Présentation
p. 7-9
Texte intégral
1Le présent volume rassemble les textes des interventions prononcées lors de la journée d’étude Indexicalité, qui s’est tenue en Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) le 8 novembre 2008. Cette journée, organisée par Perrine Marthelot, a pu voir le jour grâce au soutien indéfectible de Jocelyn Benoist, et à l’aide de l’équipe « Expérience et Connaissance » du laboratoire « Philosophies Contemporaines » de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le but d’une telle rencontre était d’amener professeurs et doctorants à présenter leurs travaux et à dialoguer autour du thème général de l’indexicalité, abordé selon un angle particulier.
2En effet, l’objectif recherché était d’aborder la notion d’indexicalité du point de vue global de l’inscription du langage dans le monde de la perception, sans la considérer comme un sous-ensemble technique et ponctuel qu’il s’agirait d’isoler dans le processus de signification. La problématique n’est pas alors tant celle de la référence, ni celle du statut des indexicaux, mais elle décentre la réflexion afin d’interroger en quoi, et dans quelles limites, le monde environnant (monde d’usage, de perception) est toujours nécessaire pour qu’il y ait quelque chose comme un langage, et la constitution d’une signification. S’il faut considérer qu’il n’est possible de parler que depuis l’origine de son inscription dans le monde, le problème de l’indexicalité conduit alors à poser la question suivante : l’indexicalité ne concerne-t-elle qu’une partie, très restreinte et spécifique, de nos énoncés doués de sens, ou notre langage est-il en fait très largement indexical dans son fonctionnement ? Ainsi, la réflexion sur les conditions de possibilité du développement de l’indexical conduit-elle à une réévaluation des circonstances de remplissement de toute signification. L’enjeu est alors de tester les limites et la validité de ce concept élargi d’indexicalité, et d’analyser les rapports qu’entretiennent le langage et le monde dans ce cadre général.
3Or, l’originalité de cette approche de l’indexicalité, ou de la deixis est qu’elle s’articule autour de la réflexion de Karl Bühler (1879-1933) sur les déictiques et le champ déictique, telle qu’il l’a développée particulièrement dans l’un de ses derniers ouvrages, paru en 1934, La Théorie du langage, la fonction représentationnelle du langage, dont la première traduction française effectuée par D. Samain et J. Friedrich vient de paraître aux éditions Agone1. Le traitement du problème de la deixis par Karl Bühler à travers notamment ce qu’il nomme la théorie des deux champs, et qu’il considère comme la quintessence de sa théorie générale du langage, constitue l’un des temps forts de son ouvrage. L’analyse suppose d’envisager les relations complexes de deux facettes fondamentales du langage que l’on pourrait caractériser comme intuition et concept. Le langage, dans son usage intuitif, perceptif, nécessite un ancrage dans une situation (que Bühler nomme aussi un champ déictique) et ce n’est que depuis cet ancrage qu’une signification est possible.
4C’est ainsi que les termes déictiques supposent une forte dépendance au contexte d’émission et à l’environnement perceptif, même dans le cas de la situation de remémorât ion ou de l’anaphore. Mais il faut alors comprendre le statut particulier du langage conceptuel, qui déploie sa signification dans le champ symbolique, le second champ du langage (Bühler évacuant l’hypothèse qu’il avait émise auparavant, selon laquelle le langage comporterait un troisième champ, pictural). Celui-ci est-il totalement disjoint du modèle de la demis ? Et quelles conclusions faut-il alors en tirer sur la possibilité de la constitution de la signification en général ? Ainsi, la question de l’indexicalité n’entend pas être un point de détail dans le traitement général d’un langage symbolique détaché de toute prise sur le monde, mais au contraire, elle permet de tester l’hypothèse d’une très profonde interaction entre l’ancrage d’un énoncé dans le monde et la signification linguistique. À quelles conditions la deixis est-elle alors ce qui guide sur la voie d’une compréhension décentrée de la signification ?
5L’un des objectifs de cette journée était donc de revenir sur le concept de l’indexicalité afin d’examiner les problèmes que la notion même pose quant aux relations du langage et du monde. C’est pourquoi les analyses de l’œuvre de Bühler dialoguent dans le présent volume avec deux autres approches du problème de l’indexicalité dans le langage : celle de la première phénoménologie d’une part, celle de l’analyse sémantique et pragmatique du langage par Peirce d’autre part. Le rapprochement est d’abord chronologique : ces approches du problème de l’usage du signe comme indice et de la particularité de l’indexical sont relativement contemporaines, et figurent parmi les premiers traitements de cette notion. Le rapprochement est également thématique : il s’agit de confronter la théorie du langage développée par Bühler à la première phénoménologie d’une part, et à la pragmatique peircéenne d’autre part, afin d’évaluer la pertinence des rapprochements et la divergence des problématiques. Les trois sections de l’ouvrage correspondent ainsi à ces approches successives. Dans la première section le problème de l’indexicalité est tout d’abord introduit dans sa dimension fondamentale pour le questionnement de tout langage. Sont ensuite interrogées les conditions de remplissement du signe dans sa profération, dans la réflexion husserlienne des premières Recherches logiques, puis les conditions d’accès au « contenu » (si tant est qu’il y en ait un) de l’indexical, à partir d’une lecture croisée des premiers cours de Heidegger datant du début des années 1.920, et des Recherches philosophiques de Wittgenstein. La deuxième section est consacrée à l’analyse du champ déictique dans l’œuvre de Bühler, aux trois modalités de la deixis et à leur conséquence pour la théorie du langage. Le premier texte examine la portée du modèle de la description dans le fonctionnement du champ symbolique, le deuxième confronte la réflexion Bühlerienne sur l’indexical à la théorie de la variation bolzanienne afin d’en dégager la spécificité, et le troisième revient en profondeur sur la particularité du champ déictique, introduisant dans son argumentation une confrontation de la conception des indexicaux selon Bühler et Peirce. L’approche peircéenne de l’indexicalité fait l’objet de la troisième section. Y sont tour à tour analysées la centralité de l’indexicalité dans le langage naturel et la logique de Peirce, et l’hypothèse d’une théorie des actes de langage, comprise dans sa réflexion sur l’indexicalité et l’assertion.
6Dans la délicate tâche du travail d’édition, Charlotte Gauvry et Sabine Plaud, par leur relecture minutieuse des textes de cet ouvrage, m’ont été d’une aide précieuse. Je les en remercie vivement. Enfin, ce volume n’aurait pu voir le jour sans la coopération active de Nicolas Billerey et les conseils avisés d’Olivier Dodane, docteurs en mathématiques et experts du langage informatique LATEX. Qu’ils en soient ici profondément remerciés !
Notes de bas de page
1 Karl Bühler, Sprachtheorie, Iéna, Fischer, 1934.
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Agir et penser
Essais sur la philosophie d’Elizabeth Anscombe
Valérie Aucouturier et Marc Pavlopoulos (dir.)
2015