Chapitre 6. Bède, ou l’art de la typologie
p. 345-376
Texte intégral
Saül dit à Samuel : « J’ai péché, j’ai transgressé l’ordre du Seigneur et tes paroles […]. » Samuel dit à Saül : « Je ne reviendrai pas avec toi, car tu as rejeté la parole du Seigneur ; le Seigneur t’a rejeté, et tu n’es plus roi d’Israël. » Quand Samuel se retourna pour partir, Saül attrapa le pan de son manteau, qui fut arraché. Samuel lui dit : « Le Seigneur t’a arraché la royauté d’Israël, aujourd’hui, et il l’a donnée à un autre, meilleur que toi. » Et aussi : « La Splendeur d’Israël ne se dément pas et ne se repent pas, car il n’est pas un homme et n’a pas à se repentir. »
Premier livre de Samuel1.
1Bède le Vénérable (v. 673-735) est sans doute l’auteur le plus impressionnant, le plus intimidant aussi, de ceux que ce livre passe en revue. Moine, prêtre et écolâtre au monastère de Jarrow (dans l’actuelle banlieue de Newcastle), il y a passé toute sa vie et n’a jamais quitté la Northumbrie, en particulier sa Bernicie natale, à laquelle ses écrits le montrent très attaché2. C’est un auteur prolifique, exégète, hagiographe, historien, grammairien (et j’en laisse), qu’on a déjà croisé à plusieurs reprises dans ces pages : on l’a vu entre autres donner le païen Penda en modèle aux chrétiens, relater la persécution du temps de Trajan et réécrire l’épisode de la rencontre entre le pape Grégoire et les Angles angéliques. Doit-on pour autant lui consacrer un chapitre entier dans cette enquête sur la figure du bon païen ? La réponse est oui, mais elle est paradoxale. Bède, qui appartenait probablement à la deuxième (ou peut-être à la troisième) génération de convertis, s’identifiait et identifiait son lectorat anglo-saxon aux gentiles des épîtres de Paul, et « une partie importante de l’identité de Bède était celle d’un Gentil gagné par le plein accomplissement de la grande instruction du Christ de répandre l’Évangile aux quatre coins du monde3 » : l’idée est fondamentale à ses yeux, et on la retrouve sans cesse dans son écriture historique comme dans son exégèse. On trouve donc sous sa plume un nombre important de païens vertueux ou accueillants, qui dans la suite de la narration se convertissent au christianisme. Sans surprise, ces individus agissent de façon préchrétienne et tiennent des propos préchrétiens : citons parmi bien d’autres le martyr Alban, qui protège un prêtre fugitif et subit le martyre sans avoir reçu le baptême ; les rois Æthelberht et Edwin, qui accueillent avec générosité les missionnaires ; ou encore le grand prêtre païen Coifi, qui dénonce lui-même les mensonges de sa fausse religion4. Dans son commentaire sur l’Évangile de Luc, Bède affirme de même que « les soldats et les serviteurs qui obéissent au centurion » (celui qui fait appel à Jésus pour guérir son serviteur au chapitre 7) peuvent être interprétés comme « les vertus naturelles que beaucoup de ceux qui viennent au Seigneur apportent avec eux en quantité non négligeable »5 : en cela Bède se distingue de Grégoire le Grand, qui considérait que le centurion Corneille évoqué dans les Actes n’avait aucune vertu authentique avant sa conversion6. Mais il ne faut pas pousser trop loin l’interprétation et en déduire que Bède admettait sans broncher l’idée de « vertus naturelles » des païens. Tous ces personnages sont « ceux qui viennent au Seigneur » (ad dominum uenientes), c’est-à-dire ceux qui, par la suite, croiront dans le Dieu chrétien. Par contraste, les figures de bons païens stricto sensu sont rares et problématiques chez Bède, et elles ne sont jamais sans manques ni défauts. La distinction maintenue depuis le début de cet essai entre païens « jusqu’au bout » et païens « préchrétiens », destinés à devenir chrétiens, se justifie tout particulièrement dans le cas de Bède, qui à la différence de Grégoire n’use de ce vocabulaire que de façon rigoureuse : il distingue toujours soigneusement les concepts de barbarie, d’impiété ou d’apostasie de celui de paganisme, et reste toujours attentif à ne pas employer un mot pour un autre7.
2Tout au long de ce chapitre, je m’efforcerai par ailleurs de contraster l’écriture très retenue de Bède avec celle d’autres hagio-historiographes, plus anciens et surtout plus tardifs, qui ont pu traiter les mêmes personnages et les mêmes épisodes avec moins de prudence et présenter les bons païens paradoxaux du moine northumbrien sous un jour très différent. Parmi les sources antérieures à l’œuvre de Bède, je retiendrai avant tout la Vita Gregorii de Whitby ; parmi les sources qui se sont appuyées sur Bède pour mieux s’en démarquer, on peut signaler dès maintenant l’Historia Brittonum (produite en milieu gallois autour de 830), la Chronique anglo-saxonne (composée en vieil anglais au début des années 890 dans un milieu proche du roi ouest-saxon Alfred), la traduction vernaculaire de l’Historia ecclesiastica, ou Bède vieil anglais (réalisée à la fin du ixe ou au tout début du xe siècle), et le Chronicon d’Æthelweard (adaptation latine de la Chronique anglo-saxonne par un grand laïc de la fin du xe siècle). Ainsi apparaîtra par contraste le traitement très subtil que Bède fait parfois subir à des figures païennes qu’il n’ose complètement approuver mais qu’il ne condamne pas sans autre forme de procès.
Le passé des Angles comme réservoir d’exemples
3L’œuvre historique de Bède est constituée de trois ouvrages de taille et d’ambition très différentes, composés à des moments distincts de sa vie. Les Chronica minora et les Chronica maiora, composés respectivement en 703 et en 725, constituent des appendices annalistiques à deux traités sur le calendrier et le comput pascal, un thème qui a retenu l’attention de Bède tout au long de sa carrière. L’Historia ecclesiastica gentis Anglorum, achevée en 731, est beaucoup plus ambitieuse : ses cinq livres construisent une histoire providentielle de la Bretagne et du peuple des Angles (gens Anglorum) qui l’a occupée et dominée avant même d’accueillir la religion chrétienne à laquelle il était prédestiné. Pour cela, Bède sélectionne et met en perspective une série de personnages et de situations, tirés du passé insulaire et traités comme des exempla. C’est ce qu’il explique dans sa préface écrite pour Ceolwulf, roi des Northumbriens (729-737), dédicataire de l’œuvre :
Si l’Histoire en effet rapporte de bonnes actions venant de gens de bien, l’auditeur, mis en alerte, est poussé à imiter ce bien ; si elle rappelle les crimes des méchants, l’auditeur ou le lecteur religieux et pieux, tout en se détournant de ce qui est nuisible et mauvais, n’en est pas moins adroitement incité, lui aussi, à rechercher ce qu’il a reconnu être bon et digne de Dieu. Toi aussi, très attentif à cet enseignement, tu souhaites que cette histoire, composée à la fois pour ton instruction et celle de ceux que l’autorité divine a placés sous ta direction, soit, par souci du salut général, diffusée fort largement8.
4Les exempla ainsi choisis par Bède sont traités selon des techniques – en particulier la lecture typologique – qui sont celles que le moine avait depuis longtemps pris l’habitude de mettre en œuvre dans son travail d’exégèse biblique. On notera que l’exemple est d’abord censé profiter à un roi et aux gouvernants en général ; et c’est parmi les prédécesseurs de Ceolwulf, y compris ceux qui ont vécu avant la conversion des rois anglo-saxons au christianisme, qu’il a choisi ses principaux exempla. Nick Higham résume ainsi l’objectif premier visé par Bède à travers sa principale œuvre historique :
En traitant le passé anglais comme une galerie d’exemples, bons et mauvais, Bède cherchait à montrer comment les rois (et d’autres) étaient censés se comporter en protégeant le peuple chrétien, en obéissant aux enseignements de l’Église et en défendant et guidant spirituellement leur peuple. Bède faisait ainsi de sa nouvelle œuvre [l’Historia ecclesiastica] un parallèle de la Bible et comme une sorte d’addendum à celle-ci : comme source d’exempla, elle était en capacité de fournir un guide de conduite pour les chrétiens de son temps, plus accessible à son propre peuple9.
5Si la dimension exemplaire de l’Historia ecclesiastica est patente et explicite, elle n’est pas pour autant absente des deux chroniques, ni d’ailleurs de ses autres œuvres, exégétiques ou hagiographiques. Mais seules les œuvres proprement historiques mettent vraiment en scène les païens et leur paganisme. En outre, les Chronica maiora, plus élaborés que les minora, développent certaines notices laconiques et abordent des sujets plus diversifiés, dont le passé insulaire laissé largement à l’écart dans ce qui reste une œuvre de jeunesse10. C’est pour cette raison que j’ai limité l’enquête systématique à deux œuvres, les Chronica maiora et l’Historia ecclesiastica. On a déjà évoqué la façon dont Bède traite des empereurs païens de Rome dans les Chronica maiora11 : le présent chapitre portera donc sur son traitement du passé insulaire, principalement dans l’Historia ecclesiastica.
6Parce que l’exemplum, en bonne ou en mauvaise part, est au cœur de la méthode et des objectifs de Bède, on ne s’étonnera pas de constater que la quasi-totalité des exempla de bon comportement concernent des chrétiens, et que presque tous les païens sont des modèles de mauvais comportement : il serait parfaitement fastidieux d’en faire la liste. Ce qui doit nous retenir, c’est à nouveau l’écart par rapport à la norme, les cas où le païen, d’habitude mis en scène comme un repoussoir, au mieux un faire-valoir, devient lui-même l’objet d’un discours positif qui vise à l’ériger en modèle. Pour le repérer, deux moyens principaux peuvent être employés. On peut d’abord, de façon empirique, relever et tenter de comprendre les éventuels propos élogieux à l’égard d’un personnage païen ; mais de tels propos sont rares, et l’enquête ne va pas bien loin. L’autre moyen fait fonds sur la méthode typologique ou figurale que Bède emploie comme exégète et comme historien : un bon païen peut être identifié dès lors qu’on peut démontrer qu’il est construit par l’auteur comme le type ou l’antitype – à savoir le reflet ou la préfiguration – d’une figure positive ou admirable, que celle-ci appartienne à la Bible ou à l’histoire de l’île et des Angles, car la typologie fonctionne aussi à l’intérieur de l’œuvre12. On a déjà rencontré cette pratique en Irlande, où certains bons païens apparaissent « saüliens » ou « davidiques », en fonction du modèle biblique qui a servi à construire leur portrait. De même, la typologie sera au cœur de la méthode des auteurs scandinaves (islandais, norvégiens et danois) des xiie et xiiie siècles, qui ont compris et décrit le passé nordique antérieur à la conversion à la lumière des événements propres aux tempora christiana13.
7Il importe pourtant de noter dès maintenant que, si les méthodes de l’exégèse figurale sont bien au cœur de l’écriture de l’histoire par Bède, il n’en a pas fait un usage simpliste, fournissant pour chaque figure du Nouveau Testament un et un seul équivalent dans l’Ancien, ou pour chaque personnage de l’histoire des Angles un et un seul type biblique. Comme il l’écrit lui-même dans son commentaire sur le premier livre de Samuel (une œuvre essentielle pour nous puisqu’il y propose ses propres réflexions sur le roi Saül), le sain exercice de l’allégorie biblique suppose de ne pas s’enfermer dans des analogies trop rigides :
Que [celui qui s’étonne d’incohérences apparentes dans le commentaire] sache que c’est bien l’habitude des commentateurs, ou plutôt la logique des Écritures, d’attribuer de façon variable l’interprétation qu’exige la structure du texte : un individu mauvais peut signifier le bien, et un individu bon le mal14.
