Chapitre 11. La territorialisation des productions et activités
p. 231-272
Texte intégral
Diversification agricole
1Dans le cadre des réflexions sur le développement local, rural et agricole menées en France au cours des années 1990, le Conseil économique et social a rendu en février 1997 un avis sur l’agriculture et les activités nouvelles, « facteur de dynamisme du monde rural »1. Ce rapport donne une définition de l’agriculture plurielle, concernant autant la diversification que la valorisation des produits du terroir, inscrivant sa démarche dans la perspective du développement durable. « La diversification apparaît comme un des moyens de maintenir le revenu de l’exploitation agricole, de prévenir le risque de dévitalisation du territoire, particulièrement dans les zones sensibles, et de créer une dynamique locale2. » Cette définition de la diversification n’est pas nouvelle et le rôle qu’on lui attribue dans le développement local non plus puisque, dès les années 1980, ce thème revient de façon récurrente dans un discours, à l’époque, d’agriculture « à double vitesse ». Concernant l’agriculture, la diversification suppose la mise en œuvre d’activités nouvelles assurant un complément de revenu appréciable pour la pérennité économique de l’exploitation. Elle correspond en théorie à un marché étroit, local, ou à une niche étroite de production dans un marché plus large. La diversification peut prendre d’autres formes que celles de l’activité productive. On entre de plain-pied dans la multifonctionnalité de l’agriculture : valorisation par des circuits de vente locaux d’une production déjà pratiquée sur l’exploitation, offre de services particuliers, y compris dans le tourisme, les loisirs et l’entretien des paysages. Parallèlement, comment définir une agriculture qui, sans changer fondamentalement son système et ses méthodes de production, s’intègre dans une démarche de produit classé, certifié, labellisé, produit Label Rouge ou AOC, poulet fermier, Emmental, Époisses, fromage de Langres, AOC Bourgogne en Tonnerrois ou Châtillonnais ? Enfin, il ne faut pas confondre les deux termes : agriculture valorisant le terroir et diversification. On peut diversifier ses productions en entrant dans des filières ne s’inscrivant pas dans un développement territorial. Le CERD de Bourgogne (Centre d’études et de ressources sur la diversification) a rédigé, en 1999, un rapport complet sur la démarche de diversification, ses définitions, ses aspects juridiques et fiscaux et les applications concrètes en Bourgogne3, avec plus de trente fiches d’exemples. Cependant, si l’on revient à la définition courante, diversifier signifie tout simplement faire varier sa production ; dans ce cas, entreprendre un élevage de porc « hors sol », alors que l’on a été jusque-là uniquement céréalier, doit correspondre à la définition. Or, dans une définition plus restrictive, qui est l’objet du rapport du CERB, la diversification correspond à des productions, à des activités, marginales ou non, organisées au niveau national. Le développement de l’élevage porcin chez un céréalier est plutôt considéré comme un atelier complémentaire.
2L’ambiguïté est réelle lorsque l’atelier de diversification devient l’atelier principal de l’exploitation alors qu’il a pour objet préalable d’être un complément de revenu. Dans certains cas, et cela se lit dans les rapports des ADASEA, on dit d’un agriculteur qui s’installe dans une production « rare » (élevage de cerfs, de sangliers, lapins angora...) qu’il s’installe « en diversification ». Dans ce cas, la diversification ne se définit pas par rapport à l’exploitation agricole mais en fonction du système de production agricole dominant de la région dans laquelle il s’insère et de la « marginalité » ou la particularité de la production développée. D’un point de vue pratique et concret, les techniciens des chambres d’agriculture animant les services diversification dans les trois départements différencient la petite diversification de la grande diversification. La petite diversification concerne la mise en place de petits ateliers individuels, en compléments de revenus ; elle s’attache à l’exploitation agricole proprement dite. La grande diversification intéresse « l’organisation de nouvelles filières de production, dans un département ou une région, portées par l’organisation d’une transformation locale, grâce à des groupes agroalimentaires locaux et une vente en commun, au sein d’un marché dépassant le cadre géographique local4. » Enfin, la diversification de l’exploitation ou de la région agricole a été particulièrement encouragée dans les régions bénéficiant des programmes structurels de l’Union européenne, les zones 5 B, concernant les cantons du Tonnerrois dans l’Yonne, du Châtillonnais en Côte-d’Or, du plateau de Langres et de quelques cantons du Barrois haut-marnais. Les programmes régionaux d’application soutenus par les conseils généraux et régionaux ont appuyé, par des incitations financières, ces démarches de diversification. Nous avons choisi d’utiliser une définition large de la diversification : faire varier les productions et les activités dans des productions qui n’étaient pas jusque-là habituelles ou qui ont bénéficié d’opportunités de développement récentes. Nous y adjoignons toutes les démarches visant à définir une valeur ajoutée régionalisée, que ce soit par des activités de tourisme ou des productions de terroir.
3Cependant, sur les plateaux, la démarche de diversification se heurte à une contrainte ou à une limite très rigide : la très faible densité de main-d’œuvre agricole, alors que le temps ne manque pas. La démarche de développement est de s’agrandir en augmentant la productivité du travail, voire en supprimant l’emploi salarié. De plus, les épouses des agriculteurs, qui sont souvent les initiatrices d’ateliers de diversification lorsqu’ils existent, travaillent très généralement à l’extérieur ; la vie professionnelle de l’agriculteur, la marche de l’exploitation et la vie de famille sont souvent bien séparées. Par ailleurs, sur les plateaux, dans les exploitations de grande culture, la diversification n’est pas souvent une nécessité économique. Souvent c’est l’opportunité qui crée l’envie et une certaine sécurité financière permet de démarrer l’activité. La diversification n’est pas, dans ce cas, un complément nécessaire au revenu. Ainsi, sur les plateaux du Tonnerrois, un céréalier cultivant 230 hectares s’est lancé dans un élevage de biche, à Grimault (canton de Noyers). Il a soixante femelles et réalise chez lui l’ensemble des opérations de la filière, jusqu’à la transformation. Un autre céréalier occupant 450 hectares en grande culture a décidé de mettre sur pied un atelier de production de pivoine en fleurs coupées. Il a commencé avec une centaine de pieds et en cultive aujourd’hui près de 7 000. Il s’est lancé dans une telle démarche parce que sa situation financière est confortable, pas par besoin. Dans ces deux cas, le marché n’est pas local. Pourtant, cela peut permettre un maintien sur place de l’emploi agricole. Dans les exploitations en systèmes mixtes, très représentées sur le plateau de Langres, particulièrement en système laitier, le travail est déjà bien fourni dans l’année et une autre activité aurait du mal à s’insérer, alors que la main-d’œuvre, notamment familiale, est plus importante qu’en pur système de grande culture. Pourtant, rien n’empêche de s’intégrer dans une démarche AOC, dépendante d’un territoire, et ne posant pas forcément des contraintes supplémentaires insurmontables en terme de temps, d’organisation et de répartition du travail : livraison de lait pour la fabrication du fromage de Langres ou d’Époisses. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une diversification de l’exploitation agricole puisque l’on produit toujours du lait, même avec un cahier des charges plus précis, mais d’une contribution à une valeur ajoutée strictement locale, posant les conditions d’un développement territorial durable : diversification par production de valeur ajoutée régionale ou locale. Ainsi, la démarche de diversification prend des formes différentes selon le degré de spécialisation des systèmes de production et en fonction des petites régions agricoles des plateaux.
La diversification : une démarche marginale sur les plateaux
Quelques actions locales
4Les démarches de diversification s’inscrivent dans des actions départementales de développement, autour de techniciens de la chambre d’agriculture et de subventions accordées par les conseils régionaux et généraux. Les structures professionnelles agricoles régionales et départementales fournissent un soutien technique et informatif pour tout agriculteur souhaitant explorer de nouvelles voies de développement, sans privilégier une région agricole plus que l’autre. Les actions, ponctuelles, sont souvent marginales, particulièrement sur les plateaux et dans les régions de grande culture en général. Ainsi, lorsque la petite diversification se développe, elle privilégie les zones de petite ou moyenne polyculture-élevage. L’intérêt immédiatement économique de la diversification, après la mise en place de la PAC de 1992, apparaît encore moins évident que dans les années 1980, compte tenu des modalités des primes et paiements compensatoires, dans une conjoncture de cours des productions céréalières et oléagineuses favorable jusqu’en 1997. En Haute-Marne, le service « diversification » de la chambre d’agriculture précise qu’au début des années 1990 on a pu compter jusqu’à quarante projets dont la moitié a été effectivement réalisée. En 2000, soixante à soixante-dix agriculteurs présentent des pré-études dont une quinzaine seulement peuvent aboutir, sur l’ensemble du département. La majorité des agriculteurs ne se sent pas suffisamment acculée pour avoir besoin d’un complément de revenu, particulièrement sur les plateaux. La démarche touche plus le sud (pays de Langres) que le nord du département et plus la partie est (grand Bassigny) que le plateau de Langres proprement dit. D’autre part, la représentation et la diversité des industries agroalimentaires proches jouent un rôle actif dans les possibilités de grande diversification. En Haute-Marne, la faible représentation de l’agroalimentaire industriel en dehors des industries laitières laisse peu de prise à l’émergence de projets variés de grande diversification, en dehors du poulet fermier Label Rouge à partir de l’abattoir des Tilleuls à Lénizeul, en pays de Langres.
5Aucune véritable alternative de développement agricole local sur les plateaux n’a émergé. Certes, les régions de plateaux ne sont pas seules dans ce cas. Cependant, on semble bien loin ici des préoccupations et volonté politique affichées çà et là autour d’une agriculture multifonctionnelle, volonté réaffirmée pourtant dans les chartes de développement durables de pays au début du xxie siècle et formalisées dans le contrat de pays du Tonnerrois5. Les voies de développement agricole durable local peuvent émerger hors du milieu agricole proprement dit en espérant créer une dynamique qui finisse par le concerner en retour. Ainsi, les chambres d’hôtes et gîtes ruraux, dont le nombre n’est pas très élevé sur les plateaux, peuvent créer un cadre de développement touristique et pourquoi pas favoriser l’émergence d’une image de marque « régionale » susceptible d’encourager des productions locales, territorialisées et labellisées. Pour l’heure, cette activité d’accueil est surtout aux mains de salariés ou d’actifs, voire de retraités, non agriculteurs. Enfin, la diversification s’inscrit souvent dans un moment fort du « cycle de vie » d’une exploitation. En Haute-Marne, en système grande culture-herbivores, on souligne l’importance des épouses, lorsque les enfants sont élevés ou sont suffisamment grands, mais également le moment où le fils (ou la fille) cherchent à s’installer en société sur l’exploitation des parents. Dans ce cas, le complément de revenu devient indispensable. Ce raisonnement se conçoit plus pour le plateau de Langres central que pour les autres régions de plateaux. À terme, la diversification apparaît finalement peu porteuse en terme d’emplois. Pourtant en Haute-Marne, aujourd’hui, le marché est loin d’être saturé dans ces productions locales ; on n’arrive pas à couvrir la demande locale de produits fermiers. On déplore aussi l’absence d’un groupement d’animation locale suffisamment fort et efficace, notamment auprès des jeunes agriculteurs.
6À partir de 1989 et du classement en zone 5 B de quelques cantons des plateaux, renouvelé et étendu en 1994-1999, puis revu à la baisse, en 2000-2006, certaines actions ont bénéficié d’attentions plus particulières, de la part des structures de développement local et de subventions plus incitatives. Les chartes de pays mettent en avant (Tonnerrois, Châtillonnais, pays de Langres) l’encouragement à la diversification6. Des actions de développement local liées à la diversification ont commencé en Haute-Marne dans le milieu des années 1980, à partir d’agriculteurs qui produisent déjà des productions « fermières » en petits ateliers, sans structure commune de production, de promotion ou de vente. En 1987, la chambre d’agriculture de Haute-Marne crée un service diversification, autour d’actions de petite diversification et de promotion de leurs produits. Des associations promotionnelles se créent mais restent souvent peu vivaces ; ainsi, l’association Aux sources du pays de Langres née en 1987 périclite après deux ou trois ans de fonctionnement. Par contre, Les Marches de Champagne, également créée en 1987, travaille encore au développement du fois gras de canard haut-marnais, une des productions de diversification qui fonctionne le mieux, mais surtout en Sud-Est haut-marnais et dans le nord du département (4 tonnes de fois gras pour un chiffre d’affaires de 3 millions de francs en 1995, selon les estimations de la chambre d’agriculture). En 1989, Richesses du Terroir se développe pour regrouper à la fin des années 1990 une quinzaine d’adhérents dans le but de faciliter la commercialisation des productions représentées, particulièrement sur les marchés locaux. La CUMA Les paysans du pays de Langres et la SARL Domaine de Diderot créées en 1993 relèvent d’une action commerciale collective des agriculteurs impliqués dans ces deux structures.
7La plupart des projets doivent être menés en « individuel », en l’absence de réseau organisé et prendre en charge l’ensemble des étapes, depuis la production jusqu’à la transformation et la vente locale. En Haute-Marne, se développent surtout des ateliers de diversification liés à l’élevage (volailles, fois gras et fromages) pour les deux tiers des projets. Leur mise en place et leur intégration dans le travail de l’exploitation est en effet moins contraignante que celles des productions fruitières ou maraîchères, pour des résultats économiques et financiers généralement bien plus stables. Sur les plateaux de Langres et du Barrois, on recense quelques producteurs de volailles à la ferme et produits transformés. Les éleveurs de volailles sont souvent parallèlement céréaliers. Cependant, dans d’autres exemples de diversification, on multiplie les productions vendues à la ferme ou sur les marchés et transformés : miels, lentilles, confitures et volailles, voire vin, pour la même exploitation à Vaux-sous-Aubigny (Prauthoy). S’agit-il encore de diversification au sens où on peut l’entendre d’une exploitation agricole ou de simple « petite » polyculture-élevage ? Les autres formes de diversification les plus courantes concernent l’élevage bovin lait ou caprin et les fromages produits : un exemple à Blumeray (canton de Doulevant-le-Château, en Barrois), où l’on produit des fromages mais également des volailles et des œufs. Dans une exploitation de Liffol-le-Grand (Saint-Blin) l’exploitation de polyculture élevage produit des fromages affinés au lait de vache et d’autres produits transformés comme le « rubis de groseilles », le miel, le foie gras.
