Islamisation et arabisation dans le monde musulman médiéval : une introduction au cas de l’Occident musulman (viie-xiie siècle)
p. 7-34
Texte intégral
1L’intérêt des historiens pour l’Islam que l’on qualifie parfois de « classique » (viie-xie siècle) ne s’est jamais démenti. Le paradigme d’un âge d’or de l’Islam possède cependant l’inconvénient de disqualifier les périodes suivantes, mais aussi d’occulter le long processus de formation de cette civilisation dont l’image reste trop souvent figée sur l’acmé abbasside du ixe siècle, sur Le Caire fatimide ou sur Cordoue au xe siècle. L’islamologie, héritière des travaux pionniers d’Ignaz Goldziher sur l’élaboration de la Sunna1, a toujours maintenu à vif l’intérêt pour la gestation même du dogme islamique, mais l’interrogation sur la période des « fondations de l’Islam2 » n’a commencé à se propager dans l’historiographie que dans les années 1970, grâce aux ponts lancés entre mondes antiques et médiévaux, occidentaux et orientaux, par le courant des études sur l’Antiquité tardive3. La plupart des grands débats concernant la transition entre sociétés antiques et sociétés islamiques se sont toutefois développés dans l’historiographie anglosaxonne, sans trouver encore beaucoup de réponses et d’échos dans la littérature scientifique francophone4, hormis dans le champ de l’islamologie5.
2Ce constat nous a incités, au cours des deux années initiales de notre séminaire, à nous pencher sur les processus d’islamisation et d’arabisation dans l’Occident musulman, aire géographique relativement délaissée par les historiens travaillant sur l’« Antiquité tardive et l’Islam des premiers temps ». Après avoir rappelé les hypothèses et les résultats de ce courant historiographique et les pistes nouvelles qu’offre l’étude de l’Occident musulman, nous préciserons l’origine et l’emploi des deux notions d’islamisation et d’arabisation. Nous tracerons alors un bilan historiographique de la question pour l’Occident musulman, tout en mettant en exergue les éclairages et les apports nouveaux de ce volume. Nous distinguerons quatre pistes de recherche principales : 1) l’islamisation comme processus de transition des sociétés préislamiques vers l’Islam, 2)l’islamisation comme processus de passage à l’islam des populations autochtones, 3)l’islamisation comme construction des normes de l’Islam et leur enracinement dans les sociétés locales. Christophe Picard abordera dans la présentation suivante la généalogie et l’historique des sources dont on dispose pour le Maghreb, abordant ainsi le problème des strates textuelles disparues ou conservées uniquement par le biais de citations plus tardives. Annliese Nef et Sophie Gilotte introduiront quant à elles les apports de l’approche archéologique pour les questions d’islamisation et d’arabisation.
ANTIQUITÉ TARDIVE ET PREMIERS TEMPS DE L’ISLAM : LE POIDS DES ÉTUDES SUR L’ORIENT
3Le chantier ouvert par la parution de Hagarism en 1977 a de quoi alimenter nombre d’études et de réflexions. Cet ouvrage remettait en cause la possibilité même de reconstituer une histoire des origines de l’Islam à partir des sources arabes, présentées par Patricia Crone et Michael Cook comme le produit d’une élaboration tardive portant la marque de l’hégémonie idéologique des Omeyyades, et surtout des Abbassides. Les auteurs allaient jusqu’à désigner la religion de Muhammad par l’expression « hagarisme » (du nom d’Agar, servante d’Abraham et mère d’Ismaël, l’ancêtre mythique des Arabes), prétendant que le terme d’Islam ne s’était formé qu’après la mort du Prophète, sous les premiers Omeyyades, afin de détacher la secte de ses racines judaïques. Produit dérivé du judaïsme, imprégné ensuite d’éléments chrétiens qu’il absorba pour mieux les rejeter ensuite, l’Islam –religion amnésique– aurait ensuite effacé les traces d’un enfantement réalisé dans le giron de la civilisation antique pour affirmer au contraire son statut d’exception et d’aboutissement ultime des traditions prophétiques antérieures. L’islamisation, dans cette perspective, est donc perçue comme une forme d’impérialisme culturel particulièrement intransigeant, puisqu’il écarte de la Vulgate officielle –les auteurs évoquent même l’« oppression de la tradition islamique »– tout modèle extérieur et antérieur. Civilisation destructrice des legs antiques, fossoyeur de l’Antiquité préférant la voie de l’assimilation à celle de l’intégration, l’Islam aurait donc enfoui dans la tombe de l’oubli ses propres racines historiques6. Conforté par les travaux de John Wansbrough sur le « milieu sectaire » qui aurait présidé à la fixation du Coran en puisant dans le large réservoir des traditions monothéistes proche-orientales tout en masquant les traces de l’emprunt7, ce courant historiographique qualifié parfois de « révisionniste » prétendait donc dynamiter les certitudes trop bien établies de ses prédécesseurs. Sa descendance est en tout cas fertile, aussi bien dans les prolongements qu’elle a suscités que dans les nombreuses contestations et mises au point qu’elle a provoquées. Les collections Studies on Late Antiquity and Early Islam (depuis 1992), et The Formation of the Classical Islamic World (depuis 1998), toutes deux éditées par Lawrence Conrad, offrent un aperçu assez complet des débats qui animent actuellement la communauté scientifique.
4Une première direction explore les strates de la tradition textuelle islamique, en s’interrogeant sur les processus de mise par écrit avant l’ère abbasside et sur les sources des premiers grands écrits conservés (les sources des sources, en quelque sorte). Cet axe a permis de nuancer la thèse du désert textuel des viie-viiiesiècles en mettant en relief l’existence de plusieurs phases de mises par écrit, antérieures à la tradition canonique abbasside. Bien que l’invention d’une tradition des origines sous les Abbassides soit indéniable, celle-ci n’efface cependant pas totalement les traces de mises en mémoire plus anciennes8.
5Les sources non musulmanes, mais élaborées en terre d’Islam, offrent un fonds complémentaire encore insuffisamment exploité, en raison des aptitudes linguistiques que cette démarche comparatiste requiert et des barrières qui séparent les champs du savoir, encore trop repliés sur des perspectives historiographiques communautaires9. Le croisement de plusieurs traditions historiques emboîtées dans une même société s’avère pourtant du plus grand intérêt, tant pour l’étude de la genèse du dogme islamique10 que pour l’analyse des changements politiques, sociaux, institutionnels, économiques et culturels, souvent mis en exergue dans la mémoire des minorités autochtones11.
6De la même manière, l’analyse du faisceau complexe des processus de transition ne peut faire l’économie d’une mise en relation entre l’Islam et les sociétés qui l’ont précédé, et dont les structures non seulement subsistent partiellement après les conquêtes mais font également l’objet d’une absorption et d’une assimilation sélectives dans un nouveau moule. À cet égard, l’Islam des premiers temps prend aussi racine dans l’Antiquité tardive, qui irrigue la mise en place des rites et des croyances12, l’établissement des traditions juridiques incorporées dans le fiqh13, ou l’adoption de modèles esthétiques14, pour ne citer que ces aspects. Les travaux de Gustav von Grunebaum sur l’importance des influences hellénistiques dans la formation de l’Islam ont aussi souligné le rôle des héritages antiques dans la constitution d’une conscience culturelle commune à tout l’empire15. Quant à Patricia Crone, dans son ouvrage Slaves on Horses, elle avance l’hypothèse que l’Islam, après avoir adopté le système du clientélisme romano-byzantin, l’aurait transformé de l’intérieur au profit de la formation d’une clientèle de cour affectée au service militaire et administratif de l’État mais massivement puisée parmi le personnel d’origine servile16. Il est donc bien évident qu’on ne peut comprendre ces logiques d’adaptation qu’en prenant en compte la situation des sociétés locales avant l’instauration de l’ordre islamique17.
7Cet immense chantier historiographique laisse cependant peu de place à l’Occident musulman18. Il est vrai qu’il a été incorporé plus tardivement à l’Islam : entre 642 et le début du viiie siècle pour le Maghreb, dans les décennies qui suivirent le débarquement de 711 pour al-Andalus, et tout au long du ixe siècle pour la Sicile, rattachée à l’émirat aghlabide de Kairouan à partir de 827. Il serait toutefois erroné de penser qu’au viiie siècle les bases constitutives de l’Islam dit « classique » étaient déjà complètement formées. D’autre part, même si ces territoires furent soumis à des normes fixées en Orient, ils ne tardèrent pas à devenir autonomes, à la suite des grandes révoltes berbères qui éclatèrent à partir de 739 au Maghreb, et avec la création de l’émirat omeyyade de Cordoue en 756. La question de l’évolution des sociétés locales après les conquêtes s’enrichit donc, pour ces espaces occidentaux, du problème de la réception des normes orientales par des pouvoirs islamiques qui se bâtirent une assise territoriale locale.
PERSPECTIVES D’ÉTUDES SUR L’OCCIDENT MUSULMAN
8Nous nous sommes donc penchés sur l’islamisation et l’arabisation de l’Occident musulman médiéval entre les viie et xiie siècles19. Les contributions présentes dans ce volume seront complétées par la publication de la seconde année du séminaire. Leur but n’est pas de présenter un exposé exhaustif de la question, mais d’offrir le résultat de recherches récentes qui, nous l’espérons, connaîtront des prolongements. En effet, tandis qu’il existe un véritable boom des études sur les trois premiers siècles de l’histoire d’al-Andalus –.aussi bien depuis la perspective des sources textuelles que du point de vue de l’archéologie –, le Maghreb des viie-xie siècles fait figure de parent pauvre de l’historiographie.
9Le choix d’une chronologie aussi large (viie-xie siècle) pour traiter de l’islamisation et de l’arabisation des espaces considérés peut surprendre. L’établissement d’une chronologie dépend bien sûr de la définition que l’on donne des notions d’islamisation et d’arabisation, et des limites qu’on leur assigne. Précisons cependant que le xie siècle marque une charnière spécifique dans l’histoire de l’Occident musulman. Outre que la Sicile entre à cette date dans l’orbite de la dynastie normande des Hauteville, le processus de déchristianisation arrive alors à son terme dans les autres régions de l’Occident islamique, avec le départ et l’expulsion des dernières communautés chrétiennes d’al-Andalus sous les Almoravides et les Almohades, et avec l’effacement du christianisme maghrébin20. Le xie siècle voit aussi s’accélérer le processus d’arabisation et d’islamisation des tribus berbères des confins sahariens, tandis que s’opère une relative unification doctrinale du Maghreb sous l’égide d’un sunnisme conquérant qui parvient alors apparemment à effacer la présence du shiisme, après avoir réduit le kharijisme au rang de courant musulman minoritaire. Sans compter que ce n’est qu’à partir du xie siècle21 que se développe l’amorce d’une production historiographique régionale, dont on ne conserve néanmoins que des témoignages indirects. Dans son analyse du tableau du Maghreb réalisé en 1068 par le géographe andalou al-Bakri, Emmanuelle Tixier nous livre aussi quelques clefs de compréhension de ce virage important de la fin du xie siècle, où, dans les frémissements de la fin de la mainmise fatimide, des invasions hilaliennes et de l’offensive généralisée du malékisme au Maghreb, se forme le puissant mouvement almoravide, né dans des régions jusque-là reléguées à la périphérie du monde musulman. Ce virage, qui annonçait le renversement de l’équilibre traditionnel entre al-Andalus et le Maghreb occidental au profit de la tutelle protectrice de ce dernier, semble avoir été bien compris par Bakri, ce qui peut expliquer l’incongruité apparente d’un auteur andalou qui dresse néanmoins la première monographie uniquement, ou presque, consacrée au Maghreb.