8Je rejoins donc Ian Wood quand il explique que les rois et les peuples de l’Ancien Testament (dont Saül) constituent pour Bède des « modèles fluides » : les Philistins du livre de Samuel seront interprétés par l’exégète tantôt comme l’allégorie des païens et des hérétiques endurcis, tantôt comme celles des gentes saluandas, peuples destinés au salut et donc « préchrétiens »15.
Taire ou dire le nom des païens
9Cela dit, la plupart des personnages appartenant au passé païen national sont traités par Bède de façon extrêmement rapide, dans les chroniques comme dans l’Historia ecclesiastica. À la différence de son prédécesseur Isidore de Séville, pour qui le passé païen puis arien des Goths était comme « couronné » par leur conversion au catholicisme, on peut dire que Bède fait de la conversion le véritable commencement de l’histoire des Angles : comme l’a noté Georges Tugène, si l’origine dans les temps préchrétiens du peuple promis au salut est mentionnée, « ses résonances originelles sont supprimées ou, en tout cas, bien atténuées » ; « idéologiquement “désactivée” », l’origine païenne des Angles en « est réduite au rang de “curiosité” »16. C’est pourquoi l’Historia ecclesiastica ne dit presque rien des « environ cent cinquante ans17 » qui séparent l’aduentus Saxonum de l’arrivée du missionnaire Augustin dans le Kent en 597. La grande majorité des « moments fondateurs d’identité18 » pour la gens Anglorum se situent après la conversion, et sont liés à l’adoption ou à l’approfondissement d’une identité chrétienne. Aux yeux de Bède, le destin historique (et chrétien) du « peuple des Angles » l’emporte donc de très loin sur son origine dans la légitimation de son existence19 : « les Anglo-Saxons ne doivent pas leur cohésion au passé, mais à un avenir que Bède décrit. L’ethnogenèse des Anglo-Saxons s’effectue selon lui dans le sillage de la mission20 ». La conversion est bien l’« acte primordial21 » qui fait advenir le peuple des Angles.
10Une telle opinion laisse nécessairement peu de place à une exaltation « à l’irlandaise » de héros du passé païen. « En dehors du célèbre passage sur l’origine des tribus angle, saxonne et jute, de quelques miettes de traditions venues du Kent et d’une bribe de fierté northumbrienne à propos des explois du roi Æthelfrith22 », Bède reste obstinément silencieux sur la préhistoire de la gens Anglorum. Jacques Elfassi a montré comment, dans les Chronica minora, le moine de Jarrow s’est livré à une « occultation du paganisme » en expurgeant sa source – en l’occurrence Isidore – de la plupart des références aux divinités antiques, à l’exception d’une mention résiduelle d’Hercule23. Dans l’Historia, la plupart des païens restent anonymes, un trait caractéristique du traitement « stéréotypé » par les auteurs chrétiens24 : or se souvenir du nom d’un individu est la première et la principale étape de l’entretien de sa mémoire25. Il semble bien qu’aux yeux de Bède, les damnés soient indignes de mémoire : c’est le cas, on l’a vu, d’un moine artisan mentionné au livre V de l’Historia26. De même, les récits d’origine des Bretons, des Irlandais et des Pictes, qui occupent le premier chapitre de l’Historia, sont pratiquement anonymes. Il n’y a pas chez Bède de Brutus ancêtre des Bretons ou de Mil ancêtre des Irlandais, et seul un certain Reuda est cité en passant (et pour expliquer un ethnonyme) comme le premier chef des Scotti du Dalriada27. C’est la même logique qui, selon Molly Miller, pousserait Bède à ne mentionner, parmi la parenté d’Edwin, que les seuls baptisés. Ainsi Ælle, père d’Edwin si important dans la Vita Gregorii prima écrite une ou deux décennies plus tôt, n’est mentionné que dans le cadre de la rencontre entre Grégoire le Grand et les Angles angéliques, un récit dont la signification chez Bède est moins liée à la dynastie deirane que chez l’anonyme ; en revanche, Bède ne cite pas Ælle au moment où il fait l’inventaire de la parenté du roi martyr, et aucun de ceux et celles qu’il mentionne – y compris Acha, sœur d’Edwin et mère d’Oswald – n’est connu pour être mort sans avoir reçu le baptême28. En cela, Bède se serait donc conformé à l’usage qu’il rapporte : selon lui, les Northumbriens avaient omis de la liste des règnes les noms des deux rois qui, après la mort d’Edwin en 634, avaient apostasié et avaient régné comme des païens29.
11Malgré la justesse de ces remarques, il convient de noter que Bède ne rechigne pas toujours à mentionner les païens par leur nom. Les « miettes » et « bribes » païennes que Patrick Wormald contraste avec l’« histoire sainte »30 magnifiquement mise en scène sont tout de même là, et il faut en rendre compte. Or si Bède ignore superbement les noms des ancêtres des Bretons, des Irlandais et des Pictes avant leur conversion, il n’en est pas de même pour les prédécesseurs des rois anglo-saxons, au nord comme au sud de la Humber. Il lui arrive donc de sortir de sa réserve pour donner les noms de héros fondateurs ou de souverains païens – et morts païens – sans porter à leur égard de discours de condamnation et sans en faire les antagonistes de ses héros chrétiens. La première occurrence se trouve dans le récit de l’arrivée des Angles en Bretagne, où Bède cite leurs premiers chefs, Hengest et Horsa. Il est d’ailleurs le premier à les mentionner, rapportant leur généalogie jusqu’au dieu évhémérisé Woden :
Ils étaient fils de Wihtgisl, qui avait pour père Witta, qui avait pour père Wecta, lequel avait pour père Woden, de la lignée duquel tirent leurs origines les familles royales de nombreuses provinces31.
12Et à nouveau quand il rapporte la mort du roi Æthelberht, le premier parmi les Angles à avoir reçu le baptême :
Æthelberht était fils d’Eormenric, dont le père était Octa, qui avait comme père Œric, surnommé Oisc – c’est à cause de lui que les rois des Kentois sont habituellement surnommés « Oiscingiens » [Oiscingas] : son père Hengest, répondant à l’invitation de Vortigern, fut le premier, accompagné de son fils, à pénétrer en Bretagne, comme nous l’avons dit plus haut32.
13Bède reprend donc la même généalogie en la faisant remonter d’Æthelberht à Hengest, ce qui signifie que les trois rois intermédiaires sont païens. Il en est de même pour l’ascendance des rois des Est-Angliens de la lignée des Wuffingas : le roi Rædwald, baptisé mais apostat, est gratifié d’un portrait surtout négatif, mais ses ancêtres Tytil et Wuffa – à qui la dynastie doit son nom – sont cités sans commentaire33. Enfin Bède cite le nom de « Cwenburg, fille de Cearl, roi des Merciens », première épouse d’Edwin34. Dans ces quatre cas, Bède s’écarte donc de sa pratique habituelle qui consiste à ignorer le nom des païens.
14Cet écart répond d’abord à un objectif étiologique : il s’agit d’expliquer le nom d’une dynastie. Ce souci explique aussi le bref excursus sur la ville de Rochester, « que les peuples anglais nomment Hrofæscæstræ, du nom d’un de leurs chefs, qui s’appelait Hrof35 », ou encore l’explication du nom de Bamburgh (Bebbanburh), « qui tire son nom de celui d’une reine d’autrefois, Bebba36 ». Quant aux généalogies, elles ont bien sûr une fonction de légitimation des dynasties royales. Pourtant le nom d’Ida, l’ancêtre des rois des Berniciens, est absent des deux chroniques et n’est mentionné qu’une seule fois dans l’Historia, dans la récapitulation chronologique qui ouvre le dernier chapitre : « l’an 547 commença le règne d’Ida, de qui la maison royale des Northumbriens tire son origine, et il régna pendant douze ans37 ». De toute évidence Bède n’a pas jugé bon de le mentionner ou de rapporter quelque épisode que ce soit à son propos dans le corps de son œuvre. De manière générale, Bède reste donc très froid à l’égard de ces personnages qu’il regarde comme de l’extérieur, et « apparaît, dans ces lignes, aussi détaché à l’égard des Anglais qu’il l’avait été à l’égard des Pictes38 ». En outre, jamais l’identité religieuse de ces personnages n’est explicitée : Bède passe rapidement, sans souligner leur paganisme. J’en conclurai volontiers qu’en ce qui concerne les Oiscingas et les Wuffingas, Bède a reproduit les données écrites que ses contacts dans le Kent et l’Est-Anglie lui ont fournies, données dont il n’a pas jugé bon de se procurer ou de reproduire l’équivalent pour sa Northumbrie natale. Il serait hasardeux de tirer de ces rares mentions des conclusions trop fermes et de tenter des lectures typologiques comparant Hengest, Oisc, Wuffa et leurs successeurs ; quant à Woden, le « personnage » a déjà été traité39. De même, la mention de Cwenburg et de son père Cearl relève de la précision généalogique : Bède fait ainsi remarquer que deux fils d’Edwin, baptisés en même temps que lui, n’étaient pas nés de la reine Eanflæd.
15Il reste un passage où Bède cite les noms de souverains païens, cette fois-ci dans un contexte qui n’est ni généalogique ni étiologique. Au même chapitre où il mentionne les noms des anciens souverains de la dynastie des Oiscingas, il explique qu’Æthelberht fut le troisième roi angle à détenir l’imperium sur les régions situées au sud de la Humber, et il donne les noms de sept souverains ayant exercé une telle hégémonie. Si les cinq derniers sont chrétiens, les deux premiers sont antérieurs à la conversion et étaient donc païens. Or Bède les nomme : Ælle roi des Sud-Saxons (à ne pas confondre avec Ælle roi des Deirans, rencontré au chapitre précédent) et Ceawlin roi des Ouest-Saxons. On ignore d’où vient cette liste, que Bède est le premier à fournir, mais il est peu probable qu’il en ait lui-même compilé les premiers noms, qui sont tous ceux de souverains méridionaux : on a vu plus haut comment la mémoire de Ceawlin s’était développée dans le Wessex à partir de la fin du viie siècle40, et peut-être celle d’Ælle a-t-elle connu un sort semblable dans le Sussex à cette même époque. La reprise d’une source préexistante pourrait alors expliquer pourquoi Bède mentionne les noms de ces païens. Ce qui est certain, c’est que la présence de ces deux noms ne signifie pas que l’auteur les met sur le même plan que les glorieux rois chrétiens – Æthelberht, Edwin, Oswald – qui leur ont succédé, ni qu’il en fait des types ou des préfigurations de ces souverains. Non seulement Bède ne fait rien de ces noms, ne les commente pas et n’explique pas en quoi ils ont mérité de figurer dans cette liste, mais il précise bien que le roi converti par Augustin, s’il fut « le troisième, dans la liste des rois de la nation anglaise, à régner sur l’ensemble des provinces anglaises méridionales », fut « le premier de tous à monter au royaume des cieux »41. La chose est donc bien entendue : les deux prédécesseurs païens d’Æthelberht rôtissaient en enfer, et c’est là tout ce Bède daigne nous dire à leur sujet.
