La concorde et le pouvoir personnel : la période de domination césarienne à Rome (49-44)
p. 331-396
Texte intégral
1Après la lettre de décembre 54 adressée à Lentulus Spinther, Cicéron n’utilisa plus le terme de concordia dans ses écrits jusqu’au Pro Ligario, prononcé en 46, ni dans sa correspondance jusqu’en décembre 501. En revanche, d’autres sources prennent le relais, en s’intéressant à la genèse de la guerre civile. À l’origine de celle-ci, il y avait, d’après ces auteurs, la rupture de la concordia entre Pompée et César. Si cette idée générale se retrouve chez Cicéron au moment même de la guerre civile, elle prit une forme particulière chez certains auteurs de l’époque impériale, qui estimaient que cette rupture de la concorde avait été la conséquence de la disparition d’un troisième personnage qui se tenait d’une certaine manière entre les deux généraux : Crassus ou Julie.
2En ce qui concerne la période à partir de décembre 50, alors que la guerre civile était imminente, jusqu’en avril 49, lorsque, Pompée ayant rejoint l’Orient, Cicéron décida de quitter lui aussi l’Italie pour le rejoindre, la correspondance de ce dernier devient notre principale source sur la concordia. Pendant cette époque troublée, le terme concordia se trouve aussi bien dans des lettres de Cicéron à propos de la situation politique, de son action ou de celle de Pompée ou de César que dans des lettres qu’il reçut de L. Cornelius Balbus, qui agit alors pour le persuader de rejoindre le camp césarien. La correspondance de Cicéron peut ainsi nous permettre d’étudier de quelle manière la concordia fut utilisée par des adversaires politiques dans un contexte de très vive controverse.
3Pendant la période de domination césarienne à Rome, qui dura jusqu’en 44, les sources sur la concorde sont plus variées. Les discours que prononça alors Cicéron, les lettres du Pseudo-Salluste, ainsi que les œuvres d’auteurs de l’époque impériale montrent que partisans et adversaires de César utilisèrent ce thème de la concorde pour justifier ou condamner sa politique, principalement à propos de la question de l’abolition des dettes.
4De manière générale, les sources sur cette période vont nous permettre de nous interroger sur l’utilisation du thème de la concorde, entre le déclenchement de la guerre civile et l’assassinat de César, dans un contexte d’affirmation d’un pouvoir de type personnel.
La rupture de la concordia entre César et Pompée à l’origine de la guerre civile
5Une anecdote transmise par Plutarque, que nous avons déjà évoquée, montre que, dès l’époque de la guerre civile entre César et Pompée, apparut un questionnement sur le lien entre cette guerre et la concorde des triumvirs. D’après l’auteur grec, Caton affirmait que, contrairement à ce que certains prétendaient, ce n’était pas la division entre les triumvirs qui avait conduit à la guerre civile, mais au contraire leur concorde2. Certains sénateurs, comme Caton, lurent donc cette guerre comme la conséquence, originellement, d’un conflit entre les triumvirs et leurs opposants au Sénat. Cette analyse sombra sans doute avec la défaite des républicains, mais le texte de Plutarque montre également que Caton eut à lutter contre une idée très répandue à son époque, selon laquelle la guerre civile était la conséquence de la rupture de la concorde entre les triumvirs. Les sources d’époque impériale reprirent en général ce point de vue et s’interrogèrent par conséquent sur les causes de la rupture de cette concorde entre César et Pompée. Avant d’étudier les textes qui évoquent cette concorde, nous allons nous intéresser à une monnaie dont l’une des faces faisait peut-être référence aux prémices de la guerre civile. Ce questionnement sur l’accord des imperatores comme fondement de la concorde allait sans doute de pair avec une analyse faisant du triumvirat une tentative réussie de prise du pouvoir par les trois hommes3. Ainsi, ces derniers occupant de manière exclusive le sommet de l’État, la guerre civile ne pouvait être qu’un conflit entre eux.
La monnaie de L. Vinicius
6Une monnaie faisait peut-être référence à cette période de tensions entre César et Pompée dans la période précédant immédiatement la guerre civile. Dans la seconde moitié des années 50, probablement avant 51, le monétaire L. Vinicius fit frapper une monnaie portant au droit le profil de Concordia et au revers une représentation de la Victoire4. L. Vinicius s’opposa, en tant que tribun de la plèbe, en 51, à des projets s’attaquant aux intérêts de César5. Mais le revers reprenait une iconographie et un thème pompéiens6. On peut donc supposer que ce personnage gravitait dans l’orbite des triumvirs et que la Concordia de ses monnaies constituait une référence à la concorde des triumvirs, telle qu’elle fut mise en avant par ces derniers après les accords de Lucques en 56. Si l’on accepte la datation de M. Crawford, c’est-à-dire 52, on peut même interpréter cette monnaie dans un contexte de tensions croissantes entre César et Pompée, après la mort de Julie et surtout de Crassus. Cette monnaie, en établissant un lien entre la victoire militaire et la concorde, et en reprenant donc, en 52, un thème qui pouvait parfaitement faire référence aux victoires de Pompée comme à celles de César en Gaule, rappelait que la force des triumvirs venait de leur union contre une grande partie du Sénat.
La mort de Crassus
7Un passage de Lucain, dans lequel le terme concordia est utilisé deux fois, évoque à la fois la concordia des triumvirs et sa rupture7. Lucain définit le triumvirat d’abord comme une mauvaise, une injuste concorde (male concors), dont Rome aurait été victime8. Il justifiait ce point de vue en affirmant que le partage de la domination (regnum) et de la puissance (potestas) était impossible. Il comparait les triumvirs à Romulus et Remus, que l’impossibilité d’un partage du même type avait menés au fratricide9. Encore une fois, la question de l’établissement ou de la rupture de la concordia était donc liée à celle de l’égalité de puissance de ceux qui prétendaient se maintenir au sommet de l’État. Lucain définissait ensuite ce triumvirat comme une concordia discors10. Ce thème, emprunté à la philosophie grecque, et plus précisément à la pensée d’Empédocle, connut un certain succès au début du principat11. Cette concordia discors consistait en l’union d’éléments différents et irréductibles les uns aux autres, dont la mise en relation ordonnée parvenait à établir un équilibre dans une cité ou dans le monde en général. Chez Lucain, les éléments différents étaient les membres du premier triumvirat. Parmi ces trois personnages, Crassus, comparé à un isthme, séparait César et Pompée, comparés à des flots12. La disparition du premier provoquait la confrontation entre les deux autres : ainsi cette concordia provenait à la fois du caractère discordant des éléments (un isthme/des flots) et de ce que l’un d’eux (l’isthme) évitait la confrontation de deux éléments identiques (les flots). D’après ce texte, le triumvirat constituait une concordia discors en ce que la discorde se trouvait en germe dans cet accord, en raison de l’égalité entre César et Pompée. Cette tradition s’intéressait donc à la nécessité de la concorde entre ces derniers en raison de leur égalité au sommet de l’État.
La mort de Julie
8Mais, pour plusieurs auteurs de l’époque impériale, c’est la mort de Julie en 54 qui fut à l’origine de cette rupture13. Ce thème ne se trouve pas chez Cicéron, qui, dans sa correspondance, évoque pourtant cette disparition et le chagrin de César, sans en faire une cause de tension entre les deux hommes. La réaction de Cicéron semble en définitive plus conforme à ce que nous savons du sens politique des liens matrimoniaux et de leur rupture à Rome à cette époque. Si ce rôle politique ne peut être nié, on ne doit pas non plus en exagérer l’importance, et la dissolution du mariage ne rompait pas, habituellement, l’alliance entre les aristocrates14. Il s’agit donc d’une idée développée bien après l’événement lui-même, lorsque certains auteurs cherchèrent les causes de la guerre civile.
9Cette idée se trouve explicitement exprimée chez Velleius Paterculus, Valère Maxime, Plutarque et Florus15. Lucain n’utilise pas le terme de concordia, mais il compare Julie aux Sabines qui, dans la littérature annalistique, tenaient un rôle capital dans la fondation de la première concorde, dans les récits des origines de Rome16. Les auteurs les plus anciens à notre disposition sont donc Valère Maxime et Velleius Paterculus, dont les œuvres datent de la fin du règne d’Auguste et de celui de Tibère. On peut donc émettre l’hypothèse d’une idée répandue à cette époque dans les ouvrages traitant de cette période et dans les milieux littéraires des débuts du principat. Est-il possible de déterminer les sources de ces auteurs pour ce passage ? Tite-Live évoquait dans son livre 106 la mort de Julie, Caesaris filia, Pompei uxor17. Cette expression impliquait que Tite-Live insistait sur le lien que Julie établissait ainsi entre Pompée et César. Cette conception du mariage de Julie exprimée par Tite-Live se retrouve chez Velleius Paterculus, Valère Maxime, Lucain et Florus. Chez tous ces auteurs, la position de Julie entre les imperatores permettait d’éviter le conflit entre eux. L’hypothèse la plus simple consiste donc à penser que Tite-Live constituait la source de ces auteurs en ce qui concerne cette idée.
10La version de Plutarque constitue un cas particulier. Dans sa biographie de César, il affirme que la mort de Julie provoqua une grande inquiétude chez les amis de Pompée et César, c’est-à-dire les partisans des triumvirs. Ils craignaient que la paix (εἰρήνη) et la concorde (ὁμονοία), alors que la situation était déjà critique, ne fussent définitivement rompues18. Or, dans la biographie de Pompée, cet événement n’est pas traité de la même manière19. Non seulement il n’est aucunement question de concorde, mais Plutarque explique pour quelle raison : ce mariage ne servait qu’à camoufler le conflit des ambitions des deux hommes. Plutarque substitue donc, dans cette biographie, l’idée d’un désaccord fondamental entre eux, camouflé par un lien matrimonial, à celle d’une véritable concordia. Ce mariage ne pouvait dans ce cas produire une entente réelle, une concorde entre les deux hommes. Pour cet événement, il semble donc que deux sources divergentes aient été utilisées par le moraliste grec.
11Peut-on préciser la nature de ces sources ? Dans la biographie de César, Plutarque évoque les amis des deux généraux, amis qui craignaient la rupture de la concorde entre eux. Appien, qui, rappelons-le, n’utilise pas le terme de concorde dans le récit de cet événement, signale que la mort de Julie suscita la crainte que cette mort ne provoquât un conflit armé entre Pompée et César20. Un ou plusieurs auteurs favorables à César constituèrent les sources principales de ces deux auteurs dans leur description de la relation entre César et Pompée comme une concordia avant la mort de Julie, puis, juste avant la guerre civile, comme une concordia brisée par la mort de Julie, concorde que César aurait cherché à reformer. On sait qu’une source importante de Plutarque pour la Vie de César, et d’Appien pour le livre II de ses Guerres civiles fut l’œuvre d’Asinius Pollion21. Ce dernier écrivit, aux environs de 30 av. J.-C., une histoire de la guerre civile entre César et Pompée, et constitua une source importante de la plupart des auteurs qui traitèrent de ce sujet22. Cet auteur était un proche de César, et sa décision d’écrire l’histoire des guerres civiles fut en partie guidée par son souci de répondre aux œuvres des écrivains favorables à Pompée23. Pour sa part, Lucain raconte qu’après la mort de Pompée, dont on venait de lui apporter la tête24, César se mit à pleurer et prononça un dis cours25 dans lequel il regrettait que leur concorde fût perdue pour le monde : concordia mundo nostra perit26. Dans le récit qu’il fait de la réaction de César à l’annonce de la mort de Pompée27, Lucain insiste sur les liens familiaux entre les deux généraux28. Il dénonce l’hypocrisie de César, sous-entendant que sa prétention d’avoir voulu rétablir la concorde entre eux ne servait qu’à dissimuler les sentiments joyeux de César29. Lucain rejetait donc cette mise en scène, de la part de César, de sa volonté d’avoir voulu rétablir la concordia entre lui et Pompée. Sa source principale fut Tite-Live30, mais ce dernier a pu, en ce qui concerne la mort de Julie, soit utiliser une source qui nous est inconnue, Asinius Pollion ou d’autres écrivains contemporains des guerres civiles, soit reproduire des discours dont lui-même fut le témoin et qui faisaient de cette mort la cause de la rupture de la concordia.
12La comparaison de l’ensemble des sources à propos de cet épisode conduit donc à envisager une tradition double. La première affirma que la mort de Julie avait précipité la rupture de la concordia entre le gendre et le beau-père. Elle fut reprise par Valère Maxime, Velleius Paterculus, Florus et Plutarque dans sa Vie de César, peut-être à partir de l’œuvre d’Asinius Pollion. En revanche, la deuxième, très certainement postérieure, car conçue comme une réponse à la première, rejetait cette idée en dénonçant cette fausse concorde, une concorde dissimulant en fait les ambitions personnelles des deux généraux.
13Mais, avant d’étudier cette question, l’étude des quatre textes faisant de la mort de Julie une rupture de la concordia nous permet-elle d’établir une comparaison avec le cas de la mort de Crassus vu précédemment ? Décrivant la rupture de la concordia consécutive à la mort de Julie, ces textes établissent toujours un parallèle strict entre Pompée et César. Julie est présentée comme une garantie (pignus)31 entre les deux hommes. Son mariage constituait un lien (vinculum)32, une alliance (foedus)33 entre les deux généraux qui sont cités ensemble, sans précision hiérarchique. Le mariage de Julie établissait, d’après ces sources, une situation statique, qui la plaçait entre les deux généraux. L’impression qui se dégage de ces textes est donc tout d’abord que Pompée et César sont effectivement décrits comme des égaux, entre qui le mariage de Julie établit la concordia. D’autre part, mise en rapport avec la mort de Julie et la guerre civile, la concorde est indissociable ici de l’exercice du pouvoir : le problème de la relation entre Pompée et César ne se posait que dans la mesure où, sans ce mariage, leurs prétentions concurrentes à exercer le pouvoir conduiraient inévitablement au conflit. C’était dans l’exercice du pouvoir en tant que projection d’une volonté sur l’ensemble des autres citoyens que leur qualité d’égaux pouvait potentiellement conduire à la guerre civile. Ce raisonnement apparaît indissociable de la perception de cette guerre qui débuta en 50 comme une rupture du triumvirat, c’est-à-dire de la perception de ce dernier comme une concordia entre les principaux dirigeants de l’État. Le Sénat se trouvait de fait écarté, absent de cette analyse.
Conclusion
14Il paraît probable que l’explication de la rupture entre César et Pompée par la mort de Julie ne date pas de cet événement, comme l’indique le témoignage de Cicéron, mais fut avancée, après le déclenchement de la guerre civile, comme un des éléments permettant de le comprendre. L’importance de cette idée au début du principat s’expliquait par la volonté de certains auteurs de relater la crise finale de la République sous la forme d’une rupture de la concordia entre les triumvirs34.
15L’explication par la mort de Julie, comme par celle de Crassus entrait dans le cadre d’une analyse de la guerre civile comme un conflit entre les membres du triumvirat. Certains auteurs d’époque impériale estimaient que la rupture de la concorde entre ces derniers s’expliquait par la disparition d’une tierce personne, qui avait constitué à la fois un lien et une séparation entre eux, et dont la présence permettait auparavant d’éviter l’affrontement entre deux égaux.
16Cette analyse était donc indissociable d’une description des relations entre les triumvirs comme une concordia au sommet de l’État et constituait donc une victoire idéologique majeure de ces derniers. Cette concordia consistait en un point d’équilibre entre des imperatores, égaux en puissance, dont aucun ne pouvait accepter de céder à l’autre et surtout de se fondre dans le fonctionnement normal des institutions. Elle se définissait comme un moyen d’organiser la coexistence, dans la même cité, des imperatores. Leur égalité ne se mesurait pas seulement en termes de position, mais aussi d’exercice potentiellement absolu du pouvoir. Leur projet commun était de devenir l’unique princeps inter pares. Le choc des ambitions n’était évité que par la concorde. Sa rupture conduisait à une guerre pour savoir qui acquerrait une position dominante et non pour le rétablissement d’un exercice collégial du pouvoir. Selon cette analyse, la guerre civile n’opposait donc pas des généraux ambitieux et des républicains favorables à la domination du Sénat, mais seulement les ambitions concurrentes d’individus voulant dominer les autres aristocrates. Bien plus, la concorde au sommet de l’État entre les principes ne constituait plus qu’une simple alternative à la domination d’un seul.
Préférer la concorde à la guerre civile (50-49)
17Pour l’étude de la concorde, pendant la période que je vais étudier maintenant la grande majorité de nos sources est constituée de lettres de Cicéron. Il ne s’agit donc plus de prises de parole devant une assemblée ou dans une œuvre destinée au public, mais de textes adressés la plupart du temps à un individu en particulier. De plus, dans les passages qui vont nous intéresser, l’utilisation du terme concordia ne relève plus seulement de l’interprétation d’un événement passé, d’un récit historique ou d’un jugement sur un exemplum. Le terme est utilisé pour exprimer un but à atteindre en fonction de la situation politique présente, et sa présence relève donc d’une interrogation sur les moyens à mettre immédiatement en œuvre pour y parvenir. La correspondance de Cicéron va nous permettre de suivre, dans les mois entre le franchissement du Rubicon par César et le départ de Cicéron pour rejoindre Pompée en Orient, non seulement ses tentatives pour rétablir la concorde entre les deux imperatores, mais également l’utilisation, au moins par certains membres du camp césarien, du terme concordia pour justifier leurs positions.
Avant le passage du Rubicon
18Aucune source littéraire traitant de la période entre l’arrivée de la nouvelle de la mort de Crassus à Rome et le retour de Cicéron de Cilicie (décembre 50) ne décrit ou n’explique la situation en termes de concordia.
19Au cours des années 51-50, les questions du remplacement de César en Gaule et de l’acceptation de sa demande de pouvoir briguer le consulat in absentia avaient occupé une grande partie de l’activité du Sénat. Dans les débats qu’elles avaient provoqués, César s’était appuyé sur certains tribuns de la plèbe, principalement Curion, qui avait bloqué toute prise de décision contraire à ses intérêts35. En décembre 50, la situation politique pouvait donc changer, puisque de nouveaux tribuns entraient en fonction le 10 du mois, et que les nouveaux consuls étaient considérés comme des adversaires de César. En fait, ce dernier pouvait encore compter, dans le collège des tribuns, sur des partisans, principalement Marc Antoine36.
20Dans ce contexte, Cicéron revint en Italie pour tenter, avec d’autres, d’éviter un conflit grave37. Dans les lettres de Cicéron à Atticus au moment de ce retour, mais également dans d’autres sources qui relatent cette période, l’imminence de la guerre civile est décrite en termes de rupture ou de rétablissement de la concorde38.
21Dans deux lettres adressées à Atticus en décembre 50, ainsi que dans une troisième adressée à Tiron le 27 janvier 49, Cicéron évoqua son retour en Italie et le rôle qu’il comptait jouer pour rétablir la concorde39. La première de ces lettres, écrite le 9 décembre à Trebula en Campanie, comprend deux occurrences de concordia, qui relèvent de la même idée. Siue enim ad concordiam res adduci potest siue ad bonorum uictoriam […]40 : dans le contexte très incertain de la fin 50, Cicéron envisageait donc deux solutions aux tensions très vives entre Pompée et César, la concordiaou la victoire des boni. Le rétablissement de la concorde ne serait donc pas une victoire des boni. Un peu plus loin, Cicéron réfléchit à la possibilité de devoir choisir entre les deux imperatores. Il choisirait alors Pompée, mais ipsum tamen Pompeium separatim ad concordiam hortabor41. La concordia constituait donc la solution préférable et le but que se proposait prioritairement Cicéron. Dans ce contexte, il considérait donc Pompée comme le principal dirigeant des boni, qu’il fallait persuader d’accepter un compromis. Par ce terme de boni, il désignait probablement ici des sénateurs qui n’étaient considérés ni comme césariens ni comme pompéiens au sens strict, mais qui étaient décidés à s’opposer à César si celui-ci refusait d’accepter les demandes de la majorité sénatoriale. Ces sénateurs, comme Cicéron choisissant Pompée par défaut, comptaient sur ce dernier pour s’opposer militairement à César si la crise venait à dégénérer42. Le terme de boni recouvre donc ici une certaine ambiguïté, puisque Cicéron désignait probablement par ce terme ceux qui se prétendaient tels, les sénateurs conservateurs dont il critiquait l’action – et plus souvent encore l’inaction – depuis le consulat de César. Cette lettre montre donc surtout que, à son retour de Cilicie, Cicéron pensait trouver chez la plupart des sénateurs demeurés à Rome la volonté de parvenir à rétablir, par le compromis, la concordia avec César.
22En décembre 50, Cicéron attendait officiellement une décision du Sénat sur sa demande de triomphe, si bien qu’il devait rester hors de Rome et s’entretenir de la situation politique par lettres ou avec ses visiteurs. Ainsi, vers le 12 décembre, il eut à Pompéi une entrevue avec Pompée, dont il fit un compte rendu par lettre le lendemain à Atticus. Pompée ne lui aurait laissé aucun espoir de restaurer la concorde avec César, tout en rejetant la responsabilité de cette situation sur ce dernier. César lui aurait démontré son hostilité en rompant toute négociation. Du point de vue de Cicéron, pourtant, un accord était toujours possible et dépendrait principalement de l’attitude de César. D’après lui, ce dernier aurait plus à perdre qu’à gagner à poursuivre le conflit contre Pompée et le Sénat43.
23En ces jours de décembre 50, Cicéron privilégiait une analyse qui se voulait réaliste des rapports de force. Il rappelait que la faiblesse des sénateurs avait permis à César d’occuper la position qui était la sienne et que sa force actuelle venait également des divisions de ses adversaires et de l’irrésolution des sénateurs, y compris pendant l’année 5044. Plus tard, il affirma de même que Pompée avait eu une responsabilité essentielle dans la rupture de la concordia à cette époque, d’une part en ayant renforcé César, puis en ayant rompu avec lui lorsque César était fort45. Il comprenait d’autant moins la volonté de certains optimates de vouloir à présent, fin 50-début 49, en venir absolument à la guerre avec César46. Les demandes de ce dernier étaient certes jugées impudentes par certains sénateurs, mais Cicéron estimait que le proconsul des Gaules était devenu beaucoup trop puissant pour qu’un conflit armé n’impliquât pas des risques majeurs pour la République47. De plus, les prétentions de César pouvaient s’appuyer sur des lois, notamment celles qui lui avaient reconnu la possibilité de se présenter au consulat in absentia48, ainsi que sur la loi syllanienne imposant un délai de dix ans entre deux consulats49. En adoptant cette position, Cicéron montrait une certaine cohérence puisque l’idée d’une prise en compte du rapport de force politique, afin de préserver la concorde, était déjà celle qui avait justifié son ralliement aux triumvirs entre 56 et 54. Le fait que César ait obtenu le droit de briguer le consulat sans avoir à licencier ses armées auparavant constituait un élément important de cette politique de concorde à laquelle César pouvait finalement encore se rallier50.
24Cicéron n’était pas le seul à s’interroger à cette époque sur la stratégie à adopter vis-à-vis de César. En effet, certains sénateurs refusaient purement et simplement d’envisager un compromis avec le proconsul des Gaules ; d’autres, en fonction des liens entretenus avec ce dernier, penchaient pour des négo ciations51. Les choix de Cicéron oscillaient ainsi en décembre 50 et janvier 49 entre la promotion, auprès des optimates et de Pompée, d’une politique de compromis avec César et l’idée d’un ralliement à la position intransigeante de Pompée52.
25C’est à cette politique de concorde que fait référence un passage de Velleius Paterculus, dans lequel cet auteur affirme que Cicéron était le seul à travailler à maintenir la concorde publique (concordia publica), alors que Curion réussissait à faire échouer un projet de compromis accepté par Pompée et César53. On ne peut supposer que les intentions de Curion et Cicéron dévoilées par Velleius Paterculus furent concomitantes, puisque Curion quitta sa magistrature le 9 décembre 50, alors que Cicéron n’était pas encore revenu de sa pro vince54. Il faut donc supposer qu’il s’agissait d’opposer deux comportements. D’après Velleius Paterculus, Cicéron aurait donc recherché, à partir de son retour en Italie au début décembre 50, un compromis entre César et Pompée. Curion, qui tint pendant la campagne électorale des discours très hostiles à César, avait été élu au tribunat avec le soutien des optimates. Très vite pourtant, son positionnement politique se modifia, et il apparut comme le principal soutien de César à Rome, notamment pour empêcher que soit prise une décision concernant la question de son remplacement en Gaule55. De plus, certains aristocrates, à Rome, pensaient que Pompée et César avaient entamé des négociations au cours de l’année 5056. Curion apparut-il alors, en défendant à outrance les intérêts de César et en empêchant le Sénat d’agir, comme le premier responsable de la radicalisation du conflit entre César et Pompée ? Velleius Paterculus ne nous fournit aucune indication sur ce qui constituait cette politique de compromis de la part de Cicéron, mais on peut supposer qu’il sous-entend qu’une politique plus ferme de la part du Sénat aurait permis d’imposer un compromis à César et à Pompée sur la base de la reconnaissance de la demande de César de prorogation en Gaule jusqu’à la fin 49, suivie immédiatement du consulat.
26Cette solution ne fut pas la seule envisagée par Cicéron. Sa position politique n’était à l’époque (décembre 50-janvier 49) pas encore figée. Sa critique contre le manque d’unité des sénateurs, face au danger que représentait l’hostilité des deux imperatores, montre surtout qu’il hésitait entre deux modèles, puisqu’il envisageait aussi bien de favoriser un compromis avec César, pour rétablir la concorde entre les deux généraux, que de se rallier à la position intransigeante de Pompée. Cette dernière solution, impliquant le ralliement des optimates à Pompée et un conflit dur, voire une guerre contre César, relevait d’un modèle « catilinien » : la concorde de la classe dirigeante devait permettre de rejeter hors de la cité un de ses anciens membres devenu hostis et de le vaincre. La première solution impliquait au contraire d’inclure tous les membres de cette classe dans une même concorde et donc de prendre en compte l’ensemble des intérêts en présence, y compris ceux de César, en tirant la conclusion inévitable des précédents compromis.
La guerre
27Fin janvier encore, résumant son action dans une lettre à Tiron, Cicéron estimait que la négociation pouvait encore aboutir à un accord entre César et le Sénat57. La situation avait pourtant profondément changé depuis le milieu de décembre 5058.
