Le cardinal Briçonnet et l’affaire de la créance Bische 1477-1507
p. 581-589
Texte intégral
1Le 6 octobre 1507, le cardinal Guillaume Briçonnet concluait à Rome avec le cardinal Jean de Médicis, le futur Léon X, et Julien son frère, un accord destiné à clore le procès qu’ils avaient intenté contre lui au parlement de Paris1. Les deux Médicis vivaient à Rome en exil, sous la protection du pape. La famille avait en effet subi bien des avanies. L’aîné Pierre, successeur de Laurent le Magnifique, avait été renversé le 7 novembre 1494, juste avant l’entrée à Florence de Charles VIII en marche vers Naples ; la nouvelle Seigneurie avait prononcé leur bannissement, confisqué leurs biens et du même coup ruiné leur célèbre banque2. Depuis, Pierre était mort au service de la France, noyé dans le Garigliano en décembre 15033 et de ce fait, le cardinal Jean et son frère étaient devenus les gardiens de l’héritage politique et des intérêts financiers de la maison.
2Quant au cardinal Briçonnet, il se trouvait à Rome depuis la fin de 1506, où il avait été appelé par le pape Jules II et mandaté par le roi Louis XII. Il ne saurait être question de reprendre ici la carrière extraordinaire de cet homme qui fut successivement marchand à Tours, secrétaire des finances du roi Louis XI, sous Charles VIII général des finances en Languedoc, Provence, Dauphiné et Roussillon, conseiller du roi, puis, devenu veuf, évêque de Saint-Malo en 1493, principal instigateur de l’expédition de Naples, cardinal le 16 janvier 1495, évêque de Nîmes en 1496, archevêque de Reims en 1497, abbé de Grandmont et de Saint-Germain-des-Prés4.
3Guillaume Briçonnet était dispensé de résidence à Rome, mais à la fin de 1506, la conjoncture politique exigeait que tous les cardinaux originaires du royaume y fussent présents. Le pape Jules II, parti à la reconquête des terres de l’Église usurpées et notamment de Bologne, avait besoin de l’aide du roi de France ; il ne revint à Rome qu’en mars 1507. Cependant il avait assisté sans aucun plaisir à la réduction par Louis XII de la rébellion de Gênes qu’il avait soutenue en sous-main. L’entrée triomphale, le 29 avril, du monarque à la tête d’une puissante armée dans la cité vaincue avait aussi réveillé la jalousie et la suspicion du roi des Romains, Maximilien ; à la diète d’Empire en juin 1507 le Habsbourg fit savoir qu’il empêcherait par la force le roi de France de se faire empereur et le cardinal Georges d’Amboise de devenir pape. Au même moment se préparait l’entrevue de Savone entre Louis XII et Ferdinand d’Aragon qui eut lieu du 27 juin au 2 juillet et inquiéta tout autant Jules II que Maximilien5. Autant de raisons qui imposaient au roi de suivre de près les affaires romaines, de sonder les intentions du pape et de justifier sa propre politique italienne.
4Bref, à Rome en cet été 1507, l’on négociait ferme et de tout côté. Pour sa part le cardinal Guillaume Briçonnet, que son fils de même nom, le futur évêque de Meaux, avait rejoint6, s’efforçait de défendre son maître, sans renoncer à faire avancer ses propres affaires. Il y eut alors un beau chassé-croisé de bénéfices qui valut notamment au cardinal de pouvoir échanger Reims contre Narbonne7. Les tractations avec les Médicis se situent dans ce contexte : elles arrangeaient le cardinal Jean de Médicis, et plaisaient au pape dont le neveu était un ami intime de Jean8 ; en outre elles éclaircissaient une situation diplomatique où la Seigneurie de Florence se trouvait indirectement engagée.
5L’accord portait sur le règlement d’une dette de 17 500 ducats d’or. À en juger par le procès au parlement, les Médicis soutenaient que la somme avait « esté exigee par le dit cardinal de Narbonne sur les biens à eulx appartenans en passant par la ville de Florence avec le feu roy Charles au premier voyage qu’il fist à Naples, le dit cardinal de Narbonne disant au contraire n’avoir aucune somme exigee sur les biens du dit de Medicis ». Les deux parties disaient vrai. Guillaume Briçonnet n’avait imposé le payement de la dette en question qu’à la Seigneurie de Florence, laquelle s’était remboursée ensuite sur les biens enlevés aux Médicis, mais, ce faisant, il avait agi au nom d’un tiers, Guillaume de Bische, un ancien conseiller de Louis XI et de Charles le Téméraire, qui, lui, était bien créancier des Médicis. Et du coup nous voici ramenés trente ans en arrière au point de départ d’une affaire obscurcie à plaisir, qui dès l’origine avait été tout autant politique et publique que familiale et privée.
