Chapitre 1. Un espace fragile
p. 23-45
Texte intégral
1Les plateaux de Bourgogne, de Langres et du Barrois s’intègrent dans un espace agricole plus vaste au sein du Bassin parisien, comportant des caractéristiques agronomiques, de systèmes de production et de développement agricole, moins spécialisées et moins intensives qu’au centre du Bassin parisien. On peut les qualifier d’espaces intermédiaires.
Des espaces intermédiaires
Les systèmes agricoles des marges sud-est du Bassin parisien
2Les exploitations agricoles des départements qui composent le Bassin parisien obtiennent un résultat par unité de travail par année (UTA) élevé alors que le revenu par hectare de surface agricole utile (SAU) est moins favorable. Le décalage entre ces résultats économiques est particulièrement marqué pour les départements de la marge sud et est du Bassin parisien qui se retrouvent, grâce au critère du résultat agricole par UTA, assez bien placés parmi les départements français, alors que le résultat par hectare de SAU est bien plus défavorable (tableau 1) en Haute-Marne, Indre, Cher, Meuse, qu’il ne l’est au centre du Bassin parisien (Seine-et-Marne, Aisne, Oise, Somme). La Meuse, la Haute-Marne, la Côte-d’Or, l’Indre, l’Yonne sont des départements « intermédiaires » quant à leur spécialisation agricole, à la marge sud et est du Bassin parisien. Ils s’intercalent entre la France des prairies et la France des cultures ; les exploitations en système mixte, grande culture et élevage bovin, sont bien représentées, de la Meuse à la Vienne. Une autre particularité, dans l’utilisation agricole du sol, est la faible diversité des productions végétales pratiquées. Les céréales, oléagineux et protéagineux occupent plus de 90 % des terres labourées dans les départements de l’Indre, de la Haute-Marne, de la Meuse, alors que, dans les départements du centre du Bassin parisien, l’origine des revenus végétaux est plus large : betteraves à sucre, pommes de terre, voire viticulture pour l’Aube et la Marne. Parallèlement, les départements de la zone intermédiaire présentent des superficies d’exploitation bien supérieures à la moyenne et parfois parmi les plus élevées de France à la veille de la réforme de la PAC de 1992, et cette particularité ne cesse de se renforcer. Selon le RGA (recensement général de l’agriculture) de 2000, la Haute-Marne et la Meuse, deux départements intermédiaires, apparaissent dans les trois premiers départements français pour les superficies moyennes d’exploitation : 99 hectares en moyenne en Haute-Marne et 94 hectares dans la Meuse1.
tableau 1. Résultats agricoles par unité de travail et par hectare de SAU
Départements | Résultats agricoles par UTA en 2001 (en euro) | Résultats agricoles par hectare de SAU en 2001 (en euro) |
Seine-et-Marne | 39040 | 669 |
Aube | 71 292 | 1 100 |
Haute-Marne | 22 395 | 343 |
Aisne | 3 240 | 744 |
Oise | 30 365 | 574 |
Somme | 27312 | 675 |
Cher | 25 391 | 466 |
Eure-et-Loir | 35 930 | 509 |
Indre | 12 732 | 208 |
Loir-et-Cher | 25 548 | 634 |
Loiret | 31 837 | 751 |
Côte-d’Or | 38 596 | 910 |
Yonne | 36344 | 673 |
Meurthe-et-Moselle | 25 793 | 466 |
Meuse | 23211 | 375 |
3Ces particularités expriment la diversité pédologique du Bassin parisien. À la marge sud et est du Bassin parisien, sur les auréoles du Jurassique moyen et supérieur, des sols à cailloux se sont développés, des terres de groies du Poitou-Charentes aux plateaux lorrains de la Meuse, de la Saintonge au Barrais, intégrant les plateaux de Langres, de Bourgogne, du Barrais et de la Champagne du Berry (carte 1). Les potentialités agronomiques des terres à cailloux sont médiocres en grande culture à cause de la faible profondeur des sols et de leurs réserves hydriques réduites, limitant les possibilités de diversification culturale. Des départements (tableau 2) et des régions intermédiaires (Bourgogne, Centre, Poitou-Charentes, Lorraine) se sont reconnus et identifiés par leur potentiel pédoclimatique médiocre en grande culture, par leurs rendements céréaliers modestes, par la place des oléagineux dans les assolements - la part du colza et du tournesol dans les terres labourables (TL) étant supérieure à 15 % - ainsi que par l’extrême sensibilité du revenu aux paiements compensatoires de la PAC de 1992. Les rendements en blé tendre sont d’au moins 20 quintaux par hectare inférieurs à ceux du centre du Bassin parisien. Une étude datant de 1998, menée par les chambres régionales d’agriculture des régions Bourgogne, Centre et Poitou-Charentes s’interroge sur les incidences, dans ces régions intermédiaires, des réformes de l’Agenda 2000, particulièrement de la modulation des aides2 décidée par la France pour l’an 2000, ainsi que des conséquences de la baisse des compensations oléagineuses.
tableau 2. Superficies de terres à cailloux dans les départements du sud-est du Bassin parisien, à la veille de la réforme de la PAC de 1992
Départements | Superficie totale des PRA concernées par les terres à cailloux (hectare) | % de PRA de terres à cailloux sur la surface totale départementale | % de SAU des PRA « terres à cailloux » sur la SAU départementale |
Cher | 296621 | 70,4 | 45,7 |
Indre | 138 390 | 78,5 | 23,6 |
Yonne | 229 599 | 53,4 | 28,9 |
Côte-d’Or | 291 126 | 4,6 | 32,6 |
Haute-Marne | 362 338 | 47,2 | 55 |
Meuse | 358847 | 57,7 | 54,9 |
4Les structures d’exploitation, souvent de très grande dimension, sont un avantage dans le cadre d’une réforme basée sur des paiements à l’hectare. Or, sur ces terres à cailloux, à la veille de la réforme de 1992, selon le RGA (recensement général de l’agriculture) de 1988, les exploitations de plus de 70 hectares occupent plus de 75 % de la SAU, plus que dans les autres régions de grande culture en France (tableau 3). C’est encore plus net pour l’importance prise par les exploitations de plus de 100 hectares (tableau 3). La superficie moyenne d’exploitation relevée sur les plateaux du sud-est du Bassin parisien est bien supérieure à 50 hectares : plus de 60 hectares en Barrois, 71 hectares sur le plateau de Langres haut-marnais, plus de 90 hectares sur le plateau de Langres de Côte-d’Or, plus de 80 hectares en Champagne du Berry. Ainsi, deux critères apparaissent très discriminants : la part des oléagineux, notamment le colza, dans les terres labourables, et la proportion des grandes exploitations dans la SAU. Parallèlement, les plateaux du Barrois, de Langres et de Bourgogne se démarquent de l’ensemble du Bassin parisien par une densité d’actifs agricoles très généralement inférieure à un, ce que l’on rencontre moins fréquemment dans d’autres régions agricoles du Bassin parisien. Ces espaces particuliers ont déjà été identifiés dans un ouvrage géographique datant des années 1980. La Carte des mutations de l’espace rural français3 définit un espace des marges du sud et de l’est du Bassin parisien ayant connu de réelles transformations entre 1950 et 1980. Elles sont essentiellement envisagées sous l’angle agricole : la concentration des terres qui facilite la mécanisation, ainsi que la simplification des paysages agraires, avec des assolements réduits à la succession blé-orge-colza. De la Champagne du Berry aux plateaux du Barrois, le vide démographique accentué de ces espaces ruraux est remarquable, dans une société généralement peu diversifiée, et marquée par la dominante agricole dans l’occupation et l’utilisation de l’espace.
5Pourtant, à l’intérieur de cet espace, des différences de systèmes de production distinguent des régions agricoles hyperspécialisées dans la production de grains, comme la Champagne du Berry, et les régions de systèmes mixtes avec herbivores comme le Barrois et le plateau de Langres haut-marnais.
