De la dette à la contrainte
p. 13-92
Texte intégral
1Parmi les fils qui tissaient le lien social dans l’Occident médiéval et moderne, il en est un dont la solidité a été récemment mise à jour par les historiens : il s’agit de la dette. L’endettement privé était en effet un phénomène massif en Europe occidentale, à la campagne comme à la ville, à partir du xiiie siècle et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Les travaux menés dans les vingt dernières années ont montré que, loin de se limiter à une activité de professionnels, le crédit était en réalité une pratique commune à tous les niveaux de l’économie et de la société : crédit des banquiers aux marchands, aux princes et aux villes, crédit régional au commerce, à l’artisanat et à l’agriculture, crédit quotidien à la consommation. Comme on le montrera dans ces pages liminaires, la compréhension d’un fait qui fut tout à la fois un phénomène économique massif et un comportement social fondamental sur une longue durée ne peut se contenter de renvoyer aux lignes d’interprétation qui ont dominé l’historiographie du crédit médiéval pendant des décennies. La généralisation d’un endettement privé microscopique et multilatéral ne peut s’expliquer uniquement par l’histoire de la « normative » chrétienne du prêt à intérêt ou par l’histoire économique du crédit, et ce dans un cadre chronologique limité par la césure traditionnellement placée autour de 1500. Elle ne peut se comprendre que si l’on réinsère les comportements socio-économiques tardomédiévaux dans une histoire plus longue et si l’on explore les moyens qui ont rendu possible, soutenu et sécurisé l’entrelacs des relations d’endettement. Parmi ces moyens à laquelle la dette s’est adossée figure la contrainte publique. C’est ainsi une histoire politique de la dette ancienne qui est entreprise ici par l’étude de la genèse de sa régulation institutionnelle.
Usure, crédit, dette
2Le thème de l’usure et de sa répression est sans doute le premier angle sous lequel l’histoire a abordé la dimension financière de l’économie médiévale. Les bizarreries de la répression de l’usure au Moyen Âge sollicitèrent la réflexion et produisirent une historiographie très abondante1. Une condamnation du prêt à intérêt sur une base théologique aux xiie et xiiie siècles et la progressive atténuation de cette condamnation à la fin du Moyen Âge et sous l’Ancien Régime permettaient en apparence de penser la transition pluriséculaire entre l’économie féodale et l’économie capitaliste.
3On le sait, si, vers 1140, le décret de Gratien définissait l’usure comme tout intérêt, tout ce qui était exigé au-delà du capital, l’intense législation canonique contre l’usure qui se mit en place à partir de la deuxième moitié du xiie siècle, en particulier au concile de Latran III (1179), interdisait « l’usure manifeste » seule. L’intérêt fut peu à peu justifié dans certaines transactions économiques en tant que rémunération d’un dommage pour le prêteur et d’un travail effectué par lui2 et diverses pratiques de crédit furent reconnues comme licites, la rente constituée en particulier. L’usure n’était donc pas l’intérêt en général. L’acmé de l’opposition de l’Église à l’usure peut être située en 1312, quand le canon Ex gravi du concile de Vienne appela à abroger les statuts et coutumes qui toléraient l’usure3. Lorsque les législations princières assumèrent à leur tour une codification de l’usure, l’action royale semble avoir été particulièrement intense en France. On connaît la législation des règnes de Louis VIII et de Louis IX, les enquêtes administratives lancées par Louis IX qui aboutirent en particulier à la dénonciation d’usuriers. L’ordonnance de janvier 1312 définissait ainsi comme usure grave un intérêt annuel supérieur à 20 %. Bernard Schnapper a toutefois montré que la législation royale s’interrompit pendant près d’un siècle, entre 1374 et 14634, signe selon lui d’un apaisement dans la lutte contre l’usure, avant une nouvelle flambée au xvie siècle. Ce décalage entre la condamnation de l’usure et la portée des mesures canoniques puis civiles d’une part, entre la constance du discours antiusuraire et une répression qui semble surtout avoir connu des flambées de violence dirigées contre des communautés particulières, juifs et Lombards principalement, d’autre part, imposa aux historiens l’idée d’un double langage des élites médiévales à l’égard du prêt à intérêt.
4Des travaux récents montrent qu’il faut y voir surtout l’effet d’une véritable entreprise de conceptualisation de la contractualité économique. L’évolution de la définition de l’usure se produisit principalement au cours du xiiie siècle chez les théologiens5, en particulier franciscains, en liaison avec la polémique sur la pauvreté qui anima l’ordre dans la seconde moitié du siècle. Le franciscain Pierre de Jean Olivi, qui mena la réflexion la plus aboutie sur les contrats et l’usure, en vint à affirmer qu’il n’y avait usure que quand un bénéfice était obtenu sans aucun risque pour l’acteur6. Son Tractatus de contractibus visait à définir une moralité spécifique des rapports contractuels, radicalement distincte des principes de la perfection évangélique et relevant du registre de la justice civile7. Si l’Église ne suivit pas Olivi jusque sur ce terrain, elle n’en reconnaissait pas moins la nécessité du crédit et de la rémunération de ceux qui en faisaient profession. Pour l’historien Giacomo Todeschini, la condamnation de l’usure, sa définition comme hérésie, correspondent à la volonté de fixer la distinction entre les manifestations usuraires et la gestion économique correcte : l’usure désignait la transgression du système économique. La « répression » médiévale de l’usure ne signifie donc pas la défense par l’Église d’un antiéconomisme générique, ni d’une doctrine de la stérilité de l’argent, mais l’affirmation d’une norme de la vie économique : l’argent devait avoir un emploi convenable, c’est-à-dire utile à la collectivité.
5Reprenant l’historiographie de la pensée économique médiévale, Giacomo Todeschini a bien montré que les historiens ont cru déceler une ligne théorique ininterrompue des scolastiques du xiiie siècle à Adam Smith et montrer une modernité de la pensée économique médiévale à partir du xiiie siècle. L’ouvrage de Jacques Le Goff, La Bourse et la Vie, s’inscrit dans cette tradition qui considère que la morale économique chrétienne a rendu socialement possible la pratique du crédit comme l’affaire de la bourgeoisie marchande. Contre l’idée polémique que les arguments antiéconomiques de base des autorités chrétiennes ont été progressivement adaptés aux exigences du monde des laïcs, Giacomo Todeschini considère que les scolastiques tentèrent, par leur réflexion économique, de conditionner le développement économique8. Il rend compte également de l’antijudaïsme tardomédiéval qui s’est nourri du discours antiusuraire et a atteint son paroxysme en France avec les expulsions des juifs du royaume. La désignation du juif comme usurier et comme radicalement étranger à la communauté économique chrétienne signifie le rejet d’une transgression de la norme économique définie par l’Église9. Désormais, il est donc impossible de considérer l’usure comme le signe d’un archaïsme économique médiéval, ou comme le voile avec lequel l’Église recouvrait cyniquement ses propres activités financières. L’usure était d’abord une manière de penser et de codifier la vie économique. C’était une éthique du crédit, et non son improbable refus. Les travaux de ce même historien permettent également de clarifier les ambiguïtés nées de la proximité entre le langage du crédit et celui du don à la fin du Moyen Âge. C’est du sein même de l’idéologie chrétienne de la charité qu’a surgi l’obligation de rendre et de restituer, qui fonde la légitimité de la fructification du don. La logique obligationnaire du don fut donc la matrice de la contractualité de l’échange économique, de la vente comme du crédit. Ces développements de la pensée chrétienne du don sont le fruit de la théologie des Ordres mendiants, qui se sont efforcés de penser l’économie citadine comme une économie du don10.
6Dès lors, rien n’interdit plus une histoire du crédit médiéval en tant que tel, une histoire débarrassée d’idées préconçues sur un antiéconomisme viscéral des médiévaux. Deux types d’arguments sont retenus par les historiens pour expliquer la diffusion du crédit dans l’Occident médiéval. C’est d’abord à partir de l’histoire monétaire que le crédit médiéval a été abordé. Le crédit tardomédiéval est analysé comme la compensation mécanique à une pénurie de numéraire aux xive et xve siècles, dans une économie qui s’était largement monétarisée depuis le début du xiiie siècle, au plus tard11. C’était un moyen de paiement supplétif. En conséquence, l’endettement massif était alors une donnée structurelle de l’économie. Une pénurie de numéraire dans une économie largement monétarisée serait la clé du développement du crédit, qui est constaté partout où les sources notariales abondent, en Italie, en Espagne, dans la France méridionale en particulier. Dès lors, il est tentant de relier cette diffusion du crédit dans tous les niveaux de la société à la dépression traversée par l’Europe dans ces deux derniers siècles du Moyen Âge. Édouard Perroy en a établi le lien dans un article de 1949 sur les « crises du xive siècle ». Michaël North, dans sa synthèse sur l’histoire de l’argent, a développé cette idée12 : le crédit pour la masse de la population et une thésaurisation pour une minorité étaient les deux réponses à une situation de pénurie de numéraire. La chute de la production de monnaie atteignait 80 %, suivant une pente plus rapide que la population de l’Europe qui recula d’un tiers globalement, entraînant une spirale déflationniste. Au-delà des divergences d’analyse de la dépression tardomédiévale, au-delà de la discussion sur la causalité monétariste de cette dépression13, on peut constater que la pénurie de numéraire n’épuise pas la compréhension du phénomène : c’est aussi la manière dont cette pénurie a été gérée, la manière dont elle a été répartie qui doit retenir l’attention. La rareté du numéraire dans une économie largement monétarisée accentuait encore les écarts dans une distribution des richesses qui était prodigieusement inégalitaire. C’est aussi cette répartition spécifique de la richesse qu’ont traduite un crédit diffus et un endettement massif. La commercialisation et la monétarisation de l’économie médiévale ont induit un endettement qui a contribué à une différenciation sociale14. Si Michel Mollat et Philippe Wolff ont vu dans cet endettement un signe d’appauvrissement, une conséquence sociale de l’expansion des siècles centraux du Moyen Âge et une cause de tension qui se trouvait à la racine des conflits sociaux et des révoltes populaires qui agitèrent l’Europe occidentale aux xive et xve siècles15, l’insertion de l’endettement médiéval dans cette logique monétaire oblige à garder à l’esprit que le recours au crédit n’était pas toujours un signe de marginalisation sociale, mais au contraire un signe d’insertion dans un système largement défini par la contrainte monétaire16.
7À côté de la pénurie de numéraire, les historiens invoquent depuis longtemps le décalage des rythmes de production et de paiement, « l’inadéquation des termes de rentrées et de sorties », comme clé d’explication de l’endettement privé. L’endettement rural trouve tout particulièrement son explication dans les difficultés de la « soudure », qui imposaient aux ménages paysans d’emprunter à l’époque des semailles pour rembourser après les récoltes. L’endettement de court terme était une nécessité imposée par les rythmes de l’activité agricole et des redevances seigneuriales. Toute proche de cette explication est l’idée d’une organisation de l’endettement paysan par les seigneurs de la terre ou par les prêteurs urbains, en vue d’un maintien de la dépendance paysanne ou d’une dépossession foncière. Cet endettement rural, pour lequel Alain Guerreau refuse le terme de « crédit » pour lui préférer le terme d’« avances », visait principalement, selon lui, à « intégrer [les ruraux] dans des réseaux de dépendance, en liant par l’intermédiaire d’une structure temporelle17 ». Mais c’est surtout avec la commercialisation de l’économie paysanne au cours des xiie et xiiie siècles que le crédit prit toute son ampleur. Autrement dit, il y aurait deux époques du crédit médiéval : une première diffusion contemporaine de la monétarisation et de la commercialisation de l’économie rurale au xiiie siècle, puis une expansion avec la pénurie de numéraire et la paupérisation des xive et xve siècles18.
8L’économie du crédit médiéval est également désormais mieux connue par quelques monographies sur des régions privilégiées. L’exceptionnelle documentation du royaume de Valence permet ainsi de découvrir un très actif marché des rentes, rurales et urbaines, privées et publiques, et de tracer les liens qu’il entretenait avec le marché des denrées et celui de la terre19. La documentation toscane a permis depuis longtemps de montrer que les profits tirés du crédit commercial international étaient réinvestis dans le marché régional de la terre. Les études suscitées par la rencontre de Flaran cherchent aujourd’hui à cerner l’articulation entre les différents niveaux de crédit, entre la dette publique et le marché du crédit20, entre le crédit et les autres marchés économiques, le marché de la terre en particulier21.
9La compréhension économique du crédit médiéval s’est donc considérablement enrichie depuis une dizaine d’années, et ce notamment sous l’effet de son intégration dans une histoire de plus longue durée22. L’ouvrage de Jean-Yves Grenier sur L’économie d’Ancien Régime fournit ainsi des outils pour aborder l’histoire longue de cette économie qui a été souvent ramenée à une économie de transition entre économie féodale et économie capitaliste. Il incite à se déprendre de la question de l’origine du capitalisme, qui est souvent en filigrane de l’étude du crédit ancien. Il y montre que l’économie d’Ancien Régime connaissait d’une part le capital, défini comme une avance monétaire et non comme un rapport de production, d’autre part des rapports de force, définis par le partage du profit du capital dans l’échange et non par le contrôle du processus productif. Dès lors, selon lui, le crédit occupe dans cette société la place que Marcel Mauss assignait au don dans les sociétés primitives ; il était le lieu où se constituaient à la fois la domination économique, un contrôle social et un pouvoir politique23. La nature même de l’économie d’Ancien Régime et la place du crédit dans celle-ci appellent donc une histoire institutionnelle et anthropologique du crédit24.
10Le crédit dans le Paris moderne a bénéficié de cet éclairage nouveau d’une histoire économique attentive aux institutions et aux normes sociales, puisque des études y ont mis en évidence la coexistence de marchés du crédit et le rôle de régulateur joué par la justice et par le notariat sur ces marchés25. Ces études rejoignent les conclusions des travaux récents sur l’usure médiévale dans un rejet de l’opposition entre archaïsme d’Ancien Régime et modernité capitaliste : les sociétés préindustrielles ne confinaient pas les activités financières à la marge de leur système économique et ne les assignaient pas à des groupes marginaux – usuriers, communautés d’exilés ou minorités religieuses –, elles plaçaient au contraire le crédit au cœur même du fonctionnement de leur économie agricole, artisanale et marchande. En outre, elles suggèrent que le crédit ancien était multiple : il vaudrait mieux parler de crédits, cloisonnés en plusieurs marchés, dont chacun peut être étudié pour lui-même.
11Les historiens de l’époque moderne montrent également la voie à suivre pour une approche du crédit ancien : une histoire économique de ce crédit nécessite à la fois une anthropologie de la dette et une histoire de la régulation institutionnelle du crédit. C’est en particulier le sens du projet d’enquête sur la « construction sociale de la confiance » proposé par Laurence Fontaine26. Il s’agit de comprendre comment s’instaurait la « discipline du crédit » dans une société totalement imprégnée par les liens de prêt et d’emprunt, mais qui était dépourvue des rouages contemporains qui assurent la confiance nécessaire à tout système de crédit, en particulier d’un prêteur de dernier ressort27. Thomas Luckett a remarquablement exposé le fonctionnement du crédit commercial parisien du xviiie siècle28. Il montre que cette discipline du crédit passait par une codification spécifique de l’honneur, qui plaçait au cœur de la réputation d’un homme le « crédit » dont il jouissait, par le tissage de réseaux d’interconnaissance et par des modes de socialisation qu’orientait le souci de trier les bons emprunteurs des mauvais. La solidarité marchande ainsi créée érigeait en normes culturelles le compromis et l’aide mutuelle. Cette discipline du crédit s’appuyait aussi sur des institutions judiciaires, qui partageaient ces normes du compromis, tout en faisant leur place à la saisie et à l’emprisonnement pour dette29. La démonstration qu’il fait pour le Paris commerçant du xviiie siècle rejoint celle que Craig Muldrew fait pour l’Angleterre des xviie et xviiie siècles. À partir des archives des justices ordinaires, il décrit une « économie de l’obligation » et une « culture du crédit » qui imprégnaient l’ensemble de la société anglaise30. La culture du crédit orientait la sociabilité du commerce. Le recours à la justice semble avoir revêtu en Angleterre un rôle plus crucial encore pour cette économie de l’obligation que dans le Paris moderne : le nombre de poursuites devant les cours centrales de King’s Bench a été multiplié par six entre 1563 et 1640, essentiellement à cause des demandes des créanciers. À la fin du xviie siècle, l’essentiel des ménages de King’s Lynn passait en justice pour des litiges d’endettement. La justice civile était donc un rouage fondamental du système de crédit anglais à l’époque moderne. Ces deux études suggèrent la même idée : dans une société ancienne, dépourvue d’institutions bancaires unifiées et d’un prêteur de dernier ressort, mais où le crédit était extrêmement diffus, la confiance nécessaire à cette diffusion était assurée par l’alliance d’une culture spécifique (qu’on l’appelle « honneur commercial », « culture du crédit » ou « culture du comptoir ») et d’institutions, « externes » au système, qui étaient des institutions judiciaires dévolues au traitement des litiges innombrables suscités par un endettement généralisé. Ces études mettent ainsi à jour un véritable système socio-économique fondé sur le crédit et l’endettement à l’époque moderne, le paradigme d’une économie d’obligation ou d’une culture du crédit.
12Cette démarche historique, initiée par deux modernistes, est féconde pour les médiévistes, dans la mesure où l’économie tardomédiévale partage des traits avec l’économie moderne, dans la mesure aussi où nombre des solutions juridiques sur lesquelles reposait le crédit moderne furent inventées dans le Moyen Âge finissant. Que l’on pense simplement à la rente constituée et à l’obligation.
13Damiel Lord Smail, dans l’ouvrage qu’il a consacré à la justice marseillaise entre le xiiie et le xve siècle, considère que les relations économiques et les inimitiés s’exprimaient à Marseille dans le langage de la créance et de la dette, que le don n’y était plus la métaphore fondamentale de l’échange, mais que c’est la relation créancier-débiteur qui était devenue la métaphore principale de l’échange, ce déplacement du don au crédit reflétant selon lui le fait que le monde économique de la fin du Moyen Âge avait été monétarisé depuis plusieurs siècles31. D’après lui, les relations de crédit étaient empreintes d’affects et les procès pour dette étaient un moyen approprié pour sanctionner ou humilier l’ennemi. Il établit une distinction entre le crédit impersonnel, professionnel, celui des créanciers juifs et des sociétés en commenda, d’un côté, et le reste des relations de crédit qui étaient selon lui autant des transactions économiques que des relations affectives et politiques, de l’autre : il retrouve en particulier dans les liens de crédit les allégeances aux factions qui divisaient la société politique marseillaise. La montée de la culture du marché aurait apporté une nouvelle métaphore transactionnelle, celle du crédit et de la dette, qui serait devenue le filtre à travers lequel les hommes interprétaient leurs relations. L’imprégnation d’une culture du crédit serait donc attestée dans la Marseille tardomédiévale.
14Que cette culture du crédit ou de l’obligation soit ou non à porter au crédit des médiévaux, soit ou non repérable dans les sources, l’évidence est que le bas Moyen Âge s’est doté de régulations externes au système de crédit. Le rôle assigné à la justice dans les études modernistes citées plus haut est en particulier suggestif. Le Paris de la fin du Moyen Âge était moins pourvu encore d’institutions de crédit fortes que ne l’était le Paris moderne : on ne trouve ni banques, ni monts-de-piété, dans le Paris du xve siècle. Mais il s’y trouvait une « juridiction gracieuse » pour authentifier certaines créances et une « juridiction contentieuse » pour traiter les litiges d’endettement. Cette juridiction gracieuse comprise comme l’ensemble des instances de validation des actes privés se mit en place très précocement dans l’Europe méditerranéenne autour des notaires publics et au cours du xiiie siècle, dans le nord du royaume de France, principalement autour des cours de justice ecclésiastiques, municipales et royales (tabellions et notaires). Ce mouvement de diffusion et d’institutionnalisation des instances de validation des conventions privées concerna toute l’Europe occidentale au xiiie siècle. L’énorme documentation notariale conservée pour l’Europe du Sud et pour certaines régions plus septentrionales a été déjà largement exploitée pour l’étude de l’endettement privé médiéval32. Quant à la « juridiction contentieuse », la rencontre de Flaran a suggéré l’idée que les justices médiévales, réputées faibles, avaient développé et mis à la disposition des créanciers, à partir du xiiie siècle, un arsenal de procédures et de mesures de contrainte contre les débiteurs. Philippe Schofield évoque le recours aux cours manoriales anglaises dès le xiiie siècle33, François Menant et Jean-Louis Gaulin le développement de l’endettement rural et du bannissement pour dette dans l’Italie communale du xiiie siècle34, Antoni Furió les poursuites lancées devant les justicia du royaume de Valence aux xive et xve siècles35. Parmi d’autres, les travaux de Jean-Louis Gaulin sur les registres de bannis pour dette de Bologne36, ceux de Christian Guilleré sur l’ostagium catalan, l’étude de Michel Hébert sur les registres de « lattes » provençaux37, enfin la vaste enquête menée notamment par Antoni Furió38 et Juan Vicente García Marsilla dans l’étonnante documentation issue des justicia valenciennes, montrent la mise au point d’un arsenal judiciaire civil nouveau, varié dans ses modalités et sa chronologie selon les régions, mais général et cohérent dans sa visée de régulation d’un endettement massif. À côté de cette enquête collective, d’autres travaux isolés aboutissent au même constat : nous pensons par exemple à l’étude faite par Philippe Cullus des « dons pour dettes faire avoir », ces archives comptables des justices du comté de Hainaut conservées à partir de 132839. Un nouveau traitement de l’endettement s’est mis en place, même si l’on est encore loin, sauf peut-être dans ce cas limite qu’est le royaume de Valence, de l’ubiquité apparente des cours anglaises sur les multiples relations d’endettement qui constituaient la société moderne. Ce nouveau traitement de l’endettement signifiait aussi une mission nouvelle pour la justice. Certes, partout les arrangements privés ont continué à régler bon nombre des litiges d’endettement. Mais le recours à la justice civile était désormais plus fréquent, même s’il devait déboucher sur un arrangement privé. Un tel recours, surtout là où il doublait une action de validation des contrats, instituait les justices en garant des dettes et tout particulièrement les juridictions royales dans le royaume de France. Source de profits pour la justice, il faisait du roi le garant ultime des conventions privées.
15L’intensité de la judiciarisation des relations de crédit à partir du xiiie siècle tend à valider la place assignée à la justice civile des États prémodernes et modernes dans l’histoire économique, par l’école de la New Institutional Economic History. Pour Douglass North, qui tente de penser la transition entre féodalisme et capitalisme, les marchés se développèrent quand les droits de propriété furent sécurisés et quand les coûts de transaction diminuèrent, c’est-àdire quand l’État devint un acteur majeur des sociétés40. L’État, par les institutions judiciaires et notariales qu’il développa à partir du xiiie siècle, assuma le rôle de contract enforcer, réduisit les coûts de transactions liés à l’incertitude, au risque. Stephen Epstein a donné une vision d’ensemble de cette histoire de la grande transition économique41. Selon lui, les institutions judiciaires étatiques mises en place à la fin du Moyen Âge, en créant les conditions d’une justice crédible et prévisible et en garantissant l’exécution des contrats, diminuèrent l’incertitude et l’insécurité et réduisirent les coûts de transactions. La notion de coûts de transaction permet ainsi de penser l’articulation entre l’institution judiciaire civile et le fonctionnement économique, de manière d’autant plus congruente pour l’époque médiévale que la séparation entre juridiction gracieuse (validation et authentification des dettes) et juridiction contentieuse (traitement des litiges) était loin d’être nette. Stephen Epstein considère en outre que le moment crucial de développement de ces institutions fut la crise des xive et xve siècles qui aurait vu, selon lui, un processus de « destruction créatrice42 ». Robert C. Palmer qui, une dizaine d’années auparavant, a étudié les effets de la Peste noire sur le droit anglais, considère déjà que les juridictions de common law avaient encouragé le recours à des instruments contractuels écrits lourdement sécurisés par un mode d’exécution rapide et sévère (penal bonds et performance bonds) après la Peste noire. L’opinion aurait exigé cette sévérité dans l’exécution des arrangements privés afin de stabiliser les relations de crédit et de renforcer des relations sociales ébranlées par le choc démographique43.
16Sous la dette, gît ainsi la question d’un pouvoir disciplinaire de l’État prémoderne : lieu nouveau d’exercice du pouvoir royal, l’endettement privé était non seulement l’objet possible d’une fiscalisation, mais aussi l’occasion de la création d’une relation nouvelle du roi à ses sujets, par-delà la relation seigneuriale dans laquelle ils continuaient d’exister. L’histoire de la justice contentieuse dans le royaume de France est donc aussi celle d’un assujettissement. La justice royale a assumé, à partir de jalons posés au cours du xiiie siècle, une fonction d’encadrement des pratiques du crédit. Pour saisir cette régulation institutionnelle, ses objectifs et son efficacité, l’attention est focalisée sur la sanction de l’endettement, c’est-à-dire sur la phase de l’exécution judiciaire des dettes. Cette sanction, nous le verrons, était solidaire de l’action royale en matière de validation des actes privés, qui est mieux connue. Du crédit, le regard est ainsi déplacé vers la dette. La justice royale ne connaissait pas le crédit en tant que tel, mais la dette, sous toutes ses formes : tout ce qui avait été promis, de quelque manière que ce soit, qu’il s’agisse de sommes d’argent ou de prestations en nature, de crédit mobilier, de contrats de travail, de contrats portant sur des biens immobiliers, de redevances seigneuriales, de rentes. Elle distinguait dette privée et dette publique : les dettes publiques dues au roi étaient privilégiées, l’action à leur encontre était spécifique. Elle distinguait encore dette réelle et dette personnelle, même si cette distinction tendit à se réduire au xve siècle.
Contrainte
17Un moment paroxystique du traitement judiciaire de l’endettement privé sert de point d’ancrage à cette étude : l’emprisonnement pour dette. C’est en effet un mode de poursuite des débiteurs qui fut promu par la justice royale, tout particulièrement à partir de la fin du xive siècle. On n’étudiera donc pas dans tous ses détails le traitement de l’endettement privé par la justice royale. Mais à partir d’une focalisation sur ce moment critique de la relation d’endettement, qui met à jour celle-ci ainsi que le rôle assumé par le roi et le juge royal, c’est une compréhension globale des principes qui guidaient ce traitement qui est visée. Il faut souligner d’emblée que cette focalisation laisse dans l’ombre un pan important du crédit médiéval, la rente, même si cette sphère du crédit reste un point de comparaison indispensable pour une juste appréhension du crédit qui a contrario donnait lieu à l’emprisonnement pour dette. C’est en deux mouvements parallèles que l’emprisonnement pour dette et la poursuite des débirentiers furent mis au point dans la juridiction du prévôt royal de Paris. Cependant, l’existence de travaux historiques sur les rentes parisiennes, sur leurs principes juridiques44, sur leur fonctionnement pratique dans le crédit parisien45, comme sur le traitement judiciaire des débirentiers46 justifie la relégation de ce thème. En revanche, l’emprisonnement pour dette, dans sa logique judiciaire et dans son rôle spécifique à l’égard du crédit mobilier, a été négligé47.
18La prison pour dette a une définition stricte. Elle peut se définir par sa fonction. À strictement parler, la prison pour dette n’est pas une peine : c’est un mode de coercition sur le débiteur défaillant, qui a pour but la satisfaction du créancier lésé. L’emprisonnement est un moyen de contrainte corporelle sur les débiteurs parmi d’autres. Le Moyen Âge connaissait des moyens de contrainte non corporelle, comme l’excommunication pour dette ou comme cette curieuse pratique des « sergents garnisaires », encore attestée dans le Paris du xve siècle48, et qui poursuivait celle des « gardes manjans » signalée à la fin du xiiie siècle par Beaumanoir49. La contrainte par corps, sauf dans sa version occidentale contemporaine, ne se confond pas historiquement avec la prison pour dette : le travail forcé et le bannissement en sont deux autres traductions possibles. Si l’emprisonnement n’est qu’une forme de contrainte par corps parmi d’autres, inversement la contrainte par corps n’est qu’une des fonctions possibles de l’incarcération des débiteurs, dont les plus marquantes sont les suivantes :
- un débiteur pouvait être incarcéré de façon préventive, au Châtelet de Paris, au xve siècle, en même temps que son créancier, si celui-ci n’avait pas apporté de preuve suffisante de sa créance ;
- un débiteur pouvait faire « munition » ou « garnison » de son corps en prison, en l’absence de biens meubles, afin d’être reçu à opposition contre une exécution entamée contre lui50. C’était une simple mesure conservatoire ;
- un débiteur pouvait aussi être incarcéré pour « payer », par une peine de prison, une dette particulière, née ex delicto, c’est-à-dire une amende, à ce créancier particulier qu’était le roi. C’était alors une mesure pénale de substitution, la peine de prison se substituant à l’amende pour les délinquants condamnés qui étaient insolvables. Il s’agit là d’une des premières formes d’emprisonnement pénal dans le royaume de France.
