Chapitre 2. Un espace agricole développé sur les terres à cailloux
p. 47-55
Texte intégral
1La réforme de la PAC intervient dans un espace agricole qui, du fait des conditions agronomiques, ne peut guère diversifier les cultures pratiquées, alors que ses capacités de production sont limitées par rapport aux régions de grande culture du centre du Bassin parisien. Or, ces conditions pèsent de plus en plus dans l’évolution d’un système de production condamné à ajuster le plus possible ses coûts à l’hectare. C’est par le biais de la nécessaire réduction des coûts de production, face à des prix agricoles orientés à la baisse, que le poids des contraintes agronomiques revient en force dans la question de la durabilité agricole des plateaux. Quelle est l’exacte mesure des contraintes des terres à cailloux ? Selon G. Bertrand, « L’adaptation des productions s’ajuste davantage aux conditions économiques du marché qu’aux conditions écologiques. L’intervention du national, de l’international au niveau local peut faire perdre toute valeur écologique. [...] Les relations avec le milieu écologique sont surtout devenues des rapports de production1 » Cela pose en des termes nouveaux l’interprétation du milieu physique. Dans la compétition économique, le critère « coût de production » ou marge brute par hectare « viable » devient essentiel pour définir la durabilité. Aussi, quelles sont les marges de manœuvre pour optimiser les coûts de production sur les petites terres ?
Des plateaux développés sur l’auréole jurassique du Bassin parisien
2Dans la Géographie régionale de la France2, Georges Chabot désigne ainsi les pays de la haute Seine : « Il n’y a pas de limite géographique nette entre plateaux de Bourgogne, plateau de Langres et plateau du Barrois. [...] Les plateaux bourguignons [...] du côté nord-est se prolongent par les côtes de Moselle et de Meuse. Ils portent, suivant les endroits, les noms de Châtillonnais, plateau de Langres, Tonnerrois et, pour les gens du pays, ils sont la Montagne ». Dans Atlas et géographie de la France Moderne3, Roger Brunet ne distingue pas réellement le plateau de Langres en Haute-Marne du plateau du Barrois. On peut résumer l’aspect général de ces plateaux d’altitude moyenne, présentés sur la carte 10. De 200 à 300 mètres d’altitude en Tonnerrois, ils s’élèvent à plus de 400 voire plus de 500 mètres en Châtillonnais et surtout sur le plateau de Langres central, en « Montagne » ; puis, vers le nord de la Haute-Marne, en direction du Barrois, les altitudes s’abaissent à nouveau à 350-400 mètres, sauf dans le « haut pays » du nord-est du Barrois. En Haute-Marne, on distingue la « Grande Montagne », au niveau d’Auberive, de la « Petite Montagne », au niveau de Prauthoy. Vers le nord, le contact avec les plaines et dépressions du Vallage, du Der, du Perthois ou de la Champagne humide, développées sur des terrains géologiques crétacés, s’exerce par un talus d’assez faible commandement. Vers le sud-est, par contre, le contact avec les dépressions, plaines ou bas plateaux peut faire impression : au sud du plateau de Langres, en Côte-d’Or, le seuil de Bourgogne est franchi à plus de 564 mètres près de Saint-Seine-l’Abbaye alors que Dijon, à 240 mètres d’altitude, est à moins de 20 kilomètres. Certes, ce ne sont pas des dénivelés montagnards, mais le passage du plateau à la plaine de la Saône ne manque pas de surprendre dans une région aux altitudes généralement inférieures à 500 mètres.
