Chapitre 5. La réforme de la PAC depuis 1992 : une application territorialisée
p. 95-108
Texte intégral
Les aspects principaux de la réforme
Réforme de la PAC et accords internationaux : mécanismes généraux
1Avec la réforme de la PAC de 1992 (voir l’organigramme page 96), on passe d’un système fondé essentiellement sur le soutien par les prix, à un soutien du revenu des exploitants basé sur des aides directes à l’hectare de terre cultivée. La maîtrise de la production est assurée par le gel des terres, obligatoire pour la première fois dans l’Europe communautaire. Les principaux aspects économiques de la réforme de 1992 sont prolongés, voire accentués, par l’accord de Berlin du 26 mars 1999, qui définit les orientations politiques et financières pour la période 2000-2006. L’Agenda 2000 doit harmoniser la politique régionale de l’Union européenne (les fonds structurels) en vue de son élargissement à l’Est. La politique agricole commune, noyau dur du budget européen, est réformée dans un but de développement durable, mais également dans la perspective de nouvelles négociations dans le cadre de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) au début du xxie siècle. Cette vague de réformes de l’agriculture européenne, commencée en 1992, s’est, dans un premier temps, adaptée aux dispositions des accords du GATT négociés dans le cadre de l’Uruguay Round, dès 1986, dans lequel le volet agricole oppose principalement l’Europe communautaire et les États-Unis. Le compromis euro-américain du 15 décembre 1993 stipule un allégement de la contrainte à l’exportation et un apurement des stocks publics. Chaque pays signataire réduit de 21 % le volume des exportations subventionnées sur les céréales, oléagineux et protéagineux principalement. Dans le domaine céréalier, les enveloppes budgétaires consacrées aux exportations de produits agricoles sont diminuées, à échéance de l’accord final, de 36 % par rapport à leur niveau moyen de 1986-19901. Les engagements en matière de soutien interne sont précisés. Les aides sont classées en quatre boîtes : rouges, elles sont interdites, jaunes, leur diminution doit être progressive, bleues, elles sont autorisées temporairement, vertes, elles sont pleinement autorisées. Les aides directes prévues par la réforme de la PAC de 1992 appartiennent à la boîte bleue. Un contentieux particulier règne dans le domaine des oléagineux, lié à un accord entre l’Europe et les États-Unis datant du début des années 1960.
2Depuis 1962, les oléagineux (le soja notamment) entrent librement en Europe, assurant le développement des élevages industriels. La dépendance de l’Europe par rapport au soja américain apparaît brutalement au cours des années 1970 lorsque les États-Unis, en situation de pénurie, décident momentanément de bloquer leurs exportations. L’Europe développe sa propre politique oléagineuse, autour du colza notamment, particulièrement en France et dans les marges sud et est du Bassin parisien. En 1991, un groupe spécial du GATT (panel soja) conclut que certaines dispositions de l’organisation commune de marché de la CEE dans le secteur des oléagineux sont incompatibles avec les accords du GATT. L’aide aux triturateurs de la CEE, lorsqu’ils achètent des graines communautaires soumises à prix indicatif et à prix d’intervention, est particulièrement mise en cause. Le 21 décembre 1991, la CEE adopte un nouveau régime de soutien pour les producteurs de colza, navette, tournesol et soja. La réforme de 1992 intègre les graines oléagineuses dans le système commun des grandes cultures puisque les oléagineux peuvent être cultivés sur les mêmes terres que les céréales. Le prix mondial détermine le prix payé au producteur, mais depuis 1992-1993, une aide directe au revenu du producteur agricole, versée à l’hectare, est fixée au niveau européen et régionalisée sur la base de rendements moyens. Dans le cadre des accords du GATT, l’Union européenne plafonne son espace de production à 5,128 millions d’hectares, surface portée en 1995 à 5,482 millions d’hectares (Europe des quinze). La superficie maximale garantie est de 1,73 million d’hectares pour la France, c’est à dire 1,47 million d’hectares effectivement productifs, si l’on déduit le gel obligatoire de 15 %, appliqué dès 1993. La réduction de la sole oléagineuse est indépendante des conditions internationales de marché. L’Europe, déficitaire en graines oléagineuses, doit geler une partie de ses terres arables et restreindre sa production. Cependant, il est possible de pratiquer des productions oléagineuses non alimentaires sur les terres gelées, à concurrence d’un million de tonnes équivalent tourteaux de soja. Cette possibilité est subordonnée à la signature d’un contrat entre une coopérative agricole, l’agriculteur et, en France, l’ONIOL (Office national interprofessionnel des oléagineux), qui assure le contrôle et la gestion des surfaces : dans l’espace qui nous intéresse, ce « gel industriel », ainsi que la profession le désigne, est à plus de 90 % (98 % dans l’Yonne) du colza.
