Chapitre 10. Domination et dissolution, des années 1860 aux années 1880
p. 351-399
Texte intégral
1Au lendemani de la « révolte » de 1864 jusqu’au début des années 1880, le corps des mamelouks s’épuise et se dissout. Il fait dès lors l’objet de multiples rejets. De toutes parts, nous le verrons dans ce dernier chapitre, au cœur du sérail, dans l’administration beylicale et dans l’aire d’influence ottomane, les facteurs d’affaiblissement se conjuguent et se renforcent. Au Bardo, les concurrences s’exacerbent entre puissants serviteurs et princes désargentés. En 1867, la rébellion du prince al-‘Ādīl Bey contre Muṣṭafā Khaznadār aboutit à l’exécution de deux figures respectées, celles de Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ et du général Rašīd. L’autoritarisme croissant du souverain régnant éloigne de sa personne quelques généraux et ministres. D’autant que Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey facilite l’ascension de Muṣṭafā b. Ismā‘īl, un favori autochtone qui contribue à marginaliser un à un des dignitaires réputés jusque-là intouchables. Les difficultés financières de l’État ont aggravé les conditions de vie, sans que des revendications corporatives soient entendues. Des fils de mamelouks ne réussissent pas d’aussi brillantes carrières que leurs devanciers.
2Observée dans l’ensemble de l’administration beylicale, cette progressive mise à l’écart n’affecte pas que les seuls mamelouks. De vieilles familles makhzéniennes et des lignées d’hommes de religion perdent de leur influence sur l’autorité de la régence. D’autres profils émergent : les autochtones sans appui sont engagés dans la domesticité du palais ou comme aides de camp des princes et des ministres… D’entre tous les « enfants du pays », les Juifs de la province bénéficient de formes d’émancipation juridique, de protections consulaires et d’une technicité financière qui leur permettent de se hisser dans les hiérarchies administratives. Pour faire carrière au service des beys, l’autochtonie et le maintien dans une confession minoritaire semblent moins discriminants. L’insertion au sein d’un illustre lignage ou la confusion volontaire des origines (comme dans le cas des mamelouks) ne constituent plus un atout incontournable.
3Un champ de professions administratives et militaires s’élargit d’autant plus aux autochtones que le brouillage des origines qui avait tant avantagé les mamelouks n’est plus possible avec la révolution des transports et des communications en Méditerranée1. Des voies et des vecteurs de communication plus rapides ne facilitent pas seulement le contact des expatriés avec leurs foyers d’origine – les mamelouks n’ont pas attendu la seconde moitié du xixe siècle pour maintenir un lien avec leurs premières familles. Ces réseaux densifiés remettent surtout en cause la position d’entre-deux de serviteurs rattrapés par la vitesse des échanges, le raccourcissement des distances. À quoi pouvait bien servir un mamelouk si désormais il était en dialogue plus aisé avec ses lointains parents ? Sa loyauté au foyer d’adoption ne s’en trouvait-elle pas fragilisée ?
4L’avancée à grands pas d’une ottomanité, d’un sentiment d’appartenance à l’Empire, puis de brusques fuites de Tunis avec l’installation du Protectorat ont jeté quelques-uns des derniers mamelouks tunisois dans une errance entre Istanbul et les rivages européens. Ce sont tous ces mouvements qui peuvent éclairer l’énigme de la dissolution d’un corps social promu par les beys depuis le xviie siècle. C’est à leur examen que peut être saisi le sens d’une disparition.
UNE DYNASTIE CHANCELANTE
1867, un prince contre Muṣṭafā Khaznadār
5À la fin des années 1860, au sein du Bardo, les liens entre hauts serviteurs et membres de la famille husaynide s’effilochent. Étranges relations, d’ailleurs, que celles qu’entretiennent alors les princes husaynides avec les mamelouks des beys : les amabilités, les témoignages d’affection introduisent et closent les correspondances des membres de la dynastie aux hommes de la dawla, cependant que les tensions, les motifs de rivalité ne cessent de s’accumuler jusqu’à aboutir en 1867 à la révolte de ‘Ādil Bey contre le Khaznadār.
6Ces formules d’attachement se retrouvent ainsi dans les lettres de Muḥammad al-Ma’mūn Bey qui se félicite en 1856 de la position de « fils chéri » acquise dans le cœur de Rašīd, « gouverneur (wālī) des soldats du Sahel et de Kairouan2 ». Plus chaleureux encore dans son expression épistolaire, Ḥammūda Bey fait part à Rašīd de l’envie ou de la passion (ištiyāq) qu’il sent déborder de son cœur lorsqu’il apprend que le valeureux général revient de la région de Tabarka : « Il n’y a d’ailleurs pas à blâmer ce désir entre un fils et un père affectueux3. » Comme si ce langage familial allait de soi, Muḥammad al-‘Ādil Bey jouera aussi de ce sentiment filial auprès de Muṣṭafā Khaznadār en des termes plus vigoureux :
« J’espère encore que l’affection que vous avez pour moi est aussi forte […]. C’est que le père répugne au mal pour son fils y compris si ce fils est oublié, retiré dans un état d’abandon4. »
7De fait, al-‘Ādil Bey illustre la profonde ambiguïté des relations avec les serviteurs de la dynastie. Aux abois lorsqu’il signe ces lignes en mai 1867, ce prince passa durant cette année5 de la sollicitation respectueuse à la révolte.
8Le soulèvement d’al-‘Ādil Bey fut précédé d’une série de compétitions entre grands mamelouks et parents des souverains autour des clientèles du beylik et des ressources financières. Les membres de la dynastie tentaient, en premier lieu, de défendre des agents du makhzen ou certains de leurs protégés auprès des chefs d’armée et d’administration. Ḥammūda Bey voulut, en 1860, empêcher l’enrôlement dans la marine d’un de ses hommes de confiance. Il essaya de convaincre le Khaznadār que ce commensal (tābi‘), à son service depuis des années, était d’une grande honnêteté dans la gestion de ses affaires agricoles. Son départ, affirmait-il, causerait une grande perte. Dans un ajout de dernière minute à sa missive, Ḥammūda Bey se résignait, enfin, à constater la désertion de son serviteur alors que des olives étaient encore entassées dans le pressoir6. De la même façon, à la fin de l’année 1867, Muḥammad al-Ṭāhir Bey voulait prémunir un « homme de sa suite » d’une probable expulsion pour remboursement de dettes : il demanda au Khaznadār de surseoir à la vente de la maison de son protégé et de faire patienter un négociant européen, le markāntī Kaḍūzū (certainement Cardoso)7. À chaque reprise, frères, cousin, fils ou neveux des beys se heurtaient à la quasi-toute-puissance des vizirs et chefs de troupes.
9Ce face-à-face devenait plus rugueux lorsque des terres du beylik étaient en jeu. Au début des années 1860, ‘Alī Bey revendiqua une propriété tenue par Muṣṭafā Āġā. Cet ancien ministre de la Guerre disposait d’autres possessions, dont celles de la ‘Abdaliyya que Muḥammad Bāšā s’était engagé à prendre en location perpétuelle, à titre d’inzāl8, avant de disparaître9. Les parents du bey haussaient le ton, s’inquiétaient d’une nouvelle dégradation de leur sort. Lors de la célébration du bayram, en 1866, le consul de France fut frappé du contraste entre la modestie du « costume des Princes de la famille régnante » et le faste déployé par les « généraux » et « autres fonctionnaires […] en grand uniforme […] tout resplendissant de broderies ». Duchesne de Bellecourt en venait à se demander :
« si cette simplicité n’est pas quelque peu affectée par les Princes comme pour protester contre l’état précaire de leur situation financière, tandis que parmi les généraux étrangers ou Mamelouks […], des fortunes relativement considérables […] permettent à ces Généraux de développer un plus grand luxe que les membres de la famille régnante10 ».
10Dans des lettres au Khaznadār, Muḥammad al-‘Ādil Bey exprimait sans fard, début 1867, la gêne qui taraudait son illustre mais bien modeste foyer :
« Depuis six jours, aucun morceau de viande n’a pas passé le pas de ma porte. Les bouchers de Tunis […] ont dit qu’ils ne vendraient que comptant […]. J’en suis venu à manger de la semoule achetée auprès des Juifs car je ne trouve personne pour me vendre des blés à crédit11. »
11Au cours d’une réunion familiale qui suivit de peu la fuite de ce prince vers les montagnes de Béja, l’un des parents parut se plaindre de la trop grande place accordée aux mamelouks dans l’administration : « Pourquoi notre maître ne choisit-il pas parmi nous ce qu’il convient d’agents alors que nous lui sommes les plus proches12 ? »
12La faveur accordée aux mamelouks n’était pas la seule cause de ce malaise princier. Les membres de la maison husaynide pouvaient se sentir contraints dans un ordre familial qui depuis le début des années 1860 inscrivait dans la loi la toute-puissance du bey. Un décret du 26 avril 1861 stipulait que le chef de l’État et « chef de la famille régnante » devait jouir de la « pleine autorité sur tous les Princes et Princesses […] de manière qu’aucun d’eux ne [puisse] disposer, ni de la personne ni de ses biens, sans son consentement ». À cette date, une liste civile commença à limiter en théorie le montant des dépenses du souverain et de ses parents13 alors même que le nombre de « princes d’huile et de fromage14 » à pensionner connaissait une croissance notable : six autour de 1815 et trente-deux foyers à la veille du Protectorat15.
13Les descendants de Ḥusayn b. ‘Alī, astreints dans leurs finances, parfois volés « par leurs intendants comme leurs fournisseurs16 », réclamaient des honneurs et des charges. Le long mouvement de balancier entre parents naturels et parents fictifs du xviie au xixe siècle penchait de moins en moins vers des serviteurs dépendants mais, de surcroît, il ne revenait plus vers les princes du sang. Dans une administration en voie de bureaucratisation, constituée d’enfants du pays, quelles places pouvaient décemment occuper tous les rejetons des unions princières ? La piteuse révolte d’al-‘Ādil Bey, pour partie orientée contre la prééminence du khaznadār, modifia peu le rapport de force : elle contribua aussi bien à la disgrâce de quelques mamelouks qu’au maintien des princes à la lisière de la dawla.
14Beaucoup moins connu que la révolte de 186417, le soulèvement princier de 1867 fut là encore présenté par les autorités françaises comme une action radicale contre la domination mamelouke. Le consul de Botmiliau rapportait le 23 septembre que les principaux soutiens du prince, les montagnards des Kroumirs, « sincèrement attachés à la famille régnante »,
« […] ont horreur de ce qu’ils appellent la domination des mamelouks esclaves ou renégats qui entourent le Bey mais surtout le Khaznadar qu’ils accusent d’être l’auteur de tous les maux du pays. Aussi, en se rendant parmi eux, le Prince Sidi el Adel a-t-il eu soin de déclarer que s’il venait combattre au milieu d’eux, c’était uniquement pour renverser le Grec renégat qui opprimait son frère18 ».
15Or, les lettres de justification attribuées à al-‘Ādil Bey tendaient à éviter de se heurter de front aux dignitaires mamelouks. Un de ses écrits, d’authenticité très incertaine, appelait à la mobilisation des tribus afin de défendre les sujets et le waṭan et de se protéger de la maḥalla d’Aḥmad Zarrūq19. Al-‘Ādil Bey pouvait s’opposer Muṣṭafā Khaznadār, il ne se soulevait pas contre l’ensemble des mamelouks. Quand il fallut mettre fin à l’insubordination du prince, Aḥmad Zarrūq, si prompt à faire taire les Sahéliens, se serait jugé indigne de la mission : comment un simple mamelouk comme lui pouvait-il ne serait-ce que lever la main sur un membre de la maison de ses seigneurs20 ? Qui plus est, le bey du camp, ‘Alī, chargé de la répression des Kroumirs, et le Khaznadār attribuèrent la responsabilité du soulèvement à deux mamelouks de renom : au général Rašīd et à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘21. D’après les aveux attribués à al-‘Ādil Bey, Rašīd se serait « employé à noircir le cœur des soldats » et aurait financé l’opération par un apport de plus de 10 000 piastres22. Le ṣāḥib al-ṭābi‘ se serait, pour sa part, chargé de « corrompre les tribus », selon un récit plus tardif du principal vizir à Oscar Gay23.
16Ces pièces à charge n’étaient pas toutes dignes de confiance. Une lettre d’al‘Ādil Bey à Rašīd, non datée, rédigée selon une écriture bien différente de celle utilisée à partir de la montagne, faisait état d’un commerce scabreux : le prince promettait de désobéir si le général lui remplissait ses bouteilles d’eau-de-vie… Reconstitué selon des missives parfois apocryphes, l’épisode était donc fort confus. Il ébranla surtout le sérail par son tragique épilogue. Pour la première fois, depuis trois décennies, depuis la mort de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, en 1837, deux mamelouks d’importance étaient exécutés sans le moindre jugement, sans que leur présumée trahison fasse l’objet d’une enquête contradictoire24. À la façon de Šākīr, Rašīd et Ismā‘īl furent étranglés sans procès alors que, depuis l’avènement d’Aḥmad Bey, tout officier ou soldat, condamné à la peine capitale, devait être fusillé25. La précipitation du bey à vouloir condamner ses visiteurs heurta les consuls et les lecteurs des gazettes européennes. Le consul de France protesta contre les manquements aux principes de justice26. Le représentant du Danemark Charles Cubisol jugea « les deux malheureux généraux […] tout à fait étrangers au complot », leur mort n’ayant eu « pour seul mobile » « qu’une ancienne vengeance personnelle du Khaznadar », « avec aussi l’appât de fortunes à confisquer ».
17Selon ce consul, l’acte produisit « non seulement chez les Européens mais encore plus chez les indigènes une indignation des plus vive27 ». L’émotion passée, les « Arabes » se recueillirent dans un « morne silence28 ». L’issue de la révolte confirmait la marginalisation des princes de la famille husaynide et d’une partie des dignitaires mamelouks rejetés par le bey. La tournure de ce dénouement conforta certains sujets (et surtout Ibn Abī al-Ḍiyāf ) dans des craintes qui avaient mûri dès le printemps 1864 : le pouvoir des beys s’orientait vers un despotisme sans freins. Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey s’autoproclamait seul juge en matière de crimes capitaux29. Il n’avait fait que remplir son devoir : il avait seulement voulu défendre sa « maison » et son « royaume30 ».
18Certains serviteurs succombaient à cette autorité. D’autres, beaucoup plus rares, s’en éloignaient. « Dans un conseil le lendemain ou le surlendemain de la mort de Reschid, le général Khaïreddin, seul, a osé blâmer le crime31. » L’année suivante, en juillet 1868, lors d’un séjour à Istanbul, le général Ḥusayn s’émerveillait que sur le Bosphore « l’humanité l’emporte sur la sauvagerie barbare » : ici, au moins, « on ne m’étrangle pas, on ne veut pas prendre mes biens32 ». Les exécutions de 1867 ne constituaient que les épisodes les plus impressionnants d’une distance qui ne cessait de se creuser entre parents naturels et parents d’adoption des beys. Les fissures observées entre le souverain et ses plus proches serviteurs, lors des séances du Conseil suprême puis en 1864, allaient en s’élargissant dans l’administration du pays.
Les altérations du service princier et du patronage beylical
19Au début de sa longue chronique, Ibn Abī al-Ḍiyāf tenait à rappeler que « le pouvoir ne pouvait s’exercer […] sans l’aide » des ministres-conseillers. Les ministres qui s’abstenaient d’apporter leurs conseils « lorsque cela ne correspond[ait] pas aux désirs des despotes » ne recherchaient, selon lui, que leur propre sécurité. En conséquence, ils ne devaient être comparés qu’à de la « volaille engraissée » pour la consommation de leur maître33. Pourtant, lors de sa longue carrière, le glorieux secrétaire n’avait pu qu’assister et participer à ce progressif recul du droit de remontrances. Aḥmad Bey fut le premier à durcir le mouvement. D’après la rapide description de Pellissier de Reynaud, il s’était dispensé de la tenue régulière d’un « divan » pour examiner les affaires d’État et ne s’était appuyé que sur un conseil privé où il n’appelait que « bon lui » semblait34. À la fin de son règne, il excluait de réduire ses troupes pour rétablir les finances et il refusait d’entendre le moindre soupçon à l’encontre de b. ‘Ayyād. À « l’époque, résumait Ibn Abī al-Ḍiyāf, il n’y avait d’autre loi que le désir du roi35 ».
20Ses successeurs agirent aussi de la sorte. Muḥammad Bey imposa de toutes ses forces un projet français d’adduction d’eau de Zaghouan vers la capitale. Devant l’opposition de ses ministres, le bey ne trouva rien de mieux que de sanctifier sa précieuse parole de musulman36. Avec la révolte de 1864, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey et son vizir suspendirent les conseils issus du processus constitutionnel. Le souverain et son principal ministre faisaient barrage aux quelques réserves qui, de temps à autre, pouvaient encore s’élever dans l’entourage beylical. Ainsi, en 1865, comme « à l’accoutumée dans la royauté absolue », le khaznadār prit fait et cause pour la frappe d’une monnaie de cuivre selon le choix du bey et contre l’avis unanime des hommes de la dawla, qui y voyaient « le pire des torts causés au royaume et au gouvernement37 ».
21Dans cette progressive altération du service rendu au bey38, ceux qui construisirent des discours à tonalité patriotique doutaient désormais de l’habilité de leur maître à détenir l’autorité. Dans une lettre à Khayr al-Dīn, fin avril 1867, Ḥusayn se refusait à formuler des « paroles » offensantes contre l’« employeur » en temps de service, mais dénonçait tout de même la « tyrannie du ministre depuis trois ans » et la « laideur d’actions » de ses maîtres39. Une décennie plus tard, c’est le cœur soulagé que Khayr al-Dīn quittait ses fonctions de Premier ministre : « Grâce à Dieu, assurait-il au consul Roustan, je suis délivré du fardeau des affaires40. » L’autorité du bey n’était plus reconnue par certains de ses hommes. Ḥusayn ne rêvait que d’extraire cette « dentition cariée41 ». Dans son exil italien, il s’était constitué un petit cahier de « Notes sur les princes de la famille beylicale, d’un caractère intime » qui, après sa mort, fut retrouvé à son domicile florentin42.
22Dans cette suite de remises en cause, l’un des principes fondateurs du corps mamelouk, à savoir la capacité à posséder et être servi par d’autres hommes, n’était pas épargné. À une interrogation d’un consul américain sur l’esclavage, le général Ḥusayn répondait :
« Il est préférable que l’homme satisfasse ses besoins lui-même, car l’habitude d’être servi par les autres pourrait aboutir à l’impuissance de satisfaire les besoins du premier degré. L’homme est le fils de ses habitudes […]. La diffusion de la liberté éloigne les hommes de tous les vices (tels que la méchanceté, la vanité, le fanatisme…) qui dirigent souvent les actes des propriétaires des esclaves, car ils sont habitués à donner des ordres et deviennent orgueilleux43. »
23Ces prises de position ont souvent été analysées comme des bravades d’enfants gâtés qui ne prêtaient guère à conséquence. Comme le relevait Gerard Van Krieken, Khayr al-Dīn s’était retiré de ses fonctions principales de ministre de la Marine et de président du Conseil suprême en 1862, tout en maintenant ses positions de conseiller et d’émissaire du bey en Europe et à Istanbul44. Prudent dans son audace, il avait d’abord présenté son manuscrit de réformes à son maître le 10 septembre 1867 avant que cet ouvrage ne passe sous les presses de l’État45. Ces observations sur une réforme et des remises en cause qui, dans un premier temps, ne pouvaient être formulées et maîtrisés que du sommet et de l’intérieur de l’État furent théorisées par Shmuel Noah Eisenstadt. Son concept de split-up modernization ou de « modernisation disjointe » décrivait des sociétés dans lesquelles des réformateurs introduisaient des changements dans des domaines sous contrôle tout en se gardant de toucher aux principes fondamentaux46.
