La permanence du christianisme au Maghreb : l’apport problématique des sources latines
p. 131-149
Texte intégral
1Au début de son introduction historique aux Traités de paix et de commerce, Louis de Mas Latrie évoquait les difficultés du christianisme après la conquête arabe, et notait que, « malgré la difficulté des temps, les papes et les écrivains ecclésiastiques des siècles qui suivirent l’invasion arabe ne […] perdirent pas tout à fait de vue [les communautés chrétiennes]1 ». Il laissait penser ainsi que des traces de ces contacts entre Rome et l’Afrique avaient été conservées et permettaient de suivre l’évolution de ces communautés dans le Maghreb musulman. Il invite en tout cas à reprendre aujourd’hui le dossier des sources latines et chrétiennes, pour voir ce qu’elles documentent de la permanence du christianisme au Maghreb et de sa progressive disparition.
2Les historiens européens, à l’instar de Mas Latrie, se sont très tôt intéressés à la question. C’est le cas en particulier de certains ecclésiastiques, parmi lesquels les Pères Blancs jouent un rôle déterminant dans la recherche de témoignages du christianisme maghrébin - C’est-à-dire des racines chrétiennes du Maghreb. L’objectif de ces travaux est assez évident dans le contexte de la colonisation : il s’agissait de montrer la continuité de la présence chrétienne en Afrique du Nord, afin de permettre et de légitimer les efforts entrepris à partir de 1830 par Rome pour reconstruire une Église d’Afrique. On retrouve ici une tentative proche de celles menées par certains historiens espagnols comme Simonet ou Sanchez Albornoz2, même si dans le cas du Maghreb elle s’avère plus délicate à mettre en œuvre. Les travaux oscillent entre la mise en évidence d’une rupture, avec l’islamisation et l’arabisation, et la recherche d’éléments de continuité qui donneraient l’espoir d’un retour du christianisme en Afrique. En ce sens ils s’inscrivent dans une tradition historiographique très présente à l’époque coloniale, qui vise à réduire ces fractures pour faire accepter le caractère naturel et historique des liens entre l’Europe et le Maghreb3. Il est révélateur à cet égard que, dans le recueil de documents édités par Mas Latrie, le premier chapitre rassemble les documents de la papauté (« Lettres et bulles des papes, 1053-1512 »). Dans son introduction historique, l’auteur insiste sur la tolérance des souverains musulmans à l’égard des chrétiens, avec un double objectif : montrer d’une part la permanence du culte chrétien, et d’autre part qu’une politique inversée de tolérance chrétienne à l’égard des musulmans est possible dans le cadre colonial4. Le plus difficile est cependant de démontrer la continuité du christianisme au-delà du xiie siècle. C’est ce que s’attache à montrer notamment le père Joseph Ménage, dans deux ouvrages publiés en 1914 et 1915 : le premier suit l’effacement progressif des communautés autochtones, jusqu’aux Almohades. Le second porte un titre curieux (Le christianisme en Afrique. Église mozarabe – esclaves chrétiens5) et vise à prouver que l’arrivée de nouvelles populations chrétiennes, volontaire ou forcée, maintient cette présence et assure la continuité - il termine d’ailleurs son ouvrage sur les efforts missionnaires du cardinal La Vigerie. Dès les premières lignes du second volume, il montre ainsi clairement son projet : « On dirait que Dieu regrettant, pour employer le langage de la Sainte Écriture, d’avoir châtié si sévèrement l’Afrique, ait voulu, à cette époque, la rappeler à une nouvelle vie. Plusieurs moyens semblent avoir été alors ménagés par la divine Providence pour lui infuser cette vie et servir de préparation à une sorte d’évangélisation du pays6. » Et d’évoquer, pêle-mêle, les Mozarabes déplacés d’al-Andalus, les captifs, les marchands latins et les milices. Le raisonnement est quelque peu hasardeux, et il peut paraître curieux de le retrouver dans une thèse soutenue en 2001 sur le christianisme en Afrique du Nord, avec le même cadre chronologique large (viiie-xve siècle) et l’idée d’une « certaine continuité » entre les deux périodes7.
3Malgré les efforts déployés par les uns et les autres, on ne peut cependant plus reprendre aujourd’hui cette pério1disation large, qui mélange deux phénomènes radicalement différents, et il faut se pencher sur les traces du christianisme avant le xiie siècle et sur leur interprétation possible. Devant la rareté des informations, les chercheurs ont souvent utilisé conjointement les sources arabes et latines, C’est-à-dire dans ce cas musulmanes et chrétiennes, ce qui est en soi une bonne méthode8, à condition cependant de s’interroger sur le statut de ces sources et leur apport potentiel. Il y a en particulier une tendance chez certains auteurs à collecter tout ce qui touche, de près ou de loin, aux chrétiens du Maghreb, en mélangeant parfois des réalités très différentes. Le cadre choisi est ainsi volontairement élargi à tous les ḏimmī-s (donc aux juifs, qui présentent une trajectoire tout autre), ou aux autres régions musulmanes occidentales, donc à al-Andalus où la situation est également très particulière9, voire à l’ensemble du Moyen Âge, appliquant aux chrétiens des viiie-xiie siècles ce que l’on sait des communautés marchandes latines des xiie-xve siècles10. C’est pourquoi nous nous limiterons ici aux sources chrétiennes qui fournissent des informations sur le Maghreb, quitte à les éclairer à l’occasion par ce que nous apprennent les textes d’auteurs musulmans, ou par ce que l’on sait de la situation en al-Andalus ou en Sicile, mieux documentée. Nous nous arrêterons par ailleurs au xiie siècle qui marque un tournant important : C’est le moment où disparaissent les dernières communautés autochtones et où apparaissent de nouveaux chrétiens extérieurs au Maghreb, principalement des marchands11.
4Nombreux sont ceux qui ont souligné la rareté des sources chrétiennes pour le Maghreb à l’époque musulmane, en comparaison de ce que l’on peut trouver dans d’autres régions. Il faut donc commencer par nous interroger sur ce que nous n’avons pas, sur les lacunes de la documentation, et en chercher les causes possibles.
5La première lacune est celle des textes arabes chrétiens maghrébins12. Il existe bien quelques manuscrits copiés au Maghreb, mais semble-t-il uniquement provenant de milieux mozarabes expulsés d’al-Andalus13. Surtout, on n’a pas de trace de production de chroniques14, ou de polémiques théologiques par exemple15. Le manuscrit Raqqāda 2003/2, réétudié récemment, à la suite de Giorgio Levi della Vida, par Philippe Roisse et Mayte Penelas, pourrait faire exception, bien que son histoire reste très mal connue. Contre Levi della Vida, qui y voyait un manuscrit mozarabe16, Philippe Roisse émet en effet l’hypothèse qu’il pourrait avoir été produit à Kairouan au xie siècle, en milieu chrétien17. Ce manuscrit contient bien deux textes de polémique islamo-chrétienne, mais émanant semble-t-il de milieux orientaux18. Sa présence dans une bibliothèque de Kairouan pourrait être en soi une indication déjà intéressante, et l’indice que des controverses théologiques ont bien existé. Mais il faudrait pour cela pouvoir dater l’arrivée du manuscrit en Ifrīqiya, ce qui n’est pas le cas. Il contient également un fragment de chronique universelle, dont la composition locale n’est pas totalement à exclure, même s’il est plus probable qu’elle a été produite dans le contexte andalou – elle s’inspire en tout cas d’un autre texte d’histoire universelle andalou19.
6Cette situation contraste avec ce que l’on rencontre en al-Andalus, et surtout en Orient20. Mais il y a plusieurs interprétations possibles à cette lacune : d’une part, on peut penser qu’il n’y a pas eu de production de tels textes, ce qui serait le signe soit d’une certaine faiblesse culturelle, soit d’une arabisation limitée des élites chrétiennes. Mais d’autre part, cette absence peut aussi résulter de problèmes de conservation dans un contexte où les communautés chrétiennes ont disparu. Il n’y avait plus alors de nécessité de copier ni de conserver de tels manuscrits, ce qui pourrait expliquer cette absence21.
