La logique comme géométrie du cognitif (manifeste1)
p. 13-29
Texte intégral
1. Feu le xxe siècle
1Replacer la philosophie au centre de l’activité scientifique, réhabiliter la philosophie des sciences, quel programme ! Pour cela, nous proposons de réactiver l’outil majeur que constitue la logique, en la dégageant de l’ornière du « tournant linguistique » ; cette réactivation se ferait au moyen de la géométrie, un » tournant géométrique » en quelque sorte. La géométrisation devient possible − et surtout nécessaire − du fait de l’irruption du cognitif, qui rend caduc le vieux paradigme vérisme/dualisme/atomisme/essentialisme hérité du xxe siècle, le siècle du scientisme.
2Le scientisme recherche des réponses, alors que la science chercherait plutôt des questions. Vers 1900, on cherchait des « solutions finales2 », toutes les questions devant trouver leur réponse, un peu comme des vierges leur mari. Le scientisme, qui ne peut pas faire d’erreur, s’attaquait dès 1904 aux problèmes raciaux : 80 000 Hereros pendus en Namibie, au nom de l’eugénisme ... et ce n’était que le deuxième Reich. Et que dire de la solution finale des conflits de classe, l’extermination des « Koulaks », au nom de la « science »marxiste, au début des années 1930 ? Le paradigme que nous critiquons n’est pourtant affilié à aucun des « ismes »meurtriers du siècle passé ; mais il s’est nourri à la même mamelle, celle d’une régression sans précédent de la pensée, concomitante d’un progrès technique, lui aussi, sans précédent.
2. Une aussi longue absence
3Le siècle dernier a ainsi vu s’accentuer le fossé entre la science et la réflexion sur la science. D’un côté, des scientifiques (souvent) excellents qui s’adonnent au réductionnisme Jivaro, de l’autre des philosophes (toujours) cultivés qui s’imaginent pouvoir discourir sur la science à partir de données recueillies (au mieux) dans des textes de vulgarisation. Pôles de la même pile, s’ils se méprisent ... allègrement, ils s’accordent sur l’essentiel : la philosophie n’est pas une activité très sérieuse. Tweedledum pense que c’est bien sympa, mais pas vital : passez, Guillaume d’Ockham ! Tweedledee voit le scientifique comme un technicien, une espèce de cuisinier qui prépare des plats, mais dont le goût n’est pas assez sûr pour les apprécier à leur juste valeur.
4Dire que le scientifique ne comprend pas ce qu’il fait, c’est un peu raide. Les nouvelles théories n’émergent tout de même pas par sélection naturelle ... Le scientifique « sait »donc ce qu’il fait, même s’il l’exprime « à sa manière » : ainsi, souvent, un surmoi scientiste vient-il brouiller son message. Mais il ne faudrait pas non plus tomber dans l’excès inverse et prétendre que la communication n’est qu’une activité futile. Car enfin, on doit communiquer avec ses collègues, et surtout avec soi-même ; cette communication, c’est la réflexion méthodologique qui oriente le travail, le met en abîme, c’est le choix des problèmes, des directions porteuses, et c’est bien du domaine de la « philosophie ». Et, devant une parcellisation du savoir sans précédent, la réflexion sur la science est devenue une priorité, aussi bien pour le » savant »chevronné que pour le néophyte qui « entre en science ».
5Pour sûr, le temps des grands « honnêtes hommes » est révolu, il n’y aura jamais plus de Descartes, de Pascal, de Leibniz. La spécialisation est telle que quand un scientifique domine les principales branches de son domaine, sans même y faire d’étincelles, il passe ipso facto pour un Pic de la Mirandole ... Entendu, mais on doit plaider une sorte d’« exception culturelle » quant à la philosophie des sciences. S’il n’y a plus aujourd’hui de philosophe mathématicien-physicien-astronome, on peut rêver d’une médiation entre ces activités irrémédiablement découplées.
3. Le tournant linguistique
6Le médiateur entre science et philosophie, ce pourrait être le logicien. En fait, la logique − par delà une étymologie qui la ramène trop au langage − ne se définirait-elle pas comme le carrefour entre science et philosophie ? Quoi qu’il en soit, elle est bien placée pour cela − et entre nous, ce n’est pas trop original.
7Cette remarque sous-tendait le « tournant linguistique »du siècle passé, un moment d’une extrême importance. Le tournant linguistique, en donnant au langage une place prépondérante, s’opposait au vérisme3de manière, sinon convaincante, du moins sincère à l’origine. Très vite le projet a trouvé ses limites : tout ramener aux propriétés du langage, c’est hardi et intéressant, mais cela confère aux dites propriétés une exterritorialité douteuse. On parle de « méta »-propriétés, et de méta en méta, à la manière d’une poupée gigogne, chacune déresponsabilisant la suivante, le tournant s’est mis à ... tourner en rond, disque rayé, vortex fondationnel où deux tortues se poursuivent en se mordant la queue, croyant avancer alors qu’elles font du surplace. C’est ce que nous dit le théorème de Gödel de 1931 : formellement, il enregistre l’échec de l’« exterritorialité ». Après cette date, le « tournant »n’est plus, au niveau conscient du moins, qu’une activité purement scholastique, académique.