Tableau 4. Part du colza, du tournesol et des céréales dans les TL (terres labourées) avant 1992
Colza/TL ( %) | Tournesol/TL ( %) | Céréales/TL ( %) | |
Barrois de la Meuse | 16,5 | 0,5 | 47,3 |
Barrois de la Haute-Marne | 18,2 | 0,4 | 47 |
Plateau de Langres de Haute-Marne | 14,4 | 0,7 | 40,5 |
Plateau de Langres de Côte-d’Or | 16,8 | 1,8 | 52,1 |
Plateau de Bourgogne de l’Yonne | 20 | 6,4 | 54,6 |
Bourgogne nivernaise | 11 | 12,6 | 47,9 |
Champagne du Berry (Cher) | 12,8 | 17,3 | 56,1 |
Champagne du Berry (Indre) | 8,1 | 14,9 | 64,4 |
6Le tableau 4 révèle une spécialisation céréalière et oléagineuse plus marquée en Champagne du Berry que partout ailleurs en terres à cailloux. Le type de cultures céréalières pratiquées diffère également. La culture du blé tendre est davantage pratiquée en Champagne du Berry et sur les plateaux de Bourgogne où elle occupe plus de 50 % des superficies céréalières. Dans les régions de petites terres de Meuse, de Haute-Marne et de Côte-d’Or, en Barrois et sur le plateau de Langres, la culture de l’orge est plus développée, même si le blé progresse entre 1979 et 1988. Alors que la période 1970-1979 correspond plutôt au boom céréalier pour les plateaux du sud-est du Bassin parisien, les années 1980 correspondent plutôt à la spécialisation en colza : les superficies sont multipliées par deux, voire trois ou plus. La part du colza dans les terres labourables montre une très forte représentation de cette culture dans un espace compris entre les plateaux du Barrois et les plateaux de Bourgogne icaunais.
Délimitation précise de la zone d’étude
7L’espace agricole et rural étudié concerne précisément le plateau du Barrois de la Haute-Marne, le plateau de Langres en Côte-d’Or et Haute-Marne et le plateau de Bourgogne de l’Yonne, et s’inscrit dans les trois départements de la Côte-d’Or, de la Haute-Marne et de l’Yonne. Cette délimitation présente plusieurs intérêts. Ses dimensions permettent de mener des enquêtes de terrain nombreuses et rapprochées. D’autre part, cette zone d’étude présente à la fois des éléments de diversité et d’unité significatifs de l’espace agricole des terres à cailloux. Les plateaux de Langres et du Barrois de la Haute-Marne offrent une proportion intéressante d’exploitations en systèmes mixtes grande culture-herbivores alors que les plateaux de Bourgogne de l’Yonne apparaissent davantage spécialisés en cultures céréalières et oléagineuses. Les céréales, oléagineux et protéagineux représentent plus de 70 % de la SAU et rendent cet espace particulièrement dépendant des dispositions de la nouvelle PAC de 1992. Les choix culturaux, très réduits, tournent autour de la rotation blé-orge-colza. Aussi, outre la dépendance par rapport aux décisions politiques de la PAC, l’agriculture locale repose sur l’évolution des cours de trois matières premières, rendant l’économie agricole potentiellement vulnérable à la conjoncture. La territorialisation de productions à haute valeur ajoutée, comme la vigne, sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne (Chablis, Chitry, Irancy), définit cependant un élément de prospérité agricole non dépendant de la PAC et étroitement attaché au territoire local.
8Dans certains cas, l’échelle départementale d’analyse apparaît particulièrement pertinente. Elle permet de spécifier et d’isoler les particularités économiques et démographiques des plateaux dans un territoire géographique plus vaste et, par ailleurs, l’échelon départemental sert de cadre à la régionalisation des primes et paiements compensatoires de la PAC de 1992, dans les départements de l’Yonne, de la Côte-d’Or et de la Haute-Marne. Parallèlement, le département est le cadre privilégié de définition, de discussion et d’application de différentes dispositions de politique agricole, qu’il s’agisse des commissions des structures et de la politique d’installation en partie déterminée au niveau départemental, des services de développement agricole « départementalisés », de la chambre d’agriculture, de la DDAF, des SAFER, des centres de gestion agricole, des politiques de développement rural initiées par les conseils généraux. Surtout, les plateaux appartiennent à des départements qualifiés d’intermédiaires, dont ils constituent, à bien des égards, des angles morts. Les plateaux haut-marnais de Langres et du Barrois présentent une proportion de terres labourables dans la SAU supérieure à 50 %, mais nettement inférieure à ce que l’on rencontre dans les autres régions de plateaux du sud-est du Bassin parisien, et la part des STH (superficies toujours en herbe), sans être dominante, y est plus élevée, traduisant l’importance plus grande des système mixtes de production. De façon plus précise, on a retenu, comme cadre géographique d’analyse, les petites régions agricoles figurées sur la carte 2. Or, la définition des petites régions agricoles est ancienne ; elle date des années 1950 et n’a guère été révisée depuis. Ses limites se basent sur l’appartenance d’une commune à tel terroir, tel milieu agricole, tel type de sol. Il va de soi que le cadre communal n’est pas, dans ce domaine, le plus approprié et ce d’autant plus que la taille moyenne des exploitations des plateaux augmentant à un rythme rapide depuis les années 1970-1980, il est bien rare qu’un agriculteur exploite des terres sur une seule commune, voire sur une seule région agricole.
9Cependant, pour mener à bien un certain nombre d’études statistiques, le cadre cantonal s’impose. Quarante cantons ont été retenus : ils sont figurés et présentés sur la carte 3. On inclut certains cantons situés à la marge des plateaux ; c’est le cas d’Is-sur-Tille et de Selongey, pour partie inscrits en région agricole « plaine de Bourgogne », mais dont les productions pratiquées et les systèmes de production adoptés sont semblables à ce que l’on trouve en région de plateaux. C’est également le cas de Wassy, dont la moitié des communes appartient à la région agricole du Vallage, mais dont les spécialisations agricoles sont comparables à celles de la région agricole Barrois vallée. Les exploitations de certains cantons situés en marge des plateaux (Langres, Prauthoy, Vézelay, Nogent-en-Bassigny, L’Isle-sur-Serein, Sombernon) exploitent souvent des terres dans deux régions agricoles : plateaux et Terre plaine, Bassigny, Vingeanne ou Morvan, régions agricoles essentiellement herbagères, accentuant alors la part prise par l’élevage dans les exploitations en système mixte. Les stratégies d’agrandissement les plus récentes montrent, particulièrement en système mixte grande culture-herbivores, que l’exploitation de deux milieux pédologiques différents distants parfois de plusieurs dizaines de kilomètres est jugée suffisamment intéressante en grandes structures de production.
10Ainsi, le GAEC N. associant deux frères, à C., en Barrais de la Haute-Marne, dans le canton d’Andelot-Blancheville, exploite 200 hectares depuis l’année 2000, l’exploitation ayant gagné 30 hectares en 1999, au moment du départ à la retraire de leur mère. Cette exploitation en système mixte grande culture-élevage bovin lait et viande compte 100 hectares de prairies temporaires ou permanentes : 38 sont situés dans la vallée du Rognon, qui traverse le plateau du Barrais, mais 28 hectares sont situés à plus de 40 kilomètres, en Bassigny, car « leur mère est originaire de là-bas et un oncle leur loue des terres ». Cela peut compliquer la gestion de l’exploitation car il faut « faire la transhumance » : on emmène le troupeau de bovins viande au printemps et on le ramène à l’automne. Selon ces agriculteurs, la PAC, en accentuant le phénomène de pression foncière, a poussé les agriculteurs à cultiver davantage leurs terres à cailloux en céréales et oléoprotéagineux alors qu’autrefois on les exploitait en luzerne. On a compensé la diminution des fourrages et prairies artificielles par la location de terres dans le Bassigny au moment où la prime de cessation laitière a précipité le départ de bon nombre d’agriculteurs.