24Seulement, ces divergences formulées par les mamelouks ne déplaçaient pas moins le devoir de conseil au souverain, au-delà des cercles de discussion des palais, par l’écrit et lors des voyages, dans et hors de la province de Tunis. Des vestiges du conseiller, désormais peu écouté par son maître, émergeait la figure de l’homme d’idées ou du débat, mettant moins en avant une soumission au maître qu’une capacité de propositions face à des intimes, des condisciples, des notables ou des interlocuteurs étrangers.
25Cette inscription du serviteur dans un espace du « débat public » aboutit à une autre remise en cause de l’utilisation et du traitement des mamelouks : les disgrâces qui mettaient fin à l’ascension des mamelouks furent, après 1867, moins brutales. Sous pression des puissances européennes, elles ne donnèrent plus lieu à des exécutions foudroyantes, elles suivirent le rythme plus lent des procédures judiciaires. En septembre 1869, Aḥmad Zarrūq, qui s’était révélé débiteur de 4 millions de piastres auprès de l’État, n’avait eu qu’à présenter ses comptes. Le consul de Botmiliau conjecturait qu’il y aurait transaction et que le général garderait sa place sans difficulté47.
26En 1873 surtout, Muṣṭafā Khaznadār fut destitué pour des malversations et des détournements de deux mille obligations sur un emprunt contracté en 186548. Il ne subit ni le sort de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ ni celui de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘. L’ancien vizir put compter sur l’intervention du consul d’Angleterre qui réclama en sa faveur et pour sa famille un « aman » du bey49. Son cas fut examiné par une « commission », présidée par ‘Alī le bey du camp et composée de « deux juges religieux » auxquels s’ajoutaient « deux généraux réputés intègres », les mamelouks Muḥammad et Rašīd Kāhiya50. L’accusé et l’autorité beylicale parvinrent à un arrangement financier51. Des dignitaires bénéficiaient d’une mise en forme de la disgrâce faisant l’économie de l’exécution physique : ils conservaient la vie sauve et ne perdaient qu’une partie de leur fortune.
27Ces dérèglements de la relation de patronage, ces perturbations des mécanismes de la faveur, qui s’ajoutaient à l’effacement de la figure du conseiller, à sa dilution et à sa transformation hors du sérail, précédèrent les premières expressions d’inquiétude de Ḥusayn pour l’avenir de ses congénères mamelouks. Dix ans après l’exécution d’Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ et du général Rašīd, Ḥusayn s’alarmait du « dessein » que les « gens » (murād al-qawm) entretenaient « de se débarrasser des mamelouks52 ». Il se désolait d’un waṭan qui désormais « nous a refusés53 ». Au lendemain du décès de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, consumé de dépit, le général s’attardait sur la recomposition du gouvernement, sur le départ de vieux serviteurs pour partie mamelouks, dans une mise en scène qu’il comparait à celle d’un « théâtre de marionnettes54 ». Ḥusayn ne s’interrogeait pas sur les profondes recompositions que les mamelouks avaient connues dans leurs relations aux beys. Dans son malheur, il mettait en cause des influences extérieures : les « agissements » et la capacité de « nuisance » du consul de France55.
28Les disgrâces consécutives du khaznadār en 1873, de Khayr al-Dīn en 1877 ou d’un Ḥusayn concordèrent non seulement avec cet affermissement de la puissance française, mais aussi avec la prodigieuse ascension puis la longue influence de Muṣṭafā b. Ismā‘īl dans les années 1870. Pour la première fois, un autochtone s’imposait dans la durée, éliminant un à un les serviteurs intimes du bey. Muṣṭafā b. Ismā‘īl bénéficia de la progressive marginalisation des grands mamelouks au Bardo. Ses origines, sa fulgurante réussite et sa condition étaient semblables à celles de ses devanciers mamelouks. Le controversé Muṣṭafā b. Ismā‘īl fut déterminant à la fois parce qu’il se distingua comme le premier des favoris non mamelouks à perdurer auprès de son maître, mais aussi parce que, au-delà des apparences, il constituait le dernier maillon d’une longue chaîne, le dernier de ces influents personnages de palais comparables par leur tortueux itinéraire et pour leur profonde dépendance à l’égard des beys.
Le dernier des favoris
29Au premier abord, Muṣṭafā b. Ismā‘īl pouvait être perçu comme un ennemi des dignitaires mamelouks. Il avait participé à la destitution de trois vizirs mamelouks en moins d’une décennie. En 1873, Khayr al-Dīn eut recours à son influence auprès du bey pour hâter la chute de Muṣṭafā Khaznadār. Le nouveau vizir fut à son tour victime du favori en 187756. La même année, le 24 août 1878, le conseiller intime du souverain de Tunis, décidément insatiable, obtint la tête d’un Muḥammad Khaznadār vieilli, empêché par ses infirmités et qui n’avait « accepté le portefeuille qu’avec hésitation57 ». Muṣṭafā b. Ismā‘īl resta Premier ministre jusqu’au 12 septembre 1881. Il réussissait là où al-‘Arbī Zarrūq et Ṣāliḥ Šībūb avaient échoué. Il ne fut pas évincé par des dignitaires mamelouks. Au contraire, il les élimina un par un.
30Khayr al-Dīn, Ḥusayn et Rustum ont cultivé un mépris profond pour Muṣṭafā
31b. Ismā‘īl. Sa montée en puissance et son pouvoir de nuisance les importunaient. À leurs yeux, Ibn Ismā‘īl incarnait l’intrus par excellence, un bénéficiaire atypique de la faveur beylicale. Rustum démissionna dès août 1878, lorsque Muḥammad Khaznadār céda sa place de Premier ministre au protégé du bey58. En novembre de cette même année, Khayr al-Dīn se disait « surpris » que « le général Hussein, qui se vante d’être un homme si indépendant et soucieux de sa dignité », puisse s’incliner « devant la volonté d’un Mustapha-ben-Ismaïl59 ». Pas en reste, Ḥusayn se lamentait trois mois et demi plus tard du retour du « vol » et du « pillage », dans « notre pauvre royaume » : d’après lui, Muṣṭafā b. Ismā‘īl « ramassait à deux mains » ce qu’il pouvait60. Non seulement cet homme n’avait pas grandi aux côtés des mamelouks du sérail, non seulement il ne se fixait aucune borne dans l’acquisition de la puissance, mais surtout il était jugé illégitime dans la conduite des affaires de l’État : dans sa correspondance avec Khayr al-Dīn, Ḥusayn, diplômé de l’école du Bardo, ne reconnaissait aucun mérite à ce « gamin » (ġāšīr)61, à ce « sot » (safīh)62. À l’été 1878, le consul d’Angleterre resituait l’éclatante réussite de Muṣṭafā b. Ismā‘īl dans le contexte d’une rivalité permanente entre mamelouks et autochtones :
His personal supporters are limited to a small fraction, who are anxious that the power hitherto exercised by the Mamalouks [the Circassian and Greeks who were formerly brought here as Slaves] should pass into the hand of the Natives, the generality of whom trough not adverse to this new order of things, […] see with regret and even with apprehension the Instrument which has been selected for carrying it out63.
32Cette pleine affirmation de Muṣṭafā b. Ismā‘īl correspondait aussi au début d’un phénomène de rejet des favoris diagnostiqué par Jocelyne Dakhlia pour les pays d’Islam. Les accusations contre ces privilégiés commençaient à s’entremêler : « collusions suspectes avec les Occidentaux », selon des autochtones, « plaisirs coupables de toute nature », au regard des représentants européens, les favoris symbolisèrent « la corruption de l’État, l’accaparement de la chose publique par les intérêts privés », alors même que des revendications patriotiques étaient esquissées. Les monarques, qui renonçaient à défendre leurs sujets, étaient soupçonnés de se déviriliser, de céder à des tentations homosexuelles64. Des observateurs européens se faisaient l’écho de ces « mœurs contre nature » : Paul d’Estournelles de Constant prétendait que ce « jeune homme d’une beauté dont nous n’avons connu que les restes avait été recruté pour le harem du bey par le khaznadar lui-même, très soucieux de distraire son maître65 ».
33Muṣṭafā b. Ismā‘īl n’apparut pas comme le défenseur d’intérêts autochtones. Sa protection n’était pas toujours recherchée, elle était même repoussée. Ce favori suscitait, aux dires d’un observateur français, les « défiances et la jalousie des princes de la famille régnante qui ne lui pardonnent pas la faveur exceptionnelle dont il jouit envers le bey et les avantages qu’elle lui procure ». Il éveillait l’« ambition des fonctionnaires indigènes des anciennes familles du pays qui veulent tous arriver au premier rang dans l’administration66 » et qui « se voient avec peine soumis à ce jeune homme de basse extraction et sans aucune instruction67 ». Aux yeux de quelques dignitaires mamelouks, Muṣṭafā b. Ismā‘īl se mit surtout à incarner le contre-exemple du favori que certains de leurs prédécesseurs avaient pourtant personnifié par le passé. En s’éloignant du bey, avec les réformes de l’armée et de l’administration, la fine fleur du sérail ne voulait plus se percevoir au prisme de la passion ou de la forte intimité avec le bey. Les hommes de la dawla n’envisageaient leur carrière et leur reconnaissance qu’au regard des positions acquises au service de la dawla.
34En s’attaquant à Muṣṭafā b. Ismā‘īl, ces ministres ne dénigraient donc rien d’autre qu’un dérivé, qu’une de leurs dernières incarnations au pouvoir. Ce serviteur intime avait été transformé en mamelouk par son protecteur Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey. Les origines de ce dernier furent, tout comme celle des mamelouks, profondément brouillées. Une biographique polémique lui attribuait un père turc (Ismā‘īl) et une mère d’origine juive68, tandis que le numéro d’un périodique daté du 1er août 1880 faisait état d’un parent palefrenier, ‘Alī b. Ismā‘īl, « nommé gouverneur des Zlass d’abord, des Trabelsia et de Mateur ensuite69 ».
35Devenu orphelin, Muṣṭafā b. Ismā‘īl aurait d’abord travaillé dans l’un des souks de la capitale70. Il aurait ensuite été introduit au Bardo par un officier mamelouk. Il servit de garçon de bureau auprès du ḥājj Zūhayr al-Mamlūk qui « exerçait les fonctions de copiste » pour arrondir ses fins de mois71. Le ḥājj Zūhayr n’aurait renoncé à son domestique qu’après avoir obtenu 500 piastres d’un dédommagement qui n’était pas sans rappeler le prix de vente d’un esclave72. Puis, là encore, à la manière des mamelouks, Muṣṭafā dut changer de nom d’origine lorsqu’il approcha le bey. Sur ordre de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, un « décret adressé aux futurs officiers de l’école militaire » du Bardo empêcha d’identifier Muṣṭafā à l’enfant de Zuhayr (wald Zuhayr)73, afin de rompre toute relation avec son ancien protecteur. Muṣṭafā ne devait être connu que sous le patronyme de « Ben Ismail74 ». Et c’est sous cette nouvelle dénomination que, à l’instar d’autres hommes du Bardo, il gravit un à un les échelons militaires et se retrouva mentionné dans les actes et les registres du beylik.
36Cette ascension est difficile à reconstituer tant les homonymies peuvent être trompeuses dans les archives. Cependant, d’après la biographie qui lui fut consacrée, Muṣṭafā b. Ismā‘īl fut en un premier temps recruté par le chef de la garde, l’amīr al-liwā, ‘Allāla b. Frīja, qui recherchait pour le service du bey deux ġilmān, terme qui fut longtemps synonyme de celui de mamelouk. Muṣṭafā s’acquitta si bien de sa tâche qu’il fut promu commandant (binbāšī). Lui « et ses semblables » parvinrent dans un second temps au grade de colonel (amīr alāy) avant que b. Ismā‘īl ne se détache du lot et ne soit le seul d’entre ses pairs à être reconnu général de brigade (amīr al-liwā)75. Les registres conservent bien la trace d’un Muṣṭafā b. Ismā‘īl dans la garde du palais, mais en tant que major (alāy amīn) au cours des années 186076 et en tant qu’aide de camp du souverain choyé en 186477 puisqu’il était pourvu à l’été d’une selle dépassant la valeur de 1 000 piastres78.
37Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey qui avait facilité cette ascension ne cessa de considérer son favori comme l’un de ses principaux mamelouks. En bon maître, le souverain couvrit son favori d’éloges et de marques de respect. Fin 1874, il lui conféra le nīšān al-‘ahd aux côtés de Khayr al-Dīn, Ḥusayn et Rustum79. Après le départ du grand vizir, Ibn Ismā‘īl reçut les portefeuilles de l’Intérieur et la direction de la Commission financière80. Entre-temps, Muṣṭafā avait acquis le laqab de ṣāḥib al-ṭābi‘, ensemble nominal qu’avait jadis porté jusqu’au début des années 1860 l’un des mamelouks les plus respectés de la maison husaynide81. En bon père de famille, tout comme il l’avait fait pour les princes et mamelouks, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey maria son protégé à une de ses parentes82 et il décida de conclure une alliance entre son neveu adoptif et une nièce d’Ibn Ismā‘īl83. Le bey parut adopter Muṣṭafā b. Ismā‘īl qui devint, aux yeux de tous, « le fils » du bey84.
38À la manière des dignitaires mamelouks qui espéraient de bonnes positions pour leurs descendants, Muṣṭafā b. Ismā‘īl réussit à placer ses proches dans le makhzen. L’almanach officiel, al-Nuzha al-khayriyya, recensait au moins deux Ibn Ismā‘īl parmi les aides de camp du vizir, un Muḥammad et un Ḥammūda pourvus des grades de lieutenant-colonel (qaymaqām) en 1878-1879, puis de colonel (amīr alāy) l’année suivante85. Le second, Ḥammūda b. Ismā‘īl, fut employé dans la maison de Muṣṭafā. Il jouissait de la « confiance de son maître » pour les cultures d’huile du Sahel et pour la gestion des maisons de La Goulette et de Carthage, jusqu’à décider de fuir sans rendre compte de sa gestion en 188386. Muṣṭafā b. Ismā‘īl vit aussi son fils bénéficier de la générosité du bey. Selon L’indépendant, durant l’été 1880, les gouverneurs des provinces présentèrent « leurs magnifiques cadeaux » au nouveau-né et le bey lui offrit « ce qui reste de propriété publique appartenant aux princes87 ».
39Le favori tenta aussi de se rapprocher de dignitaires mamelouks. En 1872, il offrit une « selle richement brodée en or » à Aḥmad b. ‘Uṣmān afin de récompenser « son dévouement et son attachement à ses devoirs88 ». Quelques généraux et ministres se faisaient bien voir en adressant des lettres de compliments ou de félicitations à un favori toujours influent auprès du bey. Le général d’artillerie Salīm salua par un télégramme sa nomination au vizirat : « Mabrouk pour notre auguste souverain, pour Votre Excellence et pour tout le monde89. » Aḥmad Zarrūq le jugeait alors digne de toutes les charges que le bey lui avait confiées90, tandis que Muḥammad Khaznadār s’adressait à son successeur en termes les plus respectueux91. À la façon de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, de Šākīr et du khaznadār, Muṣṭafā b. Ismā‘īl parvint à se trouver des intermédiaires et des informateurs à Istanbul : il y aurait gagné l’amitié du chef noir des eunuques par l’intermédiaire d’un Djerbien92 et il y fit surveiller les faits et gestes de Khayr al-Dīn93.
40Son étoile ne pâlit que le 12 septembre 188194. Il quitta ses fonctions de vizir et la proximité du bey sous la pression des autorités françaises. Quatre mois après la signature du traité du Bardo, son influence sur l’esprit du bey n’était plus d’aucune utilité pour le Protectorat naissant. Mais son remplacement par le vieux mamelouk Muḥammad Khaznadār et son incapacité ultime à se maintenir auprès d’une puissance qu’il avait servie corps et âme signifiaient-ils l’échec ultime du favori autochtone contre les mamelouks ou celui de l’autochtone fait mamelouk ? Ses erreurs de parcours rappelaient celles d’un Ṣāliḥ Šībūb. Comme ce proche d’Aḥmad Bey, Muṣṭafā b. Ismā‘īl avait choqué par ses mauvaises manières. Sur « les instances de Khérédine, le bey » lui avait retiré en 1874 le gouvernement du cap Bon où il s’était distingué par ses abus. Il fut, lui aussi, impliqué dans l’enlèvement d’un jeune garçon, un Espagnol de dix-douze ans qu’il avait « remarqué sur le rivage de La Goulette » et qu’il voulait pour « la section du harem […] placée sous contrôle immédiat95 ».
41À la tête d’une maison, d’une lignée et d’un patrimoine, Muṣṭafā b. Ismā‘īl se comparait à tous les favoris qui avaient amassé leurs fortunes et érigé leurs palais96 par une série d’exactions financières. Seulement, dans son cas, ces procédés parurent des plus extrêmes aux yeux des contemporains. Une fois vizir, il réclama aux gouverneurs des contributions que ces derniers répercutaient sur les administrés97. À Tunis, il s’empara des biens entreposés dans le palais de Muṣṭafā Khaznadār à peine enterré. Il put choquer les baldī en se saisissant d’une partie des habous du collège Ṣādiqī qu’il revendit à une société française après l’occupation98. Enfin, comme Šākīr ou Aḥmad Zarrūq, il offensa ou fit maltraiter des hommes de savoir et de religion. Il retira toute charge à Muḥammad Bayram, descendant d’une prestigieuse lignée de savants99. Fin juin 1879, son confident, ‘Allāla b. Zay, s’opposa avec violence au cadi Muḥammad al-Ṭāhir al-Nayfar dans un procès contre un de ses amis100.
42Muṣṭafā b. Ismā‘īl provoqua donc trop de scandales pour espérer durer. Après la disparition de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, il s’installa un temps en France et finit sa vie à Istanbul, pensionné par le sultan Abdülhamid II101. Moins qu’un mamelouk et plus qu’un favori autochtone, Muṣṭafā b. Ismā‘īl fut surtout le dernier vizir promu par un lien d’intimité et de soumission formalisé dans le langage et les signes de la dépendance. Il incarna l’épuisement d’un modèle à l’heure même où, nous l’avons vu, certains mamelouks s’affichaient en hommes d’État, éloignés du bey et des princes, à l’heure aussi où les descendants naturels étaient marginalisés par le bey. Cet épuisement du modèle du favori et du serviteur mamelouk n’était pourtant pas lié qu’à des altérations des relations avec les beys. Le modèle s’épuisait aussi pour des raisons structurelles : le nombre de ces mamelouks ainsi que leur poids ne cessaient de se restreindre dans le makhzen de la régence.
UN MAKHZEN RÉAMÉNAGÉ
La réduction des effectifs mamelouks et l’affaiblissement financier
43Le prestige des charges, l’étendue des biens encore accordés à quelques dignitaires mamelouks ont longtemps masqué un effondrement intérieur, des années 1850 aux années 1870, une lente dissolution de l’ensemble du corps des mamelouks par affaiblissement financier et réduction progressive des effectifs. Ce dernier symptôme d’amenuisement du nombre est à la fois le plus parlant et le plus difficile à reconstituer. Aucune archive ne fournit de recensement exhaustif des mamelouks au service des beys. Malgré tout, des premières réformes constitutionnelles à l’installation du Protectorat, la chute des effectifs est patente dans les quelques dénombrements encore conservés. Autour de 1860, six listes nominatives comprenant les mamelouks du sérail totalisaient entre 144 et 179 hommes, incluant des fils dans des hiérarchies par rang militaire102. Deux décennies plus tard, en 1883, les agents du palais ne dénombraient plus que 48 inscrits parmi cet ensemble des mamelouks. En moins de neuf ans, 59 individus avaient été retirés de ces listes : à partir de 1874, 12 d’entre eux (dont 3 ḥājj) étaient décédés, 6 avaient quitté le royaume sur autorisation des beys et un groupe de 29 fils de mamelouks avaient été rayés d’un trait de plume, sans la moindre explication103.