19On souhaite démontrer ici que le roi de France a mis en place, à la fin du Moyen Âge, la prison pour dette civile privée, dans ses juridictions, système public de contrainte par corps exercée sur les débiteurs ; ce choix décisif accompli par l’État capétien au début du xive siècle fit ressentir ses effets jusqu’à l’abolition de la contrainte par corps pour dettes civiles et commerciales par la loi du 22 juillet 186751. Le Châtelet de Paris a vraisemblablement tenu lieu de laboratoire d’expérimentation et de modèle. Toutefois, la prison pour dette n’était nullement le monopole des juridictions royales : elle était un mode de contrainte sur les débiteurs très répandu, avant que le roi n’en fasse un outil préférentiel de la poursuite des débiteurs dans ses juridictions. Mais la fréquence de la prison pour dette a été minorée par l’historiographie.
20La lecture des ouvrages historiques qui évoquent la prison pour dette au Moyen Âge ne laisse pas de surprendre. Si, d’un côté, les historiens de la prison conviennent du caractère fréquent de la contrainte par corps à la fin du Moyen Âge, d’un autre côté, tout un courant de l’histoire du droit des obligations conclut à son recul52. Olivier Martin observe un silence prudent sur la question. Seul Jean Yver affirme sans détour sa diffusion en Normandie à la fin du xiiie siècle. Enfin, Michel Lacave affirme, dans un article pionnier sur la cession de biens, que « le problème [de la prison pour dette] mériterait incontestablement une étude très approfondie » et que la prison pour dette est attestée tant dans la littérature juridique (Pierre Jame, Jean Faure, Angelus Aretinus), que dans les textes statutaires méridionaux (Avignon, Comtat, Barcelone, Rome)53. Un autre courant de l’histoire du droit – non l’histoire du droit des obligations, mais l’histoire du droit de la prison – reconnaît cette pratique comme fréquente, mais sans s’y arrêter54. Cet oubli de la prison pour dette médiévale est d’ailleurs plus général. En effet, si les historiens de la prison mentionnent en passant l’existence de prisonniers pour dette dans les prisons médiévales, modernes et dans celles du premier xixe siècle, il est frappant de constater que ces prisonniers n’ont qu’exceptionnellement attiré l’attention des chercheurs, alors qu’ils pouvaient représenter un cinquième des détenus au xve siècle comme au xviiie siècle. On considère en général que la promotion de la peine de prison par la Révolution procéda à un aggiornamento de la législation, les peines de prison devenant de plus en plus nombreuses dans les dernières décennies du xviiie siècle. Dans ces mêmes décennies où les prisons voyaient affluer les criminels purgeant une peine, elles se gonflaient aussi de débiteurs, révélant selon les mots de Jacques-Guy Petit un « goût de l’internement » et une « manie de l’emprisonnement55 ». Or, à la différence de la croissance du nombre des peines de prison, cette croissance du nombre des emprisonnements pour dette à la fin de l’Ancien Régime n’a pas été commentée. De manière significative, l’abolition de la prison pour dette civile en 1867 a été escamotée par les ouvrages de synthèse sur l’histoire de la prison moderne et contemporaine, alors même qu’elle fut l’objet d’un débat permanent à partir de la Révolution, qu’elle fut abolie provisoirement par la Convention en 1793, rétablie en 1797, maintenue par le Code civil, puis à nouveau provisoirement abolie par la IIe République en mars 184856. De ce point de vue, l’histoire de la prison pour dette a pâti de la focalisation de l’historiographie française postfoucaldienne sur la prison pénale née de la Révolution ou sur les pénalités alternatives comme les galères et le bagne. Avant le xixe siècle, la prison ne servait pas seulement à « surveiller et punir », mais également à « contraindre » et c’est cette fonction qu’il s’agit ici d’explorer. Rappelons qu’aujourd’hui encore la prison pour dette civile existe dans bien des pays, aux États-Unis par exemple, et qu’en France la loi reconnaît encore à un créancier, l’État, le droit de recourir à la contrainte par corps pour recouvrer certaines créances.
21L’histoire du droit des obligations s’est longtemps tenue à l’idée d’une disparition pure et simple de la prison pour dette, à partir du xiiie siècle. Ainsi, Adhémar Esmein écrivait-il, en 1883, dans ses Études sur les contrats : « Au xiiie siècle en France, la contrainte par corps n’est plus en général un attribut naturel des créances57. » Henri Beaune, en 1889, affirmait la même idée d’une autre manière : « La contrainte par corps n’est plus en France au xiiie siècle une voie ordinaire d’exécution58. » Le premier faisait apparemment référence aux clauses de sûreté des contrats (« attribut naturel des créances »), le second aux voies d’exécution proprement dites. Les deux auteurs s’accordaient sur le recul de la contrainte par corps au xiiie siècle.
22L’explication de ce recul tient, pour les deux auteurs, à la diversification des clauses de sûreté et des voies d’exécution, au xiiie siècle. Esmein considère que la contrainte par corps était, à partir du xiiie siècle, une garantie de moins en moins exigée par les créanciers, du fait de l’extension des sûretés réelles, en particulier de l’introduction et de la généralisation de l’engagement des immeubles comme garantie des créances. Auparavant, l’ancien droit ne tolérait que l’exécution sur les biens meubles et sur la personne. Il établit un lien direct entre cette pratique de l’engagement des immeubles et le recul de l’obligation de corps. Beaune considère que la contrainte par corps était en recul, parmi les voies d’exécution offertes au créancier. Il y voit un trait « qui adoucit la condition du débiteur, comme la procédure de la cession de biens introduite par Saint Louis l’avait déjà améliorée ». À partir du dernier quart du xiiie siècle, les règles relatives à la responsabilité du débiteur se seraient donc stabilisées avec l’avènement de l’hypothèque et auraient rendu caduques les formes d’exécution touchant au corps.
23Ce canevas d’explication, qui repose sur le principe du caractère alternatif des modes d’exécution sur le débiteur – exécution sur la personne ou exécution sur les biens –, fut conservé dans bien des études du siècle suivant. Paulette Portejoie, l’éditrice de L’ancien coutumier de Champagne, parvient à la même conclusion : selon elle, à la fin du xiiie siècle, la contrainte par corps était limitée et considérée comme un « moyen exceptionnel » dans la plupart des coutumes59. Roger Aubenas, qui convient pourtant du fait que la contrainte par corps était un moyen ordinaire employé par les cours rigoureuses en Provence, évoque un « déclin de la contrainte par corps » pour le xiiie siècle. Le schéma explicatif dû à Esmein se retrouve encore sous la plume de Pierre Timbal, pour la fin du Moyen Âge : « La tendance à considérer la contrainte par corps comme une voie subsidiaire s’accentue de façon générale au cours du xive siècle60. » La contrainte par corps serait ainsi une voie d’exécution subsidiaire à cette époque, et non plus une voie commune. L’auteur retrouve l’alternative entre exécution sur les immeubles et exécution sur le corps, conçue par Esmein, et conclut à une succession chronologique entre les deux modes prépondérants d’exécution : « Au Moyen Âge, la contrainte par corps n’est plus qu’un moyen de pression, mais fort efficace, surtout à l’époque où la saisie immobilière n’est pas encore couramment admise, pour obtenir que le débiteur se libère en aliénant ses biens ou que d’autres interviennent pour payer à sa place61. »
24Ce maillon logique qui explique, pour bien des historiens du droit, le recul de la prison pour dette aux xiiie et xive siècles, suscite quelques réserves. Il postule que l’exécution sur la personne ne se justifie plus si l’exécution sur les biens immeubles est légale. Jean Yver, dans son étude des contrats normands, qui portait précisément sur ce xiiie siècle, procède à l’inversion de ce postulat. Il constate la « vogue nouvelle de la contrainte par corps » en Normandie, au xiiie siècle et avance l’explication suivante : elle aurait été le meilleur moyen pour contraindre le débiteur à vendre ses immeubles62. Autrement dit, la vogue de la contrainte par corps aurait été une conséquence directe de celle de l’exécution sur les immeubles. Les deux voies d’exécution n’auraient pas revêtu un caractère alternatif, mais, bien au contraire, un caractère complémentaire.
25Olivier Martin, dans le chapitre qu’il consacre aux voies d’exécution dans la coutume parisienne, ne se hasarde à aucune évaluation de la fréquence de l’emprisonnement pour dette63. Il a eu en effet recours aux registres des causes civiles, ainsi qu’aux styles du Châtelet, à l’exclusion du registre d’écrous de 1488-1489. Il relève toutefois les multiples catégories de créances ouvrant droit à l’« exécution sur la personne64 ». Il formule aussi l’hypothèse que l’exécution sur les immeubles était la conséquence directe de l’obligation générale ou spéciale65, qui s’était généralisée dans la deuxième moitié du xiiie siècle avec les lettres de Châtelet, époque de laquelle il date aussi les premières obligations du corps des débiteurs principaux.
26Si l’on se réfère aux juristes médiévaux, la logique des voies d’exécution n’était pas simple. Pour Jean Boutillier, qui écrivait à l’extrême fin du xive siècle et qui est un bon témoin des pratiques de la France du Nord, le choix de la voie d’exécution sur le débiteur dépendait de la nature de l’obligation contractée. Selon lui, si le débiteur n’avait pas engagé son corps dans l’obligation, l’exécution s’en prenait en priorité aux biens meubles et im meubles du débiteur. Si ces biens s’avéraient insuffisants, le débiteur pouvait alors être emprisonné. En revanche, si le débiteur s’était obligé à tenir prison, le recours à la prison pouvait intervenir d’emblée, dès le début de l’exécution66. Jehan des Marès, son contemporain parisien, affirmait le même principe67.
27L’argument principal en faveur de l’idée d’un recul de la prison pour dette – le caractère alternatif de l’exécution sur les immeubles et de l’exécution sur la personne – est donc faible. Il achoppe sur l’existence de l’obligation corps et biens : c’est sans doute pour avoir négligé cette pratique typique de la fin du Moyen Âge que les historiens précédemment cités ont conclu à un recul de la prison pour dette68.
28Le traitement de la prison pour dette médiévale révèle une seconde confusion, entre deux fonctions possibles de l’enfermement des débiteurs : enfermement pénal des insolvables et contrainte jusqu’à paiement des débiteurs solvables. De ce point de vue, la pertinence de la notion juridique d’exécution sur la personne est problématique. La contrainte par corps est fréquemment présentée comme une modalité médiévale de l’exécution sur la personne, au même titre que l’excommunication. L’« exécution sur la personne » signifie que l’on procède au règlement de la dette sur la personne même du débiteur, celle de contrainte par corps signifie que l’exécution du contrat est recherchée par une contrainte exercée sur le corps du débiteur. À strictement parler, l’expression « exécution sur la personne » signifierait donc que l’on puisse considérer la dette comme réglée, le créancier comme satisfait, par une sorte de paiement sur la personne. La chose n’est pas impossible en soi, mais elle n’a alors rien à voir avec la simple coercition ou contrainte exercée sur quelqu’un pour qu’il accomplisse son devoir. Il y a des sociétés qui connaissent ce paiement sur la personne du débiteur : en particulier, par la réduction en esclavage69 ou par la mise à mort du débiteur70, la personne payant ainsi par elle-même une dette. L’emprisonnement pour dette semble d’ailleurs avoir coexisté, dans une même société, avec l’esclavage pour dette. Cela aurait été le cas dans les droits cunéiformes, dans lesquels l’esclavage pour dette apparaît comme l’ultime solution pour le débiteur afin de se libérer de sa dette71. Dans la Rome antique, la prison pour dette équivalait apparemment à une servitude pour dette, le débiteur étant détenu dans le carcer privatus de son créancier et réduit à un état de sujétion72. Les débiteurs du fisc pouvaient y être soumis à une détention coercitive. Parce que les historiens présentent comme une dérive de ce système, l’Égypte du ier siècle de notre ère aurait été le lieu d’un développement d’une contrainte publique à l’égard de débiteurs de créanciers privés : le fisc était intéressé à l’exécution des contrats privés auxquels une amende était associée73. L’Évangile de Matthieu évoque aussi une configuration mixte : dans la parabole du débiteur impitoyable, le débiteur du roi est menacé d’une vente en esclavage, avant de traîner son propre débiteur en prison, et d’être lui-même livré aux tortionnaires jusqu’à remboursement74. Moses Finley a vu la naissance de l’emprisonnement pour dette dans le monde hellénistique, à une époque où reculait la servitude pour dette75. On repère ainsi un mouvement parallèle dans les civilisations grecque et romaine, qui auraient vu s’effacer au fil des siècles l’esclavage pour dette et auraient conservé, comme à titre de relique, l’emprisonnement pour dette, devenu progressivement un emprisonnement coercitif. Que l’on ait du mal à retracer le détail de cette évolution ne change rien au fait qu’entre les deux stades, il y a plus qu’une différence de degré, mais bien une différence de nature : la détention pour dette jusqu’à paiement n’est pas une réduction en esclavage, même si, lorsqu’elle s’exerce au domicile du créancier ou lorsqu’elle s’accompagne d’un travail forcé, elle tend à lui ressembler76.
29Dans la société du Moyen Âge tardif occidental, ni l’asservissement pour dette, ni a fortiori la mise à mort du débiteur ne sont attestés. Au contraire, on était alors horrifié à l’idée qu’un débiteur pût mourir en prison. Ce sentiment justifia notamment l’adoption de la cession de biens, qui permettait à l’insolvable de sortir de prison ou de l’éviter. Certes, on a pu relever dans des périodes de profonde récession des cas de chutes dans la dépendance du fait de l’insolvabilité. Mais il s’agit d’autodéditions de paysans à des églises créancières77. Certes, l’exécution sur la personne stricto sensu semble avoir été connue au haut Moyen Âge. Les cas d’esclavage pour dette les mieux attestés pour cette période se rapprocheraient de mises en gage, selon Alain Testart78. Adhémar Esmein a commenté cette exécution sur la personne, que connaissaient « la coutume germanique », c’est-à-dire le droit du haut Moyen Âge, et la législation capitulaire carolingienne : l’exécution sur la personne était appliquée, par la mise à mort ou la réduction en esclavage du débiteur, dans le cas, très particulier, de la composition due par l’auteur d’un homicide79. L’exécution sur la personne, d’après les textes législatifs du haut Moyen Âge, n’est attestée que pour des dettes nées ex delicto, comme le reconnaissait Esmein80. Pourtant, le même auteur ne confond pas la contrainte par corps du xiiie siècle81, exercée notamment à l’encontre du plège, et cette ancienne exécution sur la personne. Henri Beaune considère la contrainte par corps comme « une voie d’exécution » (en voie de disparition au xiiie siècle), non comme une exécution sur la personne. Jean Yver emploie l’expression « exécution sur la personne » fréquemment et semble même glisser de l’emprisonnement pour dette à l’exécution sur la personne et de l’exécution sur la personne à la contrainte par corps82. Ces glissements sous sa plume pourraient s’expliquer par les spécificités du droit normand : la saisie du corps y était, d’après les coutumiers, un privilège des créances royales et un mode, pénal, d’exécution des jugements en certaines matières civiles. Yver insiste au contraire sur le caractère éminemment pénal de l’exécution sur la personne, qui servait à la sanction d’affaires criminelles. Le terme d’exécution renvoie donc ici non à la procédure d’exécution des obligations, mais à l’exécution des jugements83. Il évoque ensuite la diffusion de l’emprisonnement pour dette, à la fin du xiiie siècle, en Normandie : il n’emploie plus l’expression « exécution sur la personne », mais s’en tient à l’« emprisonnement pour dette » et à la « contrainte par corps84 ». En revanche, la conclusion de ce chapitre consacré à l’emprisonnement pour dette a confondu finalement « exécution sur la personne », « saisie de la personne », « contrainte par corps » et « sanction des obligations »85. Olivier Martin, dans le chapitre qu’il a consacré aux voies d’exécution dans le droit parisien ancien, confond aussi exécution sur la personne, emprisonnement pour dette et contrainte par corps, mais il a eu soin de préciser aussitôt que l’« emprisonnement du débiteur ne donne aucune satisfaction réelle au créancier » et qu’il n’était « qu’un moyen de contrainte86 ». C’est cette confusion qui se retrouve insensiblement sous la plume de Roger Grand87, puis dans l’ouvrage dirigé par Pierre Timbal. En revanche, la synthèse récente de Jean-Philippe Lévy et André Castaldo manifeste le souci de distinguer nettement la contrainte par corps médiévale et l’exécution sur la personne, même si les pages qu’elle consacre à l’emprisonnement pour dette sont rangées sous le chapeau « l’exécution sur la personne après le droit romain88 ».
30Certes, le Moyen Âge tardif usait d’une expression proche, sans doute par un emprunt lexical au droit romain. Dans l’« ordre de plaidoier » des frères Maucreux, qui a inspiré les juristes parisiens de la fin du xive et du xve siècle, l’exécution sur la personne n’était pas séparée de l’exécution sur les biens :
Affin que execucion soit faite en et sur la personne et biens de Martin etc. jusques a telle somme sic demourer de plus grant somme contenant en la lettre que ledit Jehan requiert et a requis estre mis a execucion, affin que ledit Martin soit contrains par vous de paier et de rendre audit Jehan ladite somme selon ce que ledit Martin se obliga par la teneur desdites lettres lesquelles sont en main de justice pour le debat des parties et que ladite execucion soit faite sicome raison donra et sicome coustume veult89.
31On peut aussi se reporter au chapitre « De l’exécution des lettres » du coutumier de Jacques d’Ableiges : on y trouve l’expression « exécution sur le/contre le/du debteur/obligé », mais jamais dans le cadre d’une alternative théorique entre la personne et les biens. La voie d’exécution était distinguée de la voie d’action personnelle, de la voie d’arrêt ou encore de la déconfiture. Mais la voie d’exécution ne se subdivisait pas en exécution sur les biens et exécution sur la personne : il n’y avait qu’une voie d’exécution, sur la personne et sur les biens, qui cherchait à atteindre le paiement en monnaie, notamment par l’exercice d’une contrainte sur le débiteur qui le forçait à trouver les moyens de ce paiement en monnaie. Il n’était donc d’exécution que sur les biens. Une version de ce coutumier datant du xve siècle pose même comme catégorie englobante, non l’exécution, mais la contrainte :
Nota que par la coustume ung achatteur de gages apres les nuiz peut estre contraint par execucion de ses biens et emprisonnement de sa personne posé que le principal debteur ne seroit point obligié son corps, ita vidi90.
32On ne saurait mieux dire que l’exécution sur les biens était une voie de contrainte, au même titre que l’emprisonnement de la personne, pour obtenir le paiement de la dette. L’exécution n’existait que sur les biens et l’emprisonnement était une simple voie de contrainte.
33Cependant, un débiteur emprisonné avança au Parlement, en 1377, une coutume notoire selon laquelle le créancier qui avait fait exécution sur les biens ne pouvait ensuite requérir « execucion sur le corps de l’obligé ». Or la cour lui donna tort91, montrant ainsi l’unicité de l’exécution, qui visait à atteindre le paiement par une vente des biens et, au besoin, par une contrainte exercée sur le corps. Ainsi, sous l’emprunt fait par les médiévaux au lexique romain se cache une profonde transformation du sens de l’expression empruntée.
34Pour clore ces remarques sur l’histoire du droit de la contrainte par corps, il n’est pas sans intérêt de relever que la tradition historiographique ici résumée remonte visiblement à l’affirmation d’Adhémar Esmein et que celle-ci doit vraisemblablement être replacée dans le cadre étroit d’un débat, scientifique, qui l’opposait à Ernest Glasson. Ce dernier, professeur de droit civil, avait fait paraître en 1881 un article dans la Revue d’histoire du droit français et étranger portant sur les origines de la procédure civile française, dans lequel il affirmait notamment que le droit canon avait contribué à faire reculer, dans la France médiévale, l’usage de la contrainte par corps, qui était encore au xiiie siècle « de droit commun » : « La contrainte par corps fut, même en matière civile, admise de droit commun contre tout débiteur roturier, dès que ses biens n’avaient pas suffi à satisfaire ses créanciers92. » L’article en question, émaillé de propos antigermaniques, exaltait, face à l’archaïsme de l’ancienne procédure féodale, dont le formalisme était attribué à son caractère germanique, l’« immense supériorité de notre procédure civile », « procédure vraiment française », prétendument issue du remplacement de l’élément germanique par l’élément canonique et romain et de la décisive action royale. Or, dans cette autocélébration nationaliste93, il n’est pas impossible qu’Ernest Glasson ait pourtant émis une idée juste sur la fréquence de la contrainte par corps à la fin du Moyen Âge, dont il situait le déclin dans la période moderne, déclin manifesté par l’ordonnance royale de 1667 et transposé dans le code de procédure « qui n’est, en réalité, qu’une édition améliorée de la grande œuvre de Louis XIV ». Il n’est pas impossible que ce débat qui opposait d’éminents juristes dans les années 1880, une quinzaine d’années après l’abolition de la contrainte par corps en France et dans un climat de vif ressentiment antigermanique, ait quelque peu obscurci la vision du phénomène médiéval.
35Par ce long développement sur la notion d’exécution sur la personne, nous avions pour but de montrer que l’idée d’un recul de la contrainte par corps à la fin du Moyen Âge, telle qu’elle était avancée par tout un courant de l’histoire du droit des obligations, n’était nullement étayée. La confusion entre exécution sur la personne et contrainte par corps est peut-être responsable en partie de cette idée de recul : si la contrainte par corps n’était certainement pas en recul, l’exécution sur la personne, au sens strict de l’expression, l’était assurément. Sous les contradictions de la bibliographie juridique se niche la question de la nature de l’emprisonnement médiéval des débiteurs : était-ce une forme de contrainte par corps pour le débiteur récalcitrant ou bien une forme de sanction pour le débiteur insolvable94, quelle fonction assignait-on à cet emprisonnement ? L’histoire du droit des obligations, écrite après l’abolition de la prison pour dette civile en France, semble ainsi avoir été victime d’une sorte d’oubli d’un premier âge de la prison pour dette, lié à la notion d’obligation du corps.
36L’évocation qui a été faite des sociétés anciennes, dont le Moyen Âge occidental se considérait comme l’héritier, Rome antique et société néotestamentaire en particulier, invite cependant à considérer que ces modèles, qui avaient institué puis dévalué l’exécution sur la personne, ont pu inspirer aux médiévaux une méditation et une réaction en retour. Sous la romanisation du lexique, les emprunts au droit romain étaient ainsi sélectifs : il s’agit principalement du monopole de la contrainte par corps pour les créances publiques et de la cessio bonorum. La parabole du débiteur impitoyable pouvait, de la même façon, être interprétée comme une dévaluation de la contrainte par corps entre privés, comme un appel à la vertu de patience du créancier et comme une légitimation de la contrainte par corps pour les créances publiques. Cette sélection impliquait pourtant l’existence de la référence à cette exécution sur la personne, qui demeurait comme le souvenir d’un ancien âge du traitement des débiteurs.
37Il faut donc relativiser l’idée en apparence logique d’une alternative fondamentale entre les deux voies d’exécution sur les biens et sur la personne. Cette idée sous-tend un des topoi les mieux ancrés de l’histoire de la prison pour dette : la prison pour dette aurait été largement répandue à l’époque moderne et contemporaine en Angleterre et aux États-Unis, car la saisie du corps aurait été plus facile que la saisie des biens dans des sociétés ayant en quelque sorte sacralisé la propriété individuelle, alors que la prison pour dette aurait été rare en France et dans le Canada français. La dureté du système de sanction de l’endettement aurait ainsi assuré le développement précoce du marché du crédit en Angleterre et aux États-Unis, tandis que des institutions de crédit plus favorables aux débiteurs en France auraient affecté l’efficacité du crédit. De fait, le large emploi de la prison pour dette est ancien en Angleterre et c’est même un fait qui était connu des magistrats parisiens du Châtelet médiéval. Pour autant, cette facilité de l’accès au corps des débiteurs est-elle le signe d’une société qui protégeait mieux les biens que les corps ou d’une société dans laquelle la justice se voyait reconnaître un pouvoir très étendu sur les corps des sujets ? La précocité et la force de la royauté anglaise ne sont-elles pas pour quelque chose dans la diffusion de la prison pour dette ? La prison pour dette n’est ni une spécificité du monde anglo-saxon, ni une relique de l’ordre industriel, capitaliste et victorien, ni une sanction de la pauvreté dont le droit français se serait très tôt défait. L’abolition française ne précéda que de deux ans l’abolition anglaise et la France a longtemps été, comme l’Angleterre et comme bien des pays européens, de ces sociétés qui établissaient, par cette légalité d’un enfermement pour dette civile et commerciale, une continuité entre le corps et les biens. Le partage entre les systèmes de crédit français et anglo-saxons semble ainsi trop simple.
38Dans le royaume de France, la prison pour dette médiévale était d’abord conventionnelle. Elle était la sanction d’une obligation du corps du débiteur. Lier les corps : c’est cette dimension proprement médiévale de l’emprisonnement pour dette que nous nous proposons d’explorer. L’attachement des corps des hommes à la terre fondait la domination seigneuriale. Un pouvoir étendu sur le corps des hommes définissait la servitude. Avec l’obligation du corps et l’emprisonnement pour dette, s’affirmaient à la fois la liberté pour les hommes de lier eux-mêmes leurs corps et la possibilité pour le roi de nouer ce lien en lieu et place du seigneur. La pratique parisienne ne différait pas en cela de celle d’une bonne partie du royaume à la même époque.
39À la fin du Moyen Âge, c’est à une diffusion de l’obligation du corps et de l’emprisonnement pour dette que l’on assista dans le royaume de France. Ainsi, d’après les registres de comptes de châtellenie conservés, les prisonniers pour dette représentaient-ils un cinquième des prisonniers de la châtellenie d’Arras dans la première moitié du xve siècle95. Les quelques historiens qui ont écrit sur la prison médiévale conviennent du caractère massif de la prison pour dette à la fin du Moyen Âge. Mireille Vincent-Cassy pense que la majorité des prisonniers de l’époque l’étaient pour dettes impayées96. Pour Annick Porteau-Bitker, l’emprisonnement coercitif était largement pratiqué et concernait vraisemblablement la majorité des détenus97. Leur proportion était de 13 % au Châtelet en avril-mai 1412, d’après les feuillets restant du registre d’écrous98. Elle était proche du cinquième au Châtelet de juin 1488 à janvier 1489, d’après le dépouillement du registre d’écrous du Châtelet pour cette période. Si l’on s’intéresse non au nombre de prisonniers, mais au nombre d’écrous pour dette – ces statistiques étant biaisées par le fait que les prisonniers pour cas criminels étaient fréquemment arrêtés en groupe tandis que les débiteurs étaient pour l’essentiel arrêtés individuellement –, les chiffres de la prison pour dette gonflent. Au Châtelet, la proportion d’écrous pour dette était ainsi de 25 % en 1412 et d’un tiers en 1488-1989. En fait, la rareté des registres d’écrous d’époque médiévale empêche d’obtenir une idée précise de la diffusion de la prison pour dette99. Il semble cependant difficile de s’en tenir à l’idée de son recul. Les arrêts du Parlement recensés par Pierre Timbal, qui mentionnent la prison pour dette, attestent sa pratique au xive siècle, à Paris, à Mantes, en Touraine, dans les villes d’arrêt comme Amiens et Abbeville, à Lille, à Troyes, à Montpellier100.
40Le simple examen de la littérature coutumière invite à réévaluer la diffusion régionale de la prison pour dette. Les coutumiers des xiiie et xive siècles se montrent rétifs à la contrainte par corps, à l’exception de l’ouvrage de Beaumanoir. Ceux de la fin du xive et du xve siècle le sont moins. La plupart des coutumiers des xiiie, xive et xve siècles mentionnent la pratique de la contrainte par corps : dès qu’ils consacrent des développements aux obligations et voies d’exécution, celle-ci apparaît101. Pour la Normandie, Jean Yver a rendu compte du silence des coutumiers du xiiie siècle, le Très ancien coutumier de Normandie et le Grand coutumier de Normandie (Summa de legibus Normannie in curia laicali), qui contraste avec les mentions, nombreuses dans les sources judiciaires, d’une pratique en expansion. En revanche, les coutumiers étudiés consacrent à cette institution des développements variables, de sorte que la pratique de l’emprisonnement pour dette stricto sensu n’y apparaît pas toujours clairement. Ainsi, L’ancien coutumier de Champagne datant de la fin du xiiie siècle évoque la manière dont un sergent devait saisir le corps d’un homme, sans qu’aucun contexte de dette ne soit précisé102. Le Conseil à un ami de Pierre de Fontaines ne fait qu’une brève mention de la contrainte par corps dans le chapitre consacré aux « convenances », sous la forme d’une prison privée requise par le créancier appelé « userers103 », pratique qu’il réprouve. Ailleurs, la prison pour dette apparaît toujours comme une pratique connue, à laquelle la coutume s’attache à apporter des limites. Si le coutumier de Picardie du début du xive siècle ne la mentionne pas, l’ancienne coutume d’Amiens, œuvre d’un particulier qui date de la première moitié du xiiie siècle, proscrivait la prison pour dette à l’égard des membres de la commune et attestait, avec un certain détail, sa pratique à l’encontre des autres justiciables104. De la même manière, la prison pour dette n’apparaît pas dans le Vieux coutumier de Poitou, mais dans l’autre coutumier poitevin qu’est le Livre des droiz.