7L’autre lacune concerne les documents latins, plus rarement arabes, produits après la Reconquista, qui ont été utilisés pour mieux cerner les communautés mozarabes en Espagne22 ou en Sicile23. Mis à part des expériences ponctuelles menées par les Hauteville de Sicile en Ifrīqiya, et un peu plus tard par les Catalans à Djerba ou aux îles Kerkennah, il faut attendre les expéditions portugaises et surtout espagnoles du xvie siècle pour avoir quelque chose qui ressemble à la Reconquista ibérique. Or l’occupation chrétienne est productrice de documents conservés dans les archives24, lesquels manquent donc pour le Maghreb.
8Ces lacunes peuvent donc s’expliquer, au moins en partie, par la situation du Maghreb aux époques tardives – disparition des communautés autochtones et absence d’occupation européenne – qui a des conséquences sur la production et surtout la conservation des textes et documents chrétiens. Il n’en est pas de même pour l’archéologie, dont les travaux réunis ici montrent qu’elle peut être d’un grand secours pour notre sujet. Certes celle-ci accuse un retard important au Maghreb, notamment pour la période médiévale, et on peut considérer qu’il reste beaucoup à découvrir. Pourtant l’intérêt, à l’époque coloniale, pour toutes les traces du christianisme africain peut laisser penser qu’on n’aurait pas négligé un témoignage, même minime, de cette présence chrétienne. Or, à ce jour, les derniers vestiges chrétiens – notamment les églises – remontent pour l’essentiel à l’époque qui précède la conquête musulmane25. On dispose bien de quelques témoignages, comme une des églises de Sabratha, que des études stratigraphiques montrent en usage jusqu’à la fin du xie siècle26, ou deux églises de Sbeitla, qui semblent également utilisées après la conquête, dont une jusqu’au xe-xie siècle27. Mais ils demeurent très isolés.
9Il reste en définitive un corpus de sources très limité : quelques inscriptions funéraires et une dizaine de documents pontificaux le plus souvent tardifs, auxquels on peut ajouter de rares textes, tout aussi tardifs.
10Les premières sources sollicitées par les historiens sont les documents pontificaux, peut-être parce qu’il étaient plus faciles à repérer, mais aussi parce qu’ils entraient dans le projet des auteurs de mettre en évidence la permanence des liens entre les chrétientés africaines et européennes. Il faut distinguer deux groupes dans ces témoignages : d’une part des documents qui attestent indirectement de la présence de chrétiens au Maghreb, et d’autre part des lettres envoyées par la papauté en Afrique. Ces dernières sont toutes du xie siècle, ce qui a son importance – même si des lettres plus anciennes ont pu être envoyées et être aujourd’hui perdues –, alors que les autres documents s’échelonnent entre le viiie et le xie siècle. Voyons-les rapidement :
lettre de Grégoire II (715-731) à saint Boniface, évangélisateur de la Thuringe,
pour le mettre en garde contre des évêques africains exilés qui pourraient tenter de répandre des hérésies (notamment le donatisme)28 ;
lettre d’Adrien Ier (772-795), qui mentionne l’Église d’Afrique à côté d’Églises bien vivantes comme celles d’Italie, Espagne et Gaule29 ;
lettre de Léon IV (847-855) aux évêques d’Angleterre de 847-848 sur l’observance du jeûne, mentionnant que l’usage dans les Églises « des Carthaginois et des Africains » est le même qu’à Rome30 ;
lettre de Formose (891-896) à Foulques, évêque de Reims, mentionnant la présence à Rome de légats d’Afrique venus demander un arbitrage sur des querelles théologiques entre évêques31 ;
envoi par Benoît VII (974-983) d’un prêtre africain, Jacques, au monastère de Saint-Boniface, afin de l’instruire pour en faire un évêque32.
11Pour le xie siècle, on dispose de lettres envoyées par les papes Léon IX et Grégoire VII en Afrique, qui ont fait l’objet de nombreuses études, notamment celle de Christian Courtois sur les relations entre la papauté et les Hammadides. Les premières, envoyées en 1053, concernent l’Église de Carthage et le problème de sa primauté face à celle de Mahdia33. Celles de Grégoire VII, rédigées entre 1073 et 1076, sont adressées à l’Église de Carthage pour trois d’entre elles, et à Bougie pour les deux autres, dont une destinée à l’émir hammadide al-Nāṣir34. Après 1076, il n’y a plus de mention dans les documents pontificaux des chrétientés d’Afrique autochtones, à part une référence à un archevêque de Carthage en 1192 dans le Liber Censuum35, mais qui renvoie plutôt à un prélat in partibus infidelium, C’est-à-dire installé à Rome, comme le suggère Mas Latrie36 – à moins qu’il ne s’agisse plus simplement de la reprise d’un document périmé.
12À ces documents, qui nous sont parvenus directement ou par leur copie dans des chroniques, il faut ajouter quelques mentions dans des textes narratifs. Ainsi la Vie d’Élie le Jeune (823-903) nous apprend qu’il aurait été capturé en Sicile et acheté par un riche négociant chrétien d’Afrique qui en aurait fait son secrétaire et lui aurait confié la gestion de ses affaires. Le récit ajoute que le saint aurait été vénéré au Maghreb, à la fois par les chrétiens et les musulmans37. Au début du xiie siècle, la Chronique du mont Cassin de Pierre Diacre rapporte des miracles survenus dans l’église Sainte-Marie de la Qal’a des Banū Ḥammād38. Dans ces deux textes, on a affaire à des hagiographies, mais qui peuvent néanmoins refléter une certaine réalité de l’époque dans la mesure où le récit s’appuie sur un contexte donné, qui fournit le cadre des miracles. Enfin Jacques de Vitry, au début du xiiie siècle, évoque les chrétiens d’Afrique qui, comme ceux d’Espagne, utilisent le latin pour leur liturgie et suivent les dogmes et pratiques de l’Église de Rome39.
13Mais il est difficile de savoir à quels chrétiens il fait référence, et il pourrait bien s’agir à cette date de Mozarabes andalous installés au Maroc. Il faut cependant signaler que, dans les chroniques relatives aux expéditions tardives (et notamment celles de la croisade de Louis IX), il n’est pas fait mention de chrétientés locales, et l’argument de la nécessité de leur libération de la domination musulmane n’est pas avancé comme justification de ces expéditions. On peut supposer que, si des chrétiens autochtones – a fortiori des catholiques – avaient encore vécu au Maghreb, les chroniqueurs n’auraient pas manqué d’y faire allusion.
14Le second corpus documentaire est constitué par les inscriptions funéraires chrétiennes trouvées à Kairouan et dans la nécropole libyenne d’En Gila. Ce sont les seuls témoignages endogènes sur ces communautés, dans la mesure où aucun texte ou document émanant des chrétiens maghrébins ne nous est parvenu. En dépit de divergences entre épigraphistes sur leur datation, on peut considérer qu’elles se situent toutes entre le milieu du xe et le milieu du xie siècle40. Le corpus est maigre, mais il faut tenir compte du fait que pour de nombreuses inscriptions on ne dispose pas de la date, ce qui fait penser à certains que l’on pourrait élargir à l’avenir cette collecte à d’autres inscriptions, non datées, mais qui présenteraient les mêmes caractéristiques, notamment stylistiques41. C’est le cas par exemple des inscriptions de ‘Ayn Zara, qui ne portent pas de dates, ce qui avait mené dans un premier temps Salvatore Aurigemma à les placer dans la période préislamique, et plus précisément à l’époque vandale, au vie siècle42, jusqu’à ce que les chercheurs les rapprochent, par des comparaisons stylistiques, de celles d’En Gila. Elles seraient antérieures, en raison de certains archaïsmes, mais pas forcément de beaucoup43.
15En définitive, les sources chrétiennes sont très limitées, mal réparties dans le temps et l’espace, d’interprétation souvent délicate – ce qui a donné aux historiens une grande liberté pour en tirer des arguments parfois tout à fait contradictoires et souvent fragiles. Il y a cependant quelques domaines dans lesquels on peut s’avancer, avec prudence.