Guillaume de Bische, créancier des Médicis
6Ce Guillaume de Bische, qui reste pour nous une bien pâle silhouette, avait été en son temps un personnage considérable9. « Pauvre valeton », comme dit de lui Du Clercq avec mépris, originaire de Moulins-Engilbert en Nivernais, il est représentatif de ces Bourguignons de petite naissance qui se faufilent dans les services des ducs au Pays-Bas et les monopolisent10. Il est d’abord simple clerc à la solde de Martin Cornille, receveur général des finances, jusqu’au jour où son maître, compromis dans l’affaire des Vaudois d’Arras, est obligé de s’enfuir11 ; il parvient alors à capter la confiance de Charles, comte de Charolais, son seigneur naturel depuis que celui-ci a acquis la Seigneurie de Château-Chinon du chef de son mariage avec Isabelle de Bourbon12. Il se jette dans les intrigues qui se nouent à la cour de Bourgogne et auxquelles se trouve mêlé le dauphin Louis, réfugié à Genappe depuis 1456 ; considéré comme l’un des fauteurs du conflit qui oppose violemment en 1457 le vieux duc, Philippe le Bon, à son fils, le comte de Charolais, il paye de l’exil leur réconciliation. Réfugié à Paris, Guillaume de Bische arrive à inspirer là assez de confiance pour pouvoir informer des affaires de France et la cour de Bourgogne et le dauphin. Qu’est-il alors ? Un agent double sans moralité ou bien cet homme « sage et subtil », que loue Olivier de La Marche, attaché à ses deux maîtres, le vassal et le seigneur, le duc de Bourgogne et le dauphin, le futur roi de France13 ?
7L’avènement de Louis XI le libère de l’ambiguïté et lui permet de rester très proche du roi, de se faire le compagnon de ses fredaines durant son bref séjour à Paris14, d’obtenir de lui l’office de bailli de Saint-Pierre-le-Moutier15, sans cesser d’accompagner partout le comte de Charolais16. Il est donc bien toujours l’homme de confiance des deux princes. Situation banale à la date ; Guy de Brimeu, seigneur d’Humbercourt, un familier de Charles, est jusqu’en 1464 conseiller et chambellan de Louis XI17.
8La rupture entre leurs deux maîtres les oblige, l’un comme l’autre, à choisir leur parti. « Messire » Guillaume de Bische tient celui du nouveau duc de Bourgogne qu’il sert comme premier maître d’hôtel. Il est constamment en vedette ; à Montlhéry, il est adoubé, il ouvre avec Louis XI les négociations qui mènent au traité de Conflans, il est présent à l’entrevue de Péronne, au mariage à Bruges de Charles le Téméraire et de Marguerite d’York et à l’ouverture du parlement de Malines. Entre 1475 et 1477, en l’absence du duc, il exerce même le gouvernement des Pays-Bas au sein de ce que l’on peut appeler un « conseil de régence »18.
9Le parvenu qu’est Guillaume de Bische doit tout à la faveur des princes dont il sait la précarité. Il use donc des libéralités de ses maîtres pour se constituer dans la société une situation forte et honorable qui le mettra à l’abri de leurs sautes d’humeur. Il s’attache à prendre rang au sein de la noblesse picarde. Devenu seigneur de Cléry-sur-Somme où il fait rebâtir le château, il obtient dans les environs immédiats le gouvernement de la place de Péronne, mais il est aussi largement possessionné en Hainaut19, et c’est sans conteste dans le royaume qu’en 1473, sans difficulté apparente, il achète la vicomté de Laon20. Autant de beaux établissements, mais aussi de biens saisissables. C’est pourquoi, imitant là encore le comportement de nombre d’autres familiers des hôtels princiers, Guillaume de Bische juge bon de placer très discrètement à deux reprises des capitaux considérables dans la filiale de Bruges des Médicis que dirigeait son ami proche, Tommaso Portinari, soit 13 000 livres de gros21. Ces dépôts rémunérés, dits a discrezione, en général absents des livres de compte, étaient des placements productifs, discrets et en théorie aisément transférables. Là pourtant se trouve l’origine précise de l’affaire réglée en 1507.
