Chapitre 8. Enfants du pays, « fils » des souverains et descendants de mamelouks
Associer des autochtones au service du beylik
p. 277-323
Texte intégral
1Les réformes et la fin progressive des traites d’esclaves : à partir des années 1830, ces deux mouvements de fond s’imbriquent dans la province de Tunis. Ils aboutissent à des effets contrastés. Les réformes ont en effet amené des dignitaires mamelouks à se distinguer à la tête du gouvernement tandis que la totalité de leur ordre se fondait dans un ensemble élargi de fonctionnaires. D’autre part, la fin des traites a peu à peu réduit le nombre de mamelouks dont les rangs pouvaient de moins en moins être renouvelés par des apports extérieurs. Cette dynamique a conduit les plus aguerris de ces hommes à se maintenir plus longtemps à leurs hautes fonctions. Au bout du compte, avec la fin des traites, ce sont deux logiques complémentaires qui se sont dessinées : un évidement de la base du sérail et un comblement de la pyramide administrative par la province ; une association croissante de sujets aux réformes et un nécessaire remplacement de serviteurs disparus avec la fin de la course et des ventes d’esclaves.
2Conjuguées, les réformes et la fin des traites d’esclaves ont surtout entraîné des efforts dispersés pour redéfinir les modes de transmission de l’autorité : les foyers de captivité s’étiolant, la demande en serviteurs ne se démentant pas, il fallait réaménager les processus d’entrée et de perpétuation d’agents dans le makhzen. Au temps des réformes, des mamelouks se sont évertués à trouver de bonnes places pour leurs descendants. Le principe tout théorique de n’associer aucun fils à leurs corps, autrement dit de non-transmission d’un statut de mamelouk de père en fils, prit ainsi fin de façon officielle. De manière plus générale, dans la province, les beys ont recruté et promu des enfants du pays en nombre croissant pour leur armée et leur administration. Avec hésitation, ils ont cherché à établir un service du makhzen moins empreint de défiance envers leurs sujets.
3Entre les deux, entre les successions désormais assumées des mamelouks et l’enracinement accru d’une autorité dynastique par recrutement d’autochtones, des discours d’association ont misé sur le lien de parenté : les formules de parenté et surtout de filiation fictives ont été étendues des sérails vers les armées régulières et les hiérarchies administratives. La parenté fictive avait complété la parenté par le sang depuis le xviie siècle ; désormais, elle tentait de recouvrir la « parenté de pays » ou l’autochtonie proprement dite.
4À son tour, chacune de ces modulations a impliqué d’autres remises en question. Les fils inscrits dans le sillage de leurs pères mamelouks devaient-ils encore être considérés comme des mamelouks ? Comment combiner un discours de la promotion et de la filiation fictive avec d’autres valorisations du collectif qui commençaient à reposer au plus près sur l’amour du pays, au plus loin sur un ottomanisme réinventé ? Là encore, par la parenté fictive, est-ce la condition mamelouke qu’il s’agissait d’universaliser ?
PROMOUVOIR LES ENFANTS DU ROYAUME
5En ce temps de réformes et de réaménagements des catégories de serviteurs, à l’échelle de la province, le recours croissant aux « enfants du pays », leur promotion aux commandes de la dawla étaient déterminants pour l’existence de la dynastie beylicale. Cependant, en ce domaine, d’Aḥmad Bey à Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, la volonté des souverains fluctua. Le premier (1837-1855) élabora un nouvel esprit de corps et promut nombre d’autochtones. À l’inverse, son successeur, Muḥammad Bey, sembla effaré par toutes ces perturbations et il parut se raviser durant son court règne de 1855 à 1859. Dans un troisième temps, Muḥammad al-Ṣādiq (1859-1882) parut se situer à mi-chemin : il continua à placer au premier plan les mamelouks tout en entérinant un long mouvement souterrain, tout en accompagnant un progressif remplacement d’un corps servile en voie d’épuisement par des enfants du pays.
6Entre ces trois règnes, une des institutions issues des réformes, l’école militaire du Bardo, née en 1840 et maintenue jusqu’à la fin des années 1860, renforça le mouvement d’enracinement complet de l’administration. L’école regroupait des élèves dont les profils variés illustraient les relations, les tensions et les transitions entre recrutement des mamelouks et formation des autochtones.
Les membres d’un seul corps
7Au cours du règne d’Aḥmad Bey, la répartition des pouvoirs semblait obéir au même partage que sous ces prédécesseurs : hauts offices militaires et makhzéniens pour les mamelouks ; charges religieuses, affermages, commandements des troupes tribales, chancellerie pour les autochtones1. Au sommet de la liste des dignitaires établie par le secrétaire al-Bājī al-Mas‘ūdī, les mamelouks occupaient encore et toujours les premières places. Trois d’entre eux étaient qualifiés de « vizir » (les trois Muṣṭafā : Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Āġā et Khaznadār). Sept autres se distinguaient parmi douze « hommes de la dawla ». Entre les deux ensembles, deux noms d’enfants du pays étaient cités : celui de chef des secrétaires Muḥammad al-Aṣrām, et celui du secrétaire particulier du bey, Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf. Les autres serviteurs autochtones bien plus nombreux fermaient la marche2.
8La concurrence entre mamelouks et autochtones ne suscitait pourtant pas de lutte ouverte3. Les rivalités se manifestaient par à-coups, au détour d’une phrase. Les mamelouks faisaient parfois part de leur mépris pour les sujets du pays4. En face, parmi les autochtones, le cadi du Bardo, Muḥammad b. Salāma, répétait tout au long de la première partie de son ‘Iqd un précepte de gouvernement que l’historien Hachmi Karoui transcrit ainsi : « Le souverain doit toujours s’entourer des a‘yān » à qui il doit confier les « fonctions les plus importantes » puisqu’ils appartiennent au pays d’administration et qu’ils jouissent du « respect et de la confiance » des sujets5. Pour sa part, dans une page de sa chronique traitant des années précédant le règne d’Aḥmad Bey, Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf tentait d’éclairer la tragique disparition du deylik d’Alger par les origines étrangères de son pacha :
« S’assurer la sécurité pour ses biens était ce qui lui importait avant tout, car il était entré dans le pays les mains vides […]. S’il était né dans le pays, il lui aurait été difficile de se conduire ainsi et il n’aurait pas accepté d’un cœur léger de voir le pays courir au précipice. C’est pour cette raison que là où existent des dynasties princières les intérêts du pays sont bien servis et l’intégrité du territoire en général assurée6. »
9Au-delà de ces allusions, à partir de la fin du xviiie siècle, des antagonismes s’étaient affirmés dans des croisements de trajectoires, quand l’ascension de l’un réduisait à néant l’ambition d’un second. L’exil d’Aḥmad b. ‘Ayyād au Caire, à la fin des années 1780, s’expliquait par la haine que lui vouait le lieutenant Ismā‘īl Kāhiya7. La chute de al-‘Arbī Zarrūq sous les coups de Ḥusayn Khūjā en 1822 mit fin à une des rares expériences de vizirat autochtone, et permit le rétablissement de mamelouks à cette fonction principale. Cependant, Ibn Abī al-Ḍiyāf qui défendait le bon droit des enfants du pays, ne fut pas solidaire d’al-‘Arbī Zarrūq. Il lui reprochait d’avoir mis fin à l’autorité de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, le protecteur de son père. Par la suite, le secrétaire et chroniqueur fut très proche à la fois du mamelouk Khayr al-Dīn et du notable Maḥmūd b. ‘Ayyād. Il débutait ses lettres adressées aux deux hommes par des « mon frère » (.kh.)8 et il maintint une correspondance avec le second, après sa fuite en France en 18529.
10Les rivalités personnelles ne pouvaient être extrapolées, rigidifiées en blocs cohérents et opposés. Comme le rappelle L. Blili, mamelouks et enfants du pays constituaient « deux catégories indispensables au pouvoir10 ». Plus qu’au sein du sérail, plus qu’entre dignitaires, les relations avec les mamelouks se sont certainement davantage modifiées et altérées avec l’application de réformes militaires et fiscales. Car ces transformations incarnées par les serviteurs du bey ont pu être perçues comme des motifs de perturbation, les indices de la tournure despotique prise par l’autorité beylicale11. La conscription fut rejetée, en opposition avec les conceptions de service et d’obéissance que ces agents du bey étaient censés incarner. Révélant un attachement profond à l’ancien ordre des relations entre sujets (ra‘āyā) et soldats (askarī), lors d’agitations début 1837, les Tunisois formulèrent un refus de militarisation de l’État et de la société :
« Quel besoin avons-nous d’une armée nombreuse qui augmentera nos dépenses et diminuera nos revenus puisque ceux qui seront incorporés dans les troupes (régulières) cesseront d’être d’une utilité quelconque au pays et feront peser sur lui la charge de leur entretien ? »
11Ils ne voulaient pas que la condition des Turcs ou des mamelouks se généralise à leurs descendants :
« Les habitants de la capitale ne sont pas astreints à fournir des soldats : ce sont les enfants des Turcs qui sont soldats car ils sont inscrits sur le registre de la solde. […] Nous sommes musulmans et chaque musulman est soldat en cas de besoin. […] Nous ne pouvons pas donner nos enfants pour qu’ils passent leur vie à peiner, enfermés dans un seul endroit, comme les bêtes de trait des moulins12. »
12Parallèle à la formation du niẓām al-jadīd, le « tour de vis fiscal » focalisa du temps des réformes plus encore le ressentiment contre les principaux vizirs mamelouks. Des poèmes gardaient en mémoire les actes de prédation auxquels s’était livré Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ :
« Šākīr et ses maḥalla,
Il a demandé des chameaux et des moutons pour ses amis.
Le paiement d’impôts ce fut son appel d’origine.
Envahisseur des bédouins arabes et de leurs chameaux,
Il a bouché habitats et forteresses13. »
13Face à ces refus, à ces tensions croissantes, devant la nécessité simultanée d’étoffer les rangs de l’armée et de remplir les caisses du Trésor, les relations entre ‘askarī et ra‘āyā, entre tenants de l’autorité militaire et sujets, devaient être réaménagées. Parvenu au pouvoir à partir de 1837, dans ce contexte de contestations et de remises en ordre, Aḥmad Bey tenta de rapprocher les autochtones de sa personne.
14Sur le fond, le bey eut en tête la ‘aṣabiyya, cet esprit de corps si déterminant dans la Muqqadima d’Ibn Khaldūn. Apparemment inspiré de cette œuvre cardinale qu’il affirmait connaître14, le bey proclama un jour qu’il « percevait chacun des fils du royaume digne de toutes les fonctions et digne d’être favorisé ». Il ne voulait avoir de préjugé sur aucune catégorie, craignant que la moindre préférence « n’aboutisse à affaiblir l’esprit de corps » et donc à saper sa souveraineté15. Au chef de la garde, Farḥāt, qui s’étonnait qu’un mamelouk puisse être placé dans la fanfare du palais, Aḥmad Bey répondait : « […] je place tout le monde sur le même plan. Si je promeus un mamelouk à la fanfare, il me faut également y élever des enfants du royaume dont je suis issu. »
15Il décrétait donc qu’il n’y avait qu’un seul corps, sans la moindre préférence, qu’une seule ‘aṣabiyya non pas inspirée par une force tribale, comme dans le schéma khaldūnien, mais acquise par appartenance au pays. De cette aṣabiyya, Aḥmad Bey jugeait être à la fois le garant et l’une des composantes :
Il se voulait « en harmonie avec les hommes de sa dawla […] il les percevait comme les membres de son propre corps. […] Il visitait les convalescents, ou leur dépêchait quelques-uns de ses intimes. Il se rendait chez eux au mois de ramaḍān16 ».
16Le bey prétendait alors ne pas vouloir se séparer de ses hommes. Il ne voulait faire qu’un avec ses serviteurs. En revenant avec ses soldats en 1840, il refusa de se hâter vers son palais. Il ne laissa pas ses troupes revenir avec l’āġā, comme c’était le cas sous ses prédécesseurs : « […] je ne m’attribuerai pas à leur détriment deux nuits de repos dans ma maison. Je sortirai avec eux comme je suis entré17. »
17Comme pour prolonger cet effort de cohésion, Aḥmad Bey aimait à s’entourer de fils du pays, d’enfants d’autres maisons dans sa vie au palais. À midi, en compagnie de Muṣṭafā Āġā et Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf, Aḥmad Bey pouvait déjeuner avec ses deux bouffons Muṣṭafā Asmatī et Ḥasūna Mattalī et, d’une semaine à l’autre, avec le docteur Castelnuovo ou son collègue, Lumbroso. Au dîner, les deux mêmes bouffons l’entouraient. À droite, derrière Asmatī venaient surtout s’asseoir sept enfants : Muḥammad, le fils de Muṣṭafā Khaznadār ; Ṣāliḥ, l’enfant d’al-Amīn Bey ; les deux garçons du général Murābiṭ, Maḥmūd et Ḥammūda ; Muṣṭafā Mattalī ; Muḥammad Khalsī, descendant d’une famille de sellier ; Ḥasan Walad al-Wād, surnommé ainsi parce qu’il avait été retrouvé dans le lit d’une rivière. Huit officiers autochtones étaient chargés du service, dont un descendant des Asmatī. Les composantes du pays étaient, de surcroît, représentées par divers plats posés sur la table : le bey faisait rechercher ses mets préférés d’autres maisons. Les bricks étaient cuisinés chez les b. ‘Ayyād. L’« assida ou bazine18 » était préparée chez les Jallūlī. Le couscous avait mijoté auprès de « Osman, oukil » al-zandāla19.
18Au-delà de ces premiers cercles, la garde des palais recrutait en différents points du pays : au début de l’été 1845, les hommes affectés à la protection de la mère du bey révélaient par leurs noms des attaches sahéliennes et kairouanaises20. Début 1848, dans un des registres rassemblant la réglementation de la surveillance du palais, d’autres enfants du pays étaient mentionnés comme aides de camp de dignitaires mamelouks : Muḥammad al-Ġazal assistait le Ṣāḥib al-Ṭābi‘ ; Aḥmad b. Zīna et Ja‘īṭ b. al-Šaykh étaient affectés auprès du khaznadār21.
19En dehors des palais, ce mouvement affectait les casernes22. Dans la première brigade du début des années 1830, le chef de division (amīr al-umarā’) Ayyūb était un mamelouk mais pas son premier subordonné, l’amīr al-liwā Muḥammad Ṣāliḥ Masākīn, ni même trois des cinq colonels de cette troupe : ‘Alī b. Sulaymān al-Šarīf, Aḥmad b. Muḥammad al-Zīn ou Alī b. Muḥammad Yūsuf al-Sūsī. Mamelouks et autochtones ne faisaient pas que se côtoyer aux plus hauts grades : les uns et les autres recevaient la nisba d’al-Tūnisī pour marquer une origine commune, un lien à la capitale de la province23. À la même période, le général Ḥasan b. ‘Umar al-Maqrūn de Msaken avait été placé à la tête de la cinquième brigade24 qui regroupait en son sommet des Kairouanais25. Des enfants du pays bénéficiaient aussi de promotions plus modestes : Ḥasūna ‘Abbās était devenu commandant (binbāšī) et Aḥmad al-Mazūġiyū adjudant-major (ṣaġqulāġāsī) fin 183926.
20À l’instar de Ḥammūda Bāšā, Aḥmad Bey favorisa à ses côtés certains autochtones. Tout en fragilisant des chefs de familles makhzéniennes parfois poussés à l’exil27, ce bey concédait à des enfants du pays des positions jusque-là réservées à des mamelouks ou pour le moins à des intimes du sérail28. Un de ses amis, Ḥamda al-Šbāb, fils du maître (amīn) des cordonniers-criniers, se vit accorder des charges importantes durant son règne29. De l’avis de Leon Carl Brown, le souverain « développa des liens politiques plus intimes avec des notables que ne l’avaient fait ses prédécesseurs ». Il plaça un descendant des Banū Rizq, Ḥamīda b. Daliya, à la tête des Drīd et il lui fit atteindre le grade de général30. Muḥammad al-Bakkūš qui fit partie des « jeunes gens attachés à la personne du monarque » était originaire du cap Bon. Il avait grandi dans le village de Béni Khiar auprès d’un père cultivateur, propriétaire d’une briqueterie31. L’un des favoris les plus proches du bey, Ṣāliḥ Šībūb, était le fils d’un négociant djerbien des marchés de Tunis32. Un des enfants du pays qui connut la plus glorieuse ascension au sein de l’armée, Muḥammad al-Murābiṭ, était, en revanche, issu d’une famille de notables kairouanais. Son père ‘Utmān avait gouverné la ville et commandé des troupes de spahis. Dès sa jeunesse, Muḥammad avait été confié à Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ afin d’être incorporé dans le niẓām al-jadīd.