16Le premier est celui de la périodisation, qui est bien sûr essentiel. Le dernier témoignage à peu près fiable est celui de Pierre Diacre et remonte au début du xiie siècle. Après cette date, les références aux chrétiens du Maghreb concernent toutes des chrétiens allogènes, principalement latins, secondairement mozarabes d’Espagne. L’explication traditionnellement donnée de cette disparition repose sur les persécutions almohades contre les dhimmīs. Elle a été rejetée, notamment par Mohamed Talbi, qui souligne que les témoignages ne concernent que Tunis et un moment ponctuel44. Mais les sources qu’il mobilise pour montrer une permanence du christianisme après les Almohades, notamment les fatwas, ne concernent probablement pas des chrétiens autochtones45. Dans le contexte d’une papauté réformée et soucieuse de défendre sur tous les fronts les intérêts de la chrétienté, l’absence de mention de chrétiens africains dans la documentation de la chancellerie vaticane après le xie siècle est à mon sens un signe tangible de leur disparition effective. Les Almohades ne font de toute manière que donner le coup de grâce à des communautés déjà très affaiblies – et il n’est pas exclu que les migrations hilaliennes y aient également contribué, notamment en Tripolitaine (où les inscriptions chrétiennes ne vont pas au-delà du début du xie siècle).
17Reste le problème de l’évolution des communautés chrétiennes entre la conquête musulmane et le xiie siècle. On peut déjà rejeter les affirmations d’une disparition totale et rapide, que l’on peut rencontrer encore ici ou là dans la bibliographie. Il y a de toute évidence un recul, dont témoigne par exemple la lettre de Grégoire II qui, au lendemain de la conquête musulmane, mentionne les évêques africains fuyant en Europe. Mais une fois cela posé, il est difficile d’être plus précis. On a une abondance relative de documents entre le milieu du xe et le début du xiie siècle – ou plutôt un chant du cygne –, qui pose problème mais montre au moins que des communautés chrétiennes, même très affaiblies, subsistent. Toutes les inscriptions conservées et datées remontent à cette période limitée, ce qui invite à s’interroger sur les pratiques aux siècles antérieurs. Sans doute faudrait-il, comme le suggèrent certains épigraphistes, revoir les stèles chrétiennes non datées avec plus d’attention. Mais il n’est pas sûr que cela nous éclaire vraiment davantage.
18Concernant les documents pontificaux, le trou peut s’expliquer plus facilement : il peut être lié à une conservation moins importante des documents pour les périodes anciennes, mais surtout à la faiblesse de la papauté avant le xe siècle, qui justifie que celle-ci se soit peu préoccupée des communautés africaines.
19Le témoignage le plus ancien de relations entre Rome et les Églises d’Afrique remonte à Formose, à l’extrême fin du ixe siècle, à propos d’un différend théologique que l’on soumet à l’autorité du pape46. On peut donc supposer que, pour les siècles qui ont précédé, les évêques africains étaient suffisamment nombreux pour procéder seuls aux ordinations de prêtres et aux élections d’évêques, et que la papauté affaiblie n’apparaissait pas encore comme un arbitre sérieux et efficace.
20De manière un peu paradoxale, les lacunes documentaires pourraient être le témoignage de communautés suffisamment importantes et vivantes pour se passer de relations avec Rome. À l’inverse d’ailleurs, C’est lorsque les sièges épiscopaux sont trop peu nombreux que les chrétiens d’Afrique sont obligés de s’adresser à Rome pour régler le problème. C’est le cas sous Léon IX et Grégoire VII, mais peut-être déjà lorsque, sous Benoît VII à la fin du xe siècle, on doit envoyer un prêtre à Rome pour le consacrer comme évêque – même si en 1053 Léon IX écrit qu’il reste « à peine cinq évêques » en Afrique. On est en tout cas, à la fin du xe siècle, face à une communauté déjà très affaiblie, ce que soulignent les lamentations des chrétiens de Carthage dans leur lettre à Benoît VII : « Nous venons demander à votre Béatitude de venir au secours de notre pauvre et malheureuse cité d’Afrique, qui est réduite à rien ; autrefois elle fut une métropole, à présent on y trouve avec peine des prêtres47. »
21L’autre piste que l’on peut explorer avec ces documents est la répartition géographique des communautés chrétiennes. Là plus qu’ailleurs cependant, il faut tenir compte des effets déformants des sources. Les inscriptions funéraires ne se trouvent guère que dans les villes comme Kairouan, qui ont été bien étudiées, ou dans des zones rurales, comme à En Gila, qui ont fait l’objet de fouilles. Quant aux textes et documents, ils ont tendance naturellement à mettre davantage en lumière les villes, et plus particulièrement les capitales ou les sièges épiscopaux.
22En l’absence de liste épiscopale fiable pour cette période48, il faut se rabattre sur les lettres tardives des papes, qui citent quelques sièges. Carthage d’abord, qui défend encore sa primauté en 1053 face à l’évêque de Gummi-Mahdia49.
23On retrouve là une tendance du pouvoir musulman, que l’on rencontre ailleurs, comme par exemple en Égypte à l’époque fatimide50, à fixer le siège épiscopal dans la capitale, près du souverain. Il n’est dès lors pas surprenant que les Fatimides, ou les Zirides, aient cherché à faire de l’évêché de Mahdia le principal du pays. On est face au même phénomène pour Bougie, où l’émir al-Nāṣir demande la consécration d’un évêque en 1076, soit moins de dix ans après la fondation de la ville et alors que le pouvoir n’a pas encore totalement abandonné la Qal’a51.
24Pour les autres sièges épiscopaux, on est réduit aux conjectures. La lettre de Léon IX, de 1053, parle de cinq évêchés, dont Carthage et Mahdia. S’appuyant sur le témoignage des géographes, et en particulier de Bakrī et d’Idrīsī qui y signalent des chrétiens, certains ont voulu placer deux de ces évêchés à Tlemcen52 et Gafsa53. Mais leurs arguments sont fragiles54, et ces deux villes n’ont pas une importance majeure à cette époque. On peut aussi penser que la Tripolitaine avait son propre siège, si on considère les témoignages épigraphiques conservés55 – mais nous n’avons aucune preuve. Il en va de même pour l’espace marocain, mais où les traces un peu sérieuses d’une chrétienté autochtone sont totalement absentes. En revanche, il faut revenir sur l’hypothèse d’un évêché à la Qal’a. Elle avait été évoquée par Mas Latrie, et reprise par Beylié et Mesnage, avant d’être réfutée par Pierre Cénival en 193256. Les premiers s’appuyaient sur une interprétation en effet contestable de la Chronique du mont Cassin par Pierre Diacre, qui parle d’une église Sainte-Marie située près de la « maison du khalifa » (domum callifae). Ils avaient vu dans cette maison du califat le siège de l’évêché, ce qui était effectivement une interprétation quelque peu hasardeuse. Pourtant, si l’on considère qu’à la même époque les Zirides de Mahdia, puis les Hammadides de Bougie cherchent à installer un évêque dans leur ville, la présence d’un prélat à la Qal’a apparaît moins invraisemblable, d’autant qu’une communauté chrétienne y est bien attestée par la présence d’une église, mentionnée dans la Chronique.
25Le tableau nous montre donc quelques points, principalement dans les villes et surtout les capitales. Les épitaphes de la nécropole d’En Gila suggèrent cependant une présence chrétienne également en milieu rural. Mais la nature même de nos sources ne permet pas d’affirmer qu’ailleurs les communautés chrétiennes ont disparu. Le témoignage des sources arabes complète un peu ces données, mais elles ont aussi tendance à privilégier les milieux urbains57. Il reste cependant un vide problématique, concernant le Maroc. Il semble désintéresser totalement la papauté, du moins avant le xiiie siècle et l’installation d’un évêché à Marrakech, mais dans un contexte totalement différent et destiné à des chrétiens allogènes. Cela peut s’expliquer par un intérêt plus grand de Rome pour les affaires ifrīqiyennes, pour des raisons de proximité géographique mais aussi des considérations plus stratégiques, en relation notamment avec la question normande58.