8La vision dominante − contre-réforme consécutive au théorème de Gödel − est conforme à la théologie nestorienne : tout repose sur une trinité Sémantique / Syntaxe / Méta. Le Fils (ou Verbe) ne reflète qu’imparfaitement son père (la Sémantique), c’est l’incomplétude comme non consubstantialité du Fils. Heureusement que le Saint-Esprit est là, un peu roublard, pour brouiller les cartes : c’est le Méta, le Polyfilla des fissures fondationnelles. Cette vision s’est attiré le mépris cordial des scientifiques, qui préfèrent passer pour des platoniciens mal dégrossis plutôt que de carburer au méta.
9L’appel au méta revient à admettre le côté primitif, rétif à toute analyse, des opérations logiques4 : aux strates véristes (l’appel inévitable à la théorie des ensembles, voir infra)et dualiste(l’opposition syntaxe/sémantique) se surimpose un essentialisme douteux ... Après Nestorius, Thomas d’Aquin.
4. Augustin versus Thomas
10Le remède s’avère pire que le mal, il y a quelque chose de pourri dans le tournant linguistique. En regardant de près, on peut y distinguer deux aspects, d’une part un procéduralisme qui par nature est plus proche de l’existentialisme, d’Augustin5. D’autre part un atomisme qui voudrait réduire le complexe au simple, le gros au petit : on pense qu’une galaxie est faite d’étoiles, et non pas le contraire ; cet atomisme a échoué en physique, en biologie6. Il est responsable de la régression essentialiste, de la prégnance du « méta » dans le tournant linguistique.
11Certains logiciens, et non des moindres, pensons au débat Gödel/Bernays7, ont une position augustinienne : « la preuve est antérieure à l’énoncé prouvé8 », à l’opposé du thomisme de Tarski ou de Kreisel9. L’augustinisme en logique consisterait donc en une priorité donnée aux protocoles – qui sont de nature forcément un peu langagière − mais sans leur attribuer de sens apriori : le sens apparaît par polarisation, quand on se focalise sur certains protocoles, en « brisant la symétrie »pour ainsi dire. Pour un essentialiste, le protocole, le formalisme, la preuve, suivent la loi, lui obéissent ; l’existentialiste est plus « western10 » : il pend d’abord et juge après, les choses sont comme elles sont et non comme elles devraient être. Pourquoi cette tendance est-elle aussi minoritaire ? Il faut bien l’avouer, à cause du même atomisme qui a sévi par ailleurs : on ne peut pas donner une explication révolutionnaire du monde à partir de trois bouts de ficelle, en méprisant l’apport des vraies mathématiques, de la physique, et tout particulièrement du quantique. Pour présenter un point de vue » augustinien »conséquent, il faut que l’existence précède l’essence, mais de quelle existence parle-t-on ? Sûrement pas de celle des 26 lettres de l’alphabet ! D’où la quête de géométrie.
5. Le cognitif
12Mais pendant que certains dorment ..., la pierre des soirs tourne dans sa conque11 : mais pas en rond, insensiblement, elle se met à pointer vers une autre direction, le cognitif.
13Si le vérisme suppose une stricte ségrégation entre objet et sujet, on peut définir acontrario le cognitif comme l’objectivisation du sujet, qui devient un objet à part entière. Ainsi, le cerveau humain n’apparaît-il plus seulement comme un artefact relevant de la chimie, réalisant de façon approximative un sujet idéal, c’est le Sujet lui-même, consubstantiel à l’objet : le cognitif n’est pas Nestorien. Du cognitif, on en trouve en linguistique avec les verbes comme « je sais », « je crois », avec le conditionnel, avec la distinction parfait/imparfait... Mais c’est surtout la physique du xx e siècle qui fut cognitive. Déjà le chaos (Poincaré) énonçait une impossibilité pratique, celle de prédire le tirage du loto, ou plus noblement l’évolution à long terme du système solaire. Puis la relativité restreinte (Einstein, 1905) déréalisa le temps et l’espace, la masse. Mais, après tout, la mécanique Galiléenne était déjà une forme de relativisme, et, au beau milieu du xxe siècle, bien avant 1917, Rieman n avait eu l’intuition de la relativité générale. Quant au quantique (Heisenberg et al., 1925), il ne s’en prend plus simplement à la faisabilité de la mesure, ou au caractère absolu du résultat, il refuse jusqu’à l’objet mesuré, c’est le principe d’incertitude, qu’une fâcheuse assonance rapproche d’incomplétude, alors que l’incomplétude, stricto sensu, est un phénomène de type chaotique, qui énonce l’inconnaissabilité d’un phénomène par ailleurs objectif. Plus récemment, l’informatique s’en est aussi mêlé ; en effet, qu’est-ce qu’un ordinateur, sinon un sujet-objet ?
6. Le vérisme (anti-) cognitiviste
14Le cognitif étant la négation même du vérisme, il est donc naturel qu’on ait cherché à les concilier, ou plutôt à étouffer le cognitif dans un carcan réaliste. Un premier exemple : on a trouvé une analogie entre les phénomènes cognitifs et la prouvabilité formelle, ce qui est indéniable, mais comparaison n’est pas raison. Ainsi y a-t-il analogie entre un fer à repasser et un haut parleur, tous deux utilisent du courant alternatif ; pourtant un haut-parleur branché sur le 220V, c’est pas terrible. Il ne s’agit pas ici de refuser le processus − consubstantiel à la science − de réduction d’un nouveau phénomène ; il s’agit simplement − quand ce processus ne débouche que sur des atrocités − d’admettre l’irréductibilité de la nouveauté, un point c’est tout. Ainsi, était-il légitime de tenter de réduire le quantique au thermo dynamique au moyen de « variables cachées » ; mais pas d’insister devant des échecs irréfragables.