Tableau 1 — Références à la prison pour dette dans la littérature coutumière du nord de la France105
Titre du coutumier | Auteur | Date | Région d'origine | Références à la prison pour dette |
Ancien coutumier de Bourgogne | fin xiie-début xiiie siècle | Bourgogne | aucune | |
Coutume ancienne d’Amiens | première moitié du xiiie siècle | Amiens | art. 1 et 75 | |
Conseil à un ami | Pierre de Fontaines | Vermandois | XV, 87, p. 157-158 | |
Li livres de jostice et de plet | vers 1260 | Orléans | I, 4, 23, p. 24 | |
Établissements de Saint Louis | 1272-1273 | Orléans | livre I, § 127 ; livre II, § 22 et 37 | |
Coutumes de Beauvaisis | Philippe de Beaumanoir | 1279-1283 | Beauvaisis | § 696, 1030, 1538, 1539, 1599 |
Ancien coutumier de Champagne | fin xiiie siècle | Champagne | article 24 : contrainte par corps | |
Coutumier d’Artois | fin xiiie siècle | Artois | titre IV « de ciession faire », p. 29 | |
Liber practicus de consuetudine Remensi | fin xiiie siècle | Reims | article 25 | |
Ancien coutumier de Picardie | 1300-1323 | Picardie | aucune | |
Très ancienne coutume de Bretagne | vers 1320 | Bretagne | § 310, p. 289, § 311, p. 289, § 314, p. 291 | |
Livre Roisin | 1349 | Lille | § 63 (prise du corps), 65-66 (déchéance de bourgeoisie, conditions) | |
Le livre des droiz et commandemens d’office de justice | deuxième moitié du xive siècle | Poitou | no 218 | |
Coutumier bourguignon | fin xive siècle | Bourgogne | p. 70, § 94 p. 128, § 166 p. 164, § 278 p. 234. | |
Somme Rural | Jean Boutillier | 1393-1396 | France du Nord | Livre II, titres XX (p. 799-802) et XXX (p. 826) |
Practica forensis | Jean Masuer | début xve siècle | Auvergne | chapitre des exécutions et subhastations |
Titre du coutumier | Auteur | Date | Région d’origine | Références à la prison pour dette |
Ancien coutumier du pays de Berry | 1312-1440 | Berry | obligation du corps p. 896 chap. CLV | |
Coustumes des pays de Vermendois | 1448 | Vermandois | aucune | |
Vieux coutumier de Poictou | fin xve siècle | Poitou | aucune |
41Le cas bourguignon est bien connu, à la fois grâce à l’édition du coutumier bourguignon de la fin du xive siècle et grâce aux travaux de Thierry Dutour, de Robert Kohn et de Philippe Didier sur les archives notariales106. À Dijon, les sources notariales du xive siècle, étudiées par Thierry Dutour107, révèlent l’existence de l’engagement du corps dans les clauses de garantie. Selon Robert Kohn, qui a étudié les mêmes sources notariales dijonnaises mentionnant des créanciers juifs, si l’obligation du corps est fréquente dans ces créances, les mentions de contrainte par corps sont en revanche rares108. Toutefois, les sources notariales ne rendent compte de ces recours à la contrainte par corps que dans la mesure où le débiteur avait signé un acte par lequel il s’engageait à fournir une caution, soit pour sortir de prison, soit pour éviter un emprisonnement109. Philippe Didier, qui a étudié les contrats de travail des archives notariales bourguignonnes, constate la fréquence de l’obligation du corps dans ceux-ci. Le Coutumier bourguignon glosé consacrait plusieurs articles à la prison pour dette, qu’il réservait aux créances du duc, aux créances emportant obligation corps et biens110 et aux pleiges. Il la souhaitait aussi « honnête et sûre111 ». Ce cas mieux documenté que les autres par des sources juridiques et notariales met en lumière l’écart entre une pratique qui accueillait assez largement l’obligation du corps et l’emprisonnement pour dette et une doctrine marquée par une évidente réticence. Cet écart signale la difficile acceptation de la prison pour dette à l’heure de sa diffusion.
42Ce tableau d’ensemble dressé à partir de la seule littérature coutumière peut être complété et doit être nuancé. En effet, si la prison pour dette se pratiquait couramment hors de l’Île-de-France dans la partie septentrionale du royaume et au-delà112, des régions entières ou des juridictions particulières semblent avoir privilégié d’autres voies de contrainte sur les débiteurs. C’est particulièrement net dans le sud du royaume113.
43Selon Roger Aubenas, la contrainte par corps était « un moyen ordinaire des cours rigoureuses » contre les débiteurs dans le Midi aux deux derniers siècles du Moyen Âge114. Toutefois, elle était loin d’être la voie d’exécution privilégiée. Il insistait sur une voie d’exécution typiquement méridionale, que la Provence a particulièrement connue aux xiiie et xive siècles : l’ostagium. Dans les créances provençales, le débiteur s’engageait le plus souvent à être ostagium, c’est-à-dire à rester à ses frais dans un lieu déterminé jusqu’à désintéressement du créancier. Il s’agit d’une « mise aux arrêts » privée, qui pouvait être requise même en l’absence de clause d’ostagium dans l’obligation contractée.
44Les travaux de Christian Guilleré ont montré que l’ostagium était pratiqué largement en Catalogne au xive siècle115. L’ostagium était la clause de sûreté la plus répandue dans les actes notariés de crédit de Gérone et il consistait en une assignation à résidence dans un quartier du bourg, à la fin du xive siècle. À la différence de la Provence, la Catalogne ne pratiquait apparemment pas concurremment la prison pour dette. L’ostagium était pratiqué également à Fribourg et dans le pays de Vaud à la même époque116. En revanche, d’après les travaux de Jean-Louis Gaulin, qui a étudié les registres de bannis pour dettes de la commune de Bologne au xiiie siècle, l’Italie communale semble avoir préféré le bannissement comme voie de contrainte sur les débiteurs. Dans les cas catalan et bolonais, la pratique privilégiée d’un mode de contrainte relèverait donc d’une option régionale.
45Le cas provençal se présente autrement : l’emprisonnement y était pratiqué par les cours rigoureuses, l’ostagium y était fréquent et l’excommunication pour dette y est également attestée. La Provence semble donc caractérisée par une profusion de voies d’exécution sur la personne, liée à la multiplicité des juridictions compétentes en matière civile. La pratique privilégiée d’un mode de contrainte relève ici d’une option juridictionnelle : à chaque juridiction, son mode de contrainte ! De la même manière, dans certaines villes allemandes, la prison pour dette voisinait avec des formes de contrainte proches de l’ostagium méridional117.
46Les villes de la France du Nord multiplièrent les voies de contrainte, à la manière provençale, à cette différence que le bannissement y était préféré à l’ostagium. Il y était un droit reconnu aux échevins118. L’ancienne coutume d’Amiens indique que la commune préférait, à l’emprisonnement, le bannissement pour dette119. Le bannissement pour dette mobilière était aussi pratiqué par la commune de Saint-Quentin en Vermandois, au xive siècle, comme les travaux de Sébastien Hamel le montrent120. Il s’agissait même, dans cette ville, du seul moyen de contrainte par lequel la commune pouvait agir contre les débiteurs, d’après une disposition d’un arrêt du Parlement de juillet 1362 sur la charte de commune de 1195. Le bannissement y était associé à l’abattis de la maison du condamné et à la confiscation de ses biens. Les quelques listes de bannis qui ont été conservées pour cette ville comportent toutefois, pour l’essentiel, des criminels. La juridiction royale à Saint-Quentin pratiquait, à la même époque, l’emprisonnement des débiteurs, tandis que l’excommunication pour dette était utilisée par l’évêque121.
47Ce bannissement coercitif des débiteurs est mentionné dans Li livres de jostice et de plet, qui fut écrit par un juriste orléanais vers 1260. Dans cet ouvrage, il apparaît comme la voie de contrainte exercée sur la personne du débiteur dans la coutume d’Orléans, contrairement au « droit », c’est-à-dire au droit romain de Justinien dont l’auteur s’inspire constamment :
Se aucun doit, et il ne puet, ou ait assez, et ne veaut paier, et s’anfuit, l’en demande se l’en doit le forbenir ? Et l’en dit que non, segont droit. Et segont la costume d’Orliens, s’il n’a riens et s’il ne puet paier, il aura terme de quarante jorz a soi paier ; et au terme, s’il ne se puet paier, il forjura la ville, jusque il se puisse paier. Et s’il a héritage, il aura licence de quarante jorz de vendre, et s’il n’a vendu dedanz ce, et ne se soit paiez, la jostice vendra, ou ele contraindra a vendre122.
48La suite du texte présente le bannissement des insolvables comme contraire à la « costume de l’ostel le roi » qui lui préfère un serment sur les saints123. Le débiteur était banni jusqu’à paiement. Les débiteurs qui, n’ayant pas payé à échéance, possédaient des biens immeubles, étaient contraints de les vendre. L’ouvrage mentionne ailleurs l’emprisonnement des débiteurs et l’exclut pour les débiteurs insolvables devant la justice royale :
Pierre se plaint au roi dou baillif d’Amiens qu’il l’avet mis en prison, parce qu’il devoit deners a un borjois de la ville, cum cil qui n’avoit nus biens don il ne peust paier. Li baillis fist contre l’establissement qui est tex que l’en ne puet tenir home en prison, qui n’a de quoi paier sa dete. Pierre empétra letres dou roi que s’il est issi, qu’il soit délivrez. Enten que l’en ne doit pas home nu despouiller124.
49On retrouve donc ici le schéma des options juridictionnelles en faveur de tel ou tel mode de contrainte. Cet ouvrage suggère aussi l’idée que la jurisprudence et la législation royales ont œuvré contre le bannissement des débiteurs dans le royaume de France. On ne saurait cependant conclure trop vite à un remplacement du bannissement par l’emprisonnement pour dette125. D’une part parce que les villes semblent avoir été de manière durable les principaux tenants de cette voie d’exécution qu’était le bannissement. D’autre part parce que dans Le livre de jostice et de plet, c’est le seul bannissement des insolvables qui est réprouvé par la justice royale, et non le bannissement des débiteurs en général. À Douai, le bannissement des débiteurs ne s’appliquait qu’aux débiteurs récalcitrants : ceux qui ne voulaient pas « faire loy » pouvaient être dans un premier temps privés de certains droits civils, notamment de la participation à la conclusion des paix, puis, dans un deuxième temps, s’ils ne s’étaient toujours pas exécutés après un délai de quarante jours, bannis « com laron et fuitiu ». Les « fuitius » étaient les débiteurs qui fuyaient la ville pour se soustraire à leurs obligations, et qui encouraient le bannissement s’ils ne revenaient pas à Douai pour payer leurs dettes126.
50Dans cette tentative de saisie des modes de contrainte exercés sur les débiteurs à la fin du Moyen Âge, des options régionales et juridictionnelles se font donc jour. Au total, ce qui frappe, c’est la profusion des modes de contrainte qui pouvaient s’exercer. La prison pour dette, appelée à devenir la voie de contrainte majeure, exercée par l’État royal, à l’époque moderne et au xixe siècle, s’est frayé un chemin dans cette profusion tardomédiévale. Paris, qui était dépourvu de commune, ne connaissait pas le bannissement pour dette. Le tribunal de la municipalité parisienne, le Parloir aux bourgeois, pratiquait aussi la prison pour dette. Le cas parisien est donc, apparemment, plus simple que d’autres : on y pratiquait l’emprisonnement pour dette dans les geôles royales et dans d’autres prisons, ainsi que l’excommunication pour dette. L’emprisonnement au Châtelet doit être aussi compris en regard de cette lacune : l’absence de juridiction communale et d’un mode de contrainte spécifique afférent. Toutefois, des formes dérivées de la prison y perduraient : la détention au domicile du créancier, l’assignation à résidence de prisonniers élargis « entre les quatre portes de Paris », qui ressemble fort à l’ostagium catalan ! Dans sa capitale, sur un panel de possibilités, le roi favorisa ce mode de contrainte.
Cerner la dette et la contrainte dans le Paris médiéval
51Cette étude s’inscrit dans une histoire de la dette, plus que du crédit, une histoire qui tire sa matière des conflits et non des ententes, une histoire qui fait le pari que le conflit est un puissant révélateur des logiques sociales à l’œuvre dans les sociétés passées. C’est aussi un paragraphe d’une histoire de la justice civile, qui demeure le parent pauvre de l’histoire de la justice. C’est enfin une petite partie de l’histoire de l’affirmation du pouvoir royal en France. Comme l’affirmait Jacques d’Ableiges à la fin du xive siècle, si le roi assumait la poursuite des débiteurs, comme leur grâce, par le répit, c’était affaire de souveraineté : « Aussi pour celle cause [en signifiance de sa noblesse et souveraineté] a le roy prison, et donne respit de debtes, et portent ses sergens verges parmi les terres des haults justiciers127. »
52Le choix du cas parisien est de ce triple point de vue instructif. Paris ne dispose pas des archives médiévales de ses notaires, qui écrivaient les conventions privées. Les minutes notariales les plus anciennes ne sont conservées avec une certaine continuité qu’à partir de 1480 pour deux études sur soixante. Dans ces dernières, comme dans les archives des établissements religieux qui ont conservé des actes passés devant les notaires parisiens, antérieurement à l’époque où commencent les minutes notariales, il y a une énorme lacune : les actes de crédit mobilier, ventes à crédit et prêts, n’ont pratiquement pas été conservés. Même quand les notaires ont commencé à garder leurs minutes, il semble qu’ils n’aient pas conservé ces minutes-là. À l’exception de quelques listes de prêts isolés pour tel ou tel créancier128, c’est tout le crédit parisien à court et moyen terme qui échappe ainsi au regard. Son approche ne saurait donc être qu’oblique et requiert la mobilisation des archives judiciaires. Un crédit médiéval parisien, c’est-à-dire en dehors des communautés lombarde et juive qui furent persécutées, et en dehors des compagnies marchandes italiennes qui auraient déserté Paris au début du xve siècle, a-t-il d’ailleurs jamais existé ? À lire la littérature historique, on pourrait en douter. Le retard parisien en matière financière et la passivité des bourgeois parisiens dans l’activité financière ont été maintes fois soulignés. Raymond de Roover, dans un article de 1968129, considérait la place bancaire de Paris comme une place secondaire et dépendante de Bruges au xive siècle, puis décadente au xve siècle. Dans les années 1970, Jean Favier a souligné à maintes reprises le retard parisien en matière financière, parlant de « techniques commerciales et bancaires rudimentaires », de « pratiques comptables peu développées130 ». Il l’attribuait au rôle nocif joué à Paris par la fonction administrative et au « service public » qui auraient « tué » la place bancaire parisienne, ainsi qu’au manque de souplesse de la coutume parisienne en matière d’obligations131. Henri Dubois, réalisant en 1991 un tableau d’ensemble du crédit en France aux deux derniers siècles du Moyen Âge, ne disait pas autre chose et pointait lui aussi un « retard français », qui aurait été manifeste dans l’archaïsme des instruments de crédit132. En insistant sur le retard parisien en matière de crédit, ces études concentraient leur attention sur la place d’affaires, c’est-à-dire sur le crédit international, et négligeaient le crédit régional comme le crédit local. La profondeur de la crise parisienne du début du xve siècle (1410-1440) n’aurait été que le révélateur de la passivité des Parisiens en matière financière et non un fait conjoncturel. Or, si la profondeur de cette crise du début du xve siècle ne saurait être niée, il a été montré que certains secteurs économiques parisiens, que l’on disait sinistrés passé le beau xiiie siècle, ont en fait retrouvé un vif éclat avec la reconstruction du dernier tiers du xve siècle. Mathieu Arnoux et Jean-Louis Bottin ont ainsi montré que Paris était redevenu, à la fin du xve siècle, un grand centre drapier, le cœur d’une région drapante élargie, rayonnant jusqu’à la Normandie, et se spécialisant dans l’étape la plus rentable de la production, la finition des draps133. Cette restructuration de la draperie parisienne se déroula précisément dans cette première moitié du xve siècle qui aurait vu l’activité parisienne laminée. C’est le déclin parisien lié à la nocivité de l’attraction des offices royaux et princiers sur la bourgeoisie parisienne qui est ainsi remis en cause. Il faut aussi s’interroger sur l’idée selon laquelle les principes juridiques parisiens, notamment l’usage de l’instrument authentique scellé, auraient « freiné l’innovation » nécessaire à l’épanouissement d’un véritable marché du crédit134. L’histoire du crédit moderne démontre que des marchés pouvaient s’épanouir dans des environnements juridiques très divers et que le mélange des genres, entre l’activité financière privée et le « service de l’État », favorisait, plutôt qu’il ne freinait, le développement du crédit à travers l’existence d’un appareil fisco-financier135.
53Le diagnostic porté sur le retard de place financière parisienne est donc peut-être en partie lié à la méconnaissance du crédit commercial136 et du crédit à la consommation, comme le prêt sur gage que l’on n’aperçoit guère après l’expulsion des juifs du royaume en 1394. Le crédit-rente reste le mieux connu. L’étude de Bernard Schnapper sur les rentes au xvie siècle jette en effet quelque lumière sur le xve siècle137, tandis que Simone Roux, à partir d’une étude monographique de la censive de l’abbaye de Sainte-Geneviève, a mis en valeur les usages divers de la rente, qui servait aussi de crédit à l’investissement pour les artisans parisiens, et l’effondrement du marché des rentes dans les années 1410-1440138. L’ignorance du crédit parisien autre que celui qui passait par les rentes est largement due à l’absence des archives notariales parisiennes. C’est cette absence qu’une approche des archives judiciaires peut permettre de contourner.
54La documentation judiciaire parisienne a été essentiellement exploitée pour des études d’histoire des mœurs, des institutions et d’histoire sociale de la criminalité139. Son versant civil a été largement négligé depuis l’étude d’Olivier Martin sur la coutume parisienne140. Dans la mesure où la contrainte par corps y était inexistante ou qu’elle n’y est pas attestée par les documents, les archives des juridictions seigneuriales parisiennes ne constituent pour cette étude qu’une documentation périphérique, qui permet de situer les archives du Châtelet dans leur environnement documentaire et d’apprécier l’action du prévôt royal dans ses fonctions normales de juge ordinaire. Par ailleurs, les archives du parlement de Paris141 ont fait l’objet d’amples présentations dans de multiples études. Nous ne reviendrons donc ici en détail que sur les archives du Châtelet, beaucoup moins connues à l’exception du « registre criminel » de la fin du xive siècle. Le système contractuel qui soustendait le crédit parisien médiéval doit en outre être éclairé par le recours aux traités juridiques et aux styles de procédure d’un côté, aux archives notariales de l’autre.
Les archives du Châtelet
55Outre les « livres de couleur » et les « bannières »142, un seul « registre criminel » a été conservé143, ainsi que quatorze registres du parc civil (1395-1505) et un registre d’écrous (1488-1489). Des registres de métiers conservaient également la mémoire des statuts des métiers parisiens qui étaient placés sous la protection du prévôt royal. La tenue de ces registres remonte au prévôt Étienne Boileau qui présida au premier Livre des métiers. On sait également que bien d’autres registres étaient tenus au Châtelet depuis les dernières décennies du xive siècle : notamment des comptes de justice144, des « registres des bannis145 », des registres de défauts, des registres de criées qui ne sont connus que par des extraits, présents dans les archives des établissements religieux, extraits qui étaient délivrés aux parties requérant des criées146. En juin 1320, une « Remembrance pour le proffit du roy et l’utilité publique, sus l’estat du Chastellet de Paris et du parloir aux bourgeois » regrettait que les prévôts du roi aient la fâcheuse habitude d’emporter les registres tenus pendant leur mandat, habitude qui faisait perdre bien des amendes au roi147. Ce texte préconisait l’établissement d’un clerc à la prévôté, qui n’aurait pas été nommé par le prévôt et qui aurait eu la charge d’enregistrer et d’archiver les délivrances de prisonniers et les amendes. Ainsi, la création d’une archivistique favorisant la continuité de la justice royale à Paris était-elle encore loin d’être acquise à cette date. De toutes ces écritures, peu ont été archivées, et peu nous sont parvenues : on ne commence à saisir l’action proprement judiciaire du prévôt royal qu’à la fin du xive siècle, grâce au travail du clerc criminel, du clerc civil et du clerc de la geôle. Deux ensembles d’archives du Châtelet sont propices à une étude de l’endettement : les archives civiles148 et le registre d’écrous. Deux autres ensembles ont été dépouillés pour l’information d’appoint qu’ils pouvaient apporter : les « livres de couleur » et le « registre » criminel.
56D’après les treize registres de sentences civiles qui nous sont parvenus pour les années 1395-1455149, un registre de 280 folios environ devait être rédigé chaque année. Il s’agit de la transcription brève, en français, des sentences, appointements, causes et ordonnances, dont le texte authentique ou « grossoyer » était remis aux parties150. Cette transcription était faite d’après les notes d’audience des clercs qui assistaient le clerc civil de la prévôté151. Au Châtelet, ils étaient désignés comme des « registres » de sentences et d’appointements ou encore comme le « papier ordinaire » de l’auditoire civil152. Parmi les incipit qui ont été conservés dans six de ces registres, deux attribuent la tenue du registre au clerc civil de la prévôté, Pierre de Fresnes, sous l’autorité du prévôt, Jehan de Folleville153. La variation des mains dans les registres montre que le clerc civil n’écrivait pas toujours lui-même. Si l’on se réfère à l’organigramme du Châtelet, tel qu’on peut le reconstituer pour la période couverte par les registres civils, il apparaît que les causes rassemblées dans ces registres étaient prononcées soit à l’auditoire civil du prévôt, appelé parfois « auditoire hault et ordinaire », dans lequel étaient habilités à juger le prévôt et son lieutenant, soit à l’« auditoire d’en bas » où officiaient les auditeurs du Châtelet pour les causes qui ne dépassaient pas vingt livres parisis. Le clerc civil, chargé de garder les procès en cas civils, était alors appelé « clerc de la prévôté de Paris », et le clerc criminel, chargé des écritures des prisonniers et des criminels, « clerc du prévôt ». On sait qu’un partage plus net des compétences de « clergie » entre ces clercs intervint en 1407, par un accord, passé en Parlement entre Pierre de Fresnes, « clerc de la prévôté », et Pierre Le Guiant, « clerc criminel »154. Le clerc de la prévôté fut institué postérieurement au clerc du prévôt, si l’on en croit la « remembrance » de juin 1320 déjà citée, qui conseillait la nomination, à côté du clerc du prévôt déjà existant, attesté par l’ordonnance de 1302, d’un « clerc de par le roy estably, non commensal, ne affin au prevost, qui eust et retinst copie des registres, et de toutes delivrances, et amandes de devant les auditeurs faites, et par devers le prevost ». Le clerc civil serait donc l’héritier de ce clerc établi par le roi, directement auprès de la prévôté, tandis que le clerc criminel était l’héritier du clerc du prévôt, plus dépendant du prévôt lui-même. Le clerc civil se tenait au « buffet » de l’auditoire d’en haut, où les procureurs des parties venaient surveiller l’enregistrement des sentences et appointements donnés par les juges des deux auditoires155. D’après l’ordonnance générale sur le Châtelet de 1425, les procureurs des parties faisaient enregistrer les sentences et appointements prononcés par le prévôt ou son lieutenant au « buffet de l’auditoire du prévôt », et les sentences et appointements prononcés par les auditeurs au « siège des clercs [des auditeurs] ou des auditeurs ». En fait, l’enregistrement semble avoir été commun pour les sentences et appointements des deux auditoires, puisque les registres qui nous sont parvenus portent aussi bien des sentences pour des affaires de moins de vingt livres156, que des « amendements » de sentences d’auditeurs prononcés par le prévôt ou par son lieutenant : il est vraisemblable que ces registres étaient écrits après le rassemblement des notes d’audience prises par les clercs qui assistaient le clerc civil et par les clercs des auditeurs157. L’ordonnance de juillet 1499 sur l’administration de la justice au Châtelet entérina cette habitude en confiant au clerc civil, désormais appelé greffier, la tâche « d’enregistrer les dictons de sentences, tant diffinitives que interlocutoires, et tous appointemens donnez ou jugez en chacune des chambres158 ».
57Peut-on dater l’origine de ces enregistrements ? Le clerc de la prévôté, futur clerc civil, fut institué après juin 1320. Le conseil formulé dans la « remembrance » fut suivi d’effet, puisqu’un clerc du roi fut créé par l’ordonnance de février 1321 sur le Châtelet159. Différent de deux clercs du prévôt qui faisaient pour lui ses « registres, commissions et secretes besongnes », ce clerc du roi au Châtelet était institué pour contrôler, avec le scelleur, les officiers du Châtelet, prélever sur eux les droits du roi sur leurs écritures (le quart) et les « examinations » des témoins (le tiers)160, et enregistrer les causes qui nécessitaient l’examen de témoins161. Hormis ces enregistrements de causes, toutes les écritures judiciaires étaient alors réservées aux notaires du Châtelet. Un procès au Parlement qui dura de 1351 à 1354 au moins, qui est connu par des copies collationnées dans certains livres de couleur, montre qu’à cette époque les notaires royaux du Châtelet avaient été dépossédés par le clerc de la prévôté Pierre Le Begue et les auditeurs, avec l’assentiment du prévôt Guillaume Gormont, du monopole des écritures judiciaires du Châtelet que les ordonnances des années 1301-1321 leur reconnaissaient162. Il est de ce fait plausible que le clerc de la prévôté, d’abord désigné pour enregistrer les seules causes judiciaires qui requéraient l’examen de témoins et contrôler les émoluments des notaires et des autres officiers du Châtelet, soit devenu l’ordonnateur de toutes les écritures judiciaires, entre 1320 et 1360. On sait que les notaires parisiens ne faisaient pas de registres des contrats qu’ils écrivaient, avant le xvie siècle, et qu’ils ne conservèrent des minutes qu’à partir des années 1450. La tenue de registres judiciaires, à partir des écritures de ces hommes qui ont tant tardé à archiver leurs papiers, fut sans doute tardive elle aussi et n’a peutêtre été rendue possible que par la montée du rôle du clerc de la prévôté sur les officiers du Châtelet au milieu du xive siècle. La destruction des archives du Châtelet par les émeutiers de 1382 nous prive cependant d’éventuels registres qui auraient été tenus avant le mandat de Pierre de Fresnes.
58L’état de conservation de ces registres et leur répartition chronologique rendent leur exploitation délicate. Sur soixante années, quatre-vingt-deux mois d’activité de l’auditoire civil sont documentés seulement, soit 11 %. Certains registres conservés couvrent une année (Y 5232), d’autres quelques dizaines de jours (Y 5228), aucun n’est conservé en intégralité et ne couvre une période parfaitement continue, à l’exception de Y 5232. Certains comptent quelques dizaines de feuillets, le plus long (Y 5232) en compte trois cent vingt163.
59Comme le tableau 2 le montre, si les années 1395-1410 sont bien couvertes par la documentation (Y 5220-5227), les années 1410-1455 le sont beaucoup moins (les périodes 1414, 1427-1431 et 1454-1455), tandis qu’une lacune considérable sépare le registre Y 5232 (1454) et le suivant (1505). Aucun croisement strict n’est donc possible ni avec le « registre criminel » de 1389-1389, ni avec les registres d’écrous de 1412 et de 1488-1489. Enfin, l’état des archives est tel que certains feuillets, voire la plus grande partie de certains registres entiers (ainsi Y 5229), sont illisibles. L’état et la répartition chronologique de ces registres rendent vaine toute tentative de déceler des évolutions autres que qualitatives dans le traitement de l’endettement. Ils expliquent largement le parti qui en a été tiré par Olivier Martin : un montage de textes chronologiquement parfois distants, pour un exposé de procédure, bref la reconstitution d’un style de procédure, celle-ci étant supposée statique164. Seul le registre Y 5232 (1454-1455), par son volume, par sa continuité, par sa qualité, autorise une exploitation quantitative.
60La période la mieux couverte par la documentation civile (1395-1410) correspond aux mandats des prévôts Jean de Folleville (25 janvier 1389-mars 1401), Guillaume de Tignonville (avril 1401-avril 1408) et Pierre des Essarts (30 avril 1408-8 novembre 1410). Elle concorde avec la présence d’un clerc civil de la prévôté, Pierre de Fresnes, qui fut en place, sans doute continuellement, de 1391 à 1412165. L’action de ce clerc civil fut sans doute décisive, comme en témoigne aussi la part qu’il prit dans le partage plus net des compétences de clergie entre l’office de clerc civil et l’office de clerc criminel166. Celle du prévôt Guillaume de Tignonville, en place quand cet accord de 1407 fut passé, et que le Religieux de Saint-Denis présentait comme savant en droit civil, eut sans doute sa part, difficile pourtant à préciser167.
61Les formules d’enregistrement des causes semblent peu évoluer sur la période 1395-1455. Mais en prenant comme critère de la qualité de la tenue de ces registres la présence, la fréquence et le contenu des mentions marginales, on discerne mieux des lignes d’évolution. La qualité des mentions marginales ne signale pas seulement le soin apporté par le rédacteur, mais aussi une préoccupation administrative supplémentaire : la lecture et la consultation du registre par les officiers du Châtelet sont rendues plus aisées par la présence de mentions marginales suffisamment détaillées. Dès lors, le registre devient véritablement mémoire active pour les officiers de la prévôté. On constate une amélioration continue de la tenue des registres de 1395 à 1407. Puis, les deux registres de 1407-1410 sont moins bien tenus. Les mentions marginales réapparaissent dans le fragment du registre de 1414 et redeviennent parlantes avec le registre de 1427-1428, pour se maintenir jusqu’en 1454-1455.