3La réforme des organisations communes de marché de la PAC de 1992 entraîne la baisse des prix institutionnels garantis. Depuis juillet 1993, toutes les productions céréalières sont couvertes par des prix institutionnels identiques (excepté le blé fourrager). Le prix d’intervention (prix d’achat minimum appliqué par collecteur) diminue de 35 % en quatre ans. Le prix indicatif (prix d’objectif souhaité) baisse de 29 % en quatre ans, pour atteindre 110 ECU par tonne en moyenne en 1996. On a défini des surfaces de référence contingentées, valables également pour la période 2000-2006 : il s’agit des terres éligibles, déterminées par une moyenne d’utilisation de l’espace en céréales, oléagineux et protéagineux, entre 1989 et 1991 et soumises à l’obligation de gel. Dans le cas des céréales, il subsiste un prix de soutien et un paiement compensatoire à la baisse des prix garantis, dépendant du gel des terres et payé à l’hectare en fonction de rendements régionalisés.
4Le gel obligatoire des terres constitue une mesure très contestée au départ par les agriculteurs. Le taux de gel sur la surface en céréales, oléagineux et protéagineux (SCOP) est, à l’origine, de 15 %, pour les exploitants dont la production en COP dépasse 92 tonnes, et donne droit à des aides compensatoires à la baisse des prix garantis. Il varie en fonction du niveau de la production (ainsi, il n’a été que de 5 % en 1998-1999). Le gel a été confirmé par l’accord de Luxembourg de 2003, à un taux de 10 %) À certains égards, la jachère peut être qualifiée d’anti-friche : on doit entretenir la jachère, jachère nue ou couverte – ce qui a un coût – pour que la remise en culture productive soit immédiate, ce qui n’est pas le cas de la friche. Néanmoins, le gel des terres va à l’encontre de l’idéologie productiviste des trente glorieuses : moins produire et, pire, toucher un revenu pour ne pas produire ! Le facteur foncier intervient comme régulateur de la production agricole. Le droit à produire est lié aux terres primables, car le calcul des primes et l’obligation de gel dépendent des hectares de terres arables exploités avant la réforme, et du département dans lequel elles se situent ; une terre à prime, moyennement fertile, située dans une région à fort potentiel, s’apprécie plus qu’une bonne terre localisée dans une région à plus faible rendement, compte tenu du mode de calcul des primes, souvent unique par département. Parallèlement, des mesures sociales et agri-environnementales, mesures d’accompagnement de la réforme de la PAC de 1992, cofinancées par le FEOGA et par chaque État, cherchent à promouvoir une agriculture compatible avec la protection de l’environnement et l’entretien de l’espace agricole et rural. La PAC de 2000 se place dans la continuité de la PAC de 1992 avec une stabilisation de ses dépenses à 40,5 milliards d’euros par an entre 2000 et 2006 et 14 milliards d’euros pour le développement rural pour toute la période. Les grands principes sont la baisse des prix d’intervention garantis, de 2000 à 2006 : diminution de 20 % pour la viande bovine, de 15 % pour les céréales et les produits laitiers. Le taux de base du gel obligatoire, révisé annuellement, est fixé à 10 % jusqu’en 2006-2007. Les conditions de production des oléagineux sont aggravées : les paiements compensatoires oléagineux diminuent de 33 %, en euros par tonne, entre 1999 et 2002, pour être alignés sur les paiements céréaliers. Le rapprochement entre les prix communautaires et les prix mondiaux, compensés par des aides directes au revenu, s’articule avec une politique de développement rural durable, renforcée dans le cadre de l’accord de Luxembourg de 2003, qui souhaite assurer son financement par la modulation des aides directes. La PAC définie en 2003 ne change guère les règles concernant les prix garantis en grande culture, mais introduit le découplage partiel des aides (à hauteur de 75 %, en grande culture). Les principaux changements concernent l’organisation commune de marché du lait, avec baisse des prix d’intervention, compensés par l’instauration d’une prime aux quotas laitiers.