16Ainsi, tous ces éléments tendent plutôt à confirmer les observations de Molly Miller et de Jacques Elfassi : Bède rechigne à nommer les païens, même s’il lui arrive de le faire. Tout au plus peut-on dire que ses réticences sont moins grandes quand ces païens sont anglais. En tout état de cause, on ne peut pas dire que, chez Bède, le fait de s’écarter de son habitude et de nommer un païen sans le condamner constitue un discours positif : Hengest, Wuffa, Hrof ou Ceawlin ne sont pas des bons païens. Cette réserve à l’égard du nom même des païens tranche avec celle des historiographes qui l’ont suivi. Le Bède vieil anglais n’omet aucun des noms de païens signalés par Bède42 (en dehors des seuls noms étiologiques de Hrof et de Bebba et des noms présents dans la récapitulation du dernier chapitre, non traduite) ; il rapporte dans son intégralité la liste des souverains qui « dominèrent tous les peuples méridionaux et eurent autorité jusqu’au fleuve Humber43 », mais sans préciser, comme le faisait Bède, qu’Æthelberht de Kent fut « le premier de tous à monter au royaume des cieux » ; enfin, dans au moins deux manuscrits, une généalogie complète des rois ouest-saxons jusqu’à Alfred, remontant à Woden via Cerdic, est ajoutée après la préface44. De même, l’Historia Brittonum, la Chronique anglo-saxonne et le Chronicon d’Æthelweard signalent tous un nombre significatif de souverains antérieurs à la conversion et n’hésitent pas à donner la liste de leurs actions et (en particulier) de leurs combats, sans jamais omettre de les nommer, que ce soit dans le récit ou dans les nombreuses généalogies et listes de règnes qui parsèment ces œuvres. Mais à l’instar de Bède, et malgré cette importante différence, aucun de ces auteurs ne met en scène des bons païens comme ont pu le faire les Irlandais. Dans l’Historia Brittonum, où l’histoire de certains païens comme Hengest est plus développée qu’ailleurs, ils sont au contraire malfaisants, rusés ou brutaux, car cette œuvre galloise condamne les figures ancestrales des Anglais. Mais même dans la Chronique anglo-saxonne, les ancêtres païens des rois ouest-saxons comme Cerdic, son fils Cynric et le bretwalda Ceawlin, qui appartenaient à la mémoire dynastique d’Alfred et de ses successeurs, ne sont pas traités autrement que par des mentions brèves et factuelles qui révèlent tout au plus l’existence probable de récits héroïques mettant en avant les vertus guerrières de quelques ancêtres dynastiques comme Ceawlin. Certes le style propre au genre annalistique ne se prête pas à des développements plus longs, mais dans le cas des premiers rois anglo-saxons aucun adjectif, aucune incise, aucune allusion ne laisse transparaître l’opinion que l’auteur pouvait avoir sur ces personnages. Ces princes païens débarquent, deviennent rois, se battent, sont vainqueurs et meurent ; à chaque fois leur nom est consigné. Ni bons ni mauvais, ni loués ni condamnés, ils sont les prédécesseurs qu’il ne faut pas oublier, mais la présence répétée du nom relève d’une sorte de « service minimum » que Bède, dans la plupart des cas, n’a même pas jugé utile d’observer. La seule exception à cette règle se trouve, on l’a vu, dans le Chronicon d’Æthelweard, où Hengest et (dans une moindre mesure) son frère Horsa bénéficient d’un traitement narratif un peu plus développé que dans l’Histoire ecclésiastique de Bède ou dans la Chronique anglo-saxonne : j’ai proposé de les désigner, dans le contexte de l’œuvre d’Æthelweard, des « bons païens par omission45 ».
Æthelfrith le Bernicien, tyran providentiel
17Au vu du traitement ordinaire des païens par Bède, on ne peut qu’être frappé par celui qu’il réserve à deux rois qu’il choisit en revanche de nommer plusieurs fois et dont il n’hésite pas à rapporter les actions. Penda d’abord, roi des Merciens, n’est pas un bon païen : c’est au contraire un ennemi de Dieu, malfaisant et brutal, un allié des Bretons hérétiques, et le responsable de la mort de saint Oswald, l’un des principaux héros de l’Historia ecclesiastica. Penda est un repoussoir, qui se dresse sans cesse contre le christianisme et dont la défaite finale signe le triomphe de la vraie religion et des princes northumbriens. Tout au plus se laisse-t-il amadouer sur la fin de sa vie en ne refusant pas que les missionnaires chrétiens prêchent dans la partie de son royaume qu’il a cédée à son fils Peada. C’est donc surtout par l’usage qu’en fait Bède pour dévaluer les chrétiens qui lui déplaisent, en particulier le roi gallois Cadwallon, que Penda s’est avéré intéressant pour notre propos46.
18L’autre prince païen sur lequel Bède ne craint pas de s’étendre est Æthelfrith, roi des Berniciens au tournant du viie siècle, père du roi martyr Oswald et de son successeur Oswiu47. Ce roi n’est pratiquement pas documenté par les textes contemporains, ce qui en soi n’a rien d’exceptionnel dans une Grande-Bretagne où la documentation écrite est très rare pour les siècles qui séparent le départ des troupes romaines autour de 410 de l’arrivée de la mission grégorienne en 597. La seule mention qui pourrait être contemporaine consiste en deux entrées de la « Chronique d’Irlande48 », qui évoquent deux victoires et la mort de ce roi :
La bataille des Saxons par Áedán, où tomba Eanfrith, frère d’Æthelfrith, par Máel Umai fils de Báetán, dans laquelle [Áedán] fut vaincu49.
La bataille de Caire Legion, où des saints furent tués et où tomba Solon fils de Conan, roi des Bretons, et où tomba le roi Cetula. Æthelfrith fut vainqueur, qui mourut tout de suite après50.
19On ne saurait certes affirmer sans ambages que ces deux mentions datent réellement de l’époque d’Æthelfrith. Elles ne sont pas communes à l’ensemble des textes héritiers de la « Chronique d’Irlande », n’étant rapportées que dans ceux du « groupe de Clonmacnois ». Toutefois les entrées sur ces deux batailles sont partiellement reprises dans les Annales d’Ulster, où l’absence de certains détails pourrait aussi bien résulter d’une abréviation. En outre, les éléments absents des Annales d’Ulster sont indépendants des traditions ultérieures qui ont pu servir de sources aux annales du « groupe de Clonmacnois » : le frère d’Æthelfrith porte chez Bède un autre nom (Theodbald), et le nom du roi breton Cetula est inconnu par ailleurs. L’hypothèse d’entrées contemporaines des faits n’est donc pas irrecevable, même si en l’absence du texte original on ignore le mode de compilation de ces annales – au fur et à mesure des événements, a posteriori par « fournées » rétrospectives, ou (plus probablement) par une combinaison des deux pratiques51.
20En tout cas, quelle que soit la date de ces deux brèves mentions, Æthelfrith est surtout connu par des sources postérieures d’au moins un siècle à son règne : j’en retiendrai cinq. La première est la Vita Gregorii de Whitby. Écrite comme on l’a vu dans l’ancien royaume de Deira, dont Æthelfrith avait été roi dans les dernières années de son règne, elle présente celui-ci comme un ennemi d’Edwin, dont on peut rappeler que les reliques étaient vénérées dans l’église du monastère. L’Historia ecclesiastica de Bède – qui vivait en Bernicie, royaume dont Æthelfrith était originaire – constitue la principale source d’information. Le contenu et le point de vue de l’Histoire ecclésiastique de Bède ont influencé la Chronique anglo-saxonne, où Æthelfrith est mentionné à diverses reprises. Il est aussi présent dans l’Historia Brittonum, écrite vers 830 : son auteur, qui a lu l’œuvre de Bède, s’en démarque en prenant le point de vue des Bretons ou Gallois, peuple qui se considère étranger et même ennemi des Berniciens, des Northumbriens et des Anglo-Saxons en général. Cette provenance galloise est partagée par la dernière source, les Trioedd Ynys Prydein (Triades de l’île de Bretagne), une collection destinée à aider les bardes gallois à mémoriser les principaux récits du fonds légendaire brittonique en les classant par « groupes thématiques » de trois. La date exacte de ce dernier texte est inconnue : dans son état actuel, la collection est transmise par des manuscrits dont les plus anciens datent du xiiie siècle52, mais les triades « représentent la strate la plus ancienne de l’ensemble de la poésie galloise53 » et pourraient remonter au haut Moyen Âge. Or deux triades très semblables voient dans la mort d’Æthelfrith un événement notable54.
21Ces sources, bien que fragmentaires, permettent de retracer les principales scansions de la carrière d’Æthelfrith. Devenu roi des Berniciens en 592, il régna environ vingt-cinq ans, pour lesquels les principaux événements connus sont des batailles et des conquêtes55. En 603, il remporta une victoire à Degsastan56 contre les Scots du Dalriada : c’est la « bataille des Saxons » de la « Chronique d’Irlande »57. Vers 604, après la mort d’Ælle de Deira, il s’empara de son royaume, contraignant à l’exil les membres de la dynastie régnante, dont Edwin, le fils d’Ælle. En 616, il remporta une victoire sur des Bretons du pays de Galles à proximité d’une localité que les Annales de Tigernach appellent Caire Legion et que Bède désigne comme « la “Cité des Légions”, que les Anglais appellent Legacæstir et [les Bretons], plus correctement, Cærlegion58 » – il s’agit probablement de l’actuelle ville (et ancien camp romain) de Chester. C’est lors de cette bataille qu’eut lieu le massacre des moines de Bangor Is-coed. Enfin, il fut défait et tué en 616 ou 617 dans la bataille de la rivière Idle contre les Est-Angliens du roi Rædwald, protecteur de l’exilé Edwin59. Ce dernier s’empara alors du pouvoir dans l’ensemble des territoires soumis à Æthelfrith, dont les fils durent à leur tour s’exiler. Bède et l’Historia Brittonum lui connaissent deux épouses60 : Bebba, qui aurait donné son nom à la résidence royale de Bamburgh (Bebbanburh) ; et Acha, la fille d’Ælle de Deira, par qui il a pu s’insérer dans les affaires du royaume situé au sud du sien et l’annexer aux environs de 604. Acha, la sœur d’Edwin, est la mère de son fils Oswald, et peut-être aussi d’Eanfrith et d’Oswiu ; l’Historia Brittonum et la Chronique anglo-saxonne mentionnent quatre autres fils, dont l’existence n’est pas attestée par ailleurs et qui pourraient bien avoir été imaginés pour atteindre le chiffre symbolique de sept. En revanche, ses trois fils attestés ont régné à tour de rôle après la mort d’Edwin, stabilisant peu à peu la domination de la dynastie sur les régions septentrionales de l’île : Eanfrith en Bernicie (633-634), Oswald sur toute la Northumbrie (634-642), et enfin Oswiu en Bernicie (642-651) puis dans l’ensemble de la Northumbrie (651-670).
22Æthelfrith, qui n’était à son avènement que le souverain d’un petit royaume adossé à la côte nord-est de l’île, a donc passé son règne à étendre sa domination dans toutes les directions, et ce principalement par la guerre : vers le nord-ouest avec la bataille de Degsastan contre le Dalriada ; vers le sud-est avec l’incorporation de la Deira puis la campagne fatale de 616-617, qui s’acheva sur les rives de la rivière Idle, affluent de la Trent ; enfin vers le sud-ouest avec la campagne de Chester61. Il est certes impossible de savoir si la localisation des batailles de Degsastan et de Chester signifie qu’Æthelfrith contrôlait ces régions, ou si celles-ci se sont déroulées lors d’expéditions hors des limites de son royaume. On peut cependant affirmer qu’à sa mort vers 616, Æthelfrith avait fondé la Northumbrie en soumettant des populations chrétiennes autant que païennes, de culture celtique (plus exactement brittonique) autant que germanique (plus précisément anglienne). Il ne faut pourtant pas croire – comme le laissent entendre certaines cartes accompagnant les manuels – à une séparation nette entre Bretons à l’ouest et Angles à l’est. Outre le fait que la région abritait aussi des Scots et des Pictes, il apparaît que les populations étaient très mélangées, que les identités étaient moins nettement tranchées et qu’il existait une multitude d’enclaves et de zones mixtes entre les régions indubitablement bretonnes de l’Ouest (le pays de Galles) et les régions presque entièrement germanisées de l’Est (les rivages de la mer du Nord, les estuaires et les basses vallées de la Humber, de la Tyne ou de la Tweed)62.