8En Bourgogne, on bénéficie de la mise en place, au moment de la définition des zones structurelles 5 B, de mesures en faveur de la diversification concernant au départ le Morvan en Bourgogne centrale. Ainsi, le CERD (Centre d’étude et de ressources sur la diversification) mis en place à cette occasion a-t-il son siège à Château-Chinon. Rapidement, on reconnaît que ses études et son action intéressent l’ensemble de la Bourgogne. Il fournit une base de référence et de données grâce à des études de marchés et de filières réalisées sur une trentaine de productions et d’activités7, en appui aux actions de diversification encouragées dans les chambres d’agriculture. Ponctuellement, il peut réaliser des études pour le compte de groupements ou d’associations de producteurs de « petites productions », comme sur la cerise de la vallée de l’Yonne où il rédige en 1996 une étude de filière, du producteur au consommateur. Selon le responsable chargé du dossier de la diversification, rencontrée à la chambre d’agriculture de l’Yonne, les plateaux appartiennent aux secteurs les moins « diversifiés ». Cependant, on se doit de préciser que son propos n’inclut généralement pas les filières de « grande diversification ». Les activités végétales « traditionnelles » comme la cerise, très localisée en sud Auxerrois, apparaissent plutôt en perte de vitesse, bien que des actions de reconquête soient menées depuis le début des années 1990. Il existe des associations de producteurs, dans l’Yonne et en Côte-d’Or, parfois bien organisées : SICA dans l’Yonne pour les canards gras, un syndicat apicole, un syndicat de producteurs de truffes. Cependant, dans tous les cas, les producteurs indépendants restent nombreux. La filière petits fruits rouges, bien organisée en Côte-d’Or, concerne surtout la côte viticole et l’arrière-côte, bien plus que les plateaux et la Montagne. Sur les plateaux de Bourgogne icaunais, on distingue deux zones par rapport à la diversification : le sud Auxerrois et le Tonnerrois, où les activités de diversification apparaissent encore moins représentées. En Auxerrois, outre l’existence de la cerise, on rencontre quelques producteurs associant également d’autres petits fruits rouges (cassis, framboises, groseilles). L’apiculture semble un peu plus développée qu’en Tonnerrois. La transformation des produits laitiers, compte tenu des spécialisations agricoles dominantes, est particulièrement rare (moins de cinq exemples). En revanche, la production de volailles « fermières » apparaît plus importante que dans le Tonnerrois, à Limitation de la Puisaye voisine. En Tonnerrois, les productions de volailles, par extension de l’activité du volailler Bourgoin installé à Chailley8, sont une des activités les plus représentées. Quelques élevages de cerfs ou de sangliers, un peu d’apiculture forment l’essentiel de la diversification. Toutefois, avec la jachère obligatoire on a parfois cherché à introduire le chanvre, à partir de la chanvrière de l’Aube, mais bien moins qu’en Haute-Marne où les circonstances locales et l’existence de pionniers ont fait davantage exemple.
9Certaines productions de diversification semblent pourtant adaptées au terrain pédologique des plateaux ; c’est le cas de la trufficulture. Cette production se plaît, surtout pour ce qui concerne la truffe grise de Bourgogne, en terrain argilocalcaire (pH de 7 ou 8). Dans le cadre du onzième contrat de plan État-région en Bourgogne, les plantations truffières ont bénéficié de subventions représentant 25 à 30 % du coût de la plantation. Cependant, la trufficulture n’arrive pas à prendre son essor. La majorité des trufficulteurs ne se situe pas forcément en région de plateaux notamment en Côte-d’Or, où l’on produit surtout dans la côte et l’arrière-côte (sols argilo-calcaires) mais également dans la vallée de l’Ouche. Cependant, dix producteurs du plateau de Langres et dix producteurs de l’Auxerrois et du Tonnerrois ont bénéficié des subventions régionales dans les années 1990 ; cela ne correspond pas à la majorité des producteurs présents. Sur les 10 hectares fixés par le contrat de plan 1994-1999, par an, sur la zone Bourgogne, à peine cinq ont été réalisés. Le seuil de superficie primable minimale est de 10 ares. La truffe de Bourgogne9, réintroduite dans les années 1980, est une production pratiquée par quelques producteurs sur les plateaux, dans l’Yonne et en Côte-d’Or10. Le syndicat interdépartemental regroupant l’Yonne, et débordant sur le Loiret et la Nièvre (secteur argilo-calcaire de Clamecy) compte quarante-cinq adhérents, dont la moitié seulement exerce la profession d’agriculteur. Les premiers producteurs-planteurs ont démarré l’activité dans les années 1973-1975, généralement avec des plants truffiers du Périgord. Dans la plupart des cas, cela n’a pas « tenu » car à l’époque on est encore trop ignorant des connaissances techniques de production. On ne commence à trouver des plants de « truffes de Bourgogne11 » qu’à partir de 1978, commercialisées par deux pépiniéristes. Ce n’est qu’entre les années 1982-1985 que la truffe de Bourgogne s’est imposée face à la truffe du Périgord et qu'elle l’a remplacée. Or, les techniques adaptées à la production de truffes de Bourgogne ne sont mises au point réellement qu’en 1992-1993. La trufficulture est contraignante pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, son extrême sensibilité climatique par rapport à la sécheresse possible (plus de vingt jours) sur les plateaux, de juin à septembre, est un premier handicap. Pour être moins aléatoire, la production exige des équipements pour l’irrigation qui renchérissent les coûts. D’autre part, à partir de la première plantation, il faut attendre entre cinq et dix ans pour obtenir une première production et attendre quinze à vingt ans pour que les plants donnent à plein. Ce n’est pas envisageable pour une diversification destinée à assurer rapidement un complément de revenu ; souvent le père plante pour le fils. Aussi, il est difficile de l’encourager pour une installation de jeune agriculteur. Personne n’en vit complètement ; seuls quelques retraités ne produisent que cela. Les superficies moyennes produites sont inférieures à un hectare, même si l’on rencontre quelques producteurs à 3 ou 4 hectares, dont un sur les plateaux. Cela permet de comprendre pourquoi la truffe est une diversification, non de nécessité dans la plupart des cas, mais d’opportunité, voire de curiosité ou de placement à long terme. Cela n’empêche pas qu'elle soit pratiquée avec le plus grand sérieux. D’autre part, la profession, les syndicats ou associations de producteurs ne disposent pas de moyens importants et ne peuvent fournir un appui technique permanent et complet. C’est souvent la bonne volonté des pionniers et les risques qu’ils ont pris, l’investissement fort de quelques personnalités, qui tiennent lieu de conseils techniques. Enfin, la truffe de Bourgogne n’est pas suffisamment puissante ou représentée au niveau national pour peser sur l’ensemble du secteur de la distribution et surtout de la conserverie qui ne reconnaît que les truffes du Périgord et du Sud-Ouest plus généralement. Dans le cadre de l’ITCE qui compte plus de deux cents adhérents dans le centre-est de la France, on a réfléchi à une démarche d’identification et de promotion du produit « truffe de Bourgogne ». On a jugé trop compliqué de mettre en place une marque ou une AOC. Par contre, on peut davantage envisager une indication géographique protégée (IGP). Aujourd’hui, on vend la production en truffe fraîche auprès des restaurants, des traiteurs et des particuliers. Sur les plateaux, un seul producteur transforme directement sa production en conserverie.
10On cherche également, principalement en Côte-d’Or, à développer la production de moutarde, tête d’assolement possible sur les plateaux. Dès 1991-1992, on entreprend un programme de relance de la moutarde brune par les efforts conjoints des conseils généraux de Côte-d’Or et de l’Yonne, du conseil régional, du CETIOM, pour le dossier technique, de l'ΕΝΙΤΑ de Dijon, des organismes stockeurs, des GEDA et des Chambres d’agriculture pour le conseil aux agriculteurs, avec l’appui de la SIDO12 et de l’ONIDOL. Ces différents partenaires constituent le comité de pilotage chargé de la mise en place progressive de la filière à partir de 1992. Trois plates-formes sont définies en Auxois, en plaine de Bourgogne et en Châtillonnais pour poursuivre la recherche de références variétales et de conduites de cultures. Les industriels ont passé commande, dès 1993, de 340 hectares répartis chez soixante producteurs surtout en région de plaine et en Châtillonnais-plateau de Bourgogne. Ces expérimentations ont été aidées financièrement par la Fédération des industries condimentaires, le conseil régional de Bourgogne, le SIDO et l’ONIDOL. La promotion de cette production répond directement au contexte de mise en place de la PAC de 1992 mais également aux besoins des triturateurs de moutarde dijonnais (Amora, Maille, Ducros et Bornier à l’époque) qui travaillent 200 000 quintaux au début des années 1990 (les deux tiers de la consommation française). Leur autosuffisance nécessiterait 15 000 à 20 000 hectares de moutarde et permettrait de limiter les importations de graines en provenance du Canada. Le négociant des plateaux André Ramel s’est très tôt intéressé au dossier. En effet, la moutarde peut redevenir une bonne tête d’assolement sur les plateaux de Bourgogne et peut éventuellement se substituer à celle du colza. Elle s’intègre bien dans les périodes de travail d’une exploitation de grande culture puisque le semis intervient au printemps et la récolte après la moisson céréalière. Cependant, la plante a été délaissée dans les années 1970 et surtout 1980 au profit du colza et les progrès génétiques nécessaires n’ont pas été réalisés ; si l’on se base sur des rendements de 17 quintaux à l’hectare en sols superficiels, les marges de progrès restent importantes. Cependant, le principal frein au développement de cette production selon la profession est sa non-reconnaissance par Bruxelles. La production de moutarde n’est pas incluse dans le règlement oléagineux bénéficiant de paiements compensatoires13, mais dans les plantes autorisées sur jachère industrielle. Au-delà, la moutarde de Dijon peut devenir un produit labellisé attaché à un territoire, seulement si l’on prouve que le lieu de production et de conditionnement définit une qualité spécifique du produit, ce qui semble bien délicat à mener. En revanche, la recette de fabrication peut éventuellement être protégée. Une démarche d’appellation régionale est lancée. Cependant, le total des superficies recensées annuellement par l’ONIDOL en jachère industrielle moutarde reste très faible : 350 hectares en 1993, 245 hectares en 1994 et généralement moins de 200 hectares ensuite14. Or, les industriels locaux ne peuvent pas laisser les contrats de production dépendre des taux de gel pratiqués et de l'utilisation qu’en font les agriculteurs. Ils ont besoin d’approvisionnements constants. Cette production est encore en phase d’expérimentation technique et économique. Selon un agriculteur rencontré en Châtillonnais et ayant signé un contrat de production, « On fait de mauvais rendements, à peine plus de 10 quintaux à l’hectare, mais même ainsi, on s’en sort aussi bien qu’avec 30 quintaux par hectare de colza. »
Les réseaux promotionnels et l’accueil touristique
11Les associations de promotion et de vente des produits fonctionnent généralement mieux. Dans tous les cas, pour ces trois départements, les associations départementales de tourisme rural adhèrent au réseau national Bienvenue à la ferme qui recense les fermes-auberges, fermes d’accueil, fermes de découverte, produits de la ferme. L’intégration à ce réseau est soumise à l’agrément d’une commission de contrôle composée de représentants des services vétérinaires, des services de répression des fraudes, des associations de consommateurs et d’agriculteurs. L’adhésion aux différentes associations de promotion des produits de diversification est un moyen de connaître et localiser ces activités. Cependant, cela ne peut revêtir un caractère exhaustif puisque dans les production « de diversification » on compte une forte proportion d’indépendants que les animateurs de chambre d’agriculture ont parfois du mal à convaincre d’entrer dans une association ou un réseau, par peur de la concurrence ou par volonté de garder leur entière autonomie.
12En Haute-Marne, l’association de promotion ADMA Diversification (Association pour le développement de la diversification en milieu rural et agricole) regroupe quarante agriculteurs. Son rôle est d’être avant tout une vitrine promotionnelle pour ses producteurs et leurs produits ou activités ; elle édite des dépliants distribuées dans les marchés ou sur les salons (comme le Salon de l’agriculture), elle organise des manifestations collectives du type « marchés fermiers », regroupant des producteurs de miel, groseilles, volailles, fois gras, fromages, fleurs, voire du vin (caveau du Muid de Montsaugeon) et des services comme les goûters à la ferme, les fermes-auberges. Elle organise des manifestations touristiques ou festives durant le printemps et l’été, autour des productions de diversification et de la découverte de fermes de diversification associant des visites d’exploitation, des balades en forêts, une découverte et une observation du gibier, la visite d’une ferme d’élevage au moment de la traite, toutes activités recensées en Barrois et sur le plateau de Langres. Cependant, la représentation de ces activités et productions dans le sud-ouest du Barrois et en région Montagne est moins importante que dans le grand Bassigny. Douze des vingt-huit exploitations inscrites dans le réseau Bienvenue à la ferme, pour la Haute-Marne, appartiennent aux régions agricoles Barrois et Montagne : ce sont d’abord des produits de la ferme mais on compte également deux fermes-auberges, à Dancevoir (Arc-en-Barrois) et Ageville (Nogent), ainsi que deux « goûters à la ferme » à Daillancourt (Vignory) et Rouelles (Auberive). Finalement, ce sont les activités de promotion des productions et les produits d’appel touristiques qui fonctionnent le mieux.
13Dans l’Yonne, l’association APETY15 est l’équivalent de l’ADMA en Haute-Marne. Elle existe depuis le début des années 1990 à l’initiative de la chambre d’agriculture. Elle compte une petite cinquantaine d’adhérents agriculteurs sur l’ensemble de l’Yonne dont vingt-sept sur les plateaux de Bourgogne, produisant et vendant du vin dans plus de la moitié des cas. Sinon, on rencontre quelques producteurs de canards gras, de lapins ou de chèvre « angora », des producteurs de petits fruits rouges dans la zone de production de cerises de la vallée de l’Yonne et un éleveur de cerfs qui conditionne et transforme sa production. Elle mène des actions ponctuelles comme les « marchés de réveillon », aux caves de Bailly à Saint-Bris-le-Vineux, et des actions dans les supermarchés voire sur les marchés, mais ce n’est pas une structure commune de commercialisation. Elle regroupe aussi bien des agriculteurs, très majoritaires, que des artisans et des commerçants alimentaires. Parallèlement, la FDSEA du département de l’Yonne a un groupement de producteurs « en diversification » et combine revendications syndicales et organisation de marchés sur Paris. La chambre d’agriculture de l'Yonne édite une brochure Produits des terroirs de l’Yonne, distribuée dans les offices de tourisme du département. Les agriculteurs paient une cotisation pour y figurer. Elle présente les différents types de production du « terroir », ainsi que les marchés du département et des informations sur le tourisme rural. Cependant, elle regroupe aussi bien des agriculteurs que des artisans. Dans le réseau Bienvenue à la ferme, dans l’Yonne, neuf exploitations sur les vingt concernées sont localisées sur les plateaux. Or quatre intéressent directement la vente de produits viticoles du Chablisien, du sud Auxerrois et du Tonnerrois ; il ne s’agit pas dans trois cas sur quatre, de productions de diversification. Sinon, les produits offerts sont de la plus grande diversité, des petits fruits rouges et leurs produits transformés, aux canards gras, à des services : ferme de découverte (une à Châtel-Censoir) et une ferme-auberge près de Noyers.
14En Châtillonnais, le réseau Bienvenue à la ferme regroupe peu de producteurs des plateaux : deux apiculteurs, un producteur de pleurotes, un producteur de légumes bio et de fleurs coupées, et trois producteurs de fromages de chèvres, deux pisciculteurs. En revanche, les fermes-auberges sont bien plus développées qu’ailleurs, dans une région très rurale où les bourgs, y compris Châtillon-sur-Seine, présentent une offre limitée de restaurants. Les six fermesauberges sont réparties quasiment sur l’ensemble des plateaux ; on ne compte que quinze fermes-auberges adhérentes au réseau dans tout le département. Elles correspondent aux deux piscicultures évoquées ci-dessus et à des exploitations de polyculture-élevage, bovins charolais, volailles, élevage le plus représenté, brebis et une exploitation de grande culture avec élevage de sanglier. Deux de ces fermes-auberges sont situées en extrême limite de plateau, à cheval sur l’Auxois. Ainsi, la ferme-auberge des « quatre heures soupatoires » à Flavigny-sur-Ozerain est un GIE (Groupement d’intérêt économique) réunissant sept agricultrices de la région plateau ou Auxois, un producteur de petits fruits rouges et quatre viticulteurs. Les produits proposés sont bien des produits « de la ferme » mais qui ne proviennent pas forcément du secteur proche. Ce sont des productions des plateaux, mais aussi de l’Auxois, voire de la côte ou l’arrière côte de Bourgogne. Cette région est davantage touristique, à partir du village médiéval de Flavigny, de son site de colline et de la vue qu’il offre sur l’Auxois, non loin de l’abbaye de Fontenay.
