Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval (viie-xiie siècle) : le contexte documentaire
p. 35-61
Texte intégral
1En partant du célèbre axiome de Pierre Nora selon lequel « les lieux de mémoire ne sont pas ce dont on se souvient, mais là où la mémoire travaille ; non la tradition elle-même, mais son laboratoire1 », on peut considérer l’islamisation et l’arabisation – terminologie inventée par l’historiographie moderne – de l’Occident musulman d’abord sous l’angle de la fabrique d’une memoria arabe et islamique dans les territoires de conquête. Les sources arabes indiquent que ce processus est amorcé dès l’arrivée des troupes arabes. L’écrit et l’ensemble du matériel archéologique – l’architecture, la monnaie, la céramique, etc. – constituent les deux champs principaux de l’expression de cette mémoire. Ces supports forment deux domaines complémentaires de l’étude de l’islamisation et de l’arabisation, mais chacun d’entre eux pose des problèmes spécifiques. En guise de présentation de la documentation écrite, mobilisée dans l’ensemble des communications qui forment ce volume, nous voudrions aborder quelques-unes des questions que pose à l’historien la lecture de la littérature arabe se rapportant aux premiers siècles de l’Islam, période cruciale de ce processus complexe.
UN CONTEXTE HISTORIOGRAPHIQUE COMPLEXE
2Nul n’ignore que la conquête de la Méditerranée africaine, ibérique et sicilienne a en effet marqué un changement majeur et durable de l’histoire des populations de ces trois régions, à partir du milieu du viie siècle : à long terme, la manifestation la plus évidente de ce bouleversement fut l’arabisation et l’islamisation progressive des régions conquises ; mais si le résultat est un fait acquis2, les modalités de cette mutation lente restent largement à découvrir. L’une des raisons de cette difficulté tient à la disponibilité des documents, en particulier pour les viiie et ixe siècles : si les écrits arabes produits en ce temps ont été nombreux, ils ont, peu ou prou, tous disparu. C’est donc à partir de sources postérieures et, pour les premiers temps, des témoignages souvent d’origine externe, que l’on doit repérer les traces de l’évolution des sociétés du Maghreb, d’al-Andalus et de la Sicile sous domination musulmane. Comme le souligne Cyrille Aillet dans sa présentation de l’historiographie, le traitement des sources par les historiens contemporains a également pesé lourd sur la manière d’aborder l’émergence de l’Islam et de l’arabisme en Occident.
3Dans le contexte bien connu de l’historiographie des xixe et xxe siècles, une quantité remarquable de sources ont été éditées et ont permis à plusieurs générations d’historiens de dresser un cadre historique solide. De même, une documentation de première main a pu être mise au jour récemment, comme les lettres de l’époque almoravide et surtout almohade3 mais, comme la chronographie en arabe, elle apparaît à une période bien postérieure aux premiers siècles de l’Islam, au mieux au xiie siècle. Parfois, comme dans le cas de la Sicile et d’al-Andalus, les documents chrétiens offrent à l’historien de l’Islam les outils d’une connaissance plus approfondie des sociétés de l’Islam, mais là encore seulement durant les siècles de l’avancée latine et au-delà4. Aujourd’hui, seule l’archéologie permet de mettre véritablement à notre disposition de nouveaux matériaux contemporains des quatre premiers siècles de l’Islam. Toutefois, l’étude des textes demeure une étape essentielle de l’approche des premiers siècles de l’Islam, d’autant que le renouvellement de leur interprétation ouvre la voie à une exploitation plus fructueuse des informations qu’ils contiennent.
4À ce jour, notre appréhension de l’évolution de ces régions repose encore sur les grandes compositions d’Évariste Lévi-Provençal sur al-Andalus, de Mohamed Talbi sur l’Ifrīqiya et bien d’autres fresques de grande qualité, dans la mouvance de l’école des Annales5. Quelle que soit la qualité de cette production, elle demeure attachée à une période de l’historiographie de l’Islam qui privilégiait une lecture objective des textes aux dépens d’une approche critique et contextualisée de chroniques tardives. Comme l’ont montré, depuis quelques années, de très nombreuses études sur la littérature arabe médiévale, un tel rapport aux sources a longtemps masqué les problèmes que pose l’usage d’informations sur la formation de l’espace islamique médiéval, sans une historicisation préalable de la chronographie arabo-musulmane : le moment de son écriture, le milieu dans lequel elle s’est constituée, le contexte de la conservation ou de la disparition des écrits, entre autres paramètres, sont désormais des données essentielles de toute reconstruction de l’écriture historique des premiers siècles de l’Islam6. C’est d’Orient qu’est venu le renouveau, grâce à une approche historique adaptée aux particularités de la documentation concernant les premiers siècles de l’Islam. Les historiens, anglo-saxons surtout, du Proche-Orient aux premiers siècles de l’Islam ont constitué une grille de lecture des œuvres disparues, reprises comme sources par les historiens arabo-musulmans de l’époque du califat abbasside. Elle restitue un cadre de plus en plus précis pour l’utilisation de la production en arabe, permettant une approche plus satisfaisante des deux premiers siècles de l’hégire. Sans souscrire au radicalisme des tenants du Linguistic turn qui considèrent que l’absence de sources contemporaines empêche de traiter l’histoire des deux premiers siècles de l’Islam7, la disparition des écrits arabes, hormis le Coran, de ces premiers moments islamiques et la rareté des documents de première main, même en Égypte pourtant favorisée par la conservation des papyri, posent de sérieux problèmes à l’historien qui travaille sur les processus d’arabisation et d’islamisation. Toutefois, les travaux des historiens de l’Orient musulman, très réservés envers les positions de ceux qu’ils ont qualifiés de « sceptiques », ont largement contribué à mettre au point une méthode d’approche critique de ces sources et à donner une nouvelle impulsion à l’histoire des débuts de l’Islam, tout en s’appuyant toujours plus sur les progrès de l’information fournie par les archéologues8.
5Dans le contexte historiographique de l’Islam médiéval d’Occident, Gabriel Martinez-Gros, adoptant une démarche similaire à celle de ses confrères spécialistes de l’Orient, a montré que l’histoire des premiers temps de l’Islam andalou reflétait, en réalité, le discours imposé par les historiographes du califat omeyyade et leurs choix idéologiques, restitution relayée par les chroniqueurs du xie siècle comme Ibn Ḥayyān, après la désagrégation du califat omeyyade9. En effet, tous les documents, ou presque, de l’époque émirale ont disparu, nous privant d’un regard contemporain sur les événements des viiie et ixe siècles. Comme l’a montré Mohamed Talbi, mais sans en tirer les mêmes conséquences méthodologiques, la situation de l’historiographie en langue arabe concernant l’Ifrīqiya est comparable à celle d’al-Andalus, son histoire étant accessible uniquement dans des textes composés bien postérieurement et qui gardent la marque de leurs commanditaires. Par exemple, même si tous les historiens de l’Ifrīqiya médiévale accordent une place essentielle à la chronique d’al-Raqiq (m. après 1027-1028), connue sous le titre de L’histoire d’Ifrīqiya et du Maghreb, seuls les passages de son œuvre retrouvés chez les auteurs tardifs, tel Ibn ‘Iḏārī10, nous donnent accès à l’histoire de premiers siècles de l’Ifrīqiya.
6Notre perception de l’islamisation et l’arabisation des premiers temps de l’Islam est donc le résultat des « filtres » successifs des écrits arabes qui émanent de milieux de lettrés dont la formation repose largement sur un substrat commun11, au moins depuis le ixe siècle et le début de la domination d’une « culture » malikite. De nouvelles pistes historiographiques poussent à repenser la manière d’aborder ces documents. L’une des démarches nécessaires consiste à identifier les grands foyers qui donnèrent naissance à des modèles d’écriture et à suivre la diffusion de ces derniers jusque dans l’Occident musulman :
- Plusieurs historiens, comme Georges Marçais, ont mis en avant l’ascendant de l’Orient, dans la mesure où la littérature est un facteur majeur de l’arabisation et de l’islamisation de l’Islam occidental. L’importation d’un modèle né en Orient est, à n’en pas douter, un aspect essentiel dont on trouve la trace dans la chronographie arabe d’Occident. Toutefois, la manière d’aborder les rapports Orient-Occident demeure largement à découvrir.
- L’histoire des débuts de l’Islam, rapportée par les sources arabes, vise particulièrement à fixer une mémoire islamique. Les deux dimensions de cette memoria que les textes font apparaître sont l’espace, entre les lieux d’origine de l’Islam et les régions conquises en Occident, et le temps qui sépare le moment du récit de celui de l’écriture. Les pouvoirs souverains qui gouvernent les régions d’Occident et les autorités juridiques malikites s’accaparent l’écrit et le support monumental. Toutefois, malgré la disparition de la plupart des textes des deux premiers siècles de l’Islam en Occident, la trace de mémoires concurrentielles a pu nous parvenir, qui démontre à la fois la complexité et la variété des processus d’islamisation et d’arabisation de l’Occident musulman.
L’ÉCRITURE MÉMORIELLE ENTRE ORIENT ET OCCIDENT : LE RÔLE DES « AUTORITÉS »
7Comme le montre le titre même de son histoire des premiers siècles du Maghreb, La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen Âge, Georges Marçais a mis en avant, dès les premières décennies du xxe siècle, l’impact de l’influence orientale sur le processus de l’islamisation et de l’arabisation de l’Occident musulman. Cet historien, comme Évariste Lévi-Provençal ou Henri Terrasse, fait ressortir l’attachement durable des lettrés et des autorités de ces régions à l’Orient, berceau de l’Islam et source de leur légitimité. De la même façon, dans son ouvrage sur l’architecture musulmane d’Occident, les édifices et leurs décors trahissent l’origine orientale de l’inspiration des artistes et des architectes, et imposent aux regards des Maghrébins, des Andalous ou des Siciliens les canons de la nouvelle religion et de la culture qui la porte. Toujours selon Georges Marçais, ces écrits, comme les édifices, présentent également un caractère régional, mais c’est d’Orient que vient l’inspiration initiale, et l’esprit de la nouveauté qu’apportent les conquérants et leurs descendants s’impose aux peuples de civilisations essoufflées, remplacées par l’Islam. Les deux ouvrages de Georges Marçais suivent une même logique, qui place l’Orient à la source des transformations de la société occidentale, et cette vision restera dans les esprits des historiens jusqu’à une date récente12.