23Si la « Chronique d’Irlande », dont les mentions sont peut-être contemporaines, traite de manière assez neutre la figure d’Æthelfrith en rapportant ses deux victoires et sa mort dans des annales très factuelles, il n’en est rien des sources plus tardives, où l’on distingue deux façons principales de présenter le personnage : une globalement négative et une plus ambiguë. Or cette distinction ne recoupe pas exactement la division traditionnelle entre sources « anglo-saxonnes » et « bretonnes ». Pour mieux comprendre comment Bède érige Æthelfrith en bon païen paradoxal, commençons donc par les présentations négatives, et d’abord par le texte de l’Historia Brittonum :
Woden engendra Beldeg, qui engendra [suivent sept générations], qui engendra Ida. Ida eut douze fils, dont les noms sont [suivent six noms d’hommes] et une reine Bearnoch, et Ealric [= Æthelric ?]. Ealdric engendra Aelfret [= Æthelfrith]. Celui-ci, c’est Aedlfred [= Æthelfrith] Flesaur. Et celui-ci eut sept fils, dont les noms sont : Anfrid [= Eanfrith], Osguald [= Oswald], Osbiu [= Oswiu], Osguid, Osgudu, Oslapf, Offa63.
Eadfered [= Æthelfrith] Flesaurs régna XII années en Berneich [= Bernicie] et XII autres en Deur [= Deira] ; entre les deux royaumes il régna XXIV années, et il donna Dinguoaroy [= Din Guaire] à son épouse, celle qui est appelée Bebbab [= Bebba], et du nom de son épouse il reçut son nom, à savoir Bebbanburth [= Bamburgh]64.
24Derrière cette présentation a priori aussi factuelle que celle de la « Chronique d’Irlande », se cache le signe d’une mémoire négative. Certes, le fait de descendre du dieu Woden ne doit pas être vu comme un signe de condamnation : dépouillé de sa personnalité divine par les généalogies royales anglo-saxonnes, Woden n’est qu’un héros du passé. Æthelfrith est aussi crédité du changement de nom de la forteresse royale de Bamburgh, substituant un nom germanique à celui de Din Guaire : il est donc celui qui ôte aux Bretons un de leurs lieux centraux. Mais le point qui doit retenir notre attention est le surnom Flesaurs. On le retrouve en effet dans les Triades no 10W et no 32, qui recensent « les trois chefs de Deira et de Bernicie, qui étaient trois bardes et trois fils de Dissynyndawd, et qui accomplirent les trois heureux meurtres65 ». Ces « trois chefs » sont nommés Gall, Sgafnell Ysgafnell et Diffeidell Diffydell, et le deuxième est appelé « Sgafnell fils de Dissynyndawd, qui tua Edelflet [= Æthelfrith] Ffleissawc, roi de Lloegr66 ». L’épithète flesaur (ffleisawg en gallois) est sans doute dérivée du latin flexor, « celui qui tord, qui fléchit », et il pourrait s’agir d’un surnom contemporain67. John Morris traduit ce terme par « the Artful68 », c’est-à-dire « le rusé » ou « l’ingénieux », mais cette traduction affaiblit le sens ; la traduction « Twister », proposée par Rachel Bromwich69, est meilleure. Traduire par « le Tortionnaire » irait sans doute trop loin, même s’il s’agit de parler d’un personnage à la fois « tortueux » et « à la poigne puissante ». En tout cas, plus de deux siècles après sa mort, on se souvenait au pays de Galles d’Æthelfrith « le Tordeur », qui pliait les Bretons à sa volonté.
25Les Triades ne se désolent pas de la mort d’Æthelfrith : elles la comptent même au nombre des « heureux meurtres », et l’attribuent à un Deiran de haute naissance, un barde nommé Sgafnell. Plus encore que dans l’Historia Brittonum, les Triades montrent combien la mémoire d’Æthelfrith était négative en milieu breton. L’appellation « roi de Lloegr70 » plutôt que « roi de Bernicie », « roi de Deira » ou « roi des Northumbriens », est significative : elle indique le caractère fondamentalement étranger du personnage, et selon Craig Cessford, elle résulte d’un refus de lui attribuer les titres plus exacts que l’on trouve par exemple sous la plume de Bède71. L’Historia Brittonum non plus ne le désigne pas comme « roi de Bernicie » ou « roi des Berniciens », mais indique qu’il « régna douze années en Bernicie et douze autres en Deira ». Un tel traitement est propre aux rois berniciens dans cette section de l’Historia Brittonum : Ida, fondateur de la dynastie des Idingas, est désigné comme « premier roi en Bernicie, c’est-à-dire en Berneich72 » ; Oswald, fils d’Æthelfrith, est appelé à plusieurs reprises « roi des gens du Nord73 ». Les titres des rois de la maison d’Ida contrastent avec ceux du type « roi de peuple », que l’on trouve ailleurs dans cette section de l’œuvre : « roi des Pictes », « rois des Est-Angliens », « royaume des hommes du Kent », « roi des Merciens », « rois des Deirans »74 ; ils contrastent aussi avec les appellations plus rares du type « roi de royaume » : « roi de la région du Gwynedd » ou « roi de Gwynedd »75. Ainsi, pour l’auteur de l’Historia Brittonum, les rois de la maison d’Ida n’étaient pas d’incontestables « rois de Bernicie » ou « rois des Berniciens », mais des rois qui se trouvaient régner « en Bernicie », des « rois des gens du Nord » ou, pour reprendre l’expression des Triades et l’étymologie proposée par Eric Hamp pour le mot Lloegr, des « rois du pays frontalier76 ».
26On pourrait s’étonner qu’aucun texte d’origine bretonne ou galloise (avant les Brut plus tardifs, écrits sous l’influence de Geoffroy de Monmouth) ne mentionne ni ne se lamente sur la bataille de Chester et le massacre des moines de Bangor Is-coed. Cela est d’abord dû au fait que ces textes sont peu nombreux : avant 1130, seules l’Historia Brittonum et les Annales Cambriae peuvent être prises en compte. Or les Annales, écrites au milieu du xe siècle, reprennent pour l’année 613 les informations de la « Chronique d’Irlande », sans même citer le nom du vainqueur de Chester : elles se contentent de mentionner « la bataille de Cair Legio, et là tomba Selim fils de Cinan77 ». Quant à l’Historia Brittonum, elle ne dit rien de ses campagnes : en cela, le traitement d’Æthelfrith diffère nettement de celui de ses fils Oswald et Oswiu qui, au chapitre suivant de l’Historia Brittonum, sont désignés comme responsables de la mort des rois Cadwallon et Penda78. Peut-on parler d’une damnatio memoriae d’Æthelfrith ? Sans doute pas : le compilateur des Annales Cambriae a tout simplement suivi son modèle, à savoir les Annales d’Ulster qui, on s’en souvient, omettaient le nom du vainqueur. En outre, Bède a pu exagérer l’importance de cette bataille et l’ampleur du massacre : Bède fait souvent un usage symbolique des nombres, et on sait que l’église de Bangor a continué à exister et est devenue au cours du viie siècle le siège d’une importante paroisse du diocèse de Lichfield, dans le royaume des Merciens79. Enfin, si l’Historia Brittonum passe sous silence la bataille de Chester, c’est peut-être parce que son auteur préférait rapporter les victoires qui mettaient en lumière la capacité des Bretons à résister à leurs ennemis80, et peut-être aussi parce que les moines de Bangor et les vaincus de Chester étaient des hommes du royaume de Powys, qui n’intéressaient donc qu’assez peu le patron de l’Historia Brittonum dans le Gwynedd voisin.
27Le texte qui présente Æthelfrith de la façon la plus négative n’est cependant pas un texte breton, mais un texte northumbrien, la première Vie de Grégoire le Grand. Bien sûr, cette vita n’avait pas pour but de raconter l’histoire de la Northumbrie et de ses rois, mais d’exalter la mémoire du pape Grégoire le Grand, présenté comme l’apôtre des Angles et en particulier des Humbrenses81. L’évangélisation des Northumbriens n’y est donc jamais référée à l’action des fils d’Æthelfrith, Oswald et Oswiu, qui ont invité les missionnaires irlandais à partir de 634 ; elle y est au contraire toujours liée à la mission grégorienne soutenue par Edwin et menée en Northumbrie par l’évêque Paulin. Ce trait n’a rien de surprenant dans une vie du pape Grégoire, qui plus est rédigée près des reliques d’Edwin et dans le monastère placé sous le contrôle des princesses Hild, puis Eanflæd et Ælfflæd, respectivement nièce, fille et petite-fille d’Edwin82. Au contraire, les noms d’Oswald, d’Oswiu, et de presque tous les Idingas, sont absents du récit. L’œuvre a certes été composée sous le règne d’un descendant d’Æthelfrith (son petit-fils Aldfrith ou son arrière-petit-fils Osred), mais elle a préféré mettre en avant un autre ancêtre païen en la personne d’Ælle. Au contraire, tout se passe comme si la frustration et le dépit des derniers membres de la maison royale de Deira, les Yffingas, s’étaient reportés sur Æthelfrith :
Car nous savons tous qu’il est vrai que ce même roi [Edwin] fut un exilé chez le roi des [Est-]Angliens Rædwald, et que son rival le poursuivit en tous lieux, à savoir le tyran Æthelfrith qui l’avait chassé de sa patrie et qui cherchait avec son argent à acheter sa mort83.
28Si l’on se souvient de ce que la vita rapporte d’Ælle, force est de conclure que ce n’est pas seulement parce qu’Æthlefrith était un païen que l’auteur(e) lui a réservé ce traitement. À l’inverse d’Ælle, ancêtre de celles sous les auspices de qui la vita a été composée, Æthelfrith est un tirannus – un mot chargé de lourdes connotations d’illégitimité et d’usurpation dans les textes britanniques du haut Moyen Âge84. Le contraste entre le « tyran » Æthelfrith – poursuivant de sa haine et forçant à l’exil le prince préchrétien prédestiné – et le « précurseur » Ælle – frôlé par la grâce sans jamais avoir entendu parler du Christ – montre que l’anonyme de Whitby savait varier son discours sur les païens.
29De fait, le portrait du païen Æthelfrith change complètement dès qu’on passe à l’œuvre de Bède, le seul auteur bernicien qui évoque ce personnage, et celui qui en parle le plus. Déjà dans les Chronica maiora, il est mis sur le même plan qu’Ælle. Bède mentionne les deux rois dans un même souffle à l’occasion de l’entrée concernant l’arrivée dans le Kent de l’évêque Augustin et de la conversion du roi Æthelberht :
Ce même Æthelberht fut bientôt converti à la grâce du Christ avec le peuple de Kentware sur lequel il régnait et avec les régions voisines, [le Christ] lui donna Augustin comme son évêque et professeur, et de même donna d’autres saints prélats à chaque siège épiscopal. Les peuples des Angles qui résidaient plus loin, au nord du fleuve Humber, sous les rois Ælle et Æthelfrith, n’avaient pas encore entendu la parole de vie85.
30Bien entendu, Ælle et Æthelfrith ne sont pas traités ici comme de bons païens : au contraire, leur règne correspond encore à une période d’obscurité. Mais Nick Higham a remarqué que ces deux rois font partie des très rares Angles – ils ne sont pas plus de neuf – dont le nom est cité dans les Chronica maiora86 ; or sur ces neuf, ce sont les deux seuls païens. Leur présence n’est donc pas anodine, et il est remarquable que Bède les traite de la même manière, prenant le contre-pied du traitement diamétralement différencié que leur réservait la Vita Gregorii.