15L’analogie connaître / prouver suggère un pendant cognitif aux modèles. C’est ainsi qu’on a essayé de réduire le cognitif au vérisme au moyen de nouvelles valeurs de vérité (vrai, faux, attendez SVP, trop tard), avec des modalités − ces condoms12de la logique − (pour sûr, ça se pourrait bien). et, chaque fois, ce n’est pas ça. On arrive au mieux à des métaphores laborieuses13avec chaque fois un système (il-)logique ad hoc, i.e. centré sur la métaphore, qui se révèle métaphore de soi-même14. Un seul échec honorable, les modèles de Kripke − une idée marrante des années 1950, très supérieure aux « logiques »épistémiques et autres indignités −, mais qui se révèle stérile. On veut parler du potentiel, du conditionnel : c’est simple, on fait la liste de tous les mondes possibles. Mais, si la liste des possibles est déjà là, on se demande bien où se cache le potentiel, il est timide ou quoi ? Dans un problème qui demandait un redécoupage radical du Yaltaobjet/sujet, on s’est contenté de mettre des moustaches aux objets. De même, le problème du temps logique15et les « logiques » temporelles ; ce grand mystère de la nature, le temps, est évacué bureaucratiquement, on indice tout par le temps. Comme dit la chanson « si on pouvait arrêter les aiguilles ». .. ici, ce sont les horloges qui sécrètent le temps. La petite vibration cognitive est recréée par des moyens externes, des modèles qui obéissent à des indices perinde ac cadaver ..., les modèles de Loyola en quelque sorte.
16La mécanique quantique a été − et fait toujours, n’est-ce pas, Claude Allègre ? − l’objet d’un refus viscéral de la part des véristes, à cause d’un détail − somme toute mineur − son non déterminisme16. Parallèlement aux « variables cachées », les logiciens ont tenté de « boire le sortilège »au moyen de valeurs de vérité tordues ... Pauvre von Neumann, il n’était guère inspiré quand il a créé la « logique » quantique. . il est vrai qu’il n’a guère persévéré dans cette voie, et qu’on lui doit aussi les algèbres éponymes, et là, c’est du costaud. On sait ce qu’il est advenu de la logique quantique, ou plutôt on ne sait même plus. La faute originelle était de nature vériste : on garde le paradigme des valeurs de vérité, on va simplement remplacer l’algèbre de Boole par les projecteurs orthogonaux d’un Hilbert ; c’est un peu comme si on avait attaché un ventilateur sur une brouette : on ne peut plus rien mettre dedans et ça ne vole pas pour autant. La bonne idée (les algèbres de von Neumann) n’est pas loin, mais elle ne rentre pas dans un cadre dualiste sémantique/syntaxe. D’ailleurs, quelles que soient les imperfections de l’explication dite » de Copenhague », il est évident que le quantique ne peut pas s’accommoder d’une balançoire objet/sujet.
7. Le défi informatique
17Plus tardivement, l’informatique devait prendre le relais en lançant un nouveau défi cognitif. Bien que les langages informatiques soient très semblables aux langages formels, la programmation ne se traite pas en vériste, en vrai/faux. Ainsi, ce qui intéresse l’informaticien ce n’est pas la véracité d’une information disponible sur internet, c’est son accessibilité, sa reproductibilité.
18Insensiblement, la valeur booléenne de base est passée de vrai/faux à gauche/droite, c’est-à-dire que seule l’opposition entre les deux reste pertinente, tout comme spin en haut/spin en bas. Tout à coup, une école de pensée, remontant à Poincaré, Brouwer,. .. , l’intuitionnisme, perdue depuis longtemps dans les querelles de chapelle, refaisait surface. De subjectiviste, et donc inepte, l’intuitionnisme devenait déréaliste, procédural, augustinien. Qu’est-ce que la procéduralité ? C’est le fait que la machine interagit avec ... d’autres machines, en respectant des protocoles, et que rien d’autre n’a d’importance. Le reste, ce que nous voyons − ou plutôt croyons voir − n’est pas pertinent, tout ce qui compte c’est le dialogue des machines.
19Prenons l’exemple d’un ratage cognitiviste : les informaticiens se sont rendu compte, en étudiant les bases de données, qu’« une information manquante est fausse ». En effet, une banque est capable de dire « M. Kurz n’est pas client chez nous », bien qu’elle n’ait pas de fichier de ses « non clients ». Remarque cognitiviste essentielle, aussitôt bousillée, par l’adéquation supposée entre « connaître »et « prouver ». Les « logiques non monotones »ressemblent à un remake du programme de Hilbert – qui était basé sur une idée voisine, réfutée par le théorème de Gödel −, mais avec les troisièmes couteaux de la logique : si une propriété n’est pas prouvable, alors sa négation l’est. Techniquement, l’erreur est facile à comprendre, il faudrait forcer l’adéquation vrai prouvable, ce qui force à passer sur le corps des propriétés indécidables, qui correspondent aux « boucles », finies ou infinies, du calcul : on postule donc ce serpent de mer, le » détecteur de boucle ». .. Mais un argument diagonal − récurrent depuis Cantor, Russell, Gödel – fabrique pour chaque « détecteur » une boucle qui lui échappe : exit les logiques non monotones.
