Présentation
p. 7-10
Texte intégral
1Le présent volume rassemble les textes d’interventions faites lors de la rencontre Logique mathématique, Informatique et Philosophie, organisée en avril 2003 à l’université Paris 1(Panthéon-Sorbonne)1. Cette rencontre rassemblait les principaux acteurs du collectif interdisciplinaire Logique et Interaction : vers une Géométrie de la Cognition (LIGC), mais aussi divers universitaires et chercheurs intéressés par la thématique du collectif.
Le groupe LIGC
2Ce collectif2 regroupe des philosophes et des scientifiques d’horizons divers (principalement des spécialistes de Logique mathématique, d’Informatique théorique, et de Philosophie de la logique), rassemblés dans une réflexion philosophique commune sur l’impact des métamorphoses récentes de la logique dans le contexte de son dialogue avec l’informatique théorique et, par transitivité, avec d’autres disciplines (physique, biologie, linguistique. ..)
3L’objectif du collectif LIGC est de provoquer, par le dialogue entre ces spécialités, l’élaboration d’une réflexion philosophique commune sur les métamorphoses récentes de cette discipline bimillénaire qu’est la Logique dans le contexte de son interaction avec l’informatique théorique(enjeux philosophiques de l’abandon du paradigme des preuves-comme-textes, géométrisation de la notion de preuve, approche de la dynamique des preuves comme interaction, sémantique interactionnelle), mais aussi sur les implications épistémologiques, sémantiques et ontologiques de ces évolutions (intuitionnisme mathématique et monisme ontologique, émergence physique et biologique de l’interaction calculatoire et communicationnelle, complexité calculatoire et complexité systémique du vivant, interaction et causalité). Sur ces sujets, le collectif LIGC promeut une analyse critique des points de vue « réalistes »et « représentationalistes »prédominants en philosophie de la logique, en philosophie des sciences et dans les approches logiques de la cognition, au profit d’une philosophie interactioniste de la rationalité.
L’interactionisme logique
4Le formalisme qui prédomina à partir du « tournant linguistique », dès la fin du xixe siècle et durant la première moitié du xxe siècle, rêvait d’une possible objectivation de la rationalité dans le discours normé (« paradigme des preuves-comme-discours »). Accomplissant l’expulsion de la subjectivité au profit des formes objectives du discours, le formalisme (D. Hilbert) y chercha de quoi couper court à la question ontologique et ses prolongements métaphysiques représentationalistes (contentualisme de G. Frege). C’est donc très naturellement que l’incertitude puis la faillite du « programme de Hilbert », tout en laissant prospérer la réaction subjectiviste(Brouwer), restaurèrent dans ses droits la question ontologique en mathématiques et la réponse apportée par le réalisme conceptuel ensembliste (K. Gödel).
5La formalisation de la logique intuitionniste intervenue ultérieurement permit de démêler par la suite deux aspects de l’intuitionnisme brouwerien : son anti-formalisme et son constructivisme. En ramenant ce dernier dans le giron du paradigme des preuves-comme-discours où son investigation mathématique devenait possible (Heyting, Gödel), elle neutralisa le subjectivisme originel des positions intuitionnistes. Sur ce socle, le lancement progressif d’une investigation mathématique (non plus de la discursivité démonstrative, mais) de la dynamique rationnelle (dynamique de l’heuristique, dynamique de l’élimination de l’abstrait dans les preuves ; D. Prawitz, G. Kreisel) dans la lignée des travaux visionnaires de G. Gentzen, fit émerger à partir des années 1970 un nouveau « paradigme », le paradigme des « preuves-comme-programmes » (correspondance dite de« Curry-Howard »entre élimination des détours par la sur-complexité dans les preuves et processus de calcul, correspondance initialement repérée dans un cadre restreint, mais progressivement généralisée à des pans toujours plus larges des mathématiques − J.-Y. Girard, J.-L. Krivine, N. De Bruijn, P. Martin-Löf, P. Aczel ...).
6Au plan philosophique, cette reformulation complète de la question logique a d’une part confirmé la rupture qu’avait accomplie le constructivisme avec ses origines subjectivistes (la logique vise désormais une objectivisation de la dynamique rationnelle comme processus d’évaluation), d’autre part débouché sur une reformulation parallèle de la question ontologique, l’ontologie réaliste « ensembliste » se voyant remplacée par une ontologie « opérationnelle ». Ici, l’être d’une fonction n’est pas son extension, mais l’ensemble des évaluations qu’elle détermine (son être, c’est son agir), évaluations dont les invariants éventuels sont seconds.