10La mort tragique de Charles le Téméraire, le 5 janvier 1477, plaça Guillaume de Bische, comme tant d’autres à la cour de Bourgogne, devant un choix crucial. Immédiatement sollicité par son vieil ami Louis XI, il décida de se ranger à son parti et lui ouvrit la place de Péronne en février 1477 ; il entraîna avec lui quelque dix-huit nobles picards et précéda de peu Philippe de Crévecœur qui fit de même à Arras. Les événements avaient couru très vite. Bische ne put prendre aucune précaution. Sa femme, Jeanne d’Esnes, se trouvait à Valenciennes. Elle dut consentir à l’abandon de tous leurs biens en Hainaut, meubles et immeubles, pour pouvoir rejoindre son mari, réputé traître par la duchesse Marie de Bourgogne22. Louis XI sut payer le prix de cette défection qui permettait à Bische de conserver ses terres de Picardie et même de les accroître. Il fut nommé sur place bailli et gouverneur de Montdidier, Péronne et Roye et entra au conseil où il siégea jusqu’à la mort du roi23. Il avait dû agir si vite cependant qu’il n’avait pu retirer les fonds secrètement placés à Bruges.
11Or, pour son malheur, la gestion de Tommaso Portinari était catastrophique. Le 7 août 1480, Laurent de Médicis, après audition des comptes, décida de retirer de la banque et son nom et ses capitaux, laissant Portinari seul en charge de l’actif comme du passif. Les secrets de la maison avaient dû être ébruités à l’occasion. En tout cas, le fait est que, cette même année, Maximilien de Habsbourg convoqua Portinari à Bruxelles, l’obligea à lui révéler sur la foi d’un serment prêté sur l’Évangile l’existence du dépôt fait par Guillaume de Bische et en prononça la confiscation24. Coup dur que Louis XI amortit en donnant à son protégé en compensation la traite des Ponts-de-Cé pour dix ans.
12La paix d’Arras, survenue sur ces entrefaites, n’arrangea rien, puisqu’elle libéra Maximilien de toute obligation de restitution en matière de deniers et rentes issus des confiscations opérées à cause des troubles25. La mort de Louis XI en août 1483 affaiblit gravement la position de Bische écarté du conseil. Il pensa se rattraper en plaidant et attaqua dès 1484 devant le parlement de Paris Tommaso Portinari et la filiale des Médicis à Lyon, comme solidaire de celle de Bruges. Argumentation spécieuse sans doute, mais soutenable, si la banque Médicis était considérée comme un réseau unifié, coiffé au sommet par un holding siégeant à Florence. Le conseiller Etienne Du Boys, chargé de l’enquête à Lyon, était de cet avis26, mais la filiale du lieu se défendit vigoureusement ; l’affaire traîna et finalement prit un cours défavorable pour Guillaume de Bische. En 1493, Maximilien, ayant fait la paix à Senlis avec Charles VIII, produisit alors une lettre qui exonérait Portinari de toute responsabilité dans la confiscation et en juin 1494, le roi, en très mauvais terme avec Pierre de Médicis, expulsa hors du royaume les ambassadeurs florentins et tout le personnel de la banque de Lyon27.
L’entrée en scène de Guillaume Briçonnet
13Pour Guillaume de Bische, privé de ses adversaires en justice, tout était à refaire et c’est alors qu’intervint Guillaume Briçonnet. Les deux hommes se connaissaient évidemment et nul n’ignorait à la cour que Briçonnet était tout-puissant auprès du roi, qu’il était particulièrement hostile à Pierre de Médicis et à sa banque, pour des causes qui remontaient peut-être au temps où il était marchand à Tours, et qu’il poussait à la guerre contre Naples28. Ils lièrent donc partie, Briçonnet devenant le porteur de la créance de Bische, à des conditions volontairement laissées dans l’ombre.