20Mais pourquoi donc a-t-on voulu forcer cette adéquation entre vérité et prouvabilité ? Le bon sens s’insurge là-contre : ainsi une banque ne retrouvera pas une cliente à partir de son nom de jeune fille, bien que celui-ci soit consigné dans les données la concernant ; de même, il n’y a pas de notion absolue de » présence d’un fichier sur un disque dur », la police peut y chercher des images compromettantes « effacées », mais qui subsistent au moins partiellement, alors que leur propriétaire les croit détruites. Autrement dit, le « non » de la banque, du logiciel de recherche, réfère à ses procédures internes et à rien d’autre. Vouloir qu’il en aille autrement, c’est à la fois torturer la logique et mépriser la « réalité ». La banque ne parle pas de la vérité, mais de sa vérité, i.e. la réponse qu’elle donne réfère à un mode d’exploration, à une procédure de recherche.
21La complexité algorithmique est un autre exemple de problème cognitif. À partir de considérations d’efficacité, on a été a mené à classer les algorithmes, par exemple par rapport au temps de calcul, par exemple les algorithmes en temps polynomial, et tout le monde a entendu parler du célèbre problème : « P =NP ? ». Les approches à cette question sont véristes, e.g., « modèles finis » ; elles n’ont pas donné grand’chose, on ne dispose même pas d’une définition maniable des algorithmes polynomiaux. La complexité a un statut étrange, celui d’une théorie des ensembles (voir infra) avec une main attachée dans le dos17 : on n’a pas droit à la fonction exponentielle, ça « coûte » trop cher. Mais y aurait-il une raison intrinsèque, mathématique, pour refuser la fonction exponentielle et les algorithmes non polynomiaux ? C’est peut-être là le sens caché de la question, sans véritable enjeu concret : « P = NP ? ». Bien sûr, cette raison serait de nature forcément cognitive.
22Il est possible que le défi informatique soit aussi profond que le défi quantique. D’ailleurs l’émergence d’un calcul quantique − très théorique pour le moment − peut faire espérer une convergence de principe entre les deux activités18.
8. L’atomisme ensembliste
23Superficiellement, le » tournant linguistique » s’oppose au vérisme, une idée d’ailleurs révolutionnaire pour l’époque. Mais grattons un peu, et nous trouvons une strate profonde, très xxe siècle, très atomiste, la théorie des ensembles. Quand le formaliste est menacé, il se replie sur la théorie des ensembles, comme le gouvernement à Bordeaux en 1940 : dans la « théologie Nestorienne », le Père est ensembliste. L’erreur des linguistes tourneurs, c’est de n’avoir jamais remis en cause cette prégnance morale des ensembles et des partis pris du début du xxe siècle.
24Ces partis pris n’étaient, au départ, même pas fondationnels. Si la mise au point du système ZF se fait pour l’essentiel en 1908, avec Zermelo, c’est au xxe siècle que tout s’élabore, à partir des travaux de Cantor sur les ensembles d’« exception » : est-ce que les valeurs d’une fonction déterminent son développement de Fourier, et dans ce cas, peut-on en négliger certaines ? Rien de vraiment fondationnel ici. Il y avait aussi un réel besoin de clarification consécutif aux découvertes de « passagers clandestins »dans le monde de l’analyse, e.g., une fonction sans dérivée ;c’était le temps des Bolzano, Weierstraß, Peano. Finis les « on voit bien que » : si une courbe n’a pas de tangente, on ne « voit »pas grand’chose ! Un travail colossal a été accompli pour définir rigoureusement toutes les notions mathématiques − pensons tout particulièrement à Dedekind − dans un esprit atomiste : définir le gros à partir du petit, le complexe à partir du simple.
25Le succès de la théorie des ensembles est indéniable, c’est le « langage de bas niveau »des mathématiques : selon toute évidence, tout peut s’écrire dans ZF. La théorie des ensembles énonce l’unité des mathématiques19, mais seulement une unité de principe. Elle représente plus une possibilité qu’une réalité : on n’écrit pas, ou peu, de mathématiques en théorie des ensembles ; mais on pourrait. Ce qui veut dire qu’on peut tout traduire en théorie des ensembles ; mais, traduttore traditore, sans que cela lui confère ipso facto un rôle fondationnel.
26Avec la découverte des « passagers clandestins »dans la seconde partie du xxe siècle, il était légitime de s’interroger sur la validité de l’intuition géométrique, par exemple sur la pertinence de la notion de dimension. On découvre que, du strict point de vue ensembliste, la notion ne fait pas sens (tout ensemble infini est équipotent à son carré). De plus, la « courbe »de Peano, qui « recouvre » une surface, entame la notion de dimension au sens topologique ; mais le massacre s’arrête là, car la courbe de Peano n’induit pas un homéomorphisme20, et la topologie algébrique devait, au xxe siècle, montrer que des boules de différentes dimensions ne sont pas homéomorphes.
