Karl Bühler : le champ déictique et ses auxiliaires ou comment le langage représente-t-il ?
p. 93-107
Texte intégral
Introduction
1Dans son ouvrage La Théorie du langage (Sprachtheorie) de 1934, Bühler développe sur presque cent pages sa théorie du champ déictique qui constitue, selon lui, ce que son livre peut revendiquer en propre. Il annonce ainsi dans la préface que « La théorie qui affirme l’existence, non pas d’un, mais de deux champs dans le langage, est nouvelle »1. Pour Bühler, les énoncés construits dans la logique et par le langage symbolique sont les cas limites et exceptionnels, incapables de nous donner des informations sur le fonctionnement réel d’une langue naturelle ou ordinaire. Ce qui l’amène à sa thèse que, dans le langage, on ne trouvera pas seulement un champ symbolique mais également un deuxième champ, le champ des signes déictiques ; et il n’arrête pas de souligner que les deux sont inhérents à chaque phénomène langagier, voire imbriqués en lui. Voici comment il le dit avec ses propres mots dans la Sprachtheorie :
« Dans l’immédiat, la théorie des deux champs postule que les différents modes de monstration et de présentation sensibles sont une composante essentielle du langage naturel et ne lui sont pas plus étrangers que l’abstraction et l’appréhension conceptuelle du monde. Ceci constitue la quintessence de la théorie du langage qui est ici développée. »2
2Ce sont donc deux opérations bien spécifiques : le montrer (das Zeigen) et le présenter (das Präsentieren), qui sont réalisées dès qu’on utilise le langage et notamment les signes déictiques. Avant d’analyser plus en détail comment Bühler décrit le fonctionnement de ces signes qui montrent, je vais esquisser problème qui se pose encore aujourd’hui dans les débats autour des signes déictiques et plus largement quant aux signes indexicaux. C’est par rapport à ce problème que les réflexions bühleriennes vont être présentées comme une contribution intéressante.
Une conception trop restreinte ou une conception trop large des signes indexicaux
3Dans la littérature aussi bien linguistique que philosophique existe un accord sur le fait que les signes indexicaux constituent une classe spécifique de signes. On considère souvent qu’ils diffèrent des termes singuliers, des noms propres d’une part et des expressions prédicatives de l’autre, par leur manière de se référer au monde. Si les termes singuliers sont caractérisés par leur fonction de dénomination et déterminés avant tout par convention (nous savons ce qu’est un TGV), les expressions prédicatives comme la phrase « Le TGV a une vitesse maximale de 360 km à l’heure », fonctionnent à l’aide d’un prédicat. Ces expressions contiennent une signification descriptive explicite qui attribue une caractéristique, un trait à l’objet qui est nommé. Tandis que les termes singuliers réalisent la référence au monde par convention, les expressions prédicatives présupposent souvent un savoir extralinguistique du fait du monde dont il est question. Or, dans les débats autour de l’indexicalité, les auteurs soulignent que les signes indexicaux fonctionnent autrement, que leur renvoi au référent se fait d’une manière bien spécifique. Chez Récanati, on trouve un résumé bien représentatif de cette spécificité des signes indexicaux :
« L’indexical je me désigne moi parce que c’est moi qui parle : la convention qui règle l’emploi de je n’associe pas ce mot directement au référent, elle l’associe au rôle de locuteur, et c’est un fait empirique, à savoir le fait que telle personne occupe ce rôle, qui confère à cette personne le statut de référent. »3
4Le renvoi du signe indexical au référent contient, si on suit Récanati, deux particularités. Premièrement, le mot je n’est pas associé directement au référent, à la personne concrète qui dit je, mais il est associé au rôle de locuteur. Deuxièmement, l’association entre le signe indexical et le référent se réalise comme une relation factuelle ou empirique dans le sens où il faut « voir » (entendre) qui parmi les personnes présentes occupe à ce moment-là le rôle du locuteur en disant « je ». Récanati caractérise dans la tradition de Benveniste ce fait empirique comme « un fait constitué dans et par l’activité de parole », la « token-réflexivité », terme qui situe justement la détermination de la référence des signes indexicaux à l’intérieur du discours, qui la traite comme immanente au discours.