15Cependant, c’est souvent l’activité d’accueil touristique qui fonctionne le mieux, même s’il est souvent difficile de déceler ce qui est mis en place par les agriculteurs, et constitue une voie de diversification agricole, et ce qui ne l’est pas, souvent majoritaire dans le cas des gîtes ruraux. L’offre touristique peut se définir à deux niveaux. Elle concerne autant les aménités touristiques, les curiosités, l’offre de repos, de paysage, de nature ou de monuments, que les structures d’hébergement et de restauration, les facilités proposées et l’accessibilité. Il faut définir un produit touristique clairement identifiable et susceptible de répondre à une demande dans des régions qui, au départ, souffrent d’un manque d’image de marque « touristique16 ». Il est vrai que ces régions connues pour être d’abord agricoles et tournées vers la grande culture, également pour les paysages qu’elles supposent – une relative platitude – et la simplification qu'elles provoquent dans les parcellaires et les productions par l’alternance banalisée de grandes parcelles cultivées et de forêt, ne dégagent pas a priori une image de pittoresque ou de paysage « naturel ». D’autre part, les différentes situations départementales vont jouer un rôle dans la définition et l’intérêt de certains produits touristiques.
16Dans l’Yonne, la région des plateaux n’est pas démunie sur le plan touristique : le vignoble de Chablis, Vézelay, sa colline, sa basilique et la proximité du parc naturel régional du Morvan, Auxerre, les châteaux Renaissance de la vallée de l’Armançon (Tanlay et Ancy-le-Franc), la petite cité médiévale de Noyers, les paysages de la vallée de l’Yonne (vignes et cerisiers) et de la Cure (grottes), le canal de Bourgogne, voire Tonnerre, présentent une offre touristique envisageable sur des courts séjours, alors que le reste du département ne montre pas d’intérêt touristique supérieur. De plus, l’accessibilité du sud de l’Auxerrois est bonne grâce à l’autoroute A 6, avec les sorties Auxerre sud et Nitry, ainsi que la route nationale 6. Si le Tonnerrois apparaît quelque peu à l’écart de ces trajets principaux de fin de semaine, et de la voie de passage privilégiée que constitue la Bourgogne, entre région parisienne et région lyonnaise, la situation du Châtillonnais est pire, à l’écart des principaux trajets autoroutiers (voir la carte 4). Les sorties d’autoroute entre Troyes et Langres (A 5) s’ouvrent sur un désert rural et Châtillon est à plus de 35 kilomètres. Ce n’est donc pas en le traversant que l’on peut avoir connaissance du Châtillonnais. Or, l’offre d aménités touristiques de la Côte-d’Or est très généreuse et le Châtillonnais apparaît comme un parent pauvre. Il suffit simplement d’évoquer Dijon, la côte viticole, Beaune, les châteaux du sud de la Côte-d’Or et de l’Auxois, les paysages de l’Auxois et du Morvan, l’abbaye cistercienne de Fontenay (classée patrimoine mondial par l’UNESCO), pour comprendre à quel point le Châtillonnais n’offre pas une image de marque suffisamment forte. Or, les axes autoroutiers (A 6 et embranchement de l’A 38) desservent l’Auxois, Beaune et Dijon. Si Dijon n’est qu’à 85 kilomètres de Châtillon-sur-Seine, sur une route assez rapide, c’est souvent trop loin pour y détourner son chemin quand on a prévu un court séjour bourguignon. D’après le Comité régional du tourisme de Bourgogne, les Comités départementaux du tourisme et l’enquête de fréquentation touristique réalisée par le syndicat du pays châtillonnais en 1998, la fréquentation touristique du patrimoine châtillonnais et tonnerrois est bien moins importante que celle des Hospices de Beaune (435 000 visiteurs), du musée des Beaux-Arts de Dijon (140000 visiteurs), des sites touristiques de Beaune (40000 à 87 000 visiteurs, en dehors des hospices) et de monuments tels que les châteaux d’Auxois et du Morvan (125 000 visiteurs) et l’abbaye de Fontenay qui attire 119 000 personnes tous les ans17. Le seul site Châtillonnais indiqué dans le document du Comité régional du tourisme est le musée archéologique de Châtillon-sur-Seine qui reçoit 26 000 curieux. D’après l’enquête de fréquentation touristique du syndicat de pays du Châtillonnais, les syndicats d’initiative des différents cantons des plateaux, hors Châtillon-sur-Seine, reçoivent généralement moins de 2 000 visiteurs (2 970 à Laignes). L’abbaye du Val-des-Choues, en pleine forêt châtillonnaise, attire cependant plus de 13 000 curieux par an, pour des activités surtout liées à la chasse. Le syndicat d’initiative de Montigny-sur-Aube, ouvert pendant deux mois, n’en reçoit que cinquante-cinq ! Le tourisme apparaît en fait peu connu et peu pratiqué en Châtillonnais, à tel point que la charte du territoire du pays châtillonnais, élaborée en juin 2002, souligne qu’il n’y a jamais eu, jusque-là, d’évaluation précise du nombre de touristes : il est considéré, au mieux, comme une « activité émergente »18. Par ailleurs, l’évocation du tourisme rural, en lien avec une agriculture multifonctionnelle y est plus que succincte, et pour cause ; on préfère parler de tourisme vert, en lien avec les paysages de la forêt, et la chasse19. Selon le Comité régional du tourisme de Bourgogne, les châteaux du Tonnerrois reçoivent 37 000 visiteurs (Tanlay et Ancy-le-Franc) mais le sud Auxerrois intéresse davantage : 69 000 visiteurs aux grottes d’Arcy-sur-Cure, 66 000 à l’abbaye cistercienne de Pontigny, près de Ligny-le-Châtel. La basilique de Vézelay et sa colline, classées patrimoine mondial par l’UNESCO, seraient selon le Comité régional du tourisme de Bourgogne, le site le plus visité de la région, avec une estimation de 800 000 visiteurs, vraisemblablement surévaluée puisque le Comité départemental du tourisme de l’Yonne en compte moins de 100 000. Dans l’Yonne, Tonnerre arrive au quatrième rang pour la fréquentation des offices de tourisme20 ; grâce au tourisme vert qui est nettement en progrès alors que les rendez-vous culturels et les visites d’expositions ont tendance à marquer le pas. Noyers recevrait, par les chiffres de son syndicat d’initiative, 4 000 à 5 000 curieux.
17Quant au plateau de Langres, il bénéficie d’une image de marque « nationale » météorologique qui n’apparaît pas des plus favorables ! Pourtant, il est très bien desservi par voie de communication ; par la fourche de Langres, les autoroutes A 31 (direction Nancy-Luxembourg) et A 5, venant de Paris, se rejoignent. Or, outre l'image de marque, on doit constater un plus grand éloignement par rapport à la région parisienne que la basse Bourgogne icaunaise, l’Auxois et le parc naturel régional du Morvan. Langres et Auberive (sortie d’autoroute A 31) sont à plus de 250 kilomètres de la première entrée autoroutière de la région parisienne ; les lacs de la foret d’Orient (Aube) sont bien plus proches et accessibles par la même autoroute. Les Lorrains, les Luxembourgeois ou les Allemands qui empruntent l'Α 31 ne s’arrêtent guère, ou alors pour une nuit, et, pour un week-end de tourisme vert, ils bénéficient de la proximité de régions offrant des aménités plus variées : les Vosges, par exemple. Cependant, en Haute-Marne, l’offre touristique est de façon générale faible, en dehors de quelques attraits qui ne justifient guère un séjour prolongé, sauf à la station thermale de Bourbonne-les-Bains, en dehors des plateaux. Langres peut bénéficier de visites touristiques, à partir de Bourbonne, ainsi que le mémorial du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, site le plus visité du département (Barrais, canton de Juzennecourt) ; par contre, la Grande Montagne, malgré une offre de nature intéressante, des paysages relativement découpés et vallonnés de plateaux, malgré les restes de l’abbaye d’Auberive et la cascade pétrifiante d’Étuf, apparaît plus éloignée et a priori moins connue.
Des poumons verts
18Il n’est pas inopportun de mettre en avant le poumon vert que représentent les plateaux, constitué notamment par les grandes réserves de chasse des forêts de Francheville et de Châtillon-sur-Seine21, où le massif forestier domanial représente plus de 9 000 hectares d’un seul tenant, ainsi que par les forêts d’Arcen-Barrois et de Châteauvillain. La découverte du gibier, dans des programmes touristiques alliant produits du terroir, découverte de la ferme et gastronomie constitue un programme d’activités de plus en plus recherché. Les plateaux n’ont cependant pas vocation à devenir de grandes régions touristiques. C’est une offre de détente, de randonnée, de gastronomie, d’activités liées à la pêche que l’on met en avant. La Haute-Marne se présente comme « le pays vert et bleu », avec ses 250 000 hectares de forêts et les nombreuses sources du plateau de Langres, alors que le Châtillonnais s’affiche comme « le pays du fer, du bois, de la pierre et de l’eau22 ». On privilégie de toutes façons une fréquentation de faible intensité mais qui se veut constante ou en augmentation, adaptée aux capacités d’accueil qui restent modestes. Les agents de développement touristique installés dans chaque pays d’accueil ont travaillé en ce sens dès l’origine. Le développement touristique du Tonnerrois, par exemple, s’appuie sur un parcours de randonnées à pied et à vélo de 400 kilomètres, établi avec l’aide de l’ONF ou sur le tourisme fluvial du canal de Bourgogne, en dehors des quelques produits culturels que constituent les châteaux Renaissance de la vallée de l’Armançon ou la cité médiévale de Noyers.
19La promotion du tourisme vert, sur lequel les possibilités de multifonctionnalité de l’agriculture peuvent s’appuyer, se développe beaucoup dans les années 1980. Les conseils généraux et régionaux agissent dans ce domaine. La naissance des pays d’accueil et des chartes intercommunales développées depuis le milieu des années 1980 vient d’un constat alarmiste tiré par quelques maires dynamiques réalisant, en Tonnerrois par exemple, que l’agriculture seule ne peut maintenir et encore moins développer la population des cantons et leur activité. On a cherché à promouvoir une économie locale incluant le tourisme vert, susceptible de créer quelques emplois de service, d’artisanat et d’éviter la diminution trop rapide de la densité agricole, ce qui n’est que très localement réussi. Cependant, les conseils généraux et régionaux, les programmes développés dans le cadre des zones 5 B ont constitué, à partir des années 1980 et surtout des années 1990, l’appui indispensable au développement d’initiatives nouvelles, parfois sans les agriculteurs ou malgré eux, mais jamais contre eux. En Haute-Marne, dès 1976, un organisme de promotion est mis en place à l’initiative d’agriculteurs, dans le cadre de l’élaboration du premier plan pluriannuel de développement agricole. Il donne naissance à l’ADDAR, Association départementale pour le développement et l’aménagement rural, dépendant de la chambre d’agriculture. On encourage le développement des gîtes et on cherche à sensibiliser les agriculteurs, entre autres, sur le terrain. Depuis 1992, date de sa fusion avec le centre d'amélioration du logement, et de protection, de conservation et d’amélioration de l'habitat, la structure ne dépend plus de la chambre d’agriculture bien que travaillant toujours avec elle. C’est désormais le conseil général qui instruit les dossiers des gîtes ruraux. De plus, dès le début des années 1990, les fonds structurels de l’Union européenne, à partir des zones 5 B, encouragent, au sein de programmes de développement renouvelés, les actions entreprises précédemment. Le montant des aides à la création de structures d’accueil est différent selon que l'on appartient à une zone 5 B — le Châtillonnais, le Tonnerrois et le plateau de Langres – ou non. Les plateaux ont pu alors profiter de cette opportunité. Dans les années 1980 (1986 en Châtillonnais, 1990 en Tonnerrois), les pays d’accueil touristiques sont constitués et, dans les deux cas, un gros travail a dû être mené sur l’offre. Les PRDC de 1989-1993 et 1994-1999 en Bourgogne, programme régional de développement coordonné, se sont appliqués sur les cantons en zone 5 B du Châtillonnais et du Tonnerrois. Cela a prolongé les efforts entrepris et maintenus dans le cadre des chartes intercommunales, des pays d’accueil, et des contrats de pays, privilégiant les aménagements de sites et la sensibilisation auprès de la population pour le développement des gîtes ruraux. Or ces structures débordent le cadre strictement touristique pour englober l’ensemble des aspects du développement rural local, dont le tourisme vert peut être une activité porteuse, mais pas seulement. Les programmes de développement des PRDC Bourgogne ou les projets bénéficiant des fonds structurels de l’Union européenne pour les cantons des plateaux classés en zone 5 B en Bourgogne et en Haute-Marne ont réuni les efforts de l’ensemble des organisations professionnelles, chambre de commerce et d’industrie et chambres d’agriculture, sur des actions artisanales, agricoles, commerciales, ou de services touristiques. Des programmes LEADER +, succédant aux programmes LEADER II, correspondant au programme européen de développement rural, pour la période 2000-2006, ont été retenus et concernent parfois des actions à support touristique fort, sur les plateaux : c’est le cas de la valorisation du petit patrimoine (Tonnerrois, plateau et pays de Langres, notamment pour la valorisation du patrimoine fortifié), actions concernant le canal de Bourgogne, en Tonnerrois (Yonne) et en Côte-d’Or.
20Le développement touristique a été, sur les plateaux de Bourgogne, dans l’Yonne et en Côte-d’Or, l’objet d’actions conjointes entre Châtillonnais et Tonnerrois. On a mis au point un plan général de développement touristique qui, dans le cadre du premier PRDC, porte sur l’édition de brochures et de dépliants touristiques communs présentés dans les salons nationaux et régionaux (agriculture, tourisme, foire gastronomique de Dijon). On privilégie des produits de courts séjours, de week-end et d’activités de plein air. À l'occasion du second PRDC, on a demandé à un cabinet spécialisé d’établir un programme commercial à partir d’un diagnostic portant sur les produits et prestations touristiques proposés. Les actions menées avec les Comités départementaux du tourisme posent parfois problème : ceux-ci rechignent souvent à promouvoir le tourisme dans une région proche mais hors de leur département. Cependant, le fonctionnement touristique conjoint entre Châtillonnais et Tonnerrois, défendant une image du plateau de Bourgogne, n’a pas posé problème au départ. On a cherché à structurer le territoire touristique par une signalétique routière identifiant les différentes curiosités et le patrimoine local. La démarche européenne a permis d’engager des fonds pour la réhabilitation du patrimoine historique. Cela a particulièrement profité au village médiéval de Noyers, dont la réhabilitation a été importante. Or, le projet de parc naturel régional du plateau de Langres, intégrant le Châtillonnais et le plateau de Langres, de Côte-d’Or et de Haute-Marne, ainsi que le sud du Barrois, sur deux régions administratives, dépendant de deux conseils régionaux et préfectures de région différentes, peut définir une image régionale forte et davantage identifiable en terme d’aménités naturelles et touristiques. C’est à l’initiative de la CCI23 de Chaumont qu’une étude de faisabilité du parc naturel a été réalisée, à partir de la Haute-Marne, et englobant le plateau de Langres dans son ensemble. Toutes les instances départementales et régionales ont donné leur accord de principe pour réaliser l’étude et définir un périmètre. Le projet a avancé beaucoup plus vite du côté haut-marnais que du côté bourguignon, où le périmètre définitif n’a pas encore été définitivement arrêté. Pour le Châtillonnais, il faut choisir entre un ancrage nettement bourguignon avec la région plateau de Bourgogne associée au Tonnerrois, ou entre un ancrage dans la région naturelle plateau de Langres, organisée autour de la délimitation d’un parc naturel et rendant peut-être plus efficace la volonté de développement d’un tourisme reposant sur les aménités naturelles forestières. Aujourd'hui, ce projet a été mis en attente du côté haut-marnais, mais il figure, en 2002, dans la charte de territoire du pays châtillonnais24.