31Dans l’Historia ecclesiastica en revanche, Bède va beaucoup plus loin et, à travers un portrait particulièrement complexe, érige à certains égards Æthelfrith en « bon païen ». Au bénéfice de ce grand roi d’autrefois, dénigré par les Bretons autant que par les moniales de Whitby, Bède opère une forme limitée de « sauvetage », l’arrachant à l’enfer mémoriel auquel il semblait condamné pour son paganisme autant que pour ses nombreuses actions coupables. Æthelfrith n’est plus entièrement rejeté dans les ténèbres du passé païen mais devient une figure liminaire, ouvrant la voie à l’arrivée du salut parmi les Angles, et plus particulièrement chez les Berniciens. Païen et tueur de moines, mais père d’un grand saint et ancêtre de la dynastie royale qui a définitivement implanté le christianisme dans le pays, il est réintégré dans l’économie du salut de la gens Anglorum et du regnum Nordanhymbrorum. Kerstin Zech a bien noté que, contrairement à son habitude, Bède répugne à employer ici la panoplie de stéréotypes dont il use normalement pour décrire les païens : s’il admet qu’Æthelfrith « était ignorant de la religion de Dieu87 », il ne le décrit pas comme vénérant les idoles, faisant des sacrifices sanglants dans des fana, ou se livrant à la divination88. Plus encore, « il s’exprime de façon très indirecte au sujet de son paganisme, évitant à ce propos des marqueurs explicites comme les mots paganus et gentilis89 », dont il fait ordinairement usage sans réticence. Surtout, Bède s’est efforcé de désamorcer l’une après l’autre les trois principales accusations qui pouvaient être portées contre lui.
321. La première apparition d’Æthelfrith n’est pas négative, même si elle est ambiguë : bien qu’« ignorant de la religion de Dieu », c’est un « roi très courageux et très avide de gloire »90. Æthelfrith est aussi le défenseur de la gens Anglorum contre son principal ennemi au nord, le roi scot du Dalriada, qu’il bat lors de la bataille de Degsastan. Surtout, les effets de son action sont durables : « depuis ce temps-là jusqu’à aujourd’hui, aucun roi des Scots installés en Bretagne n’osa venir livrer bataille à la nation anglaise91 ». Æthelfrith assure donc à son peuple la sécurité, au prix de la mort de son propre frère Theodbald. Bède ne précise pas de quel côté ce frère combattait, mais le manuscrit E de la Chronique anglo-saxonne précise qu’à Degsastan l’armée (se here : le contexte laisse entendre qu’il s’agit de celle d’Áedán) était conduite par un certain Hering, fils de Hussa, donc par le propre fils du prédécesseur d’Æthelfrith92. Bède s’est donc bien gardé de signaler qu’il y avait, lors de cette bataille une dissension parmi les Berniciens. Voilà en tout cas justifiée une des accusations possibles : le fait que, païen, il ait affronté des chrétiens (et peut-être aussi son propre frère) sur le champ de bataille.
332. Le récit de la bataille de Chester et du massacre des moines de Bangor permet de répondre à une lourde charge93 : non seulement l’archipaïen Æthelfrith se serait battu contre des chrétiens, mais il aurait fait massacrer mille deux cents moines désarmés, réunis là afin d’invoquer Dieu pour la victoire du roi de Powys. Comme l’a noté à raison Nick Higham, il se peut que Bède ait exagéré l’importance de la victoire d’Æthelfrith et l’ampleur du massacre perpétré par celui-ci94 ; il n’en reste pas moins que le souvenir de ce massacre constituait une pierre d’achoppement pour la construction d’une mémoire positive du Bernicien. Contournant cette difficulté, Bède anticipe le récit et le rattache à un événement qui a probablement eu lieu une dizaine d’années au moins avant la bataille : la tentative manquée de rapprochement entre l’évêque Augustin de Cantorbéry et le clergé breton, ici représenté par les moines de Bangor et leur abbé Dinoot. C’est l’échec de cette rencontre, que Bède impute au double refus des Bretons de prêcher l’Évangile aux Angles et de se soumettre à l’autorité métropolitaine d’Augustin, qui leur aurait valu d’être massacrés bien des années plus tard par le roi païen des Northumbriens. Il faut citer ici la plus grande partie de ce long passage :
Alors Augustin, l’homme de Dieu, leur a fait, dit-on, une prédiction menaçante : s’ils ne voulaient pas accepter la paix avec des frères, c’est la guerre contre des ennemis qu’ils devraient accepter ; et s’ils maintenaient leur refus de prêcher la voie de la vie à la nation anglaise, c’est de la mort des Anglais qu’ils devraient subir la vengeance et la mort. Et cela s’est réalisé en tout, comme il l’avait prédit, par l’effet du jugement de Dieu.
En effet, après cela, ce roi dont nous avons déjà parlé, Æthelfrith, le très puissant roi des Anglais, réunit une grande armée près de la « Cité des Légions » […] et il massacra la plus grande partie de ce peuple infidèle [gentis perfidae]. Sur le point d’engager la bataille, voyant leurs prêtres à l’écart, réunis en un lieu plus sûr, pour supplier Dieu en faveur des soldats qui combattaient, il cherchait à savoir qui ils étaient et dans quelle intention ils s’étaient réunis. Or c’était en très grande majorité des gens du monastère de Bangor […]. Ainsi donc la plupart d’entre eux, en vue de l’affrontement rappelé ci-dessus, après un jeûne de trois jours, s’étaient rassemblés pour prier avec les autres ; ils avaient un défenseur nommé Brocmail, qui devait les protéger des épées des barbares pendant qu’ils seraient adonnés à leurs prières. Quand le roi Æthelfrith eut compris la raison de leur venue, il dit : « Si c’est contre nous qu’ils invoquent leur Dieu, eh bien ! même s’ils ne portent pas eux-mêmes d’armes, ils combattent contre nous, eux qui nous poursuivent de leurs imprécations hostiles [aduersis imprecationibus]. » Aussi ordonne-t-il qu’on les attaque en premier, puis il détruisit le reste des troupes impies [ceteras nefandae militiae copias], non sans lourdes pertes dans sa propre armée. Furent tués dans le combat, dit-on, parmi ceux qui étaient venus pour prier, environ mille deux cents hommes, et il n’y en eut que cinquante qui réussirent à s’enfuir. Brocmail, dès l’arrivée des ennemis, prit la fuite avec les siens et abandonna sans armes et sans défense devant les épées ennemies ceux qu’il aurait dû défendre.
C’est ainsi que fut accomplie la prédiction du saint pontife Augustin – bien après qu’il eut quitté cette terre pour le royaume céleste –, selon laquelle les infidèles subiraient le châtiment de la mort temporelle, parce qu’ils avaient dédaigné les conseils qui leur étaient prodigués pour leur salut éternel95.
34Comment, après avoir lu ce récit, peut-on affirmer que chez Bède Æthelfrith, brutal meurtrier de mille deux cents moines, est l’objet d’un subtil sauvetage mémoriel ? En réalité, plusieurs éléments servent à contrer les charges qui pèsent sur Æthelfrith. Sa victoire est chèrement acquise par de lourdes pertes : le fléau de Dieu n’agit pas sans qu’il lui en coûte. Il agit certes selon sa logique de païen, mais c’est une logique imparable qui fait des moines des combattants à part entière, et même des agresseurs qui poursuivent le roi de leurs « imprécations hostiles ». Surtout, dans un renversement habile, ce sont les Bretons, soldats et moines confondus, qui deviennent un « peuple infidèle » (gens perfida) et des « troupes impies » (nefanda militia), tués par une armée certes païenne mais investie de la mission divine de les châtier. Æthelfrith est un auxiliaire de la légitimité romaine contre les Bretons hérétiques et schismatiques.
353. La troisième accusation que l’on pouvait porter contre Æthelfrith était d’avoir cherché à faire tuer Edwin, qui une dizaine d’années plus tard deviendrait le premier roi chrétien du pays et inviterait la mission romaine à évangéliser les Northumbriens. Bède ne nie pas que le Bernicien ait cherché à le faire mourir, et il développe même les accusations de corruption de la Vita Gregorii. Néanmoins, il en modifie légèrement – mais stratégiquement – la présentation. Ce n’est plus « le tyran Æthelfrith » qui poursuit Edwin en tous lieux par ses tentatives répétées de corruption, mais c’est parce qu’il apprend que le fugitif séjourne chez Rædwald avec des compagnons (et qu’il pourrait donc disposer d’une force armée susceptible de menacer sa propre sécurité) qu’Æthelfrith essaie de corrompre le roi des Est-Angliens. Il y parvient dans un premier temps, et ce n’est qu’une fois que les émissaires d’Æthelfrith sont repartis avec la bonne nouvelle de la mort prochaine du rival que Rædwald (toujours fourbe et duplice chez Bède96) se ravise et l’attaque par surprise : se croyant en sécurité, il n’a pas le temps de se préparer et meurt sur les rives de la rivière Idle97.
36La technique de Bède est donc toujours la même. L’historien ne cherche pas à nier les faits : Æthelfrith a bien affronté les Scots chrétiens, il a bien massacré les moines de Bangor, il a bien cherché à faire tuer Edwin, le futur roi martyr. Mais à chaque fois il met l’événement en perspective pour justifier, excuser ou au moins expliquer l’action d’Æthelfrith. Bien sûr, rien ne laisse entendre un quelconque statut d’usurpateur puisqu’il « présidait au royaume des Northumbriens98 », Bède utilisant un terme anachronique qui permet de dissimuler sa prise de possession violente de la Deira ; il est aussi « roi des Angles » (rex Anglorum) face à l’ennemi schismatique que sont les Bretons99 ; quant à Edwin, il succéda « au roi son ennemi » « dans la gloire de la royauté »100. Par bien des traits, tout comme Ælle annonçait et préparait, dans la Vita Gregorii de Whitby, la conversion et la sainteté de son fils Edwin, Æthelfrith peut être analysé comme le prédécesseur typologique de son fils Oswald : le fils comme le père sont des rois glorieux, vainqueurs des Bretons, protecteurs de la gens Anglorum contre ses ennemis101. Mais le père reste bien du côté des païens et n’est jamais assimilé à ses descendants chrétiens. Ce roi, nous dit le moine de Jarrow, était « très courageux [fortissimus] et très avide de gloire [gloriae cupidissimus] ». Si le goût de la gloire doit être lu comme un reproche, la fortitudo en revanche est une vertu cardinale : or le lien entre vertu et appétit pour la gloire caractérisait déjà les anciens Romains dans la Cité de Dieu102. Le père de saint Oswald se trouve dans la même position à l’égard des vertus (et, probablement, du salut) que les Caton et les Regulus de saint Augustin : elles sont réelles mais motivées par de mauvaises raisons. Sa chute, qui n’est pas un martyre mais un désastre, est la preuve de l’inanité en dernier ressort de cette fortitudo mal placée ; mais cela ne veut pas dire que son courage n’existait pas et que son souvenir ne mérite pas d’être entretenu.
37La clé de ce sauvetage mémoriel est donc bien typologique. On vient de rapprocher Æthelfrith des ueteres Romani d’Augustin, mais la comparaison explicitement faite par Bède est avec le roi biblique Saül : « il faudrait, écrit-il, le comparer, semble-t-il, à Saül, autrefois roi d’Israël, à cela près qu’il ne connaissait pas la religion de Dieu103 ». Comme avec Saül en effet, l’ordre ancien prend fin avec Æthelfrith, avant que soit renouée l’alliance avec Dieu selon des modalités efficaces : David d’une part, Edwin puis Oswald de l’autre. Or pas plus que dans le premier livre de Samuel, cet ordre ancien ne prend fin avec un personnage unilatéralement condamné, car Saül dans la Bible est aussi ambigu qu’Æthelfrith chez Bède : vainqueur des Philistins, choisi par Dieu, il doit céder la place à David, que le Seigneur lui a préféré. Saül comme Æthelfrith sont tous les deux des rois courageux et vaillants, mais ils ont une dimension tragique puisqu’ils meurent terrassés au combat, remplacés par un rival qui n’est pas de leur sang. On peut donc dire que Bède fait d’Æthelfrith un bon païen « saülien » comparable à Conaire, le héros tragique de l’Irlande mythologique.