5Pourtant cette caractérisation des signes indexicaux qui ne renonce pas à les définir comme des expressions référentielles peut signifier, selon Bühler, qu’on cherche à les « élever » au rang de termes dénominatifs. Dans l’affirmation que le « je désigne l’individu qui se trouve occuper le rôle de locuteur, tu désigne celui qui joue le rôle de l’interlocuteur »4, on sous-entend néanmoins que les expressions indexicales aussi peuvent être interprétées comme un groupe de termes délimités et définis en fonction de ce qu’ils symbolisent dans le monde. Ce glissement des termes indexicaux vers les termes dénominatifs semble d’ailleurs justifiable en raison du fait que les signes indexicaux codifient ou symbolisent véritablement quelque chose : les adverbes spatiaux symbolisent l’espace, tout lieu géographique autour d’un locuteur, le terme aujourd’hui désigne tous les jours durant lesquels ce terme peut être prononcé, et le je tous les locuteurs potentiels. Bühler aussi confirme maintes fois dans la Sprachtheorie ce fait apparemment incontestable. Certes, la manière dont se réalise la référence des signes indexicaux au monde les distingue des autres signes linguistiques puis que cette référence (association) ne se base ni sur une convention ni sur un savoir extralinguistique, mais est constituée par le discours même (se montre dans la parole). Mais, selon Bühler, cette différence est néanmoins plutôt négligeable ou autrement dit insuffisante pour pouvoir prouver que les déictiques constituent une classe spécifique de signes. Leur véritable différence consiste pour lui dans le fait qu’il s’agit de signes qui ne désignent pas mais qui montrent (Zeigzeichen). Il reste que cette idée de Bühler a été, depuis la parution de la Sprachtheorie, régulièrement mise en question. Encore en 2002, dans un numéro spécial de la revue allemande Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik consacré aux déictiques, Fulir et Raecke rétorquent à Bühler que :
« “Ici” n’est pas un mot qui montre (Zeigwort) [...] ce mot est simplement une possibilité abstraite de dénomination typique pour le langage, il désigne le lieu où se trouve le locuteur momentanément. Sa signification primaire n’est donc pas situative mais même très constante. Parce que chaque locuteur comme aussi chaque auditeur la connaît, on ne montre généralement pas quand on dit “ici”, ce que chacun peut facilement vérifier en pratique. »5
6Bühler s’est opposé déjà de son temps à ces tentatives de rapprocher les signes indexicaux des termes dénominatifs en dénonçant une telle conception comme trop restreinte.
7Analysons donc si le deuxième trait de l’indexical je mentionné par Récanatilaisse entrevoir une véritable différence par rapport aux termes dénominatifs : « Et c’est un fait empirique, à savoir le fait que telle personne occupe ce rôle, qui confère à cette personne le statut de référent. » C’est notamment dans les discussions se basant sur la conception peircéenne de l’index que la relation entre le signe indexical et le monde est caractérisée comme une relation factuelle, authentique, empirique et en tant que telle mise en valeur. Que veut-on dire s ion affirme que la relation constituée par le signe indexical et le référent est une relation factuelle ou authentique ? On peut répondre à cette question par un exemple qui illustre bien le fonctionnement des indexicaux. En me promenant avec des raquettes dans les montagnes de Haute-Savoie, je remarque que la neige devient de plus en plus souple et les raquettes ne tiennent pas très bien pendant que je monte la pente. Cette perception de la neige souple devient un index pour moi, car je n’ai pas oublié l’annonce diffusée ce matin à la radio et qui parlait de possibles avalanches en haute montagne. Je sais, ou autrement dit j’en ai l’expérience, que la neige souple sur les pentes de haute montagne indique la possibilité d’une avalanche. Alors cette perception m’avertit et me fait revenir en arrière en empruntant un chemin plus éloigné mais moins raide. La relation entre la neige souple, qui fonctionne pour moi comme index, et l’avalanche, le référent, ce à quoi renvoie la neige souple, est une relation factuelle et empirique. Peirce caractérise ces relations comme typiques du fonctionnement des signes indexicaux :
« Un index est un representamen dont la force représentationnelle spéciale dépend de sa liaison effective avec l’objet représenté, indépendamment du fait de savoir s’il est interprété comme une représentation ou non. Ainsi, un symptôme peut être l’index d’une maladie, bien qu’il ne fonctionne pas effectivement comme tel à moins d’être interprété. Un index doit être un fait ou une chose individuelle existant. »6
8Dans cette conception des indexicaux une condition doit donc être remplie pour qu’un tel signe fonctionne : la relation entre le signe et le référent, entre la neige souple et l’avalanche doit se présenter comme une relation effective, authentique, une connexion factuelle directe, un rapport de facto, ou comme le dit Peirce, « les représentations dont la relation à leurs objets consiste en une correspondance dans les faits ; nous appellerons ces représentations des indices ou signes »7 (558). C’est pour cette raison que Peirce insiste sur le fait qu’aussi bien le signe (l’indice) que l’objet représenté sont des individus existants8 (2.283) et que l’action des indices dépend de leur association par contiguïté. Pape, un des spécialistes et traducteurs de Peirce en allemand, parle d’« une présence du monde dans le langage »9 et cite Peirce, qui résume cette situation comme suit : « Des indices [...] fournissent l’assurance positive de la réalité et de la proximité de leurs objets. »10 Même inséré dans le contexte fonctionnel des signes symboliques, l’indice y maintient son indépendance et a comme fonction d’obliger le locuteur à établir un lien d’expérience avec l’objet « signifié ». Ce qui expliquera aussi que pour Peirce les pronoms démonstratifs et personnels, des prépositions, des expressions propositionnelles du genre « à droite de » sont des indices, puisqu’ils demandent à l’auditeur d’utiliser ses capacités d’observation et d’expérience pour saisir le lien entre le signe et le monde11.