26La troisième piste que l’on peut suivre à partir de ces sources concerne l’organisation ecclésiastique, et les relations avec l’Église romaine et la papauté. On peut partir là encore des affirmations optimistes de Mas Latrie : « Il est vraisemblable que les relations de l’ordre religieux souffrirent de moins longues interruptions que les relations commerciales […]. À la moindre occasion favorable, un envoyé ou une lettre du Saint-Siège risquait la traversée d’Afrique, quand on aurait hésité peut-être à confier des marchandises aux périls de la navigation et de la rencontre des flottes ennemies59. » Il a certes tendance à considérer un peu rapidement le vraisemblable comme une réalité, que ne confirment pas les sources. Avant les lettres de Léon IX et Grégoire VII, on ne dispose guère que de deux témoignages de relations directes entre les chrétientés d’Afrique et Rome : la lettre de Formose, à la fin du ixe siècle, qui signale la présence à Rome de prélats maghrébins venus demander un arbitrage, et la mention de l’envoi d’un prêtre sous le pontificat de Benoît VII, à la fin du xe siècle, pour devenir évêque. C’est bien peu.
27Il faut donc, là encore, partir des documents tardifs. Que les papes du xie siècle se soucient des chrétientés africaines n’a rien de surprenant, dans la mesure où cet intérêt s’inscrit dans leur politique générale de réforme. Certains ont même vu dans la démarche de Léon IX un élément de la lutte d’influence entre Rome et le patriarcat d’Alexandrie60, ce qui est cependant peu probable. On a bien le témoignage, tardif, d’Ibn Abī Dīnār, qui écrit qu’au ive/xie siècle « les évêques venaient d’Égypte chez les chrétiens de l’Ifrīqiya, envoyés par le patriarche d’Alexandrie61 ». Il n’est pas totalement exclu que les Fatimides aient tenté depuis Le Caire une reprise en main de ce qui restait des communautés chrétiennes maghrébines. Mais ce ne peut être qu’une opération ponctuelle, et sans lendemain62.
28En effet, ce qui apparaît assez nettement est le rattachement de l’Église d’Afrique à la papauté romaine et latine63. Outre le témoignage tardif de Jacques de Vitry, qui souligne la latinité de l’Église d’Afrique aussi bien au niveau de la langue que des dogmes ou des pratiques, le lien avec Rome et avec la chrétienté d’Occident semble toujours privilégié. C’est à Rome que l’on s’adresse pour régler les différents, qu’ils soient dogmatiques, comme à l’époque de Formose, ou plus politiques, comme lors du conflits entre l’évêque de Carthage et celui de Mahdia. C’est à Rome également que l’on s’adresse lorsque les structures ecclésiastiques sont devenues trop réduites pour pouvoir élire dans les règles un nouvel évêque. On a d’ailleurs là le signe que les règles de fonctionnement de l’Église sont connues et respectées, dans la mesure du possible, par les communautés d’Afrique. De même, dans sa lettre aux évêques d’Angleterre de 847-848 à propos de l’observance du jeûne, Léon IV signale que l’usage dans les églises « des Carthaginois et des Africains » est le même qu’à Rome. Plus généralement, c’est vers Rome que les chrétiens d’Afrique adressent leurs inquiétudes devant le déclin de leur communauté et les menaces d’extinction qui les touchent.
29Les relations des pouvoirs musulmans avec Rome sont plus contrastées, et on note deux attitudes différentes : lors de l’affaire de l’évêque de Gummi-Mahdia, il y a visiblement opposition entre les positions du pape, qui tient à conserver la prééminence traditionnelle du siège de Carthage, et celles des Zirides qui veulent mettre en avant celui de leur capitale. À l’inverse, on constate des relations directes et très cordiales entre Grégoire VII et le Hammadide al‑Nāṣir, quelques années plus tard, puisque C’est l’émir qui s’adresse au pape pour lui demander de nommer un évêque. L’intervention d’une puissance étrangère dans les affaires internes de la communauté chrétienne de l’émirat ne va cependant pas sans poser des problèmes de souveraineté, dans la mesure où il s’agit de sujets de l’émir – le problème se posera de nouveau, dans des termes totalement différents, dans les siècles suivants avec des chrétiens européens. Mais la démarche d’al‑Nāṣir est sans doute ici guidée par des considérations politiques et stratégiques complexes64.
30L’étude des institutions ecclésiastiques s’avère plus difficile. Outre la présence d’évêques, dont le nombre va diminuant (cinq en 1053, et deux, puis trois en 1076), on a la mention de prêtres (sacerdotes), comme le Servandus envoyé de Bougie à Rome pour y être consacré évêque. Cela n’a rien de très original, même si on note un affaiblissement des structures ecclésiastiques, et plus particulièrement épiscopales, qui a pu contribuer à une fragilisation des communautés chrétiennes en raison de l’importance des sacrements dans la vie religieuse des fidèles, et donc du rôle de l’évêque65. Les inscriptions funéraires apportent quelques compléments, mais sujets à discussion en raison des abréviations dont la lecture et l’interprétation ne font pas l’unanimité.
31À Kairouan en 1046, on trouve un certain Petrus, qualifié de senior, terme qui a donné lieu à plusieurs lectures : on y a vu un prieur de monastère, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’un prêtre66. Mais ces interprétations reposent sur le sens qu’a eu le mot dans l’Église primitive, avant la conquête arabe, ou dans d’autres aires culturelles, notamment en Europe. Le mot, comme le remarque Christian Courtois, pourrait aussi bien avoir une signification plus générale et imprécise67 – pourquoi pas simplement un calque du mot arabe shaykh68. En tout cas on peut considérer qu’il est un personnage important de la communauté, ce qui montre une certaine organisation et l’existence en son sein de personnes éminentes, peut-être en raison de leur position dans la hiérarchie ecclésiastique, mais pas forcément.
32Quelques années avant, en 1019 si on suit la datation de Mahjoubi, on trouve un Firmus lector, toujours à Kairouan. Là encore, on est tenté d’y voir un lecteur, c’est-à-dire un clerc qui aurait reçu le deuxième des ordres mineurs, et chargé plus particulièrement des lectures lors des offices. Mais le mot a-t-il ce sens dans le Maghreb du xie siècle ? Ce n’est pas sûr. Il renvoie cependant à une personne instruite, même s’il est difficile d’en déduire avec certitude, comme le fait Henri Bresc, un « programme » d’études au siège épiscopal69. Enfin à En Gila, en Tripolitaine, on a trouvé la tombe d’un autre Petrus, mort en 1017, qualifié de judex, et dont le tumulus est plus élevé que les autres, ce qui pourrait témoigner d’une place éminente dans la société chrétienne de la ville70. Cela serait confirmé si on accepte la lecture de kl comme l’abréviation de klarissimus, comme le suggèrent Bartoccini et Mazzoleni71. Jean Gagé propose également d’y voir peut-être une fonction ecclésiastique72, mais je ne vois pas bien laquelle. À moins qu’il ne s’agisse d’un prêtre qui exercerait également les fonctions de juge. Mais alors on ne comprend pas bien pourquoi sa qualité de prêtre aurait été omise dans l’épitaphe. Par ailleurs on sait qu’en al-Andalus les laïcs jouent un rôle important, notamment de relais avec le pouvoir musulman73.
33On peut supposer, plus simplement, qu’il exerce des fonctions judiciaires au sein de sa communauté74.
34Ces trois exemples, bien isolés, montrent cependant l’existence d’élites chrétiennes, caractérisées par un savoir, des fonctions au sein de la communauté et une certaine prééminence, et ce encore au xie siècle. Mais il faudrait disposer de plus de sources pour mieux comprendre la nature de ces fonctions.
