.
9 W. B. Hallaq, « The Qāḍī’s Dīwān… », art. cité, p. 434-435.
10 M. Tillier, « Le statut et la conservation… », art. cité, p. 267-269.
11 Voir M. Rustow, « A Petition to a Woman at the Fatimid Court », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 73, 2010, p. 1-2.
12 M. Bravmann a montré, d’après al-Balāḏurī, qu’un lieu appelé bayt al-qarāṭīs ou « maison des papyrus », lié au dīwān dès l’an 68/687-8, pouvait être assimilé à des « archives d’État ». M. M. Bravmann, « The State Archives in the Early Islamic Era », Arabica, 15, 1968, p. 88-89.
13 Sur le caractère multilingue de ce dossier, voir T. S. Richter, « Language Choice in the Qurra Dossier », dans A. Papaconstantinou (dir.), The Multilingual Experience in Egypt, from the Ptolemies to the Abbasids, Farnham, Ashgate, 2010.
14 Voir Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 134. Sur les circonstances de la découverte de cette collection de papyrus, voir H. I. Bell, « The Aphrodito Papyri », The Journal of Hellenic Studies, 28, 1908, p. 97-98 ; N. Abbott, The Ḳurrah Papyri from Aphrodito in the Oriental Institute, Chicago, The University of Chicago Press, 1938, p. 6.
15 Cette étude portant sur la justice publique, dans laquelle une autorité judiciaire officielle est saisie par un plaignant, nous ne prenons pas en compte la pratique de l’arbitrage, par laquelle deux individus s’accordent pour soumettre leur litige à un tiers qu’ils choisissent. La pratique de l’arbitrage était très courante à l’époque byzantine comme islamique. Voir par exemple A. Schiller, « The Budge Papyrus of Columbia University », Journal of the American Research Center in Egypt, 7, 1968 ; id., « A Family Archive from Jeme », dans Studi in honore di Vincenzo Arangio-Ruiz, Naples, Jovene, 1953, p. 341-342, 348-349 ; L. MacCoull (trad.), Coptic Legal Documents. Law as Vernacular Text and Experience in Late Antique Egypt, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 2009, p. 4-7.
16 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State. The World of a Mid-Eighth-Century Egyptian Official, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 2. Sur la géographie des découvertes de papyrus, voir plus généralement R. S. Bagnall, Reading Papyri, Writting Ancient History, Londres, Routledge, 1995, p. 8-10.
17 À l’exception des deux papyrus du début de l’époque abbasside que nous avons édités dans notre article « Deux papyrus judiciaires de Fusṭāṭ (iie/viiie siècle) », Chronique d’Égypte, 89, 2014, p. 414, 423, et qui pourraient venir de Fusṭāṭ.
18 Sur la géographie du Ṣaʿīd, voir J.-C. Garcin, « Ṣaʿīd », EI2, VIII, p. 861.
19 Voir P. M. Holt, « al-Fayyūm », EI2, II, p. 872 ; P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 26-32 ; al-Maqrīzī, al-Ḫiṭaṭ, I, p. 655-674.
20 Voir al-Maqrīzī, al-Ḫiṭaṭ, I, p. 643.
21 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
22 Sur al-Ušmūnayn, voir A. Fu’ād Sayyid, « al-Ushmūnayn », EI2, X, p. 916 ; Yāqūt, Muʿǧam al-buldān, Beyrouth, Dār Bayrūt, 1988, I, p. 200 ; al-Maqrīzī, al-Ḫiṭaṭ, I, p. 647-649. Voir également J.-C. Garcin, « Ṣaʿīd », art. cité, p. 863.
23 Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages, op. cit., p. 134. Voir aussi H. I. Bell, « The Aphrodito Papyri », art. cité, p. 106-107 ; N. Abbott, The Ḳurrah Papyri, op. cit., p. 6 ; T. Gagos, P. Van Minnen, Settling a Dispute. Toward a Legal Anthropology of Late Antique Egypt, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1994, p. 8-9. ; I. Marthot, Un village égyptien et sa campagne. Étude de la microtoponymie du territoire d’Aphroditê (vie-viiie siècle), thèse de doctorat, École pratique des hautes études, 2013, I, p. 190-195.
24 Sur ce site, voir Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages, op. cit., p. 419-420.
25 C. Foss, « Egypt under Muʿāwiya. Part I », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 72, 2009, p. 3. D’après les auteurs musulmans classiques, la ville appartenait au district (kūra) d’Assouan aux premiers siècles de l’Islam. Voir G. Wiet, « Adfū », EI2, I, p. 186 ; Yāqūt, Muʿǧam al-buldān, op. cit., I, p. 126.
26 A. Grohmann, Arabic Papyri from Ḫirbet el-Mird, Louvain, Institut Orientaliste, 1963 (Bibliothèque du Muséon, 52), p. x.
27 Voir notamment P. Wheatley, The Places Where Men Pray Together. Cities in Islamic Lands Seventh Through Tenth Centuries, Chicago, University of Chicago Press, 2001, p. 112.
28 P. DiemGouverneur ; D. S. Margoliouth, Catalogue of Arabic Papyri in the John Rylands Library Manchester, Manchester, The Manchester University Press, 1933, p. 180
29 Ces papyrus ne sont datés qu’en référence aux indictions. Leur principal éditeur, Roger Rémondon, pensait à la suite de Roger Idris Bell qu’ils étaient contemporains des papyrus de Qurra b. Šarīk et devaient donc être datés du début du viiie siècle. J. Gascou et K. A. Worp ont néanmoins révisé leur chronologie pour les dater des années 660 ou 670, interprétation aujourd’hui acceptée de manière unanime par les papyrologues. J. Gascou, K. A. Worp, « Problèmes de documentation apollinopolite », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 49, 1982, p. 83-89. Voir également C. Foss, « Egypt under Muʿāwiya. Part I », art. cité, p. 4.
30 C. J. Kraemer, Excavations at Nessana, III : Non-Literary Papyri, Princeton, Princeton University Press, 1958, p. 158-159.
31 Il semble ainsi difficile d’affirmer, comme le fait Rachel Stroumsa sur la base de ce papyrus, que les autorités judiciaires de Nessana (prêtre ou cadi) jouaient un rôle de « conciliateur, et non de juge ». R. Stroumsa, People and Identities in Nessana, Ph. D. dissertation, Duke University, 2008, p. 64.
32 R. Hoyland, « The Earliest Attestation of the Dhimma of God and His Messenger and the Rediscovery of P. Nessana 77 (60s AH/680 CE) », dans B. Sadeghi et al. (dir.), Islamic Cultures, Islamic Contexts. Essays in Honor of Professor Patricia Crone, Leyde/Boston, Brill, 2015, p. 55.
33 P. Hamb. Arab. II 37. La datation de la lettre repose sur la mention d’un certain « Abū Naṣr », identifié par Dietrich à Abū Naṣr Muḥammad b. al-Sarī b. al-Ḥakam, qui succède à son père comme gouverneur de Fusṭāṭ en ǧumādā II 205/novembre 820.
34 P. Philad. Arab. 28.
35 G. Levi Della Vida, Arabic Papyri in the University Museum in Philadelphia (Pennsylvania), Rome, Accademia Nazionale dei Lincei, 1981, p. 55.
36 M. Tillier, « Deux papyrus judiciaires de Fusṭāṭ », art. cité, p. 414.
37 Voir par exemple P. HindsSakkoutNubia ; Chrest. Khroury I 81.
38 P. Cair. Arab. III 177.
39 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 184.
40 Voir A. de B. Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, Beyrouth, Librairie du Liban, s. d., I, p. 618-619.
41 P. Cair. Arab. III 176. Pour des époques plus tardives, la nature judiciaire de certains documents peut encore être suspectée sans pouvoir être prouvée. Voir par exemple P. Philad. Arab. 5, peut-être un ordre émis par un cadi concernant un héritage.
42 G. Rouillard, L’administration civile de l’Égypte byzantine, Paris, Geuthner, 1928, p. 28 ; J.-M. Carrié, « Séparation ou cumul ? Pouvoir civil et autorité militaire dans les provinces d’Égypte de Gallien à la conquête arabe », Antiquité tardive, 6, 1998, p. 116-117. Sur l’organisation administrative de l’Égypte byzantine et son évolution aux vie et viie siècles, voir également B. Palme, « The Imperial Presence : Government and Army », dans R. S. Bagnall (dir.), Egypt in the Byzantine World, 300-700, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 245-249, 265, ainsi que la carte établie par le même auteur dans « Praesides und Correctores der Augustamnica », Antiquité tardive, 6, 1998, p. 125.
43 J.-M. Carrié, « Séparation ou cumul ? », art. cité, p. 116 ; J. Gascou, « Ducs, praesides, poètes et rhéteurs au Bas-Empire », Antiquité tardive, 6, 1998, p. 64.
44 Mais non sans changements montrant que les conquérants firent évoluer, à certains égards, le système dont ils avaient hérité. Voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 65, 69-72.
45 V. Christides, « Miṣr », EI2, VII, p. 156.
46 J.-M. Carrié, « Séparation ou cumul ? », art. cité, p. 120. Selon Marie Legendre, le terme amīr était à l’origine réservé aux officiers musulmans qui furent associés aux ducs après la conquête. Ce n’est que dans les années 660 que les ducs se mirent à leur tour à porter le titre d’amīr. M. Legendre, « Hiérarchie administrative et formation de l’État islamique dans la campagne égyptienne pré-ṭūlūnide », dans A. Nef, F. Ardizzone (dir.), Les dynamiques de l’islamisation en Méditerranée centrale et en Sicile. Nouvelles propositions et découvertes récentes, Rome/Bari, École française de Rome/Edipuglia, 2014, p. 108.
47 J.-M. Carrié, « Séparation ou cumul ? », art. cité, p. 121. Voir Jean de Nikiou, The Chronicle of John, Bishop of Nikiu, trad. anglaise par R. H. Charles, Londres/Oxford, Williams and Norgate, 1916, p. 194.
48 Voir B. Palme, « Law and Courts in Late Antique Egypt », dans B. Sirks (dir.), Aspects of Law in Late Antiquity. Dedicated to A. M. Honoré on the Occasion of the Sixtieth Year of his Teaching in Oxford, Oxford, All Souls College, 2008, p. 63-64.
49 Ces pagarchies ou kūra-s correspondaient aux nomes antérieurs aux réformes administratives byzantines du ive siècle. P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 37. Voir également H. I. Bell, « The Administration of Egypt under the ‘ Umayyad Khalifs », Byzantinische Zeitschrift, 28, 1928, p. 278-280. Sur le pagarque et son administration, voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 87-90. Sur la division de l’Égypte en duchés, voir J. Maspero, L’organisation militaire de l’Égypte byzantine, Paris, Honoré Champion, 1912, p. 73-76 ; G. Rouillard, L’administration civile…, op. cit., p. 30-35.
50 F. Morelli, L’archivio di Senouthios Anystes e testi connessi. Lettere e documenti per la costruzione di una capitale, Berlin/New York, De Gruyter, 2010 (Corpus Papyrorum Raineri, XXX), p. 15.
51 G. Franz-Murphy, « The Economics of State Formation in Early Islamic Egypt », dans P. M. Sijpesteijn et al., From al-Andalus to Khurasan. Documents from the Medieval Muslim World, Leyde, Brill, 2007, p. 103.
52 F. Morelli, L’archivio di Senouthios…, op. cit., p. 27.
53 P. Senouthios 17, 20, 23.
54 P. Senouthios 19, 24, 25, 27.
55 P. Senouthios 15.
56 J. Gascou, K. A. Worp, « Problèmes de documentation apollinopolite », art. cité, p. 88.
57 Rémondon considère le duc mentionné dans ce dossier comme celui de la seule Thébaïde. Bernhard Palme affirme cependant qu’une réorganisation avait eu lieu entre-temps – entre 655 et 669 –, et qu’un seul duc avait désormais autorité sur l’Arcadie et la Thébaïde. B. Palme, « The Administration of Egypt in Late Antiquity », version 02, Imperium and Officium Working Papers (IOWP), mai 2011, http ://iowp.univie.ac.at/node/155 (consulté le 15 novembre 2012), p. 5. Selon Marie Legendre, c’est le duc Jordanès qui aurait étendu son autorité sur les deux provinces entre 660 et 670. M. Legendre, « Hiérarchie administrative… », art. cité, p. 108.
58 R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, Le Caire, Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, 1953, p. 19, 23, 71. Sur Antinoé/Anṣinā, voir al-Maqrīzī, al-Ḫiṭaṭ, I, p. 554 ; Yāqūt, Muʿǧam al-buldān, op. cit., I, p. 265.
