Le renouveau urbain en occident ibérique aux IXe - Xe siècles, sous l'impulsion de seigneurs muwalladun
p. 49-67
Texte intégral
1Depuis les travaux de E. Levi-Provençal qui ont marqué l'histoire de l'Andalus1, il est d'usage de considérer le règne de 'Abd al-Rahmân ΙII (912-961) comme le point de départ de l'essor économique de cette partie du monde islamique médiéval, marqué d'une prospérité sans précédent et qui se confirma après la disparition du califat omeyyade en 1031, au moins jusqu'au milieu du XIIe siècle, durant la période des mulûk al-Tawâ'if (reyes de taifas) et des Almoravides, sinon jusqu'à la disparition des Almohades vers le milieu du XIIIe siècle2. Malgré l'absence de moyens d'analyse précis, les études régionales, dans le Levant en particulier, ainsi que les travaux archéologiques ont confirmé cette relative prospérité, qui de Cordoue au Xe siècle, s'est transmise aux capitales régionales apparues durant la fitna (guerre civile) du XIe siècle et l'éclatement politique de L'islam3.
2Pour la période qui précède le siècle califal, d'une manière générale, les études manquent pour confirmer les hypothèses de E. Levi-Provençal ; tout simplement, les moyens d'analyse sont encore plus rares que pour les périodes postérieures : les sources écrites - chroniques, descriptions géographiques, ouvrages biographiques, traités de hisba, ouvrages agronomiques ou encore la poésie qui constituent le fonds de nos sources sur l'Andalus - ne nous livrent en partie une connaissance satisfaisante de l'Andalus, qu'à partir du Xe siècle. Pour la période de l'émirat omeyyade de 756 à 912, les sources se réduisent à quelques chroniques, la plupart postérieures ou bien à quelques allusions d'ordre historique, dans les ouvrages géographiques.
3A ce stade, avec la domination politique mais également intellectuelle de Cordoue, nous sommes encore plus démunis quand il est question d'étudier une région périphérique, qui plus est, située à l'extrémité occidentale du monde musulman, telle que l'Occident ibérique à l'ouest de Séville. Toutefois, même si nous sommes plus souvent réduits aux hypothèses qu'aux certitudes, l'étude des chroniques, voire d'écrits géographiques, incite à se pencher avec intérêt sur certains faits qui, au moins dans cette région, ajoutés les uns aux autres permettent de dégager des perspectives évolutives conduisant à une meilleure connaissance de l'histoire de cette partie de l’Andalus.
4L'une de ces perspectives concerne l'évolution des localités dans le Gharb al-Andalus, en particulier lors de la période de la première fitna qui se développa durant la deuxième moitié du IXe siècle et prit fin avec la remise en ordre par le premier souverain 'Abd al-Rahmân III, plus précisément en 929. Plusieurs historiens arabes, dont le plus complet est assurément Ibn Hayyân, grand homme de lettres du XIe siècle, dans son "Muqtabis"4, révèlent à travers le récit qu'ils firent de cette période troublée, un certain nombre d'événements qui dans leur globalité, annoncent le renouveau de cette partie de l'Andalus, avant même l'action politique du calife.
5Le nécessaire rappel des mouvements de révolte et d'autonomie de seigneurs - on les appellera comme cela faute de mieux - locaux, aux dépens du pouvoir centralisateur des Omeyyades de Cordoue, nous permettra de dégager la montée en puissance des élites autochtones, converties à l'Islam - les muwalladûn - et des Berbères, aux dépens des groupes arabes qui s'effacent alors de l'avant-scène politique.
6Au récit de ces péripéties autonomistes, les chroniqueurs arabes ajoutèrent des informations sur la constitution et le gouvernement de ces sortes d'États locaux, où les seigneurs effectuèrent des travaux militaires et urbanistiques dont nous analyserons l'ampleur et la portée dans un deuxième temps.
7En troisième lieu, nous verrons jusqu'à quel point il est possible de dégager des enseignements ayant une valeur générale toujours dans le cadre régional défini plus haut, et permettant de cerner un peu mieux un contexte économique par ailleurs totalement inconnu, faute d'informations directes sur ce sujet.
La montée en puissance des muwalladûn
8Les séquences de l'histoire de l'Andalus depuis la conquête arabe en 711-716 jusqu'à l'établissement du califat en 929, sont assez bien connues dans leurs grandes lignes : jusqu’en 756, la période est dominée par les rivalités entre grandes tribus arabes, rythmées par le changement fréquent de gouverneurs (24) sous l'autorité plus ou moins réelle des califes de Damas. Avec l'établissement de l'émirat omeyyade à Cordoue, on a toujours en tête l'image d'un pouvoir centralisateur qui se serait substitué à celui désordonné de la période précédente. Toutefois tout le monde s'accorde sur la fragilité de ce centralisme5. Ainsi, l'histoire régionale du Gharb montre les difficultés incessantes qu'eurent les émirs omeyyades à imposer leurs représentants de l'administration - wâlî (pl. wulât) et cadis - aux élites locales : dans le Sud du Gharb, de Séville au Cap Saint-Vincent, la résistance à cette mainmise du pouvoir cordouan fut l'oeuvre collective de la tribu arabe yéménite des Yahsubî, culminant avec une série de révoltes entre 762 et 774. Les pertes subies et leur effacement consécutif remit en question leur domination dans la région. Dans la partie nord, audelà du Tage, les traités de capitulation avaient laissé aux autochtones et à la hiérarchie ecclésiastique une grande autonomie, équivalente à celle de Tudmîr dans le Sud-Est de la Péninsule6.