27La chose semble réglée, la dimension n’existe pas du point de vue ensembliste, ou du point de vue de la mesure, par contre elle prend son sens du point de vue topologique, et à plus forte raison, du point de vue métrique. Il y a cependant un non-dit dans tout ceci : on admet qu’un objet mathématique est un ensemble (de points), sur lequel on plaque une « structure ». Ça marche, mais est-ce correct ? Dire qu’une droite du plan est l’ensemble de ses points, c’est possible, et c’est le choix (atomiste) de la théorie des ensembles ;mais on pourrait tout aussi bien dire qu’un point est l’ensemble des droites qui le contiennent, et d’ailleurs, ceci tient remarquablement la route : en passant aux polaires, il est impossible de dire si une droite est faite de points ou un point de droites !Visiblement, la géométrie planaire ne parle pas d’ensembles, et rappelons que, pour les Grecs, un point n’était que l’intersection de deux droites ou l’extrémité d’un segment. Si on revient à la topologie, il est évident qu’une sphère n’est pas l’ensemble {(x, y, z) ; x2 +y2 +z =1}, néanmoins on peut associer cet ensemble à la sphère. Au lieu de voir la sphère comme un ensemble auquel on associe des groupes d’homologie ..., on pourrait tout aussi bien l’appréhender par ses groupes d’homologie ..., auxquels on associerait une représentation matérielle, une « réification »ensembliste. Autrement dit, au lieu de déclarer l’antériorité de l’ensemble (la « sémantique »)sur le groupe (la « syntaxe »), on pourrait retourner le paradigme. Est-ce l’œuf qui fit la poule ou la poule qui fit l’œuf ? On aurait tendance à finalement les renvoyer dos à dos, l’ensemble et ses groupes d’invariants.
9. La géométrie non commutative
28Ce constat est rendu un peu obsolète par la géométrie non commutative. L’exemple classique est celui d’un tore, i.e. une chambre à air mathématique ; si on le découpe aux ciseaux en suivant une orientation constante, le résultat va dépendre de l’angle d’attaque : s’il est mal choisi (cas le plus courant), on n’en finit plus de redécouper le tore en une lanière de plus en plus fine ; en d’autres termes on crée une trajectoire dense, i.e. qui semble passer partout, alors que ce n’est pas une « courbe de Peano ». Comme si le tore était « trop serré », comme s’il manquait de points. Mais on ne peut pas trouver les « points manquants », et c’est l’idée même de tore-ensemble qu’on doit remettre en cause, par l’introduction des tores non ensemblistes, « non commutatifs », dit Connes. Techniquement parlant, un tore au sens habituel peut être appréhendé au moyen de l’espace de ses fonctions « lisses », qui est une algèbre commutative. Si on oublie la commutativité, les algèbres restent manipulables, mais ne proviennent plus d’une « vraie » variété comme le tore, elles ne sont plus « réifiables ».
29Cet exemple devrait suffire à nous convaincre qu’on assiste à une véritable expulsion des ensembles et au début d’une nouvelle approche fondationnelle, en harmonie avec le miracle quantique. À vrai dire, Groethendieck en son temps avait déjà voulu expulser les ensembles au profit des catégories : malheureusement ses topoi sont « réifiables », autrement dit ils ont quand même un substrat ensembliste » naturel », ce qu’on ne saurait trouver pour les algèbres d’opérateurs.
30Mais quid du commutatif ? Des opérateurs commutent quand ils sont tous « diagonaux »dans une « base »21commune. Le non-dit commun à la logique, à la théorie des ensembles, aux catégories, c’est l’accord implicite sur une telle « base ». Tout ce beau monde, ensembles, éléments, preuves, modèles, langage, objets, morphismes, fonctions, arguments. .. « commute ». On ne s’accorde sur rien, sauf sur cette base, « arène »ensembliste, où tout se joue, tout se mesure. Tout le monde est donc calé sur les mêmes repères, mais imaginons un choc et que les gyroscopes se décalent ... Les questions ne tombent plus pile sur leurs réponses, les billes dans leurs cases. Pourtant, si la logique est aussi augustinienne que le monde physique, l’interaction a lieu malgré son absence de statut formel. En physique, on sait qu’elle se fait au moyen de la réduction du paquet d’ondes. Voilà ce qu’il faut importer en logique pour pimenter le relation objet/sujet !
10. Le tournant géométrique
31Cette expression ne doit pas être prise comme un rejet du tournant linguistique, à qui l’on doit des avancées fondamentales. Il s’agit plutôt d’une réforme, consécutive à la fossilisation dont nous avons parlé. L’idée linguistique est excellente, elle est la première étape de toute déréalisation, mais comme toute idéologie elle a ses caves, ses non-dits subliminaux. Et ici le non-dit a trait au sens. Sans vraiment l’avouer, on a supposé que le langage débouchait sur un monde vide, bêtement égalitaire, toutes les idées devenant uniformément laides quand on les a suffisamment codées, bureaucratisées, c’est l’atomisme que nous avons déjà dénoncé, et souvenons-nous que le xxe siècle fut aussi le siècle de Brejnev. Ainsi les gens parfaitement incultes prétendent-ils que les mathématiques c’est 2+2 =4, montrant par là une confusion entre un calcul et un théorème ;les logiciens − paraît-il – plus raffinés du tournant linguistique diront que c’est plutôt 2+2 =5, car, n’est-ce-pas, le langage est arbitraire ... On reconnaît ces gens aux choix de leurs notations, ils écrivent un produit tensoriel ⊕ et une somme directe ⊗, il n’ y a pas de passe-droit au pays des symboles !
32Que tout ne soit que langage, ou du moins, qu’à la manière d’une table de restaurant chinois, le monde s’offre à nous sous diverses formes équivalentes − dont le langage − de façon à être appréhendable sous ces divers angles, voilà une thèse respectable, et ce qu’on peut retenir sans grand risque du tournant linguistique. En revanche, nous allons faire l’hypothèse que le langage est structuré, qu’il n’est pas ce désert bureaucratique que nous venons d’évoquer. Mais, cette structure, où la chercher ? Sûrement pas dans une explication langagière du langage, qui conduit à un essentialisme prétentieux et stérile. Il reste la géométrie. Par géométrie, on n’entend rien de trop précis, disons qu’est géométrique ce qui est sensible au codage, ce qui s’oppose au codage.
