Ribāṭ et idéal de sainteté à Kairouan et sur le littoral Ifrīqiyen du iie/viiie au ive/xe siècle d’après le Riyāḍ al-Nufūs d’al-Mālikī
p. 331-368
Texte intégral
1Au moment où Abū Bakr al-Mālikī rédige, vers 464/1072, son dictionnaire biographique Riyāḍ al-nufūs1 – dans un contexte marqué par les tensions consécutives à l’invasion hilalienne (il fut d’ailleurs témoin en 449/1057 du sac de Kairouan) sur fond de rivalités zīrīdo-ḥammādides, la montée des Almoravides dans le Maghreb, l’offensive normande en Sicile et la capitulation de Palerme –, le genre est déjà ancien. Il date, au moins pour l’Ifrīqiya, de deux siècles, puisqu’on attribue à Muḥammad b. Saḥnūn (m. 256/870) un Kitāb Ṭabaqāt al-‘ulamā’, ouvrage perdu, suivi, moins d’un siècle plus tard, par Abū l-‘Arab (m. 333/945) à qui l’on doit pas moins de trois dictionnaires biographiques, dont les Ṭabaqāt ‘ulamā’ Ifrīqiyya, l’une des sources essentielles du Riyāḍ. À ces témoignages généralement soigneusement recopiés et cités, à la manière des gens du ḥadīṯ, viennent s’ajouter ceux, plus tardifs, récoltés par l’auteur lui-même, d’œuvres contemporaines et de récits oraux, le tout couvrant quatre siècles de présence et de diffusion de l’islam en Ifrīqiya. Cette documentation est le fruit de lettrés, ‘ulamā’ et juristes suffisamment engagés dans la culture et dans la société de leur temps. Ce type de sources, confinées le plus souvent dans le statut d’informateur plus ou moins suspect sur les réalités du passé et dont la parenté avec les textes hagiographiques est grande, peuvent être appréhendées comme autant de productions de la culture de l’époque, du milieu de production (ici les savants mālikites), de la mentalité de ses hommes, de leurs représentations, bref, de leur vision du monde ; un objet tout à fait digne d’être pensé, dans sa visée même d’édification : les modèles idéaux que l’on cherche à accréditer, leurs références, leurs infléchissements et ce que ces derniers révèlent de l’histoire religieuse, de l’histoire politique et sociale, de celle de la cité et de celle d’une catégorie.
2Ce sont ces figures de la perfection humaine, parmi les saints et les ascètes, dont l’auteur veut « faire revivre la mémoire et propager les vertus », et qu’il propose à l’imitation de ses lecteurs, ainsi qu’il le dit en préambule, que ce travail s’attachera à éclairer. Il scrutera tout d’abord la notion et les fonctions de ribāṭ à l’époque de la rédaction du Riyāḍ : à quand remonte la plus ancienne agrégation des notions de dévotion et de sainteté à celles de guet ou de garnison ? Quels sont les lieux qui ont donné corps à la notion et à ses fonctions, et qu’on a souvent – abusivement pour l’époque – confondus avec elle ? Comment les désigne-t-on ? Quelles pratiques religieuses et sociales y voit-on à l’œuvre ? L’étude pointera ensuite vers l’idéal de sainteté mis en avant dans ces notices, la première école ascétique et mystique de Kairouan, et les figures du saint homme dont on tentera d’éclairer les contours. Hady-Roger Idris avait brossé, au siècle dernier, à partir du Riyāḍ2, un « portait du saint » et, plus généralement, un tableau sur la vie religieuse à Kairouan sous les Aghlabides et les Fatimides. Notre propos ici est différent : il s’agit de réfléchir, à partir de l’idéal de sainteté exalté par ces notices, sur la visée de l’auteur pris lui-même comme objet, dans le rapport, jamais simple, qu’il a à sa propre histoire, à la culture du groupe auquel il appartient, à cette galerie d’hommes qu’il souhaite faire passer à la postérité, à l’Orient, au pouvoir politique tenu en principe pour suspect ; bref, nous prêtons ici une plus grande attention au processus même de production de la mémoire hagiographique de la cité et de son histoire sainte.
L’AUTEUR ET LA SOURCE
3Issu d’un milieu de savants et de juristes, Abū Bakr fut souvent confondu avec son père Abū ‘Abd Allāh Muḥammad b. ‘Abd Allāh al-Mālikī (m. 438/1047 ou 444/1052), compagnon du juriste kairouanais Abū l-Ḥasan al-Qābisī (m. 403/1013), lequel lui donna son surnom de Mālikī au lieu de Šāfi‘ī3. Il séjourna quelque temps en Sicile et y étudia ; il eut de nombreux disciples dont le juriste al-Māzarī (m. 536/1141). Il mourut à une date au moins postérieure à l’année 464/1072, date présumée de rédaction du Riyāḍ consécutive à l’occupation par les Normands d’une partie de l’île, puisque l’auteur évoque, dans son récit sur la prise de la Sicile par Asad b. al-Furāt, « le châtiment que Dieu envoya aux musulmans de Sicile à cause de leurs turpitudes et les plaça sous le joug de leur ennemi4 ». Certains placent sa mort en 474/1081. L’ouvrage fut aussi parfois attribué, au moins en partie, à son père dont il n’aurait été que le continuateur5.
4Al-Mālikī s’efface humblement devant l’autorité de ceux dont il rapporte le témoignage ; quand il lui arrive d’ajouter quelques réflexions, il le fait soit sur le mode impersonnel (« ‘Abd Allāh a dit… »), soit très discrètement, à la fin du récit, sans se nommer. Parmi ses sources ifrīqiyennes écrites, se trouvent les Ṭabaqāt d’Abū l-‘Arab b. Tamīm (m. 333/945)6, la Mudawwana de Saḥnūn, les Ṭabaqāt de Muḥammad, son fils, qui ne nous sont parvenues que par ces emprunts, ainsi que des sources dont il se contente simplement de décliner l’identité de leurs auteurs, des textes de sermons, d’exhortations et d’oraisons qu’il a eus entre les mains, des informations orales recueillies directement auprès de contemporains ou celles, nombreuses, attribuées à son maître al-Qābisī (m. 403/1013), sans pour autant citer sa source directe ; au nombre également de ses sources, il convient de citer les classiques : le Muwatta’ de Mālik, les Sunan d’Abī Dāwud, le Saḥīḥ de Muslim, celui de Buḫārī, Ṭabarī, etc. La copie qui nous est parvenue est-elle le résumé d’un ouvrage plus volumineux ? On l’a longtemps admis ; en tout cas, il semblerait que, à l’époque du Qāḍī ‘Iyāḍ (m. 544/1149), une copie plus détaillée était en circulation7, voire un troisième tome du Riyāḍ8 où devaient figurer des notices de ‘ulamā’ et sulaḥā’ morts en 395/1004, ou encore des faits ayant eu lieu en 413/1022 ou en 419/1028, rapportés par Ibn Nāğī dans son Ma‘ālim al-īmān9 d’après al-Mālikī. Quant à la période chronologique couverte par la copie actuelle du Riyāḍ, elle commence à l’arrivée des premiers contingents musulmans au viie siècle de l’ère chrétienne et se termine à l’année 356/966, date de la mort d’al-Sabā’ī, dont la notice est la dernière figurant dans le Riyāḍ, donc quelques années avant la fin de la présence fatimide en Ifrīqiya (362/973). Le plan de l’œuvre a déjà fait l’objet de nombreuses présentations ; nous retiendrons simplement qu’il s’ouvre sur les mérites de l’Ifrīqiya et de Kairouan, puis l’auteur enchaîne sur le récit de la conquête jusqu’à Ḥassān b. al-Nu‘mān, et entame les notices biographiques à proprement parler. Celles-ci sont divisées, comme le veut la loi du genre né en Orient, en classes (ṭabaqāt), inaugurées par les Compagnons du Prophète, auxquels succèdent les Suivants (al-tābi’īn) qui constituent la 1re classe des ‘ulamā’ de la ville de Kairouan ; suivent la 2e, puis la 3e ṭabaqa, y compris ceux qui n’ont eu aucun rapport avec Mālik ; la 4e classe est consacrée à Saḥnūn et à ses compagnons, tandis que la 5e est inaugurée par son fils, Muḥammad b. Saḥnūn. Chaque classe est subdivisée, de manière plutôt factice, en deux sections : l’une est réservée aux juristes, traditionnistes, dévots et ascètes ; l’autre, aux dévots et ascètes. Le deuxième tome est organisé non plus par classe mais par année (de 293/905-6 à 356/966), comportant chacune les notices des personnages morts cette année-là. Le Riyāḍ a été souvent utilisé et cité par les auteurs postérieurs, à commencer par les gens du Maghreb : al-Ṭurṭūšī (m. 525/1131), al-Māzarī (m. 536/1141), al-Q āḍī ‘Iyāḍ (m. 544/1149) dans ses Madārik. Dès l’année 598/1201-2, il fit l’objet d’un résumé par Yaḥyā b. Ibrāhīm b. ‘Alī ; enfin, l’Andalou Ibn al-Abbār le cite dans sa Takmila. Parmi les Orientaux, figurent l’historien égyptien Aḥmad b. ‘Abd al-Q ādir b. Maktūm al-Q aysī (m. 749/1348) et, au siècle suivant, Ibn Ḥağar al-‘Asqalānī dans son Tahḏīb al-tahḏīb10.
LE CONTEXTE DE CES NOTICES
5Nous nous contenterons de quelques repères11 : sous les Aghlabides, l’Ifrīqiya devient principauté autonome, elle connaît à ses marges méridionales et dans l’Aurès une agitation ḫāriğite, et le pouvoir doit affronter des foyers d’opposition fomentés par les Arabes du ğund. Le contexte est encore fortement marqué par une idéologie de djihad dont attestent les différents ouvrages fortifiés dont se dote le ṣāḥil (littoral) ; la conquête, entreprise à partir du Qaṣr de Sousse, de la Sicile en 211/827 sous le commandement de Asad b. al-Furāt fut l’un des moments forts de la dynastie, suivie de celle de Malte (255/868). Ziyādat Allāh s’enorgueillit d’avoir « avancé pour le jour du Jugement » en termes de bonnes œuvres : la et idéal de sainteté à kairouan et sur le littoral ifri ̄qiyen 335 reconstruction de la Grande Mosquée de Kairouan (moyennant 86 000 dinars) et la construction, en 206/821, du ḥiṣn (forteresse) de Sousse12. Au niveau de la vie religieuse, les doctrines iraquiennes (ḥanafites) et médinoises (mālikites) semblent bien représentées, et les discussions sont âpres entre les tenants des deux écoles. L’image des ‘Irāqiyyūn, comme l’a montré Mohamed Talbi13, est bien noire dans ces notices : ils sont montrés en collusion constante avec les milieux impies de la cour, sorte de « repoussoir à l’immaculée et farouche vertu des disciples de [Mālik] ». Kairouan, où le credo sunnite énoncé par Saḥnūn aurait mis plus longtemps qu’on ne le croit à être unanimement accepté, devint bientôt le centre le plus important de l’école mālikite. La ville vivait une intense fermentation religieuse, et les débats entre les tenants de l’école ḥanafite et les tenants de l’école de Médine (mālikites), mais aussi entre ces derniers et les différentes firaq (qadariyya, ğabriyya, murği’a, mu‘tazila) dégénéraient souvent en persécutions, suivant en cela de près le climat d’agitation politico-religieuse qui secouait la capitale abbasside, notamment au moment de la miḥna et des persécutions, par le mu‘tazilisme officiel, de ses adversaires. Au centre de certaines polémiques était la question des karāmāt, les prodiges des saints et leur véracité ; certains, y compris des autorités mālikites, avaient répugnance à les admettre. Il était de coutume de refuser la judicature (le qaḍā’), une fonction dangereuse pour son propre salut, et les notices louant le scrupule des qāḍī-s de l’époque et leur simplicité abondent. Il est vrai que la responsabilité incombant à certains d’entre eux, sous l’émir Ibrāhīm b. Aḥmad – surveiller, châtier, destituer et nommer gouverneurs et percepteurs, s’occuper de police urbaine et de voirie –, dépassait largement les attributions judiciaires d’un simple qāḍī. L’opposition des dévots et savants kairouanais aux princes au pouvoir dont ils critiquaient les abus, notamment la fiscalité illégale au regard de la Loi, ainsi que les mœurs et les abus de pouvoir, est une autre facette de ce contexte, tout en sachant que la révolte, sabre à la main, contre l’imām même injuste est prohibée, comme le rappelle un propos attribué à Saḥnūn.
6La prise du pouvoir par les Fatimides devait inaugurer une nouvelle étape, et il est évident ici que le tableau que nous renvoient les sources sunnites de cette époque est largement déterminé par les convictions et les sympathies de leurs auteurs, et qu’il est à prendre avec beaucoup de précautions. Les récits abondent sur les avanies encourues sous les nouveaux maîtres du pays par le Mālikisme ifrīqiyen et ses représentants les plus notoires : des enseignements étaient traqués, voire supprimés ; certains savants auraient été contraints à se cacher à la campagne, d’autres à s’enfuir en al-Andalus, tel Abū l-Q āsim b. Uḫt al-Ġassānī, où il fut bien accueilli à la cour d’al-Ḥakam14, ou encore en Orient15. Certains qaṣr-s auraient été évacués et transformés en arsenaux (en réalité, l’activité de ribāṭ aurait déjà baissé sous les Aghlabides), les muftis auraient été empêchés d’émettre des responsa selon le rite de Mālik, certains auraient été molestés, fouettés et emprisonnés16. En réalité, il semblerait qu’on n’ait pas cherché réellement à convertir massivement les gens et que les nouveaux dirigeants aient tôt fait de constater que le Mālikisme était plutôt solidement implanté ; la fiscalité, déjà lourde sous les Aghlabides, continua de l’être sous un régime « tendu vers des conquêtes extérieures », dans un contexte marqué, néanmoins, par un essor économique commencé sous les Aghlabides. Cependant, l’hostilité des tribus berbères, encore adeptes du ḫāriğisme, envers les Kutāma ne faisait que croître ; la révolte d’Abū Yazīd rassembla dans un mécontentement commun élites mālikites des villes – dont de nombreux saints – et partisans de l’« homme à l’âne ».
UNE NOTION AMBIVALENTE
7Il n’est pas dans nos intentions de refaire ici l’archéologie de la notion de ribāṭ et de ses multiples usages, ainsi que l’analyse de l’« histoire et [du] développement de l’institution17 » ; néanmoins quelques remarques s’imposent.