9Les règnes d'al-Hakam I (796-825) et de 'Abd al-Rahmân Π (825-852) marquèrent tant dans le Nord que dans le Sud du Gharb, la période véritable de la mise en place de l'autorité omeyyade dans la région : les chroniques de manière éparpillée, indiquent nettement la présence de gouverneurs représentant ce pouvoir cordouan ; dans le Nord, les premières incursions chrétiennes durant le règne d'Alphonse II d’Asturies (795-842) aboutissant au sac de Lisbonne (alors une localité modeste) en 798, furent suivies à partir de 808, des contre-offensives omeyyades mettant fin, au Sud du Douro, à l'autonomie des populations autochtones et à l'établissement, comme dans la partie sud, d'une administration contrôlée par Cordoue. Cette autorité fut renforcée par 'Abd al-Rahmân II, à Mérida d'une part, dont la population ne cessait de se révolter contre les émirs, allant jusqu'à l'assassinat du gouverneur al-Marwân al-Jillîqî en 828, et qui fut remise au pas en 834 ou 835 ; dans le reste du Gharb d'autre part, à la demande des populations elles-mêmes l'émir fortifia la région afin de lutter contre les incursions vikings qui commencèrent en 844. C'est à cette occasion en particulier que Séville, saccagée la même année, vit sa défense renforcée par la reconstruction des murailles, mais également la présence omeyyade affirmée par la construction d'un arsenal et surtout de la première grande mosquée et d’une qasaba ou palais du gouverneur7.
10La présence de ce pouvoir central fut remise en cause lors de la première fitna (période de troubles), sous les émirats de Muhammad I (852-886), al-Mundhir (886-888) et surtout 'Abd Allâh (888-912), concernant l'ensemble de l'Andalus. Bien que dominé par la personnalité d'Ibn Hafsûn, qui menaçait directement le pouvoir omeyyade au Sud de Cordoue, l'ampleur de ce soulèvement fit qu'à la fin du IXe siècle, dans les années 880, jusqu'en 930, l'ensemble de l'Occident ibérique échappa à peu près complètement à la souveraineté omeyyade au profit de seigneurs locaux qui purent former de petites dynasties dans les cités qu'ils dominaient8. Or, ce qui est intéressant à remarquer, c'est l'origine de ces dynastes : si c'est une famille arabe importante et connue qui prit le pouvoir à Séville, en la personne d'Ibrâhîm b. Hajjâj9, au-delà vers l'Ouest, ce furent des muwalladûn qui prirent le contrôle de cette région à l'exception d'Alcácer do Sal qui passa au pouvoir des Berbères Banû Dânis. De même, selon Ibn Hayyân, la zone du Tage fut contrôlée en majorité ou bien en totalité par des clans berbères. Les tentatives d'implantation à Beja et Évora de ces clans, se soldèrent par des luttes importantes avec les muwalladûn et finalement, un échec pour les Berbères10.
11Deux faits sont à noter : d'abord, le maintien en ces temps d'un clivage ethnique marqué ; ensuite, la montée en puissance en Occident particulièrement, des descendants des élites ibériques. Quelques observations à leur sujet peuvent aider à éclaircir ce phénomène.
12Le plus important de ces convertis fut 'Abd al-Rahmân Ibn Marwân Ibn yunus al-Jillîqî, qui, à partir de la révolte qu'il dirigea à Mérida en 868, après moult péripéties, réussit peu avant sa mort (889 ou 890) à fonder la ville de Badajoz et à établir un État que ses fils, petit-fils et arrière-petit-fils maintiendront jusqu'à l'intervention de 'Abd al-Rahmân III en 92911. Or le "Galicien" était le fils de Marwân, cité comme gouverneur de Mérida, représentant attitré de l'émir omeyyade, assassiné en 828. Nous constatons de ce fait, que cette famille autochtone avait retrouvé à l'occasion de l'établissement de la puissance omeyyade dans la région, une place notable dans l'élite régionale, au point que Marwân fut chargé de gouverner l'une des villes les plus importantes de la région, peuplée en majorité d'autochtones demeurés chrétiens - mozarabes - ou convertis et de Berbères, et qui commandait une importante région militaire. Marwân était fils de Yunus, transcription de Jean, le changement de nom marquant probablement la conversion de la famille à l'Islam12. Les divers récits des chroniqueurs arabes sur la révolte d'Ibn Marwân, montrent également que ce personnage possédait une autorité importante sur le groupe de convertis de Mérida et sa région : al-Bakrî, entre autres, géographe du XIe siècle, parle du Galicien et de "ses" muwalladûn qu'il installe dans sa fondation de Badajoz13 ; à cette autorité morale au moins, s'ajoute la mention, avant même que l'émir 'Abd Allâh finisse par reconnaître par traité l'autorité d'Ibn Marwân, de plusieurs localités sur lesquelles ce dernier avait un pouvoir autour de Badajoz ; Ibn al-Qûtiya explique que le rebelle possédait, avant son installation définitive, une résidence à Bacharbal, en face de Badajoz, sur l'autre rive du Guadiana14. D'autre part Ibn Hayyân cite deux passages fort instructifs à ce sujet :
- le premier évoque la présence à plusieurs reprises, du Galicien et de ses hommes, à "la montagne d'Amâya, connue aujourd'hui sous le nom d'Amâya Ibn Marwân, montagne inexpugnable, à l'Est de la ville d'Amâya les Ruines, sur la rivière Sever". Ces indications sont complétées plus loin lorsque l’auteur fait dire au Galicien qu'il se rend "à sa montagne". Le lieu identifié à la localité de Marvao, au Sud du Tage sur la frontière entre le Portugal et l'Espagne, a conservé le nom, peut-être de son fondateur, sûrement de son possesseur à ce moment-là.