28Le 12 janvier, César avait franchi le Rubicon, et le 17, Pompée avait quitté Rome pour se diriger vers Brindes, suivi d’une grande partie des sénateurs. De Formies où il possédait une villa, Cicéron avait reçu la responsabilité de surveiller les côtes de la Campanie59. Les négociations ne cessèrent pas avec l’avancée de César. Cicéron, dans cette lettre à Tiron, montra même un certain optimisme. Les éléments d’un compromis entre les deux camps semblaient se dégager. Cicéron craignait seulement que César refusât de retirer ses troupes, ce qui constituait une condition nécessaire à ce que le Sénat puisse délibérer librement à Rome. Lorsqu’il écrivit cette lettre, Cicéron avait quitté Rome depuis une dizaine de jours. Il ne semblait pas percevoir, ou il faisait semblant de ne pas percevoir, en raison de la qualité de son correspondant, que les conditions posées par César étaient inacceptables pour Pompée60. De plus, l’évacuation de Rome par Pompée et les sénateurs hostiles à César, évacuation que condamnait Cicéron61, signifiait que pour ces derniers la guerre était iné vitable62. Les observations faites par Cicéron concernant des négociations en cours entre César et le camp pompéien provenaient des sénateurs, avec qui il demeurait en relation régulière et qui lui fournissaient des informations sur les deux camps en présence, voire des contacts directs qu’il pouvait avoir avec Pompée et César. Elles révèlent que Cicéron et d’autres sénateurs furent l’objet, de la part de César, de certaines sollicitations tendant à les persuader de privilégier une solution négociée.
29Cicéron estimait que la décision de Pompée de quitter Rome le 17 janvier, puis celle de ne pas secourir Domitius à Corfinium avaient été des erreurs majeures, dans la mesure où elles éloignaient la perspective d’éviter la guerre civile. Cicéron concevait en effet sa position politique en fonction de cet objectif. C’est pourquoi, entre l’arrivée en Italie de César le 12 janvier et le départ de Pompée de Brindes début mars, se trouvant toujours en Campanie, Cicéron fut l’un de ceux qui tentèrent de maintenir un dialogue entre les adversaires, en vue de rétablir la concorde63.
30La première preuve de la poursuite d’une telle politique réside dans une lettre de Cicéron à Atticus, écrite le 17 février, dans laquelle il relate avoir envoyé une lettre à César, quelques jours auparavant, afin de l’exhorter à la concorde64. À cette date, il se trouvait dans une situation difficile, dans la mesure où César avait commencé le siège de Corfinium et qu’il apparaissait de plus en plus clairement que Pompée, ayant décidé de privilégier l’évacuation de l’Italie, hésitait fortement à envoyer des secours à Domitius. Cicéron, isolé en Campanie, ne disposait d’informations sur la situation qu’avec retard. Dans cette même lettre, il annonça à Atticus sa décision de quitter Formies pour se rendre auprès de Pompée, si de pace agetur65. Cette tentative n’eut pas de suite, et Cicéron préféra rentrer à Formies dès le 19 ou le 20. Il avait sans doute été poussé dans cette voie par les rumeurs et les accusations dont son correspondant lui avait fait le récit dans une précédente lettre66. Certains, à Rome et dans le camp des pompéiens, l’accusaient de négocier son ralliement à César. Cicéron se défendit de cette accusation, mais reconnut, aussi bien auprès d’Atticus que de Pompée lui-même, qu’il avait effectivement maintenu des liens avec César pour préserver les chances de rétablir la concorde67.
31Cicéron justifiait cette position en reprenant exactement le raisonnement qui était le sien en décembre 50. Il expliqua en effet à Pompée qu’une alternative s’était présentée à lui dans les semaines qui avaient précédé le départ de celui-ci de Brindes. Ou bien le suivre immédiatement, ce qui impliquait de choisir la guerre et donc de juger que l’action de César constituait une atteinte grave à la République et à la dignitas des autres principes. Ce jugement impliquait, pour Cicéron, que la recherche d’un compromis était moralement condamnable et entraînait donc l’impossibilité d’un accord. Ou privilégier la concorde, qua mihi nihil utilius videbatur68. C’est ce choix que Cicéron privilégia finalement, en poursuivant les négociation entre les parties. Cicéron établit donc une hiérarchie claire, au sommet de laquelle il plaçait la recherche de la concordia.
32Cicéron ne reconnut, dans une lettre à Atticus datée du 17 février, que deux lettres adressées à César, écrites début février. La première était brève et faisait l’éloge de Pompée : Id enim illa sententia postulabat, qua illum ad concordiam hortabar69. Cicéron tentait donc de montrer à César les risques qu’il prenait à affronter Pompée, de le persuader ainsi de ne pas confier son sort à une action hasardeuse et d’en passer par la négociation. Cicéron utilisait donc vis-à-vis de César le même argument par lequel il tentait, avant l’arrivée de César en Italie, de persuader ses adversaires au Sénat d’accepter certaines de ses demandes. Aux hasards de la guerre, les uns et les autres étaient invités par Cicéron à préférer le compromis pour rétablir la concordia.
33Dans sa lettre à Pompée pour justifier son attitude, Cicéron faisait, par contraste, l’analyse des raisons de l’échec de cette politique de concorde. Au premier plan, il accusait indirectement Pompée de n’avoir fait aucun effort réel dans les négociations avec ses adversaires70, ce que remarquait Cicéron dès le début du mois de décembre 5071. Plus précisément, Cicéron lui reprochait d’avoir préféré la défense de sa propre dignitas au souci de l’intérêt de la République, qui aurait dû le conduire à accepter un compromis, y compris à des conditions injustes72. Certes, Cicéron semblait faire une différence claire entre Pompée et les « hommes avides de guerre » qui poussaient à l’aggravation du conflit avec César. Mais, en définitive, il prétendit qu’il avait agi avec la certitude du soutien de Pompée à sa politique de négociation et comparait cette situation à celle qu’il avait connue lors de son consulat. En 63 comme au début de la guerre civile, il avait agi pour le bien de l’État, en supputant le soutien de Pompée, et il avait lourdement payé les conséquences de cette hypothèse73. En faisant cette comparaison, il établissait un parallèle entre Catilina et César, tous deux désignés comme des ennemis de la patrie. Mais surtout, il rappelait également à Pompée que ce dernier ne l’avait pas défendu lorsque Clodius l’avait attaqué pour lui faire payer la mort des conjurés, parce que Pompée était un ami de César. Il justifiait ainsi qu’en décembre 50 il ait décidé cette fois de négocier avec César, dont la position s’était considérablement renforcée lorsque Pompée avait accepté, quelques semaines auparavant, qu’il présentât sa candidature au consulat in absentia, en raison des services rendus à la République74.
34Cicéron dénonçait ainsi le comportement de Pompée, qui avait négocié sans jamais croire à la possibilité de la concorde75. Il dressait l’acte de décès de cette concordia qu’il pensait encore possible jusqu’à l’abandon de Domitius à Corfinium. Non que la défaite qui s’ensuivit constituât un échec rédhibitoire pour les ennemis de César, mais la décision de Pompée de ne pas secourir Domitius annonçait sa décision irrévocable de quitter l’Italie. Jusqu’à la fin de février 49, Cicéron pensait pouvoir encore établir un compromis sur la base d’une volonté commune de parvenir à la concorde. Surtout, il pensait que les termes de l’alternative seraient de faire la concorde avec César, ou contre César. Dans sa lettre du 27 février à Pompée, il déclara qu’il abandonnait ce projet devant la certitude que tous voulaient à présent la guerre civile76.
35Cette lettre à Pompée avait pour but de mettre celui-ci devant ses responsabilités dans l’échec des tentatives de rétablir la concorde. Pourtant, Cicéron ne renonça à promouvoir cette idée qu’au cours du mois de mars, son abandon définitif se situant lors de l’entrevue qu’il eut avec César à la fin de ce mois, entrevue au cours de laquelle le discours ferme de ce dernier dissipa les derniers espoirs de Cicéron77. Un autre événement avait été déterminant dans l’abandon par Cicéron de ce projet, le départ des consuls de Brindes pour l’Épire78. D’après Cicéron, Pompée refusait de négocier en l’absence des consuls, ce qui avait mis fin aux négociations engagées entre les deux camps. Ce constat d’échec prit la forme du renvoi par Cicéron à Atticus d’un traité de Démétrius de Magnésie, περὶ ὁμονοίας, le 17 mars79. Ce traité80 avait été demandé par Cicéron à Atticus le 27 février, demande renouvelée le 2881. Cette demande de la part de Cicéron démontre que ce dernier se trouvait alors en rapport avec César et Pompée, ou avec leurs partisans, et estimait encore possible de trouver un compromis entre eux. Mais cette demande paraît également paradoxale : en quoi, fin février-début mars 49, un pareil traité était-il nécessaire à Cicéron pour parler, à Pompée et à César, de rétablir la concorde ? Nous avons vu que Cicéron avait déployé une intense activité politique pour parvenir à ce but depuis décembre, sans avoir aucunement besoin de ce traité. Que pouvait rechercher Cicéron, pour qui la concorde ne constituait pas vraiment un sujet neuf, dans ce traité, certainement très général, d’un auteur grec secondaire, pour persuader des généraux romains déjà engagés dans la guerre ? Faut-il supposer que le projet, qu’il évoque dans la lettre du 27 février pour justifier sa demande à Atticus de lui faire parvenir ce traité, consistait dans la rédaction d’un opuscule, d’une lettre ouverte, afin de contraindre les deux généraux à faire du rétablissement de la concorde le but réel des négociations qu’ils avaient engagées ? Le délai extrêmement court (entre le 27 février et le 17 mars, c’est-à-dire moins de trois semaines) pour la rédaction de cet ouvrage, dont Cicéron ne parle pas explicitement, rend cette hypothèse difficilement concevable.
36Peut-on alors émettre une autre hypothèse ? Nous avons vu que Cicéron était soupçonné par certains pompéiens de jouer un double jeu, voire de négocier son ralliement à César et de se servir de la concorde pour cacher cette politique. Nous savons d’autre part que la correspondance n’avait pas un caractère totalement secret et que Cicéron était souvent à la recherche de messagers sûrs pour transmettre ses lettres. Le jour même de la première demande du traité de Démétrius, il avait écrit la lettre à Pompée, que nous avons analysée précédemment et dans laquelle il se justifiait auprès de ce dernier des contacts maintenus avec César. Dans ce cadre, la référence au traité sur la concorde n’était-elle pas une sorte de code entre Atticus et lui, pour l’informer de la poursuite de ses tentatives de négociations entre les deux parties, et qui constituerait le projet dont il est question dans la lettre ? Ceci expliquerait que, du jour au lendemain, lorsqu’il apprit le départ des consuls de Brindes le 17 mars, c’est-à-dire la fin de ses espoirs de poursuivre les négociations avec Pompée, il ait renoncé au projet annoncé à Atticus le 27 février82.
37La lettre du 17 mars marqua une rupture dans la correspondance de Cicéron. Dans deux autres lettres avant son départ pour la Grèce, Cicéron utilisa le terme de concordia, mais dans un but totalement différent : le 20 mars, pour mettre César devant ses responsabilités dans le déclenchement et la poursuite de la guerre civile, le 29 avril, pour tenter de comprendre l’échec de ses tentatives de négociation83. L’abandon de l’Italie signifiait donc pour Cicéron la fin de toute tentative de restauration de la concorde et la reconnaissance du triomphe de la volonté des deux dynastes de régler leur différend par la guerre civile84. La volonté de la part de Cicéron de négocier le plus longtemps possible, avec la certitude que la concorde serait toujours préférable à la guerre85, s’effaçait à présent devant l’obligation de choisir son camp.
38Cicéron écrivit sans doute cette dernière lettre sous le coup de la déception d’avoir compris que toute sa stratégie n’avait mené à rien. Son engagement en faveur de la concorde, entre son retour de Cilicie et le départ de Pompée de Brindes, ne nous est connu que parce que nous avons la chance de posséder sa correspondance. Mais son étude pose le problème de savoir dans quelle mesure ce souci de la concorde répondait aux discours de certains membres des deux camps.
39Sa dénonciation d’une forme d’hypocrisie de la part de Pompée avait également pour fondement la certitude que ce dernier ne comprenait pas l’importance des justifications à apporter à son comportement et du caractère symbolique fort de certaines décisions, telles que le départ de Rome ou la fuite hors d’Italie. Surtout, la guerre civile impliquait un régime de justification très différent de la guerre extérieure, régime dont la dimension morale pouvait provoquer les ralliements et la victoire. Or Pompée se souciait manifestement peu de cette dimension, et notamment de justifier ses actes par le souci de la paix et de la concorde, et de répondre ainsi à la propagande césarienne86. En effet, Cicéron eut l’occasion d’observer à quel point César savait que la guerre contre des concitoyens ne se justifiait en aucun cas, et qu’il ne fallait s’y engager qu’en prétendant se battre pour rétablir la concorde87. La correspondance de Cicéron montre qu’il estimait en tout cas que Pompée portait une responsabilité certaine dans le déclenchement de la guerre civile, et plus précisément dans la rupture de la concordia88. Cette idée se retrouve chez Valère Maxime, pour qui Pompée prit la décision de rompre la concordia avec César, entraînant la République dans la guerre civile89. Cet auteur évoque une décision qui se révéla finalement funeste pour Pompée et d’aucune utilité pour la République, ce qui était une manière de signifier que Pompée l’avait prise en fonction uniquement de ce qu’il pensait être son propre intérêt.
40Les deux partis en présence déployèrent bien entendu chacun sa propagande, mais le camp pompéien sembla le faire avec retard et de manière beaucoup moins efficace en raison de ses divisions90. Mais dans quelle mesure cette propagande des pompéiens ne s’est-elle pas perdue après leur défaite militaire ? Un passage de Lucain nous en a peut-être transmis une trace. Lucain, dans sa relation de la guerre que César porta en Espagne après la fuite de Pompée en Grèce, évoque la concordia qui régnait entre Afranius et Petreius91. Ceux-ci commandaient les légions romaines dans les deux Espagne sous la direction officielle de Pompée qui en était le promagistrat depuis 55, mais qui ne s’y était jamais rendu92. Cicéron crut un moment que Pompée avait pour intention de quitter l’Italie non pour la Grèce, mais pour l’Espagne, où il disposait de troupes nombreuses et aguerries93. Il est difficile d’interpréter la mention de la concordia de Petreius et Afranius, dans la mesure où cette occurrence est isolée, et nous en sommes réduits à des hypothèses.
41Le texte de Lucain insiste sur l’égalité qui régnait entre les deux légats pompéiens : iure pari rector castris Afranius illis/ac Petreium erat : concordia duxit in aequas/imperium commune vices, tutelaque valli/pervigil alterno paret custodia signo94. Un même droit (iure pari) leur donnait tout d’abord un commandement équivalent, c’est-à-dire des imperia équivalents. La concordia réglait les rapports entre ces magistrats : l’alternance conduisait à un seul imperium effectif. L’alternance du commandement entre Petreius et Afranius, sur le modèle de l’alternance des faisceaux consulaires, permettait de régler les rapports entre des égaux en termes de droit et de puissance. Dans une certaine mesure donc, cette source analysait cette guerre comme une opposition entre deux modèles : d’une part, le commandement unique et implicitement tyrannique, du côté de César, d’autre part, le commandement collégial régi par la concorde, donc un modèle sénatorial, dans le cas des pompéiens.
42Lucain utilisait des sources de nature historique datant de la guerre civile et du début du principat95. Une de ces sources mentionnait la concordia des deux généraux pompéiens dans la guerre qu’ils eurent à soutenir contre César, qui arriva en Espagne en juin. Cette source historique reprenait elle-même sans doute un discours tenu, au moment de cette guerre ou un peu avant, par les partisans de Pompée. La stratégie de ce dernier consistait à tirer des ressources de l’Orient les moyens de revenir en Italie et d’y vaincre César. Pompée savait que ce dernier n’avait pas de moyens maritimes et qu’il se rendrait donc probablement en Espagne après l’évacuation de Brindes par les pompéiens. Les légions espagnoles avaient pour objectif, selon son point de vue, de retarder César et de lui laisser ainsi le temps d’achever la mobilisation en Orient96. Mais Pompée dut, avant de quitter l’Italie, justifier cette décision auprès des sénateurs qui s’apprêtaient à fuir avec lui. Il paraît donc possible soit que les partisans de Pompée, voire Pompée lui-même, aient justifié la décision de ne pas se rendre en Espagne et de laisser la direction effective de la guerre sous le commandement de Petreius et Afranius, en affirmant que la concorde qui régnait entre eux permettrait de faire face à César ; soit qu’ils aient a posteriori justifié la stratégie pompéienne par cette concorde.
43De son côté, César déploya dès le mois de janvier une propagande visant à démontrer que ses adversaires politiques étaient les responsables de la guerre civile. La prétention de César à agir pour préserver la concordia constitua un argument important de cette stratégie. De décembre à mars, les négociations entre César, Pompée et certains des principaux sénateurs, notamment Caton et Cicéron, n’avaient jamais cessé97. Dans le discours prononcé devant César pour défendre le roi Dejotarus d’une accusation d’empoisonnement, Cicéron justifia l’engagement pompéien de ce roi en prétendant qu’il ignorait alors les efforts de César pour restaurer la concorde et la paix : nihil de studio concordiae et pacis98. Dans ce passage, Cicéron évoque clairement la période entre le vote du sénatus-consulte ultime par le Sénat en janvier 49 et le départ des consuls de Brindes en mars. César ou certains de ses partisans prétendirent donc à cette époque rechercher à restaurer la concorde99.
44De plus, César mit en place vis-à-vis de Cicéron, sans doute dès son retour, une stratégie visant à le convaincre de ne pas rejoindre Pompée. Cicéron, qui demeure notre principale source pour ces événements, témoigne de cette stratégie par l’importance de la correspondance qu’il échangea avec César et ses partisans100. Cette correspondance revêt une importance particulière dans la mesure où ce dialogue dura quasiment jusqu’au départ de Cicéron pour rejoindre Pompée. César recherchait le soutien du maximum de magistrats et de promagistrats régulièrement investis pour donner à son action une apparence de légalité101. Le ralliement de Cicéron apparut sans doute possible à César tant qu’il n’avait pas quitté l’Italie et en raison même de la situation de Cicéron. Surtout, César était fondé à s’interroger sur l’acharnement de cet homo novus à défendre ces optimates, dont l’inaction et une forme de mépris l’avaient conduit à l’exil et à la palinodie.
45Cicéron demeurait en Campanie alors que la plupart des partisans de Pompée suivaient celui-ci à Brindes et que César se dirigeait lui-même vers ce port afin de forcer la décision finale en Italie102. César pensait donc pouvoir exploiter les hésitations de Cicéron à accepter la stratégie de Pompée, consistant à quitter l’Italie et à prendre le risque de s’opposer clairement à lui. Dans la première partie du mois de mars, L. Cornelius Balbus, sous l’impulsion de César, tenta de convaincre Cicéron de ne pas rejoindre Pompée. Son action n’était pas isolée puisque plusieurs césariens firent de même, et César luimême entretint une correspondance avec Cicéron, de manière directe ou indi recte103. Mais Balbus est le seul pour lequel nous ayons la preuve qu’il utilisa l’argument de la concordia pour tenter de fléchir Cicéron104. Le 1er mars, il le conjurait de prendre en charge la tâche la plus digne de son mérite (dignissimam tuae virtutis), de rétablir la concorde entre César et Pompée, que certains avaient éloignés l’un de l’autre. Dix jours plus tard, Balbus écrivit de nouveau à Cicéron pour lui signifier plus explicitement la demande de neutralité de César105. Il transmettait également une copie d’une lettre de César, pour que Cicéron puisse voir quam cupiat concordiam et Pompeium reconciliare106. Les deux lettres faisaient donc de la guerre civile la conséquence de la rupture de la concorde entre César et Pompée, et non de la rupture de la concorde de la classe dirigeante en général. Balbus accusait la perfidie de certaines personnes (perfidia hominum) d’avoir séparé les deux anciens membres du triumvirat. Cette expression désignait certains optimates, notamment ceux qui, d’après la propagande césarienne, avaient convaincu Pompée de rejeter les propositions de compromis de César dans les derniers mois de 50 et jusqu’en janvier 49107. Balbus proposait donc à Cicéron de rétablir la concordia qui avait existé entre les triumvirs, contre les optimates qui étaient accusés d’avoir détaché Pompée de César108. Balbus rappelait ainsi par allusion à Cicéron son ralliement à cette concordia après la conférence de Lucques, lui demandant en quelque sorte d’agir de manière cohérente par rapport à ses anciens engagements. Puisqu’il s’était prononcé pour une concorde entre Pompée et César, ce dernier lui demandait de ne s’engager pour aucun des deux imperatores.
46César, dans les semaines qui précédèrent le départ de Pompée, voulait donc obtenir des ralliements de la part de sénateurs, ou au moins les empêcher de rejoindre Pompée109. Le 5 mars, il demandait par courrier à Cicéron de se rendre à Rome lorsque lui-même y retournerait prochainement110. Balbus, appliquant une stratégie conçue avec ou par César, utilisait de son côté l’argument de la préservation de la concorde pour bloquer l’action de Cicéron, en essayant de définir toute action de ce dernier en direction de Pompée comme une atteinte à la politique de concorde que Cicéron défendait depuis décembre. Balbus tentait ainsi d’ériger le ralliement à Pompée comme un acte absolument incohérent par rapport à la position politique adoptée par Cicéron jusqu’ici.
47En même temps qu’il déployait cette activité auprès de Cicéron, César fit certaines propositions à Pompée visant à assurer une domination partagée sur Rome111. Le 19 ou le 20 mars, Cicéron adressa une lettre à César en réponse à sa lettre du 5 mars, dans laquelle ce dernier avait sollicité l’appui de son action et de son autorité112. Cicéron ne connaissait probablement pas exactement la situation de Pompée à ce moment-là, mais il était clair que ce dernier avait quitté Brindes ou allait le faire, et Cicéron devait donc se douter que César, ayant abandonné tout espoir de forcer la décision en Italie, allait se rendre à Rome. Dans sa réponse, Cicéron utilisa deux fois le terme de concordia, les deux fois, nous allons le voir, contre la politique de César. Dans sa lettre, ce dernier exprimait son désir que Cicéron vînt à Rome pour lui apporter sa gratia et ses opes, son crédit et ses ressources. César changeait donc de stratégie et estimait que les circonstances devaient conduire Cicéron à franchir un nouveau pas dans sa direction. Ce dernier lui répondit en réinterprétant ces termes en fonction de ses propres objectifs politiques. Il fit semblant de croire que César, dans sa grande sagesse (admirabili ac singulari sapientia), désirait, en le priant de venir à Rome, l’otium, la paix, la concorde des citoyens. Ainsi voit-on ressurgir la formule que Cicéron avait mise en avant au moment de son consulat et qu’il avait abandonnée ensuite, pax, concordia, otium113. Il est surtout remarquable que, après avoir reçu les lettres de Balbus, qui ne soulevaient que la question de la concorde entre Pompée et César, Cicéron ait ainsi répondu en invoquant la concordia civium. Si cette expression doit sans doute être mise en rapport avec l’évolution de la philosophie cicéronienne, elle constituait manifestement une réponse à cet argumentaire développé dans les cercles césariens. Cicéron affirmait ainsi sa réprobation d’une analyse qui liait de manière exclusive la survie de la République à une entente entre les deux hommes, dont nous avons vu qu’elle était à l’œuvre dans les récits de la mort de Crassus et de Julie. On peut voir d’autre part une précision apportée à cette notion de concordia civium dans la seconde occurrence de concordia dans cette lettre.
48En effet, Cicéron expliqua ensuite à César qu’il l’avait défendu lorsqu’il était attaqué au Sénat. Il faisait sans doute référence ici à sa tentative de faire accepter aux conservateurs les plus intransigeants du Sénat un compromis en acceptant que César conservât sa province jusqu’à un nouveau consulat. Ce rappel servait surtout à Cicéron à expliquer que les devoirs de l’amitié lui imposaient de défendre celui qui était attaqué, c’est-à-dire Pompée. Il exhortait César à penser à la réconciliation, à son crédit (tua fides) et à la République. Il l’assura qu’il était toujours l’ami de la paix (pax) et de chacun d’eux, ainsi que le mieux disposé à rétablir la concorde entre eux et entre les citoyens : ad vestram et ad civium concordiam114.
49Les devoirs de l’amitié interdisaient donc à Cicéron de choisir entre César et Pompée. En exposant ainsi son propre cas, il montrait à César que, dans la guerre civile, les citoyens étaient amenés à trahir les devoirs de l’amitié, à rompre la fides et le lien établi dans le cadre civique entre les citoyens. Cicéron signifiait également à César qu’il suivrait jusqu’au bout le sort des vaincus, puisque, dans ce type de conflit, il ne pouvait y avoir militairement de vainqueur que celui qui sacrifiait la République à ses intérêts. Pour les vrais citoyens, il ne saurait même y avoir de victoire obtenue sur des concitoyens. Cicéron répondait donc d’une part à la politique de César en approuvant la recherche de la concorde entre lui et Pompée, mais il affirmait d’autre part que cette réconciliation ne pourrait constituer réellement une concordia que si elle s’accompagnait d’une concorde englobant tous les citoyens. Cicéron rejetait ainsi la concorde voulue par César et Balbus, consistant à rechercher un accord entre les deux généraux, contre les sénateurs qui s’étaient opposés au triumvirat. Par allusion, Cicéron opposait à la stratégie de César la nécessité pour ce dernier de se réconcilier avec l’ensemble du Sénat.
50Cicéron ne croyait sans doute plus lui-même à la possibilité de restaurer la concorde. Il ne croyait sans doute pas non plus que César ait réellement voulu promouvoir une politique de concorde. Cette lettre constitua donc un extraordinaire jeu de miroirs, dans lequel Cicéron reprit un thème de la propagande césarienne, qui faisait lui-même écho à sa propre action politique et à sa réflexion philosophique, chacun affirmant sa sincérité dans la recherche de la paix, mais tentant surtout de rejeter sur son adversaire l’abjection morale que constituait la responsabilité de la guerre civile. Si puissant qu’il fût au milieu de ce mois de mars 49, César ne pouvait accuser Cicéron d’aucune félonie à vouloir rétablir la concorde. Comme Balbus avait tenté de lier les mains de Cicéron dans ses tentatives de rapprochement avec Pompée, Cicéron tentait maintenant de lier celles de César en lui renvoyant cette nécessité de la concorde et en lui posant la question de sa responsabilité présente dans la poursuite de la guerre.