8Les occurrences coraniques de la racine r.b.ṭ18. se limitent, certes, à cinq : dans les trois premières, Dieu raffermit (rabaṭnā, yarbiṭu) le cœur19 : des Gens de la Caverne (comme dans XVIII, 14), de la mère de Moïse (comme dans XX VIII, 10) et enfin des croyants à la veille de la bataille de Badr (comme dans VIII, 11) ; la quatrième est un impératif catégorique rābiṭū (III, 200)20 et la cinquième est le nom verbal (maṣdar) ribāṭ (VIII, 60) associé aux chevaux (wa min ribāṭ al-ḫayl)21. On ne peut, cependant, associer ces deux derniers versets par un contexte commun, « celui de préparation au combat ». D’ailleurs, l’exégèse du verset III, 200 a donné lieu, au moins, à deux interprétations que reflète bien la traduction : ici, dans un sens plus figuré (Masson, Hamidullah), là, dans un sens plutôt propre (Berque). Dans la première, favorisée, entre autres, par Ibn ‘Abbās, Compagnon du Prophète, la notion de murābaṭa est expliquée par « persévérance dans le lieu d’adoration et fermeté » (al-mudāwama fī makān al-‘ibāda) ou encore par l’« attente, une fois la prière terminée, de la prière suivante22 ». À l’appui de cette exégèse, est cité un ḥadīṯ que Muslim (m. 261/875) et Nasā’ī (m. 303/915) ont puisé chez Mālik (m. 179/795), dans la recension de l’andalou Yaḥyā b. Yaḥyā al-Maṣmūdī (m. 234/848)23, et sera repris également par Ṭabarī (m. 310/922), et qui donne au ribāṭ un contenu essentiellement dévotionnel : « Voici ce par quoi Dieu efface les péchés et élève les degrés […] : la persévérance dans la purification rituelle (isbāġ al-wuḍū’ ‘alā al-makārih)24, la fréquentation assidue des mosquées (kaṯratu al-ḫuṭā ilā al-masāğid), se tenir en alerte après chaque prière dans l’attente de la suivante (intiẓār al-salāt ba‘da al-salāt) ; cela est le vrai ribāṭ (fa-ḏālikum al-ribāṭ)25. » On attribue au Prophète lui-même l’exégèse de ce verset par la tradition citée ci-dessus, ajoutant : « Ceci est le ribāṭ dans les mosquées (faḏālika huwa al-ribāṭ fī-l-masāğid)26. »
9La deuxième exégèse, qui ne peut, en effet27, qu’être plus tardive, car il ne peut s’agir encore dans le contexte de la révélation de frontières (ṯuġūr), et encore moins de guerre de position, associe murābaṭa à la garde des frontières face à l’ennemi, mobilisant de nombreuses traditions28 de nature à motiver les plus récalcitrants, comme par exemple : « Le ribāṭ un jour et une nuit est meilleur que le jeûne et le qiyām29 un mois ; si celui qui le pratique meurt, il continue de recevoir rétribution de son œuvre30 et ce, jusqu’au Jour de la Résurrection, et il est à l’abri des tourments de la tombe (ya’man fitnat al-qabr)31. »
10Sans entrer dans des considérations sur les contextes historiques particuliers de mise en circulation de ces traditions et sur les divergences parfois notoires entre elles, on retiendra surtout de ce qui précède que l’idée de dévotion a été agrégée, dès la fin du iie/viiie siècle, à la notion de ribāṭ telle que diffusée par les recueils de traditions, notamment le Muwaṭṭa’ de Mālik, dans sa recension la plus connue, et dans les ouvrages de tafsīr ; elle serait même l’une des exégèses les plus anciennes du coranique rābitū : on a voulu y voir la quintessence du modèle de piété et d’observance scrupuleuse. D’autre part, l’idée que c’est la piété qui donne la victoire plus que la force des armes s’est aussi très tôt implantée32 ; le fondement scripturaire serait probablement à rechercher dans la bataille de Badr33, ou encore dans Coran, II, 249 : « “Combien de fois une petite troupe d’hommes a vaincu une troupe nombreuse avec la permission de Dieu ?’’ Dieu est avec ceux qui sont patients. » Piété et ascèse ne furent certes pas le lot de la masse des hommes en ribāṭ, y compris en Ifrīqiya ; néanmoins, ce tandem y apparaît comme participant de plain-pied de l’idéologie de la fonction ribāṭ et de sa culture, telles que les propagent savants et juristes de l’époque ; et nous en avons un exemple clair dans le Riyāḍ de Mālikī et dans les sources qu’il compile.
LES LIEUX DE RIBĀṬ
11Je ne reviendrai pas sur les différents travaux d’identification réalisés ces dernières années34 sur les qaṣr-s du Sāḥil ifrīqiyen, l’arrière-pays défensif de Kairouan, une sorte de bouclier allant de Hergla au nord, jusqu’à Sfax au Sud, sur une ligne côtière de plus de 150 km du qaṣr al-Madfūn sur le golfe de Hammamet au qaṣr Ziyād. Au total 26 qaṣr-s, dont 18 sont exactement identifiés et dont la fourchette de datation va de l’époque des Wullāt, des gouverneurs (180/796), pour le qaṣr de Harṯama à Monastir35, jusqu’à la période ziride (début xie siècle), mais dont la majorité remonte à l’époque aghlabide (Abū Ibrāhīm Aḥmad 245/859). Je ferai néanmoins remarquer que, parmi les caractéristiques dégagées par ces travaux, nombre de ces édifices ont été bâtis par des particuliers : qaṣr Ziyād (par ‘Abd al-Raḥīm al-Rab‘ī en 212/827), qaṣr Ibn Ğa‘d (distant de 500 m du qaṣr al-Munastīr), qaṣr Sahl (m. 248/862), qaṣr Duwayd (construit en 240/854), etc. Je n’évoquerai pas non plus la toponymie de ces lieux liée soit aux noms de sites antiques (la moitié environ), soit aux noms de dévots ifrīqiyens, ni les dimensions de ces édifices, pouvant varier de 20 à 60 m de côté.
12En revanche, on peut s’arrêter un instant sur la terminologie employée par les sources : qaṣr (forteresse)36, qaṣaba (citadelle), maḥris (rendu souvent par « corps de garde », pouvant aller de la simple tour de guet au fortin ou encore à la forteresse), hiṣn (fort) et pratiquement à aucun moment ribāṭ, pour désigner ces fondations, terminologie qui reste à élucider, tant il est vrai que l’usage du mot ribāṭ peut aussi bien référer au lieu où s’exerce la fonction de ribāṭ37, à celle-ci et enfin à l’institution qui l’incarnera. C’est surtout sur la ou les fonctions assumées par ces fondations et le profil de leurs habitants que nous allons nous arrêter. D’ailleurs, toutes les fois pratiquement où ce mot est utilisé dans le Riyāḍ et chez les auteurs qu’il compile, c’est dans le sens non pas d’un édifice38 mais de la fonction de ribāṭ :
13« J’accompagnai Abū ‘Abd Allāh al-Msūhī dans l’exercice du ribāṭ, nous mîmes pied à terre chez certains de nos ‘‘frères’’ (saḥabtu Abā ‘Abd Allāh al-Msūhī ilā al-ribāṭ, fanazilnā manzilan li-iḫwānin lanā) » ; un autre rapporteur dit : « J’accompagnai al-Msūhī pour faire la ronde [des forts husūn] et quand nous arrivâmes au fort de Sousse […] (saḥabtu al-Msūhī ilā al-dawr ḥattā iḏā intahaynā ilā ḥiṣn Sūsa […])39. »
14De même que « sur la frontière byzantine, dans les textes du iiie/ixe siècle, il n’est jamais question d’un édifice qui serait nommé ribāṭ […], le mot ḥiṣn [y] semble dominant40 », pour l’Ifrīqiya la documentation utilise surtout qaṣr, ḥiṣn et maḥris.
15Si on s’accorde en général sur le devenir de l’institution ribāṭ et de l’édifice qui l’incarnera, à la basse époque, notamment au ixe/xve siècle, où les ribāṭ-s suivent une évolution sensiblement comparable à la zāwiya dans leurs fonctions (y compris celle de caravansérail et d’hôtellerie pour voyageurs et pèlerins), la nature de leurs pensionnaires, le type de spiritualité qu’ils diffusent, leurs ressources, leur organisation intérieure et l’apparition d’une division des tâches au niveau de la gestion de ces institutions, on est beaucoup moins unanimes sur l’appréciation de la nature des premiers ribāṭ-s ifrīqiyens et encore moins précis sur l’évolution diachronique de l’institution et de la notion de murābiṭ, dont les sources font usage, sans que l’on puisse cerner de manière toujours concluante le sens qu’il convient de donner à l’homme (ou à la femme, car le féminin murābiṭa est également utilisé) « faisant acte de ribāṭ ou de murābaṭa ».
16On a tenu jusque-là pour acquise l’idée que « le ribāṭ est à l’origine une institution militaire [qui] s’est transformée en un lieu de retraite pour les ascètes, et même en un couvent pour les soufis, [sans perdre] pour autant sa vocation originelle41 ». Cette idée résiste-t-elle à l’examen des sources ?
Ribāṭ, djihad et eschatologie
17Mohamed Talbi a bien décrit l’image, foncièrement négative, des Berbères et, par-delà, des Ifrīqiyens, sous la plume des auteurs orientaux ainsi que leur profond dédain des choses du Maghreb, et en même temps l’exaltation par les Ifrīqiyens, Ḥadīṯ à l’appui, du mérite de l’Ifrīqiya, terre de martyre et de richesses (« quiconque va en Ifrīqiya trouve biens sur biens42 »). En effet, à l’époque où sont rédigées ces sources, des traditions pour la plupart apocryphes, à portée eschatologique, dans lesquelles on aurait ajouté des références au Maghreb vantant le mérite de l’Ifrīqiya et de Monastir, circulent abondamment ; l’Ifrīqiya et le Maghreb y sont représentés comme terre de djihad inscrite dans la perspective eschatologique. Al-Mālikī commence son ouvrage par deux chapitres sur « Ce qui est rapporté [dans le Ḥadīṯ] des mérites de l’Ifrīqiya et de Monastir (mā ğā’a fī faḍl Ifrīqiyya wa l-Munastīr) » et sur « Les mérites de Kairouan (faḍl al-Qayrawān) », notamment le ḥadīṯ lā yazālu ahl al-Maġrib (Muslim parle seulement de ahl al-ġarb, étymologiquement « des hommes forts et courageux ») : « Les gens du Maghreb continueront à faire triompher le vrai jusqu’à ce que vienne l’Heure. » Ces traditions louent la permanence du djihad en Ifrīqiya jusqu’à la fin des temps, considérée comme imminente, alors que partout ailleurs le combat dans le sentier de Dieu se sera arrêté, le tout dans une sorte d’apocalypse et en évoquant la récompense qui attend ces martyrs de la foi : « Quand le djihad se sera partout arrêté, il ne subsistera que dans un seul lieu de l’Occident, appelé l’Ifrīqiya ; alors que les hommes seront face à leur ennemi, ils regarderont les montagnes en marche, et se prosterneront devant Dieu – loué soit-Il dans Sa transcendance – ; ne les dépouilleront de leurs tuniques que leurs serviteurs du Paradis43. » Dans une autre tradition, Monastir est représentée comme l’une des portes du Paradis ; d’ailleurs un ḥadīṯ évoque la vertu sotériologique du ribāṭ (forme verbale) durant seulement trois jours à Monastir et dont la récompense est le Paradis.
Être en ribāṭ, c’est à la fois faire ascèse pieuse et tenir garnison
18Plusieurs notices du Riyāḍ accréditent l’idée qu’être en ribāṭ, c’est à la fois faire ascèse pieuse et tenir garnison, même si un certain flou entoure, dans plus d’un passage, l’évocation de cette activité dont ni l’auteur ni les sources qu’il compile ne déclinent le contenu. ‘Abd al-Mu’min b. al-Munastīr al-Ğazrī44, de la troisième classe des juristes de Kairouan, parmi ceux qui ont connu Mālik, « était un saint (sāliḥ) qui pratiquait beaucoup le ribāṭ (kaṯīr al-ribāṭ) et qui racontait de nombreuses anecdotes sur ses étrangetés (ġarā’ib)45 ». Dans la notice de Saḥnūn (m. 240/854) figure, rapporté par les Ṭabaqāt d’Abū l-‘Arab, ce propos attribué à l’auteur de la Mudawwana : « Nous faisions acte de ribāṭ (nurābiṭu) au qaṣr al-Munastīr, [accompagné de quelques-uns de nos compagnons] pendant le mois de Ramadan, et Mūsā était de nous tous le plus pieux46. »
19Les deux fonctions d’ascèse et de garnison apparaissent cette fois plus clairement dans les trois extraits suivants. Si le mot de ribāṭ n’est guère employé dans deux d’entre eux, on remarquera, à l’opposé, une sorte d’inflation dans l’usage du radical r.b.ṭ., utilisé dans non moins de trois formes grammaticales, dans le troisième extrait. L’intérêt de ce texte dont nous donnons ci-dessous une traduction in extenso est non seulement de mobiliser, côte à côte, les deux sens du mot ribāṭ – l’acception militaire et l’acception dévotionnelle –, mais aussi de référer clairement aux usages mis dès le iie/viiie siècle en circulation par la tradition, notamment de faire ribāṭ dans les mosquées :
- Muḥammad b. Saḥnūn (m. 256/870), rapporte al-Mālikī d’après al-Labīdī, quitta Kairouan pour qaṣr al-Ṭūb aux fins de retraite pieuse (al-‘ibāda) et de monter la garde des musulmans (al-ḥars ‘alā al-muslimīn)47.
- Makram al-muta‘abbid bi-l-Munastīr « le dévot, celui qui s’est voué à l’adoration à Monastir » [et dont la retraite pieuse dans le qaṣr al-Kabīr lui vaut de marqueur d’identité], « habitait, écrit al-Mālikī [qui est seul à nous livrer cette notice], al-Qaṣr al-Kabīr et c’est là qu’il fut enterré au bord de la mer ; une tour du qaṣr porte à ce jour [c’est-à-dire à l’époque de l’auteur] son nom. Il était de ceux qui se réunissaient avec al-Ḫadir48 ; ce dernier restait à l’extérieur de la tour et le saint sortait sa tête de la lucarne et lui parlait […]. Il pratiquait abondamment le guet (kaṯīr al-ḥars) ; quand Ibn al-Ğa‘d vint à Monastir et voulut construire un qaṣr dans l’île de Monastīr49, il en demanda la permission à Makram ; ce dernier en avait eu une vision, une nuit où il était de faction50.
- Al-Mālikī rapporte ce propos attribué à Abū al-Ahwas (m. 284/897), un dévot d’origine marocaine qui était en ribāṭ au qaṣr de Sousse, et qui s’adressa en ces termes à l’émir aghlabide Ibrāhīm b. Aḥmad (261- 289/875-902)51 : « Ce pays est peuplé, c’est une région frontière (ṯaġr) et elle est la destination des gens de l’Ifrīqiya. C’est là qu’ils tiennent garnison52 et les Kairouanais la veille du vendredi y font acte de ribāṭ (yurābiṭūna ilayhi) et la mosquée ne peut les contenir53. Je souhaiterais que tu la leur agrandisses54 dans l’intérêt des gens, des veuves et des orphelins et pour le repos de ceux qui, parmi les étrangers, les murābiṭūn et les reclus consacrés à l’adoration de Dieu, viennent aux mawsim55 (les “saisons”)56. » Et Mālikī d’ajouter, nostalgique, en guise de conclusion à la notice : « Dans la ville de Sousse à cette époque-là, on ne voyait rien de blâmable : ni vin, ni divertissements, ni musique ; ses habitants étaient occupés à faire la guerre (al-ḥarb), à monter la garde des musulmans et des musulmanes, à prier la nuit et à jeûner le jour57. »
20Sans toujours prendre au pied de la lettre les chiffres avancés, à des fins d’édification, par nos notices, ces dernières accréditent souvent l’idée d’un séjour prolongé dans ces qaṣr-s : le chiffre de quarante, dont la portée symbolique est bien connue, revient souvent ; d’autres évoquent un séjour de soixante, voire de soixante-dix ans comme ce Ḫalaf al-Sirtī (m. 331/942) dans le qaṣr al-Ṭūb, près de Sousse58.
Construire un qaṣr vaut mieux que participer à une conquête
21Le récit figurant dans la notice de ‘Abd al-Raḥīm al-Rab‘ī, le constructeur du qaṣr Ziyād et celui qui y séjourna (sakana Qaṣr Ziyād wa huwa al-laḏī tawallā binā’ahu), mérite, par sa portée symbolique, l’attention ; on remarquera, au passage, que la notion de ribāṭ ici n’est pas claire, néanmoins le caractère défensif de ces constructions fortifiées est attesté, ainsi que la fonction de garnison assumée par leurs occupants. Le récit est rapporté par Abū l-‘Arab dans ses Ṭabaqāt : le propos est attribué à Saḥnūn – dont al-Rab‘ī fut l’un des compagnons –, voulant le dissuader de partir avec Asad pour la conquête de la Sicile :
« Tu m’avais dit que tu souhaitais construire qaṣr Ziyād et que tu avais des informations te faisant craindre un danger par terre et par mer ; ta construction de ce qaṣr est une protection pour les musulmans et un secours pour eux ; ils pourront s’y réfugier et y pratiquer le ribāṭ (wa yurābiṭūna fīhi) ; cela vaut bien mieux que ton départ pour la Sicile » ; il le construisit après en avoir reçu un rescrit (siğill) de la part de l’Aghlabide Ziyādat Allāh. Pour cela il dépensa la somme de 12 000 dinars [6 000 de son propre argent] et 6 000 de chez ses frères, cela eut lieu en l’an 212/82759. »
La « maison de Mālik »
22Ces édifices fortifiés (qaṣr-s) apparaissent, sous la plume de Mālikī mais également dans la documentation de l’époque, comme des lieux de diffusion du fiqh de Mālik et où se retrouvent aussi nombre de juristes et de ‘ulamā’ ; ils ne semblent pas être l’apanage des seuls ascètes et soufis. Ainsi peut-on lire, dans les Manāqib d’al-Ğibinyānī (m. 369/979), qu’au qaṣr Ziyād se trouvaient, faisant acte de murābaṭa, 14 compagnons de Saḥnūn, et que ce qaṣr fut appelé « dār Mālik » (la maison de Mālik) vu le nombre des hommes de science qui s’y retrouvaient60. C’est là que, aux dires de l’un d’entre eux, ils apprirent la Mudawwana, étudiant de jour et récitant de nuit61. Au-delà de la vision idéalisée de cette époque de Saḥnūn et de la geste de ses compagnons que l’on retrouve dans la littérature d’édification durant tout le Moyen Âge ifrīqiyen, ce propos est corroboré par d’autres témoignages, puisés dans le Riyāḍ cette fois, sur la fréquentation aussi bien par les ascètes que par les savants de la meilleure tradition de ces lieux de ribāṭ. En revanche, au ve/xie siècle, le qaṣr ainsi que celui de Monastir semblent être devenus exclusivement des lieux de retraite pieuse62.