33La géométrie, c’est la découverte de structures simples, de symétries. Donnons un exemple : quiconque connaît un peu de logique sait que l’implication ∀x∃y ⇒ ∃y∀x est incorrecte. Mais pourquoi au juste ? L’explication courante est que dans le premier cas le y dépend du x, et que dans le second, il est indépendant de x ... et voilà pourquoi votre fille est muette ! Pourtant, on peut dire autre chose que cette triste paraphrase : le quantificateur universel ∀x est négatif, passif : il attend quelque chose, autrement dit, « donne-moi une valeur a pour x et je te montre mon y » ; avant d’agir, il est dans le royaume de l’implicite, puisqu’il réfère à un x = a qu’il ne connaît pas. Rien de tel pour ∃y, qui est positif, actif, explicite : ∃y veut dire « j’ai une valeur b pour y, je ne te la montre pas, elle est au fond de ma valise, mais si tu insistes tu l’auras ». Positif et négatif évoluent différemment, on peut toujours retarder les positifs (les prises de décision) ou, si on préfère avancer les questions, un groupe +− peut donc se remplacer par un −+, ainsi, ∃y∀x implique-t-il ∀x∃y, mais le contraire est faux. Ceci a une immense valeur mnémotechnique, ainsi est-il difficile de se remémorer le comportement de la quantification par rapport aux modalités ; dès qu’on a remarqué que □ est positif, on sait que ça se passe dans le sens □∀⇒∀□, et non pas l’inverse.
34Nous venons de donner un exemple parmi d’autres de ce que nous appelons « géométrie » : les énoncés logiques se divisent en deux classes, négatifs ou positifs, suivant leur polarité.
11. Objet vs.sujet
35Finalement, c’est le rapport objet/sujet, la place même de ce rapport que nous devons questionner. Vers 1900, il était raisonnable d’imaginer des objets mathématiques étudiés par un sujet prouvant des théorèmes. Ce qui a finalement donné lieu à une balançoire syntaxe/sémantique, organisée autour de propriétés d’échange vérité/prouvabilité : correction « ce qui est prouvable est vrai » et complétude « ce qui est vrai est prouvable ». L’incomplétude montre les limites de cette vision, et introduit un tiers, le méta, qu’on invoque les jours de mauvais temps, i.e. en permanence. C’est boiteux, verre à moitié plein ou à moitié vide, question de goût, en tout cas très en-dessous des prétentions originales du « tournant linguistique ». Le quantique, le cognitif, font passer le sujet au statut d’objet, non pas de façon accidentelle, mais de façon essentielle. Dans ce processus d’objectivation du sujet, l’informatique a joué un rôle majeur : on a été amené à réviser les paradigmes interprétatifs. Ainsi, au lieu d’un choix entre démonstration et contre-modèle, on préférera une version dialectique, sous la forme plus symétrique d’un jeu entre partenaires réputés homogènes. Mais, la révolution copernicienne n’a pas été faite, on utilise l’expression « sémantique des jeux », ce qui suggère une sorte de sémantique à double détente : les joueurs exprimant déjà l’opposition syntaxe/sémantique, si le jeu est une sémantique il ne peut être qu’une méta-sémantique (d’un métalangage ?) ... Décidément, il y a des vieilles hardes qui collent à la peau, ici encore l’essentialisme.
36L’interprétation procédurale de la logique, i.e. la logique comme logique de ses propres règles, et non pas de son propre méta, fait apparaître des structurations profondes, comme la polarité susmentionnée. En termes ludiques, i.e. de jeux, la polarité c’est la distinction actif/passif, « je joue » contre « tu joues ». C’est aussi la distinction « je produis »contre « j’observe » objet/sujet. Cette distinction est fondamentale et en même temps très contingente, en effet, la dynamique logique suppose un échange des rôles (je joue, puis tu joues, ...) ; cela veut dire qu’un même énoncé logique va, au cours de ses interactions, passer sans arrêt du statut de sujet à celui d’objet et vice-versa, en découvrant, tel un » oignon logique », des peaux de plus en plus profondes. Ce qui semble rouvrir le caveau où sommeille la liaison logique/quantique : en effet, si les opérations logiques de base correspondent à une polarisation objet/sujet, on comprend mieux le statut irréductible que le quantique accorde à l’observateur. Dans l’immédiat, il faudrait donner un sens plus précis à ces remarques, ces analogies, et tenter une interprétation quantique de la logique (et non pas une interprétation logique du quantique). En particulier, essayer de clarifier le statut quantique de la polarisation logique, en relation, peut-être avec la distinction fermion/boson.
12. Les intuitions fondamentales
37Dans le dernier chapitre du Retour du divin (1943), Audiberti développe le mythe du sous-marin, une espèce d’enfer métaphysique, dont on ne saurait s’échapper, les rêves les plus généreux ayant déjà leur place dans ce vaisseau qui « embarque tout ». La logique, le paradigme langagier, la théorie des ensembles, le monde « commutatif », c’est un peu ce sous-marin. On aimerait en sortir, mais, modulo les traductions du xxe siècle, tout, même le quantique, même la géométrie non commutative, tout peut s’écrire en théorie des ensembles, et tout peut s’axiomatiser, tout devient finalement langage. Pire, même ce qui n’a aucun sens en acquiert quand on le formalise : ainsi, ne faut-il pas argumenter très fort pour convaincre quiconque de la nullité de la logique des cocus corses ... Mais au coin du bois veille l’incontournable sophisme : « la cohérence de ce système est un énoncé mathématique qui a forcément un sens ».