Une application territorialisée
5Depuis 1992, la réforme s’applique en France selon un plan de régionalisation des aides, dépendant de rendements de référence départementaux dans la plupart des cas. Pour les oléagineux, le plan de régionalisation distingue aujourd’hui deux zones en France. Tous les départements du Bassin parisien appartiennent à la zone délivrant les primes les plus élevées pour le colza et le tournesol, et disposent du même montant de paiement compensatoire dans les années 1990 : de 523 euros2 (3432 francs) par hectare en 1994-1995, à 466,5 euros (3 060 francs) par hectare, en 1998-1999, puis une baisse de 33 % entre 1999 et 2002. Des ajustements liés au dépassement des superficies autorisées ou à l’évolution du cours mondial des productions sont réalisés. En 1997-1998, le taux de jachère oléagineux est maintenu à 10 % alors que l’Union européenne a réduit le taux de gel sur les surfaces céréalières et oléagineuses à 5 %.
6Dans le domaine céréalier, les paiements compensatoires correspondent à un montant de base multiplié par un rendement de référence céréalier départemental, dont le calcul repose sur la moyenne des rendements céréaliers des années 1986 à 1990. Une pondération est effectuée. Dans le calcul du rendement de référence, le rendement moyen départemental compte pour 2/3 et le rendement moyen national pour 1/3. La pondération des rendements a d’abord affecté les départements céréaliers très spécialisés du centre du Bassin parisien ou de Champagne comme le montre l’exemple suivant (tableaux 20,21 et 22), beaucoup plus que ceux de la marge sud-est du Bassin parisien. La pondération nationale a défavorisé certains départements. Le rendement moyen national, qui est de 59,5 quintaux par hectare, est bien inférieur aux performances moyennes enregistrées dans les départements du centre du Bassin parisien. Ce n’est pas le cas des départements de la marge sud et est où le rendement céréalier moyen national enregistré pour la période 1986-1990 est légèrement supérieur aux rendements réels relevés dans ces départements. Les rendements de référence jachère sont un peu différents des rendements de référence céréaliers (tableaux 23 et 24). Les petites régions agricoles de plateaux n’ont pas toujours été nettement favorisées (tableaux 25 à 27) : sur les plateaux haut-marnais, les rendements de la période 1986-1990, qui ont servi de base au calcul du rendement de référence, représentent des années défavorables, pour cause de sécheresse : en blé tendre d’hiver on n’a récolté, en 1986 et 1987, que 47 et 49 quintaux par hectare pour la moyenne départementale, et 59 quintaux par hectare en 1988 ; en vallée châtillonnaise, les rendements de référence sont de 5 quintaux par hectare inférieurs aux rendements réels. Par contre, dans l’Yonne, le rendement de référence départemental tient compte des régions à fort potentiel du nord du département ; cela avantage comparativement le plateau de Bourgogne de l’Yonne.