Les quṣūr, entre scrupule et suspicion
23Ces lieux de ribāṭ étaient-ils pour autant au-dessus de tout soupçon ? Mis à part le purisme des plus scrupuleux de leurs habitants, la masse des murābiṭūn se seraient-ils plutôt laissés aller à une certaine douceur de vivre, et y aurait-on observé une certaine liberté dans les mœurs ? C’est l’idée qui se dégage à la lecture de certaines notices laissant affleurer, malgré le discours lénifiant, des tensions, voire des critiques parfois acerbes quant à la moralité de certains pensionnaires. Suspectés aussi étaient les himā-s63, au sujet desquels on assiste à un débat, assez étonnant, vers la fin du iiie/ixe siècle, sur leur statut lié à celui de la conquête de l’Ifrīqiya (de force ‘unwatan ou par traité sulḥan), et donc sur la licéité de leur exploitation par les habitants des ḥuṣūn, mais aussi sur la conduite qu’il convient d’adopter par les murābiṭūn :
Abū l-Faḍl Yūsuf b. Masrūr al-Ṣayrafī (m. 324/935) rédigea un ouvrage sur les ahmiya (pl. de himā) et sur la manière de se conduire des ahl al-ḥuṣūn, lesquels, pour cette raison, le détestaient64 : « Car je constatai que les ‘ulamā’ n’avaient pas tranché la question du statut juridique de la conquête de l’Ifrīqiya ; aussi ai-je recommandé notamment à qui veut s’installer [dans un qaṣr] d’avoir de quoi subvenir à ses besoins, et s’il s’agit d’un artisan, qu’il s’adonne à son métier et fasse dépense pour lui-même, ainsi il recevra rétribution pour son ribāṭ, et s’il n’a pas assez de force physique qu’il laboure, selon ses besoins, chez ses frères, ceci est meilleur, à mon avis, que de labourer dans le ḥimā en raison du caractère suspect de ce dernier65. »
24De nombreuses notices stigmatisent le laxisme des murābiṭūn66, montrés en train de piler leurs épices pour la préparation de leur repas, ou encore ne faisant pas montre d’empressement à porter à l’un de leurs frères reclus un bol de nourriture, ou enfin, davantage préoccupés de leur verger dans le himā que de leur dévotion ou de leur guet ; ce laisser-aller aurait-il entaché leur ‘ibāda et rendu de ce fait tout commerce avec eux suspect ?
25Le qaṣr al-Munastīr, malgré le prestige du lieu, avait-il déjà du temps de Saḥnūn, donc au iiie/ixe siècle, commencé à être suspecté au niveau de la moralité de ses occupants et de sa réputation d’ascétisme ? C’est l’idée qui ressort d’un propos attribué à l’auteur de la Mudawwana à l’un de ses étudiants andalous qui souhaitait y habiter ; il l’en dissuada, l’encourageant à se consacrer à l’étude (al-laḏī anta fīhi awlā), propos qui n’est pas sans rappeler la position de Mālik sur le « vrai ribāṭ ». Puis, devant l’insistance de son élève, il le mit en garde contre quatre choses : « Éviter de s’asseoir dans le vestibule, éviter de prendre un champ ou un verger dans le himā, s’abstenir de recevoir l’aumône des occupants et s’abstenir de leur servir d’imām67 » Le Riyāḍ rapporte également que ‘Abd al-Raḥīm (m. 247/861), le constructeur de qaṣr Ziyād, scandalisé par l’opulence dans laquelle vivaient les habitants du qaṣr al-Kabīr de Monastir, et qui contrastait avec l’ascétisme et le dépouillement de ses anciens occupants, décida de ne plus y mettre les pieds68.
26Tel autre récit concerne qaṣr Ibn al-Ğa‘d, à 500 mètres du qaṣr al-Kabīr. Au détour d’une anecdote édifiante, le texte laisse affleurer des réalités moins reluisantes : al-Mālikī nous signale que l’un des jeunes pensionnaires (šāb) du qaṣr, parmi les voisins de cellule du šayḫ Abū l-Faḍl al-Ġadāmisī (mort presque centenaire en 349/960)69, a été surpris par ce dernier en train d’embrasser un jeune garçon (ḥadaṯan). Submergé par un sentiment de honte (wadda annahu lam yuḫlaq ḥayā’an wa ḥišmatan) et craignant d’être démasqué par le šayḫ devant les autres murābiṭūn (wa tawwahama anna Abā al-Faḍl yaḥkī ‘anhu li l-murābiṭīn mā ra’āhu), le jeune homme qui, apprend-on plus loin, faisait en outre fonction de lecteur du Coran et de muezzin dans le qaṣr, décide de quitter celui-ci et d’aller se réfugier à Sousse70. Rongé par le remords, que l’attitude empreinte de mansuétude, de compassion et d’humilité du šayḫ n’a fait qu’amplifier, le jeune homme se repent et, par la baraka de l’invocation du šayḫ, devient un modèle de scrupule et de perfection (wa sāra ilā ġāyat al-tasawwun wa l-kamāl)71.
27Ces extraits montrent que la désaffection pour les quṣūr, en tout cas pour certains d’entre eux, avait déjà commencé avant l’arrivée des Fatimides et qu’ils étaient au centre du débat sur la sacro-sainte question des biens en islam et de leur licéité, au regard du salut.
La désertion des quṣūr sous les Fatimides : un mythe ?
28Sur le destin de l’institution (les quṣūr) et de la fonction (ribāṭ) après l’arrivée des Fatimides, la documentation est assez floue, laissant parfois penser que, d’une manière générale, les quṣūr auraient été désertés depuis l’arrivée des Fatimides « qui ont évacué les occupants des ḥuṣūn et ont saccagé ces derniers » (wa lā yakūn ka-sā’ir al-ḥuṣūn al-latī aḫlūhā wa afsadūhā)72, en tout cas que le nombre de leurs pensionnaires se serait sensiblement réduit. Elle fait état de certaines mesures de confiscation ordonnées par des qāḍī-s acquis à la cause des nouveaux maîtres, tel al-Marūdhī qui, au récit du Riyāḍ, confisqua les biens des aḥbās et des forteresses, dépouilla ces dernières, qui se trouvaient sur les côtes, de leurs armes73. Cependant, dans d’autres passages, les sources donnent à penser que seuls certains qaṣr-s connurent ce sort. Al-Gammūdī, explique l’auteur du Riyāḍ, habitait d’abord qaṣr Ziyād :
‘Ubayd Allāh l’avait vidé de ses habitants et transformé en arsenal (wa ğa‘alahu maḫzinan li-‘uddat al-baḥr). Il évacua tous les occupants sauf al-Gammūdī, que personne n’osait déloger, et celui-ci y demeura seul pendant un certain temps, pensant que le qaṣr était peuplé par ses occupants (‘āmir bi-ahlihi) car il ne quittait guère sa cellule. Sorti un jour de celle-ci pour faire ses ablutions, il observa le qaṣr autour de lui et réalisa qu’il n’y avait pas âme qui vive ; il se renseigna et, apprenant que tous avaient été contraints de partir, il prit son outre et une peau de laine et alla s’installer au qaṣr al-Ṭūb74 près de la ville de Sousse75.
29Ce récit laisse supposer non seulement que le qaṣr Ziyād était encore en fonction, au moins comme lieu d’ascèse et de réclusion, mais aussi que le qaṣr al-Ṭūb où se réfugia le šayḫ fonctionnait encore. Notre documentation évoque un sāḥib al-maḥris des Fatimides, ce qui laisserait supposer que certaines de ces fondations, au demeurant de moindre facture que les quṣūr et les ḥuṣūn, le terme pouvant signifier « simple corps de garde », avaient été réquisitionnées par la nouvelle dynastie76. Ailleurs, on déplore le nombre réduit des murābiṭūn, mais l’économie du récit donne à penser qu’on est encore à l’époque des Aghlabides, vraisemblablement dans les dernières années de leur règne, ce qui permet d’émettre l’hypothèse que le nombre des hommes préposés à la murābaṭa avait probablement déjà commencé à se réduire du temps de cette dynastie, comme en témoignerait cette anecdote dans la notice d’un šayḫ (m. 324/935), dans laquelle on nous rapporte, sans que l’on puisse cerner exactement la date, « que le gouverneur demanda aux habitants de Sousse de se mobiliser pour faire le guet, car les murābiṭūn à ce moment-là étaient peu nombreux77 ». Des scènes de face-à-face entre princes de la dynastie fatimide (ici, par exemple, un cousin d’al-Manṣūr) et hommes de Dieu (ici al-Ḥusayn b. Naṣr al-Sūsī, m. 341/952), où le saint est montré comme le champion de l’orthodoxie face aux turpitudes et aux mœurs dépravées des membres de la famille régnante, au-delà de leur portée symbolique, accréditent l’idée que toute activité de ribāṭ n’avait pas disparu d’Ifrīqiya à cette époque, sans que l’on puisse être tout à fait péremptoire sur la nature de cette activité, dont néanmoins la fonction défensive paraît revendiquée par l’usage du mot ṯaġr : « Tu amènes le vice au lieu de ribāṭ des musulmans et à l’une de leurs frontières (wa ṯaġr min ṯuġūrihim) ; va-t’en, sinon nous mènerons la guerre sainte contre toi78. »
30L’idée d’une désaffection pour le séjour dans les quṣūr pendant la période fatimide, voire de leur désertion, serait-elle un mythe ? La documentation, inscrite dans une logique de combat contre ceux qui étaient considérés comme les ennemis de la vraie foi, attribue ce propos à l’un des ascètes les plus notoires de l’époque, une sorte de « ravi » en Dieu, Ğabala b. Ḥammūd al-Sadafī (m. 297/909), volontiers comparé à ‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb79 et qui alternait murābaṭa à qaṣr al-Ṭūb et magistère scientifique à Kairouan80 mais qui, à l’arrivée des Fatimides, aurait quitté le qaṣr et se serait installé dans la ville de ‘Uqba :
« On tenait jadis garnison face à un ennemi dont nous étions séparés par la mer ; aujourd’hui nous l’avons délaissé pour tenir garnison face à un ennemi qui est désormais parmi nous81 car il est plus terrible envers nous que les Byzantins (ašaddu ‘alaynā min al-Rūm). La prière du subḥ terminée, il se dirigeait vers l’extrémité de la ville, du côté de Raqqāda, muni de son arc et de ses flèches [de son épée et de son bouclier], et se postait en faction durant toute la journée ; au coucher du soleil, il rentrait chez lui82.
31Que le comportement de cet homme de Dieu soit de la sorte dramatisé et donné comme modèle de la conduite des sulaḥā’ de Kairouan face aux Fatimides, en l’occurrence ici dans une question aussi cruciale dans la culture et la pratique de l’époque qu’est la murābaṭa, c’est ce qui ressort de ce récit.
32Néanmoins, et au-delà de la portée symbolique que l’on veut donner à ce dernier, ce sont encore des lieux habités souvent de manière continue et non intermittente que nous montrent les notices du Riyāḍ, comme celle consacrée à Abū l-Faḍl al-Ġadāmisī, à travers les détails biographiques, souvent chiffrés, que Mālikī nous livre :
Questionné sur l’année à laquelle il fit son entrée à Monastir, Abū l-Faḍl al-‘Abbās al-Ġadāmisī83 répondit : « Je fis mon entrée en Ifrīqiya, venant de Ġadāmis84 en 286 durant le mois de ḏū l-ḥiğğa [décembre 899], où je mis pied à terre à Sousse85. J’y séjournai trois mois, puis, au mois de Rabī‘ al-awwal de l’année 287 [en mars 900] je m’installai à Monastir86. » Là, il se charge lui-même (ista‘mala nafsahu) de la tâche de laver les salles d’ablution. […] Il était au service des murābiṭūn, chargé notamment de ramasser le bois de la ša‘rā’87, de panifier pour les sulaḥā’ [les saints] du lieu et de réchauffer, la nuit, de l’eau à ceux d’entre eux désirant faire un ġusl (purification complète ou grande ablution) ou de simples ablutions. Il avait coutume de dire : « Je servis les murābiṭūn 30 ans et ils me servirent 33 ans88. »
33Un autre récit de la même notice, au-delà de son caractère d’édification, laisse à penser que le qaṣr (sa qaṣaba et ses faubourgs rabaḍ-s) était rempli de pensionnaires89. En 324/935, à l’enterrement d’al-Gammūdī, raconte al-Mālikī, « on vit arriver Sa‘dūn al-Ḫawlānī accompagné des gens des quṣūr en nombre impressionnant, les champs resplendirent de la lumière de leurs visages, tant ceux-ci rayonnaient à force de pratiquer la prière la nuit (qiyām al-layl) et le jeûne le jour90 ». Après son forfait au qaṣr Ibn al-Ğa‘d, le jeune voisin du šayḫ al-Ġadāmisī décide d’aller dans les autres quṣūr du littoral : qaṣr Šaqānis ou qaṣr al-Ṭūb, près de Sousse91. Al-Nawfalī, mort (en 354/965) âgé de 93 ans, vivait reclus dans le qaṣr al-Munastīr92.
34Ainsi il semblerait, contrairement à une certaine opinion, que les quṣūr, en tout cas au moins Ibn al-Ğa‘d, Šaqānis (à 5 ou 6 km), qaṣr al-Ṭūb et qaṣr al-Munastīr (comme tend à le confirmer la description infra figurant dans al-Bakrī), pour ne parler que de ceux-là, étaient remplis de pensionnaires. Que pour ces derniers, être en ribāṭ puisse désormais être uniquement synonyme de retraite pieuse dans des lieux consacrés, il y a peu encore, comme des citadelles inexpugnables de l’orthodoxie, des promontoires d’où étaient partis de preux combattants de la foi, peut se concevoir, de même que la possibilité de subvenir à leurs besoins – d’autant plus que d’une part les confiscations dont parle Mālikī peuvent ne pas avoir affecté tous les huṣūn, et que d’autre part l’exploitation des himā-s par les habitants des quṣūr avait déjà été critiquée avant l’arrivée des Fatimides. qaṣr Ibn al-Ğa‘d est montré retentissant, la nuit, des psalmodies du Coran, des pleurs et des lamentations de quatre šayḫ-s qui se répondaient de la sorte des quatre coins du qaṣr93.
Abū Ḥafṣ ‘Umar b. ‘Abd Allāh al-Ṣadafī (m. 349/960), quand sa réputation fut faite (lammā ištahara amruhu), avait coutume, quand commençait la « saison » (al-mawsim) [vraisemblablement de fréquentation du qaṣr par les habitants durant les mois sacrés à des fins de récollection et autres exercices de piété] et que le qaṣr [Ibn al-Ğa‘d] se remplissait de gens, de le quitter pour Sousse où il avait une épouse. Il s’habillait élégamment et différemment de son costume habituel par lequel on le reconnaissait et fréquentait le souk où il se conduisait comme les négociants, dissimulant ainsi son véritable état ainsi que sa vertu et se dérobant, de la sorte, à la foule de gens qui se pressaient devant sa cellule à qaṣr b. al-Ğa‘d, afin de le saluer et de recevoir sa baraka et afin qu’il invoquât Dieu pour eux […]. Dès que le mawsim se terminait, il revenait à sa cellule et remettait ses vêtements de bure94.