51Le courage de la part de Cicéron n’était pas dans le fond de sa réponse, mais dans le fait de signifier à César que toutes les critiques qu’il avait adressées aux optimates et à Pompée, que tout ce qui s’était produit depuis dix ans en grande partie par leur faute, l’exil, la vente de ses biens, la palinodie, etc., ses propres intérêts dont la préservation le poussait vers César, tout cela ne pouvait justifier son engagement aux côtés de ce dernier, et cela au nom de la concorde et de l’intérêt de la République.
52À cette époque, Cicéron avait donc déjà probablement fait le constat qu’il exposa dans une lettre de la fin avril, alors qu’il était décidé, malgré l’interdiction de César, à quitter l’Italie. Car si la déception des espoirs qu’il avait fondés sur la capacité de Pompée à préserver la concorde l’avait rendu amer vis-à-vis de ce dernier, il accusait César, comme il l’avait fait pour Pompée, d’avoir officiellement privilégié ce but sans jamais chercher réellement à l’at teindre115. Dans cette lettre de la fin avril adressée à Ser. Sulpicius Rufus, le consul de 51116, qui avait, comme lui, tenté de maintenir une stratégie équilibrée entre César et Pompée pour préserver les chances de rétablir la paix et avait été à ce titre l’objet de la même prévenance que Cicéron de la part de César117, Cicéron expliquait les fondements de son attitude vis-à-vis de César entre janvier et mars 49. Tous ses efforts avaient alors pour but la concordia, ce qui semblait le plus utile à César : Nam omnia utriusque consilia ad concordiam spectauerunt ; qua cum ipsi Caesari nihil esset utilius, gratiam quoque nos inire ab eo defendenda pace arbitrabamur118. Cicéron faisait donc le constat de l’échec complet de leur politique. Ils avaient cru en la capacité de César de choisir ce qui lui était utile, la restauration de la concorde. Cette lettre constituait une réponse à une demande de Servilius de conseils sur ce que devait être leur comportement. Cicéron lui répondit qu’ils devaient choisir le plus avantageux, la voie droite et honnête : […] ut nihil arbitremur expedire nisi quod rectum honestumque sit […].
53Cicéron opposait donc ici son comportement à celui de César : l’incapacité de ce dernier à comprendre ce qui était vraiment utile ou avantageux (utilius/expedire), c’est-à-dire le droit et l’honnête (rectum, honestum), l’avait conduit à repousser les tentatives de Cicéron, Ser. Sulpicius Rufus et certainement d’autres sénateurs pour rétablir la concorde. Cicéron désignait la disjonction entre l’utile et l’honnête comme l’erreur fondamentale de César et la cause de son choix de rompre la concorde119. Il réaffirmait ainsi que sa propre position avait toujours été de considérer la guerre civile comme la pire des solutions, position qu’il dut défendre aussi bien contre César que contre Pompée et leurs partisans.
54La position de Cicéron vis-à-vis de la politique de César après le départ de Pompée constituait également une manière pour lui de justifier sa décision de demeurer en Campanie et de refuser de se rendre à Rome. Sa présence y constituerait un soutien de fait à César, mais il semble que la situation n’était pas en fait aussi tranchée. César, à son retour de Brindes, ne trouva pas seulement à Rome les sénateurs qui lui étaient favorables120. Il eut notamment l’occasion de le constater lors d’une séance du Sénat le 1er avril 49121. D’après Dion Cassius, César avait proposé, lors de cette séance, d’envoyer une ambassade à Pompée et aux généraux pour discuter de paix et de concorde : ὑπέρ τε τῆς εἰρήνης ϰαὶ ὑπὲρ τῆς ὁμονοίας122. César raconte également le déroulement de cette séance dans son ouvrage sur la guerre civile. D’après lui, le manque de modération et d’esprit de conciliation de ses adversaires le conduisit à proposer au Sénat, qui l’accepta, l’envoi d’une ambassade à Pompée pour une conciliation. Mais les craintes suscitées par les menaces de Pompée et la mauvaise volonté des sénateurs auraient fait échouer ce projet123. César affirme donc que ce fut sur sa propre initiative que le principe d’une ambassade fut décidé, mais que personne ne fut désigné pour composer celle-ci. Dans ce récit allusif et partisan, César reconnaît que certains sénateurs présents à Rome étaient ses inimici124. Demeuraient donc à Rome des sénateurs qui, au mieux, n’étaient ni pompéiens ni césariens, au pire, étaient ses adversaires. Négliger leur point de vue impliquait pour César le risque d’apparaître comme un nouveau Sylla125. Certes, il ne s’agissait pas non plus des sénateurs qui lui étaient le plus hostiles, mais César souhaitait la présence de Cicéron à Rome au moment de son retour, pour le soutenir face à ses adversaires. Surtout, il apparaît que la décision de Cicéron de demeurer en Campanie relevait d’un choix, puisqu’il aurait pu rejoindre ce groupe des sénateurs qui pensaient qu’il ne fallait ni quitter Rome ni tout accepter de la part de César.
55Dion Cassius fait un tout autre récit de cette séance du 1er avril126. Comme César, il évoque la méfiance de certains sénateurs mais, contrairement à lui, il sous-entend que ces sénateurs hostiles à la politique césarienne constituaient une majorité. Une majorité au Sénat, composée des sénateurs que César considérait comme ses inimici, aurait été mécontente de l’évolution des événements. Chez Dion Cassius également, l’envoi d’une ambassade fut proposé par César, mais celui-ci tentait par cette proposition de calmer l’hostilité de ces sénateurs. Dion Cassius sous-entend donc ainsi que cette proposition fut faite sous la pression de la majorité du Sénat. De plus, contrairement à César, il semble affirmer que les membres de cette ambassade furent désignés, mais qu’ils ne quittèrent pas Rome, suscitant ainsi une méfiance grandissante de la part d’un grand nombre de sénateurs. Dion Cassius ne formule pas d’explication à cette décision de demeurer à Rome. Les membres d’une ambassade comme celle-ci étaient des legati. Une lettre de Cicéron semble indiquer que l’envoi des legati pour négocier avec Pompée fut décidé par un sénatus-consulte127. La procédure suivie fut donc probablement la suivante : le Sénat vota le principe et fixa le cadre de la désignation de ces légats, et un magistrat à imperium devait se charger de la nomination des personnes qui rempliraient cette fonction128. Très probablement, César, qui devait se charger de cette nomination, n’en fit rien. Le texte de Dion, et notamment sa remarque sur l’hostilité des sénateurs lorsqu’ils comprirent que les légats ne partiraient pas, implique que les sénateurs soupçonnaient César d’être sciemment passé outre la demande du Sénat129. Dion Cassius n’utilisait pas les comptes rendus du Sénat pour écrire son œuvre et il ne disposait donc pas directement du discours de César. En revanche, il est probable qu’il utilisait une ou plusieurs sources favorables au Sénat et à Pompée, peut-être un écrivain proche de ce dernier130.
56D’après Dion Cassius donc, pour convaincre le Sénat de ne pas s’opposer à lui, César aurait été contraint d’accepter l’envoi d’une ambassade en vue de restaurer la concorde avec Pompée, mais sans l’appliquer réellement. La présence à Rome de ces sénateurs décidés à privilégier la négociation sur la guerre obligeait César à se préoccuper d’apparaître toujours comme celui qui avait choisi la guerre, uniquement contraint par l’intransigeance de ses adversaires. Les sénateurs le contraignaient à poursuivre cette politique que César avait endossée depuis la fin 49. Ce souci de la concorde relevait des caractéristiques très particulières de la situation.
57D’une part, il était la conséquence du relatif échec de la stratégie de Pompée. En effet, ce dernier avait réussi à entraîner vers l’Orient ses partisans, mais pas la totalité des sénateurs, puisqu’ils constituaient un groupe suffisamment nombreux, à Rome, pour faire pression sur César131. Cette politique était le signe d’une forme de résistance de la part de sénateurs qui refusèrent de s’engager auprès de l’un ou de l’autre et refusèrent ainsi, comme Cicéron, la logique de confrontation voulue par Pompée et César. D’après ce dernier, l’échec de l’envoi d’une ambassade était imputable aux menaces proférées par Pompée contre ceux qui ne l’avaient pas rejoint et seraient de ce fait considérés comme des ennemis. Même si César semble avoir travesti la réalité, il reprenait sans doute une critique que ces sénateurs devaient adresser à Pompée. Celui-ci savait donc qu’un groupe de sénateurs refusait sa stratégie consistant à dramatiser le conflit afin d’apparaître comme le sauveur de la République et d’obliger les sénateurs à choisir leur camp. À ce discours, pompéien puis césarien, certains sénateurs opposèrent donc la volonté de promouvoir encore la paix et la concorde.
58D’autre part, cette décision de César d’accepter l’envoi d’une ambassade était indirectement la conséquence de sa politique de clémence. La référence aux craintes suscitées par son retour, en raison du souvenir des massacres perpétrés par Sylla et Marius, permettait à César de montrer par contraste la clémence dont il faisait preuve, mais elle l’obligeait également à prendre en compte le point de vue de ces inimici qui se trouvaient toujours au Sénat. La politique de concorde impliquait la réintégration de l’action de César dans le cadre d’une action collégiale et le renoncement – certes relatif et temporaire – à la supériorité politique que ses premiers succès militaires en Italie lui avaient conférée. Renonçant à établir son autorité politique sur le pouvoir militaire, César acceptait de considérer les sénateurs comme des égaux et donc de promouvoir une politique de concorde.
59Pendant le séjour de César à Rome début avril 49, Cicéron était demeuré en Campanie, où les informations lui parvenaient difficilement et avec retard132. D’après sa correspondance, nous savons qu’il connaissait les tentatives de négociation de certains sénateurs, mais qu’il n’y croyait pas. César, en effet, ne lui semblait pas prêt à privilégier cette solution, et Cicéron mettait même en doute la sincérité de ces sénateurs, qu’il accusait de compromission avec César. Pourtant, il s’interrogea sur la justesse de son analyse, lorsqu’il finit par regretter de n’avoir pas joué un rôle plus actif à Rome à cette époque, au milieu des boni133. Il reconnaissait dans la « témérité134 » de ces derniers une cause respectable puisqu’ils affrontaient le « tyran135 ». Cicéron savait donc que les sénateurs qui parlaient d’entamer des négociations avec Pompée devant César ne s’étaient pas laissé acheter par celui-ci, mais tentaient au contraire de faire échec à sa politique guerrière.
60Après le départ de Cicéron d’Italie, aucune source ne parle de concordia jusqu’à la mort de Pompée. Dans son récit de la guerre civile, Lucain mit en scène l’hypocrisie de César, au moment où il découvrit cette mort. Lorsqu’on lui présenta la tête de Pompée à son débarquement en Égypte, César aurait entamé un discours dans lequel il regrettait que cette mort l’eût empêché de rétablir la concordia avec son gendre136. Avant ce discours, d’après Lucain, il pleura à la vue de la tête de Pompée137.
61César se montrait ainsi fidèle à sa politique depuis 50 : il ne recherchait pas directement le rétablissement de la concordia en général, mais entre lui et Pompée. Il faisait ainsi de cette concorde le fondement de leur domination sur Rome et surtout sur le reste de la classe dirigeante.
62Les conditions de la restauration de cette concorde sont explicitées ensuite par Lucain : César aurait voulu prendre Pompée dans ses bras, lui aurait accordé la vie et n’aurait demandé pour salaire de ses travaux que d’être son égal : […] dignaque satis mercede laborum contentus par esse tibi138. La concordia impliquait donc, ici encore, la parité dans l’exercice du pouvoir. Cette paix, finit César, aurait conduit Rome à lui pardonner sa victoire sur Pompée139. Ce que mettait en scène ce discours, c’était donc la crainte de César d’être accusé de vouloir établir une tyrannie. Restaurer la concorde avec Pompée signifiait ici refonder une direction collégiale de la République, ce qui devait le préserver de cette accusation. Le discours sur la concorde se devait d’être ici, pour celui qui l’énonçait, un moyen de remédier à l’absence de ce qui ne serait plus jamais, la direction partagée de Rome. C’est pourquoi la substitution d’un discours sur la concorde à l’impossibilité de la concorde dans la réalité relève exclusivement de la volonté individuelle du détenteur du pouvoir. Les larmes de César sont ainsi opposées à la joie de ses partisans lors de cette victoire définitive sur Pompée140. C’est dans ce contraste entre le comportement du chef et celui de ses subordonnés que se jouait la capacité du premier à ne pas apparaître, lui en particulier, comme un tyran, mais comme le restaurateur de la République. Les larmes ouvraient un espace dans lequel pouvait s’exprimer la volonté de rétablir la concorde, c’est-à-dire de clore la guerre civile, en substituant à la victoire d’un camp sur un autre la possibilité d’une direction collective de l’État. La fonction des larmes se comprend alors comme une introduction à cette mise en scène de l’ultime confrontation des deux imperatores : César devait montrer sa sincérité totale dans le regret, et que cette tentative de conjurer la tyrannie par la concordia ne relevait que de son comportement individuel et de sa propre autorité, puisqu’elle mettait en jeu son rapport futur au pouvoir. Par conséquent, l’importance du discours de César, et il faut ici prendre le terme de discours au sens large, larmes comprises, ne se mesure pas à l’aune de l’éventualité de sa réalité historique, mais de son existence littéraire : le topos des larmes versées sur la mort de l’adversaire, expliqué par le discours qui les suit et les accompagne, devait faire sens pour ceux à qui il s’adressait et devait se transmettre par les discours, les rumeurs, les œuvres historiques. Le discours de César sur la concorde, par sa transmission littéraire, devait clore la geste du conflit entre les deux plus grands généraux de la fin de la République141.
63Avec la mort de Pompée s’ouvrait une nouvelle période.
Conclusion
64Cette période constitue une occasion unique, pour l’histoire de la République, d’observer l’utilisation du terme concordia dans la vie politique. Or, de l’étude de la correspondance de Cicéron, on relève un point essentiel : l’absence complète d’explications sur le fond de ce qu’entendait cet auteur et certains de ses correspondants, lorsqu’ils utilisaient le terme de concordia. Jamais ils n’expliquèrent en quoi consistait précisément cette concorde ni les décisions qui devaient être prises par les uns et les autres pour la rétablir. De quoi parlaient-ils alors ? De comportements. Ils observèrent que tel ou tel aristocrate adoptait un comportement propice à la concorde ou qui au contraire la mettait en danger ; dans nombre de ses lettres adressées à Atticus, Cicéron s’interrogea sur le comportement que devait adopter le bonus vir pour parvenir à la concorde. Face à César et Pompée, il s’érigea lui-même en modèle de ce type de comportement. Cornelius Balbus pria Cicéron d’adopter un comportement propice à la concorde. Or jamais non plus ils ne précisèrent réellement quel devait être ce comportement. Le discours concordiae causa édictait en lui-même une norme de comportement. Bien sûr, on peut supposer, à travers cette correspondance, que le but implicite de Cicéron, dans le contexte du début de la guerre civile, correspondait à des décisions précises : que César arrêtât la progression de son armée, que Pompée demeurât en Italie et que des négociations fussent entamées, des compromis acceptés. Mais justement, l’absence de précision chez Cicéron, lorsqu’il évoquait la concorde dans sa correspondance, montre que cette dernière ne se définissait pas fondamentalement comme la conséquence de ces décisions, mais plutôt comme celle du comportement individuel des dirigeants.
65Un autre aspect important réside dans l’utilisation du terme concordia dans les lettres, envoyées et reçues par Cicéron, lorsque son correspondant, ou celui avec qui il a eu une entrevue qu’il relate, était directement engagé dans les événements, tels Pompée, César, Cornelius Balbus et S. Sulpicius Rufus142. Dans ces lettres, la concorde constitua un argument par lequel celui qui écrivait tentait justement d’imposer un certain type de comportement. Ainsi Cornelius Balbus tenta de montrer à Cicéron que le souci de la cohérence entre ses discours et ses actes devrait le pousser à rejoindre César à Rome. Ainsi, Cicéron voulut persuader César de rechercher la concorde plutôt que la victoire et tenta de le pousser à abandonner la guerre. Le fait que des arrière-pensées, certains diront une forme d’hypocrisie, aient guidé ces discours les rend encore plus intéressants et signifiants du point de vue de l’étude de la concorde. Cet argument avait suffisamment de force pour contraindre l’adversaire par le discours. Il engageait une mise à l’épreuve de la légitimité de son émetteur autant que celle de son récepteur, en les obligeant à justifier leurs discours et leurs comportements à l’aune de cette obligation morale.
66C’est en fonction de ce poids moral que l’on peut comprendre le discours capital de César pleurant sur la mort de Pompée. Ce discours exprimait d’abord à quel point la concorde consistait en un accord des égaux. César ne pouvait prétendre rétablir la concorde seul, et rien n’indique que, après la guerre civile, il ait utilisé cette notion. Mais ensuite, comme je l’ai dit précédemment, le discours sur la concorde avait pour fonction de se substituer à l’impossibilité de la réaliser. Là encore, donc, ce que César mit en exergue, c’était le souci de la concorde en tant que norme de comportement.
Le rétablissement de la concorde sous la direction de César (48-44)
67Pharsale et la mort de Pompée apparurent comme la fin de la guerre civile, bien que des combats aient ensuite continué dans certaines provinces jusqu’en 45. L’utilisation du terme concordia pendant la période de la dictature de César se révèle paradoxale. D’une part, Cicéron est le seul auteur qui utilise de manière certaine ce terme à l’époque de la dictature de César. Trois occurrences de concordia ou de termes apparentés se trouvent dans deux des trois discours qu’il prononça pour solliciter la clémence de César vis-à-vis de Q. Ligarius et du roi Dejotarus143. Mais, dans ces textes, Cicéron ne décrit jamais la dictature de César comme une période de concordia. Dans la correspondance de Cicéron, le terme disparaît. D’autre part, la première lettre à César du Pseudo-Salluste, demandant à César de restaurer la concorde, constituerait, au début des années 40 du ier siècle, une référence à cet objectif dans la politique césarienne, si le texte de cette lettre pouvait être daté avec certitude de cette époque et non, éventuellement, du début de l’Empire. De plus, un ensemble de textes, de nature historique et donc postérieurs aux événements qu’ils décrivent, affirment que la domination césarienne établit la concorde à Rome. Nous allons donc devoir confronter cette affirmation concernant la dictature de César non seulement à l’absence du terme de concordia caractérisant cette période dans les sources contemporaines, mais également à cette absence dans l’œuvre même de César. Dans ce que nous appelons le corpus césarien en effet, il ne se trouve que dans les dernières lignes du De bello His paniense144, ouvrage écrit par un de ses lieutenants. Nous avons vu que César l’avait en revanche utilisé dans des discours et qu’il sut, notamment vis-à-vis de Cicéron (mais il ne s’agissait probablement pas d’un cas isolé), utiliser le terme de concordia quand la situation et sa stratégie l’exigeaient.
La concordia et la question du pouvoir personnel dans la première lettre à César du Pseudo-Salluste
68Dans la première lettre à César du Pseudo-Salluste, l’auteur demande à ce dernier de restaurer la concorde145. Dans cette lettre, qui évoque les événements des années 48-46, la concordia est le but que devait se fixer César et en fonction duquel il devait déterminer sa politique. Firmanda igitur sunt [uel] concordiae bona et discordiae mala expellenda146. Pour affermir les bienfaits de la concorde, il faut renoncer aux anciennes institutions (non ad vetera instituta revocans) et que César décide seul. C’est ainsi que César parviendra, dans l’administration de l’empire, à réprimer les excès dans les pillages147. Dans le paragraphe suivant, l’auteur invite César à prendre des mesures fermes dans ce sens. Il l’appelle à prendre en main la République, à remédier à ses maux en prenant des décisions pour soustraire la jeunesse à l’immoralité de ses mœurs et ainsi à établir la paix et la concorde : pacem et concordiam stabiliuisse148. Dans ce passage, un lien est donc établi, d’une part, entre la vertu et l’efficacité dans l’administration de l’empire, et, d’autre part, entre la vertu et la domination d’un seul, ici de César. Ce dernier, d’après cette lettre, devait imposer cette conduite vertueuse à ceux qui dilapidaient leur patrimoine, qui jetaient le trouble dans la République quand ils étaient ruinés, et dont les mœurs corrompues avaient conduit les anciennes institutions à l’échec. Ces jeunes étaient donc des aristocrates endettés qui dilapidaient leur fortune pour leur carrière politique. L’absence de vertu parmi les membres de la classe dirigeante devait donc être compensée par la vertu du chef, ce qui justifiait le choix de la dictature.
69On sait que la seule différence objective entre les partisans de César et ceux de ses adversaires résidait dans l’âge des uns et des autres. À partir des années 50 du ier siècle, il semble que César ait opéré une véritable fascination sur une grande partie des jeunes aristocrates romains149. D’après ce texte, certains d’entre eux suivirent César avec l’espoir de refaire leur fortune grâce à lui. La clémence de César, en tant que pratique vertueuse du gouvernement de la cité, devait ici le conduire, d’après l’auteur de cette lettre, à refuser de servir les intérêts de ces quelques particuliers et à privilégier la concordia. Proposer cet objectif conduisait donc l’auteur à demander à César une politique équilibrée entre ses partisans et ses anciens ennemis. De cette manière, il rétablirait l’ordre dans l’ensemble de l’empire : […] quia tibi terrae et maria simul omnia componenda [sunt]150. Les jeunes aristocrates devaient apprendre la frugalité et la modération, sur le modèle des vertus des anciens. César rétablirait ainsi la hiérarchie entre jeunes et anciens. La concorde césarienne devait donc consister en une remise en ordre de la cité, et notamment de la classe dirigeante.
70L’auteur de la lettre proposait donc un changement radical dans la définition de la concorde. Celle-ci consistait dans la capacité des sénateurs à établir un ordre non plus par l’adhésion à certains types de comportement, mais par le respect de règles édictées par un dirigeant s’appuyant sur une virtus hors du commun. Nous allons voir que cette idée d’une concorde instaurée par la domination d’un seul était également exprimée chez certains historiens de la période impériale.
71Mais auparavant, il est nécessaire d’étudier l’une des causes majeures des désordres qui, d’après cette lettre, menaçaient la concorde et contre lesquelles César devait lutter : le problème des dettes.
César face au problème des dettes
72D’après Appien, le Sénat et le peuple romains furent souvent en conflit à propos de l’abolition des dettes151. Dans plusieurs épisodes de l’histoire de Rome, nos sources affirment que la question des dettes provoquait la discordia, la seditio ou la στάσις : avant la première sécession de la plèbe152, juste avant le compromis licinio-sextien153, dans les suites du conflit patricio-plébéien au ive siècle154, après la guerre sociale155, enfin pendant la guerre civile entre César et Pompée156. Cette guerre, au début des années 40 du ier siècle, avait provoqué une tension certaine sur le marché du crédit157.
73En 48, alors qu’il séjournait brièvement à Rome, César fit voter une législation sur les dettes158. Dans un passage de ses commentaires sur la guerre civile, dans lesquels il reprit probablement les arguments qu’il utilisa alors, César justifia cette décision par le souci de prévenir les dissensions civiles, souvent provoquées par la crainte d’une abolition des dettes159. Les tabulae novae étaient donc, même pour César, la cause des discordes, qu’il fallait prévenir par une législation de compromis entre créanciers et débiteurs.
74La première Epistula ad Caesarem, que certains historiens attribuent à Salluste et qui reprenait en tout cas certains thèmes sallustéens160, établit un lien entre la question des dettes à Rome sous la domination césarienne et la concordia. Les historiens ne sont pas d’accord non plus sur la période à laquelle les lettres ont été écrites ou à laquelle elles font référence. La lettre II étant en fait la première chronologiquement, la lettre I est en général datée entre 48 et 46. La victoire de César dans la guerre civile se dessinait et, en dehors de ces actions militaires, ce dernier dut régler un certain nombre de problèmes à Rome.
75Cette lettre du Pseudo-Salluste se présente, à partir du chapitre V, comme un programme de gouvernement, pour rétablir la République, la paix et la concorde161. Dans un contexte de fin de guerre civile, la paix et la concorde étaient évidemment des notions très proches162. César devait chercher à établir solidement la paix et la concorde (pacem et concordiam stabiliuisse163), et, pour y parvenir, l’auteur proposait deux mesures visant à résoudre le problème des dettes. Tout d’abord, il fallait limiter les dépenses de chacun à l’importance de son patrimoine : sed si suam quoique rem familiarem finem sumptum statueris164. Cette expression res familiaris et les autres remarques de Salluste concernant la dépravation d’une certaine jeunesse165 montrent que l’auteur faisait ici référence à des jeunes gens qui appartenaient à de bonnes familles, y compris de l’aristocratie, dont l’important patrimoine était mis au service d’une carrière politique. Cette jeunesse dépensière était accusée par l’auteur de vouloir des res novae, expression que l’on peut traduire par un ordre nouveau, mais dans laquelle il faut sans doute voir aussi une référence aux tabulae novae, c’est-à-dire à l’abolition des dettes166.
76L’auteur de cette lettre conseillait donc à César, afin de rétablir la concorde, de refuser l’abolition des dettes. Il dénonçait le comportement de jeunes aristocrates endettés, qui demandaient une telle mesure pour éviter de vendre leurs biens fonciers. César, en 48-46, rencontra l’opposition de certains nobles, qui l’avaient pourtant soutenu jusque-là, quand il refusa d’abolir les dettes, et surtout quand il décida d’obliger les débiteurs à vendre leurs biens pour rembourser leurs créanciers167. Bien que la question des dettes concernât toutes les catégories sociales, l’auteur de cette lettre, lorsqu’il chercha à déterminer quelles mesures concernant les dettes permettraient de rétablir la concorde, s’intéressa essentiellement à la situation de l’aristocratie.