8Ces filières littéraires et culturelles orientales ont conduit à considérer que le mouvement de l’islamisation et de l’arabisation de l’Occident, tel qu’il apparaît dans les sources, sous la plume d’auteurs issus du même moule intellectuel et spirituel, aurait nourri le Maghreb des richesses de l’intellect irakien, jusqu’au xie siècle. Ainsi, la conquête arabe aurait fini de détruire un cadre romain et chrétien bien affaibli par la crise de la Méditerranée, expliquant les succès militaires aux dépens des Byzantins et des Wisigoths, mais aussi des Berbères. La faiblesse récurrente du christianisme au cœur du Maghreb, comme les crises d’un christianisme divisé en al-Andalus, entre Séville et Tolède, à l’occasion de la diffusion de l’hérésie adoptianiste, auraient offert à l’Islam les bases d’un succès rapide, dans la mesure où les conquérants apportaient avec eux un modèle social, fondé sur la nouvelle prophétie, convenant particulièrement bien au milieu berbère et suscitant un clientélisme très attractif. À la suite des travaux de Jean Sauvaget, Georges Marçais a trouvé dans l’« élan arabe » l’indice d’un Orient beaucoup plus vigoureux que ce qui restait de la romanité – on est là dans le schéma classique du déclin de l’Empire romain d’Occident, depuis Gibbons – et qui a réimplanté en Occident les valeurs de l’hellénisme et de la romanité conservées en Syrie et en Égypte, et reprises par l’Islam13. Ce modèle aurait perduré jusqu’au xie siècle, avant les « catastrophes » hilalienne et almoravide, déjà considérées par Reinhart Dozy comme les causes d’un radicalisme islamique qui devait entraîner le Maghreb vers le déclin, à partir du xie siècle. Cette vision imposait définitivement le sentiment d’une domination de la culture orientale sur les lettrés et les autorités d’Occident, bien que cette région se soit rapidement émancipée de la tutelle abbasside. Les souverains arabes établis à l’Ouest, exilés qurayshites ou gouverneurs d’origine orientale, qui ne peuvent tenir leur souveraineté que par délégation de pouvoir ou en promouvant d’autres courants de l’islam tel que le kharijisme, sont les premiers à insister sur leur attachement à l’Orient, dont ils tirent leur légitimité déléguée.
9La chronographie arabe – chroniques et géographies – impose effectivement un schéma dans lequel les capitales, fondées ou investies par les conquérants – Kairouan, Tahert, Fez, Cordoue –, deviennent les réceptacles de l’orientalisme islamique et arabe qui se diffuse ensuite le long des voies qui mènent aux capitales régionales puis aux ḥuṣūn et, finalement, aux villages (qura). Il n’est pas surprenant que le vocabulaire désignant les localités soit étroitement relié à l’organisation de la fiscalité : l’albacar, dans le ḥiṣn, désignerait un enclos de la forteresse, où le représentant du sulṭan venait peut-être récolter l’impôt ; le terme qarya reste imprécis pour évaluer la taille du « village », parce que le terme désigne avant tout une circonscription fiscale14. Emmanuelle Tixier a montré que le caractère répétitif de la description des paysages musulmans par les géographes occidentaux s’explique par la volonté de démontrer l’emprise d’un Islam présentant des caractéristiques communes, dans un espace hiérarchisé, voué à être islamisé et arabisé « par le haut », depuis la capitale15.
10Toutefois, ce sont les chroniques, consacrées au sulṭān, qui offrent le meilleur éclairage sur la volonté souveraine de promouvoir une société dont les fondements devaient être ceux de l’Orient abbasside. Al-Andalus omeyyade donne un bon exemple d’une progression de l’arabisation et de l’islamisation dont les références sont orientales. Selon les chroniques arabes, l’arabisation aurait gagné Cordoue seulement au milieu du ixe siècle, en la personne de Ziryab. Musicien renommé de Bagdad, qu’il est obligé de quitter, il est alors invité par ‘Abd al-Ra.man.II à venir s’installer dans la capitale d’al-Andalus pour diffuser la mode et la culture orientales. Il est présenté par Évariste Lévi-Provençal comme un nouveau Pétrone qui imposa les arts de la poésie, de la musique, ou la mode vestimentaire, en faveur à Bagdad. Les émirs al-Ḥakam Ier (796-822) et ‘Abd al-Raḥmān II (822-852) sont également crédités, dans les sources, de l’introduction du malikisme, pour encadrer l’exercice du droit dans la Péninsule, de préférence aux trois autres « écoles » juridiques qui se partagent alors les territoires sunnites. Le cadi andalou Yaḥya b. Yaḥyā al-Layṯī, formé en Égypte auprès des grands maîtres, qui avaient eux-mêmes gagné Médine pour écouter Malik b. Anas (m. 795), édita en al-Andalus la plus ancienne version conservée du Kitāb al-Muwaṭṭa’, regroupant les enseignements du fondateur du malikisme, et apparaît comme le premier à avoir organisé son enseignement et sa diffusion en al-Andalus, sous la protection intéressée des émirs.
11Ce n’est pas un hasard si les deux personnages désignés par les sources comme les promoteurs de l’islamisation et de l’arabisation en al-Andalus sont contemporains, dans la mesure où cette initiative relève de la volonté exclusive de l’émir16. Cette appropriation par les émirs omeyyades d’une culture orientale, en cours d’élaboration à Bagdad, signifie qu’à leurs yeux l’islamisation et l’arabisation d’al-Andalus n’auraient commencé véritablement qu’au cours du ixe siècle, à partir de Cordoue ; se pose alors la question de ce qu’il pouvait y avoir d’islamité et d’arabité avant cet avènement. L’élaboration de cette image d’une mutation tardive de la société d’al-Andalus rend difficile l’étude d’une arabisation et d’une islamisation antérieures au ixe siècle. ! Comme par une sorte de coïncidence, cette chronologie est en quelque sorte avalisée par les estimations, tirées de l’étude des anthroponymes des convertis, menée par Richard Bulliet qui considère que le xe siècle marqua le moment où les musulmans deviennent majoritaires dans l’ensemble des régions de l’Islam17.
12On retrouve dans l’historiographie aghlabide un rythme à peu près équivalent, dans la mesure où les émirs ifrīqiyens, originaires de l’Irak abbasside, se présentent également comme les inventeurs de l’arabisation et de l’islamisation : Ziyādat Allāh (817-838), lorsqu’il s’approprie la construction des célèbres ribāṭ-s de Sousse et Monastir, pourtant édifiés dès le règne de Hārūn al-Rašīd par ses gouverneurs d’Afrique, fait agrandir la mosquée de Kairouan, fondée par ‘Uqba b. Nāfi‘, ou bien lorsqu’il lance le djihad en Sicile, capte les mérites de ses prédécesseurs, au moment même où le malikisme s’impose, par l’entremise de Saḥnūn, après un bref intermède mu‘tazilite. L’absence de chroniques et de traditions attachées à la dynastie idrisside empêche de savoir quels mérites ces princes ont pu s’attribuer. Toutefois, un indice ne trompe pas, qui montre une démarche similaire à celle des autres émirs d’Occident : al-Bakri leur attribue la fondation de beaucoup des cités du Nord et du Centre du Maroc, entre les ixe et xe siècles. Arzila est ainsi « fondée » autour du ribāṭ des Berbères qui surveillaient la côte contre les incursions vikings depuis le milieu du ixe siècle, lorsque l’émir fait passer la cité sous son autorité, en un temps qui n’est pas précisé. Les fouilles à Basra, au nord du Maroc, ont permis de dégager les restes d’une ville antérieure à la cité dont les Idrissides s’attribuent la fondation18, au moment où la ville berbère passe sous l’autorité émirale. En Ifrīqiya, les premières sources conservées datent de l’époque du califat fatimide, au pouvoir depuis 902 à Kairouan. Toutefois, l’œuvre majeure sur la période aghlabide reste L’histoire d’Ifrīqiya et du Maghreb d’al-Raqīq, qui prend à son compte l’ensemble des traditions sur les périodes aghlabide et antérieure. L’ouvrage a survécu au moins jusqu’au xve siècle, sans parvenir entre nos mains, et a servi de base à l’ensemble des chroniques arabes du Moyen Âge ; une étude plus poussée de son apport dans les chroniques postérieures reste à mener19. Cité par Ibn ‘Iḏārī, al-Raqīq a lui-même utilisé les deux principales sources historiques contemporaines de l’émirat aghlabide : celle du cadi malikite Muḥammad b. Saḥnūn (m. 870), auteur de sept volumes de vies de ses confrères (Ṭabaqāt al-‘Ulamā) et d’une Histoire (Ta’riḫ) en six volumes. L’autre grande chronique aghlabide fut composée par Muḥammad, fils de l’émir Ziyādat Allāh II (863-864), avant qu’il ne soit exécuté sur l’ordre d’Ibrāhīm II (875-902)20. Fils d’un émir ou fils du plus célèbre malikite de l’Occident musulman, les deux Muḥammad représentent bien le milieu des lettrés de l’Occident médiéval, circonscrit au cadre finalement étroit du pouvoir et de la capitale. ! En Ifrīqiya aussi, les traces d’une tradition de récits arabes remontent très haut, probablement rassemblées par les oulémas, comme en Égypte. L’étude de documents de la mosquée de Kairouan confirme la précocité des écrits de ce milieu21.
13Ces chaînes de transmission montrent que les traditions sont « sélectionnées22 » par les deux autorités majeures de l’Islam occidental que sont les fuqahā’ et les scribes au service ou proches des souverains. À partir du xe siècle, l’effort considérable des deux califats, fatimide et omeyyade, pour imposer leur propre vision de l’histoire de l’Islam constitue un moment clé de l’historiographie arabe, sous toutes ses formes. L’interventionnisme des souverains sur le processus d’écriture de l’histoire de la région, toujours selon l’esprit abbasside, semble avoir entraîné une véritable rupture historiographique, accentuée par une nouvelle organisation des fonds des fameuses bibliothèques de Cordoue, de Kairouan puis du Caire : ouvrages cultuels, exégétiques et juridiques dominent ; les œuvres historiographiques sont soigneusement sélectionnées et côtoient les ouvrages que l’on fait venir à grand prix d’Orient. L’écriture n’est pas la même selon le sujet observé. On voit bien apparaître une mutation du récit dans le Muqtabis d’Ibn Ḥayyān (m. 1076), où la façon de décrire les événements du ixe siècle est bien différente sur la forme et le fond, avec ceux qui se rapportent au califat. Pour cette partie, l’historien andalou s’en est remis très largement à la chronique officielle d’A.mad et ‘Isā al-Rāzī23. Ibn Ḥayyān cite plusieurs sources pour décrire les événements de l’époque émirale ; si tous ces textes ont disparu, il en disposait encore après la fin du califat, signe qu’il n’y a pas eu élimination volontaire ou systématique. ! La fidélité de l’Andalou du xie siècle aux écrits contemporains des événements rend bien compte d’une rupture littéraire sensible entre les deux périodes de la dynastie24.
14Le savant malikite incarne, plus encore que le pouvoir politique, la construction d’une identité « orientale » de la région qui recouvre peu à peu les marques des anciennes cultures25. Les oulémas s’attribuent en effet le mérite des progrès continus de l’islamisation de la région occidentale. On retrouve ici les mêmes filières d’une légitimité dont les racines sont obligatoirement celles de Médine.