21L’ascension de ces hommes fut parfois comparable à celle des mamelouks des beys. Muḥammad al-Murābiṭ fut chargé en 1842 du commandement de la cinquième brigade (alāy)33. Il reçut le nīšān al-iftikhār de première classe quatre ans plus tard, et le nīšān al-akbar en 185034. Aḥmad Bey le jugeait digne de le représenter à l’étranger : en 1855, le général Murābiṭ accompagna les princes Muḥammad al-Ma’mūn et Muḥammad al-Amīn Bey à Paris, pour une visite de courtoisie auprès de Napoléon III qui venait d’échapper à un nouvel attentat35. De son côté, Ṣāliḥ Šībūb gravit plus vite encore les échelons militaires : d’abord en service dans la compagnie de musique de l’armée36, puis simple major (alāyamīn) en février 1842, il fut promu lieutenant-colonel un an plus tard, colonel de la garde armée du palais à partir de novembre 1846, kāhiya du pays de Bizerte dès 1850 et caïd de Mateur en 1853. Il avait reçu, un an plus tôt, le nīšān al-akbar37. Ṣāliḥ Šībūb voulait entretenir une forte intimité avec le bey : à l’automne 1843, il avait avoué à Muṣṭafā Khaznadār être en peine car il désirait voir leur maître38. Le bey se montrait prévenant. Son vizir relayait ses conseils au favori :
« Il vous recommande, mon fils, de faire attention à vous, de vous employer à améliorer votre santé conformément à ce que vous a indiqué le médecin. Apprenez que la santé du corps apporte tous les biens, c’est le capital de l’homme […]. Ayez conscience que c’est la première fois que vous sortez seul […]39. »
22Malgré ces promotions et ces égards, de subtiles différences étaient maintenues avec les dignitaires mamelouks installés dans la province. Les maîtres de maison établissaient des gradations entre serviteurs par l’alliance matrimoniale. Les quelques fils du pays favorisés par le bey n’étaient que rarement apparentés à la famille beylicale. Muḥammad al-Murābiṭ al-Ġariyānī reçut la main d’une sœur d’Aḥmad Bey car il appartenait à une des illustres maisons du pays et qu’à ce titre, il pouvait incarner un exemple pour les hommes du royaume40. De bien plus modestes extractions, Ṣāliḥ Šībūb et Muḥammad al-Bakkūš n’avaient pas eu droit à de tels honneurs. Ils furent néanmoins mariés à des filles de notables du makhzen : Ṣāliḥ Šībūb épousa la fille de Maḥmūd Khūjā, gouverneur de La Goulette en charge des affaires navales du beylik41. Muḥammad al-Bakkūš fut marié, une fois « sa fortune […] faite », avec Māmiyya bint Ḥamīda b. ‘Ayyād. Un de leurs descendants épousa une fille de Muṣṭafā Khaznadār et un autre, une princesse42. Ṣāliḥ Šībūb comme Muḥammad al-Bakkūš trouvaient place dans un réseau d’alliances tissé à partir du sérail. Ils contribuaient à raffermir des liens entre le palais et les maisons d’obligés de la dynastie.
23Ces distinctions dans le choix d’alliances n’étaient pas les seules limites à ces stratégies de mise en valeur des autochtones. Le désir du maître ne faisait pas tout. L’ascension vertigineuse d’un homme issu de la ‘āmma pouvait heurter des esprits davantage accoutumés à ce que les favoris soient choisis au sein du sérail, parmi le corps maîtrisé des mamelouks. La fortune de Ṣāliḥ Šībūb parut ainsi déplaire dans l’entourage du souverain. Dès 1843, le vizir Muṣṭafā Khaznadār conseillait au jeune Šībūb d’agir selon son rang : avec douceur, Khaznadār l’invitait à parler autrement à Maḥmūd b. ‘Ayyād ; il lui rappelait qu’il n’était « pas dans le besoin à l’égard de personne43 ». Face à ce parvenu, un courtisan tel qu’Ibn Abī al-Ḍiyāf moquait la propension du favori à se lamenter auprès du bey, à lui soutirer des décorations, à étaler ses distinctions dans les souks de Tunis44. Ṣāliḥ Šībūb ne faisait rien pour s’assurer une dignité. En 1848, devenu général de brigade des troupes de Porto Farina, l’homme du bey fut très imprudent : il provoqua une vive émotion en enlevant pour le service de sa caserne-sérail45 les deux fils du šaykh Muḥammad al-‘Annabī, cadi de la bourgade voisine de Rās al-Jabal.
24Les mariages princiers, l’éducation de palais (tarbiyat al-quṣūr, selon l’expression populaire), la fidélité exclusive à la famille régnante : tous ces éléments pouvaient éloigner des enfants du pays hors des premiers cercles beylicaux. A contrario de ce que supposait Robert Hunter dans une comparaison avec l’entourage égyptien de Muḥammad ‘Alī, la dynastie beylicale ne s’était pas pleinement « tunisifiée ». Au Bardo autant qu’au Caire, les souverains comptaient aux plus hautes positions sur leurs « parents naturels », sur leurs « parents par alliance » et sur des « minorités étrangères46 ». Sous le règne d’Aḥmad Bey, puis sous celui de ses deux successeurs, « l’idée d’une classe dirigeante, distincte par l’ethnie et par la culture commença à perdre de sa vigueur47 », mais l’ascension des enfants du pays ne fut pas complète.
Refus en surface, enracinement en profondeur
25La marginalisation de tel ou tel dignitaire autochtone et, à l’inverse, les faveurs excessives dont jouissaient les mamelouks commencèrent à choquer Ibn Abī al-Ḍiyāf sous les règnes de Muḥammad Bey (1855-1859) et de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey (1859-1882). Les archives administratives du beylik évoquaient fort peu ces formes de mécontentement. Ibn Abī al-Ḍiyāf, en revanche, devenu plus critique à l’égard des pratiques du pouvoir husaynide, entendait relayer dans sa chronique les rumeurs de la ville, les bruissements de sujets dont il ne dévoilait pas l’identité. Selon son récit, les premiers mois passés par chacun des deux souverains à la tête de la province parurent empreints d’une certaine réaction, durement ressentie par les autochtones.
26Narrant les débuts du règne de Muḥammad Bey, le chroniqueur détailla les dégradations dont furent victimes Muḥammad al-Murābiṭ, Ṣāliḥ Šībūb et d’autres anciens proches d’Aḥmad Bey48. Le plus puissant de ces personnages, le général Muḥammad al-Murābiṭ, fut arrêté le 4 juillet 1855, au retour de sa visite à Napoléon III. Alors qu’il s’apprêtait à s’incliner devant son nouveau maître au Bardo, Muḥammad Bey retira sa main et fit mettre son gendre aux arrêts. Il confisqua les décorations, les charges, les biens et l’épouse du général, à qui il imposa le divorce49. Gardant un simple uniforme et la vie sauve, Muḥammad al-Murābiṭ dut s’exiler à Kairouan. Par la suite, des sanctions comparables s’abattirent sur Ṣāliḥ Šībūb, Ḥasūna Matālī ou Ḥasan al-Murābiṭ, dont le « seul crime » d’après Ibn Abī al-Ḍiyāf fut d’« être le frère » du général. Le souverain ne motiva que bien vaguement une telle sévérité. Il affirma ne plus vouloir être servi par de tels hommes. Il accusa surtout Muḥammad al-Murābiṭ et Ṣāliḥ Šībūb de s’être emparé des « richesses de l’État ».
27Ibn Abī al-Ḍiyāf montre bien qu’à ce moment nombre de dignitaires mamelouks désapprouvaient de telles décisions. Lorsque le prince s’ouvrit de ses projets à Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Muṣṭafā Khaznadār et Muṣṭafā Āġā, l’un des trois conseillers chevronnés rappela que Murābiṭ était membre par alliance de la maison beylicale. Le vieux ministre de la Guerre, Muṣṭafā Āġā, insistait sur l’aide que Murābiṭ avait portée à Aḥmad Bey durant sa maladie, allant jusqu’à se charger de ses ablutions. Moins sentimental, le khaznadār demandait au bey d’étayer ses accusations, de les fonder sur une faute « car il faut compter avec les langues des gens et les gazettes de tous les pays ». Lorsqu’en un second temps il fallut procéder à une saisie de biens, le mamelouk favori du bey, Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, refusa de se rendre aux foyers des disgraciés pour y débusquer des trésors cachés. Il rétorqua à son maître qu’il ne pouvait « les affronter par un acte réprouvé ». La réaction de ces serviteurs mamelouks eut beau être des plus modérée, ce qui importa à Ibn Abī al-Ḍiyāf, ce fut l’écho moral de cette affaire dans le pays :
« La rumeur de cet événement qui allait à l’encontre de toute règle et qui était sans fondement se répandit. Les gens en furent horrifiés. Ils n’en crurent pas leurs oreilles. Ce ne fut que désespoir et accablement. Les habitants de la capitale affirmaient qu’ils n’avaient commis qu’une seule faute : celle d’être des enfants du pays50. »
28L’idée d’une injustice faite aux autochtones brandie par Ibn Abī al-Ḍiyāf fut par la suite confirmée par d’autres gestes du bey. La réduction du nombre de notaires, puis de muezzins de la Grande Mosquée fragilisa la vie d’« humbles gens de la capitale51 ». Moins d’un an plus tard, en mai 1856, l’āġā du Djérid et mamelouk Farḥāt, « rendu coupable d’un acte d’insubordination vis-à-vis du Bey du Camp », fut certes « dépouillé de son titre et de tous ses insignes honorifiques », mais sa peine fut tardive et provisoire. Le bey du camp ne fit que rapporter l’affront à Khaznadār. Il fallut que ce dernier insiste auprès de son maître pour que le mamelouk soit châtié, mais Farḥāt fut très vite pardonné. Muḥammad Bey lui rendit ses décorations moins d’une vingtaine de jours après l’avoir sanctionné52.
29Le thème de l’iniquité réapparut au début du règne de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, avec la réorganisation des institutions du beylik. Dans sa chronique, Ibn Abī al-Ḍiyāf critiquait la création du commandement d’āġā des ḥānba, le 11 avril 1860. Le grade faisait double emploi avec celui de bāš ḥānba. Ce titre semblait si inutile que « certaines personnes affirmaient » qu’il s’agissait d’une simple manœuvre afin de détacher l’ancien « commandement des mains des enfants du royaume » car, si le bāš ḥānba était un autochtone, l’āġā des ḥānba devint un mamelouk : le premier nommé à cette fonction fut Rustum53.
30Ces moments de réactions beylicales ne parvenaient pourtant pas à ralentir des courants plus souterrains d’enracinement de la haute administration, poursuivis au temps d’Aḥmad Bey54. Les beys ne pouvaient favoriser à l’excès leurs mamelouks, ni trop rabaisser leurs sujets. Muḥammad Bey dut destituer du gouvernement du cap Bon Muḥammad ‘Alī, mamelouk de son père et intime de sa cour qui avait eu le tort de battre à mort un homme de la province55. À la fin de l’année 1859, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey se résolut à pardonner Muḥammad al-Murābiṭ, Ṣāliḥ Šībūb et d’autres anciens proches disgraciés d’Aḥmad Bey. Il prit à son service Ḥasūna al-Matālī et, selon Ibn Abī al-Ḍiyāf, « lorsque les gens apprirent cela, ils s’en réjouirent56 ». Les dignitaires mamelouks étaient eux-mêmes partagés sur les places à attribuer aux enfants du pays. Khayr al-Dīn en favorisa certains : il choisit ‘Utmān b. Muḥammad Hāšim comme conseiller au ministère de la Marine57 et poussa à la nomination de ‘ulamā’ au Conseil suprême58.
31Au-delà de ces trajectoires individuelles, les deux règnes furent surtout marqués par des dynamiques plus souterraines. Toute une série de dispositifs législatifs délimitèrent et réglementèrent les relations des beys à leurs sujets et le service que ce dernier pouvait rendre aux gouverneurs de la province. Le Pacte fondamental de 1857, promulgué sous la pression des consuls européens, garantissait une égalité devant la loi et une « complète sécurité » de tous les « sujets et tous les habitants de nos États, quelles que soient leur religion, leur nationalité et leur race ». Les soldats ne seraient plus enrôlés par les souverains que pour un service à durée limitée, en « suivant un règlement et d’après le mode de la conscription au sort59 ». En 1861, un article de décret « sur l’organisation politique de la Régence » certifiait que tout « sujet tunisien qui n’aura[it] pas été condamné à une peine infamante pourra[it] arriver à tous les emplois du pays60 ».
32Au fil de ces années, d’anciennes figures mameloukes disparaissaient des hiérarchies de la dawla dressées sur des registres du palais, puis retranscrites dans des journaux officiels et portées à la connaissance des lettrés de la province. Au fur et à mesure, des serviteurs nés dans le pays et élevés hors du sérail les remplaçaient. Au premier abord, ces listes d’agents obéissaient aux mêmes principes. À l’échelle du gouvernement comme à celle des caïdats de la province, des mamelouks commandaient et des autochtones secondaient. Dans une liste des ministres et des fonctions transmise au consulat de France à la mi-avril 1860, des hommes tels que Ḥusayn, Rustum, Farḥat étaient signalés comme premiers fonctionnaires des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la direction des Comptes ; leurs collègues nés dans le pays étaient, pour leur part, en charge des différents secrétariats61. Dans un recensement des plus haut gradés promus par le bey du milieu des années 1860, on ne comptait que deux fils de la province parmi vingt et un généraux de division (Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf et Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr) mais une vingtaine parmi les trente-sept généraux de brigade62. En 1873, dans le gouvernement formé à la chute de Muṣṭafā Khaznadār, les autochtones tenaient surtout différentes directions administratives, alors que cinq des six ministres étaient des mamelouks. Le seul fils du pays, Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr63, avait été nommé ministre des Finances en 186664 mais il était perçu par le consul de France à la fois comme une créature et un paravent utiles au khaznadār :
« Le Khasnadar, en choisissant un Arabe, donne une certaine satisfaction à l’opinion publique qui attribue, et cela non sans raison, aux Mamelouks l’état actuel de l’administration de la Régence. Malgré cette nomination, il est probable que le Premier ministre continuera […] à régler seul les questions financières65. »
33Dans l’ensemble du pays, sur cinquante-trois noms de caïds mentionnés en 1863-1864, quinze étaient en apparence des mamelouks. Ils avaient été placés à la tête de circonscriptions notables du beylik : Monastir, Kairouan, Sfax, l’île de Djerba et al-A‘rāḍ sur la façade orientale ; La Marsa, Bizerte, Mateur, Tabarka et Béja dans le Nord-Ouest et enfin, le Djérid dans le Sud intérieur. Parmi eux, rares étaient ceux qui prenaient le commandement de tribus66. Ces charges étaient plus souvent occupées par des hommes du cru. Au sein de chaque caïdat, il fallait aussi compter sur des distributions internes de l’autorité : les mamelouks gouverneurs étaient secondés par des adjoints (khalīfa) du pays. Dans les caïdats, plus que de primauté, il fallait donc parler de division des tâches : les mamelouks étaient nommés dans des domaines urbanisés, de contacts ou de marges ; les autochtones semblaient plus affectés dans des territoires de parcours ou de migration. Au sein des caïdats, l’administration quotidienne revenait par délégation aux adjoints autochtones de mamelouks trop occupés par les autres charges qui leur incombaient à Tunis. Les gouverneurs étaient parfois si éloignés de leurs lieux d’administration qu’ils correspondaient avec leurs khalīfa à partir des cabinets installés dans la capitale67.
34Au fur et à mesure, les remplacements aux fonctions d’autorité nourrissaient surtout un processus de naturalisation des différents commandements administratifs et militaires. Un de ces passages de témoins marqua particulièrement l’esprit de Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf : au début de l’année 1862, le bey décida de déchoir le mamelouk Salīm du commandement des policiers de la capitale, il lui préféra Ḥasan Magrūn al-Masākinī. Ce dernier n’était pas un modeste « enfant du royaume68 ». Originaire de Msaken, Ḥasan Magrūn était réputé d’ascendance chérifienne. Il avait bénéficié de la faveur d’Aḥmad Bey qui lui avait confié le commandement de sa garde personnelle69. La promotion de Magrūn fut d’autant plus éclatante qu’elle fut suivie de celle de trois autres autochtones : le šaykhmuftī Ṭāhir b. ‘Ašūr, Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf en personne et Ḥasan al-Šarīf, un descendant du šaykh ‘Abd al-Kabīr al-Šarīf, devaient seconder Muṣṭafā Khaznadār à la présidence du Conseil suprême. Ces distinctions de « fils du royaume » plurent aux « gens » selon le modeste commentaire de Ibn Abī al-Ḍiyāf70. De la même façon, lorsqu’en 1863, le général Ḥusayn renonça à la présidence de la municipalité de Tunis, le bey désigna Ṣāliḥ al-Nayfar et Muḥammad al-Šāhid, auparavant vice-président du tribunal de cassation (al-majlis al-taḥqīq)71.