59 Ibid., p. 19, 50, 72.
60 Ibid., p. 53.
61 C. Foss, « Egypt under Muʿāwiya. Part I », art. cité, p. 2-3 ; K. Morimoto, The Fiscal Administration of Egypt in the Early Islamic Period, Kyoto, Dohosha, 1981, p. 195-196 ; P. Sijpesteijn, « Landholding Patterns in Early Islamic Egypt », Journal of Agrarian Change, 9, 2009, p. 121 ; id., « New Rules over Old Structures : Egypt after the Muslim Conquest », Proceedings of the British Academy, 136, 2007, p. 184.
62 P. Apoll. 9.
63 R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, op. cit., p. 24.
64 Ibid., p. 71.
65 P. Apoll. 28.
66 C’était en revanche le cas au vie siècle. G. Rouillard, L’administration civile…, op. cit., p. 149.
67 Voir J. Maspero, « Études sur les papyrus d’Aphrodité », Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, 7, 1910, p. 111, 135-136 : Maspero met en évidence la procédure écrite en usage en Thébaïde au vie siècle. Il montre que les plaintes étaient sans doute soumises au duc de Thébaïde par le biais de pétitions rédigées par des scribes officiant autour du tribunal. Malheureusement la documentation d’époque islamique ne permet pas d’aller aussi loin dans la reconstitution des procédures. Voir également G. Rouillard, L’administration civile…, op. cit., p. 149-151, qui décrit le fonctionnement du bureau de l’administration ducale chargé de traiter les pétitions.
68 Voir H. I. Bell, « The Administration of Egypt… », art. cité, p. 280.
69 P. Apoll. 18.
70 Ibid.
71 R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, op. cit., p. 50.
72 Il est bien entendu possible que les procédures soient plus compliquées que cela. Seule l’étude des papyrus coptes de la jarre d’Edfou, commencée par Geneviève Favrelle et poursuivie par une équipe de papyrologues travaillant sous la direction d’Anne Boud’hors et d’Alain Delattre, permettra de le déterminer.
73 R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, op. cit., p. 138 ; J. Gascou, K. A. Worp, « Problèmes de documentation apollinopolite », art. cité, p. 84.
74 P. Apoll. 61.
75 R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, op. cit., p. 86.
76 Ibid., p. 89.
77 P. Apoll. 22, 23, 24.
78 P. Apoll. 22. Rémondon hésite sur le sens de l’instruction énoncée par Théodoros. Sa traduction principale est la suivante : « Et à ce qu’il me semble, il n’avait pas le droit de le faire, sauf au cas où la cour eût fait l’objet d’une transaction, où le droit du batelier eût été sauvegardé et le bornage de sa maison précisé. » Dans son commentaire du papyrus, il propose néanmoins une traduction alternative : « À ce qu’il me semble, il n’avait pas le droit de le faire ; mais si toutefois il devait y avoir (ou : s’il y a eu) transaction au sujet de la cour, alors, que son droit soit sauvegardé et que le bornage de sa maison soit précisé. » R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, op. cit., p. 58-59. La seconde proposition, dans laquelle deux cas de figure alternatifs sont évoqués, semble plus vraisemblable : on comprendrait mal comment l’autorité judiciaire d’Antinoé, devant qui nulle preuve ne semble avoir été produite, se prononcerait de manière aussi péremptoire en faveur du batelier.
79 R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, op. cit., p. 59.
80 P. Apoll. 24.
81 R. Rémondon, Papyrus grecs d’Apollônos Anô, op. cit., p. 60.
82 Voir B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 64. Sur le rôle judiciaire des divers types de gouverneurs dans l’Égypte byzantine, voir également J.-M. Carrié, « Le gouverneur romain à l’époque tardive. Les directions possibles de l’enquête », Antiquité tardive, 6, 1998, p. 21-25.
83 Schiller affirme que, dans la documentation papyrologique antérieure à l’Islam, rien ne permet de penser que le pagarque présidait des procès civils (A. Schiller, « The Courts are No More », dans Studi in onore di Edoardo Volterra, I, s. l., Casa editrice dott. A. Giuffrè, 1971, p. 484-485). Depuis, Berhard Palme a néanmoins montré que certains conflits continuaient d’être instruits par des représentants du pouvoir. B. Palme, « The Imperial Presence », art. cité, p. 264. Sur les controverses auxquelles a donné lieu l’article de Schiller précité, voir B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 71-72.
84 G. Rouillard, L’administration civile…, op. cit., p. 154 ; B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 63.
85 A. Papaconstantinou, « Administering the Early Islamic Empire. Insights from the Papyri », dans J. Haldon (dir.), Money, Power and Politics in Early Islamic Syria : A Review of Current Debates, Farnham, Ashgate, 2010, p. 61. Le papyrus cité est P. Stras. inv. gr. 1025, en cours d’édition par Ruey-Lin Chang.
86 P. Apoll. 46.
87 Sur Qurra b. Šarīk, voir al-Kindī, Wulāt, p. 63-66 ; C. E. Bosworth, « Ḳurra b. Sharīk », EI2, V, p. 500 ; H. Lammens, « Un gouverneur omaiyade d’Égypte. Qorra ibn Šarîk d’après les papyrus arabes », Bulletin de l’Institut d’Égypte, 5e série, t. II, 1908 ; N. Abbott, The Ḳurrah Papyri, op. cit., p. 66 et suiv. ; P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 27-57.
88 Sur ce calife, voir H. Kennedy, « al-Walīd », EI2, XI, p. 139.
89 Sur la construction étatique de ʿAbd al-Malik, voir C. Robinson, ʿAbd al-Malik, Oxford, Oneworld, 2005, p. 105 et suiv. Voir J. Johns, « Archaeology and the History of Early Islam », art. cité, p. 422, 424.
90 Sur cette reconstruction, voir notamment Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr wa-aḫbāru-hā, éd. par Ch. C. Torrey, New Haven, Yale University Press, 1922, p. 131 ; A. C. Creswell, « La mosquée de ʿAmru », Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, 32, 1932, p. 126.
91 P. Lond. IV 1342. Voir également A. Grohmann, « Aperçu de papyrologie arabe », Études de papyrologie, 1, 1932, p. 67.
92 S. Bouderbala, Ǧund Miṣr. Étude de l’administration militaire d’Égypte des débuts de l’Islam, 21/642-218/833, thèse de doctorat, université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2008, p. 213-214.
93 Sur ce dernier cas, voir par exemple P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 109.
94 De nouvelles lettres de Qurra b. Šarīk ont depuis été publiées. Voir notamment P. Sijpesteijn, « Une nouvelle lettre de Qurra b. Šarīk. P. Sorb. inv. 2345 », Annales islamologiques, 45, 2011 ; N. Vanthieghem, « La correspondance de Qurra b. Šarīk et de Basileios revisitée. I. À propos d’une lettre récemment publiée », Chronique d’Égypte, 91, 2016.
95 Selon la tradition islamique, le calife ʿUmar II aurait ébauché une telle comparaison entre al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf et Qurra b. Šarīk, qu’il aurait considérés comme aussi iniques l’un que l’autre. Voir H. Lammens, « Un gouverneur omaiyade d’Égypte », art. cité, p. 99. Sur al-Ḥaǧǧāǧ b. Yūsuf, qui fut gouverneur des provinces orientales au début du viiie siècle et laissa l’image d’un despote sanguinaire, voir A. Dietrich, « al-Ḥadjdjādj b. Yūsuf », EI2, III, p. 39.
96 Ǧ. Abū Ṣafya, Bardiyyāt Qurra b. Šarīk al-ʿAbsī. Dirāsa wa-taḥqīq, Riyad, Markaz al-Malik Fayṣal li-l-buḥūṯ wa-l-dirāsāt al-islāmiyya, 2004, p. 68-69. Une telle réévaluation du personnage de Qurra b. Šarīk avait précédemment été proposée par N. Abbott, The Ḳurrah Papyri, op. cit., p. 66. Voir également C. E. Bosworth, « Ḳurra b. Sharīk », EI2, V, p. 500.
97 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
98 P. GrohmannQorraBrief = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 37.
99 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
100 I. Marthot, Un village égyptien et sa campagne, op. cit., I, p. 190-195.
101 J. Gascou, K. A. Worp, « Problèmes de documentation apollinopolite », art. cité, p. 85 ; C. Foss, « Egypt under Muʿāwiya. Part I », art. cité, p. 4.
102 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 104.
103 M. Legendre, « Hiérarchie administrative… », art. cité, p. 109.
104 B. Gruendler, The Development of the Arabic Scripts. From the Nabatean Era to the Fisrt Islamic Century According to Dated Texts, Atlanta, Scholars Press, 1993, p. 133.
105 Sur ces bureaux, voir N. Abbott, The Ḳurrah Papyri, op. cit., p. 13. Voir également l’analyse de la chancellerie de Nāǧid b. Muslim, dans le Fayyūm de la fin de l’époque omeyyade, par P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 229 et suiv.
106 Ǧ. Abū Ṣafya, Bardiyyāt Qurra, op. cit., p. 108.
107 Une seule lettre offre plus de détails : dans P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129, le gouverneur mentionne que le demandeur, dont le débiteur est mort, se plaint maintenant des héritiers de ce dernier.
108 Fa-innī aḥmadu llāh allaḏī lā ilāha illā huwa (« je rends grâce à Dieu l’Unique »).
109 Wa-l-salāmu ʿalā man ittabaʿa l-hudā (« que le salut soit sur ceux qui suivent le droit chemin »), formule de salutation finale le plus souvent employée lorsque le destinataire est non musulman.
110 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; notons néanmoins l’absence du verbe zaʿama dans P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32, dans lequel le gouverneur se contente de mentionner que le plaignant l’a « informé » (aḫbara-nī) de son préjudice.
111 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32. Le terme ḥaqq pourrait faire plus précisément référence à une « dette » : les documents de ḏikr ḥaqq (« certification du droit de créance ») correspondent en effet le plus souvent à des reconnaissances de dettes. Voir Y. Rāġib, Marchands d’étoffes du Fayyoum au iiie/ixe siècle d’après leurs archives (actes et lettres), I : Les actes des Banū ʿAbd al-Mu’min, Le Caire, Ifao, 1982, p. 8 ; M. H. Thung, « Written Obligations from the 2nd/8th to the 4th/10th Century », Islamic Law and Society, 3, 1996. Notons par ailleurs que le verbe ġalaba ʿalā est employé par al-Balāḏurī à propos d’usurpations commises à l’époque antéislamique. Voir par exemple al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Oriental-Institut Beirut), I, p. 186.
112 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 (la protase n’est pas ici introduite par in, étant commandée par un iḏā qui introduit le segment précédent). P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 et P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33 proposent une légère variante : fa-in kāna mā aḫbara-nī ḥaqqan wa-aqāma ʿalā ḏālika l-bayyina.
113 P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
114 P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyat-Qurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyat-Qurra 34. On trouve aussi la variante suivante : « les droits qui lui appartiennent, assure-toi qu’il les lui rende » (fa-mā kāna la-hu min ḥaqq, fa-straḫriǧ-hu la-hu). Voir P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 ; P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33. De telles variantes semblent intervenir sous la plume d’un même scribe. Voir P. GrohmannQorraBrief = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 37.
115 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 ; P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33 (lecture hypothétique dans ce dernier document, le papyrus étant lacunaire à cet endroit) ; P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34. Grohmann adopte la lecture ʿabdu-ka (كدبع) au lieu de ʿinda-ka (كدنع) : « que ton esclave ne soit pas traité injustement ».
116 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 (variante : wa-in kāna ša’nu-hu…) ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 (variante : [illā] anna ša’na-hu ġayru ḏālika fa-uktub [ilayya]).
117 W. Diem, « Drei amtliche Schreiben aus frühislamischer Zeit (Papyrus Erzherzog Rainer, Wien) », Jerusalem Studies in Arabic and Islam, 12, 1989, p. 149.
118 Pour une liste des principaux scribes de Qurra b. Šarīk, voir T. S. Richter, « Language Choice… », art. cité, p. 213.
119 Ǧ. Abū Ṣafya le remarquait déjà dans Bardiyyāt Qurra, op. cit., p. 198. La vocalisation de « Labnan » est incertaine. Becker préfère pour sa part lire la forme dialectale « Lebnan ». C. H. Becker, « Neue Arabische Papyri des Aphroditofundes », Der Islam, 2, 1911, p. 262. P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 ; P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33.