35Al-Bakrī, en 460/106895, évoque à l’extérieur de Sousse ses « maḥāris (corps de garde), ses rawābiṭ96 et lieux de rassemblements (mağāmi‘) pour dévots », tandis qu’à l’intérieur « se trouve un maḥris impressionnant, semblable à une ville et entouré d’une enceinte dont la construction est soignée, connu sous le nom de Maḥris al-ribāṭ97, lequel est un lieu de refuge (ma’wā) pour les élus (aḫyār) et les saints (al-sāliḥīn) […] ». Parmi les maḥāris de Sousse, figure Maḥris al-Munastīr et son « mawsim (saison) impressionnant le jour de la ‘Āšūrā’98, ainsi que ses chambres, ses cellules, ses moulins persans, ses citernes et la mosquée qui se trouve à l’étage et où se tient en permanence un šayḫ, homme de bien et vertueux qui assume la direction de la communauté (yakūnu madār al-qawmi ‘alayhi) ; on y trouve un groupe de dévots et de murābiṭīn99 qui s’y sont retirés, en solitaires, loin de leurs femmes et de leur clan (wa fīhi ğamā‘a min al-ṣāliḥīn wa l-murābiṭīn qad ḥabasū anfusahum fīhi munfaridīn dūna al-ahl wa l-‘ašā’ir)100 ». Il ajoute de manière encore plus significative : « À côté du qaṣr al-Munastīr se trouvent cinq maḥāris de belle facture habités par de saints hommes (ma‘mūra bi l-ṣāliḥīn)101. » Ainsi à la date où sont consignées les observations d’al-Warrāq, principal informateur d’al-Bakrī pour l’Ifrīqiya (ive/xe siècle), l’idée qui se dégage est celle d’institutions regorgeant d’hommes qui s’y sont retirés (à des fins d’adoration seulement ? Le texte incline à le montrer), et qui, à l’occasion de mawāsim, deviennent le centre d’une intense activité religieuse, et sont prises littéralement d’assaut par la ‘āmma (le commun). Si la fonction défensive peut paraître en retrait dans ces descriptions, en revanche la fonction dévotionnelle, qui se laisse déduire de la qualité des occupants, y est exaltée.
36Ainsi, peut-on émettre l’hypothèse que, avant même le ve/xie siècle – si l’on en croit le récit du Ma‘ālim –, cela faisait déjà au moins un siècle que les quṣūr ifrīqiyens étaient devenus des lieux consacrés à l’ascèse et à l’adoration, et habités par des sāliḥīn. D’autre part, se dégage clairement l’idée d’une fréquentation continue et non saisonnière de ces institutions, même si les mawāsim ponctuaient la piété du commun, les poussant comme naturellement vers ces lieux consacrés comme lieux d’excellence habités par des hommes d’excellence dont la baraka et le du‘ā’ (l’invocation) étaient recherchés. En lieu et place de l’idée répandue jusque-là d’une désertion de ces institutions sous les Fatimides, peut-on émettre l’hypothèse inverse : pour ces dévots, ces lieux ont-ils joué le rôle de refuges de l’orthodoxie, d’îlots de sunnisme et de temples de la vraie foi, où l’on pouvait, à l’abri des regards d’informateurs zélés, vaquer librement à ses exercices de piété ? De la même manière, et contrairement à l’image que la littérature sunnite d’édification, et le Riyāḍ en fait partie, véhicule sur les Fatimides et leur politique, cette même littérature permet, à son corps défendant, d’entrevoir qu’en somme les nouveaux maîtres du pays n’ont pas vraiment cherché à contrer le Mālikisme, qu’ils savaient suffisamment bien implanté, laissant finalement ce dernier s’épanouir à l’abri des quṣūr.
FIGURES ET IDÉAL DE SAINTETÉ
37Dans l’idéal de sainteté mis en avant par ces notices, l’homme « en faction », dont le ribāṭ est combat à la fois contre l’ennemi extérieur et contre l’autre, embusqué en soi, occupe une bonne place : martyr de la foi, il est, avec une égale ferveur, l’homme du scrupule qui tient comme suspects tout à la fois son ego (ou nafs), les princes de ce monde, les nouveautés (ou bida‘) et les biens. Il est l’homme contrit et affligé, l’ascète qui impose à son corps une excessive rigueur et qui quitte volontiers les siens pour sa siyāḥa (pérégrination) et pour son ribāṭ, l’homme qui ne vit que du labeur de ses mains, qui est humble devant ses frères, leur prodigue conseils et exhortations, et dont la sainteté est occultée102. C’est aussi l’homme de la ṣadaqa, prompt à la charité103. Il a une solide connaissance des sciences religieuses, notamment du Mālikisme. Les modèles sont à rechercher dans le Prophète, puis dans les Compagnons, les Califes bien guidés (al-ḫulafā’ al-rāšidūn), les Suivants et leurs successeurs. Dans l’éthique de l’époque, mieux vaut beaucoup de piété et peu de science que beaucoup de science et peu de piété104. Cependant, le ṭalab al-‘ilm (la quête de la science) reste l’une des vertus cardinales : « Toutes les œuvres pies ne sont que crachat dans la mer comparées au combat dans le sentier de Dieu ; le djihad et les œuvres pies réunies ne sont que crachat dans la mer, comparées à la recherche de la science105 », peut-on lire, attribué à al-Buhlūl b. Rāšid (m. 183/799). Et Saḥnūn nous est montré conseillant au futur saint Wāṣil al-Ğummī de parfaire sa science (entendre son éducation religieuse) avant d’habiter les ḥuṣūn106 ; il s’exécuta et fut son disciple dix ans durant.
Une sainteté non dépourvue de prodiges
38Dans les critères de sanctification, les vertus sont certes en bonne place mais cette sainteté ne manque pas de karāmāt (charismes et prodiges), et si les modèles proposés par l’hagiographie le sont d’abord à des fins d’imitation, les récits des prodiges sont source de baraka (yutabarrak bi-ḏikrihim wa aḫbārihim wa yuta’assā bi-tarīqihim)107, cela d’autant plus que la question avait fait l’objet d’un vif débat à Kairouan, débat dont on retrouve les échos dans ces notices : « Quiconque nie les prodiges ne fait pas partie des gens de Médine […] la karāma est un surplus de foi et une parure pour le maḏhab [sous-entendu de Mālik] », affirme un šayḫ mort en 334/1042108. Au nombre des prodiges dont sont émaillées les notices du Riyāḍ, on trouve des fauves domestiqués, des colonnes transpirant par la baraka d’un saint dès qu’on psalmodie le Coran, la traversée extraordinaire des cloisons, la transmutation des aliments, la dispersion miraculeuse de troupes, des pluies bénéfiques suite à un du‘ā’, car ce sont des hommes exaucés (muğāb al-du‘ā’)109, des réunions avec al-Ḫaḍir, l’initiateur des prophètes et des saints110, des visions prémonitoires et la connaissance intuitive des événements et des personnes, la guérison de paralytiques et de malvoyants, la délivrance des mauvais esprits, la protection surnaturelle de tout aliment illicite accordée par Dieu au saint. Ces prodiges sont certes des preuves avérées de sainteté mais ils nous sont aussi présentés comme mis au service de la communauté : Abū Ğa‘far al-Gammūdī est constamment sollicité pour invoquer Dieu dans des cas très concrets de litiges, ou d’extorsion de biens, de libération d’un captif, de champs dévastés par la troupe ou de toute adversité (nāzila) ; le saint est sollicité sur sa tombe et il nous est montré réformant les mœurs au moyen de visions oniriques111. C’est aussi une sainteté de compassion vis-à-vis du prochain, de visite des malades et des lépreux112.
Mise à mal du corps113
39Les notices insistent sur la mise à mal du corps, son avilissement. Ce sont des hommes qui, à force de ḏikr, voient leur peau se dessécher sur leurs os et leur teint noircir ; la plupart pratiquent le jeûne ininterrompu, les nuits de veille en adoration et la retraite pieuse. Mortification également par le port des vêtements de bure et des frocs rapiécés. Le zāhid de cette époque « ne voit sa femme et ses enfants qu’une fois l’an, puis les quitte pour sa siyāḥa114 ».
40Les notices font également l’apologie des pleurs et des pleureurs, une tradition très présente également au Mašriq à la même époque115. Le saint pleure d’abord d’humilité, et en signe de repentir (tawba) ; ses larmes sont aussi l’expression de la peur (al-ḫawf) des Fins dernières, dont le corollaire est la crainte révérencielle de Dieu (ḫašyat Allāh)116. En effet, les pleurs, chez ces bakkā’ūn117 (littéralement « pleureurs »), s’inscrivent dans une dimension étroitement liée à la notion de péché et au salut ainsi qu’au statut foncièrement adamique de l’« étranger » dans ce monde-ci. Le fondement scripturaire de cette tradition est à rechercher davantage dans les traditions, notamment le ḥadīṯ al-tabākī, recommandant de verser des larmes pendant les exercices de dévotion118, que dans le Coran où il se réduit à deux occurrences119. Le modèle prophétique est présent ici : Muḥammad a été entendu pleurant parfois au cours des prières ; il supplie Dieu de lui accorder « deux yeux qui versent un flot de larmes120 ». Selon une tradition prophétique, « n’entrera pas en Enfer celui qui pleure par crainte de Dieu121 » ; une autre tradition est invoquée : « Si vous saviez ce que je sais, vous ririez peu et pleureriez beaucoup122. » Dans les notices du Riyāḍ, tant celles consacrées aux Compagnons et Suivants ayant séjourné à Kairouan que dans celles des Ifrīqiyens eux-mêmes, on exalte la vertu des pleurs et de l’abondance des larmes. Certains, tel Abū Ḥafs ‘Umar al-Fattāl (iie/viiie siècle), cité au nombre des abdāl (les substituts, dans la hiérarchie invisible des saints), « s’étaient juré de ne jamais rire ». Al-Māliki évoque nombre d’ascètes qui s’étaient forgés une réputation de sainteté par l’abondance de leurs larmes (g˙azīr al-dam‘a), leurs gémissements et lamentations (al-niyāḥa, al-intiḥāb)123. Il existe également des témoignages nombreux sur la « douceur du cœur » (riqqat al-qalb), la propension aux larmes, cette facilité et cette promptitude à s’épancher, voire à sangloter littéralement, à grands flots, et à verser des larmes de repentir et de componction124.
La sainteté : une figure du scrupule
41Le scrupule était particulièrement à l’honneur : tel saint dont le père était le frère de lait de l’émir Aḥmad b. al-Aġlab, et qui était très riche, refusa de prendre l’héritage que son défunt père lui laissa, en raison de sa proximité avec le sultan (li-qurbihi min al-sulṭān)125. Le célibat, sans être un idéal recherché, est néanmoins le cas de plusieurs de ces hommes qui nous sont montrés tellement absorbés dans leur adoration ou dans leur science qu’ils ne se préoccupèrent guère de prendre femme. Al-Mālikī évoque ‘Abd Allāh al-Tuğībī, surnommé Ibn al-Ḥağğām (m. 346/957), à qui ses proches avaient offert une esclave qu’ils ont parée et introduite chez lui ; il écrivit toute la nuit sans même lui prêter attention. Il en fut ainsi un mois durant ; la jeune femme s’en plaignit au šayḫ qui lui demanda de retourner d’où elle était venue126.
42Tel autre saint, Abū Ğa‘far Aḥmad al-Ṭarābilsī (m. 347/958), demeura quarante années en ribāṭ à Monastir au qaṣr Duwayd (Ibn Ibrāhīm b. al-Aġlab), construit en 240/854, par les soins de son esclave Maṣrūr127 ; il ne consomma jamais de poisson ni ne but de l’eau de la citerne du qaṣr et jamais n’utilisa leurs latrines128. Ce scrupule lui était-il dicté par l’acte de fondation lui-même dû à un émir, reproduisant par là une attitude largement répandue en Orient et relayée par les dictionnaires de saints et savants et dont Bišr al-Ḥāfī (m. 226/840) semble avoir constitué le modèle. Tel autre cheikh (Bašīr, m. 347/958) ne se nourrissait que d’herbes sauvages129. ‘Abd Allāh b. Farrūḫ (m. 176/792), dès que le ğund recevait ses soldes, fermait son échoppe jusqu’à ce que celles-ci aient été dépensées, puis il rouvrait130.
L’école ascétique et mystique de Kairouan et du littoral ifrīqiyen
43L’idéalisation de la génération de Saḥnūn (« la cinquième ṭabaqa parmi les savants et les saints de Kairouan ») occupe une place de choix dans le Riyāḍ de Mālikī et dans les sources qu’il a compilées : Dieu réunit en eux fiqh, pratique conforme à la religion (al-dīn), scrupule, humilité et ascétisme. Telles sont les cinq vertus cardinales chez ces hommes qui nous sont montrés sous le regard admiratif d’un savant d’origine orientale, compagnon d’Ibn Ḥanbal, et dont l’identité n’est pas déclinée, d’où le caractère très probablement non historique de cette information, dont on devine, en revanche, les motivations dans ce rapport pour le moins ambivalent entre Maghreb et Mašriq131. Ces hommes nous sont décrits partageant leur nuit en trois tiers : le premier étant réservé à la récitation du Coran, aux pleurs et au recueillement ; le deuxième aux débats et aux discussions théologiques, et enfin le dernier à la pratique du qiyām al-layl (la veillée en prière), où chacun récitait des extraits du Coran et des litanies. « Tels étaient les compagnons de Saḥnūn », conclut pieusement l’auteur132. D’ailleurs, ajoute-t-il, parmi les compagnons de Saḥnūn et ceux qui assistaient à ses cours, les ascètes et les dévots (al-‘ubbād) étaient plus nombreux que les étudiants en sciences religieuses133.
44Le modèle des ascètes du mont Liban ou du Ğabal al-Lukkām est présent ; si l’on en croit al-Mālikī, plusieurs ascètes ifrīqiyens ont fait des retraites pieuses dans ces régions, certains même y seraient morts (tel un certain Abū l-Ḫayr, m. 348/959)134.
45Pratiquer l’exhortation (al-maw‘iza) orale ou écrite (certaines sont exclusivement rapportées par le Riyāḍ135) fait aussi partie de cet idéal de sainteté au service des contemporains, à qui les hommes de Dieu rappellent volontiers les fins dernières en les exhortant à se détacher des biens de ce monde et de ses vains espoirs, et les invitant à multiplier prières et retraites pieuses, loin des gens, et à ne rechercher que la compagnie des hommes pieux et sincères136.
46Si l’on exclut quelques usages prêtant à équivoque de l’attribut al-sūfi dus à une graphie fautive dans certains cas de la nisba al-Ṣadafī137, ou encore à l’utilisation anachronique de certains termes du lexique technique du taṣawwuf davantage en circulation à l’époque d’al-Mālikī qu’à celle des hommes dont il dresse les notices, ou enfin au souci apologétique et d’édification de l’auteur né de son intention – somme toute compréhensible quand on sait la noirceur de l’image des Berbères dans l’imaginaire des Orientaux – de montrer que ces šayḫs d’Ifrīqiya n’avaient rien à envier, en matière de spiritualité et d’états mystiques, à leurs frères d’Orient138, rien ne permet de mettre en doute qu’une réelle expérience soufie ait existé à Kairouan et sur le littoral ifrīqiyen, suivant de près l’évolution que connaissait ce mouvement au Mašriq139.
47Les citations dont sont émaillées les notices du Riyāḍ accréditent l’idée de véritables expériences soufies. On peut même raisonnablement admettre l’idée d’une école ascétique et mystique à Kairouan à l’époque, et dont les principales figures de proue sont Rabāḥ b. Yazīd (m. 172/788)140, al-Buhlūl b. Rāšid (m. 183/799)141, Šuqrān al-‘Âbid maître de Ḏū l-Nūn al-Miṣrī142, de la même génération que Buhlūl, Ismā‘īl b. Rabāḥ (m. 212/827), dont al-Mālikī rapporte nombre de ses exhortations écrites143, Abū Muḥammad al-Anṣārī (m. 249/863), le fondateur du Masğid al-Sabt144, ‘Abd al-Raḥīm al-Rab‘ī (m. 247/861), surnommé l’« exaucé », le constructeur du qaṣr Ziyād, dont la fortune n’avait d’égale que l’ascétisme et dont on exalte l’amitié avec Saḥnūn145, Wāṣil al-Ğummī (m. 252/866)146, Abū Hārūn al-Andalusī (m. 291/904 à Médine et enterré au Baqī‘)147, Abū ‘Uqāl b. Ġalbūn (m. 291/904)148, Rabī‘ al-Q aṭṭān (m. 333 ou 334/944 ou 945)149 et Abū Isḥāq Ibrāhīm al-Sabā’ī (m. 356/966)150.