44Au total, de 1860 à 1883, ce nombre de mamelouks avait donc été divisé au moins par trois. Dans l’intervalle, le nombre de mamelouks du vestibule ou du palais pouvait fluctuer d’un registre à l’autre sur une même année, leur ensemble tendait toujours à se restreindre en des périodes plus longues, sur une ou plus de trois décennies. Les kuttāb et financiers qui faisaient état de 88104 à 116105 mamelouks du sérail entre 1859 et 1860 en comptaient 78 autour d’octobre 1868106. Les mamelouks du vestibule qui avaient atteint un maximum de 140 en 1827107 n’étaient plus que 66 en 1882-1883. Ils étaient un peu plus nombreux que ceux recensés dans le registre 3 413 mais ils étaient surtout recrutés parmi des enfants du pays108. Ce tassement, puis cette baisse des effectifs s’expliquaient bien sûr par la réduction progressive des traites d’esclaves, la bureaucratisation du service princier, la part croissante d’administration concédée aux autochtones, toutes raisons déjà examinées dans les chapitres précédents. Mais, à ces longues mutations, il fallait adjoindre d’autres facteurs qui contribuèrent aussi à l’affaiblissement du corps mamelouk.
45Cet épuisement s’expliquait aussi par un phénomène de génération. Des mamelouks employés par ‘Alī Bey, à partir du milieu du xviiie siècle, tels que Rajab Khaznadār, Muṣṭafā Khūjā, Sulaymān Kāhiya Ier, ‘Alī Būzġāya, moururent sous le règne de son successeur109. Ceux, plus nombreux, qui avaient grandi sous l’autorité de Ḥammūda Bāšā (1782-1814) disparurent sur une période plus longue, de 1819-1823, dans le cas de Salīm Khūjā, jusqu’aux années 1860 : Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Yūsuf Amīr ‘Askar Zwāwa vécurent ainsi jusqu’en 1861, 1864 et 1866110. Les ultimes figures mameloukes parvenues jusqu’au rang de ministres s’éteignirent l’une après l’autre aux débuts du Protectorat. Muṣṭafā Khaznadār finit ses jours à La Marsa en 1878. Aḥmad Zarrūq rendit l’âme peu après 1881. Rustum décéda en 1886. Ḥusayn le suivit l’année suivante et Khayr al-Dīn à Istanbul en 1890111. Tunis, pour reprendre le jugement de Mohamed el-Aziz Ben Achour, était « dure à l’égard des élites sociales sommées de se renouveler112 » et plus encore envers les mamelouks.
46Enfin, durant cette même période, des années 1850 aux années 1880, le service de la dawla se révéla de moins et moins lucratif pour les mamelouks les moins favorisés, à mesure que les difficultés financières s’accumulaient sur les comptes de la régence. Ceux du vestibule s’associaient dans des revendications collectives au début de l’année 1862. Ils joignaient leurs voix aux requêtes d’autres corps de serviteurs afin de réclamer la tamra de l’hiver113. Quatre mamelouks, Muṣṭafā et le ḥājj Sulaymān Wardiyān Bāšā, Murād et ‘Uṣmān Ṣāḥib al-Zġaya, réclamaient dans une doléance à leur « auguste » ministre de la Guerre que leurs congénères aient des traitements « semblables » : les mamelouks des troisième et deuxième échelons qui recevaient trente et quarante piastres par mois devaient, eux aussi, obtenir les cinquante piastres affectées aux hommes du premier échelon114. Le chef des mamelouks, le bāš mamlūk Ḥasan, s’alarmait fin janvier 1875 de revenus devenus insuffisants pour sa personne et pour les hommes de sa troupe dans une lettre adressée au ministre de la Guerre, Rustum :
« L’augmentation de cinquante piastres ne suffit pas à un célibataire et encore moins à un père de famille nombreuse comme moi. Après Dieu, je ne vois dans cette affaire qu’un recours opiniâtre auprès de vous115. »
47Courant avril 1882, deux serviteurs des beys se désolaient encore de leur grande peine financière. Leurs traitements avaient été tout bonnement suspendus :
« Aujourd’hui, nous sommes dans une telle situation que nous devons vendre tout ce que nous possédions. Il ne reste que ce qui est mis en gage et qui n’a plus pour nous d’intérêt116. »
48Des chefs de chambrée (uḍā-bāšī) en venaient à vouloir changer de situation. Ḥamda Bū Ḥalfa s’adressait à Khayr al-Dīn, en septembre-octobre 1873, afin qu’il soit « déplacé vers un autre service » ou que lui soit ajouté un autre emploi117. Il n’était pas jusqu’aux ministres qui ne soient affectés par cette interminable crise financière. Des généraux aussi haut placés que Ḥaydar118 ou Aḥmad Zarrūq s’étaient endettés. À la fin de sa vie, le second avait cédé aux Bessis la concession de biens « pour sûreté d’un prêt de 25 000 piastres ». Après la disparition de leur débiteur, les Bessis obtinrent l’immatriculation à leur nom d’un palais carthaginois119.
49Des infortunes comparables frappèrent la descendance mâle des mamelouks. Les fils qui, depuis 1860, avaient été inclus dans le corps de leurs pères pour une seule génération subirent un resserrement de leurs rangs et une dégradation de leurs conditions matérielles ou de leurs patrimoines acquis. De fait, les mamelouks étaient marginalisés à double titre : ils n’étaient pas les seuls à devoir s’éclipser ; les promotions de leurs descendants, tentées entre autres par Muṣṭafā Khaznadār, ne furent pas majoritairement couronnées de succès. Qui plus est, dans le cas exemplaire de ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya, le statut d’héritier, loin de toujours faciliter une ascension, compliquait les relations avec la dynastie husaynide. Les fils de mamelouks et de princesses n’étaient pas des descendants comme les autres.
Des fils à la peine
50Le qānūn du 18 septembre 1860 et le décret du lendemain présageaient dès leur promulgation une réduction naturelle du nombre de fils dans le corps mamelouk, puisque le décret n’autorisait des distributions de vivres et d’équipements qu’aux seuls descendants ayant atteint l’âge de quinze ans120, tandis que la loi excluait, en théorie, les petits-fils de l’accès à ces ressources.
51L’effet de ces délimitations par génération commença, là encore, à être perceptible au début des années 1880. Le nombre de descendants bénéficiant d’avantages matériels réservés aux mamelouks fléchit considérablement de 1860 au début du Protectorat. Dans une des listes les plus riches en mentions de nisba, établie dans le contexte des réformes constitutionnelles, une soixantaine de fils pouvaient être dénombrés sur un ensemble total de 177 serviteurs121. Plus de deux décennies et demie plus tard, ces mêmes fils se limitaient à une trentaine, auxquels venaient s’ajouter une dizaine de petits-fils sur un total de 53 mamelouks122.
52Les enfants de mamelouks ne constituaient, en outre, qu’une minorité des étudiants du collège Ṣādiqī destinés aux diverses fonctions du makhzen : le Journal officiel, qui décrivait une cérémonie de distribution de récompenses par le bey début 1878, ne recensait que fort peu de grands noms mamelouks, tout en réservant une place honorable aux fameuses lignées makhzéniennes des al-Aṣram et des Jallūlī123.
53Autant, sinon plus que leurs pères, des héritiers pâtirent de difficultés financières de plus en plus communes dans la régence. Dès 1868, Muḥammad, le fils du général Rašīd, était jugé incapable de rembourser les 41 400 piastres que lui avait prêtées l’« Algérien Moïse Brahmi ». Le bey arguait qu’il était mineur mais, en cette période, Muḥammad b. Rašīd avait déjà atteint le grade de colonel et il était devenu un père de famille bigame124. Dans le lignage de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, deux des héritiers durent aussi faire face à leurs créanciers. Début 1863, Šāḏilī était impliqué dans une affaire judiciaire pour une créance de 13 622 piastres125. En 1876, Aḥmad faisait l’objet d’une « plainte de Mme Émilie Reddon […] pour prix de bijoux ». Il fut dédouané par Khayr al-Dīn. Le vizir prétextait là encore que « le débiteur n’était pas conscient de la légalité de ses actes » ; « ne pouvant par lui-même administrer sa fortune126 ». Pourtant, le même Aḥmad déboursa 250 000 piastres à Muṣṭafā b. Ismā‘īl pour devenir kāhiya de Bizerte127.
54À un degré inférieur, des fils de mamelouks moins notables étaient acculés à quémander de l’aide auprès de riches protecteurs. En 1863, Muḥammad fils de Salīm Ṣāḥib al-Ṭābi‘ en appela à la bonté d’Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ en mémoire de son père qui lui aussi avait été garde des Sceaux de Maḥmūd Bey. Muḥammad disait avoir été rendu « misérable et vil », cerné qu’il fut par le temps. En plus de l’aide qu’Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ lui prodiguait en prenant sa fille comme nourrice, il réclamait des vêtements et une portion de blé128. Ismā‘īl b. Māmī Uḍā-Bāšī al-Mamālik joua d’un même sentiment de solidarité entre enfants et serviteurs du bey. Il rappela à la princesse Kaltūm la promesse que son époux, Muṣṭafā Khaznadār, avait faite de lui verser un pécule après cinquante ans de bons et loyaux services. Ismā‘īl en avait plus que besoin : « sa famille s’était élargie » et il était en proie à des soucis financiers129.
55La faillite de ces descendants mamelouks signait, pour les plus en difficulté, l’échec d’une volonté de promotion engagée dès le milieu du xixe siècle. Le fils aîné de Muṣṭafā Khaznadār et de la princesse Kalṯūm vécut les deux temps de ces trajectoires, les espoirs de succession et la déception causée par la mise à l’écart. Muḥammad partait de très haut durant le long vizirat de son père : une éducation à Paris, des ambassades et des grades militaires… Assuré de ses hautes protections, il traquait la moindre occasion d’enrichir son patrimoine, de la plus modeste à la plus audacieuse. En 1869, sans doute sur ordre de son père, il arrêtait et pillait une « caravane apportant les contributions du Djérid » et de Djerba « aux portes du palais du bey à Hammam-Lif130 ». L’aîné du vizir s’ingéniait à détourner les deniers de l’État131. Ne doutant pas de sa valeur, il se permettait de passer des commandes pour 1 235 piastres de vêtements dorés en 1871132.
56Ses difficultés s’accumulèrent avec la perte de crédit de Muṣṭafā Khaznadār et le contrôle croissant des Européens sur les finances de la province. Pas moins de deux mois après le pillage de la riche caravane du Sud, en septembre 1869, le Premier ministre tenta « de faire nommer son fils […] à la Guerre ou à l’Intérieur » avant de reculer « devant l’aversion que seul le nom » de son descendant « a rencontrée partout133 ». La chute fut tardive, mais brutale. Après la disgrâce et le procès du Khaznadār, Muḥammad ne représentait plus grand-chose : en 1876, à Istanbul, un médecin français se plaignait auprès de son consul des 4 800 francs de dettes contractées auprès de Sīdī Muḥammad134. Cinq ans plus tard, il était poursuivi en justice par « Abou ben Abdallah de Barnou » pour détention de quatre « négresses135 ». Selon l’avocat du général Ḥusayn, en 1897, les héritiers de Muṣṭafā Khaznadār en étaient venus à s’emparer d’étendues de terres près du port de La Goulette, y creusant des fossés d’enceinte136. Dans ce cas comme dans d’autres, l’ascension du fils n’était qu’un parcours, indexé à l’influence du père. Muḥammad resta redevable de la première dépendance de son père sans parvenir à se constituer d’autres sources alternatives et permanentes de revenus.
57Un exemple plus radical encore, celui de ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya, éclaire cette incapacité de fils de dignitaires mamelouks à prospérer ou pour le moins à conserver un rang à distance du Bardo, quand ils s’éloignent de leurs protecteurs husaynides et lorsqu’ils veulent les affronter. La première vie d’‘Alī b. Sulaymān Kāhiya, son inscription dans les hiérarchies du makhzen dès le début des années 1840 ont d’abord annoncé les promotions officielles à venir de fils de mamelouks. Enfant de Sulaymān Kāhiya et de ‘Azīza Beya fille de Maḥmūd Bey, élevé au palais sous le règne de Ḥusayn Bey137, ‘Alī fut engagé dans le cursus classique des mamelouks avant même la loi et le décret de 1860. Nommé commandant (binbāšī) plus de quatre ans après le décès de son père en 1843, il fut promu major (alāy amīn) en 1846, lieutenant-colonel (qaymaqām) l’année suivante, colonel (amīr alāy) le 17 juin 1855, au début du règne de Muḥammad Bey138, domination et dissolution et āġā de Béja comme son père139. Après une première fugue à Istanbul à l’été 1849140, la seconde moitié des années 1850 fut, pour lui, une période d’apparente prospérité. Sa correspondance avec des « intendants » de ses domaines fourmillait alors d’indications sur les prix et récoltes d’huile ou de blé, des projets immobiliers et les salaires des khammās ou métayers141.
58Néanmoins, l’ancrage de Alī b. Sulaymān Kāhiya parmi les notables du makhzen fut perturbé autour de 1860. Cet enfant des palais se réfugia au consulat d’Angleterre au moment le plus inopportun, alors que la Constitution consolidait l’influence des mamelouks et que la loi reconnaissait de possibles transmissions de charges à leurs fils. Dans un récit de vie qu’il établit dans la maison du consul et qu’il compléta par un long plaidoyer pro domo rédigé en français, ce fils de général révisait l’histoire de son ascendance et la pertinence de ses alliances. Son père Sulaymān Kāhiya n’était pas qualifié de mamelouk. Il « avait amassé sa fortune par le négoce et non par l’oppression du gouvernement tunisien ».
59Cet enfant de princesse entama une déchéance sociale lorsqu’il se mit à briser chacun des liens noués avec les Husaynides. Les beys – jurait-il – ne l’avaient que trop maltraité. ‘Alī accusait Aḥmad Bey et ses successeurs de s’être concertés pour s’emparer d’un des palais hérités de ses parents et vendu pour 27 000 piastres. Ils lui auraient également saisi près de trois cents chameaux d’une valeur estimée à près de 300 000 piastres, un second palais, d’autres maisons et des terres, dont un domaine qu’Aḥmad Bey aurait attribué à son favori Ṣāliḥ Šībūb. L’héritier certifiait avoir été contraint de rompre son mariage avec une fille de Ḥusayn Bey, sœur de Muḥammad Bey. Calomnié par des « hommes de la cour », entraîné dans un conflit avec son épouse, il fut délogé de son foyer et reclus dans le palais du souverain durant sept mois142.
60Un acte notarié du 28 mai 1861 mit fin à l’alliance avec la princesse143. L’époux répudia sa femme et dut lui transmettre la maison qu’il possédait144. Ce jour-là, après deux décennies de service rendu à la dawla, ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya demanda à être déchargé de toutes dignités et de son grade d’amīr. Désormais, il voulait être considéré comme un « habitant quelconque du pays145 ». Le 10 octobre 1861, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey l’autorisait à se rendre en pèlerinage à La Mecque146. ‘Alī disait ne plus supporter le « despotisme » des beys, terme qui apparaissait noir sur blanc dans le témoignage en anglais147. Il avait placé ses espoirs dans la Constitution et cela lui aurait été reproché148. Dans son esprit, la forte dépendance au bey n’était plus tolérable. ‘Alī comprit que l’union avec une princesse et le service rendu au bey étaient intimement liés. À la différence de son père, il ne disposait aux yeux des souverains d’aucune bravoure militaire, d’aucune valeur à monnayer, excepté celle de la loyauté héritée, dérivée et altérée d’une génération à l’autre.
61Dès cette époque, le fils de mamelouk savait que Muḥammad Bey lui avait donné, selon ses propres mots, l’« épithète de fou ». Dans son cas, la situation d’« aliénation » avait changé du tout au tout après la rupture avec les beys. D’un état d’asservissement ou de forte dépendance transmis par son père, ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya était passé à une forme de marginalité et d’incapacité mentale. C’est en ce sens que sa trajectoire fut extrême. Pour cet ancien officier, il n’y eut point de vie après le Bardo : fuyant le « despotisme » des beys, il devint, selon le jugement de ses anciens protecteurs, étranger à lui-même. Rebelle à toute contrainte, à la manière de quelques mamelouks désavoués, ‘Alī se réfugia dès lors à Istanbul. Il déposa en janvier 1864 une pétition pour défendre son héritage auprès du sultan149. Là encore, ‘Alī ne fut pas entendu. Le 23 janvier 1865, le consul turc en poste à Malte délivra un laissez-passer à ce « sujet ottoman se rendant à Tunis avec sa [nouvelle] femme Houri Djihan âgée de 20 ans et son enfant de neuf mois150 ».
62Après son retour dans la régence, ‘Alī ne cessa de déchoir. Au cours d’une nuit du mois de ramadan, en 1867, les policiers (ḍabṭiyya) entendirent un appel au secours provenant de sa maison. Ils retrouvèrent une femme empêchée de quitter les lieux depuis trois jours151. Sa femme « Houri Djihan » n’était plus mentionnée dans les archives. Quatre ans plus tard, en février 1871, ‘Alī frappa et tua, dans son foyer, Ḥalīma b. Ḥamda b. Yūsuf al-Jarbī, une domestique qu’il paraissait avoir épousée152. Le chef de la chancellerie, Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr, reçut du bey l’ordre « d’être présent au Premier ministère les mercredis et jeudis de chaque semaine afin d’examiner » cette affaire153. ‘Alī fut emprisonné jusqu’en février 1879154. Il avait demandé son élargissement dès 1875155.
63À ce point de déchéance, cet enfant de princesse et de général fut malgré tout maintenu sous la protection et le contrôle des hommes du bey jusqu’à ses derniers jours. Ses biens furent gérés par Ḥusayn Āġā156. ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya demanda au vizir Muṣṭafā b. Ismā‘īl l’autorisation de se loger, un temps, au Bardo fin 1879157. Ses parents surtout ne furent pas bannis par les Husaynides. Ils conservèrent leur place dans le makhzen comme si de rien n’était, comme si l’appartenance à la dynastie s’imposait aux enfants au-delà des pères les moins vertueux. La fille de ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya fut recueillie par le beau-frère de ce dernier, le commandant Muṣṭafā Bāš-Mamlūk158. À la mort de celui-ci, en juin-juillet 1875, sa veuve ‘Aīša implorait le vizir Khayr al-Dīn de trouver un emploi à leur garçon Yūsuf « car il est devenu votre fils159 ». Yūsuf œuvra à son tour à la libération de son oncle160. Enfin, Sulaymān, descendant de ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya, fut nommé lieutenant-colonel (qaymaqām) par ‘Alī Bey, le 21 juillet 1885161.
64La trajectoire singulière de ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya ne peut être généralisée. Comparé aux mésaventures de Muḥammad b. Muṣṭafā Khaznadār ou d’un Ismā‘īl b. Māmī Uḍā-Bāšī al-Mamālik, son épilogue démontre cependant que, au-delà de la marginalité sociale, ou de la réduction du nombre des fils dans le corps d’origine de leurs pères entre les années 1860 et 1880, la maison des Husaynides n’a jamais renoncé à une protection et à un contrôle de ces hommes, de leurs biens et de leur descendance. Que ces fils aient voulu ou non succéder à leur père, se maintenir au service de la dawla ou s’en éloigner, leur position sociale, leur identité se sont définies en lien avec la dynastie beylicale. Malgré leurs difficultés financières, la disgrâce de leurs parents ou des choix rares de rupture avec le Bardo, les fils de mamelouks ont été les instruments consentants ou réfractaires d’une transition plus ou moins douce, d’une mutation des relations aux tenants de l’autorité, d’une dissolution du corps des mamelouks dans le makhzen et dans la descendance du pays.