3Les plateaux de Bourgogne, de Langres et du Barrois apparaissent en position de seuil entre le Morvan et les Vosges ; plus précisément, le seuil de Bourgogne les traverse au sud, du Haut-Folin en Morvan (901 mètres), à la « Montagne » dijonnaise (605 mètres au signal de Mâlain), au plateau de Langres (516 mètres dans la forêt d’Is-sur-Tille en Côte-d’Or, plus de 500 mètres dans la forêt d’Auberive, 523 mètres dans le bois de Baissey) à 504 mètres à La Motte, à l’est du département de la Haute-Marne. En Haute-Marne, le seuil suit les côtes de Moselle. Ces plateaux sont le lieu d’une importance divergence hydrographique entre un écoulement vers l’Atlantique par la Seine et ses affluents, les plus nombreux, un écoulement vers la Méditerranée par la Saône, et un écoulement vers la mer du Nord par la Meuse, qui se réalise en marge des plateaux. Le seuil est marqué, en Haute-Marne, par une triple divergence hydrographique : l’Amance et l’Apance, affluents de la Saône, qui prennent leur source de l’autre côté du seuil de Bourgogne, dirigent leur écoulement vers la Méditerranée. La Vingeanne, autre affluent de la Saône, prend sa source sur le plateau de Langres. L’Aube, l’Aujon, la Marne et le Rognon, affluents et sous-affluents de la Seine, prennent leur source sur le plateau de Langres (voire, au pied de celui-ci pour la Marne) ou sur le plateau du Barrois (Rognon). La Meuse, dont les eaux se dirigent vers la mer du Nord, prend naissance au pied de la côte de Moselle en Haute-Marne. Certes, l’essentiel de l’écoulement hydrographique de la Haute-Marne prend une direction nord (Meuse) ou nord-ouest mais pas pour la partie sud de la Haute-Marne, où l’écoulement se trouve dirigé vers la Méditerranée. Une petite région naturelle appelée « vallée de l’Yonne à la Marne » traverse d’ouest en est ces plateaux, de Tonnerre à Châtillon-sur-Seine puis Châteauvillain, en position de dépression subséquente au pied de la côte de Châtillon, prolongement de la côte de Meuse. Cette vallée n’est pas arrosée par un cours d’eau de part en part. En revanche, les cours d’eau principaux, dans leur marche vers le centre du Bassin parisien, sont amenés à la traverser, et généralement, s’y épanouissent pour quelques kilomètres avant de retrouver les vallées plus encaissées des plateaux : la Laignes, la Seine, l’Ource. Cette petite région naturelle se remarque moins dans la topographie que dans la végétation : elle présente une vaste clairière de cultures dans des plateaux très forestiers, très visible entre Laignes et Châtillon-sur-Seine, moins marquée entre Montigny-sur-Aube, Châteauvillain et Chaumont.
4Ces plateaux sont développés dans les terrains jurassiques de la marge est et sud du Bassin parisien. Les couches géologiques, alternant les calcaires durs et les marno-calcaires plus tendres, sont relevées à l’est et soumises à l’action de l’érosion : cela définit des reliefs de cuestas. De l’extérieur vers l’intérieur du Bassin parisien, on reconnaît trois grandes cuestas. La côte de Moselle, dégagée dans le calcaire du Bajocien surmontant les marnes du Lias, se prolonge en Haute-Marne où elle borde, par le sud et l’est, le plateau de Langres et le plateau du Barrais et domine le Bassigny. Le plateau de Langres constitue le revers de la cuesta. La côte de Meuse (calcaires du Bathonien, surmontant les terrains marno-calcaires du Callovien et de l’Oxfordien) est assez marquée en Haute-Marne, dans la traversée des plateaux du Barrais, ainsi qu’en Châtillonnais, où elle est précédée par la butte témoin du mont Lassois ; vers le sud-ouest, au delà de l’Armançon, elle s’estompe. La côte des Bars traverse à la fois le plateau du Barrais en Haute-Marne, le sud de l’Aube et on la retrouve, peu marquée, dans l’Yonne, de Tonnerre à Auxerre et au sud-ouest du département. Les calcaires du Portlandien surmontent les calcaires marneux du Kimméridgien. Ce sont les étages géologiques du Jurassique moyen et supérieur qui définissent ces plateaux calcaires, malgré une certaine diversité interne de faciès4. Le plateau de Langres est, avant tout, développé dans les faciès calcaires du Bathonien et du Bajocien (Jurassique moyen) alors que les terrains du Jurassique supérieur constituent essentiellement le Barrais, au nord de la côte de Meuse5. Les conditions d’érosion permettent de comprendre, dans ses grandes lignes, la formation des sols à cailloux. Les processus d’érosion, sous climat plus chaud et humide que l’actuel à l’ère tertiaire, ont permis la décomposition du calcaire et la formation d’une argile rouge. Puis, la dissolution karstique et l’alternance gel et dégel, lors des périodes froides de l’ère quaternaire, ont entraîné la formation de débris calcaires et leur migration. Par les labours successifs et le travail de l’homme, l’argile de décomposition s’est trouvée mélangée avec les cailloux, permettant une re-carbonatation des sols. Les terres d’aubues, subsistant en pastilles sur les plateaux, résultent également des processus d’érosion. À l’origine, sur les plateaux calcaires existe une formation rouge, non calcaire, désignée sous le terme d’aubue. L’érosion a laissé une couche de 15 cm à 30 cm sur le calcaire dur. On appelle ces terres les petites aubues ; c’est une formation pierreuse, argileuse et souvent acide. Par la mise en culture de ces petites aubues, on a connu une remontée des cailloux et une attaque du calcaire : cela a permis une re-carbonatation de la terre avec élévation du pH.