11L’exemple de monsieur V., sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne, en sud Auxerrois, est différent. Cet agriculteur exploite avec son fils plus de 1000 hectares, en deux exploitations distinctes. L’historique de cette exploitation et de ses agrandissements successifs remonte au début des années 1950. Le père de monsieur V. exploite au départ 30 hectares à sur le plateau de Bourgogne de l’Yonne4, avant guerre. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il cultive 90 hectares sur 101 parcelles de propriété qu’il loue entièrement ! Dans les années 1950, il s’installe sur une ferme isolée qui se libère sur les plateaux : la ferme de L. Il dispose alors de 180 hectares de cultures et de 40 hectares de prés situés dans la vallée du Serein. Monsieur V. s’installe en 1967, alors que son père est encore en activité. Dans les années suivantes, il se débarrasse des prés, acquiert de nouvelles terres labourables, en location et en achat, défriche une trentaine d’hectares et reprend les terres de son père lorsqu’il part à la retraite. En 1980, il exploite 340 hectares et, en 1983, il reprend une exploitation de 310 hectares sur les plateaux située à une quarantaine de kilomètres, en Tonnerrois. Ainsi, à partir de 1983, il met en valeur plus de 600 hectares sur deux sites bien distincts. En 1992, son fils reprend 390 hectares sur les plateaux du sud Auxerrois, portant la superficie des deux exploitations, cultivées en commun sans être en GAEC, à 1 020 hectares. Les terres de cultures se situent toutes en région agricole de plateaux, mais sur deux sites relativement distants, nécessitant en partie un double matériel.
Les plateaux : un angle mort des zones intermédiaires ?
12La notion d’espace intermédiaire, liée au vide démographique et urbain et à la faible polarisation de l’espace, a été étudiée, pour le cas de la Bourgogne, par Jean-Jacques Bavoux, à travers l’étude du carrefour bourguignon5. Cette définition revêt plusieurs aspects, autour de l’idée d’un espace flou, d’une zone d’indécision. Lorsqu’il y a intersection d’influences, l’espace intermédiaire hésite entre les différentes attractions métropolitaines. Lorsque l’on se situe dans un vide métropolitain, on parle plutôt d’espace interstitiel, écartelé entre des forces centrifuges ; au cœur de la France du vide, on aboutit à une situation de marche tant l’influence métropolitaine devient faible. Ainsi, on peut qualifier d’intermédiaires les espaces de transit entre deux métropoles. Jean-Jacques Bavoux montre, pour la Bourgogne, qu’il s’agit d’une région de passage, dans un vide démographique, entre Paris, Nancy et Lyon. Dijon apparaît en position charnière entre le Bassin parisien, l’axe Saône-Rhône et la France de l’Est. Dijon et Montbard sont deux arrêts TGV rapprochant la Bourgogne de Paris mais isolant l’espace nord bourguignon, par l’effet tunnel : le TGV ne marque aucun arrêt dans l’Yonne. Cette situation de passage n’améliore pas forcément les dessertes locales et c’est au niveau de la connexion entre les différentes voies de communication que reposent le désenclavement et l’accessibilité. Ainsi, en Haute-Marne, la fourche autoroutière de Langres sert peu le désenclavement local (carte 4). Denis Lamarre6 signale que l’autoroute de Dijon à Nancy, mise en service en 1983-1984, se déploie quelque peu à l’écart de l’axe de la vallée de la Marne, principal axe d’activité haut-marnais et le parcours qui relie Chaumont à Langres, par autoroute, est plus long que celui qui emprunte la route nationale. L’ADECAPLAN (Association de développement des cantons du plateau de Langres, basée à Auberive) signale cet aspect dans le diagnostic de territoire réalisé en vue de la programmation d’actions pouvant bénéficier des fonds structurels 5 B de l’Union européenne. La RN 74, axe principal de la Haute-Marne, permet de relier Langres à Dijon et passe à Prauthoy et Longeau, au sud du plateau de Langres, mais l’encombrement et la circulation croissante ne facilitent pas les communications locales, d’autant plus qu’il s’agit d’un axe nord-sud. Les liaisons est-ouest à travers le plateau sont le fait de routes départementales qui suivent le relief vallonné du sud du plateau et qui ne relient pas directement Auberive à Longeau et Prauthoy. Aucun arrêt ferroviaire desservant le plateau de Langres central n’est installé sur la ligne Dijon-Chalindrey. Les gares les plus proches sont celles de Langres et de Culmont-Chalindrey, à vingt-cinq minutes d’Auberive, sur la ligne non encore électrifiée de Paris à Bâle. La gare TGV la plus proche est celle de Dijon, située de trente à soixante minutes du plateau de Langres.
13Les plateaux apparaissent en position interstitielle, en angle mort des espaces intermédiaires, voire en situation de marche, puisqu’il n’existe pas de polarisation urbaine à partir des plateaux, mais, au contraire une polarisation centripète en dehors des plateaux. En définissant sommairement l’enclavement, à partir des Inventaires communaux, par la distance et le temps d’accès à l’autoroute et l’existence ou non d’un arrêt ferroviaire, on distingue différents niveaux d’accessibilité ou d’ouverture des plateaux. Le temps d’accès à la bretelle d’autoroute, selon l’Inventaire communal de 19987, définit une accessibilité plus facile à partir du plateau de Langres et du sud Auxerrois que du Châtillonnais en Côte-d’Or ou de la zone centrale du Barrois en Haute-Marne, même si le désenclavement a eu tendance à progresser nettement depuis 1988, date du précédent inventaire communal. L’autoroute A 6, avec les sorties Auxerre-sud et Nitry, rend les plateaux de Bourgogne de l’Yonne accessibles rapidement aux Parisiens et la route nationale 6 constitue un itinéraire bis, traversant l’Auxerrois, souvent emprunté le week-end (carte 4). Si le Tonnerrois apparaît quelque peu à l’écart de ces trajets principaux de fin de semaine, et de la voie de passage privilégiée que constitue la Bourgogne, entre région parisienne et région lyonnaise, la situation du Châtillonnais est pire pour plusieurs raisons. Depuis la construction de l’autoroute A 6, de l’autoroute A 26 (Calais à Troyes par Reims) et surtout très récemment de l’A 5 (Paris-Troyes-Chaumont-Langres), rejoignant l’A 31 (Nancy-Dijon), et permettant d’accéder au sud de la France, la route des Anglais, des Belges et des Hollandais n’a plus aucune raison de passer par Châtillon-sur-Seine, comme elle le faisait encore dans les années 1970. La liaison de Troyes à Dijon privilégie désormais l'Α 5, plutôt que la route de Châtillon-sur-Seine. L’A 5, traversant le sud de l’Aube et la Haute-Marne, fonctionne comme un tunnel ou presque ; les sorties d’autoroute entre Troyes et Langres s’ouvrent sur un désert rural et, dans le meilleur des cas, Châtillon est à plus de 35 kilomètres. En comparaison, l’Auxerrois paraît très bien situé par rapport à la région parisienne. Les axes autoroutiers (A 6 et embranchement de l'Α 38) desservent l’Auxois, Beaune et Dijon, à plus de 90 kilomètres de Châtillon-sur-Seine. Le plateau de Langres semble très bien desservi par la voie de communication autoroutière. Par la fourche de Langres, les autoroutes A 31 (direction Nancy-Luxembourg) et A 5, venant de Paris, se rejoignent. Plusieurs sorties autoroutières desservent les plateaux haut-marnais : Ville-sous-la-Ferté, Châteauvillain, Chaumont, Langres et Auberive, mais leur profitent inégalement. La sortie autoroutière d’Auberive, sur l’axe dijonnais, est à 20 kilomètres du bourg, alors que l’interconnexion avec les voies départementales et locales ne permet pas un meilleur désenclavement, pour un canton situé, par autoroute, à quarante minutes de Dijon. De plus, on doit constater un plus grand éloignement par rapport à la région parisienne qu’en basse Bourgogne icaunaise. Langres et Auberive sont à plus de 250 kilomètres de la première entrée autoroutière de la région parisienne.