Les relations avec le Mašriq
48C’est en Orient que la révélation est descendue sur Muḥammad et d’où est partie la geste de ses illustres Compagnons ; c’est aussi la terre du premier califat de l’Islam, un califat auréolé, malgré toutes les vicissitudes de l’histoire, de toutes les lumières des périodes fondatrices auxquelles est assignée la vocation d’être de véritables réservoirs des valeurs qui doivent structurer la vie des sociétés s’en réclamant et informer les conduites de leurs hommes. Aussi est-ce à l’Orient qu’on continue de demander sa caution, son arbitrage, ses modèles idéaux, ses conduites archétypales, sa science, y compris en soufisme, bref, ses codes de conduite. On juge à l’aune des critères de sanctification codifiés par les manuels orientaux et à l’exemplarité des saints ayant déjà reçu consécration au Mašriq : tel ascète kairouanais sera qualifié de « Dīnawarī de son temps » (m. 330/941)151.
49Mais la sainteté ifrīqiyenne ne le cède en rien à celle des Orientaux ; mieux : elle a désormais ses propres modèles auprès desquels les Orientaux eux-mêmes viennent chercher initiation et enseignement ; c’est ce que les dictionnaires ifrīqiyens de saints et savants cherchent à montrer. C’est ainsi que Rabāḥ b. Yazīd d’Ifrīqiya (m. 172/788) peut soutenir la comparaison avec un Sufyān al-Ṯawrī de Kūfa et un Awzā‘ī de Syrie152. Quant à Šuqrān, sa réputation et ses sapiences (ḥikmatihi) étaient arrivées jusqu’à Ḏū l-Nūn al-Miṣrī qui fit le voyage d’Égypte pour le voir afin qu’il l’exhorte153 ; et al-Mālikī de nous livrer, à titre exclusif, des propos attribués par Ḏū l-Nūn à son maître Šuqrān sur les amis de Dieu154 et un propos sur le tawakkul (la remise à Dieu), la crainte révérencielle (al-taqwā), l’agrément face au décret divin et l’invite à boycotter les iniques (al-ẓalama), première étape sur la voie de la réalisation spirituelle (al-taḥqīq).
50Passé la première période des futūḥāt qui avait drainé vers l’Ifrīqiya Compagnons, Suivants et successeurs de ces derniers (tābi‘ī al-tābi‘īn) et dont les dictionnaires ifrīqiyens exaltent la mémoire155, les contacts entre Orient et Occident musulman étaient surtout nourris par le flux incessant du ḥağğ (le pèlerinage) et du voyage à finalité scientifique (al-riḥla fī ṭalab al-‘ilm) ou mystique (fī ṭalab al-awliyā’) que pratiquaient les Maghrébins. Nombre d’entre eux sont présentés comme ayant été disciples et compagnons de maîtres orientaux, quitte parfois à prendre certaines libertés avec la chronologie : Abū ‘Abd Allāh Muḥammad al-Sūsī (m. 293/905) aurait fréquenté le cercle d’Abī al-Hawwārī (m. 246/860) et, plus invraisemblablement, celui de Dārānī (m. 215/830, de l’école ascétique et mystique de Damas) ; quant à Rabī‘ al-Q aṭṭān, il aurait assisté à l’enseignement de Dīnawarī au Caire156.
Sainteté des femmes
51L’image de la femme dans le Riyāḍ oscille entre une image éminemment positive, celle de la femme vertueuse et pieuse, qui épaule son saint époux157, voire celle d’une sainte (sāliḥa) dont les invocations sont recherchées158 et qui n’est pas dépourvue d’un certain savoir religieux, et une image négative, celle de la tentatrice dont il faut à tout prix se prémunir, mégère et dominatrice159. D’une manière générale, dans ces notices exclusivement consacrées aux saints hommes, on relève de rares évocations de femmes saintes ou pieuses. Elles sont évoquées dans la notice d’un époux, d’un frère, d’un beau-père ou d’un šayḫ au service duquel elles se mettent. Parmi elles on peut citer Taqiyya, l’épouse d’Abū ‘Abd Allāh al-Msūhī, qualifiée de « sainte » (wa kānat min al-sāliḥāt)160, la sœur d’Abū ‘Uqāl b. Ġalbūn qui s’adonna à ses côtés à La Mecque à l’adoration161, al-Ḫurāsāniyya, l’épouse de ce dernier162, Nusra, créditée de l’attribut muta‘abbida, l’épouse d’Ibrāhīm al-Muta‘abbid163, Ḥasna, l’épouse de Muḥammad b. al-Ḥasan Ibn Naṣr, qualifiée de sainte (wa kānat sāliḥa)164, la femme de Farḥūn, qualifiée également de « sainte (imra’a sāliḥa)165 ». Certaines d’entre elles semblent avoir eu un niveau assez élevé d’éducation religieuse, à l’image de l’épouse d’Aḥmad b. Naṣr (m. 314/926) « qui savait par cœur le Coran et le Muwaṭṭa’ de Mālik ; quand son fils mourut dévoré par un lion, elle fit ses ablutions, s’assit et se mit à réciter le Coran ; elle ne manifesta aucune tristesse166 ».
52Malgré la parcimonie des informations glanées, ici ou là, au gré des notices des saints hommes et grâce à l’éclairage d’autres sources, il paraît acquis aujourd’hui que des femmes en nombre pratiquaient le ribāṭ (à une époque où probablement l’activité était devenue quasi exclusivement surérogatoire et dévotionnelle), à telle enseigne qu’on a dû, à une époque qu’on ne saurait fixer avec exactitude, leur édifier des bâtiments propres. En effet, al-Bakrī, citant Muḥammad b. Yūsuf al-Warrāq, fait état, dans son Kitāb al-Masālik, « au sud du qaṣr al-Munastīr, sur une grande place, de pavillons hauts et solidement construits (qibāb ‘āliya mutqanat al-binā’), autour desquels viennent s’établir (tanzilu ḥawlahā) les femmes murābiṭāt (al-nisā’ al-murābiṭāt) et connues sous le nom de qibāb ğāmi‘167 ». La pratique par les femmes de la murābaṭa, comme activité de plus ou moins longue durée, devait connaître une certaine faveur au Maroc au vie/xiie siècle, notamment chez les sāliḥāt Ti‘izzat b. Ḥusayn al-Hantīġī, Umm ‘Aṣfūr (min ahl Ribāṭ Mlūlāsin)168 et Munya b. Maymūn al-Dukkālī (m. 596/1198) qui fréquentait, en compagnie de ses disciples, le ribāṭ Šākir169, ribāṭ particulièrement fréquenté par les femmes, à en croire les notices figurant dans le Tašawwuf d’Ibn al-Zayyāt170.
Le saint et le pouvoir politique
53Le modèle que l’on voit généralement à l’œuvre tout au long de ces notices est le modèle du saint qui se dérobe résolument à la vue du prince : le pouvoir, et ce bien avant l’arrivée des Fatimides, est tenu en haute suspicion, et on exalte la figure du saint qui se tient à l’écart des iniques et ne les visite point (lā yadḫulu ‘alayhim wa lā yaḫhruğ)171 – les palais des émirs sont opposés aux lieux des sāliḥīn172. La position préconisée par les juristes mālikites est rappelée dans la notice de Ḥamdīs al-Q aṭṭān (m. 289/902), parmi les compagnons de Saḥnūn, en référence à un propos attribué à Abū Bakr al-Siddīq et cité dans Ṭabarī : « Obéissez-moi tant que, dans ma politique à votre égard, j’obéis à Dieu ; si je Lui désobéis, ne m’obéissez guère. » On demanda à Ḥamdīs : « Exercerais-tu le devoir de censure à l’égard du prince inique [littéralement, qui enfreint les prescriptions divines ‘amila bi l-ma‘ṣiyya] ? » Il répondit par la négative s’appuyant sur un propos de Mālik : « J’ai connu dix-sept des Suivants (al-tābi‘īn), je n’ai jamais entendu qu’ils aient exhorté un imām inique. » Si l’imām instaure une innovation (bid‘a) et ordonne de la suivre, on doit pratiquer contre lui le djihad173.
54Un dévot appartenant à la troisième ṭabaqa, Abū ‘Amrū Bašīr b. ‘Amrūs, « qui s’était consacré à l’adoration au qaṣr al-Munastīr (al-muta‘abbid bi-qaṣr al-Munastīr), demeura dans cet état de réclusion soixante années. Les princes venaient pour le rencontrer dans sa cellule au qaṣr mais il refusait de les voir174 ». Une autre scène nous montre Ziyādat Allāh b. al-Aġlab sollicitant la rencontre d’Abū Muḥammad al-Anṣārī, à al-Dimna à Kairouan. Malgré l’insistance de l’émir qui faisait littéralement antichambre chez le saint avec toute sa cour, sa parentèle et ses serviteurs (waqafa ‘alā bābi dārihi fī ḥašamihi wa ahl baytihi wa ḫadamihi), celui-ci persista dans son refus, lui faisant dire de partir. On dut porter le saint de force devant l’émir courroucé par cette humiliation et par ce saint qui se voilait à la vue de son imām (ḥağabtanī ‘an nafsika wa anā imāmuka) venu requérir une exhortation, un blâme ou l’ordre de faire le bien (ataynāka li-ta’muranā bi-ma‘rūf fanaf‘alahu wa nusāri‘ ilayhi wa tanhānā ‘an munkar fa-nanzağir ‘anhu), et à qui le saint rétorqua : « Si tu agissais en conformité avec ce que tu sais [des prescriptions divines et de la conduite des pieux devanciers, signifiant par là les écarts du souverain avec la Loi et son peu de piété] , je t’aurais éclairé sur ce que tu ignores. » Puis le saint congédia l’émir, menaçant de s’en remettre à Dieu à son sujet175.
55D’autres scènes nous montrent le saint humiliant à dessein un prince connu pour son iniquité et accréditant l’image du saint défenseur de l’orthodoxie et d’un imamat juste dans la droite ligne de l’héritage des califes « bien guidés » (al-rāšidūn), comme dans ce récit de l’entrevue d’Ismā‘īl b. Rabāḥ (m. 212/827) avec l’émir aghlabide ‘Abd Allāh b. Ibrāhīm (197-201/812-817), réputé pour son iniquité (on lui reprochait d’avoir instauré une fiscalité non coranique et particulièrement lourde176) : il refusa de réciter le Coran devant lui, arguant d’une tradition : « Celui qui récite le Coran devant un imām inique est maudit et reçoit, pour chaque lettre prononcée, dix malédictions. » Et quand le prince lui demanda de solliciter une faveur, le saint lui rétorqua : « Que possèdes-tu pour que je t’adresse une requête ? » (sous-entendu, à Dieu seul appartient le mulk)177. Un autre récit montre un saint (Ḥafṣ b. ‘Umar al-Ğazrī) invoquant Dieu contre ce sultan ; le saint fut exaucé et le sultan périt178.
56Étant entendu que la norme sunnite mālikite interdit de prendre les armes contre un imām, même injuste (wa lā taḫruğ ‘alā al-a’imma bi l-sayf wa in ğārū)179, c’est à Dieu seul que revient le jugement (ou encore le verdict, al-ḥākimiyya) et non aux créatures.
57À l’intérieur de ce modèle dominant du saint qui se soustrait à la vue du politique, qui refuse ses dons et prodigalités, apparaît la figure du saint qui exhorte le prince, invoque Dieu afin qu’Il lui accorde d’être juste et bon envers ses sujets. Une scène avec l’émir Ibrāhīm b. Aḥmad nous montre le saint saluant l’émir et l’exhortant, sans toutefois rien accepter de lui180.
La figure du martyr
58L’attitude envers les Fatimides requiert une attention particulière : les notices mettent en scène des controverses théologiques (munāẓarāt) entre ‘Ubayd Allāh ou encore Abū ‘Abd Allāh (le « Ši‘ite ») entourés des juges et savants gagnés à leur cause, d’une part, et les juristes kairouanais, notamment le juriste et dévot Sa‘īd b. ‘Uṯmān al-Ḥaddād (m. 302/914)181, d’autre part. Ce šayḫ a laissé des sapiences (kalāmuhu bī l-ḥikma), dont certaines évoquent le danger, pour son salut, que court toute personne qui se frotte au pouvoir fatimide182. En effet, le refus ostentatoire de rencontrer le Mahdī, ou encore le du‘ā’ de malédiction proféré à son endroit183 sont des topoi. Nombreux sont les récits non seulement exprimant l’opposition des dévots et saints ifrīqiyens à tout compromis avec ces « ennemis de la foi », mais joignant dans une même condamnation les ‘Ubaydides et ceux parmi les Ifrīqiyens qui se seraient laissé abuser par eux. La scène où est décrit ‘Ubayd Allāh pénétrant dans la salle d’audience devant des šayḫ-s kairouanais qui venaient d’entrer dans l’obédience des Fatimides, ayant retourné son vêtement et marchant à quatre pattes, comme un animal, aux cris de « Bāḥ, bāḥ184 ! » est, bien entendu, à mettre sur le compte non seulement de la ridiculisation des Fatimides, mais surtout de la condamnation sans appel de leur doctrine qui, aux yeux des savants mālikites, n’a plus rien à voir avec l’islam (laysū min ahl al-qibla) et avec ses piliers, et qui est frappée du sceau de la licence (al-ašyā’ kulluhā mubāḥa). Voici les propos attribués au Mahdī : « Tout vous est désormais permis : l’adultère, le vin, et tout ce que Dieu vous a interdit. » Le dénigrement aussi et le mépris valent aussi pour tous ceux qui se sont ralliés à leur doctrine, comparés ici à des animaux qui ne doivent plus aucune prescription canonique : ni ablution, ni prière, ni aumône légale ; ce sont des hommes qui ont littéralement retourné leur veste (qalabtum al-dīn), de la même manière que le Mahdī est montré retournant la sienne : « Vous avez troqué votre religion pour une autre », une religion de la ibāḥa, licence185.
59Un autre récit nous est relaté dans le Riyāḍ, et il est également fondateur d’une attitude, en un lieu aussi essentiel dans la doxa et la pratique des hommes de l’époque qu’est la mosquée où, au cours de la salāt al-ğamā‘a – la prière en commun des fidèles, le vendredi, derrière l’imām – et du prône (ḫuṭba) prononcé par ce dernier, et dans lequel il invoque Dieu pour le nouveau monarque, le peuple des villes affirme de façon solennelle son obédience envers celui-ci186.
Le jour même où fut prononcée la première ḫuṭba pour les ‘Ubaydides à la Grande Mosquée de Kairouan, quand [Ğabala b. Ḥammūd al-Ġadafī (m. 297/909)] eut entendu ce qui ne devrait pas l’être, il se leva, se découvrit la tête afin que les fidèles le reconnussent, se dirigea de la chaire à la dernière porte de la mosquée, sous le regard des présents, et sortit de la mosquée en disant : « Ils nous obligent à interrompre la prière du vendredi dans les mosquées, puissent-ils être rompus par Dieu (qaṭa‘ūhā, qaṭa‘ahum Allāh). » Depuis ce jour-là les savants ne se rendirent plus les vendredis à la mosquée (taraka al-‘ulamā’ hudūr ğum‘atihim) ; il fut le premier à les en avertir, puisse Dieu l’agréer187.