38C’est qu’à Saül comme à Conaire ou Æthelfrith, il manque un trait essentiel : la fides salvatrice, à savoir la confiance, la foi et/ou la fidélité envers Dieu. Saül se rend d’abord coupable de fautes rituelles, par exemple en refusant de vouer à l’anathème l’ensemble du butin et des captifs pris aux Amalécites104, ce qui fait de lui un mauvais serviteur de Dieu, quelqu’un qui ne lui est pas fidèle ; et après la mort de Samuel, Saül consulte la sorcière ou « pythonisse » d’En-Dor pour connaître l’avenir105, ce qui signifie qu’il n’a pas une confiance exclusive dans le Dieu d’Israël. Un passage du commentaire de Bède sur les deux livres de Samuel suggère que la comparaison avec Saül porte en particulier sur la perfidia d’Æthelfrith – non pas sa « perfidie » au sens qu’on donne aujourd’hui à ce mot, mais bien son unique défaut, le manque de fides, qui entraîne sa chute106. Pour Bède en effet, un roi qui ignorerait les commandements de Dieu perdra son royaume au profit d’un autre :
Mais aujourd’hui aussi quiconque mépriserait par perversité les paroles sacrées dans lesquelles il a été formé et imprégné en vue de la recherche du royaume des cieux, parce qu’il souille le vêtement sacré de celui qui l’a oint pour la royauté, doit céder à un proche meilleur que lui la joie du royaume qui lui est enlevée107.
39C’est bien ce qui arrive à Saül, dépossédé au profit de David conformément à ce que Samuel lui avait annoncé108 ; aux juifs « perfides », dont la promesse messianique et royale est transférée aux gentes ; aux Bretons, dont la déviance justifie la dépossession territoriale au profit de la gens Anglorum ; à Æthelfrith lui-même, bras armé tragique de cette dépossession, supplanté par Edwin109 ; et enfin à Osred, fils du roi Aldfrith, dépossédé de son royaume du vivant de Bède au profit d’un cousin éloigné (qui ne semble pas être issu de la lignée d’Æthelfrith)110. La critique d’Osred, fils chrétien du chrétien Aldfrith, constitue donc le contexte le plus probable de cette observation de Bède. Mais cette phrase est tout autant à même à fournir des excuses à l’action d’un Æthelfrith, diuinae religionis ignarus. Comme dans la rhétorique du « combien plus » que Bède applique ailleurs à Penda, la faute du roi chrétien apparaît plus grave que celle de son homologue ignorant : Osred, en un mot, serait encore plus coupable que son arrière-grand-père païen. Ainsi, quand Bède écrit que celuici était comparable à Saül « à cela près qu’il ne connaissait pas la religion de Dieu », ce n’est pas une condamnation qu’il profère à l’encontre du roi bernicien, mais pratiquement une « circonstance atténuante ».
40Ajoutons encore une épaisseur à la complexité typologique de l’épisode, et on verra à quel point Bède fait d’Æthelfrith un païen paradoxal. Comparant ce dernier à Saül, Bède cite un verset de la Genèse où Jacob mourant prophétise le devenir de la tribu de Benjamin, dont seront plus tard issus le roi Saül, mais aussi l’apôtre Paul :
Aucun chef d’armée, aucun roi ne conquit, plus que lui, de terres [bretonnes], en exterminant ou en soumettant les habitants, n’en fit des terres soit redevables d’un tribut aux Anglais, soit habitables par eux. On aurait pu à juste titre lui appliquer ce que disait le patriarche [Jacob] en bénissant son fils [Benjamin], tout en présageant la personne de Saül : « Benjamin, loup rapace : le matin, il dévorera une proie, le soir il partagera le butin »111.
41La brutalité et l’avidité d’Æthelfrith, « roi très courageux et très avide de gloire », justifient la comparaison avec Saül. Mais au-delà, c’est l’ensemble des Northumbriens, et même des Angles, qui sont identifiés à Æthelfrith (rappelons ici qu’il est appelé rex Anglorum112, seule occurrence de la locution dans l’ensemble de l’Historia ecclesiastica si l’on exclut la reprise des lettres de Grégoire le Grand), et à travers lui à Saül et à son homonyme Saul/Paul, apôtre des gentes (à qui ce passage de la Genèse était ordinairement appliqué par l’exégèse113). Avec Georges Tugène, on estimera donc que tous les Angles, massacreurs des chrétiens avant de se convertir puis de conduire eux-mêmes des missions vers leurs « frères de même sang » en Germanie114, sont présentés à travers cet épisode comme les reflets exégétiques de l’apôtre Paul, persécuteur des premiers chrétiens avant de devenir le plus grand propagateur de la foi115. Les Angles représentent donc, pour reprendre les mots que Bède applique aux Philistins dans son commentaire sur Samuel, les gentes saluandas, à savoir les peuples préchrétiens destinés au salut116. Si le destin personnel d’Æthelfrith, mort païen en affrontant le préchrétien Edwin, n’est pas identique à celui de la gens préchrétienne dont il est présenté comme le roi, il révèle néanmoins la vocation singulière et paulinienne de son peuple : en d’autres termes, Æthelfrith est bien un Saül, c’est-à-dire un Saul qui ne serait jamais devenu Paul.
42Ainsi, à la charnière des deux temps, païen et chrétien, Bède installe non pas la rupture brutale mais une figure ambivalente, ni entièrement louable ni entièrement condamnable. S’il a opéré ce sauvetage, c’est sans nul doute parce qu’Æthelfrith était comme lui un Bernicien, et même le véritable créateur de la puissance bernicienne. Æthelfrith était aussi le père de saint Oswald, et comme tel il ne pouvait être entièrement rejeté – tout comme l’hagiographe de Whitby ne pouvait rejeter Ælle, le père de son héros Edwin. Par son autre fils Oswiu, il était aussi l’ancêtre direct en ligne paternelle – plus précisément le grand-père et l’arrière-grand-père – des rois sous lesquels Bède a effectué l’essentiel de sa carrière, à savoir Aldfrith, Osred et Osric. Assurément Ceolwulf, à qui Bède a dédié son œuvre, n’était pas un descendant d’Æthelfrith, mais il se rattachait à la même dynastie issue d’Ida, le fondateur de la Bernicie. En outre, c’est sous le règne d’Osric que Bède a écrit une grande partie de son Histoire ecclésiastique, achevée deux ans seulement après l’arrivée de Ceolwulf sur le trône. En tout état de cause, il se peut que l’establishment bernicien, auquel appartenaient Bède et les abbés de son monastère, ait entretenu une mémoire positive du dernier roi païen, ne serait-ce que pour contrer les mémoires négatives dont témoignent en milieu breton les Triades, et en milieu deiran la Vita Gregorii. Certes il était païen, certes il tuait des chrétiens, certes il a massacré des moines, mais au bout du compte Dieu approuvait ce qu’il faisait. D’une certaine manière, on peut dire que Bède a fait subir à Æthelfrith ce qui est arrivé à Woden, son ancêtre divin. Il l’a conservé dans la mémoire bernicienne (et désormais northumbrienne), mais il a désamorcé sa dangerosité en faisant de lui un antitype imparfait d’Oswald, tout comme Saül préfigurait imparfaitement David.
43Les propos ambigus de Bède sur Æthelfrith sont donc, pour ainsi dire, à usage interne au royaume des Northumbriens : ils servent à la polémique entre Idingas et Yffingas, à la légitimation dynastique des premiers et à la justification de la domination northumbrienne sur les Bretons. C’est ce dont témoigne le désintérêt presque total dont les sources ultérieures, composées hors de Northumbrie, ont fait preuve à l’égard de ce personnage – à l’exception, comme on l’a vu, des sources galloises qui l’ont au contraire poursuivi de leur rancune tenace. La Chronique anglo-saxonne, qui vient du Wessex, se contente de rapporter son avènement, la bataille de Degsastan et sa mort, puis elle l’intègre dans plusieurs rappels généalogiques117 ; à aucun moment elle ne commente la carrière du personnage ; quant à la bataille de Chester, que Bède datait mal et qu’il avait volontairement insérée à contretemps dans l’architecture chronologique de son Historia, elle disparaît. Æthelweard, qui a adapté la Chronique en latin pour un public ouest-saxon et saxon continental à la fin du xe siècle, omet entièrement de le mentionner. La pertinence de la figure d’Æthelfrith, grande dans la Northumbrie du viiie siècle, avait donc disparu dans le Wessex des ixe et xe siècles, et cette figure bizarre gênait peut-être plus qu’autre chose les rédacteurs, qui voyaient mal comment ce tyran tueur de moines pouvait prendre place dans des œuvres visant à exalter la nation anglaise (Angelcynn) et ses rois ouest-saxons tout en édifiant leurs lecteurs. La seule exception est le Bède vieil anglais, qui traduit assez fidèlement, à quelques omissions près, les deux passages concernant Æthelfrith : en particulier, la comparaison avec Saül et la citation de la Genèse concernant Benjamin sont conservées118. Le fait que le traducteur, dont la sélection parmi les chapitres de l’Historia ecclesiastica est parfois drastique, ait conservé ces deux épisodes pourrait alors être un indice supplémentaire du fait que l’œuvre n’est pas d’origine ouest-saxonne, et que sa connexion avec le milieu alfrédien constitue un mythe historiographique119.
L’héroïque et tragique sacrifice de Lilla et Fordheri
44La dimension tragique et « saülienne » du seul portrait de bon païen développé dans l’œuvre historique de Bède montre bien que celui-ci, contrairement à l’anonyme de Whitby, n’envisageait pas une minute la possibilité d’un salut ou d’un sauvetage autre que purement mémoriel pour un païen comme Æthelfrith : « à celui qui n’a pas, on prendra même ce qu’il a120 ». Pour cette raison, il y a une véritable dimension tragique dans le sort de Lilla et Fordheri, gardes du corps du roi Edwin. La scène est le dimanche 20 avril 626, jour de Pâques, à la cour d’Edwin, depuis dix ans roi des Northumbriens. Marié depuis un an à la princesse kentoise Æthelflæd, qui la nuit précédente a accouché d’une fille121, Edwin a accueilli dans les bagages de son épouse le missionnaire Paulin ; il songe depuis lors à se convertir au christianisme. C’est dans ce contexte que, à la faveur des festivités pascales, une tentative de meurtre est perpétrée contre la personne du roi. Un assassin nommé Eumer, envoyé par le roi ouest-saxon (et païen) Cwichelm, tente de tuer le roi avec une épée enduite de poison.
[Eumer] arriva auprès du roi le premier jour de la Pâque, au bord du Derwent, où se trouvait alors une résidence royale, et il entra, se prétendant porteur d’un message de son maître ; il était en train, d’une langue rusée, de s’acquitter de sa prétendue mission quand soudain il se dressa et, ayant dégainé l’épée cachée sous son vêtement, il se jeta sur le roi. Ce que voyant, Lilla, le compagnon le plus attaché au roi, n’ayant pas de bouclier sous la main pour protéger le roi de la mort, interposa alors son propre corps, l’offrant au coup de l’assassin ; mais l’ennemi mit tant de violence à planter son fer qu’il traversa le corps du soldat, le tua et blessa aussi le roi. De tous côtés des épées se dressèrent contre l’assassin, mais, dans la mêlée, il réussit à tuer de son épée maudite un autre des soldats, nommé [Fordheri]122.
45Comme on l’a vu, il n’est pas habituel que Bède nomme des païens sans les dénigrer ou les condamner, et il est encore plus rare qu’il use à leur égard de termes aussi élogieux : le nom du miles Fordheri, et plus encore celui de Lilla, « serviteur et grand ami du roi123 », ne nous ont donc pas été transmis sans raison. On ignore pourquoi leurs noms – avec celui de l’assassin Eumer – étaient connus de Bède, qui les consigne plus de cent ans après l’événement, car ces trois noms ne sont mentionnés que dans la seule Historia ecclesiastica : ils sont inconnus, par exemple, de la Vita Gregorii, qui s’étend pourtant assez longuement sur la figure d’Edwin. Pourtant, la mémoire du sacrifice héroïque de Lilla et de la mort tragique de Fordheri a sans doute été conservée en lien avec celle de la naissance la nuit précédente d’Eanflæd, la fille aînée d’Edwin et Æthelflæd : une origine ecclésiastique (et écrite) de cette mémoire est donc probable, même si une transmission orale de nature « héroïque » en milieu aristocratique deiran n’est pas entièrement à exclure124. Si ce n’est pas à Whitby que les noms de Lilla et Fordheri ont été mémorisés, il est possible qu’ils l’aient été à proximité de cette résidence non identifiée des bords de la Derwent – à York par exemple, ou dans un autre établissement de cette partie de la Deira ; il est possible aussi que Paulin, plus tard réfugié à Cantorbéry puis à Rochester, les ait consignés et que Bède les ait obtenus par ce canal125.