LES NOTIONS D’ISLAMISATION ET D’ARABISATION
10La notion d’islamisation, en tant que processus de diffusion progressive de l’Islam, est sinon étrangère du moins extérieure aux sources arabes médiévales. L’historiographie arabe présente en effet le passage à l’islam comme un acte juridique de « soumission » et d’« obéissance » (silm, islām)22. Les verbes aslama, tasālama et istaslama désignent selon le Lisān al-‘arab un acte de reconnaissance de la loi islamique (šarī‘atu l-Islām) consécutif à une soumission (inqiyād). Plusieurs ḥadīṯ-s font d’ailleurs la distinction entre la « conversion, reconnaissance par la langue » et la « foi, adhésion par le cœur » (al-islām al-iqrār bi-l-lisān wa l-īmān al-taṣdiq bi l-qalb). En effet, la conversion obéit à un contrat, tandis que la foi provient d’une révélation individuelle qui se passe d’explications.
11Les récits de conversion font d’ailleurs l’ellipse des étapes et des circonstances qui précèdent et suivent l’événement23. La vision de la conquête (fatḥ) comme « ouverture » à l’Islam, prolongement de la Révélation et abolition du temps de la Ğāhiliyya masque quant à elle les étapes réelles de la construction progressive de l’autorité islamique sur les territoires soumis. C’est particulièrement flagrant pour al-Andalus où, à part quelques récits ou mentions de conversion qui scandent l’évolution du pays vers une certaine unité sociale et religieuse à l’âge du califat, le sort de l’essentiel de la population s’efface rapidement du champ de vision des chroniqueurs qui se concentrent sur les élites urbaines et musulmanes. La « question indigène » ne ressurgit qu’au détour des tensions sociales qu’entraîne la monopolisation du pouvoir par une élite s’autodéfinissant comme « arabe », confrontée à la pression grandissante des premières générations de convertis. L’Orient des ixe-xe siècles résonne ainsi de la polémique sur les mérites respectifs des « Arabes » et des musulmans d’origine persane, dispute littéraire de la šu‘ūbiyya recouvrant cependant de véritables enjeux politiques et sociaux que Patricia Crone a comparés aux revendications « postcoloniales » des peuples des anciens empires après les indépendances du xxe siècle24. En al-Andalus, c’est par le thème de la fitna émirale, c’est-à-dire de la révolte des autochtones –.chrétiens ou convertis – contre l’émirat omeyyade, incarnée par la figure de proue du « rebelle » ‘Umar b. Ḥafṣūn, que ressurgit le thème de l’assimilation des convertis par les structures de l’État islamique25. En faisant des convertis d’origine autochtone (les muwalladūn en al-Andalus) une catégorie de transition, encore attachée à ses racines « indigènes » (traduites dans les textes par l’emploi du mot ‘ağam), l’historiographie met en valeur le califat comme un moment quasi épiphanique de résorption, autour de l’Islam, des clivages ethniques et religieux antérieurs. Au Maghreb, la question berbère focalise l’attention des chroniqueurs. Au thème de la conversion massive des tribus berbères, laissant dans l’ombre l’évolution réelle du christianisme nord-africain, succède le récit des grandes révoltes berbères, attisées par le kharijisme. Cette fitna maghrébine révèle la complexité des antagonismes sociaux dans des espaces où l’avancée étonnamment rapide des conversions « formelles » et de la déchristianisation ne doit pas occulter l’échec du contrôle impérial exercé par le califat, et la difficulté même de mise en place d’un État sur le modèle oriental, hormis en Ifriqiya26.
12Pour ce qui est de la notion d’arabisation en tant que processus de diffusion de la langue et de la culture arabes, elle n’occupe pas non plus l’esprit des historiographes de l’époque médiévale. D’une façon assez significative, les récits qui relatent les premiers temps de la domination islamique en al-Andalus, après avoir évoqué le ralliement des fils de Witiza et la reconnaissance de l’enclave postwisigothique de Théodemir, n’abordent les changements qui traversent la société qu’à travers le prisme de la fondation et du renforcement du pouvoir omeyyade. Au contraire, l’acculturation est d’abord perçue à rebours, comme le danger pour la caste des conquérants d’être absorbés par les coutumes locales. Le verbe tanassara, que l’on peut traduire ici par « devenir chrétien » ou « comme un chrétien », désigne le comportement du fils de Musa b. Nu.ayr, ‘Abd al-‘Aziz, assassiné pour avoir été tenté d’adopter la pompe royale des Goths27. Au temps de la foi « vacillante », celle des Berbères de Galice par exemple (mudabdab fi dīnihi)28, succède aussitôt l’ère des fondations. Quant au verbe réfléchi ista‘raba qui signifie « faire comme les Arabes » ou « devenir arabe », il est bien attesté dans la littérature arabe. Cependant, il s’applique essentiellement à la distinction mythique entre les tribus installées dans la péninsule Arabique avant l’arrivée d’Ismaël, abandonné par son père Abraham à La Mecque où il fonda une nouvelle lignée « arabisée ». On trouve la même expression (musta‘rib) employée à propos des Ghassanides, Arabes mais de confession chrétienne. C’est d’ailleurs peut-être en référence à cette identité arabo-chrétienne que le mot fut probablement récupéré par les chrétiens arabisés d’al-Andalus puis, suppose-t-on, transmis à leurs coreligionnaires léonais qui l’employèrent à partir de 1021 pour désigner les populations chrétiennes venues des territoires islamiques29. Il s’agissait cependant d’un usage globalement étranger aux sources arabo-musulmanes, pour lesquelles on n’était arabe que par la généalogie – réelle ou validée comme telle par le consensus social – ou par l’adoption que supposait l’établissement des liens de clientèle de la walā’ qui, aux premiers siècles de l’Islam, s’adressa tout d’abord aux populations d’origine non arabe, le plus souvent converties, entrées dans le cercle familier de l’aristocratie des conquérants arabes, avant de s’adresser presque exclusivement aux affranchis convertis à l’islam à partir de l’ère ‘abbasside30.
13En ce qui concerne l’usage de ces deux notions en français, le Dictionnaire historique de la langue française nous apprend que le verbe « islamiser » fut utilisé dès 1862 par Ernest Renan dans le sens de « convertir à l’islam, intégrer au monde islamique », une association permettant d’envisager l’islamisation comme un processus évolutif débouchant, après l’acte juridique du passage à la loi islamique, sur une mutation en profondeur du système de référence des nouveaux adeptes. Le verbe « arabiser » apparut en 1735, mais pour désigner l’introduction dans la langue française d’un lexique d’origine arabe (la notion d’« arabisme » étant attestée dès 1740). De manière significative, les concepts d’« islamisation » et d’« arabisation » semblent être conjointement entrés dans les usages en 1903, en pleine période coloniale31. L’arabisation possédait alors un sens technique, désignant le « fait de donner un caractère arabe » à l’administration ou à l’enseignement, comme le réclamaient une partie des intellectuels et des administrateurs coloniaux, à l’instar de Lyautey. Ces deux termes vinrent alors compléter le concept plus ancien d’orientalisation, traduit par les verbes « s’orientaliser » (1801) et « orientaliser » (1831). Le facteur « oriental » désignait toujours une série de caractéristiques morales, esthétiques, voire politiques censées séparer les territoires ainsi considérés de la « civilisation » occidentale. Certains historiens, jusqu’à récemment, considéraient d’ailleurs la conquête arabe comme une adhésion naturelle des populations sémitiques à l’islam, synthèse des cultures orientales de l’Antiquité tardive32. Tel ne fut pas le cas d’une partie de l’historiographie concernant al-Andalus et le Maghreb, attachée au contraire à démontrer, en dépit des paradoxes, le caractère allogène de l’imposition de l’Islam et de l’arabité sur des terres considérées comme foncièrement « occidentales ».
LE DÉBAT SUR LA TRANSITION
14L’historiographie d’époque coloniale pour le Maghreb, l’historiographie hispanique jusqu’aux années 1970 pour al-Andalus ont été toutes deux hantées par le problème de la transition entre l’Antiquité tardive et l’Islam, enjeu épistémologique ainsi résumé par Charles-Emmanuel Dufourcq33 : « quand les jeux furent-ils faits en faveur de l’Orient d’un côté, en faveur de l’Occident de l’autre ? » Le but implicite de tout ce courant d’étude était donc de savoir comment des provinces « occidentales » avaient été « orientalisées » et « arabisées » au point de perdre leur identité initiale.
Le cas ibérique : courant « continuiste » et « orientalisation »
15Le refus du changement –.donc de l’orientalisation, islamisation ou arabisation de la société locale.– fut particulièrement aigu au sein de l’historiographie espagnole, dont tout un courant se caractérisait par la défense de thèses « continuistes » niant l’apport islamique au profit du mythe d’une identité « espagnole » et « occidentale » indéracinable, farouchement préservée jusqu’au retour à la norme que constituait la Reconquête. Puisqu’il était « occidental », voire « européen » et même « espagnol », l’Islam ibérique était revêtu d’un caractère plus rationnel, plus tolérant et plus ouvert –.donc plus « occidental » – que l’Islam oriental. Le mythe de l’« Espagne des trois religions », paradigme d’un Islam « tolérant », naquit d’ailleurs à l’époque des Lumières et alimenta l’image d’un Islam à l’occidentale, avant de nourrir celle d’un Islam éclairé dans l’« Europe » jugée obscurantiste du haut Moyen Âge34. Parallèlement se développait toutefois une interprétation parfaitement conservatrice, au sens strict, de l’histoire d’al-Andalus, considérant que l’Islam n’avait été qu’un masque posé sur le visage immuable de l’homo hispanicus. Le meilleur représentant de cette tendance fut Francisco Javier Simonet qui érigea les chrétiens autochtones, ou « Mozarabes » en résistants de l’intérieur, irréductiblement opposés à la progression de l’islam et de la langue arabe sur le sol national. Non seulement une partie de la population conquise avait préservé sa religion et sa langue jusqu’à l’arrivée des armées du Nord, mais les convertis –.les fameux muwalladūn – avaient selon lui également conservé leur identité profonde sous l’apparence du changement d’affiliation religieuse. Enfin, la langue et la culture arabes n’auraient elles-mêmes constitué qu’un phénomène minoritaire, dans la mesure où la langue parlée par le « peuple » –.et donc par les « Espagnols » – aurait été la langue romane (romance) commune à l’ensemble de la péninsule Ibérique35. Ce paradigme de la « langue souterraine » pouvait donc servir de tremplin à des affirmations comme celle de Claudio Sánchez Albornoz :
Non. La texture vitale hispanique n’a pas pu s’arabiser. L’arabisation culturelle des Espagnols soumis à la domination de l’islam, leur arabisation vitale ne se sont réalisées que très tard, ou bien ne se sont jamais réalisées. Les possibilités de communication entre l’Islam et le christianisme espagnols ont été sporadiques et toujours difficiles36.