120 C. H. Becker, « Neue Arabische Papyrus… », art. cité, p. 262.
121 N. Abbott, The Ḳurrah Papyri, op. cit., p. 49.
122 P. Cair. Arab. III 153.
123 Dans la mesure où nous ne disposons que d’un nombre réduit de documents émis par la chancellerie de Qurra b. Šarīk, cette observation doit bien sûr être relativisée. On ne peut exclure que Muslim b. Labnan ait rédigé d’autres types de lettres dont nous ne gardons pas trace.
124 P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. RagibQurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 43. Il va sans dire que ce sont ces copies qui nous sont parvenues. Sur la rédaction et la copie de ces lettres, voir Y. Rāġib, « Les esclaves publics aux premiers siècles de l’Islam », dans H. Bresc (dir.), Figures de l’esclave au Moyen Âge et dans le monde moderne, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 10.
125 P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
126 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
127 Y. Rāġib, « Les esclaves publics… », art. cité, p. 10. Voir également T. S. Richter, « Language Choice… », art. cité, p. 211-213.
128 Seul l’homme libre pouvait se prévaloir d’un nasab, l’esclave étant généralement appelé par son seul ism, voire par une kunya. J. Sublet, Le voile du nom. Essai sur le nom propre arabe, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 29 ; Y. Rāġib, « Les esclaves publics… », art. cité, p. 7.
129 Il apparaît à trois reprises – s’il s’agit bien de la même personne – sous son seul ism. Selon la classification opérée par Yūsuf Rāġib, de tels copistes aux fonctions subalternes, généralement désignés par leurs seuls ism-s, seraient de condition servile (Y. Rāġib, « Les esclaves publics… », art. cité, p. 10-11). Son apparition avec un nasab à deux reprises semble contredire cette systématisation ; peut-être sa fonction inférieure le dissuadait-elle simplement de toujours se prévaloir de sa généalogie.
130 P. RagibQurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 43.
131 Voir à ce sujet les hypothèses de Y. Rāġib, « Les esclaves publics… », art. cité, p. 10.
132 Les auteurs musulmans classiques condamnent généralement la représentation d’animaux sur les sceaux. Ibn Raǧab mentionne néanmoins l’exemple de plusieurs Compagnons ou Successeurs dont les sceaux représentaient un lion, un oiseau ou une mouche. Ibn Raǧab al-Ḥanbalī, Kitāb aḥkām al-ḫawātim wa-mā yataʿallaqu bi-hā, Beyrouth, Dār al-kutub al-‘ ilmiyya, 1985, p. 77-80. Voir le sceau d’un pagarque comme Nāǧid b. Muslim qui, en 729, comportait uniquement la phrase Iʿtaṣama Nāǧid bi-Llāh (« Nāǧid se réfugie en Dieu »), suivie de « Nāǧid » en grec. CPR XXII 9 ; A. Grohmann, Allgemeine Einführung in die arabischen Papyri, Vienne, Burgverlag Ferdinand Zöllner, 1924 (Corpus Papyrorum Raineri III. I. 1), p. 81. Sur les sceaux, voir également A. Grohmann, Einführung und Chrestomathie zur arabischen Papyruskunde, Prague, Státní Pedagogické Nakladatelství, 1954, p. 129-130.
133 Voir N. Abbott, The Ḳurrah Papyri, op. cit., p. 31 et planche III.
134 P. DiemGouverneur.
135 P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31.
136 P. Cair. Arab. III 154 = P. World, p. 129 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28.
137 P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29.
138 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
139 P. Vente 14, 15.
140 Y. Rapoport, « Matrimonial Gifts in Early Islamic Egypt », Islamic Law and Society, 7, 2000, p. 14-15.
141 Voir O. Spies, « Ghaṣb », EI2, II, p. 1020.
142 P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33.
143 P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
144 P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31.
145 P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 154 = P. World, p. 129 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28. « Ǧurayǧ » a néanmoins disparu dans ce second papyrus : il pourrait donc s’agir d’un autre individu. S’il s’agit bien du même homme, cela signifie qu’il porta plainte à deux reprises dans le même mois, à chaque fois pour réclamer un remboursement à un débiteur paysan (nabaṭī).
146 P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30.
147 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
148 P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
149 P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33.
150 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31.
151 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32. Cette lecture semble cependant incertaine : ne faudrait-il pas lire anbāṭī, qui renverrait ici aussi à « un paysan » ? Je remercie Naïm Vanthieghem qui m’a suggéré cette lecture.
152 P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33.
153 P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34. Abū Ṣafya propose de lire [marū]t.
154 Voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 156.
155 Sur ce type d’endossement, voir notamment J. Gascou, « Sur la lettre arabe de Qurra b. Šarīk. P. Sorb. inv. 2344 », Annales islamologiques, 45, 2011, et N. Vanthieghem, « La correspondance de Qurra b. Šarīk… », art. cité, p. 205.
156 Sur les enjeux juridiques de l’identification des plaideurs à une époque plus tardive, voir M. Tillier, « L’identification en justice à l’époque abbasside », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 127, 2010, p. 99-101.
157 P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Cair. Arab. III 154= P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
158 N. Abbott, Studies in Arabic Literary Papyri, II, Chicago, The University of Chicago Press, 1967, p. 63. Voir également E. M. Grob, Documentary Arabic Private and Business Letters on Papyrus. Form and Function, Content and Context, Berlin/New York, De Gruyter, 2010, p. 65. Notons qu’au niveau institutionnel, le ṣāḥib al-ḫabar fut plus tard le chef du service de renseignements et qu’il communiquait par écrit avec le souverain et son administration. Voir A. Silverstein, Postal Systems…, op. cit., p. 114 et suiv.
159 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
160 Voir A. de B. Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., II, racine ġ. l. b.
161 L’ambiguïté vient ici du pronom possessif-hu qui, dans aḫaḏa māla-hu, pourrait aussi renvoyer au créancier.
162 P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129.
163 P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29. Voir P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyat-Qurra 31 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
164 Notons que le verbe ġalaba partage une racine sémitique commune avec le verbe syriaque ʿlab (également « vaincre », mais aussi « opprimer », « priver de ») et peut suggérer qu’une injustice a été commise ; voir M. Sokoloff, A Syriac Lexicon. A Translation from the Latin, Correction, Expansion, and Update of C. Brockelmann’s, Lexicon Syriacum, Piscataway, Gorgias Press, 2009, p. 1099. Au tout début du viiie siècle, Jacques d’Édesse recourt à cette même racine lorsqu’il évoque l’injustice ou le préjudice dont pourrait être victime un prêtre, qui devrait alors entamer une procédure judiciaire. Dissertatio de syrorum fide et disciplina in re eucharistica, éd. par Th. J. Lamy, Louvain, Vanlinthout et socii, 1859, p. 146-148.
165 P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33.
166 P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
167 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 ; P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyat-Qurra 34.
168 Voir par exemple P. Cair. Arab. III 154 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 = P. World, p. 129 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31.
169 P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
170 Sur la présence nécessaire des deux parties devant le juge en droit musulman classique, voir J. Schacht, Introduction…, op. cit., p. 157 ; E. Tyan, « La procédure du “défaut” en droit musulman », Studia islamica, 7, 1957, p. 119.
171 Ou « un paysan » (anbāṭī). Sur les incertitudes pesant sur cette lecture, voir supra.
172 P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32. Voir également P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33.
173 Encore existe-t-il des exceptions à cette règle dans le fiqh classique. Ainsi, chez les šāfiʿites, la présence du défendeur devant le cadi n’est-elle pas toujours requise (E. Tyan, « La procédure du “défaut”… », art. cité, p. 118-119). De même, en droit ḥanafite, si un défendeur réside à plus d’une demi-journée de marche de l’audience, le demandeur doit produire des témoins devant le cadi et commencer à prouver le bien-fondé de sa prétention avant même que son adversaire ne soit convoqué. Al-Ḫaṣṣāf (avec le commentaire d’al-Ǧaṣṣāṣ), Kitāb adab al-qāḍī, éd. par Farḥāt Ziyāda, Le Caire, The American University in Cairo Press, 1978, p. 250. Voir Ibn al-Qāṣṣ, Adab al-qāḍī, éd. par Aḥmad Farīd al-Mazīdī, Beyrouth, Dār al-kutub al-‘ ilmiyya, 2007, p. 110. Sur cette procédure, voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 297-298. S’agit-il ici des derniers vestiges d’une procédure plus souple, ou tout simplement différente, remontant à l’époque omeyyade ?
174 M. F. ʿAbd al-Bāqī, al-Muʿǧam al-mufahras li-alfāẓ al-Qur’ān al-karīm, Damas/Beyrouth, Maktabat al-Ġazālī-Mu’assasat manāhil al-‘ irfān, s. d., p. 142-143.
175 R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 202 ; id., « Bayyina », EI2, I, p. 1150.
176 C’est ainsi que Denise Masson traduit ce terme. Voir son Essai d’interprétation du Coran inimitable, Beyrouth, Dār al-kitāb al-lubnānī, s. d., p. 78.
177 Traduction par R. Blachère, Le Coran, Paris, Maisonneuve et Larose, 2005, p. 87.
178 Voir al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān fī ta’wīl al-Qur’ān, éd. par Maḥmūd Muḥammad Šākir, Beyrouth, Mu’assasat al-risāla, 2000, X, p. 242. L’auteur définit le pluriel bayyināt de la manière suivante : « les bayyināt, c’est-à-dire les versets clairs et les preuves (ḥuǧaǧ) évidentes (bayyina) de la véracité (ḥaqīqa) du [message] avec lequel [les prophètes] leur ont été envoyés, ainsi que de la vérité (ṣiḥḥa) de leur appel à croire en eux et à respecter les préceptes que Dieu leur a imposés ».
179 R. Brunschvig, « Le système de la preuve… », art. cité, p. 201 et suiv.
180 Voir par exemple Coran, 5 : 106-107.
181 Notons que le terme bayyina n’est pas défini dans le Kitāb al-ʿayn d’al-Ḫalīl b. Aḥmad, premier dictionnaire de la langue arabe composé à la fin du viiie siècle. Voir al-Ḫalīl b. Aḥmad, Kitāb al-ʿayn, murattaban ʿalā ḥurūf al-muʿǧam, éd. par ʿAbd al-Ḥamīd Hindāwī, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 2003, I, p. 176.
182 On remarquera néanmoins que dans le papyrus P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31, le terme bayyina est utilisé deux fois, dont une au pluriel (bayyināti-hi). L’utilisation d’un tel pluriel, inutile si la bayyina désigne en elle-même un double (ou multiple) témoignage, pourrait impliquer que le sens général de « preuves » était entendu par ce pluriel. P. AbuSafiyaBardiyatQurra lit néanmoins ša’na-hu au lieu de bayyināti-hi – correction d’ailleurs proposée par Nabia Abbott elle-même –, auquel cas ce pluriel ne serait pas significatif.
183 Y. Rāġib, « Une ère inconnue d’Égypte musulmane : l’ère de la juridiction des croyants », Annales islamologiques, 41, 2007, p. 197-198 ; J. Bruning, « A Legal Sunna in Dhikr ḥaqqs from Sufyanid Egypt », Islamic Law and Society, 22, 2015, p. 359.
184 Voir par exemple P. Ness. 56 (Nessana, 67/686-7), P. KhanLegalDocument (Fusṭāṭ ?, 88/707), P. Mird 8 (Palestine, années 110/728), P. Khalili I 9 (104/722-3 et 104/723), P. David-Weill-Louvre 24 (123/741).
185 Sur ce type de procédure, voir Ch. Müller, « Écrire pour établir la preuve orale en Islam. La pratique d’un tribunal à Jérusalem au xive siècle », dans A. Saito, Y. Nakamura (dir.), Les outils de la pensée. Étude historique et comparative des « textes », Paris, Fondation de la Maison des sciences de l’homme, 2010, p. 72.
186 P. KhanLegalDocument, P. Khalili I 9.
187 Cette formule ne semble plus attestée après 104/723. G. Khan, « An Arabic Legal Document from the Umayyad Period », Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain & Ireland, 4, 1994, p. 363.