77Afin de limiter le recours à l’endettement, l’auteur proposait que cette jeunesse dépravée fût responsable de ses dépenses sur ses biens familiaux. On peut donc voir dans cette proposition une référence à la loi Iulia De pecuniis mutuis que César fit voter en 49 et qui créait une procédure par laquelle le débiteur, pour éviter la contrainte par corps, prononçait un serment d’insolvabilité préalable à une cessio bonorum pour rembourser ses créanciers168. La lettre à César nous renseigne donc sur les arguments qui furent utilisés pour justifier cette loi. Celle-ci provoqua en effet des débats parfois violents, y compris parmi les partisans de César. En 48, puis en 47, César eut à intervenir contre les préteurs M. Caelius Rufus et P. Cornelius Dolabella qui voulurent faire voter des lois d’annulation des dettes169. Ces deux personnages, pourtant des césariens, critiquaient les mesures prises par César en 49 pour soulager les débiteurs tout en ne ruinant pas les créanciers, mesures qu’ils jugeaient trop timorées170. L’action de M. Caelius Rufus fut même à l’origine d’une rixe en plein Forum, déclenchée par des débiteurs mécontents de l’action du préteur urbain Trebonius. Ce dernier refusait, en effet, l’abolition des dettes et faisait appliquer la législation césarienne, donc la loi De pecuniis mutuis prévoyant la cessio bonorum des débiteurs au profit des créanciers. D’après César, Trebonius fut jeté hors de son tribunal mais, selon Dion Cassius, il n’échappa au lynchage qu’en se fondant dans la foule du Forum171.
78L’auteur de la lettre à César proposait ensuite de faire cesser, dans le futur, le règne des usuriers (feneratores) en vue de rétablir la concorde. Pour cela, il fallait que le magistrat fût au service du peuple, non du créancier, et qu’il enrichît ainsi la République (magistratum populo, non creditori gerere et magnitudinem animi in addendo non demendo rei publicae ostendere)172. Que faut-il entendre par là ? Le peuple, opposé aux créanciers, se confond ici avec les débiteurs. César est appelé, en vue de mettre les magistrats au service du peuple/des débiteurs et d’enrichir la République, à prendre des mesures pour limiter l’activité des feneratores. À Rome à la fin de la République, le prêt à intérêts était l’activité des feneratores, qui n’étaient pas des professionnels des activités financières, mais prêtaient les liquidités dont ils disposaient173.
79La lettre du Pseudo-Salluste à César montre donc que, pour une partie des partisans de ce dernier, le règlement de la question des dettes devait permettre de restaurer la concorde. Pour cela, il fallait limiter l’endettement des aristocrates auprès des feneratores, de manière à ce qu’ils ne fussent pas obligés, en cas de défaillance, de vendre leur patrimoine foncier. Il s’agissait, dans un système censitaire fondé sur la propriété foncière, de limiter les risques de déclassement social qu’encouraient certains membres de la classe dirigeante, et par conséquent de juguler le danger que les dettes faisaient peser sur les hiérarchies structurant la cité tout entière.
80C’est à ce raisonnement, ainsi qu’aux arguments par lesquels César et ses partisans justifièrent les mesures que prit le dictateur concernant les dettes, que Cicéron entreprit de répondre dans un passage du De officiis. Dans cet ouvrage écrit en 43, Cicéron expliqua que, de manière générale, toute politique de remise des dettes conduisait à la rupture de la concorde174, puis il raconta comment Aratos rétablit la concorde dans sa cité de Sicyone. Celui-ci trouva un arrangement dans des conflits de propriété, de telle sorte que personne ne fût lésé175. Pour Cicéron, le respect des obligations en matière de dettes permettait de préserver ou de rétablir la concordia, alors qu’une politique de remise des dettes conduisait à sa rupture. Or dans le même passage, il opposa cet exemple d’Aratos de Sicyone à la politique suivie par César au début des années 40 à propos des dettes176.
81Dans le même passage du De officiis, la question de la fides est centrale dans l’analyse du problème des dettes. Ceux qui s’opposaient aux tabulae novae, à l’abolition des dettes, estimaient que celle-ci rompait la relation de confiance entre les citoyens. Chez Cicéron, la fides, qui constituait le lien entre l’ensemble des citoyens et une nécessité pour maintenir la concorde, ne pouvait exister sans l’obligation de payer ses dettes177. Cicéron, « en vertu de l’équité du droit et des tribunaux178 », s’opposait à toute remise des dettes comme celles qu’il accusait César d’avoir permises. Il rappelait que, sous son consulat, des débiteurs avaient fait pression sur lui pour obtenir de ne pas payer leurs dettes. Que signifie cette affirmation ? Le consul n’étant pas en charge de l’application des lois civiles, il faut comprendre que certains lui demandèrent de faire voter une loi sur la diminution ou l’abolition des dettes. Il s’agissait peut-être de détacher de Catilina certains de ses partisans endettés, dont il était question dans la seconde Catilinaire179. Mais Cicéron estimait que, face à ce problème des dettes, il fallait agir selon l’équité du droit et des tribunaux, iuris et iudiciorum aequitas180. De plus, ce passage du De officiis faisait référence, pour la critiquer, à la loi de César en 49181, qui obligeaient les débiteurs à vendre leurs biens pour rembourser leurs créanciers182. L’équité nécessitait donc le maintien effectif des obligations réciproques entre citoyens, en tant que condition de la fides et de la concordia. Contre cette politique césarienne, Cicéron affirmait que les lois et les jugements devaient se soumettre à cet impératif d’équité, et que la justice ne pouvait se définir mécaniquement comme l’application de n’importe quelle loi. C’est pourquoi Cicéron ne justifia pas son point de vue par la loi elle-même, et peu de temps après la mise en application de la loi Iulia sur les dettes, que Cicéron condamnait, on peut comprendre que le recours au droit positif lui ait semblé insuffisant. Le point d’appui de son raisonnement n’était donc pas la loi elle-même, mais la nature qui devait lui servir de guide : les lois sur les dettes qui conduisaient à ôter son bien à autrui allaient contra naturam, et avaient ainsi brisé le lien entre les hommes183. Surtout, ces lois entérinaient les divergences d’intérêts entre citoyens : elles institutionnalisaient une division entre créanciers et débiteurs. C’est cette idée que refusait Cicéron : que la loi avantageât certains citoyens contre d’autres, mais plus certainement encore qu’elle reconnût une division telle entre eux que les méthodes traditionnelles de résolution des conflits fussent inopérantes. La réflexion sur les dettes survient, à la fin du livre II du De officiis, dans le chapitre sur les beneficia184. Ces lois constituaient donc un échec des relations normales de clientèle, une méthode alternative à la hiérarchie censitaire et nobiliaire de la cité, pour résoudre les conflits lorsque la fides n’existait plus. Cicéron cherchait donc, dans ce passage, à répondre à César. En effet, ce dernier, dans son récit des guerres civiles, présente sa politique concernant les dettes comme un moyen de maintenir la réputation (existimatio) des débiteurs, non la concordia185. Mais cette réputation pouvait être considérée comme une condition nécessaire au maintien, entre créanciers et débiteurs, de relations de confiance, c’est-à-dire de la fides.
82Le récit exemplaire sur Aratos de Sicyone montre également que cette nécessité du maintien de la fides était intégrée par Cicéron à l’impératif plus général du maintien de l’ordre social et politique de la cité. Dans le De officiis, Cicéron reconnaissait qu’il fallait éviter que les dettes fussent trop importantes, mais il refusait l’idée d’obliger les possédants à les rembourser en vendant leurs biens, ce qu’il assimilait à une nuisance pour l’État ([…] rei publicae noceat). En effet, l’abolition des dettes conduisait à un transfert de propriété du créancier au bénéfice du débiteur186. Cicéron, comme l’auteur de la lettre à César, rejetait cette abolition qui conduisait, d’après lui, à un renversement de l’ordre civique. Dans un système censitaire fondé sur la propriété foncière, ceux qui voulaient s’engager dans le cursus honorum devaient conserver leur patrimoine foncier, mais aussi se procurer d’immenses liquidités pour financer leurs dépenses en tant que candidats ou même en tant que magistrats. L’endettement devint la règle pour certains nobles qui ne disposaient pas d’une fortune familiale de l’ampleur de celle d’un Crassus187. L’idéal demeurant le maintien à chaque génération du prestige familial par les magistratures, le contexte de concurrence de plus en plus vive et de plus en plus onéreuse entre nobles suffit à faire des dettes, c’est-à-dire des moyens de la politique, une question de première importance. C’est dans ce type de situation que la question des dettes devenait une cause de discorde entre les membres de la classe dirigeante. Les dettes, au début des années 40, acquirent une visibilité dans le champ politique, lorsque l’endettement excessif de certains aristocrates menaçait la position sociale188.
L’influence des débats sur les dettes de l’époque césarienne sur les traditions annalistiques
83Ces débats sur les décisions à prendre concernant les dettes en vue de préserver la concorde eurent-ils une influence sur la tradition annalistique ? C’est ce que l’on peut estimer à partir de l’étude de trois épisodes, tous situés entre 352 et 304. D’après les récits annalistiques de la fin de la République, la deuxième moitié du ive siècle fut une période de tensions entre le patriciat et la plèbe, cette dernière demandant que des mesures fussent prises pour limiter le problème des dettes189. D’après Tite-Live, l’élection d’un consul patricien et d’un consul plébéien en 352 (P. Valerius Publicola et G. Marcius Rutulus), c’est-à-dire le respect de la loi licinio-sextienne sur le partage du consulat, avait déjà incliné les esprits à la concordia. Les deux consuls décidèrent alors de parfaire cette concorde, en désignant une commission de cinq membres, tous sénateurs de haut rang, pour apporter une solution au problème des dettes190. Malgré les couronnes tressées par Tite-Live aux membres de cette commission, il faut bien avouer que leur action ne fut pas aussi décisive que son récit pourrait nous le faire penser. En effet, très rapidement dans le livre VII, la question des dettes resurgit191. Ce récit doit donc être considéré comme un exemplum ayant pour fonction de représenter ce que pouvait être une politique de résolution du problème des dettes conduisant à rétablir la concordia.
84Quelle fut donc la politique décidée par cette commission ? D’une part, le Trésor public devait rembourser les dettes aux créanciers, tout en prenant des garanties auprès des débiteurs, pour que ces derniers remboursassent effectivement leurs dettes. Le récit de Tite-Live, c’est un point important, est imprécis quant à ces garanties qui devaient préserver les intérêts du peuple. D’autre part, lorsque cela était possible, le créancier recevait en remboursement les biens du débiteur, évalués de manière équitable, « libérant » (liberavit) ce dernier de ses dettes192. Le récit livien insiste sur l’équité de la politique générale de la commission193, mais cette équité caractérise surtout l’estimation des biens : or, cette insistance ne peut se comprendre que dans une période de crise qui a fait baisser le prix des biens très en dessous de leurs prix antérieurs. Il s’agit précisément de la situation au moment du vote de la loi césarienne194. Cette forme de cessio bonorum semble donc très proche de celle prévue par la loi de César sur les dettes. De plus, la commission dut choisir cette politique car l’une des principales causes de la crise était l’inertia debitorum, la mauvaise volonté des débiteurs195. Ces derniers furent donc accusés de refuser de rembourser leurs dettes, c’est-à-dire, pour certains, par la vente de leurs biens. Or Salluste, dans sa lettre à César, dénonçait précisément le refus de certains jeunes nobles de se séparer de certains de leurs biens pour honorer leurs dettes. C’est en partie ce refus qui justifia, de la part de César, la promulgation d’une loi qui imposait la cessio bonorum.
85Cette commission était confrontée à un problème difficile car, d’après Tite-Live, son règlement était souvent pénible pour les parties, et toujours au moins pour l’une d’elles196. La politique mise en place permit de solder une masse importante de dettes, non seulement sans injustice, mais même sans plainte des parties : […] ut non modo sine iniuria sed etiam sine querimoniis partis utriusque exhausta vis ingens aeris alieni sit197. La commission rétablit la concorde en adoptant une politique dans laquelle aucune des parties n’était lésée, mais surtout en plaçant cette question, à l’origine privée, au centre de la vie civique, puisque la commission agit sur le forum. Cette précision de l’auteur et de sa source sur le lieu (in foro) constituait une réponse à ceux qui, comme Cicéron, considéraient que les dettes relevaient des relations privées entre individus et non de la politique. On remarque également que cette notion d’une politique qui ne lésait personne se trouve dans le De officiis, donc en 43, à propos d’Aratos de Sicyone, dont la politique de concorde, telle que Cicéron la décrit, constituait d’après ce dernier un contre-exemple de la politique césarienne198. Le raisonnement de Cicéron s’opposait donc au récit annalistique, qui tendait à justifier la loi sur les dettes de César, sur le terrain de la nécessité de promouvoir une politique prenant en compte les intérêts de tous les citoyens comme condition de la concorde.
86Le second épisode dans lequel la question des dettes est mise en rapport avec celle de la concorde eut lieu en 342, lorsque, d’après certains annalistes, le prêt à intérêts avait été interdit par une lex Genucia199. Tite-Live est notre principale source sur cette loi200 et il émet des réserves sur la tradition annalistique de son époque201. Aux chapitres 38, 5 à 42 de son septième livre, Tite-Live relate une mutinerie de soldats romains qui, stationnés à Capoue, désiraient s’y installer définitivement par la force. La garnison romaine se trouvait en Campanie après la deditio de Capoue, dans le contexte de l’imminence des guerres samnites202. Quelles que soient les divergences entre les différentes versions que Tite-Live a consultées, cet épisode se clôt, selon des modalités différentes, par le rétablissement de la concordia203.
87Tite-Live s’en tient dans un premier temps à une seule version (38, 5-41), avant de signaler les variantes qu’il pouvait lire chez d’autres annalistes (42). L’abolition des dettes par une lex Genucia constituait une de ces variantes204. Les sources de Tite-Live, de nature annalistique, lui fournissaient donc plusieurs versions de cet épisode. Malgré le terme par lequel Tite-Live les désigne, antiqui auctores, il s’agissait probablement d’auteurs de ce que nous appelons l’annalistique moyenne et récente, sans pouvoir être plus précis205. L’une des divergences entre les sources de Tite-Live portait sur le nom du dictateur qui parvint à apaiser la révolte : dans le récit privilégié par Tite-Live, il s’agit de M. Valerius Corvus206. La présence de ce Valerius constitue peut-être le signe d’une intervention de Valerius Antias. Ce dernier semble bien être la source principale de Tite-Live pour cette période, parmi d’autres annalistes207. Mais il pourrait s’agir également d’un choix personnel de Tite-Live, puisque le discours qu’il fait tenir au dictateur de 342, en VII, 40, 3-14, exprimait certaines idées concernant la place des homines novi dans la République et pourrait alors avoir pour origine un discours tenu par un contemporain de Tite-Live, M. Valerius Corvinus Messala208.
88Dans la version privilégiée par Tite-Live et prise peut-être chez Valerius Antias, le dictateur Valerius rétablissait la concordia sans résoudre le problème des dettes209. D’autres annales affirmaient que, pour calmer la révolte qui avait pris des proportions inquiétantes, le tribun L. Genucius fit voter plusieurs plébiscites, dont celui sur l’abolition des dettes, et Tite-Live sous-entend clairement que le rétablissement de la concorde s’obtint à ce prix210.
89En définitive, il existait donc au moins trois versions de cet épisode : celle dans laquelle Valerius dictateur rétablissait la concordia sans se préoccuper de la question des dettes, en demandant au Sénat de prendre des décisions destinées à apaiser la situation, essentiellement l’amnistie pour les révoltés ; celle dans laquelle, s’ajoutant à ces mesures, le tribun de la plèbe L. Genucius faisait voter par le peuple l’abolition des dettes, ainsi que d’autres mesures politiques bénéficiant à la plèbe, ce qui conduisait au rétablissement de la concordia ; enfin, celle des « autres annales » d’après Tite-Live, dans laquelle Valerius n’intervenait pas et dans laquelle ce furent les troupes et non les dirigeants qui poussèrent à rétablir la concorde. Tite-Live ne nous dit pas quelles furent les mesures prises par le Sénat dans ce dernier cas, ce qui veut dire que cette dernière version pouvait encore se scinder en plusieurs.
90De la manière dont Tite-Live et les autres sources relatent l’épisode, on peut tout d’abord retenir que la question des dettes constituait le casus discor diae211. Dans le récit livien, le terme de concordia revient à quatre reprises, deux fois dans la version préférée par Tite-Live, deux fois dans les versions « alter natives212 ». L’exemplarité de l’épisode résidait dans la question de la concor dia, et plus précisément de la manière de la rétablir. Cela implique que deux grandes familles de récits coexistaient dans la tradition : ceux qui faisaient de la résolution de la question des dettes une condition de ce rétablissement et ceux qui opéraient un déplacement vers des mesures purement politiques : amnistie des insurgés, lex sacrata militaris, loi sur les grades et sur la solde des cavaliers. De plus, l’étonnement de Tite-Live devant la multiplicité des versions qu’il lisait montre que cette histoire avait constitué, à une époque au moins, le terrain d’un conflit d’exemplarité, dont l’une des dimensions était la question de l’interdiction de l’usure213. Cet épisode fut l’objet, à une période relativement récente par rapport à lui, de processus de réécriture214. L’une des principales sources de Tite-Live fut Valerius Antias, qui fit paraître son œuvre à la fin des années 50 ou au début des années 40 du ier siècle, donc au moment où César fut confronté à Rome à la question des dettes et où la première lettre à César lui demandait d’agir pour la résoudre215. L’abolition des dettes par une lex Genucia, qui permit de rétablir la concorde en 342, fut donc très probablement un argument utilisé au moment où César promulgua ses lois sur les dettes, de la part de ceux qui, à l’instar de M. Caelius Rufus et P. Cornelius Dolabella, demandaient alors cette abolition.
91Enfin, à l’extrême fin du ive siècle, le thème de la limitation du fenus pour rétablir la concordia est présent dans un autre texte. Il s’agit du récit que fait Pline de la construction du temple de Concordia par l’édile de 304, Cn. Flavius216. D’après Tite-Live, ce dernier était un partisan d’Ap. Claudius Caecus, censeur en 312217. De manière générale, dans la tradition écrite de la fin de la République, cette édilité était considérée comme une étape importante dans le conflit patricio-plébéien218. En effet, fils d’affranchi, Flavius accéda, peut-être grâce à la réforme du scrutin pour les élections, à l’édilité curule. Il publia les formules du droit civil et le calendrier, de manière à ce que tous les citoyens puissent savoir quels jours étaient propices à une action judiciaire ou publique, concourant ainsi à priver les patriciens d’un de leurs privilèges219. Enfin il fit construire, d’après Tite-Live, une aedes dédiée à Concordia, in area Volcani220. Dans tout le chapitre 46 du livre IX, ce dernier insiste sur le scandale provoqué par l’élection de Flavius, puis par la publication des formules de droit et du calendrier. Les nobles tentèrent également de l’empêcher de consacrer l’aedicula à Concordia. Ainsi le grand pontife refusa dans un premier temps de donner les formules de consécration. Enfin, Tite-Live affirme que la cité fut alors divisée en deux (IX, 46, 13 : […] in duas partes discessit civitas) et oppose à l’action de Flavius celle des censeurs de 304, Q. Fabius Maximus Rullianus et P. Decius Mus, qui décidèrent d’inscrire les « humbles » de la plèbe dans les quatre tribus urbaines, dans le but, d’une part, de priver la forensis factio de son poids électoral dans les élections, et, d’autre part, concordiae causa, de manière à rétablir la concorde221. Tite-Live oppose donc deux modèles de concordia, mais son récit se révèle finalement peu précis. Il sépare nettement (simul concordiae causa, simul…) les deux objectifs qu’auraient suivis Fabius et Decius, et on comprend difficilement ce qu’il faut entendre par ce concordiae causa censé guider l’action des censeurs.
92Là encore, Tite-Live tente de rendre compte de sources divergentes : il ne trouvait en effet certaines informations que dans certaines Annales, et pour certains points uniquement chez Licinius Macer222. Ce chapitre de Tite-Live (IX, 46) révèle, dans son déroulement, l’utilisation d’au moins deux sources divergentes : en effet, en 46, 12, Tite-Live revient sur l’élection de Flavius à l’édilité, alors que ce point avait déjà été traité en 46, 2-3. Il signale également une divergence de Licinius Macer (par rapport aux autres annalistes ou à la majorité d’entre eux ?) à propos du statut de Flavius au moment de son élection223. Les sources ne transmettaient donc pas toutes le même récit, ce que montre du reste aussi un passage de Pline, qui ne reprend pas la version présentée par Tite-Live. Pline affirme en effet que Flavius fit le vœu de faire construire un temple à Concordia s’il réconciliait les ordres avec le peuple224. Comme chez Tite-Live donc, Pline présente cette construction comme un épisode d’un conflit entre les ordres supérieurs et le petit peuple, alors qu’il s’agissait fondamentalement d’un conflit au sein de l’ordre sénatorial, dont certains membres prétendaient prendre en charge les intérêts du peuple. Contrairement à Tite-Live, Pline affirme que le refus du Sénat de financer cette construction le contraignit à ne faire construire qu’une aedicula, financée par le produit des amendes imposées aux feneratores225. Par rapport à celle de Tite-Live, la version plinienne paraît beaucoup plus favorable à Flavius, et on ne peut douter que la question du châtiment des usuriers fît partie, dans cette version, d’une politique de rétablissement de la concordia par l’édile de 304. Pline annonce qu’il suit les « plus anciennes annales226 ». Il s’agissait sans doute des Annales Maximi de la période augustéenne, qui avaient la réputation de reproduire les anciennes annales des pontifes. Pline utilisa probablement aussi d’autres sources, annalistiques et antiquaires, de la fin de la République227. Mais il précise qu’il a lu dans ces anciennes annales que l’élection de Flavius à l’édilité curule suscita une violente indignation de la part de la noblesse228. Rien n’indique que la dédicace de l’aedicula dédiée à Concordia s’y trouvait.
93Aulu Gelle nous a transmis le passage de l’œuvre de Pison concernant les difficultés provoquées par l’élection de Flavius, un ancien scribe, à l’édilité curule, ainsi qu’un épisode montrant l’hostilité de la jeunesse patricienne à son égard. Ce texte, dont l’une des sources était donc l’œuvre de L. Calpurnius Pison Frugi, consul en 133, publiée après cette date, montre des ressemblances nettes, en ce qui concerne cet épisode, avec le récit de Tite-Live229. Ces deux thèmes – son élection alors qu’il était fils d’affranchi et scribe, contre l’avis d’une partie de la noblesse, et sa décision de révéler les formules du droit civil dont la connaissance demeurait jusqu’ici l’apanage des pontifes – sont les seuls concernant Flavius chez Diodore et Cicéron230. La tradition la plus ancienne concernant Flavius bénéficiait donc, de Calpurnius Pison à Cicéron, d’une remarquable cohérence, et aucune de ces sources ne comprenait la mention d’un lieu de culte à Concordia.
94De plus, une lettre de 50 av. J.-C. nous montre que ni Cicéron ni Atticus ne savaient dater précisément l’édilité de Flavius. Le second avait manifestement soulevé des objections quant au traitement historique du personnage en question dans le De re publica. Cicéron affirme que ses recherches se sont révélées infructueuses pour dater le personnage, mais qu’elles l’ont conduit à reconnaître que la publication des fastes ne lui était pas imputée par toutes les sources et à se contenter de reprendre la version la plus répandue de cette histoire231. Atticus n’a pu manifestement lui fournir d’autres précisions. Cicéron prétend dans sa lettre qu’il était impossible, à propos de Flavius, d’être plus précis qu’il ne l’avait été232. Le fragment de Pison tel qu’il nous est parvenu ne contient aucun élément qui permette de dater cette édilité de Flavius. Cela implique que, en 50, la « version quasi officielle » mentionnée par Cicéron comprenait l’élection de Flavius à l’édilité curule et sa décision de révéler les formules de droit à la plèbe, ces événements suscitant l’ire des patriciens. Ces données étaient sans doute anciennes. Elles se trouvaient dans les récits de certains annalistes, tels que Pison mais aussi Licinius Macer, mentionné par Tite-Live233. La datation de l’édilité de Flavius variait énormément d’un auteur à un autre, de telle sorte que ni Cicéron ni Atticus ne pouvaient trouver d’arguments solides pour asseoir définitivement leur opinion234. Entre cette lettre du début de l’année 50 et la rédaction par Tite-Live de son livre IX, la tradition sur Flavius s’affermit : son édilité fut datée, d’autres mesures lui furent imputées, et surtout, il devint un client d’Ap. Claudius Caecus, le censeur de 312. Tite-Live choisit une version qui jugeait sévèrement la politique de ce personnage, version qu’il prit sans doute chez Valerius Antias235. Il est donc probable que c’est à ce même auteur, qui publia son œuvre à la fin des années 50 et au début des années 40 du ier siècle236, que l’on doit attribuer la fixation de la figure de Cn. Flavius237.
95De plus, l’impossibilité pour Cicéron et Atticus de dater le personnage montre que la dédicace de l’aedicula à Concordia n’était pas mentionnée dans les tabulae des pontifes. La question s’énonce donc comme suit : si l’on s’en tient à l’hypothèse la plus probable, Pline a suivi, en ce qui concerne la dédicace de l’aedicula, des annales de la fin de la République, qui n’étaient ni les Annales Maximi ni celles de Calpurnius Pison, et qui faisaient de Flavius le bâtisseur du premier lieu de culte consacré à Concordia à Rome. Ces annales précisaient en outre que cette construction fut financée grâce aux amendes infligées aux usuriers238. Tite-Live mentionne Licinius Macer comme l’auteur d’une version divergente à propos de l’élection de Flavius239. Cet annaliste qui écrivit dans les années 70 du ier siècle était-il la source de Pline ? Valerius Antias me paraît être plus probablement cette source. Influencé par la question des dettes à l’époque de la domination césarienne à Rome au début des années 40, et notamment par les débats autour de la concordia que devait rétablir César en réglant ce problème, il aurait fait de Flavius l’instrument de la politique démagogique d’un grand noble, Ap. Claudius Caecus, contre les conservateurs du Sénat. Cette construction ne fut pas placée au hasard par les annalistes, mais pendant une période dont la tradition affirmait déjà qu’elle avait été marquée par ce problème des dettes240. La précision de Pline quant au changement que dut opérer Flavius sous la pression du Sénat – une aedicula plutôt qu’une aedes – tendait à expliquer l’absence non seulement de toute information sur ce bâtiment dans les annales des pontifes, mais également de toute trace d’une aedicula à la fin de la République241. Pourquoi dans ce cas Tite-Live omit-il cette dernière information ? On peut envisager qu’elle ne se trouvait que chez un annaliste, Licinius Macer ou Valerius Antias, en qui Tite-Live avait une confiance limitée, ce qui expliquerait aussi pourquoi Cicéron ne reprit pas cette tradition. Mais il est également possible que Tite-Live se soit conformé aux nécessités politiques de son époque. Le livre IX a probablement été écrit dans les années 20 du ier siècle av. J.-C. À cette époque, la mention de cette construction aux frais des usuriers rappelait peut-être trop les guerres civiles et la période précédant immédiatement l’assassinat de César. Pline n’avait plus ces problèmes et il pouvait mentionner un « détail » ignoré volontairement par Tite-Live242.