35À partir du milieu des années 1870, les effets de ces mouvements étaient visibles dans les pages d’al-Nuzha al-Khayriyya, l’almanach du gouvernement. Les numéros des années 1875-1876 à 1880-1881 indiquaient que les commandements des sept brigades passaient aux mains d’autochtones72, tout comme les directions administratives73 ou les charges de gouverneur (‘ummāl) du Sahel, de Kairouan, Sfax, Djerba, Béja ou Gafsa74. Désormais, le bey et son vizir pouvaient ne consulter que les sujets nés dans le pays : début juin 1874, une commission sur la réforme de l’enseignement rassemblait, autour du ministre de la plume, Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr, un mufti, deux cadis, deux professeurs, le directeur de l’Imprimerie Muḥammad Bayram, et le président de la municipalité Muḥammad al-‘Arbī Zarrūq. L’historien Mongi Smida relevait qu’à cette occasion, « contrairement aux commissions de la période constitutionnelle (18571864), l’élément mamelouk n’était guère représenté75 ».
36Ce qui avait causé ces mouvements ? Une volonté première de suppléer à des mamelouks vieillissants et en nombre de plus en restreint ? Ou, plus profondément, une puissance intérieure, la vigueur d’un substrat autochtone ? Dans un tableau de la Tunisie mouradite du xviie siècle, André Raymond comparait la « population indigène, musulmane en quasi-totalité » à un « socle » qui avait, « en fin de compte, absorbé et assimilé la plupart de ces éléments étrangers76 ». Dans son examen des Catégories de la société tunisoise dans la deuxième moitié du xixe siècle, Mohamed El-Aziz Ben Achour était surtout attentif aux stratégies matérielles et financières déployées par les baldī qui, pour obtenir des sources de revenus stables en temps de crise de l’artisanat et de l’économie du beylik, se tournaient dans la seconde moitié du xixe siècle vers les charges de l’administration, de l’armée et de la hiérarchie religieuse77. Dans une autre perspective, en partant de l’étude du Djérid, Abdelhamid Hénia était plus sensible au dialogue que des agents locaux et les gouverneurs de la province entretenaient autour de l’obtention et de l’acquisition d’une légitimité. Il constatait que, du xviie siècle « à nos jours »,
« on est passé d’une situation où le pouvoir s’acquiert d’abord sur le plan local et se négocie ensuite avec le centre, à une situation où la légitimation est déléguée par le centre et se consolide par la suite à l’aide de la “conquête” du local78 ».
37En ne quittant pas le sérail et ses mamelouks, nous ne perdons pas de vue ces processus d’interaction. Nous cherchons à percevoir comment le « central » crée aussi du « local ». L’aspiration à des fonctions du makhzen cristallisait un sentiment d’affiliation au pays. De surcroît, l’autochtonie se concevait en des lieux retirés, à distance des sujets. Des modes, des discours, des sentiments d’appartenance à la province se forgeaient dans des cités-palais nourries de populations bigarrées. En ces domaines, trois expériences peuvent retenir l’attention, en ce qu’elles impliquent de façon croissante le corps des mamelouks : primo, l’installation d’une école militaire au sein du Bardo, rassemblant mamelouks et enfants du pays ; secundo, l’élargissement d’un discours de filiation fictive des serviteurs les plus intimes du sérail aux agents du makhzen ; tertio, la transmission aux descendants mamelouks d’une fonction domestique, administrative ou militaire au service des beys.
38L’école du Bardo, tentative la plus commentée d’établir un soi-disant « creuset de la nation », relie les règnes d’Aḥmad, de Muḥammad et de Muḥammad al-Ṣādiq Bey dans des efforts d’élargissement du makhzen aux enfants du pays. La vie de cette école en près de trois décennies, de 184079 à la fin des années 1860, démontre comment le sérail a engendré, là encore de manière souterraine, en son sein, d’autres sentiments d’appartenance, d’autres coalitions et divisions de serviteurs moins fondées sur l’origine que sur une relation renouvelée au ‘ilm, au savoir.
Les tensions créatrices de l’école du Bardo
39Conçue par Aḥmad Bey six ans après l’École des sciences militaires d’Istanbul80, l’école « polytechnique » du Bardo81 fut très tôt assimilée à un premier foyer de la nation accueillant à la fois des serviteurs des beys, de modestes sujets du pays et des descendants de notables82 ou des petits-fils mamelouks83. Un observateur français défendait ce point de vue, dès 1848 :
« Il était nécessaire d’imprimer à la nation une fixité d’habitude que l’éducation seule peut donner. [Aḥmad Bey] […] fit disposer le local dans son palais pour l’avoir sous les yeux. Il se fit mettre tous les enfants des premières familles, Turcs, Maures et Arabes, et les y enferma avec des professeurs européens. Leur éducation, toute militaire, fut faite sous sa surveillance84. »
40Or, l’érection de cet établissement au cœur du Bardo suggérait d’autres interprétations. L’école du Bardo ne fut ni un artifice de modernité plaqué selon des modèles extérieurs à la province, ni le berceau de la nation. Ce fut avant tout une manière commode de prolonger85, voire de dépasser86 une éducation de sérail qu’il fallait dorénavant dispenser non seulement à des princes ou des mamelouks mais aussi à des enfants du pays.
41De ce point de vue, les parallèles entre mamelouks du sérail et élèves de l’école étaient nombreux. Dans les registres d’administration de l’école, les termes de domestiques (khuddām) au service de l’école, de valets (tibā‘) côtoyaient ceux plus neutres d’individus (anfār), d’élèves (talāmīd)87. Par une confusion volontaire de l’intime et du public, les beys appliquaient à chacun des élèves l’expression « notre enfant » (walad-nā)88. À l’instar de valets entrés fort jeunes au service des beys, la quarantaine à soixantaine d’élèves de l’école polytechnique étaient accueillis entre l’enfance et l’adolescence89. Ils pouvaient tôt ou tard être libérés de leur service90 mais ils ne sortaient du Bardo que dûment autorisés : il en va ainsi de Ṭayyib b. Muḥammad b. Jārana qui obtint une permission avant de se rendre « dans son pays, à Bizerte », pour les funérailles de son père91.
42De leurs beys protecteurs, les élèves du Bardo recevaient hiver comme été, à la suite d’autres résidents des palais, vêtements92, provisions à échéances régulières93 et livres édifiants94. Soumis à une ferme discipline, ils pliaient sous des sanctions physiques que des muchachos avaient endurées avant eux95. Enfin, objets d’une vive attention, les recrues de l’école étaient autant honorées de la présence princière que des favoris : « Le bey [Aḥmad] fut attentif à cette école […]. Les élèves étaient interrogés en sa présence. Il rendait hommage au meilleur d’entre eux. Il lui faisait espérer ce qui pourrait le distinguer96. » L’école des ingénieurs (maktab al-muhandisīn) ou école des sciences militaires (maktab al-‘ulūm al-ḥarbiyya) devait insuffler cette ‘aṣabiyya si chère à Aḥmad Bey. Le maktab devait regrouper, sous le vocable d’« élèves » (de talāmīd), des obligés, des sujets et des fils de famille issus de divers horizons. D’autres camaraderies devaient alors se nouer à partir de bâtiments surgis au sein du palais. Pourtant, ces projets d’associations eurent à peine le temps de s’ébaucher que déjà des tensions et des clivages internes les menaçaient.
43Dans cette dynamique de prolongation du sérail, les disciples mamelouks se distinguèrent des élèves autochtones. Les éléments les plus brillants de l’école, tels que Jum‘at al-Qarqanī ou le général Ḥusayn et Rustum, appelés à des carrières ministérielles, étaient issus du corps mamelouk97 et les parcours de certains élèves se rapprochaient de ceux des mamelouks. Avant d’être recueilli au Bardo, l’élève Ḥasūna b. Muṣṭafā était passé par l’école coranique de Sousse et l’enseignement d’Ibrāhīm al-Riyāḥī à Tunis. Une fois inscrit à l’école du Bardo, il ne cessa de se faire remarquer : il rassembla les cours du capitaine Campenon dans un petit manuel, lui amenant l’estime de quelques figures du sérail, dont Khayr al-Dīn « qui l’invita à prendre désormais ses repas à sa table ».
44Intendant lors de l’expédition en Crimée, Ḥasūna b. Muṣṭafā s’illustra par le « parfait approvisionnement » qu’il assura aux troupes du bey. En guise de récompense, il bénéficia d’une « gratification de 40 000 piastres sur rapport du général » Rašīd. Professeur à l’école, puis aide de camp de Muṣṭafā Khaznadār, le soldat devint un adjoint du général Ḥusayn à la municipalité de Tunis, puis directeur de la ġāba (forêt d’oliviers)98. Un tel profil rappelait ceux des « déplacés sociaux » discernés par Ghislaine Alleaume dans le contexte égyptien : des fils de gens modestes issus de pauvres foyers, des jeunes fugitifs, des orphelins qui, logiquement, « auraient dû […] être exclus de toutes les instances du gouvernement99 » s’étaient saisi des leviers de l’autorité, par un passage à l’école, au nez et à la barbe des baldī. La brusque ascension d’autochtones formés à l’école, tels que ‘Amur b. Barakat ou Muḥammad al-Qarwī100, pouvait perturber les hiérarchies de la notabilité tunisoise101.
45La transition entre école et palais ne fut cependant pas aisée. L’école souffrit d’une mauvaise réputation. Des mauvaises langues l’assimilaient à un « harem de jeunes garçons » qui se livraient à d’« infâmes débauches » pour le bon plaisir d’Aḥmad Bey102. Derrière de bons élèves toujours assoiffés de connaissances, des semi-lettrés n’avaient tiré aucun bénéfice de leurs années de formation. Les instructeurs français s’amusaient des cancres en chéchia que l’école « formait ». Le capitaine Daumas prenait pour exemple ‘Alī, un mamelouk d’origine circassienne :
« Ali est resté neuf ans à l’école du Bardo, il a appris sous la direction d’un colonello italien, in partibus, quelques notions de la langue française ; il a étudié la géographie et les sciences ; mais ses connaissances sont tellement à l’état de chaos dans sa pauvre tête qu’il les confond toutes les unes avec les autres103. »
46Les disciples les plus accomplis étaient pour leur part moqués par leurs aînés et supérieurs. Un des talents de l’école, Muḥammad al-Qarwī, témoigna qu’un jour,
« un général de la garde arriva à l’improviste à un cours de trigonométrie et demanda des explications […]. Deux élèves s’y employèrent successivement. Après quoi, le général s’en alla dignement en disant tout haut : “Et dire que S.A. perd son argent à de pareilles sornettes !”104 ».
47L’établissement dut être refondé en 1855, année de la disparition de ce souverain. Après l’installation dans de nouveaux bâtiments105, les effectifs, passés de 71 à 127 élèves entre le 12 mai 1860 et le 19 avril 1864, chutèrent à 45, le 4 mars de cette année fort tumultueuse dans la province106. Pressé par des difficultés financières, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey vidait les classes de jeunes soldats dirigés vers des casernes dès 1863107, vers le port de La Goulette l’année suivante108 ou dans les rangs de la cavalerie en 1868109. À cette époque, les « professeurs civils » se plaignaient de ne pas avoir touché de soldes depuis treize mois110. L’agonie fut lente : une ultime promotion sortit de l’école en 1869111 et un registre faisait encore état d’ordres beylicaux pour la gestion de l’institution jusqu’en 1872112. Mais l’expérience fut poursuivie par d’autres voies et elle ne porta ses premiers fruits que longtemps après. L’abandon d’écoles militaires n’était pas propre à la régence de Tunis113. Chaque fermeture aidait à affiner les modalités de transmission des savoirs administratifs. Le collège Saddiki, installé en 1875, sur la kasbah, aux abords de la médina, fut dissocié du sérail princier. L’établissement hérita des acquis et des transitions opérées au Bardo. L’école polytechnique puis militaire n’avait pas fondé une communauté irénique mais abrité des tensions créatrices entre mamelouks, autochtones, autodidactes, quasi analphabètes et jeunes polyglottes. Les promotions successives d’élèves avaient moins forgé une nation que de nouvelles bribes de discours et, par là même, d’autres conceptions du service princier.
48Enseignants et élèves avaient inventé des composantes du langage administratif. Dans leurs travaux de traduction avait émergé une « nomenclature de la nouvelle politique, de la guerre en général, des sciences, arts et métiers modernes114 ». L’instructeur piémontais, Calligaris, avait mis à contribution des élèves autour d’ouvrages militaires. Il « indiquait et expliquait en arabe le texte français » à deux élèves officiers, dont le futur général Ḥusayn, qui ensuite « couchaient le sens en arabe sur le papier115 ».
49Par l’élaboration de cartes, les disciples du Bardo avaient, de surcroît, jeté un autre regard sur la province de Tunis. Avec l’appui du colonel Muḥammad Rašīd, mamelouk d’origine géorgienne passionné d’art militaire, ils avaient conçu une représentation spatiale inédite dans un atlas de Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax, Djerba et les îles Kerkennah116. Au fil de lectures historiques, ils étaient confrontés à des visions patriotiques. Un ouvrage daté de 1856 retraçait les « jours glorieux de l’expédition des troupes tunisiennes » en Crimée117.
50À l’école du Bardo, les mouvements souterrains se révélaient plus déterminants que les épisodes brutaux, que les stratégies des beys. Là encore, la promotion des autochtones fut contrainte. Elle s’imposa par détachement du cadre dynastique et des relations de fidélité personnelle. La diffusion d’un savoir autonomisait des cercles de serviteurs lettrés, détachait du sérail les institutions scolaires, contribuait à forger un langage d’autorité plus fourni que celui du service rendu au prince. À la même période, dans la seconde moitié du xixe siècle, un des autres moyens utilisés afin d’associer des enfants du bey au makhzen réformé consista à élargir plus encore la conception politique de la filiation fictive.
LES « FILS DU BEY » OU L'ÉLARGISSEMENT D’UNE FILIATION FICTIVE
51Des maîtres félicités pour l’acquisition d’esclaves comme s’ils venaient d’avoir des fils118 ; des janissaires des sultans ottomans qui « se nomment frères entre eux » et dont le cri de ralliement est « padiscià, “Empereur notre père”119 » : en dehors des mamelouks des beys de Tunis et en ne s’en tenant qu’à quelques terres d’Islam, les exemples et les recherches abondent pour illustrer les multiples croisements opérés entre langage de la parenté et discours d’autorité. Croisements ou plutôt calques. À partir de son étude de terrain en Kabylie, Pierre Bourdieu a généralisé une identité de vue entre ces deux formes de relations sociales dans les monarchies européennes : « Comme dans la Kabylie ancienne, les rapports politiques ne sont pas autonomisés par rapport aux relations de parenté et sont toujours pensés sur le modèle de ces relations120. »
52Mais à ce stade de notre exploration des mutations de la transmission et de conceptions élargies de la parenté, ce qui nous intéresse, c’est moins une corrélation déjà bien établie entre parenté et pouvoir que la reconnaissance d’une phase accélérée de confusion entre sujétion et parenté, puis d’un seuil où l’assimilation n’est plus guère possible entre les champs lexicaux de ces deux domaines à partir du milieu du xixe siècle. Du maintien aux débordements d’un langage, Ernest Gellner avait déjà pointé ces temps de refonte des équilibres sous l’apparence sécurisante des mots du passé : « Dans des conditions de centralisation et modernité, le langage de la parenté segmentaire survivait, continuait à être utilisé, mais la réalité des conduites devenait différente121. »
53La parenté devient alors un instrument des plus fragile, révélateur de décalages et d’anachronismes. Le discours paternaliste des Husaynides a été conçu tandis que d’autres formulations du sentiment collectif s’élaboraient dans une plus grande transcendance, en se focalisant beaucoup moins sur le corps du prince. Un premier patriotisme fut esquissé entre autres par des réformateurs mamelouks. Des formes renouvelées d’ottomanisme ou d’internationalisme musulman furent soutenues dans les mêmes milieux au fur et à mesure que les relations entre Paris et Istanbul se raidissaient sur la question tunisienne. Se chevauchant, ces deux déclinaisons des communautés de corps et d’esprit furent appelées à une plus grande postérité qu’un simple élargissement des cercles domestiques et du langage de la parenté122.