tableau 20. Les prix céréaliers garantis de 1992 à 1996 (prix en Écus/tonne)
1993-1994 | 1994-1995 | 1995-1996 | |
Prix indicatif | 130 | 120 | 110 |
Prix d’intervention | 117 | 108 | 100 |
Montant de base de l’aide compensatoire | 25 | 35 | 45 |
Écus/tonne |
tableau 21. Rendements moyens céréaliers départementaux 1986-1990 (en quintaux par hectare) : centre du Bassin parisien
Départements | Moyenne écrêtée des rendements céréaliers 1986-1990 | Moyenne pondérée 1993-1998 : 1/3 rendement national et 2/3 rendement départemental |
Seine-et-Marne | 72,1 | 67,9 |
Aube | 71,3 | 67,4 |
Marne | 73,3 | 68,7 |
Aisne | 73,7 | 69 |
Oise | 72,1 | 67,9 |
Somme | 75,4 | 70,1 |
Eure | 69,5 | 66,2 |
Eure-et-Loir | 68,2 | 65,3 |
tableau 22. Rendements céréaliers moyens départementaux 1986-1990 (en quintaux par hectare) : départements intermédiaires
Départements | Moyenne écrêtée des rendements céréaliers 1986-1990 | Moyenne pondérée 1993-1998 : 1/3 rendement national, 2/3 rendement départemental |
Meuse | 54,4 | 56,1 |
Haute-Marne | 53,1 | 55,2 |
Côte-d’Or | 54,0 | 55,9 |
Yonne | 58,2 | 58,6 |
Cher | 56,1 | 57,2 |
Indre | 52,7 | 55 |
tableau 23. Rendements de référence céréales et protéagineux (en quintaux par hectare) avant 1998 et à partir de 1999
Départements | Rendement sec céréales et pois 1993-1998 | Rendement sec céréales et pois 1999 | Rendement irrigué céréales et pois 1993-1998 | Rendement irrigué céréales et pois 1999 |
Seine-et-Marne | 68,6 | 66,1 | n.d. | n.d. |
Aube | 67.1 | 65 | n.d. | n.d. |
Marne | 68,4 | 66 | n.d. | n.d. |
Oise | 67,6 | 65,4 | n.d. | n.d. |
Somme | 69,8 | 67 | 84,4 | 78 |
Eure | 65,9 | 64,1 | n.d. | n.d. |
Eure-et-Loir | 64 | 62,7 | 80 | 74,7 |
Meuse | 55,8 | 56,5 | n.d. | n.d. |
Haute-Marne | 55 | 55,9 | n.d. | n.d. |
Côte-d’Or | 55,6 | 56,4 | n.d. | n.d. |
Yonne | 60 | 59,7 | 70 | 67,2 |
Cher | 56 | 56,7 | 75,1 | 71 |
Indre | 53,2 | 54,6 | 74,1 | 70,3 |
tableau 24. Rendements de référence jachère (en quintaux par hectare)
Départements | Rendement jachère 1993-1998 | Rendement jachère depuis 1999 |
Seine-et-Marne | 65,9 | 68 |
Aube | 67,4 | 65,5 |
Marne | 68,8 | 66,5 |
Aisne | 69 | 66,7 |
Somme | 70,2 | 67,6 |
Eure | 66,2 | 64,6 |
Haute-Marne | 55,3 | 56,4 |
Côte-d’Or | 55,9 | 56,9 |
Yonne | 60,4 | 60,2 |
Cher | 57,6 | 58,1 |
Indre | 55 | 56,2 |
Sources : AGPB, CCER Haute-Marne, DDAF Yonne, chambre d’agriculture de Châtillon-sur-Seine, services techniques.