65Pour mieux saisir cette immersion définitive dans un ensemble de sujets, il faut suivre des mouvements plus larges parmi d’autres groupes d’hommes au service des beys. Les mamelouks ne furent pas les seuls à connaître un âge d’or paradoxal : les membres de vieilles familles makhzéniennes, de grand renom, ont alors été secoués par des disgrâces ou des difficultés financières. D’autres ensembles ont bénéficié de ces réaménagements. Des enfants du pays, dont des sujets juifs servant de longue date au Bardo, ont été promus à la faveur des réformes constitutionnelles et des protections consulaires. Ils ont occupé des tâches qui revenaient naguère à des convertis à l’islam ou des captifs chrétiens.
La promotion des enfants du pays
66Au moment où des dignitaires mamelouks étaient distingués ou exécutés sur volonté de leurs maîtres, des membres de vieilles familles makhzen étaient ruinés ou poussés à la fuite. Liée au pouvoir depuis les temps hafsides, la famille ‘Asfūrī croula sous les dettes à la fin du règne d’Aḥmad Bey162. En faveur auprès de ce souverain, les b. ‘Ayyād cherchèrent à être protégés par les puissances européennes163. Élevé jusqu’au grade de chef des ḍabṭiyya, Ḥasan al-Magrūn, issu d’une famille chérifienne de Msaken, trouva refuge auprès du consul d’Angleterre, le 10 août 1866 : il ne parvenait pas à honorer une contribution de 100 000 piastres qui lui avait été réclamée164. Il faudrait encore multiplier ces exemples pour reconstituer le sens commun de ce recul des vieux lignages au sein du makhzen. Dans chacun de ces cas, des enfants de grandes maisons qui avaient servi d’intermédiaires et qui avaient contribué à l’extension de l’autorité beylicale ne semblaient plus d’un grand secours au Bardo. Les membres de ces familles et les mamelouks ont pâti de mutations similaires. Les formes de recrutement de plus en plus impersonnel des serviteurs ont sans doute aussi contribué à dissocier, au sein de ces mêmes familles, l’exercice de l’administration publique et la gestion des affaires familiales. L’administrateur du temps des réformes aurait alors été davantage appelé à se consacrer aux affaires de l’administration qu’à y mêler les intérêts de sa maison.
67Le troisième ensemble qui se retrouvait au Bardo aux côtés des mamelouks et des membres de famille makhzen, l’ensemble des religieux, a aussi subi un amoindrissement de son rang et de sa fonction. Bien sûr, comme l’avait rappelé Arnold Green dans une étude sur les ulémas tunisiens entre 1873 et 1915, les beys n’avaient cessé de recourir aux hommes de religion pour maintenir leur autorité sur les sujets de la province165. Seulement, les motifs d’affaiblissement de ce groupe, perceptibles dans la première moitié du xixe siècle, étaient encore plus marquants dans les décennies suivantes. Les savants en religion se distinguaient moins par leur liberté de parole. À titre symbolique, les membres du « tribunal charaïque » étaient exemptés du baisemain, mais par une « dégénérescence » qu’André Demerseeman datait du règne d’Aḥmad Bey, des šuyūkh durent « baiser les mains de jeunes garçons, fils et frères du bey166 ». Par la suite, après réglementation de cette pratique, les membres de l’instance charaïque de Tunis devaient donner l’accolade au souverain ; les enseignants de la grande mosquée de la Zitouna lui embrassaient l’avant-bras tandis que les magistrats de la province et les imams des mosquées lui baisaient « le dos de la main, à hauteur du poignet167 ». Ces figures de la dévotion et du savoir sollicitaient encore la générosité ou l’entregent des principaux mamelouks. À la fin du mois de juillet 1860, ‘Abd al-Qādir b. al-Ḥājj Aḥmad al-Bārūdī demanda à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ le versement de 500 piastres qui lui revenaient du bey Muḥammad car, disait-il, « nous connaissons votre affection pour lui et celle qu’il avait pour vous168 ».
68Les ulémas, surtout, voulurent se maintenir à distance de nouvelles institutions n’ayant que peu de lien avec le savoir religieux. Au temps des réformes constitutionnelles, ils prirent soin d’éviter toute présence dans les commissions convoquées par les souverains sur les nouvelles lois du royaume. En 1857, Muḥammad Bey ne voulait pas les associer à la « commission chargée de préparer les règlements » du Pacte fondamental, pour ne pas avoir à affronter « une trop vive opposition de leur part ». Muṣṭafā Khaznadār fit comprendre à son maître la nécessité d’obtenir leur approbation afin de faire accepter les réformes par ses sujets. Des muftis assistèrent alors à la première séance de la commission. Il leur fut ainsi demandé « de tourner les prescriptions formelles de la loi musulmane » « au sujet des blasphémateurs, des renégats et des témoignages des chrétiens » et ils ne revinrent pas à la deuxième séance. Puis les jurisconsultes furent excusés. Ibn Abī al-Ḍiyāf regretta leur retrait. Selon le chroniqueur, ils avaient « perdu l’occasion de valoriser la science […] ; bien plus, ils se sont considérablement écartés de leur voie169 ».
69Au début de son règne, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey toléra tout autant leur absence des consultations juridiques170. Khayr al-Dīn tenta bien de replacer la gestion des habous entre leurs mains en 1874171, mais un sentiment de méfiance et une volonté d’autonomie amenaient les ulémas à s’éloigner du palais. Des hommes tels que Muḥammad Bayram V faisaient exception à ces attitudes de prudence. Cependant, à partir de 1882, le bāš kātib ne fut plus choisi parmi des hommes qui avaient suivi une formation religieuse172. Leurs volontés singulières ne suffirent pourtant pas à instiller dans les nouveaux organes du pouvoir ces qualités si diamétralement opposées à celles des mamelouks, cette part d’autonomie et cette capacité de remontrance dont les šūyūkh n’avaient cessé de se targuer durant des décennies.
70À côté de ces élites bousculées, d’autres catégories de sujets voyaient leur sort s’améliorer et leur ascension se confirmer. Parmi eux, les Juifs, qui étaient présents de longue date dans l’administration beylicale, dans les services de comptabilité, ou les fermes telles que la dār al-jild, commencèrent à bénéficier d’une plus grande visibilité dans les sources en langue arabe et en langue européenne173. Le Pacte fondamental et la Constitution leur garantissaient des droits, leur fournissaient l’autorisation de posséder des immeubles et des propriétés foncières174. La détérioration des finances des sujets et de l’État, les besoins en liquidités, la recherche de prêts contribuaient à l’édification de quelques fortunes175. Vers 1866, Ibn Abī al-Ḍiyāf certifiait que les plus grosses richesses de Tunis étaient entre les mains de Juifs176. Le consul Duchesne de Bellecourt assurait pour sa part que toute l’administration des finances du vizir Muṣṭafā Khaznadār était tenue par les Israélites177.
71L’irruption en pleine lumière de sujets jusque-là relégués aux seconds rôles ne pouvait s’expliquer par les seules protections consulaires ou par l’acquisition de nouveaux droits d’inspiration européenne. L’inclusion de certains de ces Juifs dans les premiers entourages des beys, dans les clientèles de quelques dignitaires mamelouks tels que Muṣṭafā Khaznadār a aussi pu être facilitée par leur capacité à se situer entre deux configurations du service princier. D’un côté, par leur religion minoritaire, par l’étanchéité de leurs lignages à toute alliance avec des musulmans autochtones, les quelques Juifs des beys ou de leur vizir ont pu perpétuer encore pour un temps une ancienne propension à diviser et répartir des emplois entre groupes ethniques ou entre catégories définies par des degrés de dépendance. D’autre part, ces hommes bénéficiaient d’un phénomène plus large de promotion de l’ensemble des enfants du pays, mais aussi de recrutement de protégés d’autres puissances, recherchés pour leurs compétences techniques.
72Certains se situaient à la croisée des chemins : fils de rabbin, Nasīm Šamāma fut d’abord un domestique et un caissier des b. ‘Ayyād avant d’entrer au service de Muṣṭafā Khaznadār au début des années 1850 et de devenir directeur des finances en 1860178. Élie Sebag, factotum d’un « vice-gouverneur », puis « caissier ou receveur-payeur d’un fermier », parvint à seconder Nasīm Šamāma pour les fermages de Sfax179. D’autres ont fondé leur influence sur un savoir acquis et reconnu à l’étranger : un des médecins et conseillers d’Aḥmad Bey, le Juif livournais, Abraham Lumbroso, avait quitté la régence dans son adolescence afin d’obtenir un diplôme d’une université toscane180. De fait, s’il paraît fort tentant de faire de quelques Juifs de nouvelles figures de mamelouks, il semble plus fructueux de les replacer à l’intersection de plusieurs ensembles de serviteurs autochtones et européens, experts ou favoris.
73Les Juifs de Tunis suscitaient l’envie. Les affaires judiciaires les impliquant s’accumulaient. Selon Abdelhamid Larguèche, ces sujets protégés des beysétaient visés dans plus d’un tiers (35,2 %) des 513 agressions recensées dans les registres de police de Tunis pour le seul mois d’octobre 1861181. Les crispations et les rancunes suscitées par de flamboyantes réussites juives se nourrissaient du sentiment trouble d’une inversion de l’ordre des choses. Sur le tard, dans les années 1880, une haine des Juifs cultivée par le général Ḥusayn s’alimenta des réflexions antisémites d’Édouard Drumont, signe, là encore, d’une nouvelle appréhension moins déterminée par des critères religieux qu’en fonction de conceptions sécularisées, articulées au cadre émergent de la nation. Le général méprisait de longue date les Juifs de la régence : en 1860, au grand regret d’Ibn Abī al-Ḍiyāf, il ne les avait pas jugés aptes à siéger au sein du Conseil suprême182.
« Tous ceux d’entre eux qui manifestent des signes de richesses répondent aux bienfaits du pays par l’antipathie et l’ingratitude. Ils se donnent l’apparence extérieure des étrangers afin d’échapper aux lois du pays pour toutes les contributions. Ils travestissent leur identité pour induire la police en erreur ou bien ils cherchent un moyen de se soustraire entièrement aux lois du pays […]183. »
74Par la suite, dans sa correspondance avec Khayr al-Dīn, il proclamait ne pas vouloir être « inférieur aux Juifs184 ». Il était d’avis de ne pas maintenir de « caïd des Juifs » afin de mêler cette communauté au reste des habitants de la régence185. Sa colère visa surtout un de ses financiers, Léon al-Malīḥ, qu’il maudissait pour avoir fui avec ses comptes en 1883186 et pour s’être emparé d’une propriété foncière en 1887. Les insultes ne suffisaient pas à apaiser l’ire du général. Quelques mois avant de mourir, Ḥusayn recommandait à Khayr al-Dīn de lire la France juive qu’il lui envoyait par la poste187.
75Dernier ensemble à avoir bénéficié de ces réaménagements du service princier, incluant d’ailleurs la minorité juive : la grande majorité des enfants du pays. Leur montée en puissance, déjà perceptible tout au long du règne d’Aḥmad Bey, se confirma à tous les échelons du service beylical, de la proximité des princes à la domesticité des palais. Des hommes nouveaux, qui ne semblaient partager aucune origine commune avec les Turcs et les mamelouks, étaient choisis comme aides de camp par le souverain, les princes et le vizir de la dynastie husaynide. En février 1864, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey et Muṣṭafā Khaznadār étaient assistés de trente-trois aides de camp : six étaient des mamelouks, douze étaient des descendants de mamelouks, un seul dévoilait une origine turque par sa nisba et quatorze autochtones ne paraissaient marqués par aucune appartenance au corps des mamelouks.
76Parmi ces hommes, il fallait distinguer, outre le favori Muṣṭafā b. Ismā‘īl, Muḥammad Bakūš, un proche du vizir d’abord promu par Aḥmad Bey, et surtout al-Ṭāhir Zawāš188. Ce dernier fut un proche de ‘Alī Bey, le premier souverain accédant au trône au temps de la colonisation. Jouissant d’une « grande influence » sur l’esprit de son maître, il devint son principal conseiller189, le « chef de sa maison militaire et civile » et, selon le consul Roustan, l’« âme de toutes les intrigues nouées » avec l’Italie190. Sur pression du représentant français, le prince se sépara de Zawāš en juin 1881. « Cette mesure, notait Roustan, a été d’autant plus remarquée que des liens de parenté existent entre Ali-Bey et son ex-Conseiller, dont le fils était devenu le gendre du Prince191. » Ces positions de gendre commençaient en effet à être acquises par de nouvelles figures. Des fils du pays en vinrent à remplacer les mamelouks dans les alliances avec les filles de la maison husaynide. Ces mutations qui avaient concerné l’entourage des sultans à Istanbul et des vice-rois au Caire192 touchèrent Tunis avec l’établissement du Protectorat. Le passage des gendres mamelouks aux gendres notables s’opéra dans les premières décennies du xxe siècle193.
77Cet enracinement de l’ensemble du makhzen fut semble-t-il encouragé par Khayr al-Dīn194. Si cette politique ne pouvait être systématisée en une « tunisification des cadres », impliquant selon l’expression de Mongi Smida une « œuvre d’assainissement […] du personnel administratif195 », ses effets pouvaient du moins être illustrés par des promotions notables de fils du pays à des fonctions d’encadrement de l’administration et de l’armée. Le vizir s’appuya ainsi sur d’anciens élèves du Bardo, dont Muḥammad al-Qarwī, Ḥasūna b. Muṣṭafā ou ‘Uṯmān Hāšim196.
78Dès la fin des années 1870, le consul Roustan, d’ordinaire si sévère à l’égard de l’administration beylicale, reconnaissait l’émergence d’un ensemble de « fonctionnaires tunisiens », un « groupe d’hommes aux idées plus larges, aux tendances civilisatrices197 ». Par cette expression de « fonctionnaires tunisiens » qui émaillait sa correspondance198, le diplomate se situait dans la lignée de Campenon et de Beauval. Il entendait distinguer ces hommes des anciens mamelouks. Dans son esprit, ces agents ne s’assimilaient plus à des serviteurs dépendants des beys. Les deux groupes n’étaient plus liés que par un même apprentissage au temps des réformes. Ces ensembles émergents au cours des années 1860 et 1870 ont pour l’heure peu été explorés hors de leurs premiers cadres d’apprentissage, de l’école du Bardo, puis du collège Ṣādiqī. Leur ascension semble avoir été masquée par les perturbations du temps : l’occupation française, les collaborations d’agents du makhzen.
79De moindre importance, située à des échelons inférieurs du service beylical, la domesticité des palais a, de la même manière, peu suscité d’intérêt en cette période trouble. Pourtant, ce sont ses rangs qui se délestèrent alors avec le plus de netteté des derniers esclaves et se peuplèrent de fils du pays. Dans une dynastie qui avait longtemps conçu son service pour partie comme une prolongation de son organisation domestique, ces transformations en apparence secondaires participaient aussi à des réaménagements profonds du makhzen. Dans ces cas particuliers, les autochtones n’endossaient pas les habits neufs du fonctionnaire, ils se glissaient dans des emplois et des postures qui avaient été conçus par le passé pour des captifs. En 1882-1883, tous les mamelouks du vestibule étaient des fils de mamelouks ou, plus largement encore, des enfants du pays199.
80Ce processus avait atteint le corps des muchachos deux décennies auparavant. L’ensemble des muchachos ne comptaient plus qu’une minorité d’Italiens au cours des années 1860 : deux dans le sérail de la capitale200, trois sur quinze dans une autre liste201, douze sur cinquante-six dans le sérail du bey dont les gardes-pipe Baptiste ou Antoine, le cuisinier Ernesto, le cafetier Salvador202. Tous les autres valets portaient des noms de musulmans : certains étaient noirs203, turcs, albanais, ou originaire de Testour204. L’un des chefs muchachos, Bakār b. Sulyamān Wārda Mūšāšū, demandait à enrôler son fils dans son corps de service. Trois ans après avoir atteint le modeste rang de chef de ce corps (wārda mūšāšū), Bakār se plaignait de sa situation auprès du chef de la garde, ‘Allāla b. Frīja. Il était dans la nécessité. Il n’avait pas reçu sa tenue, ni même le traitement de 60 piastres versé à son prédécesseur205.
81À lui seul, ce dernier cas illustrait la capacité d’adaptation des groupes au service des beys, leur aptitude à faire du neuf avec du vieux. Le corps des muchachos n’avait plus de latin que son nom générique. Renouvelés par des arrivées d’Italiens, à chaque génération jusqu’aux années 1830, ses rangs pouvaient désormais s’étoffer par hérédité, au sein de la régence. Il en allait de même pour chacun des ensembles évoqués dans cette sous-partie. Alors que le corps des mamelouks tendait à s’affaiblir, ses rangs étaient renouvelés par des enfants du pays. Les lignages d’un makhzen en recomposition héritaient d’une culture du service forgée au sein du palais. Distingués dans cet ensemble majoritaire, des ulémas et des sujets juifs perpétuèrent également des traits constants du service beylical qui avaient contribué en leur temps à la formation du corps des mamelouks : des formes de répartition des charges selon l’origine ou la confession, et surtout le maintien d’une distance à l’égard du sérail.
82Le corps des mamelouks fut absorbé dans ces réaménagements du makhzen et selon des dynamiques plus larges encore : par un resserrement du monde et du fait de l’enracinement de l’ensemble de la hiérarchie beylicale, qui rendait peu à peu anachronique un corps de serviteurs longtemps conçu selon d’autres usages de l’autochtonie et de l’extranéité.
LE RESSERREMENT DU MONDE
Quand le lointain se rapproche
83La perpétuation de relations avec de lointains foyers d’origine ne fut pas chose nouvelle pour les mamelouks dans la seconde moitié du xixe siècle. Dans la province de Tunis et dans d’autres parties de l’Empire, l’origine géographique d’un captif converti avait toujours été proclamée dans des laqab (surnoms, titres, titulatures) ou rappelée dans les notices biographiques des chroniques historiques, que cette origine fût ou non véridique. Aux palais, les appartenances ethniques animaient le regroupement en coalitions d’intérêt206. Dans la conversation de tous les jours, les souvenirs de la première patrie ressurgissaient : au milieu du xixe siècle, ‘Alī al-Mamlūk ne parcourait jamais une carte de l’Asie avec le capitaine Daumas sans lui montrer les « environs de Mamaï », « dans la grande Abasie », « comme les lieux de sa naissance207 ».
84Certains ne se contentaient pas de ces lointaines évocations. Ils établissaient des correspondances avec leurs parents naturels. Lorsqu’ils trouvaient une position de choix dans les palais, ces mamelouks réussissaient à faire venir leurs anciens proches dans leur terre d’adoption208. Devenu chef des mamelouks (bāš mamlūk), et s’étant imposé sur le vizir al-‘Arbī Zarrūq dès 1822, Ḥusayn Khūjā plaça ainsi tous les « gens de son pays », tous les Siciliens et les Napolitains qu’il affectionnait à des tâches de confiance auprès du bey, en tant que « garde-pipe », « échanson » ou « cafetier209 ».