14Briçonnet arriva en Toscane avec l’armée du roi en octobre 1494. C’est lui qui fut chargé de mener le 30 les négociations avec Pierre de Médicis à Santo Stefano. Il ne lui demanda rien pour son propre compte, mais entré à Florence, où il avait été envoyé pour préparer l’entrée du roi29 et profitant de la fuite de Pierre, avant toute négociation avec les nouveaux maîtres de la cité, il exigea immédiatement en se couvrant de l’autorité du roi le versement des 17 500 ducats dus à Bische, sinon, dit-il, « ilz n’auroient appoinctement avec le roy »30. La Seigneurie s’exécuta31 et comme le traité du 25 novembre 1494, négocié par lui-même, stipulait que la Seigneurie devait désintéresser les créanciers des Médicis bannis32, il se trouvait justifié a posteriori de sa brutale intervention33.
15La Seigneurie ne voulait pas faire les frais de l’opération. Les 9 juillet et 11 août 1495 elle procéda à la vente à l’encan des biens confisqués aux Médicis qu’elle n’avait pas restitués en dépit de l’accord précédent et se paya de ce qu’elle avait dû verser à leurs créanciers. Ainsi Tommaso Portinari, qui était revenu en 1497 finir ses séjours à Florence, fut-il indemnisé de cette manière pour une créance de 15 445 florins, moins 7 000 florins retenus « à cause de l’indemnité payée par la Seigneurie à Bische »34. Commynes, si sévère pourtant à l’encontre de Briçonnet, n’agissait pas autrement et réclamait de son côté à la Seigneurie de Florence ce qu’il avait perdu dans la liquidation de la filiale de Lyon35.
16Puis les années passèrent et l’on n’entendit plus parler de l’affaire Bische. Pourtant le changement de règne en France, l’avènement de Jules II, la mort de Pierre de Médicis amenèrent sa reprise. Guillaume de Bische était mort aussi, vraisemblablement en 149636. Son fils Jean, richement marié à Jeanne de Crévecœur, le suivit de peu dans la tombe, si même il ne le précéda pas. Guillaume Briçonnet, bien que cardinal, avait perdu de son crédit à la cour. Au contraire le cardinal Jean de Médicis à Rome avait acquis une position forte.
17Voilà pourquoi, avec son frère Julien, il ouvrit une action devant le parlement de Paris pour obtenir réparation. Le 27 juin 1505, un arrêt les reconnut créanciers des 17 500 ducats pris sur eux par la Seigneurie de Florence. Restait à savoir qui les devait. Les Médicis ajournèrent en recouvrement d’abord les héritiers de Guillaume de Bische, soit sa belle-fille, Jeanne de Crévecœur, comme ayant la garde noble de sa petite-fille mineure, le second mari de celle-ci, Antoine du Fay, plus le tuteur de l’enfant, Jean de Humières. Ils comprirent vite cependant qu’ils devaient s’en prendre à celui qui était leur véritable débiteur, le cardinal Briçonnet. Celui-ci, ajourné les 4 et 13 août, se trouva tout de suite en mauvaise position et fit user de tous les moyens de procédure, y compris les plus médiocres, pour tenter de se faire mettre hors de cause. La cour vit clair dans son jeu et l’obligea à plaider en défense. Les lettres du roi qu’il obtint pour obtenir un renvoi au motif de son absence et de son séjour à Rome pour raison d’État n’eurent pas plus de succès. La cour désigna deux conseillers pour faire l’enquête avec commissions supplétives adressées au sénéchal de Lyon, au « podestat et official » des marchands de Florence et au premier auditeur de la Rote, juges ordinaires en l’espèce. Le cardinal sentit qu’il allait perdre ce mauvais procès. D’où sa décision de passer un accord avec ses adversaires en transigeant sur le fond : le cardinal acceptait de rendre la moitié de la somme contestée et les Médicis lui firent grâce du reste, poussant même la bonne volonté ou l’ironie jusqu’à lui donner subrogation en leur nom contre les héritiers de Bische et leur garantie à l’égard de la commune de Florence. Allait-on voir le cardinal se mettre à plaider contre la République et contre ses anciens partenaires ? Il n’en fut rien. L’accord passé à Rome fut homologué définitivement par le parlement le 4 avril 1508 et à cette date les deux versements prévus au profit des Médicis avaient été faits. L’action était éteinte et ne pouvait renaître, car, même si rien de probant n’avait été encore produit au procès, il était clair que le cardinal n’avait rien rendu à Guillaume de Bische des ducats extorqués à Florence, parce qu’une transaction plus ou moins nette avaient été conclue entre eux. L’écheveau compliqué était donc dénoué.