188 Le terme bayyina est absent du vocabulaire des Muʿallaqāt, alors que d’autres termes relevant du droit de la preuve y apparaissent (šāhid, yamīn, ḥakam, ʿadl, ḫaṣm, qaḍā, ḥalafa, etc.). Voir A. Arazi, S. Masalha, Six Early Arab Poets. New Edition and Concordance, Jérusalem, The Max Schloessinger Memorial Series, 1999, index. Notons toutefois que le verbe à l’impératif bayyin (litt. « rends clair » = « devine » [ ?]) est employé, chez Ibn Ḥabīb, par des plaideurs qui invitent l’arbitre de leur querelle à découvrir un objet qu’ils ont caché : l’arbitre doit ainsi prouver sa compétence à deviner le juste. Ibn Ḥabīb, Kitāb al-munammaq fī aḫbār Qurayš, éd. par Ḫūršīd Aḥmad Fāriq, Hyderabad, Dā’irat al-maʿārif al-ʿuṯmāniyya, 1964, p. 114.
189 Ibn Hišām, al-Sīra al-nabawiyya, Beyrouth, Dār al-kitāb al-‘ arabī, 1990, II, p. 144.
190 R. Brunschvig, « Bayyina », EI2, I, p. 1150.
191 M. F. ʿAbd al-Bāqī, al-Muʿǧam al-mufahras, op. cit., p. 118, 194, 261.
192 Le mot ḥuǧǧa est une fois associé à Dieu dans le Coran (6 : 149), mais un adjectif qualificatif, bāliġa (décisif), est nécessaire pour lui donner la valeur de « preuve absolue ». Voir L. Gardet, « Ḥudjdja », EI2, III, p. 543. Le terme dalīl est pour sa part utilisé dans le Coran (25 : 45) dans le sens de « guide ». Burhān est quant à lui plus ambigu, puisqu’il qualifie à la fois la preuve décisive apportée par Dieu et celle que les hommes sont appelés à produire concernant la véracité de leurs croyances. L. Gardet, « Burhān », EI2, I, p. 1326.
193 Pour des exemples similaires de « coranisation » du discours sous les Omeyyades, voir F. M. Donner, « Qur’ânicization of Religio-Political Discourse in the Umayyad Period », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 129, 2011, p. 79-92.
194 Fred Donner conclut à partir de deux papyrus de Qurra que ce dernier rendait des jugements en faveur des plaideurs venus le trouver et n’écrivait que pour s’assurer de leur exécution (F. Donner, « The Formation of the Islamic State », art. cité, p. 288). Cette interprétation est clairement erronée.
195 Voir références supra.
196 C’est l’interprétation que Steinwenter propose de telles phrases. A. Steinwenter, Studien zu den koptischen Rechtsurkunden aus Oberäegypten, Amsterdam, Verlag Adof M. Hakkert, 1967 (1re éd. 1920), p. 15.
197 Parfois, les instructions vont au-delà de la simple restitution. Dans P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34, Qurra b. Šarīk demande en outre au pagarque de chasser « par la force » (daḥran šadīdan) l’occupant illégal d’une maison. Dans ce cas la restitution s’accompagne d’une ébauche de sanction physique du défendeur.
198 Voir notamment A. Steinwenter, Studien…, op. cit., p. 14.
199 Encore une fois, les conclusions qui suivent ne reposent que sur la documentation papyrologique accessible. La publication des papyrus coptes de la jarre d’Edfou obligera sans doute à nuancer ou corriger ces interprétations.
200 Il n’est plus de duc attesté en Thébaïde après 703 (M. Legendre, « Hiérarchie administrative… », art. cité, p. 109). En admettant que cette absence d’attestation documentaire ne signifie pas forcément la disparition immédiate des ducs, d’autres facteurs pourraient expliquer le schéma administratif à l’œuvre sous Qurra b. Šarīk. On ne peut ainsi exclure a priori le rôle de la géographie dans ce que l’historien perçoit comme un déplacement de l’autorité judiciaire. Le dossier de Papas, découvert à Edfou, reflète la situation du grand sud de la Haute-Égypte. Edfou se trouvait à environ 760 km de Fusṭāṭ, mais à moins de 500 km d’Antinoé. Cette différence de distance expliquerait-elle que l’autorité du duc soit dominante dans le dossier de Papas, mais absente dans celui de Qurra ? Rien n’est moins sûr. En effet, Aphroditō est plus proche encore d’Antinoé (environ 150 km), et encore bien éloignée de Fusṭāṭ (environ 450 km), et si la distance expliquait la domination d’une autorité ou d’une autre, le duc devrait encore être omniprésent dans les papyrus d’Aphroditō.
201 Voir références supra.
202 La mise en œuvre de cette procédure impliquant à la fois un gouverneur musulman et des pagarques chrétiens oblige à revoir les affirmations de Gladys Frantz-Murphy, qui considère que la restauration d’un système judiciaire efficace en Égypte est liée au développement d’une justice administrée par les autorités arabo-musulmanes (G. Frantz-Murphy, « Settlement of Property Disputes in Provincial Egypt : the Reinstitution of Courts in the Early Islamic Period », al-Masāq, 6, 1993, p. 101 ; mais l’auteur se contredit quelques lignes plus loin, p. 102, en suggérant que des juges coptes existaient encore au iie/viiie siècle). L’idée d’une disparition des tribunaux dans l’Égypte byzantine avant la conquête arabe – thèse défendue par Arthur Schiller, « The Courts are No More », art. cité – a néanmoins été réfutée par D. Simon, cité par T. Gagos, P. Van Minnen, Settling a Dispute, op. cit., p. 42, ainsi que par B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 72.
203 T. S. Richter, « Language Choice… », art. cité, p. 189.
204 R. I. Bell, « The Arabic Bilingual Entagion », Proceedings of the American Philosophical Society, 89, 1945, p. 532-533.
205 T. S. Richter, « Language Choice… », art. cité, p. 200.
206 Ibid., p. 201.
207 P. Lond. IV 1356, traduit en anglais par H. I. Bell, « Translations of the Greek Aphrodito Papyri in the British Museum, Part 1 », p. 281-282 ; trad. arabe dans P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 229-230.
208 Sur les différents modes de transport des lettres au début de l’Islam, voir E. M. Grob, Documentary Arabic…, op. cit., p. 94.
209 T. S. Richter, « Language Choice… », art. cité, p. 212-213.
210 C’est ce que propose T. S. Richter, ibid., p. 215.
211 Voir R. Stroumsa, People and Identities…, op. cit., p. 199.
212 Voir G. Rouillard, L’administration civile…, op. cit., p. 60 ; C. Humfress, Orthodoxy and the Courts in Late Antiquity, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 44. Voir D. Liebs, « Roman Law », art. cité, p. 241.
213 N. Abbott, The Ḳurrah Papyri, op. cit., p. 74, 99.
214 Voir par exemple P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
215 A. Steinwenter, Studien…, op. cit., p. 15.
216 P. Lond. IV 1356, traduit en anglais par H. I. Bell, « Translations of the Greek Aphrodito Papyri in the British Museum, Part I », Der Islam, 2, 1911, p. 281-282 ; trad. arabe dans P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 229-230.
217 Ǧ. Abū Ṣafya, Bardiyyāt Qurra, op. cit., p. 109.
218 H. I. Bell, « An Egyptian Village in the Age of Justinian », The Journal of Hellenic Studies, 64, 1944, p. 31, 33, 35.
219 Si tant est qu’il existe une deuxième instance.
220 J. Harries, Law and Empire in Late Antiquity, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 54.
221 C. Zukerman, « Les deux Dioscore d’Aphroditè ou les limites de la pétition », dans D. Feissel, J. Gascou, La pétition à Byzance, Paris, Centre d’histoire et civilisation de Byzance, 2004, p. 83-84. Sur cette procédure, voir également P. Collinet, La procédure par libelle, Paris, Recueil Sirey, 1932, p. 399-400. Voir J. Maspero, « Études sur les papyrus d’Aphrodité », art. cité, p. 141-146 ; H. I. Bell, « An Egyptian Village… », art. cité, p. 26 ; G. Malz, « Three Papyi of Dioscorus at the Walters Art Gallery », The American Journal of Philology, 60, 1939, p. 173-174. Voir également J. Harries, Law and Empire…, op. cit., p. 184 ; T. Gagos, P. Van Minnen, Settling a Dispute, op. cit., p. 10-15 (ce dernier cas de pétition, néanmoins, n’est pas de nature judiciaire).
222 Sur cette procédure et l’implication d’un juge délégué, voir P. Collinet, La procédure par libelle, op. cit., p. 64-65. Certains romanistes considèrent que la procédure par libelle se distinguait dans le détail de la procédure par rescrit (ibid., p. 457-459). Cette distinction n’a néanmoins pas d’incidence sur la présente analyse, et G. Rouillard (L’administration civile…, op. cit., p. 158) ne semble d’ailleurs pas faire la différence à propos de l’Égypte. Sur les débats relatifs aux origines de la procédure par libelle, voir J. Gaudemet, Institutions de l’Antiquité, Paris, Sirey, 1982 (1re éd. 1967), p. 792. Voir également A. Berger, Encyclopedic Dictionary of Roman Law, Philadelphie, The American Philosophical Society, 1954, p. 561 ; B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 66.
223 J. Gaudemet, Institutions de l’Antiquité, op. cit., p. 794 ; J. Harries, Law and Empire…, op. cit., p. 27, 104-105. Voir également R. Bagnall, Egypt in Late Antiquity, Princeton, Princeton University Press, 1996, p. 162-163.
224 P. Collinet, La procédure par libelle, op. cit., p. 403 ; C. Humfress, Orthodoxy and the Courts…, op. cit., p. 42. Voir également J.-M. Carrié, « Le gouverneur romain à l’époque tardive », art. cité, p. 23. Notons néanmoins qu’Arthur Schiller conteste la classification comme « rescrits » de la plupart des papyrus d’Égypte byzantine généralement identifiés comme tels. A. Schiller, « The Courts are No More », art. cité, p. 477-482.
225 B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 64.
226 Bien qu’aucun papyrus grec ne les mette directement en lumière, Berhnard Palme relève des témoignages indirects du fonctionnement des tribunaux étatiques byzantins après le règne de Justinien. Voir B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 68, 73. Notons par ailleurs que plusieurs lettres sur ostraca, datant sans doute de la fin de la période byzantine, demandent au destinataire d’examiner l’affaire du porteur de la lettre et de rendre un jugement. Ce type de rescrit est assez proche, dans sa formulation, des rescrits de Qurra b. Šarīk. Voir par exemple W. Till, Die koptischen Rechtsurkunden der Papyrussammlung der Österreichischen Nationalbibliothek : Text, Übersetzungen, Indices, Vienne, A. Holzhausens Nachfolger, 1958, p. 71 (CO Ad 25), 72 (CO Ad 65). Voir également un long rescrit, contenant des instructions relatives à la procédure, dans W. Till, Die koptischen Rechtsurkunden…, op. cit., p. 198-200 (KRU 122).
227 Voir D. Liebs, « Roman Law », dans A. Cameron, B. Ward-Perkins, M. Whitby (dir.), The Cambridge Ancient History, XIV : Late Antiquity : Empire and Successors, AD 425-600, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 240. Alternativement, dans le sillage d’hypothèses avancées par Gladys Frantz-Murphy, il est possible que les plaideurs coptes se soient adressés au gouverneur musulman de Fusṭāṭ dans l’espoir que le jugement final serait appliqué rigoureusement, ce qui n’était peut-être pas le cas lors du simple recours aux autorités chrétiennes locales. G. Frantz-Murphy, « Settlement of Property Disputes… », art. cité, p. 103.
228 Sur la pratique d’en appeler à l’autorité officielle par voie de pétition, ininterrompue en Égypte depuis les Ptolémée, voir B. Palme, « Law and Courts… », art. cité, p. 74-75.
229 A. Grohmann, Arabic Papyri from Ḫirbet el-Mird, op. cit., p. x.
230 Par exemple P. Ness 77, publié par R. Hoyland, « The Earliest Attestation… », art. cité. Voir R. Stroumsa, People and Identities…, op. cit., p. 199.
231 R. Stroumsa, People and Identities…, op. cit., p. 199.
232 A. Grohmann, Arabic Papyri from Ḫirbet el-Mird, op. cit., p. xi.
233 R. Stroumsa, People and Identities…, op. cit., p. 199, 211.
234 A. Grohmann, Arabic Papyri from Ḫirbet el-Mird, op. cit., p. 19.
235 W. Diem, « Philologisches zu arabischen Dokumenten. I : Dokumente aus Sammlungen in Prag, Giessen und Jerusalem », Zeitschrift für Arabische Linguistik, 55, 2012, p. 33-34.