- pour la même période, en 879-80, Ibn Hayyân signale l'inquiétude du même personnage qui accompagnait Alphonse III de León (866-910) au service de qui il était entré depuis 876 et ce, pour une période de huit ans, lorsque le souverain chrétien, ayant pillé la vallée du Tage, atteint la province de Mérida, "pays d'Ibn Marwân", qui risquait d'être pillée ; il obtint du souverain qu'il se replie à ce moment15.
13Ces remarques montrent très nettement que la famille d'Ibn Marwân avait conservé ou acquis depuis la conquête arabe, on ne sait, dans la région de Mérida et de Marvão au moins, des biens et, plus encore, une véritable autorité dont il est impossible de délimiter les contours. Cette source de leur puissance, fut tantôt mise au service du souverain omeyyade, tantôt, selon l'évolution de la politique, en leur propre faveur.
14Ce développement sur la puissante assise de ce lignage, prend tout son intérêt lorsque l'on sait que ce cas ne fut pas isolé. L'allié d'Ibn Marwân, Sa'dûn fath al-Surunbâqi, autre muwallad originaire de la région de Beja, se mit également au service un moment, du souverain chrétien ; or, à ce propos, Ibn Hayyân signale encore que le rebelle s'installa pour son compte, "sur un mont portant son nom", situé entre Coimbra et Santarém (non localisé), où, d'ailleurs, il ne put se maintenir16. Cette mention, une fois encore, prouve le lien entre le personnage, chef d'une famille importante de la région de Beja et la possession de localités, en l'occurrence plus au Nord et qui rappelle tout à fait le cas précédent. De même, un autre muwallad, allié d'Ibn Marwân, Bakr b. Maslama, est désigné comme seigneur d'Aroche (Nord d'Huelva) ; Ibn Hayyân avait parlé auparavant de l'un de ses ascendants, grand-père ou arrière-grand-père, dénommé Fâraj b. Khayr al-Tutâliqî, qui s'était révolté contre 'Abd al-Rahmân II, et s'était fortifiée dans cette dernière place, Tutaliqa étant toute proche d'Aroche. Lui aussi, comme le père d'Ibn Marwân, s'était soumis et devint gouverneur de Beja17.
15Les traces sont rares mais je pense, suffisantes pour comprendre comment la fitna du IXe siècle profita dans le Gharb al-Andalus aux muwalladûn ; en effet nous retrouvons d'autres seigneurs maîtres des grandes cités du moment, d'abord alliés de 'Abd al-Rahmân al-Jillîqî, puis indépendants et fondateurs de modestes dynasties : à Beja et Mértola, ce fut 'Abd al-Mâlik b. Abî 1-Jawwâd à qui succéda son fils 'Abd al-Rahmân ; à Ocsonoba (Faro) et Silves, ce fut Bakr b. Zadlafe, dont l'origine ne nous est pas connue, et ses deux descendants directs Yahyâ et Bakr, qui tinrent l'Algarve jusqu'en 929 ; le cas d'Évora est similaire, demeurant jusqu'à l'attaque chrétienne de 912, sous le contrôle d'un gouverneur dévoué aux seigneurs de Badajoz, puis, après le sac, passant sous celui de Mas'ûd al-Surunbâqi, fils de Sa'dûn, sous la bienveillance des Banû Marwân de Bazdajoz. Si l'on ajoute Badajoz et Aroche à cette liste, nous voyons que l'Occident ibérique, d'Évora au Guadiana, était totalement contrôlé par des descendants d'Ibères.
16A la lumière de l'exemple de Marwân al-Jillîqî et de Fâraj b. Khayr al-Tutâliqî, on note une première mutation de ces lignages dans la première moitié du IXe siècle, une fois convertis à l'Islam, avec la reprise en mains de la région par les émirs cordouans. Les postes de gouverneur à Mérida et Beja, deux des plus importantes cités de la région, délégués à des muwalladûn, est à considérer comme la volonté des Omeyyades de s'appuyer dans cette région au moins, sur de nouvelles forces, par opposition aux tribus arabes et Berbères considérées comme trop turbulentes ; on s'explique mieux le rôle au premier plan durant la fitna des descendants de ces premières élites converties. En revanche nous ignorons si ces lignages avaient conservé depuis l'invasion arabe, un pouvoir quelconque qui leur aurait été en quelque sorte, reconnu officiellement par le quatrième émir omeyyade, ou bien si ce dernier choisit de nouvelles têtes qui durent dans ce cas, leur fortune à la seule volonté du pouvoir cordouan. L'attachement de ces seigneurs à des lieux précis comme Marvao ou bien Tutalica, me font pencher pour la première hypothèse. Ce qui est plus sûr en revanche, c'est leur intégration selon des modalités propres à l'Islam, soit sous 'Abd al-Rahmân II, soit à la fin du IXe siècle avec le traité passé avec 'Abd Allâh par le seigneur de Badajoz, à un mode de gouvernement régional, où la fiscalité plus que l'assise foncière, fut à l’origine de leur fortune et de leur pouvoir : c'est du moins comme cela que l'on peut interpréter l'insistance d'Ibn Marwân à obtenir de Muhammad d'abord, de 'Abd Allâh ensuite, un traité leur reconnaissant leur pouvoir sur la région qu'ils contrôlaient18.
17Plus au Nord, nous sommes également en mesure de connaître quelques aspects de la domination politique de cette période trouble. En tout cas, Ibn Hayyân et la Chronique anonyme de 'abd al-Rahmân ΙII al-Nâsir19, laissent entrevoir une nouvelle distribution des rôles, nettement en faveur des Berbères cette fois-ci.