Contraintes et potentialités agronomiques sur les terres à cailloux
Des nuances
5Envisagée à l’échelle du Bassin parisien, voire de la France, la caractéristique dominante des terres à cailloux s’impose uniformément à tout l’espace des plateaux : ces « petites terres » sont des rendzines, c’est-à-dire un sol carbonaté reposant directement sur la roche mère calcaire plus ou moins altérée. La couche arable varie de 10 centimètres à 40 centimètres. L’importance des cailloux peut apparaître comme leur caractéristique la plus visible, mais leur abondance, leur taille, leur empilement induisent des possibilités différentes d’alimentation hydrique : le manque de réserve en eau est une caractéristique marquante de ces sols. À une échelle régionale, au niveau de l’ensemble des plateaux, leurs caractéristiques dominantes se teintent de nuances. À grande échelle, dans une même parcelle, il n’y a pas de limites à la diversité des conditions pédologiques6, qui ne dépendent pas seulement de la géologie et des variations locales de faciès, mais de la topographie, de la pente, de l’exposition, de l’écoulement des eaux, de la proportion de terre fine et de l’action de l’homme. La carte 11 localise ces formations calcaires superficielles. La catégorie des sols calci-magnésiques et sols bruns recouvre l’ensemble des plateaux, autour de trois sols dominants : les rendzines et sols bruns calcaires, sols d’élection des vignobles bourguignons, les rendzines et sols bruns calciques, et la catégorie des sols bruns et sols bruns calciques. Les caractéristiques de ces sols sont envisagées au tournant des années 1970-1980, suite aux préoccupations croissantes des techniciens travaillant dans ces régions, frustrés de ne pouvoir améliorer les rendements obtenus en grande culture. Le colloque 24 heures des petites terres7 organisé au lycée agricole d’Auxerre en 1985 permet de rassembler réflexions et contributions élaborées dans les différents départements et qui, jusque là, constituent une documentation éparse : Poitou, Champagne berrichonne, Bourgogne, Haute-Marne et Aube, Lorraine (Meuse, surtout). « L’Action agronomie Barrois-Bourgogne », associant les chambres d’agriculture de l’Aube, de la Haute-Marne, de la Meuse, de l’Yonne, de la Côte-d’Or et de la Nièvre, assistés de la SAFE8 et de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), réalise une plaquette largement diffusée, précisant la nature et la typologie des terres à cailloux. En effet, certains désignent comme terres à cailloux ou petites terres des sols de 40 cm à 65 cm de profondeur avec 20 % de cailloux, alors que, pour d’autres, cette appellation n’est concevable que de façon plus restrictive et concerne des sols de 20 cm de profondeur avec une charge en cailloux de 50 %. La notion de sol superficiel est relative et variable en fonction du pourcentage d’éléments grossiers par rapport à la quantité de terre fine sèche par hectare et de l’épaisseur de terre permettant l’enracinement. Même dans les sols superficiels, il existe un deuxième niveau, au delà de la profondeur de labour, qui peut paraître très caillouteux tout en incluant une forte proportion de terre fine. Aussi, pour définir les potentialités pédologiques, il faut identifier les principaux éléments constituant ces sols : la profondeur du sol, la présence, la forme et la dureté des cailloux, la proportion de terre fine, la réserve utile en eau et les possibilités d’enracinement9. Le facteur le plus déterminant est la quantité de terre fine exploitable par les racines car l’essentiel de la réserve en eau y réside. La réserve en eau utilisable par une culture en petite terre est la somme de deux stocks d’eau. Le stock le plus important est celui de la couche labourée, directement fonction de la quantité de terre fine à l’hectare, qui peut varier de 1000 à 3 000 tonnes par hectare (réserve utilisable de 30 à 50 mm). L’autre réserve utilisable est celle de la roche mère calcaire située en sous-sol. La quantité de terre fine présente dans les interstices entre les cailloux et les possibilités d’enracinement en profondeur permettant des remontées d’eau par capillarité sont des éléments capitaux. Cette réserve utilisable du sous-sol varie : entre 10 et 80 mm.