14Ce critère autoroutier et ferroviaire ne correspond pas aux relations quotidiennes, aux déplacements pendulaires et donc à l’accessibilité locale, d’autant plus que dans, ce désert rural, les distances à parcourir sont longues avant de parvenir à la ville la plus fréquentée. Les plateaux de Langres, en Haute-Marne et Côte-d’Or, ainsi que la plus grande partie des plateaux de Bourgogne icaunais apparaissent relativement éloignés et isolés. Pourtant, il ne faut pas surestimer l’importance de ce critère. Aujourd’hui, un déplacement de quarante minutes par jour, pour aller au travail, est devenu extrêmement banal. D’autres critères doivent s’ajouter afin de définir l’isolement rural et la position périphérique de certains cantons des plateaux. Les critères d’éloignement aux services et produits et aux équipements sont-ils significatifs ? Là encore, les cantons du plateau de Langres (Auberive, Recey-sur-Ource, Grancey-le-Château, Saint-Seine-l’Abbaye, Baigneux-les-Juifs et Aignay-le-Duc) et, secondairement, ceux du plateau du Barrois (Poissons, Juzennecourt), ou ceux du plateau de Bourgogne de l’Yonne (Cruzy-le-Châtel et Noyers), apparaissent éloignés des services courants. Cet éloignement doit être relativisé, comme le précise R. Chapuis8 : il est vécu différemment selon sa situation sociale, son activité et la classe d’âge à laquelle on appartient. Il pose problème lorsque la population est âgée et peu mobile, comme c’est le cas dans certains cantons, du plateau de Langres. R. Chapuis précise dans Oser le désert en Bourgogne9 que les ménages ruraux sont aujourd’hui plus motorisés que les ménages urbains et qu’ils n’hésitent pas à se déplacer. En outre, il note que l’organisation de services de transports plus souples permet de pallier l’éloignement relatif de certains services, mieux regroupés dans des bourgs aux centres bien équipés et desservant bien ces déserts. La définition des services et produits selon l’Inventaire communal de 1998, intégrant l’existence de services de substitution tels que commerces multiservices et permanences administratives, montre que certains chefs-lieux de canton en sont dépourvus. Sur cinquante-cinq services, produits et équipements, utilisés dans la réalisation de la carte 5, certains cantons du Barrois central, mais surtout une grande partie des cantons du plateau de Langres, en possèdent moins de trente, voire moins de quinze pour Auberive et Grancey-le-Château. Si Juzennecourt et Vignory, peu équipés, sont proches de Chaumont, il n’en va pas de même pour Poissons, malgré la proximité de Joinville, petit centre rural, et surtout Saint-Blin, plus proche de Neufchâteau que de Chaumont. C’est cependant le plateau de Langres dans sa partie centrale, appelée Montagne, qui cumule les critères d’éloignement et de manque de services offerts sur place. Le faible nombre de personnes attirées traduit le vide démographique.
15Les plateaux possèdent un nombre élevé de communes appartenant, selon l’INSEE et la DATAR, aux catégories « rural isolé » et « périphérie des pôles ruraux »10. On peut distinguer le sud de l’Auxerrois et une grande partie du Barrois haut-marnais, dans lequel les espaces ruraux sont « sous faible influence urbaine », marqués par l’effectif notable de « déplacements pendulaires », et les plateaux de Langres central (« Montagne ») et du Tonnerrois, sur lesquels ne s’exerce qu’une polarisation rurale incomplète à partir de Tonnerre et Châtillon-sur-Seine. Ces espaces du sud et de l’est du Bassin parisien se situent au cœur de « la France du vide11 » : dix-huit cantons des plateaux ont, en 1999, une densité inférieure à quinze habitants au km2, particulièrement sur le plateau de Langres central : le canton d’Auberive ne compte que cinq habitants au km2. L’absence de polarisation locale forte à partir des plateaux, excepté la polarité départementale et administrative relative de Chaumont en Barrois, explique l’existence de forces centripètes sur cet espace. Le critère de la ville la plus fréquentée, selon l’Inventaire communal de 1998, montre à quel point Dijon exerce son rôle de métropole régionale : son champ d’attraction est particulièrement étendu sur l’ensemble du département de la Côte-d’Or et sur le sud du plateau de Langres. On ne peut guère parler de région des plateaux, puisque aucun pôle d’importance ne suffit à organiser cet espace. Plutôt que d’une région, c’est de plusieurs régions voire de pays dont il faut parler : Tonnerrois, Châtillonnais, pays de Langres, sud de l’Auxerrois. La forme de mise en valeur agricole, en revanche, justifie bien la définition de cet espace : les particularités et contraintes économiques agricoles sont en effet semblables sur l’ensemble de ces plateaux.
Des milieux ruraux fragiles ?
La renaissance rurale12 ne s’impose pas
16Depuis 1975, les espaces ruraux français ont profité du dynamisme créé à partir du mouvement de périurbanisation et de sa diffusion dans l’espace : un solde migratoire très positif compensant le déficit naturel dans les espaces à dominante rurale, notamment dans le rural sous faible influence urbaine. Pourtant, les milieux ruraux isolés poursuivent un déclin démographique engagé de longue date, particulièrement dans la « France du vide »13, quoique parfois atténué, conjuguant généralement déficit naturel, vieillissement accentué de la population et solde migratoire négatif. Ici, c’est l’idée de La crise rurale14 qui l’emporte dans le discours des responsables politiques, des agents du développement local, et des aménageurs. La croissance de la population, en France, de 1962 à 1990, isole bien un espace prenant en écharpe les plateaux du sud-est du Bassin parisien pleinement constitutifs de la France du vide, régions dans lesquelles la population a diminué depuis 1962. Depuis 1982, les différents recensements généraux de la population mettent en lumière la fragilité globale du département de la Haute-Marne puisque l’étiage démographique de 1999, dans la plupart des cantons ruraux, s’accompagne d’une décroissance démographique des cantons urbains, de 1990 à 1999 (carte 6), décroissance déjà entamée bien souvent depuis 1975. La plupart des cantons cumulent un solde naturel et un solde migratoire négatifs. Dans la zone d’étude, les cantons qui connaissent un déficit migratoire non compensé par l’excédent naturel sont presque tous des cantons haut-marnais. Cependant, au déclin démographique prolongé de la plus grande partie des cantons du nord-est du Barrais haut-marnais (de Vignory à Poissons et Chevillon), du plateau de Langres et du Châtillonnais (Côte-d’Or) répondent les évolutions plus favorables du sud de l’Auxerrois, du Tonnerrois et de certains cantons situés à proximité de l'aire de périurbanisation dijonnaise : Sombernon, Saint-Seine-l’Abbaye, Is-sur-Tille mais également, sur le plateau de Langres, Grancey-le-Château.
17L’espace étudié ne connaît pas les évolutions démographiques constatées en France en 1999 dans « l’espace à dominante rurale » où la population a retrouvé son niveau de 1962, par un apport migratoire supérieur au déficit naturel15. La carte 7 montre que parmi les quarante cantons des plateaux, ceux qui ont retrouvé en 1999 leur niveau de population de 1962 sont peu nombreux : il s’agit pour l’essentiel de cantons urbains, ou sous forte influence urbaine, ou localisant un pôle rural : influence urbaine d’Auxerre, de Dijon, cantons de Langres, Chaumont et Joinville. Seul le canton de l’Isle-sur-Serein, en milieu rural isolé, surprend par sa croissance démographique positive depuis 1962. En moyenne, sur l’ensemble des plateaux, la diminution de population est de 9,3 %. C’est sur le plateau de Langres central, principalement en Côte-d’Or, que les taux de décroissance démographique sont les plus prononcés, supérieurs à 30 %. Sur les plateaux haut-marnais, la population diminue d’au moins 10 % dans quatorze cantons sur dix-sept, parfois de plus de 20 % dans le nord-est du Barrais (cantons de Poissons et de Saint-Blin). Or les plateaux du sud-est du Bassin parisien appartiennent en grande partie aux espaces dans lesquels l’armature urbaine lâche n’a pas permis de dynamiser la croissance démographique. De plus, les pôles ruraux de Châtillon-sur-Seine, Joinville, Nogent, Is-sur-Tille et Montbard, en bordure de plateau, connaissent une décroissance démographique parfois très marquée depuis 1982 au moins. Seul le pôle rural de Tonnerre, en maintenant tout juste sa population entre 1982 et 1999, fait figure d’exception. Les unités urbaines de Langres, Chaumont et Saint-Dizier, en Haute-Marne, subissent une décroissance démographique accélérée, entre 1990 et 1999, par rapport à celle connue entre 1982, et même Auxerre (Yonne) connaît une diminution de population, de 1990 à 1999.