62Dans les premiers registres, les mentions marginales portent d’abord sur les paiements des actes judiciaires par les parties, mentions qui se retrouvent dans tous les registres, ainsi que sur un nombre limité de causes. Cette liste s’allonge au fil des registres, sans atteindre toutefois l’exhaustivité. En 1406, une première tentative pour systématiser le contenu des marges et la tenue des registres de sentences fut menée. Sur les six premiers feuillets du registre Y 5225 (22 au 22 avril 1406), à l’exception du recto du feuillet 4, tous les paragraphes, chacun correspondant à une cause, sont « étiquetés » d’une mention marginale qui désigne la cause : amendement désert, congé de parfaire, acte, « condempnacion » (pour les condamnations de débiteurs à payer), renonciation à opposition, sentence hypothèque, ordonnance, délivrance, congé de vendre, renvoi… Cet étiquetage systématique des causes procède de la construction d’une typologie : le clerc civil tentait d’établir une liste exhaustive de désignations des causes. Puis, dans la suite du registre et dans les deux registres suivants, les marges sont à nouveau réduites au minimum, seules quelques causes étant étiquetées. En 1414, le fragment de registre (Y 5228) porte un étiquetage encore partiel. Dans les quatre registres qui s’échelonnent entre 1427 et 1454, se retrouve l’étiquetage systématique des causes. Les désignations y sont enrichies, elles deviennent de plus en plus précises, constituant une typologie plus fine : condamnation, renonciation de métier, renvoi aux requêtes, abandonnement, renonciation à succession, main tenue, main levée, assignation, ordonnance, renonciation de propriété, amende, décharge, consentement, sentence personnelle et hypothèque… L’étiquetage ne fut pas abandonné dans le registre de 1505, mais il était alors beaucoup plus pauvre : les mentions se résument dans ce registre à quelques désignations, dont certaines très vagues (« acte » qui est porté en marge de la plupart des causes). Deux phases décisives d’amélioration se dessinent ainsi : 1395-1407, soit au cours du mandat du clerc civil Pierre de Fresnes, et 1427-1454, qui coïncide avec le mandat du clerc civil Jehan Doulx-Sire, sous l’autorité du prévôt Simon Morhier, puis à sa promotion comme lieutenant civil168. Nous verrons que ces constatations, tirées des registres des causes civiles, convergent avec les conclusions que l’on peut tirer de la lecture du livre de couleur dit Doulx-Sire. Ceci posé, les registres situés dans ces deux phases ne sont pas forcément les plus utiles à l’étude : les registres Y 5229 et Y 5231, parfaitement tenus à l’origine, sont parvenus dans un tel état que les données que l’on peut en tirer sont décevantes. En revanche, le registre Y 5232 allie la qualité de la tenue et celle de la conservation, de sorte que sa lecture détaillée en est particulièrement féconde.
63Quel est le contenu exact de ces registres de causes civiles ? La réponse n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Les incipit conservés évoquent les « causes, appointements, sentences, jugements, ordonnances ». Les registres civils du Châtelet, s’ils semblent obéir aux mêmes règles d’écriture que tous les registres judiciaires parisiens contemporains, en diffèrent cependant légèrement : on est frappé de la quasi-absence dans ces registres d’enregistrements laissant inconnu le fond des affaires, se bornant à noter des assignations et des simples défauts ; les registres du Châtelet semblent recueillir les étapes principales des procès, non le déroulement complet des audiences. Ce ne sont donc pas ces « registres aux causes » décrits par Bernard Guenée pour le bailliage de Senlis169, ces journaliers d’audience qui constituent la base documentaire des justices ordinaires contemporaines. Louis Tanon considérait que les registres de causes civiles du Châtelet contenaient essentiellement des dispositifs de sentences et les appointements principaux où les sentences avaient été rendues, non les appointements de procédure170. Le clerc civil avait donc dès 1395 pris l’habitude qui fut inscrite comme obligation de celui qu’on appelait greffier par l’ordonnance sur le Châtelet de 1499 :
Que le greffier de notredite prevosté sera tenu d’enregistrer les dictons de sentences, tant diffinitives que interlocutoires, et tous appointemens donnez ou jugez en chacune des chambres171.
64L’image du procès civil en est fortement affectée : on voit peu les délais et les défauts des parties qui semblent a contrario former le lot commun des autres tribunaux. Le temps du procès est donc très mal appréhendé. Le choix d’enregistrement fait par le clerc civil produit une illusion d’efficacité de la justice prévôtale : les parties semblent répondre à l’appel, les sentences rendues sans délai. Compte tenu du caractère laconique des enregistrements et des lacunes considérables de la série, cette apparence d’efficacité constitue aussi une limite pour l’exploitation. Ce choix d’enregistrement fait par le clerc civil du Châtelet est évidemment lié à la masse d’écritures qu’il avait sous sa responsabilité en raison de l’énormité de la compétence civile du prévôt royal. Il est constamment respecté, de 1395, date du premier registre conservé, à 1455, date du dernier registre considéré. À ces caractéristiques de la source, s’ajoute l’effet du choix du sujet qui porte sur les voies d’exécution ; or le Paris du xve siècle se caractérise par la généralisation des instruments de crédit emportant exécution parée (les lettres obligatoires du Châtelet), c’est-à-dire par la fréquence d’une exécution extrajudiciaire, qui ne donnait lieu à procès que pour des phases bien circonscrites de son déroulement. Ainsi, s’il n’a pas été possible de reconstituer ces dossiers de procédure dont on peut avoir tous les développements en d’autres juridictions, cela s’explique par la combinaison des caractères de la source et des caractères de la pratique étudiée.
65Aussi délicate que soit l’exploitation de ces archives civiles de la prévôté, celles-ci n’en demeurent pas moins l’un des ensembles d’archives judiciaires les plus riches du Paris médiéval. Les débats entre créanciers et débiteurs, les étapes de l’exécution constituent la besogne courante de cette juridiction comme des autres juridictions ordinaires de Paris. Sur les quatre-vingt-deux mois d’activité de l’auditoire qui sont documentés entre 1395 et 1455, on connaît près de quatre-vingt-dix enregistrements relatifs à des emprisonnements pour dettes, soixante-deux relatifs à l’entérinement de lettres de répit (lettres de grâce en faveur d’un débiteur) et cent trente-sept relatifs à des cessions de biens (procédure permettant d’éviter l’emprisonnement pour dette). Les données relatives à l’endettement sont donc nombreuses. Elles sont cependant imprécises : ainsi, la plupart des causes ne fournissent-elles pas l’activité des parties, beaucoup omettent de mentionner le motif des dettes.
66Avec quelle fiabilité ces données permettent-elles de cerner notre objet ? Il faut d’abord remarquer qu’à l’auditoire civil, les deux principales façons de sortir de prison et de l’éviter, en dehors du paiement, pratiquement jamais appréhendé, et de la vente forcée, étaient le répit et la cession de biens. Si les débats sur l’entérinement de lettres de répit trouvaient naturellement leur place dans les registres civils, qu’en est-il pour les causes relatives aux prisonniers pour dettes et pour les enregistrements de cessions de biens ?
67Les écritures concernant les prisonniers n’étaient-elles pas en principe réservées au clerc criminel et ne trouvaient-elles pas leur place en conséquence dans des papiers criminels ? La question, qui intéresse cette étude au premier chef, a été l’objet d’un litige, puisqu’elle fait partie de ces articles qui furent tranchés par un accord passé en Parlement entre le clerc civil et le clerc criminel en 1407. La résolution de ce conflit aboutit à un partage des tâches plus clair, ainsi qu’à la formalisation d’une distinction importante pour l’histoire de la justice du prévôt : la distinction entre écritures « civiles » et écritures « criminelles ».
68Le premier article de l’accord entre le clerc civil et le clerc criminel attribuait toutes les écritures civiles au clerc civil. Puis, le deuxième et le troisième articles, ainsi que le onzième article, envisageaient le cas des écritures concernant les prisonniers détenus pour cas civils : en principe, le clerc criminel ou « clerc du prévôt » était chargé des écritures qui concernaient les prisonniers et les criminels. L’accord précisait donc la répartition des écritures entre les deux clercs quant aux prisonniers pour cas civils, parmi lesquels les prisonniers pour dette172. Les procès concernant les prisonniers pour dette, qui se tenaient devant l’auditoire civil, devaient être enregistrés par le clerc civil. La sentence de délivrance ou d’élargissement éventuelle était ensuite transmise au clerc criminel, qui l’enregistrait dans son « manuel ». Celui-ci transmettait l’écrou, c’est-à-dire l’ordre de sortie, au geôlier. Ceci ne signifie pas que les causes civiles sont un reflet de l’emprisonnement pour dette, car le prisonnier pour dette pouvait entrer à la geôle, puis en sortir, sans sentence ni intervention du juge. L’enregistrement dans le papier de la geôle était alors l’unique trace du passage du débiteur. Les causes civiles ne peuvent donc pas tenir lieu de registres d’écrous des débiteurs, pour toutes les années où ils manquent. Elles ne donnent qu’un aperçu des emprisonnements pour dettes. Elles ne peuvent que compléter la vision de l’emprisonnement pour dettes tirée des écrous : en particulier, sur certains modes d’entrée à la geôle et surtout de sortie de la geôle.
69Par le même accord de 1407, la place de ceux qui faisaient cession de biens a fait l’objet d’une semblable clarification des procédures d’enregistrement173. Le clerc criminel et le clerc civil pouvaient faire des écritures en matière de cession et abandonnement. Au clerc civil seul revenait l’écriture de rapports et de commissions éventuels. Les enregistrements de cessions, en revanche, pouvaient être faits par les deux clercs. On constate que les cessions de biens étaient enregistrées parmi les causes civiles, sur toute la période couverte par les registres et encore en 1505, et l’étaient dans les écrous en 1488-1489. Autrement dit, il est vraisemblable que l’enregistrement était double : il se faisait à la fois dans le registre de la geôle et dans le registre de l’ordinaire, en des formules quelque peu différentes, ce qui assurait sans doute à chaque clerc (civil, criminel, de la geôle) une rémunération au titre de ces cessions174. Venons-en maintenant à ces écrous. N’ont été conservés qu’un registre d’écrous de la fin du xve siècle175 et un fragment d’un registre d’écrous du début du xve siècle, qui a été publié176.
70Il n’y a pas d’autre registre d’écrous conservé pour le Châtelet avant le xviie siècle177. À Paris, un seul autre registre d’écrous d’époque médiévale a été conservé : c’est celui de la « barre » du chapitre cathédral pour les années 1404-1406178. Celui-ci semble ne mentionner que des prisonniers pour cas criminels : lorsque le motif de l’emprisonnement y est noté en clair, il s’agit de cas criminels et de débiteurs redevables de droits de justice (défauts) auprès d’officiers de la justice du chapitre. Aucun cas de prisonnier pour dette civile n’y apparaît donc clairement, ce qui ne signifie pas qu’il n’y avait pas de prisonniers pour dette dans cette prison, mais que l’étude de la prison pour dette y est impossible. Michèle Bimbenet, dans son étude des écrous de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés au xvie siècle, a livré cette définition des registres d’écrous : « Registres (cahiers ou volumes reliés) dans lesquels se trouvent consignés, de manière chronologique, les noms des individus constitués prisonniers dans la prison d’une justice donnée179. » « Ordinairement, ces registres gardent trace non seulement des procès-verbaux d’écrous (entrées), mais aussi des procès-verbaux de levées d’écrous (contestations de remise en liberté ou élargissement)180. » Ils permettent de connaître « les mouvements de la population pénitentiaire, la durée des emprisonnements, les chefs d’accusation, puisque les écrous sont souvent motivés181 ». Cette définition, conçue pour des documents du xvie siècle, correspond parfaitement au registre du Châtelet de 1488-1489. Il n’est d’ailleurs pas impossible que se soit mise en place au Châtelet une norme d’écriture des registres d’écrous, dont on voit l’application dans les feuillets de 1412 et dans le registre de 1488-1489, et qui devait être généralisée au royaume avec l’ordonnance sur la justice royale de 1499182 :
Item nous ordonnons que le geollier ou garde des chartres et prisons seront tenuz de faire un grant registre de grant volume de papier, si faire se peut, dont chascun feuillet sera ployé par le milieu, et d’un costé seront escripts et de jour en jour les noms et surnoms, estats et demeurances des prisonniers qui seront emenez en ladite chartre, par qui ilz seront amenez, pourquoi, à la requeste de qui et de quelle ordonnance ; et si c’est pour dette, et qu’il y ait obligation sous scel royal, la dette et l’obligation et le domicile du creancier y seront enregistrez semblablement183.
71La tenue de registres des prisonniers au Châtelet est attestée sans doute possible depuis les années 1320. La « remembrance pour le proffit du roy et l’utilité publique, sus l’estat du Chastellet de Paris et du Parloir aux Bourgeois », de juin 1320, déjà citée, regrettait l’habitude des prévôts de Paris de conserver par-devers eux les registres faits sous leur mandat, parmi lesquels des registres de délivrance de prisonniers criminels, des registres d’élargissement sous caution (« recreance ») de prisonniers184. La tenue de registres de prisonniers était donc déjà en vigueur. En revanche, leur archivage ne l’était pas. Comme nous l’avons vu, ce texte recommandait en conséquence l’établissement d’un clerc, indépendant du prévôt, chargé de l’enregistrement et de l’archivage des délivrances des prisonniers, ainsi que la copie de tous les anciens registres auprès de leurs détenteurs. Sur ce point, cette « remembrance » ne fut, apparemment, pas traduite en ordonnance, malgré la création, en 1321, d’un clerc du roi, dans lequel a été reconnu le futur clerc de la prévôté et clerc civil, si bien que l’archivage des registres de prisonniers fut très tardive. La tenue des registres de prisonniers est mieux documentée à partir des années 1370. Le clerc de la geôle, l’un des quatre auxiliaires du geôlier, était alors chargé d’enregistrer les prisonniers sous plusieurs aspects. Il est plus difficile de savoir si tous ces renseignements concernant les prisonniers étaient portés par le clerc de la geôle sur un seul papier ou sur plusieurs registres différents. Ainsi était prescrit l’enregistrement des effets personnels des prisonniers criminels par l’ordonnance de 1425 :
ITEM que le geolier soit tenuz d’avoir ung livre ouquel sera mis et enregistré par maniere d’inventoire tout ce qui sera trouvé sur yceulz prisonniers criminelz soit argent ou autre chose pour estre gardé et conservé a iceulz ou a qui il appartendra185.
72Il semble que ce papier ait été appelé « registre de serches », comme semble l’indiquer cette mention qui en est faite par Clément de Fauquembergue, dans un registre du conseil du Parlement, le 25 septembre 1427 :
[…] au conseil […] pour pourveoir sur le fait du registre de serches de Chastellet, et pour interroguer Girart de Rouen, clerc de la geole de Chastellet, prisonnier en la conciergerie de ceans, ont esté commis maistres Phelippe de Nanterre et Jehan Queniat, conseilliers du roy186.
73Le mot « serches » renvoie à la « serche » ou fouille qui était faite sur les prisonniers amenés pour cas criminels. C’est ce terme qu’employait l’ancien examinateur au Châtelet, Jacques d’Ableiges, dans le règlement de la geôle qu’il rédigea pour l’abbaye de Saint-Denis en 1380-1381 et qu’il intégra à sa compilation de droit coutumier :
Item, que les prisonniers qui seront admenez pour cas criminelz soient serchez tantost qu’ilz seront admenez et leurs taces visitees en leur presence pour veoir et scavoir se sur eulx l’en trouveroit riens souppeconneux qui puet aidier au juge a les convaincre187.
74Outre ce registre de « serches », un enregistrement de l’état, clérical ou laïque, de tous les prisonniers, était prescrit par une ordonnance du Parlement de 1412188 et par l’ordonnance royale de 1425. La mention sur le « papier » devait être accompagnée du seing du prisonnier :
ITEM que toutes manieres de prisonniers qui entreront ou guichet soient reverchiez a savoir se ilz sont clers ou non et soit enregistré habit et estat ouquel ilz sont et soient croisiez ou signez ou papier ceulz qui sont clercs, a peine de quarante solz parisis189.
75S’agissait-il d’un enregistrement différent du « papier » de la geôle tel que nous le connaissons en 1412 et 1488 ? Il est difficile de le dire. Dans les feuillets des écrous du printemps 1412, n’apparaissent pas de seings de prisonniers. Il est possible que ceux qui étaient clercs aient dû signer un papier séparé du registre d’écrous.
76À côté de ces deux enregistrements, des « serches » et des clercs, un registre mentionnait, jour après jour, les entrées et sorties, avec le motif de l’arrestation de chaque prisonnier. Il était appelé « papier », « livre » ou « registre » de la geôle, « registre » désignant aussi chaque paragraphe porté par le clerc sur ce papier. Les versions du règlement de la geôle du Châtelet des années 1372-1395 mentionnent cet enregistrement par le clerc des prisonniers et de leur délivrance ou « rabat » : « Item le clerc du geolier aura pour chascun registre de chascune personne IIII d et pour chacun rabat II d », lit-on dans la version fournie par Jacques d’Ableiges190. « Item le clerc aura pour chacun [blanc] que il fera des personnes qui seront delivrez deux deniers », lit-on dans une version datant de la période 1372-1395191. La version la plus ancienne du règlement de la geôle, datant au plus tard de 1335, prévoyait déjà cette rémunération du « clerc du guichet » de deux deniers pour le rabat des prisonniers délivrés192.
77Le « registre criminel » d’Aleaume Cachemarée des années 1389-1392 se réfère au registre d’emprisonnement193, des mentions dans les archives du Parlement en témoignent également194. Les causes civiles s’y réfèrent fréquemment : le « registre de l’emprisonnement » était consulté par le tribunal195 ; pour tel prisonnier pour dette, elles renvoient au « registre de l’emprisonnement » qui le concerne, et qui devait être plus précis que le registre civil sur le montant ou sur les causes de la dette196. Jacques d’Ableiges, qui connaissait l’ordonnance du prévôt Hugues Aubriot de 1372, précise clairement dans son règlement de la geôle de l’abbaye de Saint-Denis la tenue d’un tel registre journalier des emprisonnements :
Premierement, quant aucun sera amené en prison par aucun sergent ou autre, les geoliers ou l’un d’eulx seront tenus de rediger par escript ou papier de la geole le cas pour lequel icellui prisonnier aura esté amené selon ce que icellui qui l’aura amené le devisera, et avant qu’il soit mis hors de la geole affin que par deffault de registre et de savoir la cause de l’emprisonnement, le baillif [de l’abbaye] tantost qu’il viendra ne soit point delayé de donner aux prisonniers telle expedicion qu’ilz devront avoir197.
78L’ordonnance de 1425 précisait son destinataire premier :
Item avons enjoinct et enjoignons audict prevost qu’il visite ou face visiter par son lieutenant chascun jour les tableaulx et registres des emprisonnés le jour précédent198.
79Le registre devait donc permettre au prévôt ou à son lieutenant de connaître les emprisonnements effectués, en son nom, par les sergents et les geôliers. Le clerc de la geôle tenait en effet le registre des prisonniers amenés au Châtelet, qui était remis le lendemain au juge. Ce papier était doublé d’un « petit papier », mentionné en marge de certains écrous du registre de 1488-1489199. Le clerc de la geôle était rémunéré pour la tenue du registre, comme le montrent les extraits des règlements de la geôle cités plus haut.
80Le registre Y 5266 des Archives nationales couvre la période du 14 juin 1488 au 31 janvier 1489, soit sept mois et demi200. Il mêle les cas civils et criminels. Le tiers des écrous concerne des débiteurs201, ce qui correspond aussi à trois écrous quotidiens en moyenne. Cette proportion souligne l’importance de ce volet de l’activité des geôles du Châtelet et, plus généralement, de l’activité du prévôt de Paris. Tous ces écrous ne sont pourtant pas à strictement parler des écrous pour dette. En effet, une partie seulement, mais la plus importante, relève à proprement parler de la prison pour dette ou de ce qu’on appelle encore la contrainte par corps : un emprisonnement destiné à forcer un débiteur à régler ses dettes. Deux catégories d’écrous concernant des débiteurs ne relèvent pas de la contrainte par corps et, de ce fait, ne fournissent qu’une information pauvre, voire nulle, sur les dettes : les écrous de débiteurs emprisonnés en même temps que les créanciers requérant l’incarcération, mais qui sont incapables de prouver leur créance202, les écrous de débiteurs venus à la geôle du Châtelet pour faire cession de leurs biens, afin d’arrêter les poursuites entamées contre eux203. Stricto sensu, la contrainte par corps s’exerce dans 546 cas, soit 29 % des écrous. La proportion de prisonniers concernés est de 16 % environ204. Tant par ce volume de cas que par la qualité de l’information qu’il recèle, ce registre est d’une richesse remarquable pour appréhender la pratique parisienne de la contrainte par corps. Il mentionne en effet scrupuleusement les nom, profession, résidence du débiteur, les noms du ou des sergents à verge du Châtelet l’ayant arrêté, la somme ou la prestation due, le nom du créancier ou du requérant, son domicile, le motif de la dette, les éventuels codébiteurs, la preuve de l’obligation, la date de la conclusion de l’obligation, la date d’écrou, le sort et la date de sortie du débiteur. Les prisonniers pour dette sont signalés par la mention « dz » portée en marge, les débiteurs venus faire cession par la mention marginale « del. par habandonnement ». En marge sont aussi portés d’autres renseignements : il s’agit parfois de renvois à d’autres pages du registre (alibi). Surtout, le sort des débiteurs y est indiqué : « del. » pour délivrance, « esl. » pour eslargissement, battu, question, pendaison, bannissement, etc. C’était là la fonction première de ce type de registres, puisque, au Moyen Âge, le mot « écrou » désignait la levée d’écrou.
81Le fragment du registre d’écrous du Châtelet de 1412 comporte six feuillets, pour les 24-25 avril, 20-21 mai et 23-24 mai. Il recense 71 cas d’écrous, pour 107 personnes, et 18 cas d’écrous pour dettes (25 % des articles). La proportion de prisonniers pour dette y est de 13 %205. Les débiteurs sont, là aussi, signalés par la mention marginale « dz ». Ils sont ainsi rendus particulièrement visibles pour le lecteur de ces registres. Il s’agit d’un véritable signalement des débiteurs, dont la compréhension conduit à préciser encore les conditions d’élaboration du registre d’écrous.
82Le clerc du geôlier remplissait le registre, pour les entrées des prisonniers, à partir des rapports faits par les sergents qui amenaient les prisonniers, et pour les sorties, à partir des « escroes » fournies par le clerc criminel206. Les sergents étaient tenus de faire marquer la cause de l’emprisonnement sur un registre, cause qui était reportée sur le papier de la geôle par le clerc du geôlier, ce qui est fait systématiquement dans le texte des écrous. L’ordonnance de 1425 prescrivait ainsi la tenue par les sergents d’un registre qui devait préciser les motifs d’arrestation des prisonniers207. Par la prescription de cette mise en écriture, elle précisait les conditions de l’application d’une ordonnance de 1376 qui avait imposé aux sergents de faire connaître ces motifs au prévôt ou à son lieutenant208. Ces principes de bonne administration expliquent la mention du motif de l’écrou dans le texte de l’écrou qui répondait à l’obligation de le faire connaître au prévôt. Cependant, ils n’expliquent pas le signalement en marge des débiteurs. Or, c’est le seul exemple parisien d’un tel traitement des débiteurs dans la documentation : ils y font l’objet d’un signalement et d’un traitement spécifiques, ce qui contraste de façon flagrante avec l’absence de spécialisation des archives judiciaires parisiennes en général. Cette particularité documentaire, mise en place par le Châtelet, dit-elle quelque chose du traitement des débiteurs par la justice royale ?
83La mention « dz » est l’abréviation de « deniers » dans la plupart des registres de justice de l’époque, et en particulier dans les registres civils du Châtelet209. Dans les écrous de 1412 et de 1488, cette mention a une signification très précise : elle signale précisément les débiteurs contraints par corps et non tous les prisonniers incarcérés dans des affaires de dettes. On peut le démontrer par l’examen des trois types d’écrous qui ne portent pas cette mention marginale et qui concernent des affaires de dettes. Elle n’est pas portée en marge de l’écrou des débiteurs faisant cession, qui requièrent eux-mêmes leur incarcération, celle-ci étant aussitôt suivie de leur délivrance. Elle n’est pas non plus portée en marge des écrous de personnes écrouées pour une dette présumée qui n’était pas prouvée par un acte ou qui était contestée. Dans ce cas, qui se produisit dix-huit fois en sept mois et demi, le débiteur présumé et son créancier étaient incarcérés en même temps et il devait être « esté à droit » sur leur cas. En l’absence de preuve d’une créance privilégiée ou bien d’un contrat engageant le corps du débiteur, la mention « dz » n’est pas portée en marge du registre, car le débiteur n’était pas considéré comme obligé par l’administration du Châtelet210. Le texte de l’écrou fait mention des assertions orales du créancier présumé (« comme il dit »). L’emprisonnement du débiteur revêtait alors une signification tout autre : il s’agissait d’un emprisonnement préventif. Enfin, la mention « dz » se trouve de façon non systématique en marge de l’écrou de certains débiteurs : les débiteurs déjà écroués211, des débiteurs dont la dette semble insuffisamment prouvée et des débiteurs écroués pour des créances qui ressortissaient aux créances royales (celles du receveur de la prévôté, Simon de Neufville, celles de la confrérie des sergents du Châtelet).
84Si l’on veut bien excepter quelques cas résiduels, dont certains sont dus à des omissions du greffier, d’autres à des abus manifestes de certains créanciers, on peut admettre que le motif d’écrou n’était repris systématiquement en marge du registre et ainsi mis en valeur que pour l’écrou des débiteurs soumis à la contrainte par corps212. Pour expliquer cette spécificité documentaire, il faut se reporter aux fonctions possibles du papier de la geôle : s’il était d’abord destiné à tenir le juge informé du peuplement des prisons, le registre pouvait servir aussi de justificatif de revenus aux différents officiers de justice.
85Tout d’abord, le règlement de la geôle, attribué à Hugues Aubriot en 1372, mais qui fut adopté au début des années 1390, prévoyait : « Item se une personne est amenee pour debte au Chastelet, le clerc aura pour son registre quatre deniers213. » Dans les versions antérieures du règlement de la geôle du Châtelet, celle de 1335 et celle qui est transmise par la compilation de Jacques d’Ableiges, comme dans l’instruction rédigée par celui-ci pour l’abbaye de Saint-Denis, aucune tarification spécifique de l’enregistrement des prisonniers pour dette n’apparaissait : la rémunération du clerc de la geôle se faisait au titre de l’enregistrement de tous les prisonniers. L’ordonnance de 1425 sur le Châtelet la limita à deux deniers pour le rabat des prisonniers pour dette délivrés : « ITEM se une personne est amenee pour debte en Chastellet le clerc aura pour chacun rabat qu’il fera des prisonniers qui seront delivrez II d.214 »
86Y aurait-il eu un abaissement des droits du clerc de la geôle ? Le fait est surprenant. En revanche, il est assuré que, depuis le début des années 1390, il existait une rémunération spécifique du clerc du geôlier pour les prisonniers pour dette, soit au titre de leur « registre », soit au titre du « rabat » des délivrés. Cette rémunération spécifique du clerc de la geôle justifiait le signalement en marge des débiteurs. En outre, ce signalement peut être également lié à la spécificité du régime carcéral des débiteurs, sur lesquelles nous aurons à revenir, et aux obligations spécifiques du geôlier à leur égard. Le geôlier n’était pas tenu de leur livrer l’eau et le pain, dus aux prisonniers indigents, car cet entretien revenait aux créanciers. Là encore, le signalement des débiteurs sur le papier de la geôle répondait à ce régime carcéral spécifique dont le geôlier, fermier de la geôle, était comptable, pour le prévôt royal.
87Le signalement des débiteurs pouvait aussi intéresser d’autres membres du personnel du Châtelet, comme le montre l’accord déjà cité de 1407 sur les prérogatives respectives et les profits afférents des clercs civil et criminel : les écritures touchant les prisonniers pour dette et leurs procès à l’auditoire civil relevaient du clerc civil, tandis que leurs interrogatoires ainsi que leurs écrous (ordres de sortie) relevaient du clerc criminel215. Ce traitement particulier des écritures liées aux prisonniers pour dette justifiait aussi l’étiquetage de ceux-ci sur le papier de la geôle. Tout comme le règlement de la geôle du Châtelet était né du tarif des geôlages, comme nous le verrons plus loin, le papier de la geôle ou registre d’écrous s’éloignait peu des écritures comptables du geôlier. Le registre d’écrous assumait donc des fonctions plus variées que la fonction d’information du juge qui lui était assignée originellement.