85Mais au cours du xixe siècle, les efforts de regroupement des proches à Tunis, la volonté de rétablir des relations avec les patries d’origine remirent en cause de façon croissante les sentiments de fidélité et de loyauté qui liaient les beys à leurs mamelouks, à mesure que l’intervention diplomatique européenne s’intensifiait et que la nature des relations de vassalité avec Istanbul était redéfinie. En 1832, Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ ne put supporter que Muḥammad Khaznadār n’ait demandé aucune autorisation avant de faire venir sa mère à Tunis210. Le vizir discernait dans la conduite de son mamelouk un geste de désobéissance, la rupture d’un lien de fidélité exclusif. Muḥammad Khaznadār pouvait être accusé de préférer la maternité naturelle à la paternité fictive. Il fut, au final, contraint d’éloigner sa mère du Bardo ; il l’installa dans une des ruelles de la casbah de Tunis, devenue plus tard une « impasse des Chrétiens211 » !
86Ces perturbations dans les conceptions du proche et du lointain eurent des effets variables sur les trajectoires des mamelouks. À partir de son entrée au Bardo, dans les années 1810, Salīm Corso n’avait pas souffert de sa proximité géographique avec ses parents naturels. Ce renégat corse devint colonel, caïd et doyen des mamelouks en 1866, alors même que sa sœur Thérèse et son frère Antoine avaient vécu « dans la foi de leur père » dans la province de Tunis et que le beau-fils de Thérèse, André Mattei, était devenu vice-consul entre autres du Danemark et des Pays-Bas dans la ville portuaire de Sfax212. Mais Salīm Corso alias Joseph Marini perdit tous ses repères au milieu des années 1860, lorsqu’il se sentit marginalisé dans un makhzen dominé par Muṣṭafā Khaznadār. Le bey avait décidé de l’exiler à Alexandrie, mais le mamelouk dévia sur un vapeur anglais vers l’île de Malte. De là, il se rendit « au Consulat de France pour prendre une patente de protection française ». Le représentant en poste sur l’île lui nia ce droit en doutant de « ce qui pouvait lui prouver [une quelconque] nationalité corse ». Salīm Corso comptait bénéficier de cette protection pour se rendre à Bône et se « rapprocher de Tunis où sont ma femme, ma fille et mes enfants213 ».
87Éloignement contraint, détour par des États voisins, volonté de se rapprocher des terres de la régence : ce mamelouk tournait autour de Tunis tout en ne parvenant ni à se faire reconnaître d’autres identités, ni à s’éloigner de sa famille installée dans la régence. Salīm Corso n’était plus un mamelouk recruté pour ses origines étrangères, il était devenu un autochtone de la régence. Il n’avait pas cultivé un sentiment d’appartenance au monde ottoman au point de terminer ses jours en Égypte. Il n’avait songé à la protection française que pour se maintenir non loin de son foyer. Il était de ces mamelouks qui avaient réduit leur champ d’horizon à leur seule terre d’adoption.
88Dans le cas de Muṣṭafā Khaznadār, c’est, d’une manière toute différente, un problème de confusion qui se posait, entre la loyauté au gouvernement tunisien que ce vizir dirigeait et un intérêt pour la destinée de son pays d’origine. Le khaznadār avait su s’attirer les fidélités de multiples agents en France, en Italie et à Istanbul. Il avait aussi et surtout réussi à entretenir des relations suivies avec ses parents restés sur l’île de Chios. Il y était né sous le prénom de Georges et avait quitté cette terre avec son frère Jean, après les massacres de 1821 et la mort de son père Stephanis Kalkias Stravelakis214. Trois décennies après cette séparation, en 1850, Muṣṭafā Khaznadār informait un négociant marseillais qu’il avait reçu les lettres de condoléances pour la mort de Jean devenu Aḥmad215. Une de ses lettres émanait de son troisième frère resté à Chios : Constantin (Qaṭiṭiyān Khādikiyās) demandait des explications sur ce décès avant de saluer le vizir et Khayr al-Dīn216.
89Mais ces échanges épistolaires n’étaient pas seulement consacrés aux affaires de famille. Dix-sept ans plus tard, le 27 avril 1867, le fils de Constantin, Jean (qui portait le même prénom que son parent défunt), écrivait à Muṣṭafā Khaznadār pour s’excuser de ne pas avoir donné de nouvelles à son oncle comme cela lui avait été demandé. Iānī Khādikiyās ne se contentait pas de relayer la joie de ses compatriotes de voir son oncle distingué par l’« empereur des Français », il lui apprenait que son frère Diyāmantis viendrait en personne à Tunis lui exposer « tous les agissements d’[un certain] Mumtāz Efrendi à Constantinople qui a révélé une vive inimitié à l’égard de votre Excellence et de votre intendant (wakīl)217 ».
90Fin 1867, Jean s’inquiétait de la reprise des hostilités à Candie, des préparatifs militaires en Serbie et d’un conflit à venir avec la Grèce. Le neveu du vizir avait suivi la destitution du gouverneur Muṣṭafā Bāšā, son remplacement par « Remji Effendis » à qui il avait rendu visite pas moins d’un quart d’heure avant d’avoir achevé la rédaction de sa lettre. Conscient de sa notabilité, Jean Chalkis notait que le gouverneur l’avait bien accueilli. Il proposait de faire convoyer du blé vers Tunis si son oncle jugeait cela nécessaire218. L’importance de ces considérations publiques pouvait étonner. Pourquoi fallait-il tenir le khaznadār informé des aléas d’une île si lointaine ? Constantin, puis Jean misaient sur l’influence d’un vizir qui était devenu leur principal bienfaiteur219 et qui avait acquis, selon les autorités françaises, de grandes propriétés sur l’île de Chios220. Mais jusqu’à quel point ce dernier pouvait-il concevoir une intervention en Orient qui ne prenne pas en compte les intérêts de ses maîtres ? Le vizir était-il à même de conduire avec un territoire du centre impérial une politique distincte de celle de son gouvernement ?
91Des mamelouks des beys de Tunis, sensibles au devenir de leurs premiers foyers, insérés dans des relations de patronage, de famille ou d’amitié, en lien avec des représentants des puissances européennes, expérimentaient ce que des communautés non musulmanes et protégées des sultans affrontaient au jour le jour en Orient : les effets répétés d’interventions extérieures de représentants diplomatiques, de médiateurs culturels ou religieux ; les tensions entre des aspirations identitaires et une loyauté due à leurs premiers protecteurs.
92Quelques-unes des préoccupations du Journal officiel tunisien (dirigé dans un premier temps par le général Ḥusayn) reflétaient bien cette pluralité d’intérêts. Le Rā’id al-Tūnisī réaménageait dans ces colonnes une des dimensions de l’adab, un goût ancien pour la chronique historique et l’érudition sur le passé musulman. Ses numéros offraient ponctuellement aux lecteurs de courtes notices qui mettaient en valeur les mamelouks et janissaires des temps passés : les petits mamelouks qui avaient bénéficié d’une éducation coranique au côté du calife Mu‘taṣim bi-llāh221 ; les janissaires qui avaient fondé la puissance de l’Empire ottoman222… Le périodique commença, par ailleurs, à relayer les craintes ottomanes sur le sort des populations caucasiennes passées sous l’influence des autorités russes. Quelques brèves suivaient le combat des Circassiens en 1863223. Un appel à la solidarité était publié au début de l’année 1864 afin de collecter des dons « en faveur des frères Tcherkesses » qui « luttent pour protéger leur patrie224 ». Tournant les feuilles de ces journaux, dans une compression de l’histoire et de l’actualité, quelques lecteurs pouvaient explorer d’une colonne à l’autre un passé mamelouk et se lamenter sur la condition de leurs anciens compatriotes.
93En ces temps de cosmopolitisme ou d’impérialisme accru, avec l’émergence des nations, que signifiait encore la condition de mamelouk ? Certains, à partir des années 1830, avaient préféré la protection consulaire puis le rapatriement, fragilisant la position de leurs pairs restés à Tunis. D’autres tels que Salīm Corso avaient compris qu’ils ne trouveraient d’autre refuge qu’aux côtés de leur famille dans leur pays d’adoption. Un dernier groupe enfin continuait à cultiver des relations avec un premier foyer d’origine, au risque de développer des gestes de protection politique qui n’avaient plus grand rapport avec ce qui leur était demandé au service des beys.
94Au final, des États qui eurent tendance à se définir par l’autochtonie amenaient donc les uns et les autres à se situer dans ou hors d’un cadre imposé. Ces ébauches d’État-nation engendraient des « enfants du pays » et laissaient de côté des apatrides, des êtres privés d’une « place dans le monde », posant la question du droit « à appartenir à une communauté organisée quelconque225 ». Entre le cadre de la régence et la terre étrangère, Istanbul et Le Caire, à un second degré, offrirent des refuges intermédiaires qui contribuèrent à atténuer la dépendance des mamelouks à l’égard de leurs beys de Tunis.
Le repli sur Istanbul
95Les liens des mamelouks avec Istanbul étaient aussi anciens que l’entretien de relations avec les foyers d’origine. Les premiers « renégats » qui s’étaient hissés à la tête des provinces barbaresques avaient fait allégeance aux sultans. Cependant, vue de Tunis, la nature de ces rapports avec le pouvoir impérial ne fut mieux connue qu’à partir des dernières décennies du xviiie siècle. Dès lors, contrairement à ce qu’a avancé Asma Moalla dans une étude qui replaçait l’eyālēt de Tunis selon une perspective ottomane, il n’y eut pas au Bardo de « mamelouks ottomans » maintenus « sous la juridiction de la Porte ». Aucun d’entre eux ne voyait sa vie protégée par le sultan. Les archives ne laissent trace d’aucune succession en déshérence revenant au trésor impérial226. Cette possibilité ne fut évoquée que dans une polémique tardive entre Paris, Tunis et Istanbul à propos de l’héritage du général Ḥusayn, revendiqué à la fin des années 1880 par ‘Alī Bey et les autorités turques.
96Selon le droit de patronage, les légataires ne pouvaient être que les beys, mawlā des convertis et affranchis. Les hommes acquis à Istanbul et en Anatolie n’étaient pas des serviteurs formés par le sultan, mais des hommes convoyés par des émissaires des beys ou de leurs proches. Une fois soumis à l’obéissance des beys, ils devenaient, comme chacun des habitants non européens de la régence, des sujets ottomans au « second degré », pourrait-on dire, reconnaissant l’autorité des gouverneurs de la province et de facto la prééminence des sultans. En voyage à Istanbul, les serviteurs de la maison husaynide représentaient Tunis et recherchaient l’appui des agents des sérails et de la Sublime Porte. Une série de missions témoignent d’ailleurs de ces positions médianes. Lorsqu’il aborda le détroit du Bosphore, en 1795, Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ décida d’« afficher au plus haut » le sanjak de Tunis. Il n’accéda pas à la demande du qabṭān bāšā quilui demandait de le retirer. Mais le vizir ne se maintint pas longtemps dans ce registre de la confrontation. Selon l’expression d’Ibn Abī al-Ḍiyāf, « il attacha ses mains aux cous des hommes de la dawla227 ». Quatre décennies plus tard, Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ partit chercher un firman d’investiture pour Muṣṭafā Bey, le 13 juillet 1835, le vizir revint le 24 novembre avec le firman, honoré pour sa propre personne du modeste grade de colonel (amīr alāy)228.
97À distance d’Istanbul, retenus par leur loyauté à la maison husaynide, les principaux serviteurs des beys parvinrent pourtant à tisser des réseaux efficaces d’informateurs et d’intermédiaires entre le centre de l’Empire et la province. Les vizirs s’appuyaient sur des ukalā’229, ou des qabī kāhiya qui exposaient « aux ministres ottomans les requêtes de ceux qu’ils représent[ai]ent ». Des Djerbiens tels que Muḥammad b. Qāsim Mutannī ou ‘Umar b. Yaḥiyā Arwāy endossèrent ces rôles de médiateurs230. Le père du second, Yaḥiyā Arwāy, dont la correspondance est conservée aux Archives tunisiennes pour les années 1855 à 1873, rapportait au khaznadār les événements marquants de la vie du sérail, dont les funérailles du sultan ‘Abd al-Majīd en 1861231.
98À force de visites, à force de liens indirects par le biais d’émissaires, Istanbul apparut surtout, au cours du xixe siècle, comme l’un des principaux refuges pour les mamelouks en fuite, en disgrâce ou bien en quête d’un rebondissement de carrière hors de la province de Tunis. Un des départs les plus remarqués, dès le règne de Ḥammūda Bāšā, conduisit le lieutenant Ismā‘īl Kāhiya d’abord vers l’Égypte, puis à Istanbul où, tel un mercenaire, « il s’éleva aux plus hautes fonctions » avant de devenir pacha dans le Šām. De là où il se trouvait, le kāhiya n’oublia jamais son ancien territoire d’adoption :
« À chaque fois qu’il voyait un des habitants du pays de Tunis qui lui était cher […], il l’aidait dans son exil. Il n’avait eu de mauvaises paroles sur Tunis ou sur l’un de ses hommes. Quand on l’interrogeait sur les raisons de son départ, il disait : “Cela était écrit”232. »
99Les tentatives d’« exil » qui suivirent et qui défrayèrent tout autant la chronique d’Ibn Abī al-Ḍiyāf ne se conclurent pas par des ascensions aussi brillantes. Elles plongèrent d’anciens partisans de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ dans la plus grande détresse. Après l’exécution du vizir le 12 septembre 1837, Qāra Muḥammad fut dépouillé de son uniforme, embarqué avec les richesses qu’il avait amassées dans un navire qui voguait vers l’Orient. « Il servit dans l’armée d’Istanbul comme colonel et mourut (en Égypte), où il fut condamné à mort par un tribunal militaire pour crime de haute trahison […]233. » Un autre des grands mamelouks fidèles à Šākīr, Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, put quitter la régence après avoir « réalisé sa fortune » et divorcer de la nièce de Muṣṭafā Bey. Il ne fit que passer par Istanbul. Expulsé, il revint vivre à Tunis dans des « conditions pénibles jusqu’à sa mort234 ». Enfin, un troisième personnage, Muḥammad Šūlāq, ne parvint pas même jusqu’au Bosphore. Ses biens vendus, il se rendit « à Alexandrie et au Caire où il se maria ». Il erra par la suite « dans différents pays avant de s’installer à Tripoli ». Aḥmad Bey refusa d’autoriser son retour à Tunis. Il mourut sans laisser de descendance.
100Même lorsqu’ils se concluaient sur de tels échecs, par une marginalisation sociale ou par un retour dans le beylik, tous ces parcours établissaient une géographie des déplacements peu explorée dans l’historiographie de la Tunisie, tant le passé du beylik a été pensé à partir d’un territoire national, délimité, maîtrisé, en prenant rarement en compte l’exil ou l’étendue d’une diaspora vers l’Orient235. Ces mobilités démontraient la force des relations avec les autres espaces arabophones et en premier lieu avec l’Égypte, province centrale qui pouvait constituer une étape transitoire dans la route menant à Istanbul ou ramenant à Tunis. En 1860, un ancien mamelouk des beys husaynides, Muḥammad Kūšk, qui avait pour projet de revenir dans le pays de ses ancêtres, en Circassie, s’arrêta au Caire, dans la mosquée d’al-Azhar, afin d’y étudier et de prier236. Le turc et surtout l’arabe, langues d’usage au service des beys, guidaient alors les pas des fugitifs et des bannis.
101Par leurs destinations et leurs ambitions, ces itinéraires redessinaient les trajectoires des premiers « renégats turcs » du xvie siècle et du début du xviie siècle. Mais tout comme le renforcement des liens avec les foyers d’origine, le rapprochement avec les métropoles d’Empire fragilisait et interrogeait le lien de subordination aux beys. Il y avait d’autres employeurs que les Husaynides. Un avenir était possible après les beys. Des mamelouks cherchaient à nouveau à circuler entre des dignités provinciales et des carrières impériales. À la fin des années 1850, Dilāwār Bey décida de s’installer à Istanbul. Caucasien, acquis dans l’enfance par Aḥmad Bey, maîtrisant aussi bien l’arabe que le turc, ce mamelouk avait bénéficié d’une instruction dans les sciences navales en Italie. Il fut engagé dans la flotte beylicale « en Turquie, pendant la guerre de Crimée ». Selon Andreas Tunger-Zanetti, son émigration avait dès lors pu être motivée par « les perspectives […] plus brillantes dans la flotte ottomane et les insistances du ministre de la Marine, Dāmād Mehmed ‘Alī Pacha ». Alors qu’il « ne détenait probablement pas les fonctions désirées » au sein de la Sublime Porte, Dilāwār continua néanmoins à entretenir les plus cordiales relations avec ses anciens protecteurs. Il tenta sans succès d’être réengagé au Bardo237.
102Ces parcours entre la province et le centre de l’Empire étaient aussi nourris de l’espoir de mansuétude ou d’un arbitrage clément de la part du sultan. En 1867, Muṣṭafā Khaznadār était soupçonné de vouloir se retirer « avec son immense fortune, soit à Constantinople, soit en Grèce où il avait sa famille, soit à Paris238. » Au milieu des années 1870, le représentant des intérêts beylicaux à Izmir et Istanbul, ‘Umar b. Yaḥiyā Arwāy, était attentif à la démarche d’un mamelouk « renvoyé du service gouvernemental ». L’individu était venu le voir. Il avait présenté une requête à la Sublime Porte et demandé 20 000 qurūš turques239. Entre cette quête d’un recours face à l’arbitraire beylical et la mise en valeur de compétences acquises à Tunis, le général Ḥusayn avait, pour sa part, envisagé de liquider ses affaires à Tunis et d’entrer au service des Ottomans à l’été 1868240 et en 1877241, avant de renoncer à ces projets.
103Qu’ils fussent ou non menés à bien, ces déplacements vers Istanbul atteignirent un palier supérieur lorsque l’ancien Premier ministre du bey, Khayr al-Dīn, fut appelé à devenir le vizir du sultan Abdülhamid II en 1878242. Avant lui, jamais aucun autre mamelouk de Tunis n’avait pu s’élever à une aussi haute fonction. Sa promotion du Bardo à Istanbul témoignait en apparence de la valeur et de l’estime acquises par des agents et réformateurs du beylik auprès des hommes du sultan. Son passage d’une administration à l’autre semblait confirmer une plus grande fluidité dans la circulation de serviteurs entre différentes strates d’autorité au sein de l’Empire. Mais, moins qu’une consécration et plus qu’un retour vers une ville qu’il avait fréquentée dans son enfance243, l’installation de Khayr al-Dīn à Istanbul fut conçue avant tout dans une volonté de défier Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey. Au pacha de province qui pensait « que celui qui quitte son pays meurt de faim », l’ancien ministre entendait démontrer « que celui qui le quitte devient grand vizir244 ».
104Istanbul, Le Caire et d’autres cités du Levant furent donc d’un accès plus facile pour des dignitaires de Tunis. Le séjour dans ces villes permit de réduire le degré de dépendance des mamelouks à l’égard des beys de Tunis. Mais cette partie de l’Empire ottoman ne constitua au temps des réformes qu’une partie des destinations les plus lointaines pour les dignitaires mamelouks de la province de Tunis. À partir de la fin des années 1830, les émissaires des beys se rendirent de plus en plus souvent dans les villes d’Europe : à Paris bien sûr, à Londres, mais aussi à Vienne, Stockholm ou Lisbonne…
105En achevant ce périple sur les parcours de quelques mamelouks au nord de la Méditerranée, il ne s’agira pas de détailler le déroulement et la finalité de chacun de ces voyages, mais de percevoir, à partir des trajectoires bien balisées du général Rašīd et du général Ḥusayn, comment des déplacements répétés, puis prolongés, ont amené quelques mamelouks à trouver place dans des sociétés européennes. Le renégat, le converti, le serviteur de bey pouvaient dès lors s’installer en terre chrétienne ou en terre laïcisée. Ils n’avaient plus à justifier de leur état, à revenir sur leurs pas. Mais leur présence pouvait soulever de nouveaux problèmes de transmission, d’alliance et d’appartenance.