18Cette affaire reste assez obscure ; elle ne manque pourtant pas d’être instructive et permet de tirer quelques conclusions. Le comportement de Guillaume de Bische d’abord démontre que, pour le personnel politique, il n’y a pas une absolue contradiction entre servir la maison de Bourgogne et celle de France dont elle relève et que cette double fidélité maintenue autant que faire se peut, n’est pas nécessairement signe d’une honteuse duplicité. Guillaume de Bische a servi deux maîtres, mais hormis la difficile période de 1456-1461 où il a joué incontestablement les mouchards au service du dauphin et du comte de Charolais, de 1461 à 1464 il a appartenu sans problème aux hôtels du roi et du comte. Il n’a fait le saut et délaissé la maison de Bourgogne qu’après la mort du maître qu’il avait toujours servi, Charles le Téméraire.
19La fidélité se paye, c’est incontestable, et notamment en liquidités sous forme de pensions ou autres. Les familiers des princes qui en sont bénéficiaires, les Guillaume de Bische, Imbert de Batarnay, Philippe de Commynes, Geoffroy de Balsac et autres aiment les placer très discrètement dans les banques italiennes à filiales. Mais quand il s’agit, comme ici, du réseau des Médicis, dont les chefs sont aussi les dirigeants de Florence, le choix n’est plus anodin. 11 introduit une confusion inéluctable entre les intérêts particuliers et la conduite de la diplomatie. Commynes n’a-t-il pas été de ce fait constamment et notoirement à la cour du roi le représentant des intérêts de Florence et de la banque Médicis où il avait placé ses capitaux, comme du reste Briçonnet était leur adversaire résolu, probablement pour des raisons inverses ?
20Quant au cardinal lui-même, le comportement qu’il a eu à Florence semble proche du racket. Le soupçon tombe aisément en ce temps sur ceux qui sont au sommet du pouvoir et des affaires. Il ressort en 1504, à l’occasion du procès intenté au maréchal de Gié, contre les financiers accusés en bloc d’avoir abusé des compositions des villes italiennes37. Le cas n’aurait donc rien d’inusité ni d’exceptionnel. Sans aller si loin on peut observer que Briçonnet, en faisant valoir sans attendre à Florence la créance de Bische sur les Médicis, en prévision d’une déconfiture prévisible de la banque, ne faisait que prendre une précaution élémentaire à laquelle bien d’autres eurent recours sans vergogne. Il l’a fait en se couvrant de l’autorité du roi, ce qui montre que Charles VIII, pourtant désireux de ne pas accabler Pierre de Médicis, savait se montrer conciliant envers les conseillers dont la fidélité lui importait au premier chef.
21En ces premiers temps modernes, finances et diplomatie se mêlent, de même que clientèle politique et rémunération des services ; c’est là l’enseignement que l’on peut tirer de cette ténébreuse affaire où le richissime cardinal Briçonnet laisse voir que sous l’habit d’un prince de l’Église il n’avait jamais cessé d’être un homme de finances très avisé.
Notes de bas de page
1 Sur ce procès évoqué au cours de six audiences du 23 avril 1506 au 4 janvier 1507, AN, X1A 4847, fol. 345, 447, 547, 567, et 4848, fol. 74-75 145 ; voir M. Harsgor, Recherches sur le personnel du conseil du roi sous Charles VIII et Louis XII, Lille-Paris, 1980, 4 vol., t. III, p. 1930-1931. L’auteur passe sous silence l’accord homologué au parlement de Paris le 3 avril 1508, en l’absence du cardinal, représenté par son fils Jean, président de la Chambre des comptes, et Yves Brinon, procureur au parlement, beau-frère de feu son frère Guillaume, A.N., X1C 238 A, no 68-72.
2 Sur ces événements, on consultera H.-F. Delaborde, L’expédition de Charles VIII en Italie. Histoire diplomatique et militaire, Paris, 1888, p. 431-445 et Y. Labande-Mailfert, Charles VIII et son milieu. La jeunesse au pouvoir (1470-1498), Paris, 1975, p. 292-291.