6On définit trois grands types de sols (tableau 6). La présence de cailloux en surface d’un sol ne préjuge pas de sa qualité agronomique : la profondeur et la quantité de terre fine comptent davantage. Or, sur les terres à cailloux, la taille des parcelles est grande, souvent plus de 15 hectares et, par conséquent, cela renforce l’effet d’hétérogénéité à grande échelle des petites terres. Au cours des années 1980, on cherche un moyen d’intensifier et rentabiliser les pratiques culturales. Dans le colloque 24 heures des petites terres10, l’intensification est définie de façon réaliste : il ne s’agit plus de transposer les pratiques culturales du centre du Bassin parisien mais de valoriser le potentiel de culture local en adaptant les techniques. En production céréalière et oléagineuse, la présence des cailloux est un facteur limitant du peuplement en épis, donc du rendement. Les cailloux occasionnent des pertes de pieds. Les grains semés, abandonnés à la surface des cailloux par le semoir, ne peuvent germer. Dans l’hiver, les pieds de blés semés à faible profondeur risquent d’être déchaussés par le gel. Parallèlement, on connaît un surcoût en matériel, par l’usure plus rapide des pneumatiques et des outils de travail du sol, et un risque de casse de matériel au moment de la récolte. La question des cailloux est devenue un sujet agronomique central au moment où la grande agriculture mécanisée se développe, dans les années 1960 et 1970 : en système de production laissant davantage de place à l’élevage et aux prairies, la contrainte des cailloux n’apparaît pas avec la même force.
tableau 6. Trois types de sols en fonction des potentialités agronomiques
Groupe : | G 1 | G 2 | G 3 |
Rendement céréales d’hiver (quintaux/ hectare) | 45 | 55 | > 60 |
Variations interannuelles des rendements : moyenne sur 5 ans | 35 à 65 | 40 à 70 | > 60 |
Tonnage de terre fine par hectare | 1 900 tonnes | 1900 à 2900 tonnes | > 2 900 tonnes |
Réservoir utilisable potentiel (eau) | 15 à 25 mm | 25 à 50 mm | > 50 mm : ce n’est plus limitant |
7Au début des années 1970, des essais sont lancés sur les plateaux de Bourgogne afin de diminuer l’importance des cailloux, considérée comme la contrainte la plus visible et la plus facile à corriger. Il est difficile de diminuer la proportion de cailloux, mais on peut modifier leur taille. Les broyeuses à cailloux se développent au tournant des années 1970 et 1980. Les premiers prototypes ont été réalisés sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne, à Nitry, au début des années 1970, à partir de la firme icaunaise Nicolas qui vend des machines agricoles et qui comprend très vite l’enjeu que représente ce marché. Les premiers utilisateurs constatent une augmentation des rendements, de sept à dix quintaux à l’hectare : par le broyage, les cailloux, devenus plus petits, occasionnent moins de pertes de grains au moment du semis. Ainsi, jusqu’au milieu des années 1980, on multiplie les broyages. Dans les premières années, on broie 10 hectares par an, en moyenne, par exploitation. À partir des années 1980, on se soumet à la pratique de l’andainage qui permet de répartir les heures de travail entre deux tracteurs. Il s’agit d’une machine, mise au point par un agriculteur des plateaux de Bourgogne à la fin des années 1980, qui aligne d’abord les cailloux, avant de les broyer, en sélectionnant les plus gros, par un système de calibrage des pierres. Elle sépare la terre fine des cailloux proprement dits. On peut regrouper des cailloux sur des parcelles de 2 à 4 hectares, par heure, ce qui réduit le temps réservé au broyage. Cela permet de broyer chaque année une trentaine d’hectares, contre dix précédemment. On réalise le broyage à la fin de l’été, après les moissons, et avant les travaux de préparation des cultures d’hiver. Le broyage diminue les frais d’entretien des autres matériels même s’il nécessite un tracteur d’au moins quatre-vingts chevaux. Sur les plateaux, la plupart des agriculteurs ont acheté les broyeurs à cailloux, soit individuellement, soit en copropriété, sauf sur le plateau de Langres, en « Grande Montagne » de Haute-Marne, où les achats en CUMA (coopératives d’utilisation du matériel agricole) ont été bien plus nombreux. Le broyage a permis, dans les années 1980, dans une conjoncture de hauts prix céréaliers garantis, de mettre en culture des parcelles considérées jusque là comme étant peu rentables. À partir des années 1990, on peut se permettre de ne broyer que quelques hectares de terres par an. Une parcelle de terre à cailloux a connu trois à quatre fois la machine à broyer. Les techniciens des chambres d’agriculture et de l’ITCF (Institut technique des céréales et des fourrages) travaillent, au milieu des années 1980, sur la question des densités de semis, et montrent qu’en dispersant davantage les graines, on peut réduire le nombre de grains bloqués par les cailloux. La densité de semis est de 350 grains au m2, au lieu de 400 auparavant, sans que le rendement en soit affecté, alors que les coûts ont été abaissés. Les techniques de non labour ou de travail simplifié du sol ont l’avantage d’éviter de ramener les cailloux à la surface, là où la parcelle a déjà connu deux broyages, voire plus.