236 ʿAdā ʿalā zayni-hi ḏālika fa-aḫaḏahu. Grohmann traduit cette ligne par has robbed him of those ornaments. So arrest him… Il semblerait plus juste de traduire par « [Untel] s’en est pris à son huile et l’a prise ». Il n’y aurait donc pas, au moins dans la partie préservée du papyrus, d’ordre d’arrêter un voleur.
237 Suit sans doute une lacune, le papyrus étant déchiré sur la gauche.
238 Le papyrus semble évoquer à cet endroit la négation du défendeur : la preuve demandée consistait-elle en son aveu ?
239 Il ne s’agit pas d’un cadi connu par la tradition islamique. Sur les premiers cadis de Palestine, voir M. Gil, A History of Palestine, 634-1099, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 118-119.
240 La dernière ligne du papyrus dit : « Faṭrīq a aussi mentionné qu’ensuite… » (ḏakara Faṭ[rī] q ayḍan anna [b] aʿḍa ḥ [] i-hi) L’expression ḏakara ayḍan (« il a aussi mentionné »), qui fait écho au ḏakara lī renvoyant plus haut au demandeur, laisse supposer que le Faṭrīq dont il question ici est la même personne que le demandeur. Dans un papyrus de Nessana daté de 689 et enregistrant un divorce à l’amiable, l’époux propose à sa femme de soumettre leur affaire à un juge « de [leur] village ou d’ailleurs ». Peut-être y a-t-il là une allusion à la possibilité de saisir l’autorité musulmane – possibilité rejetée dans ce cas ? C. J. Kraemer, « A Divorce Agreement from Southern Palestine », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 69, 1938, p. 121.
241 W. Diem, « Philologisches… », art. cité, p. 34-35.
242 Ce papyrus a déjà été remarqué par Fred Donner, qui voit dans la dernière phase du procès – le transfert du litige devant Dirʿ b. ʿAbd Allāh – une forme d’appel. F. Donner, « The Formation of the Islamic State », art. cité, p. 288-289.
243 Fa-afī dans l’édition de Grohmann. Il faut bien entendu lire fa-innī.
244 Ou « avec (maʿa) Umm Iyās bt. Muʿārik » si l’on suit la lecture de W. Diem, « Philologisches… », art. cité, p. 33.
245 Voir également L. Reinfandt, « Judicial Practice in Umayyad Egypt (41-132/661/750) », Bulletin d’Études orientales, 63, 2014, p. 139, où l’auteur parvient à la même conclusion sur la base des formules de politesse de la lettre.
246 Min ahl Bayt al-Maqdis wa-kāna wāliyan ʿalay-hā. Ibn Ḥibbān, al-Ṯiqāt, éd. par al-Sayyid Šaraf al-Dīn Aḥmad, Beyrouth, Dār al-fikr, 1975, IV, p. 220.
247 Ibid. Voir également al-Mizzī, Tahḏīb al-kamāl fī asmā’al-riǧāl, éd. par Baššār ʿAwwād Maʿrūf, Beyrouth, Mu’assasat al-risāla, 1980, XXXIII, p. 441-442 ; Ibn Ḥaǧar al-‘ Asqalānī, Tahḏīb al-tahḏīb, Beyrouth, Dār al-fikr, 1984, XII, p. 154.
248 Voir M. Sharon, « Ludd », EI2, V, p. 799 ; G. Le Strange, Palestine under the Moslems, Cambridge, The Riberside Press, 1890, p. 84, 301.
249 Le ǧund de Palestine était divisé en kūra-s, elles-mêmes subdivisées en iqlīm-s. Voir M. Gil, A History of Palestine, op. cit., p. 111. Voir également P. Ness. 60, 61, 62, où Nessana est dite faire partie de la kūra de Ġazza, iqlīm d’al-Ḫalūṣ. Suivant l’analyse de Grohmann, qui s’appuyait lui-même sur le cas de Nessana, Lucian Reinfandt propose que Dirʿ b. ʿAbd Allāh fut sans doute un gouverneur de Gaza. L. Reinfandt, « Judicial Practice… », art. cité, p. 139.
250 Sur la notion de matāʿ, voir M. K. Masud, « The Award of Matāʿ in the Early Muslim Courts », dans M. K. Masud, R. Peters, D. S. Powers (dir.), Dispensing Justice in Islam. Qadis and their Judgments, Leyde, Brill, 2006, p. 349-381 ; Y. Rapoport, « Matrimonial Gifts in Early Islamic Egypt », art. cité, p. 16 et suiv.
251 La principale différence, dans P. Mird 18, est l’emploi du verbe radda (au lieu de istaḫraǧa dans les exemples égyptiens).
252 Pau Figueras a proposé que les communautés chrétiennes du Néguev, maintenues sans changement significatif par les autorités musulmanes au lendemain des conquêtes, furent affectées à la fin du viie siècle par la multiplication des raids nomades et par une taxation trop forte, ce qui aurait conduit à l’abandon de nombreux sites (P. Figueras, « The Impact of the Islamic Conquest on the Christian Communities of South Palestine », Aram, 6, 1994, p. 292). Bien que cette interprétation soit spéculative, il semble qu’un certain nombre de changements sociaux intervinrent à cette époque en Palestine.
253 Notons que dans la procédure musulmane classique, un serment peut être déféré au défendeur si le demandeur ne produit pas de témoins. Ici, il n’est pas question de serment.
254 P. GrohmannQorraBrief (= P. AbuSafiyaBardiyatQurra 37), envoyée en 90/709 par Qurra b. Šarīk au pagarque d’Ahnās, pourrait à première vue passer pour une lettre de recommandation en prévision d’un litige. Le pagarque est en effet invité à aider Qūsta le receveur (al-qusṭāl) à recouvrir son droit. La fonction de ce dernier suggère néanmoins qu’il s’agit d’un nouvel agent du fisc, envoyé dans le district du pagarque, qui est ainsi invité à lui prêter main-forte dans le recouvrement des impôts.
255 Cette dernière expression (litt. « dans le bois ») ferait allusion selon Abū Ṣafya au « bât » d’une monture ; alternativement, ne pourrait-il s’agir d’une sorte de carcan ?
256 P. Heid. Arab. I 4 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 35.
257 P. Cair. Arab. III 152 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 36.
258 Une autre convocation à motivation fiscale pourrait éclairer ce type de procédure. Elle est cependant datée avec peu de précision (iie ou iiie siècle de l’hégire), et selon toute vraisemblance ne remonte pas à l’époque de Qurra b. Šarīk : « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Fais amener devant nous, de la ville d’Anṣinā, Biqtur le meunier, et ordonne aux fonctionnaires (al-ʿummāl) de le faire venir. Fais également amener devant nous l’ensemble de sa famille, ou bien fais amener son père et son fils. Qu’ils soient amenés promptement si Dieu le veut ! » (P. Ryl. Arab. I 13.) Au-delà des « fonctionnaires » qu’il peut désigner, ʿummāl qualifie plus spécifiquement des agents du fisc.
259 Trad. anglaise par H. I. Bell, « Translations of the Greek Aphrodito Papyri in the British Museum, Part II », Der Islam, 3, 1912, p. 372-373 ; trad. arabe dans P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 232-233.
260 De nombreux papyrus font mention de prisons, où étaient notamment incarcérés les réfractaires à l’impôt. Voir les références données par P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 148.
261 Voir C. E. Bosworth, « Ḳurra b. Sharīk », EI2, V, p. 500.
262 Nilus XV 5.
263 P. Ross. Georg. IV 15 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 288.
264 Ibid.
265 P. Heid. Arab. I 3 (p. 72). Sur les abus commis par les employés de l’administration fiscale, qui semblaient monnaie courante, voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 246.
266 P. Heid. Arab. I 3 (p. 72). Voir P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 64.
267 P. Ross. Georg. IV 16 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 289.
268 E. M. Grob, Documentary Arabic…, op. cit., p. 94.
269 L’adresse externe est celle qui est écrite au verso, après que la lettre a été pliée. Voir ibid., p. 95.
270 Voir par exemple l’adresse de deux lettres non judiciaires dans J. Gascou, « Sur la lettre arabe de Qurra b. Šarīk », art. cité, p. 270, et N. Vanthieghem, « La correspondance de Qurra b. Šarīk… », art. cité, p. 206.
271 P. Ross. Georg. 16 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra, p. 289.
272 A. Silverstein, « Documentary Evidence for the Early History of the Barīd », dans P. Sijpesteijn, L. Sundelin (dir.), Papyrology and the History of Early Islamic Egypt, Leyde, Brill, 2004, p. 154 ; T. S. Richter, « Language Choice… », art. cité, p. 199.
273 Voir par exemple P. Cair. Arab. III 153 et l’analyse d’A. Silverstein, « Documentary Evidence… », art. cité, p. 154.
274 Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ (éd. de Goeje), II. 1, p. 213. Voir al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf (éd. Orient-Institut Beirut), IVa, p. 36, où l’auteur parle du « gouverneur d’une ville-camp » au lieu du gouverneur de Médine.
275 Ibn ʿAbd al-Ḥakam, Sīrat ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz, éd. par Aḥmad ʿUbayd, s. l., Maktabat Wahba, s. d., p. 56.
276 Al-Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf, éd. par Suhayl Zakkār et Riyāḍ al-Ziriklī, Beyrouth, Dār al-fikr, 1996, VIII, p. 191.
277 M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 373.
278 A. Schiller, « The Courts are No More », art. cité.
279 Ibid., p. 470. Cette idée avait déjà été ébauchée, quoique avec moins de véhémence, par G. Rouillard, L’administration civile…, op. cit., p. 153.
280 L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 132 (P. KRU 44).
281 Sur ce pagarque, voir G. Schenke, « Rashid ibn Chaled and the Return of Overpayments », Chronique d’Égypte, 89, 2014, p. 204.
282 P. KRU 50, daté de 724, mentionne un certain « Flavius Saul, […] amir de Diospolis, le très estimé pagarque » (dans P. KRU 45, son nom est mentionné sous la forme Flavius Saul fils de ʿAbd Allāh ; Leslie MacCoull commente qu’il peut donc s’agir soit d’un musulman, soit d’un Arabe chrétien, soit d’un Égyptien chrétien). P. KRU 13 et 12, datés de 733, évoque un certain « Argama ibn Ered » comme émir de Hermonthis. Enfin, P. KRU 106, remontant à l’année 732, mentionne « Mamet (= Muḥammad) l’amir de la pagarchie de Hermonthis ». L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 108, 113, 148, 151, 166.
283 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 125.
284 Ibid., p. 124, 136.
285 Selon Naïm Vanthieghem, le nom du demandeur pourrait être restitué [b. Quz] mān, et sa plainte concerne vraisemblablement une dette. N. Vanthieghem, « Compte rendu de Petra M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State. The World of a Mid-Eighth-Century Egyptian Official (Oxford Studies in Byzantium), Oxford, Oxford University Press, 2013 », Le Muséon, 129, 2016, p. 240.
286 P. MuslimState 21. Voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 133.
287 Il en va de même dans deux autres lettres de Nāǧid b. Muslim, que Petra Sijpesteijn interprète comme faisant peut-être allusion à des affaires judiciaires (P. MuslimState 6, 12). Si son interprétation est juste, le sous-gouverneur aurait chargé ʿAbd Allāh de traiter des plaintes. Pour une des deux affaires (mais peut-être s’agit-il en réalité de la même selon l’éditrice), l’ordre de l’instruire serait venu du gouverneur de Fusṭāṭ (P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 133). Notons néanmoins que l’interprétation de ces papyrus lacunaires est très spéculative et que rien ne vient prouver que le sujet de ces lettres est judiciaire.
288 L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 128-129 (P. KRU 42). Voir également ibid., p. 104-105 (P. KRU 37), dans lequel un des plaideurs s’engage à ne pas porter l’affaire en justice : Nor shall I be able to go to law with you, in court or out of court, in city or in nome, nor in any assembly of the city or the praetorium, nor by any glorious, venerated religious law or commandment or the great divine constitution or a great, valid, prevailing rank… Voir encore ibid., p. 133 (P. KRU 44).
289 Voir par exemple L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 129 (P. KRU 42).
290 Voir deux papyrus datés de 739 et 745 environ dans A. Schiller, « A Family Archive… », art. cité, p. 352, 355. Sur ce titre, voir L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 185.
291 Le titre grec de dioikētes est parfois employé dans les papyrus coptes pour désigner le lashane. Voir Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages, op. cit., p. 422.
292 Voir par exemple L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 65 (P. KRU 35), 100 (P. KRU 36), 104 (P. KRU 37), 127 (P. KRU 42).