3 Ch. Hibbert, The Rise and Decline of the House of Medici, Londres, 1974, p. 202.
4 Il n’existe toujours pas de biographie du cardinal. La thèse manuscrite d’Alphonse Dunoyer est perdue. Seul en subsiste le résumé : Un conseiller de Charles VIII, Guillaume Briçonnet, cardinal de Saint-Malo (1445-1514), Positions de thèse de l’École nationale des Chartes, 1894. Au minimum voir Ph. Contamine, Lexicon des Mittelalters, t. IV, 1779, s.v. Guillaume (Briçonnet) et Dict. d’hist. et géogr. eccl., s.v. Briçonnet, t. X, col. 677-679.
5 J. S. C. Bridge, A History of France from the Death of Louis XI, Oxford, 1929, t. III et IV.
6 Guillaume Briçonnet fils, venu avec son mentor, Jacques Lefèvre d’Étaples, prononça devant le pape une harangue solennelle qui fut aussitôt publiée, M. Veissière, L'évêque Guillaume Briçonnet (1470-1534), Provins, 1986, p. 63-73.
7 Grandmont passe à un protégé du pape, Briçonnet fils reçoit Saint-Germain des Prés, cédé par son père qui est promu cardinal-évêque au titre d’Albano. Tous ces échanges de bénéfices de 1507 assez mal connus mériteraient une étude particulière.
8 Pastor-Raynaud, Histoire des papes, t. VI, p. 203 ; il s’agit de Galeotto de la Rovère, cardinal depuis le 29 novembre 1503 et légat de Bologne.
9 Pas d’autre biographie, semble-t-il, que la note de B. de Mandrot, Mémoires de Philippe de Commynes, Paris, 1901, t. 1, p. 81, n. 3 et celle de Vaesen et Charavay, plus brève encore, Lettres de Louis XI, t. II, p. 117, η. 1. En revanche il est cité souvent dans de nombreux fonds d’archives du Nord et de Belgique et tous les chroniqueurs et mémorialistes parlent de lui, ainsi Commynes, J. de Roye, Chastellain, Molinet, Olivier de La Marche, J. Du Clercq. Mes amis Henri Dubois, Werner Paravicini et Jean-Marie Cauchies m’ont aidé à constituer sur l’homme un dossier que les dimensions limitées de cette note empêchent d’exploiter pleinement. Je leur en exprime mes regrets, tout en les remerciant vivement.
10 J. Bartier, Légistes et gens de finances au XVe siècle. Les conseillers des ducs de Bourgogne, Philippe le Bon et Charles le Téméraire, Bruxelles, 1955, p. 46, 81, n. 1 ; p. 178, n. 1.
11 Détail donné dans un article très bien documenté, mais sans références, de B. Ancien, La tour de Bucy-le-Long et son bâtisseur, Guillaume de Bische, Mémoires de la fédération des sociétés savantes du département de l’Aisne, t. III, 1956 (1957), p. 42-50.
12 W. Paravicini, Karl der Kühne, das Ende des Hauses Burgund, Göttingen, 1976, p. 21.
13 Olivier de La Marche, Mémoires..., H. Beaune et J. d’Arbaumont éd., Paris, 1883-88, t. I, p. 420, est très disert sur toute cette affaire et fort indulgent pour Bische qu’il est allé voir plusieurs fois à Paris pour glaner des renseignements, grâce auxquels, dit-il, « se concluoit en France bien peu de matières de grant effect dont monseigneur le daulphin ne feust adverty ».
14 P. Champion, Louis XI, Paris, 1927, t. II, p. 17, citant Chastellain.
15 G. Dupont-Ferrier, Gallia regia, t. IV, p. 359, pour qui il reste titulaire de cet office jusqu’en 1469.
16 De novembre 1461 à décembre 1463, il suit le comte à Tours, à Sainte-Catherine-de-Fierbois, à Bruxelles, à La Haye, à Rotterdam, à Berg-op-Zoom, à Anvers, renseignements aimablement fournis par W. Paravicini, tirés de la banque de données qu’il constitue sur la maison de Charles de Charolais. Voir aussi la lettre que le roi lui adresse en mai 1463 à propos du rachat des villes de la Somme, Vaesen-Charavay, Lettres, II, 117.
17 W. Paravicini, Guy de Brimeu. Der burgundische Staat und seine adlige Führungschicht unter Karl dem Kühnen, Bonn, 1975, p. 92-93.