35Reste un problème important : l’existence d’un monachisme dans le Maghreb médiéval. On trouve bien des moines dans les textes arabes, notamment les récits de fondation de villes75, mais le caractère très stéréotypé de ces récits invite à la prudence. Deux inscriptions à En Gila signalent un Pierre et un Laurent, tous les deux moines et qualifiés d’abbés76. Il est cependant imprudent, me semble-t-il, d’en déduire une structure monastique pour l’ensemble du Maghreb, a fortiori d’en faire une structure de base des chrétientés maghrébines77. Il n’est pas exclu en effet que la Tripolitaine ait subi, plus que d’autres régions, l’influence du monachisme égyptien, sans que celle-ci s’étende plus à l’ouest. Là encore, il faut noter l’absence de témoignage de relations avec d’autres monastères en Europe, et en particulier le mont Cassin78. Il pourrait bien sûr s’agir de monastères sans lien particulier avec les ordres présents en Europe – ou en relation avec les monastères égyptiens. Mais rien ne le prouve, et il convient donc de rester prudent quant à une présence monastique au-delà de la Tripolitaine.
36Le dernier axe de réflexion possible à partir de ces sources touche à la culture de ces chrétiens d’Afrique, et plus particulièrement à la question de la langue.
37Le sujet a déjà été largement traité par Henri Bresc dans un article récent sur les chrétiens arabes79, et je me contenterai donc de quelques remarques. Nous l’avons vu, il ne semble pas que des textes ou des inscriptions écrits en arabe par des chrétiens du Maghreb aient été conservés jusqu’à nous80, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en ait jamais eu de produit. Surtout, cela ne signifie pas qu’il n’y eut pas d’arabisation de ces populations, ce qui serait peu vraisemblable81. Il faut donc se limiter au matériau disponible, C’est-à-dire les quelques inscriptions conservées à Kairouan et en Libye.
38La langue des épitaphes montre tout d’abord un maintien du latin, au moins pour certains usages comme les inscriptions funéraires. Le latin utilisé est, de l’avis des spécialistes, globalement correct82, mais on note aussi des spécificités, comme le remplacement du V ou du P par le B, commun dans les inscriptions africaines83, ou des traces de dialecte84. Certains ont vu également des influences de l’arabe, encore qu’il faille être prudent sur ce point, car voir dans le judex une traduction de qāḍī85, faisant alors de cette fonction une création d’époque islamique, me semble contestable. L’usage du latin est par ailleurs confirmé par Idrīsī, à propos des habitants de Gafsa86, et par Jacques de Vitry, mais à une date plus tardive qui pose problème, à propos de la liturgie87. On pourrait ajouter que les lettres pontificales sont écrites en latin88, mais cela ne me semble pas pouvoir être considéré comme un élément probant d’une compréhension courante du latin. Je n’ai pas connaissance de lettre émanant de la chancellerie pontificale écrite en arabe, et du reste l’existence de traducteurs rendait cela inutile, comme le suggère la lettre écrite, en latin, à al-Nāṣir. L’onomastique montre également cette importance du latin : à part quelques noms grecs en Tripolitaine89, tous les noms conservés, que ce soit dans les inscriptions ou les documents et textes européens, sont latins : Pierre, André, Marie, Faustine, etc. Mais, là encore, est-ce vraiment surprenant et révélateur d’un maintien de la langue ? En revanche, on ne rencontre pas les noms nouveaux qui apparaissent à la même époque en Italie, ce qui pourrait être le signe d’un certain isolement90. En somme ce latin, dont Cyrille Aillet a montré, pour al-Andalus, qu’il demeure un « emblème du christianisme face à l’islam91 », n’apparaît pas comme témoignant d’un dynamisme culturel dans cette langue92. Serge Lancel y voit plutôt une langue figée et « momifiée », « expression d’un monde clos, d’“isolats” vivant sur une tradition dans une Afrique de plus en plus islamisée93 ».
39Les systèmes de datation en usage pour les épitaphes ont fait l’objet d’interprétations divergentes. À En Gila, la plupart des inscriptions sont datées selon l’ère byzantine de l’origine du monde, avec mention de l’indiction, système en usage à la même époque en Italie du Sud, ce qui pourrait confirmer des liens avec les chrétientés d’Italie94. Mais une inscription retrouvée à Kairouan en 1961 adopte un système de datation double : celui de l’ère musulmane, qualifiée d’année des infidèles, et celui de l’ère chrétienne de la nativité (397/1007). Cela pourrait donc être l’indice à la fois du maintien de relations avec l’Italie mais aussi d’une influence du milieu musulman95. Enfin ces inscriptions ont également fait l’objet de remarques stylistiques, dans la mesure où elles diffèrent de celles que l’on trouve dans l’Europe latine à la même époque96, certains y voyant parfois une influence mozarabe d’Espagne97, parfois des emprunts au style coufique98. Mais on sait combien ces recherches d’influences artistiques et stylistiques sont souvent délicates et glissantes.
40Pour ce qui est de la culture chrétienne qui se dégage de ces sources, l’image est contrastée. Il n’y a pas, nous l’avons vu, de trace conservée d’écrits théologiques ou même profanes de chrétiens d’Afrique. Mais en même temps les inscriptions montrent une connaissance, même limitée, des textes bibliques99. Cela suggère un certain niveau d’éducation, sans que l’on puisse savoir cependant s’il est général ou réservé à une partie de la communauté chrétienne. Cela est confirmé par l’inventaire de l’église de Mahdia analysé par Henri Bresc, qui montre l’usage du latin comme langue liturgique et un certain niveau de culture100.
41Cette vitalité relative est confirmée par les textes et documents latins. Ils nous montrent tout d’abord l’existence de querelles théologiques, sans que l’on ait plus de précisions, qui justifient la demande de l’arbitrage de Rome à l’époque du pape Formose, à la fin du ixe siècle101. Il y a certes des lamentations devant le recul de cette Église jadis si glorieuse. Mais en même temps, lorsque, à la fin du xe siècle, les Carthaginois envoient le prêtre Jacques à Rome pour y être consacré évêque, on précise qu’il est envoyé au monastère de Saint-Boniface pour vérification de son orthodoxie, mais pas qu’il y suit une formation particulière102. Il semble bien que ses compétences aient été reconnues suffisantes pour en faire un évêque – ce qui suppose qu’il a reçu sa formation à Carthage. En revanche, à la fin du xie siècle Servandus, prêtre choisi par le peuple de Bougie et envoyé à Rome pour y être consacré évêque, est renvoyé en Afrique après avoir été formé, autant que le temps le permettait ajoute cependant la lettre de Grégoire VII103.
42Le tableau finalement est assez paradoxal : nous avons, pour la fin du xe et surtout le xie siècle, des témoignages relativement nombreux de la survivance de communautés chrétiennes dans le Maghreb central et oriental, qui la montrent certes en difficulté, amoindrie et privée de cadres épiscopaux. Mais en même temps on constate un maintien de la latinité, au moins pour certains usages, d’une connaissance et d’un attachement aux dogmes de l’Église catholique, et de liens avec la papauté romaine104.
43Le problème est que l’on n’a rien ou presque pour les périodes qui précèdent, et rien après le xiie siècle, sinon des témoignages qui renvoient selon toute vraisemblance à des chrétiens allogènes. La disparition des traces après le xiie siècle doit être interprétée comme le signe de l’extinction de cette chrétienté africaine, la politique des Almohades n’ayant fait qu’accélérer un processus déjà bien engagé de déclin. En revanche, la rareté des témoignages pour la période allant du début du viiie à la fin du xe siècle doit être interprétée avec prudence. Elle ne peut en tout cas pas nous amener à conclure sans plus d’examen à une extinction rapide de ces communautés après la conquête, qui cadre mal avec l’image que nous renvoient les sources du xe-xie siècle. Il faut sans doute renoncer à tracer la courbe descendante de cette chrétienté. En revanche, on la voit conserver, jusqu’à une date relativement tardive, des caractères propres, qu’il conviendrait d’analyser avec plus de précision, notamment par des comparaisons plus poussées avec les situations andalouse ou sicilienne, mais aussi, en raison des liens maintenus avec Rome, avec les autres chrétientés latines méridionales.
Notes de bas de page
1 L. de Mas Latrie, Traités de paix et de commerce et documents divers concernant les relations des chrétiens avec les Arabes de l’Afrique septentrionale au Moyen Âge, Paris, 1866, Introduction, p. 5.