46Il ne fait aucun doute en tout cas que Lilla et Fordheri étaient païens. Bède précise dans le même chapitre qu’Eanflæd, née dans la nuit précédant leur mort, « fut baptisée le saint jour de la Pentecôte, la première de la nation des Northumbriens, et, avec elle, onze autres personnes de sa [maisonnée]126 ». Si Eanflæd fut la première le 8 juin 626, c’est donc que le 20 avril de la même année Lilla et Fordheri étaient encore païens. Il est peu probable par ailleurs qu’ils aient été catéchumènes, car la tradition (surtout si elle est ecclésiastique) n’aurait pas manqué de le souligner en notant qu’ils étaient morts après avoir reçu la prima signatio127. La dimension proprement pascale de leur sacrifice ne doit pas être ignorée : n’oublions pas qu’ils meurent le jour même de Pâques, qui a vu la naissance de la première baptisée parmi les Northumbriens. Leur mort semble alors symboliser la fin d’un « ancien régime » politico-religieux du royaume des Northumbriens, dans lequel le roi, la dynastie et la cour avaient besoin de la protection héroïque et sacrificielle d’un minister amicissimus ; désormais, le roi n’aura plus besoin que la protection du Dieu chrétien qui lui assurera la victoire. C’est ainsi qu’Edwin, ayant échappé à l’épée du meurtrier, « promit de renoncer à ses idoles pour servir le Christ » s’il remportait la victoire contre son ennemi ouest-saxon : le baptême d’Eanflæd à la Pentecôte 626, prémisses de celui de son père à Pâques 627, est le premier effet de cet engagement du roi puisque celui-ci confie sa fille nouveau-née à Paulin « comme gage qu’il tiendrait sa promesse128 ». C’est pour cela que le sacrifice de Lilla et de Fordheri est héroïque et digne d’être commémoré, et que leurs noms méritent de passer à la postérité. Plus encore, ce sacrifice n’est pas vain, puisqu’il permet la survie d’Edwin, son engagement sur le chemin de la conversion, et enfin le baptême de sa fille Eanflæd et de onze autres Northumbriens. Julia Barrow a comparé Lilla à l’apôtre Jean129, le « disciple que Jésus aimait », car l’amicissimus obéit à la lettre à la phrase de l’Évangile de Jean, « nul d’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime130 ». Mais il me semble qu’on peut aller encore plus loin dans l’analyse typologique et proposer un parallèle entre Lilla et le Christ lui-même. Obéissant au code héroïque qui est celui du guerrier païen qu’il est, Lilla meurt pour son seigneur et ami le jour de Pâques. Or Edwin, tout de suite après avoir échappé à la mort, promet de « servir le Christ, s’il lui donnait la vie et la victoire au combat131 » contre son ennemi Cwichelm. Ce que fait Lilla est donc, à son échelle, la même chose que ce que fait le Christ : être amicissimus, donner sa vie pour celui qu’il aime et lui assurer par-là uitam et uictoriam.
47Et pourtant Lilla reste un païen, mort païen. Toutes les comparaisons typologiques du monde, fussent-elles avec le Christ lui-même, ne suffisaient pas aux yeux de Bède à lui ouvrir la voie du salut. Son sacrifice est certes utile pour Edwin, pour Eanflæd, pour toute la gens Nordanhymbrorum, et pour les progrès du christianisme vers la réalisation eschatologique de la conversion de toutes les nations132, mais pour lui-même il est absolument vain. La Vulgate traduit ainsi la phrase de l’Évangile de Jean que Julia Barrow a rapprochée de cet épisode : « Personne n’a d’amour plus grand que celui qui se défait de son âme pour ses amis133. » Or n’est-ce pas précisément ce qu’a fait Lilla ? Il a donné non seulement sa vie et son corps, mais aussi son âme de païen damné, pour son maître et ami le roi. Le silence de Bède sur le devenir posthume de Lilla et Fordheri – où et comment ont-ils été ensevelis ? comment a-t-on gardé mémoire de leurs noms ? qu’a-t-on dit d’eux et de leur sort dans l’entourage de Paulin ? – n’est peut-être pas uniquement dû au peu d’informations dont il disposait. Il nous fait aussi toucher du doigt ce qu’il pouvait y avoir de tragique dans la figure chrétienne du bon païen.
Notes de bas de page
1 1 S 15, 24-29 (trad. TOB).
2 Sur la biographie de Bède, voir en dernier lieu Higham, (Re-)Reading, p. 13-16.
3 Hilliard, « The Venerable Bede », p. 106-107. Sur le schéma eschatologique impliquant la conversion de toutes les gentes, voir aussi Molyneaux, « Did the English », p. 727-730.
4 Bède, HEGA, I, 7 (Alban) ; II, 9-20 (Edwin) ; II, 13 (Coifi) ; III, 1-13 (Oswald).
5 Bède, In Lucam, II, 7, 8, éd. Hurst, p. 156 : Milites et serui qui centurioni oboediunt uirtutes sunt naturales quarum non minimam copiam multi ad dominum uenientes secum deferunt.
6 Bejczy, The Cardinal Virtues, p. 34, citant l’Homilia in Hiezechihelem de Grégoire le Grand.
7 Zech, « Heidenvorstellung », p. 40 et 44.
8 Bède, HEGA, préface, éd. et trad. cit., t. I, p. 94-97.
9 Higham, (Re-)Reading, p. 72 ; voir aussi p. 98 sur la méthode exégétique.
10 Knaepen, « L’histoire gréco-romaine ».
11 Voir supra, p. 184-185.
12 Sur tous ces sujets, voir les réflexions (trop ?) subtiles de Furry, Allegorizing History, en particulier p. 59-63. Voir aussi Thacker, Bede and Augustine, qui expose la pratique proprement historienne qu’a Bède de la méthode exégétique figurale.
13 Voir en particulier Weber, « Intellegere Historiam ».
14 Bède, In I Samuhelem, II, x, 25, éd. Hurst, p. 92 : Sciat hoc esse consuetudinis expositorum immo rationis scripturarum ut uel de malo bonam vel de bono homine malam allegoriae formam ubi sic ordo poposcerit indifferenter assumant.
15 Wood, « Who Are the Philistines ? ? », p. 176 et 180-183.
16 Tugène, L’idée de nation, p. 103-104.
17 Bède, HEGA, I, 23, éd. et trad. cit., t. I, p. 192 : anno circiter cl .
18 Plassmann, Origo, p. 77.
19 Tugène, L’idée de nation, p. 249.
20 Plassmann, Origo, p. 84.
21 Ibid., p. 361.
22 Ibid., p. 60.
23 Elfassi, « L’occultation du paganisme », p. 66-69 ; on retrouve la différence de traitement entre divinités et héros, évoquée supra p. 254-255.
24 Patzold, « Wahrnehmen », p. 87-89 ; Padberg, « Christen und Heiden », p. 296, remarque de la même façon qu’Altfrid, dans la Vita Liudgeri, ne mentionne pas le nom de l’arrière-grand-mère païenne de Liudger : il y a là une forme de damnatio memoriae.
25 Baroin, Se souvenir, p. 90.
26 Voir supra, p. 94.
27 Bède, HEGA, I, 1.
28 Ibid., II, 2 (épisode des Angles angéliques) et II, 14 (inventaire de la parenté d’Edwin). Voir sur ce point le commentaire de Miller, « The Dates », p. 38.
29 Bède, HEGA, III, 1. Il est vrai que leurs noms nous sont connus précisément grâce à Bède. Mais ces deux rois éphémères, Eanfrith (roi des Berniciens) et Osric (roi des Deirans) ne sont pas des païens stricto sensu : ce sont des apostats qui ont renié le baptême.
30 Wormald, « Bede, Beowulf », p. 60.
31 Ibid., I, 15, t. I, p. 166-167.
32 Ibid., II, 5, t. I, p. 314-315.
33 Ibid., II, 15.
34 Ibid., II, 14, t. I, p. 370-371.
35 Ibid., II, 3, t. I, p. 300-301.
36 Ibid., III, 6, t. II, p. 44-45 ; la mention est répétée en III, 16.
37 Ibid., V, 24, t. III, p. 182-183.
38 Tugène, L’idée de nation, p. 97.
39 Voir supra, p. 247 sq.
40 Voir supra, p. 238 sq.
41 Bède, HEGA, II, 5, t. I, p. 310-311 : sed primus omnium caeli regna conscendit.
42 Bède vieil anglais, I, 15 (généalogie de Hengest et Horsa) ; II, 5 (généalogie d’Æthelberht) ; II, 12 (généalogie de Rædwald).
43 Ibid., II, 5, éd. Miller, p. 108 : Wæs he se ðridda cyning in Ongolþeode cyningum þæt allum suðmægþum weold ┐ rice hæfde oð Humbre stream.
44 Ibid., p. lvi (discussion) et p. 486-487 (texte).
45 Voir supra, p. 253.
46 Voir supra, p. 167-168.
47 Les pages qui suivent reprennent en grande partie mon article « Tueur de moines ».
48 Le nom de « Chronique d’Irlande » a été donné en 1972 par Kathleen Hughes à un texte aujourd’hui perdu, mais qu’on peut reconstruire à partir d’éléments communs à plusieurs textes annalistiques irlandais ultérieurs, répartis en deux groupes : les Annales d’Ulster d’une part, le « groupe de Clonmacnois » d’autre part, constitué avant tout des Annales de Tigernach et du Chronicon Scottorum. La reconstitution récemment proposée en trad. angl. par T. M. Charles-Edwards offre un bon accès à ce texte et a été pour l’essentiel validée par les commentateurs, qui se sont attachés à corriger les quelques erreurs qu’elle comporte. Voir Hughes, Early Christian Ireland, chap. 4 ; l’introduction de la trad. Charles-Edwards, t. 1, p. 1-9 ; le compte rendu de cette trad. par N. Evans ; et la discussion par Flechner, « The Chronicle ».
49 « Chronique d’Irlande », s. a. 600. Je traduis à partir des Annales de Tigernach, éd. Stokes, p. 163 : Cath Saxonum la hAedan, ubi cecidit Eanfraith frater Etalfraith la Maeluma mac Baedan, in quo uictus erat. Les conventions typographiques sont celles de la « Chronique d’Irlande », trad. Charles-Edwards, t. 1, p. 121 : le texte en caractères romains est commun aux Annales d’Ulster et aux annales du « groupe de Clonmacnois » ; le texte en italique est propre à celui-ci.
50 « Chronique d’Irlande », s. a. 613, dans Annales de Tigernach, éd. cit., p. 171 : Cath Caire Legion ubi sancti occissi sunt, et cecidit Solon mac Conain rex Bretanorum et Cetula rex cecidit. Etalfraidh uictor erat, qui post statim obit ; voir aussi « Chronique d’Irlande », trad. Charles-Edwards, t. 1, p. 128.
51 Flechner, « The Chronicle », p. 433-434.
52 Bromwich, Trioedd, p. xi et xvi : c’est en particulier le cas du ms. Peniarth 16 de la National Library of Wales, un manuscrit composite dont les divers éléments ont été copiés entre le xiiie et le xve siècle. D’autres témoins importants datent du xive siècle.