16Massivement désavouée tout au long des années 1970-199037, la thèse continuiste abreuve encore quelques études locales sur la permanence du substrat « mozarabe38 ».
17Le thème de la transition n’en demeure pas moins un champ d’investigation fertile, surtout pour éclairer la phase encore relativement obscure de l’émirat omeyyade (756-929). Pour certains spécialistes, l’islamisation et l’arabisation auraient été sinon immédiates, du moins très rapides. Pour Pedro Chalmeta par exemple, al-Andalus était déjà une « formation islamique » à la mort de ‘Abd al-Raḥmān I en 788, dans la mesure où la domination d’une « superstructure » arabo-musulmane avait permis l’installation de structures sociales, économiques, juridiques, fiscales, familiales, éducatives, culturelles et militaires arabo-musulmanes39. Afficher une telle certitude à propos d’une période pour laquelle on ne possède aucune source arabe contemporaine peut toutefois surprendre. Il est certain qu’à l’époque de la conquête l’État omeyyade était déjà bien structuré et que le système du ğund était en place. La « chronique arabo-byzantine » et la « chronique de 754 » reflètent aussi l’existence d’une politique de prélèvement fiscal tout à fait efficace. Toutefois, bien que les conversions aient commencé très tôt, on peut douter de la profondeur de l’islamisation à une époque où le corpus juridique malékite n’était même pas encore en place et où le christianisme disposait encore d’assises sociales importantes. Il est vrai que tout un courant d’études, à la suite des articles de Mikel de Epalza, a diagnostiqué l’extinction rapide du christianisme, qui aurait été réduit au stade de minorité insignifiante dès les viiie-ixe siècles faute d’encadrement ecclésiastique40. Dans notre contribution à ce volume, nous démontrons que ce constat laisse peu de place aux nuances régionales, et nous mettons en évidence deux inflexions significatives : le tournant des processus d’islamisation et d’arabisation au ixe siècle, et leur approfondissement au xie siècle, phase qui aboutit à la marginalisation du christianisme autochtone, jusqu’à sa disparition au milieu du xiie siècle. D’autres recherches ont d’ailleurs montré que l’histoire de la minorité chrétienne ne s’arrêtait pas après l’épisode des martyrs de Cordoue, accompagné puis relayé en effet par l’arabisation de la culture écrite au sein de la communauté41. Outre le croisement, toujours fructueux, entre plusieurs faisceaux d’information textuelle et la relecture historique du moment clef de la fitna émirale42, l’édition et l’étude de plusieurs sources arabo-musulmanes d’époque émirale ont apporté de nouvelles connaissances sur la constitution de la culture andalouse et sur la diffusion du droit malékite43.
18Les recherches actuelles contribuent donc à enrichir, mais également à nuancer le panorama que Pierre Guichard avait dressé de l’« orientalisation » d’al-Andalus en essayant de démontrer que des structures familiales et sociales fondées sur un modèle « oriental » s’étaient substituées à l’ancienne formation sociale « occidentale » au cours des premiers siècles de l’Islam en al-Andalus. Occulté par l’historiographie officielle omeyyade mais justifié par l’évidence de leur supériorité numérique, le rôle des Berbères dans la diffusion en profondeur de ce nouveau modèle social aurait été fondamental44. On peut objecter que, en dehors de certaines évidences dues à l’implantation de structures juridiques et sociales nouvelles, l’évolution réelle du cadre familial semble difficile à reconstituer au regard d’un corpus de sources qui, pour les premiers siècles, ne permet guère d’adopter une approche sociologique ou anthropologique normalement fondée sur des études de terrain et sur une plus grande masse documentaire. On peut aussi critiquer la projection, sur la scène éloignée des premiers temps de l’Islam, des méthodes et résultats de l’anthropologie du xxe siècle45. Toutefois, la question de la tribalisation ou de la tribalité constitue le fond du débat, car elle demeure un enjeu crucial pour toute approche de la société andalouse. Outre que la tribu s’avère une notion et une construction sociale très complexe, l’historiographie tout entière est indéniablement captive d’une écriture46 qui, comme le rappelle Maribel Fierro dans sa contribution, utilise volontiers les filtres d’un discours ethnicisant où l’appartenance tribale masque quelquefois le contour plus fin des antagonismes entre groupes sociaux. Dans cet ouvrage, Eduardo Manzano revient sur le thème des structures tribales à travers une analyse critique de tous les problèmes méthodologiques que pose l’usage de l’onomastique –.en particulier les ethnonymes de la documentation arabe et romane – comme source pour l’histoire sociale.
19Les progrès les plus significatifs proviennent cependant des nouvelles données que nous fournissent l’archéologie du peuplement et l’étude des nécropoles sur les transitions urbaines, l’installation de nouvelles populations et la conversion à l’islam des noyaux déjà présents47. La découverte de nouveaux sites comme Cercadilla (Cordoue), la poursuite de prospections antérieures sur des sites émiraux importants (Bobastro) et le lancement d’ambitieuses campagnes de fouilles urbaines (Mérida) ont grandement complété nos connaissances, ce dont témoigne la présentation d’Annliese Nef. L’étude de Sonia Gutiérrez sur la kūra de Tudmīr a fourni une base scientifique nouvelle, qui constitue à bien des égards un modèle sur le plan méthodologique. Elle nous présente ici une nouvelle mise au point de ses recherches, dégageant les lignes directrices d’une interrogation sur les processus d’islamisation et d’arabisation à travers l’étude de la culture matérielle.
Le cas maghrébin : « orientalisation », « arabisation » et transition
20Les historiens du Maghreb pouvaient difficilement défendre une thèse continuiste au regard des changements qui semblaient avoir rapidement bouleversé l’équilibre religieux de la région au profit de l’islam. Il n’en est pas moins vrai que « la fin de la romanité en Afrique du Nord n’a cessé de troubler les historiens48 ». Émile-Félix Gautier mais aussi Georges Marçais expliquaient ce glissement grâce à la thèse d’une « orientalisation » préalable de l’Afrique du Nord, marquée par la diffusion du nomadisme dès la fin de la période romaine. Le nomadisme étant une forme sociale « orientale », par opposition à un modèle sédentaire « occidental », il constituait un trait d’union entre sociétés « berbères » et « arabes », préparant ainsi le triomphe de l’Islam sur un terrain déjà prêt à le recevoir49.
21S’ils ne niaient pas le caractère massif du phénomène de ralliement à l’islam, ces deux auteurs n’en défendaient pas moins l’idée d’une résistance en profondeur des populations autochtones, même « orientalisées » puis « islamisées », au modèle arabe. À cet égard, le vrai tournant de l’histoire du Maghreb était celui de l’arabisation, imposée sous la seule pression des invasions hilaliennes. Celles-ci étaient en effet vues comme un raz-de-marée humain responsable du déclin irrémédiable du Maghreb, c’est-à-dire de sa plongée dans une situation « orientale » à laquelle seule la colonisation européenne viendrait plus tard mettre un terme50. Cette historiographie avait donc pour originalité de dissocier l’islamisation de l’arabisation en donnant à cette notion un sens ethnique et démographique concret, à savoir l’installation en masse de populations arabes. L’enjeu de cette confrontation entre « autochtones » berbères et « envahisseurs » arabes était bien exprimé par Émile-Félix Gautier, qui qualifiait la conquête arabe de mouvement de « colonisation ». L’islamisation était ainsi implicitement comparée à la colonisation européenne, elle-même référée au modèle romain.
22Comme nous le rappelle Dominique Valérian dans une nouvelle mise au point, plusieurs études, préoccupées par le même problème, se sont attachées à l’évolution des structures ecclésiastiques maghrébines dans les territoires anciennement byzantins. En dehors des espaces qui gravitaient encore avant la conquête arabe dans l’orbite impériale, l’histoire des communautés chrétiennes s’avère encore plus délicate. Allaoua Amara rassemble dans sa contribution les données disponibles pour le Maghreb central et, tout en concluant à une disparition massive du christianisme autochtone en dehors de quelques poches urbaines au xe siècle, il insiste sur la complexité des processus d’islamisation au Maghreb, terrain qui offre les perspectives de recherche les plus prometteuses.
23En effet, malgré tous les bémols que l’on peut apporter à un constat si catégorique, l’ampleur de la déchristianisation du Maghreb ne peut guère être contestée si on la compare à la situation de l’Orient arabo-musulman ou même d’al-Andalus. Les raisons doivent sans doute être cherchées en amont, dans l’histoire de l’Afrique du Nord pendant cette période relativement obscure –.et pourtant si cruciale – qui précéda la conquête. L’ouvrage d’Yves Modéran, en mettant en valeur l’échec de la politique africaine de Constantinople dans la fidélisation des autochtones « berbères », fournit un éclairage sur l’évolution ultérieure51. L’article de Yassir Benhima, consacré à un Maghreb extrême pour lequel l’absence de sources textuelles est encore plus criante, suggère que le christianisme n’avait pas pénétré en profondeur dans le paysage social local. En suivant l’exemple de la thèse d’Ahmed Siraj consacrée à la Tingitane antique mais également fondée sur le corpus des sources en arabe52, la prise en compte d’une période historique étendue de l’Antiquité tardive à l’apparition d’un corpus de sources significatif (pas avant les xiie-xiiie siècles pour le Maghreb central et occidental) permet d’observer les changements sur une longue durée.
24Ce recul paraît nécessaire si l’on veut faire le lien entre l’émergence, bien avant les conquêtes arabes, de pouvoirs autonomes berbères et leur résurgence dans la seconde moitié du viiie siècle. La compréhension des rapports entre centres citadins et « marges » steppiques ou désertiques, sédentarité et nomadisme, formations étatiques et formations tribales ne peut elle-même s’inscrire que dans la durée. Il en est de même pour les transformations des structures foncières, économiques et fiscales en milieu rural. La différenciation entre ğizya et ḫarāğ semble s’être imposée très progressivement, si l’on en croit par exemple l’analyse que tire Fathi Bahri de la Mudawwana de Saḥnun (m. 854)53. De même, on remarque que la distinction entre arḍ al-‘anwa et arḍ al-ṣulḥ demeure l’objet, plusieurs siècles après la conquête, de discussions interminables chez les juristes, en al-Andalus comme au Maghreb. Dans son article, où elle exploite une source juridique inédite qui, pour être tardive (xve siècle), n’en est pas moins fondamentale en raison de la reconstitution qu’elle propose du statut des terres maghrébines après les conquêtes, Élise Voguet démontre toutes les contradictions qui existaient, de l’aveu des juristes, entre des normes canoniques figées et les pratiques fiscales mises en place dans les territoires conquis.
25Plusieurs historiens, comme Henri Bresc pour la Sicile ou Pedro Chalmeta pour al-Andalus, considèrent que l’Islam a mis fin au latifondo antique au profit de petites unités d’exploitation individuelles tenues par des paysans libres. Pedro Chalmeta considère que dans un premier temps les conquérants s’emparèrent des grandes propriétés wisigothiques sans les démanteler, ce qui aurait favorisé le ralliement des populations locales. Cependant, le statut servile des cultivateurs aurait ensuite été remplacé par le statut de muzāri‘, c’est-à-dire par du colonat partiaire. À l’esclavage et au latifondo antiques, l’Islam aurait progressivement substitué le modèle du paysan libre et de la petite propriété. L’instauration de ces structures plus « démocratiques » aurait contribué à l’essor économique et démographique de l’État islamique tout en favorisant les conversions des paysans54.