tableau 26. Les règlements céréales et oléagineux 1999-2006
1999 (euros/tonne) | 2000 (euros/tonne) | 2001-2006 (euros/tonne) | |
Céréales Prix d’intervention | 119,19 | 110,25 | 101,31 |
Compensation* | 54,4 | 58,67 | 63 |
Protéagineux* | 78,49 | 72,5 | 72,5 |
Oléagineux* en équivalent euros/tonne/céréale | 94,24 | 81,74 | 72,37 en 2001 et 63 dès 2002 |
Herbe d’ensilage | Néant | 58,67 | 63 |
Gel des terres* | 68,83 | 58,67 | 63 |
tableau 28. Prix d’intervention4 blé tendre et orge 1991-2002
Prix d’intervention base juillet* (sans majoration mensuelle) (en francs/quintal) | |
1991 | 122,38 (blé tendre) |
1993 | 88,77 |
1994 | 81,68 |
1995 | 76,2 |
1999 | 76,2 (11,61 euros) |
2002 | 64,62 (9,852 euros) |
7Le règlement céréalier de la campagne 2000-2001 définit une baisse du prix d’intervention des céréales de 15 % (tableau 26). Les paiements compensatoires à la surface sont majorés parallèlement, et l’aide à la jachère augmente pour être alignée sur celle des céréales. Les oléagineux sont les grands perdants. Dès 2000-2001, le paiement compensatoire oléagineux est fortement diminué pour être al igné sur celui des céréales : de 94,24 euros par tonne en 1999, il passe à 63 euros par tonne en 2002. Le prix de référence est supprimé ; il n’y a plus de filet de sécurité et les prix des oléagineux risquent une plus grande variabilité. Les organismes stockeurs (110 Bourgogne) remarquent que c’est parmi les départements récemment producteurs de colza que l’on risque de connaître les principales diminutions de superficies, plutôt que dans les départements intermédiaires, spécialisés dans ces productions. De plus, le règlement européen sur le développement rural prévoit une mesure agri-environnementale pour la production de tournesol et de colza de printemps, s’ils satisfont à des pratiques culturales respectant davantage l’environnement.
8Les exploitations agricoles des plateaux qui ont survécu à la réforme ont connu, de 1992 à 1997, des augmentations de revenus : dans la redéfinition de la PAC en 2000, les plateaux sont très concernés par la modulation des aides, redistribution des revenus souhaitée par la France. Or, si l’évolution des revenus agricoles en régions de grande culture a été subordonnée aux revenus fixes apportés par les paiements compensatoires, elle a aussi été liée aux cours des productions céréalières et oléagineuses mais également à l’augmentation de la taille moyenne des exploitations agricoles, encouragée par les aides à l’hectare. On constate généralement que, pendant les premières années d’application de la réforme (tableaux 28 et 29), les prix d’intervention ont été inférieurs aux prix de marché pour l’orge et à des niveaux comparables pour le blé. Entre 1990 et 1994, la baisse des prix réels de marché pour le blé tendre a été inférieure à celle du prix d’intervention. 1995 et 1996 ont même connu des prix de marché supérieurs aux prix d’intervention, pour le blé tendre. En revanche, depuis 1997-1998, les prix de marché ont connu une baisse accentuée et, à la fin de l’année 2000, ils sont nettement en dessous de la barre de 114,5 euros la tonne. La baisse de 7,5 % du prix d’intervention sur le blé en 2000 a eu un effet dépressif immédiat sur les cours : à la fin de l’année 2000, le blé tendre « rendu Rouen » se négocie à moins de 114,5 euros par tonne ; malgré quelques hausses ponctuelles, la baisse se prolonge en 2002-2003 (100-110 euros la tonne). Les prix de l’orge de brasserie ont retrouvé des cours meilleurs en 1999 et en 2000, généralement proches de 122 euros par tonne, puis une forte baisse en 2001-2002 (100 euros par tonne en juin 2002) ; en janvier 2003, les cours sont repartis à la hausse (plus de 110 euros par tonne)5. La bonne tenue des revenus pendant les premières années de la réforme a fait oublier l’importance du tournant agricole pris à cette époque : la dépendance de l’activité agricole à une décision politique extérieure, et réglementant plus sévèrement l’activité et ses productions.