88L’autonomie documentaire croissante des débiteurs dans le papier de la geôle du Châtelet est un premier indice de l’évolution du statut de l’emprisonnement pour dette. Mais l’intérêt majeur du registre d’écrous de 1488-1489 est d’autoriser une étude des pratiques de la dette – des formes de la dette, des motifs de l’endettement, de l’objet de la dette, des montants dus, du délai des obligations, des codébiteurs – et une sociologie des créanciers et des débiteurs. Il permet aussi évidemment une étude de cette sanction particulière de la dette qu’est l’emprisonnement (durée, calendrier des écrous, modes de sortie). En revanche, le caractère fragmentaire du registre de 1412 n’autorise pas de comparaison solide, ni a fortiori l’énoncé d’hypothèses d’une évolution au cours du xve siècle, quant aux modalités de l’endettement des prisonniers ou de l’emprisonnement. Cependant, il permet de mesurer les progrès qualitatifs faits par l’administration du Châtelet en trois quarts de siècle.
89La lecture des registres d’écrous, comme celle de la série civile, est grandement facilitée par la consultation des livres de couleur et des bannières, dont Alexandre Tuetey avait livré un inventaire précieux il y a un siècle216. Il s’agit de « livres » constitués par des officiers du Châtelet, qui compilèrent des transcriptions d’ordonnances royales, de sentences de la prévôté, d’arrêts du Parlement, d’ordonnances et de règlements de la prévôté, intéressant la juridiction du Châtelet. Il ne s’agit donc pas d’archives judiciaires, mais d’archives que l’on pourrait qualifier de parajudiciaires, tant leur genèse et leur objet ont partie liée avec l’exercice de la justice du prévôt royal.
90La série des livres de couleur comporte aujourd’hui onze registres, sur une vingtaine de volumes originels, qui furent dispersés, au cours du xviie siècle, et péniblement rassemblés au xixe siècle. Le plus ancien parvenu jusqu’à nous (le livre Doulx-Sire) fut commencé au début du xve siècle. Il fut vraisemblablement précédé de quatre livres, aujourd’hui perdus.
91Les bannières sont apparues dans la seconde moitié du xve siècle, sous le mandat du prévôt Robert d’Estouteville et ont pris la suite des livres de couleur. Ce sont des registres de publication des actes royaux adressés au Châtelet et intéressant sa juridiction. Rattachés au greffe des insinuations du Châtelet à l’époque moderne, ils comportaient beaucoup de contrats privés au xviie siècle. Pour le xve siècle, la distinction entre livres de couleur et bannières est beaucoup moins nette : le contenu du premier volume des bannières (Y 7) est ainsi très proche de celui de bien des livres de couleur. Ceux-ci, cotés Y 1 à Y 62, ainsi que le premier volume des bannières, coté Y 7, concernent la période médiévale. À ces originaux, conservés aux Archives nationales, il convient d’ajouter les copies modernes de livres de couleur aujourd’hui disparus, conservées aux Archives de la préfecture de police217. Ces copies ne comportent cependant que des extraits des volumes originaux.
92Les livres de couleur étaient conservés dans la chambre du procureur du roi au Châtelet et étaient d’ailleurs souvent désignés par cette localisation : « Les livres de la chambre du procureur du roi ». Alexandre Tuetey a bien montré qu’ils étaient destinés à ce personnage qui était le gardien des métiers parisiens, des privilèges des bourgeois et de ceux de l’Université, ainsi que plus généralement des droits royaux dans la prévôté. Certains se présentent comme de véritables « livres d’or des corporations parisiennes ». Ils ont été largement utilisés par les historiens de Paris, depuis le xviiie siècle, et en premier lieu par Nicolas Delamare qui en a fait la matière principale de son Traité de la police pour l’époque médiévale. La désignation « livres de couleur » provient de leurs reliures d’époque, qui étaient de couleurs variées. On les trouve souvent désignés par ces couleurs dans la documentation du xve siècle et cet usage a été repris aux xviie et xviiie siècles. Certains de ces volumes étaient aussi désignés par leur auteur, comme le livre Doulx-Sire, d’autres par leur contenu dominant, comme les « volumes des ordonnances » des métiers.
93Désigner ces livres plus précisément n’est pas aisé. Il semble que le terme « livre » soit celui qui était employé de préférence à l’époque218, le terme de « registre » étant toutefois employé pour certains de ces volumes qui précisément enregistraient les ordonnances des métiers parisiens219. La nature de ces documents a varié avec les époques, voire avec chaque volume. Certains sont pratiquement monothématiques, en particulier ceux qui ont trait aux métiers parisiens, tandis que d’autres semblent enregistrer tous les actes intéressant la large juridiction du prévôt. Si leur destinataire premier était le procureur du roi au Châtelet, ils intéressaient en pratique le prévôt et l’ensemble de ses officiers subalternes, voire l’ensemble des magistrats parisiens220. Quand on peut connaître les auteurs de ces compilations, il s’agit tantôt de clercs de la prévôté221 (Doulx Sire, par exemple), tantôt du procureur du roi lui-même (Henri de La Cloche en 1454 pour le « livre blanc petit »).
94Les volumes qui se sont révélés particulièrement riches en actes intéressant le sujet, et le plus souvent inédits ou édités partiellement, sont au nombre de trois : le livre Doulx-Sire (Y 1), le livre Rouge vieil (Y 2) et la copie moderne du livre blanc petit déposée aux Archives de la préfecture de police. Les livres Y 3, 4, 6, 7 et la copie moderne du livre vert ancien recèlent également des documents intéressants pour cette étude, mais qui sont soit édités dans les Ordonnances des roys de France, soit présents dans les autres livres de couleur.
95Les quelques éléments permettant de situer les livres Rouge vieil et Blanc petit tiennent en peu de mots. Si le premier est conservé en original aux Archives nationales, le second n’est connu que par les copies modernes qui sont conservées aux Archives de la préfecture de police. Le premier est constitué de cahiers divers écrits aux xive et xve siècles et rassemblés222. Le second fut compilé par Henri de La Cloche, procureur du roi au Châtelet en 1454223. La coïncidence chronologique avec le meilleur des registres des causes civiles (Y 5232) requiert donc une lecture attentive de cette copie du livre Blanc petit. Il convient de s’arrêter ici plus longuement sur le livre Doulx-Sire, parce qu’il est le plus dense en actes intéressant notre étude et qu’il fut en partie compilé dans une période documentée par les registres de causes civiles.
96Le livre Doulx-Sire (Y 1) est un document de première importance pour étudier la procédure civile du Châtelet au début du xve siècle. Il fut composé par le clerc de la prévôté, Jehan Doulx-Sire, qui était en fonction dans les années 1420224. Il rechercha les ordonnances royales, les règlements des prévôts, des arrêts du Parlement, qui avaient été adoptés durant le demi-siècle antérieur et qui avaient trait au style du Châtelet, en particulier aux développements de la procédure d’exécution. Le livre est organisé en dossiers de textes relatifs à certaines matières : le style de la cour, avec des sous-dossiers relatifs aux offices et à la procédure en matière de rentes pour sa première moitié (fol. 1-99), puis les notaires pour 65 feuillets (fol. 100-164), puis les examinateurs pour une vingtaine de feuillets. Il fut compilé à 95 % dans les années 1423-1441. Les 5 % restants sont la dizaine de feuillets finaux datés des années 1470, plus disparates. Pierre de Quatrelivres, procureur du roi à partir de 1477, et qui comme tel était le détenteur normal des « livres de couleur » du Châtelet, a visiblement réutilisé le vieux livre Doulx-Sire pour y ajouter quelques textes qui lui semblaient utiles ou marquants. Les 95 % qui constituent le noyau du livre sont beaucoup plus homogènes. La première partie du livre s’organise autour d’un dossier portant sur les rentes, comportant des actes de 1424 à 1441, et de l’ordonnance générale du Châtelet de 1425. Ces deux dossiers ont appelé une recherche des ordonnances et règlements antérieurs (sur les oppositions, les criées d’un côté, sur les réformes successives de la procédure du Châtelet d’un autre côté), qui sont transcrits avant et après les deux ordon nances. Deux thèmes traversent donc cette partie : le style du Châtelet proprement dit, c’est-à-dire son organigramme et sa procédure, et le rachat des rentes. Ces deux thèmes sont convergents, puisque la question des rentes a entraîné des aménagements de la procédure des criées. Cette première partie du livre Doulx-Sire est donc l’embryon d’un livre de couleur thématique sur le style du Châtelet. La seconde partie du recueil se focalise d’ailleurs sur un segment de ce thème très général, avec une succession de textes relatifs aux notaires puis aux examinateurs du Châtelet. La liste des prévôts qui ouvre le livre est écrite d’une même main et encre jusqu’au nom de Simon Morhier, la fin de son mandat en 1436 étant ajoutée d’une autre encre. Hormis les feuillets finaux, les mentions les plus récentes dans le livre sont de 1432 (collation d’un extrait des livres de la Chambre des comptes) et 1441 (ordonnance de Charles VII sur les rentes). Le livre a peut-être été commencé en vue de préparer la réforme du Châtelet qui intervint sous l’égide de l’occupant anglais par la grande ordonnance de mai 1425. En effet, le Parlement avait nommé le 18 septembre 1423 cinq commis, puis le 4 novembre 1423 trois commis, pour s’enquérir de l’état du Châtelet et avait ordonné au procureur du roi au Châtelet de les aider225. Doulx-Sire fut-il chargé par le procureur Jean Le Roy de rassembler les pièces utiles à cette tâche ? Doulx-Sire, en tant que clerc civil, censé présider à la tenue des écritures civiles et en particulier des registres de l’auditoire ordinaire, était particulièrement bien placé pour réaliser une telle compilation réglementaire sur le style du tribunal. La compilation des textes les plus anciens s’est donc faite pendant le mandat de Simon Morhier, sous l’occupation anglaise : les ordonnances du roi anglais sur les rentes furent transcrites au nom de ce roi, qui fut dans un deuxième temps caviardé, tandis qu’était conservé celui de Charles VII, auteur de l’ordonnance de 1441 sur les rentes qui se situait dans la continuité de celles du roi anglais ; l’ordonnance de 1425, quant à elle, qui procédait à une mise en ordre de règlements antérieurs épars sur le Châtelet, n’est pas intitulée au nom d’un roi : elle fut conservée telle quelle, les rois suivants n’ayant pas eu besoin de procéder à une nouvelle législation avant 1499. Le travail de Doulx-Sire est révélateur de cette mise en ordre plus générale de l’administration prévôtale qui s’est jouée pendant la période anglaise. Cette mise en ordre ne fut pas reniée ensuite, même si l’œuvre anglaise fut partiellement l’objet d’une damnatio memoriae. La seconde partie du livre constitue une sorte de cartulaire ancien des notaires du Châtelet et c’est comme tel qu’il a été considéré par les « historiens » modernes du notariat, en particulier par Guillaume Levesque et Simon-François Langloix, qui semblent en avoir tiré une partie de la matière de leurs traités des droits des notaires du Châtelet de Paris, en 1663 et 1738226. Le livre Doulx-Sire est ainsi une mine pour la connaissance du style judiciaire du Châtelet et du fonctionnement interne de la juridiction médiévale.
97Au total, au Châtelet, si les registres d’audiences séparent les causes civiles des causes criminelles, les registres d’écrous, tout en signalant nettement les débiteurs, mêlent prisonniers civils et criminels, attestant une certaine communauté de traitement des prisonniers pour dette et pour causes criminelles. De cette absence de spécialisation des papiers judiciaires du Châtelet sur les cas d’endettement, commune d’ailleurs à l’ensemble de la documentation judiciaire parisienne, qui contraste avec la pratique des juridictions d’autres régions européennes, il serait souhaitable de rendre compte. Ne témoignerait-elle pas, en dernière instance, d’une sorte de pénalisation ou de criminalisation de l’endettement dans le cœur du royaume de France à la fin du Moyen Âge ? À sa manière, l’existence et le développement d’une grâce royale pour dette, appelée répit227, ne l’attestent-ils pas aussi ?
98Cette documentation judiciaire constitue donc le cœur du corpus documentaire et occupe, ici, la place qui est tenue par les archives notariales dans beaucoup d’études médiévales récentes sur l’endettement. La substitution de l’archive judiciaire à l’archive notariale pour le Paris médiéval, rendue nécessaire par le défaut des archives notariales, produit des effets contrastés. Les archives notariales, par nature, lissent la réalité des relations sociales, en faisant tenir le lien de crédit en une « confession » ou une « reconnaissance ». Elles offrent donc une vision pacifiée des rapports sociaux. Dès lors, l’historien qui exploite les archives notariales porte surtout son attention sur les stratégies des contractants, dans ce qui se présente comme un jeu à deux participants, se jouant en des dizaines de parties. On traque alors les atouts et faiblesses des uns et des autres, dans ce qui apparaît comme les miroirs de ces face-à-face, les contrats. L’archive notariale produit ainsi l’illusion de la symétrie et du consensus dans le lien social.
99Une telle analyse stratégique des comportements des acteurs pourrait sembler également congruente avec les enseignements des archives judiciaires parisiennes. Après tout, c’est à leur manière l’approche suivie par bien des historiens du droit des obligations et par les historiens de la justice : les archives judiciaires, et plus particulièrement celles du Parlement, qui ont conservé les plaidoiries des avocats des plaideurs, sont en effet un théâtre où se déploient les stratégies des parties et où se laissent deviner les négociations qui mènent aux sentences ou aux arrêts. Même au Châtelet, où les plaidoiries n’ont été conservées qu’avec parcimonie, la procédure de recouvrement des dettes s’est révélée, aux yeux d’Olivier Martin, une succession d’artifices à l’avantage des débiteurs pour faire traîner les procès que leur intentaient les créanciers. Cette manière de considérer les parties en procès comme des joueurs et les procès pour endettement comme d’aimables chicanes relève de la même approche attentive aux « stratégies des acteurs », acteurs socioéconomiques et plaideurs. La stratégie d’endettement trouve son prolongement dans la stratégie judiciaire. Ces approches ont leurs vertus, car, sous la ruse, elles font apparaître l’utilisation qui est faite par les parties des procédures proposées par les juridictions et l’acculturation judiciaire des acteurs de ce jeu social. Toutefois, avec ces archives parisiennes, ces restitutions de stratégies restent largement illusoires. Une microanalyse des situations d’endettement n’est guère possible dans cette foule parisienne, dans laquelle l’on croise rarement deux fois les mêmes personnages. Restituer quelques parcours de débiteurs ou de créanciers était ici presque impossible. Quelques cas rares mieux connus seront exploités, quelques affaires judiciaires mieux documentées recevront un traitement particulier, pour être intégrés dans une vision plus large de segments sociaux228. La notion de « stratégie » est ainsi infructueuse pour une lecture de ces archives parisiennes, sauf à appauvrir singulièrement son sens.
100Il n’en demeure pas moins que la substitution des archives judiciaires aux archives notariales amène un changement de tonalité dans l’éclairage : à une vision « lisse » se substitue une vision « rugueuse » des relations sociales. L’archive judiciaire, en particulier le registre d’écrous, mais aussi les registres d’appointements qui ne comportent que peu de plaidoiries et qui abrègent considérablement les sentences, laisse finalement peu la parole aux plaideurs. Elle produit l’illusion inverse de l’archive notariale : celle de l’asymétrie et de la violence dans les relations d’endettement. De manière générale, le traitement de l’endettement par les justices médiévales parisiennes se laisse appréhender sous les traits d’une répression sévère de la dette : violence économique (saisies et adjudications), violence physique (contrainte par corps), violence spirituelle (excommunication). Cette répression aux multiples visages, à laquelle contribuent les diverses juridictions, dévoile une intense « judiciarisation » de l’endettement privé. Mais il faut corriger cette rugosité apparente des relations d’endettement. Dès que la documentation le permet, il faut tenter de combiner les effets des deux catégories de sources, qui sont deux approches obliques, afin de retrouver une vision plus fidèle à la réalité de l’endettement médiéval.
Archives notariales
101Nous l’avons dit d’emblée, la source la plus féconde pour l’historien du crédit médiéval manque cruellement à Paris : c’est-à-dire les registres de notaires, qui sont si abondants dans l’Europe méditerranéenne depuis le xive siècle, voire le xiiie siècle, ainsi que les registres de tabellions du nord de la France, dont le nombre croît à partir des années 1380229. Robert-Henri Bautier a bien montré que, dans la logique du notariat royal du nord de la France, le sceau seul étant authentique, nul besoin ne se fit ressentir de conserver d’autres expéditions de l’acte scellé, ni de conserver les minutes qui ne faisaient pas foi230.
102La rupture avec cette logique fut particulièrement tardive à Paris. L’ordonnance royale de mai 1425 sur le Châtelet prescrivit la tenue par les notaires du Châtelet de registres de « convenances, obligations et contraulz » : ils ne devaient le faire qu’à la requête des contractants231. Celle de Charles VII, le 1er décembre 1437, prescrivit la tenue systématique de « prothocolles » de leurs minutes, par ces notaires du Châtelet232. Cette ordonnance n’eut comme effet que d’inciter quelques notaires à conserver des minutes des actes qu’ils écrivaient. En 1510, Louis XII renouvela l’injonction faite aux notaires du royaume de tenir registres des actes qu’ils authentifiaient, mais les notaires du Châtelet de Paris étaient précisément exclus de l’application de cette ordonnance. En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts renouvela l’obligation générale et y soumit cette fois les notaires du Châtelet. L’enregistrement des actes des notaires du Châtelet de Paris ne commença qu’alors233. À partir de là, chaque acte notarié fut dressé en trois formes : minute, registre et grosse. Ces archives notariales du Paris moderne ont donné lieu, depuis les années 1960, à de grandes enquêtes d’histoire sociale234 et, récemment, à une vaste étude d’histoire économique235. Pour quelle raison l’enregistrement de leurs actes par les notaires du Châtelet de Paris fut-il si tardif ? Rapproché du comportement des notaires royaux d’Orléans, dont le collège fut constitué à l’imitation de celui de Paris, le retard parisien apparaît comme une réelle anomalie. Bien qu’ils n’aient pas été soumis à l’obligation d’enregistrer avant le xve siècle, comme leurs collègues parisiens, on a conservé des registres des notaires royaux d’Orléans à partir de 1385236. Après l’ordonnance de Villers-Cotterêts, en contrepartie de l’obligation d’enregistrer, les notaires du Châtelet obtinrent le droit de faire grossoyer les actes par des clercs, droit qui leur était récusé depuis le début du xive siècle en raison d’un autre privilège qu’ils détenaient. Les notaires du Châtelet de Paris faisaient en effet figure d’exception parmi les notaires du royaume : les « notairies » parisiennes n’étaient pas vendues à ferme par le roi, contrairement aux tabellionats royaux. Les notaires parisiens de l’époque moderne affirmaient que ce privilège remontait au temps de la réforme de la prévôté de Paris par Saint Louis, qui aurait mis fin à l’affermage de l’office de prévôt royal de Paris et refusé celui de l’office du scelleur et des offices de notaires. Un mémoire sur le Châtelet datant de 1320 environ réprouvait cette particularité qui privait le roi de revenus élevés237. Elle fut pourtant confirmée par l’ordonnance sur le Châtelet de 1321238. L’ordonnance de février 1328 fixa le tarif des écritures réalisées par les notaires, complétant ainsi celle de 1321239. Ce statut privilégié des notaires parisiens leur faisait quelque obligation : ils devaient en principe rédiger les actes en personne, ils ne pouvaient déléguer le grossoiement à des clercs, ce que les autres notaires du royaume faisaient couramment. Cette obligation rendait leur tâche écrasante, d’autant qu’elle ne faisait qu’ajouter à une masse d’écritures que les notaires du Châtelet s’efforçaient de contrôler : ainsi revendiquèrent-ils fort longtemps les écritures judiciaires du Châtelet. N’oublions pas enfin que le nombre de notairies parisiennes avait été fixé à soixante en mars 1301, à une époque où la ville de Paris ne comptait pas loin de deux cent mille habitants. Les notaires orléanais étaient au nombre de quinze pour une ville qui comptait bien moins que le quart des habitants parisiens. Le chiffre de soixante resta constant jusqu’au début du xvie siècle. Certes, la dépopulation parisienne consécutive à la Peste puis à la dépression du début du xve siècle avait tari une source de l’activité notariale parisienne. Mais dans le même temps, le recours à l’écrit authentique s’était diffusé dans les comportements économiques. Il n’est donc pas improbable que l’absence d’enregistrement par les notaires parisiens ait en partie tenu à leur surcharge de travail.
103Cependant, quelques liasses de minutes, antérieures à l’enregistrement proprement dit, ont été conservées, l’acte le plus ancien remontant à 1452240.
104À partir de 1490, on dispose d’une suite continue d’actes, avec une moyenne de trente actes dressés par mois. Mais, sur les soixante études de notaires qui exerçaient à Paris entre 1480 et 1500, seules sept (XIX, VIII, XX, XXXIII, LXI, LXVIII, CXXII) ont conservé des actes antérieurs à 1500241. Et sur ces sept études, deux seulement comportent des actes en nombre significatif et qui constituent une suite chronologique : l’étude VIII, située rue Saint-Denis et l’étude XIX, située rue Saint-Antoine242. C’est sur ces deux études qu’ont porté les dépouillements. La couverture géographique de Paris est réduite : le quartier Saint-Antoine et la banlieue Est, le quartier Saint-Denis. Pour l’étude VIII, non inventoriée, tous les actes d’une année ont été dépouillés (avril 1483-avril 1484)243. Pour l’étude XIX, qui a fait l’objet d’un inventaire détaillé des actes antérieurs à 1501244 (plus de cinq mille actes), le dépouillement a suivi une autre démarche : ont été dépouillées toutes les « obligations » repérées dans l’inventaire, pour les années antérieures à 1490. Ces actes se présentent, non sous la forme de registres, mais sous la forme de feuilles volantes. La minute est, en général, écrite de manière abrégée, à l’exception de quelques actes, comme des actes de vente. Autrement dit, ce sont pour l’essentiel des brèves, et plus rarement des minutes étendues (extenda).
105Dans cette documentation notariale, et en tirant parti de la seule étude XIX inventoriée, la part des actes touchant au crédit est difficile à évaluer, du fait des caractères de la typologie documentaire adoptée par l’inventaire et de la variété des actes qui peuvent recouvrir une opération de crédit. Toutefois, il en ressort que le crédit est omniprésent : aux obligations proprement dites (au nombre de cent dix dans les minutes anciennes de l’étude XIX), viennent s’ajouter les constitutions de rentes, quittances et marchés, ventes à terme, transports de créances, titres nouvels, les procurations pour activités de crédit… En outre, les inventaires après décès (au nombre de douze seulement dans l’étude XIX)245 renferment souvent des dettes actives détenues par le défunt246 ou, au contraire, des dettes reconnues par lui. Si l’on se réfère au classement établi pour l’étude XIX par Claire Béchu, c’est la proportion minimale de deux tiers d’actes notariés touchant à la vie économique qui doit être retenue247. Sur cet ensemble, la moitié environ relève du crédit : ce serait donc le tiers de l’activité du notaire qui serait ainsi mobilisée par le crédit248. À Paris comme ailleurs, cette conclusion s’impose : l’un des premiers domaines d’intervention du notaire était le crédit.
106L’intérêt de cette documentation, très tardive, lacunaire, est triple : d’abord, trouver des renseignements sur des débiteurs et des créanciers cités dans le registre d’écrous du Châtelet en 1488-1489, notamment grâce à l’inventaire de l’étude XIX ; étudier les usages de l’obligation de corps dans les contrats ; plus largement, connaître les usages du crédit à l’extrême fin du Moyen Âge à Paris.
107Pour apprécier cette documentation, il faut tenter de combler le vide qui précède en recourant aux expéditions des notaires du Châtelet, antérieures, qui ont été publiées avec les cartulaires des établissements parisiens. En particulier, l’une de ces éditions s’est révélée extrêmement précieuse : celle des chartes de l’abbaye de Saint-Magloire, du xiiie siècle au début du xve siècle, seule édition véritablement exhaustive de l’intégralité des chartes d’un établissement parisien, qui n’omet aucune des clauses de garantie, négligées par la plupart des éditions249.
108Certains types de contrats et certaines catégories de crédit se singularisent par leur rareté dans les minutes, en particulier les ventes de biens mobiliers, les « contrats de travail » autres que les contrats d’apprentissage. De la même manière, les contrats n’ayant pas trait à des biens immobiliers sont très rares dans les lettres conservées par les cartulaires. Autrement dit, une bonne partie du « crédit » échappe non seulement aux cartulaires, ce qui est lié à leur nature même, mais aussi aux minutes notariées, ce qui est plus troublant. Dans les cartulaires, comme dans les minutes, la rente s’impose250. Comme le constatait Bernard Schnapper en 1957, « de ces opérations [lettres obligatoires et brevets pour un crédit peu onéreux] sans doute bien plus fréquentes que les contrats de rente, il ne reste presque pas de traces. La dette payée, l’acte était détruit ou rendu au débiteur. Par contre, pour des dettes de montant moyen ou élevé les rentes jouaient un rôle considérable251 ». Vraisemblablement, les minutes ont été d’autant mieux conservées que les contrats engageaient des parties sur plusieurs années, à moyen ou long terme (rente, apprentissage, détentions en ferme…). La conservation a été plus aléatoire pour des contrats qui devaient se résoudre à une seule échéance et qui portaient sur des sommes plus réduites (ventes de biens mobiliers, prêts modestes).
109La documentation de nature notariale a ainsi servi de contrepoint aux témoignages issus des archives judiciaires du Châtelet et du Parlement. Malgré sa pauvreté, elle reste un repère indispensable de la nature pacifique, ou pacifiée, du crédit, qui servait de toile de fond aux multiples conflits qui sont l’objet de cette étude.
Littérature juridique : coutumiers et styles de procédure
110L’observation de la pratique judiciaire du Châtelet impose le recours aux ouvrages juridiques parisiens, principalement les styles du Châtelet. Ce que l’on appelle depuis le début du xvie siècle « Grand coutumier de France » est une compilation de droit parisien, dont la paternité a été attribuée par Léopold Delisle à un examinateur et avocat du Châtelet, Jacques d’Ableiges, qui l’écrivit entre 1385 et 1388252. On en connaît vingt-huit versions manuscrites et une douzaine d’éditions imprimées pour la période 1514-1539. C’est dire qu’elle eut une diffusion importante et qu’elle resta d’un usage courant parmi les praticiens jusqu’au milieu du xvie siècle, après quoi la rédaction de la coutume parisienne la rendit caduque. Sa lecture attentive s’imposait pour deux raisons : c’est « le premier exposé du droit parisien, sur lequel il a exercé une grande influence253 » et c’est aussi un représentant de la littérature coutumière particulièrement réussi. Comme le constataient les éditeurs de 1868, c’est « à la fois un code civil, un code de procédure et un formulaire », en bref « un livre de pratique254 ».
111Or cette édition que Ernest Laboulaye et Rodolphe Dareste ont livrée en 1868, pour utile qu’elle soit255, est insuffisante. Elle reproduit les premières éditions imprimées datant du début du xvie siècle, qui comportaient bien des textes très postérieurs à la rédaction initiale. De plus, elle a été réalisée avant la découverte par Léopold Delisle de manuscrits contenant un texte similaire, dont l’un comportait la préface de Jacques d’Ableiges, ce qui permit l’attribution de l’ouvrage à cet auteur256. Il faut donc se référer aux manuscrits, qui sont nombreux et qui livrent plusieurs versions différentes de la compilation, à des dates diverses au xve siècle257. De ce fait, il a fallu choisir, parmi ces manuscrits, ceux qui serviraient de référence à la compilation, pour tenir compte des chapitres absents de l’édition. Pierre Petot et Pierre Timbal ont estimé que la compilation originelle de Jacques d’Ableiges ne nous est pas parvenue, parmi ces manuscrits, et que les plus anciens de ceux-ci comportent une version déjà modifiée de la compilation, et qui aurait été écrite vers 1393. En fait, la compilation de base a circulé intensément au xve siècle et elle a été amendée, étendue, corrigée, ou amputée, par ses utilisateurs, dans chaque version postérieure, vraisemblablement afin de tenir compte des changements intervenus dans la pratique judiciaire. Le premier état connu est celui qui se trouve dans les manuscrits organisés en quatre livres, au début des années 1390. Un second état, repéré par Olivier Martin258, fut mis au point dans les toutes premières années du xve siècle. Les classements opérés dans la masse des manuscrits s’arrêtent à l’identification de ces deux états. Olivier Martin avait vainement recherché parmi les nombreux manuscrits de droit parisien ceux qui permettraient de combler l’énorme lacune qui sépare l’intense production coutumière de la fin du xive et du début du xve siècle de la coutume rédigée en 1510 : un court recueil de l’extrême fin du xve siècle, qui précédait de peu la coutume de 1510, et publié par Olivier Martin, a été consulté, mais il ne s’intéresse pas aux obligations et voies d’exécution259. C’est pourquoi des manuscrits datant de ces deux états de la compilation ont été retenus : les manuscrits BnF, fr. 10816 et fr. 18419. Leur contenu est très différent dans le détail, en particulier sur les chapitres qui nous intéressent. Il s’agit aussi des deux manuscrits cités préférentiellement par Olivier Martin sur le thème des obligations et des voies d’exécution.