Cosmopolites et apatrides
106Les plus anciennes missions en Europe, dont nous avons trouvé trace dans les archives tunisiennes, avaient mené Muṣṭafā Āġā et Ḥasan Wardiān Bāšā dans les États de la Maison d’Autriche en 1793 puis en 1821245. À partir de 1839 et du déplacement de Muṣṭafā Khaznadār en France, ce fut surtout Paris qui attira la plupart des émissaires mamelouks des beys. Le Khaznadār, Muṣṭafā Bāš-Āġā, Khayr al-Dīn y accompagnèrent Aḥmad Bey en 1846 avec Joseph Raffo et Aḥmad Ibn Abī al-Ḍiyāf246. Rašīd s’y rendit en 1853 ; Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ y était présent en 1856 ; Ḥusayn au milieu des années 1870, Khayr al-Dīn en 18531856, 1861, 1864, 1865 et 1868247. Sans compter ses autres voyages en France, ce dernier fut d’ailleurs le ministre qui visita le plus grand nombre de pays en Europe : la Belgique, le Danemark, la Suède et la Norvège en 1861, l’Allemagne et l’Autriche entre 1862 et 1863248.
107Le plus souvent, les autres représentants mamelouks ne menèrent à bien que quelques missions ponctuelles : Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ fut reçu par l’empereur Habsbourg en 1856 ; Muḥammad Khaznadār et le général Salīm se succédèrent en Espagne en 1863 et 1864249 ; le général Ḥusayn visita Stockholm en 1865250 ; Ayyūb fut envoyé à Lisbonne en 1869251. De la fin du xviiie siècle aux années 1860, ces trajectoires furent de mieux en mieux renseignées ; elles indiquaient une nouvelle relation des mamelouks aux pays européens.
108Le voyage du général Rašīd à Paris en 1853, détaillé quasi au jour le jour dans un registre versé aux archives tunisiennes, constitue un exemple très éclairant de ces cadres et plus largement des manières d’être en mission et de s’inscrire peu à peu dans une grande ville européenne. La recension des frais engagés à chacune des étapes de ce séjour laisse de celui-ci une représentation beaucoup plus complète que d’autres relations de voyages fragmentées en quelques lettres épisodiques.
109Le général partit de Tunis fin 1852. Entre décembre de cette année et janvier 1853, il transita par la Sardaigne252. L’émissaire passa ensuite par Marseille, Avignon, Valence, Lyon, Châlons253… Le contact du dignitaire mamelouk avec la population française fut bien préparé. Rašīd était entouré d’intermédiaires de diverses origines. Des serviteurs du makhzen, tels que Muḥammad al-Zarrūq ou Sulaymān al-Muslamānī tābi‘ de Maḥmūd b. ‘Ayyād, l’assistaient. Un médecin des beys, César Clément254, l’interprète consulaire, Alphonse Rousseau255, et l’agent de la régence à Paris, Jules de Lesseps256, facilitaient les démarches et les contacts avec les autorités françaises. Le commandant de l’armée de Sousse n’avait pas à connaître les tracas de la traduction et de l’interprétation. De ce point de vue, la préparation des missions s’était grandement améliorée : à la fin du xviiie siècle, Muṣṭafā Āġā en était à s’excuser « d’avoir recours à un serviteur italien, parce qu’il ne [lui était] pas possible de trouver là une personne écrivant l’arabe257 ».
110Indice supplémentaire de cette adaptation progressive, à différentes étapes, les membres de la délégation recevaient ou offraient des vêtements à la mode française, acquis sur une dotation commune : un manteau pour un aide de camp à Marseille, un autre manteau d’une valeur de 160 francs, un pantalon à 115 francs pour « Sīdī al-Liwā » à Paris et trois paires de lunettes258… Le général et ses compagnons de route ne modifiaient pas seulement leur apparence. Ils ont pu chercher à apprendre la langue française : César Clément acheta un dictionnaire (qāmūs) bilingue pour 40 francs et un manuel d’apprentissage du français259.
111Même si le voyage permettait d’approcher la population parisienne, la vigilance de chaque instant dans la gestion des finances tendait à rappeler aux émissaires une forte dépendance matérielle à l’égard du beylik. L’enveloppe accordée par le Bardo maintenait les mouvements des émissaires dans un cadre contraint : en visite à Lisbonne en 1869, le général Ayyūb n’avait pu recevoir un crédit de 6 000 francs d’un intermédiaire parisien260. Les agents devaient justifier de leurs frais dans le registre. Chacune des visites du général Rašīd dans des bâtiments parisiens en 1853 était mentionnée en une ligne parfois pour son coût respectif : quelques sous avaient été donnés à des guides à La Chapelle et à Notre-Dame, à un serviteur et un chaouch au château (balāṣ) de Saint-Cloud. Le général était aussi passé par un théâtre des Champs-Élysées, une école de lecture et d’écriture pour les sourds-muets. Il avait assisté à un spectacle équestre, visité le château de Versailles et la basilique Saint-Denis. Une promenade dans un zoo avait, semble-t-il, le plus impressionné l’auteur du registre qui énumérait à la date du 20 février les bêtes sauvages, les singes, les éléphants et les oiseaux qu’il avait vus261.
112Seuls quelques frais étaient peu ou pas justifiés : il s’agissait souvent de sommes versées à des Parisiennes. L’une d’entre elles avait reçu 25 francs simplement après avoir « rendu visite » au Dr Clément. Une deuxième avait obtenu 45 francs sans aucune justification apparente262. Ces manières très obscures de mentionner toute relation avec quelques Françaises démontraient assez bien comment le voyage ouvrait de nouveaux horizons à des émissaires du bey et les maintenait dans une certaine prudence, une forme de discrétion face aux autorités de tutelle.
113La mission s’acheva au printemps. Le registre mentionnait un passage par Toulon le 15 mai 1853263. En près d’une demi-année, le général Rašīd s’était acclimaté à la France du Second Empire tout en cherchant à justifier ses actes auprès du Bardo. Ce type de déplacements démontrait l’émergence d’une forme d’attachement à l’Europe. Mais, là encore et comme toujours lorsqu’il s’agit d’évoquer le franchissement des frontières entre les deux rives parmi les serviteurs des beys, ce furent Khayr al-Dīn et surtout l’intrépide général Ḥusayn qui ouvrirent d’autres voies. Une fois de plus, loin d’être un exemple représentatif, le second des deux mamelouks fut un cas particulier ou pour le moins un initiateur.
114La position complexe du général Ḥusayn entre Tunis, Istanbul et l’Europe occidentale a nourri une série de conflits sur son héritage après son décès en 1887. Ces querelles juridiques étaient très éclairantes quant aux difficultés voire à l’impossibilité à se définir comme un mamelouk à partir de cette période, et à ne se penser que selon une allégeance exclusive au bey. À la fin de sa vie, Ḥusayn s’était éloigné du service beylical. En 1884, l’État tunisien passé sous Protectorat français s’était reconnu débiteur de 200 000 francs envers le général264. Une partie de la gestion de son patrimoine confirmait des liens au gouvernement sultanal : le général avait acquis des obligations turques265 et mis en habous des propriétés considérables à La Goulette afin d’alimenter la caisse des retraites des militaires de l’Empire266. Une autre partie de cette gestion contredisait son rejet de l’occupation française à Tunis : l’ancien maire de la capitale avait conclu avec les militaires de la puissance protectrice un accord de location de trois ans d’un palais de 61 pièces à compter du 7 avril 1882 pour près de 15 000 francs par an267.
115Ce mamelouk n’appartenait plus à un seul maître. Les gouvernements turc, tunisien et français se disputaient ses biens. ‘Alī Bey aurait voulu faire rédiger un faux testament par un ancien secrétaire de Ḥusayn268 tandis que, à Florence, le consul de Turquie exigea de poser des scellés aux portes de la dernière demeure du général, dont le corps n’avait pas été réclamé par ses maîtres269. Chose inimaginable pour un mamelouk des décennies précédentes, les représentants consulaires et les émissaires du bey affûtaient leurs arguments sur la « nationalité » réelle de Ḥusayn. La Sublime Porte arguait que par définition tout « Tunisien est turc ». La partie tuniso-française entendait ruiner cette fragile déduction par toute une série d’arguments plus ou moins fondés : primo, le général avait reconnu noir sur blanc être né dans la région caucasienne du Kouban, indemne de la souveraineté ottomane ; secundo, il avait sollicité la « nationalité turque » sans l’obtenir270 ; tertio, mamelouk du bey et au service dans l’armée de la régence pendant près de quarante-huit ans, il ne pouvait être considéré que comme un « sujet tunisien271 » ; d’ailleurs, selon la thèse que le général avait lui-même soutenue dans l’affaire du caïd Nasīm Šamāma, « la loi tunisienne ne reconnai[ssait] point au sujet du Bey le droit de renoncer à sa sujétion272 ». Un homme qui, par sa seule dépendance personnelle, par sa non-appartenance à un territoire précis, avait pu circuler aisément entre Istanbul, les provinces de l’Empire et les nations d’Europe se retrouvait réduit, après son décès, à un cas d’école afin d’établir une ligne de partage entre des sujétions, des « nationalités » turque et tunisienne.
116Le lieu d’inhumation du général fut tout autant un sujet de préoccupation pour les autorités turques. Le cercueil de Ḥusayn fut en un premier temps déposé au cimetière musulman de Livourne, propriété du dey d’Alger, puis du gouvernement ottoman. ‘Alī Bey refusa de récupérer la dépouille qui fut enterrée à Istanbul273. Au final, une solution fut trouvée : la médiation de Khayr al-Dīn permit de reconnaître les droits du souverain de Tunis en vertu de la relation de patronage entretenue avec l’affranchi274. L’attitude conciliante de l’ancien vizir était étrange. Il semblait procéder à un partage de patrimoine : il avait lui-même passé outre cette relation de walā’ lorsqu’il avait hérité des biens de Rustum, autre mamelouk de la maison husaynide275. De fait, à force d’avoir été tiraillé entre différentes acceptions, ce droit de patronage ne représentait plus grand-chose. Les autorités du Protectorat ne savaient plus que faire des anciens esclaves et de leurs protecteurs. L’avocat David Santillana proposait d’établir une « commission de juristes musulmans » chargée de mettre fin à toute institution « ayant sa racine dans l’esclavage276 ».
117Le général Ḥusayn incarna enfin une autre manière de se situer hors du beylik et hors du corps des mamelouks par ses choix conjugaux et par sa descendance. A contrario de ses pairs qui avaient accédé à de hautes fonctions, Ḥusayn ne fut uni à aucune princesse husaynide et à aucune odalisque de ses maîtres. Il rendit impossible l’alliance avec une fille de Khayr al-Dīn. La seule progéniture mentionnée (mais non reconnue) dans sa succession était constituée de deux filles issues de mères différentes, de confession chrétienne : les « dames Bertuci et Menville ». Par l’ampleur de ses réclamations, la seconde est mieux connue que la première. Née en 1853 dans le grand duché de Bade, Eva Keush, épouse Men-ville, avait habité avec ses parents en Algérie. Elle avait ensuite résidé à Marseille, Livourne et Florence. « Gouvernante chez le général, elle y fut lâchement séduite par le fils adoptif du général », en fait un proche de Ḥusayn. De « cette infamie naquit » une fille que le général adopta « en 1879 dans l’intention de pouvoir la marier ». L’ancienne gouvernante partit par la suite pour New York où elle épousa un commerçant en merceries277.
118L’ancien ministre qui semblait avoir mené une vie fort libre hors de la régence voulut malgré tout inscrire ses deux filles dans une lignée musulmane : l’une portait le nom d’« Emina » et l’autre de « Mariem », la Marie arabisée278. Toutes deux devaient hériter d’un tiers des biens du général à condition d’épouser des musulmans279. Le général Ḥusayn arrangeait à sa manière sa fuite en avant, sa privation presque volontaire d’une place définie dans le monde. Pour ce faire, Ḥusayn s’était pour partie inspiré de l’expérience mamelouke : à ses yeux, malgré le démembrement de l’Empire ottoman et par-delà la raideur croissante des sujétions et des nationalités, la conversion ou le maintien dans la foi musulmane, la fondation d’un lignage selon les choix du père suffisaient à assurer une postérité, à confirmer une fidélité originelle.
119Le mamelouk, tel qu’il était conçu et employé, distingué par ses origines lointaines, réelles ou fictives, placé sous la forte dépendance de ses maîtres, remplacé génération après génération par des apports extérieurs au palais, parvenant à fonder une lignée dans son pays d’accueil, n’avait plus lieu d’être dans les années 1870-1880. Après la série de coups que lui avaient portés les mouvements abolitionnistes et l’amenuisement progressif des traites serviles, cette figure était terrassée par celle du fonctionnaire, par l’emprise de la finance et par la rapidité de transport des bateaux à vapeur.
120Entendu ici dans une transition avec le service princier comme un serviteur davantage inséré dans des relations d’obéissance impersonnelles que dans des liens d’intimité avec ses maîtres et ses supérieurs, le recours au terme de fonctionnaire ne fut qu’un moyen d’incarner un large processus de dépersonnalisation qui avait affecté l’ensemble du makhzen beylical. Aux temps des réformes et de l’ingérence consulaire, les conseillers, qu’ils fussent ou non mamelouks, ont perdu de leur influence auprès des beys. À partir des années 1870, la disgrâce de sérail a été régulée par des procédures judiciaires. La faveur du prince s’en est trouvée formalisée, rigidifiée. Muṣṭafā b. Ismā‘īl, autochtone « mameloukisé » par son maître, fut de fait le dernier des favoris promu de par sa forte intimité avec un souverain husaynide. Son discrédit apparent auprès d’observateurs européens, de princes husaynides, de sujets autochtones et de ministres mamelouks s’est nourri d’un rejet de l’arbitraire beylical, d’une crainte de la décadence et d’un mépris affiché par les Khayr al-Dīn, Ḥusayn, Rustum qui rejetaient le modèle du favori et ne se considéraient plus comme des créatures de palais, mais comme des hommes d’État, aptes à émettre des critiques, à rendre publics leurs conseils sur les meilleures manières de gouverner ou sur la pratique de l’esclavage…
121Mais, dans ces réaménagements, c’est la question financière (les spéculations, l’affairisme, la concurrence commerciale, la technicité comptable) qui a joué à plein. La crise intense et persistante diagnostiquée pour cette époque par les historiens du beylik a frappé aussi bien des princes de la dynastie que des mamelouks ou des enfants du makhzen. Après une longue phase d’extension du domaine husaynide, d’élargissement des réseaux de perception fiscale, des bénéficiaires de la manne beylicale ont connu un temps de compression et d’affaissement. Les parents des beys, nourris et entretenus, se plaignaient de leur condition pas conforme à leur rang et réclamaient des dignités au sein de l’administration. Avec des effectifs divisés par trois entre 1860 et le début des années 1880, en proie au vieillissement, les mamelouks du Bardo ne bénéficiaient pas tous d’immenses fortunes ; ceux du vestibule réitéraient leurs réclamations de salaires et de modestes approvisionnements.
122Cet affaiblissement financier avait à voir avec les processus de dépersonnalisation. Ainsi, il y avait loin entre l’ambition affichée pour les enfants de mamelouks et la situation de certains d’entre eux à l’établissement du Protectorat. La loi et le décret du début des années 1860 avaient facilité une inscription dans le corps des pères, mais n’avaient garanti aucune prééminence aux héritiers. Bien au contraire, les dispositions légales, en ne prévoyant des extensions du statut de mamelouk que pour une seule génération, entérinaient une disparition progressive de ce corps de serviteurs tel qu’il avait été conçu des décennies durant. Sans la faveur que leurs pères avaient acquise, sans la vigueur de l’esprit de corps cultivé dans la première génération, que pouvaient espérer de simples descendants ? Des enfants de dignitaires, en butte à des difficultés financières, étaient dépourvus d’une grande considération auprès des beys mais étaient maintenus sous la protection de la maison husaynide. Ils s’inscrivaient avec plus ou moins d’habileté dans les cercles de la notabilité tunisoise.
123Dernière dynamique de fond : le resserrement du monde, qui pourrait être symbolisé par la révolution du bateau à vapeur, amena enfin les mamelouks à reformuler leurs relations à l’étranger. La volonté ancienne de renouer avec le foyer d’origine souleva alors nombre d’inquiétudes parfois formulées et quelques fois latentes : un patron craignait qu’un de ses serviteurs ne lui préfère un parent rapatrié ; un bey, échaudé par la fuite de jeunes mamelouks dans des consulats européens, se gardait d’ajouter à ce corps des tâches domestiques supplémentaires ; un Premier ministre s’intéressait au sort politique de son île natale ; un proscrit d’origine corse tournait autour de la régence sans réussir à obtenir une protection française, se résignant à se rapprocher de ses seules attaches familiales restées dans le beylik. Peu à peu, l’amélioration constante des communications avec les métropoles de l’Empire facilita les départs de mamelouks tunisois. Istanbul et, à un degré moindre, Le Caire constituèrent des refuges, de nouveaux lieux d’ascension, tandis que les sultans se confirmaient dans un rôle d’arbitre suprême des conflits provinciaux.
124Les départs vers les nations européennes, et en premier lieu vers la France, l’allongement de ces séjours à l’étranger confirmaient que la présence musulmane et a fortiori de renégats ne posait guère plus de problèmes à leurs hôtes. La multiplication de ces visites contribuait à détacher quelques émissaires mamelouks d’une relation privilégiée avec leurs maîtres. Les courtes missions n’avaient permis que des immersions ponctuelles ; le lien au Bardo était toujours rappelé par une gestion quotidienne des fonds beylicaux. Les plus longs déplacements du général Ḥusayn l’affranchissaient en pratique, mais non en droit, de sa relation avec le bey régnant à Tunis. Le général opta pour un exil au nord de l’Italie plutôt que pour un repli vers Istanbul. Dans la lutte pour sa succession engagée entre Tunis, Paris et Istanbul, une suite de raisonnements juridiques tendaient à rejeter vers le passé tout ce qui avait aidé à concevoir le mamelouk : aussi bien la relation de patronage que sa capacité à circuler, entre les rives de la Méditerranée, au sein de l’Empire ottoman.
Notes de bas de page
1 A. Tunger-Zanetti, 1996, 137 : les vapeurs apparaissent dans les années 1820 en Méditerranée. La régence dépend des transporteurs européens et surtout français. O. Moreau, 2007, 223.
2 Ant, SH, C. 1, d. 16, arch. 9, Muḥammad al-Ma’mūn Bey à Rašīd, 16 octobre 1856 (12 ṣafar 1273).
3 Ant, SH, C. 2, d. 18, arch. 15, Ḥammūda Bey au général Rašīd, 24 novembre 1862 (4 jumādā I 1279).
4 Ant, SH, C. 2 bis, d. 21, arch. 9, Muḥammad al-‘Ādil Bey à Muṣṭafā Khaznadār, 17 mai 1867.
5 Cette année, le Maghreb fut frappé par le choléra, le typhus et la famine (D. Rivet, 2002, 149).
6 Ant, SH, C. 2, d. 18, arch. 17, Ḥammūda Bey à Muṣṭafā Khaznadār, 29 avril 1860 (8 šawwāl 1276).
7 Ant, SH, C. 2, d. 20, arch. 201, Muḥammad al-Ṭāhir Bey à Muṣṭafā Khaznadār, 21 novembre 1867.
8 M. Beaussier, 1931, 971 : location perpétuelle d’un terrain à bâtir ou à planter moyennant une redevance annuelle ou mensuelle.
9 Ant, SH, C. 3, d. 49, arch. 17, Muṣṭafā Āġā à Muṣṭafā Khaznadār, lettre non datée, mais rédigée après la mort de Muḥammad Bāšā.