7Cette ontologie opérationnelle fut approchée, dans un premier temps, au travers des premiers outils canoniques (lambda-calcul) des théories du calcul nées avec les premiers pas de l’informatique théorique. La logique qui, dans l’ancien paradigme apparaissait en somme comme la « police du discours rationnel correct », apparut désormais comme une « police de l’évaluation », comme l’outil de domestication (typage) de processus a priori indéterminés ou, pour ainsi dire, « sauvages ». Dans ce cadre, l’être calculatoire, certes appréhendé dans sa nature processuelle (même si ses invariants restent décrits dans un cadre ensembliste – sémantique dénotationnelle − ou catégorique), demeure toutefois postérieur, second, eu égard aux normes procédurales auxquelles l’évaluation doit se conformer. Ces normes déterminent donc son existence nécessaire en tant qu’être mathématique autonome et singulier. En termes philosophiques, on peut donc dire qu’en définitive l’opérationalisme ne suffit pas pour neutraliser le réalisme ontologique, ainsi restauré sous la forme d’un« réalisme »de l’être dynamique, dont l’essence reste produite par la norme.
8Tout en assumant une ontologie de type opérationnel, la philosophie interactioniste de la rationalité va ici plus loin. Quand l’évaluation est processus interactionnel (sémantique des jeux − M. Hyland −, ludique − J.-Y.Girard), le logique cesse d’être norme extérieure surimposée et transcendante, pour devenir condition émergente de l’interaction procédurale. La règle logique n’est plus norme respectée, mais solution « géométrique » au problème du dialogue entre processus, effet engendré par les phénomènes d’interaction. Dans la relation de l’être calculatoire aux procédures interactionnelles qui avèrent son existence, le rapport d’antériorité est donc inversé.
9Les caractérisations récentes de la naturalité de certaines classes de complexité (engendrement purement logique de classes de complexité calculatoires – complexité dite « implicite » qu’on pourrait aussi bien appeler « immanente » − logique du temps linéaire, polynomial, élémentaire, etc.) sont symptomatiques de ce retournement. Plus généralement, on voit ce dernier à l’œuvre dans ce qu’on a pu appeler le « tournant géométrique » (S. Tronçon), ce par quoi est désigné non simplement l’abandon des représentations discursives des preuves (comme discours) au profit de formes proprement géométriques (réseaux de preuves, réseaux d’interaction), mais surtout la reformulation de l’approche de l’évaluation calculatoire en termes de propriétés générales de l’interaction (symétrie, polarisation, immanence, etc.), dégagée des aspects contingents et atomistes du codage et de la discursivité.
10Au plan épistémologique, l’interactionisme logique trace des liens de la logique vers d’autres champs disciplinaires : vers la physique (centralité du sujet et de l’anti-réalisme dans le cadre de la physique moderne et contemporaine, au travers des prises en compte de la complexité de l’observation et de la mesure, de son infaisabilité pratique voire de son impossibilité radicale ; interaction quantique − J.-Y. Girard), vers les approches expérimentales de la cognition (dans l’organisation du vivant, y compris dans ses aspects cognitifs, l’atomisme est sans pertinence :la complexité, immanente, n’est jamais le produit de la composition du simple, G. Longo), vers la biologie (protocoles d’interaction communicationnelle à tous les niveaux de l’organisation biologique et notamment au niveau cellulaire, V. Danos, V. Schächter...)3.
Organisation du volume
11Les contributions ont été regroupées en deux grandes parties. La première, intitulée, La logique à la croisée des chemins rassemble des réflexions sur les évolutions récentes de la logique et les aspects fondamentaux de la mathématisation de champ scientifiques spécifiques (physique, biologie). Ces contributions (J.-Y. Girard, J.-B. Joinet, F. Bailly &G.Longo, T. Paul) visent à dégager un nouveau statut épistémologique pour la logique et les mathématiques et à tirer les leçons philosophiques de ces évolutions quant à la rationalité scientifique et l’intelligibilité de la nature. Dans la seconde partie, intitulée Questions sémantiques : réalisme ,règles et vérité, les contributeurs (S. Tronçon, P. Dehornoy, G.Dowek, P. Livet, D.Bonnay) revisitent les grandes notions sémantiques traditionnelles sousl’angle des évolutions récentes propres à leur champ disciplinaire et à celles de la logique en dialogue avec l’informatique fondamentale.
Notes de bas de page
1 Cette rencontre a bénéficié du soutien de l’École doctorale de philosophie et du Conseil scientifique de l’université Paris 1.
2 Formellement constitué en avril 2003, mais héritier du groupe Logique Mathématique et Philosophie (né en 2001et coordonné par Samuel Tronçon), le groupe LIGC est animé par un comité scientifique formé de Michele Abrusci, Jean-Yves Girard, Jean-Baptiste Joinet, Pierre Livet, Giuseppe Longo. Archives sur: www-philo.univ-paris1.fr/Joinet/ligc.html
3 En septembre 2006, le groupe LIGC a organisé au Centre culturel international de Cerisyla-Salle, une école thématique « Logique, Sciences, Philosophie » du CNRS, plus spécifiquement centrée sur l’Interactionisme logique. La publication du volume des actes est en cours aux éditions Hermann.
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Agir et penser
Essais sur la philosophie d’Elizabeth Anscombe
Valérie Aucouturier et Marc Pavlopoulos (dir.)
2015