2 Voir l’introduction de Cyrille Aillet dans ce volume. Les travaux de Simonet et de Mas Latrie sont d’ailleurs strictement contemporains, puisque l’ouvrage du premier, s’il ne fut publié qu’à titre posthume en 1897, avait été présenté à la Real Academia de Historia en 1867. C. Aillet, Les Mozarabes. Christianisme, islamisation et arabisation en péninsule Ibérique (ixe-xiie siècle), Madrid, 2010 (Bibliothèque de la Casa de Velázquez, 45), p. 111. Les deux auteurs partagent également un fort engagement dans l’Église catholique de leur temps, Mas Latrie ayant même été fait comte romain par le pape Pie IX en 1875.
3 D. Valérian, « L’usage des documents d’archives européens dans la construction de l’histoire du Maghreb médiéval », séminaire EHESS 20 février 2004 (Construction des savoirs et des disciplines en Afrique du Nord [xixe-xxe siècles]). À paraître.
4 Cf. les titres éloquents de ses chapitres : « Gouvernement équitable des Arabes dans les pays subjugués », « Le christianisme n’est pas proscrit par eux », « Chrétiens indigènes restés en Afrique après la conquête ».
5 J. Mesnage, Le christianisme en Afrique. Église mozarabe – esclaves chrétiens, Alger-Paris, 1915, 261 p.
6 Ibid., p. 1.
7 A. Hadouch, Les communautés chrétiennes en Afrique du Nord du viiie au xve siècle, thèse de l’université Paris 10, sous la direction d’A. Vauchez, 2001, p. 16.
8 Voir par exemple l’article d’Allaoua Amara dans ce volume.
9 C’est le cas en particulier de Hady-Roger Idris, à partir des consultations juridiques qu’il juxtapose sans réflexion véritable. H.-R. Idris, « Les tributaires en Occident musulman médiéval d’après le Mi‘yār d’al-Wansharisī », Mélanges d’islamologie à la mémoire d’A. Abel, Leyde, 1974, p. 172-196.
10 On trouve cette tendance notamment chez Haddouch, même dans sa première partie, sur la première période.
11 Virginie Prévost repousse cette disparition au milieu du xiiie siècle pour le Sud de la Tunisie. Mais il ne s’agit alors que de communautés résiduelles. V. Prévost, « Les dernières communautés chrétiennes autochtones d’Afrique du Nord », Revue de l’histoire des religions, 224/4, 2007, p. 475-483.
12 Il existe, conservées dans les bibliothèques maghrébines, quelques copies orientales de textes arabes chrétiens, souvent tardives, et sans caractère confessionnel particulier, s’agissant principalement de textes médicaux. Ph. Roisse, « La circulation du savoir des Arabes chrétiens en Méditerranée médiévale. Approche des sources manuscrites », Collectanea Christiana Orientalia, 1, 2004, p. 190-191.
13 Ibid., p. 226-228 ; P. S. Van Koningsveld, « Christian-arabic manuscripts from the Iberian Peninsula and North Africa : a historical interpretation », Al-Qanṭara, 15/2, 1994, p. 423-451.
14 De même, aucune chronique composée par des chrétiens orientaux n’est parvenue en Occident.
15 M. Talbi, « Le christianisme maghrébin de la conquête musulmane à sa disparition : une tentative d’explication », Conversion and Continuity. Indigenous Christian Communities in Islamic Lands Eighth to Eighteenth Centuries, éd. M. Gervers, R. Jibran Bikhazi, Toronto, 1990, p. 330.
16 G. Levi della Vida, « Un texte mozarabe d’Histoire universelle », Études d’orientalisme à la mémoire de Lévi-Provençal, Paris, 1962, I, p. 175-183.
17 Ph. Roisse, « Redécouverte d’un important manuscrit “arabe chrétien” occidental : le ms. Raqqāda 2003/2 (olim Kairouan 1220/829) », Collectanea Christiana Orientalia, 1, 2004, p. 279-285.
18 Ibid., p. 284-285.
19 Roisse, « La circulation du savoir », art. cité, p. 199 ; M. Penelas, « El Kitāb Hurūšiyūš y el “texto mozárabe de historia universal” de Qayrawān. Contenidos y filiación de dos crónicas árabes cristianas », ¿ Existe una identitad mozárabe ? Historia, lengua y cultura de los cristianos de al-Andalus (siglos ix-xii), dir. C. Aillet, M. Penelas, Ph. Roisse, Madrid, 2008 (Collection de la Casa de Velázquez, 101), p. 135-157.
20 Sur al-Andalus, voir principalement Aillet, op. cit., notamment p. 26 et suiv. Sur l’Orient, A.-M. Eddé, F. Micheau, Ch. Picard, Communautés chrétiennes en pays d’Islam, du début du viie siècle au milieu du xie siècle, Paris, 1997, p. 156-160 ; G. Graf, Geschichte der christlichen arabischen Literatur, Cité du Vatican, 1944-1953, qui ne cite pas de texte produit au Maghreb.
21 C’est également l’avis de P.-A. Février, « Évolution des formes de l’écrit en Afrique du Nord à la fin de l’Antiquité et durant le haut Moyen Âge », Problemi attuali di scienza e di cultura (Atti del convegno internazionale sul tema : Tardo antico e alto medioevo. La forma artistica nel passaggio dall’antichità al medioevo [Roma, 4-7 aprile 1967]), Rome, 1968 (Accademia nazionale dei Lincei, a. 365, quaderno 105), p. 216. La situation est bien sûr différente en Orient, mais aussi en al-Andalus où la permanence de communautés mozarabes dans l’Espagne chrétienne permet la conservation de certains de ces manuscrits. Il en va de même d’ailleurs avec les rares textes latins rédigés en al-Andalus, souvent connus par des copies réalisées dans les royaumes chrétiens du Nord. Cf. Aillet, op. cit., p. 140. Paul-Albert Février (art. cité, p. 213-215 et pl. VI-IX) pense, sur des critères paléographiques, que trois manuscrits latins conservés dans la bibliothèque du mont Sinaï pourraient être des productions africaines, ou de scribes venant d’Afrique (ou encore des copies sur des modèles africains), et de date assez tardive, peut-être du xe-xie siècle. Mais cela reste un cas isolé et hypothétique.
22 Voir en particulier les travaux de Jean-Pierre Molénat, par exemple « Los mozárabes, entre al-Andalus y el norte peninsular », Minorías y migraciones en la Historia. X Jornadas de Estudios Históricos organizadas por el Departamento de Historia Medieval, Moderna y Contemporánea, dir. Á. Vaca Lorenzo, Salamanque (Acta Salmanticensia. Estudios Históricos y Geográficos, 132), 2004, p. 11-24.
23 Cf. H. Bresc, A. Nef, « Les Mozarabes de Sicile », Cavalieri alla conquista del Sud. Studi sull’Italia normanna in memoria di Léon-Robert Ménager, dir. E. Cuozzo, J.-M. Martin, Bari, 1998, p. 134-156 ; A. Nef, « L’histoire des “mozarabes” de Sicile. Bilan provisoire et nouveaux matériaux », ¿ Existe una identitad mozárabe ?, op. cit., en particulier p. 266 et suiv.
24 Ces documents n’éclairent certes ces communautés qu’au moment de la conquête ou dans les années qui suivent. Ils n’en offrent pas moins un tableau essentiel en raison du petit nombre de sources pour les périodes antérieures. De même, les chrétiens arabophones qui apparaissent à cette époque ne sont pas nécessairement uniquement des descendants des populations locales : ils peuvent venir d’autres régions du monde islamique (C’est ce qui se produit par exemple au Maroc avec l’immigration forcée de Mozarabes d’al-Andalus), ou être des musulmans convertis au christianisme sous la domination chrétienne. Mais on ne peut cependant pas nier qu’ils sont le reflet, dans une certaine mesure, de la situation qui prévalait avant les conquêtes chrétiennes. Cf. Nef, « L’histoire des “mozarabes” de Sicile », art. cité, p. 279.
25 . Il n’est pas certain cependant que les exhumations de ces édifices par des archéologues surtout curieux des périodes antiques aient toujours été menées avec toute la rigueur nécessaire, et il n’est pas exclu par conséquent que des traces d’utilisation tardives aient été alors négligées.