15Les travaux récents sur le premier siècle de l’Égypte montrent le rôle essentiel de Fusṭāṭ et sa région, présentées par les oulémas à la fois comme foyer initial de la littérature arabe et comme relais, entre l’Orient et l’Occident musulman, de la diffusion de la culture arabo-musulmane26. Il est intéressant de noter l’effort des chroniqueurs égyptiens et occidentaux, avant tout connus pour être des savants en religion, pour mettre en exergue les liens permanents qui ont existé entre les fuqahā’ égyptiens et ceux de l’Occident musulman. Maḥmud Makkí fut le premier historien à étudier la relation étroite entre les foyers d’oulémas andalous et égyptiens, en dressant la liste de tous les grands maîtres d’Occident qui avaient effectué, la plupart du temps à l’occasion de leur pèlerinage à La Mecque, une longue formation auprès des juristes d’Alexandrie et surtout de Fusṭāṭ27. Depuis, les travaux se sont multipliés qui ont montré le rôle de l’Égypte, comme relais du malikisme d’abord vers Kairouan, puis vers Cordoue. Les biographes insistent sur cette étape de leur formation, afin de montrer leur attachement à leurs racines orientales. La communication de Nelly Amri sur les érudits combattants, au moment de la « persécution » fatimide, rapportée par al-Malīkī, indique combien la résistance de ces derniers au xe siècle repose sur la vivification de la mémoire du passé, incarnée par les vies de Saḥnūn et de ses disciples28. Après le départ des Fatimides, au xie siècle, les malikites de Kairouan donnent un nouvel élan au prosélytisme islamique, en particulier en direction du Maghreb occidental : ils sont à l’origine d’une nouvelle vague de conquêtes et d’un mouvement d’islamisation visant les tribus mal converties, ou bien lancé contre les royaumes noirs au sud du Sahara. Pour cela ils envoient des missionnaires, dont le plus célèbre est Ibn Yāsin, fondateur du mouvement almoravide29. Ils s’imposent ainsi comme une alternative à l’échec des pouvoirs politiques et veulent apparaître, au moment où le Maghreb, comme al-Andalus, est fragilisé par des défaillances dynastiques, comme les véritables garants de l’islamisation. Cette vocation des malikites explique leur rôle essentiel dans la diffusion des traditions historiques (aḫbār). Pratiquement tous les transmetteurs des récits sur les premiers temps de l’Islam sont des juristes, et plus particulièrement des malikites. Aussi, il n’y a pas lieu de s’étonner que l’essor de l’histoire des premiers temps de l’Islam en Ifrīqiya, comme en al-Andalus, soit contemporaine de celle du malikisme.
16Le goût persistant des lettrés d’Occident de culture arabe pour l’orientalisme sert à la fois la légitimité du prince et les intérêts des oulémas. Il nous permet de saisir les symboles de l’Islam que ces autorités entendaient imposer aux régions occidentales. Toutefois, cette historicisation de l’islamisation et de l’arabisation de l’Occident fait l’économie de toute une tradition née sur place qui ne serait pas d’origine orientale, alors que les traces d’une fabrique d’une tradition arabe et islamique en Occident est perceptible, ne serait-ce que par la mention d’auteurs ou d’ouvrages remontant à la conquête arabe. Cette volonté d’escamoter une historiographie primitive de l’Occident, à quoi s’ajoute la disparition progressive, et non volontaire, au moins en partie, des écrits des premiers siècles islamiques30, confirme l’interventionnisme des pouvoirs d’Occident sur l’écriture de l’historiographie arabe. Il convient donc de se poser la question de la gestion du passé dans la chronographie régionale disponible.
17Deux phases essentielles caractérisent l’historiographie arabe occidentale : une phase protohistorique, pour reprendre le propos de Fred Donner concernant l’Orient musulman31, recouvre la période allant du viie au milieu du ixe siècle, pour laquelle nous ne disposons d’aucun écrit arabe contemporain ; celle qui commence au xe siècle, peut-être dès la seconde moitié du ixe siècle, nous confronte directement à la production littéraire « classique », composée d’emblée en intégrant tous les canons littéraires transmis par la prodigieuse génération de lettrés de Bagdad et du Proche- et Moyen-Orient, depuis l’époque de Harun al-Rašid (786-809). Ce processus d’écriture indiquerait que toute forme d’élaboration de la pensée arabe occidentale avait été systématiquement reprise à l’Orient. Pourtant, si la production géographique occidentale de l’Islam est bien issue du moule astronomique, administratif ou géographique –.qui est celui du Kitab al-Masālik wa l-mamālik (« Livre des routes et des royaumes »).–, élaboré à partir de la fin du ixe siècle à Bagdad, les descriptions d’al-Bakri ou d’al-Idrisi contiennent des informations inédites sur l’Occident musulman et des formes nouvelles d’écriture qui montrent une autonomie des lettrés occidentaux dans l’élaboration de leurs œuvres32. Cette liberté d’écriture se retrouve dans l’ensemble des genres littéraires en langue arabe, mais nous n’avons pas les moyens de déterminer à quel moment elle est apparue.
18Les formes d’une écriture et d’une pensée originales en Occident musulman paraissent donc émerger tardivement : si l’on prend l’exemple d’al-Andalus, on note une différence fondamentale entre la littérature califale omeyyade, qui reprend les canons de l’écriture arabe orientale, et celle du xie siècle, moment où, fortement secondée par la production littéraire juive, les grands esprits arabomusulmans, tel Ibn.azm (994-1063), taraudés par l’effondrement d’al-Andalus omeyyade, inventent des formes d’expression originales et remarquables33. En Ifrīqiya, la production fatimide, en particulier les compositions du cadi Nu‘mān et du secrétaire de l’Ustāḏ Ğawḏar, reste dans un cadre scripturaire dédié à la légitimité du prince. Certes, ces traités remettent en cause les prétentions universelles des Abbassides sur l’Islam, mais ils le font en utilisant les armes forgées par les souverains de Bagdad pour définir la légitimité califale34. De même, comme l’a montré Hady-Roger Idris, seuls les traités juridiques et biographiques malikites offrent des témoignages contemporains sur l’époque ziride35. Il nous manque les chroniques contemporaines produites sur place, comme celle d’al-Raqīq, pour juger de l’existence éventuelle d’une évolution comparable à celle d’al-Andalus. Depuis les travaux de Gabriel Martinez-Gros, cette fracture historiographique arabe a nourri les réflexions sur le sens de l’histoire délivrée par les sources califales, mais celles-ci demeurent encore trop discrètes au regard des travaux sur l’Islam oriental. Cette démarche est pourtant essentielle pour restituer les conditions de l’évolution des sociétés de l’Islam médiéval.
19Le processus de transmission des « traditions » dans les premiers ouvrages historiques arabes disponibles nous permet de remonter à des récits contemporains des événements décrits : l’Égyptien Ibn ‘Abd al-Ḥakam (m. 870), le premier auteur dont la chronique des conquêtes a été conservée36, cite comme source de la conquête de l’Espagne la relation de ‘Uṯmān b. Ṣāliḥ (m. 834), lui-même largement redevable à Ibn Lahī‘a (m. 790). Ce dernier, né en 715, aurait recueilli les traditions se rapportant à l’Occident auprès de 72 « suivants » (ṭābi‘ūn), de passage en Égypte et, parmi ceux-ci, les acteurs de la conquête d’al-Andalus, tels Ḥanaš al-Ṣan‘ānī ou ‘Abd al-Raḥmān al-Ḥubulī, ou bien leurs enfants, comme Ḫālid b. Abī ‘Imrān37. Nous savons, par ailleurs, que les fuqahā’, venus se former auprès des maîtres hanafites ou malikites égyptiens, à Alexandrie et à Fusṭāṭ, tel Ibn Ḥabīb (m. 854), le premier chroniqueur andalou dont l’Histoire (Ta’riḫ) a été conservée, ont rapporté à leur tour les récits rédigés par les transmetteurs de traditions (ḥadīṯ-s et aḫbār), tel le célèbre ‘Abd Allāh b. Lahī‘a (m. 790), disciple de Malīk b. Anas38. Ce processus de transmission et d’écriture, qui a valeur exemplaire, montre que les propos de Fred Donner concernant les sources orientales ont d’autant plus de signification pour l’Occident musulman :
Tout effort pour comprendre ces compilations [d’âge] classique (tel Ta’rīḫ d’al-Ṭabarī) seulement comme un exercice d’interprétation libre sur la part livrée par l’auteur serait difficile, dès lors que cet effort ne prendrait pas en compte les contraintes imposées par la tradition historiographique antérieure39.
20Cette démarche paraît d’autant plus appropriée dans le cadre d’al-Andalus que les informations livrées par Ibn Ḥabīb, juriste malikite proche des sphères du pouvoir, proviennent au moins en partie de la filière égyptienne, elle-même liée à Médine, aux villes du Bilād al-Šām, ou à l’Irak à partir de l’époque abbasside. Sa chronique puise à d’autres sources, proprement andalouses, mais elle est aussi imprégnée de l’atmosphère eschatologique qui prévaut à cette époque en Égypte40. Son Histoire datant du milieu du ixe siècle, et contemporaine de la première chronique conservée produite en Orient41 ou de la Mudawwana de Saḥnūn, on peut constater qu’il n’y a pas de décalage chronologique entre les débuts de la littérature historique en Irak et en Occident. Nous savons également que le démarrage de la collecte des aḫbār sur l’Occident musulman est contemporain de la conquête.
21Toute la difficulté de l’historien tient à la manière d’exploiter la chronographie arabe qui ne cherche pas à rapporter des faits tels qu’ils se sont déroulés, mais tels qu’ils permettent de légitimer la présence de l’Islam, au travers de ses conquérants puis de ses souverains. La difficulté d’interprétation est d’autant plus grande qu’il est difficile de savoir comment cette historiographie s’est constituée et quels publics étaient visés, en dehors du cercle gouvernemental. Ce qui apparaît sûr, c’est la volonté de fabriquer une mémoire dès la conquête. Cette memoria prend forme grâce à plusieurs symboles, comme l’espace et son appropriation, ou bien au travers de récits fondateurs.
LES RÉCITS D’UNE APPROPRIATION ISLAMIQUE DE L’ESPACE
22Les textes arabes apportent une attention particulière aux lieux et aux édifices qui symbolisent la présence musulmane, signe de leur place essentielle comme marqueurs de l’islamisation. On a vu que les souverains n’hésitaient pas à s’approprier un espace soi-disant vierge, pour y fonder une ville, témoignage de l’islamisation. Cette confusion entre appropriation et arabisation/islamisation, se retrouve sur un autre plan, exprimée par al-Idrīsī qui, au xiie siècle, distingue clairement la ville « sédentarisée » dont les édifices emblématiques, comme la mosquée du Vendredi, sont regroupés derrière une enceinte, lui donnant une apparence « orientale », de l’agglomération berbère, étirée sur une longue distance et dont les organes principaux – mosquée, marché, forteresse, éventuellement le ribāṭ comme à Māssa, au sud du Maroc – sont éclatés en plusieurs noyaux ; ce type de peuplement, sédentaire lui aussi, caractériserait l’habitat berbère, sans la présence de l’autorité arabe. L’espace est donc logiquement utilisé comme un outil essentiel par les chronographes arabes pour imposer leur vision du processus d’islamisation et, parfois, d’arabisation de l’Occident musulman.