21Le schéma départemental de développement touristique de la Haute-Marne25 montre qu’un tourisme vert diffus serait la forme de tourisme la plus concurrentielle pour le département, facile à promouvoir, pour des séjours de courte durée et de proximité, apportant un plus en terme de valeur ajoutée. Cela nécessite cependant un travail sur l'image de marque confuse, floue, inexistante voire négative (la météo) du département et du plateau de Langres. Ce tourisme repose sur les activités de randonnées, pour lesquelles, en juillet 1996, le conseil général a initié la définition d’un plan départemental d’itinéraires de promenades et de randonnées, aboutissant à l'homologation de soixante et un circuits. Les retombées attendues, sur l’hébergement rural, les gîtes et chambres d’hôtes et sur les fermes-auberges, n’est pas négligeable. Le second point d’appui est celui de la chasse, lié à la présence de gros gibiers dans les forêts haut-marnaises. La fédération de Haute-Marne recense, en 2000, 7 884 chasseurs et en accueille, de l'extérieur, 3 500. Tous les ans, 12 000 bracelets pour la chasse au gros gibier (les cervidés, notamment en forêt d’Arc-en-Barrois) sont attribuables ; or, c’est trop pour les seuls chasseurs du département. Un groupement d’intérêt cynégétique du Sud haut-marnais, intéressant notamment le secteur d’Arc-en-Barrois et Auberive, a été constitué par la réunion de trente sociétés communales de chasse. Il propose un accompagnement à la chasse, sur une journée, pour les personnes extérieures au département. Pour la saison 1999-2000, deux cent cinquante journées ont été vendues, pour quatre cents nuitées et sept cents repas. Ainsi, ces formes de tourisme ont des retombées économiques en matière de développement local, mais essentiellement pour des revenus complémentaires qui ne touchent qu’assez marginalement les agriculteurs. On estime que le tourisme, en terme de retombées économiques, rapporte huit à neuf fois moins que l’agriculture et près de dix fois moins que l’artisanat26 sur l’ensemble du département. Par ailleurs, les différentes actions de tourisme, d’agriculture, voire d’artisanat, peuvent provoquer, sur l'espace dans lequel elles se développent, des conflits d’intérêt. La définition de parcours de randonnées dans un département dans lequel une grande partie de l’utilisation de la forêt repose sur la chasse ne va pas sans nécessiter des arbitrages conflictuels. Par ailleurs, la coexistence des activités touristiques et de l’agriculture pose parfois problème. Ainsi, la Fédération de pêche du département de la Haute-Marne, sur lequel une autre forme de tourisme pourrait s’appuyer, peut entrer en conflit avec la profession agricole sur les questions de la pollution des eaux, d’autant que, depuis quelques années, le potentiel de pêche a beaucoup diminué. On s’efforce de mener des programmes environnementaux avec les agriculteurs, subventionnés par le conseil régional et encourageant le développement de larges bandes enherbées entre les parcelles de culture et les cours d’eau. Le développement d’un tourisme lié à la chasse, rarement mis en avant tant on craint l’image négative qui peut y être associée aujourd’hui, encourage le développement et la « production de gibier ». Si les agriculteurs peuvent être partenaires en étendant les cultures à gibier comme cela se pratique en lisière de la forêt de Francheville en Côte-d’Or, ils sont aussi victimes des dégâts de gibier. Les indemnisations auxquelles ils ont droit donnent lieu à des arbitrages d’autant plus tendus entre la profession agricole et les fédérations de chasseurs que les sommes en jeu sont très élevées : plus de 5 millions de francs en 1997 et 1998 en Haute-Marne dont 1,2 million de francs pour le seul massif d’Arc-en-Barrois, près de 5 millions de francs sur les seuls plateaux de Côte-d’Or. Pourtant, beaucoup d’agriculteurs sont eux-mêmes des chasseurs ! À l’inverse, à la Fédération des chasseurs de Haute-Marne, on souligne l’effet néfaste que certaines pratiques agricoles ont eu sur la faune. L’arrachage des haies, des bois et des bosquets a supprimé les abris naturels des petits gibiers ; il est aujourd’hui devenu impossible de chasser le lièvre en Haute-Marne, alors que les cervidés abondent.
22Les conflits d’intérêts entre les différents utilisateurs et producteurs du paysage rural peuvent se multiplier, rendant plus complexe la promotion d’une agriculture multifonctionnelle dans un environnement rural durable. Pourtant, des programmes environnementaux, paysagers, des mesures de protection contre les dégâts de gibier existent et sont parfois mis en œuvre, permettant d’aplanir un certain nombre de contestations, sans mettre à mal la pérennité économique de l’agriculture. Les agriculteurs ne sont pas forcément en pointe dans ces projets, mais ils en sont partie prenante et bénéficiaires potentiels. Les efforts conjoints aboutissent à la promotion d’un tourisme vert susceptible d’appuyer le développement d’une agriculture « de terroir ». L’exemple du vignoble du Tonnerrois, relancé à partir du premier PRDC Bourgogne, a d’abord intéressé les agriculteurs, mais a aussi créé un produit touristique fort, susceptible de créer une dynamique positive entre ces activités et d’en encourager d’autres concernant l’offre gastronomique ou d’hébergement chez les agriculteurs ; c’est ainsi que cette question est envisagée dans le contrat de pays du Tonnerrois, signé en septembre 2002. Certains produits touristiques agricoles, comme « les assiettes de pays » en Bourgogne, reposant sur des produits du terroir servis par les restaurateurs, ont été labellisés d’un point de vue touristique ; quarante établissements la proposent en Bourgogne, mais seulement deux en Châtillonnais et cinq en Tonnerrois. On travaille également sur des séjours clés en mains de location de bateaux (une action LEADER + de promotion du canal de Bourgogne est engagée), de stage cuisine, de week-end de pêche, de découverte de la ferme, de cueillette de champignons. Des circuits gourmands permettent d’allier promotion touristique, par le biais du tourisme vert, et découverte des produits de la ferme, tout en incluant les fermes-auberges : « Découverte du Châtillonnais », « Balade au pays des trois rivières » (canton de Grancey-le-Château), où l’on combine les balades équestres (ferme équestre), la restauration grâce à une ferme-auberge, ainsi qu’une ferme de découverte et une ferme de séjour qui peut loger les touristes. Ces produits touristiques sont mis au point grâce à un partenariat entre les agriculteurs offreurs de services et d’hébergement, et les structures de développement économiques locales, les syndicats de pays, voire le Comité départemental du tourisme qui propose un encadrement, une organisation, un réseau. Ainsi, on déborde du cadre strictement agricole pour entrer dans une démarche d’agriculture multifonctionnelle, mais également de politique de développement durable local. On cherche à créer des rétroactions positives et des interdépendances positives entre les différents acteurs locaux, entre les différentes activités économiques rurales, pour créer une dynamique porteuse de développement. Une étude de la CCI d’Auxerre a tenté une « approche théorique et partielle du chiffre d’affaires annuel généré par le tourisme, au tournant des années 1990-2000, dans le pays d’accueil du Tonnerrois27 ». Cette approche se fonde sur les entrées constatées dans les monuments et l’occupation des gîtes, campings, hôtels. On a défini une dépense moyenne de consommation saisonnière à partir des tarifs pratiqués ; on obtient un résultat d’ensemble de 1 million d’euros, que l’on peut arrondir à 1,5 million d’euros si l’on tient compte des dépenses annexes chez les commerçants, les activités de loisirs et la restauration hors hôtel, les achats de produits du terroir, de vins du Tonnerrois, par exemple. Cependant, le travail en terme de tourisme rural avec les agriculteurs concerne d’abord et surtout les viticulteurs (Tonnerrois et Auxerrois) chez qui la vente de produits du terroir, mais également les possibilités d’hébergement, sont sollicitées.
23L’hébergement touristique est une des grandes voies de diversification possible des agriculteurs mais ils ne représentent que le tiers, à peine, des gîtes et chambres d’hôtes proposés. Dans l’Yonne, dans le sud de l’Auxerrois, l’accueil touristique est beaucoup plus important qu’en Tonnerrois, en terme de chambres d’hôtes et surtout de gîtes ruraux. Par rapport aux plateau de Langres et Barrois, c’est sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne que les capacités d’accueil apparaissent les plus importantes28 et surtout pour une durée d’occupation plus longue : une enquête menée en Tonnerrois29 montre que les gîtes et chambres d’hôtes sont occupés en moyenne vingt et une semaines par an, pour une clientèle parisienne et du nord de la France, contre cent vingt jours par an au maximum30 en Haute-Marne. Cela amène à reconsidérer sérieusement cette activité comme source de revenu complémentaire intéressant, compte tenu des investissements de départ et malgré les aides et subventions apportées par les conseils généraux : aujourd’hui, le conseil général de Haute-Marne consacre entre 38 000 et 53 300 euros par an au développement de ce type d’hébergement. Les capacités d’accueil sont en progression constante, y compris sur les plateaux, mais rien ne permet de penser qu’il s’agit d’une voie de diversification de plus en plus choisie par les agriculteurs ! Selon le guide des gîtes de France, on compte vingt-deux propriétaires de chambres d’hôtes sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne, sur soixante et une au total dans le département, mais la moitié est liée au vignoble du Tonnerrois et surtout du sud de l’Auxerrois, du Chablisien et à la proximité de Vézelay. Pour comparer, en Châtillonnais et plateau de Langres de Côte-d’Or, on n’en compte que dix sur un total de cent trente-neuf dans ce département ! Cependant, plus de la moitié est tenue par des agriculteurs encore en activité et trois par des agriculteurs retraités.
24Ainsi, le recensement général de l’agriculture de 2000, qui permet d’établir un bilan complet des différentes formes de diversification, conclut à leur présence marginale sur les plateaux, malgré les actions engagées depuis la fin des années 1980. La reconversion en agriculture biologique (mais est-ce une voie de diversification ?) ne concerne que 1,2 % des exploitations des plateaux et les actions de restauration et hébergement, seulement, 1,6 % en moyenne, même si elles sont davantage représentées dans les cantons où existe une offre touristique : c’est le cas de Vézelay, où plus de 7 % des exploitants pratiquent cette activité, ou Noyers-sur-Serein, 4 %. Par contre, les démarches de production de qualité (15 % en moyenne), de vente directe (12 % en moyenne sur les plateaux) et d’offre de travaux agricoles (8,4 %), sont davantage représentées. Ces activités sont aussi très inégalement présentes, dans les cantons des plateaux. Les productions de qualité, la transformation à la ferme et la vente directe sont souvent liées et privilégient nettement les cantons viticoles comme Chablis, Ligny-le-Châtel et Tonnerre, où plus de 64 % des exploitations pratiquent les productions de qualité, plus de 35 % la transformation à la ferme et plus de 34 % la vente directe. Mais des cantons non viticoles tirent leur épingle du jeu ; c’est le cas de Châtillon-sur-Seine, Chaumont et Langres (production de qualité et vente directe), Grancey-le-Château, Laignes, Montigny-sur-Aube, Auberive, Prauthoy, Saint-Seine-l’Abbaye, Andelot-Blancheville (production de qualité). Par contre, l’offre de travaux agricoles provient essentiellement des cantons les plus spécialisés en grande culture, particulièrement en Barrois de Haute-Marne, où le CEMA a montré son efficacité : cela concerne plus de 17 % des exploitations dans les canton d’Arc-en-Barrois, Châteauvillain, Blaiserives-Doulevant, Juzennecourt.
L’intégration durable de quelques productions agricoles traditionnelles
La renaissance viticole sur les plateaux de basse Bourgogne
25La renaissance récente des vignobles s’inscrit dans la volonté d’une agriculture multifonctionnelle intégrée à une politique plus globale de développement rural et local durable. Cela concerne les vignobles des plateaux de basse Bourgogne, Tonnerrois et Châtillonnais, ainsi que la production de cerises, dans dix-huit communes de la vallée de l’Yonne. La carte 17 figure les zones soumises à appellation d’origine contrôlée ou à indication géographique protégée. Le vignoble du Tonnerrois se développe sur les terres argilo-calcaires de la cuesta kimméridgienne, comme les vignobles du Chablisien, ainsi que sur les terres à cailloux de plateau, en rebord de la cuesta. En Châtillonnais, le vignoble exposé au sud a été relancé sur la cuesta oxfordienne (côte des Bars).
26Le renouveau viticole du Tonnerrois et du Châtillonnais peut être considéré comme un exemple de diversification puisque la renaissance de ces deux vignobles dans les années 1980 et 1990 est due, à l’origine, en grande partie à l’action de céréaliers ayant développé une activité complémentaire vigne. Ici, c’est vraiment l’opportunité géographique qui a créé l’occasion de la diversification. Mais cette activité n’est pas généralisable puisqu’elle dépend d’une délimitation territoriale contrôlée et réglementée. Les sources utilisées pour la connaissance du vignoble du Tonnerrois proviennent du BIVB, Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, qui présente la localisation des vignobles et les statistiques relatives à la production. D’autres renseignements proviennent du Groupement des syndicats viticoles des communes du Tonnerrois, des syndicats viticoles de Molosmes et d’Épineuil, du service viticulture et arboriculture de la chambre d’agriculture de l’Yonne. La revue agricole Terres de Bourgogne a fourni des informations chronologiques, historiques sur les circonstances de renaissance de ce vignoble. Le SIAECAT, centre de développement du Tonnerrois, a procuré des informations complémentaires concernant le contexte politique. Deux exemples d’agriculteurs à la fois viticulteurs et céréaliers, rencontrés en Tonnerrois31, permettent d’illustrer les formes et conditions de cette renaissance.
27Les vignobles d’Épineuil et de Tonnerre ne subsistent plus qu’à l’état de reliques dans les années 1970. Seul celui d’Épineuil bénéficie depuis 1993 d’une appellation « Bourgogne Épineuil » pour des vins produits uniquement sur la commune d’Épineuil, alors que le vin de Tonnerre se fond dans l’ensemble des AOC Bourgogne. Cependant, la renaissance du vignoble dans le Tonnerrois a commencé à Épineuil dès la fin des années 1960, à l’initiative du maire de l’époque qui, avec l’aide de la SAFER, pousse la commune à acquérir des friches de côtes ou de talus afin de les remettre en viticulture et d’augmenter les recettes fiscales. Le vrai démarrage date de 1977, à partir du seul viticulteur subsistant. Sur les 350 hectares potentiels d’appellation, seulement un peu plus de 80 sont plantés, à l’heure actuelle, à Épineuil même, pour quinze vignerons produisant dans l’appellation. On compte environ trente vignerons sur la commune mais quinze commercialisent l’essentiel du vin d’Épineuil. En 1992, les déclarations d’encépagement couvrent à Épineuil 93 hectares de vignes dont 84 % pour la production de bourgogne épineuil rouge et moins de 6 % pour le bourgogne Épineuil blanc32. Le développement du vignoble se réalise surtout dans les années 1980. Depuis 1992, seuls quelques hectares ont été plantés ; on a même connu quatre années successives sans plantation. Aujourd’hui, on commercialise en moyenne près de 400 hectolitres en épineuil blanc, sur 5,84 hectares, 4 500 en épineuil rouge sur 66,58 hectares et plus de 400 hectolitres en épineuil rosé sur 6,34 hectares. La plupart des agriculteurs produisant du vin d’épineuil sont des viticulteurs spécialisés ; certains sont venus du Chablisien, voire de Champagne. Une CUMA qui regroupe vingt-quatre agriculteurs d’Épineuil et de Tonnerre propose le matériel de labours, de traitements antiparasitaires, voire de vendange. La majorité de ces viticulteurs-vignerons vend individuellement en caveau. Deux d’entre eux adhèrent à la cave coopérative de Chablis, la Chablisienne.