9Pourtant il ne faut pas oublier que les signes indexicaux définis de cette manière ont besoin pour leur fonctionnement d’une deuxième condition. Il faut qu’il existe au moins une personne qui les perçoive comme signes. Pape le dit explicitement dans un de ses textes sur Peirce : « Les traces sont là, dans le monde, mais à la condition d’avoir quelque raison de les rechercher. »12 Les indices comme la fumée, un couteau perdu, la neige souple indiquent une chose, un événement ou un être, pourtant pour saisir ces choses comme ayant une valeur d’indication, il faut connaître ou voir le lien qui existe entre le signe et le référent. Il faut être intéressé par ce lien comme le dit de façon très claire Pape : « Les nuages peuvent parfois annoncer la pluie, mais pas pour moi, parce que cela ne m’intéresse pas de chercher des traces du temps. »13 Parfois il faut même être expert, être habilité afin de saisir ces liens comme c’est le cas pour le médecin qui réalise une partie de son diagnostic en se référant aux indices. Nous voyons les signes indexicaux s’ils correspondent à nos intérêts et à notre stock de connaissances. On peut déduire de ces réflexions que ce n’est qu’au moment où la personne – avec son expérience et sa connaissance du monde – fait partie de la relation empirique et factuelle entre signe et référent que cette relation devient véritablement une relation sémiotique, une relation qui signifie. Peirce exprime cette condition en accentuant la caractéristique dynamique de la relation entre l’indice et le monde :
« [Un indice est] un signe ou une représentation qui renvoie à son objet non pas tant parce qu’il a quelque similarité ou analogie avec lui ni parce qu’il est associé avec les caractères généraux que cet objet se trouve posséder, que parce qu’il est en connexion dynamique (y compris spatiale) et avec l’objet individuel d’une part et avec les sens ou la mémoire de la personne pour laquelle il sert de signe, d’autre part (2.305). »14 (Souligné par moi.)
10Tentons un premier résumé : je viens d’esquisser deux manières différentes de traiter ce petit signe je. La première le considère comme un signe dénominatif en présentant sa signification comme une espèce de règle qui oriente l’identification du référent. Le mot je détermine clairement quel aspect de la situation d’énonciation est représenté par lui, le je se réfère toujours à la personne qui remplit le rôle du locuteur maintenant et ici. Dans cette conception, considérée par Bühler comme trop étroite, les signes indexicaux sont spécifiés par le fait qu’ils sont sémantiquement sous-déterminés puisque c’est la référence au contexte, au déroulement de la parole même qui est en fin de compte nécessaire pour pouvoir les comprendre. Que le référent ne soit constitué qu’au moment même de l’énonciation (le fait de la dite token-réflexivité) ne change néanmoins rien quant au fonctionnement sémiotique de ces signes qui reste avant tout référentiel. À l’opposé de cette conception se trouve une approche plus large des indices, selon laquelle n’importe quel objet et fait individuel a une force indicative. Dans notre lecture de Peirce, tout a pu potentiellement devenir indice sous deux conditions, d’une part qu’il y ait un rapport de fait entre le signe et l’objet et d’autre part que l’indice dirige l’attention de l’auditeur sur son objet par « impulsion aveugle » (2.306), comme le dit Peirce. Dans cette conception, l’indice a besoin pour son fonctionnement que son lien avec l’objet soit un lien de représentation existant ainsi comme lien réel, une idée qui vade pair avec le refus ferme d’une approche nominaliste dans ce domaine que Peirce formule dans ses écrits15.
11On pourrait se poser la question de savoir laquelle des deux conceptions des signes indexicaux saisit le mieux leur spécificité. En regardant les deux conceptions « avec les yeux » de la Sprachtheorie, la première apparaît comme trop restreinte tandis que la deuxième éveille le soupçon d’être trop large. Dans la première, les signes indexicaux sont trop rapprochés des signes dénominatifs (symboliques), tandis que dans la deuxième, c’est dans l’univers entier que cette relation représentationnelle bien spécifique est attestée. J’aimerais montrer dans ce qui suit que Bühler développe dans la Sprachtheorie une approche d’une part plus large, d’autre part plus restreinte des signes indexicaux. Plus restreinte, car selon lui les signes qui montrent composent une classe spécifique de signes linguistiques, ce qui exclut d’emblée l’identification des indices à tous types d’individus existants. Plus large, car leur fonctionnement est considéré comme forcément différent de celui des signes dénominatifs.