293 A. Schiller, « A Family Archive… », art. cité, p. 372.
294 L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 104 (P. KRU 37), 107-110 (P. KRU 50).
295 Ibid., p. 108 (P. KRU 50).
296 Ibid., p. 104, 106 (P. KRU 37).
297 Ibid., p. 178 (P. KRU 38).
298 Ibid., p. 114 (P. KRU 45 et 46).
299 […] The legal decision took place, such that we drew up a release with one another. An now we, the aforewritten above, Peter and Mary, agree that the half of the house of Baruch has devolved upon you, you Phoibmmon and Sophia your wife, according to the force of the arbitration and according to the force of the oath that you swore for us (nous soulignons). L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 132 (P. KRU 44).
300 Voir par exemple Ibid., p. 6 (P. Lond. V 1709), 58 (P. CLT 5), 109-110 (P. KRU 50).
301 Ibid., p. 79 (P. KRU 10). Selon Marie Legendre, le duc de Thébaïde n’avait plus d’attributions fiscales à cette époque et son rôle se cantonnait peut-être à celui de juge. M. Legendre, La Moyenne-Égypte du viie au ixe siècle. Apports d’une pserspective régionale à l’étude d’une société entre Byzance et l’Islam, thèse de doctorat, université Paris-Sorbonne, 2014, p. 212.
302 T. Wilfong, Women of Jeme. Lives in a Coptic Town in Late Antique Egypt, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2002, p. 127.
303 Ibid.
304 L. MacCoull, Coptic Legal Documents, op. cit., p. 128 (P. KRU 42).
305 G. Frantz-Murphy, « Settlement of Property Disputes… », art. cité, p. 101.
306 Voir A. Steinwenter, Studien…, op. cit., p. 11.
307 A. Schiller, « A Family Archive… », art. cité, p. 344, 345 ; voir également l’analyse du même auteur, ibid., p. 371. Voir A. Steinwenter, Studien…, op. cit., p. 11-12.
308 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 204.
309 P. David-WeillLouvre 25.
310 P. Louvre Inv. 6377 mentionne la date de 13…, mais le ism de l’auteur est effacé ; P. Vindob. Inv. A. P. 1944, en revanche, ne mentionne pas de date mais le nom de l’auteur est complet.
311 Y. Rāġib, « Lettres arabes (I) », Annales islamologiques, 14, 1978, p. 17. Sur ce gouverneur, voir al-Kindī, Wulāt, p. 101-102.
312 W. Diem, « Drei amtliche Schreiben », art. cité, p. 146-147.
313 Voir traduction infra.
314 Notons cependant que le texte, lacunaire, est en grande partie restitué sur la base des papyrus de Qurra.
315 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 138.
316 Ibid., p. 141.
317 M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 279. Sur le terme ʿamal, qui désigne en Orient différents niveaux de divisions administratives, voir également Kh. Y. Blankinship, The End of the Jihād State. The Reign of Hishām Ibn ʿAbd Al-Malik and the Collapse of the Umayyads, Albany, State University of New York Press, 1994, p. 39.
318 CPR XXII 7.
319 CPR XXII, p. 54.
320 P. DiemAmtlicheSchreiben 1.
321 Diem mentionne en note que, sur le plan paléographique, la première lettre du verbe a plus de chances d’être un kāf qu’un dāl. S’il s’agissait d’un dāl, le verbe pourrait être ḏakara, moins précis, que l’on retrouve aussi dans P. Mird 19.
322 F. Morelli, Documenti greci per la fiscalità e la amministrazione dell’Egitto, Vienne, Hollinek, 2001, p. 51.
323 Le nombre d’individus portant des noms musulmans augmente progressivement dans la documentation papyrologique du iie/viiie siècle, ce qui témoigne d’une installation de plus en plus durable des musulmans (arabes ou convertis) dans la campagne égyptienne. Voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 105.
324 P. RagibLettres 1 = Chrest. Khoury I 95.
325 Voir, pour l’Irak, M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 533 et suiv.
326 W. Diem, « Drei amtliche Schreiben », art. cité, p. 151.
327 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 138-141 ; M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 279.
328 Une autre préposition, comme bi-, aurait renversé le sens de la phrase, la plainte ayant en ce cas été déposée « contre » ʿAbd al-Wāḥid (voir R. Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, Leyde, Brill, 1881, I, p. 780). Cette option doit pourtant être rejetée : la planche VI reproduisant le papyrus P. Louvre Inv. 6377 B, dans Y. Rāġib, « Lettres arabes (I) », art. cité, n’autorise pas d’autre lecture que li-ʿAbd al-Wāḥid.
329 Rāġib lit taddaʿūn au lieu de yaddaʿūn. Voir W. Diem, « Drei amtliche Schreiben », art. cité, p. 151.
330 Littéralement, « auprès » de quelqu’un, car le demandeur revendique un objet se trouvant chez/aux mains de son adversaire. Sur ce sens de iddaʿā qibala fulān, voir Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, éd. par Ḥamad b. ʿAbd Allāh al-Ǧumʿa et Muḥammad b. Ibrāhīm al-Laḥīdān, Riyad, Maktabat al-rušd, 2004, IV, p. 545 ; al-Ṭabarī, Ǧāmiʿ al-bayān, op. cit., XI, p. 204 ; al-Saraḫsī, al-Mabsūṭ, Beyrouth, Dār al-maʿrifa, 1406 H., XIX, p. 167 ; XX ; p. 77.
331 W. Diem, « Drei amtliche Schreiben », art. cité, p. 151.
332 Ibid. Diem compare ce document au papyrus trilingue d’Aḫmīm, P. Cair. Arab. III 167, qui évoque une enquête à propos d’un fonctionnaire des finances. P. Sijpesteijn suggère que ʿAbd al-Wāḥid b. Qays était un collecteur d’impôt faisant l’objet de plaintes. P. Sijpesteijn, « Landholding Patterns… », art. cité, p. 130, n. 49.
333 M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 281 et suiv.
334 Voir M. Tillier, « Qāḍī-s and the Political Use of the maẓālim Jurisdiction under the ‘Abbāsids », dans Christian Lange, Maribel Fierro (dir.), Public Violence in Islamic Societies : Power, Discipline, and the Construction of the Public Sphere, 7th-18th Centuries CE, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2009, p. 47-48.
335 Plusieurs villagesportent lenom de Babīǧ au Fayyūm. Yāqūt, Muʿǧamal-buldān, op. cit., I, p. 334.
336 Chrest. Khoury I 84.
337 Voir par exemple P. Marchands II 39 ; P. GrohmannProbleme 13 ; P. Ryl. Arab. I VI 14 ; P. Khalili I 9 ; P. Heid. Arab. II 26.
338 Voir infra à propos du cadi d’al-Ušmūnayn.
339 Aḫmīm, à environ 500 km au sud de Fusṭāṭ, était chef-lieu d’une pagarchie (kūra) au début de l’Islam. Voir G. Wiet, « Akhmīm », EI2, I, p. 330 ; P. Sijpesteijn, « Akhmīm », EI3.
340 P. Cair. Arab. III 167. Le texte arabe du papyrus a été publié pour la première fois par R. Guest, « An Arabic Papyrus », p. 247-248 [P. GuestPapyrus]. Selon Jelle Bruning, le papyrus pourrait dater de 132/fin 749, 138/755 ou 139/756. J. Bruning, The Rise of a Capital : on the Development of al-Fusṭāṭ’s Relationship with its Hinterland, 18/639-132/750, Ph. D. dissertation, université de Leyde, 2014, p. 147.
341 Voir sa biographie chez al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 359-360.
342 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr ʿan quḍāt Miṣr, éd. par ʿAlī Muḥammad ʿUmar, Le Caire, Maktabat al-Ḫānǧī, 1998, p. 467 ; Ibn Yūnus, Ta’rīḫ Ibn Yūnus al-Miṣrī, éd. par ʿAbd al-Fattāḥ Fatḥī ʿAbd al-Fattāḥ, Beyrouth, Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 2000, I, p. 392.
343 Quant à la version grecque, elle ne mentionne pas Yazīd b. ʿAbd Allāh.
344 J. Bruning, The Rise of a Capital, op. cit., p. 146.
345 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 359-360.
346 Sur le caractère probablement anachronique de l’assimilation de ce personnage à un cadi chez Ibn Yūnus et Ibn Ḥaǧar, voir M. Tillier, « Introduction », dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 24. Jelle Bruning propose de voir deux périodes dans la carrière de Yazīd b. ʿAbd Allāh à Aḫmīm : la première, vers 132/749, quand il aurait été ḥāfiẓ ; la seconde, plus tard, lorsqu’il en aurait été qāḍī ou wālī (J. Bruning, The Rise of a Capital, op. cit., p. 147-148). Prétendre atteindre un tel degré de précision paraît excessif : la datation proposée pour P. Cair. Arab. III 167, bien que plausible, reste spéculative, et par ailleurs le titre de ḥāfiẓ (si tant est que la restitution de Grohmann soit juste) n’est pas attesté par ailleurs. Il faut enfin noter la fluidité des titres à cette époque, une même fonction pouvant être qualifiée de plusieurs manières.
347 G. Khan, « The Historical Development of the Structure of Medieval Arabic Petitions », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 53, 1990, p. 9. Sur le gouverneur ʿAlī b. Sulaymān b. ʿAlī al-ʿAbbāsī, voir al-Kindī, Wulāt, p. 131-132 ; Ibn Taġrī Birdī, al-Nuǧūm al-zāhira fī mulūk Miṣr wa-l-Qāhira, Le Caire, Dār al-kutub al-miṣriyya, 1929-1972, II, p. 61 ; Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, éd. par ʿUmar b. Ġarāma al-ʿAmrawī, Beyrouth, Dār al-fikr, 1995, XLI, p. 517-518. La kunya de ce gouverneur est notamment mentionnée par Ibn Taġrī Birdī.
348 P. World, p. 186. La traduction de cette pétition s’appuie sur l’édition révisée qu’en prépare Naïm Vanthieghem, que je remercie d’avoir bien voulu mettre son travail à ma disposition.
349 Il faut néanmoins signaler le brouillon d’une pétition originaire du Fayyūm (P. Jahn 4), datant de 127/745, autrefois interprétée par G. Levi della Vida comme une recommandation en faveur d’un contribuable (G. Levi della Vida, « Remarks on a Recent Edition of Arabic Papyrus Letters », Journal of the American Oriental Society, 64, 1944, p. 130). Le rédacteur demande à son correspondant de bien vouloir « réunir [untel] et son compère » (an tuǧmiʿ bayna-hu wa-bayna ṣāḥibi-hi), formule comparable à celles que l’on trouve dans les rescrits judiciaires de Qurra b. Šarīk.
350 La plupart des papyrus ayant été retrouvés dans des villes égyptiennes secondaires, il n’est pas étonnant que la procédure par rescrit soit la mieux documentée : la justice directe du gouverneur, si elle était pratiquée, ne dut laisser de traces papyrologiques qu’à Fusṭāṭ.
351 Al-Kindī, Wulāt, p. 131.
352 Ibn Taġrī Birdī, al-Nuǧūm al-zāhira, op. cit., II, p. 62.
353 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 378-381. Voir la satire que lui consacra un poète dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 143-144.
354 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 382.
355 G. Khan, « The Historical Development… », art. cité, p. 12.
356 P. Marchands II 29. Voir l’analyse de Y. Rāġib, Marchands d’étoffes du Fayyoum au iiie/ixe siècle d’après leurs archives (actes et lettres), II : La correspondance administrative et privée des Banū ʿAbd al-Mu’min, Le Caire, Ifao, 1985, p. 73.
357 Voir S. M. Stern, « Three Petitions of the Fatimid Period », Oriens, 15, 1962, p. 174, où un calife fatimide est appelé à mener une enquête à propos d’un meurtre (le meurtrier présumé étant nommé dans la pétition). Voir également P. Ryl. Arab. I 2, où une pétition antérieure à la conquête fatimide de l’Égypte est adressée par un individu de passage à al-Ušmūnayn à un qā’id inconnu. L’auteur de la pétition insiste sur le fait que le qā’id a éliminé les injustices dans son district. Voir encore P. Ryl. Arab. I 15, où une femme demande réparation d’une injustice.
358 Voir différents exemples de pétitions dans G. Khan, « The Historical Development… », art. cité ; id., Arabic Papyri. Selected Material from the Khalili Collection, Oxford, Azimuth Editions/Oxford University Press, 1992, p. 137.
359 P. Cair. Arab. III 170.
360 A. Grohmann, Arabic Papyri in the Egyptian Library, III : Administrative Texts, Le Caire, Egyptian Library Press, 1938, p. 104.