26Mohamed Talbi ne fait pas tout à fait le même constat à propos de l’Ifrīqiyya après la conquête. Au contraire, selon lui les conquérants arabes auraient préservé les structures foncières antérieures, dominées par le latifondo. Quant à l’utilisation d’une main-d’œuvre servile, elle aurait persisté aux premiers siècles de l’Hégire, sans que l’on constate de grands changements au niveau des structures foncières et sociales par rapport à l’Antiquité. Fathi Bahri suggère que cette continuité obéissait à un but politique : il s’agissait d’obtenir ainsi la neutralité, voire l’alliance des notables chrétiens contre les Berbères de l’intérieur55.
LE PASSAGE À L’ISLAM DES POPULATIONS AUTOCHTONES
27La question des conversions, que nous venons d’évoquer, a cependant grandement focalisé l’attention des chercheurs. Elle ne constitue pourtant qu’une facette de l’interrogation sur la transition. Richard Bulliet s’est efforcé de l’intégrer dans un processus plus long, en distinguant la « conversion formelle » de la « conversion sociale », c’est-à-dire l’intégration des normes de l’Islam – quand celles-ci furent établies – par les convertis ou leurs descendants, et leur fusion au sein de la communauté des vieux musulmans. L’islamisation ne se limite pas au passage légal à l’islam : il s’agit d’un processus beaucoup plus long d’enracinement de nouvelles croyances et de nouvelles normes sociales parmi les populations56.
28Quant à la réflexion sur les causes de la conversion, forcément limitée par des sources souvent très stéréotypées, elle ne présente d’intérêt qu’à l’échelle d’une société tout entière, avec ses tensions, ses contraintes juridiques, ses pressions sociales et politiques. Les facteurs de conversion sont bien souvent éludés par les sources ou bien présentés de manière apologétique, comme dans le Kitāb al-burhān de Ḥunayn b. Isḥāq, qui énumère six causes motrices : la pression fiscale, la contrainte, l’espoir d’ascension sociale, le prosélytisme musulman, l’attrait intellectuel de l’islam et la force des liens familiaux57. On ne peut bien sûr se contenter de cette énumération, mais elle fournit un excellent point de départ pour toute interrogation sur les racines sociales de la conversion.
Les facteurs fiscaux du passage à l’islam
29Le poids de la fiscalité islamique, véritable leitmotiv dans la littérature chrétienne en terre d’Islam, rejoint la question fondamentale mais encore très mal éclairée des conséquences économiques de la conquête sur le régime des terres, le statut des personnes et le paiement de l’impôt. Pour ce qui est des communautés non musulmanes, le lien souvent évoqué entre le facteur fiscal et la conversion n’a rien d’évident ni de systématique58. Les papyri égyptiens des viie-ixe siècles confirment l’existence de prélèvements extraordinaires effectués par les gouverneurs auprès des populations rurales. On sait que cela déclencha une série de cinq révoltes chez les paysans coptes entre 693 et 773, sous les Omeyyades et les premiers ‘Abbāssides. Ce mouvement culmina vers 831-832 lors du soulèvement de la région de Bašmur dans le Delta, qui nécessita l’intervention des troupes du calife al-Ma’mun. Cette pression ne fit que croître avec la nomination d’A.mad Ibn al-Mudabbir en 868, qui doubla en effet le taux de l’impôt individuel (jizya) et de l’impôt foncier (ḫarag) des paysans non musulmans, et l’imposa aussi pour la première fois au clergé dans son ensemble. En effet, on sait que, pour échapper au fisc, de nombreux paysans abandonnèrent leurs terres pour se réfugier dans les monastères, stratégie réprimée par le pouvoir afin d’éviter la chute des revenus du Trésor59. En Égypte, la fiscalité a donc accéléré la désorganisation des communautés rurales, voire la conversion d’une frange de la paysannerie. Claude Cahen fait le même constat à propos de la Haute-Mésopotamie ‘abbasside : la fiscalité califale pèse de tout son poids sur les communautés rurales et contribue à alimenter la fuite des paysans, durement matée par le pouvoir60. Toutefois, si la conversion permettait d’échapper à l’impôt individuel, elle ne mettait pas les paysans à l’abri de l’impôt foncier puisque l’on sait que celui-ci fut étendu aux convertis dès l’époque omeyyade afin de sauvegarder les ressources de l’État.
30Comme l’a bien souligné Claude Cahen, l’évolution des campagnes ne repose de toute manière ni sur le seul facteur fiscal, ni sur la différence de statut entre musulmans et non-musulmans. Elle traduit un jeu de tensions sociales entre pouvoir central et pouvoirs locaux, grands propriétaires et paysans, anciens notables et nouvelles élites musulmanes… La question des conversions en milieu rural ne peut être appréhendée sous la forme de phénomènes purement individuels, dont l’existence est indéniable mais non significative au regard du problème plus fondamental que constitue l’évolution des structures de l’encadrement social des campagnes. La conversion possède en effet des causes sociales collectives. On le constate pour al-Andalus dans la seconde moitié du ixe siècle où, dans les régions que secoue la fitna des muwallad-s, les populations rurales encore partiellement chrétiennes sont encadrées par des notables majoritairement convertis à l’islam, ce qui constitue le signe le plus évident de la pénétration de la nouvelle religion dans les campagnes61.
Un faisceau de facteurs sociaux
31Le second facteur évoqué par l’auteur nestorien, la contrainte, relève du répertoire apologétique chrétien en Orient comme à Cordoue au ixe siècle, car il oppose l’évangélisation pacifique des Apôtres à l’image d’un islam s’imposant par les armes. L’historiographie a cependant tendance à tomber dans l’excès inverse, celui d’un discours lénifiant sur l’absence de contrainte, voire de prosélytisme dans l’islam, religion qui se serait imposée d’elle-même, comme le veut la conception véhiculée par les sources arabo-musulmanes. On relève bien des épisodes de tension exceptionnelle, sous le calife fatimide al-Ḥākim par exemple, mais ces raidissements sont le plus souvent interprétés comme des emballements qui ne contredisent pas l’image globalement iréniste des rapports interconfessionnels. Or la question n’est pas de mesurer le degré de « tolérance » de l’islam, objectif de toute manière simplificateur dans la mesure où il s’agit de réfléchir sur des sociétés vivantes et non sur une norme religieuse immuable. La question est d’évaluer quelles formes de pressions sociale et politique accompagnèrent la diffusion mais aussi l’imposition de la nouvelle religion. Les mentions de conversions forcées sont limitées dans les textes, mais non totalement absentes dans les récits des conquêtes, de razzias hors du dār al-islām, ou même de répression de certaines révoltes intérieures, comme celles d’al-Andalus au ixe siècle. D’autre part, des phases de raidissement ont incontestablement ponctué l’histoire des sociétés musulmanes, comme celle qui déboucha sur l’expulsion des communautés chrétiennes de la région de Grenade par les Almoravides après l’expédition d’Alphonse le Batailleur en 1125-112662. Quant à l’exercice du prosélytisme religieux, il n’a guère soulevé l’intérêt des chercheurs, sans doute parce que ce thème avait au contraire été exploité dans un registre victimiste par toute une veine historiographique concernant les communautés chrétiennes d’Orient.
32Pas d’Islam « missionnaire », donc. ? Pas de « prédication » en faveur des conversions. ? Ḥunayn b. Is.aq mais aussi Euloge de Cordoue insistent sur les dangers que représentent le pouvoir de la parole et la rhétorique de persuasion comme vecteurs de propagation de la nouvelle religion. La littérature apologétique constitue à cet égard une caisse de résonance des débats intellectuels qui contribuèrent à tracer progressivement la frontière entre rites rivaux. Les écrits apologétiques des chrétiens d’Orient et leurs célèbres « dialogues » interconfessionnels ne sont d’ailleurs nullement le reflet d’une idyllique convivencia, situation où la parole circulerait librement entre des acteurs jouissant d’une égalité de statut. Outre que ces confrontations philosophico-théologiques étaient limitées au cercle étroit des lettrés admis à la cour des souverains abbassides, elles se faisaient l’écho d’une confrontation intellectuelle entre élites musulmanes et cadres des communautés minoritaires. Du côté de ces dernières, ce corpus avait pour vocation non seulement de contrer les arguments de l’islam, mais aussi de renforcer la cohésion des fidèles par l’exercice de l’apologie63. Or ces controverses, qui laissent apparaître les frontières dogmatiques, théoriques et rituelles entre communautés, sont rarement étudiées dans la perspective d’une histoire sociale des interactions entre communautés. Elles nous renseignent pourtant sur la façon dont les minorités répondaient au défi de l’islamisation de la société et de leur propre amenuisement. L’article de Christian Décobert sur l’Apocalypse copte du Pseudo-Samuel, l’essai de Jessica Coope sur les martyrs de Cordoue démontrent quel éclairage ce type d’écrit peut apporter non seulement sur l’histoire intellectuelle mais aussi sur l’histoire sociale de l’islamisation64.
33Il n’y a pas non plus de raison de douter des assertions de Ḥunayn b. Isḥāq quand il évoque l’attrait culturel que pouvait représenter la religion du califat ‘abbāsside pour les non-musulmans. L’historiographie s’est amplement penchée sur la formation du dogme islamique en tant que synthèse des deux monothéismes antérieurs, mais l’on peut étendre cette réflexion sur les interactions avec les sociétés du Livre à d’autres aspects de la construction de l’islam des premiers temps. L’appropriation des lieux de mémoire par la construction de monuments marqueurs dans l’espace de la nouvelle religion en constitue l’un des aspects les plus notables. Oleg Grabar montre bien à quel point le Dôme du Rocher se démarque sur l’aire sacrée de l’esplanade du Temple grâce à un manifeste architectural qui, d’une part, agit comme un palimpseste des strates antérieures de l’histoire sainte de la ville (par des emprunts évidents au modèle du martyrium chrétien et à l’église de la Résurrection) et, d’autre part, distingue l’ultime Révélation par des inscriptions dirigées contre les « associationnistes » (mušrikun)65. Le choix de construire des mosquées ou des sanctuaires dans ces lieux portant l’empreinte de traditions religieuses antérieures, comme aussi à Damas, Cordoue ou Tolède, répondait à une volonté politique d’investir l’espace. Les ribāt-s –.dont Nelly Amri décrypte dans ce volume la signification dans la perspective d’une histoire sociale de la sainteté et à la lumière du Riyāḍ al-nufūs d’al-Mālikī – constituèrent l’un de ces vecteurs d’enracinement et d’affirmation de l’islam dans le paysage ifrīqiyen sur une très longue période, en tant qu’institution mais aussi paradigme d’un système de valeurs religieux liant étroitement fonction militaire et fonction ascétique.