28La relance du vignoble du Tonnerrois, hors Épineuil, se rapporte à un contexte politique très particulier. Il s’agit du premier plan régional de développement coordonné du Tonnerrois, lié aux programmes des fonds structurels 5 B pour la période 1989-1993, et la présence sur place, en tant que député de la circonscription du sud de l’Yonne, de Henri Nallet, ministre de l’Agriculture de 1988 à 1990. La quasi-totalité du vignoble ancien a disparu. Ici, à l’inverse de ce que l’on a connu à Épineuil, la SAFER n’a pas constitué de réserve foncière. Il n’existe pas, en 1989, de terrain à vendre à cet effet. Les droits exceptionnels de plantation accordés par l’INAO couvrent 180 hectares, à planter sur six ans, en AOC Bourgogne33. Ce sont les agriculteurs céréaliers possédant des parcelles éligibles qui se lancent dans la replantation, au moment où les effets d’annonce de la réforme de la PAC poussent à chercher des voies de diversification. La première cuvée est produite en 1990 ; il n’y a alors qu’une seule vigne en production, de 12 ares, à Molosmes, et sept cent cinquante bouteilles. Or, on estime, en 1989, à 6 hectares, les plantations nécessaires pour qu’une exploitation puisse vivre uniquement de ce vignoble34. Le coût de plantation est élevé. Il faut attendre quatre ans avant de pouvoir réaliser la première production. Seuls les agriculteurs à l’aise financièrement et très au point techniquement dans leur activité céréalière ont pu raisonnablement se lancer dans cette production. En 1991, une dizaine d’hectares entrent en production. On produit à 75 % du bourgogne blanc (chardonnay) et à 25 % du bourgogne rouge (pinot noir). Selon le PRDC35 du Tonnerrois de 1989-1993, le projet de réimplantation du vignoble doit reposer sur des structures collectives (CUMA) et est subordonné à la création d’un caveau de commercialisation commun d’un groupement de producteurs, à une époque où ceux-ci, céréaliers essentiellement, ne disposent d’aucune structure. Or, les structures collectives n’ont pas tenu longtemps même si un caveau existe toujours à Tonnerre : il ne regroupe qu’une minorité de viticulteurs, moins de dix, pas forcément du Tonnerrois, d’ailleurs, alors que l’on compte une soixantaine de viticulteurs dans le Tonnerrois. Aujourd’hui, le vignoble tonnerrois couvre effectivement 200 hectares, Épineuil compris36. En dehors d’Épineuil, sur les 180 hectares de droits à planter, à peine la moitié a été utilisée. Pourtant, aujourd’hui, cette activité viticole est souvent présentée comme un des atouts essentiels (mais non suffisant) du Tonnerrois en matière de développement rural durable, susceptible d’appuyer la volonté de promouvoir le tourisme vert dans la région. Le contrat de pays du Tonnerrois, conclu en septembre 2002, a inscrit, dans ses actions à la fois agricoles et touristiques, la volonté d’aboutir à une AOC Bourgogne-Tonnerre, pour renforcer l’économie viticole mais également l’image de qualité du territoire et son attractivité. À Vézelay, dans le sud de l’Yonne, un autre vignoble a connu une renaissance récente, en encépagement chardonnay, pour 100 hectares, sur une aire d’appellation de 393 hectares, délimitée par l'ΙΝΑΟ en 1988 sur les communes d’Asquins, Saint-Père, Tharoiseau et Vézelay. On produit dans l’appellation Bourgogne-Vézelay (depuis 1995), entre autres, en essayant de profiter de la fréquentation touristique.
29Deux agriculteurs, céréaliers et viticulteurs, rencontrés sur le Tonnerrois illustrent bien les stratégies de diversification très localisées, menées dans cette région. Monsieur D. exploite 94 hectares en céréales et oléagineux et 6 hectares en vignes. Un atelier d’élevage de volailles, de lapins et de poules pondeuses subsiste mais est appelé à disparaître au profit de l’atelier viticole. Toutes les terres sont en propriété, en une seule parcelle autour de la ferme, isolée sur le plateau, à l’écart du bourg. L’exploitation de 100 hectares date de 1962 ; elle n’a pas été agrandie depuis. En 1962, le couple s’est installé sur les 48 hectares venant des parents de l’épouse et 52 hectares supplémentaires acquis à l’occasion. De 1962 à 1990, l’exploitation fonctionne en système de polyculture-élevage. On produit du lait (dix à douze vaches laitières), des porcs (vingt-cinq en moyenne) et un peu de volailles jusqu’au début des années 1980. Dans les années 1980, on augmente l’atelier « volailles » et on arrête les autres élevages. La SCEA a été créée en 1991, autour de deux associés, l’agriculteur et son épouse. Le fils a intégré l’exploitation à partir de 1996 mais sans démarche d’installation. Aujourd’hui, la mère est seule gérante de l’exploitation, le père est toujours associé mais a pris sa retraite. Un salarié est présent sur l’exploitation. En 1990, l’annonce de la relance du vignoble les concerne au premier chef. Installée sur des terres à cailloux superficielles, en pente, sur la cuesta du Kimméridgien, leur exploitation de petites terres aux rendements céréaliers plutôt moyens obtient la possibilité de classer 25 hectares en AOC. Sur les droits de plantation utilisables, on a réellement planté 6 hectares, en neuf ans. Les droits de plantation autorisés par l'ΙΝΑΟ sont soumis à des limites annuelles de 60 ares maximum. Il faut renouveler tous les ans la demande, pour la société et pour chaque associé. Pour s’équiper et se former en viticulture, on a conclu un plan d’amélioration matérielle, de 1993 à 1998, permettant d’assurer une part du financement des équipements nouveaux : 600 000 F sur six ans avec un taux réduit. On a mis huit ans à amortir tous les frais. « Ce sont les céréales qui ont fait tourner la ferme et permis de planter. » L’exploitation a bénéficié, selon cet exploitant, d’un encadrement technique suffisant et bien développé tant pour la culture de la vigne (techniciens de la chambre d’agriculture) que pour la vinification (services privés d’un œnologue, rémunéré à l’hectolitre de vendange rentrée). Les exploitants ont créé leur propre caveau où ils commercialisent en bouteille 10 000 à 12 000 bouteilles par an, sur un potentiel de 40 000 ; ils vendent la plus grande partie de la production, l’équivalent de 28000 à 30000 bouteilles, en vrac. Grâce à l’adhésion à une CUMA de Tonnerre, regroupant six adhérents, on dispose collectivement d’un broyeur à végétaux, d’une benne à vendange et d’un tracteur-enjambeur. Afin de gérer les deux ateliers de production, grande culture et viticulture, on a adopté, pour la partie céréales et oléagineux, des techniques simplifiées de travail du sol, sans utiliser le semis direct. Cependant, devant la multiplication des problèmes liés au brome, les exploitants sont revenus, en 1996-1997, au labour, en rotation sur un tiers des parcelles, sauf lorsque le terrain est trop sec, puisque, dans ce cas, les outils à dents et à disques « passent bien ». Aujourd’hui, les céréales et oléagineux représentent toujours 50 % du revenu (mais sur plus de 90 % de la superficie), la vigne 40 % et les volailles 10 %. La part de la viticulture est appelée à augmenter dans le revenu. Les grandes cultures et l’élevage ne représentent que 30 % du temps de travail contre 70 % pour la vigne. Cependant, les deux activités s’associent bien dans la répartition annuelle du travail. La grosse période de travail s’étend du 15 février à la fin du mois d’octobre, combinant tous les travaux importants, cultures et vigne.
30Le second agriculteur-viticulteur rencontré produit du vin du Tonnerrois bénéficiant de l’appellation AOC Bourgogne. Sur la commune, la production viticole n’a redémarré qu’en 1989, avec 4,8 hectares. En 1997, on compte déjà 42 hectares et 55 en l’an 2000, pour onze producteurs. La plupart des producteurs de vin de cette commune vendent en bouteilles et au caveau individuel, deux vendent tout au négoce et deux adhèrent à la structure collective du caveau des Fontenilles à Tonnerre. Sur les onze viticulteurs, huit sont également des céréaliers exerçant l’activité vigne en pluriactivité. Monsieur S. exploite 172 hectares de céréales et 9 hectares de vigne (AOC Bourgogne blanc, rouge et rosé et Aligoté), dont 2 hectares en épineuil rouge et rosé. Son exploitation est isolée sur le plateau. Les terres sont regroupées alentour. 150 hectares de terres sont situés dans un rayon de 3 km, les parcelles les plus éloignées sont à 8 km au maximum. Les parcelles de vigne ont toutes une superficie de moins de 1,5 hectare, par choix délibéré. En effet, du fait de la latitude relativement septentrionale, des risques de gel et des facteurs climatiques liés à l’exposition, il s’agit d’un moyen de « limiter les risques ». Il n’y a pas eu de remembrement dans ce secteur des plateaux, mais beaucoup plus d’échanges amiables. Ici, les sols sont assez superficiels, le terrain relativement vallonné et le potentiel de rendement en grande culture, moyen. Cependant, les terres les plus mauvaises ont été laissées en gel fixe (25 hectares). L’exploitation appartient à la famille depuis trois générations. Au départ, avant la Seconde Guerre mondiale, c’est un élevage de moutons (race « Île-de-France »), pratiqué en parcours sur 210 hectares auquel on adjoint un élevage de vaches laitières. Les vaches laitières sont revendues en 1963 et les moutons en 1974. L’abandon de l’élevage coïncide avec les progrès spectaculaires réalisés dans les années 1960-1970 en matière de variétés de blé, de rendements, de traitements phytosanitaires et fongicides. En dix ans, les rendements en blé sont passés de quanrante quintaux par hectare, à plus de soixante, pour stagner au niveau de 60-65 quintaux par hectare. Les céréales se développent dans les années 1970 au détriment des pâturages. En 1974, un fils s’installe avec ses parents en GAEC (troisième génération). En 1987,1e second fils (l’agriculteur rencontré) s’installe en reprenant 40 hectares, puis à nouveau 80 hectares en 1992. Les deux frères ont désormais deux exploitations séparées, l’une de 172 hectares (l’agriculteur rencontré) et l’autre de 247 hectares. Le vignoble a été créé au début des années 1990. Pour cet agriculteur, la vigne et la grande culture représentent chacun 50 % du revenu, mais sans compter la vente en bouteilles, faite au caveau. Pour comparer les revenus, on peut dire qu’un hectare de céréales permet quinze fois moins de revenu net par hectare qu’un hectare de vigne ; mais on ne tient pas compte des remboursements d’emprunts (40 % du revenu net par hectare de vigne) ni des impôts. L’exploitation emploie deux salariés à temps complet, en plus du chef d’exploitation et de son épouse qui travaille à trois-quarts temps. Afin de gagner du temps et pouvoir éventuellement s’agrandir encore ou se diversifier, ils ont adopté les techniques de culture simplifiées, avec semis direct Horsch, pour les cultures céréalières et oléagineuses. Ils ont connu une petite baisse de rendement mais le semis ne revient qu’à 100 euros par hectare. La marge à l’hectare dégagée sur le blé est de 305 euros, dans des terres de 15 à 20 centimètres de profondeur. Selon cet agriculteur « tout considéré, le semis direct n’est pas si avantageux que cela en terme de charges et de coûts de production ». On essaie d’économiser le plus possible sur les intrants mais les techniques simplifiées commencent à encourager le développement des mauvaises herbes, que l’on doit traiter, alors qu’on a abandonné la charrue. Cela entraîne un coût supplémentaire. L’exploitant pense que, compte tenu de ses conduites culturales, il est arrivé au maximum de maîtrise de ses coûts de production. L’avantage réside dans le peu de matériel nécessaire et dans le temps gagné : une seule personne peut réaliser l’ensemble des opérations en grande culture. On estime le temps de travail passé sur la parcelle de vigne à 380 heures de travail manuel par hectare et par an, sans tenir compte de la vendange, alors qu’un hectare de céréales occupe six fois moins de temps en moyenne. L’exploitation de monsieur S. se lance également dans une production réellement marginale, l’élevage d’émeus. Parallèlement, il envisage le développement de l’accueil à la ferme autour des deux productions de « diversification ». C’est l’épouse qui s’est lancée dans une EARL, pour cet élevage, et les premiers animaux sont arrivés en septembre 1999.
31Dans le cas du vignoble du Châtillonnais (voir carte 17), les travaux de Christophe Suchault37, à la chambre d’agriculture de Côte-d’Or, fournissent des informations complètes sur la relance du vignoble et sa vitalité actuelle. L’existence de la vigne en Châtillonnais est ancienne, même si, à la fin du xixe siècle, elle a un poids bien moins déterminant dans l’économie locale que le vignoble dans l’Yonne. En 1879, on compte 860 hectares de vignes sur le canton de Châtillon-sur-Seine, 432 hectares dans celui de Laignes et 549 hectares dans celui de Montigny-sur-Aube. En 1888, les vingt-trois communes installées sur la cuesta possèdent des superficies plus ou moins importantes de vignes. L’oïdium (1860), le mildiou (1870), et surtout le phylloxéra (1891 à 1911), sonnent le glas de cette production, au moment où les autres activités économiques traditionnelles comme la métallurgie finissent de s’effondrer. Les suites de la guerre de 1914 et l’invasion par les vins du Midi, les gelées des années 1930, où pendant quatre ans, aucune récolte n’est possible, concourent au quasi-abandon de la vigne et au développement des friches sur les talus viticoles. La région se dépeuple rapidement. La forêt progresse en passant du taillis à la futaie. Or, pour les vignes subsistantes, la classification en appellation « Bourgogne », au début du xxe siècle, ne va pas forcément de soi. Ici, on est très proche de la Champagne. Avant la Révolution française, certaines communes (Riel-les-Eaux par exemple) sont englobées dans le bailliage de Bar-sur-Seine. Autricourt, Gevrolles et Grancey, en Châtillonnais, voient alterner l’allégeance à Troyes et à Langres. Jusque dans les années 1920, les vins du Châtillonnais sont en partie vendus dans l’Aube pour être champagnisés. Or, en 1927, l’Aube obtient l’appellation champagne « pour leurs vins rendus mousseux ». La limite départementale, malgré les pratiques anciennes de vente, va s’appliquer avec fermeté. Les communes productrices du nord de la Côte-d’Or ne peuvent y avoir accès. Cependant, le classement en AOC Bourgogne s’avère possible et dès 1937 on a demandé à l'ΙΝΑΟ de délimiter un parcellaire dans le Châtillonnais. Avec la guerre, l’opération a été mise en sommeil et ne s’est finalement réalisée qu’à partir de 1975. Seules deux communes y ont droit : Massingy, où réside la dernière famille de viticulteurs du Châtillonnais, et Molesmes. Dans les années 1980, on cherche à étendre la zone AOC Bourgogne sur une cinquantaine de kilomètres de côte. En 1986, l'IΝΑΟ classe 1 234 hectares en AOC Bourgogne et 163,5 hectares en appellations régionales38. Dans vingt-trois communes du Châtillonnais, 125 hectares de vignes ont été replantés dans l’appellation Bourgogne, depuis 1986. Sur soixante viticulteurs, trente sont aussi des céréaliers en 1999. Sur les trente autres cas de figure, dix sont des salariés qui exploitent des vignes en pluriactivité, dix sont des viticulteurs spécialisés et dix sont des producteurs champenois, venus de l’Aube voisine, en trouvant là un moyen d’étendre leur superficie viticole, dans une région où le prix des vignes reste, au début des années 1990, bien en deçà de ce qu’il est dans l’Aube. La plupart des parcelles développées en vigne, sur pentes exposées au sud, sont des anciennes friches, que l’on a dû défricher pour replanter. Les céréaliers, bien souvent, n’ont pas eu à acheter la terre. Ces friches appartiennent souvent à leur exploitation, avant replantation. La terre, peu valorisée en grande culture, voit brusquement sa valeur décupler. Ici, en année de gel (un an sur trois), on perd de l’argent. En revanche, deux ans sur trois, on réalise une marge brute de 3 050 à 3 800 euros par hectare39.120 hectares servent à la réalisation du crémant de Bourgogne, vin mousseux, représentant 80 % de la production vinicole du Châtillonnais. Cette région produit à elle seule 25 % du Crémant de Bourgogne. La plupart des viticulteurs céréaliers sont, à la différence du Tonnerrois, regroupés en SICA ; trente-cinq viticulteurs adhèrent à la SICA, qu’ils soient ou non parallèlement céréaliers. La vente se fait au caveau pour 250 000 bouteilles, sur un potentiel total de 1 250 000 bouteilles, l’essentiel étant vendu à des négociants. C’est une vente plus locale que les vins produits dans le Tonnerrois.