Au sérail, le dépassement des liens du sang
54Afin de démontrer une extension du discours de la parenté fictive, encore faut-il cerner dans un premier temps les premiers cercles embrassés par ces mots. Dans la proximité des beys, au moins trois groupes restreints se voient appliquer des termes familiaux qui ne décrivent pas tant une position réelle de parenté qu’une relation d’intimité, de service ou de dépendance : il s’agit des princes et princesses, des notables du makhzen et des mamelouks des palais beylicaux.
55Inclure les princes du sang dans cet ensemble pourrait sembler étrange. Seulement, le fait même que les beys transforment, de temps à autre et par le langage, les hiérarchies et les degrés de leur parenté est très révélateur des capacités à dépasser les descendances les plus « naturelles », à les dédoubler par des fictions de parenté récurrentes qui réinstallaient donc les beys au cœur de leur lignage. Chaque geste, chaque parole aidaient à reconfigurer les statuts des ascendants et des descendants : en 1814, Maḥmūd Bey voulut adopter les enfants de son cousin ‘Utmān Bey, qu’il avait pourtant fait exécuter. Une fois confirmé au pouvoir, il installa ces orphelins dans sa maison123. Les membres et scribes de la maison beylicale usaient aussi de ces réaménagements des termes de la parenté par courtoisie, afin de ne pas avoir à prononcer en public ou à inscrire sur un registre administratif les prénoms des princesses124. Dans cette logique, l’un des moyens qu’Aḥmad Bey conçut pour justifier les apparitions fréquentes de sa mère auprès de notables du makhzen consista à prétendre que cette dernière n’était pas seulement sa mère, mais celle de tous les hommes de la dawla. Le jour de l’aïd, il les menait à elle sur des paroles enjouées : « Tes enfants – dont je suis l’aîné – sont venus te voir afin de te souhaiter une bonne fête. »
56Cette dernière phrase indiquait également que les relations de parenté élective aidaient à inclure un second cercle d’intimes, d’hommes de la dawla nés hors du palais. Dans nos lectures, c’est justement au temps d’Aḥmad Bey que l’insertion de ces notables dans des formes de filiation nous a semblé le plus perceptible. Le souverain qualifia de fils nombre de serviteurs autochtones : son favori Ṣāliḥ Šībūb125, le général de brigade Muḥammad al-Murābiṭ126 ou Maḥmūd b. ‘Ayyād, l’un de ses hommes de finances. Aḥmad Bey aurait d’ailleurs eu ce cri du cœur, lorsqu’il apprit la fuite de ce dernier vers la France, en 1852 : « Ben Ayet ! Mon fils ! Ce n’est pas possible ! » Il aurait passé « des heures entières, le visage entre ses mains », à répéter cette phrase127. Qualifier b. ‘Ayyād de fils avait entériné au temps des beaux jours, à l’époque des folles dépenses militaires, une association intime entre le maître du pays et l’un de ses habiles gestionnaires. Cela n’avait pourtant pas suffi. Crier le nom du fils perdu n’assouvissait pas le sentiment de trahison et d’échec.
57Les beys n’étaient pas les seuls à pouvoir renommer leurs proches. Des sujets illustres se permettaient de rappeler leur rang par le même discours de filiation. À la fin des années 1840, le šaykh Ibrāhīm al-Riyāḥī rabrouait Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf qui venait lui demander de révoquer un de ses collègues : « Mon fils, voudrais-tu me berner alors que je t’ai élevé128 ? » Ces paroles empreintes d’une affection exigeante fusaient : au sérail et à Tunis, dans les villes et dans la province.
58Cependant, dans la proximité des beys, ces formulations se sont appliquées très tôt et de façon privilégiée aux mamelouks et aux serviteurs turcs. Ḥusayn b. ‘Alī donnait du « mon fils » à Yūsuf Khūjā, qu’il chargea d’ambassades en Europe129. Mais c’est semble-t-il sous l’autorité de ‘Alī Bāšā que la formule prit une tournure administrative et s’appliqua particulièrement aux mamelouks. À l’instar de son oncle et prédécesseur, ce souverain favorisa ses descendants naturels aux fonctions de commandement. Dans le même temps, il accompagna un premier essor du nombre de mamelouks dans le palais et il parut systématiser à l’oral et à l’écrit les formules de filiation fictive. Dans son étude sur les relations du beylik avec le Djérid, Abdelhamid Hénia relève la première mention de l’expression waladu-nā appliquée à un caïd de cette région méridionale dans des registres fiscaux de l’époque. Il juge que, dès lors, l’appellation fut destinée à une grande postérité et que, plus « tard, elle deviendra la règle130 ».
59Il est vrai que ces formules parurent plus fréquentes encore à partir du règne de ‘Alī Bey. Dans leurs lettres aux consuls de France, le souverain et à sa suite Ḥammūda Bāšā ne cessaient de qualifier Muṣṭafā Khūjā de « notre fils » ou, selon une autre variante, « notre cher fils et gendre131 ». Dans les registres des années 1790 et des premières décennies du xixe siècle, les ibnu-nā abondaient : « notre fils » Sulaymān Kāhiya était chargé de conduire le camp fiscal132 ; tel ou tel bien avait été acquis « sous la main de notre chef fils » Rašīd Khūjā133. À l’ère des réformes, en 1839, Aḥmad Bey présentait comme des fils Muṣṭafā Āġā et Muṣṭafā Khaznadār, les représentants mamelouks qu’il avait délégués auprès du souverain de Naples, de la reine d’Angleterre et du roi de France134.
60Bien sûr, les mamelouks ne se reconnaissaient pas et n’étaient pas toujours reconnus selon ces registres de la parenté. Selon diverses sources européennes, certains préféraient se maintenir dans l’univers du patronage en désignant le bey du mot de patron ou padrone, qui qualifiait en italien le propriétaire et surtout le maître de maison135. Au début des années 1820, dans un refus plus radical, Ḥusayn Khūjā vivait mal d’être rabaissé au rang de « fils » par le vizir al-‘Arbī Zarrūq, concurrent redoutable dont il parvint à obtenir la disgrâce136. Plus tard, au début des années 1860, les listes que l’administration beylicale voulut établir des mamelouks des palais et de leurs fils varièrent dans leurs intitulés : deux de ces listes introduisaient chacun des serviteurs par un « ibn137 » ; deux autres accompagnaient certains noms, notamment ceux des plus haut gradés, par des sīdī ou des sī138 ; enfin deux recensements panachaient les formes de titulature139. Ces quelques variations prises en compte, il n’en reste pas moins que les mamelouks ont expérimenté, plus que d’autres serviteurs du bey, ces discours de filiation fictive. C’est de fait, dans le sillage des mamelouks, au sein de l’administration et de l’armée, que des formes d’élargissement de ces discours furent davantage perceptibles au temps des réformes.
Au temps des réformes, la cohésion autour d’une parenté commune
61Au sein de l’administration, le terme d’ibn s’appliqua à des profils variés sous le règne de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey. Ce souverain composa en 1869 une commission des finances qui comprenait quatre de ses « fils » : le ministre Khayr al-Dīn ; le ministre de la Mer, Muḥammad ; le ministre des Finances et chef du secrétariat (bāš kātib), Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr ; le conseiller aux Affaires étrangères, Félix Raffo. Les deux derniers personnages pouvaient attirer le regard. Muḥammad al-‘Azīz Bū ‘Attūr était parvenu à une considération qu’aucun enfant du pays n’avait atteinte dans les secrétariats des palais. Quant au quatrième membre de la commission, il était ni plus ni moins que le descendant de Joseph Raffo, premier conseiller diplomatique d’Aḥmad Bey. Par ses origines, Félix Raffo était à la fois un petit-fils d’esclave, un enfant des palais et un catholique pour partie éduqué en Europe. Une longue fréquentation des Husaynides, les liens que les Raffo nouèrent avec la dynastie amenèrent le maître de maison à le traiter comme un fils. Cette parenté fictive lui était confirmée la même année dans une courte liste de salaires affectés à des serviteurs du bey. Félix Raffo y côtoyait des mamelouks du sérail, des āġawāt al-diyār ou eunuques, le général Muḥammad al-Murābiṭ et Elias Mussalli. Également qualifié d’ibnu-nā140, ce dernier se distinguait des autres habitués du palais par un parcours des plus atypique. Né au Caire, au sein d’une famille syrienne, il n’avait, à son arrivée à Tunis, aucune attache au sérail. Il devint malgré tout interprète du beylik en 1847 et il sut se maintenir au poste de sous-directeur du ministère des Affaires étrangères de 1860 à 1872141.
62L’inscription élargie de serviteurs aux origines variées sous le vocable commun de « fils » des beys, difficile à suivre au sein des palais, se déployait avec plus grande netteté lors de proclamations des beys aux armées. Dans cet univers militaire, l’usage de termes de la parenté afin de mobiliser des combattants n’était bien sûr pas propre au niẓām al-jadīd. En 1752, le prince Yūnis, engagé dans une révolte contre son père ‘Alī Bāšā, n’eut à écrire que « Je suis votre père » à l’adresse des soldats de La Goulette pour que ces derniers le soutiennent142. À partir de la fin des années 1830, la nouveauté résida davantage dans l’auditoire visé. Les adresses publiques dépassaient le seul corps des éléments turcs ou perçus comme tels. Il ne s’agissait plus de galvaniser ceux que des souverains, descendants du soldat Ḥusayn b. ‘Alī, percevaient comme la force militaire par excellence dans leur province. Il fallait dorénavant s’adresser à tous les enfants du pays, appelés sous les drapeaux, sur le mode de la filiation.
63Les premiers exemples de ces proclamations militaires du temps des réformes sont cités dans la chronique d’Aḥmad Ibn Abī al-Ḍiyāf. L’auteur fut, lui-même, à l’origine de nombre de ces déclarations. Il rédigea fin 1841 une lettre qui appelait au rassemblement de l’armée de Kairouan et des Sawāḥil, et qui autorisait la libération de ceux qui avaient accompli l’ensemble de leur service143. Le serviteur dévoué rendit aussi public un hommage de ce même souverain au contingent qui s’en allait combattre en Crimée à partir de 1854144. Le chroniqueur qui vantait tant les qualités des « enfants du pays » dans les parties de son Itḥāf consacrées à la période des ṭanẓīmāt se trouvait donc être le scribe qui exaltait par l’encre ou par la voix le lien de filiation entre les beys et leurs sujets dans l’armée régulière.
64Au premier abord, dans ces proclamations, les termes d’ibn et d’awlād étaient interchangeables. L’appel de 1841 s’adressait à awlādī-nā, nos enfants qui devaient obéir à notre fils, ibnu-nā Muṣṭafā Bāš-Āġā145. Le discours de 1846, prononcé avant le départ d’Aḥmad Bey pour la France, devait interpeller « mes intimes » (khaṣṣatī) et ibnā’inā parmi les généraux, officiers et soldats. Il assimilait le bey à tout homme qui « se préoccupe du sort de ses enfants » (awlādihī)146. À l’occasion du retour des soldats de Crimée en 1856, une lettre fut de la même manière rédigée par Aḥmad Ibn Abī al-Ḍiyāf en l’honneur de tous « nos enfants » (ibnā’i-nā) et de « notre fils », le chef d’expédition Rašīd. Mais elle se poursuivait sur un hommage aux plus vertueux des enfants du bey (awlādī-nā)147. Ici, les nuances lexicales importaient peu. Il semblait plus crucial de mobiliser différents niveaux de références suffisamment évocatrices à l’esprit de chaque soldat afin de rendre l’instant plus solennel, afin surtout d’insuffler un esprit de corps transcendant les origines ou les filiations particulières de chacun des hommes en armes.
65La lettre de rassemblement et de démobilisation de 1841 établissait un lien étroit entre pays proche et beylik. Elle rappelait que tout « homme sensé prodigue des efforts pour la protection de son foyer et de son pays148 ». Le discours de 1846 présentait Aḥmad Bey en bon père qui, en se rendant en France, s’exposait « aux dangers et aux tracas d’un long voyage » par affection pour ses sujets et par dévouement pour les intérêts de l’État. Préoccupé par le « sort de ses enfants lorsqu’il doit s’en éloigner », il choisissait pour pallier son absence « celui qui est digne d’être mon père », c’est-à-dire « mon fils » Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘149. Les discours de parenté entre les beys et leurs soldats, entre la régence et ces feux devaient faciliter les instants d’identifications collectives. Les mots devaient se nourrir d’une substance commune de parenté et d’attachement à la terre afin de faire accéder chacun des sujets à de plus larges abstractions.
66De Aḥmad Bey à Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, les souverains des réformes usèrent d’un langage similaire à l’égard des civils de leur régence. Tous deux infantilisaient leurs sujets. Dans sa grande mansuétude, Aḥmad Bey n’en voulait pas à un criminel. Il lui confiait : « Je suis avec vous comme le père avec ses fils et le šaykh avec ses disciples150. » Au terme de la révolte de 1864, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey pardonna de la même façon une délégation de Kairouanais151. Ces formules avaient d’autant plus de chance d’être entendues qu’elles étaient déjà reprises ou employées par des sujets de la province. Des chefs de tribu en enrobaient leurs revendications des termes de la parenté pour se faire entendre en 1864. Ils rappelaient que :
« […] notre maître […] sait que ses sujets occupent auprès de lui la position de ses enfants. Nous avons été étonnés par la peur qu’ils ont eue ces derniers temps. Mais ils savent qu’il est plus affectueux à leur égard qu’ils ne le sont eux-mêmes, comme c’est le fait du père avec ses enfants152. »
67Un an plus tard, le mamelouk Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ recevait d’un de ses obligés une lettre justifiant un de ses actes de gestion à Kairouan. Le fidèle serviteur disait avoir souffert des paroles de son maître, il interpellait Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ en ces termes : « Comment peut-il vous venir à l’esprit que le fils dilapide le bien de son père, de son maître, de son ami153 ? » Un observateur tel que le consul de France, appelé par ses fonctions à une certaine distance, se prenait lui-même au jeu. Lors de la réception d’un nīšān al-‘ahd, en 1860, Léon Roches multipliait à dessein les confusions entre hiérarchie politique et appartenance famille :
« Enfin, en accompagnant Votre Altesse à Alger, plutôt comme un membre dévoué de Sa famille, que comme représentant de la France, j’ai agi conformément aux intentions bienveillantes de mon Auguste Souverain qui mérite le nom de père que lui donne Votre Altesse154. »
68Partagées par les souverains, par leurs sujets et protégés, ces bribes de langage commun ont donc constitué les ferments d’autres formulations du collectif. Mais ces mots de la parenté fictive ne se sont pas imposés face aux notions plus abstraites de waṭan (le pays), ou de umma (la communauté des musulmans).
Filiation, nation, umma : chevauchement et successions des sentiments d’appartenance
69Dans la province de Tunis des xviiie et xixe siècles, et cela fut maintes fois souligné, le waṭan renvoyait autant à la province en son entier qu’au petit pays, au berceau d’origine155. Cependant, cette référence à une terre d’attachement constitua, autant que les fictions de la parenté, quelques-uns des énoncés d’un discours plus englobant. Les mamelouks qui avaient trouvé place de façon précoce dans les filiations beylicales participèrent à ces proclamations d’attachement géographique. Dans la bouche de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf plaçait une parole plus modeste mais des plus attendrissante sur Sfax, foyer d’accueil de ce mamelouk dans la province : « Il l’aimait d’un amour pour le waṭan, et il affirmait que c’était le premier sol dont la terre avait affleuré la peau156. » Dans la première moitié du xixe siècle, Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ parut aller plus loin dans ces sentiments patriotiques :
« Son cœur était rempli de l’amour de la patrie, et son esprit en était imprégné ; il était en effet très attaché aux traditions du pays, pour lui et pour les autres. Il plaçait l’intérêt général avant son propre intérêt et ses autres désirs157. »
70Ceux qui, à partir des années 1860, étaient jugés par des observateurs français comme des ennemis d’un quelconque intérêt national158 démontraient que, pour passer du « petit pays » à la province puis à la patrie, là encore, à l’instar de la parenté, une capacité à la mobilité et une part de réinvention s’imposaient : l’expérience mamelouk rappelait que ce que B. Anderson désignait comme l’« être au monde » était parfois plus nécessaire que le degré d’enracinement à une terre natale159.