96D’après certains récits annalistiques, Cn. Flavius dut renoncer à bâtir un temple à cause de l’hostilité du Sénat ; en réponse, il utilisa le produit des amendes sur les usuriers (feneratores) pour financer l’aedicula243. L’érection d’un lieu dédié à Concordia devint ainsi l’occasion d’un conflit au sein de la classe dirigeante, et son financement avait (surtout ?) une dimension politique. À Rome à la fin de la République, les feneratores, et non les banquiers qui pratiquaient d’autres activités de manieurs d’argent professionnels, accordaient des prêts à intérêt. Les feneratores, qui prêtaient les liquidités dont ils disposaient, appartenaient souvent à des milieux aisés. Des sénateurs et des chevaliers pratiquèrent ce type d’activité. Nos sources montrent une certaine hostilité vis-à-vis des feneratores244. Le prêt à intérêt impliquait un souci d’accumulation, une recherche effrénée de la richesse pour elle-même, une forme d’avaritia245. Nous avons vu que c’était cette activité que proposait d’interdire l’auteur de la lettre à César. La condamnation morale portait sur le fait non que des gens prêtaient de l’argent, mais qu’ils demandaient un intérêt sur des sommes constituées d’un surplus par rapport à leurs besoins. Sans intérêt, le prêt changeait de nature et devenait un bienfait. La demande d’une rémunération le faisait entrer dans le cadre d’une relation qui ne produisait aucune reconnaissance. Le prêt à intérêt était moralement condamné, sur le fond, parce qu’il instaurait une relation entre individus qui n’était pas fondée sur la fides. Il n’était néanmoins pas interdit à Rome, au moins pas dans les faits246.
97Nous avons vu que, au moment de la guerre civile entre Pompée et César, l’importance des dettes et le refus des grands propriétaires fonciers de vendre leur patrimoine pour les rembourser247 avaient conduit certains aristocrates à demander des tabulae novae. L’arrivée de César en Italie en 49 provoqua une thésaurisation telle que le crédit se trouvait totalement bloqué. Pour réinjecter des liquidités et fluidifier ce marché du crédit, César prit plusieurs mesures : utilisation des réserves du Trésor public248, interdiction pour les particuliers de posséder plus de 6 000 sesterces249, confirmation des décisions de plafonnement des taux d’intérêt prises par certains tribuns de la plèbe avant son arrivée à Rome250. Cette politique avait pour but, en accroissant le volume de la masse monétaire en circulation, de faire baisser les taux d’intérêt. Les feneratores, ces particuliers, souvent des sénateurs, qui utilisaient leurs fonds disponibles pour faire du crédit, mais qui préféraient les conserver quand la situation paraissait risquée, étaient obligés de se défaire de ces fonds à des taux d’intérêt inférieurs à ce qu’ils pouvaient attendre pour rémunérer ce risque. En revanche, les manieurs d’argent professionnels profitaient de cette meilleure circulation de la monnaie. La politique césarienne du crédit avait des buts généraux, mais se révéla effectivement dirigée contre les feneratores. Ces derniers étaient manifestement accusés par certains aristocrates, c’est-à-dire très souvent par leurs pairs, d’être responsables de la rupture de la concorde, l’ampleur des prêts qu’ils accordaient menaçant la position sociale de leurs débiteurs.
98Nous avons donc, à partir de 49, toute une série de sources qui traitent de la question des dettes et de sa résolution en termes de restauration et de rupture de la concordia251. La période 49-46 revêtit de ce point de vue une importance particulière, dans la mesure où César et ses partisans utilisèrent le thème de la concordia, et que la question des dettes devint une sorte de test de la capacité de ce dernier à rétablir le calme, y compris contre certains de ses partisans ou ex-partisans, comme Caelius Rufus et Cn. Cornelius Dollabella. L’agitation qui ne cessait pas autour de cette question entre 49 et 46 montre que César était confronté à des points de vue radicalement différents s’exprimant dans la classe dirigeante, de la demande d’abolition pure et simple des dettes au statu quo, en passant par des mesures ponctuelles de suspension des loyers, de limitation des taux d’intérêt, etc. Ces débats autour de la question des dettes provoquèrent, dans les années 40 du ier siècle, la réutilisation et en partie la réécriture de certains épisodes en fonction de ces événements : le vote de la lex Genucia de 342 et la construction de l’aedicula de Concordia en 304 furent ainsi racontés en fonction de problèmes sur lesquels les auteurs se proposaient de réfléchir à travers ces exempla. Ils subirent des modifications pour devenir les arguments des uns et des autres.
99Peut-on saisir le fond du débat en question à travers les textes que nous venons d’étudier ? Les points de vue sur la question des dettes paraissent très variés, comme le montrent les dissensions à l’intérieur même du camp césarien. Nos sources ont tendance à privilégier une ligne de fracture passant au sein de la noblesse, entre partisans et opposants à des mesures sur les dettes. Ces dernières constituaient un problème touchant tous les milieux, mais sa traduction dans les débats qu’elles suscitaient insistait sur la situation de certains propriétaires fonciers si endettés qu’ils risquaient de devoir vendre leur patrimoine. Le combat pour la remise des dettes fut pris en main par certains nobles dont l’endettement excessif impliquait qu’un échec au cours de leur carrière les conduirait à la ruine complète et à la déchéance de leur rang social. Au moment de la guerre entre César et Pompée, certains nobles étaient donc au bord du gouffre252, ou s’imaginaient dans cette situation. Certains demandèrent l’abolition des dettes pour préserver la concordia dans l’ensemble de la cité. Caelius Rufus et Cn. Cornelius Dollabella furent de ceux-là, mais leur point de vue est difficile à observer car ils ont toujours échoué. En revanche, certains annalistes de la fin de la République voulurent montrer que l’abolition des dettes pouvait conduire à rétablir la concorde.
100Certains aristocrates pensaient que la solution consistait à combattre le fenus et à limiter l’activité des feneratores. La première lettre à César du Pseudo-Salluste et le récit annalistique qui affirmait que l’aedicula de 304 avait été financé par les amendes sur les usuriers relevaient de cette tendance. Dans certains de ces textes, les feneratores sont accusés de tenir en leur pouvoir, par leurs créances, certains aristocrates, les plaçant alors dans une situation d’incapacité politique253. La lettre à César propose, quant à elle, une autre mesure, dont le but était identique : rendre responsables sur leur patrimoine les débiteurs pour les pousser à limiter le recours à l’emprunt254. Les mesures contre l’usure devaient donc conduire à modifier les comportements d’une partie des aristocrates255. Les dettes constituaient une atteinte à la liberté, à l’indépendance de ceux qui en supportaient le poids. Pour les plébéiens les plus pauvres, la chose n’avait sans doute pas grande importance, puisque leur endettement était individuellement limité et qu’il existait pour eux la solution de vendre leur force de travail à leurs créanciers. Mais les propriétaires devaient subir l’indignité de devoir travailler ou de devoir vendre leurs biens. Tout en haut de l’échelle enfin, comment un noble en situation de faillite pouvait-il prétendre diriger le peuple romain, si sa situation dépendait du bon vouloir de ses créanciers ? En cela, les dettes portaient atteinte à la dignitas et à l’auctoritas d’une partie de la classe dirigeante.
101Les dettes risquaient ainsi de provoquer des bouleversements dans la hiérarchie de la cité, par des transferts de patrimoine au sein même de l’ordre sénatorial, auquel appartenaient aussi bien les débiteurs que certains feneratores. L’idéal d’une cité éternelle parce que immobile nécessitait de maintenir la répartition des patrimoines telle qu’elle était. La concordia impliquait le maintien d’un ordre que les dettes menaçaient. C’est pourquoi la lutte contre les usuriers comme l’abolition des dettes étaient des thèmes profondément conservateurs. Ceux qui défendirent les idées d’abolition et de lutte contre l’usure le firent en s’appuyant sur cet idéal du maintien de chacun à son rang, nécessaire au maintien de la concorde.
102Certes, beaucoup d’aristocrates étaient des créanciers, et la majorité d’entre eux ne désiraient pas un effondrement du crédit. Entre 46 et 43, Cicéron, dans sa correspondance, condamna cette législation césarienne sur les dettes. Mais dans le De officiis, il établit une hiérarchie : il fallait éviter l’endettement excessif, mais rien ne pouvait justifier qu’on ne payât pas ses dettes. Ce qui était condamnable, de son point de vue, puisqu’une dette correspondait à un engagement pris, c’était la rupture du serment que reconnaissait la loi, puisque la lex Iulia prévoyait une diminution de fait des dettes. Il fallait refuser toute politique de remise des dettes, car elle conduisait à rompre la concordia256. Ce point de vue, finalement favorable aux feneratores, impliquait en revanche une acceptation, en dernier ressort, des transferts de propriétés des nobles les plus endettés vers les prêteurs, quels que fussent leur rang et leur statut dans la société. La fides, consécutive au respect de la parole donnée, constituait un impératif supérieur à la préservation de la hiérarchie de la cité. Au contraire, dans les lettres à César du Pseudo-Salluste, ce sont les transferts de propriétés que provoquaient les dettes qui étaient condamnés, car ils conduisaient à des changements de position sociale et donc bouleversaient la hiérarchie de la cité, seulement sur des critères financiers. L’un des aspects essentiels de ces débats consistait à mesurer la responsabilité des dettes et celle des mesures visant à les limiter dans le déclenchement des guerres civiles, et, d’un point de vue contraire, à déterminer le rôle des mesures prises sur les dettes dans le rétablissement de la concordia.
La dictature de César comme période de concorde chez les historiens de l’époque impériale
103D’après Appien, la dictature de César, en 48, marqua la fin de la στάσις, qui ne reprit qu’avec son assassinat257. Remarquons toutefois que cette période n’est pas décrite par cet auteur comme une époque de concorde, mais seulement d’absence de conflit civil. C’est la victoire d’Octave qui aurait conduit d’après lui à rétablir l’ὁμόνοια258. Cette observation d’une absence de στάσις entre 48 et 44 montre bien que, pour Appien et pour sa ou ses sources, Pharsale et la mort de Pompée constituèrent la fin des guerres civiles. Les guerres entre César et les pompéiens qui se poursuivirent jusqu’en 45 n’étaient donc pas perçues, après la victoire décisive de César, comme des guerres civiles. Ce fut probablement leur peu d’importance, dans le sens où elles ne changèrent pas le cours des événements, qui explique cela. Les guerres que César mena contre les derniers pompéiens ne mirent finalement pas la cité en danger et ne constituaient pas alors des guerres civiles comparables à celle qui s’était achevée avec Pharsale et la mort de Pompée, qui demeuraient dans les esprits les événements essentiels.
104La perception de la période de la dictature de César comme une période de concorde se trouve chez Dion Cassius, dans l’introduction du livre 44 de son histoire romaine. L’auteur grec s’apprête à faire le récit du meurtre de César. Comme chez Denys, ce meurtre fut pour Dion le point de départ d’une nouvelle στάσις mais, contrairement à lui, il en fait explicitement le moment de rupture de l’ὁμόνοια qu’aurait instaurée César après sa victoire sur les pom péiens259. Dion Cassius, dans cette introduction, réfléchit ensuite aux justifications de leur geste par les assassins de César, notamment par la volonté de redonner la liberté au peuple. D’après lui, ils cherchèrent à rétablir la démocratie et à abolir la monarchie, dont il cherche ensuite à montrer qu’elle constituait pourtant le meilleur système260. La démocratie, en effet, ne pouvait permettre de diriger un État si vaste dans la concorde261. Enfin, il entreprend le récit des causes de ce meurtre en montrant que le Sénat fut responsable du développement de la haine contre César, en votant à ce dernier des honneurs extraordinaires262. Parmi ces honneurs figurait la construction d’un temple à Concordia Nova, décidée pour le remercier d’avoir rétabli la paix entre eux263. La rupture de la concorde instaurée par César constitue donc l’un des thèmes importants du début du livre 44.
105Le problème ici est de savoir dans quelle mesure nous pouvons estimer que Dion Cassius nous a transmis dans ce texte les analyses de sources datant de la fin de la République et des débuts de l’Empire, c’est-à-dire d’œuvres contemporaines des événements qu’il relate. Dans l’ensemble de ce passage, l’explication fournie par Dion Cassius prend son point de départ dans l’idée que l’assassinat de César constitua un point de rupture, un basculement de Rome d’une situation de concorde dans une situation de conflit civil. Cet événement, dans la mesure où il impliquait certains choix politiques, entraînait une mise à l’épreuve, du point de vue de Dion, du lien fonctionnel entre le type de constitution, l’exercice de la liberté et la préservation de la concorde. Mais cette mise à l’épreuve se trouvait-elle déjà dans les sources de Dion, ou s’agit-il d’une réflexion personnelle nourrie de son expérience politique du temps des Sévères ?
106Nous avons vu que l’action du dictateur fut analysée par plusieurs de nos sources comme une politique visant à établir la concorde. Faut-il chercher un rapport entre la rupture de la concorde par l’assassinat de César et le vote du Sénat prévoyant la construction du temple de Concordia Nova ? Dion Cassius est notre seule source sur cette décision264. Cet auteur n’utilisait pas les archives du Sénat pour écrire son œuvre265. Il a donc trouvé dans celles d’un autre historien cette information, que les autres auteurs dont nous possédons les écrits pour cette période n’ont pas estimé devoir reprendre, malgré sa grande portée politique. On peut donc légitimement douter de la réalité de cette décision266.
107Si l’on accepte pourtant l’hypothèse retenue par la plupart des historiens, c’est-à-dire que ce vote du Sénat eut lieu, on doit s’interroger sur sa signification. De manière générale, les historiens analysent ce vote comme s’il relevait d’une décision prise par César267. Ils supposent donc que ce dernier, ou un de ses partisans, aurait soumis au Sénat un projet de sénatus-consulte ou fait pression sur le Sénat pour qu’il prenne la responsabilité de faire rédiger un tel projet. Or Dion Cassius affirme qu’il s’agissait bien d’une décision du Sénat et insiste sur la volonté des sénateurs de lui attribuer des honneurs que lui-même ne demandait pas. Sur la base du texte de Dion Cassius, on ne peut donc pas affirmer que cette décision relevait de la volonté de César. On suppose en général que ce temple ne fut pas construit, car ce vote intervint peu de temps avant son assassinat. Dans ce cas, quel était le contexte de ce vote ? On va voir que, lorsque Cicéron défendit le roi Dejotarus, il se permit certaines allusions tendant à montrer que César avait conquis le pouvoir en luttant contre la concorde du Sénat. Dans les mois qui précédèrent l’assassinat de César, un grand nombre de sénateurs étaient mécontents de la situation politique et accusaient celui-ci de se comporter en tyran. D’après Dion Cassius lui-même, le Sénat prit plusieurs mesures dont le but caché était de pousser César à commettre des fautes politiques et de porter ainsi atteinte à sa popularité268.
108De plus, cette référence à la construction d’un temple de Concordia comportait peut-être une allusion à la figure de Camille. Au moment de la dictature de César, cette figure constitua une référence exemplaire des césariens et de leurs adversaires269. Comme nous l’avons vu, la fable d’une construction d’un temple de Concordia après un vœu de Camille était sans doute apparue après 121, avec pour objectif d’effacer, dans les cercles populares, le souvenir de la construction du consul Opimius après la répression contre C. Gracchus et ses partisans. La décision du Sénat apparaissait donc comme une reprise de cette stratégie césarienne consistant à se comparer au premier vainqueur des Gaulois270. Mais l’exemplum de Camille était aussi extraordinairement ambigu : celui-ci, après la réconciliation, avait quitté sa charge de dictateur et avait rendu l’intégralité du pouvoir au Sénat271.
109La proposition de construire un temple à Concordia Nova relevait en tout cas très probablement d’une décision relativement indépendante du Sénat272. Cette décision, si elle a existé, pouvait impliquer une double référence : elle reprenait effectivement un thème de la propagande des partisans de César, mais elle pouvait également évoquer une nouvelle concorde voulue par certains sénateurs contre la tyrannie de César. Des sénateurs, qui comprenaient que le pouvoir absolu de César les écartait de fait des postes de responsabilité, lui auraient ainsi signifié qu’il ne pouvait demeurer dictateur longtemps et, dans cette crise, lui proposaient de réaliser la concorde avec un Sénat bien disposé à son égard.
110Si l’on pousse ce raisonnement jusqu’au bout, on aurait ainsi la raison de l’absence de cette information dans les autres sources : l’historiographie césarienne, dominante sous le principat, aurait cherché à faire disparaître cet affront fait à César par le Sénat, lorsqu’il lui signifia que le vrai concordiae auctor ne se serait pas maintenu au pouvoir. Dion Cassius aurait retrouvé un auteur favorable au Sénat, écrivant à la fin de la République ou au début de l’Empire, et qui aurait conservé cette information.
111D’autre part, il deviendrait compréhensible que, chez Dion Cassius, cette question de la concorde maintenue par la dictature de César ait été liée à un débat plus général sur la démocratie et la monarchie. Par démocratie, Dion Cassius désignait la République ou une situation dans laquelle les institutions de la République, et principalement le Sénat, fonctionnaient indépendamment d’un princeps. De manière générale, la République romaine finissante n’avait, aux yeux de cet auteur, de république que le nom273. Mais dans ce passage, il ne s’agissait pas de critiquer le fonctionnement de la République romaine à cette époque, mais d’exprimer l’impossibilité de gouverner un empire si vaste au moyen des institutions républicaines. La capacité du Sénat à diriger l’empire était ainsi mise en doute. Prônant le retour à un pouvoir de type collégial, la majorité sénatoriale aurait ainsi, de fait, pris parti pour la « démocratie » au sens de Dion Cassius, contre la « monarchie » de César. Le thème de la concorde, qui est essentiel dans ce passage, aurait donc été utilisé dans les débats suscités, au sein de la classe dirigeante, non seulement par la domination de César mais surtout par le maintien par ce dernier de cette situation à long terme et par les perturbations engendrées, dans ce cadre, par sa décision de partir en Orient pour plusieurs années274.
112Les arguments développés par Dion Cassius, à propos des avantages et désavantages de la démocratie et de la monarchie, faisaient-ils partie d’une réflexion personnelle d’un auteur contemporain des Sévères et convaincu de la supériorité du régime impérial ? A-t-il repris ici des arguments qu’il avait lus chez des historiens plus anciens ? Dion Cassius énumère trois arguments pour justifier sa préférence pour la monarchie : tout d’abord, la démocratie semble plus plaisante, mais la monarchie est plus avantageuse, car il est plus facile de trouver un seul homme vertueux que beaucoup275. Ensuite, l’histoire des Grecs, des Romains et des Barbares montre que les grands succès arrivent surtout sous la monarchie, et non sous la démocratie/République, qui ne conduit qu’à des succès éphémères276. Enfin, pour un empire aussi vaste, il est impossible de pratiquer la modération et donc de demeurer dans la concorde277. Le second argument ne peut pas dater de la fin de la République et du début de l’Empire, et relève donc d’une réflexion personnelle de Dion Cassius. De plus, il est inséré entre les deux autres, qui forment les membres d’un raisonnement cohérent : en effet, la vertu du monarque, dont il est question dans le premier argument, doit conduire au maintien de la modération et de la concorde dans l’empire, maintien dont il est question dans le troisième. Dion Cassius a donc probablement construit son texte en insérant une réflexion personnelle au milieu d’un raisonnement qu’il a lu dans ses sources. Même s’il est difficile d’affirmer que ce raisonnement fut développé dans ces termes au moment de la dictature de César, une idée apparaît qui peut y faire référence. Dion Cassius fait ici dépendre la concorde de la vertu (ἀρετή) et de la modération (σώφρων) des dirigeants. L’impossibilité de trouver de nombreux dirigeants vertueux en démocratie le conduit à privilégier la monarchie, pour laquelle il n’est besoin que d’un dirigeant vertueux. Ce raisonnement montre d’abord l’incompréhension fondamentale chez cet auteur de ce qu’était le pouvoir collégial du Sénat, dont le fonctionnement devait servir justement à établir des décisions par le débat, et non par l’expression de la vertu d’un seul dirigeant. Poser le problème en termes de vertu de ceux qui dirigent, c’était déjà établir une norme morale a priori, en vertu de laquelle le débat n’avait plus d’utilité : il suffisait, pour conduire l’État, de trouver le prince vertueux. C’était établir un lien étroit entre la bonne décision et les qualités personnelles de l’individu, et non plus avec le fonctionnement des institutions. L’idée d’une concorde dépendant de l’action vertueuse d’un dirigeant modèle justifiait le pouvoir personnel. La concorde, selon ce raisonnement, ne dépendait plus de la capacité des égaux à s’entendre ni du maintien des procédures institutionnelles et traditionnelles par lesquelles ils exprimaient leur légitimité à commander sans en passer par le conflit violent, mais de la domination d’un seul sur tous les autres. Les termes de ce débat s’intègrent donc à une réflexion sur les institutions républicaines et la pratique collégiale du pouvoir, réflexion qui n’avait plus de sens à l’époque de Dion Cassius. Il est donc possible que ce dernier ait effectivement reproduit ici les termes d’un débat entre partisans et opposants de la dictature césarienne.
La concordia sous la domination césarienne dans les discours de Cicéron
113Cicéron prononça le discours Pro Ligario à la fin de l’année 46, devant César dictateur, au Forum. Q. Ligarius était accusé de trahison pour avoir, au moment de la guerre entre Pompée et César, collaboré en Afrique avec le roi Juba, considéré comme un ennemi du peuple romain278. Cicéron utilisa l’argument de la concorde entre les trois frères Ligarii à deux reprises, au début et à la fin du discours, à chaque fois pour présenter l’engagement pompéien de Q. Ligarius comme un accident, produit des circonstances279. Q. Ligarius était membre d’une famille sénatoriale280 et il se trouvait en Afrique comme légat lorsque la guerre civile éclata. La ligne de défense de Cicéron consista à affirmer qu’il était demeuré en Afrique en raison de l’impossibilité de revenir à Rome pendant cette période troublée. Et pour prouver que, sans cette contrainte, il aurait choisi de rentrer à Rome, Cicéron invoqua comme une preuve décisive la concordia régnant entre les frères Ligarii281. Il choisit donc un argument qui peut paraître paradoxal, puisque nous savons, et Cicéron et César le savaient aussi, que dans la guerre civile il n’avait pas été rare de voir les membres d’une même famille se diviser et choisir des camps opposés282. On ne peut donc douter que, aux yeux de César, cet argument ait eu cette importance et cette netteté qui auraient permis de conclure à l’innocence de l’accusé. Cicéron utilisait donc ici un argument moral, qui visait à mettre en exergue une conséquence terrible de la guerre civile, la division portée au cœur de la famille283.
114De plus, cet argument de la concorde fraternelle vient en fait couronner une idée plus générale qui clôt le discours. Cicéron insista en effet sur le nombre et la qualité de ceux qui, présents lors du procès, intercédaient en faveur de Q. Ligarius284. Dans ce groupe, il insista sur la présence de chevaliers285, mais le seul personnage dont il détailla le comportement fut le frère de Q. Ligarius, T. Ligarius, questeur urbain dans les années 50 du ier siècle286. Certes, là encore, Cicéron cherchait à rappeler un service que ce Ligarius aurait alors rendu à César. Mais il en tira surtout une conclusion plus générale, qui consistait à demander à César de préserver les liens entre les membres des classes supérieures287. La concorde fraternelle ici constituait donc une forme particulière de l’accord plus général que César se devait de préserver dans l’élite, et principalement dans l’ordre sénatorial.
115Dans le discours pour Dejotarus, Cicéron eut à défendre le roi galate de l’accusation d’avoir voulu assassiner César. Dejotarus avait pris le parti de Pompée lors de la guerre civile, jusqu’à Pharsale. César avait ensuite distribué certaines parties de son royaume à d’autres princes qui avaient été ses partisans. Les accusateurs voulaient, par cette action judiciaire, empêcher le roi d’obtenir que César revînt sur ces décisions288. Cicéron tenta de justifier la position du roi en prétendant que ce dernier ne recevait des informations à propos de la situation politique romaine que par des pompéiens. Ces derniers lui affirmaient que Pompée bénéficiait du soutien unanime du Sénat et de tous les magistrats, hormis César. En revanche, alors qu’il apprenait que les consuls avaient quitté l’Italie, nihil de condicionibus tuis, nihil de studio concordiae et pacis, nihil de conspiratione audiebat certorum hominum contra dignitatem tuam289. La mention des décisions du Sénat contre César et du départ des consuls montre que Cicéron faisait ici référence à la période de janvier à mars 49.
116Cicéron exposa la situation, dans ce discours, de manière ambivalente. L’unanimité qu’il décrit du Sénat et des magistrats, en faveur de Pompée, en les citant complaisamment (consuls, préteurs, etc.), en revenant quelques phrases plus loin sur l’unanimité des consulaires ([…] omnis consularis […], cunctum senatum, totam Italiam […])290 est relativisée par une précision importante : sic enim ei nuntiabatur, c’est ainsi qu’on lui présentait la situation. Cicéron ne jugeait pas de la véracité de cette description. Il semblait ensuite opposer, à cette présentation faite à Dejotarus, l’ignorance du roi des efforts de César pour la paix et la concorde. Mais les deux affirmations opposées ne jouaient pas sur le même plan : la vérité des éventuels efforts de César en faveur de la concorde ne signifiait pas que l’unanimité du Sénat et des magistrats appartînt au registre du mensonge.
