Introduction
p. 295-296
Texte intégral
1La « réforme » est l’un des mots d’ordre de l’Église médiévale1, qui se propage aux institutions monarchiques et urbaines au xive siècle2. Il n’est pas réservé aux seuls contestataires et n’a évidemment pas le sens que les protestantismes du xvie siècle vont lui donner. Le terme exprime plutôt l’existence d’un espace de discussion sur le sens et la fonction des institutions, espace purement ecclésial tout d’abord, élargi à une société politique en formation ensuite. C’est dans cette perspective qu’il faut replacer l’action et la prédication de Clément VI à la tête de la papauté, suscitant en retour les réactions par lesquelles nous avons ouvert ce livre, depuis les admirateurs du pape éloquent jusqu’aux dénonciateurs de l’Antéchrist. Ces opinions opposées traduisent la conscience forte, au xive siècle, d’une crise de l’Église et de ses institutions, à commencer par la papauté. Même s’il peut paraître surprenant, au vu de la réputation de la papauté d’Avignon, de la ranger sous la rubrique de la réforme de l’Église, Clément VI nourrit comme ses adversaires l’ambition d’une rénovation. C’est sur la nature des transformations à adopter que les points de vue s’opposent. Le pape, on vient de le voir, vise à conjoindre l’héritage grégorien et une conception du gouvernement de l’Église rénovée par les expériences monarchiques et par l’apport aristotélicien. En ce sens, sa réforme est une réaction à l’évolution en cours depuis la fin du xiiie siècle, et une tentative d’aggiornamento qui soit aussi une restauration : la puissance de l’institution est inséparable de sa réforme institutionnelle et morale. Le thème le plus présent dans les sermons de Pierre Roger/Clément VI est celui de la critique morale du clergé contemporain et de la nécessité de sa réforme, avec plusieurs dizaines d’occurrences. Cette constatation peut surprendre : en fait, les arguments de Pétrarque et des « préconstantiniens » sont utilisés presque à l’identique du côté pontifical – ce qui montre bien qu’il n’y a pas un camp vertueux et un autre corrompu, mais deux manières de penser la crise institutionnelle de l’Église du xive siècle. Il faut donc prendre ses distances avec la question de la sincérité de Pierre/Clément VI. A-t-il tenu des positions réformatrices dans le domaine moral et institutionnel parce qu’elles étaient un passage obligé pour sa carrière, avant d’être un ornement purement verbal des discours pontificaux ? A-t-il vraiment cru que la prédication était un outil suffisant de réforme ecclésiastique ? Le propos de notre enquête historique n’est pas de sonder le cœur du pape, mais de décrire et de comprendre les logiques de sa parole et de son action dans leur visée transformatrice. Après avoir retracé sa trajectoire sociale, son travail intellectuel et ce qu’on serait tenté d’appeler son idéologie ecclésiale, on voudrait maintenant réfléchir aux formes concrètes de son action en tant que pape. Il ne s’agit pas d’étudier l’ensemble de son pontificat mais de se concentrer sur des interventions dans lesquelles l’action pontificale conjoint vision du monde et vision de la papauté, de manière à mesurer ce que signifie, concrètement, gouverner l’Église par la parole pour Clément VI. En effet, au-delà de son action politique et diplomatique, bien connue, mais qui ne doit pas dissimuler le cœur de sa pratique de l’institution pontificale, Clément VI travaille, parle et agit pour changer l’Église. Si son horizon est souvent celui d’une restauration, ce mouvement de retour, comme toujours dans ce genre de situation, est producteur d’innovations historiques révélatrices de la fonction de l’Église dans la société médiévale de la fin du Moyen Âge, de ses ambitions mais aussi de ses limites. En considérant la question du comportement des clercs, du trésor des grâces, de la sainteté ou encore du savoir utile à l’Église, on voudrait donc, pour finir ce livre, prendre la mesure de sa pratique concrète du gouvernement de l’Église. La critique des clercs (chap. 11), le jubilé de 1350 (chap. 12), la canonisation de saint Yves (chap. 13) et le contrôle doctrinal exercé sur l’université de Paris (chap. 14) sont l’occasion de montrer comment l’éloquence et la culture de Clément VI sont littéralement mises en œuvre, au service d’un projet de transformation de l’institution dont il est la tête. Ce projet cherche à lui rendre une place centrale dans l’univers social et politique de l’Occident du xive siècle et, d’une manière qui n’a peut-être pas suffisamment été soulignée, définit certains aspects du débat théologique et politique autour de l’Église et de la papauté jusqu’à la Réforme du xvie siècle.
Notes de bas de page
1 Pour une perspective générale sur l’Église, voir G. Alberigo, « Réforme et unité de l’Église », dans A. Vauchez (dir.), Cardinal Yves Congar (1904-1995), Paris, 1999, p. 9-25.
2 Pour une présentation récente de cette thématique, voir G. Naegle, « D’une Cité à l’autre : bien commun et réforme de l’État à la fin du Moyen Âge (France/Empire) », Revue française d’histoire des idées politiques, 32, 2010, p. 325-338.
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