60Aux joutes théologiques afin de contrer la doctrine ši‘ite, et à l’abstention scrupuleuse de tout contact avec les représentants politiques du pouvoir ou ses alliés, l’auteur ajoute également le djihad par les armes des sulaḥā’ et ‘ulamā’ de Kairouan contre les Fatimides. Pour cela, ils n’hésitèrent pas à s’allier aux Ḫariğites. En effet, dans de nombreux passages, al-Mālikī cite les saints et juristes de la ville sainte qui avaient pris part à la révolte d’Abū Yazīd, l’« homme à l’âne », et qui étaient morts en martyrs. L’auteur du Riyāḍ exalte la figure de ces combattants de la foi, facilement repérables grâce à l’indication au début de leur notice de la mention wa fīhā qutila (« cette année-là fut tué… »). D’ailleurs al-Mumassī (m. 333/944) avait déclaré obligatoire (farḍ lāzim) la guerre (al-ḫurūğ) aux côtés d’Abū Yazīd le « Ḫāriğite » afin de mettre un terme à l’État fatimide : « Les Ḫawāriğ sont des gens de la qibla, ils ne perdent pas leur qualité de musulmans, ils héritent et peuvent léguer, alors que les ‘Ubaydides sont des mages (mağūs) auxquels ne s’applique plus le nom d’islam ; ils ne peuvent léguer leurs biens et on ne doit pas hériter d’eux188. » Le récit que fait Mālikī de cette mobilisation des Kairouanais pour défendre la vraie foi, avec à leur tête leurs saints et leurs juristes, armés et équipés, faisant donner les tambours et munis de leurs sept étendards de différentes couleurs, chacune appartenant à un šayḫ et portant un verset circonstancié189 (wa rakibū bi l-silāḥ al-kāmil wa ‘amilū al-bunūd wa l-ṭubūl) qu’ils plantèrent devant la porte de la Grande Mosquée, lieu symbolique s’il en est, est éloquent. Au récit du Riyāḍ, quatre-vingt-cinq périrent ce jour-là en martyrs, chiffre signalé dans la notice de l’un d’entre eux, al-Mumassī190. Il cite, attribué à al-Labīdī, l’une de ses sources et l’auteur de l’hagiographie d’al-Jibinyānī (m. 369/979), le chiffre de « 4 000 hommes morts, sous la torture (fī l-‘aḏāb), à Mahdia, depuis l’entrée des Fatimides en Ifrīqiya, parmi les dévots et les saints191 ».
61Au nombre des martyrs signalés par le Riyāḍ, figure ‘Arūs le muezzin dont le aḏān n’était pas conforme à celui prôné par les Fatimides : sa langue fut coupée et placée entre les yeux, il subit la promenade ignominieuse à travers les rues de la ville, puis il fut exécuté à coups de lance192. Abū Ğa‘far Muḥammad b. Ḫayrūn (d’origine cordouane, m. 301/913)193 fut, au récit du Riyāḍ, piétiné à mort par les esclaves noirs, et sa dépouille jetée dans une fosse, suite à une accusation calomnieuse du qāḍī al-Marūḏī194. Ce dernier avait pris fait et cause pour les Fatimides, persécutant, aux dires de Mālikī, les ‘ulamā’ et juristes d’Ifrīqiyya (Tripoli), ainsi que ceux de Sicile, et en faisant exécuter quelques-uns, tel Ibn Huḏayl ; il fit dire le aḏān à la manière des Fatimides et supprima la salāt al-tarāwīḥ195.
À son époque, nous dit al-Mālikī, les Kairouanais cessèrent de fréquenter les mosquées […] il ordonna aux juristes de s’abstenir d’émettre des fatwā-s, exception faite pour ceux d’entre eux qui étaient de leur parti (tašarraqa)196 ou avaient épousé leur mécréance (kafara) ; de même qu’il donna l’ordre qu’on effaça des frontons des forteresses et des mosquées les noms de leurs fondateurs parmi les sultans et qu’on y inscrive le nom du Mahdī – Dieu le maudisse197 !
62D’autres martyrs de la foi, tel Abū ‘Abd Allāh Muḥammad b. ‘Abd Allāh al-Sidrī (m. 309/921), furent tués à coups de lance et crucifiés198. Le récit du martyre de ce saint est dramatisé : il est montré comme l’archétype même du saint (min awliyā’ Allāh) qui pratique le djihad des ‘Ubaydides, et dont le martyre est sanctifiant, car « on lui vit, après sa mise à mort, de nombreuses preuves et prodiges199 ». Les soldats envoyés pour l’arrêter, l’ayant trouvé toute la nuit en prière, reconnaissent en lui un Ami de Dieu (hāḏā rağul min awliyā’ Allāh) et se ravisent ; c’est à son retour de La Mecque, où des espions du Mahdī l’avaient repéré, qu’il est arrêté.
63Le martyre est recherché par ces hommes200, et c’est à qui veut remplacer son frère et se faire passer pour lui ou à qui se lamente de ne pas être déjà au nombre des šahīd en compagnie de sa houri au paradis : un certain Mufarrağ fut seulement blessé dans une bataille contre les « ennemis de l’islam », alors que son ami est aussitôt emporté par sa houri ; il nous est montré se lamentant à la vue de la sienne qui s’en retourna dépitée201.
64Les notices se plaisent à mettre en scène des face-à-face entre ces saints et le Mahdī où ce dernier est désavoué sans aucune crainte, et non sans aplomb. Le saint condamné à mort prononce, avant l’exécution de la sentence, un du‘ā’ (de malédiction) contre ‘Ubayd Allāh : « Peu de temps après, écrit al-Mālikī, ce dernier meurt et l’invocation du šayḫ est exaucée202. » Un autre récit va encore donner de ce dialogue entre le saint et le Mahdī une version plus riche en détails, de nature à frapper les esprits ; dans ce dialogue, le saint va littéralement faire le procès de la politique du Fatimide et de sa doctrine religieuse, notamment sa position vis-à-vis des « pieux devanciers » (al-salaf), ce qui ôte, au regard des savants sunnites, toute légitimité à sa revendication du titre de commandeur des croyants. Le saint nous est montré narguant le Fatimide, et au final personne parmi la troupe ne voudra exécuter la sentence ; pour ce faire, on ne trouva qu’un « Byzantin » (rūmiyyan, entendre un chrétien) qu’on enivra et qui le tua, puis on le crucifia. À la tombée de la nuit, on vit s’ouvrir une porte du ciel de laquelle se profilait une colonne de lumière. Le lendemain, ‘Ubayd Allāh vit de son palais une lumière qui, du gibet où le saint était crucifié, rayonnait sur terre, il donna l’ordre d’ouvrir la porte de la ville, de faire descendre sa dépouille et de l’enterrer203. On raconte que, lorsqu’on le fit sortir de prison pour l’exécuter, il avait invoqué Dieu contre son geôlier et contre un esclave noir qui l’avait frappé d’une lance, alors que le saint voulait périr par l’épée ; Dieu exauça ses deux du‘ā’. Tel autre rapporte ses derniers instants et la peur qui transparaissait sur son visage, peur commuée aussitôt, après que le saint eut été projeté à terre, en joie, il pressa aussitôt le pas : il fut vu en songe et s’expliqua sur ce changement brusque d’attitude : j’entendis une voix me dire : « ô Sidrī, détestes-tu rencontrer Dieu204 ? »
65On cite également au nombre des martyrs Rabī‘ al-Q aṭṭān (m. 334/945), ou Muḥammad b. Isḥāq al-Ḥiblī (m. 341/952), le qāḍī de Barqa qui refusa de fêter l’Aïd en l’absence de ru’yā205 et fut supplicié : on le suspendit par le bras, sous la lumière crue du soleil (dāhiyan li l-šams) en pleine canicule, à un mât, à l’une des portes de la mosquée, et à la nuit tombée il succomba206.
66Au-delà de la portée à proprement parler mobilisatrice qu’ont pu avoir, en leur temps, ces anecdotes transmises par voie orale, grossies probablement, au fur et à mesure de leur circulation, de détails suggestifs de nature à ranimer l’ardeur des plus récalcitrants, ces récits, à l’époque de la rédaction du Riyāḍ, n’ont plus qu’une visée symbolique : exalter le rôle des sulaḥā’ de Kairouan dans la défense de la vraie foi et comme champions de l’orthodoxie sunnite.
CONCLUSION
67Le Riyāḍ peut être considéré à la fois comme un reflet idéalisé et un modèle de diffusion de l’islam, présenté ici à travers un certain nombre de figures de la perfection humaine, évoluant à l’intérieur d’un paradigme culturel dominant : ribāṭ (comme nom verbal, joignant guet et ascèse, et non comme substantif), magistère scientifique, ascétisme et soufisme.
68Les traces documentaires que nous livrent les textes, aussi loin que l’on puisse remonter, ne permettent pas en l’état actuel de la documentation de discriminer une première phase où les quṣūr et ḥuṣūn du littoral eurent un rôle strictement militaire, et une deuxième où ils se seraient transformés en institution pour dévots et soufis tout en gardant leur rôle militaire. Les deux fonctions apparaissent, dès l’origine, imbriquées et consubstantielles à l’acte de ribāṭ. Cette agrégation des notions de piété, d’observance scrupuleuse, persévérante et ferme des prescriptions divines à la notion et à la fonction ribāṭ, au iiie-ive/ixe-xe siècles, a un fondement scripturaire et dans la Tradition. D’autre part, la fréquentation des qaṣr-s et autres lieux du même type ne s’interrompit pas sous les Fatimides, comme on l’a longtemps cru, suivant un peu trop à la lettre les récits édifiants des sources, à portée davantage symbolique qu’historique. Elle aurait simplement mué, infléchissant l’ancienne fonction de guet pratiquée en tandem avec l’ascèse et étroitement imbriquée avec elle, vers cette dernière, préfigurant en quelque sorte le destin ultérieur de la notion et de la fonction, et rejaillissant sur l’institution elle-même. Cependant, le rôle défensif, voire le couple solidaire guet/ ascèse, devait encore connaître des heures de gloire, d’abord à l’époque almohade, puis à l’époque hafside où on assiste à une réactivation du rôle défensif de ces fondations, en même temps qu’à une complexification de leurs fonctions207. Tout cela témoigne de la vitalité d’une institution dont l’une des formes grammaticales dérivées, le murābiṭ (ou la murābiṭa) – c’est-à-dire l’homme ou la femme en ribāṭ –, n’allait pas tarder, au terme d’un lent glissement dont nous percevons déjà les prémices, à devenir de plus en plus dans les sources des viiie-ixe/ xive-xve siècles l’un des noms génériques utilisés pour désigner le ou la sainte au Maghreb, débordant le cadre étroit de l’institution et de la fonction.
69La sainteté apparaît dans ces notices d’abord comme une figure du scrupule le plus tatillon, notamment dans la relation au politique, aux biens matériels et aux innovations (bid‘a). C’est une figure du ‘ilm (la science), en l’occurrence ici du fiqh mālikite dont la Mudawwana est le manuel ifrīqiyen par excellence, mais constamment éclairée par les œuvres, le ‘amal et un état permanent de veille, aux frontières et en soi. Le saint de cette époque est proprement l’homme « en faction » ; toutes ses autres figures, de champion de l’orthodoxie, de maître éclairé, humble et scrupuleux, d’ascète détaché des biens de ce monde, de reclus dont la rigueur de l’ascèse ne lui laisse qu’une peau noircie sur les os, de pleureur consumé par le remord, la crainte et le désir, de martyr de la foi, d’homme voilé à la vue des puissants, ne sont en fait que des facettes de cette figure. D’elle, on peut dire sans exagération qu’elle concentre, pour l’époque, les « paramètres de la sainte performance », tout comme le fera aux derniers siècles du Moyen Âge la figure du « ravi » en Dieu.
70Le saint, au-delà du caractère édifiant de ces récits, n’est pas étranger à la vie quotidienne des hommes ni à son milieu, comme tendent à l’accréditer les interventions miraculeuses pour lesquelles il était sollicité, même si son rôle à ce niveau peut paraître moindre par rapport à celui que montre la littérature hagiographique de la fin du Moyen Âge, mais c’est surtout son image de champion de l’orthodoxie et de défenseur de la vraie foi qui est ici exaltée.
71Al-Mālikī a une visée : livrer un témoignage de ce que fut la grandeur de la ville de ‘Uqba, au miroir de ses savants et de ses saints ; et déjà se profile pour nous un trait de culture : une cité vaut d’abord par la grandeur d’âme, la science, la perfection spirituelle de ses hommes et la flamme de l’orthodoxie qui brûle en eux face à tous les périls. Ce sont des hommes dont il entend célébrer la mémoire (iḥyā’an li-ḏikrihim)208. Ne lui tenons pas rigueur du soin tout esthétique qu’il donne à ses notices et du caractère stylisé de ses personnages. Si certains traits sont d’évidence forcés, certains faits et gestes à prendre dans leur dimension davantage symbolique qu’historique, si l’édification des uns n’a d’égale que l’anathémisation des autres, néanmoins, ces récits, pour idéaux et idéalisés qu’ils soient, restent assez représentatifs de la vie religieuse et spirituelle de l’époque – dont ils laissent, comme on l’a vu, percer les tensions –, du parangon des vertus à l’honneur dans le milieu de ses ‘ulamā’, des idées que les savants de ce temps se faisaient de la sainteté en islam, et de celui-ci tout court. Perçu et représenté comme une continuité avec un temps idéal, celui de l’islam des origines et des fondations, fidèle aux idéaux de ses premiers représentants, dont les notices constituent une sorte de généalogie de l’énonciation, c’est un islam qui entend aussi donner aux lointains Orientaux une image qui non seulement n’a rien à envier aux meilleurs de leurs hommes, mais qui désormais a ses propres modèles. Si l’islam et toute la geste des pieux devanciers sont venus d’Orient, c’est au Maghreb, dont la fonction eschatologique est exaltée par les ḥadīṯ-s cités en préambule, que cette geste sera scellée ; tel est un autre trait de la culture de l’époque.
Notes de bas de page
1 De son titre complet, Kitāb Riyāḍ al-nufūs fī ṭabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa Ifrīqiyya wa zuhhādihim wa nussākihim wa siyar min aḫbārihim wa faḍā’ilihim wa awsāfihim (Livre du jardin des âmes. Classes des savants de Kairouan et d’Ifrīqiya, de leurs ascètes et de leurs dévots et récits de leurs nouvelles, de leurs vertus et de leurs attributs), éd. B. al-Bakkūš et rév. M. A. al-Maṭwī, Beyrouth, 1994, t. I et II. Le Riyāḍ, d’après le Lisān (Ibn Manẓūr, Lisān al-‘Arab, 4e éd., Beyrouth, 2005, t. VI, p. 262-263), désigne des lieux de quiétude dont le caractère plat (mustawiya) est propice à retenir l’eau de pluie.
2 H.-R. Idris, « Contribution à l’histoire de l’Ifriḳiya. Tableau de la vie intellectuelle et administrative à Kairouan sous les Aġlabites et les Fatimides (4 premiers siècles de l’Hégire) d’après le Riyāḍ En Nufūs de Abū Bakr El Mālikī », Revue des études islamiques, 9, 1935, p. 273-297.
3 C’est lui d’ailleurs qui rédigea une hagiographie de ce juriste, Manāqib Abī l-Ḥasan al-Qābisī.
4 Riyāḍ, I, p. 273.
5 La dernière édition en date de l’œuvre plaide pour une attribution indubitable au fils, même si ce dernier a beaucoup profité des récits rapportés par son père sans toutefois le citer, al-Bakkūš « Introduction », Riyāḍ, op. cit., p. XX II.
6 Petit-fils d’Abū l-Ğahm, gouverneur de Tunis, Abū l-‘Arab décide de rompre avec la carrière de ses pères, gens d’épée, et de devenir un homme de science (min ahl al-‘ilm). Mālikī lui attribue « plus de 3 000 ouvrages ». Il nous est présenté comme le champion de la lutte contre les Fatimides et du ralliement des šayḫ-s de Kairouan et du Sāḥil à la révolte d’Abū Yazīd, l’« homme à l’âne », cf. sa notice dans le Riyāḍ, op. cit., II, p. 306-312.
7 En témoigneraient les emprunts faits par l’auteur des Madārik à al-Mālikī, dans les tomes I et II, dont on n’a pas trouvé trace dans les copies actuelles.
8 Ce qui résoudrait l’énigme de l’arrêt de l’actuel deuxième volume à la notice d’al-Sibā’ī (m. 356/966), et que Hady-Roger Idris ne s’expliquait pas jusque-là, l’auteur ayant vécu au moins un siècle au-delà.