La prise en compte des facteurs climatiques pour les rendements
8Compte tenu des facteurs édaphiques (faible épaisseur des sols, insuffisance des réserves hydriques, risques de sécheresse au printemps), les conditions climatiques prennent une grande importance. L’étirement est-ouest rend sensibles les effets de continentalité. Les nuances climatiques sont aussi déterminées par l’altitude, entre les bas pays et le plateau de Langres central, ou le nord-est du Barrois, à plus de 500 mètres d’altitude. Une étude précise de ces contraintes a été menée par les agronomes travaillant dans les régions de petites terres, du Poitou-Charente à la Lorraine (tableau 7). Les facteurs retenus correspondent aux plus grandes contraintes : gel hivernal, gel de printemps, réchauffement et risque de sécheresse au printemps. Le nombre de jours de gel, en décembre, janvier et février, présente un gradient est-ouest : sur le plateau de Langres, il est supérieur à quarante-cinq/cinquante jours, alors qu’il est inférieur à quarante jours dans le sud de l’Auxerrois. Le risque de dernière gelée au printemps peut dépasser la mi-avril sur les plateaux de Langres et du Barrois. Les conditions de démarrage de la végétation au printemps, mesurées par la somme des températures moyennes journalières supérieures à + 4° C pendant les mois de mars, avril et mai, sont très inégales : le plateau de Langres et une partie du Barrois ne totalisent que 400° à 500° C, alors que les plateaux de Bourgogne de l’Yonne comptabilisent au moins 500° à 600° C. Le risque de sécheresse est mesuré par la date la plus précoce d’épuisement des réserves en eau, pendant deux années sur dix. La période de sensibilité à la sécheresse se produit de mi-mai à mi-juin, avec un décalage entre Auxerre et Langres. Les conditions climatiques des plateaux de l’Est permettent une humidité relative plus grande. Cela explique le maintien des herbages.
9Sur le plateau de Langres, les températures sont de deux degrés inférieures à celles de Dijon. Les plateaux du Châtillonnais, à 350 mètres d’altitude, enregistrent la même température moyenne annuelle que le Morvan central à plus de 600 mètres. Une typologie climatique régionale de la Bourgogne11, définit trois nuances sur les plateaux, en Bourgogne. Les plateaux de l’Auxerrois, situés à l’ouest de la zone d’étude, présentent un « climat océanique atténué de type auxerrois » : 660 mm de précipitations pour Auxerre. Les amplitudes thermiques sont assez faibles mais les minima peuvent tomber assez bas en hiver (moyenne de 2,3° C en Janvier à Ligny-le-Châtel, 2,9° C à Auxerre) ; le gel de printemps peut être menaçant pour les cultures délicates (vignes et cerisiers). Différentes formes de transition existent d’ouest en est des plateaux, à nuances de plus en plus continentales, l’est du Châtillonnais s’apparentant au « climat lorrain ». Les précipitations sont assez fortes : 860 mm à Cruzy-le-Châtel, mais 950 mm à Baigneux-les-Juifs. Le caractère continental s’affirme par les températures. La température moyenne annuelle est assez faible : 9,5° C à Baigneux-les-Juifs, 9,8° C à Châtillon-sur-Seine. Les gelées sont fréquentes sur le Châtillonnais : soixante dix-neuf jours de gel par an à Châtillon, située à 263 mètres d’altitude, et quatre-vingt-neuf jours de gel par an à Baigneux-les-Juifs, à 440 mètres d’altitude. Le climat « submontagnard » caractérise le plateau de Langres central, à 500 mètres d’altitude. Les précipitations sont plutôt fortes, l’hiver plus froid, le gel plus fréquent et les minima sont plus bas ; l’été est assez frais. Les températures moyennes annuelles affichent près de 1,5° C de moins