26 A. Di Vita, « La diffusione del cristianesimo nell’interno della Tripolitania attraverso i monumenti e sue sopravvivenze nella Tripolitania araba », Quaderni di Archeologia della Libia, 5, 1967, p. 136.
27 N. Duval, « Observations sur l’urbanisme tardif de Sufetula », Cahiers de Tunisie, 45-46, 1964, p. 99, 103. Concernant la petite église des Saints-Gervais-Protais-et-Tryphon, construite près de l’un des fortins de l’époque byzantine, le niveau tardif du choeur paraît daté par un tesson de céramique vernissée du xe-xie siècle. De même, à Mactar, la basilique chrétienne et le cimetière chrétien semblent encore en activité durant les premiers siècles de la domination arabe. G.-Ch. Picard, « Civitas Mactaritina », Karthago, 8, 1957, p. 130 et suiv., cité par G. Gualandi, « La presenza cristiana nell’Ifriqiya. L’aera cimiteriale di En-Ngila (Tripoli) », Felix Ravenna, n. s. 5-6 (105-106), 1973, p. 258.
28 Patrologie latine (par la suite : PL), vol. 89, col. 502.
29 Monumenta Germaniae Historica (par la suite : MGH), Epistolae, III, p. 4.
30 PL, 115, col. 668.
31 La lettre n’est pas conservée, mais citée par Flodoard, Histoire de l’Église de Reims, trad. M. Guizot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, 5, 1824, p. 482. L’objet de la lettre concerne les schismes dans la chrétienté, que l’on trouve en Orient et en Afrique depuis longtemps, et qui justifient la convocation d’un concile général.
32 Léon, abbé de Saint-Boniface, Epistola ad Hugonem et Robertum reges, MGH, Scriptores, III, p. 689 ; PL, vol. 139, col. 342.
33 PL, vol. 143, col. 728-731, trad. de la lettre de Léon IX à Thomas, évêque de Carthage dans J. Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord du iie au xiie siècle, Paris, 1984, p. 185-186.
34 Éd. E. Caspar, Das Register Gregors VII, MGH, Espistolae selectae, II, fasc. I, p. 36-40, 285-288, trad. de la lettre à al-Nāṣir par Ch. Courtois, « Grégoire VII et l’Afrique du Nord, Remarques sur les communautés chrétiennes d’Afrique au xie siècle », Revue historique, avril-sept. 1945, p. 99-101.
35 Courtois, art. cité, p. 112.
36 Mas Latrie, Traités de paix, op. cit., Introduction, p. 69.
37 Acta Sanctorum, août, III, p. 479-489, commentaire, et p. 489-509, texte latin, cité par G. Da Costa Louillet, « Saints de Sicile et d’Italie du Sud », Byzantium, 28-29, 1959-1960, p. 98.
38 Pierre Diacre, Chronique du mont Cassin, éd. W. Wattenbach, MGH, scriptores, VII, 1846, p. 786-7, trad. dans P. Cénival, « Le prétendu évêché de la Kal‘a des Beni Ḥammad », Hesperis, 15, 1932, p. 3-6.
39 « Enfin les chrétiens qui demeurent en Afrique et en Espagne, au milieu des Sarrasins de l’Occident, s’appellent les Mozarabes, ils ont un alphabet latin et utilisent la langue latine dans les Écritures, ils obéissent en toute humilité et dévotion à la sainte Église romaine comme les autres Latins et ne dévient sur aucun point dans les articles de la foi ou dans les sacrements. » Histoire orientale de Jacques de Vitry, trad. M.-G. Grossel, Paris, 2005, p. 230.
40 Les inscriptions vont de 945 à 1021 pour les tombes d’En Gila. R. Paribeni, « Sepoltoro cristiano di En-Gila presso Suani Beni Adem », Africa Italiana, I, 1927, p. 76 et suiv. ; R. Bartoccini, D. Mazzoleni, « Le inscrizioni del cimiterio di En Gila », Rivista di Archeologia christiana, 1977, p. 168. Celles de Kairouan datent de 1007 (A. Mahjoubi, « Nouveau témoignage épigraphique sur la communauté chrétienne de Kairouan au xie siècle », Cahiers de Tunisie, 12, 1964, p. 160), 1018 (ibid., corrigeant la date de 1048 proposée par W. Seston, « Sur les derniers temps du christianisme en Afrique », Mélanges de l’École française de Rome, LIII, fasc. I-IV, 1936, p. 113), 1050-1051 (Seston, art. cité, p. 107-108).
41 Seston, art. cité, p. 124 ; Février, art. cité, p. 209-211.
42 S. Aurigemma, L’« area » cimiteriale cristiana di ‘Ain Zára presso Tripoli di Berberia, Rome, 1932, p. 228.
43 Bartoccini, Mazzoleni, art. cité, p. 162 ; Di Vita, art. cité, p. 136.
44 Talbi, art. cité, p. 328.
45 Ibid., p. 344. Il en va de même de la citation d’Ibn Khaldūn à propos du Nafzawa au xive siècle (ibid.). Voir les critiques de J.-P. Molénat, « Sur le rôle des Almohades dans la fin du christianisme local au Maghreb et en al-Andalus », Al-Qanṭara, 18, 1997, p. 406-408. Cf. également Prévost, art. cité, p. 476-477.
46 Cité supra n. 31. On peut ajouter cependant que, dans la lettre que les chrétiens de Carthage envoient au pape Benoît VII à la fin du xe siècle, ils se réfèrent à leurs prédécesseurs qui avaient déjà coutume de s’adresser à Rome : Sicut nostri anteriores ad vestros anteriores confugerunt. Cité supra n. 32.
47 Ibid.
48 Louis de Mas Latrie (Traités, op. cit., Introduction, p. 21) affirme qu’au xe siècle près de 40 villes ont leur évêque – mais il s’appuie sur une liste épiscopale, dite du Thronus Alexandrinus, qui est suspecte et ne peut être postérieure au début du viiie siècle. De même, le chiffre d’une dizaine évêques au milieu du xie siècle, avancé par Mesnage, s’appuie sur une source tout aussi peu fiable. Cf. Cénival, art. cité, p. 1.
49 Lettre de Léon IX, citée supra n. 33. L’identification de Gummi à Mahdia peut être considérée comme acquise, malgré des interprétations divergentes aujourd’hui abandonnées, notamment celle de Louis de Mas Latrie, « Episcopus Gummitanus et la primauté de l’évêque de Carthage », Bibliothèque de l’École des chartes, 44, 1883, p. 77 (qui l’identifie à Hammam Lif ).
50 Le siège du patriarcat d’Alexandrie est alors déplacé au Caire, en 1017. M. Martin, « Alexandrie chrétienne à la fin du xiie siècle d’après Abū l-Makārim », Alexandrie médiévale, I, dir. Ch. Décobert, J.-Y. Empereur, Le Caire, 1998, p. 46.
51 Lettre de Grégoire VII à al-Nāṣir, citée supra n. 34.
52 Cuoq, op. cit., p. 125 (s’appuyant sur al-Bakrī). Voir aussi L. Bargès, Aperçu de l’Église d’Afrique en général et en particulier de l’Église épiscopale de Tlemcen, 1848, p. 7.
53 Courtois, art. cité, p. 110 (s’appuyant sur Idrīsī et la liste épiscopale de Léon le Sage, datée de 883, mais recopiant une liste plus ancienne).
54 Ils s’appuient essentiellement sur la mention de chrétiens dans ces villes par des géographes arabes, ce qui n’est pas en soi la preuve de l’existence de communautés importantes ni de sièges épiscopaux.
55 Al-Malikī signale également, au xie siècle, la présence de chrétiens à Tripoli. H. R. Idris, « Contribution à l’histoire de l’Ifrikiya. Tableau de la vie intellectuelle et administrative à Kairouan sous les Aġlabites et les Fatimides (4 premiers siècles de l’hégire), d’après le Riyāḍ En Nufūs de Abū Bakr El Mālikī », Revue des études islamiques, 2, 1935, p. 443.