La cerise du sud Auxerrois
32Il s’agit de la relance et la réorganisation d’une production traditionnelle, autour d’un projet multifonctionnel et paysager. Les sources concernant la production des cerises dans la vallée de l’Yonne sont regroupées essentiellement au LPA (lycée professionnel agricole) de Champs-sur-Yonne, situé au cœur de la zone de production. Il est difficile d’obtenir des chiffres très précis car c’est une profession peu encadrée dans l’Yonne. Les documents proviennent soit d’enquêtes réalisées par le LPA (lycée professionnel agricole), à la demande des producteurs locaux, soit des documents de replantation émanant du FGER (Fonds de gestion de l’espace rural), de la DDAF et de la DIREN (Direction régionale de l’environnement). Des études ont été menées en 1996 conjointement par le LPA de Champs-sur-Yonne et le CERD (Centre d’étude et de ressources sur la diversification) ; elles étudient la filière de la cerise de l’Yonne, du producteur au consommateur : « La cerisaie de la vallée de l’Yonne, étude de la production » (août 1996), « Étude de la distribution » (novembre 1996) et« Étude de la consommation » (décembre 1996). Le compte-rendu des rencontres nationales du paysage (26 et 27 mai 1999) présente un bilan de l’opération de paysage de reconquête menée dans la cerisaie de la vallée de l’Yonne. La DDAF dispose des évolutions statistiques des superficies et récoltes des cerisiers de l’Yonne grâce à des enquêtes menées régulièrement40.
33Cette production, concentrée sur un mois dans l’année, ne permet pas d’en vivre exclusivement, d’autant plus qu’on ne produit dans l’Yonne que de la cerise de bouche uniquement consommée en frais et destinée à 80 % au marché de Rungis. Les circuits de commercialisation les plus utilisés sont ceux qui font intervenir des intermédiaires : grossistes implantés sur Rungis, courtiers locaux parfois. La vente directe sur l’exploitation est marginale, ainsi que sur les marchés locaux ou le « self-service », même s’ils sont intéressants en terme de chiffre d’affaires. La plupart des producteurs de cerises du sud Auxerrois sont également des céréaliers ou des retraités. Pour 45,5 % des agriculteurs enquêtés en 199641 (sur quatorze communes), l’atelier cerise ne dépasse pas 10 % du chiffre d’affaires. Seulement 21 % en réalisent plus de 50 % mais il s’agit très fréquemment de doubles actifs voire de retraités. Les deux activités, céréales et cerises, se combinent bien pendant l’hiver, mais l’été, au moment des gros travaux agricoles, la cueillette des variétés de cerises tardives peut se télescoper avec la moisson. Cela explique le choix des variétés produites, relativement précoces pour la région, s’imbriquant bien dans le calendrier de travail en polyculture, mais dommageable pour la productivité face au risque de gel. De plus, au moment où se développe la grande culture, dès les années 1970, la taille des engins mécaniques utilisables par les deux activités (céréales et cerises) est devenue incompatible. Le rendement moyen par hectare est, selon l’enquête DDAF42, de 2,6 tonnes. C’est une estimation haute, mais ce rendement est faible par rapport à d’autres départements producteurs en France : 5,8 tonnes par hectare en Midi-Pyrénées et 12,8 en Languedoc-Roussillon ! La récolte est assurée dans l’Yonne par une main-d’œuvre d’abord familiale et secondairement salariée, pour 40 % des producteurs (33 % familiale et 7 % salariée). Dès les années 1980, la production de cerises de l’Yonne est en très nette régression, en terme de quantités produites et de superficies des vergers. 1 500 hectares de cerisiers existaient au début des années 1980, il n’en reste plus que trois cents à la fin des années 1990. Avec 900 tonnes commercialisables en 1997, la cerise de l’Yonne ne représente qu’à peine 2 % de la production française de cerises. L’enquête sur la structure des vergers en 1997, réalisée par le service statistique de la DDAF de l’Yonne43, montre que les superficies plantées ont été presque divisées par trois entre 1970 et 1997 ; dans les années 1990, au moment où une opération de sauvetage de la cerisaie de la vallée de l’Yonne se met en place, la diminution semble s’accélérer. Près de 70 % des producteurs possèdent un verger de moins de 1 hectare en 1997, contre 58 % en 1992. Dans la plupart des cas, ces petits vergers appartiennent à des agriculteurs de plus de soixante ans. On peut trouver des explications liées en partie à la rentabilité de cette production : les aléas climatiques en période de floraison (gelées, pluies trop fortes) entraînent une très grande variabilité interannuelle de la production ; on estime que le seuil de rentabilité n’est atteint qu’une année sur deux et ne permet pas de faire des investissements pour renouveler les vergers et planter des variétés plus résistantes et plus tardives. Ainsi, on ne s’équipe pas pour la lutte contre le gel dont le coût est jugé excessif. D’autre part, les communes à cerisiers sont, pour certaines, des communes viticoles du sud Auxerrois : Coulanges-la-Vineuse et surtout Irancy, Saint-Bris-le-Vineux et Chitry. La concurrence entre le développement des vignobles sur les talus en friches dans une zone AOC redéfinie dans les années 1990 et la renaissance des cerisaies a été rapidement tranchée au profit de la vigne. Entre les RGA de 1970 et 1979, dans ces quatre communes viticoles, la superficie en vergers a diminué de 10 à 14 % (Saint-Bris, Chitry, Coulanges-la-Vineuse), mais de plus de 24 % à Irancy, où se situe le vignoble rouge de qualité de l’Yonne. Ce sont surtout les jeunes agriculteurs qui ont préféré développer la viticulture, du fait des difficultés liées à l’organisation du temps de travail, de la spécificité et du coût du matériel pour la vigne44.
34Au début des années 1990, la production ne peut se réorganiser qu’autour de quelques producteurs. Des actions sont menées dès la fin des années 1980 à partir du lycée agricole de Champs-sur-Yonne qui a accepté de mettre au point des actions d’information à la demande de certains producteurs. Les premières enquêtes sont réalisées en 1986-1987 auprès des producteurs, des distributeurs et des consommateurs. En 1987, on réalise une exposition variétale comparative avec l’aide de la Société coopérative arboricole et fruitière de l’Yonne. La démonstration est renouvelée en 1988 et 1989 avec le concours de l’ENSBANA45 de Dijon. En 1990,1991 et 1992, les expériences variétales comparatives s’amplifient, dans le contexte difficile du gel tardif de 1991. Des actions promotionnelles concernant l’image de marque du fruit et son identification par rapport à la région de production sont lancées au début des années 1990 comme la réalisation d’un film sur La cerisaie de la vallée de l’Yonne. L’encouragement vient surtout de la mise au point d’un projet global concernant à la fois l’incitation à la production par un plan de relance, mais également la labellisation du paysage dans le cadre de l’opération « Paysages de reconquête », initiée au début des années 1990 par Ségolène Royal, ministre de l’Environnement. Cent sites en France furent retenus dans le cadre de cette initiative, dont la cerisaie de la vallée de l’Yonne. Cela peut permettre une dynamisation de ce secteur de production, de cette voie renouvelée de diversification. Dix-huit communes sont labellisées46, correspondant à cinquante producteurs « professionnels », très généralement céréaliers.
35Ces deux programmes convergents font l’objet d’actions incitatives. En 1993, la remise officielle du diplôme « Paysage de reconquête », par le ministère de l’Environnement conditionne certains aspects du développement des vergers et de leur replantation. L’idée de cette opération est d’aider à revaloriser un patrimoine culturel lié à un terroir et à un savoir-faire et permettre aux agriculteurs d’en assurer l’entretien et la pérennité économique et paysagère : densité de plantation, défrichement des coteaux, alignement des cerisiers, taille des parcelles. Cette démarche a permis aux producteurs subsistants de prendre conscience de l’intérêt paysager, et pas seulement économique, de leur activité.
36Elle donne aussi la possibilité de développer une image promotionnelle de la cerise de l’Yonne, associée à un terroir. Cette action a déclenché le premier programme d’incitation à la relance de vergers de cerisiers, au moyen d’aides individuelles, à partir de 1994. Le plan de relance de la production comprend plusieurs missions définies par un comité de pilotage, chargé de coordonner toutes les actions y compris celles liées à la labellisation du paysage. Le comité de pilotage réunit des partenaires nombreux : chambre d’agriculture, DIREN, DDAF, LPA de Champs-sur-Yonne, INRA, CERD, CTIFL47, conseil régional, Fédération départementale des chasseurs. Les informations suivantes sont tirées des comptes-rendus d’activité du programme de replantation. On met en place trois types d’actions : un volet d’aide à la plantation, un volet technique visant à optimiser la qualité et les coûts de la production et un volet étudiant les différents acteurs de la filière, par les enquêtes réalisées en 1996. Le programme de plantation subventionné par la DIREN et le FGER a fonctionné de 1994 à 1997 ; il a été prolongé par des financements régionaux (conseil régional de Bourgogne) et FGER à partir de 1998. On ne peut planter que des plants certifiés ; seuls les producteurs ayant un statut d’exploitants agricoles en bénéficient. On doit éviter le trop gros morcellement des parcelles afin de maintenir un cadre paysager harmonieux. Le cahier des charges oblige à s’engager pendant dix ans à exploiter et entretenir le verger. La surface subventionnée doit être supérieure à 50 ares ou former un complément aboutissant à une parcelle d’au moins 50 ares et la densité de plantation est strictement réglementée : 5 x 5 mètres, 6 x 6 mètres ou 5 x 6 mètres. Entre 1994 et 1997, 33 hectares 48 ares ont été replantés, 26 hectares 20 ares par remplacement de cerisiers plus anciens, 7 hectares 28 ares sur des superficies auparavant céréalières (tableau 54).
37Les vergers replantés sont marqués par une plus grande diversité des variétés de cerises proposées. L’évolution du goût des consommateurs a montré un désintérêt croissant pour la Marmotte, variété traditionnellement produite dans l’Yonne dans des vergers très souvent anciens. Dans le programme de renouvellement des vergers, vingt-trois variétés de cerisiers sont replantées. Les aides incitatives versées par la DIREN (ministère de l’Environnement) s’élèvent à 40 000 francs par hectare, pour les plantations de l’hiver 1994-1995. À partir de 1995, aux crédits de la DIREN, s’ajoutent les crédits de la DDAF sur l’action « fonds de gestion de l’espace rural, (FGER) pour 10 000 francs par producteur en plantation. Pour comparaison, on estime48 le coût total d’implantation sur les six premières années, amorti sur quinze ans à partir de la septième année, à 49 000 francs par hectare. Le délai avant la première récolte est de cinq à six ans mais on souhaite le ramener à cinq ans. La dépense totale de ces replantations et de toutes les actions liées s’élève à 2,6 millions de francs (396 000 euros) dont la moitié est financée par les agriculteurs concernés par les aides. Ces programmes ont suscité une dynamique locale de replantation puisque d’autres producteurs ont choisi de renouveler leurs vergers en dehors de tout programme subventionné. La rénovation effective des vergers porte sur des superficies plus élevées que les 46,5 hectares subventionnés. À partir de 2000, on souhaite poursuivre les aides à la relance de la production de cerises et la protection du paysage labellisé dans le cadre des CTE49. Parallèlement à faction de replantation, d’autres mesures régionales ont été prises. Elles concernent la réalisation de l’étude de marché (financement du conseil régional de Bourgogne, en partenariat avec le CERD Bourgogne). Un problème important porte sur la protection contre les dégâts de gibier : une action est menée avec la Fédération départementale des chasseurs de l’Yonne et conduit à la mise en place d’un plan de lutte contre les dégâts dus aux chevreuils. La pose de clôtures de protection sur trois parcelles témoins donne 100 % de satisfaction. En dernier lieu, une expérimentation menée en accord avec l’IDEA (Institut départemental de l’environnement et d’analyses) dans le cadre des mesures agri-environnementales de protection des eaux, permet d’ajuster les apports de minéraux. On s’intéresse particulièrement à la lutte contre la moniliose sur fleurs (champignon) et la possibilité de réduction des passages de traitement anti-cryptogamiques et de protection contre la mouche de la cerise.
38La restructuration commence à porter ses fruits ; l’activité cerise se professionnalise davantage. La taille des vergers par exploitant s’est agrandie entre 1992 et 1997 : 29 % des vergers ont une taille supérieure à 5 hectares en 1992, mais 46 % en 1997 ! On adopte des variétés plus tardives comme Van, Summit, Lapins, au détriment des trois variétés dominantes Burlat, Marmotte, Hedelfingen qui ne représentent plus que 63 % des surfaces en 1997, contre 86 % en 198750. Aujourd’hui, une très large majorité de producteurs se montre favorable à des actions de promotion de l’image commerciale du produit51. La politique de développement et de relance de la production, pour se poursuivre, doit se déplacer sur ce terrain. En effet, la cerise de la vallée de l’Yonne, fruit jugé souvent fragile et cher par les négociants acheteurs, est quasiment inconnue par le grand public et ne bénéficie pas d’une image de marque particulière, d’où l’intérêt que portent désormais les agriculteurs aux démarches promotionnelles : vidéo, actions ponctuelles le long de la route nationale 6, action avec la chambre d’agriculture et le conseil général de l’Yonne, dans le cadre d’une opération de promotion des produits du terroir, « Yonne 2001 », mise en place en 1999. La « cerise de l’Yonne » tente de se restructurer autour d’un projet à la fois économique et paysager, sur des superficies plus faibles, portant des vergers renouvelés et plus productifs, aux mains d’agriculteurs davantage « professionnels ». Il s’agit bien de défendre une certaine forme de multifonctionnalité, même si l’activité ne peut durer que par une meilleure rentabilité et réussite économique à terme.
Une labellisation laitière en Haute-Marne
39Le plateau de Langres se distingue des autres régions de plateaux par la territorialisation plus forte de productions fromagères labellisées, issues de l’activité laitière pratiquée par bon nombre d’exploitations en système mixte, grande culture et herbivores. Ces productions labellisées, inscrites sur le territoire des plateaux, encouragent un développement durable par une valeur ajoutée locale de productions agricoles traditionnelles dans ces régions agricoles : les zones fromagères de l’époisses et du langres ainsi que l’emmental Label Rouge. Nos sources proviennent de l'ΙΝΑΟ, de la chambre d’agriculture de Haute-Marne, de la Fédération départementale des producteurs laitiers de Haute-Marne, de la DRAF Bourgogne et de celle de Champagne-Ardenne, de l’ADASEA de Côte-d’Or.