112Dater le contenu du manuscrit BnF, fr. 10816 ne fait aucune difficulté : il mentionne notamment le greffier Dreux d’Ars, actif autour de 1391, ainsi que des ordonnances royales de 1393. Organisé en quatre livres, porteur de la préface qui permit l’identification de son auteur, il sert traditionnellement de référence. Rappelons brièvement sa composition, telle que Pierre Petot et Pierre Timbal l’avaient analysée. Le premier livre est une compilation de copies ou de résumés d’ordonnances royales, d’actes administratifs, d’avis de juristes, qui rassemble des textes disparates, en les faisant suivre de commentaires260. Il fournit en particulier le texte de l’ordonnance de février 1368 sur le sceau du Châtelet, assorti d’un commentaire, un peu différent de celui que l’on peut lire dans l’édition, ou encore une version du règlement de la geôle du Châtelet. Le deuxième livre est un exposé, moins disparate, des principales institutions du droit privé coutumier parisien. Les chapitres de ce livre se succèdent dans un certain désordre, ce qui occasionne des répétitions et la dispersion de certaines matières en plusieurs chapitres. C’est particulièrement vrai pour des chapitres qui nous intéressent au premier chef : les chapitres « obligation » (douzième chapitre) et « exécution des lettres » (dix-septième chapitre) sont séparés l’un de l’autre, le premier comportant notamment à sa fin des considérations qui portent plus sur l’exécution que sur l’obligation proprement dite. Le chapitre « obligation » emprunte en fait l’essentiel de son contenu aux rubriques « obligation », « action », « demande de condicion indebiti » et « demande de sine causa », des « ordonnances de plaidoier de bouche et par escript, abbregiés par Pierre et Guillaume Maucrueulx de Montagu… », ouvrage daté de 1330 environ, et y ajoute deux nota. C’est un chapitre court construit autour de citations de droit romain. Le chapitre « de l’execucion des lettres » est, en revanche, un exposé original sur la procédure d’exécution au Châtelet de Paris dans les années 1360-1390, comportant notamment des jugés du célèbre magistrat parisien Martin Doublé et un arrêt du Parlement de 1364, qui ne se trouvent pas dans l’édition. La séparation matérielle des deux chapitres traduit la coupure conceptuelle entre des maximes théoriques d’une part et un exposé de jurisprudence et de pratique coutumières d’autre part. Plus largement, elle semble traduire la difficile greffe de la notion romaine d’obligation dans l’univers coutumier.
113Le livre III comporte ce qu’on peut appeler le style du Châtelet261, en dixneuf chapitres, et constitue un traité de procédure à l’usage des avocats et des procureurs du Châtelet. On y trouve notamment un formulaire à l’usage de ces derniers262. C’est ainsi un utile complément aux causes rapportées dans les registres civils. Le livre IV est un traité théorique sur l’office de juge, les divers niveaux de justice, les peines, etc. Enfin, il est suivi de « notables » qui diffèrent de ceux rapportés dans l’édition. Les livres I, II et III sont les plus riches pour cette étude.
114Le manuscrit fr. 18419, qui s’intitule « stile et coustume de la viconté et prevosté de Paris263 », se présente comme une retouche d’une partie de la version initiale de la compilation : il se réfère par exemple au « stille ancien du Chastellet », qu’il cite et corrige à l’aide d’un point de droit qui fut « prouvé en tourbe » en l’an 1400264. Il comporte une table, mais nullement de division en livres. Il s’ouvre sur l’ordonnance royale de 1425, qu’il semble avoir copiée sur les papiers de Doulx-Sire, si l’on interprète bien la mention « Doulz Sire » portée à la fin de cette transcription, après la date de publication de l’ordonnance265. Ce traité se consacre presque exclusivement au contenu du deuxième livre des manuscrits en quatre livres et, dans le détail, on constate qu’il réorganise le découpage de la compilation en quatre livres, confondant certains chapitres très éloignés les uns des autres dans le manuscrit fr. 10816 et dans la version éditée. C’est particulièrement net pour le chapitre unique portant sur les obligations et les voies d’exécution. On constate qu’il rapproche, sous cette rubrique « de obligacion de action de execucion de vendicion de meuble de criees de heritages et d’arrestz », les chapitres « de obligation » et « de execution par lettres » de la compilation antérieure, qu’il fait suivre de rubriques portant sur les oppositions, sur les questions de compétence qu’elles posent et sur les criées. Il procède donc, par rapport à l’état antérieur de la compilation, à une réorganisation des rubriques en une présentation du droit privé coutumier qu’il veut plus logique. Il revendique même une sorte de plan pour cet exposé : « Pour ce que a cest commancement est a parler des obligacions accions arrestz et execucions nous parlerons premierement des debtes privilegiees qui sont deues sans lectres et consequemment des autres266. » Le passage théorique sur les quatre sortes d’obligations et les variétés d’actions qui en découlent, qui constituaient le chapitre « de obligacion » du manuscrit fr. 10816, vient donc après des considérations sur les dettes passées sans lettres et précède, logiquement, les règles portant sur la procédure concernant les obligations par lettres : les obligations sous seing ou sceau privé, la valeur des renonciations qui assortissent les obligations, les coobligés, les voies d’exécution et d’arrêt. Ceci posé, son insertion dans un chapitre unique portant sur l’exécution des dettes ne procède pas d’une réelle unification conceptuelle : il est inséré d’un bloc, à sa place logique, mais il ne commande pas l’organisation du chapitre. Il reflète ainsi l’effort accompli vers une unification conceptuelle, qui restait inachevée : les juristes parisiens s’efforçaient d’organiser le droit des voies d’exécution autour de la catégorie romaine d’obligation, mais la matière la débordait de toutes parts.
115Cette version comporte aussi des considérations nouvelles, qui témoignent d’un souci d’adapter l’exposé à la jurisprudence récente : ainsi, sur le sceau du Châtelet ou sur les privilèges des vendeurs parisiens. Globalement, on constate la part croissante tenue par la contrainte par corps dans la procédure qu’elle expose, même si, comme le style précédent, elle ne lui consacre aucun paragraphe ou rubrique ad hoc. Les développements concernant cette phase de la procédure d’exécution y sont plus riches que dans le style précédent, ce qui peut être le signe du développement du recours à la contrainte par corps. Dater le manuscrit fr. 18419 n’est pas très aisé. S’il s’ouvre sur l’ordonnance de 1425, l’essentiel du « stile » semble dater des toutes premières années du xve siècle, si l’on tient compte des tourbes et des sentences citées : il s’agit sans doute de la copie, postérieure à 1425, d’un état de la compilation datant de 1405 environ. Il est vraisemblablement antérieur à 1452, puisqu’il ignore le contenu d’une ordonnance royale de cette année qui modifia un point de procédure sur les vendeurs jurés pour lesquels il marque quelque insistance. L’auteur en est inconnu, mais il est évident, d’après les citations faites, que c’était un magistrat du Châtelet. Il avait accès aux papiers du clerc civil Doulx-Sire, ce qui n’est guère étonnant puisque celui-ci fut clerc civil jusqu’en 1429 au moins et était lieutenant civil en 1454.
116La lecture de ces deux manuscrits et de la version éditée, leur comparaison, les rapprochements possibles avec le contenu des livres de couleur et avec les causes civiles montrent que des thèmes centraux de cette étude ont suscité une intense réflexion des praticiens du Châtelet : le sceau du Châtelet, la catégorie d’obligation, le rôle de l’emprisonnement dans la procédure d’exécution.
117D’autres représentants typiques de l’arsenal juridique parisien médiéval ont été utilisés. Cependant, ils se sont révélés moins riches pour cette étude. Il s’agit d’ouvrages du xive siècle, bien connus, et édités pour certains : « L’ordre de plaidoier » des frères Maucreux267, le Stilus curie parlamenti de Guillaume du Breuil268, les « Questions » de Jean Le Coq269, qui se rapportent au style du Parlement d’une part, des notables270, les « Decisions de Jehan des Mares » et les « Coutumes notoires du Châtelet »271, qui ont trait à la coutume privée parisienne, d’autre part.
118La lecture du « recueil d’arrests notables272 » de Jean Papon, qui date du milieu du xvie siècle, et qui recueillit également des arrêts des Parlements provinciaux, a permis d’élargir cette vision de la littérature des notables.
119Si la consultation des ouvrages juridiques parisiens était indispensable à la compréhension des archives judiciaires parisiennes, la lecture de coutumiers de régions voisines de l’Île-de-France a paru nécessaire pour situer le cas parisien choisi comme lieu d’étude. Bien que les archives judiciaires qui servent de point d’ancrage à l’étude soient centrées sur le xve siècle, et les textes coutumiers parisiens sur la fin du xive siècle et le début du xve siècle, il a semblé utile de balayer un spectre chronologique plus large pour les coutumiers : le coutumier de France était un des derniers venus d’une tradition des coutumiers français, qui s’ouvrit au milieu du xiiie siècle et qui triompha vers 1280, mais qui produisit encore quelques spécimens au xive, voire au xve siècle273.
120Le corpus documentaire fait du Châtelet le lieu d’observation principal. En dépit de la médiocrité relative de ses archives pour une juridiction d’une telle importance, il reste une fenêtre exceptionnelle sur la justice royale de la fin du Moyen Âge, en raison des croisements possibles entre registres civils, écrous, actes notariés, recueils de textes réglementaires, traités juridiques et styles. Ces archives ne sont conservées qu’à partir de la fin du xive siècle : ce sont elles qui établissent le point de départ de l’étude. La conservation des premiers papiers judiciaires sort alors brusquement de l’ombre l’action judiciaire du prévôt royal274. C’est en 1389 que Jean de Folleville arriva à la tête de la prévôté. Il présida à la tenue systématique des archives du tribunal civil, conservées à partir de 1395, comme à celle du « registre criminel » de 1389-1392. Ces années sont aussi celles de la rédaction par Jacques d’Ableiges, examinateur et avocat au Châtelet, d’une compilation de droit coutumier qui fut en usage tout au long du siècle suivant, jusqu’à la rédaction officielle de la coutume de Paris en 1510. Ces années 1380-1390 apparaissent ainsi comme un seuil capital pour l’histoire de la prévôté royale de Paris. La reprise en mains de Paris par le roi Charles VI, après un intermède de deux ans qui avait vu les Parisiens se rebeller contre la fiscalité royale et l’autorité prévôtale, entre la mort de Charles V en septembre 1380 et janvier 1383275, la suppression de la prévôté des marchands en janvier 1383 et l’attribution de ses missions au prévôt royal ne sont sans doute pas étrangères à ce brusque développement scripturaire du Châtelet. La décennie 1380 coïncide enfin avec le nouveau retournement de la conjoncture économique qui, après une courte pause d’une vingtaine d’années, amorce une nouvelle dégradation. Le long siècle qui va de 1380 à 1490 et qui sert de cadre à cette étude est en effet pour la région parisienne celui d’une plongée dans une dépression profonde, dont le creux est atteint dans les années 1410-1440, suivie d’une longue récupération276. Le terminus ad quem de l’étude, autour de 1490, correspond à l’entrée dans une nouvelle phase de croissance pour la région parisienne après une lente reconstruction, qui n’était d’ailleurs pas achevée dans toute la prévôté de Paris.
121Si, depuis longtemps, le roi devait être particulièrement attentif à la gestion administrative, judiciaire, policière de Paris, la prévôté royale était investie d’une mission alourdie dans ces années de dépression. De surcroît, l’action de la justice royale dans une capitale dramatiquement affectée par les guerres, étrangère et civile, et par l’instabilité politique, revêtait un caractère d’urgence. Celle-ci ne fut pas épargnée par la crise politique du début du xve siècle : passé les mandats de Jean de Folleville et de Guillaume de Tignonville, les prévôts valsèrent au gré des émeutes et des changements des factions au pouvoir, jusqu’à ce que le duc de Bedford, représentant Henri VI dans la ville conquise par les Anglais, impose pour près de quinze ans le prévôt Simon Morhier. Pourtant, si les troubles politiques ont affecté le Châtelet, une certaine continuité de la justice royale fut assurée par la longue présence de quelques officiers, qui traversèrent ces crises – en particulier les clercs civils Pierre de Fresnes et Jehan Doulx-Sire. Dès lors, des solutions juridiques et des institutions judiciaires apparues dans les décennies précédentes ont été testées et adaptées dans un contexte dramatique. L’emprisonnement pour dette s’enracina. La prévôté royale de Paris revêt un caractère indéniablement exceptionnel. Le roi se devait d’être efficace là plus qu’ailleurs, même lorsque ce roi fut un roi anglais, puisque tenir Paris était crucial pour l’occupant. L’attente à l’égard de cette juridiction royale était donc énorme et vraisemblablement bien supérieure à celle qui pouvait se manifester à l’égard des justices royales dans la plupart des localités du royaume. Le pouvoir d’action du prévôt royal dans les territoires qui lui étaient soumis était sans doute aussi bien supérieur à celui de bien des baillis et sénéchaux royaux. Le cas parisien est donc un cas limite dans le royaume de France, mais il est d’autant plus précieux qu’il fut aussi un laboratoire pour la justice royale. De même que le droit parisien s’imposa progressivement dans les siècles suivants comme le droit royal français, une partie des solutions apportées au traitement de l’endettement inventées au Châtelet passa dans l’arsenal judiciaire royal général. Dans l’histoire du droit parisien, ce long xve siècle coïncide avec une phase d’intense écriture et de constante réécriture de la coutume parisienne, avant qu’elle ne soit fixée par la coutume officielle rédigée en 1510 : parmi d’autres écrites dans les deux dernières décennies du xive siècle, la compilation juridique connue sous le nom de Grand coutumier de France s’imposa aux juristes et praticiens parisiens jusqu’au début du xvie siècle et fut constamment utilisée au cours du xve siècle.
122La première partie de l’étude montrera comment le tribunal du Châtelet fut amené à assumer l’exécution des créances privées en recourant à la contrainte par corps, en relation directe avec la juridiction gracieuse qu’il avait développée précocement. Ainsi, la prison pour dette doit-elle se comprendre d’abord en tant que rouage d’une logique institutionnelle : la geôle était solidaire du sceau de juridiction. Contemporaine de la dépression tardomédiévale et fille de la dépendance médiévale, la prison pour dette s’inscrivit aussi dans un type particulier de relation socio-économique, l’obligation du corps (deuxième partie), cette étrange clause, inventée à la fin du xiiie siècle, par laquelle des contractants acceptaient de lier leur corps en garantie d’une dette. Puis, une troisième partie sera consacrée à la compréhension de l’emprisonnement pour dette en lui-même, tel qu’il était pratiqué au Châtelet. Il faut se garder de considérer celui-ci comme une pratique résiduelle ou une curiosité médiévale : l’institution qui se mit en place alors ne disparut que dans la seconde moitié du xixe siècle, quand fut aboli en France l’emprisonnement pour dette civile. D’après la documentation du xve siècle, les geôles du Grand Châtelet abritaient de façon continue une vingtaine de débiteurs277, soit autant qu’au xviiie siècle, pour une population parisienne qui équivalait au tiers, voire au quart de ce qu’elle serait au xviiie siècle278. Le « turn-over » des prisonniers était aussi plus fort au xve siècle qu’au xviiie siècle. En ne prenant en compte que les seuls prisonniers pour dette du Châtelet pour le xve siècle et l’ensemble des prisonniers pour dette du Paris moderne, il apparaît que le rapport entre le nombre des prisonniers pour dette et la population parisienne, la fréquence de l’emprisonnement pour dette étaient bien supérieurs au xve siècle à ce qu’ils étaient au xviiie siècle. Les conditions d’emprisonnement, le régime carcéral, les modes de sortie sont autant d’indicateurs des principes qui régissaient la contrainte par corps et de la fonction qui lui était assignée. Au fil de cette étude, centrée sur un long xve siècle, des retours en arrière d’ampleur parfois importante, seront nécessaires, afin de retracer la genèse de pratiques judiciaires qui s’épanouirent au xve siècle. Leur nécessité révèle la profonde unité des siècles finaux du Moyen Âge, qui virent l’émergence d’un crédit diffus et massif et la mise au point corrélative d’un traitement de l’endettement privé par une justice royale en développement.
Notes de bas de page
1 Retenons ici : A. Dumas, « Intérêt », Dictionnaire de droit canonique, G. Le Bras, « Usure », Dictionnaire de théologie catholique, S. Piron, « Le devoir de gratitude ». D’autres jalons seront cités par la suite.
2 C’est ce que Jean Ibanès a appelé les « titres extrinsèques à la perception d’une indemnité », J. Ibanès, La doctrine de l’Église et les réalités économiques au xiiie siècle.
3 Joseph Shatzmiller, dans son étude du procès du prêteur juif Bondavin, a bien montré l’impact de cette législation canonique qui fut relayée par les synodes provinciaux, J. Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chrétiens et le prêt d’argent dans la société médiévale.
4 B. Schnapper, « La répression de l’usure et l’évolution économique », p. 24-25.
5 Sur la tradition parisienne, O. Langholm, Economics in the medieval Schools.
6 Voir le recueil dirigé par Alain Boureau et Sylvain Piron, Pierre de Jean Olivi (1248-1298).
7 S. Piron, « Perfection évangélique et moralité civile : Pierre de Jean Olivi et l’éthique franciscaine ».
8 G. Todeschini, Il prezzo della salvezza, p. 96. Voir aussi le colloque Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione. Linguaggi a confrotto (sec. xii - xvi ).
9 G. Todeschini, La richezza degli Ebrei.
10 G. Todeschini, I mercanti e il tiempo, chap. V « Donare : obbligare », p. 187-226.
11 É. Perroy, « À l’origine d’une économie contractée : les crises du xive siècle », p. 170. Guy Bois qualifie cette économie d’« économie monétaire de production », G. Bois, La grande dépression médiévale, p. 101.
12 M. North, Das Geld und seine Geschichte, chapitre « Kredit und Depression », p. 56-69 et particulièrement p. 66-69.
13 La thèse monétariste est particulièrement bien explicitée dans J. Day, « Contraction monétaire et déclin économique aux xive-xve siècles », p. 101. Elle est contestée en France par G. Bois, La grande dépression médiévale. Alain Guerreau a souligné qu’il n’existe pas encore d’explication valable et incontestée de la crise de la fin du Moyen Âge, L’avenir d’un passé incertain, p. 113. Sur la famine monétaire, voir N. Sussman, « The late medieval Bullion Famine Reconsidered », The Journal of Economic History, 58 (1998), p. 126-154.
14 G. Bois, La grande dépression médiévale, p. 106. Un exemple clair de ce processus de différenciation sociale est le cas lombard étudié par F. Menant, Campagnes lombardes du Moyen Âge, p. 301-306 sur l’endettement paysan et la prolétarisation des petits propriétaires, à la suite de « l’immersion des exploitations dans une économie d’échanges dominée par la ville », p. 306, et p. 552-557 sur l’endettement des communes rurales qui profita à l’aristocratie d’affaires des villes lombardes. L’endettement rural eut pour corollaire le renouvellement des élites urbaines, F. Menant, « Le renouvellement des élites des villes de l’Italie du Nord au début de l’époque communale : l’exemple de Bergame », p. 175-176 en particulier.
15 M. Mollat et P. Wolff, Les révoltes populaires en Europe aux xive et xve siècles, p. 32-34.
16 R. H. Britnell considère que l’accroissement des procès pour dette à Colchester dans la seconde moitié du xive siècle reflète l’accroissement de l’endettement, qui serait lui-même dû à la croissance commerciale de la ville. La disponibilité croissante du crédit dans le commerce local serait la conséquence, selon lui, de l’accroissement des profits et rémunérations après la Peste noire, R. H. Britnell, Growth and Decline in Colchester, p. 98-103.
17 A. Guerreau, « Avant le marché, les marchés : en Europe, xiiie-xviiie siècle (note critique) », p. 1150, n. 21.
18 C’est à la jonction de ces deux périodes, au milieu du xive siècle, que le regard sur le pauvre changea dans la société occidentale et que la question sociale émergea véritablement. R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, p. 81.
19 Voir le cas du village de Sueca, étudié par A. Furió, J. V. García Marsilla, A. J. Mira, S. Vercher, P. Viciano, « Endeutament i morositat en una comunitat rural. El censal a Sueca a finals del segle xv » et sur le marché du crédit comme voie d’intégration et de domination des petites villes et des bourgs dans l’espace rural valencien, P. Viciano, « Le marché du crédit autour de Valence au xve siècle ».
20 Voir sur les marchés des rentes publiques et leurs rapports avec la genèse des États, Urban Public Debts. Urban Government and the Market for Annuities in Western Europe (14th-18th centuries).
21 C’était l’objet du colloque Crédit et marché dans l’Occident méditerranéen médiéval : structures et stratégies, Valence, 18-20 septembre 2003, organisé par Antoni Furió et François Menant. Sur l’articulation entre crédit, marché de la terre et entrée en dépendance au haut Moyen Âge, voir L. Feller, A. Gramain et F. Weber, La fortune de Karol, p. 56-57 et p. 106-107.
22 Le colloque de Flaran de 1995, qui portait sur Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne, a montré que crédit et endettement furent un phénomène rural massif des sociétés européennes du xiiie au xviiie siècle, excédant donc largement la dépression médiévale. Un dossier des Annales consacré en 1994 aux réseaux de crédit dans l’Europe moderne révélait aussi qu’une histoire de longue durée semble être une clé de compréhension importante « Les réseaux de crédit en Europe, xvie-xviiie siècles », p. 1335-1446. L’existence de séries documentaires beaucoup plus riches pour la période moderne a suscité des monographies sur le crédit moderne et des théories utiles à la compréhension du phénomène.
23 J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime, p. 84-91.
24 Comme l’ont souligné les coordinateurs du dossier des Annales de 1994, les « concepts économiques standard, comme le prix de l’intérêt ou le jeu de l’offre et de la demande » manquent de pertinence pour une approche du crédit ancien.
25 Thomas Luckett a étudié le crédit marchand et sa régulation par la justice, T. M. Luckett, Credit and Commercial Society in France, 1740-1789. Philipp Hoffman, Jean-Laurent Rosenthal et Gilles Postel-Vinay ont étudié les mécanismes de la rente foncière et le rôle des notaires dans le marché des rentes, Des marchés sans prix. Une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870. Gilles Postel-Vinay avait auparavant suggéré que le crédit qu’il qualifie de « formel », le crédit notarial, coexistait avec un crédit informel, plus étroit, G. Postel-Vinay, La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France du xviiie au début du xxe siècle, p. 17. Sur le marché moderne des rentes constituées, K. Béguin, « La circulation des rentes constituées dans la France du xviie siècle, une approche de l’incertitude économique ».
26 L. Fontaine, « La confiance dans les réseaux de financement : les liens de la dette et l’institutionnalisation du crédit. Projet d’enquête ».
27 J. Brewer et L. Fontaine, « Homo creditus et construction de la confiance au xviiie siècle », p. 164, 172.
28 T. M. Luckett, Credit and Commercial Society in France, 1740-1789.
29 T. M. Luckett, Credit and Commercial Society in France, 1740-1789, p. 100-127.
30 C. Muldrew, The Economy of Obligation. The Culture of Credit and Social Relations in Early Modern England.
31 D. L. Smail, The Consumption of Justice, p. 133-134.
32 Après avoir alimenté de multiples monographies régionales ou urbaines, elle a fourni la matière de deux colloques (Nice, 1996 et Lyon, 1997) dont les actes ont été publiés en 2004 sous le titre Notaires et crédit dans l’Occident méditerranéen médiéval, sous la direction de François Menant et Odile Redon. La documentation notariale de certaines régions septentrionales a par ailleurs suscité d’autres études sur le crédit, rassemblées notamment dans Crédit et société : les sources, les techniques et les hommes ( xive-xvie siècles), avec les contributions de T. Dutour, « Crédit et rapports sociaux dans une société urbaine à la fin du Moyen Âge. L’exemple de Dijon au xive siècle », p. 67-80 et de S. Loraisse, « Un exemple d’utilisation des sources notariales dans l’analyse du crédit : le cas de Nancy et de Saint-Nicolas-de-Port (1480-1540) », p. 243-260.
33 P. Schofield, « L’endettement et le crédit dans la campagne anglaise au Moyen Âge », p. 69-97.
34 J.-L. Gaulin et F. Menant, « Crédit rural et endettement paysan dans l’Italie communale », p. 35-67.
35 A. Furió, « Endettement paysan et crédit dans la péninsule Ibérique », p. 139-167.
36 J.-L. Gaulin, « Le bannissement pour dettes à Bologne au xiiie siècle » et « Les registres de bannis pour dettes à Bologne au xiiie siècle : une nouvelle source pour l’histoire de l’endettement ».
37 Michel Hébert a repris un dossier exploré avant lui par Robert Lavoie, « Endettement et pauvreté en Provence d’après les listes de la justice comtale, xive-xve siècles ».
38 Outre les articles déjà cités d’Antoni Furió, son étude de l’endettement dans le royaume de Valence a donné lieu à la contribution intitulée « Crédito y endeudamiento : el censal en la sociedad rural valenciana (siglos xiv-xv) ».
39 P. Cullus, « Les “dons pour dettes faire avoir” dans les circonscriptions de Binche et de Bouchain au xive siècle ».
40 D. C. North, « Institutions, transactions costs and the rise of merchant empires ».
41 S. R. Epstein, Freedom and Growth.
42 Ibid., p. 52-55 en particulier.
43 R. C. Palmer, English Law in the Age of the Black Death, p. 62-63 en particulier.
44 B. Schnapper, Les rentes au xvie siècle, comporte d’utiles développements sur le xve siècle.
45 S. Roux, Le quartier de l’Université à Paris du xiiie au xve siècle, comporte, à côté d’une étude du marché de l’immobilier dans la censive de Sainte-Geneviève, une étude du marché des rentes, p. 731-810 en particulier.
46 O. Martin, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, t. I, p. 441-485 a étudié en détail les procédures de poursuite des débirentiers au Châtelet, p. 465-485 en particulier.
47 Quoiqu’il consacre de longues pages aux obligations et voies d’exécution, Olivier Martin a laissé de côté les procédures liées à l’emprisonnement pour dette, ibid., t. II.
48 Elle est attestée par les notes du greffier du Parlement entre 1400 et 1417, Nicolas de Baye, Journal de Nicolas de Baye, A. Tuetey éd., t. I, p. 61 (des sergents du Châtelet « mangeurs » furent placés en l’hôtel du receveur de l’ordinaire de Paris pour le contraindre à payer leurs gages aux huissiers du Parlement), par le Journal d’un bourgeois de Paris, C. Beaune éd., p. 391 (pour le paiement d’une taille en 1439), comme par les archives judiciaires de Saint-Germain-des-Prés : elle consistait au placement, jusqu’au paiement de sa dette, de sergents « garnisaires » au domicile du débiteur, qu’il devait entretenir. On sait que le sergent du Châtelet placé en garnison percevait quatre sous parisis par jour, l’ordonnance du 27 mars 1400 sur les sergents précisant bien qu’il « n’aura aucuns despens mais se vivra dessus », AN, Y 1, fol. 96v.
49 Voir A. Esmein, Études sur les contrats, p. 169-170.
50 Un mémoire sur la réforme de la justice du Châtelet de 1321 recommandait : « Que nuls ne soit receus contre lettres du Chastelet à proposer, fors quittances, payement ou respit, selon les anciennes ordenances, et ou cas où ils proposeroient, que il garnissent la main le roy d’or ou d’argent, ou de gages souffisans, ou leur corps demeurent en prison… », Ordonnances des roys de France, t. I, p. 742, en note. Certains manuscrits du style du Parlement de Guillaume du Breuil portent, au paragraphe XIX3, ayant trait à la « munition de biens meubles », cette précision, tirée d’un arrêt de la deuxième moitié du xive siècle : Quicquid fuit dictum per illud arrestum servatur in curia, quod debet fieri ea municio de mobilibus non consumptibilibus, veluti de pecunia numerata, vel auro, argento aut jocalibus, alias non admitteretur ad opposicionem, nisi corpus suum poneret in prisione. Guillaume du Breuil, Stilus curie parlamenti, F. Aubert éd., p. 143.
51 L’abolition de la contrainte par corps pour dettes civiles fut un mouvement très général en Europe, au milieu du xixe siècle : Suisse, France, Belgique, Norvège, Italie, Écosse, Angleterre furent successivement touchées.
52 Adhémar Esmein, Henri Beaune, Pierre-Clément Timbal en sont les tenants les plus marquants.
53 M. Lacave, « Recherches sur la cessio bonorum », p. 448, note 37.
54 Roger Grand, dans son article fondateur sur l’emprisonnement dans l’ancien droit, affirme bien que la prison coercitive était fréquente au Moyen Âge et que la prison était alors un lieu de garde et de contrainte, R. Grand, « La notion d’emprisonnement dans notre ancien droit ». Annick Porteau-Bitker en convient aussi, A. Porteau-Bitker, « L’emprisonnement dans le droit laïque au Moyen Âge ».
55 J.-G. Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France, 1780-1875, p. 22.
56 L’impossible prison, recherches sur le système pénitentiaire au xixe siècle réunies par Michelle Perrot. Débat avec Michel Foucault ; J.-G. Petit, N. Castan, C. Faugeron, M. Pierre et A. Zysberg, Histoire des galères, bagnes et prisons. xiiie-xxe siècles. Introduction à l’histoire pénale de la France.