18 Ibid., p. 265, 464, 478.
19 Un hôtel donné à Valenciennes et des bois, la terre de « Buvreiges emprès Vallenchiennes » où « monseigneur le bailli de Saint-Pierre-le-Moustier (sic) fait construire », AD Nord, B 1609, fol. 39, (oct. 1469), 68v-70 ; B 1693, fol. 110 ; B 1694, fol. 75-76 ; B 2091, no 66698 (1472) et Arch. ville Mons, compte 343, fol. 26 (1469/70). Ces références m’ont été très aimablement communiquées par M. J.-M. Cauchies.
20 B. Ancien, La tour de Bucy-le-Long..., op. cit.
21 Voir A. Grunzweig, Correspondance de la filiale de Bruges des Médicis, 1ere partie (seule publiée), Bruxelles, 1931, p. XVIII, XXXVI, et R. De Roover, The Rise and Decline of the Medici Bank (1397-1494), Cambridge, Mass., 2e éd„ 1968, p. 101-102, 105-106, 356-357.
22 Lettres de Marie à la ville de Valenciennes citées dans Cocquiau II, 338, ms., Archives de l’État à Mons.
23 M. Harsgor, Recherches..., op. cit., t. II, p. 256 et 267, III, p. 1930-31.
24 Le montant de la confiscation fut estimé plus tard à Paris à 15 000 écus et 10 000 francs, soit environ 37 000 livres tournois.
25 Clause relevée au procès, AN, XIA 4847, fol. 345. Elle fut du reste reprise au traité de Francfort, en juillet 1489, cf. Ordonnances..., t. XX, p. 176.
26 Ce conseiller Du Boys, évincé du parlement, réintégré en 1483, mourut en 1500, ce qui permet de mieux dater l’action, E. Maugis, Histoire du parlement de Paris... Paris, t. III 1916, p. 109, 120, 135.
27 De Roover, The Rise..., p. 310.
28 Inimico di nostra nazione... e massime di Pietro, dit Francesco Della Casa, envoyé spécial de Florence, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, Paris, 1859, t. I p. 343.
29 H.-F. Delaborde, op. cit., p. 443. Il était accompagné de Jean-François de Cardonne, maître d’hôtel du roi, chargé de préparer l’installation de Charles VIII dans le palais Médicis, du maréchal de Gié et de Jean Matharon, président de Provence, Y. Labande-Mailfert, Charles VIII et son milieu..., p. 292.
30 AN, X1A, 4847, fol. 345v. Remarquons que la somme fait environ 5 % de la contribution imposée à Florence, soit 120 000 florins.
31 On ne saurait dire comment. Un sondage trop rapide dans l’Archivio di Stato de Florence, Dieci di Balìa, Legazioni e commissarie. Lettere fuori del Dominio (filza 13, portant sur l’année 1493, ou filza 14, partant du 3 décembre 1494) n’a rien donné sur ces tractations.
32 Article 23 du texte analysé dans Négociations..., op. cit., t. I, p. 501. Cf. aussi Delaborde, L’expédition..., op. cit., p. 445, n. 3.
33 Ce ne fut pas la seule. Commynes en rapporte une autre exactement contemporaine et aussi brutale due au « seigneur de Ballassat » (probablement Geoffroy de Balsac, valet de chambre et ami du roi, d’après Y. Labande-Mailfert, op. cit.) chargé de préparer le logis du roi (Mémoires, L. VII, ch. XI). Giovanni Bentivoglio aussi institua procureur le 10 décembre 1494 pour obtenir paiement de 12 000 ducats que lui devait Pierre de Médicis, Arch. di Stato de Florence, Dieci di Balìa, Risponsive, 38, 323.
34 Grunzweig, Correspondance..., p. XXXVIII, jugement du 24 décembre 1498.
35 En dépit d’efforts menés pendant quinze ans à partir de 1494 il n’aboutit à rien et dut abandonner les 8 000 écus qu’il lui restait à récupérer sur les 24 364 placés à Lyon chez ses trop bons amis, les Médicis ; De Roover, The Rise..., op. cit., p. 103.
36 En tout cas, à cette date, Louis de Halwin, seigneur de Piennes, fut pourvu à sa place du gouvernement de Péronne, Roye et Montdidier, Gallia regia, t. IV, p. 446, no 17 422.
37 A. Spont, Semblançay, Paris, 1895, p. 89 et suiv.
Auteur
Université François-Rabelais, Tours
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Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010