18D'une manière générale, on note le fait assez curieux a priori, d'une sédentarisation des clans berbères : c'est tout au moins ce qu'en dit clairement Ibn Hayyân à plusieurs reprises. En particulier, il a rapporté la lutte de clans berbères contre les Muwalladûn pour le contrôle de la région : les Banû Dânis d'abord - masmûdas-, furent chassés de Coimbra par Sa'dûn b. Fath al-Surunbâqi, peu avant 868, date à laquelle la cité passa une première fois sous le contrôle d'Alphonse III ; Ibn Hayyân rapporte la lutte pour le contrôle de Lisbonne, l'échec des Banû Dânis qui ne purent non plus se rendre maîtres de Beja et d'Évora, mais qui finirent par trouver sur le site alors déserté d'Alcácer do Sal, les bases de leur implantation ; la ville prit alors leur nom : Qasr Abî Dânis. La chronique anonyme d'al-Nâsir, rapporte, toujours en 929, la soumission des Banû Dânis au souverain omeyyade qui les confirma dans leur rôle de gouverneur de la région20. Remarquons ici, la volonté de ces Berbères de trouver une assise urbaine, d'abord dans des cités déjà importantes puis finalement, dans un lieu qui redevint une cité prospère sous leur impulsion. Là encore, l'intérêt de cette péripétie réside dans le fait que cette volonté de s'implanter durablement de la part des Berbères, se retrouve ailleurs. Ainsi, retrouvons-nous, en 875-876, des Baranis, maîtres de la capitale de Kura Lajdâniya (Idanha a Velha) et de Coria qui font leur soumission à Hâshim général de l'émir Muhammad, ce dernier leur reconnaissant le droit de demeurer dans la région. Toujours au Nord du Tage, dans la même région, il est question de l'installation récente de Masmûdas ; pour l'année suivante, le même auteur compte les rivalités entre Ibn Marwân et plusieurs clans berbères - Butr, Baranis et autres - pour la maîtrise de la région de Marvao ; ce fut avec l'alliance d'Alphonse III que le muwallad empêcha les Berbères de s'y installer. Finalement, Ibn Hayyân se référant à des sources plus anciennes appelle cette contrée, au Nord du Tage, le pays des Berbères, ce que corrobore parfaitement la toponymie de la région, jusqu'à celle de Mérida, dans laquelle on retrouve fréquemment des noms des tribus berbères de la région21. On notera que l'apparition de localités portant le nom des seigneurs et tribus maîtres des lieux était un phénomène qui se perpétua durant toute la période musulmane, dans l'ensemble de l'Andalus22.
19Surtout, les propos de l'historien du XIe siècle, font nettement ressortir la volonté des Berbères dont il dit qu'ils étaient jusqu'à ce moment "semi-nomades", de se sédentariser à l'occasion des désordres de la première fitna, comme les muwalladûn ; ils le firent également en recherchant l'assentiment du pouvoir central, leur permettant d'accaparer l'autorité déléguée, source de la puissance politique mais aussi économique par le biais du contrôle des flux de la fiscalité. Toutefois, à l'exception des Banû Dânis, le comportement des Berbères et des Muwalladûn, une fois le pouvoir acquis, allait diverger.
Le renouveau urbanistique sous l'impulsion des muwalladûn
20L'un des grands intérêts même sous forme éparpillée, des chroniques concernant cette phase de désordre et de remise en cause de l'ordre omeyyade, est sans nul doute de faire apparaître certaines des activités de ces seigneurs pendant la période d'autonomie que connut la région, soit une cinquantaine d'années.
21En effet, coïncidant avec la montée en puissance des muwalladûn, la mention d'importants travaux urbanistiques reflète une activité semble-t-il assez nouvelle au moins dans le Gharb al-Andalus. Faisons rapidement le point.
22Ce fut tout d'abord, la fondation d'une nouvelle cité, sur des ruines d'époque wisigothique, à Badajoz, par Ibn Marwân al-Jillîqî et ses descendants. Le rebelle entreprit les travaux, avec l'accord et l'aide de l'émir 'Abd Allâh qui lui fournit aux dires d'al-Bakrî, "des ouvriers chargés de construire la mosquée et les bains”23 ; auparavant ou dans le même temps, il avait fait édifier une muraille qui ceinturait l'Alcazaba et à l'intérieur de laquelle fut édifiée, outre sa résidence, une autre mosquée. La ville elle-même, fut protégée par une muraille, d'autres mosquées furent élevées, dont celle financée par une riche famille muwallad de Séville, les Banû Savarico qui émigrèrent dans la nouvelle cité après leur échec à Séville en 88924. Les sources qui signalent sans ambiguïté que "Badajoz n'était rien" avant 888, indiquent tout aussi clairement la rapidité de la croissance de la ville, peuplée par les muwalladûn et peut-être certains Berbères de la région : au moment où le calife 'Abd al-Rahmân III s'empara de la cité trente ans après sa fondation, ses troupes "se précipitant dans les faubourgs... massacrèrent..." ; ce passage du Bayân nous montre la prospérité rapide de la nouvelle cité, qui avait déjà débordé de ses murailles25.