57 A. Esmein, Études sur les contrats dans le très-ancien droit français, p. 128.
58 H. Beaune, Droit coutumier français. Les contrats, p. 350.
59 P. Portejoie, L’ancien coutumier de Champagne, p. 91.
60 P.-C. Timbal, Les obligations contractuelles, p. 108, note 97, et après lui J. Bart, Histoire du droit privé, p. 423.
61 P.-C. Timbal, Les obligations contractuelles, t. II, p. 104.
62 J. Yver, Les contrats dans le très ancien droit normand ( xie-xiiie siècles), p. 275. À l’appui de cette thèse, il rappelle que les ordonnances qui interdisent la saisie du corps des débiteurs chrétiens des juifs interdisent aussi la vente de leurs immeubles, à l’exemple de l’ordonnance de Philippe Auguste de 1218.
63 O. Martin, Histoire de la coutume de la prévôté, t. II, p. 561-563.
64 Ibid., p. 561-562 et n. 1 p. 562.
65 Ibid., p. 530-531.
66 Jean Bouteiller, Somme Rural, p. 826 : « Et si le detteur principal n’a meubles, ne heritages, ne dettes qui luy soient deues : lors se peut on prendre au corps par detention de prison, et non autrement, ne devant ce, si l’obligé principal n’estoit obligé à détention de prison, car lors y chet detention de son corps. »
67 Decisions de messire Jehan des Mares, no 67, p. 367 : « Quand l’en est obligié par prinse de corps ou pour debtes royaux, l’en puet prendre le corps nonobstant qu’il y ait biens muebles ou heritages. »
68 Ils la mentionnent sans en chercher les implications théoriques, voir P.-C. Timbal, Les obligations contractuelles, t. II, p. 106.
69 Au premier rang desquelles se situe la société vétérotestamentaire que les médiévaux voyaient se déployer dans les Écritures saintes.
70 La mise à mort des débiteurs par leurs créanciers fut peut-être autorisée dans la manus iniectio romaine, qui pouvait se terminer apparemment soit par une vente en esclavage, soit par une « dissection » du débiteur. Les interprétations sur ce point sont diverses (voir les références des notes suivantes).
71 L.-J. Bord, « Emprunts et dettes dans les droits cunéiformes ».
72 L’exécution sur la personne était possible en droit romain ancien, en particulier par la procédure de manus iniectio, saisie de la personne du débiteur par le créancier à son domicile qui pouvait devenir définitive, le prisonnier devenant l’esclave du créancier, voir P.-F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, p. 1041-1042 ; M. Kaser, Das römische Privatrecht, t. I, p. 154 ; J. Gaudemet, Droit privé romain, p. 16 ; J.-U. Krause, Gefängnisse im Römischen Reich, p. 152-169 ; A. Lintott, « La servitude pour dettes à Rome » ; Y. Rivière, Le cachot et les fers, p. 157. Cette exécution sur la personne, venue de la Rome primitive, transmise par les XII Tables (Table III), attestée dans la Rome républicaine, rendue désuète dans la Rome impériale, grâce à l’invention de procédures nouvelles pour la liquidation des dettes, venditio bonorum et cessio bonorum, est pourtant attestée jusque dans l’Antiquité tardive.
73 Y. Rivière, Le cachot et les fers, p. 158.
74 Matthieu 18, 23-35.
75 M. I. Finley, « La servitude pour dettes », p. 176 note 56. Le prisonnier pour dette, αɣωɣιµoς, aurait été à l’origine esclave pour dette, l’évolution d’une forme à l’autre ayant été progressive, entre les lois de Solon et les codes d’Athènes et de Gortyne, A. Maffi, « Emprisonnement pour dettes dans le monde grec ».
76 Sur la distinction fondamentale entre l’esclavage et les autres formes d’asservissement pour dette, sur les sociétés à esclavage pour dette et les sociétés sans esclavage pour dette, voir A. Testart, L’esclave, la dette et le pouvoir, passim et p. 20 notamment.
77 A. Girardot, Le droit et la terre. Le Verdunois à la fin du Moyen Âge, p. 288. Il relève ces déditions surtout dans la période 1280-1305.
78 A. Testart, L’esclave, la dette et le pouvoir, p. 160, qui a repris les éléments réunis par Charles Verlinden, L’esclavage dans l’Europe médiévale.
79 A. Esmein, Études sur les contrats, p. 154-156.
80 Ibid., p. 156.
81 Ibid., p. 168-169.
82 J. Yver, Les contrats dans le très-ancien droit normand, p. 265.
83 Ibid., p. 268-269.
84 Ibid., p. 273-276.
85 Ibid., p. 277.
86 O. Martin, Histoire de la coutume, t. III, p. 562.
87 R. Grand, « La prison et la notion d’emprisonnement dans l’ancien droit », p. 58-59.
88 J.-P. Levy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, p. 970-975.
89 BnF, fr. 19832, fol. 16v.
90 BnF, fr. 18419, fol. 36. Le cas posé ici est celui de l’acheteur de biens, arrivé au terme du délai qui lui avait été imparti. Voir plus loin la procédure de constitution d’acheteur de biens.
91 P-.C. Timbal, Les obligations contractuelles, t. II, p. 110-111.
92 E. Glasson, « Les sources de la procédure civile française », p. 481.
93 La réplique scientifique vint notamment avec l’ouvrage d’Adhémar Esmein, mais aussi avec un article de Paul Guilhiermoz de 1887, qui réfutait les résumés rapides de Glasson sur l’ordonnance dite de 1260, contre les gages de bataille, P. Guilhiermoz, « Saint Louis, les gages de bataille et la procédure civile ».
94 E. Glasson a présenté la contrainte par corps médiévale comme une forme de pénalité à l’encontre du débiteur, dont les biens avaient déjà été saisis et ne suffisaient à satisfaire le créancier, « Les sources de la procédure civile française », p. 481.
95 R. Muchembled, Le temps des supplices. De l’obéissance sous les rois absolus ( xve-xviiie siècles), p. 42 : très exactement dans les périodes 1407-1414 et 1427-1450.
96 M. Vincent-Cassy, « Prison et châtiments à la fin du Moyen Âge », p. 267.
97 A. Porteau-Bitker, « L’emprisonnement dans le droit laïque au Moyen Âge », p. 211-245. L’auteur n’étudie pas l’emprisonnement coercitif, mais signale au passage son importance quantitative. De la même manière, Nicole Castan signalait cet usage médiéval de la prison, sans s’y attarder, dans le chapitre qu’elle consacre au Moyen Âge dans la synthèse collective Histoire des galères, bagnes et prisons, J.-G. Petit, N. Castan, C. Faugeron, M. Pierre, A. Zysberg, p. 15-35.
98 C. Gauvard, M. et R. Rouse, A. Soman, « Le Châtelet de Paris au début du xve siècle d’après les fragments d’un registre d’écrous de 1412 », p. 582.
99 Dans son étude des prisons pontificales à partir d’un registre d’écrous de l’auditeur de la chambre apostolique du milieu du xive siècle, Jacques Chiffoleau n’envisage pas les prisonniers pour dette, J. Chiffoleau, Les justices du pape. Délinquance et criminalité dans la région d’Avignon au xive siècle, p. 225-242. Les sources comptables permettent parfois de combler ces manques, comme dans le cas d’Arras. Cependant, leur qualité diffère d’un lieu à l’autre. Ainsi, pour la Normandie, en l’absence de registre d’écrous, Luc Gandebœuf a étudié les documents comptables des prisons royales de Normandie. Mais ceux-ci recensent uniquement les criminels insolvables dont l’incarcération était à la charge du roi. De ce fait, il ne relève aucun cas de prison coercitive, L. Gandebœuf, Prisonniers et prisons royales en Normandie à la fin du Moyen-Âge ( xive- xve siècles). Robert Muchembled convient que « faute de sources détaillées, l’étude des prisons médiévales se révèle particulièrement malaisée », R. Muchembled, Le temps des supplices, p. 40.
100 P.-C. Timbal, Les obligations contractuelles, t. II, p. 104-119.
101 Le coutumier de Vermandois du xve siècle n’en dit mot, mais il est principalement consacré au droit féodal et familial.
102 L’Ancien Coutumier de Champagne, P. Portejoie éd., article 24.
103 Le Conseil de Pierre de Fontaines, chap. XV, § 87, p. 157-158 : « Se li userers qui a presté ses deniers à un champion, et le tient en sa prison, et le fet garder vileinement, et li defent qu’il ne s’aille combattre, ne ne l’en vieilt lessier partir de lui devant qu’il li ait donné seurté de plus qu’il ne li doit ; quant ces choses seront provées, l’en jugera que la chose soit ramenée à loiauté. »
104 A. Thierry, Recueil des monuments inédits de l’histoire du Tiers État, t. I, p. 146, article 75 : « Derechief, li prevos puet arrester cors d’ome por dete et metre en prison et en fort, mais qu’ele soit honeste, por tant que il ne soit mie de quemuigne ; et cil qui est arestez doit paier son despens, se il a de coi ; et se il n’a de coi, cil à qui il doit le dete li doit trover, par si que il l’en fache seur ; et se il ne l’em puet faire seur, et il le veut tenir, il li doit trover pain et iaue à se vie soustenir ; et se il ne li veut trouver, il n’a droit en retenir le, ains le doit laissier aller ; car nus hom n’a droit à laissier autre morir en prison por dete. »
105 Pour la Normandie, Jean Yver a livré une lecture très précise du droit ancien des contrats, d’après le Très ancien coutumier de Normandie et le Grand coutumier de Normandie (Summa de legibus Normannie in curia laicali), qui datent du xiiie siècle, J. Yver, Les contrats dans le très ancien droit normand. Les références complètes des tittres retenus peuvent être trouvées dans les sources éditées.
106 Les enseignements des archives judiciaires civiles de la Bourgogne ne sont malheureusement pas connus en cette matière.
107 Il s’agit de 1 400 actes de 1347 à 1384, T. Dutour « Crédit et rapports sociaux dans une société urbaine à la fin du Moyen Âge. L’exemple de Dijon au xive siècle », p. 67-80. Dans le duché de Bourgogne, les notaires ducaux formaient une juridiction gracieuse, sous la houlette du chancelier qui conservait un double de leurs registres. Les actes étudiés sont donc munis du sceau ducal. Voir R. Kohn, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du xive siècle, p. 61 et T. Dutour, Une société de l’honneur. Les notables et leur monde à Dijon à la fin du Moyen Âge, p. 70.
108 R. Kohn, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du xive siècle, p. 141.
109 Ibid., exemple dans les documents 25 et 26, p. 308-310.
110 Le Coutumier bourguignon glosé, p. 70, dans le texte du serment du maire, du prévôt, des fermiers et des autres justiciers du duc : « Item, qu’il ne mettront nul en prison pour debte, se n’est pour la debte de monseigneur le duc, ou se le debteur ne s’i est obligiéz especialment. » Les « lettres de la commune de Dijon » ajoutaient vraisemblablement les pleiges : « Pour icelle peccune qu’il croient, cilz qui ont juré ceste commune il ne prendront nul homme s’il n’est [obligez] ou pleges », ibid., p. 21.
111 Ibid., § 94 p. 128 : « Costume est en Bourgongne que, se aucun de nos subgez se soient obligiez à leurs creanciers par prinse et detenue de leur corps, avons ordonné et ordonnons que les obligiez ne soient pour ce mis en villaine ne obscure prison, ne enforgiez, ne enferrez par quiconque maniere que ce soit, mes soient tenux honestement et seurement tant seulement. », et § 278, p. 234.
112 On repère la prison pour dette en Gévaudan, Ph. Maurice, « Documentation notariale et crédit en Gévaudan au Moyen Âge », dans Notaires et crédit…, p. 233-234, mais aussi en Italie, où une nouvelle écrite dans les années 1480 raconte la farce qui aurait été mise au point par Brunelleschi et Donatello pour se venger d’un de leurs amis en le faisant emprisonner pour dette en 1409 à Florence, Conteurs italiens de la Renaissance, A. Motte-Gillet dir., Paris, Gallimard, 1993, La Pléiade, p. 181-214. Sur la Toscane, voir L. Tanzini, « Un aspetto della costruzione dello Stato territoriale fiorentino : il registro di approvazioni degli statuti del dominio (1393-1403) », p. 18 : un statut de la communauté toscane de Barbialla de 1401 prévoit un terme de dix jours pour le débiteur insolvente avant son incarcération.
113 À Toulouse, un établissement consulaire de 1197 organisait l’emprisonnement pour dette : un emprisonnement par le viguier de Toulouse pendant huit jours à la demande du créancier, suivi, en cas d’absence d’accord, de la remise du prisonnier au créancier pour une détention privée, éventuellement assortie d’une mise aux fers, dont la durée était fixée par les consuls. Voir M. Castaing-Sicard, Les contrats dans le très-ancien droit toulousain, p. 506-507.
114 R. Aubenas, Cours d’histoire du droit privé. Anciens pays de droit écrit, t. VII. Créanciers et débiteurs. Sûretés et voies d’exécution au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime d’après les actes de la pratique, p. 100, exemple de la cour rigoureuse de Provence. À Cavaillon, on garantissait assez communément ses obligations en se soumettant « aux cours et prisons » (curiis et carceribus) du petit scel de Montpellier et d’autres localités ; voir les cinq actes notariés de crédit des xive et xve siècles publiés par Gaëlle Le Dantec en annexe de son article, G. Le Dantec, « Crédit et source notariale à Cavaillon (xive-xve siècles). Essai de typologie », dans Notaires et crédit, p. 332-335.
115 Communication à la table ronde « Typologie des sources judiciaires pour l’histoire de l’endettement médiéval », organisée par Jean-Louis Gaulin, Lyon, juin 2001. Un arrêt du Parlement de 1362 invite à lire le glissement possible entre hostagium et prison pour dette : par un accord enregistré au Parlement, un débiteur s’engagea à payer sa dette en cinq termes et obligea « son corps a tenir hostage au chasteau de Loiches ou autre forteresse telle que ledit Jehan vouldra par chacun terme que ledit Pierre deffaudroit de paier », cité par P.-C. Timbal, Les obligations contractuelles, t. II, p. 106. L’emprisonnement ne serait donc qu’un hostagium tenu dans un lieu plus étroit.
116 G. Scarcia, « La typologie des actes de crédit : les mutua des Lombards dans les registres notariés du xive siècle », dans Notaires et crédit, p. 157, n. 24 et p. 166 ; J.-J. Leu, Le cautionnement dans le Pays de Vaud ( xiie-xvie siècle), Lausanne, 1958 (Bibliothèque historique vaudoise, 20).
117 Ainsi, à Nuremberg, les Inhaftationsbücher attestent de l’emprisonnement pour dette au Schuldturm pour les années 1483-1536, V. Groebner, Ökonomie ohne Haus, p. 228-230.
118 Voir Pagart d’Hermansart, « Le bannissement à Saint-Omer d’après des documents inédits conservés dans les Archives de Saint-Omer », qui évoque des bannissements pour cas civil, sans autre forme de précision.
119 A. Thierry, Recueil des monuments inédits de l’histoire du Tiers État, t. I, p. 124, article 1 : « Chertaine chose est quiconques soit de la quemuigne et de la cité d’Amiens, on ne puet retenir son cors ne despoillier, por amende de deniers, ja soit che chose que che soit de le grande amende le roi, se che n’est d’asseurement enfraint ou de laide ouevre ; ains sera banis de la chité et de le banliue, dusques a che qu’il aura fait gré et paié. » ; article 2 : « Derechief, quiconques soit banis de la banlliue ou de le cité d’Amiens por amende de deniers, et il revient en la vile, et soit arestez et pris et retenus, il sera tenus tant que ila ara paié l’amende et fait gré. Et se il n’a de coi paier, le quemiugne et li seignor qui ont part à l’amende ne le veuelent plus tenir, ils era banis de la cité d’Amiens et de la banlliue en oianche. »
120 S. Hamel, « Bannis et bannissement à Saint-Quentin aux derniers siècles du Moyen Âge », p. 123-133.
121 Sur l’excommunication pour dette, V. Beaulande, Le malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.
122 Livres (Li) de jostice et de plet, P. N. Rapetti éd., livre III, chap. VI « de forbannissemanz », § 2, p. 112.
123 Ibid., § 3, p. 112.
124 Ibid., livre I, chap. IV, § 23, p. 24.
125 Dans le champ du système pénal, de façon parallèle, Robert Jacob estime qu’« aucune évolution historique linéaire […] qui traduirait une progression ou un déclin [du bannissement] par rapport aux châtiments corporels » ne peut être décelée, et que « la France témoigne à tout le moins d’une continuité, voire d’un affermissement de la pratique du bannissement », R. Jacob, « Bannissement et rite de la langue tirée au Moyen Âge. Du lien des lois et de sa rupture », p. 1040-1041.
126 G. Espinas, La vie urbaine de Douai au Moyen Âge, p. 807.
127 Grand coutumier de France, E. Laboulaye et R. Dareste éd., p. 94.
128 Nous pensons au livre de comptes de la filiale parisienne de la compagnie des Gallerani qui dresse un état des créances actives en 1306, G. Bigwood et A. Grunzweig, Les livres des comptes des Gallerani, et aux comptes du marchand Colin de Lormoye du milieu du xve siècle, C. Couderc, « Les comptes d’un grand couturier parisien du xve siècle ».
129 R. De Roover, « Le marché monétaire à Paris du règne de Philippe le Bel au début du xve siècle ».
130 . Cette idée contraste avec le fait que l’université de Paris a été un des lieux centraux où fut élaborée la nouvelle pensée de l’argent et de la monnaie au cours du xiiie siècle et du xive siècle. Voir sur le xiiie siècle l’étude d’Odd Langholm déjà citée et pour la période 1260-1380, la réflexion sur la monnaie et la « passion de la mesure » chez les penseurs parisiens, J. Kaye, Economy and Nature in the Fourteenth Century. Money, Market Exchange, and the Emergence of Scientific Thought, p. 6-7.
131 J. Favier, « La société parisienne et l’activité bancaire au xve siècle », p. 28-30 ; Id., « Une ville entre deux vocations : la place d’affaires de Paris au xve siècle », p. 1245-1279.
132 H. Dubois, « Crédit et banque en France aux deux derniers siècles du Moyen Âge », p. 751-779, p. 777 en particulier.
133 M. Arnoux et J. Bottin, « Paris comme centre d’une région drapière, xiie-xvie siècles ».
134 J. Favier, « Une ville entre deux vocations : la place d’affaires de Paris au xve siècle ».
135 J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime, p. 91.
136 . J. Favier, Paris au xve siècle, p. 370 : la banque parisienne et les hommes d’affaires ont « sombré » au xve siècle, selon lui. On connaît les acteurs italiens du crédit commercial pour le xive siècle. La documentation issue des compagnies italiennes, qui contraste avec la minceur et la dispersion de la documentation parisienne sur les marchands, explique cette focalisation sur l’activité des compagnies italiennes implantées ou représentées à Paris, voir A. Grunzweig et G. Bigwood, Les livres des comptes des Gallerani.
137 B. Schnapper, Les rentes au xvie siècle. Histoire d’un instrument de crédit.
138 S. Roux, Le quartier de l’Université à Paris du xiiie au xve siècle : Étude urbaine.
139 En particulier par C. Gauvard, « De grace especial », Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, B. Geremek, Les marginaux parisiens aux xive et xve siècles, E. Cohen, Peaceable Domain, Certain Justice.
140 O. Martin, Histoire de la coutume de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, t. II, p. 515-572 pour les obligations et voies d’exécution à l’époque médiévale.
141 A. Grün, Notice sur les archives du Parlement de Paris, dans E. Boutaric, Actes du parlement de Paris, t. I, p. i-ccxc. La méthode des sondages dans les séries des registres civils a été retenue. Un dépouillement systématique de tous les registres du Parlement civil (arrêts, jugés et lettres, conseil et plaidoiries) a été réalisé, pour quelques années, espacées sur le siècle qui nous intéresse, et choisies en fonction de l’existence d’archives pour le Châtelet, et pour l’officialité épiscopale de Paris : 1384-1385, 1414-1415, 1454-1455 et 1488-1489. Ce sondage a permis la collecte d’une petite vingtaine de cas relatifs à la prison pour dette ou à l’obligation de corps.
142 . Pour un tableau des archives du Châtelet, essentiellement de l’époque moderne, voir H. Gerbaud et M. Bimbenet-Privat, Châtelet de Paris. Répertoire numérique de la série Y, notamment le tableau synthétique p. 14-15. Désormais, les documents conservés aux archives nationales seront désignés par leur seule cote.
143 Publié par H. Duplès-Agier, en 1861 et 1864, Registre criminel du Châtelet de Paris du 6 septembre 1389 au 18 mai 1392. Sur le statut de ce recueil, voir C. Gauvard, « De grace especial », t. I, p. 33 et p. 34-45.
144 Extraits cités par H. Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la Ville de Paris, t. III, p. 257 et suiv., parmi les « Comptes et ordinaires de la prévôté de Paris depuis 1399 jusqu’en 1573 ».
145 Mentionnés dans Y 1, fol. 40.
146 Par exemple, A. Terroine et L. Fossier, Chartes et documents de l’abbaye de Saint-Magloire, t. III, no 271, extrait du registre de 1389, et note 2, p. 608. Autre exemple dans les archives de Saint-Germain-des-Prés : LL 1091, fol. 49, cet inventaire ancien des chartes de l’abbaye mentionne « un extraict des registres du Chastellet de Paris ou criz faictz par vertu des privilleges aux bourgoys de Paris a la requeste des religieulx abbé et couvent de St Germain etc d’une maison d’appentiz deulx estaulx a boucher court puys escorcherie jardin estable ayant yssue derriere assis a St Germain des prez en la rue de la boucherie etc fait l’an mil CCCCLX ».
147 Texte publié en note, dans Ordonnances des roys de France, t. I, p. 743 : « Ou Chastellet ne seront trouvés registres de bannis, ne de anciennes delivrances de prisonniers, qui pour cas de crime ont esté detenus ou temps passé, ne des amendes, ne des recreances des prisonniers, car les prevosts qui pour le temps ont esté, chacuns en droit soy, en apporte ses registres, dont li roys a perdu mout de amendes, et mout de fais sont demeures impunis. Et parce que les prevosts, quant ils viennent nouviaus, ne pueent riens scavoir des faits de leurs devanciers, vont mout de bannis parmi la ville, et mout d’autres meffais demeurent impunis, et sont mout d’amandes recelees, et d’autres grands prises de faux monneers et d’autres cas occultes. Pourquoi il seroit mestier que ou Chastelet eust un clerc de par le roy estably, non commensal, ne affin au prevost, qui eust et retinst copie des registres, et de toutes delivrances, et amandes de devant les auditeurs faites, et par devers le prevost. Soit demandé à tous ceux que l’en porra trouver vifs, et aus hoirs de ceuls qui sont mors, copie de tous leurs registres. »
148 Y 5220-Y 5232. Des extraits ont été publiés dans O. Martin, « Sentences civiles du Châtelet de Paris (1395-1505) » et G. Fagniez, « Fragment d’un registre de jurisprudence parisienne au xve siècle ». Les collections d’extraits de la série réalisés par des érudits modernes ne permettent pas de combler les lacunes de celle qui nous est parvenue : les manuscrits de la collection Clairambault ont été réalisés dans un but généalogique et négligent le contenu des sentences, BnF, Clairambault 763-765.
149 La série complète de ces registres de sentences civiles de la prévôté compte 27 registres pour la période 1395-1563. Elle est très lacunaire, pour le xvie siècle également : ainsi, les registres postérieurs à 1455 (Y 5232) datent-ils de 1505, puis de 1528.
150 On trouve de nombreux exemples de ces sentences grossoyées intitulées au nom du prévôt, dans les archives des établissements religieux parisiens : LL 1091, qui est un inventaire de chartes de Saint-Germain-des-Prés, comporte de nombreux exemples de sentences du prévôt en faveur de l’abbaye, en général contre ses débirentiers, datant du xve siècle. On trouve de nombreux exemples de sentences et décrets d’adjudications prononcés par le prévôt royal, publiés dans les Chartes de Saint-Magloire, t. III, nos 27, 31, 35, 38, 40, 49, 52, 55, 75, 80, 83, 92, 93, 137, 138, 148, 176, 181, 182, 187, 190, 191, 202, 213…
151 Le registre côté Y 5227 comporte un petit pense-bête du rédacteur qui témoigne de sa méthode de travail : « Memoire de faire une petite condempnation enregistree ou papier Fresnes du jeudi XXIe novembre IIIIc et IX pour Jehan de Grambergue contre Jaquette la Miloune. Item de faire une sentence oudit papier du mecredi XIIII decembre pour [prénom illisible] Le Tondeur contre ladite Jaquette. » Le clerc grossoyait donc les sentences à partir des notes qui servaient également à la tenue des registres.
152 D’après les incipit conservés par six de ces registres, Y 5220 (1395), Y 5221 (1398), Y 5223 (1401), Y 5224 (1402), Y 5226 (1407), Y 5232 (1454).
153 Y 5221, fol. 1, Y 5223, fol. 1.
154 Y 1, fol. 40v-45v, transcription très partielle dans A. De Boüard, Actes des notaires du Châtelet de Paris, p. 148.
155 Voir Y 1, fol. 15-19, ordonnance prévôtale du 12 décembre 1383 : « Que nul procureur ne autre ne se siee entour le buffet de nostre auditoire se ce n’est pour faire enregistrer leurs deffaulx ou pour faire les registres des sentences et appointemens de nous donnez et aussi qu’ilz ne mettent aucunes de leurs lectres ou pappiers sur ledit buffet afin que elles ne soient entremeslees avecques les lettres de la court. »
156 On pourrait citer de multiples exemples de causes personnelles relatives à des montants inférieurs à vingt livres parisis. Tous les registres de la période considérée en comportent. Certains litiges d’endettement ne dépassent pas une vingtaine de sous, voir Y 5221, fol. 160v, 10 avril 1399, Perrin Gobert (quatre livres parisis), Y 5224, fol. 52, 19 juin 1402, Simonnet Le Fevre (vingt-cinq sous et huit deniers parisis) et Y 5232, fol. 175v, 4 novembre 1454, Jehan Regnart (vingt-quatre sous parisis).
157 Ces clercs des auditeurs n’étaient autres au départ que des notaires du Châtelet, d’après l’ordonnance de février 1321, Y 1, fol. 111.
158 Ordonnances des roys de France, t. XXI, p. 233, article 26.
159 Y 1, fol. 111 : « Nostre clerc que nous ordonnons estre pour nous en Chastellet. »
160 Y 1, fol. 111 : « Item nous avons pour nous ung clerc qui demourra continuellement ou Chastellet et sera avec ledit seelleur et retenra le quart desdites escriptures et les tiers desdites examinations dessus dites et l’apportera a nostre tresor chascun vendredi ou samedi pour la sepmaine passee. »
161 Y 1, fol. 111 : « Item les prevost et les auditeurs dudit Chastellet feront enregister par nostre dit clerc cy apres declairé toutes les causes desquelles il convient a oir tesmoings ausdiz examinateurs. »
162 Y 1, fol. 125v-126.
163 Quoique folioté de 1 à 402, il ne comporte que 320 feuillets, en raison d’un saut et d’un « doublon » dans la foliotation : il est folioté de 1 à 214, puis de 315 à 359, puis de 340 bis à 359 bis, puis de 360 à 402. Les treize registres comptent au total plus de deux mille feuillets.
164 O. Martin, « Sentences civiles du Châtelet » et Histoire de la coutume.
165 Cité par le « registre criminel » comme clerc de la prévôté en 1391, il était encore dit « clerc ou graphier » en 1412, par Nicolas de Baye, lorsque furent organisées des persécutions antiarmagnacs, Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 84.
166 Attestée par le dossier daté de 1407, Y 1, fol. 40v-45v, voir X1a 1478, fol. 306 et fol. 319.
167 Sur sa vie et son action à la tête de la prévôté, voir R. Eder éd., Tignonvillana inedita, p. 851-865 notamment.
168 Cette deuxième phase brillante de la série des causes civiles tient peut-être aussi à la continuité assurée par le lieutenant civil Jean de Longueil, en place à partir de 1431, qui ne suivit pas Simon Morhier dans son exil en 1436 et que l’on retrouve lieutenant civil en 1461. Doulx-Sire était clerc civil de la prévôté en février 1423, d’après le greffier du Parlement, Clément de Fauquembergue, Journal de Clément de Fauquembergue, t. II, p. 86 et lieutenant civil de la prévôté en 1454, voir Y 5232, fol. 46v, 19 juin 1454.
169 B. Guenée, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Senlis à la fin du Moyen Âge (vers 1380-vers 1550), p. 19-20.
170 L. Tanon, L’ordre du procès civil au xive siècle, au Châtelet de Paris, p. 3 et 13.
171 Ordonnances des roys de France, t. XXI, p. 233.
172 Y 1, fol. 41-41v et 43 : « II. Item aussi fera ledit clerc civil toutes les escriptures et choses devant dictes en toutes causes et proces qui seront a faire touchans les parties emprisonnees pour debtes ou apprentissage ou autres contracts promesses submissions ou obligacions quelzconques et tous proces qui se feront sur ce et sur les circonstances et deppendences, sauf tant que se aucuns des prisonniers dessus diz estoient interroguez premierement par le prevost ou aucun de ses lieuxtenans et par sa confession ou par tesmoings oys sur piez ledit prevost ou son lieutenant faisoit aucun appointement de eslargissement ou de condempnacion ou absolucion ledit clerc criminel les pourra faire et enregistrer et baillier ausdites parties et en prendre le prouffit sans plus en avant ne autrement soy entremettre sur l’execucion de ladicte sentence ne autrement.