117On sait d’autre part que le discours pour Dejotarus est un discours très ambigu. Cicéron s’y fait l’écho des accusations de tyrannie adressées de plus en plus à César, tout en les rejetant, ce qui constituait une manière de les relancer291. À Rome, chacun savait que Cicéron avait justifié son engagement par le choix des gens de bien, c’est-à-dire en réalité essentiellement des sénateurs, du côté de Pompée. La relation, de la part de Cicéron, des événements de cette époque en termes d’unanimité du Sénat et des consuls en faveur de Pompée, même dénoncée comme une manière tendancieuse de présenter les événements, pouvait ainsi paraître, pour ceux qui écoutèrent et lurent ce discours, comme une description exacte. Par allusion, Cicéron opposait même les efforts que César prétendait avoir fait en vue de la concorde et de la paix, et une forme de concorde déjà réalisée par le Sénat et les magistrats, à Rome, contre lui.
118Enfin, il est intéressant de remarquer que les trois occurrences de concordia dans les discours de Cicéron pour cette époque évoquent la période d’avant la victoire de César sur Pompée. Cicéron ne parle jamais de la dictature de César comme d’une période de concordia.
Conclusion de la sixième partie
119L’utilisation du terme concordia, par Cicéron ainsi que dans la lettre à César, montre que cet argument servit aux partisans de ce dernier, après la fuite des pompéiens de Rome, jusqu’à l’assassinat du dictateur, afin de persuader certains membres de la noblesse de soutenir ou simplement d’accepter un pouvoir de type personnel qui avait mis fin à la guerre civile. Mais les textes du Pseudo-Salluste et de Dion Cassius établissent une véritable différence avec la pensée cicéronienne de la fin des années 50, telle qu’elle est exprimée dans le De re publica. Dans cet ouvrage, jamais l’instauration ou la restauration de la concorde ne relève de la volonté d’un dirigeant unique. Au contraire, sous la dictature de César, s’est développée cette idée d’un princeps dont la vertu supérieure fondait la légitimité à mettre en ordre la cité et à établir ainsi la concordia. Entre la conception de la concorde comme une entente entre les principes du Sénat et celle d’une concorde relevant de la volonté d’un seul dirigeant, une troisième avait constitué une étape intermédiaire, lorsqu’une tradition substitua à la première la concorde de Pompée et de César, perçue comme la condition de la concorde dans la cité en général. Ainsi, l’argument de la concorde servit à couvrir et à justifier une évolution vers une confiscation du pouvoir, par les triumvirs, puis par le seul survivant d’entre eux. La défaite des républicains fut aussi – surtout ? – une défaite idéologique, lorsqu’ils se montrèrent incapables d’imposer une conception de la concorde comme fondement d’un pouvoir collégial exercé par le groupe des principes du Sénat.
120Pendant la guerre civile, l’argument de la concordia devait avant tout permettre aux uns et aux autres de justifier moralement leurs actions, et de rejeter sur l’adversaire l’abjection morale de la guerre entre citoyens. Cela explique que cet argument se révèle comme essentiellement tactique. Dans la correspondance de Cicéron comme dans les lettres de Balbus, la concordia invoquée ne comprend aucun contenu explicite. C’est dans ce contexte qu’il faut expliquer qu’aucun texte ne nous permet de supposer que César ait lui-même utilisé ce terme. Au contraire, ses commentaires sur la guerre civile, rédigées au milieu des années 40, ne le contiennent pas292. Face à cette absence, la décision du Sénat de faire construire un temple à Concordia Nova pourrait s’avérer signifiante : une majorité de sénateurs affirma alors que la concordia devait encore relever d’une entente entre les principes du Sénat, entre des égaux. Peu importait la construction effective. Le point important résidait dans le discours que tenait le Sénat, par cette décision officielle, face au dictateur. L’utilisation par Cicéron de l’argument de la concordia de l’ordre sénatorial, dans les discours prononcés pendant cette période, devant César, va dans le sens d’une tentative de cet ordre d’opposer au pouvoir personnel du dictateur un pouvoir de type collégial fondé sur la concorde.
121Peut-être cette affirmation était-elle d’autant plus importante, du point de vue des opposants à César, que certains des partisans du dictateur prétendirent que certaines décisions de celui-ci avaient rétabli la concorde. En effet, pendant la période de domination césarienne, alors même qu’il ne pouvait plus y avoir de débat, au moins officiellement, sur la collégialité du pouvoir, la concorde devint l’un des arguments du débat provoqué par l’aggravation des dettes, problème sur lequel César dut légiférer. Ce débat revêtit une grande importance politique lorsque les dettes menacèrent les positions de certains membres de la noblesse dans la hiérarchie censitaire et donc politique de la cité, et plus généralement, à travers la question des transferts de fortune à l’intérieur même de la noblesse, lorsqu’elles furent ressenties comme une menace pour l’ordre politique et social de la République, et donc pour la concorde. En amont des décisions prises par César, le débat se focalisa sur une contradiction : que les dettes fussent abolies ou qu’elles ne le fussent point, toute décision les concernant menaçait l’équilibre social et politique de la cité. Autrement dit, que César décidât de ne rien faire, et donc de laisser les débiteurs à la merci des créanciers, ou qu’il choisît ou bien l’abolition des dettes, et donc d’effacer par la loi une partie de la fortune des créanciers, ou bien toute autre solution intermédiaire, la solution adoptée conduirait à des transferts massifs de propriétés. Les débats sur les dettes se focalisèrent donc sur la question de savoir à quelles conditions cette atteinte à l’ordre établi était compatible, voire nécessaire à la concorde.
Notes de bas de page
1 Cic., Att., VII, 3, 2.
2 Plut., Pompée, 47, 4 : ὁ γοῦν Κάτων τοὺς λέγοντας ὑπὸ τῆς ὕστερον γενομένης πρὸς Καίσαρα Πομπηίῳ διαφορᾶς ἀνατραπῆναι τὴν πόλιν ἁμαρτάνειν ἔλεγεν αἰτιωμένους τὸ τελευταῖον· οὐ γὰρ τὴν στάσιν οὐδὲ τὴν ἔχθραν, ἀλλὰ τὴν σύστασιν καὶ τὴν ὁμόνοιαν αὐτῶν τῇ πόλει κακὸν πρῶτον γενέσθαι καὶ μέγιστον (« Ainsi Caton, entendant dire un jour que l’État avait été perdu par le différend survenu entre César et Pompée, répondit-il que c’était une erreur de n’incriminer que la fin, et que leur accord et leur entente, et non leur haine, avaient constitué pour la ville le premier mal et le plus grand » ; trad. R. Flacelière, E. Chambry, Paris, CUF, 1973).
3 Ap., BC, II, 19 ; Florus, II, 13, 8.
4 M. Crawford (RRC, I, op. cit., p. 457, n. 436) date cette monnaie de 52 ; sur l’imprécision de la datation, voir p. 245. Il faut dater la monnaie d’avant 51 si l’on identifie ce L. Vinicius avec le tribun de la plèbe de 51 (voir infra n. 5 pour les références sur ce personnage). Voir Annexe 4, p. 396.
5 H. Gundel, RE, IXA, 1, Munich, 1961, p. 109-110 ; T. R. S. Broughton, MRR, II, op. cit., p. 241.
6 M. Crawford, RRC, I, op. cit.
7 Lucain, BC, I, 87 et 98.
8 Ibid., 87 : O male concordes nimiaque cupidine caeci ! (« Ô concorde peu sûre, aveuglement d’une passion sans limite ! » ; trad. A. Bourgery, Paris, CUF, 1976).
9 Ibid., 92-95.
10 Ibid., 98-99 : Temporis angusti mansit concordia discors,/paxque fuit non sponte ducum (« Cette concorde dans le désaccord fut de courte durée. La paix ne fut pas l’effet de la volonté des chefs ; réf. trad., voir supra n. 8).
11 Hor., Ep., I, 12, 19 ; Ovide, Méta., I, 433 ; Manilius, Astr., I, 141-142 ; Sén., Quest. Nat., VII, 27, 4.
12 Lucain, BC, I, 99-103 : ; nam sola futuri/Crassus erat belli medius mora. Qualiter undas/qui secat et geminum gracilis mare separat Isthmos/nec patitur conferre fretum, si terra recedat,/Ionium Aegaeo franget mare (« car le seul retard de la guerre imminente était Crassus le médiateur. Tel un isthme grêle coupe les ondes, sépare deux mers et empêche les flots de s’unir ; si la terre vient à se retirer, elle laissera la mer Ionienne se briser contre la mer Égée » ; trad., voir supra n. 8).
13 Plut., Pompée, 53, 6-7 ; 70, 7 ; César, 23 ; Vell. Pat., II, 47 ; Florus, II, 13, 13 ; Val. Max., IV, 6, 4 ; Lucain, BC, I, 111-118 ; Ap., BC, II, 19 ; G. E. Manzoni, « Giulia tra Cesare e Pompeo : il lessico del cuore », Humanitas (Brescia), 57, 1, p. 29-38.
14 Y. Thomas, « À Rome, pères citoyens et cité des pères », art. cité., p. 217-220.
15 Plut., Cés., 23, 6 : Oἱ δὲ φίλοι συνεταράχθησαν, ὡς τῆς ἐν εἰρήνῃ καὶ ὁμονοίᾳ τἆλλα νοσοῦσαν τὴν πολιτείαν φυλαττούσης οἰκειότητος λελυμένης· (« Leurs amis aussi furent gravement troublés, en pensant que la parenté qui maintenait la paix et la concorde dans l’État, déjà gravement atteint par ailleurs, était désormais rompue » ; trad. R. Flacelière, E. Chambry, Paris, CUF, 1975) ; Vell. Pat., II, 47, 2 : Septimo ferme anno, Caesar morabatur in Galliis, cum medium iam ex inuidia potentiae cum illa aegre cohaerentis inter Cn. Pompeium et C. Caesarem concordiae pignus Iulia, uxor Magni, decessit (« C’est à peu près la septième année de séjour de César dans les Gaules que mourut Julie, l’épouse du grand Pompée, gage réciproque d’une union entre Cn. Pompée et C. César, qui, avec sa présence, avait déjà du mal à tenir en raison de la rivalité des deux hommes pour le pouvoir » ; trad. J. Hellegouarc’h, Paris, CUF, 1982) ; Florus, II, 13, 13 : […] et morte Iuliae Caesaris filiae, quae nupta Pompeio generi socerique concordiam matrimonii foedere tenebat […] (« […] et la mort de Julie, fille de César qui, par les liens de son mariage avec Pompée, maintenait l’union entre le beau-père et le gendre, […] » ; trad. P. Jal, Paris, CUF, 1967) ; Val. Max., IV, 6, 4 : Quae, cum aediliciis comitiis Pompei Magni, coniugis sui, uestem cruore respersam e campo domum relatam uidisset, territa metu, ne qua ei uis esset adlata, exanimis concidit partumque quem utero conceptum habebat subita animi consternatione et graui dolore corporis eicere coacta est, magno quidem cum totius terrarum orbis detrimento, cuius tranquillitas tot ciuilium bellorum truculentissimo furore perturbata non esset, si Caesaris et Pompei concordia communis sanguinis uinculo constricta mansisset (« Car au moment des élections à l’édilité, Pompée le Grand, son mari, avait eu ses vêtements couverts de sang, et on les avait ramenés du Champ-de-Mars chez lui : en les voyant elle fut épouvantée, craignant qu’il n’eût subi quelque agression, et elle tomba inanimée ; elle était enceinte et cette perte subite de connaissance ainsi que la douleur profonde qu’elle ressentit la firent avorter, ce qui entraîna réellement pour le monde entier une terrible catastrophe, car la paix dont il profitait n’aurait pas vu tant de guerres civiles, avec une telle sauvagerie dans leur déchaînement, la bouleverser, si l’accord qui unissait César et Pompée, et que l’union de leur sang avait resserré, était resté intact » ; trad. R. Combès, Paris, CUF, 1997). Le récit de Valère Maxime semble au premier abord différent des autres sources, puisque ce serait l’enfantement de Julie qui aurait permis de préserver la concorde entre César et Pompée. Mais ce paragraphe se trouve dans la partie consacrée par l’auteur à ceux qui n’ont pas survécu à la mort de l’être aimé. Valère Maxime semble donc confondre cet avortement de Julie en 55 et l’accouchement qui, en 54, lui coûta la vie. À moins que, plus généralement, Valère Maxime n’ait vu, dans l’avortement de Julie consécutif à une crainte pour la vie de son mari Pompée, la preuve que ce lien matrimonial aurait pu constituer un rempart contre la guerre civile.
16 Liv., I, 11, 2 : Duplicique uictoria ouantem Romulum Hersilia coniunx, precibus raptarum fatigata, orat ut parentibus earum det ueniam et in ciuitatem accipiat : « ita rem coalescere concordia posse » (« Romulus était doublement triomphant, quand Hersilie, son épouse, cédant aux prières des jeunes femmes enlevées, lui demande de pardonner à leurs pères et de leur donner le droit de cité ; ainsi la réconciliation augmenterait la puissance de Rome ») ; 13, 8 : Inde non modo commune, sed concors etiam regnum duobus regibus fuit (« Dès lors, le pouvoir fut exercé en commun, et qui plus est, en parfait accord par les deux rois » ; trad. G. Baillet, Paris, CUF, 1985) ; Ov., Fastes, VI, 91-94 : Venit Apollinea longas Concordia lauro/Nexa comas, placidi numen opusque ducis. /Haec ubi narrauit Tatium fortemque Quirinum/Binaque cum populis regna coisse suis […] (« Quand survint la Concorde, sa longue chevelure ceinte par une couronne de laurier apollinien – elle qui est à la fois la divinité et l’œuvre du prince de la paix. Quand elle eut raconté que Tatius et le vaillant Quirinus, que leurs deux royaumes s’étaient réunis avec leurs peuples […] » ; trad. G. Baillet, Paris, CUF, 1985) ; R. Brown, « Livy’s Sabine Women and the Ideal of Concordia », TAPhA, 1995, p. 291-319 ; P. Akar, « Les Romains de la République avaient-ils besoin des femmes pour établir la concorde entre eux ? », dans V. Sebillotte Cuchet, N. Ernoult (éd.), Problèmes du genre en Grèce ancienne, Actes de la table ronde de l’équipe Phéacie, 18-19 mars 2005, Paris, 2007, p. 247-259.
17 Liv., Per. 106.
18 Plut., Cés., 23.
19 Plut., Pompée, 53 ; 70, 7.
20 Ap., BC, II, 19.
21 E. Gabba, Appiano…, op. cit., p. 232-233.
22 J. André, La vie et l’œuvre d’Asinius Pollion, Paris, 1949, p. 44-46, 64-66.
23 Ibid., p. 41-42 ; E. Gabba, Appiano…, op. cit., p. 233-235 ; L. Morgan, « The autopsy of C. Asinius Pollio », JRS, 90, 2000, p. 51-69.
24 Lucain, BC, IX, 1010-1013.
25 Id., IX, 1064-1104.
26 Id., IX, 1097-1098.
27 Id., IX, 1032-1064.
28 Id., IX, 1042 ; 1048-1049 ; 1055 ; 1058.
29 Id., IX, 1036-1043 ; 1047-1051 ; 1055-1056 ; 1062-1063 ; 1104-1108.
30 R. Pichon, Les sources de Lucain, Paris, 1912, p. 51-105.
31 Vel. Pat., II, 47.
32 Val. Max., IV, 6, 4.
33 Florus, II, 13, 13 ; voir également Plut., Cés., 23.
34 Le succès du thème de la concordia discors, à ce moment, c’est-à-dire dans les premières années du principat, serait ainsi né de la confrontation entre l’idéal affiché par les triumvirs dans les années 50 du ier siècle, la concordia et la guerre civile, qui avait ensuite surgi entre Pompée et César. Deux causes sont invoquées pour expliquer cette rupture, la mort de Crassus et celle de Julie, donc de deux personnages définis comme hétérogènes à la réalité politique du triumvirat, qui, bien qu’étant un accord entre trois personnes, se définit a posteriori, c’est-à-dire en fonction de la guerre qui opposa ensuite César et Pompée, fondamentalement comme un accord entre deux personnes. C’est parce que les positions de César et de Pompée étaient identiques qu’ils se firent la guerre. L’idée selon laquelle la mort de Crassus signifiait la disparition du dernier obstacle à la guerre civile se trouve également chez Plutarque (Pompée, 53, 8-9).
35 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 218-223 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 474-508 ; M. Gelzer, Pompeius, Stuttgart, 1984 (1re éd., 1959), p. 154-165 ; E. S. Gruen, The Last…, op. cit., p. 492-497.
36 Ap., BC, II, 33 ; H. Bengtson, Marcus Antonius, Munich, 1977, p. 46-49 ; F. Chamoux, Marc Antoine, Paris, 1986, p. 56-57.
37 Plut., Cic., 36, 1-37, 1 ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 225-227 ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 232-247.
38 Cic., Att., VII, 3, 2 ; ibid., VII, 4, 2 ; Phil., II, 24 ; Vel. Pat., II, 48 ; également sur le rôle de Cicéron pour parvenir à un accord : Plut., Pompée, 58, 5.
39 Cic., Att., VII, 3, 2 : Siue enim ad concordiam res adduci potest siue ad bonorum uictoriam […] (« Qu’on en arrive, en effet, à un accord ou à la victoire du bon parti […] ») ; ibid., 3, 5 : Ipsum tamen Pompeium separatim ad concordiam hortabor (« Mais Pompée lui-même, je le prendrai à l’écart pour l’exhorter à la concorde ») ; Att., VII, 4, 2 : De re publica autem ita mecum locutus est quasi non dubium bellum haberemus, nihil ad spem concordiae (« Mais sur la situation politique il [Pompée] m’a parlé comme si la guerre était inévitable. Rien qui pût faire espérer un accord ») ; Fam., XVI, 12, 2 : Equidem, ut ueni ad Vrbem, non destiti omnia et sentire et dicere et facere quae ad concordiam pertinerent (« Pour moi, dès que je suis arrivé à Rome, je n’ai cessé de penser, et parler et d’agir en vue de la concorde » ; trad. J. Bayet, rev. J. Beaujeu, P. Jal, Paris, CUF, 1983).
40 Cic., Att., VII, 3, 2 (voi supra n. 39).
41 Ibid., 3, 5 (voi supra n. 39).
42 Ibid., 4.
43 Att., VII, 4, 3 ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 232 ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 245-247.
44 Cic., Att., VII, 5, 4 ; 6, 2 ; 7, 5-7 ; César sut parfaitement exploiter les hésitations de la plupart des sénateurs et de Pompée lui-même : M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 189-192, 198-199 ; L. Ross-Taylor, La politique et les partis à Rome au temps de César, Paris, 1977, p. 278-282. Cette indécision sénatoriale fut portée à son comble lors du vote de la proposition de Curion sur le rappel simultané de leurs troupes par Pompée et César. Par 370 voix en faveur de cette proposition, contre 22, Curion obtint un vote totalement contradictoire avec les deux précédents que venait de voter le Sénat (Ap., BC, II, 30 ; Caes. (Hirt.), BG, VIII, 52, 4-5 ; Plut., Pompée, 58, 4-10).
45 Cic., Att., VIII, 3, 3 ; Phil., II, 24 : Atque idem ego, cum iam opes omnis et suas et populi Romani Pompeius ad Caesarem detulisset seroque ea sentire coepisset quae ego multo ante prouideram, inferrique patriae bellum uiderem nefarium, pacis, concordiae, compositionis auctor esse non destiti […] (« C’est encore moi, quand Pompée avait déjà livré toutes ses forces et celles du peuple romain, quand, trop tard, il commença à comprendre ce que j’avais prévu bien auparavant, et que je vis qu’une guerre abominable allait être menée contre la patrie, c’est encore moi qui ne cessais de prôner la paix, l’union, la conciliation […] » ; trad. A. Boulanger, P. Wuilleumier, Paris, CUF, 1959).
46 Cic., Fam., XVI, 12, 2.
47 Ibid., 4-5 ; VII, 6, 2 ; VII, 7, 6 ; XVI, 12, 2.
48 Ibid., VIII, 13, 2.
49 J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 470-477 ; E. Meyer, Caesars…, op. cit., p. 241-248.
50 C’est la solution privilégiée par Cicéron dans une lettre du 27 décembre (Att., VII, 9, 3).
51 Caes., BG, 50-54 ; BC, I, 1-7 ; 26 ; Vel. Pat., II, 48-50 ; Plut., Pompée, 58 ; Ap., BC, II, 32 ; 36 ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 229-231 ; M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 185-199.
52 T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 247-248.
53 Vel. Pat., II, 48, 5 : Ad ultimum saluberrimas et coalescentes condiciones pacis, quas et Caesar iustissimo animo postulabat et Pompeius aequo recipiebat, discussit ac rupit, unice cauente Cicerone concordiae publicae (« Finalement, les conditions de paix fort avantageuses et préludant à un accord que César réclamait avec beaucoup de modération et que Pompée accueillait avec faveur, il [Curion] les fit échouer et y mit fin, tandis que Cicéron était le seul à s’efforcer de maintenir la concorde dans l’État » ; trad. J. Hellegouarc’h, Paris, CUF, 1982).
54 Curion, à partir du 10 décembre, intégra le consilium de César et devint son représentant dans les négociations avec le Sénat. Aucune source n’explique en quoi il aurait eu une responsabilité primordiale dans la rupture entre César et Pompée (Ap., BC, II, 32).
55 J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 487-504 ; L. Ross-Taylor, La politique…, op. cit., p. 280-281 ; R. Seager, Pompey the Great, op. cit., p. 144-148.
56 Cic., Fam., VIII, 8, 9 ; R. Seager, Pompey the Great, op. cit., p. 143. Appien (BC, II, 32) mentionne une ultime tentative de compromis de la part de César, compromis accepté par Pompée, mais refusé par les consuls. Dans ce contexte, Curion poussait effectivement César à la guerre d’après Appien, mais le refus des consuls semble constituer la cause principale de la rupture entre César et Pompée.
57 Cic., Fam., XVI, 12, 3-4.
58 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 233-234 ; M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 192-199 ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 248-250.
59 Cic., Fam., XVI, 12, 5.
60 J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 518-521.
61 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., 1939, p. 235 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., 1954, p. 524, 554.
62 J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 506, 521-522.
63 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., 1941, p. 231-242 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 546-548 ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 254 ; L. Canfora, Giulio Cesare, Rome-Bari, 1999, p. 191-194.
64 Cic., Att., VIII, 2, 1 : Ego ad Caesarem unas Capua litteras dedi […], breuis sed beneuolentiam significantes, non modo sine contumelia sed etiam cum [huius] maxima laude Pompei. Id enim illa sententia postulabat, qua illum ad concordiam hortabar (« Je n’ai écrit à César qu’une lettre, de Capoue […] ; elle était brève, mais déclarait mon bon vouloir, sans offense, tant s’en faut, à notre Pompée : je faisais de lui les plus grands éloges. Mon dessein l’exigeait puisque j’appelais l’autre à la concorde » ; réf. trad., voir supra n. 39.)
65 Ibid., VIII, 4.
66 Ibid., VIII, 1.
67 Ibid., VIII, 11D, 1 : Cum ad te litteras misissem quae tibi Canusi redditae sunt, suspicionem nullam habebam te rei publicae causa mare transiturum eramque in spe magna fore ut in Italia possemus aut concordiam constituere, qua mihi nihil utilius uidebatur, aut rem publicam summa cum dignitate defendere (« En t’envoyant la lettre qui t’a été remise à Canusium, je ne m’imaginais nullement que la situation générale t’engagerait à passer la mer et j’avais grand espoir que nous pourrions en Italie ou rétablir la concorde, ce qui me paraissait préférable à tout, ou défendre la République d’une façon tout à fait digne de nous » ; réf. trad., voir supra n. 39).
68 Ibid. : aut concordiam constituere, qua mihi nihil utilius uidebatur (voir supra n. 67).
69 Ibid., VIII, 2, 1 (17 février 49) : « Mon dessein l’exigeait puisque j’appelais l’autre à la concorde » (trad., voir supra n. 39).
70 Ibid., VIII, 11D, 7-8 (22 février 49).
71 Ibid., VII, 4, 2 (11 décembre 50) : De re publica autem ita mecum locutus est quasi non dubium bellum haberemus, nihil ad spem concordiae (« Mais sur la situation politique, il [Pompée] m’a parlé comme si la guerre était inévitable. Rien qui pût faire espérer un accord » ; réf. trad., voir supra n. 39).
72 Ibid., 6.
73 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 39-40, 47-48 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 340-341 ; E. S. Gruen, The Last…, op. cit., p. 292-293 ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 256.
74 M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 185 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 457-458.
75 E. Lepore, Il princeps ciceroniano, op. cit., p. 343-351 : Cicéron reprochait à Pompée de ne fonder sa stratégie que sur ses propres capacités militaires sans chercher à s’appuyer sur les ressources de l’Italie et sur la vieille classe dirigeante, négligeant ainsi le consensus des boni. Pompée se plaçait dans la logique d’un affrontement entre deux généraux pour la domination, et non pour la défense de la République ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 247, 255.
76 Cic., Att., VIII, 11D, 6 ; 8.
77 Ibid., IX, 18 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 556-557 ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 236-237 ; E. Meyer, Caesars…, op. cit., p. 226 ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 258-259.
78 Cic., Att., IX, 9, 2 : Itaque postea Demetri librum de concordia tibi remisi (« Aussi n’ai-je plus besoin du traité de Démétrius sur la concorde » ; réf. trad., voir supra n. 39).
79 Ibid., VIII, 11, 7 : Memini librum tibi adferri a Demetrio Magnete ad te missum scio perèi περὶ ὁμονοίας : eum mihi uelim mittas (« Je me souviens que tu as en mains le traité sur la concorde que t’avait adressé Démétrius de Magnésie ; voudrais-tu me l’envoyer ? » ; réf. trad., voir supra n. 39).
80 Il est peut-être question de ce traité dans une lettre à Atticus datant de 55 (IV, 11, 2), mais Cicéron parle d’un livre de cet auteur sans en préciser le titre.