361 Sur ce gouverneur (r. 205-206/820-822), voir al-Kindī, Wulāt, p. 172-173 ; G. Wiet, Histoire de la nation égyptienne, IV : L’Égypte arabe de la conquête arabe à la conquête ottomane, 642-1517 de l’ère chrétienne, Paris, Plon, 1937, p. 71.
362 P. Hamb. Arab. II 37.
363 Voir P. Sijpesteijn, « Landholding Patterns… », art. cité, p. 127 ; H. I. Bell, « The Administration of Egypt… », art. cité, p. 281.
364 Sur sa probable arabité, voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 135.
365 Voir P. Sijpesteijn, « Landholding Patterns… », art. cité, p. 123.
366 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 120, 210.
367 Voir également P. Berl. Arab. II 23, où un fonctionnaire musulman assume peut-être un rôle d’arbitre en matière fiscale. Le papyrus est néanmoins trop endommagé, et les reconstructions de l’éditeur trop nombreuses, pour parvenir à des certitudes quant à l’objet réel de ce document.
368 Voir supra.
369 Voir M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 68-69.
370 F. M. Donner, « Qur’ânicization of Religio-Political Discourse… », art. cité, p. 86.
371 Voir la série de P. Lond. IV dans la traduction de Bell, « Translations of the Greek Aphrodito Papyri », art. cité. Sur le titre des premiers gouverneurs en Islam, voir F. Morelli, « Consiglieri e comandanti : i titoli del governatore arabo d’Egitto symboulos e amîr », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 173, 2010.
372 M. Tillier, « Introduction », dans al-Kindī, Histoire des cadis égyptiens, op. cit., p. 23-24.
373 Plusieurs papyrus vraisemblablement trouvés à Fusṭāṭ dans des conditions obscures existent cependant. Voir par exemple les documents que nous avons édités dans M. Tillier, « Deux papyrus judiciaires de Fusṭāṭ », art. cité. Environ 500 papyrus ont par ailleurs été mis au jour lors des fouilles de Roland-Pierre Gayraud à Isṭabl ʿAntar dans les années 1980 et 1990. Ils sont en cours d’étude par Sobhi Bouderbala.
374 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 343.
375 Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 215.
376 Il mentionne même que ce furent les « premiers » scribes à faire l’objet de plainte. Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 340.
377 Voir la liste de scribes que nous avons tenté de reconstituer dans M. Tillier, « Scribes et enquêteurs. Note sur le personnel judiciaire en Égypte aux quatre premiers siècles de l’hégire », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 54, 2011, p. 373-379.
378 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 346.
379 Voir A. Nef, M. Tillier, « Introduction. Les voies de l’innovation dans un empire islamique polycentrique », Annales islamologiques, 45, 2011 (Le polycentrisme dans l’Islam médiéval. Les dynamiques régionales de l’innovation), p. 9-10.
380 « Les actes de fondations pieuses (kutub al-aḥbās) » dans Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 438.
381 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 379.
382 Voir P. Sijpesteijn, « Landholding Patterns… », art. cité, p. 125.
383 Voir W. B. Hallaq, « The Qāḍī’s Dīwān… », art. cité, p. 433.
384 C’est pourquoi nous ne pouvons accepter le raisonnement d’Arthur Schiller, pour qui l’absence de jugement écrit dans la documentation papyrologique prouve qu’il n’existait plus de tribunaux à la fin de l’époque byzantine et au début de l’Islam. A. Schiller, « The Courts are No More », art. cité, p. 474.
385 P. MuslimState 26.
386 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 204.
387 Voir ibid., p. 398. Notons que la racine q. ḍ. y. dans une affaire de dette pourrait faire référence au fait de « régler » le montant dû.
388 Ibid., p. 403.
389 En réalité, la paléographie comme les formules employées suggèrent qu’elle ne fut pas rédigée avant le iiie/ixe siècle (communication personnelle de Naïm Vanthieghem).
390 CPR XVI 3.
391 Wakīʿ, Aḫbār al-quḍāt, éd. par ʿAbd al-ʿAzīz Muṣṭafā al-Marāġī, Le Caire, Maṭbaʿat al-saʿāda, 1947-1950, II, p. 58, 70 (Baṣra). Le même auteur affirme qu’à Kūfa, à une époque bien plus ancienne, le cadi Šurayḥ refusait de telles pétitions ; il pourrait s’agir d’une justification (dans un contexte polémique) de l’absence d’une telle pratique à l’époque omeyyade. Ibid., p. 307.
392 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 379. Ibn Ḥaǧar mentionne une ruqʿa à propos du cadi Ḫayr b. Nuʿaym (133-135/751-753), mais il ne s’agit pas d’une pétition à proprement parler : un défendeur, incapable de réfuter l’accusation de son adversaire, en appelle à la pitié du cadi sur un billet qu’il lui tend à l’audience. Ibn Ḥaǧar, Rafʿ al-iṣr, op. cit., p. 155.
393 Al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 379.
394 Voir par exemple al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 53. Voir les développements que nous consacrerons plus loin à l’emploi judiciaire de la qiṣṣa.
395 M. Tillier, « Deux papyrus judiciaires de Fusṭāṭ », art. cité, p. 414.
396 Ibid., p. 423.
397 P. Fustat 4182, mis au jour dans une couche remontant au début du ixe siècle. Courtoisie de Sobhi Bouderbala, qui édite les papyrus de Fusṭāṭ. Si le nom du cadi apparaît de façon claire, son titre est à chaque fois tronqué, seuls le ḍāḍ et le yā’final apparaissant : [qā] ḍī.
398 P. M. Sijpesteijn, « Delegation of Judicial Power in Abbasid Egypt », dans M. van Berkel, P. M. Sijpesteijn et al. (dir.), Legal Documents as Sources for the History of Muslim Societies : Studies in Honour of Rudolph Peters, Leyde, Brill, à paraître.
399 P. Marchands V/1 19. Dans l’édition, le nom est précédé de […]ṣī, et il faut très probablement lire [qā] ḍī.
400 Sur ce gouverneur, voir al-Kindī, Wulāt, p. 106-108.
401 Voir F. Løkkegaard, « Baḳṭ », EI2, I, p. 966 ; P. M. Sijspesteijn, « Baqṭ », EI3.
402 Voir sa biographie dans al-Kindī, Aḫbār quḍāt Miṣr, op. cit., p. 356 et suiv.
403 P. HindsSakkoutNubia ; voir également J. M. Plumley, « An Eighth Century Arabic Letter to the King of Nubia », The Journal of Egyptian Archaeology, 61, 1975, p. 246 (dans sa traduction, ce dernier lit par erreur « ʿAwn b. Sulaymān »).
404 Bien que ce titre désigne souvent un « intendant des finances » ou gouverneur financier, il s’agit vraisemblablement ici d’un sous-gouverneur possédant aussi des fonctions militaires. Positionnée à la frontière avec la Nubie, Assouan était en effet le second centre militaire égyptien après Fusṭāṭ. Voir J.-Cl. Garcin, « Uswān », EI2, X, p. 938. Selon Marie Legendre, de tels ʿāmil-s pourraient avoir dépendu du ṣāḥib al-ḫarāǧ en poste à Fusṭāṭ, auquel l’administration de la Haute-Égypte était peut-être déléguée. M. Legendre, « Hiérarchie administrative… », art. cité, p. 111. Le titre de ʿāmil peut aussi désigner un pagarque (syn. de ṣāḥib) dans la documentation papyrologique. Voir P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 120.
405 http://www.apd.gwi.uni-muenchen.de:8080/apd/asearch.jsp (consulté le 21 août 2015). Seuls les documents portant une date précise ont été pris en compte : nous avons exclu tous ceux qui portaient une datation relative, essentiellement fondée sur des critères paléographiques. Voir en annexe la liste des documents utilisés.
406 Certains, trop fragmentaires pour révéler le sujet de l’affaire, ont néanmoins été pris en considération pour les témoignages qu’ils comportent, et qui attestent leur portée juridique.
407 La comparaison avec les documents notariés coptes est entravée par l’absence de datation précise de ces derniers. On peut néanmoins avancer l’hypothèse que le nombre de documents rédigés en copte diminua parallèlement à l’augmentation de la rédaction en arabe.
408 Sur ces problèmes d’interprétation des noms dans les papyrus, voir M. Legendre, « Perméabilité linguistique et anthroponymique entre copte et arabe : l’exemple de comptes en caractères coptes du Fayoum fatimide », dans A. Boud’hors, A. Delattre, C. Louis, T. S. Richter (dir.), Coptica argentoratensia. Troisième université d’été de papyrologie copte (Strasbourg, 18-25 juillet 2010), Paris, De Boccard, 2014, p. 347-348.
409 P. KhanLegalDocument.
410 P. Khalili I 9, P. David-WeillLouvre 24.
411 P. David-WeillLouvre 24. Sur la domination des tribus yamanites à Fusṭāṭ à l’époque omeyyade, voir notamment J.-C. Vadet, « L’“acculturation” des sud-arabiques de Fusṭāṭ au lendemain de la conquête arabe », Bulletin d’études orientales, 22, 1969, p. 8-9.
412 P. Khurasan 26, 27, 30, 32. Sur Mīr b. Bēk et son dossier, voir G. Khan, « Newly Discovered Arabic Documents from Early Abbasid Khurasan », dans P. M. Sijpesteijn et al. (dir.), From al-Andalus to Khurasan. Documents from the Medieval Muslim World, Leyde, Brill, 2007, p. 204 et suiv.
413 P. Torrey.
414 Notamment P. Cair. Arab. 40, 93 ; P. FahmiTaaqud 4.
415 Voir les remarques de N. Abbott, « An Arabic Papyrus dated 205 A. H. », Journal of the American Oriental Society, 56, 1936, p. 315.
416 P. Cair. Arab. 181.
417 P. Cair. Arab. 127 (247/861).
418 P. FahmiTaaqud 3.
419 P. Khurasan 29, 30, 31, 32. Voir G. Khan, « Newly Discovered Arabic Documents », art. cité, p. 211.
420 G. Khan, « Newly Discovered Arabic Documents », art. cité, p. 213.
421 P. Cair. Arab. 48.
422 Voir par exemple P. RagibEdfou 2, dont les huit dépositions incluent deux témoignages rapportés.
423 Voir G. Khan, « The Pre-Islamic Background », art. cité, p. 211.
424 P. Ryl. Arab. I X 2 (227/842) ; P. Frantz-MurphyContracts 2 (261/875).
425 P. Cair. Arab. 93 (251/865).
426 P. Khurasan 25, 28.
427 P. Ryl. Arab. I X 2 ; P. FahmiTaaqud 1, 2, 5.
428 P. Cair. Arab. 99. Voir également P. Cair. Arab. 101 (273/886), 102 (274/887), 103 ; CPR XXVI 20 (277/891), 14 (277/891), 22 ; P. Cair. Arab. 100 (284/897), 121 (284/897), P. Terminkauf 2 (285/897-8).
429 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 111.
430 Un héritage est contesté entre les fils et les filles de ʿUbayd Allāh b. ʿAbd Allāh, d’un côté, et les filles de ʿAbd Allāh. Il apparaît que l’héritage devait revenir aux filles de ʿAbd Allāh et que les fils de ʿUbayd Allāh b. ʿAbd Allāh (leurs neveux) ont contesté le partage devant le cadi. Voir les analyses d’A. Grohmann, Arabic Papyri in the Egyptian Library, I : Protocols and Legal Texts, Le Caire, Egyptian Library Press, 1934, p. 126.
431 Notons qu’un certain ʿAmr b. Abī Bakr fut cadi de Damas à l’époque de la rédaction de ce papyrus, de 183/799-800 à 194 ou 195/809-11 (Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, op. cit., XLIII, p. 547-51 ; Ibn Ṭūlūn, Quḍāt Dimašq. Al-Ṯaġr al-bassām fī ḏikr man wulliya qaḍā’al-Šām, éd. par Ṣalāḥ al-Dīn al-Munaǧǧid, Damas, al-Maǧmaʿ al-ʿilmī al-ʿarabī, 1956, p. 14). Peut-on supposer avoir affaire ici à une procédure à distance (par le biais d’une correspondance, kitāb al-qāḍī ilā l-qāḍī), dans laquelle le cadi de Damas aurait écrit à un homologue égyptien ? Dans cette hypothèse, ce document pourrait éventuellement correspondre, plutôt qu’au jugement d’un cadi égyptien, à une lettre du cadi de Damas. Sur la procédure à distance, voir W. B. Hallaq, « Qāḍīs Communicating… », art. cité ; M. Tillier, « Les réseaux judiciaires en Iraq à l’époque abbasside », dans D. Coulon, Ch. Picard, D. Valérian (dir.), Espaces et réseaux en Méditerranée, II : La formation des réseaux, Paris, Bouchène, 2010.