Les signes déictiques sont des signes qui montrent (Zeigzeichen)16
12Les signes déictiques réalisent leur fonction de montrer ou bien de présenter à l’intérieur d’un champ le champ déictique. Le terme de champ signale chez Bühler l’idée que ce n’est jamais simplement comme tels que les signes linguistiques remplissent leur fonction mais toujours à l’intérieur d’un champ : signes et champ sont corrélatifs. C’est sur cette thèse centrale que Bühler met l’accent lorsqu’il affirme que :
« [...] tout ce qui est déictique dans le langage présente le trait commun de ne pas recevoir son remplissement de signification et sa précision de signification dans le champ symbolique, mais de les recevoir au cas parcas dans le champ déictique du langage, et de ne pouvoir les recevoir que dans ce champ. »17
13Mais aussitôt Bühler ajoute que ce qui importe d’être analysé en détail, c’est le mode de ce remplissement tel qu’il se fait dans ce champ. Selon lui, le remplissement de signification des signes déictiques s’accomplit toujours à l’aide des sens, à l’aide de ce que le champ déictique est susceptible d’offrir aux sens. Bühler utilise le mot sens explicitement pour parler des organes des sens. Il insiste sur ce fait : les termes déictiques ont besoin pour leur fonctionnement de ce qui s’offre dans le champ déictique à l’œil et à l’oreille, peu importe s’il s’agit de l’œil « extérieur » ou de l’œil « intérieur ». Mais qu’est-ce que le champ déictique est susceptible d’offrir aux sens ? La réponse à cette question est centrale pour l’argumentation de Bühler.
14Le champ déictique contient, selon Bühler, des auxiliaires déictiques sensibles (sinnliche Zeighilfen) sans le recours desquels le fonctionnement des signes déictiques est inexplicable :
« [...] il n’y a pas de signe sonore déictique qui pourrait se passer du geste ou d’un fil directeur sensible équivalent au geste, ou finalement d’une convention d’orientation qui en tiendrait lieu. Il est possible qu’au premier abord cette formulation donne encore l’impression d’être compliquée ; mais elle a l’avantage d’englober intégralement tout ce qui peut être qualifié de déixis verbale (verbales Zeigen). »18
15Il est vrai qu’en disant celui-là, nous sommes dans presque tous les cas obligés d’accompagner ce mot par l’indication de la chose visée, si peu perceptible soit-elle. Deux autres auxiliaires sensibles sont clairement identifiés par Bühler : la qualité de provenance spatiale (räumliche Herkunftsqualität) du son, et le caractère de la voix (Stimmcharakter). Partons d’un exemple : dans une réunion, le président pose la question « Qui aimerait participer à cette commission ? », et l’un des participants répond « Moi ». Le premier auxiliaire sensible – la qualité de la provenance spatiale du son – permet au président de retrouver par le regard la personne qui a dit « Moi ». En voyant la personne, il l’identifie. Le deuxième auxiliaire sensible – le caractère de la voix – permet, en revanche, de réaliser une identification immédiate de la personne qui a prononcé le mot moi en s’appuyant sur sa propre mémoire acoustique. Pour Bühler, les déictiques sont donc des modes de présenter et de montrer d’une manière sensible ; leur remplissement de signification est en conséquence dépendant de la perception ou de la mémoire visuelles et auditives de l’auditeur. C’est dans cette même perspective que Bühler discute des anaphores, qu’il inclut sans hésitation parmi les signes déictiques. Les anaphores font également appel au regard, elles montrent. Ainsi, fait-il observer, le lui utilisé dans un texte nous dit : « Regarde ! Je parle de ça » ; et, pour savoir de quoi le lui parle, il faut reculer dans le texte avec les yeux et regarder ce qui se trouve à la place à laquelle l’anaphore se réfère. Ce qui est signifié par le lui est présent antérieurement dans le texte et peut donc être montré. C’est justement pour ces raisons que Bühler arme à plusieurs reprises que les signes déictiques sont « exclusivement ou principalement destinés à fonctionner comme des poteaux indicateurs pour le regard »19.
16Cette comparaison entre les poteaux indicateurs et les signes déictiques demande qu’on s’y arrête un moment. Bühler constate que « tant qu’il ne s’agit que d’atteindre, au moyen de mots comme ici et là, je et tu, un objet localisable par les yeux et les oreilles extérieurs parce que présent dans le champ perceptif commun »20, on peut faire abstraction d’une opération néanmoins nécessaire pour l’emploi des signes déictiques. Cette observation ne manque pas de force car, selon Bühler, les situations qu’il venait de décrire, ces situations dans lesquelles la compréhension entre locuteur et auditeur semble ne poser aucun problème, ne laissent pas entrevoir que le fonctionnement des signes déictiques se base sur une condition supplémentaire. Prenons pour le montrer un exemple, que Bühler emprunte chez Brugmann et qui concerne le pronom démonstratif celui-ci dont le précurseur historique est la dér-deixis, la deixis-là. Si je fais factuellement référence avec le doigt à un objet qui est situé dans la sphère perceptive que je partage avec mon interlocuteur et que j’exprime la suite phonique dér Hut, « le chapeau là », nous sommes en possession d’un exemple pur de monstration langagière. Nous pouvons ici distinguer trois moments : le geste du doigt, le mot dér, et le mot Hut. On pourrait dire, remarque Bühler,» que le signe sonore démonstratif est la copule qui unit le geste du doigt et le nom chapeau, et que c’est seulement lui qui fait de l’ensemble une construction correcte »21. Mais qu’est-ce qui est réalisé ici par le signe démonstratif dér ? Avant tout et tout d’abord le dér oriente le regard (dér Hut dit : « Regarde là, regarde ce chapeau-là dont je te parle »). Le regard de l’auditeur est orienté par le mot dér et cette orientation est perçue par lui de la même manière qu’on perçoit un poteau indicateur. En voyant un poteau indicateur sur lequel est marqué le nom Chamonix, on voit avant tout la direction dans laquelle ce poteau montre. En conséquence, montrer à l’aide des signes déictiques ne signifie pas seulement qu’au lieu de dénommer un objet je le montre. Il faut insister sur le fait qu’en ce qui concerne l’exemple cité, je ne remplace pas simplement la phrase « donne-moi le chapeau de papa » par la phrase « donne-moi le chapeau là », mais qu’une activité supplémentaire est réalisée. Il est important pour Bühler de reconnaître que, pour que l’expression linguistique dér Hut soit compréhensible, le locuteur ainsi que l’auditeur doivent s’orienter, doivent s’ajuster dans le champ dans lequel ils parlent. Le locuteur se positionne dans le champ par rapport à l’objet qu’il montre et il demande à l’auditeur de s’orienter de la même manière afin qu’il puisse voir ce qui est montré.