10 Mae, CP, Tunis, vol. 26, Duchesne de Bellecourt, 18 février 1866, f. 245 r.
11 Ant, SH, C. 2 bis, d. 21, arch. 10, Muḥammad al-‘Ādil Bey à Muṣṭafā Khaznadār, février-mars 1867 (šawwāl 1283) ; L. Blili, 2004, 158.
12 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 110.
13 C. Samaran, 2003, 44.
14 Cette expression, très parlante, conçue selon M. A. Ben Achour (1989, 157) par Gérard de Nerval, fut usitée en des temps de domination coloniale, pour la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle.
15 T. Bachrouch, 1989, 573 : ce dénombrement rapide devait être repris sur un nombre consistant de registres.
16 J. Ganiage, 1959, 98.
17 A. Temimi, 1976, 81, 221.
18 Mae, CP, Tunis, vol. 29, de Botmiliau, 23 septembre 1867, f. 106 v.-107 r.
19 Ant, SH, C. 2 bis, d. 21, arch. 15, Muḥammad al-‘Ādil Bey, sans date.
20 Ch. Monchicourt, 1917, 11.
21 Mae, CP, Tunis, vol. 29, Muṣṭafā Khaznadār au baron Jules de Lesseps, annexé à la lettre de ce dernier du 19 octobre 1869, f. 175v.-176 r.
22 Ant, SH, C. 2 bis, d. 21, arch. 34, ‘Alī Bey à Muṣṭafā Khaznadār, 3 octobre 1867 (4 jumādā II 1284).
23 Ant, SH, C. 2 bis, d. 21, arch. 142, Muṣṭafā Khaznadār à Oscar Gay, 28 octobre 1867.
24 Ḍiyāf, 1989, vol. 112.
25 M. Gandolphe, 1942, 39 : ce sont des cordes de tambour qui furent employées.
26 Ant, SH, C. 2 bis, d. 21, arch. 165, de Botmiliau à Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, 25 octobre 1867.
27 A. Chenoufi, 1990, 206-207 : Ch. Cubisol au chef du département des Affaires étrangères, 12 octobre 1867.
28 Mae, CP, Tunis, vol. 29, de Botmiliau, 10 octobre 1867, f. 155 r. : il évoque le « morne silence des Arabes ».
29 Pro, FO 102-79, Herry à Stanley, 12 octobre 1867.
30 Ant, SH, C. 2 bis, d. 21, arch. 161, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey au consul de Botmiliau, 27 octobre 1867 (28 jumādā II 1284).
31 Mae, CP, Tunis, vol. 29, de Botmiliau, 12 octobre 1867, f. 170 r.
32 Ḥusayn, 1991, vol. i, 70, lettre 21, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 28 juillet 1868 (7 rabī‘ II 1285).
33 B. Tlili, 1970, 160-161.
34 M. Bey, 1968, 954.
35 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 163-164, 166, 168.
36 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 291 ; A. Chahed, 2000, 150.
37 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 85.
38 Ant, C. 9, d. 82, arch. 54, Joseph Raffo à Muṣṭafā Khaznadār, 24 août 1860 : le « général de Division, Ministre membre du Conseil de S.A. le Bey, comte Guissepe Raffo » était choqué que le principal vizir refuse de lui rembourser des dépassements de frais de mission ; il tenait à maintenir « dans toute leur intégrité » des faits et des chiffres « énoncés officiellement comme homme d’honneur et comme fonctionnaire loyal ». Dans le même ordre d’idées, un désaccord surgit entre le fils de Joseph Raffo (Félix) et le khaznadār sur l’attribution d’emplois civils au gouvernement du bey (C. 9, d. 82, arch. 118-120).
39 Ḥusayn, 1991, vol. i, 45-46 : lettre 13, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 24 avril 1867 (19 ḥijja 1283).
40 Mae, CP, Tunis, vol. 44, Roustan, 21 juillet 1877, f. 266v.
41 C. Benbilghith, 1995, 158.
42 Ant, C. 12, d. 113, arch. 8803, Florence, 19 août 1887.
43 C. Benbilghith, 1995, 164, 227.
44 G. S. Van Krieken, 1976, 88, 104.
45 Ibid., 106.
46 C. V. Findley, 1980a, 149.
47 Mae, CP, Tunis, vol. 33, de Botmiliau, 7 septembre 1869, f. 16 r.
48 J. Ganiage, 1959, 432, 438.
49 Pro, FO 102/95, R. Wood au lord Granville, 22 octobre 1873.
50 Mae, CP, Tunis, vol. 40, de Vallat, 30 décembre 1873, f. 404 r, f. 408 r.
51 Ant, SH, C. 6, d. 75 ; G. Van Krieken, 1976, 172-173.
52 Ḥusayn, 1992, vol. ii, 148 : lettre 169, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 28 novembre 1877 (22 qa‘da 1294).
53 Ḥusayn, 1992, vol. ii, 182 : lettre 192, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 1er octobre 1878 (4 šawwāl 1295).
54 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 129 : lettre 260, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 11 novembre 1882 (30 ḥijja 1299).
55 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 35 : lettre 216, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 28 juin 1879 (8 rajab 1296) ; vol. iii, 107, lettre 250, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 13 octobre 1881 (19 qa‘da 1298).
56 Mae, CP, Tunis, vol. 46, Roustan, 3 septembre 1878, f. 366 v.
57 Mae, CP, Tunis, vol. 46, Roustan, 27 août 1878, f. 345-346.
58 G. Van Krieken, 1976, 288.
59 Ibid., 280.
60 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 16 : lettre 204, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 28 février 1879 (6 rabī‘ II 1296).
61 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 98 : lettre 243, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 28 septembre 1880 (23 šawwāl 1297) ; le terme était utilisé par l’ancien vizir et ses proches.
62 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 107 : lettre 250, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 13 octobre 1881 (19 qa‘da 1298).
63 Pro, FO 102/111, R. Wood, 26 août 1878, f. 237 r.
64 J. Dakhlia, 2005a, 224-225, 256. Dans cette défaveur des favoris, Muṣṭafā b. Ismā‘īl n’est pas un cas isolé. J. Dakhlia se réfère à Menebhi pour le Maroc. R. F. Hunter (1984, 159) a, pour sa part, tracé le profil de Muṣṭafā Riyāḍ : d’origine obscure, Muṣṭafā Riyāḍ devient aide de camp de ‘Abbās Pacha, puis gouverneur de Jirja entre 1853 et 1856, après avoir exercé des fonctions mineures de copiste et de musicien.
65 P. H. X. d’Estournelles de Constant, 1891, 67.
66 Mae (Nantes) Tunis, Consulat, dossier 20 : situation politique dans la régence juillet 1878-mai 1880, non daté.
67 Mae, Cp, vol. 46, Roustan, 4 février 1878, 41 v.
68 R. Limam (éd.), « Tārīkh al-wazīr Muṣṭafā b. Ismā‘īl », al-Abḥāṯ, XVII, 1969, 77 ; Bnt, ms. 3749, Nubda tārīkhiyya fī manšā al-wazīr Muṣṭafā b. Ismā‘īl fī dukhūl al-firansīs ilā Tūnis, f. 1. Un consul de France à Florence qui avait découvert le manuscrit le jugeait « faux et scandaleux » (Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8805, 8820 et 8803, de Laigue à Flourens, Florence, le 19 août 1887 : des « mémoires secrets du nommé Allala Ben Zeï » constituent un « tissu de mensonges et de calomnies, il n’en est pas moins vrai que leur publication serait un véritable scandale »).
69 Mae (Nantes) Tunis, Consulat, dossier 40 : traductions d’articles de journaux, L’Indépendant, no 19, 1er août 1880.
70 R. Limam (éd.), 1969, 78.
71 M. Gandolphe, 1921, 83 ; M. Bey, 1968, 1828.
72 Bnt, ms. 3749, f. 2.
73 R. Limam (éd.), 1969, 78.
74 M. Gandolphe, 1921, 84 ; M. Bey, 1968, 1828 ; L. Blili, 2004, 309.
75 R. Limam (éd.), 1969, 78.
76 Ant, reg. 3175, 1860-1861 (1277-1278), f. 9 ; reg. 3379, 1864-1868 (1281-1284), f. 1.
77 Ant, reg. 3306, f. 31-32, janvier-avril 1864 (šawwāl- ša‘bān 1280).
78 Ant, reg., f. 140, 14 août 1864 (11 rabī‘ I 1281).
79 Mae, CP, Tunis, vol. 41, de Billing, 24 novembre 1874, f. 438-445 r.
80 Mae, CP, Tunis, vol. 44, Roustan, 30 juillet 1877, f. 310 r.
81 Ant, SH, C. 209 bis, d. 162, arch. 14.
82 Mae, CP, Tunis, vol. 40, de Botmiliau, 5 août 1873, f. 13 r. Cette épouse s’appelait Janayna (Ant, SH, C. 10, d. 95, arch. 51-53).
83 L. Blili, 2004, 309.
84 Mae, CP, Tunis, vol. 46, Roustan, 27 août 1878, f. 346 v. : le bey « partagea le ressentiment de son fils adoptif ». Pro, FO 102/111, Wood, 26 août 1878 : « Ismael ben Moustapha » est présenté comme Bey’s adopted son, son in law et favourite. Ḥusayn, 1992, vol. iii, 130, lettre 260, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 11 novembre 1882 (30 ḥijja 1299) : avant de décéder, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey a demandé à son frère ‘Alī de ne pas se réjouir des malheurs de son fils.
85 Ant, al-Nuzha al-khayriyya, 1878-1879 (1296), 77 ; 1879-1880 (1297), 68.
86 Ant, SH, C. 10, d. 95, arch. 20, extrait des minutes de la chancellerie du consulat de France à Tunis, 8 février 1883.
87 Mae (Nantes) Tunis, Consulat, dossier 40 : traductions d’articles de journaux, L’Indépendant, 5 septembre 1880.
88 H. Ben Othman, 1911, 9.
89 Ant, SH, C. 179, d. 979, arch. 58, Salīm à Muṣṭafā b. Ismā‘īl, 26 août 1878 (29 ša‘bān 1295).
90 Ant, SH, C. 10, d. 95, arch. 29, Aḥmad Zarrūq à Muṣṭafā b. Ismā‘īl, 31 août 1878 (3 ramaḍān 1295).
91 Ant, SH, C. 9, d. 93, arch. 26, Muḥammad Khaznadār à Muṣṭafā b. Ismā‘īl, 12 avril 1879 (19 rabī‘ II 1296).
92 Mae (Nantes) Tunis, Consulat, dossier 40 : traductions d’articles de journaux, L’Indépendant, 29 août 1880.
93 Ant, SH, C. 10, d. 95, arch. 40, 1er novembre 1879 (16 qa‘da 1296) ; arch.41, 6 novembre 1879 (21 qa‘da 1296).
94 Mae, CP, Tunis, vol. 62, Roustan, 12 septembre 1881, f. 141 r.
95 Mae, CP, Tunis, vol. 41, de Billing, 14 avril 1874, f. 145 r ; 28 juillet 1874, f. 258-259.
96 M. A. Ben Achour, 1989, 260 : il accumule des propriétés du beylik dont 7 henchirs (dans les régions de Murnāqiyya, Bū ‘Arāda, le cap Bon et Kairouan), des vergers et quelque 30 000 pieds d’oliviers. J. Ganiage, 1959, 481 : « Broadley donne une liste de 24 domaines ayant appartenu à Mustapha. Ils étaient situés dans le Nord-Ouest de la Régence, près de Bizerte, de Mateur ou Béja. »
97 M. S. Mzali, 1969, 42, lettre du 23 mai 1879 par Conti, ancien proche de Khayr al-Dīn : « Les exactions et les abus de toutes sortes dont souffre la population ont atteint un degré inimaginable. »
98 G. Van Krieken, 1976, 287 ; A. Abdessalam, 1975, 26.
99 Mae, CP, Tunis, vol. 74, Cambon, 5 mai 1883, f. 24 v.-25 r : « Si Mohamed Beiram fut persécuté par Moustapha ben Ismaïl qui lui enleva successivement tous les emplois. »
100 G. Van Krieken, 1976, 289.
101 A. Tunger-Zanetti, 1996, 132, les dernières mentions de son nom dans la correspondance diplomatique française datent du 2 février 1892.
102 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 2, 5, 31, 35, 46. T. Bachrouch (1989, 535) et G. Van Krieken (1976, 53) ont mis en avant un nombre moyen de 150 mamelouks qui apparaît à deux reprises, dans les archives 4 et 31.
103 Ant, reg. 3413, 1874-1883. À partir de ce registre, T. Bachrouch (1989, 535) était aussi parvenu à ce total restant de 48 mamelouks.
104 Ant, reg. 516, f. 6, juin-juillet 1859 (ḥijja 1276).
105 Ant, reg. 3172, f. 67, 5 décembre 1860 (21 jumādā I 1277) ; reg. 523, f. 9, 24 novembre 1860.
106 Ant, reg. 547, f. 27, septembre-octobre 1868 (jumādā II 1285).
107 Cf. chapitre V.
108 Ant, reg. 3712, f. 5-8, 1882-1883 (1300).
109 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 29 : Rajab Khaznadār meurt le 21 mai 1797 (24 qa‘da 1211) ; vol. vii, 39 : Muṣṭafā Khūjā, le 11 octobre 1800 (22 jumādā I 1215) ; vol. vii, 56, Sulaymān Kāhiya Ier, le 21 septembre 1807 (21 rajab 1222) ; vol. vii, 58, ‘Alī Būzġāya, juin-juillet 1809 (jumādā I 1224).
110 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 113, Salīm Khūjā décède le 20 septembre 1819 (1er ḥijja 1234) ; vol. viii, 121, Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 10 mai 1861 (29 šawwāl 1277) ; vol. viii, 135, Ismā‘īl Kāhiya, en mai-juin 1864 (ḥijja 1280) ; vol. viii, 145, Yūsuf Amīr ‘Askar Zwāwa, en novembre-décembre 1866 (rajab 1283).
111 J. Ganiage, 1959, 82-84 ; Ḥusayn, 1990, vol. iii, 192 ; C. Benbilghith, 1995, 148 ; A. Chenoufi, 1990, 27 : une lettre de l’ambassadeur de France en Turquie datée du 3 février 1890, décrit les obsèques de Khayr al-Dīn « célébrées avec une certaine pompe ». Son corps est déposé dans un « caveau spécial de la mosquée d’Eyoub ».
112 M. A. Ben Achour, 1989, 218.
113 Ant, reg. 3503, f. 14, janvier-mars 1862 (ša‘bān 1278).
114 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 34, ma‘rūḍ de Muṣṭafā Wardiyān Bāšā, le ḥājj Sulaymān du même nom, Murād et ‘Uṣmān Ṣāḥib al-Zġaya au ministre de la Guerre, sans date.
115 Ant, SH, C. 166, d. 865, arch. 17, l’amīr alāy Ḥasan Bāš-Mamlūk au ministre de la Guerre Rustum, 27 janvier 1875 (19 ḥijja 1291).
116 Ant, SH, C. 166, d. 865, arch. 46, Ḥamda Bāš Khūjā et son neveu Muḥammad Bāš Khūjā au Premier ministre, Muḥammad Khaznadār, 15 avril 1882 (26 jumādā I 1299).
117 Ant, SH, C. 166, d. 865, arch. 33, Ḥamda Bū Ḥalfa, uḍā-bāšī des mamelouks à Khayr al-Dīn, septembre-octobre 1873 (ša‘bān 1290)
118 Ant, SH, C. 2, d. 22, arch. 1 (4 novembre 1870)-6 (2 septembre 1861) : lié à Ḥusayn Bey, Ḥaydar devait de l’argent à un carrossier français.
119 C. Samaran, 2003, 64.
120 Ant, SH, C. 92, d. 68, arch. 6, février-mars 1861 (ša‘bān 1277).
121 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 35. Cf. chap. xii.
122 Ant, reg. 3413, début décembre 1874 (fin šawwāl 1291)-1882. Cf. chap. xii.
123 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, 23 janvier 1878 (19 muḥarram 1295), 1-2.
124 Mae (Nantes) Tunis, Consulat, Bey et cour beylicale, registre 10, correspondance avec le bey, 19 novembre 1869.
125 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, no 25, 25 février 1863.
126 Mae (Nantes) Tunis, Consulat, Bey et cour beylicale, registre 10, correspondance avec le bey, Khayr al-Dīn au consul Roustan, 10 juillet 1876 (18 jumādā II 1293).
127 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 131-132 : lettre 260, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 11 novembre 1882 (30 ḥijja 1299).
128 Ant, SH, C. 73, d. 864, arch. 66, Muḥammad b. Salīm Ṣāḥib al-Ṭābi‘ à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ avril-mai 1863 (qa‘da 1279) ; L. Blili, 2004, 340.
129 Ant, SH, C. 4, d. 51, arch. 64, Ismā‘īl b. Māmī Uḍā-Bāšī al-Mamālīk à la princesse Kaltūm, épouse de Muṣṭafā Khaznadār (26 šawwāl sans autre date).
130 Mae, CP, Tunis, vol. 32, de Botmiliau, 9 août 1869, f. 250 ; J. Ganiage, 1959, 381.
131 Ant, SH, C. 6, d. 79, 2e sous-dossier, arch. 16, 16 janvier 1874 (27 qa‘da 1290).
132 Ant, SH, C. 6, d. 79, 1er sous-dossier, arch. 46, achat par l’intermédiaire de Yūsuf Bil‘īš, 28 septembre 1871 (13 rajab 1288).
133 Mae, CP, Tunis, vol. 33, de Botmiliau, 7 septembre 1869, f. 16 r.
134 Ant, SH, C. 6, d. 79, 3e sous-dossier, arch. 4, Roustan à Muṣṭafā Khaznadār, 3 avril 1876.
135 I. Mrad-Dali, 2009, 340.
136 Ant, SH, C. 11, d. 98, arch. 146, l’avocat du général Ḥusayn au secrétaire général du gouvernement tunisien, 7 avril 1887.
137 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 14, écrit de ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya rédigé en français ; L. Blili, 2004, 147.
138 Ant, SH, C. 77, d. 891, arch. 1 à 4.
139 Ant, SH, C. 77, d. 897, arch. 2, al-Ḥājj ‘Alī al-Ḥamda à ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya.
140 Ant, SH, C. 222, d. 367, arch. 6, Muḥammad Kātib al-Harwī, 28 juillet 1849 (8 ramaḍān 1265).
141 Ant, SH, C. 77, d. 897, arch. 1, août-septembre 1858 (muḥarram 1275) ; arch. 2, 26 avril 1859 (23 ramaḍān 1275) ; arch. 3, Muḥammad b. al-Ḥājj à ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya, juin-juillet 1859 (qa‘da 1275) ; arch. 4, ‘Alī b. al-Ḥājj Muḥammad Ḥamda, fin novembre 1859 (début jumādā I 1276).
142 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 8 et arch. 14.
143 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 3.
144 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 14.
145 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 4, ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya à Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, 28 mai 1861 (18 qa‘da 1277) : ka-waḥid min ahl al-balad.
146 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 6, ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya à Muṣṭafā Khaznadār, 11 octobre 1861.
147 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 8.