tableau 29. Évolution des prix de l’orge et du blé tendre, entre 1991-1992 et 1994-1995
Blé tendre | Orge | |
Évolution des prix réels de marché : blé tendre, FOB Rouen | – 29 % | – 25,4 % |
Évolution des prix d’intervention | – 33,25 % | – 29 % |
9Les marchés du colza (graine et huile) et des oléoprotéagineux sont plus fortement mondialisés6 ; le soja reste la référence au niveau mondial, et les fluctuations de prix sont motivées par l’état de la récolte en Amérique. La France présente une très grande dépendance dans ce domaine (alimentation du bétail) puisque les tourteaux de soja représentent 66,6 % de la consommation apparente de tourteaux oléagineux en France, contre 13 % pour les tourteaux de colza et 14,6 % pour ceux de tournesol. Depuis 1994, la production de graines de colza en France s’est affirmée. Les cours du colza (graines) se sont très bien maintenus jusqu’à la campagne 1997-1998 : jusqu’à 185 francs le quintal de graines de colza fob Moselle (28,2 euros le quintal). À partir de 1998-1999, les cours du colza diminuent de plus de 20 % en moyenne (18 euros le quintal en 2000). En 2003, ils se négocient à plus de 23 euros la tonne. Cette variabilité des cours a des effets divers. Les producteurs de grains et les acheteurs de tourteaux (pour l’élevage), qui peuvent être les mêmes exploitants en système de grande culture-herbivores ne réagissent pas de la même façon face à l’évolution des cours. Le producteur de colza cherche à augmenter sa production lorsque les cours sont élevés, au moment où l’acheteur s’en détourne. La concurrence entre matières protéiques et l’ajustement rapide des assolements afin de profiter des opportunités du marché entraînent des retournements de tendance rapides et une variabilité du marché. De plus, la part des céréales utilisées dans les composés alimentaires des animaux monogastriques, déjà élevée avant la réforme de la PAC de 1992, a encore augmenté, s’établissant à 41 % pour les porcs et 54 % pour les volailles, à la fin des années 1990. Dans le domaine de l’alimentation des ruminants, la progression a été forte puisque l’utilisation des céréales passe de 20 % en 1994 à 25 % en 19977. Selon l’ONIC, le volume des céréales directement consommées à la ferme s’est accru dans les années 1990 : il a gagné un million de tonnes entre 1992-1993 et 1996-1997, pendant les premières années de la réforme.
Une augmentation des revenus en grande culture
10Dans les premières années de la réforme, grâce au bon niveau des cours céréaliers, les aides directes au revenu ont largement compensé les baisses de recettes en grande culture liées à la diminution des prix garantis. Les départements intermédiaires présentent une augmentation du revenu brut d’exploitation (RBE), par UTA, plus élevée que ceux du centre du Bassin parisien8. Or, ce sont des départements très dépendants des mesures de la PAC de 1992. La composition interne du revenu agricole a connu des changements liés à la nature des aides. On peut résumer l’effet PAC de 1992 de la façon suivante. La diminution de la valeur des livraisons végétales est directement liée à la baisse de la collecte en céréales et oléagineux-protéagineux (COP), du fait de la jachère. La maîtrise de certaines consommations intermédiaires est nette dans le cas des engrais et des produits phytosanitaires, mais dans les premières années de la réforme seulement. La composition du revenu agricole9 est durablement affectée par l’introduction des aides directes au revenu qui s’élèvent à plus de 15 % de la valeur des livraisons agricoles en 1997, contre à peine 4 % en 1990. La répartition des aides a connu des modifications. La part des soutiens de marché est passée de 90 % en 1990 à 33,5 % à la fin des années 1990 alors que les paiements directs bovins, primes COP et gel des terres, dont la part est négligeable en 1990 (5,3 %), représentent, à la fin de la décennie, la majeure partie des aides publiques à l’agriculture, soit près des deux tiers. La part des grandes cultures dans les aides publiques a augmenté entre 1990 (40 %) et la fin des années 1990 (50 %), hors prime gel des terres, qui les concerne essentiellement. Les aides directes représentent désormais 50 % du revenu en grande culture et plus de 60 % en viande bovine.