23La mosquée est évidemment le premier symbole qui vient à l’esprit ; mais curieusement, la mention de fondations n’est pas si fréquente, peut-être parce qu’elle coule de source ? Seules les mosquées des capitales et des dynasties attirent l’attention des auteurs, comme c’est le cas de la mosquée des Omeyyades de Cordoue. Le récit de sa fondation – rapporté par Ibn ‘Iḏārī en particulier – reprend le modèle narratif d’une fondation orientale : les conditions de la construction de la mosquée omeyyade de Cordoue sont strictement identiques à celles qui avaient présidé à la construction de celle de Damas. L’objectif mémoriel lié à.la légitimité omeyyade est évident42. La description des cités, en premier lieu la capitale, rend compte de la transformation des paysages urbains sous l’effet de l’islamisation et de l’arabisation. Comme pour les campagnes, nous trouvons le message brouillé par la répétition des stéréotypes : toujours la mosquée, marque de l’islam, le dār al-Imāra en attendant la qaṣāba ou le palais du prince, les défenses, le marché, comme tous les édifices qui marquent la cité de la présence du sulṭān, reviennent dans la description de chacune des cités. Toutefois, quelques géographes nous surprennent, comme l’Irakien Ibn Ḥawqal, peut-être parce qu’il n’est pas entravé par ses origines orientales. Il marque à sa manière l’évolution des régions occidentales qui se transforment sous l’effet de l’acculturation. Les changements du paysage urbain témoignent des gains de l’islam, aux yeux des géographes. Au contraire, les campagnes peuvent apparaître comme des conservatoires du passé. C’est le sens probable des propos d’Ibn Ḥawqal sur les grandes propriétés où résidaient des milliers de paysans mozarabes en al-Andalus. Le monde rural apparaît alors comme une sorte d’anachronisme par opposition à la ville arabe, dont la modernité est caractérisée par les édifices de l’Islam. Rappelons les relations établies par les chroniqueurs entre les bourgs ou villages berbères du Maghreb et le caractère archaïque qui est attribué à ces zones rurales. La ville peut aussi refléter l’évolution d’une région passée sous domination islamique : l’auteur, décrivant Palerme, commence par rappeler que l’ancienne église de Palerme, transformée en mosquée, contient les reliques d’Aristote, vénérée par tous ceux qui viennent dans l’édifice43. Les traces du passé non musulman permettent de montrer d’autant mieux les « progrès » accomplis depuis la domination de l’Islam.
24Présents dans la plupart des chroniques, les récits fondateurs qui accompagnent le film des conquêtes de chacune des régions nous permettent de constater le démarrage immédiat du travail de mémoire en faveur de l’Islam, aux dépens de terres infidèles que les Arabes n’avaient jamais foulées. Comme l’a montré Sylvie Denoix pour l’Égypte, ces traditions, dans le cadre des descriptions des mérites sur les villes (faḍā’il), ont en particulier pour fonction de signifier une rupture irréversible avec le passé, marquée par le moment où commencent l’arabisation et l’islamisation des pays conquis44. La nécessité de faire remonter cette memoria à la conquête est à lier au rôle fondamental des compagnons du Prophète (aṣḥāb) ou de leurs successeurs immédiats, les « suivants » (ṭābi‘ūn), à même de témoigner des propos du Prophète qu’ils ont connu ou dont la deuxième génération, qui leur a succédé, a pu recueillir les propos de la bouche des compagnons45. Ainsi, ‘Amr b. al-‘Aṣ jusqu’à Tripoli, ou bien ‘Uqbā b. Nafī‘, tantôt considéré comme un compagnon, tantôt comme un « suivant », en Ifrīqiya et au Maghreb, ont non seulement conduit les armées, mais ont également pris les mesures nécessaires pour fonder l’islam en ordonnant la construction d’un camp, Fusṭāṭ, ou d’une « étape », Kairouan, et l’édification des mosquées qui portent leur nom. ‘Amr, qui a écouté les paroles de Muḥammad, indique à ceux qui se soumettent, à l’instar des Berbères de Barqa, comment suivre les préceptes de la loi de l’Islam. ‘Uqba, pour sa part, trouve le martyre au Maghreb, et la tombe du « héros » est vénérée comme celle d’un saint.
25Les récits de fondation, que Dominique Valérian présentera dans un prochain volume, constituent le prolongement naturel de la fonction mémorielle des récits de conquête, toujours attachée à ses héros. Ainsi, le récit de la fondation de Kairouan, marqué par la purification du site, au travers des paroles de ‘Uqba b. Nafī‘ faisant partir les bêtes malfaisantes assimilables à l’infidélité, permet de reporter la sacralité orientale sur le sol occidental46. Cet acte fondateur et de légitimation peut se produire par l’intercession d’un héros du passé, à n’importe quelle époque : la découverte à Fez du tombeau d’Idris, sous le gouvernement du sultan et calife Abū ‘Inān (1348-1358), permit au souverain mérinide de faire porter sur sa capitale et sur lui-même les mérites attachés à l’arrière-petit-fils de Ḥusayn, l’imām martyr de Kerbala, descendant de ‘Ali et du Prophète, par Fatima. Cette intercession de la sainteté, objet de séminaires au cours de l’année 2008-2009, reste d’actualité à toute époque, en étant attachée aux pieux personnages dont la mémoire est rapportée par les biographies consacrées aux oulémas, puis, à partir de la fin du xiie siècle, coïncidant avec l’essor du soufisme, aux saints mystiques. Cette sainteté est matérialisée par des édifices que l’on connaît sous diverses appellations : la qubba, le ribāṭ, la madrasa, ou la zawiya, mais c’est toujours la tombe qui est l’objet des visites pieuses de la part des croyants. Ainsi, le récit hagiographique et la tombe sont associés à la mémoire du saint, dont l’action permet la fondation sans cesse répétée de lieux de commémoration en faveur de l’Islam, pouvant s’étendre jusqu’à la fin des temps : la mémoire des mérites des savants pieux, perpétuée depuis le commencement de l’Islam, crée un lien entre La Mecque et Médine d’une part, et les terres de l’infidélité conquises par les Arabes d’autre part, et relie le temps de la Prophétie à celui du présent des fondations pieuses, dans l’esprit de l’iṣnad, constituant une preuve de l’universalisme de l’Islam. La fondation des ribāṭ-s et plus tard des zawiyas, par un pieux érudit ou une famille, perpétue le lien entre la sainteté et le lieu consacré, densifiant sans arrêt les symboles de la présence de l’Islam sur le territoire, et alors que s’effacent progressivement les traces du passé païen ; processus classique de la substitution d’une mémoire par une autre47.
26Certains espaces attirent plus spécialement l’homme qui entend mettre sa piété à l’épreuve. C’est le cas, bien connu, de la frontière, autre lieu essentiel d’une mise en scène de l’islamisation et de l’arabisation. La présence des « érudits en armes » donne aux sites où ils se retirent, face au danger et à l’infidélité, en des villes, des enceintes ou des tours qui deviennent des ribāṭ-s, un rôle particulier. Les côtes des pays maghrébins et ibériques, ou en Sicile, face à la mer tour à tour hostile ou inspiratrice, acquièrent une sacralité particulière. Le djihad, révélateur de ce mérite, rend de considérables services dans une société où en théorie la guerre est un acte perpétuel : les sources arabes indiquent clairement que l’institutionnalisation de la guerre en Islam est d’abord un fait religieux, dans la mesure où il reporte sur les frontières, dans un empire désormais stable, l’ensemble des opérations de guerre, les actes héroïques des compagnons du Prophète et de leurs suivants au temps des conquêtes. Il n’est donc pas étonnant que les clercs musulmans, tel l’Andalou al-Ṭarṭūšī au xie siècle, consacrent une large place aux tactiques et stratégies de guerre, dans un ouvrage dédié à la promotion du djihad. Ces indications sont aussi précises que celles des traités d’armurerie des sultans orientaux et tiennent compte des évolutions de la guerre face aux chrétiens48. Dans les chroniques, dédiées au souverain, c’est la protection de l’Islam qui définit le djihad du calife ou de ses délégués ; du coup, le djihad et la tactique sont traités différemment, à commencer par le choix du vocabulaire : la sayfa ou la razzia apparaissent beaucoup plus que le terme de djihad, sauf lorsque le souverain est à la tête de ses troupes.
27La diffusion du ribāṭ reste un objet d’études à venir, mais nous savons que cette institution a une origine orientale : les travaux de Michael Bonner sur la promotion du djihad par les érudits en armes et de la figure du « calife-ġāzī » par Hārūn al-Rašīd et ses deux fils, al-Ma’mūn et al-Mu‘tasim, sur la frontière byzantine et, plus particulièrement dans la région de la Cilicie, avec Tarse comme emblème, montre la frontière du Taurus comme le laboratoire de la conception d’une guerre axée sur des frontières désormais stables de l’empire49. C’est à ce moment qu’apparaît le rôle emblématique des ribāṭ-s sur le front méditerranéen, symbole de la défense des frontières et de l’engagement des hommes pieux dans la guerre. On parvient à suivre la trace du cheminement de cette idéologie de la guerre, de la Palestine à Alexandrie puis en Ifrīqiya, où les gouverneurs abbassides font bâtir les plus célèbres ribāṭ-s de l’Occident musulman, à Sousse et Monastir, un siècle avant que, al-Ya‘qubi, envoyé par le calife abbasside pour inspecter les défenses de la région, livre la première description sérieuse des défenses côtières de l’Ifrīqiya, organisées sur le modèle de la côte syrienne50. La manière dont les chroniques andalouses se rapportant à l’époque de ‘Abd al-Ra.man II rendent compte de la mise en défense de la côte face à l’agression viking, à partir de 844, semble également indiquer la volonté des scribes du prince d’imiter le style du récit. On y retrouve en particulier une grande similarité des mesures énoncées et de l’organisation administrative avec celles de la défense côtière du Bila al-Šam des califes abbassides51. De même, Cristina de la Puente a montré l’impact des traités composés par les murābiṯūn du Taurus, sur les combattants pieux d’al-Andalus de l’époque d’al-.akam II, œuvres de gens originaires du Khurasan qui se retiraient dans les places fortes, entre Beyrouth et Tarse, lorsqu’ils composèrent les premiers livres de djihad, dès la fin du viiie siècle : ceux-ci connurent un grand succès, dès le ixe siècle, en al-Andalus52. On peut aussi noter le progrès rapide de la conception du djihad, inspirée de ces traités, chez les Berbères, au Maghreb comme en al-Andalus. Ainsi, c’est toute la Méditerranée abbasside et occidentale qui apparaît très tôt comme un espace particulièrement actif de l’islamisation, par l’intercession des combattants pieux53. Le djihad n’est pas un acte d’islamisation en soi, mais ceux qui le pratiquent sont présentés comme des modèles pour la société, et les récits qui rapportent cette pratique sont destinés à favoriser la diffusion de l’islam.