38Pourtant, on a bien l’impression que, comme disait Thom, la limite du vrai, ce n’est pas le faux, c’est l’insignifiant22. On pourrait raisonnablement soutenir que le théorème de Gödel, avant « je ne suis pas prouvable », est d’abord « je ne veux rien dire ». L’idée que n’importe quoi (et tout spécialement les questions langagières du type « cohérence formelle ») soit a priori vrai ou faux est une « intuition fondamentale »dont on peine à se défaire. Une analogie dans le domaine moral : on vient de vivre une guerre manichéenne, l’axe du bien contre l’axe du mal − et d’ailleurs ce manichéisme23a son résultat d’incomplétude, ces armes de destruction massive qui doivent exister mais qu’on ne peut pas trouver !
39Pourquoi ne pas admettre qu’il y a des choses plus ou moins vraies (en fonction de la difficulté à les établir, par exemple) ? On pourrait aussi imaginer que le sens se dilue, que, tout comme certaines œuvres sont plus belles que d’autres, certains énoncés ont plus de sens que d’autres − par exemple la loi de réciprocité quadratique est « plus mémorable »que la cohérence du système bidule − et que, d’ailleurs, ce ne soit pas vraiment absolu, quantifiable. Mais cela demande une finesse d’interprétation tout à fait étrangère à la tradition logique.
13. Dieu a-t-il fait les entiers ?
40Finalement, on en revient toujours aux entiers et à la célèbre phrase de Kronecker : « Dieu a fait les entiers, l’homme a fait le reste ». La déréalisation ne peut avoir lieu qu’en s’attaquant à cette intuition fondamentale. Cette attaque doit porter sur deux fronts, le point de vue mathématique, et le point de vue biologique, en particulier le cerveau24.
41Commençons par le cerveau : la structure des cellules, notre mode d’appréhension de l’espace, conditionnent nos « intuitions fondamentales ». Cela ne veut pas dire qu’avec un cerveau différent, les groupes d’homologie seraient différents, que non pas ! Mais on verrait la notion de dimension différemment, on hiérarchiserait autrement les artefacts mathématiques. On aurait aussi trouvé le concept d’entier, mais serait-il aussi fondamental, penserions nous aux entiers comme cette liste idéale de briques ? Plus généralement, nos préjugés sur la réalité viennent de déterminismes biologiques − le mathématicien comme primate25− ou même culturels (voir la différence avec la pensée orientale, beaucoup moins vériste26).
42Il y a d’autres intuitions de base qui ont été évacuées par la logique, ainsi la distinction essentielle entre parfait et imparfait, distinction rendue en français par le choix des temps, en russe par un changement de verbe. Cette nuance n’existe pas dans le monde vériste. La principale conquête de la logique linéaire (1986) c’est de faire apparaître, par de là la structure éternelle, abstraite, de la logique usuelle, une strate perfective. Le monde logique perfectif est très peuvériste, il est tout à fait adapté à notre approche « augustinienne ». Dans une implication « parfaite » A −◦ B, la prémisse n’est utilisable qu’une fois, comme la notion de parfait en linguistique indique une action ponctuelle, non itérée. Le parfait vit plutôt dans le fini, il est assez proche du quantique.
43L’imparfait est plus stable, éternel27, plus » thomiste ». Il est géré par une modalité exponentielle, ! A, et rappelons que la notion de modalité nous vient d’Aristote et des philosophes essentialistes du Moyen Âge, dont Thomas ; ces gens-là s’intéressaient à la possibilité, à la nécessité. L’infini apparaît alors, non comme cette muraille de Chine faite de briques préexistantes, mais comme la pérennité du vrai.
44Nous avons vu (note12) comment tricher avec les modalités ; ceci est rendu possible par leur caractère essentialiste, primitif. Les exponentielles ne font pas exception, on peut les « ajuster »de façon à obtenir l’infini « usuel », ou des infinis plus » doux », moins extrêmes28. Soulignons la solution de continuité entre le monde parfait, qui s’explique harmonieusement en termes de sa propre géométrie et le monde imparfait qui repose sur des postulats finalement justifiés par des « intuitions fondamentales »douteuses.
45Les entiers constituent, dans les fondements » classiques », le paradigme de l’infini, et la construction imparfaite de base29. Changer l’imparfait, c’est changer les entiers, non pas en tant qu’individus, mais en tant que dynamique, croissance, complexité des fonctions. Il faudrait pour cela atténuer l’essentialisme présent de notre approche, en relation avec ce qui n’a jamais été utilisé, i.e. le quantique. On se rappellera en particulier le côté » bosonique » de l’exponentielle ! A (autant de copies identiques de A que l’on veut). Cela pourrait peut-être nous permettre de dépasser une fois pour toutes la désespérante phrase de Kronecker.