18Le département haut-marnais est particulier par les handicaps qu’il cumule. 11 appartient au groupe des quinze départements français16 pour lesquels la décroissance démographique de 1990 à 1999 prolonge celle connue de 1982 à 1990. La Haute-Marne est le troisième département français pour la décroissance démographique entre 1990 et 1999 (-0,52 % par an), derrière la Creuse et le Cantal. Or, la Haute-Marne est le second département français, derrière le Cantal, pour l’aggravation du taux de décroissance démographique entre 1982-1990 et 1990-1999. C’est surtout, entre 1990 et 1999, le département dont la décroissance démographique repose le plus sur le déficit migratoire puisque le solde naturel est resté positif : depuis 1982-1990, le solde naturel positif n’arrive plus à compenser le déficit migratoire. Or, si le vieillissement accentué de la population est généralement le corollaire de l’atonie démographique, ce n’est cependant pas toujours le cas. Là où l’indice de vieillissement est élevé sur les plateaux en 1999, la croissance démographique a pu être forte à relativement forte entre 1990 et 1999 : Courson-les-Carrières, Vermenton, Vézelay, Noyers, voire l’Isle-sur-Serein, grâce au solde migratoire positif (département de l’Yonne). À l’opposé, le faible indice de vieillissement, en 1999, de certains cantons du Barrois haut-marnais (Juzennecourt, Chaumont, Joinville, Wassy, Chevillon) répond à des évolutions démographiques négatives entre 1990 et 1999.
Typologies de la fragilité
19La carte 8 définit, pour les quarante cantons des plateaux, quatre niveaux de fragilité, du niveau 1, le moins fragile, à l’échelon 4 de la plus grande fragilité rurale, par la combinaison de différents critères statistiques :
la croissance démographique de 1975 à 1999 et de 1990 à 1999 distingue les cantons à croissances ou décroissances cumulées. On tient compte de la croissance démographique entre 1982-1990 et 1990-1999 ;
la part du solde migratoire et du solde naturel dans la décroissance démographique distingue spécialement les cas où les deux sont négatifs ;
le vieillissement de la population est représenté par deux critères : l’indice de vieillissement en 1999 et un pourcentage des plus de soixante-quinze ans supérieur à 11 % de la population totale en 1999 ;
la densité de population, inférieure à vingt habitants au km2, est un seuil très bas mais bien adapté à ces plateaux ;
pour l’éloignement moyen des communes de chaque canton aux équipements, on retient un seuil supérieur ou égal à dix kilomètres ;
le nombre de services, produits et équipements offerts par les chefs-lieux de cantons, inférieur à quinze, sur un total de cinquante-cinq est considéré comme significatif ;
le temps d’accès à la ville la plus fréquentée est le dernier critère retenu. Cette carte oppose bien, d’une part, les cantons des plateaux de Bourgogne de l’Yonne et ceux de la zone d’influence et de dynamisme dijonnaise étendue en Côte-d’Or et, d’autre part, la partie centrale du plateau de Langres (Montagne) et du nord-est du Barrois, marqués par la plus grande fragilité rurale.
20Il faut se garder d’associer automatiquement faible densité à fragilité, à déprise ou à désertification, particulièrement dans un espace agricole de grande culture. La caractéristique des plateaux du sud-est du Bassin parisien est bien le déséquilibre existant, depuis les années 1960-1970, entre des signes apparents de fragilité rurale dus au déclin démographique, au vieillissement, à la densité parfois inférieure à dix habitants par km2, et une économie agricole donnant des signes de réelle modernité. L’activité agricole et forestière occupe bien mieux l’espace aujourd’hui qu’elle ne l’a fait dans les années 1950, date du maximum d’extension de la friche. Il est impropre de parler de désertification puisque c’est surtout à partir des années 1950 à 1970 que la forêt et les terres agricoles ont remplacé la friche dans les secteurs les plus menacés : la superficie agricole utile n’a pas marqué de recul significatif, sauf dans les cantons soumis à l’influence urbaine.
21Cette nécessaire distinction entre fragilité rurale et fragilité agricole a été envisagée, au début des années 1990, au moment de la mise en place de la PAC de 1992 et de la définition des programmes liés aux fonds structurels 5 B (fragilité rurale définie au niveau de l’Union européenne), dans les travaux du SEGESA17 : la synthèse portant sur la Nouvelle approche de la diversité des agricultures régionales18, parue en 1992, réalise une typologie des cantons ruraux français. L’analyse factorielle réalisée à partir de quinze critères pour la typologie agricole19 et vingt et un critères pour la typologie agricole et rurale des cantons français20 donne une image différenciée des plateaux du sud-est du Bassin parisien et permet de les replacer dans l’espace agricole et rural français. La typologie agricole présente, par rapport à l’ensemble des cantons français, une vision optimiste de ces plateaux puisque les trois catégories les plus positives définies en France s’y disputent l’espace, à la veille de la réforme de la PAC de 1992. Le Tonnerrois et le Châtillonnais appartiennent aux cantons les moins fragiles, catégorie qui ne regroupe que 9 % des cantons français : les exploitants agricoles apparaissent plutôt jeunes et bien formés, la diminution de la population agricole, avant 1992, semble moins marquée qu’ailleurs, dans des exploitations de grande culture, peu diversifiées, et dans lesquelles la pluriactivité est faible. Le sud de l’Auxerrois, la région Barrois vallée, la Montagne haut-marnaise (plateau de Langres central) appartiennent au groupe des cantons situés « en bonne place » comme 22 % des cantons français. Les systèmes de production apparaissent plus diversifiés que dans le groupe précédent mais les systèmes céréaliers sont plus extensifs. En Barrois haut-marnais, les résultats apparaissent proches de la moyenne française pour les structures de production et les performances économiques avec des orientations dominantes davantage marquées par l’élevage bovin laitier que les catégories précédentes.
22En revanche, la typologie agricole et rurale, réalisée à partir de vingt et un critères intégrant des éléments d’environnement rural des exploitations, donne une vision plus tranchée des plateaux du sud-est du Bassin parisien. Les cantons les mieux placés (économie non agricole assez dynamique, faible taux de chômage, encadrement moyen par les services, croissance démographique positive de 1975 à 1990) côtoient les cantons agricoles en crise marqués par une surreprésentation de la population agricole, une faible diversification des activités économiques, une population rurale en baisse, un éloignement marqué par rapport aux équipements, alors que les caractéristiques économiques agricoles sont satisfaisantes. Cependant, en aucun cas, sur ces plateaux, on ne définit de fragilité globale. Une autre étude réalisée par le SEGESA en 1993, La Typologie socio-économique des cantons français21 obtenue par analyse factorielle de vingt-cinq critères (démographiques, agricoles, autres activités économiques, emploi, cadre de vie, revenus) confirme ces caractéristiques locales. Certes, les cantons ruraux en crise y sont bien représentés mais les plateaux du sud-est du Bassin parisien présentent une situation plus nuancée que bien d’autres espaces français, comme le Morvan, le Limousin, la marge sud du Massif central, où les situations de crise sont générales. Cependant, sur les plateaux de Bourgogne, de Langres et du Barrois, les cantons qui se positionnent en bonne place le doivent à leur agriculture alors que l’on relève des carences dans l’équipement en services de proximité, pour cause de faible densité. La réactualisation de ces typologies cantonales des espaces ruraux français, réalisée par le SEGESA en 2003 pour le compte de la DATAR et du Commissariat général au plan, situe ces cantons en position généralement intermédiaire : même si les deux catégories les plus défavorables « rural agricole vieilli et peu dense » (huit cantons) et « rural ouvrier » (six cantons, surtout sur les plateaux haut-marnais) sont bien représentées, « le rural en transition », en situation médiane, caractérisé par une dynamique démographique faiblement positive, un solde migratoire positif, une surreprésentation de l’emploi agricole et agroalimentaire et une faible ou assez faible densité de peuplement, est de loin le type de campagne le plus représenté parmi les quarante cantons des plateaux du sud-est du Bassin parisien, très représenté notamment sur le plateau de Bourgogne de l’Yonne. Pour ce dernier cas, l’évolution des politiques agricoles et agroalimentaires constitue un enjeu capital pour l’avenir de l’espace rural. Les diagnostics de territoire réalisés au début du xxie siècle dans le cadre de la mise en place des pays (Tonnerrois, Châtillonnais et pays de Langres22) soulignent également les ambiguïtés entre une agriculture considérée comme un secteur stable ou fort de l’économie locale, malgré des fragilités rencontrées çà et là, et une fragilité rurale plus apparente, particulièrement dans le secteur d’Auberive et sur le Châtillonnais, où l’on n’hésite pas à parler de « grandes difficultés économiques ».