28Ces récits ont donc pour fonction de légitimer la conquête et la présence arabes par des symboles mémoriels, actifs dès la conquête mais qui s’appuient sur des faits remontant aux temps prophétiques. D’autres lieux que le front de guerre sont distingués par la nature des récits qui les décrivent. C’est en particulier le cas des limites et des confins atteints par les Arabes au premier siècle de l’Islam. Les récits merveilleux (‘ajā’ib) mettant en scène les héros mythiques qui ont atteint les extrémités de la terre, comme l’océan Atlantique par exemple, permettent d’expliquer commodément l’arrêt des conquêtes. Cette justification à peu de frais met en scène les plus grands des héros : Alexandre le Grand, Ḏūl-Qarnayn (« aux deux cornes » ou « le bicornu »), et Salomon le bâtisseur, cités l’un et l’autre dans le Coran, ou bien un roi de Jérusalem, naguère conquérant de l’Hispania, mis en scène par al-Bakri54. L’esprit de l’adab, qui constitue le mode d’expression élaboré à Bagdad, repris dans les cours et les milieux de lettrés d’Occident, intègre ces histoires fantastiques aux descriptions des pays, au titre de contes moraux édifiants permettant de désigner Dieu comme l’unique responsable des limites assignées à l’homme. Répandu dans la littérature arabe du xiie siècle, le genre des merveilles trouve sa place dans la description de l’océan Atlantique chez al-Idrisi : confondant tradition grecque de l’Okeanos et récits merveilleux, il en fait un espace interdit à l’homme, alors que, dans d’autres chapitres, il décrit l’océan comme un espace de navigation55. L’étude des espaces, à travers les récits ou la cartographie, constitue ainsi un aspect fondamental du rapport entre l’espace non arabe et non musulman, à l’origine, et les modalités de la domination arabe et musulmane56.
29Outre l’espace, les auteurs arabes utilisent les traditions, transmises depuis les débuts de l’Islam, pour légitimer l’islam tel qu’ils le connaissent à leur époque. Ces chroniques, organisées à partir de sources disparues, cherchent à persuader le lecteur de l’existence d’une seule voie de l’islamisation et de l’arabisation, quitte à le priver de toute une série d’informations.
LES « PREUVES » DE L’ISLAMISATION ET DE L’ARABISATION DANS L’HISTORIOGRAPHIE ARABE
30Les indices de l’émergence d’une littérature arabe en Occident, encore une fois mieux connue pour l’Ifrīqiya et al-Andalus, sont précoces : al-Mas‘ūdī déclare avoir eu entre les mains un livre des « merveilles » rédigé de la main de Mūsā b. Nuṣayr, conservé dans une des bibliothèques de Bagdad57. Toutefois, selon Pedro Chalmeta, les cercles de lettrés arabes, comme on en trouve à Fusṭāṭ dès la conquête par exemple, auraient tardé à se constituer en al-Andalus, d’une part à cause du retour en Orient de la plupart des chefs de la conquête, à commencer par Mūsā lui-même, d’autre part du fait du caractère chaotique de la situation politique avant l’arrivée des Omeyyades58. Nous sommes loin de pouvoir évaluer cette production précoce, en particulier au viiie siècle. De même, on peut se demander jusqu’à quel point Ibn Ḥabīb a utilisé ou non des traditions musulmanes nées et conservées en Occident, ou bien, comme le suggère Pedro Chalmeta, s’il a reconstitué ces événements à partir de traditions collectées par ses confrères égyptiens. Cette hypothèse expliquerait le contexte narratif que son ouvrage partage avec les récits de l’Orient, par exemple au sujet de la conquête de Constantinople, et qui est dominé par une atmosphère eschatologique59.
31On peut dresser un bilan similaire en ce qui concerne l’autre filière historiographique majeure, celle des fuqahā’. Les travaux sont nombreux sur ce sujet60 ; ainsi, Miklos Muranyi a démontré, à partir des documents de la mosquée de Kairouan, la précocité de la constitution et de la transmission des traditions historiques, nécessaires à l’isnad, et l’importance majeure des ouvrages biographiques (ṭabaqāt) et des recueils de fatwas comme véhicule d’une norme religieuse sunnite, adressée à la société. Le témoignage d’une écriture antérieure à la diffusion du malikisme, agent essentiel de la diffusion des traditions que l’on retrouve dans nos sources, pose le problème de la version qui nous a été transmise de l’émergence d’une chronographie arabe, orchestrée depuis les capitales émirales. Parmi les traditionnistes et les juristes de la première heure, figurent les maîtres maghrébins de Saḥnūn qui l’ont instruit avant que n’apparaisse le malikisme et avant qu’il ne se rende en Égypte en quête de science : peut-on accepter, dès lors, la chronologie livrée par les chroniques arabes tardives du mouvement d’islamisation et d’arabisation ? À l’inverse de ce que laisse penser la production officielle, ce travail d’écriture précède et nourrit la filière chronographique au service des princes de la région. Cette précocité relative, qui laisse tout de même dans l’ombre le viiie siècle –.y a-t-il eu une écriture historique et/ou juridique avant celle des malikites ? –, conduit à penser qu’une tradition propre à la région est à distinguer de l’essor du courant (maḏhab) qui prend son envol depuis Médine dans le cadre de l’enseignement de Malik b. Anas et de la diffusion immédiate de ses préceptes en matière de droit, à Fusṭāṭ et Alexandrie. L’existence de ces filières régionales d’écriture pose la question du rôle unique de l’Orient dans la constitution du droit et de la mémoire historique du Maghreb, de la Sicile et d’al-Andalus. La fabrique d’une histoire arabo-musulmane par le milieu des juristes et sous le couvert des autorités sunnites conduit toutefois, dans un second temps, à une uniformisation de la description de la société.
32Cette tendance au consensus est renforcée par le caractère tardif des ouvrages biographiques disponibles, dont les plus anciens datent au mieux du xe siècle61, même s’ils s’appuient sur des corpus antérieurs. Ainsi, la façon dont se constitue la jurisprudence, comme le montreront Christian Muller et Élise Voguet dans un volume suivant, a permis de conserver la trace des premières fatwas depuis le recueil fondateur de Saḥnūn, la Mudawwana, écrit arabe le plus ancien disponible pour le Maghreb. Mais précisément, cette production, qui s’est imposée à l’ensemble de l’Occident musulman, a eu tendance à absorber les traditions « locales » et à éliminer toutes les scories et tous les comportements apparaissant comme non orthodoxes aux yeux des juristes. Seule la dénonciation de pratiques illicites rappelle épisodiquement l’existence d’une grande diversité de croyances, mais celles-ci ne nous sont connues que par la dénonciation de pratiques hétérodoxes. Les conditions dans lesquelles nous parvient l’information sur l’islamisation et l’arabisation ont des répercussions sur notre propre perception de ces deux phénomènes. De ce fait, il convient d’aborder avec prudence, et selon une approche méthodologique adaptée à ces conditions très particulières, l’étude des premiers siècles de l’Islam occidental, en particulier sur le sujet qui nous intéresse.
33La diffusion et l’usage de la langue arabe sont un jalon essentiel de notre appréhension de ce que Cyrille Aillet appelle l’« enracinement de l’Islam au sein des sociétés autochtones ». Ainsi, Helena de Felipe montrera que la langue arabe et la culture arabe sont deux notions bien différentes, tant la diffusion de la langue par les Berbères constitue un des grands courants de l’arabisation dans l’Occident de l’Islam. Cyrille Aillet a montré les limites de la conception linéaire qui associe arabisation et islamisation, par l’étude de l’usage de l’arabe dans la production liturgique des Mozarabes. Influencés par les propos d’Alvar, notable chrétien de Cordoue qui est devenu l’un des chefs de file du mouvement connu sous le nom de « Crise des martyrs », survenue à Cordoue au milieu du ixe siècle, les historiens du mozarabisme ont toujours considéré que l’arabisation avait sonné le glas du christianisme sous domination musulmane en al-Andalus, prélude à sa marginalisation, puis à son extinction définitive au xiie siècle62. Le contexte historiographique favorisait, de fait, une vision d’affrontement entre deux cultures et, en l’occurrence, entre deux religions universalistes –.qui ne pouvaient donc à terme accepter l’existence de l’autre. La perte des racines linguistiques et donc culturelles latines, selon les Mozarabes, conduisait inéluctablement à l’effacement du christianisme dans l’Occident musulman. Ce mouvement fut, pour une partie des historiens espagnols, un signe fort de la réussite durable et rapide de l’islamisation et de l’arabisation63. Or, la thèse de Cyrille Aillet introduit une dichotomie entre les deux processus d’assimilation, lorsqu’il constate que l’arabisation des élites chrétiennes de l’ancienne Bétique a permis, comme en Orient, au christianisme d’al-Andalus de prolonger jusqu’au terme du xie siècle la production d’une littérature liturgique en arabe, les intégrant de plus en plus à la société dominée par les musulmans de langue et de culture arabes, et reflétant la vigueur des élites chrétiennes64.
34A contrario, Al-Bakrī évoque à plusieurs reprises l’usage persistant de la langue berbère, lié systématiquement à des pratiques hétérodoxes, en particulier celles des Barġwāṭa à qui l’émir Salāḥ b. Ṭārif imposa un coran en berbère ; l’auteur passe en revue les pratiques illicites et dénonce les égarements. Ainsi, la langue arabe et l’islamisation apparaissent étroitement liées dans le cadre de la diffusion de l’islam et sont utilisées comme un révélateur de l’orthodoxie, tout comme l’amazigh est assimilé à une langue de l’hérésie. Plus largement, le géographe andalou énumère les dérives de prophètes et devins. Celles-ci sont étroitement liées à l’environnement social des sociétés berbères, qui sont caractérisées par des traits différents de la civilisation orientale : ici l’islamisation et l’arabisation vont de pair, aux yeux de l’auteur du xie siècle, mais avec des arguments différents, et on a vu qu’al-Idrīsī avait recours aux mêmes techniques de différenciation. Plus largement, l’établissement des Orientaux sur de nouvelles terres, ni arabes ni islamiques, est souvent accompagné par celui d’une religion et d’une « civilisation » nouvelles et orientales, tandis que les établissements autochtones peuvent avoir conservé des modes de vie attachés au temps qui précéda l’établissement de l’Islam. La disparition de leur mention marquerait ainsi la réussite de l’islamisation et de l’arabisation. À ce titre, la berbérité est plus particulièrement affiliée à une identité antérieure à l’Islam, dans la mesure où, lorsque les lettrés en distinguent les caractéristiques, ils les assimilent souvent à des mouvements hétérodoxes ou bien à la survivance d’une sorte d’animisme. Ainsi, les corans berbères qui circulent dans certaines tribus symbolisent le maintien d’usages anté-islamiques et font apparaître les limites de l’islamisation. A contrario, les luttes menées contre l’hérésie des Bargwa.a, depuis les ribāṭ-s de Salé et Chella, décrites par le géographe oriental Ibn Ḥawqal et al-Bakrī, sont associées à la piété islamique des Banū Ifrān qui semblent être les initiateurs de cette « guerre sainte65 ».
35Ce processus de domination et d’intégration apparaît au travers de plusieurs types de récits. Le droit est ainsi un facteur essentiel de l’organisation de la société et, donc, de la différenciation entre musulmans et non-musulmans, arabisés et non-arabisés, au sens culturel du terme. Selon Ibn Khaldūn, la ‘aṣābiyya arabe ne se réduit pas à l’acte de guerre et de partage du butin, deux aspects essentiels du récit de la conquête, marquant la prise de possession personnelle par les Arabes –.et éventuellement par d’autres Orientaux.– sur les terres nouvellement conquises ; sa force repose également sur une capacité à intégrer les nouveaux sujets du calife, dans le cadre de l’Islam, grâce à la da‘wa islamique, qui donne à l’expansion arabe un souffle à nul autre pareil. En outre, avant la conversion des sujets non musulmans soumis à l’Islam, la loi aménage la coexistence entre protecteurs et protégés, par exemple par le système de la clientèle.