9 Vaste compilation couvrant huit siècles de tarāğim (notices biographiques) des savants, ascètes et saints originaires de Kairouan et de sa région ainsi que du littoral ifrīqiyen ou qui y ont élu domicile et pour laquelle l’auteur a largement puisé dans le répertoire ifrīqiyen de ṭabaqāt (al-Tuğībī, al-Mālikī, Abū l-‘Arab, al-Dabbāġ et al-‘Awānī). Al-Dabbāġ (m. 699/1300 ; cf. sa notice dans Ibn Nāğī, Ma‘ālim al-īmān fī ma‘rifat ahl al-Qayrawān, éd. M. et A. Al-Mağdūb, Tunis, s. d., t. IV, p. 88-91) est l’auteur d’un ouvrage de tarāğim, Ma‘ālim al-īmān fī manāqib al-mašhūrīn min ‘ulamā’ al-Qayrawān, où il a consigné les « vertus les plus connues parmi les savants kairouanais », et qui est la principale source d’Ibn Nāğī.
10 Cf. al-Bakkūš, op. cit., p. XX VI-XX VII.
11 Pour un tableau plus complet, voir H.-R. Idris, « Contribution à l’histoire de l’Ifriḳiya », art. cité, p. 122-177 et p. 273-305.
12 Riyāḍ, op. cit., I, p. 398. Une inscription porte son nom et la date de la construction au bas de la tour à signaux, G. Marçais, « Aghlabides », Encyclopédie de l’Islam2, I, p. 256. Selon S. Soucek, (« Monastir », Encyclopédie de l’Islam², VIII, p. 229), le qaṣr de Sousse aurait été construit sous le gouvernorat de Yazīd b. Ḥātim al-Muhallabī (155-171/772-788) ; et ce qui fut érigé en 206/821 n’en serait qu’une partie – sa tour de guet – portant l’inscription sus-citée.
13 Dans son « Introduction » à Biographies aghlabides. Extraits des Madārik du cadi ‘Iyāḍ, édition critique, introduction et index par M. Talbi, Tunis, 1968, p. 38.
14 Riyāḍ, op. cit., II, p. 477.
15 Ibid., II, p. 467.
16 Ibid., II, p. 265.
17 Voir J. Chabbi, « Ribāṭ », Encyclopédie de l’Islam², VIII, p. 511-523.
18 Voir M. F. ‘Abd-l-Bāqī, Al-Mu‘ğam al-mufahras li-alfāẓ al-Qur’ān al-karīm, Beyrouth, 1987, p. 299-300. Pour le champ sémantique balayé par le radical, voir Ibn Manẓūr, op. cit., VI, p. 82. On peut y lire notamment que rabaṭa veut dire « attacher fermement » (šaddahu), le substantif ribāṭ (pl. rubuṭ) est le lien (ce par quoi on attache) ; une bête rabīṭ est une bête attachée, tandis que le lieu où elle l’est est appelé marbiṭ ou marbaṭ. Le nom verbal (masdar) ribāṭ, associé aux chevaux (ribāṭ al-ḫayl), signifie « des juments tenues attachées » (murābaṭatuha) et dont le nombre minimal est cinq. Utilisé seul, Ibn Manẓūr le crédite de deux sens : demeurer à la frontière face aux ennemis (mulāzamat ṯaġr al-‘adū) et persévérer dans une action (al-muwāẓaba ‘alā al-amr).
19 Ceci est la traduction de Denise Masson, Beyrouth, 1980 ; Muhammad Hamidullah (Le Saint Coran, éd. de 1985) traduit par « panser le cœur ».
20 « Ô vous qui croyez, soyez patients, encouragez-vous mutuellement à la patience, soyez fermes (rābiṭū) », trad. D. Masson, op. cit., de même M. Hamidullah, op. cit., p. 96 ; Jacques Berque traduit par « tenez-vous en alerte », « c’est-à-dire tenez vos chevaux prêts au combat », Le Coran. Essai de traduction, Paris, 1995, p. 93.
21 « Préparez-leur [ceux qui ont mécru] tout ce que vous pouvez de force, et tenez prêts des chevaux, afin d’en effrayer l’ennemi de Dieu et votre ennemi », trad. Hamidullah, op. cit., p. 236. D’après Ibn Manẓūr : ribāṭ al-ḫayl : murābaṭatuha. En effet, l’une des acceptions les plus répandues en Arabie du mot ribāṭ, associé à al-ḫayl ou al-faras (les chevaux), est de tenir les montures attachées prêtes au combat, Ibn Manẓūr, op. cit., VI, p. 82.
22 Ibn Kaṯīr, Tafsīr al-Qur’ān al-‘Aẓīm, éd. M. Ḥasan, La Mecque, s.d., I, p. 546-547. Ce Tafsīr est donné généralement pour être un commentaire qui s’inspire de Ṭabarī (m. 310/923) dans son Ğāmi‘ al-Bayān, ainsi que de son école.
23 Et non dans celle d’al-Šaybānī (m. 189/800), le célèbre disciple d’Abū Ḥanīfa (Chabbi, « Ribāṭ », art. cité, p. 512) ; la recension de Yaḥyā « a connu le plus grand succès. C’est d’elle qu’il s’agit généralement lorsqu’on parle du Muwṭta’ dans l’absolu […] elle présente de notables divergences avec la précédente », S. Ghrab, Ibn ‘Arafa et le Mālikisme en Ifriqiya au viiie/xive siècle, Tunis, 1992, t. I, p. 162-163.
24 Littéralement : il s’agit des ablutions censées purifier le croyant de tout ce qui peut entacher la pureté rituelle et qui est considéré comme répréhensible (makrūh).
25 Ibn Kaṯīr, op. cit., p. 546. Ce ḥadīṯ est également cité dans Ibn Manẓūr, op. cit., t. VI, p. 82
26 Ibn Kaṯīr, op. cit., p. 546.
27 J. Chabbi, « Ribāṭ », art. cité, p. 511.
28 Ibn Kaṯīr, op. cit., qui cite également Ṭabarī ; voir aussi Al-Buḫārī, Ṣaḥīḥ, Beyrouth, Dār Iḥyā’ al-turāṯ al-‘arabī, s.d., t. IV, p. 43, où le ḥadīṯ « ribāṭu yawm fī sabīl Allāh… » est associé au verset III, 200.
29 Le fait de se tenir éveillé, toute la nuit ou partie, en prière.
30 Les actions du mourant sont généralement scellées à sa mort (kullu mayit yuḫtamu ‘alā ‘amalihi).
31 Ibn Kaṯīr, op. cit., p. 547-548. Sur cette petite eschatologie, appelée communément ‘aḏāb al-qabr, et d’une manière plus générale sur les croyances et représentations liées au destin de l’homme dans l’au-delà en islam, notamment au Maghreb, cf. N. Amri, Les saints en islam. Les messagers de l’espérance. Sainteté et eschatologie au Maghreb aux xive et xve siècles, Paris, 2008.
32 Comme l’écrit, à juste titre, Idris, « Contribution à l’histoire de l’Ifriḳiya », art. cité, p. 293.
33 Cette bataille eut lieu selon la tradition et selon al-Kāmil fī l-Tārīḫ d’Ibn al-Aṯīr (éd. Beyrouth, Dār al-fikr, 1987, t. II, p. 80 et suiv.) le 17 ramadan de l’an 2 de l’hégire correspondant au 14 mars 624 et non au 4, comme dans J. Berque, ni au 17 mars 623, comme dans M. Lings. Son issue fut victorieuse et elle opposa le Prophète et ses partisans aux Qurayš dont les effectifs étaient très supérieurs à la troupe de Muḥammad, et pour laquelle, selon la tradition, le Prophète avait reçu la promesse d’une assistance divine (« Je t’aiderai avec un millier d’anges, en rangées successives », Coran, VIII : 9 ; voir aussi les versets 11, 12 et 17). Sur cette bataille, voir M. Lings, Le Prophète Muḥammad. Sa vie d’après les sources les plus anciennes, Paris, 1986, p. 243-253.
34 Voir notamment pour les travaux les plus récents : M. Hassen, « Les Ribāṭ du Sahel d’Ifriqiya. Peuplement et évolution du territoire au Moyen Âge », Castrum, 7. Zones côtières littorales dans le monde méditerranéen au Moyen Âge, éd. J.-M. Martin, Rome, 2001 (Collection de l’École française de Rome, 105/7), Madrid (Collection de la Casa de Velázquez, 76), p. 147-162, plus particulièrement p. 150 et suiv. Voir aussi N. Jelloul, Al- Ribāṭāt al-sāḥiliyya al-ifrīqiyya fī l-‘Aṣr al-wasīṭ (Les Ribāṭ côtiers ifrῑqiyens au Moyen Âge), Tunis, 1999 (Publications du CERES, série « Histoire », 9). Pour une revisite de la notion et de l’institution, voir Ch. Picard, A. Borrut, « Râbata, ribât, râbita : une institution à reconsidérer », Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (viiie-xiiie siècle). Échanges et contacts, éd. N. Prouteau, Ph. Sénac, Poitiers, 2003 (Civilisation médiévale, XV), p. 33-63.
35 Il semblerait (voir supra) qu’il faille remonter encore à 155-171/772-788 pour le qaṣr de Sousse construit sous le gouvernorat de Yazīd b. Ḥātim al-Muhallabī – et qui serait donc antérieur au qaṣr de Harṯama à Monastir. Soucek, « Monastir », art. cité, p. 229.
36 Nous soulignons le caractère tout à fait relatif des traductions que nous proposons pour ces différentes notions et qui sont souvent interchangeables, d’un auteur à l’autre, pour désigner ces ouvrages fortifiés.
37 Pris ici comme nom verbal maṣdar et non comme substantif.
38 Et là, contrairement à une idée largement répandue, comme en témoigne cette citation qu’on pouvait encore lire au début des années 1960 sous la plume d’un H. Monès : « La plupart d’entre [les dévots et les ascètes] vivaient dans des monastères-forteresses (quṣūr, ḥuṣūn, ribāṭāt, maḥāris) sur les côtes de l’Ifrīqiya depuis Tunis jusqu’à al-Munastīr. » H. Monès, « Le malékisme et l’échec des Fatimides », Études d’orientalisme dédiées à la mémoire de Lévi-Provençal, t. I, Paris, 1962, p. 207.
39 Riyāḍ, op. cit., I, p. 414.
40 J. Chabbi, « Ribāṭ », art. cité, p. 513
41 Hassen, art. cité, p. 154.
42 M. Talbi, L’Émirat aghlabide 184-296 / 800-909. Histoire politique, Paris, 1966, p. 18-21.
43 Riyāḍ, op. cit., I, p. 6.
44 Ibid., I, p. 291 ; notice compilée à partir d’Abū l-‘Arab (m. 333/944) dans ses Ṭabaqāt.
45 Ibid. S’agit-il d’un équivalent au genre siyar al-ṯuġūr, paru en Orient, relatant anecdotes et figures des cités frontalières ? Cf. Chabbi, « Ribāṭ », art. cité, p. 515.
46 Riyāḍ, op. cit., I, p. 381.
47 Ibid., I, p. 446.
48 Ce personnage est assimilé par la tradition au compagnon de Moïse dans Coran, XVIII, 64-81, et est considéré comme l’initiateur des prophètes et des saints.
49 Qaṣr Ibn Ğa‘d est distant de 500 mètres du qaṣr de Monastir ; il semblerait qu’à l’époque les incursions byzantines sur les côtes ifrīqiyennes étaient fréquentes : le rabaḍ (faubourg) du qaṣr al-Munastīr fut construit à partir des restes des navires byzantins coulés au large de la côte, Riyāḍ, op. cit., I, p. 421.
50 Ibid., I, p. 420.
51 À moins qu’il ne s’agisse d’une confusion entre cet émir et Abū Ibrāhīm Aḥmad (242- 249/856-863), dont le règne fut marqué par des travaux d’utilité publique, cf. « Aghlabides », Encyclopédie de l’Islam², I, p. 258.
52 Littéralement, « c’est là qu’ils tiennent leurs montures prêtes au combat marābit » (pl. de marbat) : ilayhi maqṣaduhum wa huwa marābiṭuhum. S’agit-il ici d’une résurgence du vieux sens du mot (voir supra la définition du Lisān) : les montures que l’on tient prêtes en vue d’un combat ?
53 S’agit-il ici d’un usage conforme à la tradition citée ci-dessus et au propos attribué au Prophète : « Ceci est le ribāṭ dans les mosquées » (faḏālika huwa al-ribāṭ fī-l-masāğid) ?
54 Il lui demanda également des travaux hydrauliques d’utilité publique, des citernes et des bassins.
55 Les mawāsim ou saisons d’activité ne semblent pas être le seul apanage des qaṣr-s ifrīqiyens. Au témoignage de Muqaddasī, tel aurait été aussi le cas de la côte de Damiette (Dimyāt) en Égypte, cf. Chabbi, « Ribāṭ », art. cité, p. 519.
56 Riyāḍ, op. cit., I, p. 485-486.
57 Ibid., I, p. 487.
58 Ibid., II, p. 276.
59 Ibid., I, p. 422.
60 Al-Labīdī, Manāqib Abī Isḥāq al-Ğibinyānī, éd. H.-R. Idris, Paris, 1959, p. 9-10.
61 Ibid., p. 11.
62 Dans la notice consacrée par les Ma‘ālim al-īmān à Ibrāhīm al-Ma‘āfirī al-Tūnusī (m. 443/1051) il écrit : « Le qaṣr al-ribāṭ qui se trouve à Sousse est consacré aux retraites pieuses (mu‘add li l-‘ibāda) comme le qaṣr al-Munastīr » (Ibn Nāğī, Ma‘ālim al-īmān, op. cit., t. III, éd. M. Mādūr, Tunis, s.d., p. 179). Le ribāṭ baġdadien semble aussi avoir été avant le xie siècle une institution mixte fréquentée aussi bien par les juristes que par les soufis, avant de se transformer au xiie siècle en lieu réservé aux seuls soufis, J. Chabbi, « La fonction du ribāṭ à Bagdad du ve siècle au début du viie siècle », Revue des études islamiques, 42/1, 1974, p. 121.
63 À l’origine pacage réservé aux nobles de la tribu (dans l’Arabie préislamique), le terme ici concerne le territoire du qasr réservé à ses occupants permanents qui y cultivent légumes et fruits, pouvant parfois être un domaine de 17 000 oliviers (comme le himā du qaṣr Ziyād). Sur cette notion en Ifrīqiya au Moyen Âge, voir Hassen, art. cité, p. 156-158.
64 Riyāḍ, op. cit., II, p. 235.
65 Ibid., II, p. 249-250.
66 Comme par exemple dans ibid., II, p. 429.
67 Ibid., II, p. 407.
68 Ibid., I, p. 429-430.
69 Sur lui, voir R. M’rabet, « al-Murābiṭ Abū l-Faḍl al-Ġadāmsī bayna murābiṭī ‘asrihi », Madārāt, vol. VII, no 13-14, hiver 2001, p. 40-51.
70 Riyāḍ, op. cit., II, p. 452 et suiv.
71 Ibid., II, p. 453-454.
72 Ibid., II, p. 260.
73 Ibid., II, p. 56.
74 À une dizaine de kilomètres au sud de Sousse.
75 Riyāḍ, op. cit., II, p. 222.
76 Hassen, art. cité, p. 153.
77 Riyāḍ, op. cit., II, p. 240-241.
78 Ibid., II, p. 401.
79 Ibid., II, p. 28.
80 Ibid., II, p. 27.
81 Littéralement : qui est descendu sur notre sol, ḥalla bi-sāḥatinā.
82 Ibid., II, p. 37-38.
83 Mort en 349/960, âgé de 96 ans, précise le Riyāḍ.
84 En Libye aujourd’hui ; sur cette oasis, voir Al-Bakrī, Kitāb al-Masālik wa l-Mamālik, éd. P. Van Leuwen, A. Ferré, Tunis, 1992, t. II, p. 881.
85 Donc une dizaine d’années avant la fin de l’époque aghlabide ; il est âgé de 33 ans.
86 En fait au qaṣr Ibn al-Ğa‘d, comme on peut le lire dans la notice d’Abū Ḥafs ‘Umar b. ‘Abd Allāh al-Sadafī. Riyāḍ, op. cit., II, p. 455.
87 Réservée aux pâturages et à la forêt, s’agit-il de la troisième ceinture, la plus éloignée (à trois milles), parmi les ceintures entourant le qaṣr et faisant partie du himā ou encore du territoire du ribāṭ, les deux autres étant la ḍay‘a et le faḥṣ ? Cf. Hassen, art. cité, p. 157.
88 Cela corrobore l’idée qu’il vécut ainsi soixante-six ans dans le qaṣr, dont cinquante-six sous les Fatimides. Riyāḍ, op. cit., II, p. 440-441.