Un espace bénéficiant des fonds structurels européens
23Les zones 5 B (1994-1999), définies par un bas niveau de revenu général, un taux élevé d’emplois agricoles, une faible densité de population et un dépeuplement certain concernent largement les plateaux de Bourgogne, de Langres et du Barrais. La carte 9 présente le détail par canton pour les trois départements de la zone d’étude. Le nouveau zonage pour la période 2000-2006, répondant à un contexte européen de maîtrise des dépenses budgétaires et d’élargissement à l’est, s’avère beaucoup plus restrictif. Quelques cantons des plateaux de basse Bourgogne (Yonne et Côte-d’Or), ne bénéficient plus au mieux que d’un soutien transitoire pour la période 2000-2002 (Noyers, Ancy-le-Franc, Coulanges-sur-Yonne, Grancey-le-Château), pour la plupart de leurs communes, et la délimitation est devenue nettement plus restrictive en Haute-Marne, par rapport au zonage 1994-1999 : à part les communes situées dans l’axe de la vallée de la Marne ainsi que le sud-ouest du département (Montagne), la plupart des communes du Barrais n’ont bénéficié que d’un soutien transitoire jusqu’en 2002.
24En Bourgogne, l’utilisation des fonds structurels 5 B a été programmée dans des plans régionaux de développement coordonnés (PRDC), zonés en fonction des périmètres d’intervention retenus. Les PRDC concernant les plateaux de Bourgogne intéressent presque complètement le Tonnerrois et le Châtillonnais : des axes de développement portant sur la consolidation du tissu rural et l’organisation du territoire, sur les équipements commerciaux et de services, sur l’industrie et l’artisanat, sur le tourisme, sur les activités liées à la forêt ont été entrepris et programmés. Le premier constat réalisé au moment de l’élaboration du PRDC, et confirmé au moment de l’élaboration des chartes de pays au début des années 2000, montre que la situation est plus grave en Châtillonnais qu’en Tonnerrois. Surtout, on montre que, dans les années 1980 et jusqu’au début des années 1990, la diminution de l’emploi est due à la disparition d’emplois de services et de commerce liés en grande partie à l’agriculture. La concentration agricole, dans les années 1980, à la veille de la réforme de la PAC de 1992, serait, selon le diagnostic de territoire, responsable de près de 75 % des disparitions d’emplois dans ce secteur. De 1982 à 1990, les emplois agricoles dans la production, la collecte, la transformation (fusion, rachat, regroupements dans les coopératives) et les services représentent 72 % des 1 136 emplois en moins constatés. Depuis la mise en place de la réforme de la PAC de 1992, la concentration s’est encore accélérée. Les cantons du Châtillonnais apparaissent les plus éloignés des aires urbaines pourvoyeuses d’emplois et capables de générer des mouvements pendulaires, sauf pour le canton de Grancey-le-Château, désormais de plus en plus dans l’orbite dijonnaise. Parallèlement, les emplois commerciaux apparaissent davantage touchés dans le Châtillonnais que dans le Tonnerrois. La stratégie de développement définie dans le PRDC au cours des années 1990 s’attache d’abord à repenser les principes de l’organisation de ce territoire, par une meilleure hiérarchisation des services et des activités entre les différents niveaux de bourgs. On cherche à créer un tissu continu entre les cent soixante et une petites communes rurales non équipées, les vingt-quatre communes relais encadrant le territoire pour les services les plus courants, et les pôles ruraux de Châtillon-sur-Seine et de Tonnerre. On cherche à s’appuyer prioritairement sur quatorze bourgs secondaires bien reliés entre eux et aux pôles ruraux. En revanche, l’industrie, premier employeur sur les plateaux, résiste mieux sur les plateaux de Côte-d’Or que dans le Tonnerrois. Le nombre d’emplois dans les secteurs du bois, de la pierre, des matériaux de construction a même augmenté dans les années 1980-1992. Cependant, la réduction d’effectifs a été marquée dans les secteurs de fonderie-métal concentrés, pour les deux tiers des emplois, dans le canton de Châtillon-sur-Seine. Le CEA23 de Valduc à Salives, dans le canton de Grancey-le-Château, est toujours un des premiers employeurs. Cependant, on compte beaucoup plus sur les activités touristiques pour promouvoir la région, son image et son économie. Un réel effort a été entrepris pour augmenter la capacité d’hébergement, aménager ou créer des sites touristiques, mettre en valeur le patrimoine historique notamment dans le Tonnerrois, et s’appuyer sur l’important patrimoine forestier.
25Les CLARE châtillonnais et tonnerrois, (contrats locaux d’adaptation et de restructuration agricole, volet agricole du PRDC) correspondent-ils à une prise en compte erronée des besoins agricoles ? Des actions ont été entreprises par les chambres d’agriculture afin de faire bénéficier les agriculteurs de ces territoires de subventions qui n’apparaissent pas forcément efficaces, ou peu liées à des besoins réels. Le programme d’intervention agricole du PRDC des plateaux de Bourgogne cherche à « valoriser les systèmes de production, notamment la filière animale », et « maintenir le tissu d’exploitations ». Les mesures annoncées sont très classiques : assurer un suivi d’exploitation afin de prévenir les problèmes de transmission et de reprise, faciliter l’installation des jeunes, renforcer les systèmes de production en filière animale et, en filière végétale, intégrer les préoccupations environnementales de diminution des intrants et de qualité des productions. On cherche aussi à promouvoir la diversification agricole. Le PRDC cherche à s’appuyer sur la renaissance du vignoble, d’abord en Tonnerrois, dès les années 1980, mais également en Châtillonnais. D’autre part, on commence à mettre en pratique la multifonctionnalité de l’agriculture : l’hébergement à la ferme, les produits du terroir, la viticulture, constituent des produits d’appel forts. En retour, la promotion touristique des plateaux, la publicité faite autour des pays d’accueil des plateaux de Bourgogne et la volonté de créer une identité ou une image commune peuvent encourager le choix d’activités et de production de diversification par les agriculteurs, renforçant les dynamiques de rétroaction positives. Cela représente en fait un idéal de développement. On admet que les systèmes de production des plateaux et leurs exploitations dégagent de hauts revenus au moment de la mise en place de la PAC de 1992 et apparaissent productifs, ayant accompli un effort de modernisation dans les années 1970-1980. La plupart des exploitations agricoles n’ont pas besoin d’une aide de quelques milliers de francs pour acheter un pulvérisateur, matériel le plus fréquemment subventionné en Tonnerrois. Cependant, le saupoudrage financier auquel ce programme a donné lieu aurait pu servir à financer des projets plus cohérents dans des régions à l’agriculture plus fragile.
26Un constat de fragilité plus général est dressé pour la Haute-Marne qui représente la plus grande partie des projets liés au programme 5 B, pour la période 1994-1999, en région Champagne-Ardenne. Seuls trois cantons haut-marnais y échappent : Chaumont-nord, Chaumont-sud et Nogent-en-Bassigny. On insiste ici davantage, dans les projets agricoles, sur la petite diversification et le développement de l’agroalimentaire de première transformation et sur la promotion des produits régionaux. On met moins en avant les aides spécifiques à la grande culture et aux pollutions liées, mais on insiste plutôt sur la maîtrise des effluents d’origine animale, dans les systèmes d’élevage ou systèmes mixtes. La situation de l’agriculture, davantage marquée par l’élevage, apparaît, au moment de la mise en place de la PAC de 1992, moins favorable qu’en Châtillonnais ou en Tonnerrois, en regard du degré de modernisation et de productivité inférieurs, du problème du renouvellement des exploitants. Or, l’agriculture emploie toujours de 15 à 20 % des actifs. Cependant, l’industrie est un pourvoyeur notable d’emplois, essentiellement dans des PME (agroalimentaire, scierie, meubles, plasturgie, métallurgie, biens d’équipement, textile-habillement, maroquinerie). Les cantons du nord du Barrois en Haute-Marne sont concernés en 1994-1999 par l’objectif 2 des cantons industriels en crise, marqués par un taux de chômage supérieur à la moyenne : il s’agit de six cantons, Blaiserives, Doulaincourt, Joinville, Chevillon, Vignory et Wassy, entre Chaumont et Saint-Dizier, aujourd’hui classés en partie seulement dans l’objectif 2 des fonds structurels européens, au titre de la fragilité rurale, mais également des difficultés de reconversion industrielle.