40La carte 17 montre l’importance des productions labellisées, AOC et Label Rouge, dans l’économie laitière des plateaux du sud-est du Bassin parisien. Toutes les régions agricoles de plateaux ne sont pas concernées de la même manière, essentiellement en raison de l’importance relative des systèmes de production mixtes grande culture-lait. La délimitation de la zone AOC Chaource52 n’intéresse que trois cantons et quelques producteurs des plateaux de Bourgogne icaunais, la zone de production débordant largement du cadre des plateaux, sur le nord de l’Yonne et l’Aube. Cependant, dans les années 1990, la définition des zones AOC Époisses et Langres permet d’imprimer une valeur ajoutée territoriale sur le plateau de Langres et le sud du Barrois haut-marnais. Ces appellations débordent quelque peu de la zone des plateaux bien qu’elles soient centrées sur elle. Ces deux productions sont reconnues AOC par décret le 14 mai 1991. Elles correspondent à la définition de deux fromages au lait de vache entier, à pâte molle et croûte lavée et de 50 % matières grasses au moins. L’époisses est affiné un peu plus longuement, quatre semaines au minimum au lieu de trois pour le langres. Ces deux fromages peuvent être concurrents pour la collecte laitière, en Montagne haut-marnaise, dans les cantons d’Auberive et de Prauthoy. Cependant, cela ne peut que renforcer, pour ces deux cantons, le poids et la constitution d’une pratique agricole durable assise sur une délimitation territoriale susceptible de produire de la valeur ajoutée. Au total, on produit, en partie avec le lait provenant des exploitations mixtes des plateaux, 299 tonnes de fromages de langres en 1999 et 650 tonnes d’époisses. Depuis 1995, l’appellation époisses s’est encore précisée. D’appellation époisses de Bourgogne AOC, elle devient AOC époisses. Il s’agit d’éviter que ne fleurissent des époisses d’autres régions de France. En enlevant de la définition de l’appellation sa provenance géographique, on protège davantage, paradoxalement, son territoire d’origine et de production. Il est bien évidemment spécifié dans la réglementation de l’appellation AOC, que l’époisses ne peut être que de Bourgogne.
41Pour ces deux productions, étroitement attachées au territoire des plateaux, on compte cinq producteurs industriels principaux, représentant plus de 90 % de la production totale dans l’appellation, et trois producteurs fermiers qui vendent sur les marchés de Dijon, Chaumont et Langres notamment. Sur les cinq producteurs industriels, un seul est installé dans la zone des plateaux, bien que les autres n’en soient jamais très éloignés. Il s’agit de la fromagerie GermainTriballat, installée à Chalancey, dans le sud du plateau de Langres haut-marnais, à la limite avec la Côte-d’Or. Cette laiterie collecte le lait et produit le fromage dans les deux appellations. Sur 8 millions de litres collectés, elle en utilise le tiers pour ces deux productions AOC. Elle représente, avec 235 tonnes, 37 % des quantités d’époisses produites en France et 45 % des productions de fromage de Langres, soit 135 tonnes. Elle s’est beaucoup investie dans les syndicats de défense, à la fois de l’époisses et du langres ; produisant depuis les années 1980, elle a bénéficié de la délimitation dans les deux appellations, dès 1991. En production d’époisses, l’entreprise Berthaut, installée dans l’Auxois mais collectant sur le plateau, réalise près de 45 % de la production. Sa production est en progression d’au moins 10 % par an entre 1995 et 1999. La laiterie de la Côte, à Brochon, en Côte-d’Or, n’en représente que 10 %. De plus, sur les deux tiers sud de la Haute-Marne et sur l’est de la Côte-d’Or, la délimitation emmental Label Rouge « Est central grand cru » s’applique. C’est un label à IGP, indication géographique protégée, homologué par décret du 31 décembre 1979, pour un fromage au lait de vache, à pâte pressée cuite de 45 % de matières grasses53. Or, la seule entreprise laitière des plateaux qui produise dans cette appellation depuis 1980 est la coopérative laitière du Rognon à Ageville. Cette coopérative, née en 1954, collecte 9 millions de litres de lait, mais davantage sur le sud-est du département que sur les plateaux proprement dits, bien que sa zone de ramassage s’étende également sur les cantons d’Andelot-Blancheville, Langres et Nogent.
42Les cahiers des charges et obligations définies par l’appellation AOC concernent aussi bien les industriels que les producteurs laitiers, à qui l’on réclame une qualité spécifique de la matière première. Les laits collectés pour la production de fromages AOC doivent être stockés et transformés indépendamment des autres laits car ils répondent à des contraintes de production particulières. En emmental Label Rouge, l’alimentation du troupeau est exclusivement à base d’herbe et de foin et exclut tout produit fermenté. Le ramassage du lait est quotidien. Il doit être transformé au maximum trente-six heures après la traite54. Dans le cas des fromages de Langres et de l’Époisses, les contraintes d’alimentation sont moins sévères puisqu’on autorise l’alimentation à l’ensilage par le maïs fourrager. La zone de production laitière, davantage centrée sur les plateaux que dans l’exemple précédent, ne saurait s’en passer. Cependant, certaines conditions d’utilisation sont précisées. La démarche qualité associée à la labellisation AOC a été dernièrement précisée et complétée dans le cas de la production d’Époisses AOC. La crise de la listériose sur ce fromage en 1999, bien que n’étant pas liée à une production issue de la fromagerie Berthaut, l’a cependant beaucoup affectée55. Il a fallu ramener la confiance par un cahier des charges précisant certains points sanitaires essentiellement. Dans cette zone AOC, on a repéré quarante producteurs et la DDA, ainsi que le syndicat de l’Époisses dynamisé par l’entreprise Berthaut, ont poussé à la conclusion de contrats au début de l’année 2000. Cette entreprise, qui jusque-là a acheté son lait à Bel, cherche à encourager un certain nombre de producteurs à livrer directement leur lait à Berthaut et à la laiterie de la côte à Brochon, pour la production d’Époisses AOC. À ce jour, vingt-neuf contrats ont été conclus dans le cadre d’un CTE époisses en Côte-d’Or, définissant une qualité de production spécifique56. Le cahier des charges n’interdit pas les ensilages comme le maïs, mais on réglemente davantage leur stockage, obligatoirement sur une dalle en béton, afin de pouvoir contrôler les jus issus de la fermentation. La ration alimentaire de printemps doit obligatoirement être constituée de 50 % d’herbe au minimum. Les fourrages, y compris le maïs, doivent être nécessairement issus de la zone AOC. Une gestion plus stricte des fumures exige un plan d’épandage. Au terme de cinq ans, le troupeau producteur de lait pour la fabrication d’époisses devra être exclusivement constitué de vaches laitières de race Brune des Alpes, Montbéliarde ou Simmental. Parallèlement, les CTE conclus pour livrer du lait à la production d’époisses stipulent une formation de quelques jours sur les germes pathogènes, à renouveler tous les cinq ans. Il n’est bien sûr pas nécessaire de conclure un CTE Époisses pour pouvoir livrer du lait ; il suffit pour cela de respecter le cahier des charges alimentaire et sanitaire, avec, à la clé, une petite valorisation financière par litre de lait livré à Berthaut. Cependant, le CTE permet de prendre en charge financièrement les adaptations techniques des systèmes de production, des conduites culturales et les investissements nécessaires dans certaines exploitations. Sur le plateau de Langres haut-marnais, les exigences particulières concernant l’épandage, liées au cahier des charges de l’époisses ou du fromage de Langres, ne doivent pas poser trop de problèmes aux agriculteurs puisqu’au milieu des années 1990, certains producteurs ont mené une réflexion sur la gestion des fumures animales, conformes aux prescriptions du cahier des charges, pour l'époisses tout au moins.
Le développement des élevages avicoles
43Cet exemple représente un cas rare de grande diversification en système de grande culture et système mixte. On peut parler de grande diversification dans ce cas car il existe bien une filière complète organisée localement, s’inscrivant dans une perspective de marché dépassant nettement le cadre régional. Cela ne constitue pas à proprement parler une diversification spécifique aux régions de plateaux. Néanmoins, des producteurs céréaliers spécialisés ou en systèmes mixtes s’intègrent dans une démarche de production complémentaire dépassant le cadre géographique strict des plateaux. Cette activité peut permettre le maintien de l’emploi et de l’activité agricole sur place, dans des structures de production explorant d’autres voies de développement que celles de l’agrandissement. L’essor des élevages avicoles en Bourgogne a d’abord profité aux régions d’élevage ou à d’autres régions de culture et de culture-élevage que les plateaux : Gâtinais, pays d’Othe, vallées de l’Yonne, Puisaye, Morvan. Cependant, cette voie de production mérite d’être étudiée sur les plateaux puisqu’elle constitue la seule grande voie de diversification face à la représentation ultra-dominante des exploitations en grande culture et grande culture avec bovins.
44Le groupe Bourgoin a initié dans l’Yonne, dans les années 1990, la création d’une filière complète de poulet « milieu de gamme » intéressant directement les agriculteurs, à partir de la création de sa filiale « Duc de Bourgogne ». On cherche à développer des poulaillers dans un rayon de 100 à 120 kilomètres au maximum à partir de l’unité de transformation de Chailley57, pour la zone de production Bourgogne-Champagne : cela couvre une partie de l’Aube, le département de l’Yonne, le sud de la Seine-et-Marne, l’est du Loiret, le nord de la Nièvre et une grande partie du Châtillonnais en Côte-d’Or. Sur les cent vingt poulaillers Duc de Bourgogne en 2000, une vingtaine seulement concerne directement la zone des plateaux de Bourgogne, dont plus de quinze en Tonnerrois et Châtillonnais. Dans ces régions de plateaux, cela a représenté, pour des céréaliers ne pouvant pas ou ne voulant pas s’agrandir, la principale voie de diversification. Le développement des poulaillers dans ces deux régions est important dès 1992, au moment de la mise en place de la nouvelle PAC et des accords du GATT. Au début des années 1990, le groupe Bourgoin compte quarante sites industriels sur l’ensemble de la France. Il réalise la plus grosse partie de sa production en Bretagne, pour des poulets destinés à l’exportation. L’orientation nouvelle vers des productions à plus haute valeur ajoutée est accélérée au début des années 1990 par les accords du GATT, puis les accords de Marrakech de 1994 : les restitutions à l’exportation sont diminuées puis abolies. Les productions de poulet « exportation » du groupe Bourgoin ne sont plus compétitives sur le marché mondial : le coût de production est de 33 % à 50 % plus élevé qu’au Brésil. Il faut se recentrer sur la production de produits de qualité, sur la transformation et le développement d’une gamme de produits élaborés. Le projet « Duc de Bourgogne » est mis en place dès 1988, avec l’appui de deux personnalités politiques locales, députés et conseillers généraux : Jean-Pierre Soissons, alors ministre du Travail et Henri Nallet, ministre de l’Agriculture. Duc de Bourgogne a été créé officiellement en 1991 par le groupe Bourgoin SA. Il s’agit d’une filière de poulet certifié où, à chaque étape de la production, un cahier des charges doit être respecté. Les premiers bâtiments sont construits en 1989 et, jusqu’à la fin des années 1990, le nombre d’élevages et de producteurs ne cesse de prendre de l’ampleur. Duc de Bourgogne se consacre à un seul produit fonctionnant de façon autonome par rapport à BASD58. Il n’existe que deux zones de production en France pour les poulets « Duc » : la zone Bourgogne-Champagne et la zone Drôme-Gard.
45La filière complète est en place au début des années 1990. Elle compte six poussinières, douze bâtiments reproducteurs, deux couvoirs et cent vingt bâtiments d’élevage dans la région Bourgogne-Champagne. Il s’agit d’une filière complètement intégrée. La seule chose qui ne soit pas directement maîtrisée ou produite par la filière est la sélection des poussins. Pour cette opération, on fait confiance à un institut de sélection à qui l’on achète les poussins âgés d’un jour. À partir de ce moment, ils sont pris en charge par la filière Duc de Bourgogne. Ils sont élevés dans des poussinières appartenant à Duc, surveillées par des salariés de l’entreprise, jusqu’à vingt semaines. Ils sont ensuite confiés à des éleveurs indépendants, dans des bâtiments tunnel, jusqu’à cinquante-sept jours. Pendant la période d’élevage, un technicien de Duc de Bourgogne contrôle les conditions de production quatre fois en moyenne. L’ensemble du processus de production est certifié, sauf la sélection, pour obtenir un produit constant en qualité et en quantité. On respecte les deux règles suivantes : toujours le même âge d’abattage et toujours la même alimentation, dans un but de traçabilité. La certification concerne bien évidemment l’alimentation des poulets, fournie à l’éleveur par Nutri-Bourgogne filiale du groupe Bourgoin. Selon le responsable de la communication de Duc de Bourgogne rencontré à Chailley, on doit « connaître la parcelle de culture qui a nourri le poulet ». L’alimentation est de qualité constante. Elle se compose de 70 % de céréales (50 % de maïs et 20 % de blé), de 22 % de soja, de 3 % de pois protéagineux, de 4 % de minéraux et calcium et de 1 % d’oligo-éléments et vitamines. Or, le fonctionnement de la filière Duc de Bourgogne ne permet pas au céréalier-éleveur de faire fonctionner ses deux ateliers en totale complémentarité en utilisant une partie de ses céréales pour l’alimentation des poulets. En effet, l’éleveur travaille en contrat d’intégration. Le poulet ne lui appartient pas et il ne finance ni le poussin, ni l’alimentation. En revanche, l’éleveur finance entièrement la construction du « poulailler-tunnel », construction standardisée, dont le coût est évalué à 150 000 euros en 2000. Le poulailler tunnel permet les conditions d’élevage du poulet selon des normes de densité de dix-huit poulets par m2. Le niveau et la qualité de ventilation sont réglementées, ainsi que la température, l’hygrométrie, l’oxygène, l’eau et la quantité d’aliments à disposition. L’éleveur est rémunéré par rapport à « l’indice de consommation » qui définit le rapport entre l’alimentation du bétail et le poids du poulet. Ce prix de rachat ne dépend pas du cours immédiat du poulet sur le marché français et européen, mais est défini tous les ans entre le groupement de producteurs et Duc de Bourgogne. Il est clair cependant que l’évolution du marché du poulet, les crises connues à la fin des années 1990, finissent par influencer les prix pratiqués par Duc. Les volailles Duc, exclusivement le poulet sur la zone Bourgogne-Champagne, sont vendus à 35 % en grandes et moyennes surfaces, à 30 % en rôtisserie et sur les marchés et à 14 % à l’exportation. À la fin des années 1990,340 000 poulets et 9000 dindes Duc, entiers ou découpés, sont vendus chaque semaine en moyenne59. Ainsi, bien qu’on ne puisse pas utiliser directement les grains produits sur l’exploitation pour nourrir les volailles, des céréaliers du Tonnerrois ou du Châtillonnais considèrent, au début des années 1990, qu’ils peuvent bénéficier là d’une opportunité de diversification inégalable, au sein d’une filière de production certifiée, vendant sur le marché européen.