tableau 30. Produits et charges des exploitations en grande culture : 1991-2001
1991 | 1994 | 1997 | 2001 | 1991-1997 | 1997-2001 | |
SAU moyenne par exploitation (en ha) | 83,5 | 91,6 | 97,8 | 103,7 | + 17,1 % | + 6,03 % |
Produit brut végétal (en milliers de F/exploitation) | 713 | 515 | 702,5 | 597,9 (91,15 euros) | – 1,5 % | – 14,8 % |
Produit brut COP (en milliers de F/exploitation + euros en 2001) | 543 | 346 | 388,5 | 363,6 (55,43) | – 28,5 % | – 6,4 % |
Subventions COP (milliers de F/exploitation + euros en 2001) | 13 | 192 | 225,2 | 243,3 (34,6) | x 17,3 | + 8 % |
11En privilégiant les aides à la surface, on renforce le poids de la taille des exploitations dans la formation des inégalités de revenu. Or, les exploitations en grande culture, qui présentent les structures les plus grandes, ont vu cette superficie encore augmenter, dans les années 1990. Selon J.-P. Butault et P. Lerouvillois, « les inégalités résultent de moins en moins des performances économiques des exploitations et de plus en plus des mécanismes de redistribution publique10.» L’augmentation de la taille des exploitations en grande culture, conjuguée aux aides directes par hectare, a largement compensé la perte de valeur ajoutée par hectare de SAU. La question structurelle et foncière intervient donc au cœur de la réforme : tableau 30. L’agrandissement des exploitations peut être associé au développement des formes sociétaires d’exploitations (tableau 31).
tableau 31. Évolutions structurelles de 1988 à 2000 en grande culture
1988 | 2000 | Évolution 1988-2000 ( %) | |
SAU moyenne d’exploitation grandes cultures11 (en ha) | 48,84 | 71,14 | + 45,7 |
Exploitations dont l’UDE> 40 | 48 472 | 64 040 | + 32,1 |
Grandes cultures, en nombre en % | 26,47 | 47,65 |
tableau 32. Évolution du statut des exploitations de plus d’une UTA 1988 à 2000
Nombre d’exploitations> 1 UTA | 1988 | 2000 | SAU moyenne en 2000 | Évolution 1988-2000 ( %) |
Toutes exploitations | 1016 755 | 663 807 | 42,6 | – 34,7 |
Chef d’exploitation en individuel | 946 078 | 537 559 | 30 | – 43,2 |
GAEC père-fils ou assimilé Et autre GAEC | 37 716 | 41 475 | 120 | + 10 |
EARL | 1 539 | 559 25 | 85,4 | (x 36,3) |
SCEA et autre société civile et groupement de fait | 9 913 | 17 331 | 86 | + 75 |
Autres statuts | 21 509 | 11 517 | 42,3 | – 46,45 |
12L’EARL (entreprise agricole à responsabilité limitée), créée en 1985, peut être unipersonnelle – les deux tiers des jeunes qui choisissent l’installation en EARL optent pour sa forme unipersonnelle – et la superficie maximum autorisée s’élève à dix fois la surface minimale d’installation : cela permet un agrandissement très important et une nette dissociation entre les patrimoines privés et professionnels. Un GAEC père-fils peut être transformé facilement en EARL à la cessation d’activité du père. Les formes d’associations permises au sein de l’EARL sont très souples : deux époux seuls, ce que le GAEC n’autorise pas, plusieurs associés exploitants ou non. Contrairement au GAEC où chaque associé est chef d’exploitation, en EARL, c’est l’ensemble de la structure, qu'elle soit unipersonnelle ou non, qui est considérée comme chef d’exploitation. Selon les recensements généraux de l’agriculture, entre 