432 P. Cair. Arab. I 51.
433 P. David-WeillLouvre 22. Les éditeurs ont transcrit kātib al-qāḍ, mais la photographie du papyrus (planche II de l’article) permet de distinguer le retour du yā’final sous le ḍāḍ.
434 P. Khalili II 149. Le papyrus fait l’objet d’une simple reproduction photographique, accompagnée d’un court commentaire, dans G. Khan, Arabic Papyri…, op. cit., p. 210.
435 P. M. Sijpesteijn, « The Archival Mind in Early Islamic Egypt », dans P. M. Sijpesteijn et al. (dir.), From al-Andalus to Khurasan. Documents from the Medieval Muslim World, Leyde, Brill, 2007, p. 180.
436 Chrest. Khoury I 78. R. G. Khoury propose une traduction légèrement différente.
437 Voir al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 245 ; al-Ǧaṣṣāṣ, dans ibid., p. 238. Voir al-Simnānī, Rawḍat al-quḍāt wa-ṭarīq al-naǧāt, éd. par Salāḥ al-Dīn al-Nāhī, Beyrouth/Amman, Mu’assasat al-risāla/Dār al-furqān, 1984, I, p. 170, 173.
438 Chrest. Khoury II 31, 32, 33. Il convient ici de faire un usage prudent du papyrus Chrest. Khoury I 79, que Khoury date du ive/xe siècle, mais qui est en réalité plus tardif. Les expressions qui y sont employées (« le tribunal sublime », maǧlis al-ḥukm al-ʿazīz, et « la noble loi », al-šarʿ al-šarīf) ne sont en effet pas attestées avant le xiie siècle.
439 D’autres lettres d’al-Ušmūnayn, datées avec imprécision, sont liées à une institution judiciaire, sans qu’il soit possible de déterminer laquelle. Dans P. Ryl. Arab. 12, l’auteur affirme qu’un habitant de Ramǧūs (près d’al-Ušmūnayn) s’en est pris à deux hommes, visiblement étrangers, se rendant peut-être coupable d’escroquerie (iʿtamada l-ḥiyal fī-him, litt. « il a usé de ruse avec eux »). L’auteur – un sous-gouverneur, un cadi, ou une autre autorité ? – demande à son destinataire (un juge ? un policier ?) de punir l’accusé afin qu’il serve d’exemple à autrui.
440 Ce qui apparaît dans la citation plus tardive évoquée note 438 (Chrest. Khoury I 79).
441 Chrest. Khoury II 33.
442 Al-Kindī, Wulāt, p. 295.
443 Al-Kindī parle de « marchands » (tuǧǧār) qui, en 335/946, se plaignent du wālī d’al-Ušmūnayn. Ibid., p. 295.
444 Des conversions à l’islam dans les campagnes égyptiennes sont attestées à partir du iie/viiie siècle. P. Sijpesteijn, « Landholding Patterns… », art. cité, p. 128.
445 Sur les raisons d’un tel recours aux tribunaux musulmans par les chrétiens aux premiers temps de l’Islam, voir U. I. Simonsohn, A Common Justice, op. cit., p. 147-173.
446 S. Björnesjö souligne que quelques lettres de la fin du viiie siècle témoignent de l’existence de chrétiens comprenant déjà l’arabe. S. Björnesjö, « L’arabisation de l’Égypte : le témoignage papyrologique », Égypte-Monde Arabe, 27-28, 1996, p. 93-106 (en ligne : http://ema.revues.org/index1923.html, consulté le 5 décembre 2012), § 6. Voir ibid., § 9.
447 Chrest. Khoury I 78.
448 Ibid. II 31.
449 Ibid. I 79.
450 Ibid.
451 M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 297-298.
452 Chrest. Khoury I 81.
453 Voir par exemple CPR XXVI 10, 40. Sur cette pratique, voir A. Grohmann, Allgemeine Einführung, op. cit., I. 1, p. 19 ; id., Einführung und Chrestomathie, op. cit., p. 122-123 ; Y. Rāġib, Actes de vente, op. cit., t. II, p. 119.
454 CPR XXVI 10.
455 Le recto et le verso du papier présentent des textes presque similaires, bien que rédigés d’une main différente, ce qui laisse penser que le plaignant y a préparé (ou fait préparer) deux versions du texte qu’il a finalement envoyé au jurisconsulte.
456 Chrest. Khoury I 82-83.
457 Voir I. Schneider, « Imprisonment in Pre-classical and Classical Islamic Law », Islamic Law and Society, 2, 1995, p. 158 et suiv.
458 Voir par exemple G. Rouillard, L’administration civile…, op. cit., p. 162, 164.
459 Voir F. Morelli, « 64.-66. Dalle prigioni dell’Arsinoite », dans Gedenkschrift Ulrike Horak (P. Horak), Florence, Gonnelli, 2004, p. 185-195.
460 P. M. Sijpesteijn, Shaping a Muslim State, op. cit., p. 148. Sur la multiplication des prisons privées dans l’Égypte byzantine, voir R. Rémondon, « L’Église dans la société égyptienne à l’époque byzantine », Chronique d’Égypte, 47, 1972, p. 270. Un papyrus du iie siècle de l’hégire évoque également l’emprisonnement et la mise à l’amende d’un certain Makīs b. Ṣamūn par le wālī de Bū Kabīr (dans le Delta), peut-être suite à un défaut de paiement de l’impôt. P. Khalili I 14 (p. 124 et commentaire p. 128).
461 P. Cair. Arab. II 137 = Chrest. Khoury I 86.
462 Voir M. Tillier, « Prisons et autorités urbaines sous les Abbassides », Arabica, 55, 2008, p. 391.
463 Chrest. Khoury I 85 = P. Ryl. Arab. 15.
464 D. S. Margoliouth, Catalogue…, op. cit., p. 11.
465 M. Tillier, « Prisons et autorités urbaines… », art. cité, p. 396-397.
466 W. Diem, Arabische Briefe auf Papyrus und Papier aus der Heidelberger Papyrus-Sammlung, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1991, p. 132.
467 P. Heid. Arab. II 27.
468 Y. Ragheb, « Marchands d’Égypte du viie au ixe siècle d’après leur correspondance et leurs actes », dans Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public. 19e congrès, Reims, 1988, p. 27-28.
469 Pour un exemple de tel compromis, voir M. Tillier, « Arbitrage et conciliation aux premiers siècles de l’Islam : théories, pratiques et usages sociaux », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 140, 2016, p. 34.
470 Ibid., p. 43.
471 P. Mird 18 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 ; P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33 ; P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34.
472 P. Cair. Arab. III 154 = P. World, p. 129 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 ; Chrest. Khoury I 84 ; Y. Rāġib, « Lettres arabes (I) », art. cité, p. 16 = Chrest. Khoury I 95. On remarque néanmoins que le verbe à l’impératif unẓur n’est pas réservé, dans la documentation papyrologique, au traitement d’affaires judiciaires. Dans une pétition du iiie siècle (Khurasan), un homme ruiné par un séjour en prison demande une aide financière à l’émir, réclamant que ce dernier « examine » son cas (G. Khan, Arabic Papyri…, op. cit., p. 137). Si ce terme apparaît dans diverses pétitions où le destinataire est appelé à réfléchir à un cas, dans un contexte judiciaire le verbe naẓara n’en prend pas moins le sens particulier d’« instruire un procès » ou de « juger ».
473 P. Cair. Arab. III 154 = P. World, p. 129 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 ; P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33 ; P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34. Notons que la racine b. y. n. est aussi employée dans les papyrus dans un sens non judiciaire. Le verbe bayyana semble ainsi signifier « notifier » dans une convocation devant le dīwān datant du iiie/ixe siècle. P. Cair. Arab. III 176.
474 P. Mird 18.
475 P. Cair. Arab. III 154 = P. World, p. 129 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32. Ajoutons également l’expression la-hu ʿalā fulān (« Untel lui doit… »). Voir P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Cair. Arab. III 155 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 30 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32.
476 P. Mird 18.
477 Ibid.
478 M. F. ʿAbd al-Bāqī, al-Muʿǧam al-mufahras, op. cit., p. 267-268, 658, 716.
479 Voir Coran 42 : 15, où la même expression est employée à propos de Dieu, mais dans un sens non judiciaire.
480 Voir M. F. ʿAbd al-Bāqī, al-Muʿǧam al-mufahras, op. cit., p. 330, 458, 705.
481 P. Cair. Arab. III 154 = P. World, p. 129 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 28 ; P. Heid. Arab. I 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 29 ; P. Qurra 3 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 31 ; P. Heid. Arab. I 10 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 32 ; P. Heid. Arab. I 11 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 33 ; P. BeckerPAF 2 = P. AbuSafiyaBardiyatQurra 34 ; Chrest. Khoury I 84.
482 Voir par exemple Coran 3 : 108.
483 Voir R. Badry, B. Lewis, « Ẓulm », EI2, XI, p. 566.
484 J. Schacht, The Origins…, op. cit., p. 199-213.
485 Schacht ne fait qu’effleurer ce point à propos du témoignage des non-musulmans. Ibid., p. 210-211.
486 Yūsuf Rāġib propose de traduire l’expression sanat qaḍā’al-mu’minīn, qui apparaît dans deux papyrus égyptiens du ier/viie siècle en référence à un calendrier préhégirien, par « année de la juridiction des croyants ». Le mot qaḍā’, écrit-il, « doit désigner la judicature », mais Rāġib n’apporte comme argument qu’une citation tardive du Sunan d’Abū Dāwūd évoquant non pas le qaḍā’al-mu’minīn, mais le qaḍā’al-muslimīn. Il tend par ailleurs à confondre le qaḍā’, institution judiciaire (« judicature », « juridiction ») dans le fiqh classique, et des pratiques juridiques (il parle ainsi d’une « année employée par les musulmans pour les actes juridiques ») qui ne sont pas nécessairement liées à la judicature (Y. Rāġib, « Une ère inconnue… », art. cité, p. 192-193). L’absence de toute référence à une juridiction qui serait appelée qaḍā’dans les papyrus des premiers siècles permet de douter de la pertinence de son interprétation : on voit mal comment une institution judiciaire aussi mal documentée, dont on ne perçoit que difficilement les traces aux premiers siècles, et dont on ignore même si elle porta si tôt l’appellation de qaḍā’, put donner son nom à un calendrier, et de ce point de vue la traduction de l’expression par « year of the rule of the Believers » proposée par Fred Donner (« From Believers to Muslims. Confessionnal Self-Identity in the Early Islamic Community », al-Abhath, 50-51, 2002-2003, p. 48 ; Donner est depuis revenu sur cette traduction et, sous l’influence de Rāġib, emploie l’expression « in the jurisdiction of the Believers » dans son article « Qur’ânicization of Religio-Political Discourse… », art. cité, p. 87) semble plus proche du sens historique. Le qaḍā’, dans son sens originel et coranique, est avant tout le décret divin, et il renvoie à l’idée d’accomplissement. Dans une des plus anciennes attestations de l’emploi « judiciaire » du terme, à la fin de l’époque omeyyade, le qaḍā’évoque encore l’application du décret divin par le juge (M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 80-81, 88, 91). De fait, la sanat qaḍā’al-mu’minīn ne semble pas si différente de l’ère « de la domination des Ṭayyi’ » (šūlṭōnō d-Ṭayōyē) des sources syriaques (voir Y. Rāġib, « Lettres arabes (I) », art. cité, p. 189), à ceci près que le terme qaḍā’véhicule, en plus de la notion de « règne », l’idée que celui-ci correspond à l’accomplissement, par les « croyants », d’un dessein divin qui passe notamment par l’application de la Loi divine.
487 Al-Ḫaṣṣāf, Adab al-qāḍī, op. cit., p. 446.
488 Voir I. Bligh-Abramski, « Evolution versus Revolution : Umayyad Elements in the ‘ Abbāsid Regime 133/750-320/932 », Der Islam, 65, 1988, p. 226-243.
489 M. Tillier, Les cadis d’Iraq…, op. cit., p. 322-323.
490 Voir P. M. Sijpesteijn, « Delegation of Judicial Power… », art. cité.
491 P. Cair. Arab. I 45.
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