17Cet aspect du fonctionnement des signes déictiques a une importance cruciale puisqu’il laisse conclure que montrer avec les signes déictiques provoque chez l’auditeur une perception médiatisée de l’objet montré. La perception est médiatisée par l’orientation de l’auditeur dans le champ de perception. Pour le dire d’une manière encore plus claire : l’auditeur doit être orienté à l’intérieur du champ (de cet ordre) dans lequel ce qui est montré (par le geste et par le dér) a une place ou a pris place. Dans beaucoup de situations nous sommes automatiquement bien orientés et nous ne remarquons pas cette activité d’orientation réalisée au moment même de la perception des signes déictiques. Mais tout le monde a déjà fait l’expérience de ce que veut dire ne pas être bien orienté. Prenons l’exemple d’une randonnée en montagne durant la quelle nous arrivons à un poteau indicateur et nous nous rendons compte que la direction qu’il montre n’est pas « juste », ou plus précisément ne correspond pas à notre orientation. Selon notre orientation, Chamonix devrait se trouver dans la direction opposée et l’exclamation d’un étonnement suit aussitôt : « Mince, j’avais pensé que nous allions dans la direction de Chamonix mais en réalité nous nous en éloignions. » Notre position dans le champ a été perçue par nous d’une façon différente et se trouve en contradiction avec ce qui est indiqué parle poteau. Nos images corporelles tactiles ont produit une autre orientation que celle montrée par le poteau. En conséquence, si nous voulons suivre l’indication du poteau, si nous voulons arriver au lieu souhaité, nous devrions nous réorienter, nous sommes obligés de percevoir d’une autre manière notre position dans le champ. En fait, ce qui doit être modifié, c’est notre image corporelle tactile (Körpertastbild)22 à laquelle Bühler fait référence. Cette nécessité de se réorienter est bien connue, tout le monde l’a déjà vécue en montagne, dans les grandes villes et ailleurs. Elle peut impliquer que nous sommes obligés de tourner une fois autour de nous-mêmes afin de pouvoir nous réajuster, elle peut être accompagnée par des vertiges, etc. Ce qui devient apparent à travers cet exemple, Bühler le résume ainsi :
« Si quelqu’un veut montrer quelque chose à quelqu’un d’autre, il faut que leurs orientations, à l’un et à l’autre, au guide et au guidé, possèdent un degré suffisant d’harmonie. Il leur faut être orientés à l’intérieur d’un ordre dans lequel l’objet à montrer ait sa place. »23
18Une orientation harmonieuse des partenaires à l’intérieur du champ est nécessaire, un certain degré d’orientation dans l’ordre de ce qu’il s’agit de montrer est indispensable. Une fois qu’on a réussi à s’orienter, on pourrait même parler d’une certaine concordance entre les images corporelles tactiles et le champ dans lequel il est montré. Pour pouvoir suivre les auxiliaires sensibles à l’aide desquels les signes déictiques fonctionnent, il est donc nécessaire que « partout le champ d’orientation de la situation de perception actuelle se trouve mis à contribution »24, qu’il soit exploité, dépouillé. Cet aspect du fonctionnement des signes déictiques est crucial car ce qui apparaissait au début comme une simple perception de ce qui est montré dans le champ s’avère comme une activité beaucoup plus complexe, comme un travail sur l’être-orienté (Orientiertsein). Le locuteur, en utilisant les signes déictiques, « dit » donc à l’auditeur : « C’est dans ce système de coordination que je “montre” et pour “voir” ce que je te montre à l’aide des signes déictiques, tu devrais percevoir le monde dans le même système de coordonnées que moi, selon les mêmes schèmes d’ordonnance que moi. »
19Un autre exemple souvent convoqué par Bühler concerne la monstration à l’intérieur du réseau des rues d’une ville. Si vous vous trouvez dans une grande ville et que vous y demandez à quelqu’un le chemin vers la gare, il vous le montrera certainement selon un système de coordination bien déterminé, à savoir le réseau des rues. Et si vous ne comprenez pas que les signes déictiques sont utilisés au sein de ce système de coordonnées, bref à l’intérieur de ce champ, vous n’êtes pas sûr de pouvoir suivre les indications et de trouver « l’objet » recherché. Bühler soutient qu’en utilisant les signes déictiques, nous réalisons souvent une espèce de déplacement (Versetzung). Dans beaucoup de situations quotidiennes, il devient nécessaire qu’aussi bien le locuteur que l’auditeur quittent la situation corporelle momentanée et se mettent dans une position fictive25.D’ailleurs n’importe quel professeur de gymnastique qui se trouve en face d’une rangée de gymnastes alignés donne ses ordres en effectuant en même temps untel déplacement :