36La nature des traités conditionne les relations entre conquérants et vaincus, d’où les questionnements systématiques sur la manière dont les territoires ont été conquis, par force (‘anwa) ou par traité (ṣulḥ)66. La légalité de l’acte de conquête est absolument nécessaire pour permettre au souverain d’imposer la loi de l’Islam à l’ensemble des populations, quel que soit leur statut. C’est une étape préalable indispensable à la conversion et à l’arabisation des populations conquises. Son évaluation est difficile, sachant que les juristes ignorent souvent le statut fixé au moment de la conquête. L’existence de ces règles donne aussi l’occasion au sulṭān de modifier le statut en vigueur : lorsque le calife ‘Abd al-Mu’min (1130-1162) affirme que les dhimmī ont rompu le pacte de protection, en se mettant au service des Normands dans les places conquises par ces derniers sur la côte de l’Ifrīqiya, il prétend ainsi être autorisé à supprimer cette protection sur l’ensemble de l’empire.
37Le récit, on l’a déjà constaté, est au service de la légitimité du prince et, plus largement, de l’Islam en général. Les chroniqueurs s’appuient sur toutes sortes de traditions pour invoquer, selon des besoins différents, plusieurs formes de légitimité.
38Ainsi, pour établir la continuité entre Orient et Occident musulmans, les Berbères sont associés aux Arabes par leur origine orientale, présentés comme les descendants de Goliath ; ce dernier aurait fui la Palestine avec les siens, après la victoire du roi David67. Le récit de la conquête porte sa part de signes annonciateurs, bien connus, comme la pièce du palais de Tolède, toujours fermée et que force Rodéric, le dernier roi wisigoth, pour y découvrir l’annonce de la victoire des Arabes et la fin de son lignage. Ces avertissements prémonitoires sont souvent énoncés par un moine âgé, comme celui qui prophétisa le destin de Muḥammad. Ce témoin est fréquemment mis à contribution par les auteurs arabes dans le cadre des récits des « merveilles » : en al-Andalus, on le rencontre à Mérida, lorsqu’il déchiffre une inscription latine68, ou près de la tombe de saint Jacques, à Compostelle, respectée par Ibn Abi ‘Amir al-Manṣūr sur les conseils du vieux sage69. Toutefois, ce sont les alliances entre conquérants et conquis qui apparaissent comme la forme la plus accomplie de la pérennité de la conquête. Le récit de la campagne victorieuse de Ḥasan b. al-Nu‘mān à la fin du viie siècle est scandé par plusieurs événements dont on trouve l’équivalent dans d’autres récits de conquête de nouvelles régions : en premier lieu, la mort du patrice byzantin et le départ des « Africains », terme désignant les Romains ou les romanisés au service des Byzantins, symbolisent la fin de la domination des Rum et du christianisme ; puis vient le temps d’une double alliance entre les Berbères, sous les ordres de la Kahina, et les Arabes : la prophétesse des Berbères, parfois présentée comme juive, adopte le chef arabe qu’elle a capturé et, à son tour, envoie deux de ses fils, que asan b. al-Nu‘man adopte avant de confier à l’aîné le commandement de l’aile de son armée composée de Berbères70. Pour al-Andalus, Ibn al-Qūṭiya insiste sur les alliances entre les Yéménites et des membres de la famille de Witiza, alliés de Ṭāriq b. Ziyād à la bataille du rio Barbate en 71171.
39Le choix des sujets qui caractérisent la chronographie arabe est déjà le signe d’un encadrement et d’un contrôle de l’écrit par les autorités musulmanes. À cette tutelle s’ajoute la disparition des récits antérieurs aux califats omeyyade et fatimide, ou leur absence avant l’époque normande. Peut-être cette clarification par filtrage gommait-elle ainsi l’impression de désordre et de confusion qu’auraient donné l’existence de plusieurs strates et, en conséquence, le maintien de plusieurs versions contradictoires d’un même fait. Ce problème de la disparition de la chronographie la plus ancienne, à différencier de celle des archives, comme l’a montré Antoine Borrut pour la Syrie du viiie siècle, est en réalité extrêmement complexe. Y a-t-il eu volonté de faire disparaître les récits antérieurs dont le souverain avait, au préalable, fait écrire une nouvelle version adaptée à son époque ? C’est probable, puisque nous connaissons l’existence de sources antérieures qui ont effectivement disparu. Toutefois, il serait incohérent de vouloir prêter systématiquement aux souverains, à des proches ou à des oulémas une volonté de destruction : on l’a constaté à propos de la chronique d’al-Raqiq. Les seules disparitions admises sont celles d’ouvrages jugés non conformes par l’orthodoxie malikite : cette volonté de censure aurait poussé Ibn Abi ‘Amir al-Manṣūr à faire disparaître nombre d’ouvrages de la bibliothèque d’al-Ḥakam II. Toutefois, ces disparitions peuvent avoir des causes accidentelles72, comme le siège et le pillage de Cordoue au début du xie siècle. Notons que la question se pose différemment pour les sources juridiques, dans la mesure où la jurisprudence a besoin de témoignages remontant à la source, le temps prophétique de Médine, pour justifier le bien-fondé du jugement énoncé. En revanche, il n’exclut pas, bien au contraire, l’élimination des sentences devenues obsolètes à la suite de l’énoncé de la fatwa. Le problème se pose autrement pour les chroniques qui ne doivent pas laisser de doute sur le cadre politique, religieux, culturel que le prince entend léguer à la postérité : le recours aux récits passés est nécessaire mais ils doivent refléter la vérité qui prévaut sous le règne du souverain.
40L’existence de filières d’écriture, parallèles aux productions malikite et des capitales, montre d’autres voies par lesquelles explorer la société de l’Occident musulman. Par exemple, Ibn Ḥayyān s’appuie sur une série de traditions historiques, composées en l’honneur des taifas du ixe siècle, ou plus anciennes encore : les détails qu’il donne sur le périple du Berbère Maḥmud b. al-Ğabbār en 835 proviennent d’une tradition liée à ce chef de la rébellion de Mérida. L’histoire de Séville, rédigée à la fin du ixe siècle par Muḥammad b. al-‘Aš‘āṯ al-Qurašī, est présentée comme l’une de ses sources principales pour l’attaque viking et le sac de Séville en 230/844. Pour raconter le sac d’Evora par les Castillans en 913, Ibn Ḥayyān cite une chronique régionale rédigée en l’honneur des Banu Gilliqi, maîtres de Badajoz durant la fitna du ixe siècle. Le ixe siècle en al-Andalus fut d’ailleurs propice à l’éclosion de toute une série de chroniques régionales qui ont renseigné les chroniqueurs postérieurs, mais qui ont toutes disparu. La mention de foyers régionaux de culture, au moment de la fitna de la fin du ixe siècle, peut être interprétée de diverses manières. Ces histoires de dynasties locales constituent des actes de résistance face au mouvement de l’intégration omeyyade, non seulement au plan politique, mais également dans le domaine de la culture. On a vu, à propos du mozarabisme, que l’usage de l’arabe n’était pas contradictoire avec la volonté de conserver une identité propre, religieuse ou culturelle. Dans le cas de ‘Umar b. Ḥafṣūn, l’acte de résistance ne fait aucun doute. Toutefois, dans le cas d’autres pouvoirs locaux, à Séville ou Badajoz, l’existence de chroniques locales peut apparaître au contraire comme l’aboutissement d’une intégration culturelle, expliquant l’issue de la fitna, une fois ‘Abd al-Raḥmān III parvenu au pouvoir.
41Au Maghreb, les textes ibadites73, dont les plus anciens remontent au xe siècle, confirment la vigueur de sources d’écriture différant des textes malikites et sultaniens. Se présentant sous la forme de recueils biographiques, qui rapportent la vie édifiante des maîtres ibadites, et de traités de jurisprudence, ils proposent une autre interprétation de l’Islam, kharijite, mais utilisent pour ce faire les mêmes procédés que ceux des courants sunnites, afin de préserver la mémoire de l’ibadisme. Plusieurs chroniques renforcent la constitution d’une tradition propre au mouvement sectaire. Par ailleurs, ces sources sont les seules qui émanent des milieux berbères, avant que n’apparaissent des chroniques beaucoup plus tardives, comme les Mafāḫīr al-Barbār. L’existence de cette littérature atteste du dynamisme berbère qui trouve dans certains courants de l’Islam des voies qui conviennent à la structure sociale et à l’organisation tribale du Maghreb. La circulation des écrits sur les expériences partagées avec les populations kharijites de l’Oman ou de l’Irak confirme là encore l’importance du lien charnel entre l’Orient et l’Occident, et le besoin qu’ont les Berbères de s’adosser à une référence arabique qui concorde avec leur propre organisation. Comme les sources malikites, la littérature juridique vise à rapprocher la vie des populations des régions ibadites du Maghreb de celles d’Arabie, les rattachant ainsi aux origines de l’Islam. Par ailleurs, elle confirme la diversité des formes d’expression de l’Islam, concurrentes d’une mémoire unique imposée par le sunnisme. On constate donc l’existence de plusieurs foyers de fabrique mémorielle, rattachés soit à l’Islam soit à des croyances qui mêlent Islam et traditions régionales, souvent exprimées dans des langues berbères. On est une fois encore confronté à la complexité du phénomène d’intégration qui se renforce selon des voies assez diverses, même si le triomphe du malikisme aura tendance à effacer les versions qui ne rentrent pas dans le cadre sunnite.
CONCLUSION
42Toute une série d’obstacles freinent l’étude de l’islamisation et de l’arabisation des régions occidentales de l’Islam. Celui de la documentation n’est pas le moindre : à l’absence de sources sur les premiers temps de l’Islam dans la région, essentielle, s’ajoute toute une série de données complexes liées à la lecture des documents disponibles. Comme le montrent les communications réunies ici, chaque type de source pose ses propres problèmes d’interprétation pour qui veut étudier le processus de la transformation des sociétés passées sous l’autorité de l’Islam. Les travaux récents des spécialistes de l’Orient montrent la voie, mais l’étude de l’Occident musulman soulève des problèmes spécifiques et doit donc faire l’objet d’une approche adaptée. Pour ne citer qu’un exemple, sachant que les conditions créées par l’environnement documentaire ne constituent pas les seuls postulats de cette quête, il convient d’élargir l’horizon afin de prendre en compte tous les paramètres nécessaires.
43On peut ainsi prendre l’exemple de la conception du milieu économique de la Méditerranée imposée par Henri Pirenne et de son génial postulat74 : la crise du haut Moyen Âge, caractérisée par l’absence d’hommes et de relations commerciales, aurait pour corollaire, voire pour preuve, la rareté des sources aussi bien écrites que matérielles. Or, les travaux récents ont montré que la Méditerranée était beaucoup moins vide qu’on ne l’a longtemps cru. Richard Hodges et David Whitehouse ont mis au jour une documentation archéologique qui atteste d’un dynamisme en matière d’urbanisme dans plusieurs régions, mais en des temps et selon des modalités variables, qui ne permettent guère de statuer d’une façon globale et uniforme sur toute l’aire méditerranéenne. Chris Wickham a magistralement précisé ces données pour les zones chrétiennes et Sonia Guttiérez Lloret pour la région de Murcie entre époques wisigothique et islamique75. De la même façon, nous savons que le Maghreb, al-Andalus, et peut-être même la Sicile, passés sous domination musulmane, ont très vite engendré une écriture arabe de leur histoire, accompagnant la mise en place d’une administration et d’un pouvoir dont la légitimité était liée à la diffusion de l’islam et de son support, la culture arabe. Sans nier l’indigence de notre documentation, pas plus que la situation de la Méditerranée à cette période, les progrès récents de la recherche démontrent que nous n’avons pas encore tous les outils en main pour étudier l’islamisation et l’arabisation dans ces régions à une période haute, et qu’une réflexion méthodologique renouvelée sur ce point est nécessaire. C’est cette démarche qu’initient les textes qui suivent.