1988 et 2000, le nombre total d’exploitations françaises diminue de plus d’un tiers, mais la baisse est proportionnellement bien plus forte pour les exploitations individuelles (– 43,2 %). À l’opposé, les formes sociétaires progressent nettement, tant en valeur absolue, qu’en valeur relative : le nombre des GAEC augmente de 10 % et ils représentent plus de 6 % des exploitations en 2000, pour une superficie moyenne de 120 hectares, avec au moins deux associés. Les EARL, marginales en 1988, connaissent une hausse spectaculaire et sont désormais davantage représentées que les GAEC (8,5 % des exploitations en 2000, pour une taille moyenne de 85,5 hectares, certaines étant unipersonnelles). Cependant, les exploitations individuelles restent nettement dominantes : elles représentent plus de 80 % des exploitations et leur superficie moyenne n’est que de 30 hectares.
Notes de bas de page
1 Source du ministère de l’Agriculture, direction de la production et des échanges. J.-P. Charvet, La France agricole en état de choc, Paris, Liris, 1994. J.-P. Charvet, La France agricole dans son environnement européen et mondial, Liris, 1997.
2 Valeur de l’euro au 1er janvier 1999 : un euro est égal à 6,55957 francs.
3 Aujourd’hui, les rendements de référence pour les pois protéagineux et la jachère sont ramenés au niveau du rendement céréalier.
4 Les prix d’intervention sont les prix payés par l’Union européenne aux organismes stockeurs s’ils ne trouvent pas à vendre à meilleur prix sur le marché. Ils ne s’appliquent en France que de novembre à mai. Chaque mois, un système de majoration mensuelle, lié aux frais de stockage, s’ajoute. Cela incite les exploitants à ne pas mettre massivement leur production sur le marché dès la récolte (juillet).
5 Source : AGPB.
6 L’évolution des marchés du colza est possible grâce aux statistiques fournies par les rapports annuels de la FOP.
7 Enquêtes sur les matières premières utilisées dans l’alimentation animale, 1991, 1994 et 1997, Agreste, SCEES.
8 RICA, Cahiers Agreste, 1996 et 2002, SCEES ; Les comptes départementaux de l’agriculture française, de 1981 à 1997, Agreste, SCEES ; Données chiffrées n° 60, août 1994 et Données chiffrées n° 107, septembre 1998, Agreste, SCEES.
9 Graph-Agri 1990 à 2000, Agreste, SCEES
10 Butault. (J.-P.), Lerouvillois (Ph.), « La réforme de la PAC et l’inégalité des revenus agricoles dans l’Union européenne », Économie et Statistique, n° 329-330,1999, p. 73-86.
11 Selon les OTEX 11, 12, 13 et 14, c’est-à-dire céréales et céréales-grande culture en 1988 ; OTEX céréales-oléoprotéagineux et OTEX cultures générales en 2000.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La discontinuité critique
Essai sur les principes a priori de la géographie humaine
Jean-Paul Hubert
1993
Tsunarisque
Le tsunami du 26 décembre 2004 à Aceh, Indonésie
Franck Lavigne et Raphaël Paris (dir.)
2011
La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ?
Paul Arnould et Éric Glon (dir.)
2005
Forêts et sociétés
Logiques d’action des propriétaires privés et production de l’espace forestier. L’exemple du Rouergue
Pascal Marty
2004
Politiques et dynamiques territoriales dans les pays du Sud
Jean-Louis Chaléard et Roland Pourtier (dir.)
2000