23Toujours sous l'impulsion des Banû Marwân, Évora, de manière beaucoup plus modeste parut connaître au début du Xe siècle, une nouvelle croissance. En 913, le futur souverain léonais Ordoño II, profitant de la faiblesse militaire de l'Andalus durant cette fitna, lança une grande expédition au coeur de l'actuel Portugal et s'empara sans coup férir de la cité d'Évora, emmenant avec lui 4 000 prisonniers, soit la totalité de la population retranchée des 700 gamisaires tués durant l'attaque26. Ce qui est intéressant, c'est la description faite par la Chronique anonyme d'al-Nâsir reprenant Ibn Hayyân, de l'état de l'enceinte qui permit aux chrétiens de prendre la ville sans difficulté, puisque le rempart "était sans avant-mur ni parapet” au point que près de l'une des portes, "un monticule d'immondices" dépassait en hauteur celle du mur, alors qu'en plusieurs autres, "ils atteignaient presque la même hauteur" ; visiblement, en 913, la muraille était dans un état avancé de délabrement, rappelant la situation de Séville au moment de l'attaque viking de 84427. Si l'on se réfère à cet exemple, on peut même supposer que l'enceinte d'Évora n'avait jamais été entretenue depuis l'invasion arabe, supposition que nous pourrons appuyer un peu plus loin, à travers un autre exemple. La réaction de l'émir de Badajoz fut rapide de peur de voir leurs rivaux Berbères reprendre la place ; dans un premier temps, selon Ibn Hayyân, 'Abd Allâh Ibn Marwân fit démonter ce qui restait de la muraille et pouvant servir à la défense, avant, l'année suivante, d’amener sur place ouvriers et matériel pour relever la muraille ; cette reconstruction en 915, fut commémorée par une inscription que l'on a retrouvée28. La ville fut repeuplée par Mas'ûd al-Surunbâqi, qui y installa nombre de ses muwalladûn, originaires de la région de Beja. La cité devait connaître elle aussi une croissance, toutefois nettement attestée seulement au XIe siècle. Dans le même temps une autre mention d'Ibn Hayyân est à retenir qui fait état, immédiatement après l'attaque d'Ordoño, de l'ordre donné par l'émir de Badajoz, à tous les gens de la région, sans autre précision, de relever les forteresses du pays, autant les remparts des villes que celles des châteaux29. En reprenant les observations faites plus haut à propos de Marvao et une autre indication du même auteur sur l'occupation militaire par Ibn Marwân de la forteresse de Juromenha, sur le Guadiana au Sud de Badajoz, on peut considérer l'importance des travaux de restauration militaires d'abord, religieuses et civiles ensuite pour Badajoz au moins, et ce dans un large rayon autour de cette cité et d'Évora.
24Durant la même période, les Banû Bakr b. Zadlafe, maîtres de la région actuelle de l'Algarve, entreprirent de nombreux travaux ; tout d'abord, dans leur capitale sur le site de l'actuelle Faro. "Bakr b. Yahyâ b. Bakr s'établit dans la ville de Santa Maria du kûra d'Ocsonoba, y fit des constructions et la transforma en une qasaba qu'il munit de portes de fer"30. En fait, il est difficile de savoir si Bakr s'établit dans une nouvelle cité du nom qui apparaît pour la première fois, de Shantmariya al-Gharb, ou bien si ce nom, associé à un culte chrétien et au siège d'un évêché se substitua à celui de l'époque antique, à savoir Ukhshûnuba – Ocsonoba -. Quoi qu'il en soit, l'ampleur des travaux et le fait de munir le site de défenses, font que l'on peut parler de l'apparition d'une véritable cité à ce moment. Les descriptions postérieures laissent entendre que les "constructions" entreprises par Bakr, comprenaient au moins une mosquée et un bain, en plus de la Qasaba et des remparts31. La petite dynastie d'Ocsonoba fit faire également des aménagements à Silves ; cette ville devait au cours du Xe siècle, supplanter Santa Maria al-Gharb. Toutefois les précisions manquent. Enfin, la reconquête de la région par le premier calife omeyyade passa par un château aménagé par les Banû Zadlafe, où ces émirs avaient entreposé leurs richesses. Malheureusement ce château de Hisn al-Wika'â' n'a pas été localisé32.
25Sans être aussi nettes, d'autres mentions apparaissent qui montrent d'autres oeuvres de restauration ou constructions dans la région. Revenons d'abord au cas unique en l'occurrence, des Berbères Banû Dânis. Les sources ne permettent pas de détailler un tant soit peu leur installation à Alcácer do Sal ; néanmoins, la Chronique anonyme d'an-Nâsir, établissant la liste des gouverneurs nommés en 929 par le calife, rapporte que le souverain confirma Yahyâ b. Abî Dânis et 'Abd Allâh b. 'Umar b. Abî Dânis, comme "gouverneurs du fort (qasr) et du district alentour"33. Or, les sources postérieures du Xe siècle, confirment la croissance d'Alcácer, la désignant comme ville, à l'instar par exemple, d'Ibn Hawqâl34. Cette croissance fut largement confirmée par la suite, en liaison avec l'essor de ses activités portuaires. Ainsi, ce passage, comme le nom de la place, encore modeste en 929, confirme tout de même qu'Alcácer fut une fondation des Banû Dânis, à peu près contemporaine de Badajoz.
26Quant au seigneur muwallad 'Abd al-Mâlik b. Abû 1-Jawwâd, il prit possession de l'importante place qu'était Beja, l'une des grandes cités du Gharb, devenue capitale de district sous les Arabes35. On ne sait rien de ses aménagements, sinon, qu'au moment de la venue de 'Abd al-Rahmân III, la ville était bien défendue. En revanche, toujours pour la fin du IXe siècle, Ibn 'Idhârî rapporte que 'Abd al-Mâlik "se fortifia dans le château de Mértola et se rendit assez puissant par les constructions qu'il y éleva et les approvisionnements dont il se munit", signe très net de constructions au moins à Mértola36.