71Après Aḥmad Bey et ses successeurs, les dignitaires mamelouks furent aussi de ceux qui valorisèrent l’idée patriotique, qui l’associèrent à l’élargissement de la parenté fictive, avant d’estomper, puis de disqualifier les termes familiaux des nouveaux discours d’institution du collectif. Des serviteurs formés à l’école du Bardo, en affinité avec des écrits libéraux européens, instruits par de longs voyages vers le Nord et l’Est de la Méditerranée, eurent tendance à désincarner toutes ces formes d’attachement. Ils contribuèrent à leur conférer des tonalités plus volontaristes.
72Un de ces premiers agents qui aimait à se réclamer d’une avant-garde à l’européenne, le descendant d’esclave Joseph Raffo, pouvait retirer toute sensiblerie familiale au langage patriotique. Apprenant par des journaux parisiens un revers qu’avait subi l’armée du bey en Crimée, il décida d’écrire à son fils Félix une lettre marquée de cette réaction martiale : « Notre honneur patriotique est perdu. Un détachement russe a attaqué une position confiée aux Tunisiens qui l’ont abandonnée160. » Le mamelouk Khayr al-Dīn parvint aussi à dégager l’attachement patriotique du sentiment de fidélité dynastique, mais ce détachement fut progressif et fluctuant. Le 26 novembre 1860, lors d’un rassemblement solennel au palais du Bardo, Khayr al-Dīn félicitait encore le bey d’offrir des lois organiques « à [s]on pays, au royaume de [s]es pères et ancêtres161 ». Plus tard, dans son Essai sur les réformes nécessaires aux États musulmans paru à Tunis en 1867, le vizir donnait au waṭan et au ḥubb al-waṭan un « rôle central162 ».
73Ce processus de détachement ne fut ni brusque ni linéaire. Ces repositionnements constants aboutirent cependant à une séparation complète d’avec le bey Muḥammad al-Ṣādiq et ce qu’il représentait. En 1877, Khayr al-Dīn jurait qu’il était « plus que jamais décidé à ne plus servir sous ce bey » : « […] Je ne me prêterai à rien qui puisse être contraire aux intérêts de mon pays, car je ne cesserai pas de l’aimer et de lui être dévoué, et je ne désespère pas de le servir dans l’avenir163. » Les ruptures de fidélité avec le chef de maison beylicale, la perte de confiance progressive dans le pouvoir et les capacités du maître, l’enracinement récent dans la province avaient donc amené une infime proportion de mamelouks à se détacher d’une dépendance au bey et à se placer sous le patronage d’un pays attirant l’affection. Service, loyauté et abnégation n’étaient plus dévolus à une figure princière, mais à une entité collective164. La « conviction que la société était naturellement organisée autour et au-dessous de centres éminents : de monarques » était remise en cause165. Dans la capitale, les beys valorisaient la filiation fictive alors même que « l’idéologie de la parenté agi[ssai]t de moins en moins sur les rapports sociaux dans le monde citadin166 ».
74À plus large dimension, la reconnaissance dans la umma se cristallisa dans des allégeances aux sultans d’Istanbul. Elle emprunta des voies plus directes d’identification à un monde ottoman, par l’image, par le voyage, par la correspondance, sans nécessairement passer par les beys ou par des intermédiaires du beylik résidant en Anatolie. Les échelles d’identification collective se superposaient (famille, pays, Empire) et, dans cet empilement, le langage domestique et dynastique des beys ne constituait qu’une des manières de s’associer, qu’un des cadres peu à peu abandonné par certains mamelouks : Khayr al-Dīn avait préféré la patrie au bey ; le général Ḥusayn voulut, pour sa part, délaisser la province pour l’Empire. Au cours d’un séjour à Istanbul, à l’été 1868, Ḥusayn s’extasiait que, sur les rives du Bosphore, « l’humanité l’emporte sur la sauvagerie barbare », qu’en ces lieux, « on ne m’étrangle pas, on ne veuille pas prendre mes biens167 ». Une décennie plus tard, le mamelouk déchantait : il admettait craindre le sultan, mais il espérait quitter le makhzen tunisien pour recevoir une charge qui ne soit pas attachée à un lieu déterminé168. Avec le début de l’occupation française, en 1881, Ḥusayn se refusait à servir l’autorité du Protectorat. Il ne voulait pas revenir sur son allégeance (sa bay‘a) au sultan169.
75Le langage des beys perdait donc de son aura, non seulement par désillusion de serviteurs, par besoin de se situer hors d’un cadre familial désormais exigu, mais aussi et surtout parce que la métropole du service et des fidélités, Istanbul, devenait attrayante pour des dignitaires provinciaux à l’avenir incertain. De manière paradoxale, Khayr al-Dīn, si attaché à l’idée de patrie, fut attiré auprès du sultan ‘Abd al-Ḥamīd II alors que ce dernier faisait de la loyauté et la servitude à sa personne une pierre angulaire de son système de gouvernement170.
76De fait, en relayant avant tout les termes précurseurs d’un Khayr al-Dīn ou d’un Ḥusayn, ce ne sont pas des exceptions que nous avons cherché à ériger en règle. Chacune de ces conceptions singulières permettait d’atteindre les limites d’extension d’un discours dynastique qui avait servi de référent commun au sein de la province, dans l’armée et parmi les sujets. Si commune et si longtemps prégnante, cette rhétorique de la filiation fictive ne disparut pourtant pas avec l’établissement du Protectorat : dans une lettre datée du 21 décembre 1885, le général Boulanger en personne assimilait à un fils (ibnu-nā), Aḥmad b. ‘Utmān, un ancien mamelouk de Muḥammad Bey171. Une fois encore, ce procédé facilitait l’association de divers éléments au service du makhzen.
77Avant d’être concurrencées par d’autres registres de mise en valeur du collectif, les proclamations à tonalité familiale des beys avaient donc pris de l’ampleur avec l’institution de l’armée régulière et l’extension des organes administratifs. Car ce qui était en jeu, c’était un processus bien délicat : il s’agissait de savoir comment associer des autochtones déjà fort présents dans le makhzen et le plus souvent écarté des premiers postes d’autorité. Comment entretenir, instruire et armer des sujets tout en évitant le débordement de l’autorité dynastique ? Les mamelouks avaient accompagné ces infléchissements et élargissements des discours collectifs. Mais, confrontés aux enracinements de la dawla et aux généralisations des filiations beylicales, ils contribuèrent également à cette autochtonisation du discours et des pratiques sociales en encourageant la transmission héréditaire de leur statut et de leurs charges au profit de leurs descendants mâles.
RECONNAÎTRE UNE DESCENDANCE MAMELOUKE
78La position des fils de mamelouks émerge comme une question saillante dans les archives beylicales de la seconde moitié du xixe siècle au moment où se pose la question de l’intensité de l’association des enfants du pays à l’exercice de l’autorité. Relégués en coulisses dans les décennies précédentes, ces descendants ont exprimé par leur présence croissante à différents postes les mutations traversées par le corps des mamelouks. Leur association à l’ensemble des serviteurs des beys fut officialisée dans des articles législatifs promulgués au début des années 1860. Cette association révéla, parmi ces hommes, une série d’adaptations des pratiques et des conceptions de la descendance, de la succession et du service rendu aux beys.
79Dans le cas des fils de mamelouks, l’assimilation administrative relevait de mouvements d’adaptation, de fusion d’un corps mamelouk dans le cadre des réformes, par la descendance et l’autochtonie. Dans cette perspective, les fils ne régressaient pas à la condition de leurs pères, ils en accommodaient les positions. Autant les mamelouks avaient permis de conforter les positions des beys face à leurs parents et face à leurs sujets depuis le xviie siècle ; autant leurs fils servaient désormais clairement d’ensemble intermédiaire pour leurs parents, de groupe facilitant les aménagements du makhzen.
La quête de postérité
80À Tunis, l’insertion des fils de mamelouks dans le corps d’origine ou pour le moins sous le qualificatif et la condition de leurs pères était une pratique ancienne. À la fin du xviie siècle, les descendants du Caïd Ḥasan se maintenaient sous la protection des Mouradites. L’un d’eux, Farḥāt, fut exécuté sur ordre de Ramaḍān Bey. Il avait eu le tort d’appuyer les troupes d’Alger en 1694172. Dès le xviiie siècle, les rattachements de ces fils à l’ordre des mamelouks apparaissaient de façon plus explicite encore dans les registres financiers du palais : au début des années 1730, les fils de Sulaymān Āġā étaient employés parmi les serviteurs de Muḥammad Bey, fils de Ḥusayn b. ‘Alī173. Ces complicités familiales se précisaient au début du xixe siècle lorsque Muṣṭafā, fils de Ḥamza Būluk-Bāšī, prit la tête de la première des quatre chambrées (dār) des « grands mamelouks » (mamālīk al-kibār). Il disposait sous ses ordres de Muḥammad b. al-Ḥājj Sulaymān et Muḥammad b. Ḥassūna b. Qabrān174. Ḥassūna b. Qabrān avait lui-même été uḍā-bāšī des mamelouks de 1756 à 1783-1784, avant et après le règne de ‘Alī Bey175. De surcroît, la deuxième chambrée comptait dans ses rangs Muḥammad b. al-Ḥājj Muḥammad Šarkāz (le Circassien) et – fait notable – un petit-fils, Muḥammad b. Muṣṭafā b. Ḥasan al-Kabīr. Ce Ḥasan al-Kabīr avait par ailleurs d’autres petits-fils dans les deux dernières chambrées : Ṣāliḥ b. Muṣṭafā dans la troisième et Yūsuf b. Muṣṭafā dans la quatrième176.
81Moins de trois décennies plus tard, en 1831, l’année du lancement des réformes à Tunis, un petit incident diplomatique corroborait encore et toujours ces pratiques : le 1er juin, deux mamelouks fils d’un Napolitain renié cherchèrent refuge dans l’hôtel consulaire de France. Leur père, un temps janissaire au consulat de France, « devint en faveur à la cour et eut la charge […] de Guardien Bachi » (wardiyān bāšī ou chef d’armée)177. Une fois décédé, ses biens furent confisqués. Sa veuve se convertit à l’islam et passa au service du harem tandis que les deux fils réfugiés au consulat furent « élevés et entretenus comme des mamelouks », à l’instar de leurs deux autres frères aînés178.
82À partir des années 1830, le niẓām al-jadīd ouvrit de nouvelles perspectives à ces proches parents. Avec la mise en place de l’armée régulière, les fils de mamelouks avaient tout le loisir de faire leurs preuves dans des bataillons censés rassembler tous les sujets de la province. En 1837 et 1838, les troupes stationnées à la Muḥammadiyya comptaient dans leurs rangs au moins deux fils de mamelouks dont les noms et l’identité étaient repérables dans les registres : il s’agissait d’Aḥmad b. ‘Alī al-Mamlūk et de ‘Umar b. Ḥasan al-Mamlūk179. Les chefs des première et cinquième brigades avaient recruté plus de deux ans plus tard al-Ḥaṭṭāb b. Ḥamda al-Mamlūk, le lieutenant-colonel Aḥmad b. Ḥasan al-Mūrālī (de Morée), al-Ḥaṭṭāb b. Ṣāliḥ al-Mamlūk, le lieutenant Ḥasan b. Muṣṭafā al-Mamlūk180.
83Pour ces descendants de serviteurs, les promotions étaient parfois remarquables : en 1864, Rašīd, l’un des héritiers de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, avait atteint le grade de colonel (amīr alāy) parmi les aides de camp du Premier ministère, et les fils de mamelouks ayant acquis divers titres militaires étaient encore plus nombreux dans l’entourage du souverain : aux trois fils de Muṣṭafā Khaznadār181, il fallait ajouter, parmi les aides de camp du bey, les commandants Muḥammad b. Aḥmad Zarrūq, Aḥmad b. Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Sulaymān b. ‘Alī Kāhiya et Muḥammad b. Ḥaydar182. En bons soldats ou en militaires fantoches de bureau, ces fils étaient entretenus sur les deniers de l’État. Début 1864, deux descendants de Khayr al-Dīn Kāhiya recevaient leurs tenues respectives de major et de commandant183. Ces mentions éparses ne signifiaient pas pour autant que l’ensemble des fils de mamelouks suivaient la voie de leurs pères. Dans ce cas, leur présence sur les listes nominatives eût été d’une proportion écrasante.
84Les observateurs étrangers divergeaient sur le statut à accorder à ces descendants. Louis Frank, le médecin de Ḥammūda Bāšā, rapportait qu’au début du xixe siècle les descendants de renégats étaient perçus comme des « Maures pur sang184 ». À la fin des années 1820, le consul sarde Filippi assurait pour sa part que « les enfants de Mamelouks [devenaient] soldats aussitôt nés185 ». Leur position, et c’en était tout l’intérêt, se situait davantage dans l’entre-deux. Muḥammad, le fils de Salīm Khūjā, était enterré dans la turba de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, peut-être au côté de son père186. Au palais du Bardo, deux « petits garçons, neveux du bey et fils » d’un ṣāḥib al-ṭābi‘, avaient été surpris par le capitaine Kennedy en grande tenue dans une des cours intérieures en 1845 : « L’aîné n’avait pas plus de sept ou huit ans d’âge » mais, « comme les autres personnes de la cour » et comme de petits mamelouks, tous les deux portaient pantalons et redingotes boutonnées jusqu’au cou. Tous deux étaient en outre distingués de l’« insigne de l’ordre tunisien, en diamant, autour du cou » et de « petites chéchias, à larges pompons bleus, sur leurs têtes187 ».
85Dans tous les cas, qu’ils débouchent ou pas sur une agrégation au corps des mamelouks, tous ces fragments de vie démontraient que les parents mamelouks étaient loin de s’estimer stériles. Ils ne se désolaient pas que leur progéniture puisse leur échapper pour servir leurs maîtres. Aux yeux des dignitaires du régime peu à peu ancrés dans la province, la quête de postérité par la descendance semblait aller de soi. Dans les notices biographiques qu’il consacrait aux figures de la province, Ibn Abī al-Ḍiyāf insistait sur la fierté que des dignitaires exprimaient à disposer d’une relève dans leur propre famille : à sa mort en 1856, Khayr al-Dīn Kāhiya avait laissé derrière lui des descendants « toujours maintenus au service » des beys188. Pour sa part, l’ancien ministre de la Guerre Muṣṭafā Āġā avait élevé des « enfants aux bonnes manières jusqu’à ce qu’il les voie devenir des notables de son vivant189 ».
86Les parents s’inquiétaient pour le sort de leurs descendants. À Tunis, l’artisan laissait derrière lui une échoppe, l’enseignant de la Zitouna tentait de former un lignage prestigieux, le négociant associait ses parents à l’affaire familiale, mais le mamelouk, que pouvait-il espérer pour ses fils alors qu’à chaque génération de jeunes hommes parvenaient au palais de terres lointaines ?
87Les successions n’étaient pas impossibles, elles n’étaient pas toutes vouées à l’échec. Cependant, dans le cas de mamelouks aux origines brouillées, il fallait encore s’assurer d’une perpétuation du foyer aux générations suivantes. Certains y parvenaient : la famille de l’ancien ministre de la Guerre, Muṣṭafā Āġā, vivait des rentes tirées de propriétés paternelles pour partie situées dans la région de Carthage190. Quelques-uns entamaient des premiers pas incertains : en 1861, le bey avait permis la transmission de la succession de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ à son fils Rašīd191 mais, par la suite, les enfants Ṣāḥib al-Ṭābi‘ manifestèrent des difficultés financières chroniques. En janvier 1884, la veuve de Rašīd en était encore à réclamer une pension annuelle de 400 piastres qui lui avait été versée sur ordre de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, jusqu’en octobre 1883. Elle prétendait que les biens légués par son mari avaient été vendus pour éteindre les dettes contractées de son vivant. Les quelques pieds d’oliviers qui lui restaient dans le Sahel n’aidaient plus qu’à régler l’« impôt et l’entretien » du foyer192. Enfin, d’autres familles échouaient à consolider un premier patrimoine : un mamelouk d’origine géorgienne, Aḥmad al-Jazīrī, connut l’infortune par ses deux fils. Par inconséquence et par « endettement auprès des Francs », les biens qu’al-Jazīrī avait reçus en gestion de son beau-père furent emportés dans un tourbillon de plaintes et de créances à partir du milieu des années 1830193.
