Conclusion de la deuxième partie
p. 223-224
Texte intégral
1L'examen des traces glaciaires des divers massifs de l'Apennin central conduit à reconnaître la supériorité relative du paléoenglacement du Grau Sasso. Aucun autre massif n'abritait de glacier aussi long que ceux du Campo Imperatore (10 km) et de l'Arno (9 km), et le front glaciaire de l'Arno (1000 m environ) devait être le plus bas de l'Apennin central. Les massifs du Velino et du Monte Greco possédaient chacun un glacier de plus de 7 km de longueur. Et dans la Maiella, presque aussi élevée que le Gran Sasso, le plus long glacier de vallée fondait vers 1500 m d'altitude après un trajet de 5,5 km seulement. Dans tous les autres massifs de l'Apennin central, les glaciers étaient de longueur encore plus réduite, au maximum de l'ordre de 5 km environ dans les Sibillini, 4-4, 5 km dans le Terminillo et les Simbruini, et seulement 2 km dans le Matese.
2Cependant, les traces glaciaires des massifs de l'Apennin central autres que le Gran Sasso sont loin d'être négligeables. Nous relevons ainsi que le Velino compte un nombre de cirques bien supérieur à celui du Gran Sasso, et que c'est dans ce massif et la Maiella que se localisent les plus grands cirques de l'Apennin central. D'authentiques auges glaciaires existent en dehors du Gran Sasso, avec une mention particulière pour la vallée glaciaire de Majelama (Velino), singulière par son orientation au Sud et l'existence d'un gradin de confluence au débouché d'une vallée glaciaire suspendue. Tout aussi remarquables sont les puissantes accumulations morainiques des montagnes du Parc National des Abruzzes ou du Velino.
3En outre, nous avons insisté sur l'altitude étonnamment basse des modelés glaciaires des massifs proches de la mer Tyrrhénienne. En dépit de leur médiocre élévation, tous ces massifs ont vu se développer des glaciers favorablement exposés jusqu'à des altitudes comparables à celles des fronts glaciaires de l'ubac du Gran Sasso (1000-1200 m) ; dans les Monts Simbruini, la moraine de Rendinara (1026 m) mérite d'être reconnue comme la plus basse moraine de tout l'Apennin central. Nous avons mis en évidence l'abaissement de l'altitude minimale des lignes de crête présentant un modelé de cirque en ubac, de la mer Adriatique en direction de la mer Tyrrhénienne : de 2000-2100 m dans le Gran Sasso (et 2400 m dans la Maiella), cette valeur descend à 1900-2000 m dans le Velino et 1800-1900 m dans les Monts Simbruini, c'est-à-dire qu'elle décroît du Nord-Est vers le Sud-Ouest. Un tel gradient correspond à celui de l'ancienne limite topographique des neiges permanentes. La dissymétrie Ouest-Est dans la répartition des cirques, très accusée dans les massifs d'orientation méridienne comme les Sibillini, montre que l'essentiel de l'alimentation neigeuse était assuré par des vents d'origine tyrrhénienne. Selon F. Klüte (1951), l'avantage relatif en précipitations de l'Apennin central proche de la mer Tyrrhénienne était encore plus accentué au Würm qu'aujourd'hui. La vigueur du gradient de continent alité vers l'Est des péninsules méditerranéennes à l'époque würmienne est reconnue ; ce gradient était particulièrement accusé dans la péninsule italienne du fait de l'assèchement d'une bonne partie de la plate-forme continentale adriatique.
4La chronologie relative du paléoenglacement avancée à partir de l'étude du Gran Sasso se trouve confirmée et affinée à l'issue de l'examen des autres massifs de l'Apennin central. Grâce à l'encadrement chronologique absolu des dépôts fluvioglaciaires de Majelama, il est bien établi que la dernière expansion glaciaire maximale qu'ait connue l'Apennin central coïncide avec le Würm récent. Pour les étapes de la déglaciation fini-würmienne, le dédoublement du stade apenninique II s'impose au vu de la distribution altitudinale des moraines de retrait du Velino, de la Maiella et des Sibillini : dans ces massifs, la déglaciation a été totale à la fin du stade apenninique IIb ; ce dernier stade pourrait correspondre à la pulsation froide du Dryas récent, marquée dans le Piano di Aremogna par des accumulations d'origine éolienne recouvrant un niveau lacustre dont la base a été datée de 12.850 ± 800 B.P. Dans l'ensemble de l'Apennin central, la grande phase de déglaciation se place avant le stade apenninique IIa, plus ancien que 12.850 ± 800 B.P. : elle a été marquée par un important travail des eaux fluvioglaciaires, responsables de l'entraînement des accumulations morainiques et de la construction de cônes dans les bassins de pentes modérées.
5Enfin, sans recéler de témoignages polyglacialistes aussi évidents et riches que le Gran Sasso, les autres massifs de l'Apennin central montrent quelques traces probables d'un englacement pré-würmien. Pour les formes d'accumulation, nous ne retenons que la moraine externe du Piano di Aremogna, et le lambeau de cône fluvioglaciaire du Colle delle Renare (Velino). Nous avons également identifié deux formes redevables à l'érosion de glaciers préwürmiens : le cirque supérieur de la Forca Viola (Sibillini) et le col de diffluence du Vado di Pezza (Velino). Comme dans le Campo Imperatore, il apparaît que l'englacement du Würm récent s'est maintenu en retrait par rapport aux limites de l'englacement précédent.
6Notre approche des héritages glaciaires de l'Apennin central, qui a nécessité un travail de révision des traces glaciaires déjà mentionnées, conduit à confirmer le principal gradient du paléoenglacement würmien. Malgré leurs différences d'altitude héritées de l'évolution tectonique plio-quaternaire, les massifs de l'Apennin central adriatique et ceux proches de la mer Tyrrhénienne ont abrité des glaciers qui fondaient à des altitudes comparables : belle illustration de la compensation du facteur altitudinal par un facteur climatique régional. Dans l'Apennin central, l'impact climatique de la latitude a été largement contrebalancé par le gradient d'humidité décroissant vers le Nord-Est. L'étude des domaines glaciaires du Nord et du Sud de l'Apennin devrait permettre d'apprécier à plus petite échelle l'effet de la latitude dans la répartition du paléoenglacement.
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