27Résumons-nous : fondation de deux ou trois cités : Badajoz, Alcácer do Sal et, dans une certaine mesure, Faro ; reconstruction et repeuplement de la cité d'Évora totalement désertée par une offensive chrétienne ; aménagement de nombreuses forteresses soit pour faire face au danger chrétien, soit pour abriter les ressources d'émirs locaux, dont les places de Marvão et surtout de Mértola, appelée à un brillant avenir commercial ; édifications dans d'autres localités comme Silves et probablement Beja ; incontestablement, la prise de pouvoir par des seigneurs locaux a engendré en Occident ibérique un renouveau urbain. Ces constructions peuvent être classées en deux catégories : d'abord, la défense motivée en cette période de fitna, par la guerre civile et le danger chrétien ; ensuite, la volonté politique, dans un cadre musulman, d'affirmer sa souveraineté locale - si possible avec l'assentiment du pouvoir omeyyade-par la fondation de nouvelles cités, geste politique qui reprend un usage légitimiste fréquent en Islam, et par la construction de monuments caractérisant cette présence souveraine, dont la qasaba et la mosquée principale sont les deux éléments constitutifs essentiels. Un tel mouvement dont l'ampleur est inscrit en filigrane dans les chroniques arabes, montre deux tendances nouvelles, au moins dans la partie occidentale de l'Andalus : un renouveau économique accompagné par une volonté des Berbères et surtout des muwalladûn, d'affirmer leur pouvoir, mais dans un cadre islamique, preuve de l'aboutissement, au moins au niveau des élites, de l'acculturation arabo-islamique.
Le renouveau économique du IXe siècle
28En replaçant ces faits sur le long terme, on remarque tout d'abord un changement de conjoncture qui s'amorce au IXe siècle et qui trouve un aboutissement après la période de la fitna. En effet, nous avons évoqué au début, l’importante mise en valeur de Séville, consécutive à l'attaque viking, mais aussi l'installation dans tout l'Occident ibérique d'une administration centralisée, profitant à Mérida et à Beja, à des muwalladûn. Toujours à Séville, durant la fitna, Ibrâhîm b. Hajjâj, maître des lieux, développe une politique en toute indépendance, qui a attiré l'attention des chroniqueurs arabes. Voici en quels termes ils louèrent le gouvernement d'Ibrâhîm : "gouverneur de Séville de Carmona et des régions avoisinantes,...il se constitua un jund auquel comme tout prince, il attribua une paie régulière ; on y comptait 500 cavaliers... (Il) avait à Séville un cadi chargé de rendre la justice et un préfet de police... tout comme le prince dans sa capitale... On venait par terre et par mer solliciter sa générosité et lui présenter des choses rares et précieuses ; il avait à Séville des fabriques (tiraz) où son nom était brodé sur les étoffes, ainsi que le faisait alors le prince..."37. Cette longue liste des mérites de son gouvernement qui se poursuit, au-delà d'un style de type "panégyrique", nous montre et la volonté de cet émir d'imiter en tous points le gouvernement des Omeyyades et, ce qui nous intéresse ici, les moyens économiques dont il disposait, montrant visiblement le prolongement de l'oeuvre de 'Abd al-Rahmân II en 844, qui a donné à la cité, les bases de son essor et de sa prospérité ; on remarquera au passage, l'activité économique à peine suggérée, par terre et par mer. En revanche, il ne frappa jamais monnaie.
29Ce phénomène de l'extension de la richesse liée à la présence d'un pouvoir régional, se retrouve plus à l'Ouest. En effet, Ibn 'ldhârî le dit en toutes lettres : "Lui-même (Bakr b. Yahyâ b. Bakr) comparaît son pouvoir à celui d'Ibrâhim b. Hajjâj", comparaison établie sur les constructions évoquées plus haut mais également parce "qu'il avait toute une administration, des armements, de braves soldats, d'abondants approvisionnements... Il était entouré d'un conseil et avait une administration des finances". Finalement, l'auteur conclut en disant "que l'on pouvait voyager avec autant de sécurité que chez soi ou chez ses proches", signe d'une certaine prospérité. D'ailleurs un peu plus loin, à propos de la reprise en mains de la région par le calife omeyyade, Ibn 'Idhârî indique que "des envoyés de Khalaf (petit-fils de Bakr) se présentèrent à l'émir pour lui dire le retour de leur maître à de meilleurs sentiments... Il envoya en outre les cadeaux d'hospitalité et des redevances extraordinaires en s'engageant au versement intégral d'un fort tribut. D'autre part les habitants du pays manifestaient un vif attachement pour lui et parlèrent avec éloge de son administration, de sorte qu'an-Nâsir le confirma dans son poste...". Ces propos, môme s'ils sont tributaires d'un style empoulé, indiquent assez clairement une certaine vigueur économique de la région38.
30Ces quelques remarques sont à rapprocher des observations faites à propos de la croissance rapide de Badajoz, de la remise en état des fortifications de la région, ainsi que du repeuplement en 915, d'Évora. On doit même, je pense, voir dans la volonté des Berbères de s'établir dans et autour de localités de manière durable, à l'image des Banû Dânis et des Berbères au Nord du Tage, un changement de conjoncture qui aurait favorisé un tel mouvement de sédentarisation. En effet, même éparpillée, la somme des informations tant sur les travaux d’urbanisme que sur une certaine prospérité, ainsi peut-être que sur l'apparition d'échanges le long des côtes avec l'essor de localités telles qu'Alcácer, Santa Maria et, bien sûr, Séville39, me semble suffisante pour affirmer que la période terminale du IXe et le premier tiers du Xe siècles, avant la mise en place d'un pouvoir centralisé sous l'autorité du califat de Cordoue, correspond à un redémarrage économique dont nous ne pouvons malheureusement analyser le contenu et encore moins les causes. La seule constatation possible est celle d'un changement assez net entre la période de la conquête arabe jusqu'au IXe siècle, avec, sur le plan régional, une période de difficultés économiques : les crises frumentaires et épidémies sont plus nombreuses au VIIIe siècle, surtout dans les années 740, au moment de la grande révolte berbère. Surtout nous avons constaté à plusieurs reprises que certaines cités, depuis la conquête, n'avaient fait l'objet d'aucun entretien, au moins pour ce qui touche aux fortifications. Même Séville, l'une des grandes cités de l'Andalus, apparaît en 844 dans un état relativement piteux, du fait d'une enceinte ruinée et de l'absence de grande mosquée en particulier ; mais, nous avons aussi pu constater le même état de l'enceinte à Évora jusqu'en 913, et dans l'ensemble de la région de Badajoz, puisqu'il a fallu, d'urgence, faire réparer les fortifications les plus importantes pour faire face au danger chrétien. Il semble donc bien que le contrecoup de la conquête arabe, si ce n'est l'héritage de la période wisigothe, n'ait pas reçu de réponse économique avant le règne de 'Abd al-Rahmân II pour une cité aussi importante que Séville, et pour l'ensemble du Gharb, avant le dernier quart du IXe siècle.