88Deux dynamiques étaient donc à l’œuvre autour de la descendance des mamelouks : d’une part, la volonté de maintenir ses fils à ses côtés et, de l’autre, la fragilité d’une succession établie sur des positions incertaines, puisque conditionnées par la faveur princière. Cette tension a conduit des mamelouks à admettre ou, pour le moins, à entériner par voie légale à partir de 1860 l’inscription de leur progéniture dans les services des sérails. Il s’agissait de maintenir les fils non loin des positions acquises par les pères alors même que les autochtones étaient promus et qu’un discours de la filiation était élargi. De ce point de vue, là encore dans le cadre des réformes, les articles de lois de 1860 et 1861 ne constituèrent pas une rupture, mais la confirmation de mouvements anciens préparant peu à peu la promotion de certains fils de mamelouks dans un champ perturbé, puis réaménagé, de transmission de l’autorité administrative et militaire.
Une transmission légalisée en 1860
89Le mode d’association légale des fils au corps de leurs pères était présenté dans une lettre du début de l’année 1861. Cette lettre explicitait l’application d’un ordre (plus proprement al-amr al-‘alī) du 19 septembre 1860 et d’un code (qānūn) sur les mamelouks promulgué le 18 septembre. L’écrit rappelait en ses premières lignes la puissance législative du bey et s’achevait par six signatures des probables rédacteurs de cette annexe au qānūn. Un lecteur averti pouvait y reconnaître les graphies du vizir Muṣṭafā (certainement Musṭafā Khaznadār), du ministre Khayr al-Dīn et du chroniqueur Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf.
90Le cœur du texte était au premier abord de modeste portée. Il traitait surtout de provisions, d’uniformes et d’entretien matériel. Il n’établissait pas de façon claire une confusion d’appartenance entre pères et fils au sein du corps mamelouk. Cependant, les articles qui le composaient, aussi prosaïques qu’ils pouvaient paraître, induisaient des rapprochements par similarité de traitement entre différentes générations. Car, selon le principe mis en vigueur dans le premier article consigné en cette lettre, « les mamelouks et ceux de leurs fils qui auront atteint l’âge de quinze ans recevront leurs tenues (kiswā), leur approvisionnement (mūna), leur arme (silāḥ), leur monture (marākib) et fourrage » du ministère des Finances194.
91Une copie du qānūn sur les mamelouks, reportée sur un des registres de la maison beylicale, précisait ce que cette notion de filiation comprenait et excluait aux yeux de l’administration beylicale. L’assimilation de traitement était clairement limitée à une seule génération :
Si un mamelouk « a un fils atteignant l’âge de quinze ans, ce dernier recevra ce dont dispose les mamelouks placés au service du sérail […]. Ceci concerne les fils mais pas les petits-fils [wa hada fī al-walad waḥdu-hu ama walad al-walad lā]195 ».
92En conséquence de toutes ces dispositions, les fils de mamelouks, autrefois disséminés dans le corps de service de leurs pères, se retrouvaient incorporés ou adjoints en sous-groupes, et des listes nominatives de mamelouks au service des beys furent établies au début des années 1860196.
93En une période de refondation du makhzen, de légers points de différences entre les listes indiquaient des hésitations, des inflexions, des modes variables de définition et d’association des fils de mamelouks au corps de leurs pères. En épurant le trait, les listes pouvaient être en effet regroupées selon deux types de présentation. Dans un premier ensemble, l’inclusion de fils parmi les mamelouks était à peine perceptible. Les ism prédominaient. Les éventuels nisba des fils n’étaient pas toujours mentionnées. Dans une des premières listes du dossier, nous en relevons sept pour cent quarante-trois noms197. Dans un second ensemble de la liste, à l’inverse, les mentions d’ascendances éclairaient davantage les positions des fils de mamelouks dans leur corps de rattachement et dans la hiérarchie administrative. Dans une des listes les plus riches en indications familiales, soixante et un fils émergeaient sur cent soixante-dix-sept serviteurs dont les noms sont mentionnés198. Ils étaient le plus souvent regroupés au terme de chacune des sous-sections correspondant aux différents grades militaires199.
94Dans ces cas bien renseignés, les fils secondaient, succédaient, mais ne commandaient pas. Ils ne disposaient d’aucun représentant parmi les douze chefs de division (umarā’ al-umarā’) de la province. Les umarā’ al-umarā’ étaient uniquement désignés parmi les mamelouks favoris et fidèles des beys. Les successeurs ne commençaient à apparaître qu’aux échelons suivants. Les plus haut promus avaient pour parents des dignitaires influents de la province. ‘Alī fils de Sulaymān al-Kāhiya et Muḥammad fils de Muṣṭafā Khaznadār étaient dénombrés parmi les dix-neuf généraux de brigade (amīr al-liwā). Un deuxième enfant du vizir et un des fils de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ trouvaient place dans un ensemble de onze colonels (amīr alāy). Ces deux derniers dignitaires eurent aussi la chance de voir deux autres de leurs descendants promus parmi les lieutenants-colonels (qaymaqām) aux côtés d’un fils de Muṣṭafā Bāš-Āġā.
95Quant aux autres descendants de mamelouks, ils étaient relégués en fin de classement entre les commandants (binbāšī) et les sans-grade. Au plus haut décompte, sur les quatre-vingts hommes dénués de titres, près de la moitié (trente-neuf) étaient des fils de mamelouks. Leurs pères avaient parfois détenu des fonctions de moyenne importance dans l’administration beylicale. Pour ne s’en tenir qu’à des exemples évocateurs, Ḥusayn Wakīl Dār al-Māl était – comme son nom l’indique – gestionnaire financier ; Maḥmūd Wardiyān Bāšā commandait des troupes ; un certain Salīm s’était un temps distingué comme garde des Sceaux ; un Ismā‘īl était encore attaché (tābi‘) à al-‘Arbī Zarrūq, et Salīm Ra’ts al-Ḍabṭiyya avait été nommé chef du premier corps policier de la capitale200.
96Au début des années 1860, les fils étaient en outre peu valorisés aux fonctions pourtant secondes de tābi‘, d’hommes placés dans l’entourage de tel prince ou du Premier ministre. Selon un document annexe du dossier 850, seul Yūsuf b. Muṣṭafā Bāš-Mamlūk était affecté au service du bey régnant, tandis que le principal vizir disposait lui de la présence de trois descendants dont le fils d’un ancien vizir, Muḥammad al-Ḥabīb b. Ḥusayn Khūjā201. Enfin, en cette période, les petits-fils, bannis d’une inscription dans le corps mamelouk, étaient très peu nombreux. Une liste particulière, dissociant clairement les mamelouks des descendants, ne faisait état que de cinq petits-fils regroupés dans un ensemble de trente-huit fils. Le premier, le lieutenant Ḥusayn b. Muḥammad b. Ḥusayn Khūjā, était là encore issu de la lignée fondée par le vizir Ḥusayn Khūjā. Les quatre autres étaient des cousins, fils de deux frères d’un mamelouk nommé Farḥāt : al-Šādilī et Ḥamda b. ‘Alī b. Farḥāt, Muḥammad et Ṭayyb b. Ṭāhir b. Farḥāt202.
97L’émergence de petits-fils, la distinction entre fils de puissants dignitaires et fils d’officiers moyens, les positions marginales de descendants peu promus et, dans le même temps, leur nombre croissant à mesure que les pères vieillissaient et disparaissaient : tous ces traits se retrouvent confirmés deux décennies plus tard. Dans un recensement de 1874, l’effectif des mamelouks tombait à cinquante-trois, soit à près d’un tiers du total minimal recensé dans les listes du début des années 1860. Le nombre des fils qui avait atteint la quarantaine à la même époque dépassait cette fois la trentaine en 1874. La situation démographique du corps mamelouk semblait si compromise qu’une dizaine de positions avaient été concédées à des petits-fils de mamelouks. Si la descendance disposait d’un certain poids, ce n’était que par réduction du nombre de mamelouks. Et même dans ce cas, le nouveau rapport de force n’était guère entériné par des promotions hiérarchiques : tous les petits-fils et vingt-cinq des trente et un fils se retrouvaient encore sans grade203.
98Un dernier effort statistique consenti aux débuts du Protectorat, mais limité aux seuls mamelouks du vestibule, poussait jusqu’à l’extrême ces processus d’enracinement et de précarisation des lignages de mamelouks les moins en faveur auprès des beys. En 1882-1883, les mamelouks du vestibule étaient encore et toujours répartis en quatre maisons ou pavillons (dār). Cependant chacun des pavillons ne parvenait même plus à regrouper des ensembles de vingt-cinq éléments comme au début du xixe siècle. Les deux premiers pavillons rassemblaient dix-huit hommes chacun, le troisième dix-neuf et le dernier se contentait de onze membres. Tous ou presque étaient des fils de mamelouks ou, plus largement encore, des « fils du pays ». Dans chacun des pavillons, les noms laissaient deviner la présence d’au moins deux petits-fils204.
99La longue présence des fils, puis des petits-fils sur ces listes, durant plus d’une vingtaine d’années, confirmait une imbrication complexe d’intérêts entre maîtres de palais et chefs de famille mamelouks. Les premiers se devaient bien sûr de reconstituer leurs bataillons de serviteurs à échéances régulières. Les seconds ne se contentaient pas de subir le qānūn et les ordres qui les réorganisaient. Ils officialisaient les positions de leurs descendants et faisaient de quelques pratiques de transmission un principe fondateur. Une lettre rédigée en 1882 en réaction à l’annonce d’une suspension des traitements de mamelouks démontrait que cette transmission de fonction était désormais si bien établie qu’elle devenait un argument de légitimité. Dans une formule ambivalente, les signataires de la doléance se présentaient à la fois comme des « fils », des mamelouks de la dawla et des descendants de mamelouks :
« Depuis qu’a été publiée l’annonce par le gouvernement – que Dieu le conserve – de suspendre les traitements des mamelouks, c’est-à-dire leur fils – et nous faisons partie de cet ensemble car le gouvernement a jugé bon […] de nous ajouter à eux – […] nous sommes fort peinés […]. »
100Et en conclusion de cet écrit, les deux auteurs, Ḥamda Bāš Khūjā et son neveu (ibn akhī-hi) Muḥammad Bāš Khūjā, réclamaient de nouvelles fonctions en tant que « serviteurs du gouvernement de père en fils205 ». Par ces revendications, on pouvait saisir que la catégorie des mamelouks était en pleine transformation.
101Cependant, dans cet ensemble, les éventuels choix des plus modestes mamelouks n’étaient pas toujours des plus limpides. Les attitudes variaient. Certains revendiquaient leur ascendance avec assurance. En 1864, Karīm fils de Muṣṭafā al-Arnawūṭ était fier de se présenter en « serviteur fils de serviteur » (khadīm wald khadīm) dans une lettre adressée à Kaltūm Beya, épouse de Muṣṭafā Khaznadār206. D’autres recherchaient surtout un moyen de subsistance. En 1870, le mamelouk ‘Uṣmān suppliait l’amīr al-umarā’ Khayr al-Dīn d’enrôler les deux fils de feu ‘Alī al-Mamlūk « dans la troupe (zumra) de nos frères les mamelouks ». Il prétendait que Muḥammad et ‘Muṣṭafā b. ‘Alī n’avaient « pas été inscrits dans les registres alors que ce sont les enfants de votre mamelouk » et qu’« à l’heure actuelle », « leur désœuvrement les égare complètement207 ».
102Comme par nécessité de ne pas briser la solidarité du foyer, les membres d’une même famille étaient parfois regroupés sur un bout de liste : en 1879, c’est le lieutenant-colonel Salīm du cinquième bataillon qui touchait les traitements de ces trois fils. Une missive de Ḥasan Bāš-Mamlūk au ministre de la Guerre indiquait que les garçons avaient reçu leurs costumes et leurs pécules de ramaḍān comme la « majorité » des autres fils de mamelouks, mais que leur père Salīm attendait toujours leurs traitements depuis seize mois208. Certains, en revanche, ne choisissaient pas leur affectation : les orphelins du vizir disgracié Ḥusayn Khūjā étaient assignés à de multiples tâches. Leur association relevait d’une charité bien ordonnée : les descendants de Ḥusayn Khūjā étaient des enfants du sérail ; ils avaient été élevés dans la maison beylicale après que le fondateur de leur lignée eut épousé une fille de bey.
103Les stratégies menées par les mamelouks les plus titrés et les plus habiles à se maintenir aux plus hautes fonctions obéissaient à d’autres logiques. Leurs choix étaient plus étoffés. Dans le contexte de réforme des administrations et de plus grande promotion des autochtones, vizirs et grands généraux ont cherché à promouvoir leurs fils. Ils ont valorisé de nouveaux modes d’éducation d’inspiration européenne pour leur progéniture mâle. Leurs aînés et leurs cadets tentaient de gravir les échelons du makhzen et se retrouvaient engagés dans des alliances matrimoniales avec des princesses de la famille beylicale. Favorisés par la destinée, bien éduqués, les plus fortunés des descendants de mamelouks s’affranchissaient de la modestie des fils de bonnes familles tunisoises.
La distinction des héritiers
L’éducation
104Un des premiers signes de mise en valeur des fils de dignitaires peut être perçu dans l’éducation. Les dignitaires cherchèrent à placer leurs enfants aux mains d’instructeurs européens ou d’écoles en Europe209. Au début des années 1840, Joseph Raffo transporta son fils et sa fille de Tunis vers Paris. Il établit de fait un usage sans cesse confirmé par les cercles les plus favorisés du pays210. Le puissant vizir Muṣṭafā Khaznadār lui emboîta le pas deux décennies plus tard. Au début des années 1860, il dépêcha dans la même ville ses deux fils Muḥammad et al-Munjī.
105La grande attention prêtée à leur installation et à leur cadre de vie, leur traitement quasi princier dévoilaient de nouvelles manières de considérer des fils de mamelouks. Khayr al-Dīn se chargea en personne de leur trouver une école et une maison honorable. En octobre 1863, il se disait insatisfait des établissements qu’il avait visités. L’un de ces lieux était jugé dangereux car il semblait « ouvert à tous » et notamment aux « enfants de la populace » (awlād awbāš). La nourriture et le logement d’une des pensions ne convenaient pas à ses chers enfants. Khayr al-Dīn voulait placer les Khaznadār au domicile d’un « grand savant ». Ils s’y instruiraient, s’y restaureraient. Ils pourraient sortir pour se rendre en cours, mais ne devaient pas s’attarder à fréquenter d’autres élèves211.
106Les deux fils du vizir bénéficièrent de la proximité de camarades d’études et de l’appui de leur protecteur : Jules de Lesseps ne manquait pas de visiter ses deux précieux protégés212, qu’il qualifiait de temps à autre de « princes » dans sa correspondance213. L’aîné des deux fils, Muḥammad, disposait en outre d’un serviteur (khādim) français âgé de onze ans avec qui il se mit à parler constamment la langue du pays214. Un an avant de quitter Paris, le même Muḥammad évoquait, dans ses souvenirs, « deux compatriotes, Bharam et Ismaïl », qui lui étaient très attachés à Tunis et qui l’avaient « accompagné pendant cinq ans215 ». Mais durant le séjour français, une plus grande proximité semblait s’être nouée avec Nicolas Proyis et Michel Calkias, deux des neveux grecs du vizir, originaires comme lui de l’île de Chios.
107Le cas de ces neveux n’était pas anecdotique face à celui des fils. Il démontrait que les Khaznadār de Tunis ne s’accommodaient pas de ce qui était attendu d’une famille mamelouke : les parents chrétiens n’étaient pas oubliés mais rapprochés et choyés ; les fils n’étaient pas voués à occuper des positions secondaires, leur instruction se payait par de lourds transferts financiers et par un sentiment d’exil que des mamelouks étaient censés éprouver à leur arrivée en leur pays d’adoption, mais qu’ils devaient épargner à leur descendance.
108La présence de ces deux neveux n’était pas le fait du hasard ou le fruit d’heureuses retrouvailles. Muṣṭafā Khaznadār n’avait pas rompu avec ses premiers parents. Il prenait de leurs nouvelles216. Le vizir semblait d’ailleurs si attaché à ce lointain foyer qu’il prit à sa charge l’éducation de ses deux neveux. L’argent transitait par Jules de Lesseps217 qui réglait leur « fourniture de librairie », leurs « répétitions », et les 1 600 francs de leur résidence semestrielle à l’institution V. H. Ebrard218. C’est certainement ce cursus déjà suivi par les neveux qui détermina l’envoi des fils du vizir à Paris. Nicolas et Michel y avaient précédé de plusieurs mois Muḥammad et Al-Munjī. Ils étaient en pension au moins depuis le 1er avril 1862 et ils correspondaient avec le Bardo bien avant l’installation de leurs cousins. Une de leurs lettres datait de juin 1863219. L’éducation des fils et des cousins semblait donc relever d’un plan concerté avec la branche grecque du lignage Khaznadār. En signe de gratitude, Nicolas et Michel ne manquaient pas de demander des nouvelles de leur oncle et de sa « noble » famille220.