34Pour ce qui est du topos si souvent assené par les sources chrétiennes de la conversion des notables gagnés par l’appétit de pouvoir et de gloire, il nous renvoie aussi à une institution sociale bien réelle, à savoir la cour qui constitue véritablement à Bagdad comme à Cordoue au ixe siècle un pôle d’attraction pour les élites non musulmanes, présentes aussi bien comme secrétaires (kuttāb) que comme traducteurs ou simplement représentants de leurs coreligionnaires. Les liens avec le pouvoir garantissent la conservation, voire l’acquisition d’un statut de domination au sein de leur communauté, mais peuvent aussi motiver un passage à l’islam qui favorise effectivement dans certains cas une ascension sociale au-delà des fonctions ordinairement attribuées aux non-musulmans. Plus largement, l’« autogouvernement » des communautés ḏimmī-es garanti par le droit musulman66 s’accompagne d’une intervention constante et déterminante des autorités islamiques dans la gestion des affaires internes des minorités.
L’assimilation des convertis
35Quant aux liens familiaux évoqués par l’apologiste nestorien, ils correspondent à une société où l’islam a cessé d’être la religion de la caste militaire des conquêtes pour se répandre à tous les échelons de la société, au cœur même des familles. Le cas de Cordoue au ixe siècle offre l’image de ces familles de l’aristocratie chrétienne locale dont une partie des membres se sont convertis, ou qui ont fait souche avec les élites musulmanes en donnant leurs filles en mariage à tel ou tel notable musulman. En consultant le dossier des martyrs de Cordoue, on est frappé par le nombre d’allusions aux noyaux familiaux où cohabitaient les deux religions. Outre que l’appartenance du père à l’islam déterminait la confession des enfants, il était fréquent qu’une partie du clan familial se convertît à l’islam sans pour autant que les solidarités de sang ne se dissipent. L’une des martyres, Aurea, est même parente du cadi qui la juge et finalement la condamne pour apostasie. En effet, un quart des martyrs de Cordoue sont constitués de musulmans ou plutôt de « chrétiens occultes », c’est-à-dire d’individus officiellement convertis ou bien nés de père musulman, mais qui conservaient une pratique secrète du christianisme, ainsi que des réseaux sociaux et des pratiques culturelles antérieurs au passage à l’islam67.
36Le corpus des martyrs de Cordoue amène à s’interroger sur le degré de marginalité de ce type de situation, qui pourrait être représentative d’un tournant dans l’islamisation des sociétés locales. Il convient en effet de s’interroger sur les conséquences sociales de la conversion. Celle des Berbères au Maghreb a pu obéir à une stratégie collective de ralliement fondée sur la préservation, voire le renforcement et la pérennisation d’intérêts locaux, sans pour autant entraîner la dissolution des configurations sociales antérieures. Manuel Acién Almansa assimile par exemple les notables muwalladūn d’al-Andalus à une sorte d’aristocratie postwisigothique dont la position sociale à l’échelle locale aurait été initialement confortée par la reconnaissance du pouvoir islamique. Bien que cette identification avec l’élite locale préislamique soit l’objet de controverses68, le cas des Banū Qasī démontre que le passage à l’islam n’a fait qu’accroître l’emprise de cette famille qui s’affirmait descendante d’un comte local nommé Cassius, sans rompre ses liens avec les seigneurs vascons installés plus au nord en terre chrétienne, et à qui ils mariaient leurs femmes apparemment restées chrétiennes69.
37Les stratégies de conversion, leurs modalités et conséquences sociales obéissent donc à un large éventail de nuances qu’il serait intéressant d’analyser sous la forme d’une étude comparative qui s’attache non pas à l’acte de conversion, mais à une sociologie des convertis en tant que groupe social distinct, ou tout du moins distingué par les sources. Il est en effet bien évident que la conversion ne débouche pas sur les mêmes trajectoires sociales selon qu’elle concerne les populations rurales, les aristocraties locales, les clients (mawālī-s) de l’aristocratie omeyyade, ou bien les convertis d’origine servile faisant leur carrière à la cour. On connaît désormais assez bien la procédure juridique de la walā’, mais elle ne semble avoir concerné en vérité qu’une minorité de convertis, surtout dans l’Occident musulman. L’étude récente de Clément Onimus sur les mawali-s d’Égypte, réalisée à partir d’une documentation papyrologique allant du viie au xie siècle, confirme l’efficacité de la walā’ comme moyen d’intégration et d’ascension sociale par les liens de protection et d’obligation réciproques qui se nouent entre le patron et son protégé70. Même si la plupart des mawali-s égyptiens, qui représenteraient approximativement un dixième de la population du corpus, étaient employés dans l’administration fiscale et dans l’armée, ils ne semblaient pas constituer un groupe socialement et professionnellement très cohérent tant leurs liens sociaux étaient aspirés vers la relation avec leur patron71.
38Enfin, comme nous le disions plus haut en définissant les notions d’islamisation et d’arabisation, le thème de la šu‘ūbiya ne se limite pas aux joutes littéraires de l’Orient ‘abbasside. En tant que confrontation sur les mérites respectifs des « Arabes » et des « indigènes », ce phénomène nous confronte à une question qui est encore loin d’avoir été approfondie : celle de la construction des identités communautaires au sein même de l’islam, sur des bases qui se voulaient ou se disaient le plus souvent ethniques ou tribales, mais où la langue vernaculaire, l’organisation sociale, la culture et les traditions mêmes pouvaient jouer un rôle de marqueurs de la frontière ou d’emblèmes de la différence. Ces manifestations ont pu être transitoires et résulter des difficultés d’intégration sociale des convertis, comme dans le cas des muwalladūn, ou bien traverser toute l’histoire de l’Islam, comme c’est le cas pour l’étiquette ethnique « berbère ». Parallèlement, il existe aussi une forme de šu‘ūbiya non musulmane, qui apparaît par exemple à travers l’affirmation d’identités confessionnelles juive ou chrétienne au sein d’une culture revendiquée comme arabe72.
Les phases de l’islamisation
39L’étude de l’islamisation conduit donc à distinguer différents paliers dans l’intégration des convertis à la nouvelle religion. Ce qui nous amène au défi que constitue l’établissement d’une chronologie ou d’une périodisation de l’islamisation. Richard Bulliet a tenté d’y répondre à travers sa fameuse tentative de quantification des phases de conversion, menée à l’échelle de l’ensemble du monde musulman médiéval à partir de son cas d’étude de départ, Nishapūr. On sait que les « courbes de conversion » dressées par le chercheur s’appuient sur le présupposé de l’évolution du nom comme traceur du changement de statut : l’abandon des patronymes préislamiques trahirait le changement de statut religieux de l’individu. D’où l’idée de se servir des dictionnaires biobibliographiques comme d’une base de données sur le passage à l’islam des familles. Le choix de ce type de source a été critiqué dans la mesure où elle ne consigne guère que les élites ou les notables, essentiellement en milieu urbain, et ne reflète donc que très partiellement l’évolution des masses rurales. De plus, elle nous renseigne sur la formation d’élites musulmanes, éclairage sans conteste fondamental pour l’histoire de l’islamisation, mais elle ne se penche guère sur les populations non musulmanes. Enfin, la confiance du chercheur dans la transmission fidèle du nom ne tient pas compte de toutes les falsifications généalogiques par lesquelles les convertis ont pu recouvrir au fil des générations leur origine non arabe73.
40Cette approche, si elle met en évidence l’un des aspects de la constitution d’une société islamique, ne peut toutefois se substituer à une méthode d’ensemble prenant en compte la totalité des indices à notre disposition pour déterminer différents stades dans l’islamisation. L’érosion des communautés non musulmanes constitue il est vrai un indice primordial, mais elle doit être rapportée au processus d’institutionnalisation de l’islam et de diffusion des normes islamiques. La thèse de Cyrille Jalabert sur l’islamisation de l’espace syrien, étudiée sur une longue période (viie-xiiie siècle), propose un autre modèle d’explication, fondé sur l’observation des mutations du paysage social local et la perception de ces mutations par les acteurs sociaux. En croisant sources chrétiennes et sources musulmanes, Cyrille Jalabert distingue alors trois phases : une première où l’islam n’est encore que la « religion des conquérants » (viie-viiie siècle) ; une deuxième où il est désormais perçu comme une religion locale, ce qui se traduit notamment par la multiplication des mosquées et oratoires, et l’islamisation des lieux saints chrétiens (ixe-xe siècle) ; enfin une dernière phase, où la Syrie devient réellement un « pays musulman », c’est-à-dire où le poids local du christianisme devient marginal (xie-xiie siècle)74.
L’ISLAMISATION COMME PROCESSUS DE CONSTRUCTION DES NORMES DE L’ISLAM
41Cette approche a le mérite de considérer réellement l’islamisation comme un processus d’interaction sociale, associant la conversion des populations autochtones à la construction et la diffusion des normes de l’Islam sur un territoire donné, jusqu’à ce que ces normes deviennent « locales », c’est-à-dire intégrées au tissu social.
Élites musulmanes et diffusion d’une nouvelle normativité
42Sans nous attarder sur ces codifications juridiques, rituelles ou sociales qui contribuèrent précisément à bâtir une nouvelle normativité islamique, il convient d’insister sur le rôle des élites comme vecteurs de cette diffusion. La formation de nouvelles élites musulmanes, remplaçant l’encadrement des notables autochtones tout en l’absorbant partiellement, constitue un enjeu majeur du processus d’islamisation, comme l’ont démontré entre autres Richard Bulliet à propos des « patriciens de Nishapur », Cyrille Jalabert pour la Syrie, Maribel Fierro, Manuela Marín et l’équipe des Estudios Onomásticos Bio-Bibliográficos (EOBA) pour al-Andalus75. L’émergence dans les principaux centres urbains, puis dans des pôles secondaires, d’élites savantes qui prennent en charge l’enseignement et la diffusion du savoir islamique offre un indice explicite de l’enracinement local de l’islam. Le rôle des oulémas, des fuqahā’, mais aussi des figures de la sainteté propres au monde arabo-musulman s’avère primordial dans l’implantation de cette nouvelle culture. Au Maghreb comme en al-Andalus se détache ainsi l’importance du droit malékite, mais aussi de ses agents de transmission, organisés en réseaux liant étroitement l’Orient à cet Occident alors en plein processus d’islamisation. Comme l’a bien souligné Ana Fernández Félix dans son étude du recueil d’al-‘Utbi (m. 869), les juristes du iiie/ixe siècle prirent en compte le défi de la coexistence avec des populations non musulmanes encore en nombre important pour définir des frontières légales qui, tout en séparant les communautés, favorisaient aussi l’expansion de l’islam76.