89 Ibid., II, p. 448-449.
90 Ibid., II, p. 230.
91 Ibid., II, 453.
92 Ibid., II, p. 461.
93 Ibid., II, p. 455.
94 Ibid., II, p. 456.
95 Ses observations cependant concernent non pas le Maghreb du ve/xie siècle, mais celui d’un ou de deux siècles plus tôt (voir l’introduction des éditeurs du kitāb al-Masālik d’al-Bakrī, op. cit., t. II, p. 16 de la partie française), et on sait que la principale source pour celui-ci est Al-Masālik wa l-Mamālik de Muḥammad b. Yūsuf al-Ta’rīḫī (le chroniqueur) al-Warrāq (m. 363/973), ouvrage disparu. Cf. Cl. Gilliot « Al-Warrāḳ », Encyclopédie de l’Islam², XI, p. 165-166.
96 Et non ribāṭ que l’on peut lire dans la traduction de De Slane (El-Bekri, Description de l’Afrique septentrionale, trad. De Slane, Paris, 1965, p. 77). Que penser de ce pluriel (qui ne figure pas d’ailleurs dans Ibn Manẓūr, op. cit., t. VI, p. 82, lequel donne ribāṭāt comme pluriel de ribāṭ pris comme édifice) et que nous n’avons guère rencontré jusque-là dans les sources de l’époque ? S’agit-il du pluriel de rābita, cette institution que l’on trouve à partir du viie/xiiie siècle, sous la plume d’Ibn al-Zayyāt dans son Tašawwuf et dont le sens oscille entre une mosquée (masğid), un lieu où s’est retiré un dévot, un lieu de sépulture comme la rābiṭat al-Tūnusī à ‘Ubbād Tilimsān ou enfin un lieu de réunion pour soufis ? On la retrouve aussi un siècle plus tard chez al-Ġubrīnī dans son ‘Unwān al-dirāya, ou encore chez al-Tiğānī dans sa Riḥla, où elle peut facilement être confondue avec cette autre institution qui commence à se répandre, la zāwiya. On sait par ailleurs que, au siècle suivant, Ibn Baṭṭūṭa mentionne dans sa Riḥla un certain nombre de rābiṭa dans son périple oriental avec ce que ces désignations, inspirées des réalités et des dénominations les plus familières à l’auteur, comportent comme problèmes pour l’historien. Quoi qu’il en soit, s’il s’agit bien du pluriel de rābiṭa, pris ici comme édifice (et non dans le sens d’escadron comme chez al-Balāḏurī, cf. Chabbi, « Ribāṭ », art. cité, p. 516, ni dans celui d’un groupe de juments attachées, rābiṭa min al-ḫayl, comme chez Ibn Manẓūr, op. cit., s.v.), ce serait, sous la plume d’al-Bakrī (voire d’al-Warrāq qu’il compile), l’une des plus anciennes évocations dans nos sources de ce type de fondations, malgré le flou qui l’entoure, notamment en comparaison avec le maḥris évoqué concomitamment. Sur la rābiṭa en Ifrīqiya et au Maghreb médiéval, cf. N. Amri, Al-Walāya wa l-muğtama‘ [Sainteté et société. Contribution à l’histoire religieuse et sociale de l’Ifrīqiya ḥafside], 2e éd., Beyrouth- Tunis, 2006, p. 92-98.
97 L’utilisation de ce mot comme nom verbal (maṣdar) sous la plume d’al-Bakrī et de sa source ne fait donc pas de doute, et ce en conformité avec la documentation de l’époque : l’édifice est désigné sous le vocable de maḥris, dont la fonction est al-ribāṭ, ou encore al-murābaṭa, quel que soit le contenu défensif et/ou dévotionnel de la notion.
98 Ce mawsim devait perdurer jusqu’à l’époque ḥafside, cf. la notice du saint kairouanais Abū ‘Alī Sālim al-Q adīdī, dans Ibn Nāğī, Ma‘ālim al-īmān, op. cit., t. IV, p. 49.
99 Traduit tantôt par « marabouts » (Description de l’Afrique, op. cit., p. 79), tantôt par « anachorètes » (S. Soucek, « Monastir », Encyclopédie de l’Islam², VIII, p. 230), le mot ne désigne-t-il pas plus simplement les pensionnaires permanents (le verbe rābaṭa renvoie à l’idée de séjour permanent, lāzama, mulāzama et muqām, Ibn Manẓūr, op. cit., p. 82) de ces quṣūr ou maḥāris qui s’y sont volontairement reclus, à des fins ici surtout d’adoration ?
100 Al-Bakrī, op. cit., t. II, p. 691-692.
101 Ibid., p. 692.
102 Comme dans Riyāḍ, op. cit., I, p. 440.
103 Voir ibid., I, p. 423.
104 Ibid., I, p. 203.
105 Ibid., I, p. 211.
106 Ibid., I, p. 431.
107 Ibid., II, p. 384.
108 Ibid., II, p. 314.
109 Ibid., II, p. 284.
110 Ces réunions sont mentionnées à maintes reprises, dont une dans la notice de ‘Abd al-Raḥīm al-Rab‘ī, le constructeur du qaṣr Ziyād, « qui avait coutume de voir al-Ḫaḍir derrière le minaret, du côté oriental ». Ibid., I, p. 429.
111 Ibid., II, p. 232-233.
112 Ibid., II, p. 275.
113 Nous avons déjà évoqué cette mise à l’épreuve du corps : voir N. Amri, « Le corps du saint dans l’hagiographie du Maghreb médiéval », Le corps et le sacré en Orient musulman, dir. C. Mayeur-Jaouen, B. Heyberger, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 113- 114, 2006, p. 59-89.
114 Riyāḍ, op. cit., II, p. 262.
115 F. Meier, « Bakkā’ », Encyclopédie de l’Islam2, I, p. 988-990.
116 Voir Amri, Les saints en islam, op. cit., p. 114-118.
117 Sur les bakkā’ūn, cf. Ibn Hišām, Al-Sīra, éd. U. A. Tadmuri, Beyrouth, 1990, IV, p. 157 et 197, et Coran IX/92.
118 « Pleurez ou du moins essayez de pleurer », tradition authentique, Meier, art. cité.
119 X VII, 109, et XIX, 59.
120 Meier, art. cité.
121 Al-Qušayrī, Al-Risāla, Beyrouth, 1957, p. 59.
122 Ibid.
123 Riyāḍ, op. cit., II, p. 187-188, 204, et 455.
124 Ibid., I, p. 495-496. Nous nous contentons de ces rappels ; pour plus de détails, voir N. Amri, « Le corps du saint », art. cité, et Ead., Les saints en islam, op. cit.
125 Riyāḍ, op. cit., II, p. 321.
126 Sur lui, voir ibid., II, p. 424.
127 Hassen, art. cité, p. 151.
128 Riyāḍ, op. cit., II, p. 433.
129 Ibid., II, p. 437.
130 Ibid., I, p. 187.
131 Voir à ce titre Talbi, L’émirat aghlabide, op. cit., notamment « L’Ifriqiya et l’Orient avant l’avènement des Aghlabides, le viiie siècle », p. 17 et suiv.
132 Riyāḍ, op. cit., I, p. 442.
133 Ibid., I, p. 443.
134 Ibid., II, p. 439.
135 Comme dans ibid., I, p. 329.
136 Ibid., p. 329-331.
137 Ibid., II, p. 130.
138 Dont les opinions admiratives sur tel ascète du Maghreb et sur l’excellence de sa ‘ibāda sont souvent mobilisées, comme par exemple dans ibid., I, p. 434.
139 Ce qui devrait permettre de nuancer et de réviser certaines thèses : « Il faut signaler […] que la genèse et l’évolution du mysticisme de l’Occident musulman, Maghreb et Espagne, semblent avoir été assez différentes de ce qui s’est passé en Orient, ne serait-ce qu’à cause de la position quasi exclusive du juridisme mālikite qui a pu induire certains blocages en matière de spiritualisation et de pratique de la croyance : dans ces régions, le phénomène mystique massif est […] celui du maraboutisme », Chabbi, « Ribāṭ », art. cité, p. 521 ; sur le soufisme en Ifrīqiya à l’époque médiévale, voir N. Amri, Al-Taṣawwuf bi-Ifrīqiyya fī l-‘aṣr al-wasīṭ (du iiie/ixe s. à la fin du ixe/xve siècle), Tunis, 2009.
140 Voir sa notice dans Riyāḍ, op. cit., I, p. 300-312.
141 Il fut surnommé par Mālik le « dévot de son pays » (‘ābid baladihi) car, ajoute le Riyāḍ, « bien que faisant partie des fuqahā (il a composé une œuvre de fiqh), c’est à sa piété qu’il doit surtout sa réputation ». Ibid., I, p. 202.
142 Ibid., I, p. 313, voir infra.
143 Ibid., I, p. 341-344.
144 Voir sa notice, ibid., I, p. 411-413.
145 Sur ses prières exaucées et les prodiges qui lui sont attribués (ḏikr iğābat da‘watihi wa ṣunūf min karāmātihi). Cf. ibid., I, p. 425-430.
146 Il était « au nombre des saints, des purs parmi les Rapprochés et des ascètes ayant renoncé à tout ». Ibid., I, p. 431-441.
147 On dit de lui qu’il faisait partie des abdāl (les saints apotropéens), comparé aux « gens de la banquette » (du Prophète à Médine, Ahl al-Suffa). Ibid., I, p. 516-526.
148 Le repenti, compagnon d’Abū Hārūn et qui comme lui mourut dans les Lieux saints (La Mecque) : il avait une conscience aiguë de ses péchés, et fut rejoint par sa sœur qui se consacra à l’adoration à ses côtés et mourut également à La Mecque. Il serait de la famille des Banū al-Aġlab. Ibid., I, p. 527-545.
149 Al-Mālikī cite un certain nombre de ses sapiences et exhortations (ammā kalāmuhu bi l-ḥikma wa mawā‘iẓuhu, fa-kaṯīr). Ibid., II, p. 323-346.
150 Sa ḥalaqa à la Grande Mosquée de Kairouan « s’étendait autour de 17 piliers, tant elle était impressionnante par sa taille ». Ibid., II, p. 472-473 ; pour sa notice, ibid., p. 469-507.
151 Cf. à son sujet Al-Sulamī, Ṭabaqāt al-ṣūfiyya, Alep, 1986, p. 312-315.
152 Riyāḍ, op. cit., I, p. 301.
153 Ibid., I, p. 313.
154 Ibid., I, p. 316-317.
155 Période vraisemblablement à laquelle des compagnons de Ma‘rūf al-Karḫī (m. 200/815) se seraient installés, au récit de Tiğānī, à Naqṭa sur le littoral et y seraient morts et enterrés. Tijānī, Riḥla, éd. H. H. Abdelwahab, Tunis, Libye, 1981, p. 84.
156 Riyāḍ, op. cit., II, p. 324.
157 Ibid., II, p. 457.
158 Ibid., II, p. 486.
159 Ibid., II, p. 253, 285.
160 Ibid., I, p. 415.
161 Ibid., I, p. 538.
162 Il la rencontra à La Mecque, lors de ses circumambulations les yeux bandés afin d’échapper au désir des femmes qui le tenaillait encore, malgré son renoncement au monde. Elle le demanda en mariage et il n’accepta de l’épouser qu’à condition qu’elle renonçât, comme lui, au bas monde. Elle accepta, fit aumône de tout ce qu’elle possédait et l’épousa. Ibid., I, p. 535.
163 Ibid., II, p. 454.
164 Ibid., II, p. 395.
165 Elle était au service du šayḫ Abū Isḥāq al-Sabā’ī ; celui-ci lui demanda un jour d’invoquer Dieu pour lui (id‘ī Allāh […] lī). Ibid., II, p. 486.
166 Ibid., II, p. 186.
167 Al-Bakrī, Kitāb al-Masālik wa l-Mamālik, op. cit., t. II, p. 692.
168 On remarquera, au passage, qu’il s’agit ici à présent de l’édifice ribāṭ.
169 Dont le rôle fut prépondérant dans la diffusion de l’islam au sein des tribus masmūda et de l’orthodoxie au sein des tribus barġawāṭa.
170 Ibn al-Zayyāt, al-Tašawwuf ilā riğāl al-taṣawwuf, éd. A. Tawfiq, Rabat, 1984, p. 388 et 316.
171 Riyāḍ, op. cit., II, p. 249.
172 Ibid., II, p. 256.
173 Ibid., I, p. 489.
174 Ibid., I, p. 418-419.
175 Ibid., I, p. 412.
176 Ibid., I, p. 331-332.
177 Ibid., II, p. 340.
178 Ibid., I, p. 332.
179 Ibid., I, p. 368.
180 Ibid., II, p. 378.
181 Pour la notice de ce šayḫ, cf. ibid., II, p. 57-115 et plus particulièrement pour la munāẓara, p. 75-96.
182 Pour ces ḥikam, voir ibid., II, p. 104-110.
183 Tel le récit d’un du‘ā’ prononcé par un ascète qui se dérobait à la vue du calife ; il fut exaucé et le calife, à la vue du scorpion, ordonna de lever le camp et de quitter Monastir. Ibid., II, p. 446.
184 Ces deux lettres renvoient au mot ibāḥa (licence), l’auteur, comme on va le voir, assimilant la « religion » des Fatimides à un total affranchissement de tous les interdits (ḫilāf al-mahẓūr) de l’islam ; sur cette notion de ibāḥa, voir Ibn Manẓūr, op. cit., t. II, p. 178.
185 Riyāḍ, op. cit., II, p. 505.
186 Cette pratique, renouvelée tous les vendredis, a tout au long du Moyen Âge requis une importance particulière.
187 Ibid., II, p. 42-43. D’après les Madārik du qādī ‘Iyāḍ, « interrogé sur les prédicateurs qui officient sous les ši’ites, al-Dāwudī (m. 402/1011) répondit que le prédicateur qui, le vendredi, prononce le prêche pour les ‘Ubaydides est un impie (kāfir) qui mérite la mort sans être invité à se repentir ». Son zèle devait d’ailleurs le pousser à reprocher aux « docteurs kairouanais de demeurer dans le royaume ‘ubaydide et il leur écrivit en ce sens », H.-R. Idris, « Contribution à l’histoire de la vie religieuse en Ifriqiya ziride (xe-xie siècles) », Mélanges Louis Massignon, t. II, Damas, 1957, p. 337.
188 Riyāḍ, op. cit., II, p. 297-298.
189 Ibid., II, p. 341-342.
190 Ibid., II, p. 292.
191 Ibid., II, p. 345.
192 Ibid., II, p. 152.
193 Et ce, d’après l’inscription sur sa stèle funéraire signalée par l’éditeur en note, et non en 299/911, date avancée par al-Mālikī.
194 Ibid., II, p. 54.
195 Prière considérée comme sunna, et effectuée dans les mosquées, jusqu’à ce jour, durant tout le mois de Ramadan, après la prière de la nuit (al-‘išā’) et qui consiste en la lecture suivie des aḥzāb du Coran (au total 60), émaillés de sağda (prosternations) ; ce cycle de récitations coraniques nocturnes se termine (ḫatm) la nuit du 27 Ramadan ou Nuit du Destin.
196 En effet, al-mašriqī était le surnom donné à Abū ‘Abd Allāh (le ši‘ite) ; quiconque épouse sa da‘wa et se rattache à lui est ainsi qualifié, d’après al-Q āḍī al-Nu‘mān. Ibid., II, p. 338, n. 176.
197 Ibid., II, p. 56.
198 Ibid., II, p. 165.
199 Ibid., II, p. 169.
200 Ibid., II, p. 171.
201 Ibid., II, p. 206.
202 Ibid., II, p. 172.
203 Ibid., II, p. 173-174.
204 Ibid., II, p. 174.
205 La vue du croissant de lune annonçant le mois de šawwāl et donc la fin du mois de ramadān, ce système ayant été proscrit par les Fatimides qui utilisaient le comput astronomique (al-ḥisāb).
206 Ibid., II, p. 405. Dans le Ma‘ālim (op. cit., III, p. 49), son nom est transcrit al-Ğiblī.
207 Sur l’évolution du ribāṭ ifrīqiyen au Moyen Âge, notamment à l’époque ḥafside, voir Amri, al-Walāya wa l-mujtama‘, op. cit., p. 98-116.
208 Riyāḍ, op. cit., I, p. 4.
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