53 Ibid., p. lxvii.
54 L’intérêt de cette source pour l’histoire d’Æthelfrith a été souligné par Cessford, « The Death ».
55 On trouvera un résumé du règne dans Cramp, « Æthelfrith » ; les dates sont discutées par Miller, « The Dates ».
56 La localisation exacte est inconnue : sans doute dans le Sud de l’Écosse actuelle.
57 Un décalage de trois années s’est glissé dans la « Chronique d’Irlande » jusqu’aux alentours de 642. Ainsi l’événement, rapporté sous l’année 600, date sans doute de 603 : trad. cit., t. 1, p. 128, n. 1 ; c’est la date mentionnée par Bède, HEGA, I, 34.
58 Bède, HEGA, II, 2, éd. et trad. cit., t. I, p. 296-297.
59 Sur le décalage de trois ans avec la date de 613 donnée par la « Chronique d’Irlande », voir la note ci-dessus.
60 Bède, HEGA, III, 6 ; Historia Brittonum, chap. 63. On notera que pour Bède, HEGA, III, 16, Bebba n’est pas l’épouse d’Æthelfrith mais seulement « une reine d’autrefois ». On peut se référer à nouveau à la généalogie des rois northumbriens (illustration no 2).
61 Voir la carte (illustration no 4).
62 Stancliffe, Bede and the Britons ; Clark, « Thinking ».
63 Historia Brittonum, chap. 57. Je conserve les graphies très erratiques du ms. Londres, British Library, Harley 3859, en suivant l’éd. Faral, p. 39 : Woden genuit Beldeg, genuit Beornec, genuit Gechbrond, genuit Aluson, genuit Inguec, genuit Aedibrith, genuit Ossa, genuit Eobba, genuit Ida. Ida autem duodecim filios habuit, quorum nomina sunt : Adda, Aeadlric, Decdric, Edric, Deothere, Osmer, et unam reginam Bearnoch, Ealric. Ealdric genuit Aelfret. Ipse est Aedlfred Flesaur. Nam et ipse habuit filios septem, quorum nomina sunt : Anfrid, Osguald, Osbiu, Osguid, Osgudu, Oslapf, Offa.
64 Ibid., chap. 63, p. 43 : Eadfered Flesaurs regnavit XII annis in Berneich et alios XII in Deur ; XXIV annis inter duo regna regnavit, et dedit uxori suae Dinguoaroy, quae vocatur Bebbab, et de nomine suae uxoris suscepit nomen, id est Bebbanburth.
65 Trioedd Ynys Prydein, no 10W, éd. Bromwich, p. 18 : Tri Vnben Deiuyr a Bryneic(h), a thri beird oedynt, a thri meib Dissynynda6t, a wnaethant y Teir Mat Gyfla6an. Voir aussi no 32, p. 73.
66 Ibid. : Sgafynell ap Dissynynda6d, a lada6d Edelflet Ffleissa6c vrenhin Lloegyr.
67 Cessford, « The Death », p. 180.
68 Historia Brittonum, trad. Morris, p. 38.
69 Trioedd Ynys Prydein, no 10W, éd. Bromwich, p. 18.
70 L’expression est vrenhin Lloegyr dans les Triades. On sait que le nom de Lloegr est devenu, sous la forme française « Logres », celui de l’Angleterre dans les romans arthuriens.
71 Cessford, « The Death », p. 182-183.
72 Ibid., chap. 56, p. 39 : Ipse fuit primus rex in Beornica, id est im Berneich.
73 Ibid., chap. 65, p. 44 : rex Nordorum.
74 Ibid., chap. 57, p. 39 : rex Pictorum ; chap. 59, p. 40 : de ortu regum Eastanglorum ; chap. 63, p. 43 : regnum Cantiorum ; chap. 65, p. 44 : rex Merciorum ; chap. 61, p. 41 : de regibus Deurorum.
75 Historia Brittonum, chap. 61 et 64, éd. cit., p. 41 et 43 : regis Guenedotae regionis ; regem Guenedotae regionis.
76 Hamp, « Loegr ».
77 Annales Cambriae, s. a. 613, éd. Faral, p. 46 : Gueith Cair Legion, et ibi cecidit Selim, filius Cinan.
78 Historia Brittonum, chap. 64.
79 Higham, « Bancornaburg », p. 314-316.
80 Sur le contexte de composition et les objectifs de l’Historia Brittonum, voir Higham, King Arthur, p. 119-124, et Gautier, Arthur, p. 197-199.
81 Vita Gregorii prima, chap. 12.
82 Voir supra, p. 311 sq.
83 Vita Gregorii prima, chap. 16, éd. cit., p. 98-100 : Verum itaque omnes fuisse scimus quia idem rex fuit exul sub rege Uuestanglorum Redualdo, quem emulus suus sic passim persecutus est, qui eum ex patria pulsit tirannus Ędilfridus, ut eum pecunia sua emere occidendum querebat. Le mot Uuestanglorum est clairement une erreur : on ne connaît pas de royaume des « Ouest-Angliens ».
84 Snyder, An Age of Tyrants, p. 90-108.
85 Bède, Chronica maiora, § 531, éd. cit., p. 309 : Et quidem Aedilberectus mox ad Christi gratiam conversus cum gente Cantuariorum, cui praeerat, proximisque provinciis etiam episcopum doctoremque suum Augustinum, sed et ceteros sacros antistites episcopali sede donabat. Porro gentes Anglorum ab aquilone Humbri fluminis sub regibus Aelle et Aedilfrido sitae necdum verbum vitae audierant.
86 Higham, (Re-)Reading, p. 120-122.
87 Bède, HEGA, I, 34, éd. cit., t. I, p. 262 : diuinae erat religionis ignarus (je traduis).
88 Zech, « Heidenvorstellung », p. 29.
89 Ibid., p. 41-42.
90 Bède, HEGA, I, 34, éd. et trad. cit., t. I, p. 262-263 : rex fortissimus et gloriae cupidissimus.
91 Ibid., I, 34, t. I, p. 264-265.
92 ASC ms. E, s. a. 603, éd. Irvine, p. 22 : Hering Hussan sunu lædde þone here ðider.
93 Bangor Is-coed, ou Bangor-on-Dee, est situé dans le Nord-Est du pays de Galles, près de la frontière anglaise, à une trentaine de kilomètres au sud de Chester.
94 Higham, « Bancornaburg », p. 314.
95 Bède, HEGA, II, 2, éd. et trad. cit., t. I, p. 296-299.
96 Ibid., II, 15, sur l’ambiguïté de sa conversion au christianisme et sa demi-apostasie.
97 Ibid., II, 12.
98 Bède, HEGA, I, 34 : regno Nordanhymbrorum praefuit (je traduis).
99 Ibid., II, 2.
100 Ibid., II, 12, éd. cit., t. I, p. 361 : regis sibi infesti ; in regni gloriam.
101 C’est Oswald qui vainc et tue l’abominable roi breton Cadwallon, meurtrier d’Edwin et allié du païen Penda : ibid., III, 1.
102 Voir supra, p. 50-51.
103 Bède, HEGA, I, 34, éd. et trad. cit., t. I, p. 262-263.
104 1 S 15, 1-31.
105 1 S 28, 7-25.
106 Thacker, « Bede, the Britons », p. 135-137.
107 Bède, In I Samuhelem, II, xv, 27-28, éd. Hurst, p. 134 : Sed et hodie quisque sacra eloquia quibus eruditus est et ad quaerendum regnum caeleste imbutus est improba mente contempserit quia uestem sacrosanctam ungentis se in regnum maculat ablatam sibi regni beatitudinem proximo meliori relinquit.
108 Voir la citation en épigraphe à ce chapitre.
109 Thacker, « Bede, the Britons », p. 140-141.
110 Ibid., p. 144-146 ; voir aussi Rollason, Northumbria, p. 192.
111 Bède, HEGA, I, 34, trad. cit., t. I, p. 262-263. La citation scripturaire est tirée de Gn 49, 27.
112 Ibid., II, 2, t. I, p. 296.
113 Bède lui-même n’a pas commenté ce verset car son commentaire de la Genèse ne va que jusqu’à la naissance d’Isaac au chap. 21, mais le rapprochement entre ce verset et la carrière de Paul est courant et ancien dans l’exégèse chrétienne de l’Ancien Testament : par exemple Jérôme, Quaestiones hebraicae in Genesim, XLIX, 27.
114 Rappelons-nous l’expression de Boniface dans sa lettre no 46 : voir supra, p. 225.
115 Tugène, « L’histoire “ecclésiastique” », p. 164.
116 Bède, In I Samuhelem, commentant 1S 27.1-28-2. Voir le commentaire de Wood, « Who Are the Philistines ? », p. 182-183.
117 ASC ms. A, s. a. 593, 603, 670 et 685 ; ms. E, s. a. 593, 603, 617 et 634.
118 Bède vieil anglais, I, 18 (traduction pratiquement littérale de HEGA, I, 34) et II, 2 (traduction de presque tout le chapitre HEGA, II, 2). Les omissions sont peu pertinentes dans le cadre de cette étude : il s’agit par exemple de ce qui concerne le chef chrétien breton Brocmail.
119 C’est la position défendue récemment par Rowley, The Old English Version, en particulier p. 68-70.
120 Mc 4, 25 : qui non habet etiam quod habet auferetur ab illo. Dans son commentaire sur Marc, Bède interprète cette phrase comme se référant à ceux qui n’ont pas l’amor uerbi, la caritas et la fides, et en particulier aux juifs « perfides », à qui ce qu’ils avaient a été enlevé. Voir Bède, In Marcum, I, iv, 25, éd. Hurst, p. 485-486.
121 Cette fille n’est autre que cette même Eanflæd rencontrée au chapitre précédent, qui épousa le roi Oswiu, fut par la suite moniale à Whitby, gouverna le monastère pour le compte de sa fille Ælfflæd et favorisa à Whitby le culte de son père Edwin.
122 Bède, HEGA, II, 9, éd. et trad. cit., t. I, p. 336-337. Fordheri est la graphie présente chez Bède, et que je retiens ; les traducteurs des « Sources chrétiennes » ont transcrit le nom dans la norme ouest-saxonne Forthhere, qu’on trouve par exemple dans le Bède vieil anglais, II, 9, éd. cit., p. 122 : Forðhere.
123 Je traduis ainsi l’expression minister regi amicissimus ; le Bède vieil anglais traduit par se cyninges þegn him se holdesta, « le serviteur du roi le plus loyal envers lui ». Le mot thegn est la traduction ordinaire de minister, terme qui désigne dans l’Angleterre du viie-viiie siècle un membre de ce qu’en milieu franc on appellerait la « truste » royale ; littéralement, le mot signifie « serviteur ».
124 C’est ce que suggère Mayr-Harting, The Coming of Christianity, p. 224.
125 C’est ce que suggère Wallace-Hadrill, Bede’s Ecclesiastical History, p. 67-68.
126 Bède, HEGA, II, 9, éd. et trad. cit., t. I, p. 336-337 : je préfère traduire de familia eius par « de sa maisonnée » plutôt que par « de sa famille », version retenue tant par les traducteurs des « Sources chrétiennes » que par l’équipe réunie autour d’O. Swerwiniack.
127 Sur ce rituel capital pour « placer » certains païens, voir infra, p. 390-391.
128 Bède, HEGA, II, 9, éd. et trad. cit., t. I, p. 336-337.
129 Barrow, « How Coifi Pierced », p. 699.
130 Jn 15, 13 (trad. TOB).
131 Bède, HEGA, II, 9, éd. et trad. cit., t. I, p. 336-337 : rex promisit se abrenuntiatis idolis Christo seruiturum, si uitam sibi et uictoriam donaret pugnanti aduersus regem (je traduis).
132 Cet objectif est particulièrement important pour Bède, qui voit la conversion des Angles puis leurs missions en Germanie comme autant d’étapes vers cet avenir eschatologique : voir en dernier lieu Molyneaux, « Did the English », p. 727-729.
133 Jn 15, 13 : Maiorem hac dilectionem nemo habet ut animam suam quis ponat pro amicis suis (je traduis et je souligne).
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