148 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 14 : « C’était à cette époque que fut promulguée la Constitution : en faisant cela, il [sous-entendu Muḥammad Bey dans l’esprit de ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya] n’avait cédé qu’à la contrainte ; il ne […] voulait agir que d’une manière injuste et selon son bon plaisir. Quand il savait qui était favorable à la chose, il le haïssait. Je suis au nombre des individus auxquels il était l’ennemi à cause de l’intérêt qu’ils avaient pour la Constitution. »
149 Ant, SH, C. 77, d. 898, arch. 3, Arway à Muṣṭafā Khaznadār, 18 février 1864 (10 ramaḍān 1280) : qadama ‘arḍ ḥāl ilā al-sulṭān ; arch. 4, Arway à Muṣṭafā Khaznadār, 22 janvier 1864 (12 ša‘bān 1280) ; arch. 5, Muḥammad Fuwād Bāšā à Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, 19 janvier 1864 (9 ša‘bān 1280)
150 Ant, SH, C. 77, d. 894, arch. 13, pièce délivrée par le consul général à Malte de « Sa Majesté Impériale le Sultan », 23 janvier 1865.
151 Ant, SH, C. 77, d. 892, arch. 3, général Salīm, chef des ḍabṭiyya à Rustum, ministre de l’Intérieur.
152 Ant, SH, C. 77, d. 895, arch. 1, constat dressé par le šaykh du faubourg de Bāb al-Swīqa, 12 février 1871 (21 qa‘da 1287) ; arch. 13.
153 Ant, SH, C. 77, d. 895, arch. 4, Muṣṭafā Khaznadār à Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr, 13 février 1871.
154 Ant, SH, C. 77, d. 895, arch. 16, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey au ministre de la Guerre Salīm, 23 février 1879.
155 Ant, SH, C. 77, d. 895, arch. 15, ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya à Khayr al-Dīn, 23 novembre 1875.
156 Ant, SH, C. 77, d. 896, arch. 1, Alī b. Sulaymān Kāhiya à Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr, juillet-août 1881.
157 Ant, SH, C. 77, d. 896, arch. 4, ‘Alī b. Sulaymān Kāhiya à Muṣṭafā b. Ismā‘īl, octobre-novembre 1879.
158 Ant, SH, C. 77, d. 895, arch. 10, général Salīm, chef des ḍabṭiyya à Khayr al-Dīn, sans date.
159 Ant, SH, C. 77, d. 897, arch. 7, ‘Aīša b. Alī b. Sulaymān Kāhiya.
160 L. Blili, 2004, 150.
161 Ant, SH, C. 77, d. 900, arch. 10, décret de ‘Alī Bey, 21 juillet 1885 (8 šawwāl 1302).
162 I. Sa‘dāwī, 1999, 1075.
163 Mae, CP, Tunis, vol. 10, Delaporte, 29 juin 1847, f. 78 r.-80 v. ; Pellissier, Sousse, 7 juillet 1847, f. 89 ; Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 130 : longtemps « fermier général » de la régence, Muḥammad b. ‘Ayyād tenta fin juin 1847 une fuite au consulat d’Angleterre avant de se raviser au bout d’une semaine. Mae, CP, Tunis, vol. 13, Bédard, 18 juin 1853, 240 v. ; Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 167-168 : son fils, avec qui il était en conflit, le financier du bey, Maḥmūd, parvint lui à s’exiler en France avec femmes et enfants en 1853.
164 Ḍiyāf, 1989, vol. vi, 96-97.
165 A. H. Green, 1978, 55.
166 A. Demeerseman, 1996, 77.
167 C. Samaran, 2003, 32-33.
168 Ant, SH, C. 73, d. 867, arch. 35, ‘Abd al-Qādir b. al-Ḥājj Aḥmad al-Bārūdī à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, fin juillet 1860 (début muḥarram 1277). Dans l’arbre généalogique des Bārūdī, famille qui a donné de nombreux dignitaires religieux à la régence, Arnold Green (1978, 83) laisse apparaître deux Aḥmad (l’un décédé en 1814, l’autre en 1856) mais pas de ‘Abd al-Qādir.
169 Mae, CP, Tunis, vol. 17, Roches, La Marsa, 6 novembre 1857, f. 264-265 ; Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 273-276 (A. Chahed, 2000, 119-123). La lettre de convocation s’adressait au šaykh al-islām Muḥammad Bayram et šaykh bāš mufti malékite Aḥmad b. Ḥusayn.
170 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 19.
171 G. Van Krieken, 1976, 179, 182.
172 C. Samaran, 2003, 54.
173 A. Larguèche, 1999, 353, 364, 369 ; S. Houidi, 2000, 40 ; K. Chater, 1984, 189.
174 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 287 ; A. Chahed, 2000, 143-144 : ordre (amr) du bey du 14 septembre 1858 (5 ṣafar 1275) pour la capitale et d’autres villes.
175 J. Taïeb (1999, 158) décrit l’enrichissement d’une douzaine de familles juives livournaises par l’« achat de titres de la dette publique tunisienne, les fameuses conversions à partir de 1867 ».
176 En renfort de cette citation, M. A. Ben Achour (1898, 326) évoque la richesse des Attal et des Nataf.
177 Mae, CP, Tunis, vol. 28, Duchesne de Bellecourt, 27 février 1869, f. 210 r.
178 J. Ganiage, 1959, 183 ; A. Raymond, 1994, vol. ii, 139.
179 A. Temimi, 2006, 112-113.
180 E. Molco, 1931, 185-186 ; J. Ganiage, 1959, 159.
181 A. Larguèche, 1999, 376.
182 M. Bey, 1968, 1453 : le général doutait qu’il puisse exister « parmi les Juifs de notre pays, soumis à nos lois, quelqu’un qui soit plus digne de figurer dans cette Assemblée et plus distingué à leurs yeux, que ceux sur lesquels vient de porter leur choix ».
183 Bnt, ms. 18 775, f. 20-21 ; L. Bercher, 1939, 85.
184 Ḥusayn, 1992, vol. i, 59 : lettre 13, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 24 avril 1867 (12 ḥijja 1283).
185 Ḥusayn, 1992, vol. ii, 104 : lettre 146, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 13 juin 1874 (27 rabī‘ II 1291).
186 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 140 : lettre 265, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 6 décembre 1883 (5 ṣafar 1301).
187 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 197 : lettre 290, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 3 avril 1887 (9 rajab 1304).
188 Ant, reg. 3306, f. 31-32, 3 février 1864 (24 ša‘bān 1280). La famille d’al-Ṭāhir Zawāš serait probablement d’origine turque provinciale (de Téboursouk).
189 Ant, al-Nuzha al-khayriyya, 1876-1877 (1293), 39 : al-mustašār.
190 Mae, CP, Tunis, vol. 57, Roustan, 26 avril 1881, f. 439 r.
191 Mae, CP, Tunis, vol. 59, Roustan, 14 juin 1881, f. 250 r.
192 R. Hunter, 1984, 72 ; F. Georgeon, 2003, 150, 155.
193 L. Blili, 2004, 321 : Aḥmad II, au pouvoir en 1929, aurait rappelé « à sa sœur Ḥalūma que son époux [était] arrivé à Tunis “avec une croix sur le cœur” ». C. Samaran, 2003, 62 : deux décennies plus tard, sous le règne d’al-Amīn Bey, les princesses étaient mariées à des dignitaires ou des proches de palais : deux caïds, un garde des Sceaux, un ancien ministre, un aide de camp et deux kāhiya.
194 H. Karoui (1973) évoque davantage le rôle des principaux intéressés dans l’avant-propos de sa thèse « sur la régence de Tunis à la veille du protectorat » : « Les notables de Tunis qui jouirent au cours du ministère Khereddine, 1873-1877, d’une ébauche de consécration, aspiraient, en effet, à prendre la direction de la Régence pour ensuite faire régner l’équité, la sécurité et la prospérité. Dans la Régence, de telles exigences étaient jusque-là refoulées et quelquefois timidement prêchées. Tout se passe comme si maintenant, le langage européen permettait de les exprimer plus hardiment et plus clairement. »
195 M. Smida, 1971, 128.
196 Ḥusayn, 1991, vol. i, 8 ; J. Ganiage, 1959, 437.
197 Mae, CP, Tunis, vol. 46, Roustan, 29 janvier 1878, f. 31 v.
198 Mae, CP, Tunis, vol. 48, f. 315.
199 Ant, reg. 3712.
200 Ant, reg. 508, f. 95.
201 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 38, sans date : parmi eux, Benito le garde-pipe et Joseph le cafetier.
202 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 40, sans date.
203 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 38 : mention d’un al-Šādīlī al-Šūšān.
204 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 40, sans date.
205 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 51, Bakār b. Sulyamān Wārda Mūšāšū à ‘Allāla b. Frīja, sans date.
206 L. Peirce, 1993, 219-220 ; M. I. Kunt, 1974, 235.
207 P. Daumas, 1857, 98.
208 Pour Le Caire, D. Crecelius (1998, 134 ; 2002, 320-341) prend l’exemple de ‘Alī Bey qui avait fait venir à ses côtés sa sœur et son frère (un prêtre grec orthodoxe) tout en nommant son neveu au beylicat.
209 Ch. Monchicourt, 1928, 575.
210 Ant, SH, C. 3, d. 42, arch. 95, Muḥammad Khaznadār à Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 25 juin 1832 (26 muḥarram 1248) ; C. 9, d. 93, arch. 47, notice biographique établie par la direction générale des archives du secrétariat d’État, 21 février 1925 (28 rajab 1342).
211 Ant, SH, C. 9, d. 93, arch. 47, notice biographique établie par la direction générale des archives du secrétariat d’État, 21 février 1925 (28 rajab 1342).
212 A.-M. Planel, 2000, 276 ; P. Grandchamp, 1936, 467, 469-470, 472. André Mattei déclare le 4 novembre 1866 : « Si Selim Corso, actuellement à Malte, est réellement d’origine corse, étant fils de Jean Marini et de Madeleine Bogognano, natifs de Bonifacio, et par conséquent, étant le frère de feu Antoine Marini, décédé dernièrement en Corse, et de feue Thérèse Marini, femme en premières noces de Michel Cedi dont la fille Jeanne est ma femme, et en seconde noces de mon frère Jean Thomas Mattei, dont les enfants comme les miens sont par conséquent neveux et petits neveux dudit Selim. »
213 P. Grandchamp, 1936, 472 : traduction d’une lettre de Si Salīm Corso adressée à M. Espina, agent vice-consul de France à Sousse.
214 H. Hugon, 1913, 145 ; J. Ganiage, 1959, 90-91. Nous reproduisons ce nom de famille tel qu’il apparaît dans ces ouvrages. La transcription de ce nom varie ensuite dans les archives.
215 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 4, Muṣṭafā Khaznadār au négociant « Bastarī » de Marseille, 3 février 1866 (20 rabī‘ I, al-anwār 1266).
216 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 27, Qaṭiṭiyān Khādikiyās à Muṣṭafā Khaznadār, 25 décembre 1850.
217 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 11, Iānī Khādikiyās à Muṣṭafā Khaznadār, 27 avril 1867.
218 Ant, SH, C. 6, d. 79, 3e sous-dossier, arch. 20, Jean Chalkis à Muṣṭafā Khaznadār, 4 et 16 décembre 1867. La Serbie et la Grèce signent cette année un traité d’alliance secret contre Istanbul.
219 Ant, SH, C. 6, d. 79, 3e sous-dossier, arch. 20, Jean Chalkis à Muṣṭafā Khaznadār, 4 et 16 décembre 1867.
220 Mae, CP, Tunis, vol. 29, de Botmiliau, 20 octobre 1867, f. 190 r.
221 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, 25 août 1860 (7 ṣafar 1277), 4. Ce calife règne de 833 à 842.
222 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, 7 juillet 1870 (7 rabī‘ II 1287), 4 : « Les janissaires étaient les meilleurs du royaume pour veiller à la puissance naturelle. »
223 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, 18 mai 1863 (29 qa‘da 1279), 21 août 1863 (6 rabī‘ I 1280), 8 septembre 1863 (24 rabī‘ I 1280)
224 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, 26 janvier 1864 (16 ša‘bān 1280).
225 A. Amiel, 2001, 17.
226 Il existe certes une institution chargée de liquider les successions (al-bayt al-māl) mais, dans les archives que nous avons pu consulter, nous avons avant tout trouvé trace de soldats turcs et pas de mamelouks.
227 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 40-42 : ‘allaqa ayādi-hi fī a‘nāq rijāl al-dawla.
228 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 63.
229 P. Bardin, 1979, 18 : ils sont choisis parmi une « colonie de commerçants tunisiens presque tous originaires de Djerba, spécialisés dans le commerce des tarbouch ou chéchias ».
230 A. Tunger-Zanetti, 1996, 54, 73, 75.
231 Ant, SH, C. 223, d. 395, arch. 25, Yaḥiyā Arwāy à Muṣṭafā Khaznadār, 1860-1861 (1277).
232 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 14.
233 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 95.
234 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 98.
235 A. Zouari, 1990 ; M. Smida, 1991 ; A. Tunger-Zanetti, 1996 ; P. Bardin, 1979.
236 Ant, SH, C. 73, d. 864, arch. 28, Muḥammad Kūšk à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 20 juillet 1860.
237 A. Tunger-Zanetti, 1996, 59-60.
238 Mae, CP, Tunis, vol. 29, de Botmiliau, 3 septembre 1867, f. 68 v.
239 Ant, SH, C. 223, d. 390, arch. 283, ‘Umar Arwāy, 1875-1876 (1292).
240 Ḥusayn, 1991, vol. i, 69-70, lettre 21, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 28 juillet 1868 (7 rabī‘ II 1285) ; vol. i, 74-75, Khayr al-Dīn à Ḥusayn, 17 août 1868 (27 rabī‘ II 1285).
241 Ḥusayn, 1992, vol. ii, 125-126, lettre 159, Ḥusayn à Khayr al-Dīn, 12 mai 1877 (28 rabī‘ II 1294).
242 Mae, CP, Tunis, vol. 46, Roustan, no, 8 décembre 1878, f. 507 r. : sa nomination à la fonction de grand vizir provoque à Tunis, « et surtout au Bardo, une émotion ».
243 M. Morsy, 1987, 15 ; G. Van Krieken, 1976, 9 : jusqu’à ses seize ans auprès d’un « curateur des lignages chérifiens ».
244 G. Van Krieken, 1976, 280 : d’après Muḥammad al-Sanūsī, « al-Riḥla al-ḥijāziyya », Ḥawliyyātal-jāmi‘a al-tūnisiyya, VII, 1970, 105.
245 Ant, SH, C. 252 bis, d. 698.
246 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 109.
247 Ant, SH, C. 209, d. 142, Muṣṭafā Khaznadār, 1839 ; C. 209 bis, d. 153, visite de Rašīd pour l’avènement de Napoléon III en 1853 ; C. 209 bis, d. 154, Khayr al-Dīn en France de 1853 à 1856 ; C. 209 bis, d. 158, Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘en 1856 ; C. 209 bis, d. 159 bis ; Khayr al-Dīn en 1861, 1864, 1865 et 1868 ; C. 209 bis, d. 161, voyage du général Ḥusayn afin de féliciter Mac Mahon, devenu président de la République en 1873.
248 Ant, SH, C. 257, d. 735 et 747, en Belgique et au Danemark en 1861 ; C. 258, d. 767, en Suède et en Norvège en 1861 ; C. 255, d. 721-722, en Allemagne en 1862-1863 ; C. 252 bis, d. 698, 4e sous-dossier, en Autriche en 1863.
249 Ant, SH, C. 254, d. 708 et 709.
250 Ant, SH, C. 258, d. 768.
251 Ant, SH, C. 257, d. 762.
252 Ant, reg. 2486, f. 28.
253 Ant, reg. 2486, f. 28-30.
254 A.-M. Planel, 2000, 262-264 : César Clément avait bénéficié d’un premier apprentissage auprès du Dr Lombard. Il se forma ensuite à Naples. Il fut médecin du camp du bey puis du Bardo sous Muḥammad Bey et Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey. Son frère aîné François était horloger de la cour. Un troisième frère, Louis, enseigna l’arabe à l’école du Bardo.
255 A.-M. Planel, 2000, 148 : né à Alep en 1814, correspondant des sociétés savantes d’Algérie, il devint premier drogman à Tunis en 1854.
256 Ant, SH, C. 209 bis, d. 153, arch. 12, Jules de Lesseps à Muṣṭafā Khaznadār, 15 mars 1853 : il y évoque la réception des deux envoyés tunisiens par Napoléon III.
257 Ant, SH, C. 252 bis, d. 698, 1er sous dossier, arch. 1, Muṣṭafā Āġā à « Sydi Josepf Sagap Taba », 19 juin 1793.
258 Ant, reg. 2486, f. 28, 31, 88.
259 Ant, reg. 2486, f. 31.
260 Ant, SH, C. 257, d. 762, arch. 11, lettre adressée à Muṣṭafā Khaznadār, Lisbonne, 5 août 1869.
261 Ant, reg. 2486, f. 32, 33.
262 Ant, reg. 2486, f. 33.
263 Ant, reg. 2486, f. 43
264 Ant, SH, C. 11, d. 98, arch. 98, le directeur des Finances de la résidence générale, le 24 décembre 1891.
265 Ant, SH, C. 12, d. 108, arch. 7 969, la « copie d’une lettre de M. Gadban, banquier à Londres, adressée au Consulat de France à Florence, le 13 juillet 1888 » fait était de 2 000 £ nominales en obligations turques.
266 Ant, SH, C. 11, d. 98, arch. 62, l’ambassadeur de France à Constantinople au ministre des Affaires étrangères, Péra, le 8 décembre 1891. Selon A. M. Medici (2006, 82), ce sont les invalides tunisiens de l’armée qui doivent bénéficier de ces biens (Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8 958).
267 Ant, SH, C. 11, d. 103, arch. 5 ou 7 726, « Bail de location de l’immeuble dit Heussein sis à Tunis pour le logement de M. le Général commandant le corps d’occupation et l’installation des bureaux des services de l’État-major et des renseignements. »
268 Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8 791, consul de France à Florence au ministre des Affaires étrangères, 20 juillet 1887 : le secrétaire, « un jeune égyptien du nom de Mohamed Sengherzy », « scribe matériel du testament » du général « sollicité de se rendre à Paris par des individus dévoués à la personne du Bey » devait fabriquer « un testament instituant le monarque tunisien seul et personnel héritier ».
269 Ant, SH, C. 11, d. 98, arch. 8 762, David Santillana, Florence, 1er juillet 1887.
270 Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8 900, consul de France à Florence, au ministre des Affaires étrangères, le 22 novembre 1887.
271 Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8 764, consul de France à Florence, au ministre des Affaires étrangères, le 1er juillet 1887. Selon Léon « Elmilik », l’ancien agent de Ḥusayn, « le susdit sieur Hussein a été toujours sujet tunisien, soit parce qu’il est mamelouk du Bey, et ensuite parce qu’il avait servi l’armée » (arch. 8 771).
272 Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8 786, Florence, le 15 juillet 1887.
273 Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8 908, consul de France à Florence, au ministre des Affaires étrangères, 12 novembre 1887. Dans une lettre à David Santillana, Khayr al-Dīn obtenait l’autorisation de faire transporter le corps (arch. 8 909).
274 Ant, SH, C. 11, d. 100, arch. 7 524, direction politique du Protectorat, 26 septembre 1887. Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 8 818, Khayr al-Dīn au bey de Tunis.
275 Ant, SH, C. 11, d. 100, arch. 7 524, direction politique du Protectorat, 26 septembre 1887. Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 9 014, direction politique du ministère des Affaires étrangères.
276 Ant, SH, C. 12, d. 113, arch. 9 109, D. Santillana au résident général, 9 février 1888.
277 Ant, SH, C. 11, d. 100, arch. 7 605, 7 608, 7629, 7 627, 7 658, 7 672 ; C. 12, d. 113 b, arch. 9 116.
278 Ant, SH, C. 11, d. 100, arch. 7 605.
279 Ant, SH, C. 11, d. 100, arch. 7 608, extrait des minutes du greffe du tribunal civil de première instance de Tunis ; arch. 7 609.
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