43Le rôle joué par Kairouan dans l’implantation du malékisme au Maghreb jusqu’à son triomphe des xie-xiie siècles a été sans conteste fondamental. Néanmoins, à ce nœud de communication méditerranéen s’ajoutent très certainement des relais dont on méconnaît encore la disposition et la hiérarchie exactes faute d’une cartographie des réseaux savants au Maghreb médiéval. De plus, aux viiie-ixe siècles la pénétration de l’islam vers l’intérieur des terres et chez les tribus berbères a surtout été le fait de la da‘wa kharijite et, dans une moindre mesure, shi‘ite. Dans l’historiographie coloniale, mais aussi maghrébine (par exemple chez Mohamed Talbi), domine l’idée que l’islam « colonial » n’a pu s’imposer en profondeur auprès des populations berbères qu’en prenant une forme « nationale », c’est-à-dire autochtone. Le rigorisme du malikisme kairouanais et l’égalitarisme de l’ibadisme berbère sont interprétés comme des réponses à l’esprit « national » des Berbères. De même, l’ouvrage d’Elisabeth Savage avance l’hypothèse d’une conversion massive des populations chrétiennes au kharijisme, sur la base du rapprochement – qui n’a rien de neuf – avec le donatisme. Les arguments qu’elle propose ne sont nullement convaincants dans la mesure où, même si elle s’appuie sur la présence d’une communauté chrétienne dans le royaume rustumide de Tahart, elle n’apporte aucune preuve du passage des populations du christianisme à l’ibadisme77. C’est l’article de Mohammed Talbi, malgré les présupposés dont nous venons de parler, qui propose la piste qui semble la plus fructueuse, celle d’une étude sur les stratégies d’implantation et le discours idéologique kharijite en pays berbère. Comme l’auteur le reconnaît toutefois, les manières dont l’« islamisation en profondeur des masses berbères » fut conduite par les soufrites et les ibadites demeurent toutefois assez mal connues78.
44Les sources ibadites recourent en tout cas à l’image très parlante des cinq « porteurs de savoir » partis de Baṣra pour prêcher leur doctrine et l’implanter au cœur même des tribus berbères jusqu’aux confins du Sahara. Il serait intéressant de comparer cette représentation des origines à la da‘wa fatimide et à toutes les formes de pénétration de l’islam au Maghreb au cours des quatre premiers siècles, sous l’impulsion des deux mouvements ainsi qu’à l’initiative des élites malékites de Kairouan et d’autres grands centres urbains. Une géographie et une chronologie de la propagation de l’Islam dans le Nord de l’Afrique pourraient ainsi voir le jour, avec ses faisceaux de diffusion et ses acteurs sociaux.
L’arabisation, vecteur de l’islamisation ?
45En al-Andalus, où l’élément berbère était quantitativement important dans la population et la société, l’islamisation est fortement liée à la propagation non seulement de la langue et de la culture écrite arabes, mais aussi à l’imposition d’un modèle d’identification ethnique et culturel profondément arabe, comme l’ont souligné Gabriel Martinez-Gros ou Janina Safran dans leurs lectures de l’idéologie du califat omeyyade de Cordoue79. Au Maghreb, les liens entre islamisation et arabisation semblent beaucoup plus complexes. Si l’on écarte le topos d’une identité berbère intemporelle, il convient cependant de s’interroger sur les rapports tissés entre les populations autochtones – dans toute leur diversité linguistique et culturelle, qu’on occulte trop souvent au profit du commun dénominateur de la « berbérité » – et les modèles d’origine orientale véhiculés par la pénétration de la religion musulmane et le contact avec les nouvelles élites « arabes ». C’est donc toute une histoire de la réception de l’islam par les populations locales qu’il convient d’explorer en suivant la trame des constructions politiques successives que le Maghreb féconda jusqu’au xiie siècle.
46De quelles manières la langue et la culture arabes se sont-elles enracinées au sein des sociétés autochtones. ? L’étude de l’arabisation comme processus d’acculturation met tout d’abord en relief la diffusion d’une culture impériale relativement unifiée dans l’ensemble du dār al-islām. Le passage à l’arabe comme langue écrite de culture, puis comme outil de communication orale constitue l’un des signes de transition sociologique les plus notoires. En ce qui concerne la ḏimma chrétienne et juive, cette étape intervient lorsque la communauté est déjà suffisamment affaiblie numériquement par les conversions pour renoncer à l’hégémonie de la langue liturgique préislamique, qui joue le rôle d’un marqueur identitaire vis-à-vis de l’Islam même quand l’arabe constitue le moyen de communication écrite et orale le plus commun. Cette étape n’est pas forcément synonyme d’une dissolution de l’identité communautaire, car l’on constate en Orient comme en al-Andalus que les traductions chrétiennes ou juives vers l’arabe ont généralement pour but d’adapter les référents culturels de la communauté à un nouveau contexte tout en assurant leur perpétuation80. L’arabisation ne relève pas seulement de l’acculturation passive, elle documente aussi la construction d’identités communautaires spécifiques au sein de l’Islam. Cet aspect sera cependant exposé plus longuement dans le prochain volume de la publication des actes du séminaire.
CONCLUSION : L’ISLAMISATION COMME PROCESSUS D’ÉCRITURE ET DE MÉMOIRE
47Le champ ouvert par l’étude de l’islamisation est certes très vaste, mais néanmoins fertile dans la mesure où il favorise une approche comparatiste en rétablissant des liens entre l’Islam et les sociétés qui l’ont précédé, dont certains traits perdurent et se transforment après la conquête. La question centrale n’est pas d’évaluer le poids respectif de la « rupture » ou de la « continuité », mais d’analyser la formation de l’Islam de la même manière que l’on peut approcher tout phénomène d’acculturation ou de diffusion d’une culture impériale, à l’instar de la romanisation dans l’Antiquité. Comparatisme également dans la mesure où les sociétés de l’Occident musulman se mesurent et se configurent à l’aune de normes préalablement définies en Orient.
48L’islamisation peut donc se définir comme l’ensemble des processus de transition et de transformation qui caractérisent la mise en place progressive d’une nouvelle normativité définie comme islamique au cœur même des espaces recouverts par les conquêtes. En tant que processus politique, l’islamisation va donc de pair avec l’établissement de la domination de nouvelles élites, la mise en place d’une administration et d’une fiscalité nouvelles. Ce changement, qui se produit dans le sillage des conquêtes, entraîne de nouvelles répartitions des terres et des impôts, donc un remodelage foncier et fiscal. L’intégration des régions dans un cadre impérial provoque d’autres mutations dans la répartition des pôles économiques et des réseaux d’échanges. L’islamisation est également marquée par d’importants flux migratoires, principalement sous la forme de l’installation de communautés arabes et berbères s’identifiant à un modèle de référence tribale, mais aussi sous la forme de migrations politiques (l’afflux de la clientèle omeyyade en al-Andalus après 756), religieuses (la pénétration du kharijisme au Maghreb) et savantes (le brain drain exercé par ʻAbd al-Raḥmān II puis par le califat de Cordoue, entre autres). Parallèlement à ce mouvement d’arabisation – au sens premier du terme – ou de berbérisation (en al-Andalus), l’islam, religion des conquérants, accueille très vite en son sein des convertis, « clients » contractuels mais surtout notables locaux puis populations diverses dont le passage à l’islam est souvent présenté comme un acte individuel mais qui répond très certainement aussi à des logiques collectives. L’islamisation se définit donc comme une série de paliers qui rendent la nouvelle religion majoritaire puis prépondérante au sein des sociétés considérées. La conversion n’est cependant que l’un des aspects de cette islamisation religieuse, scandée d’abord par la confrontation avec les deux monothéismes concurrents, principalement le christianisme, par la propagation de l’islam par le vecteur des nouvelles élites, par son investissement de l’espace urbain ou des lieux de sainteté plus anciens, puis par sa pénétration dans les campagnes et dans les zones les plus reculées. L’islamisation apparaît alors comme un processus d’appropriation locale de l’islam, par l’élaboration d’identités locales islamiques, ancrées sur une région, un peuple ou une dynastie. Or cette revendication ne se réalise vraiment que dans le récit, ce qui implique que tout processus d’islamisation est aussi un processus d’écriture et de mémoire.
49Quant à l’arabisation, elle accompagne ces différents processus. On peut lui donner des sens divers : ethnique et démographique, linguistique, mais aussi plus largement culturel dans la mesure où l’islam s’est identifié, a été identifié aux Arabes. Langue de la Révélation, beaucoup plus investie d’une sacralité que le latin, le syriaque, le grec ou le copte qui jouèrent essentiellement le rôle d’emblèmes identitaires au sein des communautés chrétiennes, l’arabe s’impose d’abord dans l’administration et dans les inscriptions officielles, avant de devenir le vecteur commun aux différentes composantes d’une société déjà islamique. Enfin, son usage se répand dans les campagnes, apparaissant aussi bien dans des écrits plus spontanés comme les graffitis que dans des usages oraux et vernaculaires que les sources ne retransmettent cependant que très imparfaitement.
Notes de bas de page
1 I. Goldziher, Muhammedanische Studien, Hildesheim-Zürich-New York, 2004 (1reéd. Halle, 1889-1890) ; trad. française par L.Bercher, Études sur la tradition islamique extraites du Tome II des muhammedanische Studien, Paris, 1984.
2 A.-L. de Prémare, Les fondations de l’Islam : entre écriture et histoire, Paris, 2002.
3 Notamment l’ouvrage classique de P.Brown, The World of Late Antiquity from Marcus Aurelius to Muhammad, Londres, 1971, qui voit dans l’Islam impérial non seulement un prolongement de l’Antiquité tardive, mais une synthèse magistrale des cultures antérieures.
4 Si ce n’est l’ouvrage déjà cité d’Alfred-Louis de Prémare, aucune synthèse historique en langue française ne prend en compte les avancées et les questionnements de la recherche anglosaxonne. Il est significatif de constater que, faute de remplaçant, l’ouvrage très daté de R.Mantran, spécialiste de l’Empire ottoman, connaît sa 5e éd. dans la coll. Nouvelle Clio : R.Mantran, L’expansion musulmane, viie-xie siècles, Paris, 1969. Peu de thèses doctorales portent sur les premiers temps de l’Islam, mais il faut relever celles de C.Jalabert, Hommes et lieux dans l’islamisation de l’espace syrien (ier/viie-viiie/xiiie siècles), sous la dir. de F.Micheau, université Paris1, 2004, et de A.Borrut, Entre mémoire et pouvoir : l’espace syrien sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides (v. 72-193/692-809), sous la dir. de Ch.Picard, université Paris1, 2007 (Leyde, 2011). Sur la naissance de l’historiographie arabe, on lira aussi A.Cheddadi, Les Arabes et l’appropriation de l’histoire. Émergence et premiers développements de l’historiographie musulmane jusqu’au iie-viiie siècle, Arles, 2004.
5 Citons la remise à jour de F. Déroche, Le Coran, Paris, 2005, ou les recherches actuelles de G.Gobillot sur les rapports entre Coran et pensée patristique : « Les Pères de l’Église et la pensée de l’islam », L’Orient chrétien dans l’empire musulman. Hommage au professeur Gérard Troupeau, éd. G.Gobillot, Paris, 2005, p.59-90.
6 M.Cook, P.Crone, Hagarism. The Making of the Islamic World, Cambridge, 1977, p.104 : Islam could naturalise only by denaturing. Whether the foreign goods were accepted or rejected, the Muslims acknowledged only one legitimate source of their cultural and religious ideals : the Arabia of their Prophet.