« [...] les ordres à droite et à gauche sont donnés et compris par rapport à l’orientation des gymnastes. Voilà un cas exemplaire dont il faut prendre note pour expliquer l’extrême facilité avec laquelle toutes les valeurs de champ du système de l’orientation spatiale et du système de la deixis linguistique sont traduisibles d’une table d’orientation en une autre. »26
20Le terme de déplacement est utilisé par Bühler pour conceptualiser cet être orienté produit par chaque expression langagière qui fait emploi des signes déictiques. Le même terme joue un rôle central dans la description de la deixis à l’imaginaire qui, et cela surprend aujourd’hui souvent les lecteurs, est également discuté dans cette deuxième partie de la Sprachtheorie consacrée au champ déictique. Dans la deixis à l’imaginaire, l’opération centrale est justement le transport, le déplacement. Il peut se passer de deux manières différentes : soit ce qui est imaginé va être transporté dans le champ où se trouve la personne, soit la personne est déplacée vers le lieu où est présent ce qu’on veut lui montrer. À la question « qu’est-ce qui se passe ici en fait », Bühler répond que quelqu’un présente à l’aide des moyens linguistiques ce qui est absent. Il le rend perceptible en construisant devant nos yeux un champ actuel dans lequel prend place ce qui est absent par le simple fait qu’on le montre à l’intérieur de ce champ. Bühler procède donc à une spécification des signes déictiques en se référant essentiellement à deux notions, celle de l’être orienté et celle de déplacement. Ces termes se révèlent corrélatifs dans la mesure où l’être orienté n’est jamais considéré comme un état mais comme étant toujours en constitution.
Le langage comme moyen de représentation indirect
21Les deux opérations montrer et présenter qui caractérisent selon Bühler le fonctionnement des signes déictiques se réalisent donc à l’aide des auxiliaires sensibles qui suscitent une perception réelle ou imaginée bien spécifique. Cette perception du monde qui se fait à travers les signes déictiques est toujours une perception médiatisée, médiatisée par notre être-orienté dans le monde en fonction des différents systèmes de coordination et d’ordonnancement au sein des quels on montre. Ces systèmes peuvent avoir un caractère naturel (ainsi ils sont souvent directement liés avec l’image corporelle tactile) ou un caractère artificiel, bref être déterminés culturellement comme c’est le cas pour le système du réseau des rues. Bühler combat avec cette démonstration l’idée que les signes déictiques puissent être « élevés » au niveau des termes dénominatifs. Au lieu de dire que c’est la manière de se référer au monde qui les distingue des autres signes purement dénominatifs, Bühler démontre qu’ils provoquent chez les sujets parlants une perception ordonnée du monde, une perception qui se base sur l’être-orienté des locuteurs et des auditeurs et le constitue chaque fois de nouveau.
22Même si cette démonstration s’avère convaincante, une question reste cependant ouverte : comment cette conception des signes déictiques s’articule-t-elle avec les autres idées défendues dans la Sprachtheorie ? La réponse se trouve dans ce que Bühler comprend par la fonction représentationnelle du langage, qui constitue selon lui l’essence du langage humain. Dans la Sprachtheorie, on trouve une seule et véritable définition du langage humain formulée directement après la deuxième partie consacrée au champ déictique :
« L’instrument représentationnel langagier fait partie des moyens de représentation indirects, c’est un instrument intermédiaire [mediales Gerät], dans lequel des médiateurs [Mittler] déterminés interviennent comme facteurs organisateurs. »27
23Nous avons vu que la représentation réalisée par les signes déictiques (les signes qui montrent) est une présentation, une présentation du monde à la perception sous la forme d’un certain ordre. Représenter par les signes déictiques veut donc dire pour Bühler présenter le monde à travers une perception orientée et ordonnée du locuteur et de l’auditeur, ce qui revient à dire d’une manière indirecte. Dès que nous utilisons les signes déictiques, nous sommes, que nous le voulions ou non, « forcés » de voir, de percevoir un monde ordonné, en d’autres termes de nous percevoir et constituer en tant qu’être-orienté. Dans ce sens, Bühler estime que le langage a une force constitutive, qu’il conceptualise à l’aide du terme de médium (mediales Gerät)28 utilisé dans la citation ci-dessus. Si l’on prend ce terme dans sa connotation spirituelle en se référant à un médium qui, grâce à ses actions, rend présent aux autres un monde qui est au-delà de notre monde immédiatement accessible, il semble que le langage réalise dans sa fonction représentationnelle quelque chose de semblable. Nous avons vu que, guidée par les auxiliaires sensibles (lesdits médiateurs langagiers), une perception est attestée qui, sans l’intermédiaire du langage, n’existerait pas ainsi et qui peut donc, comme Bühler le fait, être définie comme représentation (Darstellung).