81 Ibid., VIII, 11, 7 ; 12, 6.
82 On peut même se demander si ce traité a jamais existé : Cicéron est le seul auteur à mentionner un traité sur la concorde de Démétrius de Magnésie (E. Schwartz, RE, IV, 2, Stuttgart, 1901, 2814-2817 ; J. Mejer, art. « Demetrios de Magnesie », dans R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, II, Paris, 1994, no 52, p. 626-628 ; ibid., « Demetrius of Magnesia », Hermes, 109, 1981, p. 447-472, ici p. 452 ; M. Gigante, « Demetrio di Magnesia e Cicérone », SIFC, 77, 1984, p. 98-106). D’autres auteurs utilisant les deux autres traités connus de Démétrius de Magnésie ne citent pas celui sur la concorde. Il n’en existe aucun fragment. Dans la première lettre de Cicéron qui mentionne cet auteur et datant de 55 (Att., IV, 11, 2), il ne précise pas le titre du traité dont il parle, et rien ne nous dit qu’il s’agissait du traité sur la concorde (D. R. Shackleton Bailey, Cicero’s Letters to Atticus, II, op. cit., p. 197 ; M. Gigante, « Demetrio… », art. cité.). Les seules sources concernant ce traité sur la concorde sont donc les trois lettres de Cicéron des 27 février, 28 février et 17 mars 49 (Att., VIII, 11, 7 ; 12, 6 ; IX, 9, 2). Le traité de Démétrius de Magnésie le plus utilisé par les auteurs de son époque et les auteurs postérieurs portait sur les auteurs homonymes. Le titre donné à ce traité diffère selon les auteurs qui l’utilisèrent ensuite (E. Schwartz, RE, IV, op. cit., 2814). D’après Diogène Laerce, ce titre était περὶ ὁμωνύμων ποιητῶν τε ϰαὶ συγγραφέων (I, 112 ; V, 3). Si l’on suppose que c’est ce traité, sur les auteurs ayant eu le même nom, et non un traité sur la concorde que Cicéron avait entre les mains en 55, il aurait joué, en 49, de la ressemblance phonétique entre περὶ ὁμωνύμων et περὶ ὁμονοίας pour signifier à Atticus, qui savait bien entendu que ce traité n’existait pas, qu’il était toujours en relation avec les deux partis afin de rétablir la concorde. Ce qui expliquerait la remarque allusive de Cicéron affirmant qu’Atticus comprenait le projet qu’il avait en tête. Atticus était effectivement le seul à comprendre ce que signifiait cette référence à un traité fantôme.
83 Cic., Att., IX, 11a, 1 : Spe tamen deducebar ad eam cogitationem, ut te pro tua admirabili ac singulari sapientia de otio, de pace, de concordia ciuium agi uelle arbitrarer (« L’espérance cependant m’amenait à m’imaginer, et ton admirable et toute singulière sagesse me confirmait dans l’idée que tu avais pour buts la tranquillité, la paix, la concorde de nos concitoyens » ; réf. trad., voir supra n. 39) ; id., Fam., IV, 2, 3 : Quod existimas meam causam coniunctam esse cum tua, certe similis in utroque nostrum, cum optime sentiremus, error fuit. Nam omnia utriusque consilia ad concordiam spectauerunt ; qua cum ipsi Caesari nihil esset utilius, gratiam quoque nos inire ab eo defendenda pace arbitrabamur. Quantum nos fefellerit et quem in locum res deducta sit uides (« Tu estimes ma cause liée à la tienne ; semblable, assurément, fut l’erreur commise de part et d’autre, alors que nos intentions étaient excellentes. De fait, tous nos plans, à l’un comme à l’autre, avaient pour but la concorde ; et comme il n’y avait rien de plus utile pour César lui-même, nous pensions aussi nous mettre dans ses bonnes grâces en défendant la paix. Tu mesures à quel point nous sous sommes trompés et où les choses en sont venues » ; trad. J. Beaujeu, Paris, CUF, 1993).
84 Id., Att., IX, 9, 2-3.
85 Fin avril, expliquant à Ser. Sulpicius Rufus (Fam., IV, 2, 3) le sens de son action pendant les mois précédents, Cicéron reprit cet argument : […] nihil esset utilius.
86 P. Jal, La guerre civile à Rome, op. cit., p. 82-146, 360-488 ; M. Rambaud, L’art de la déformation historique dans les commentaires de César, Paris, 1966, p. 56-58, 373-374 ; T. N. Mitchell, Cicero. The Senior…, op. cit., p. 255-257.
87 La politique de Pompée de recul face à l’avancée rapide de César et la fuite hors d’Italie se justifiaient peut-être du point de vue militaire. Cicéron jugeait certes la situation en magistrat plus qu’en général, mais on peut également estimer avec Cicéron que Pompée jugeait lui la situation trop en militaire et négligeait l’aspect politique (E. Meyer, Caesars…, op. cit., p. 299 et suiv. ; M. Gelzer, Pompeius, op. cit., p. 169-170 ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 233-236 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 523-524).
88 Cic., Att., VII, 4, 2 (voir supra n. 71) ; Att., VIII, 11D, 1 (voir supra n. 67).
89 Val. Max., I, 8, 10 : Is bello ciuili quo se Cn. Pompeius a Caesaris concordia pestifero sibi nec rei publicae utili consilio abruperat […] (« Au cours de la guerre civile pendant laquelle Pompée avait brisé l’accord qui le liait à César, par une décision qui lui fut fatale sans rien rapporter à l’État […] » ; trad. R. Combès, Paris, 1995) ; M. Rambaud, L’art de la déformation…, op. cit., p. 147-151 ; M. L. Freyburger, « Valère Maxime et les guerres civiles », dans J.-M. David (éd.), Valeurs et mémoire à Rome…, op. cit., p. 111-117
90 K. von Fritz, « Pompey’s Policy in Civil War of 49 BC », TAPhA, 73, 1942, p. 145-180 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 522-548.
91 Lucain, BC, IV, 5 ; T. R. S. Broughton, MRR, II, op. cit., p. 266, 268.
92 J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 411, 416 ; R. Seager, Pompey the Great, op. cit., p. 123, 125.
93 Liv., Per. 110 ; des rumeurs continuèrent à circuler, même après le départ de Pompée de Brindes, sur un éventuel retour de celui-ci en passant par l’Afrique : César, BC, I, 39, 3 ; M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 212-213 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 563, 566.
94 Luc., BC, IV, 4-7.
95 R. Pichon, Les sources de Lucain, Paris, 1912 ; A. W. Lintott, « Lucan and the History of the Civil War », CQ, 21, 1971, p. 488-511.
96 Plut., Cés., 36, 1 : de plus, César ne pouvait se permettre de laisser cinq, voire sept légions (avec celles de Varron) en Espagne, qui pouvait menacer la Gaule et l’Italie. J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 558-563 ; M. Gelzer, Pompeius, op. cit., p. 177-181.
97 Caes., BC, I, 26 ; 85 ; Vel. Pat., II, 48-50 ; Ap., BC, II, 32 ; 36 ; Plut., Pompée, 58 ; E. Meyer, Caesars…, op. cit., p. 242-245, 281-286, 302-309 ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 229-245 ; K. von Fritz, « The Mission of L. Caesar and L. Roscius in January 49 BC », TAPhA, 72, 1941, p. 125-156 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 518-521, 525-527, 544-546, 550 ; M. Gelzer, Pompeius, op. cit., p. 164-169, 178-179 ; K. A. Raaflaub, « Caesar the Liberator ? », dans F. Cairns, E. Fantham (éd.), Caesar Against Liberty ?, Cambridge, 2003, p. 35-67.
98 Pro rege Deio., 11.
99 Dans ce passage (Pro rege Deio., 11), Cicéron n’évoque que la concorde entre César et le Sénat, et non avec Pompée qui n’est pas cité. Cette manière de présenter ces événements s’explique sans doute par le contexte dans lequel a été prononcé ce discours, après la défaite des pompéiens et alors que Cicéron avait intérêt à insister sur la capacité de César à se réconcilier avec le Sénat.
100 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit. ; M. Rambaud, L’art de la déformation…, op. cit., p. 150-151 ; P. White, « Tactics in Caesar’s Correspondence With Cicero », dans F. Cairns, E. Fantham (éd.), Caesar Against Liberty ?, op. cit., p. 68-95.
101 R. Syme, La révolution romaine, Paris, 1978, p. 59-60 ; M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 204-205.
102 M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 202-203.
103 Certaines lettres de César lui étaient transmises par certains de ses partisans, avec son accord, dans le but de montrer sa franchise dans la recherche de la concorde : Cic., Att., IX, 7b ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 238-240 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 546-548.
104 Cic., Att., VIII, 15a, 1 : Obsecro te, Cicero, suscipe curam et cogitationem dignissimam tuae uirtutis, ut Caesarem et Pompeium perfidia hominum distractos rursus in pristinam concordiam reducas (« Je t’en conjure, Cicéron, charge-toi de la tâche la plus digne de ton mérite, songe aux moyens de rétablir la concorde entre César et Pompée, que la perfidie de certaines gens a éloignés l’un de l’autre ») ; ibid., IX, 7b, 1 : Ex quibus perspicere poteris quam cupiat concordiam et Pompeium reconciliare […] (« Tu pourras y voir à découvert combien il désire la concorde et de regagner Pompée […] » ; réf. trad., voir supra n. 39).
105 Ibid., IX, 7b, 1-2 ; E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 232-233.
106 Ibid., IX, 7b, 1.
107 J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 510-511.
108 M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 203-204.
109 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 239-248 ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 547-549.
110 Cic., Att., IX, 6A.
111 J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 550 ; R. Seager, Pompey the Great, op. cit., p. 152-156.
112 Cic., Att., IX, 11a, 1.
113 Cic., De lege agr., I, 23.
114 Cic., Att., IX, 11a, 2-3.
115 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 237-244, 247-250.
116 T. R. S. Broughton, MRR, II, op. cit., p. 240-241.
117 M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 205-206.
118 Cic., Fam., IV, 2, 3 : « De fait, tous nos plans, à l’un comme à l’autre, avaient pour but la concorde ; et comme il n’y avait rien de plus utile pour César lui-même, nous pensions aussi nous mettre dans ses bonnes grâces en défendant la paix » ; trad. J. Beaujeu, Paris, CUF, 1993.
119 Ibid., IV, 2, 2 : Si quid rectissimum sit quaerimus, perspicuum est ; si quid maxime expediat, obscurum. Sin ii sumus qui profecto esse debemus, ut nihil arbitremus expedire nisi quod rectum honestumque sit, non potest esse dubium quid faciendum nobis sit. La première phrase signifie que la recherche du plus avantageux (maxime expediat) est obscure lorsqu’elle est séparée de la voie droite ; leur conjonction au contraire clarifie la recherche par l’homme politique de ce que doit être son action. (L’idée est reprise dans le second livre du De oratore, sous l’influence des stoïciens. A. Michel, Les rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l’œuvre de Cicéron, 2e éd., Louvain, 2003, p. 576-578).
120 R. Syme, La révolution romaine, op. cit., p. 59-60 ; M. Gelzer, Caesar…, op. cit., p. 208-210 ; H. Bruhns, Caesar und die römische Oberschicht in den Jahren 49-44 v. Chr., Göttingen, 1978, p. 92-96.
121 Caes., BC, I, 32.
122 DC, XLI, 15, 4.
123 Caes., BC, I, 33.
124 Ibid., I, 33. Il n’explique notamment pas en quoi consistait l’opposition du tribun de la plèbe Metellus.
125 DC, XLI, 16, 3.
126 Ibid., 15 ; N. Berti, La guerra di Cesare contro Pompeo, commento storico a Cassio Dione, Milan, 1987, p. 57-58.
127 Cic., Att., X, 3 : ecqui essent ad Pompeium et ad consules ex senatus consulto de pace legati (« des négociateurs de paix ont-ils été envoyés à Pompée et aux consuls à la suite d’un décret du Sénat ? » ; réf. trad., voir supra n. 118).
128 T. Mommsen, Le droit public romain, IV, op. cit., p. 394-399.
129 DC, XLI, 16, 4.
130 F. Millar, A Study…, op. cit., p. 34-38 ; N. Berti, La guerra…, op. cit., p. 9-17, 57-58. Au contraire, Plutarque dans sa Vie de César dut utiliser pour le récit de cette séance une ou plusieurs sources favorables à César. D’après Plutarque (César, 35, 5), le Sénat repoussa la demande de César d’envoyer une délégation pour négocier avec Pompée.
131 Plut., César, 35, 4 : César trouva un groupe de sénateurs qui étaient demeurés à Rome. H. Bruhns, Caesar…, op. cit., p. 31-78, 95-99.
132 Cic., Att., X, 3.
133 Ibid., X, 1, 3 (3 avril) ; X, 1a (4 avril) : Aut enim mihi libere inter malos politeutéeon fuit aut uel periculose cum bonis. Aut nos temeritatem bonorum sequamur aut audaciam improborum insectemur. Vtrumque periculosum est, at hoc quod agimus [nec] turpe nec tamen tutum (« J’aurais dû, en effet, jouer un rôle politique actif soit au milieu des canailles en faisant preuve d’indépendance, soit avec les honnêtes gens, fût-ce au péril de la vie. Je vais ou bien suivre la fougue irréfléchie des honnêtes gens ou bien talonner l’audace insolente des coquins. Les deux voies sont périlleuses, mais ma conduite actuelle implique le déshonneur sans la sécurité » ; réf. trad., voir supra n. 118).
134 Ibid., X, 1a.
135 À la question de savoir si l’on doit participer au conseil d’un tyran (ibid., X, 1), c’est-à-dire de César, Cicéron répondait dans la lettre suivante en évoquant la témérité des boni qui affrontaient ce dernier (ibid., X, 1a).
136 Lucain, BC, IX, 1097-1098 : concordia mundo/nostra perit (« notre concorde est perdue pour le monde » ; trad. A. Bourgery, M. Ponchont, rev. P. Jal, Paris, CUF, 1993) ; J. Van Ooteghem, Pompée le Grand, op. cit., p. 638.
137 Plut., Pompée, 80, 7 ; Id., César, 48, 2. Plutarque reprend dans les biographies de César et de Pompée ce thème des larmes de César, provoquées cette fois par la vue du sceau de Pompée, après celle de sa tête
138 Luc., BC, IX, 1097-1102.
139 Ibid., 1102-1103 : tunc pace fideli/fecissem ut uictus posses ignoscere diuis,/fecisses ut Roma mihi (« et alors, dans une paix sincère, j’aurais obtenu de toi de pardonner aux dieux ta défaite, et tu aurais obtenu que Rome me la pardonnât » ; réf. trad., voir supra n. 137).
140 Ibid., IX, 1106-1107.
141 E. Skard, Evergetes-Concordia…, op. cit., p. 97. Sur l’utilisation des larmes comme acte social et culturel, voir J.-M. David, Le patronat…, op. cit., p. 624-632, 640-641 ; A. Rossi, « The Tears of Marcellus », G&R, 47 (1), 2000, p. 56-66 ; E. Flaig, Ritualisierte politik, Göttingen, 2003, p. 112-122 ; A. Hostein, « Lacrimae principis, les larmes du prince devant la cité affligée », dans M. H. Quet (dir.), La « crise » de l’Empire romain, Paris, 2006, p. 211-234.
142 Cic., Att., VII, 4 (récit de l’entrevue entre Cicéron et Pompée) ; id., Fam., IV, 2 (à Serv. Sulpicius Rufus) ; id., Att., VIII, 15a ; IX, 7b (de Cornelius Balbus) ; ibid., IX, 11a (de Cicéron à César).
143 Id., Pro Lig., 5 ; 34 ; Pro rege Dei., 11.
144 Cette unique occurrence dans le corpus césarien ne concerne pas la situation à Rome, mais à Hispalis, où César fit un discours aux citoyens, leur reprochant leur incapacité à maintenir la concorde : Ita neque in otio concordiam neque in bello uirtutem ullo tempore retinere potuistis (42, 5). Cela constituait une manière de justifier la domination romaine.
145 Il est difficile de reprendre ici l’ensemble du débat concernant l’authenticité de ces deux lettres à César. Certains historiens pensent que ces lettres sont effectivement de Salluste : W. Schur, Sallust als Historiker, Stuttgart, 1934, p. 12-31 ; E. Skard, « Studien zur Sprache der Epistulae ad Caesarem », SO, X, 1932, p. 61-98 ; M. Chouet, Les lettres de Salluste à César, Paris, 1950 ; E. Pasoli, Problemi delle Epistulae ad Caesarem sallustiane, Bologne, 1970. En revanche, A. Ernout, éditeur des Lettres à César dans la CUF (Paris, 1962, p. 7-19), refuse cette authentification, ainsi que R. Syme, Sallust, op. cit., p. 314-351. Ce dernier veut démontrer que, des deux suasoriae, la lettre I a le plus de chance d’être authentique, mais il conclut finalement que ces deux lettres n’ont pas été écrites par Salluste, mais qu’elles peuvent être considérées comme des suasoriae de l’époque du principat, conçues à partir d’un matériel datant de l’époque césarienne. On peut donc en conclure que, même dans ce cas, l’auteur ou les auteurs de ces lettres s’appuyèrent sur une bonne connaissance de Salluste et de manière plus générale des sources et des événements de la fin de la République.
146 Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 3 (« Il faut donc affermir les bienfaits de la concorde et chasser les maux dus à la discorde » ; trad. A. Ernout, Paris, CUF, 1974).
147 Ibid., V, 4 ; VI, 3 : Quare capesse, per deos, rem publicam et omnia aspera, uti soles, peruade : namque aut tu mederi potes, aut omittenda est cura omnibus (« Ainsi, au nom des dieux, consens à prendre en main la conduite de la république, et surmonte, selon ton habitude, toutes les difficultés ; car ou c’est toi qui peux remédier à ces maux, ou c’est tous qui doivent renoncer à ce soin » ; réf. trad., voir supra n. 146).
148 Ibid., VI, 3-5.
149 E. Eyben, « Youth and politics during the Roman Republic », RBPh, 50, 1972, p. 44-69 ; H. Bruhns, Caesar…, op. cit., p. 31-63 ; M. Bonnefond, « Le Sénat républicain et les conflits de génération », MEFRA, 94, 1982, p. 175-225.
150 Ps.-Sall., Ad Caes., I, VII, 1.
151 BC, I, Prol., 1.
152 Cic., De re publ., II, 59 ; Liv., II, 23, 29, 31 ; Denys, V, 66, 69 ; VI, 21, 34, 38, 41, 43, 44, 83 ; Florus, I, 17 ; Val. Max., IV, 4, 2.
153 Liv., VI, 11-14 ; 27 ; 31 ; VII, 17 et suiv.
154 Liv., VII, 38.
155 Ap., BC, I, 54 ; Val. Max., IX, 7.
156 Caes., BC, III, 1 ; Ap., BC, II, 13, 92 ; Plut., César, 12, 2-3 : la mention des discordes entre débiteurs et créanciers en Espagne, quand César y était préteur, sert à montrer comment ce dernier a résolu le problème des dettes, mais il s’agit probablement d’un élément de propagande césarienne, développé au début des années 40 du ier siècle, lorsque la situation des dettes à Rome menaçait de dégénérer en émeutes.
157 J. P. Royer, « Le problème des dettes à la fin de la République romaine », RD, 3, 1967, p. 438-447.
158 M. W. Frederiksen, « Caesar, Cicero and the Problem of Debt », JRS, 56, 1966, p. 128-141 ; Z. Yavetz, César et son image, Paris, 1990, p. 151-155.
159 Caes., BC, III, 1.
160 Voir supra n. 145.
161 Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 1 : De pace firmanda quoniam tuque et omnes tui agitatis […] (« Quant à l’affermissement de la paix, puisque c’est ce qui vous préoccupe, toi et tous tes amis […] ») ; V, 3 : Firmanda igitur sunt [uel] concordiae bona et discordiae mala expellenda (« Il faut donc affermir les bienfaits de la concorde et chasser les maux dus à la discorde » ; réf. trad., voir supra n. 146).
162 P. Jal, La guerre civile à Rome, op. cit., p. 31-35.
163 Ps.-Sall., Ad Caes., I, VI, 5 : Ea uera clementia erit consuluisse ne merito ciues patria expellerentur, retinuisse ab stultitia et falsis uoluptatibus, pacem et concordiam stabiliuisse, non si flagitiis opsecutus, delicta perpessus, praesens gaudium quom mox futuro malo concesseris (« Ce sera agir vraiment avec clémence que d’avoir épargné à des citoyens un exil mérité, de les avoir préservés de leurs égarements et de leurs fausses voluptés, d’avoir établi solidement la paix et la concorde, et non pas si, par complaisance pour leurs vices, par indulgence pour leurs fautes, tu les laisses s’adonner présentement à des plaisirs qu’ils paieront bientôt de leur malheur » ; réf. trad., voir supra n. 146).
164 Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 4.
165 Cat., V, XII et XIII. Même si l’on considère que la lettre en question n’est pas de Salluste, le modèle est sallustéen.
166 Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 6.
167 M. W. Frederiksen, « Caesar… », art. cité.
168 G. Rotondi, Leges publicae…, op. cit., p. 415 ; S. Yavetz, César et son image, op. cit., p. 151-155.
169 DC, XLII, 22 ; Caes., BC, III, 20 ; J. P. Royer, « Le problème… », art. cité, p. 441-442 ; P. Simelon, « À propos des émeutes de M. Caelius Rufus et de P. Cornelius Dolabella », LEC, LIII, 1985, p. 387-405.
170 Nous ne connaissons les discours et les arguments de ces deux personnages que par des traditions et des écrits qui leur étaient hostiles. Les historiens contemporains qui se sont intéressés à la politique de César ne font pas de la question des dettes un élément dans l’établissement d’une nouvelle concordia ; voir par exemple S. Weinstock, Divus Iulius, Oxford, 1971, p. 260-266 ; S. Yavetz, César et son image, op. cit. ; de même les tentatives de Caelius et Dolabella d’abolir les dettes ne sont jamais mises en relation avec le thème de la concordia : P. Cordier, « M. Caelius Rufus le préteur récalcitrant », MEFRA, 106, 2, 1994, p. 533-577 ; M. W. Frederiksen, « Caesar… », art. cité.
171 Caes., BC, III, 21 ; DC, XLII, 22, 4.
172 Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 7-8.
173 J. Andreau, Patrimoines, échanges et prêts d’argent : l’économie romaine, Rome, 1997, p. 15-16, 159, 264-269. Sur les activités financières à Rome et les différents types de manieurs d’argent, p. 47-73, 157-176.
174 Cic., De off., II, 78 : Qui uero se populares uolunt ob eamque causam […] aut pecunias creditas debitoribus condonandas putant, labefactant fundamenta rei publicae, concordiam primum quae esse non potest cum aliis adimuntur, aliis condonantur pecuniae […] (« Quant à ceux qui se veulent populaires et qui, pour cette raison […] ou bien pensent devoir faire remise de leurs dettes aux débiteurs, ils sapent les assises de l’État : d’abord la concorde, qui ne peut exister quand on enlève aux uns leur argent, tandis qu’on en fait cadeau à d’autres […] » ; trad. M. Testard, Paris, CUF, 1970).
175 Cic., De off., II, 81-82 ; 82 : Ita perfectum est ut omnes concordia constituta sine querella discederent (« Il en résulta que tous, l’accord établi, se séparèrent sans récrimination » ; réf. trad., voir supra n. 174).
176 Cic., De off., II, 83 ; M. W. Frederiksen, « Caesar… », art. cité, p. 128-141.
177 Cic., De off., II, 84 : la référence à la concorde est indirecte. Lorsque Cicéron se penche sur la question des dettes, à la fin du second livre du De officiis (84-85), il vient de relater comment Aratos de Sicyone avait rétabli la concordia dans sa cité (82-83). Cicéron établit donc une opposition entre cette politique et les tabulae novae, selon une division bienfaits vertueux/mauvais bienfaits.
178 Cic., De off., II, 85 : […] in primisque operam dabunt ut iuris et iudiciorum aequitate suum quisque teneat […] (« […] et en premier lieu, ils prendront soin qu’en vertu de l’équité du droit et des tribunaux, chacun garde son bien […] » ; trad., voir supra n. 174).
179 Cic., In Cat., II, 18-19 ; également, Sall., Cat., XXXIII.
180 Cic., De off., II, 85.
181 Ibid., II, 84 ; Ap., BC, II, 5, 32 ; 13, 92 ; P. Brunt, The Fall…, op. cit., p. 491-493.
182 J. P. Royer, « Le problème… », art. cité, p. 443-447 ; M. W. Frederiksen, « Caesar… », art. cité.
183 Cic., De off., III, 21-23.
184 Ibid., II, 61 et suiv.
185 Caes., BC, III, 1 ; sur l’existimatio : C. Nicolet, « Prix, monnaies, échanges », Annales ESC, 26, 6, 1971, p. 1203-1227 ; Z. Yavetz, César et son image, op. cit., p. 241 et suiv.
186 Cic., De off., II, 83-84.
187 C’est ce que dénonçait la seconde lettre à César (Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 3-6) ; B. D. Shaw, « Debt in Sallust », Latomus, 1975, p. 187-196 ; I. Shatzman, Senatorial Wealth and Roman Politics, Bruxelles, 1975, p. 79-98, 159-167.
188 M. W. Frederiksen, « Caesar… », art. cité ; J. P. Royer, « Le problème… », art. cité, p. 194-205.
189 Liv., VII, 19 ; 21 ; 22 ; 27.
190 Id., VII, 21, 4-5 : Quorum taedio patres L. Cornelium Scipionem interregem concordiae causa obseruare legem Liciniam comitiis consularibus iussere. P. Valerio Publicolae datus e plebe collega C. Marcius Rutulus. Inclinatis semel in concordiam animis, noui consules fenebrem quoque rem, quae distinere una animos uidebatur, leuare adgressi solutionem alieni aeris in publicam curam uerterunt, quinqueuiris creatis quos mensarios ab dispensatione pecuniae appellarunt (« Lassés par ces luttes, les sénateurs enjoignirent à l’interroi Lucius Cornelius Scipion de respecter, pour la réconciliation des parties, la loi licinienne aux comices consulaires. Publius Valerius Publicola reçut ainsi pour collègue un plébéien, Gaius Marcius Rutulus. Une fois les esprits inclinés à la concorde, les nouveaux consuls entreprirent également d’alléger l’intérêt des dettes, qui seul semblait encore diviser les esprits. De la liquidation des dettes, ils firent une charge publique ; ils créèrent en effet une commission de cinq membres auxquels leur mission de répartition pécuniaire valut le nom de banquier » ; trad. R. Bloch, Paris, CUF, 1968).