109Les desseins ambitieux des Khaznadār se heurtaient pourtant à une dure réalité : Muḥammad et Al-Munjī auraient-ils le temps de suivre un cursus complet avant de revenir au Bardo ? Très vite, les progrès scolaires des neveux apparurent plus concluants que ceux des fils du vizir. Fin 1863, Nicolas et Michel étaient inscrits à l’école de droit et des sciences. Ils apprenaient le droit français, la philosophie, l’histoire, la rhétorique et songeaient « à entrer au ministère des Affaires étrangères221 ». Un an plus tard, Jules de Lesseps222 envisageait même de leur ouvrir les portes de la compagnie de Suez : Nicolas bénéficierait de l’attention d’« habiles ingénieurs » tandis que Michel serait affecté « auprès du directeur de la comptabilité ». Les fils du vizir ne pouvaient en espérer autant. À son arrivée à Paris, l’aîné avait déjà dix-huit ans223. Les deux frères devaient maîtriser au plus vite le français. Conscients de grandes difficultés en ce domaine et des attentes de ses proches, al-Munjī appelait son beau-frère, Khayr al-Dīn, à plus de patience dans une lettre de décembre 1863, certainement rédigée avec l’aide d’un répétiteur :
« J’ai été fort touché des reproches que vous m’avez adressés : je n’étais coupable que d’un peu d’étourderie ; il ne faut pas m’accuser de mauvaise volonté. […] Lorsque je suis arrivé à Paris, je n’entendais pas encore un mot de ce que l’on me disait ; je connaissais à peine la forme de quelques lettres ; maintenant je commence à parler, je lis sans trop de peine et quant à l’écriture vous en pouvez juger vous-même […]224. »
110En un temps si court de résidence, les Khaznadār ne pourraient pas aller plus loin. Ils ne concurrenceraient pas les administrateurs-traducteurs formés en Europe. Ils n’égaleraient pas en la matière le fils aîné de Joseph Raffo, Félix, qui trouva à Tunis un poste de fonctionnaire. En revanche, Muḥammad et Al-Munjī avaient beaucoup appris des mœurs françaises. Plus qu’à une harassante traversée du savoir, leur séjour s’assimila à une immersion dans la sphère des salons et à un apprentissage des codes subtils de la mondanité. Les deux princes étaient introduits dans les beaux cercles de l’aristocratie du Second Empire par Jules de Lesseps qui écrivait ce petit billet le 9 mars 1864 au matin :
« J’ai dîné avant-hier chez le Prince Napoléon. La princesse Clotilde m’a demandé des nouvelles des deux jeunes Princes et m’a fait le plus grand éloge de Sidi Mohammed dont elle a été à même d’apprécier les manières distinguées225. »
111Dans ses promenades, al-Munjī retraçait une histoire familiale prestigieuse. Début 1865, il ne cachait pas « son grand plaisir » à visiter l’Élysée où étaient « descendus autrefois mon oncle Sidi Ahmet Bey, mon père et vous mon Général » Khayr al-Dīn.
112Les fils du vizir s’embourgeoisaient. De retour à Tunis, Muḥammad se voyait « offrir » par un certain M. de Grandmont deux atlas, un plan de Tunis, « des livres élémentaires d’histoire et de géographie » et surtout un petit chien, « le plus rare et le plus estimé qu’il ait trouvé », pour la modique somme de 150 francs, soit « la moitié de ce qu’un marchand aurait exigé226 ». L’aîné du vizir ramenait aussi avec lui un mode européen d’organisation de l’instruction. En 1867, à Tunis, il recrutait un capitaine français chargé d’instruire les autres enfants du vizir227. L’année suivante, le 12 juin 1868, il invitait de hauts dignitaires du gouvernement (Khayr al-Dīn, Aḥmad Zarrūq, Muḥammad al-Bakkūš, Muṣṭafā b. Ismā‘īl) à l’examen de « nos frères » à Carthage228. Comparé à la trajectoire des neveux grecs, le court périple de Muḥammad et al-Munjī avait le goût de l’inachevé. Un personnage aussi fortuné que le khaznadār était enclin à promouvoir ses fils mais pas au prix d’une longue séparation.
113D’autres dignitaires mamelouks confrontés aux contraintes de l’exil et de l’éloignement de leurs descendants optèrent pour une instruction prodiguée à domicile. Le chef de division Rašīd commença par faire éduquer son fils par un muaddib autour de 1859-1860229. Puis trois ans plus tard, il recruta un précepteur français qu’il gratifia de 60 piastres par mois. L’élève Muḥammad Rašīd se vit alors offrir un dictionnaire de français. Il recevait une mensualité de 50 piastres, soit un septième des gains mensuels du foyer, et il pouvait lire le Rā’id al-Tūnisī acheté par son père. Les efforts de Muḥammad Rašīd furent vite récompensés : à la fin de l’année 1864, la maison beylicale lui prodigua une tenue de major (alāy amīn)230.
114Le recours aux précepteurs n’était pas propre aux mamelouks de la dawla. Le Varois Jean-Baptiste Rey fut « selon toute vraisemblance » précepteur « dans des familles de négociants du Sahel », au milieu du xixe siècle, avant de devenir au début des années 1860 l’un des hommes de confiance de Khayr al-Dīn231. Mais d’entre tous les notables du pays, les ministres et généraux mamelouks se distinguaient surtout par leur accès privilégié à des réseaux plus étendus de sociabilité et de savoirs européens. Ainsi, Khayr al-Dīn voulut, en un premier temps, lui aussi, employer des précepteurs européens pour ses enfants232. Par la suite, il songea à un enseignement en France. En mai 1880, le général Ḥusayn lui déconseillait le choix de Marseille afin d’éviter d’exposer ses proches à l’« effroyable » accent méridional. Le général, bien prévenant, se proposait de rechercher des pistes à Paris. Il projetait d’y installer un « šaykh des fils de notre pays et un muaddib turc ». Au final, en décembre 1880, l’ancien vizir du bey, retiré à Istanbul, trancha en faveur de l’école du sultan au palais de Yıldız233. Les multiples efforts pour dispenser une instruction à l’européenne ne constituaient que le premier des indices d’une mise en valeur des fils de dignitaires. Les héritiers étaient aussi initiés à la représentation de l’autorité beylicale.
L’apprentissage de l’administration
115Certains furent envoyés très jeunes en mission hors de la province. Muḥammad b. Muṣṭafā Khaznadār était appelé à « faire l’apprentissage des voyages (asfār) »dès l’âge de quatorze ans. En novembre 1859, il put se rendre à Istanbul dans la suite de Khayr al-Dīn et du général Ḥusayn, chargés d’offrir un présent du bey. En 1862, c’était au tour du ministre de la Guerre, Muṣṭafā Bāš-Āġā, de se faire accompagner de son fils ‘Abbās234. À l’intérieur de la province, les fils de grands mamelouks furent tout autant accompagnés et favorisés dans un exercice progressif de charges administratives. Le général Salīm était entouré de ses deux fils dans son commandement de l’A‘rāḍ en 1864235. Muḥammad, le fils du général Murād, fut aide de camp de Muṣṭafā Khaznadār avant d’être nommé caïd de Bizerte236. Rašīd b. Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ connut une trajectoire similaire : il passa d’une même charge d’aide de camp à une série de représentations territoriales : caïd de la tribu de Jendouba en 1864237, il commanda une troupe de zouaves et de cavaliers dans le camp fiscal de 1867238. Cinq ans plus tard, il détenait le titre de gouverneur (‘āmil) de Bizerte et de Porto Farina239.
116Khayr al-Dīn, le successeur de Muṣṭafā Khaznadār, parut poursuivre la même politique d’intégration au makhzen des fils de mamelouks. Ibn Abī al-Ḍiyāf releva que le vizir s’appuyait sur « certains fils d’a‘yān » : pour l’assister, il choisit le fils du général Rašīd exécuté en 1867240 ; il fit, par ailleurs « inscrire, […] dès leur naissance, sur les registres des mamelouks », « les deux fils de Si Ahmed ben Othman », un mamelouk d’origine caucasienne parvenu à Tunis après la guerre de Crimée, sous la protection du même général Rašīd241.
117Ces appuis répétés du vizir montraient que les mamelouks des beys s’alignaient sur d’autres ensemble sociaux de la province, qui favorisaient les transmissions de fonctions et dépassaient l’entre-soi. Dans le cas des mamelouks, cette volonté politique devait surtout être rapprochée d’une autre mutation observée à la même époque parmi les ulémas : des fils d’hommes du makhzen et surtout de familles baldī rejoignaient les rangs des hommes de savoir sous le gouvernement de Khayr al-Dīn. Dans son étude sur l’establishment religieux de 1873 à 1915, A. Greene a voulu voir dans ce « mouvement régulier » la conséquence d’une « interrelation sociale entre les trois catégories » des baldī, des ahl al-makhzan et des ahl al-‘ilm242.
118Cette hypothèse d’une unification de l’élite tunisoise sous tutelle gouvernementale se situe au-delà de notre champ d’observation. Son évocation permet cependant de rendre plus complexes les efforts de promotion des fils de mamelouks. Comme lors de la mise en place des réformes, ces tentatives relèvent de parcours pour partie contraints de distinction et d’homogénéisation. Les fils ont succédé à leurs pères à d’importantes charges afin de maintenir un patrimoine familial, mais ce faisant, ils ont ouvert l’ensemble de ces fonctions à des successions héréditaires au sein de la province. Cette double perspective de perpétuation et d’enracinement est plus clairement perceptible dans un troisième domaine de mise en valeur des mamelouks, celui des alliances matrimoniales avec les princes et princesses husaynides.
Les mariages
119À leurs différentes positions, les fils et les filles de mamelouks ont nourri, selon Leïla Blili, un vivier pour constituer des familles issues des palais. Les Ḥaydar, les Zakariyya243, par exemple, ont donné naissance à des groupes « d’a‘yān-s du makhzen liés au pouvoir par un double lien de vassalité et de parenté par alliance244 ». Dès 1855, le bey Muḥammad fiança sa fille Zubayda à Muḥammad b. Muṣṭafā Khaznadār245. Dans le même lignage, le consul de France signalait un mariage entre un fils du vizir et une princesse en 1871, soit deux ans avant que Muṣṭafā Khaznadār ne soit congédié246. À la manière des mamelouks qui avaient uni des maisons de notables au palais dans les décennies précédentes, des fils furent alliés à de grandes familles de la province par mariage.
120De façon symétrique, le nombre de plus en plus réduit d’odalisques, l’intérêt à maintenir des biens dans un ensemble familial élargi expliquent sans doute que les filles et petites-filles de mamelouks furent aussi choisies pour épouser des princes. Deux d’entre elles, Ḥusayna fille de Muḥammad Khaznadār et Dūja b. Janayna b. Bāš-Mamlūk, furent unies à Ismā‘īl, le fils de ‘Alī Bey, premier souverain du Protectorat247. L’annonce des engagements était parfois publique : le Journal officiel de la mi-janvier 1872 faisait part de la conclusion du contrat de mariage (ṣadāq) du général de brigade Muḥammad al-Munjī et de Maymūna, la fille du défunt chef de cavalerie Farḥāt248. Les fils et les filles de mamelouks ont permis de perpétuer des successions tout en ouvrant le jeu des alliances, tout en mettant fin aux mariages à l’intérieur des palais. Les liens matrimoniaux pouvaient bien être entretenus durant une, voire deux générations, mais après, que faire, vers qui se tourner ? La dynastie régnante pouvait-elle seulement s’unir à des familles makhzen enfantées en son sein249 ?
121Les parcours des fils de mamelouks étaient symptomatiques de transitions plus générales. À partir des années 1840, malgré quelques hésitations et revirements, les beys avaient attiré à leurs côtés des serviteurs autochtones en intensifiant d’anciennes pratiques de sociabilité. Les palais avaient été peuplés d’enfants choyés et d’hommes issus de l’intérieur ou des littoraux du pays. Des mamelouks des princes n’eurent plus le seul monopole des ascensions fulgurantes. Des favoris nés dans des foyers modestes de Tunis et de ses campagnes empruntaient des voies comparables. Ils tentaient de s’élever de l’intimité des beys aux principales charges de l’État. Parallèlement, dès 1840, l’éducation de sérail fut prolongée dans une école du Bardo qui put réunir et distinguer d’autres « déplacés sociaux ». Du palais et de la capitale vers la province, des fonctions furent secondées, des autorités furent déléguées : les ministres étaient assistés de secrétaires arabophones enracinés dans le pays ; les caïds mamelouks s’appuyaient sur des lieutenants du cru. Et peu à peu, les décès et retraits de mamelouks permirent les remplacements par des natifs de la province dans les armées et les administrations.
122Dans ces processus, Aḥmad Bey, ses successeurs et leurs agents jouèrent sur les mots. Le premier promut une ‘aṣabiyya, un esprit de corps qui se nourrissait de l’égal mérite des enfants du pays à pouvoir prétendre à toutes les charges d’autorité. Lui et ses continuateurs ne se contentèrent pas de réviser les termes des liens qui les unissaient à leurs parents naturels, ils poursuivirent une généralisation des formules de la filiation qui ne concernaient plus les seuls mamelouks, les grands notables ou les miliciens turcs, mais embrassaient l’ensemble des soldats de l’armée régulière et quelques éléments des hiérarchies administratives. Les disciples de l’école du Bardo allèrent plus loin dans cette quête de cohésion par le langage. Ils s’inspirèrent d’un lexique du commandement militaire. Ils furent sensibles à des écritures patriotiques de l’histoire, à d’autres façons de visualiser des espaces mis en commun par la cartographie. Quand, à la fin des années 1850, les mots, les attentions et les gestes à l’égard du courtisan, de l’écolier ou du compagnon avaient été répétés et ressassés, un édifice législatif inspiré par les consuls contribua à établir des relations en principe délimitées entre souverains et sujets, instructeurs et conscrits, maîtres et serviteurs.
123Mais ces processus furent des transitions et non des aboutissements. Les discours de la filiation fictive furent entendus jusqu’à paraître anachroniques ou formels dans des sociétés où l’« idéologie de la parenté » cessait d’être surdéterminante. Ces appels au sens de la famille furent complétés, puis affaiblis par d’autres conceptions patriotiques ou impériales qui permirent à certains mamelouks comme Khayr al-Dīn ou Ḥusayn de s’affranchir d’une conception personnalisée du service, de dépasser le lien de dépendance au souverain pour le sublimer dans une relation de patronage avec des entités plus abstraites. Les ascensions de Ṣāliḥ Šībūb ou du général al-Murābiṭ constituèrent des expériences tout aussi passagères, interrompues par des disgrâces brutales. Mis à distance dans les alliances matrimoniales avec la dynastie, perçus comme des parvenus ou des intrus de par leurs modestes extractions ou par leurs parentés d’origine, aucun de ces enfants du pays ne put longtemps rivaliser avec des favoris mamelouks. Ces derniers bénéficièrent de la création de nouvelles fonctions d’encadrement militaire et administratif, et des places d’excellence au sein de l’école du Bardo. La maison husaynide ne pouvait tout abandonner aux sujets. Elle procéda par transitions.
124Les positions acquises par les fils furent à cet égard plus que symptomatiques des acquis et des limites de ces moments d’enracinement. Ni mamelouks pleinement dépendants des beys, ni enfants du pays inscrits dans des lignées éloignées de la dynastie restante, les fils voyaient leurs noms d’ascendance soient éludés, soit affichés dans les listes nominatives du début des années 1860. Parfois placés à part, ils se retrouvaient le plus souvent amalgamés avec leurs aînés en différents échelons où ils occupaient les dernières places. Dans les textes de loi, l’association des descendants devait en principe exclure les petits-fils, mais l’exception devint fréquente. À un autre degré, le bref séjour d’enseignement à Paris des fils de Muṣṭafā Khaznadār avait démontré à quel point il restait difficile de s’éloigner du sérail et de parvenir à un statut d’administrateur compétent, affranchi des relations de faveur et des solidarités familiales. Par ces ambivalences, dans le contexte des réformes, les fils devaient surtout servir de médiateurs, d’appuis pour leur géniteur : ils accompagnaient des transmissions de biens, de charges et de rangs dynastiques qui n’étaient plus à redistribuer à chaque génération, mais à maintenir dans un même foyer, dans une même lignée, en lien ou en opposition avec d’autres familles. En même temps qu’ils héritaient de fonctions, de richesses et d’alliances privilégiées, ils ouvraient l’ensemble de ces différents domaines à des prétentions autochtones. Au moment où les familles makhzen, baldī et du ‘ilm se rapprochaient, interagissaient de façon croissante, les descendances mamelouks s’alignaient sur d’autres ensembles sociaux de la province. La situation des fils de mamelouks renvoyait surtout, à partir des années 1860, à l’ambivalence des positions détenues par leurs pères : puissants et en voie d’affaiblissement ; dominants et vieillissants.