31L'autre constat à faire, et qui n'est pas moindre, à partir de ces maigres indices, est que le renouveau économique que vantent tous les contemporains, et daté de l'établissement du califat en 929, trouve ses racines durant la période précédente, celle de la fitna, et, au moins pour le Gharb, sous l'impulsion de seigneurs locaux et non pas suite à une action émanant du pouvoir central. On retrouve cette réalité économique dans les négociations entre Yahyâ b. Bakr et 'Abd al-Rahmân III, ce dernier demandant au seigneur muwallad "le versement annuel d'un tribut - entendons le produit du fisc régional - auquel il s'était engagé"40 ; l'exemple des Banû Bakr n'est pas unique loin s'en faut : c'est parce que le calife a pu profiter de cette prospérité régionale, par le biais de la fiscalité, qu'il put si vite - la construction de Madînat al-Zahra commence sept ans plus tard-, établir un pouvoir puissant et prospère.
32Autre atout du calife, l'attitude des élites régionales ; en effet, au contraire d'une idée longtemps soutenue41, la révolte des muwalladûn ne reposait pas sur la volonté de renverser le pouvoir omeyyade et encore moins de remettre en cause la présence arabo-musulmane dans la Péninsule : tous ces chefs descendants d'autochtones, agissent comme musulmans ; au contraire d'Ibn Hafsûn - cas unique -42, non seulement ils ne songent guère à une reconversion, même lorsqu'ils sont au service d'Alphonse III, mais au contraire font tout pour rentrer dans le cercle élitiste de l'État omeyyade : d'abord, certains y parviennent sous 'Abd al-Rahmân II, comme gouverneurs de Mérida ou Beja, puis d'autres, leurs descendants bien souvent, en passant des traités avec l'émir 'Abd Allâh. C'est en fonction de cette attitude qu'il convient de comprendre l'urbanisme de Badajoz et de Santa Maria au moins, où la construction de la mosquée prend un caractère symbolique évident ; c'est également dans ce sens qu'il faut comprendre la phrase prêtée à Bakr b. Zadlafe qui voulait prouver ses capacités à gouverner aussi bien qu'un seigneur arabe aussi prestigieux qu'Ibrâhîm b. Hajjâj. Cette acculturation islamique et arabe des élites autochtones et berbères régionales, suivie très rapidement par le reste de la population, fut sans nul doute un autre facteur de la stabilité du Xe siècle et, partant de là, de la puissance califale de Cordoue.
Conclusion
33En l'absence de données chiffrées, excluant toute étude quantitative de l'économie de l'Andalus, durant les VIIIe-IXe siècles, nous sommes appelés à nous reporter aux indications éparses des chroniques et des descriptions géographiques. Toutefois, celles-ci permettent d'observer quelques aspects très généraux d'une évolution concernant ces régions périphériques de l'Andalus qui peuvent apparaître comme ayant eu à certains points de vue, un rôle moteur dans l'évolution générale de l'Andalus.
34En particulier, les traces écrites font apparaître un renouveau économique dans la région, à la fin du IXe et au commencement du Xe siècles, que traduisent certaines fondations urbaines et, à tout le moins, des travaux d'urbanisme, fait nouveau dans le paysage du Gharb al-Andalus, depuis la conquête arabe. C'est sur ces bases du renouveau régional que s'établira par la suite, la puissance califale qui hérite de ces atouts qu'elle saurat coordonner et, de manière relative, centraliser à son profit. Si quelques prémices apparaissent sous l'action de l'émirat omeyyade dans la première moitié du IXe siècle, ce fut très nettement l'action des élites régionales, devenues autonomes durant les années 880-929, qui fut décisive. De nouveau, les bases proprement économiques de ce mouvement nous échappent totalement, mais, sur le plan socio-culturel, l'acculturation des muwalladûn et berbères, apparaît comme décisive.
Notes de bas de page
1 E. Levi-Provençal, Histoire de l'Espagne musulmane, 3 tomes, Paris, Maisonneuve, 1950-1967.
2 Pour ces trois périodes, les ouvrages de base demeurent :
D. Wasserstein, The rise and fall of the party-kings. Politics and society in Islamic Spain, 1002-1086, Princeton U.P., 1978 ;
J. Bosch Vilá, Los Almoravides, Tetuan, 1956 ;
A. Huici Miranda, Historia politica del imperio abnohade, 2 vol., Tétuan, 1956.
3 P. Guichard, Les musulmans de Valence et la reconquête. XIe-XIIIe siècles, 2 vol., Institut français de Damas, 1990-1991.
4 Ibn Hayyân, Kitâb al-muqtabis fî ta'rîkh rijâl al-Andalus, t. II, éd. Makkî, Beyrouth, Dâr kitâb al-’Arabî, 1973 ; t. III, éd. Melchior M. Antuña, Paris, 1937 ; t. V, éd. P. Chalmeta, Madrid, 1979 et trad., M.-J. Viguera, F. Corriente, Saragosse, Instituto hispano-arabe de cultura, 1981.