191 Id., VII, 22, 27.
192 Id., VII, 21, 8 : Tarda enim nomina et impeditiora inertia debitorum quam facultatibus aut aerarium mensis cum aere in foro positis dissoluit, ut populo prius caueretur, aut aestimatio aequis rerum pretiis liberauit, ut non modo sine iniuria sed etiam sine querimoniis partis utriusque exhausta uis ingens aeris alieni sit […] (« Le paiement de bien des créances était en retard et faisait difficulté en raison de la mauvaise volonté des débiteurs plus que faute de moyens : on installa sur le forum des tables de banque portant l’argent, et le Trésor public assuma le paiement de ces créances, non d’ailleurs sans qu’une prise de garantie sauvegardât à l’avance les intérêts du peuple ; ou bien une estimation équitable du prix des biens <offerts en contre-partie> en libéra les débiteurs. De la sorte fut soldé un montant énorme de dettes non seulement sans injustice, mais encore sans plaintes d’aucune des deux parties […] » ; réf. trad., voir supra n. 190).
193 Id., VII, 21, 6 : Meriti aequitate curaque sunt ut per omnium annalium monumenta celebres nominibus essent (« Leur équité et leur dévouement rendirent leurs noms dignes d’être cités dans toutes les annales » ; réf. trad., voir supra n. 190) ; 8 : […] sine iniuria […].
194 Z. Yavetz, César et son image, op. cit., p. 151-155.
195 Liv., VII, 21, 8.
196 Id., VII, 21, 7 : Qui rem difficillimam tractatu et plerumque parti utrique, semper certe alteri grauem cum alia moderatione tum impendio magis publico quam iactura sustinuerunt (« Ils menèrent à bien une affaire d’un maniement extrêmement difficile, d’un règlement le plus souvent pénible aux deux parties, et toujours au moins à l’une d’elles ; ils y apportèrent un sens de la mesure qui jamais ne se démentit, qui surtout mit au compte de l’État moins une perte sèche qu’un débours » ; réf. trad., voir supra n. 190).
197 Id., VII, 21, 8 (voir supra n. 192).
198 Cic., De off., II, 81-83.
199 G. Rotondi, Leges publicae…, op. cit., p. 226.
200 Liv., VII, 42 ; les autres sources utilisées par certains historiens (bibliographie dans G. Rotondi, Leges publicae…, op. cit., p. 226 ; G. Billeter, Geschichte des Zinsfusses, Leipzig, 1898, p. 134-135 ; T. Franck, An Economic Survey of Ancient Rome, I, New York, 1959, p. 31-32 ; G. Poma, « Il plebiscito genucio », RSA, 19, 1989, p. 67-91) à propos de cette loi (Tac., Ann., VI, 16 et Ap., BC, I, 54) ne mentionnent qu’une ancienne loi, sans autre précision. Il paraît donc plus probable de penser que cette ancienne loi est une de celles votées au début du iie siècle (E. Gabba (éd.), Appiani…, I, op. cit., p. 159).
201 Liv., VII, 42, 1 ; 3 ; 7.
202 J. Heurgon, Recherches…, op. cit., p. 158-159 ; M. Frederiksen, Campania, Rome, 1984, p. 183-186.
203 Liv., VII, 40, 4 : Deos, inquit, immortales, milites, uestros publicos meosque ab Vrbe proficiscens ita adoraui ueniamque supplex poposci ut mihi de uobis concordiae partae gloriam non uictoriam darent (« À mon départ de Rome, déclara-t-il, soldats, j’ai, dans mes prières et supplications, demandé en grâce aux dieux immortels, les vôtres, ceux de l’État et les miens, de m’accorder sur vous la gloire d’une réconciliation, non une victoire ») ; 41, 7 : […] tum Salonius obtestatus patres conscriptos ne suum honorem pluris quam concordiam ciuitatis aestimarent, perpulit ut id quoque ferretur (« Salonius alors adjura les sénateurs de ne pas faire plus de cas de son honneur à lui que de la concorde de la cité, et il décida le Sénat à permettre que cette mesure fût proposée au peuple aussi ») ; 42, 5-6 : nec ab ducibus mentionem concordiae ortam, sed repente, cum in aciem armati exercitus processissent, salutationem factam et permixtos dextras iungere ac complecti inter se lacrimantes milites coepisse coactosque consules, cum uiderent auersos a dimicatione militum animos, rettulisse ad patres de concordia reconcilianda (« et ce ne serait pas les chefs qui, les premiers, auraient parlé de concorde ; mais soudain les deux troupes en armes qui s’étaient avancées au combat se seraient saluées, et les soldats, en pleurs, auraient commencé à se serrer la main et à se confondre en des embrassements réciproques ; et les consuls, voyant que la lutte répugnait aux cœurs de leurs soldats, auraient été contraints de présenter au Sénat une proposition tendant à rétablir la concorde » ; réf. trad., voir supra n. 190).
204 Liv., VII, 42, 1-2.
205 Id., VII, 42, W. Weissenborn-H. S. Müller (éd.), Titi Livi ab urbe condita, III, Zürich/Berlin, 1965, p. 198-199.
206 Id., VII, 39, 17 ; 42, 3.
207 J. Heurgon, Recherches…, op. cit., p. 163-165 ; M. Frederiksen, Campania, op. cit., p. 186.
208 J. Hellegouarc’h, « Un aspect de la littérature de propagande politique à la fin du ier siècle avant J.-C. Le discours de M. Valerius Corvus (Liv. VII, 32, 10-17) », REL, 1974, LII, p. 207-238.
209 Liv., VII, 41, 3-8 (voir supra n. 204).
210 Id., VII, 42, 2 : Quae si omnia concessa sunt plebi, apparet haud paruas uires defectionem habuisse (« Si la plèbe remporta toutes ces concessions, c’est manifestement que la défection avait groupé des forces considérables » ; réf. trad., voir supra n. 190) ; 5-6 (voir supra n. 203). D’autres sources relatent cet épisode, mais sans rien apporter de réellement différent du récit livien. Ainsi, le récit de Denys (XV, frgt E, S. Pittia et alii (éd.), Paris, 2002) ne nous est parvenu que partiellement. Denys évoque le problème des dettes comme une des principales raisons de la révolte. L’un des deux consuls de l’année, un Marcius, fut chargé d’y remédier, sans qu’il soit possible de préciser le sens de son action ou de savoir si Denys faisait intervenir un dictateur plus tard, puisque le texte dionysien s’interrompt au début de la révolte ; Dion Cassius, dont cette partie de l’œuvre est perdue, mentionnait plusieurs de ces décisions, mais pas celle sur les dettes (Zon., 7, 25) ; Appien a également relaté cette révolte, sans utiliser le terme d’ὁμόνοια (Ap., Samn., I, 1-2). Son récit est globalement proche, bien que moins développé, de celui de Tite-Live, mais l’auteur grec choisit d’insister sur la question des dettes, la révolte ne s’apaisant qu’avec les décisions du Sénat d’amnistier les révoltés, mais surtout d’abolir les dettes. Appien a donc certainement suivi la même source que Tite-Live nous signale comme une variante par rapport au récit qu’il a privilégié, et qui faisait de l’abolition des dettes par une lex Genucia une des principales causes du rétablissement de la concorde (Liv., VII, 42, 1). Chez Appien, l’abolition des dettes par le Sénat fut obtenue après un discours dans ce sens de Valerius Corvinus. Cette dernière version ne contredit pas, en fait, ce que nous dit Tite-Live : en effet, ce dernier affirme que la mention des plébiscites de Genucius se trouvait chez certains auteurs, en plus de la version qu’il a privilégiée : Praeter haec invenio apud quosdam L. Genucium […] (42, 1).
211 Liv. VII, 38, 7 : […] aut in Vrbe insidentem labem crescentis in die fenoris pati ? (« […] ou, à l’intérieur de la ville, avaient à supporter le chancre invétéré de l’usure toujours croissante ? » ; réf. trad., voir supra n. 190).
212 Id., VII, 40, 4 ; 41, 7 ; 42, 5-6 (textes, voir supra n. 203).
213 Id., VII, 42, 1 : Praeter haec inuenio apud quosdam L. Genucium tribunum plebis tulisse ad plebem ne fenerare liceret (« Outre ces faits, je trouve chez certains auteurs qu’un tribun de la plèbe, Lucius Genucius, porta devant le peuple une proposition qui interdisait l’usure » ; réf. trad., voir supra n. 190).
214 J.-C. Richard, « Sur le plébiscite ut liceret consules ambos plebeios creari », Historia, 28, 1979, p. 65-75 ; G. Poma, « Considerazioni sul processo di formazione della tradizione annalistica : il caso della sedizione militare del 342 a. C. », dans W. Eder (éd.), Staat und Staatlichkeit in der frühen römischen Republik, Stuttgart, 1990, p. 139-157.
215 T. P. Wiseman, Clio’s Cosmetics, op. cit., p. 104-111 ; M. Chassignet, L’annalistique romaine, III, op. cit., p. LXVI-LXVIII.
216 Pline, NH, XXXIII, 17-19.
217 Liv., IX, 46, 10-11.
218 Id., IX, 46, 8.
219 Id., IX, 46, 5 ; J. Rüpke, Kalender und Öffentlichkeit, Berlin-New York, 1995, p. 245-274.
220 Id., IX, 46, 6 : Aedem Concordiae in area Volcani summa inuidia nobilium dedicauit (« Il consacra un temple de la Concorde sur la place de Vulcain, malgré l’hostilité des nobles » ; trad. de l’auteur) ; A. M. Ferroni, « Concordia, Aedicula », art. cité, p. 320-321 ; M. Humm, Appius Claudius Caecus, op. cit., p. 584-588.
221 Liv., IX, 46, 13-14 : Ex eo tempore in duas partes discessit ciuitas : aliud integer populus, fautor et cultor bonorum, aliud forensis factio tendebat, donec Q. Fabius et P. Decius censores facti, et Fabius simul concordiae causa, simul ne humillimorum in manu comitia essent, omnem forensem turbam excretam in quattuor tribus coniecit urbanasque eas appellauit (« À partir de cette époque, la cité fut divisée en deux parties : d’un côté le peuple intègre, soutenant et honorant les bons citoyens, et de l’autre, la populace du Forum, jusqu’à ce que Q. Fabius et P. Decius devinssent censeurs, et que Fabius, à la fois par souci de la concorde et par la volonté de ne pas laisser les comices entre les mains des plus humbles, plaçât à part cette populace du Forum et la répartît dans quatre tribus auxquelles il donna le nom d’urbaines » ; trad. de l’auteur).
222 Id., IX, 46, 2-3.
223 Id., IX, 46, 3.
224 Pline, NH, XXXIII, 19 : Flauius uouit aedem Concordiae, si populo reconciliasset ordines […]. L’expression de Pline est particulière : lorsque Cicéron utilise l’expression de concordia ordinum, il s’agit de l’accord entre l’ordre sénatorial et l’ordre équestre (Att., I, 14, 4 ; I, 17, 9 ; 10 ; I, 18, 3 ; voir également Pro Cluentio, 152 ; In Cat., IV, 15) ; chez Tite-Live, la même expression désigne l’accord entre le patriciat et la plèbe (III, 58, 4 ; 68, 11 ; IV, 7, 5 ; 60, 3 ; V, 3, 5 ; 7, 1 ; 12, 12 ; VI, 42, 12 ; VII, 22, 8 ; 27, 1). Mais que pouvait vouloir dire réconcilier les ordres (le Sénat, l’ordre équestre… ?) et le peuple (la plèbe ?) ?
225 Pline, NH, XXXIII, 19.
226 Pline, NH, XXXIII, 18 : […] in antiquissimis reperiatur annalibus.
227 Ann. Pont., frgt 28, Chassignet (éd.), Les annales des pontifes et l’annalistique ancienne, Paris, 1996 ; F. Münzer, Beiträge zur Quellenkritik der Naturgeschichte des Plinius, Berlin, 1897, p. 225-227.
228 Pline, NH, XXXIII, 17.
229 AG, NA, VII, 9, 1-6 = L. Calp. Piso Frugi, frgt 30, Chassignet (éd.), L’annalistique moyenne, op. cit. : le déroulement du scrutin comprenant l’abandon par Flavius de son activité de scribe et la visite de Flavius à un collègue au cours de laquelle les jeunes patriciens refusèrent de se lever devant lui se trouvaient également chez Liv., IX, 46, 2 et 9. Sur l’annaliste, M. Chassignet, L’annalistique moyenne, op. cit., p. xix-xxv. Piso Frugi fut peut-être dans ce cas la source de Pline, directement ou à travers Tite-Live (M. Humm, Appius Claudius Caecus, op. cit., p. 91-94, 124-126, 234-235).
230 L. Calp. Piso Frugi, 30 ; Diod., XX, 36, 6 ; Cic., Pro Mur., 25 ; De off., I, 186 ; Att., VI, 1, 8 et 18.
231 Cic., Att., VI, 1, 18.
232 Ibid., VI, 1, 8 et 18 : pour Cicéron, la seule certitude est que cette édilité doit être placée après les décemvirs. Atticus, pourtant un érudit, ne semble pas connaître la tradition sur ce personnage. Hélas, Cicéron ne mentionne pas ses sources.
233 C. Nicolet, « Appius Claudius et le double forum de Capoue », Latomus, XX, 1961, p. 683-720, ici p. 692-695.
234 L’édilité de Flavius constituait la seule information que Cicéron et Atticus tenaient pour certaine en ce qui concernait sa carrière. Cela leur permettait simplement de dater cette édilité après le décemvirat (Att., VI, 1, 8).
235 T. P. Wiseman, Clio’s Cosmetics, op. cit., p. 85-91.
236 Ibid., p. 119-121.
237 Ibid., p. 88, 137.
238 Le premier temple à Concordia d’après la tradition fut celui voulu par Camille après la conclusion de l’accord patricio-plébéien en 367. Mais le récit de cette première fondation semble en grande partie légendaire. A. Momigliano, « Camillus and Concord », art. cité, p. 111-120 ; L. Richardson, « Concordia… », art. cité, p. 260-272 ; E. M. Steinby, LTUR, I, op. cit., p. 316-320 ; R. Schilling, « Discordes autour de Concordia… », art. cité, p. 427-434 ; M. Humm, « Le comitium du Forum romain », MEFRA, 111, 2, 1999, p. 625-694, ici p. 675-689. Voir dans l’introduction, p. 16-22.
239 Liv., IX, 46, 3.
240 L. Savunen, « Debt Legislation, in the Fourth Century BC », dans U. Paananen et alii, Senatus populusque Romanus, Helsinki, 1993, p. 143-159.
241 Pline précise dans le même passage que Flavius fit poser sur l’aedicula une tablette de bronze dont l’inscription disait qu’elle avait été construite deux cent quatre années après la consécration du temple de Jupiter Capitolin : […] inciditque in tabella aerea factam eam aedem CCIIII annis post Capitolinam dedicatam (Pline, XXXIII, 19). La présentation de Pline ne dit pas qu’il a vu l’inscription, ou qu’il lisait un auteur qui avait vu cette inscription : il évoque le geste de Flavius de faire graver une inscription. Pline lisait dans sa source le récit du geste antinobiliaire de Flavius (la datation devait se faire par les noms des consuls de l’année, et non par rapport à une autre construction). Ni lui ni sa source ne lurent cette inscription, qui ne peut donc en aucun cas être considérée comme une preuve de la véracité de cette fondation. L’incapacité de Cicéron et d’Atticus à dater l’édilité de Flavius dans les années 50 du ier siècle montre bien que cette inscription n’existait pas.
242 Pour une analyse tout à fait différente, voir M. Humm, Appius Claudius Caecus, op. cit., p. 433-436, 444, 584-588, 620-628, qui fonde sa confiance dans les textes de Tite-Live et Pline essentiellement sur la cohérence du projet politique d’A. Claudius Caecus et de son client Cn. Flavius, notamment en ce qui concerne l’introduction à Rome de certains principes pythagoriciens (p. 541 et suiv.).
243 Pline, NH, XXXIII, 19.
244 J. Andreau, Patrimoines, échanges et prêts d’argent : l’économie romaine, Rome, 1997, p. 15-16, 159, 268-269. Sur les activités financières à Rome et les différents types de manieurs d’argent, p. 47-73, 157-176.
245 Ibid., p. 264-265.
246 Concernant les lois sur les dettes : G. Billeter, Geschichte des Zinsfusses, Leipzig, 1898, p. 134-157 ; T. Franck, An Economic Survey…, I, op. cit., p. 28-32, qui pensent que la lex Genucia et les lois suivantes avaient pour but d’interdire le prêt à intérêt. Peut-être des lois du début du iie siècle avaient-elles tenté d’imposer cette interdiction, mais elles n’avaient été appliquées que peu de temps. Peut-être le préteur Sempronius Asellio en 89 prétendait-il de nouveau faire appliquer ces lois lorsqu’il fut assassiné (E. Gabba [éd.], Appiani bellorum civilium, op. cit., p. 159 ; C. Barlow, Bankers, Moneylenders and Interest Rates in the Roman Republic, diss. serv., Ann Arbor, 1978, p. 58-60, 118-122 ; G. Poma, « Il plebiscito genucio », RSA, 19, 1989, p. 67-91).
247 Caes., BC, III, 20, 3.
248 Plut., César, 35, 6-11.
249 DC, XLI, 38.
250 Id., XLI, 37.
251 Un autre rapprochement peut se révéler intéressant, celui de la seconde lettre à César du Pseudo-Salluste, dans laquelle l’auteur demande à César de se préoccuper de la question des dettes pour rétablir la concorde (II, V-VI), et le fragment des Histoires de Salluste (frgt 11, B. Maurenbrecher (éd.), C. Sallusti Crispi Historiarum reliquae, Stuttgart, 1893), dans lequel Salluste évoque la rupture de la concordia entre patriciens et plébéiens aux origines de Rome à cause de la question des dettes.
252 Suet., Caes., 27, 3 : his plane palam « bello ciuili opus esse » dicebat (« dans ce cas, il leur disait sans ambages “qu’ils avaient besoin d’une guerre civile” » ; trad. H. Ailloud, Paris, CUF, 1989).
253 Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 6-8 ; VIII, 3-4 ; c’est ce que dénonçait C. Manlius, l’un des principaux complices de Catilina, dans sa lettre au Sénat : les endettés ne sont plus libres : Sall., Cat, XXXIII, 4 : At nos non imperium neque diuitias petimus […] sed libertatem (« Mais nous, nous ne demandons ni le pouvoir, ni la richesse […], nous voulons la liberté » ; trad. A. Ernout, Paris, CUF, 1941). L’esclavage pour dettes n’existait pas ou plus à cette époque. La référence à la liberté doit donc se comprendre comme le refus, pour des propriétaires fonciers, de devoir dépendre de leurs créanciers.
254 Ps.-Sall., Ad Caes., I, V, 4.
255 Ibid., I, V : ces mesures avaient pour but d’empêcher les magistrats de devoir dépouiller la République pour rembourser leurs créanciers. Il s’agissait donc bien de limiter l’endettement des aristocrates.
256 De off., II, 78-84 ; 78 : Qui uero se populares uolunt ob eamque causam […] aut pecunias creditas debitoribus condonandas putant, labefactant fundamenta rei publicae, concordiam primum quae esse non potest cum aliis adimuntur, aliis condonantur pecuniae […] (« Quant à ceux qui se veulent populaires et qui, pour cette raison […] ou bien pensent devoir faire remise de leurs dettes aux débiteurs, ils sapent les assises de l’État : d’abord la concorde, qui ne peut exister quand on enlève aux uns leur argent, tandis qu’on en fait cadeau à d’autres […] ») ; 82 : Ita perfectum est ut omnes concordia constituta sine querella discederent (« Il en résulta que tous, l’accord établi, se séparèrent sans récrimination » ; trad. M. Testard, Paris, CUF, 1970).
257 Ap., BC, Prol., 4-5.
258 Ibid., 6 : Ὧδε μὲν ἐκ στάσεων ποικίλων ἡ πολιτεία Ῥωμαίοις ἐς ὁμόνοιαν καὶ μοναρχίαν περιέστη· (« Ce fut ainsi qu’après toutes sortes de séditions l’État des Romains en arriva à la concorde et à la monarchie » ; trad. J.-I. Combes-Dounous, rev. C. Voisin, Paris, Les Belles Lettres, 1993).
259 DC, XLIV, 1, 2 : στάσεις τε αὖθις ἐξ ὁμονοίας καὶ πολέμους ἐμφυλίους τοῖς Ῥωμαίοις παρεσκεύασεν·
260 Id., 2.
261 Id., 2, 4.
262 Id., 3-8.
263 Id., 4, 5 : νεώντε Ὁμονοίας ϰαινῆς, ὡς ϰαὶ δἰ αὐτοῦ εἰρηνοῦντες, οἰϰοδομῆσαι […] (« Ils décidèrent aussi de construire un temple de Concordia Nova, car c’était grâce à lui qu’ils vivaient de la paix […] » ; trad. de l’auteur).
264 B. Levick, « Concordia… », art. cité., p. 223 et suiv. ; A. M. Ferroni, « Concordia Nova », art. cité.
265 F. Millar, A Study…, op. cit., p. 34-38.
266 S. Weinstock, Divus Julius, op. cit., p. 260-267, n’apporte aucune preuve de l’existence de la décision sénatoriale de faire bâtir ce temple. Il souligne simplement que la propagande césarienne utilisa ce thème de la concorde dans les années 40 du ier siècle. Il utilise pour cela des documents très hétérogènes qu’il paraît difficile de relier à une utilisation par le parti césarien du thème de la concorde. Par exemple, l’appel de Salluste à préserver la concorde dans la première lettre à César doit-il être considéré comme une illustration d’une utilisation par César de cette notion à des fins partisanes (p. 264) ? De plus, il semble que les colonies qui devaient porter le nom de Concordia Iulia furent fondées par le second triumvirat, puis par Auguste, et non par César (p. 264-265 ; Th. Mommsen, CIL, V, p. 178, 936 ; L. Keppie, Colonisation and Veteran Settlement in Italy, p. 1983, p. 20-21, 49-69, ici p. 58, 63, 66, 67, 9, 201). Enfin la dextrarum iunctio sur des monnaies de 48 (M. Crawford, RRC, I, op. cit., p. 466-467, no 450, 2-451) et 44 (ibid., p. 489, no 480, 6) faisait sans doute référence à la politique de clémence de César. Ce n’est qu’en 42 que la dextrarum iunctio fut associée à la divinité Concordia sur une monnaie (ibid., p. 508, no 494, 41). Du reste aucune monnaie frappée pendant la période de la dictature de César ne porte une représentation de Concordia. Nous n’avons donc pas de sources explicites et concordantes sur la construction de ce temple de Concordia Nova ni même sur l’utilisation du culte à cette divinité par César.
267 P. Jal, « Pax civilis-concordia », art. cité., p. 210-231 ; B. Levick, « Concordia… », art. cité. ; S. Weinstock, Divus Julius, op. cit. ; J.-L. Ferrary, « À propos des pouvoirs et des honneurs décernés à César entre 48 et 44 », G. Urso (dir.), Cesare : precursore o visionario ?, Atti del conv. int. Cividale del Friuli, 17-19 sett. 2009, Pise, 2010, p. 9-30.
268 DC, XLIV, 3, 1-3.
269 A. Momigliano, « Camillus and Concord », art. cité, p. 111-120, ici p. 113 ; P. M. Martin, L’idée de royauté à Rome, I, Clermont-Ferrand, 1982, p. 371 ; E. Burck, « Die Gestalt des Camillus », dans E. Burck (éd.), Wege zu Livius, Darmstadt, 1967, p. 327-328.
270 S. Weinstock, Divus Julius, op. cit., p. 71-75 ; J. von Ungern-Sternberg, « Camillus, ein zweiter Romulus ? », dans M. Coudry, T. Späth (éd.), L’invention…, op. cit., p. 289-297 ; C. Bruun, « What Every Man… », art. cité., p. 41-68, ici p. 43.
271 Liv., VI, 42, 11-14.
272 D’après Dion Cassius (XLI, 15, 4), le Sénat, en janvier 49, aurait obligé César à envoyer une ambassade à Pompée pour rétablir la concorde. Il n’y a pas de raison de penser que le Sénat, vers 46-44, était moins libre qu’en 49.
273 F. Millar, A Study…, op. cit., p. 74-76 ; M.-L. Freyburger-Galland, Aspects du vocabulaire politique et institutionnel de Dion Cassius, Paris, 1997, p. 116-121.
274 Dion Cassius (XLIV, I, 1) introduit le livre 44 en évoquant les préparatifs de l’expédition contre les Parthes. Ce texte ne fait pas formellement le lien entre cette expédition et le meurtre de César, mais on peut aussi estimer que ce meurtre se trouve ainsi en partie déterminé par cette décision de César de quitter Rome pour une longue période.
275 DC, XLIV, 2, 1-2.
276 Id., 2-3.
277 Id., 4-5.
278 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 281-285.
279 Cic., Pro Lig., 5 et 34.
280 Son frère T. Ligarius fut questeur urbain dans les années 50 : ibid., 35.
281 Ibid., 5 : An ille si potuisset illinc ullo modo euadere, Uticae quam Romae, cum P. Attio quam cum concordissimis fratribus, cum alienis esse quam cum suis maluisset ? (« Croit-on que si Ligarius avait eu un moyen quelconque de s’échapper, il eût préféré Utique à Rome, P. Attius à des frères tant aimés, des étrangers à sa famille ? ») ; 34 : Quod si penitus perspicere posses concordiam Ligariorum, omnis fratres tecum iudicares fuisse (« Si tu pouvais voir jusqu’à quel point l’entente règne entre les Ligarius, tu en conclurais que les trois frères étaient de ton côté » ; trad. M. Lob, Paris, CUF, 1968).
282 P. Jal, La guerre civile à Rome, op. cit., p. 35-37.
283 Ibid., p. 393-417.
284 Cic., Pro Lig., 32-38.
285 Ibid., 33.
286 Ibid., 35-36.
287 Ibid., 33-36.
288 E. Ciaceri, Cicerone…, II, op. cit., p. 312-314.
289 Cic., Pro rege Dei., 11 (« Pas un mot ne lui parvenait de tes propositions, de tes efforts en vue de la concorde et de la paix, des intrigues de certains contre ton autorité » ; réf. trad., voir supra n. 281).
290 Ibid.
291 Z. Yavetz, César et son image, op. cit., p. 231-232.
292 P. Jal, « Pax civilis-concordia », art. cité, p. 210-231, ici p. 220.
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