7 J.Wansbrough, The Sectarian Milieu : Content and Composition of Islamic Salvation History, New York-Oxford, 1978.
8 G.D. Newby, The Making of the Last Prophet : A Reconstruction of the Earliest Biography of Muhammad, Columbia, 1989 ; U.Rubin, The Eye of the Beholder. The Life of Muhammad as Viewed by the Early Muslims, Princeton, 1995 ; F.Donner, Narratives of Islamic Origins : The Beginnings of Islamic Historical Writing, Princeton, 1998 ; G.Schoeler, Écrire et transmettre dans les débuts de l’Islam, Paris, 2002 ; H.Motzki, The Origins of Islamic Jurisprudence. Meccan Fiqh before the Classical Schools, Leyde, 2002 ; Id., Hadith : Origins and Developments, Aldershot, 2004 ; A.Görke, G.Schoeler, « Reconstructing the Earliest sīra texts : the Hiğra in the corpus of ‘Urwa b.al-Zubayr », Der Islam82/2, 2005, p.209-220 ; Borrut, Entre mémoire et pouvoir,op. cit.
9 A.-M. Eddé, F. Micheau, Ch. Picard, Communautés chrétiennes en pays d’islam : du début du viie au milieu du xie siècle, Paris, 1997. ; R. G. Hoyland, Seeing Islam as Others Saw It : a Survey and Evaluation of Christian, Jewish and Zoroastrian Writings on Early Islam, Princeton, 1997.
10 Ainsi pour la mise en perspective de la Vulgate coranique avec les traditions religieuses de langue syriaque dans Ch. Luxenberg, Die Syro-Aramäische Lesart des Koran : Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache, Berlin, 2004. Cet ouvrage n’a pas encore reçu de réponse systématique.
11 C. Cahen, « Histoire économique et islamologie. Le problème préjudiciel de l’adaptation entre les autochtones et l’islam », Correspondance d’Orient,.5, 1961, p. 197-215, rééd. Id., Les peuples musulmans dans l’histoire médiévale, Damas, 1977, p. 169-188. ; éd. M. Gervers, R. J. Bikhazi, Conversion and Continuity. Indigenous Christian Communities in Islamic Lands, Eighth to Eighteenth Centuries, Toronto, 1990 ; Ch. Décobert, « Sur l’arabisation et l’islamisation de l’Égypte médiévale », Itinéraires d’Égypte. Mélanges offerts à Maurice Martin, Le.Caire, 1992, p. 273-300 ; R. Schick, The Christian Communities of Palestine from Byzantine to Islamic Rule. A Historical and Archaelogical Study, Princeton, 1995 ; S. Griffith, The Beginnings of Christian Theology in Arabic, Aldershot, 2002 ; éd. D. Thomas, Christians at the Heart of Islamic Rule : Church Life and Scholarship in ‘Abbasid Iraq, Leyde-Londres, 2003 ; Jalabert, Hommes et lieux,op. cit ; éd. J. J. Van Ginkel et alii, Redefining Christian Identity. Cultural Interaction in the Middle East since the Rise of Islam, Louvain, 2005.
12 D. Cook, Studies in Muslim Apocalyptic, Princeton, 2002 ; éd. G. Hawting, The Development of Islamic Ritual, Hants, Aldershot, 2004.
13 Signalons par exemple la thèse récente de Benjamin Jokisch, pour qui la codification du droit sous Harun al-Rashid puisa très largement dans la tradition juridique byzantine : B. Jokisch, Islamic Imperial Law : Harun-al-Rashid’s Codification Project, Berlin-New York, 2007.
14 O. Grabar, Le Dôme du Rocher : joyau de Jérusalem, Paris, 1997 ; G. Fowden, Qusayr ‘Amra : Art and the Umayyad Elite in Late Antique Syria, Berkeley-Los Angeles-Londres, 2004 ; O. Grabar, Constructing the Study of Islamic Art, vol. 1, Early Islamic Art, 650-1100, Hampshire, 2005.
15 G. von Grunebaum, « Le problème de l’influence culturelle », Id., L’identité culturelle de l’Islam, Paris, 1973, p. 1-18.
16 P. Crone, Slaves on Horses : The Evolution of the Islamic Polity, Cambridge, 1980.
17 A. Cameron, L. I. Conrad, The Byzantine and Early Islamic Near East, Princeton, 3 vol., 1992-1995. L’étude des sociétés arabes préislamiques constitue aussi un enjeu majeur pour comprendre l’Islam : voir à cet égard Y. Nevo, « Towards a Prehistory of Islam », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 17, 1994, p. 108-141 ; de Prémare, Les fondations de l’Islam, op. cit.
18 On citera cependant E. Savage, A Gateway to Hell, a Gateway to Paradise : the North African Response to the Arab Conquest, Princeton, 1996, et éd. M. Fierro, M. Marín, J. Samsó, The Formation of al-Andalus, Aldershot, 2.vol., 1998.
19 Nous publions dans ce volume les contributions de la première année (2006-2007) du séminaire « Islam médiéval d’Occident ». Organisateurs : Cyrille Aillet (université Lyon.2), Sophie Gilotte (IHH, CSIC), Annliese Nef (université Paris.4), Christophe Picard (université Paris.1), Dominique Valérian (université Lyon 2), Jean-Pierre Van Staëvel (université Paris.4), Élise Voguet (université Toulouse.2), avec le soutien du Colegio de España, du Departamento de Filología du CSIC (Madrid), du CIHAM-UMR.5648 et du laboratoire Islam médiéval de l’UMR.8167.
20 Pour al-Andalus, J.-P. Molénat, « Sur le rôle des Almohades dans la fin du christianisme local au Maghreb et en al-Andalus », Al-Qanṭara,.18, 1997, p. 389-413 ; Id., « La fin des chrétiens arabisés d’al-Andalus. Mozarabes de Tolède et du Gharb au xiie siècle », ¿ Existe una identidad mozárabe ? Historia, lengua y cultura de los cristianos de al-Andalus (siglos ix-xii), éd. C. Aillet, M. Penelas, Ph. Roisse, Madrid, 2008 (Collection de la Casa de Velázquez, 101), p. 287-298. Pour le Maghreb, on se reportera aux contributions de Dominique Valérian et d’Allaoua Amara dans le présent volume.
21 Exception faite de l’historiographie ibadite, dont le point de départ remonte au ixe siècle.
22 P. Chalmeta, « Le passage à l’Islam dans al-Andalus au xe siècle », Actas del XII congreso de la UEAI (Málaga 1984), Madrid, 1986, p. 161-183.
23 Voir éd. M. García-Arenal, Conversions islamiques. Identités religieuses en Islam méditerranéen, Paris, 2001. En particulier G. Calasso, « Récits de conversion, zèle dévotionnel et instruction religieuse dans les biographies des “gens de Basra” du Kitāb al-Tabaqāt d’Ibn Sa‘d », p. 19-47.
24 P. Crone, « Post colonialism in Tenth-Century Islam », Der Islam,.83/1, 2006, p. 2-38.
25 M. Acién Almansa, Entre el feudalismo y el Islam. ‘Umar b. Ḥafṣūn en los historiadores, en las fuentes y en la historia, Jaén, 1994 ; D. Oliver Pérez, « Una nueva interpretación de “Árabe”, “Muladí” y “Mawla” como voces representatives de grupos sociales », Proyección histórica de España en sus tres culturas, Valladolid, 1993, p. 143-155 ; M. Fierro, « Cuatro preguntas en torno a Ibn Ḥafṣūn », Al-Qanṭara.16, 1995, p. 220-257 ; Ead., « Mawāli and Muwalladūn in al-Andalus (second/eighth-fourth/tenth centuries) », Patronate and Patronage in Early and Classical Islam, éd. M. Bernards, J. Nawas, Leyde, 2005, p. 195-245.
26 M. Talbi, « Le christianisme maghrébin de la conquête musulmane à sa disparition : une tentative d’explication », Conversion and Continuity, op. cit., p. 313-351 ; Id., « La conversion des Berbères au kharijisme ibādito-sufrite et la nouvelle carte politique du Maghreb au iie/viiie siècle », Id., Études d’histoire ifriqiyenne et de civilisation musulmane médiévale, Tunis, 1982, p. 13-80.
27 Akhbār majmū‘a fī fath al-Andalus, éd. D. E. Lafuente y Alcántara, Madrid, 1867, p. 19-20 ; Ibn al-Qūtiyya, Ta’rīkh iftitāh al-Andalus, éd. J. Ribera, Historia de la conquista de España de Abnelcotia el Cordobés, Madrid, 1926, p. 11.
28 Akhbār majmū‘a, op. cit., p. 61-62.
29 D. Urvoy, « Les aspects symboliques du vocable “mozarabe”. Essai de réinterprétation », Studia islamica,.78, 1993, p. 117-153 ; C. Aillet, Les « Mozarabes » : christianisme et arabisation en al-Andalus (ixe-xiie siècles), thèse doctorale sous la direction de G. Martinez-Gros, Paris, 2005.
30 Bernards, Nawas (éd.), Patronate and Patronage, op. cit. ; P. Crone, « walā’ », Encyclopédie de l’Islam², s.v.
31 Revue générale des sciences,.4, 1903, p. 202.
32 Ainsi G. C. Anawati, « Factors and effects of arabization and islamization in Medieval Egypt and Syria », Islam and Cultural Change in the Middle Ages, éd. S. Vryonis, Wiesbaden, 1975, p. 17-42.
33 Ch. E. Dufourcq, « Berbérie et Ibérie médiévales : un problème de rupture », Revue historique,.240, 1968, p. 293-324.
34 Les trois grands historiens à l’origine de cette naturalisation de l’Islam d’al-Andalus sont, par ordre chronologique : J.-A. Conde, Historia de la Dominación de los Árabes en España, sacada de varios manuscritos y memorias arábigas, Paris, 1840 ; R. Dozy, Histoire des musulmans d’Espagne, Leyde, 1861, 4.vol. ; É. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, 3 vol., Paris, 1950-1953 (rééd. 1999). Voir aussi G. Martinez-Gros, « “Arabe”, “Espagnol”, “Andalou” dans l’Histoire des musulmans d’Espagne de Reinhardt Dozy », Studia Islamica, 92, 2001, p. 113-126.
35 F. J. Simonet, Historia de los mozárabes en España, Madrid, 1897-1903, rééd. Amsterdam, 1967 ; Id., Glosario de voces ibéricas y latinas usadas entre los mozárabes, precedido de un estudio sobre el dialecto hispano-mozárabe, Madrid, 1888, rééd. Madrid, 1982.
36 Cl. Sánchez Albornoz, España, un enigma histórico, Buenos Aires, 1958, t. I, p. 189.
37 Voir entre autres P. Guichard, Structures sociales « orientales » et « occidentales » dans l’Espagne musulmane, Paris-La Haye, 1977 ; R. Collins, The Arab Conquest of Spain (710-797), Oxford, 1989 ; P. Chalmeta, Invasión e islamización : la sumisión de Hispania y la formación de al-Andalus, Madrid, 1994.
38 L. Peñarroja Torrejón, Cristianos bajo el Islam, los mozárabes hasta la reconquista de Valencia, Madrid, 1993 ; voir sa critique par P. Guichard, « Les Mozarabes de Valence et d’al-Andalus entre l’histoire et le mythe », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée,.40, 1985, p. 17-27.