L’enjeu territorial et social au début des années 1990
27La population agricole et la population active agricole n’apparaissent jamais dominantes, mais leur représentation est nettement supérieure à la moyenne française. Les actifs agricoles représentent un peu plus de 15 % de la population active, sur les plateaux, et leur surreprésentation est marquée sur le plateau de Langres de Côte-d’Or où ils représentent près de 20 % des actifs ayant un emploi dans 6 cantons (Laignes, Aignay-le-Duc, Baigneux-les-Juifs, Recey-sur-Ource, Grancey-le-Château, Saint-Seine-l’Abbaye), alors que la moyenne départementale est proche de 4 %, selon le RGP de 1999. Les ouvriers représentent, dans trente-trois cantons des plateaux sur quarante, plus de 30 % de la population active ayant un emploi. Les plateaux, particulièrement en Haute-Marne (nord du Barrois et en vallée de la Marne) et en Côte-d’Or, sont occupés par la construction mécanique, la métallurgie, la première transformation du bois, à Châtillon-sur-Seine, Montbard (métallurgie), à Is-sur-Tille et à Selongey (électroménager SEB). En Haute-Marne, les activités industrielles et métallurgiques du nord du département ainsi que la présence de MIKO, industrie agroalimentaire employant plusieurs centaines de salariés à Saint-Dizier et dans les cantons voisins, les forges de Bologne, la coutellerie nogentaise, le groupe Bongrain (laiterie et fromagerie) à Illoud, en limite du Barrois, attirent une population active nombreuse. Les actifs des cantons de Juzennecourt et Blaiserives trouvent à s’employer dans les entreprises de Bar-sur-Aube, dans l’Aube. Sur les plateaux icaunais, par contre, la présence ouvrière est moins forte, saut dans la vallée de l’Armançon, à Tonnerre et à Ancy-le-Franc. Elle trouve à s’employer dans les établissements industriels de construction mécanique, bâtiment et cimenterie (Lafarge) dans le canton d’Ancy-le-Franc, les établissements tonnerrois mais surtout ceux des cantons de Flogny (laiterie et fromagerie), et de Saint-Florentin, où l’activité industrielle dans la métallurgie et les industries diverses est beaucoup plus marquée. La proximité des établissements industriels auxerrois permet de diversifier la composition socioprofessionnelle des cantons des plateaux de Bourgogne de l’Yonne proches.
28Or, la présence territoriale de l’agriculture, parallèlement à la forêt, est forte sur les plateaux. L’agrandissement moyen des exploitations dans des systèmes de production simplifiés et modernisés permet une occupation très large du territoire, bien que la moyenne d’occupation du territoire par la SAU sur les plateaux (50,4 %) soit inférieure à la moyenne française (54,5 %). C’est sur le plateau de Langres central que la part de la SAU apparaît la plus faible, avec moins de 40 % pour les cantons d’Auberive et Recey-sur-Ource. Cela s’explique par l’étendue des forêts qui occupent plus de 50 % des superficies totales cantonales cadastrées en Châtillonnais et sur le plateau de Langres haut-marnais, ainsi que dans le nord-est du Barrois : cantons de Châtillon-sur-Seine, Montigny-sur-Aube, Recey-sur-Ource, Grancey-le-Château, Auberive, Arc-en-Barrois, Doulaincourt-Saucourt, Andelot-Blancheville. Ces deux modes d’utilisation du sol occupent 88 % des finages en moyenne, les valeurs maximales étant relevées à Andelot-Blancheville, Baigneux-les-Juifs et Arc-en-Barrois (> 97 %). L’enjeu spatial ou territorial de la forêt recouvre également un enjeu économique. La forêt de Côte-d’Or se situe essentiellement sur le plateau de Langres central, notamment en Châtillonnais, où l’on rencontre les grandes forêts domaniales de la région. Les forêts domaniales n’occupent en Haute-Marne que 31 000 hectares. Elles représentent l’héritage des forêts royales et des abbayes. Les plateaux haut-marnais regroupent 56 % des superficies forestières soumises dans le département. La part de la forêt publique est surreprésentée sur les plateaux (66 %), par rapport à la moyenne départementale (51 %). Le mode d’appropriation juridique de la forêt conditionne en partie la nature des aménagements qui y sont effectués, ainsi que l’utilisation économique de la forêt (tableau 5).
29Le premier type d’utilisation qui s’impose est la production de bois. Les diagnostics de territoire, au moment de la définition des programmes de développement liés à l’utilisation des fonds structurels 5 B, au début des années 1990, insistent sur la valorisation insuffisante des ressources forestières, particulièrement en Tonnerrois. En Haute-Marne, la valorisation par l’économie globale de la chasse rapporterait bien plus que la seule production de bois. En Châtillonnais, on remarque une concentration d’industries de première transformation du bois. Les scieries de feuillus sont souvent vieilles et vétustes mais procurent un nombre notable d’emplois quand on sait que la récolte de 1 000 m3 de bois induit, en Bourgogne, un emploi pour l’exploitation forestière directement, et huit à dix emplois dans l’ensemble de la filière. Cependant, en Châtillonnais, en dehors des scieries, on ne rencontre que deux entreprises de carbonisation et chimie du bois et deux de déroulage, tranchage du bois. Sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne, l’économie forestière est très réduite. Il n’existe que trois entreprises de première transformation du bois, surtout dans le sud de l’Auxerrois et le secteur de Vézelay. Dans les PRDC de Bourgogne, sur les plateaux, la majorité des mesures concerne la valorisation des ressources forestières, essentiellement par plantation de hêtres, fruitiers et autres essences feuillues précieuses ainsi que le boisement de terres délaissées par l’agriculture. On cherche à encourager la desserte collective des massifs forestiers, ainsi que l’installation de jeunes artisans forestiers ruraux. Sur les plateaux de Bourgogne, il n’existe quasiment pas de schéma de desserte collective à la fin des années 1990, selon le schéma des services collectifs des espaces naturels et ruraux établi en 1999, pour la région Bourgogne. D’autre part, en Châtillonnais, l’effet des mesures de boisement des terres agricoles est presque nul. Au contraire, cette grande région forestière est une des seules en Bourgogne, selon l’Inventaire forestier national de 1996, où l’on continue à déboiser pour remettre en culture quelques hectares tous les ans.
30En Haute-Marne, le plateau de Langres central apparaît le plus forestier, avec près de 60 % de superficies forestières à Auberive. Selon le diagnostic de territoire réalisé en 1995 par l’Association locale de développement des cantons du plateau de Langres installée à Auberive (ADECAPLAN), la forêt apparaît convenablement gérée grâce à l’action d’un syndicat intercommunal existant depuis 1973 ; c’est le premier syndicat de ce genre créé en France et il est aujourd’hui l’un des premiers pour la superficie couverte. Par cette gestion collective, les communes reçoivent chaque année un revenu régulier. Cependant, les forêts privées sont, comme ailleurs sur les plateaux, handicapées par la nette sous-valorisation de leur potentiel, dans des structures de propriété et de parcellaire souvent morcelées. Or, la forêt crée plus de cent emplois, essentiellement dans le canton d’Auberive, pour la production et la première transformation du bois (quatre scieries). Les principaux projets de l’ADECAPLAN sont de dynamiser la filière locale par des aides aux investissements et aux aménagements fonciers, par la mise en réseau des exploitants et par la promotion de nouvelles activités de découverte, de détente, de loisirs, pour une utilisation multifonctionnelle de la forêt. Le programme de développement pluriannuel pour la période de 1997 à 1999 a mis clairement en avant un axe touristique « s’appuyant sur les potentialités locales », particulièrement une action permettant de « valoriser le patrimoine cynégétique », en plaine mais également en forêt, et capable d’exploiter au mieux le « patrimoine halieutique ».