Notes de bas de page
1 Éd. P. Nora, Les lieux de mémoire, Paris, 1997, I, p. 17-18.
2 Au moins en ce qui concerne l’islamisation.
3 Une fois encore, É. Lévi-Provençal a été le premier à attirer l’attention sur ces documents : Trente-sept lettres officielles almohades, Rabat, 1941 (Collection de textes arabes, 10) ; commentaire dans Un recueil de lettres officielles almohades. Étude diplomatique, analyse et commentaire historique, Paris, 1942. Beaucoup de ces lettres ont été retrouvées dans des chroniques ou ouvrages de kuttāb, comme celui d’al-Balawī, et que A. ‘Azzaoui, Rasā’il muwaḥḥiyya. Majmū’a jadida, Rabat, 1996, a édité. Pour le contexte et les éditions, H. Al-‘Allaoui, P. Buresi, « La chancellerie almohade », Los Almohades : Problemas y Perspectivas, éd. P. Cressier, M. Fierro, L. Molina, Madrid, 2006 (Estudios árabes e islámicos : monografías, 11), II, p. 477-503. Depuis, de nouvelles lettres ont et sont toujours objet d’édition et de traduction. Par exemple, M. Bencharifa, Abū l-Muṭarrif ibn ‘Amīra, Rabat, 1966 ; J. Arbach, Le domaine maritime en Occident musulman à l’époque almohade (xiie-xiiie siècles), thèse de doctorat nouveau régime, sous la dir. d’Alain Ducellier, Toulouse Le Mirail, 1995.
4 Entre autres, P. Guichard, Les musulmans de Valence et la reconquête (xie-xiiie siècles), Damas, 1990-1991 ; A. Nef, L’élément islamique dans la Sicile normande : identités culturelles et construction d’une nouvelle royauté (xie-xiie siècles), thèse de l’université Paris.10 Nanterre, sous la dir. De H. Bresc, 2001.
5 Il faut y associer l’ensemble des travaux en langues espagnole et française, qui restent aujourd’hui une base très solide de toute étude sur les premiers siècles de l’Occident musulman : J. Bosch Vilá, Los Almoravides, Tétouan, 1966 ; R. Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, des origines au xve siècle, Paris, 1940-1947, 2 vol ; A. Huici Miranda, Historia política del imperio almohade, Tetouan, 2.vol., 1956-1957 ; H.-R. Idris, La Berbérie orientale sous les Zirides. xe-xiiie siècles, Paris, 1962, 2.vol ; É. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, Paris, 1950-1967, 3 vol. ; M. Talbi, L’émirat aghlabide (184-296/800-909). Histoire politique, Paris, 1966.
6 Pour une présentation complète du problème, A. Borrut, Entre mémoire et oubli : la Syrie sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides (v. 692-809), Leyde, 2011.
7 En particulier, l’ouvrage emblématique de P. Crone, M. Cook, Hagarism. The Making of the Islamic World, Cambridge, 1977.
8 Il est impossible ici de dresser une liste de ces travaux. Voir plus particulièrement, F. Donner, Narratives of Islamic Origins. The Beginnings of Historical Writing, Princeton, 1998 ; A. Elad, « The beginnings of historiographical writing by the Arabs.: the earliest Syrian writers on the conquests », Jerusalem Studies in Arabic and Islam, 28, 2003, p. 65-152 ; A.-L. de Prémare, Les fondations de l’Islam entre écriture et histoire, Paris, 2002 ; A. Cheddadi, Les Arabes et l’appropriation de l’histoire. Émergence et premiers développements de l’historiographie musulmane jusqu’au iie/viiie siècle, Paris, 2004.
9 G. Martinez-Gros, L’idéologie omeyyade. La construction de la légitimité du califat de Cordoue (xe-xie siècles), Madrid, 1992 ; Id., Identité andalouse, Paris, 1997. Voir également H. Djaït, La fondation du Maghreb islamique, Sfax, 2004.
10 É. Fricaud, Ibn ‘Iḍârî al-Marrâkušî (m. début xive s) historien marocain du Magrib et d’al-Andalus, bilan d’un siècle et demi de recherches sur al-Bayân al-Mugrib, thèse de l’université Lyon.2, sous la dir. de P. Guichard, 1994.
11 M. Chamberlain, Knowledge and Social Practice in Medieval Damascus, 1190-1350, Cambridge, 1994.
12 G. Marçais, La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen Âge, Paris, 1946, et L’architecture musulmane d’Occident, Paris, 1954.
13 J. Sauvaget, Alep, essai sur le développement d’une grande ville syrienne des origines au milieu du xixe siècle, 2 vol., Paris, 1941 (Bibliothèque archéologique et historique, 39). Voir le contrepoint de cette vision, présenté par J.-C. Garcin, « Le moment islamique », Mégapoles méditerranéennes. Géographie urbaine rétrospective, éd. Cl. Nicolet, R. Ilbert, J.-Ch. Depaule, Paris, 2000 p. 90-103.
14 A. Bazzana, P. Cressier, P. Guichard, Les châteaux ruraux d’al-Andalus : histoire et archéologie des husûn du Sud-Est de l’Espagne, Madrid, 1988, et V. Lagardère, Campagnes et paysans d’al-Andalus. viiie-xve s., Paris, 1993.
15 E. Tixier, Géographie et géographes d’al-Andalus, thèse de l’université de Rouen, sous la dir. de G. Martinez-Gros, 2003.
16 É. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, op. cit., I, p. 185-191 et p. 263-278. Sur un tableau général de la culture d’al-Andalus, J. Vernet, Ce que la culture doit aux Arabes d’Espagne, Paris, 1985.
17 R. Bulliet, Conversion to Islam in the Medieval Period. An Essay in Quantitative History, Cambridge (Mass.), 1979.
18 P. Cressier, « Urbanisation, arabisation, islamisation au Maroc du Nord : quelques remarques depuis l’archéologie », Peuplement et arabisation au Maghreb occidental. Dialectologie et histoire, éd. J. Aguadé, P. Cressier, A. Vicente, Madrid-Saragosse, 1998, p. 27-38.
19 Voir à propos d’Ibn ‘Iḏārī et ses emprunts à al-Raqīq, Fricaud, Ibn ‘Idhârî, op. cit., p. 272.
20 Talbi, L’émirat aghlabide, op. cit.
21 M. Muranyi, Die Rechtbücher des Qairawaners Sahnûn b. Sa‘d, Entstehungsgeschichte und Werküberlieferung, Stuttgart, 1999.
22 Pour les « filtres historiographiques », étudiés dans le cadre de la Syrie du viiie siècle, se reporter à Borrut, Entre mémoire et oubli, op. cit.
23 Ibn Ḥayyān, Kitāb al-Muqtabis fi Ta’riḫ riğal al-Andalus : en particulier les vol. III et V. La traduction d’Al-Muqtabis fī Aḫbār balad al-Andalus (éd. A. Ḥajji, Beyrouth, 1965) par J. García Gomez porte le titre Anales Palatinos del Califa de Cordoba al-Hakam II, Madrid, 1967, parce que le texte est attribué, par J. García Gomez, à A. al-Rāzī.
24 Sur l’environnement littéraire du xie siècle en al-Andalus, voir M. J. Viguera Molíns, Historia de España Menendez Pidal, éd. J. M. Jover Zamora, vol. 8-1, Madrid, 2e éd., 1995.
25 Notion bien floue, qui demanderait à être précisée, à prendre ici dans un sens très général.
26 En dernier lieu, S. Bouderbala, Jund Misr : étude de l’administration militaire dans l’Égypte des débuts de l’Islam (21/642-218/833), thèse de l’université Paris.1 Panthéon-Sorbonne, sous la dir. de F. Micheau, 2008.
27 M. A. Makkí, « Egipto y los origines de la historiografía árabe-española », Revista dos Estudos Islamico-Musulmanes, 5, 1957.
28 Al-Mālikī, Riyāḍ al-Nufūs fī ṭabaqāt ‘Ulamā’ al-Qayrawān wa Ifrīqiya, éd. H. Monés, Le Caire, 1951 ; nlle éd. B. Al-Bakkūš, Beyrouth, 1983. Voir également les travaux de M. Marin, dont « Nómina de Sabios de al-Andalus (93-350/711-961) », Estudios onomástico-biográficos de al-Andalus, I, éd. M. Marin, Madrid, 1988, p. 23-182 ; « El ribat en al-Andalus y el Norte de Africa », La Rápita islámica : historia institucional ialtres estudis regionals, San Carles de la Rápita, 1994, p. 121-130.
29 V. Lagardère, Les Almoravides jusqu’au règne de Yûsuf b. Tâshfîn (1039-1063), Paris, 1989.
30 Nous savons, par exemple, que des versions de la chronique d’al-Raqīq circulaient encore en Ifrīqiya au xve siècle.
31 Donner, Narratives of Islamic Origins, op. cit., en particulier p. 125 et suiv.
32 A. Miquel, La géographie humaine du monde musulman jusqu’au milieu du xie siècle, 4 vol., Paris, 1973-1980. Voir la présentation de A. Nef et H. Bresc, dans la traduction d’Al-Idrīsī, Idrîsî. La première géographie de l’Occident, Paris, 1999, p. 13-53.
33 D. Urvoy, Pensers d’al-Andalus. La vie intellectuelle à Cordoue et Séville au temps des empires berbères (fin xie-début xiiie siècle), Toulouse, 1990 ; Martinez-Gros, Identité andalouse, op. cit ; Viguera Molíns, Historia de España, op. cit.
34 Al-Qāḍī al-Nu‘mān, Iftitāḥ al-Da‘wa, éd. F. Dachraoui, Tunis, 1975, trad. H. Haji, Founding the Fatimid State. The Rise of an Early Islamic Empire, Londres, New York, 2006 ; Kitāb al-Mağālis wa-Musāyyarāt, éd. H. Faqqi, I. Šabbuh, M. Al-Ya‘lawi, Tunis, 1978 ; Ṣīrat Ustaḍ Ğawḍar, éd. M. Kamil Husayn, M. A. Ša‘ira, Le Caire, 1954 ; trad. M. Canard, Vie de l’Ustâdh Jaudhar, Alger, 1958 (Publication de l’Institut d’études orientales d’Alger, IIe série, t. XX). Se reporter à H. Halm, The Empire of the Mahdi. The Rise of the Fatimids, trad. M. Bonner, Leyde, 1996.