56 Cénival, art. cité, p. 1-10.
57 Voir principalement Talbi, art. cité, passim.
58 Cf. Courtois, art. cité, p. 219-224.
59 Mas Latrie, Traités, op. cit., Introduction historique, p. 11.
60 H. H. Abdulwahab, texte inédit cité par Courtois, art. cité, p. 201.
61 Cité par Courtois, ibid.
62 Dans la liste des prélats présents au synode du Caire en 1086, on ne trouve aucun Maghrébin.
Eddé, Micheau, Picard, op. cit., p. 35.
63 C’est du moins net pour l’Ifrīqiya. Le cas de la Tripolitaine ou de la Cyrénaïque est plus incertain.
64 Au cours de ces années, il y a, semble-t-il, un rapprochement entre d’une part les Hammadides et d’autre part les Normands et la papauté, pour faire face à la menace des Zirides.
65 M. de Epalza, « Note de sociologie religieuse médiévale : la disparition du christianisme au Maghreb et en al-Andalus », Mélanges Mohamed Talbi, Tunis, 1993, p. 74 ; Id., « Falta de obispos y conversión al Islam de los cristianos de al-Andalus », Al-Qanṭara, 15, 1994, p. 385-400.
66 Seston, art. cité, p. 115.
67 Courtois, art. cité, p. 119.
68 Cuoq, op. cit., p. 148, qui pense qu’il peut s’agir du chef de la communauté chrétienne désigné sous le nom de ra’īs dans les textes arabes.
69 H. Bresc, « Arab christians in the Western Mediterranean (ixth-xiiith Centuries) », Library of Mediterranean History, 1, 1994, p. 26.
70 Paribeni, art. cité, p. 78.
71 Bartoccini, Mazzoleni, art. cité, p. 189.
72 J. Gagé, « Nouveaux aspects de l’Afrique chrétienne », Études d’archéologie romaine. Annales de l’École des hautes études de Gand, 1, 1937, p. 222.
73 Eddé, Micheau, Picard, op. cit., p. 87.
74 On rencontre également cette fonction en al-Andalus au milieu du ixe siècle, sans que ses contours soient plus explicites. Cyrille Aillet propose également d’y voir le juge des chrétiens. Aillet, op. cit., version inédite de la thèse, université Paris 8, 2005, p. 135.
75 C’est le cas par exemple pour Fès : Idris aurait fait fortuitement la rencontre d’un moine chrétien qui lui aurait confié qu’un souverain musulman du nom d’Idris relèverait la ville, depuis longtemps ruinée. É. Levi-Provençal, « La fondation de Fès », Annales de l’Institut d’études orientales, 4, 1938, p. 49-50.
76 Cl. Rizzardi, « Recenti rinvenimenti epigrafici nell’area cemeteriale di En-Ngila (Tripoli) », Felix Ravenna, n. s. 5-6 (105-106), 1973, p. 285 ; Ead., « Nuova iscrizione rinvenuta nella necropoli tardo-cristiana di En-Ngila (Tripoli) », Atti del III Congresso nazionale di archeologia cristiana, Trieste, 1974, p. 520.
77 Comme le fait Henri Bresc, « Arab christians », art. cité, p. 27, pour qui le monachisme est la base, l’école et le point de refuge de la hiérarchie ecclésiastique dans les pays musulmans de Méditerranée occidentale. C’est également l’avis de Clementina Rizzardi (« Nuova iscrizione », art. cité, p. 524).
78 La Chronique du mont Cassin évoque bien une communauté chrétienne à la Qal‘a des Banū Ḥammād, mais ne fait aucune référence à une quelconque présence monastique. L’intérêt du chroniqueur est lié uniquement à la captivité de deux frères du monastère au Maghreb.
79 Bresc, « Arab christians », art. cité, p. 3-45.
80 On ne trouve pas non plus d’inscription bilingue, comme en al-Andalus. Aillet, op. cit., p. 137.
81 Cf. Talbi, art. cité, p. 323, 337.
82 S. Lancel, « La vie et la survie de la latinité en Afrique du Nord. État des questions », Revue des études latines, 59, 1981, p. 288.
83 Paribeni, art. cité, p. 79.
84 Bresc, « Arab christians », art. cité, p. 15.
85 Bartoccini, Mazzoleni, art. cité, p. 168.
86 Ils s’expriment en langue latine d’Afrique (bi-lisān al-laṭīnī al-ifrīqī). Prevost, art. cité, p. 472-473, pense, avec Tadeusz Lewicki, qu’il s’agit d’une « langue latino-africaine » assez éloignée des parlers contemporains de l’Europe latine. Cf. T. Lewicki, « Une langue romane oubliée de l’Afrique du Nord : observations d’un arabisant », Rocznik Orientalistyczny, 17, 1951-1952, p. 415-480.
87 Bresc, « Arab christians », art. cité, p. 4. Au xie siècle, un poète ifrīqiyen, par amour pour un jeune marchand de vin chrétien, se rendait à l’église, les dimanches et jours de fête, au point qu’il finit par connaître une grande partie de l’Évangile et des préceptes chrétiens. H.-R. Idris, « Fêtes chrétiennes célébrées en Ifrīqiya à l’époque zīrīde (ive siècle de l’hégire/xe siècle après J.-C.) », Revue africaine, 98, 1954, p. 271. Si elle est vraie, cette anecdote tendrait à montrer au contraire que la liturgie se faisait en arabe. Mais il peut aussi y avoir là une simple volonté d’accentuer le caractère scandaleux et transgressif du comportement de ce poète.
88 W. Marçais, « Comment l’Afrique du Nord a été arabisée », Annales de l’Institut d’études orientales, 4, 1938, p. 8.
89 Aurigemma, op. cit., p. 175.
90 Paribeni, art. cité, p. 80.
91 Aillet, op. cit., p. 134.
92 L’hypothèse d’un scriptorium latin au Maghreb, au ixe siècle, a été posée, mais rien ne permet à l’heure actuelle de la vérifier. Roisse, « La circulation du savoir », art. cité, p. 222.
93 Lancel, art. cité, p. 288-289.
94 Di Vita, art. cité, p. 139. La datation selon l’ère alexandrine a été en particulier rejetée pour les inscriptions d’En Gila par Paribeni (art. cité, p. 80), ce qui confirme la faiblesse des liens avec les Églises égyptiennes.
95 Cette mention de l’« année des infidèles » peut aussi être interprétée comme le signe d’un sentiment identitaire face au groupe dominant. Eddé, Micheau, Picard, op. cit., p. 43.
96 Seston, art. cité, p. 120.
97 Février, art. cité, p. 212-213, qui note des ressemblances entre la graphie des épitaphes de Kairouan et les inscription ou les manuscrits mozarabes. Mais il relève que ce style se retrouve sur d’autres inscriptions africaines, et suggère d’« imaginer l’existence de manuscrits africains ou d’inscriptions aujourd’hui disparus ». Il invite surtout à mener une étude de paléographie comparée, qui pourrait éclairer les liens entre les communautés chrétiennes de Méditerranée occidentale.
98 Mahjoubi, art. cité, p. 161-162 ; N. Duval, « Les nouveautés de l’archéologie tunisienne. Une inscription médiévale de Kairouan : histoire d’une interprétation discutée », Revue des études augustiniennes, 37, 1991, p. 147 ; Gualandi, « La presenza cristiana », art. cité, p. 258.
99 Paribeni, art. cité, p. 79 ; Rizzardi, « Recenti rinvenimenti », p. 301. De même, on trouve une citation de Virgile dans les inscriptions de Aïn Zara, mais difficile à dater. Bresc, « Arab christians », art. cité, p. 16.
100 H. Bresc, « Le royaume normand d’Afrique et l’archevêché de Mahdiyya », dir. M. Balard, A. Ducellier, Le partage du monde, échanges et colonisation dans la Méditerranée médiévale, Paris, 1998, p. 354.
101 Cité supra n. 31.
102 Cité supra n. 32.
103 Cité supra n. 34.
104 Peut-être faudrait-il distinguer, au moins sur ce point, la situation de l’Ifrīqiya ou du Maghreb central, et celle de la Tripolitaine et du Maroc.
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