24Je suis bien consciente que le terme de représentation est un terme qui est abordé avec beaucoup de précaution voire de réticence, ou même avec une véritable méfiance dans les débats en philosophie et en linguistique, car il est souvent associé à une théorie du langage comme représentation de la pensée en réduisant le langage à un outil de la pensée ou une expression des états mentaux. Mais une telle critique n’est pas justifiée en ce qui concerne la fonction représentationnelle du langage telle qu’elle est conçue par Bühler. Selon lui, le langage n’est pas transparent ni pour la force représentationnelle de l’esprit ni pour quelque autre activité mentale que ce soit. Le lien entre le monde et le langage n’est médiatisé ni par l’esprit ni par les représentations (Vorstellungen, états mentaux), ni par l’expérience comme c’est le cas dans la conception large des signes indexicaux. Il s’agit d’un lien direct dans la mesure où le langage est discuté comme la dimension structurante des faits perceptifs29. En ce qui concerne le deuxième groupe des signes linguistiques, à savoir les signes dénominatifs et le champ symbolique, la démarche de Bühler reste la même. Il démontre de nouveau la force structurante du langage (réalisée par un autre type d’auxiliaires) dans les faits phénoménologiques qui, cette fois-ci, ne sont pas issus du domaine de la perception mais de celui du savoir30. Ma thèse finale sera donc que Bühler montre dans la Sprachtheorie que ce n’est pas la constitution d’une relation référentielle qui peut être considérée comme condition nécessaire et suffisante pour le fonctionnement des signes déictiques, ni celle d’une relation empirique ou factuelle. Ce qui est essentiel, aux yeux de Bühler, c’est d’analyser et de dégager la force constitutive du langage dans les faits phénoménologiques. Il s’agit de regards bien différents sur un seul et même objet, le langage. Tandis que la conception restreinte des signes indexicaux place le langage en face du monde, en considérant le locuteur néanmoins comme maître du langage, la conception large le place dans le monde, en transformant ce même monde en un univers des signes. En revanche, Bühler situe le langage dans le lien direct que le sujet entretient avec le monde, il cherche ses « traces » dans les faits phénoménologiques et donne par ce geste au langage une force constitutive beaucoup plus indépendante du locuteur que c’est le cas pour les termes dénominatifs et les expressions prédicatives mais aussi pour les indices à la Peirce. En ce qui concerne cette force qui lie le langage directement au monde, il reste bien entendu à préciser qu’il s’agit bel et bien du monde vécu ou autrement dit du monde de la vie et non pas du monde compris, expérimenté, interprété par le locuteur ni du monde en soi (la réalité saisie comme quelque chose d’indépendant de la relation langagière). Peut-être pourrait-on aller jusqu’à dire que la discussion autour des signes indexicaux fait voir plus qu’une autre les faiblesses d’une conception des signes qui semble pouvoir se passer d’une analyse phénoménologique des faits langagiers, ce qui était, pour ce psychologue influencé par Brentano et Husserl qu’était Bühler, impensable.
Bibliographie
25K. Bühler, Die Krise der Psychologie, Frankfurt/M., Berlin, Wien, Ullstein, 1927/1978.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Karl Bühler, Théorie du langage, la fonction représentationnelle, 2009, p. 63.
2 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 63-64.
3 F. Récanati, « Loana dans le métro. Remarques sur l’indexicalité mentale », in S. Bourgeois-Gironde (Éd.), Les Formes de l’indexicalité : langage et pensée en contexte, Paris, Éd. Rue d’Ulm, 2005, p. 20.
4 F. Récanati, 2005, p. 20.
5 G. Fulir et J. Raecke, « Demonstratio ad oculus – ein alles andere als einfaches Phänomen. Am Beispiel des Bosnischen, Kroatischen und Serbischen », Zeitschrift für Literaturwissenschaften und Linguistik 32, 2002, p. 151.
6 Citation extraite d’un manuscrit inédit de Peirce, cité chez H. Pape, « Créer et représenter les relations situées. Peirce et sa théorie du noyau relationnel des indices et des traces », in L’Interprétation des indices. Enquête sur le paradigme indiciaire avec Carlo Ginzburg, Éd. par D. Thouard, Lille, Septentrion, 2007, p. 108.
7 C. Peirce, « D’une nouvelle liste de catégories », in C. Peirce, Textes fondamentaux de sémiotique, Paris, Klincksieck, 1987, p. 30.
8 Voir C. Peirce, Écrits sur le signe, Éd. G. Deledalle, Paris, Seuil, 1978, p. 153.
9 Voir H. Pape, « Indexikalität und Anwesenheit der Welt in der Sprache », in Indexikalität und sprachlicher Weltbezug, Éd. par M. Kettner et H. Pape, Paderborn, Mentis, 2002.