35 En particulier, H. R. Idris, La Berbérie orientale sous les Zirides. xe-xiiie siècles, 2 vol., Paris, 1962 ; « Commerce maritime et qirâd en Berbérie orientale : d’après un recueil inédit de fatwas médiévales », Journal of Economic and Social History of the Orient, 4, 1961, p. 223-239 ; « Le mariage en Occident musulman. Analyse de fatwâs médiévales extraites du Mi‘yâr d’al-Wancharîchî », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 57, 1972, p. 71-107.
36 Ibn ‘Abd al-Hakam, (m. 257/870-871), Kitāb futūḥ Miṣr wa aḫbārruhā, éd. C. Torrey, History of the Conquest of Egypt, North Africa and Spain, New Haven, 1922.
37 Éd. et trad. A. Gateau, Livre des conquêtes d’Ibn ‘Abd al-Ḥakam, Alger, 1947 (Bibliothèque arabe-française, 2), Introduction, p. 19 ; Makkí, « Egipto y los origines de la historiografía árabe-española », art. cité.
38 R. G. Khoury, ‘Abd Allâh ibn Lahī’a (97-174/715-790), juge et grand maître de l’école égyptienne : avec édition critique de l’unique rouleau de papyrus arabe conservé à Heidelberg, Wiesbaden, 1986 ; Ibn Ḥabīb, Kitāb al-Ta’riḫ, Madrid, 1991 ; sur Ibn Ḥabīb, se reporter à la thèse de M. Wilk, Le discours historique d’al-Andalus depuis la conquête arabe jusqu’à l’époque des Taifas, thèse de doctorat, Paris, EHESS, sous la dir. de G. Martinez-Gros, 2008.
39 F. Donner, Narratives of Islamic Origins, op. cit., p. 281-282.
40 Wilk, Le discours historique d’al-Andalus, op. cit.
41 Il s’agit de la chronique de Žalifa b. Ḫayyāṭ al-‘Uṣfūrī, Ta’riḫ, éd. A. D. al-‘Umarī, Najaf, 1967.
42 Cet aspect a été minutieusement étudié pour la Syrie par C. Jalabert, Hommes et lieux dans l’islamisation de l’espace syrien (ier/viie-viie/xiiie siècle), thèse de l’université de Paris.1 Panthéon-Sorbonne, sous la dir. de F. Micheau, 2004, et pourrait servir de modèle pour un étude similaire dans les régions occidentales.
43 Ibn Ḥawqal, Kitāb ṣurat al-arḍ, éd. G. H. Kramers, Viae et regna. Descriptio ditionis moslemicae, Leyde, 1938-1939 ; trad. G. H. Kramers et G. Wiet, Configuration de la Terre, Paris-Beyrouth, 1964 ; sur la Méditerranée d’Ibn Ḥawqal, voir G. Martinez-Gros, « La division du monde selon Idrîsî », Le partage du monde. Échanges et colonisation dans la Méditerranée médiévale, éd. M. Balard, A. Ducellier, Paris, 1998, p. 315-334.
44 S. Denoix, Décrire Le Caire. Fusṭāṭ-Miṣr d’après Ibn Duqmāq et Makrīzī, Le.Caire, 1992.
45 A.-L. de Prémare, Les fondations de l’Islam, op. cit.
46 Ibn ‘Abd al-Ḥakam, Conquête de l’Afrique et de l’Espagne, op. cit., p. 64-65.
47 Sur les saints, voir l’étude de E. Gellner, Les saints de l’Atlas, Paris, 2003, et H. Ferhat, Le Maghreb aux xiie et xiiie siècles : les siècles de la foi, Casablanca, 1993.
48 P. Guichard, « Combattants de l’Occident chrétien et de l’Islam. Quelques remarques sur leurs images réciproques (fin xe-xiie siècle) », Identidad y representación de la frontera en la España médiéval, Madrid, 2001, p. 223-251.
49 M. Bonner, Aristocratic Violence and Holy War: Studies in the Jihad and the Arab-Byzantine Frontier, New Haven, Connecticut, 1996 (American Oriental Series, 81) ; voir aussi H. Kennedy, « Caliphs and their chroniclers in the Middle Abbassid Period (3th/9th.century) », Texts, Documents and Arterfacts. Islamic Studies in Honor of D. S. Richards, éd. Ch. Robinson, Leyde, 2003, p. 17-35.
50 Al-Ya‘qūbī, Kitāb al-Buldān, éd. M. J. De Goeje, Leyde, 1860, rééd. 1967 ; trad. G. Wiet, Le livre des pays, Le Caire, 1937 ; Miquel, La géographie humaine, op. cit., I, p. 285-292.
51 Ch. Picard, A. Borrut, « Râbata, Ribât, Râbita : une institution à reconsidérer », Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (viiie-xiiie siècle). Échanges et contacts, éd. Ph. Sénac, N. Prouteau, Poitiers, 2003 (Civilisation médiévale, 15), p. 33-65 ; Ch. Picard, « Regards croisés sur l’élaboration du jihad entre Occident et Orient musulman (viiie-xiie siècle) : perspectives et réflexion sur une origine commune », Regards croisés sur la guerre sainte. Guerre, religion et idéologie dans l’espace méditerranéen latin (xie-xiiie siècle), éd. D. Baloup, Ph. Josserand, Toulouse, 2006, p. 33-66.
52 C. de la Puente, « El ŷihād en el califato omeya de al-Andalus y su culminación bajo Hishām II », Almanzor y los terrores del milenio. Actas II Curso sobre Península Ibérica y el Mediterráneo durante los siglos xi y xii, éd. F. Valdés Fernandez, Aguilar de Campo, 1999, II, Almanzor y los terrores del milenio, p. 25-38.
53 E. Manzano Moreno, La frontera de al-Andalus en Época de los Omeyas, Madrid, 1991.
54 Sur le rôle d’Alexandre, se reporter aux travaux de F. de Polignac, en particulier, « Alexandre, maître des seuils et des passages : de la légende antique au mythe arabe », Alexandre le Grand dans les littératures occidentales et proche-orientales. Actes du colloque de Paris, 27-29 novembre 1999, éd. L. Harf-Lancner, C. Kappler, F. Suard, Nanterre, 1999, p. 215-225, qui concernent l’Orient.
55 Ch. Picard, « Récits merveilleux et réalité d’une navigation en océan Atlantique chez les auteurs musulmans », Miracles, prodiges et merveilles au Moyen Âge, XXVe Congrès de la SHMES, Orléans, 1994, Paris, 1995, p. 75-87.
56 Par exemple, Martinez-Gros, « La division du monde selon Idrîsî », art. cité, p. 315-334.
57 Mas‘ūdī, Murūğ al-ḍahab, éd. et trad. Ch. Barbier de Meynard, J. Pavet de Courteille, Paris, 1861-1877 ; trad. Ch. Pellat, Les prairies d’or, Paris, 1962-1965.
58 P. Chalmeta, Invasión e Islamización. La sumisión de Hispania y la formación de al-Andalus, Jaen, 2003, p. 40-44.
59 M. Canard, « Les expéditions des Arabes contre Constantinople dans l’histoire et dans la légende », Journal asiatique, 208, 1926, p. 61-121.
60 Voir la communication d’Élise Voguet sur « Le statut foncier et fiscal des terres de l’Ifrīqiya et du Maghreb : l’apport des sources juridiques ».
61 En Ifrīqiya, al-Malīkī, Riyāḍ al-nufūs, éd. al-Bakkūš, op. cit. ; en al-Andalus, en particulier, Ibn al-Faraḍī, Ta’riḫ ‘Ulamā’ l-Andalus, éd. al-Husaynī, Le.Caire, 1954.
62 J.-P. Molenat, « Sur le rôle des Almohades dans la fin du christianisme local au Maghreb et en al-Andalus », Al-Qanṭara, 18/2, 1997, p. 389-413.
63 P. Chalmeta, « Mozarabe », Encyclopédie de l’Islam², s.v. ; M. de Epalza, « Falta de obispos y conversión al Islam de los cristianos de al-Andalus », Al-Qanṭara, 15, 1994, p. 519-523.
64 C. Aillet, Les mozarabes : christianisme et arabisation en al-Andalus (ixe-xiie siècle), Madrid, 2009.
65 Al-Bakrī, Kitāb al-masālik wa l-Mamālik, éd. et trad. W. Mac Guckin De Slane, Description de l’Afrique septentrionale par Abou Obeïd el-Bekri, Paris, rééd. 1965 ; Ibn.awqal, Kitāb Ṣūrat al-arḍ, éd. et trad. cit. Voir la communication de Yassir Benhima.
66 P. Guichard, V. Lagardère, « La vie sociale et économique de l’Espagne musulmane aux xie-xiie siècles à travers les fatwa/s du Mi‘yar d’al-Wanšarīšī », Mélanges de la Casa de Velázquez, 26/1, 1990, p. 197-236. Voir la mise au point de Pierre Guichard, dans J.-Cl. Garcin et al., États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, II, Paris, 2000, p. 83-110.
67 Ibn ‘Abd al-Ḥakam, op. cit., éd. p. 34, trad. p. 35.
68 Pour les sources de la conquête, voir Chalmeta, Invasión e Islamización, op. cit. ; Ch. Picard, « Description des sites antiques dans le cadre urbain d’al-Andalus par les écrivains arabesdu Moyen Âge : l’exemple de Mérida », Sites et monuments disparus d’après les témoignages de voyageurs, éd. R. Giselen, Res Orientales, VIII, 1966, p. 105-116.
69 Ibn ‘Iḏārī, Kitāb al-Bayān al-Muġrib, I et II : texte arabe des parties relatives au Maghreb et à l’Espagne de la conquête au xie siècle, éd. G. S. Colin, É. Lévi-Provençal, Leyde, 1948-1951, 2 vol. ; trad. É. Fagnan, Histoire de l’Afrique et de l’Espagne intitulée al-bayano l-mogrib, Alger, 1901-1904, 2 vol. , éd. II, p. 318-319, trad. II, p. 494-495.
70 Ibn ‘Abd al-Ḥakam, op. cit., éd. p. 84, trad. p. 85.
71 Ibn Al-Qūṭiya, Ta’riḫ iftitāḥ l-Andalus, éd. P. de Gayangos, E. Saavedra, F. Codera, Madrid, 1868 ; éd. et trad. J. Ribeira, Historia de la conquista de España de Abnelcotia el Cordobès, Madrid, 1926 (Coleccíon de obras arábigas de Historia y geografía de la Real Academia de la Historia, II).
72 A. Esch, « Chance et hasard de transmission. Le problème de la représentativité et de la déformation de la transmission historique », Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne. Actes des colloques de Sèvres (1997) et Göttingen (1998) organisés par le CNRS et Max-Plancke-Institute für Geschichte, éd. J.-C. Schmitt, O. G. Oexle, Paris, 2003, p. 15-29.
73 Pour un panorama général de l’ibadisme, T. Lewicki, « ‘Ibāḍiya », Encyclopédie de l’Islam2, IV, p. 668-682.
74 H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, 1936, rééd. 2005.
75 R. Hodges, D. Whitehouse, Mahomet, Charlemagne et les origines de l’Europe, Paris, 1996 ; Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages: Europe and the Mediterranean, 400-800, New York, 2005 ; S. Guttiérez Lloret, La Cura de Tudmir de la Antaguedad tardia al mundo islâmico. Poblamiento y cultura material, Madrid, Alicante, 1996.
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