46Monsieur B., rencontré en Châtillonnais60, a repris l’exploitation familiale en 1989, après avoir exercé un autre métier. Il dispose à l’époque de 90 hectares, superficie qui n’a pas été agrandie depuis. Dans son projet d’installation, il envisage de se diversifier dans des productions d’élevage, avec un atelier d’engraissement de taurillons. Après tout, ses parents avaient fonctionné en système mixte jusque dans les années 1980. Cependant, l’effondrement du cours de la viande bovine en 1989-1990 le dissuade. Dès son installation, il adhère au CEDA nord Côte-d’Or où, avec d’autres agriculteurs disposant de petites structures pour la région, on réfléchit à des voies de diversification possibles : oignons (en vallée, hors terres à cailloux), fleurs séchées, vigne et filière avicole à l’exemple de ce qui commence à se développer dans l’Yonne. Au début de l’année 1991, plusieurs agriculteurs décident de s’orienter dans cette dernière voie. On se situe là presque en dehors de la limite géographique définie par Duc de Bourgogne pour l’installation des poulaillers. Cependant, la détermination de ces agriculteurs et le fait qu’ils soient plusieurs à vouloir se lancer ont joué en leur faveur : dans le secteur, il y a trois autres producteurs de poulets Duc de Bourgogne, sur des structures de 100 à 120 hectares. Selon monsieur B., « en 1992, tout semblait remis en cause ; le hors-sol a été créé pour être moins dépendant de la PAC. On aurait pu penser s’agrandir, mais à quel prix ? Le fait d’avoir travaillé à l’extérieur nous a donné du recul. Les réunions du GEDA, grâce aux audits d’exploitation réalisés, nous ont permis de prendre notre décision61 ». Monsieur B. construit un premier poulailler tunnel en 1992, et un second en 1996. Il a été le premier en Côte-d’Or à créer un poulailler de ce type en zone céréalière. L’amortissement des bâtiments est prévu sur douze ans. Ces constructions sont soumises à l’agrément d’un plan d’épandage du fumier. Sur les parcelles de culture, on ne doit pas dépasser 200 unités d’azote par hectare (azote minéral et organique compris). La quantité de fumier produite par ses poulaillers correspond à une superficie d’épandage de 60 à 65 hectares. Il vend en partie son fumier hors de l’exploitation et l’épand lui-même sur les parcelles d’autres agriculteurs du village. Il a dû se procurer un épandeur adapté au fumier de volaille. Cet agriculteur a créé un système d’exploitation des plus cohérents et des plus économes, combinant étroitement les deux activités. Les bâtiments tunnels construits pour la filière ont une forme et une dimension standardisées : 1 200 m2 pour 2 200 poulets par bâtiment. On travaille en bande unique c’est-à-dire qu’on conduit l’élevage dans les deux poulaillers exactement au même rythme. Deux semaines de vide sanitaire sont obligatoires entre deux bandes. On produit cinq lots par an, ce qui correspond, en moyenne à 220 000 poulets par an, d’un poids moyen en « vif » de 2,2 kg, à partir de 1 000 tonnes d’aliments du bétail. Cela représente 480 tonnes de viande en moyenne par an. La marge nette s’élève à 4,6 centimes d’euros au kilo en 1999-2000, ce qui représente pour cet agriculteur 22 000 euros nets par an, 1 829 euros nets par mois, pour deux actifs, l’agriculteur rencontré et son épouse, avec l’aide occasionnelle d’un stagiaire. Cette activité représente désormais 70 % des revenus nets de l’exploitation. Il estime à 500 heures par bâtiment et par an le temps de travail nécessaire pour cet élevage. Si le travail effectif ne dépasse pas plus d’une heure trente par jour et par poulailler, la surveillance impose une présence constante. Les bâtiments sont automatisés et une alarme, reliée à un transmetteur téléphonique, se déclenche en cas de « dérèglement ». En revanche, le nettoyage, entre deux bandes (cinq fois par an), réclame deux personnes pendant deux jours, à raison de dix heures par jour. Pour la partie grande culture, il a décidé de simplifier l’assolement pratiqué. Il a su mener la complémentarité entre ces deux activités. Il dispose d’une petite structure pour la région : 86 hectares sont réservés aux céréales et oléagineux. Il continue à travailler avec le matériel traditionnel, sans chercher à pratiquer le semis simplifié qu’il ne trouve pas intéressant en petite structure. En revanche, d’un assolement classique blé-orge-colza, au début des années 1990, il est passé à un assolement colza-blé-blé, puis, à l’avenir, sans doute colza-blé-blé-blé. L’abandon de l’orge est consécutif à l’introduction de l’atelier volailles. L’épandage du fumier sur les orges a conduit à un taux de protéine trop élevé qui ne permet plus de vendre la production en qualité brassicole. Certes, il ne peut pas directement utiliser sa production de grains pour l’alimentation des poulets, néanmoins il vend tout son blé de qualité fourragère, à l’usine d’aliment du bétail « Nutri-Bourgogne » appartenant au groupe Bourgoin, agréé comme organisme stockeur. Une traçabilité sur ce blé fourrager est exigée, avec un cahier des charges : quantités de produits phytosanitaires déversés, production sur une parcelle située à plus de 2,5 km d’une usine d’incinération à cause des risques de dioxine, être à plus de 200 mètres d’une autoroute à cause des teneurs en plomb, ne pas utiliser de boues des stations d’épuration. Il valorise son blé fourrager, dont le rendement est supérieur à un blé panifiable, 0,76 euro de plus par quintal par rapport à ce que lui propose la coopérative. De plus, il produit lui-même 80 % des semences utilisées. En revanche, tout son colza est livré à 110 Bourgogne ; il est produit à partir de semences certifiées. Parallèlement, la paille produite est destinée pour moitié aux poulaillers. L’utilisation du fumier produit par les volailles lui permet d’économiser les deux tiers de la facture d’engrais, puisqu’il peut épandre sur une soixantaine d’hectares. Ainsi, ses charges opérationnelles sont contenues à moins de 238 euros par hectare contre plus de 274 euros par hectare pour la moyenne des groupes GEDA du nord de la Côte-d’Or. Ses charges d’outillage et de mécanisation ont été réduites grâce à des achats en copropriété avec un autre éleveur en filière Duc de Bourgogne pour le matériel lié à l’élevage des poulets, ainsi qu’un broyeur à végétaux. Il réfléchit pour l’avenir à l’acquisition d’un nouveau matériel de culture en copropriété. Il souligne que, dans cette région, il est difficile de réunir quatre agriculteurs pour monter une CUMA, du fait de la taille des structures et de la très grande spécialisation des productions. Cependant, une entraide réelle au jour le jour existe bien : on lui prête du matériel de culture, et il laisse les agriculteurs venir chercher directement et gratuitement de la paille sur ses parcelles. Cet éleveur affirme « qu’il s’en sort bien » parce qu’il a démarré la production au début des années 1990, et que le premier bâtiment est déjà en grande partie amorti, alors qu’il doit continuer à rembourser le second. Les agriculteurs qui se sont lancés à la fin des années 1990, au moment des crises sur le poulet ont beaucoup plus de difficultés à dégager un revenu correct. Si monsieur B. ne s’inquiète pas spécialement par rapport à l’accord de Berlin et à l’évolution de la PAC, il est beaucoup plus circonspect face à la modulation des aides. Selon lui « ce n’est pas ainsi que l’on va encourager la diversification ou le développement des ateliers complémentaires ». Le dépôt de bilan du groupe Bourgoin62 ne concerne pas pour l’instant la société Duc dont 100 % du capital est détenu par Verneuil Finance, depuis une OPA lancée en juillet 2000 après le rejet, par le tribunal de grande instance de Sens, de l’offre de rachat formulée par Sofiprotéol63, Société financière oléoprotéagineuse française, soutenue dans cette démarche par 110 Bourgogne. La société Duc a réalisé, en 1999, 11,1 millions de francs (équivalent de 1,69 million d’euros) de résultat net pour 493 millions de francs (75 millions d’euros) de chiffres d’affaires. Les élevages Duc ne semblent pas menacés dans l’immédiat.
Notes de bas de page
1 C.-G. Faki, Agriculture et activités nouvelles, facteur de dynamisme du monde rural, Conseil économique et social, 1997, Rapport officiel.
2 Ibid., préambule.
3 Diversifier, CERD, chambres d’agriculture de Bourgogne, Côte-d’Or, Nièvre, Saône-et-Loire et Yonne, 1999.
4 Chambre d’agriculture de la Haute-Marne, Mensuel de la diversification, no 2, décembre 1995.
5 Charte de développement du pays du Tonnerrois, contrat de pays, Syndicat mixte du pays du Tonnerrois, ACEIF, 2002.
6 Charte de développement du pays du Tonnerrois, op. cit., p. 38, Charte de développement du pays châtillonnais, 2002, op. cit., p. 38, Charte du pays de Langres, 2002, op. cit., p. 38.
7 Rapport du CERD, octobre 1999.
8 Malgré un dépôt de bilan en 2000.
9 Appelée également, en Haute-Marne, la « Princesse du Barrois ».
10 Sources : Syndicat des trufficulteurs de l’Yonne, Syndicat des trufficulteurs de Côte-d’Or et ITCE (Inter-régionale des Trufficulteurs du Centre et de l’Est).
11 Après l’étape de création de mycorhize dont le procédé est mis au point par l’INRA d’abord avec la truffe du Périgord au début des années 1970. L’INRA commercialise son brevet sous la marque Agritruffe.
12 Société interprofessionnelle des oléagineux, protéagineux et cultures textiles.
13 Elle est soumise à des limitations de surfaces, par les accords du GATT.
14 Sources : DDAF Côte-d’Or, Statistique agricole annuelle.
15 Association pour la promotion des produits et terroirs de l’Yonne en Bourgogne.
16 V. Delignières-Chaussin, Structures, dynamiques et fonctionnement du tourisme en espace rural, Approche à deux échelles, France et Auxois-Morvan, thèse, Dijon, 1996. Selon cette étude, la région se situe dans un désert rural et touristique.
17 Comité régional du tourisme.
18 Charte du pays châtillonnais, diagnostic de territoire, 2002, op. cit., p. 38.
19 Ibid.
20 Comité départemental du tourisme de l’Yonne, enquête de fréquentation 1999.
21 L’abbaye du Val-des-Choues, en plein cœur de la forêt de Châtillon-sur-Seine, a été réouverte au public en 1988. Elle propose à la fois gîte rural et chambres d’hôtes, autour d’un musée de la vénerie.
22 Comité départemental du tourisme de Côte-d’Or et Syndicat du pays du Châtillonnais.
23 Chambre de commerce et d’industrie.
24 Charte du pays châtillonnais, diagnostic de territoire, 2002, op. cit., p. 38.
25 Joseph Tomatis, Rémy Charousset, Mathieu Lévy, Diagnostic de synthèse du schéma départemental de développement touristique de la Haute-Marne, CCI Chaumont-CRT, janvier 2000.
26 Sources : INSEE et Comité régional du tourisme.
27 Enquête de la chambre de commerce et d’industrie d’Auxerre, document interne.
28 Inventaire communal 1998.
29 Office du tourisme de Tonnerre.
30 Comité régional du tourisme de Champagne-Ardenne.
31 Enquête de terrain menée en février 2000.
32 Le reste concerne des superficies déclarées, à Épineuil mais effectivement situées en Chablisien.
33 Sur les communes de Bernouil, Cheney, Dannemoine, Junay, Molosmes, Serrigny, Tonnerre, Tronchoy, Vézinnes, en appellation régionale simple.
34 Étude réalisée par deux cabinets d’expertise comptable, en 1989. Information communiquée par le service viticulture de la chambre d’agriculture de l’Yonne.
35 Plan régional de développement coordonné.
36 En 1885, il s’est étendu sur 550 hectares à Tonnerre, 218 à Dannemoine, 218 à Molosmes et 200 à Épineuil.
37 Christophe Suchault, Vigne et vin en pays Châtillonnais, chambre d’agriculture de Côted’Or, mars 1999.
38 Aire délimitée sur vingt-trois communes de la « côte » du Châtillonnais.
39 Chambre d’agriculture, antenne de Châtillon-sur-Seine.
40 Enquête sur la structure des vergers en 1997 dans l’Yonne, données no 9, Auxerre, DDAF Yonne, juillet 1998.
41 CERD et LPA de Champs-sur-Yonne.
42 Données chiffrées no 9, DDAF Yonne, op. cit., p. 256.
43 Ibid.
44 J.-C. Guillaume, « Les cerises de la vallée de l’Yonne », Géographie 89, no 7, décembre 1983, p. 61-84.
45 École nationale supérieure de biologie appliquée à la nutrition et à l’alimentation.
46 Augy, Bazarnes, Champs-sur-Yonne, Chitry, Coulanges-la-Vineuse, Cravant, Escolives, Gyl’Évêque, Irancy, Jussy, Migé, Saint-Bris, Vallan, Quenne, Vaux, Venoy, Vincelles, Vincelottes.
47 Centre technique interprofessionnel des fruits et des légumes.
48 Enquête CERD, LPA de Champs-sur-Yonne, de 1996, enquête producteurs.
49 CTE jusqu’en 2003, CAD (contrats d’agriculture durable) ensuite.
50 Données no 9, DDAF Yonne, op. cit., p. 256.
51 Enquête CERD, 1996, op. cit., p. 259.
52 Appellation reconnue initialement par le décret du 19 août 1970, puis le décret du 27 janvier 1977 et actuellement régie par celui du 29 décembre 1977.
53 Les emmentals sous Label Rouge représentent 16 % seulement de la production totale d’Emmental et il n’existe qu’un seul Label Rouge sur ce produit.
54 La durée d’affinage est de plus de dix semaines.
55 En 1999, la filière Époisses a perdu 18 % de sa production, ce qui représente une perte de 8 à 10 millions de francs.
56 ADASEA de Côte-d’Or.
57 Dans l’Yonne, près de Saint-Florentin.
58 Bourgoin SA Distribution. C’est la principale filiale du groupe Bourgoin.
59 Source : Duc de Bourgogne. En 1998 on a commencé à développer la filière dinde certifiée « Duc » dans le sud de la France, zone Drôme-Gard (là où se situe l’abattoir pour la dinde).
60 Canton de Montigny-sur-Aube.
61 Enquête de terrain, janvier 2000.
62 BSAD, dont le chiffre d’affaires est de 3,4 milliards de francs en 1999, a accumulé un passif de 500 millions de francs. Il s’est avéré incapable de payer ses fournisseurs et régler ses 1,6 milliard de francs de dettes ; la société a été mise en cessation de paiement. L’ensemble du groupe doit être vendu à d’éventuels repreneurs. Voir l’Yonne Républicaine, 23 août 2000. Les conséquences négatives du dépôt de bilan et du démantèlement du groupe vont d’abord affecter les sites installés en Bretagne et la filière bretonne centrée sur des productions « standard » et les poulets « export ».
C’est la faillite du « poulet export », principale production dans le chiffre d’affaires du groupe, produit hors de l’Yonne à un coût 25 % plus élevé que le poulet brésilien, qui a amorcé la crise. D’autres facteurs doivent s’ajouter : l’impact de la crise de la dioxine en 1999, des investissements hasardeux et non rentables en Espagne, la concurrence du porc à bas prix, et une gestion que le tribunal de Sens a trouvée « opaque ». Seule la société Duc tire son épingle du jeu pour l’instant. En l’acquérant, Verneuil Finance s’est également emparé de l’usine BSAD (abattage et découpe) de Chailley dans l’Yonne et de la totalité des actions Volabat, propriétaire de la société d’abattage de volailles Laguillaumie dans l’Yonne. L’Yonne républicaine, 7 octobre 2000.
Le 6 octobre 2000, le groupe Bourgoin a été démantelé, les usines réparties entre différents repreneurs, pour 143 millions de francs. 1 012 salariés doivent être licenciés, dont 145 dans l’Yonne.
63 Offre proposée par un consortium mené par Sofiprotéol et regroupant Unigrains, l’UNCAA, la CANA d’Ancenis, la CAVAL d’Angers et la société avicole vendéenne Arrivé, et que la coopérative 110 Bourgogne a soutenue. Voir L’Yonne Républicaine, 17 septembre 2000.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La discontinuité critique
Essai sur les principes a priori de la géographie humaine
Jean-Paul Hubert
1993
Tsunarisque
Le tsunami du 26 décembre 2004 à Aceh, Indonésie
Franck Lavigne et Raphaël Paris (dir.)
2011
La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ?
Paul Arnould et Éric Glon (dir.)
2005
Forêts et sociétés
Logiques d’action des propriétaires privés et production de l’espace forestier. L’exemple du Rouergue
Pascal Marty
2004
Politiques et dynamiques territoriales dans les pays du Sud
Jean-Louis Chaléard et Roland Pourtier (dir.)
2000