Conclusion
p. 695-700
Texte intégral
1Le graphique des solidarités complété par celui des distances peut aider à conclure. Il oppose les crimes où le coupable intervient seul à ceux qui réunissent autour de lui plusieurs participants. Cette solitude replie l’homme et la femme au creux de la maison : vol, crimes conjugaux, faute professionnelle isolent l’individu ou le laissent face-à-face avec sa victime, époux contre épouse, serviteur contre maître. Le crime est en général prémédité. Ainsi seul, le coupable n’a qu’un compagnon, le diable qui le tente. Rien n’aurait sans doute transpiré de ces crimes si des dénonciations ne les avaient pas portés au grand jour. Mais ces crimes sont peu nombreux. A l’inverse, à droite du graphique sont situés les délits les plus nombreux. Ils réunissent plusieurs participants : les homicides dominent, précédés de l’injure, voire du viol. Ils rassemblent amis, voisins, compagnons qui se retrouvent au jeu, à la taverne, à la fête, à la noce... Toutes les composantes de la sociabilité se retrouvent là. Elle est le fait des hommes, célibataires ou mariés. Et, pour dégainer, tous choisissent de préférence la rue. Ces crimes sont sans préméditation mais ils peuvent aussi se nourrir de la vengeance. Contradiction ? La proximité des points suggère au contraire une complémentarité qu’il conviendra d’éclairer.
2Entre ces crimes qui réunissent plusieurs participants et ceux qui n’en réunissent aucun, il existe donc des oppositions, qu’il s’agisse de leur nombre nettement disproportionné en faveur des homicides ou de leur déroulement. Mais la dimension des lieux dans lesquels ils éclatent leur confère une remarquable unité. Tous ces crimes se produisent dans un rayon qui ne dépasse pas 15 kilomètres et se restreint le plus souvent à moins de 5 kilomètres : tel est l’espace maîtrisé où tout le monde se connaît.
3En opposition avec ces crimes du pays de connaissance se situent les crimes commis à l’occasion des guerres. Leurs protagonistes viennent de loin, de lieux inconnus. Là commence le domaine des nobles et des hommes d’armes qui, comme antécédent de leur crime, ont déjà pu commettre un autre crime lié à la guerre. Il existe donc bien deux mondes étrangers l’un à l’autre que la guerre met en contact. Mais elle ne réussit pas à gauchir la criminalité ordinaire. Nettement séparés des roturiers, les hommes de guerre, nobles et écuyers, risquent cependant de leur prendre leurs femmes comme le montre la proximité du viol. Cette présence soude la communauté qui, dans sa collectivité, exprime son rejet. Reste à savoir ce que masque, pour un temps, l'arrivée de l’étranger.
4On a dit et répété que l’individu ne pouvait pas vivre seul au Moyen Age. Ce graphique le confirme. Encore convient-il de préciser que l’individu se recentre dans un groupe sans se diluer dans une communauté pseudo-égalitaire. La solidarité absolue n’existe pas. Elle est parcellisée et trace, au sein de la communauté, de grands clivages qui sont eux-mêmes sources d’antagonismes et par conséquent de crimes. Et on peut dire que les deux derniers siècles du Moyen Age montrent au contraire une sorte de durcissement de ces réseaux de solidarités. Les difficultés du temps, qu’il s’agisse de la guerre ou des épidémies, le développement de l’Etat que marquent les incursions des officiers royaux, ont pu, par intermittence, reconstruire une communauté unanime face à l’ennemi. Mais l’union n’est que passagère et les rivalités ne sont pas éteintes. L’adversaire veille au dedans. Chacun traîne derrière lui ses malveillants et ses haineux dont le regard est prêt à le dénoncer. Et, si le crime éclate, il convient de s’attendre aux représailles de ceux du parti adverse. Dans ces conditions l’individu, effectivement, n’a pas intérêt à être seul.
5N’imaginons pas cependant une violence permanente. Ces regroupements ont aussi une fonction régulatrice. En obéissant à des interdits qui peuvent lier leurs différents membres, ils concourent à la paix sociale. Une stricte hiérarchie la maintient. On ne doit tuer ni son père, ni sa mère, ni ses frères, ni ceux du sang et de l’alliance. Le mariage n’est pas seulement la réunion d’un ensemble de biens, c’est aussi une garantie contre la violence dont l’exogamie étend les effets. Quant à la parenté fictive, elle contribue, sous l’égide de l’Eglise, à superposer les liens et à les resserrer. En ajoutant à ces réseaux de parenté ceux que créent les lieux et les âges, ceux que les occasions de boire, de manger et de voyager peuvent susciter, même temporairement, les moyens se multiplient de faire vivre la paix. Autour de l’individu, ces liens se chevauchent, assurant une défense en cocon. Et, dans ces conditions, la violence ne peut exploser que comme un revers à ces règles que la société a secrétées pour se défendre contre elle-même et assurer sa survie.
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