quand on passe de la plaine champenoise au plateau de Langres. De 100 mètres à 400 mètres d’altitude, les précipitations passent de 600 mm à 1 200 mm et les chutes de neige sont multipliées par quatre. Ces conditions climatiques ont poussé, depuis les années 1970, à réfléchir à la pertinence des dates de semis. L’APVA de Haute-Marne (Association productions végétales et agronomie, créée en 1977) recommande, dès les années 1980, d’avancer les dates de semis pour les céréales d’hiver et le colza : à trois semaines voire un mois d’écart, on obtient jusqu’à dix quintaux à l’hectare de différence dans les rendements. Or, si le broyage des cailloux, les réflexions sur les dates de semis et sur les variétés culturales ont amélioré les conditions de production, cela n’a pas modifié l’épaisseur du sol et ses faibles réserves hydriques. Un des problèmes les plus importants est de diversifier les têtes d’assolement. Néanmoins, l’éventail restreint de productions pratiquées en grande culture ne s’explique pas uniquement par les conditions agronomiques, mais interroge l’ensemble d’un système de production développé à partir des années 1960, dans un espace vide et livré à la friche au début des années 1950. Le développement de la grande culture a été rendu possible par l’importance des superficies délaissées avant les années 1950, par le vide démographique rural, dans un espace qui a affronté, de la fin du xixe siècle au début du xxe siècle, plusieurs décennies de crises agricoles. C’est en se dépossédant de ses habitants et de sa population agricole – qui n’a jamais été bien nombreuse – que cet espace agricole de production a pu tenir son territoire, en mettant davantage de terres en valeur et en supprimant la friche, bien que celle-ci soit, pour partie, retournée à la forêt.
Notes de bas de page
1 G. Bertrand, « Pour une histoire écologique de la France rurale », dans Histoire de la France rurale, G. Duby, A. Wallon dir., Paris, Seuil, 1975, t. 1, p. 39-78.
2 G. Chabot, Géographie régionale de la France, Paris, Masson, 1969, 2e éd., p. 310-318.
3 R. Brunet, « Champagne, Pays de Meuse, Basse Bourgogne », dans Atlas et géographie de la France moderne, L. Papy dir., Paris, Flammarion, 1981, p. 264-270.
4 Institut des sciences de la terre de l’Université de Dijon, « Carte géologique du département de l’Yonne », dans l’Yonne, un département, Dijon, CNDP-CRDP Bourgogne, p. 7-10.
5 F. Aubert, J.-M. Royer, J.-C. Rameau, La Haute-Marne, géologie, pédologie, géographie physique, végétation, Chaumont, CDDP Haute-Marne, 1985, p. 49 et suiv.
6 Denis Baize, dans un document interne datant de 1989, pour le compte de la chambre d’agriculture de l’Yonne, avait défini quarante-neuf types de sols sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne.
7 Deux publications rendent compte de ces travaux. « Produire dans les cailloux », 24 heures des petites terres, Auxerre, ITCF, Recueil des communications, juin 1985. « Les terres à cailloux des plateaux de Barrois et de Bourgogne, typologie agronomique », chambres d’agriculture de la Meuse de la Haute-Marne, chambre régionale d’agriculture de Bourgogne, Syndicat pour l’amélioration des sols et des cultures, SAFE, INRA, 1988.
8 Société d’aménagement des friches de l’est, basée à Chaumont.
9 Les informations suivantes sont tirées de « l’Action agronomie Barrois-Bourgogne » et des plaquettes techniques largement distribuées.
10 24 heures des petites terres, op. cit., p. 50.
11 D. Lamarre, M. Diagne, J.-P. Chabin, « Les climats de Bourgogne », 109e congrès national des Sociétés savantes, Dijon, 1984, p. 71-88.
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