5 Bibliographie assez fournie à ce sujet ; voir sa mise à jour dans P. Guichard, op. cit.
6 Ch. Picard, Histoire du Portugal et de l'Espagne occidentale à l'époque musulmane (VIIIe - milieu XIIIe siècles), Paris, Gheutner, (sous presse) ; en particulier p. 35-54.
7 J. Bosch Vilá, La Sevilla islamica, 712-1248, Univ. de Séville, 2e éd. 1984, p. 43-51.
8 E. Levi-Provençal, op. cit., I, p. 279 et suiv., II, p. 30-46.
9 J. Bosch Vilá, 1984, op. cit., p. 51-71, qui rapporte en détail la victoire des Arabes sur les muwalladûn qui tentèrent en 889, de prendre le pouvoir dans la ville.
10 Ibn Hayyân, II, p. 380-385, V, tx. p. 104-107 et 116-120, tr. p. 88-91 et 97-100.
11 Voir, sur la fondation de Badajoz, Ch. Picard, "La fondation de Badajoz par Abd alRahman Ibn Yunus al-Jilliki”, Revue des Études Islamiques (R.E.I.), 1981, 49, fasc. 2, p. 215-229.
12 F. Codera, "Los Benimaruan en Mérida y Badajoz”, Estudios criticos de historia arabe española, 2e série, Madrid, imprenta ibérica, Coleccion de Estudios Arabes, 9, 1917.
13 Al-Bakrî, Kitâb al-masâlik wal-mamâlik, éd. Hajjî, Beyrouth, 1968, p. 119, tr. F. Clément, (mémoire de maîtrise dactylographié), Univ. Bordeaux III, 1981, p. 29-30.
14 Ibn al-Qûtiya, Ta'rîkh iftitah al-Andalus, tr. A. Fagnan, Extraits inédits relatifs à l'Espagne, Alger, 1929, p. 232.
15 Ibn Hayyân, II, p. 345-346, 380-381, 396. Sur Marvão, voir A. Sidarus, "Amaia de Ibn Maruan : Marvão", Ibn Maruan, Marvão, 1, 1991, p. 13-26.
16 Ibn Hayyân, III, p. 23.
17 A. Sidarus, "O Alentejo durante a grande dissidência luso-muçulmana di século IX/X", Nos e a historia : Actas di encontro regional de historia, Univ. Évora, janvier 1990, 1990, p. 31-44.
18 Al-Bakrî, op. cit. et Ibn al-Qûtiya, op. cit ; ce dernier évoque un premier traité passé entre Ibn Marwân al-Jillîqî et l'émir Muhammad en 884. Dans les deux cas, il est question essentiellement d'exemptions fiscales en faveur du muwallad.
19 E. Levi-Provençal, E. Garcia Gomez, Una crónica anónima de 'Abd al-Rahmân III al-Nâsir, éd. et trad., Grenade-Madrid, 1950.
20 Crónica anónima, p. 84 ; idem chez Ibn Hayyân, V, tr. p. 193 et 368, indiquant qu'ils furent remplacés comme gouverneurs en 941, par 'Abd al-Rahmân III.
21 Ibn Hayyân, II, p. 360-385.
22 En Occident, au XIe siècle, Shantmâriya al-Harûn ou P. Guichard, op. cit., p. 171 et suiv. pour le Levant à la fin de la période musulmane.
23 Al-Bakrî, op. cit.
24 Voir no 9.
25 Ch. Picard, 1981, op. cit., p. 225-229 ; Ibn 'Idhârî, Al-Bayân al-Mughrib, éd. R. Dozy, 2 vol., Leyde, 1848-1851, p. 214 tr. E. Fagnan, 2 vol. Alger, 1901-1904, p. 314.
26 Ibn Hayyân, V, tx. p. 93-96, tr. p. 81-84.
27 Crónica anónima, tx. p. 43-44, tr. p. 108-109.
28 Ibn Hayyân op. cit. ; pour l'inscription, voir A. Goulart, "Duas inscriçoes arabes inéditas no museu de Évora", A cidade de Évora, 68, Évora, 1987, p. 21-32.
29 Ibn Hayyân, V, tx. p. 95, tr. p. 83.
30 Ibn 'Idhârî, tx. p. 141, tr. p. 226.
31 Al-Idrîsî, Nuzhat al-Mushtâq, éd. Istituto Universitario Orientale di Napoli, Naples-Rome, 1975 p. 543 ; tr. R. Dozy, M.-J. De Goeje, Leyde, nouv. éd. 1968, p. 217. Pour le problème du nom d'Ocsonoba, voir J.-G. Domingues, Ossonoba na época Árabe, Faro, 1972, p. 6 et suiv. (Tiré à part).
32 Ibn 'Idhârî, II, tx. p. 215, tr. p. 332.
33 Voir note 19.
34 Ibn Hawqâl, Kitâb surat al-ard, éd. J.-H. Kramers, "Bibliotheca geographorum arabicorum", Leyde, II, 2 vol., 1938-1939, p. 115, tr. J.-H. Kramers, G. Wiet, Paris-Beyrouth, 2 vol., 1964, p. 115.
35 Ibn 'Idhârî, op. cit.
36 Ibn 'Idhârî, op. cit. et, tx. p. 140-223.
37 Cité par Ibn 'ldhârî, II, tx. p. 130, tr. p. 207-209.
38 Ibidem tx. p. 141, 215 tr. p. 226, 332-333.
39 J. Bosch Vilá, op. cit.
40 Ibn 'Idhârî, op. cit.
41 C'est en particulier le cas du célèbre ouvrage de F.-J. Simonet, Historia de los mozarabes, Madrid 1903, rééd. 1983, qui fait toujours autorité par la quantité considérable d'informations.
42 E. Levi-Provençal, op. cit., II, p. 90 et suiv.
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