39 Chalmeta, Invasión e islamización, op. cit., À l’inverse, certains historiens insistent encore de manière excessive sur les phénomènes de continuité avec l’époque wisigothique : J. Vallvé, Nuevas ideas sobre la conquista árabe de España. Toponimia y onomástica. Discurso leído en el acto de su recepción pública, Madrid, 1989.
40 M. de Epalza, « La islamización de al-Andalus : mozárabes y neo-mozárabes », Revista del Instituto Egipcio de Estudios Islamicos en Madrid,.23, 1985-1986, p. 171-179 ; Id., « Les mozarabes, état de la question », Revue du monde musulman et de la Méditerranée,.63-64, 1992, p. 39-50 ; Id., « Note de sociologie religieuse médiévale : la disparition du christianisme au Maghreb et en al-Andalus », Mélanges Mohamed Talbi, Tunis, 1993, p. 69-79 ; Id., « Falta de obispos y conversión al Islam de los cristianos de al-Andalus », Al-Qanṭara,.15, 1994, p. 385-400.
41 Aillet, Les « Mozarabes » : christianisme et arabisation en al-Andalus, op. cit ; éd. Aillet, Penelas, Roisse, ¿ Existe una identidad mozárabe?, op. cit ; P. S. Van Koningsveld, « Christian arabic literature from Medieval Spain. : an attempt at periodization », Christian Arabic Apologetics during the Abbasid Period (750-1258), éd. S. K. Samir, J. S. Nielsen, Leyde, 1994, p. 203-224. Parmi les sources qui en témoignent : M.-Th. Urvoy, Le psautier mozarabe de Hafs le Goth, Toulouse, 1994 ; Ph. Roisse, « Los Evangelios traducidos del latín al árabe por Isḥāq b. Balašq al-Qurṭubī en 946.d.C. », Estudios árabes dedicados a D. Luis Seco de Lucena (en el XXV aniversario de su muerte), al-Mudun 3, 1999, p. 147-164 ; éd. M. Penelas, Kitāb Hurūšiyūš, Madrid, 2001.
42 Voir supra, note 25.
43 Trois œuvres d’Ibn Habib (m. c. 853) ont été éditées, en particulier le Kitāb at-Tā’rīkh, éd. et trad. J. Aguadé, Madrid, 1991 (Fuentes arábigo-hispanas, 1). Voir aussi les études sur al-‘Utbi (m. c. 855) : A. Fernández Félix, M. Fierro, « Cristianos y conversos al Islam en al-Andalus. Una aproximación al proceso de islamización a través de una fuente legal andalusí del s. iii/ix », Visigodos y Omeyas. Un debate entre la antigüedad tardía y la Alta Edad Media, Madrid, 2000 (Anejos de Arqueología de España,.23), p. 415-427 ; A. Fernández Félix, Cuestiones legales del Islam temprano : la ‘Utbiyya y el proceso de formación de la sociedad islámica andalusí, Madrid, 2003.
44 Guichard, Structures sociales, op. cit., Voir aussi H. de Felipe, Identidad y onomástica de los Beréberes de al-Andalus, Madrid, 1997.
45 G. Martinez-Gros, « Comment écrire l’histoire de l’Andalus. ? Réponse à Pierre Guichard », Arabica,.47, 2000, p. 261-273.
46 G. Martinez-Gros, L’idéologie omeyyade. La construction de la légitimité du califat de Cordoue, xe-xie siècles, Madrid, 1992 ; Id., Identité andalouse, Arles, 1997.
47 Voir la mise au point récente de E. Manzano Moreno, Conquistadores, emires y califas. Los Omeyas y la formación de al-Andalus, Madrid, 2006.
48 Y. Modéran, Les Maures et l’Afrique romaine (ive-viie siècle), Rome, 2003.
49 Sans partager les mêmes hypothèses, Pierre Guichard avance aussi l’hypothèse d’une certaine symbiose entre sociétés berbères et arabes autour du modèle tribal « oriental », dans ses Structures sociales, op. cit.
50 É.-F. Gautier, L’islamisation de l’Afrique du Nord : les siècles obscurs du Maghreb, Paris, 1927 ; G. Marçais, La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen Âge, Paris, 1946. Pour une mise au point récente sur cette question et un aperçu des débats : J.-Cl. Garcin et alii, États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, xe-xve siècle, t. I, Paris, 1995, p. 102-106, t. II, Paris, 2000, p. 123-124.
51 Modéran, Les Maures et l’Afrique romaine, op. cit.
52 A. Siraj, L’image de la Tingitane : l’historiographie arabe médiévale et l’Antiquité nord-africaine, Rome, 1995 (Collection de l’École française de Rome,.209).
53 F. Bahri, « Des conversions, des hommes et des biens en Ifrīqiyya musulmane : le cas des ‘ağam », Africa,.16-17, 1998-1999, p. 129-163.
54 Chalmeta, Invasión e islamización, op. cit ; H. Bresc, « La genèse du Latifondo », Id., Un monde méditerranéen. Économie et société en Sicile, 1300-1450, Rome, 1986 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome,.262), vol. I, p. 7-21.
55 M. Talbi, « Droit et économie en Ifriqiya au iiie/ixe siècle. Le paysage agricole et le rôle des esclaves dans l’économie du pays », The Islamic Middle East, 700-1900, Studies in Economic and Social History, éd. A. L. Udovitch, Princeton, 1981, p. 209-249, rééd. Id., Études d’histoire ifriqiyenne et de civilisation musulmane médiévale, Tunis, 1982, p. 185-230 ; Bahri, « Des conversions, des hommes et des biens », art. cité.
56 R. W. Bulliet, Conversion to Islam in the Medieval Period. A Essay in Quantitative History, Cambridge (Mass.), Londres, 1979.
57 J. M. Fiey, « Conversions à l’islam de juifs et de chrétiens sous les Abbasides d’après les sources arabes et syriaques », 17e Congrès des Sciences historiques, II, Section chronologique. Méthodologie : la biographie historique, Madrid, 1992, p. 585-594.
58 D. C. Dennett, Conversion and the Poll Tax in Early Islam, Cambridge, 1950 ; F. Lokkegaard, Islamic Taxation in the Classic Period, Ann Arbor, Michigan, 1950, rééd. 1983.
59 Voir par exemple Eddé, Micheau, Picard, Communautés chrétiennes en pays d’Islam, op. cit., p. 166-168.
60 Cl. Cahen, « Fiscalité, propriété, antagonismes sociaux en Haute-Mésopotamie au temps des premiers Abbasides », Arabica,.1, 1954, p. 136-152 ; Id., « Histoire économico-sociale et islamologie », art. cité, p. 169-188.
61 Acién Almansa, Entre el feudalismo y el Islam, op. cit ; Aillet, Les « Mozarabes » : christianisme et arabisation en al-Andalus, op. cit.
62 V. Lagardère, « Communautés mozarabes et pouvoir almoravide en 519 H./1125 en al-Andalus », Studia islamica,.67, 1988, p. 98-118.
63 Griffith, The Beginnings of Christian Theology in Arabic, op. cit ; éd. Thomas, Christians at the Heart of Islamic Rule, op. cit.
64 Décobert, « Sur l’arabisation et l’islamisation de l’Égypte médiévale », art. cité ; J. A. Coope, The Martyrs of Cordoba. Community and Family Conflict in an Age of Mass Conversion, Lincoln et Londres, 1995.
65 Grabar, Le Dôme du Rocher, op. cit.
66 A. Papaconstantinou, « Confrontation, interaction, and the formation of the Early Islamic Oikoumene », Revue des études byzantines,.63, 2005, p. 167-181.
67 Coope, The Martyrs of Cordoba, op. cit. ; Fernández Félix, Fierro, « Cristianos y conversos al Islam », art. cité ; Fernández Félix, Cuestiones legales del Islam temprano, op. cit ; C. Aillet, « Frontière religieuse et catégorisation sociale des convertis en al-Andalus (iie-ive/viiie-xe siècles) », Annales islamologiques,.42, 2008, p. 1-28.
68 Acién Almansa, Entre el feudalismo y el Islam, op. cit ; Fierro, « Cuatro preguntas en torno a Ibn Ḥafṣūn », art. cité.
69 A. Cañada Juste, Los Banu Qasi (714-924), Pampelune, 1980.
70 Voir aussi M. Fierro, « Los mawali de ‘Abd al-Rahmān », Al-Qanṭara,.20, 1999, p. 65-97.
71 C. Ominus, « Les mawālī en Égypte dans la documentation papyrologique, ie-ive s. H. », Annales islamologiques,.39, 2005, p. 81-107.
72 Éd. Aillet, Penelas, Roisse, ¿ Existe una identidad mozárabe?, op. cit ; E. Alfonso, Islamic Culture through Jewish Eyes. Al-Andalus from the Tenth to Twelfth Century, Londres-New York, 2008 (Routledge Studies in Middle Eastern Literatures,.20).
73 M. Morony, « The age of conversions. A reassessment », Conversion and Continuity, éd. Gervers, Bikhazi, op. cit., p. 135-150 ; M. Penelas, « Some remarks on conversion to islam in al-Andalus », Al-Qanṭara,.23/1, 2002, p. 193-200.
74 C. Jalabert, Hommes et lieux dans l’islamisation de l’espace syrien, op. cit.
75 R. W. Bulliet, The Patricians of Nishapur. A Study in Medieval Islamic Social History, Cambridge (Mass.), 1972 ; Jalabert, Hommes et lieux dans l’islamisation de l’espace syrien, op. cit ; M. Fierro, M. Marín, « La islamización de las ciudades andalusíes a través de sus ulemas (s. ii/viii-comienzos s. iv/x) », Genèse de la ville islamique en al-Andalus et au Maghreb occidental, éd. P. Cressier, M. García Arenal, Madrid, 1998, p. 65-97.
76 Fernández Félix, Fierro, « Cristianos y conversos al Islam en al-Andalus », art. cité ; Fernández Félix, Cuestiones legales del Islam temprano, op. cit.
77 Savage, A Gateway to Hell, op. cit.
78 Talbi, « La conversion des Berbères », art. cité.
79 Martinez-Gros, L’idéologie omeyyade, op. cit. ; J. Safran, The Second Umayyad Caliphate : The Articulation of Legitimacy in al-Andalus, Cambridge (Mass.), 2001.
80 Éd. Aillet, Penelas, Roisse, ¿ Existe una identidad mozárabe?, op. cit. ; Alfonso, Islamic Culture through Jewish Eye, op. cit.
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2011
Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval (viie-xiie siècle)
Dominique Valérian (dir.)
2011
L'invention du cadi
La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l'Islam
Mathieu Tillier
2017
Gouverner en Islam (xe-xve siècle)
Textes et de documents
Anne-Marie Eddé et Sylvie Denoix (dir.)
2015
Une histoire du Proche-Orient au temps présent
Études en hommage à Nadine Picaudou
Philippe Pétriat et Pierre Vermeren (dir.)
2015
Frontières de sable, frontières de papier
Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, xixe-xxe siècles
Camille Lefebvre
2015
Géographes d’al-Andalus
De l’inventaire d’un territoire à la construction d’une mémoire
Emmanuelle Tixier Du Mesnil
2014
Les maîtres du jeu
Pouvoir et violence politique à l'aube du sultanat mamlouk circassien (784-815/1382-1412)
Clément Onimus
2019