Notes de bas de page
1 Tentative de synthèse à partir des activités du groupe LIGC. Le texte, quoique personnel, doit beaucoup aux activités du groupe ; ainsi l’expression « tournant géométrique » vient-elle de la contribution de Tronçon, ce volume. Mais je n’ai pas cru bon de surcharger le texte de références à des points de vue développés à quelques pages d’ici. Synthèse n’est pas syncrétisme : je n’ai pas cherché à reproduire fidèlement la palette d’opinions et de points de vue de notre groupe ; j’ai tenté au contraire de présenter une vue cohérente et connexe, avec les simplifications et les oublis que cela suppose. Quant au style, il ne correspond pas à celui d’un manifeste « sérieux », mais qu’on me pardonne : c’est le mien.
2 Cette expression scientiste banale est devenue emblématique de la barbarie nazie. À noter que les néo-positivistes Nagel & Newman l’employaient encore, straight, en... 1955 : » The final solution of the consistency problem »
3 Ici un mot nous manque : « réalisme » satisfait les scientifiques mais froisse les philosophes, donc optons pour un mot vierge. Le « vérisme », mot emprunté à l’histoire de l’opéra (Puccini), serait donc le réalisme en temps que « réisme », culte de la chose, débouchant sur l’opposition objet/sujet. Incidemment, ce mot nous renvoie à Tarski et à sa théorie de la vérité « A ∧ B est vrai si A est vrai et B est vrai ».
4 Cf. le 2001 de Kubrick, où l’intelligence préexiste à son porteur.
5 Saint Augustin, dans son combat contre le manichéisme, définit le bien et le mal par leur interaction, et non comme des absolus ; ce qui en fait le saint patron des existentialistes.
6 Voir l’article de Longo, dans ce volume.
7 Voir l’article de Crocco, dans ce volume.
8 Pour les λ-calculistes, c’est la question du typage. L’ordinateur ne manipule que des notions non structurées, λ-termes purs ; le typage est postérieur, un commentaire pour l’utilisateur. Le commentaire ne peut pas modifier le comportement du programme ; il peut par contre aider à choisir tel programme, telle donnée, plutôt que tel(le) autre.
9 Pour Tarski, sa théorie « lapalicienne »de la vérité ; pour Kreisel, la réduction des paradigmes fondationnels à leur formalisation dans un système donné à l’avance.
10 À l’opposé de 2001 et de ses moules préétablis, les westerns d’Anthony Mann montrent un personnage se faisant (The Naked Spur, The Far Country)ou se défaisant (Bend of the River) au gré de ses interactions.
11 Audiberti, Des tonnes de semence 1941
12 On les utilise trop souvent pour interrompre le discours déductif. Par exemple, on aime bien la propriété A, mais elle contredit les autres, alors on écrit •A, et on peut faire en sorte que •A n’ait aucun rapport formel avec A ; mais on donne l’impression d’avoir énoncé A . Cette vieille blague que répétait mon père vers 1957 : » Sur les pissotières, on lit Saint Raphaël Quinquina, mais ce n’en est pas », rend justice à l’hénaurmité de l’arnaque.
13 La palme d’or, c’est l’histoire de ce cocu (corse, depuis que la vertu règne à Bagdad) qui tue sa femme quand il apprend que son voisin n’a pas tué la sienne ... Cette niaiserie – qui fit en son temps délirer Lacan − n’a qu’un aspect cognitif limité : le mari outragé sait qu’il doit résoudre une devinette
14 La logique des cocus corses attache une modalité à chaque cocu ; heureusement, elles n’ont pas de sonnette.
15 Voir l’article de Joinet, dans ce volume.
16 Il s’agit d’une question idéologique, en effet, le chaos est déterministe en théorie, mais non déterministe en pratique.
17 Idem pout les « ismes »logiques du xxe siècle : constructivisme, prédicativisme. Il y a des choses qui « sont là », mais qui sont un peu immorales, peu ou mal calculables, ou justifiées à la diable, et qu’on dissimule. C’est un peu comme l’Enfer de la BN.
18 Voir l’article de Th. Paul, dans ce volume.
19 Cf. le néologisme de Bourbaki « la mathématique ».
20 Elle n’est pas injective, chaque point de l’image estvisité ad nauseam.
21 Caractérisations d’algèbres commutatives, comme espaces C(X) ou L∞(X, µ).
22 On a écrit des thèses pour démontrer que la cohérence de la cohérence ... n’est pas équivalente à la cohérence, mais ça veut dire quoi, au juste?
23 En fait, néo-manichéisme : les « vrais »manichéens se jugeaient mauvais, impurs.
24 Voir l’article de Longo, dans ce volume.
25 Voir l’article de Teissier, dans ce volume ; on retiendra l’idée que des poulpes, du fait de leur mode de locomotion, auraient d’autres primitives que les entiers, e.g., des arbres.
26 Nous refusons l’absolu du bien et du mal, alors que nous nous accommodons de l’absolu du vrai et du faux ... peut-être parce que les théologiens sont plus dignes que les prêtres.
27 On remarquera la différence entre les James Bond aux titres imparfaits « Les diamants sont éternels », qui s’opposent aux titres parfaits du genre « Gunfight at the OK Corral ».
28 Logique linéaire bornée, LLL, logique du − et en − temps polynomial.
29 La définition de Dedekind de ℕ : « Le plus petit ensemble contenant 0 et clos par le successeur S »suppose la pérennité du successeur, i.e. qu’on puisse le réutiliser ad nauseam.
Auteur
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Agir et penser
Essais sur la philosophie d’Elizabeth Anscombe
Valérie Aucouturier et Marc Pavlopoulos (dir.)
2015