10 C. Peirce, cité par H. Pape, op. cit., 2007, p. 118.
11 Peirce le dit ainsi : « D’autres prépositions signifient des relations qui peuvent peut-être se décrire, mais lorsqu’elles renvoient comme elles le font plus souvent qu’on ne le supposerait à une situation relative à la place et à l’attitude du locuteur relativement à celle de l’auditeur, place et attitude observées ou assumées connues par expérience, alors l’élément indiciaire est l’élément dominant » (2.290), Peirce, op. cit., 1978, p. 158.
12 H. Pape, op. cit., 2007, p. 106.
13 H. Pape, op. cit., 2007, p. 106.
14 C. Peirce, op. cit., 1978, p. 158.
15 Voir par exemple : C. Peirce (312), op. cit., 1987, p. 100.
16 Dans la traduction française, D. Samain traduit Zeigzeichen par signes déictiques, puisqu’il est lourd de parler en français de signes de monstration ou de signes qui montrent. Il reste néanmoins à signaler que le terme allemand a l’avantage d’indiquer directement, sans devoir faire un détour par l’étymologie du mot, le trait essentiel qu’impute Bühler à ces signes.
17 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 175.
18 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 192.
19 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 228.
20 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 230.
21 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 187. Bühler ajoute que : « S’il est en mesure de jouer un rôle de médiateur de ce type, c’est que, d’une part, il relève des signes sonores au même titre que le nom par son aspect matériel, et que, d’autre part, il relève des signes démonstratifs au même titre que les gestes, de par sa fonction. »
22 Bühler développe dans ce chapitre des réflexions très subtiles sur le fonctionnement de la perception visuelle en montrant « qu’il ressent également son propre corps en relation à son orientation optique, et qu’il l’emploie pour montrer. Son image corporelle tactile (image consciente, expériencée) est en relation avec l’espace visuel. Chez l’animal et l’homme, l’orientation spatiale ne peut jamais être seulement une caractéristique du sens de la vue pensé isolément ». (K. Bühler, op. cit., 2009, p. 235.) C’est cette liaison entre la direction montrée par le poteau et l’image corporelle tactile (dans notre cas, cette liaison se révèle comme non correspondante) qui présente pour Bühler « une importance majeure pour la compréhension analytique des procédés linguistiques de déixis ». (Bühler, 2009, p. 235.)
23 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 230.
24 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 247.
25 Un autre exemple illustrant bien ce déplacement demandé est également apporté par Bühler : « On devient clairement conscient de situations semblables, lorsqu’il est par exemple question dans un récit des rives droite et gauche du Rhin ou de la Seine – chacun sait que ce genre d’indications fournies par le narrateur causent à l’occasion des difficultés au lecteur. Le lecteur doit parfois prendre le temps de la réflexion et se mettre expressément dans une disposition intérieure, ou modifier cette disposition, pour les interpréter correctement, et il y a plus d’une technique pour le faire. Toutefois qui conque y parvient grâce à un déplacement a le sentiment qu’en définitive son image corporelle tactile momentanée y participe. Cologne/Deutz = rive gauche/rive droite du Rhin : si je me concentre sur cet état de choses au point d’en prendre pleinement conscience, je perçois que mes bras, hic et nunc, sont disponibles pour fonctionner comme poteaux indicateurs. » (K. Bühler, op. cit., 2009, p. 243-244.)
26 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 238.
27 K. Bühler, op. cit., 2009, p. 262.
28 Bühler utilise ici l’adjectif medial pour caractériser l’instrument qu’est le langage ; il parle de mediales Gerät. En allemand, medial signifie « se trouvant au milieu » ; mais, si on utilise cet adjectif dans le domaine de la parapsychologie, il veut dire aussi « concernant un médium spirituel ». En français, il n’est pas possible de rendre ce mot allemand par un adjectif. La traduction de mediales Gerät par « instrument-médium » a été considérée comme trop orientée vers une interprétation spiritualiste ; en revanche, la traduction finalement choisie, « instrument intermédiaire », reprend bel et bien « la position au milieu » et aussi le sens de « médiateur » ; mais elle perd néanmoins la référence au médium que l’adjectif allemand medial indique.
29 Dans La Crise de la psychologie, Bühler parle d’une « détermination structurelle dans le domaine phénoménal », une expression qui convient parfaitement pour caractériser ce qui est réalisé par le langage et notamment par ses médiateurs (auxiliaires).Voir K. Bühler, Die Krise der Psychologie, Frankfurt/M., Berlin, Wien, Ullstein, 1927/1978, p. 117.
30 Voir Friedrich, « Présentation », in K. Bühler, La Théorie du langage. La fonction représentationnelle du langage, Éd. par D. Samain et J. Friedrich, Marseille, Agone, 2009.
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Agir et penser
Essais sur la philosophie d’Elizabeth Anscombe
Valérie Aucouturier et Marc Pavlopoulos (dir.)
2015