III. Item que se aucuns prisonniers pour les causes dessus dictes faisoient adiourner sa partie pour veoir sa delivrance le premier rapport se pourra revoir par chascun des clercs dessusdiz et se la partie appellee est mise en deffault ycellui deffault en quelque auditoire qu’il seroit donné ou prins sera enregistré par ledit clerc civil et non point par le criminel et de la en avant fera ledit clerc civil toutes escriptures rappors deffaulx sentences et actes pertinens ausdictes causes, pourveu que la sentence faicte sur ce par ledit clerc civil par vertu et moyen d’icelle ou de la certifficacion que sur ce baillera ou envoyera ledit clerc civil audit clerc criminel ycellui clerc criminel enregistrera en son manuel la delivrance et expedicion dudit prisonnier et en baillera l’escroe et en prendra le prouffit pertinent. Et ledit clerc criminel fera tous proces crimineulz extraordinaires faiz oudit Chastellet et toutes les escriptures pertinens a ce tant en explois actes sentences condempnacions ou absolucions comme autrement et generaulment tout ce qui en telz proces est et appartient estre fait par clerc et greffier criminel sans ce que ledit clerc civil de ce se puisse ou doye entremectre en quelque maniere que ce soit. […]
XI. Item et que de tous prisonniers estans et qui seront doresenavant amenez et detenus oudit Chastellet soit pour crimes deliz pour debte ou pour quelconques autre cause que ce soit ledit clerc criminel ou ses clercs pour lui bailleront les escroes au geolier en quelque forme ou maniere que iceulz prisonniers soient delivrez sans ce que ledit clerc civil s’en puisse ou doye entremettre pourveu toutesvoies que se aucun desdiz prisonniers autres que criminelz sont amenez ou comparent par adiournement ou assignacion en l’auditoire civil et ordinaire dudit prevost et aucune provision leur est faicte par ledit prevost son lieutenant ou autre pour lui tenant le siege ordinaire en ce cas ledit clerc civil pourra enregistrer ycelle provision et de ce faire la lectre a laquelle ledit clerc criminel sera tenu d’obeyr mais escroes quelconques ne pourra faire ledit clerc civil. »
173 Y 1, fol. 43v : « XIIII. Item pareillement chascun desdiz clercs pourra faire habandonnemens sauvegardes et asseuremens en matiere d’emprisonnemens sauf que audit clerc civil appartiendra de faire les commissions et rappors s’aucuns en convient faire esdiz cas d’abandonnemens de sauvegarde et d’asseuremens tant sur mandemens royaulx comme autrement. »
174 Une étude de la cession de biens au Châtelet fera prochainement l’objet d’un article.
175 Y 5266.
176 C. Gauvard, M. et R. Rouse, A. Soman, « Le Châtelet de Paris au début du xve siècle d’après les fragments d’un registre d’écrous de 1412 ».
177 Ils se trouvent aux Archives de la préfecture de police. Ces registres d’écrous modernes du Châtelet ont été exploités par T. M. Luckett, Credit and Commercial Society in France, 1740-1789.
178 Z2 3118.
179 M. Bimbenet-Privat, Écrous de la justice de Saint-Germain-des-Prés au xvie siècle, p. 11.
180 Ibid.
181 Ibid.
182 C. Gauvard, M. et R. Rouse et A. Soman, « Le Châtelet de Paris au début du xve siècle », p. 570-571 en particulier.
183 Ordonnances des roys de France, t. XXI, p. 197, article 103. L’ordonnance de Blois se lit dans le « livre Bleu » du Châtelet, Y 62. Les registres de Saint-Germain-des-Prés, au xvie siècle, ne suivaient pas ce modèle des geôles royales.
184 Ordonnances des roys de France, t. I, p. 743 : « Ou Chastellet ne seront trouvés registres de bannis, ne de anciennes delivrances de prisonniers, qui pour cas de crime ont esté detenus ou temps passé, ne des amendes, ne des recreances des prisonniers, car les prevosts qui pour le temps ont esté, chacuns en droit soy, en apporte ses registres, dont li roys a perdu mout de amendes, et mout de fais sont demeures impunis. Et parce que les prevosts, quant ils viennent nouviaus, ne pueent riens scavoir des faits de leurs devanciers, vont mout de bannis parmi la ville, et mout d’autres meffais demeurent impunis, et sont mout d’amandes recelees, et d’autres grands prises de faux monneers et d’autres cas occultes. »
185 Y 1, fol. 98v pour l’instruction dite de 1372 et fol. 81-81v pour l’ordonnance de 1425.
186 Journal de Clément de Fauquembergue, t. II, p. 250.
187 BM Rouen, E 28, fol. 124, BnF, fr. 10816, fol. 161v, BnF, fr. n. acq. 3555, fol. 20.
188 « Le VIe jour d’aoust l’an mil CCCC et XII la court de Parlement oronna que doresenavant toutes et quanteffoiz que aucuns prisonniers seroient amenez oudit Chastellet pour cas criminel que le clerc du guichet enregistrera leurs estas habiz et tonsures sur peine d’en estre griefment pugniz », Y 1, fol. 99v.
189 Y 1, fol. 81 et fol. 99v ajoute : « Car le prevost peut errer et a erré par maintes foiz a faire leurs proces parce qu’ilz ne disoient pas qu’ilz feussent clers. » Le seing était celui du prisonnier, comme le confirme la mention de la même règle dans l’instruction de la geôle de l’abbaye de Saint-Denis, datant de 1380, BnF, fr. 10816, fol. 161v, BM Rouen, E28, fol. 123v ; BnF, fr. 3555, fol. 20 : « Item, quant aucuns prisonniers seront admenez que les geolliers et chascun d’eulx soient advisez de enquerir et scavoir saigement et cautement se ilz sont clercs, et seront tenus de faire ung seing sur leur registre lequel seing le bailli ordonnera et congnoistrera qui luy donrra enseignement de ce affin de scavoir se il devra congnoistre de leurs personnes ou se il les devra rendre. »
190 BnF, fr. n. acq. 3555, fol. 19v, col. 2 et fr. 10816, fol. 162.
191 APP, Livre Vert Ancien, fol. 82.
192 « Item le clerc du guichet ne doit avoir que II d pour rabatre la personne quant elle est delivré… », BnF, fr. 11709, fol. 144v.
193 Registre criminel du Châtelet, H. Duplès-Agier éd., t. I, p. 202, Fleurent de Saint-Leu, 4 janvier 1390 : « Et pour ce, fu commandé par ledit lieutenant, à la garde de la geole du Chastellet, que icellui prisonnier il enregistrast ou livre de la geole, et l’estat ouquel il estoit venu prisonnier, et l’enfermast tout seul en une prison », t. II, p. 376 : au sujet d’un sergent qui a amené un prisonnier au Châtelet sur commandement du prévot : « Mesmement que par le clerc qui garde le guichet il avoit icellui fait enregistrer en la maniere qu’il est acoustumé de faire des prisonniers admenez oudit Chastellet. »
194 Voir cette affaire de 1391, citée par Ch. Desmaze, Le Châtelet de Paris, chapitre XXIII, « les prisons » et par le Registre criminel du Châtelet, H. Duplès-Agier éd., t. I, p. 203, n. 1, qui opposa un étudiant et l’université de Paris à Dreux d’Ars, auditeur du Châtelet, Aleaume Cachemarée, clerc (criminel) du prévôt et Jehannin Le Queux valet de la geôle, au sujet de l’emprisonnement de l’étudiant et de l’enregistrement des prisonniers, X1A 1475, fol. 345, 5 juillet 1391.
195 Exemple précoce : Y 5220, fol. 77v, 3 décembre 1395 : « […] nous veu le registre dudit emprisonnement dudit Lyonnet. »
196 Y 5220, fol. 77, 2 décembre 1395 : « Du consentement de Jehanne de Cormeilles qui avoit fait emprisonner ou Chastellet de Paris Colin Bouchiere pour les causes contenues ou registre de l’emprisonnement sur ce fait. »
197 BnF, fr. 10816, fol. 161v ; BM Rouen, E 28, fol. 123 ; BnF, fr. n. acq. 3555, fol. 19v.
198 Grand coutumier de France, Laboulaye et Dareste éd., p. 39.
199 « Rayé sur le petit papier », lit-on, Y 5266, fol. 48.
200 Il est lacunaire pour les dates des 13, 14, 15 janvier.
201 Près de 650 sur un total de 1 874 écrous.
202 Dix-huit cas dans le registre.
203 Quatre-vingt-trois cas dans le registre.
204 Sur un total de 2 513, 396 prisonniers. La formule typique d’un écrou pour dette est la suivante : « Jehan Fleury laboureur demourant à Bruvannes amené prisonnier par Guillaume filz de femme et Guiot Gourdin sergens à verge à la requeste de Jehan Verlier jusques à ce qu’il luy ait paié la somme de quatre frans dix solz parisis qu’il luy doit de reste de plus grant somme pour vente de blé en quoy ledit Jehan Fleury et Guillaume Laurens sont obliges corps et biens chacun pour le tout ainsi qu’il est apparru par lectres obligatoires faictez et passees par devant deux notaires et soubz le scel de la prevosté de Paris le samedi VIme jour d’avril IIIIc LXXV domicille dudit Jehan Verlier en son hostel en la rue de la Mortellerie », Y 5266, fol. 39, 19 juillet 1488.
205 Quatorze personnes sur 107.
206 Selon les termes de l’accord entre le clerc criminel et le clerc civil de la prévôté, intervenu en 1407, Y 1, fol. 43. Il arrivait même au clerc criminel de rédiger les écrous des prisonniers du prévôt qui étaient mis « en prisons empruntées », hors du Châtelet, cf. Journal de Clément de Fauquembergue, t. II, p. 274, 6 mars 1419 : « Combien qu’il [maître Jehan Tillart clerc criminel du prévôt de Paris] recongnoissoit que autres plusieurs fois, quant on avoit mis prisonniers du prevost en prisons empruntees, en ladicte conciergerie ou ailleurs a Paris, hors Chastellet, que sans commandement dudit prevost ou de ses lieutenans, il et ceulz qui ont esté en son office, de leur auctorité avoient escript cedules et escroes pour amener oudit Chastellet les prisonniers dudit prevost qui estoient en prisons empruntees. »
207 L’article VII du chapitre « des sergens » de l’ordonnance de 1425 sur le Châtelet prévoyait : « Item ordonnons que lesdicts sergens doresenavant quant ils ameneront aucuns prisonniers audict Chastellet seront tenus, avant qu’ils se partent de la geolle, de faire leur registre contenant les causes au vray pour lesquelles ils auront amené lesdicts prisonniers, ou par quel commandement, sur peine de dix sols parisis d’amende à payer à nous, et de restituer l’interest de partie. »
208 « Pour ce qu’il avient souvent que quant aucuns sont amenez prisonniers ou Chastellet et nous les faisons attandre pardevant nous afin de proceder a leurs delivrances ilz varient les cas de leurs emprisonnemens et pour ce que les sergens qui les ont emprisonnez ne sont pas presens pour verifier les cas desdiz emprisonnemens lesdiz prisoniers demeurent et sont aucunesfoiz longuement tenuz en prison qui leur est grant interest et ainsy est chargé de prisonniers, nous pour plus briefvement expleter les prisonniers et proceder a leur delivrance ou encombrement selon ce que au cas appartendra, avons ordonné et ordonnons que doresenavant tous les sergens qui auront amenez et amenront aucuns prisonniers soient et comparet pardevant nous ou nostre lieutenant sur les carreaux dedens le lendemain du jour que ilz auront lesdiz prisonniers meprisonnez pour veriffier les cas de leurs emprisonnemens se besoing est sur peine de Vs d’amende qui seront prins sans espargne sur ceulz qui y deffauldront et ceste ordonnanace avons au jour dui faicte et publiee en jugement et commandee aux sergens qui a ce ont esté presens que ilz le dient et signiffient de l’un a l’autre, fait par monseigneur le prevost le vendredi premier jour de aoust mil CCC LXXVI comme ce est escript sur le manuel criminel de ce jour », 1er août 1376, Y 1, fol. 1v. R. Telliez, « Per potentiam officii ». Les officiers devant la justice dans le royaume de France au xive siècle, p. 438, n. 4, mentionne le cas d’un sergent du Châtelet privé de son office en 1361 pour avoir fait noter de manière erronée dans le registre le motif d’arrestation de deux hommes.
209 De même que la mention « den » abrège « deniers » et indique les débiteurs dans les registres d’écrous parisiens de l’époque moderne, J. Gasnier, La prison pour dettes à Paris au xviiie siècle.
210 La formule d’écrou est alors différente, Y 5266, fol. 36, 16 juillet 1488 : « Jehan de Giroust hostelier demourant a l’Aumosne pres Ponthoise, Nicollas le Painctre taincturier demourant a Saint Marcel amenez prisonniers par Huguet Hubert sergent a verge c’estassavoir ledit Jehan a la requeste dudit Nicollas jusques a ce qu’il lui ait paié la somme de XXIIII escus d’or qu’il luy doit de reste de plus grant somme pour la vente d’un cheval a luy baillé et vendu par ledit Nicollas environ Noel derrain passé comme il dit et ledit Nicollas a la requeste dudit Jehan pour mectre le cas au vray et sur ce ester a droit. »
211 La formule caractéristique est : « Ledit x arresté prisonnier a la requeste de… ». Ces cas sont appellés « oppositions » par les éditeurs du fragment de 1412. En 1488-1489, les oppositions aux délivrances des prisonniers adoptent une autre formule, beaucoup plus explicite.
212 Visuellement, sur le papier, on constate que l’abréviation se trouve systématiquement en face de la mention de l’acte prouvant l’obligation de corps dans le texte de l’écrou (je remercie vivement Michel Hébert d’avoir attiré mon attention sur cette caractéristique matérielle, qui pourtant « saute aux yeux »).
213 APP, Livre Vert Ancien, fol. 82.
214 Y 1, fol. 82v.
215 Y 1, fol. 41 et fol. 43.
216 Inventaire analytique des livres de couleur et bannières du Châtelet de Paris.
217 Elles sont au nombre de cinq : livre Noir vieil, livre Blanc petit, livre Vert vieil premier, livre Vert ancien, second volume des métiers.
218 C’est celui qui était donné dès le xve siècle au « livre Doulx Sire », comme l’indique l’intitulé de la table du volume, contemporaine du livre, Y 1, fol. 6v : « Table de ce livre appellé le livre Doulx Sire qui par long temps a esté clerc de la prevosté de Paris. »
219 Des mentions de ces livres de couleur dans les comptes de la prévôté l’indiquent : « a Jehan Coulart libraire, pour avoir relié cinq volumes ou registres du Chastelet, appelés l’un le livre rouge, l’autre le livre blanc, et autres registres, où sont contenues et enregistrées les ordonnances des métiers et de la police de la ville de Paris, étant en la chambre du procureur du roi notre sire ou Chastelet, qui étoient mangés et rongés des rats, et tellement vieux et caduques qu’ils se gatoient et dommageoient par faute de relier et remedier », compte de 1472 ; « transcrit et reliage du registre vert, contenant les lettres royaux des criees, du registre blanc, nommé le registre des assises de la prévôté et vicomté de Paris, et le premier volume des ordonnances de la chambre du procureur du roi audit Chastelet. », compte de 1476, H. Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la Ville de Paris, t. III, p. 408 et 429. Le terme « registre » est réservé aux livres de couleur enregistrant les ordonnances des métiers, à un volume enregistrant les criées, ainsi qu’à un « registre des assises », tandis que les termes de « livre » ou « volume » désignent les livres de la chambre du procureur du roi.
220 Comme l’attestent diverses mentions de leur consultation par les justiciers parisiens. Voir ainsi, dans un inventaire des chartes de Saint-Germain-des-Prés, LL 1091, fol. 38 : « Certains extraictz du livre du procureur du roy en Chastellet qui servent pour la jurisdicion temporelle de l’abbaye de Saint Germain » ; et parmi des minutes du Fort l’Évêque (Z2 3190), une lettre de 1470 intitulée au nom du prévôt Robert d’Estouteville qui a fait extraire une disposition, à la demande du procureur de l’évêque, « de l’un des pappiers et registres du Chastellet de Paris ouquel sont enregistrez les ordonnances royaulx faictes sur et en l’augmentation du previllege royal pieça donné et octroyé aux bourgeois manans et habitans de la ville de Paris sur le fait du rachat des rentes ».
221 Les « registres des mestiers » appartenaient « a la clergie », d’après l’énumération des attributions du clerc de la prévôté (le futur clerc civil), que l’on trouve Y 1, fol. 40.
222 . A. Tuetey, Inventaire analytique des livres de couleur et bannières du Châtelet de Paris, vol. II, p. xxviii.
223 Ibid., p. xxiii.
224 Comme l’atteste sa présence au Parlement, aux côtés de Simon Morhier, en février 1423, dans un procès les opposant aux sergents du Châtelet, Journal de Clément de Fauquembergue, t. II, p. 86-87. D’après un accord passé avec les notaires du Châtelet, connu par un vidimus de 1568, il était encore clerc civil le 14 juin 1429, accord publié par S.-F. Langloix, Traité des droits, privileges et fonctions des conseillers du roy, notaires, gardes-notes et gardes-scel de sa majesté au Châtelet de Paris avec le recueil de leurs chartres et titres, p. 323. Jehan Doulx-Sire devint lieutenant civil en 1454. Selon A. Tuetey, Inventaire analytique des livres de couleur et bannières du Châtelet de Paris, Introduction, t. II, p. xxviii : « Selon toute apparence, le registre qu’il nous a laissé eut pour base un recueil de règlements concernant le style du Châtelet, qu’il avait formé pour son usage personnel. »
225 Journal de Clément de Fauquembergue, t. II, p. 109-110.
226 G. Levesque, Chartres, lettres, titres et arrests et S.-F. Langloix, Traité des droits.
227 Une étude spécifique de cette grâce pour dette sera l’objet d’un article prochain.
228 Cette expression est empruntée à G. Levi, qui appelait « segment social », « des groupes qui à l’intérieur d’un ensemble social ont en commun un même style de vie et une même stratégie de consommation », G. Levi, « Comportements, ressources, procès : avant la “révolution” de la consommation », p. 202. On pourrait qualifier ainsi les groupes qui n’ont pas l’homogénéité de « classes », mais qui ont en commun des mêmes formes d’endettement.
229 Voir les actes à paraître des journées d’étude « Les tabellions (xive-xvie siècle) », septembre 2005, dirigées par Mathieu Arnoux et Olivier Guyotjeannin.
230 R.-H. Bautier, « L’authentification des actes privés dans la France médiévale » et « Les origines du brevet notarial ».
231 « Et seront desormais lesdiz notaires tenus d’enregistrer les convenances, obligations, et contraulz faiz et passez pardevant eulz, se l’une des parties le requiert et en gardera le registre, le plus ancien desdiz notaires… », Ordonnances des roys de France, t. XIII, p. 95, article 92 de l’ordonnance.
232 . Ordonnances des roys de France, t. XIII, p. 249. Voir A. De Boüard, Études de diplomatique sur les actes des notaires du Châtelet de Paris, p. 104. Il s’agissait de l’application au Châtelet de la teneur de l’ordonnance générale de juillet 1433, qui s’appliquait à tout le royaume, Ordonnances des roys de France, t. XIII, p. 188-189.
233 Minutier central des notaires de Paris. Minutes du xve siècle de l’étude XIX. Inventaire analytique, p. 9.
234 Voir le parti tiré par Daniel Roche, notamment, des inventaires après décès parisiens pour une histoire de la culture matérielle.
235 P. T. Hoffman, G. Postel-Vinay, J.-L. Rosenthal, Des marchés sans prix.
236 K. Fianu, « Enregistrer la dette : le témoignage des sources de la justice gracieuse à Orléans (xiiie-xve siècle) », dans La dette et le juge au Moyen Âge, Juridiction gracieuse et juridiction contentieuse aux xiiie-xve siècles (France, Italie, Espagne, Angleterre, Empire), p. 135-150.
237 Y 1, fol. 107.
238 Y 1, fol. 111-111v : « Pour ce que despieca fut ordonné par noz cherseigneurs pere et frere jadiz roys de France et par nous que toutes les notairies de nostre royaume feussent vendues et les prouffits des vendages appliquer a noz usaiges et les notaires dudit Chastellet ont tenu jusques cy lesdites notairies franchement ja soit ce que les autres aient esté vendues a enchieres et le plus que l’en a peu. Nous qui voulons ausdiz notaires du Chastellet faire plus grant grace de nostre royal liberalité que aux autres et pour cause avons ordonné par nostre conseil que dores en avant lesdiz notaires et chascun d’eulz paiera le quart tant seulement de ce qu’il prendra pour l’escripture seellee ou a seeller de nostre dit seel de Chastellet de raison, et de toutes autres escriptures qui a l’office desdiz notaires appartenir pevent… » L’ordonnance leur interdisait de vendre leur office : « Item nulz des notaires de Chastellet ne vendra ou amoisonnera doresenavant son siege ne ne pourra faire desservir par aucun en appliquant a lui aucun prouffit. » Cette interdiction fut confirmée par l’ordonnance de février 1328 sur le Châtelet, Y 1, fol. 90, Ordonnances des roys de France, t. II, p. 1, article 17.
239 Y 1, fol. 90, Ordonnances des roys de France, t. II, p. 1, article 18.
240 C. Béchu, « Une typologie des actes notariés du xve siècle », p. 75.
241 Minutier central des notaires de Paris. Minutes du xve siècle de l’étude XIX. Inventaire analytique, p. 9.
242 C. Béchu, « Une typologie des actes notariés du xve siècle », p. 75.
243 MC Étude VIII, liasse no 17.
244 Minutier central des notaires de Paris. Minutes du xve siècle de l’étude XIX. Inventaire analytique.
245 C. Béchu, « Une typologie des actes notariés du xve siècle », p. 80.
246 Documents du Minutier central des notaires de Paris. Inventaires après décès, t. I (1483-1547), p. 23.
247 C. Béchu, « Une typologie des actes notariés du xve siècle », p. 76.
248 . Dans le classement établi par Claire Béchu, les ventes (13,8 %), transports (12,18 %), constitutions de rente (7,3 %), titres nouvels (6,1 %), quittances (5,3 %), obligations (3,6 %), marchés (2,9 %), constituent la moitié de l’ensemble des actes relevant de « l’activité économique », ibid., p. 76-78.
249 L. Fossier et A. Terroine, Chartes de l’abbaye de Saint-Magloire.
250 Selon B. Schnapper, Les rentes au xvie siècle, p. 49, qui exploita les minutes notariées, un acte sur quatre relatait « la création, le transfert ou l’extinction d’une rente » au début du xvie siècle.
251 B. Schnapper, Les rentes au xvie siècle, p. 49.
252 . Sur Jacques d’Ableiges, l’essentiel est dit par P. Petot et P. Timbal, « Jacques d’Ableiges », dans Histoire littéraire de la France, t. 40, p. 283-334.
253 Ibid., p. 305.
254 Grand coutumier de France, p. ix.
255 On n’hésitera pas à la citer pour les passages communs avec les deux manuscrits retenus, ainsi que pour les passages datés de l’extrême fin du xve siècle.
256 BnF, fr. 10816.
257 On attend toujours l’édition critique de la compilation de Jacques d’Ableiges, qui tiendrait compte de toutes ces variantes, entreprise de très longue haleine à laquelle plusieurs ont déjà dû renoncer.
258 O. Martin, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, t. I, p. 90-101.
259 O. Martin, « Un coutumier de Châtelet de la fin du xve siècle », p. 417-432.
260 P. Petot et P. Timbal, « Jacques d’Ableiges », p. 318.
261 Il répond parfaitement à la définition du style donnée par L. Fowler-Magerl, Ordines iudiciarii and libelli de ordine iudiciorum, p. 16, « une description de la procédure appropriée à une cour spécifique », contrairement à l’ordo iudiciarius ou ordo iudiciorum, description de procédure qui a une validité générale.
262 Pages 482-576 de l’édition Laboulaye-Dareste.
263 BnF, fr. 18419, fol. 14.
264 « En l’an mil IIIIc fut prouvé en tourbe que se iay ung obligié et i m’ait baillé plege ie puis poursuir le plege se me plaist avant que le principal voire encores par ypotheque, a ce font les III prochains escriptz dessus. […] selon le stille ancien du Chastellet le premier point tout seul n’est point recevable », BnF, fr. 18419, fol. 31. Le texte de Jacques d’Ableiges ne portait pas de titre, la préface de l’auteur le désigne comme « compilacion » ou « livret ». Bien des manuscrits du xve siècle s’y réfèrent sous le nom de « style du Châtelet ».
265 BnF, fr. 18419, fol. 13v.
266 BnF, fr. 18419, fol. 27v.
267 « Ce sont les ordonnances de plaidoier de bouche et par escript abbregies par Pierre et Guillaume Maucrueulx de Montagu selon droit us et coustume », BnF, fr. 19832, fol. 1-38v.
268 F. Aubert éd., 1909.
269 M. Boulet éd., Questiones Johannes Galli, Paris, 1944.
270 H.-L. Bordier, « Commentaires sur un document relatif à quelques points de la coutume de Paris et de la jurisprudence du Parlement au quatorzième siècle », BEC, 6 (1845), p. 396-435.
271 « Decisions de messire Jehan des Mares conseiller et advocad du roy au Parlement », et « Coustumes tenues toutes notoires et iugées ou Chastellet de Paris ».
272 J. Papon, Recueil d’arrests notables des courts souveraines de France, ordonnez par tiltres en vingtquatre livres, Paris, chez Nicolas Chesneau, 1565.
273 Sur la notion de droit coutumier, voir en dernier lieu, R. Jacob, « Les coutumiers du xiiie siècle ont-ils connu la coutume ? » Pour une liste des coutumiers consultés, voir le tableau 1 et les références complètes données dans les Sources imprimées, p. 427.
274 Les émeutiers parisiens du 1er mars 1382 s’en étaient pris aux registres des officiers du Châtelet, Chronique des quatre premiers Valois (1327-1393), p. 299 : « […] derompirent et depiecerent les registres, actes et chartres qu’ilz trouverent en dit Chastellet touchans le roy et sa juridiscion et touchans parties. »
275 Sur la révolte des Maillotins et les émeutes parisiennes des années 1380-1382, puis sur leur répression en 1383, le récit de Léon Mirot reste utile, L. Mirot, Les insurrections urbaines au début du règne de Charles V (1380-1383). Leurs causes, leurs conséquences.
276 Nous ne donnons ici que les principaux jalons historiographiques d’une conjoncture bien connue. Guy Fourquin avait établi la chronologie de cette longue dépression, G. Fourquin, Les campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge. Sur la décrue démographique parisienne, Jean Favier avance le chiffre de 80 000 habitants dès 1421, J. Favier, « Occupation ou connivence ? Les Anglais à Paris (1420-1436) », p. 245. La reconquête de la ville en 1436 ne fut pas immédiatement suivie d’une reconstruction, qui dut attendre la fin des combats dans la région et les années 1450 pour être lancée. Le mouvement des réaccensements permit à Guy Fourquin d’établir une chronologie fine de la restauration agricole des campagnes : avant 1465, ce sont les meilleures terres des seigneuries les plus riches qui furent restaurées en premier, après 1465, ce fut le tour des terroirs les moins riches de la Brie et de l’Hurepoix, G. Fourquin, Les campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, p. 387 et suiv. Les travaux de Jean-Marc Moriceau montrent cependant que la restauration des censives fut plus lente encore que Guy Fourquin ne le pensait : il faudrait décaler la chronologie d’une quinzaine d’années, la plupart des baux de réacensement ayant été conclus entre 1465 et 1480 et la restauration du Hurepoix ne s’étant pas ouverte avant 1480, J.-M. Moriceau, Les fermiers de l’Île-de-France. L’ascension d’un patronat agricole ( xve-xviiie siècles). La reconstruction des campagnes s’étendit en fait jusqu’au début du xvie siècle, voire dans certaines zones jusqu’à 1545, P. T. Hoffman, « Land rents and agricultural productivity : the Paris basin, 1450-1789 ». La chronologie de la reconstruction de la ville fut vraisemblablement similaire : Jean Favier considère que le niveau d’activité de la ville ne rejoignit que dans les années 1517-1519 celui qui était le sien vers 1400, J. Favier, Paris au xve siècle, p. 347 et suiv. Les prix agricoles et les salaires stagnèrent jusqu’à la décennie 1490-1500. Même si l’évolution démographique de la ville est largement énigmatique pour cette seconde moitié du siècle, on considère en général que Paris ne retrouva qu’au début du xvie siècle, voire à la fin du règne de François Ier, les 200 000 habitants qui lui sont attribués pour le début du xive siècle, J. Jacquart, « Réflexions sur les notables ruraux : le groupe des marchands laboureurs en Île-de-France, du xve siècle à la Révolution », p. 646.
277 Entre dix-sept et vingt-cinq, selon les jours. Les enseignements du registre d’écrous de 1488-1489 et du fragment du registre de 1412 sont convergents sur ce point.
278 D’après les calculs effectués par T. M. Luckett, Credit and Commercial Society in France, 1740-1789, p. 104-107, à partir des écrous du Grand Châtelet.
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