31Cependant, sur les plateaux, les liens entre agriculture et milieu forestier sont ténus. Selon les Centres régionaux de propriété forestière, les agriculteurs représentent moins de 10 % de la propriété forestière privée et se désintéressent de l’exploitation des bois. Néanmoins, la forte densité de gibier occasionne des dégâts très importants sur les cultures, indemnisés par les fédérations départementales de chasse. On cherche à développer une politique de prévention en encourageant les cultures à gibier et l’installation de clôtures, mais les agriculteurs répondent de façon inégale à ces programmes. Les schémas des services collectifs des espaces naturels et ruraux24 définissent le rôle social et culturel de la forêt en Bourgogne et Champagne-Ardenne. Si les paysages mixtes, associant culture et forêt l’emportent sur les plateaux de Bourgogne de l’Yonne, l’aspect forestier domine nettement sur le plateau de Langres central. Cependant, un des principaux points d’appui touristique repose sur la richesse cynégétique, dont l’exploitation économique, générant des revenus importants pour les communes propriétaires de forêts, très représentées en Haute-Marne, peut s’avérer incompatible avec les activités de randonnée. La contribution des plateaux au maintien de la biodiversité, quoique marginale, est attestée par la localisation de sites ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique) dans le canton de Cruzy-le-Châtel, dans l’est du Châtillonnais, sur le plateau de Langres et dans le sud du Barrois (cantons d’Auberive, Arc-en-Barrois, Châteauvillain). C’est surtout la forêt qui contribue à cette diversité. Les forêts de Châtillon-sur-Seine, Is-sur-Tille, Francheville, Val Suzon, ouvertes sur le plateau de Langres haut-marnais et le sud du Barrois (Auberive, Arc-en-Barrois, Châteauvillain), représentent un espace de première importance dans la trame verte et constituent un enjeu patrimonial certain. Les études prospectives reconnaissent assez peu d’enjeux territoriaux aux plateaux du sud-est du Bassin parisien, qualifiés « d’espaces forestiers » et d’espaces « de grande culture » dans lesquels le manque d’utilisation des attraits (forêt) ou la perte d’attraits (type de développement agricole) répondent à des paysages banalisés. Les enjeux pour l’avenir tiennent en quelques mots : une agriculture respectant mieux l’environnement et notamment les ressources en eau, la diversification des productions, la préservation ou la reconstitution de paysages plus variés, avec bois, haies, bosquets et murets, une production de qualité, tant agricole que forestière, une gestion durable et le développement de l’agritourisme prenant appui sur les deux principaux enjeux des plateaux, par l’intermédiaire de l’hébergement rural, des productions du terroir et de la richesse cynégétique en grand gibier. Le projet, aujourd’hui provisoirement en attente, de parc naturel des plateaux de Langres et de Bourgogne en Côte-d’Or et en Haute-Marne, s’appuie en grande partie sur la trame verte forestière et l’image patrimoniale forte qu’elle peut représenter, sans négliger l’eau, la pierre, le patrimoine cistercien, la topographie et les parcours de randonnée. Or si la forêt représente, avec l’agriculture, le seul enjeu territorial des plateaux, seul le monde agricole a connu la remise en cause, par la PAC de 1992, de ces organisations communes de marché. La conjoncture économique, les préoccupations écologiques, la critique d’une agriculture productiviste, les exigences de qualité et de traçabilité, la revendication d’un développement durable ont renforcé, au cours des années 1990, les interrogations autour de l’enjeu territorial agricole.
Notes de bas de page
1 110,4 hectares en Seine-et-Marne et 94 hectares dans l’Oise.
2 Benoît Tassin, S. Latroy, C. Micheluzzi, H. Toussaint, Les Régions intermédiaires et le projet de réforme de la PAC, Chambres d’agriculture des régions Bourgogne, Centre, Poitou-Charentes, document interne, 1998.
3 Carte des mutations de l'espace rural français, 1950-1980, Pierre Brunet dir., Caen, Centre de recherche sur la vie rurale de l’université de Caen, CNRS, 1984, p. 123, p. 125.
4 Dans le canton de Chablis.
5 J.-J. Bavoux, « La Bourgogne, un archétype d’espace intermédiaire ? », Annales de géographie, 570, (1993), p. 162-174. J.-J. Bavoux, J.-B. Charrier, « Toscane, Bourgogne, et circulation, deux régions intermédiaires », L’Information Géographique, 2, (1995), p. 143-163. J.-J. Bavoux, Le Carrefour bourguignon, analyse d’un espace de circulation, Paris, CNRS Éditions, coll. « Mémoires et Documents de géographie », 1994.
6 D. Lamarre, « Propos de géographie haut-marnaise », Les Cahiers haut-marnais, 163, (1985), p. 12-15.
7 SCEES, INSEE, Inventaire communal, 1998.
8 R. Chapuis, « Oser le désert en Bourgogne », dans Le Rural profond français, R. Béteille, S. Montagné-Villette dir., Paris, SEDES, DIEM, p. 131-136.
9 Ibid., p. 31.
10 Espace à dominante rurale incluant des pôles ruraux (qui sont également des unités urbaines, comme Tonnerre ou Châtillon-sur-Seine), selon la nouvelle définition proposée par l’INSEE en 1996, le zonage en aire urbaine, remplaçant les ZPIU. « Les campagnes et leurs villes », Portrait social, contours et caractères, Paris, INSEE, 1998.
11 Selon Roger Béteille, en dessous de trente habitants au km2, on peut parler d’espaces sous-peuplés. R. Béteille, La France du vide, Paris, Litec, 1981.
12 B. Kayser, La Renaissance rurale, sociologie des campagnes du monde occidental, Paris, A. Colin, 1990. B. Kayser, Naissance de nouvelles campagnes, Paris, DATAR-Éditions de l’Aube, 1993.
13 R. Béteille, 1981, op. cit., p. 31.
14 Id., La Crise rurale, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », no 2914,1994.
15 P. Bessy-Pietri, M. Hilal, B. Schmitt, « Recensement de la population 1999, évolutions contrastées du rural », INSEE Première, 726, (2000).
16 Allier, Cantal, Nièvre, Saône-et-Loire, Indre, Ardennes, Haute-Marne, Paris, Corrèze, Creuse, Meuse, Vosges, Aveyron, Hautes-Pyrénées, Orne.
17 Société d’études géographiques et sociologiques appliquées.
18 Travaux entrepris par le SEGESA à la fin des années 1980 et au début des années 1990, réactualisés en 2003 et donnant lieu à des publications pour le compte de la DATAR. J.-C. Bontron, J.-W. Aitchison, Rapport sur l'identification des zones fragiles en France, SEGESA, DATAR, 1987. J.-C. Bontron, S. Cabanis, L. Velard, Nouvelle approche de la diversité des agricultures régionales, SEGESA, DATAR, 1992. J.-C. Bontron, S. Cabanis, Essai de typologie socio-économique des cantons français, SEGESA, DATAR, 1993. DATAR, Quelle France rurale pour 2020 ? Contribution à une nouvelle politique de développement rural durable, La Documentation française, Paris, 2003, 64 p. ; voir la carte p. 25.
19 Critères de revenus par exploitation et par unité de travail, de formation des chefs d’exploitation, de surface agricole peu productive, de diversification, de la part des exploitations de faible dimension économique, de pluriactivité familiale, d’indice de vieillissement, d’âge à l’installation, de pourcentage de jeunes récemment installés, de potentiel de reprise d’exploitation, de part de la SAU libérée ou non libérée et de variation de la population agricole familiale.
20 Communes sans maternelle, excédent naturel annuel, taux de population agricole familiale, enclavement par rapport aux services, variation de population totale de 1975 à 1990, densité d’actifs agricoles, célibat agricole et les quinze critères agricoles précédemment cités.
21 J.-C. Bontron, S. Cabanis, 1993, op. cit., p. 37.
22 Charte du pays châtillonnais, diagnostic de territoire, Syndicat mixte du pays châtillonnais, Catherine SADON pour Philippe-Laurent consultants et Arnaud de Champris pour Cabinet ECS, juin 2002 ; Charte du Pays de Langres, diagnostic territorial, Association de préfiguration du pays de Langres, ACEIF, avril 2002 ; Charte de territoire, Syndicat mixte du pays Tonnerrois, SIAECAT, ACEIF, 2001.
23 Commissariat à l’énergie atomique.
24 Schéma des services collectifs des espaces naturels et ruraux, contribution de la Bourgogne, contribution de la Champagne-Ardenne, DIREN et préfectures de région, 1999-2000. Il s’agit de schémas de services réalisés à la demande du CIADT (Comité interministériel à l’aménagement du territoire) du 15 décembre 1998 et représentent le projet et l’état des lieux de chaque région dans le cadre de la mise en place et de l’application de la Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) de 1999.
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