125La grande révolte que le pays connut en 1864 se situe dans ces moments de transition : elle fut un moment de profonde remise en cause d’un pouvoir beylical soutenu par les mamelouks. Mais sa violente répression aboutit aussi à l’affermissement et au rejet des dignitaires issus de ce corps de serviteurs (chapitre 9). Dans cette même perspective, les années 1860 à 1880 constituèrent moins un « âge d’or » qu’un temps doré. Ce fut à la fois une époque de suprématie apparente et d’effacement progressif des mamelouks des beys de Tunis (chapitre 10).
Notes de bas de page
1 M. A. Ben Achour, 1989, 126-135.
2 Al-Bājī al-Mas‘ūdī, 1905, 14.
3 Gerard Van Krieken (1976, 55) pensait que les « vieilles familles tunisiennes » pouvaient être freinées dans leurs ambitions mais qu’elles n’émettaient pas de « signes de contestation ouverte » préférant l’accommodement, les « faveurs des hommes en place » plutôt que la franche opposition.
4 Dans un rapport sur les « vieilles familles », H. de Montéty (1940, 9) rapporte que les « mamelouks, flattés dans leur vanité par leur accès à la Cour, manifestaient un certain dédain pour l’indigène. De son côté, l’aristocratie tunisienne ne nourrissait au fond de son cœur que mépris à l’égard de ces intrus […] ».
5 H. Karoui, 1973, 111-112.
6 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 24.
7 I. al-Sa‘dāwī, 1999, 395, 400.
8 A. Jdey, 1996, 147 ; Ḍiyāf, 2005, 27.
9 Ḍiyāf, 2005, 21.
10 L. Blili, 2004, 186.
11 D. Rivet (2002, 143) évoque une « volonté d’enrégimenter la société ».
12 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 76-77.
13 A. Abdelkebir, Les mutations sociospatiales et les aspects anthropologiques en milieu aride : cas de la Jeffara tuniso-lybienne 1837-1956, université de Metz, 2003 (dir. A. Ould Cheikh), 62.
14 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 199.
15 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 188.
16 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 195.
17 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 48.
18 M. Beaussier, 1958, 52 : la bazīna est une bouillie de farine d’eau et de jus de viande ou bien de légumes.
19 La prison. M. Gandolphe, 1942, 82-84. M. Beaussier (1958, 443) ne recense qu’al-zandāna au sens de magasin mais qui réfère aussi à un souterrain dans un fort ou bien encore à une « taverne où les esclaves vendaient du vin ».
20 Ant, reg. 3108, juin-juillet 1845 (jumādā II 1261).
21 Ant, reg. 3066, f. 30, 1er janvier 1848 (24 muḥarram 1264).
22 K. Chater, 1984, 547.
23 Ant, reg. 3323, f. 14, des promotions sont signalées à partir de décembre 1830 (rajab 1246).
24 Ant, reg. 3259, f. 1, 8 juillet 1833 (11 qa‘da 1278).
25 Ant, reg. 3394, f. 1.
26 Ant, reg. 3068, f. 16, 10 décembre 1839 (3 šawwāl 1255).
27 Farḥāt al-Jallūlī et son frère Ḥasūna partirent pour Malte en 1840, lorsque le bey favorisa la famille rivale des b. ‘Ayyād (Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 54). Le fils de Sulaymān b. al-Ḥājj, Ḥammūda, qui avait perpétué les affaires familiales sous le vizirat de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, prit la même direction en 1845. Son frère fut nommé à ses fonctions. Ḥammūda revint, obtint le pardon du bey mais pas le retour de sa fortune (L. C. Brown, 1974, 91 ; Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 91).
28 L. Blili, 2004, 114.
29 M. A. Ben Achour, 1989, 148.
30 L. C. Brown, 1974, 226-227 ; Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 188.
31 M. A. Ben Achour, 1989, 183.
32 M. A. Ben Achour, 1989, 132 ; L. C. Brown, 1974, 229 ; Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 138.
33 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 71.
34 Ant, SH, C. 77, d. 904, arch. 8, 14 novembre 1846 (25 qa‘da 1262) ; arch. 10, 14 septembre 1850.
35 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 183. Les tentatives d’assassinat de Napoléon III furent nombreuses, avec des complots en 1854, deux actions le 28 avril et le 10 septembre 1855, avant l’attentat d’Orsini en 1858 (W. E. Echard, Historical Dictionary of the French Second Empire, 1852-1870, Londres, Aldwych Press, 1985, 427).
36 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 138 ; il accompagna d’abord Ismā‘īl, le mamelouk de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, puis Muḥammad Bey en maḥalla. Puis il rejoignit les musiciens du Bardo.
37 Ant, SH, C. 75, d. 879, arch. 1, 15 février 1842 (4 muḥarram 1258) ; arch. 2, 25 février 1843 (25 muḥarram 1259) ; arch. 3, 3 novembre 1846 (14 qa‘da 1262) ; arch. 5, 7 novembre 1850 (2 muḥarram 1267) ; arch. 11, 9 février 1853 (29 rabī‘ II 1269) ; arch. 13, 6 décembre 1852 (23 ṣafar 1269).
38 Ant, SH, C. 75, d. 880, arch. 11, Muṣṭafā Khaznadār à Ṣāliḥ Šībūb, 17 novembre 1843 (24 šawwāl 1259).
39 Ant, SH, C. 75, d. 880, arch. 1, Muṣṭafā Khaznadār à Ṣāliḥ Šībūb, 31 octobre 1843 (7 šawwāl 1259).
40 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 188 ; P. Daumas, 1857, 96.
41 L. C. Brown, 1974, 225 ; Ḍiyāf, 1989, viii, 138-139.
42 M. A. Ben Achour, 1989, 183-184.
43 Ant, SH, C. 75, d. 880, arch. 1, Muṣṭafā Khaznadār à Ṣāliḥ Šībūb, 31 octobre 1843 (7 šawwāl 1259) ; L. Blili (2004, 122) évoque à partir de cette même lettre ses maladresses dans la correspondance avec le bey.
44 Ḍiyāf, 2005, 94, lettre 15, 19 décembre 1852 (7 rabī‘ I, ašrāf al-rabī‘yna 1269).
45 P. Daumas, 1857, 6.
46 R. Hunter, 1986, 46.
47 L. C. Brown, 1974, 262.
48 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 218-220 ; A. Chahed, 2000, 35-39.
49 Mae, CP, Tunis, vol. 15, Roches, 6 juillet 1855, f. 131 r. L. Blili (2004, 305) précise, à partir d’une correspondance de Ḍiyāf, les motifs de mécontentement du bey et de la princesse : l’époux se serait mal comporté et pas assez intéressé à sa femme qui s’était pourtant endettée afin de subvenir aux besoins de sa belle-famille.
50 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 218-220 ; A. Chahed, 2000, 35-39.
51 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 218, 220 ; A. Chahed, 2000, 35, 40.
52 Mae, CP, Tunis, vol. 16, Roches, 7 mai 1856, f. 75 v.-76 r ; 27 mai 1856, f. 85 v.
53 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 33-34.
54 L. Anderson, 1986, 78.
55 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 223 ; A. Chahed, 2000, 46.
56 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 24.
57 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 31.
58 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 44.
59 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 269 ; A. Chahed, 2000, 111-112 (d’après E. Fitousi et A. Benazet, L’État tunisien et le Protectorat français. Histoire et organisation (1525 à 1931), Paris, I, 1931).
60 M. Bompard, 1888, 400, décret du 26 avril 1861 (15 šawwāl 1277), chap. xi : « Des fonctionnaires », art. 78.
61 Mae, Tunis, bey et cour beylicale, correspondance du Bardo, liasse 21, Muḥammad Bey, 15 avril 1860 (24 ramaḍān 1276).
62 Mae, mémoires et documents, Tunis, vol. 9, Notices abrégées sur la Régence de Tunis par Charles Cubisol. 1867, 1re édition, f. 127.
63 M. Mabrouk, 1972, 189-190.
64 Mae, CP, Tunis, vol. 27, Duchesne de Bellecourt, 14 juin 1866, f. 140 r ; J. Ganiage, 1959, 85-86.
65 Mae, CP, Tunis, vol. 27, Duchesne de Bellecourt, 14 juin 1866, f. 140 r-v.
66 M. Kraïem, 1973, 455-457.
67 G. Van Krieken, 1976, 199.
68 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 105 ; A. Raymond, 1994, vol. ii, 165.
69 K. Chater, 1978, 106.
70 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 110 ; M. Bdira, 1978, 84.
71 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 113.
72 Ant, al-Nuzḥa al-Khayriyya, 1875-1876 (1292), 132-134 ; 1878-1879 (1296), 118-119 ; 1880-1881 (1298), 100.
73 Ant, al-Nuzḥa al-Khayriyya, 1878-1879 (1296), 74-75 ; 1880-1881 (1298), 60-61.
74 Ant, al-Nuzḥa al-Khayriyya, 1876-1877 (1293), 62-70 ; 1878-1879 (1296), 99-107 ; 1880-1881 (1298), 82-93.
75 M. Smida, 1971, 301-302.
76 A. Raymond, 2006, 53.
77 M. A. Ben Achour, 1989, 151, 295-296.
78 A. Hénia, 1997, 100.
79 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 41 ; L. C. Brown, 1974, 292.
80 O. Moreau, 2007, 66-98 ; K. Fahmy, 1997, 272.
81 A. Chenoufi, 1976, 46, 47, 74 : maktab al-muhandisīn ou maktab al-‘ulūm al-ḥarbiyya.
82 M. Smida (1971), L. C. Brown (1974), A. Chenoufi (1976), G. Van Krieken (1976, 12).
83 Ant, reg. 2 407, f. 25, 18 février 1868 (24 šawwāl 1284) : al-Ṣādiq et al-Ṭāhir b. Muḥammad b. Ḥasūna al-Mamlūk.
84 A. Daux, 1848, 356.
85 G. Alleaume, 1988, 73.
86 L. C. Brown, 1974, 354.
87 Ant, reg. 2 401 (1860-1866), f. 30 ; 2 406, f. 55 ; 2 407, f. 88, mai 1867 (« mai » 1284) et f. 104.
88 Ant, reg. 2 407, f. 7, f. 8-9, août-septembre 1861 (ṣafar 1278).
89 L. C. Brown, 1974, 293-294 ; A. Chahed, 2000, 311 : à partir de 1855, les élèves sont admis à douze ans minimum et quatorze ans maximum pour une scolarité de six années.
90 Ant, reg. 2 407, f. 11, 22 février 1864 (14 ramaḍān 1280) ; f. 12, 15 mars 1864 (6 šawwāl 1280).
91 Ant, reg. 2 407, f. 140.
92 Ant, reg. 2 401, f. 30 ; 2 402 ; 2 404 ; 2 406, f. 38 ; 2 410, 1864-1869 (1282-1286), f. 10-11.
93 Ant, reg. 2 402 ; 2 403 ; 2 406, f. 55.
94 Ant, reg. 2 407, f. 153, 15 juillet 1867 (13 rabī‘ I 1284) ; 2 410, f. 7, dont 129 livres en français, 38 livres d’instruction militaire auxquels s’ajoutent une quinzaine de cartes.
95 Ant, reg. 2 407, f. 1, 7 juin 1864 (2 muḥarram 1281) : un élève de l’école recevait trois cents coups de fouet pour simple offense à un capitaine (yuzbāš.).
96 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 41.
97 L. C. Brown, 1974, 294 ; G. Van Krieken (1976, 12) juge que rares furent les autres anciens élèves « à occuper des fonctions importantes en dehors de l’armée et de la marine ». De fait, « dans les autres secteurs, on préférait des personnes ayant fait leurs études à la Zaytūna ».
98 M. Kraïem, 1973, vol I, 178-179.
99 G. Alleaume, 1988, 75-77.
100 P. Marty, 1935, 336-337.
101 D’après A. Chenoufi (1976, 77) qui se fonde sur une liste du 23 mars 1860 (Ant, reg. 2 403), les élèves « viennent en majorité de l’intérieur du pays. Quelques-uns sont des ruraux authentiques de la région du Nord et du Sahel ».
102 « Le bey de Tunis, l’Algérie, le Constitutionnel, la Vérité », Bulletin de la Société orientale, t. iv, cahiers XIII à XVI, La Revue de l’Orient, 1844, Paris, Delavigne, 91.
103 P. Daumas, 1857, 99.
104 A. Chenoufi, 1976, 75-76 ; P. Marty, 1935, 325.
105 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 46, 3 septembre 1860 (17 ṣafar 1277).
106 Ant, reg. 2 400, f. 1 12 mai 1860 (21 šawwāl 1276), f. 8, 19 avril 1864 (12 qa‘da 1280) et f. 10, 4 mars 1864 (25 ramaḍān 1280). M. Bey (1968, 1472) constatait une baisse plus vertigineuse : « Sous prétexte d’économie, le nombre des élèves de l’école militaire du Bardo tombait de 135 à 18. »
107 Ant, reg. 2 407, f. 13, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey à Rašīd amīr liwā al-‘assā, 18 juin 1863.
108 Ant, reg. 2 407, f. 17, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey à Rašīd amīr liwā al-‘assā, 9 mai 1865 (13 ḥijja 1281).
109 Ant, reg. 2 407, f. 33, Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey à Rašīd amīr liwā al-‘assā, 12 février 1868.
110 P. Marty, 1935, 335.
111 M. Gandolphe, 1942, 25.
112 Ant, reg. 2 407, 1871-1872 (1288).
113 R. Mantran, 1989, 423-427, 454 ; G. Alleaume, 1988, 78-79, 81.
114 A. Rey-Goldzeiguer, 1997, 24.
115 Ch. Monchicourt, 1928, 529 ; K. Chater, 1984, 494.
116 M. ‘Abd al-Mūlā, 2003, 9.
117 A. ‘Abd al-Mūlā 2003, 58 : Al-Akhbār al-yawmiyya fī safar al-‘asākir al-tūnisiyya, août 1856 (ḥijja 1272), 178 f. (manuscrit 2131/4555 à la Bibliothèque nationale tunisienne).
118 G. Forand, 1971, 61, citant S. D. Goitein.
119 L. Valensi, 1987, 46.
120 P. Bourdieu, 1997, 56.
121 E. Gellner, 1981, 70.
122 D. Rivet, 2002, 144.
123 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 135.
124 L. Blili, 2004, 377.
125 Ant, SH, C. 75, d. 879, arch. 3, Aḥmad Bey à Ṣāliḥ Šībūb, 6 novembre 1843 (13 šawwāl 1259).
126 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 130.
127 Mae, Mémoires et documents, Afrique, vol. 14, Dupré, lieutenant de vaisseau capitaine de la Sentinelle, f. 306 r.
128 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 132.
129 M. H. Chérif, 1984, 190, 77. Anf, AE B I 1131, Tunis, vol. 7, Petis de la Croix, Chalon-sur-Saône, 6 octobre 1727.
130 A. Hénia, 1980, 201, note 1.
131 E. Plantet, 1894, vol. ii, 700, Aly, bey de Tunis à de Broves, Bardo, 25 juin 1770 ; Anf, AE B I 1143, Tunis, vol. 19, traduction d’une lettre du bey à M. de Broves, 27 juin 1770, f. 381 ; AE B I 1146, Tunis, vol. 23, f. 35 ; AE B I 1148, Tunis, vol. 25, de Saizieu, 22 septembre 1777, « Traduction de l’omar du Bey de Tunis expédiée au nom et faveur de Sidy Moustapha son gendre pour la concession exclusive de la Pêche du corail dans les mers dépendant du Royaume de Tunis », f. 122 r.
132 Ant, reg. 312, 1799-1800, (1215), f. 151 ; reg. 273, 1793-1794 (1208), f. 235.
133 Ant, reg. 403, f. 13, février-mars 1816 (rabī‘ II 1231).
134 Ant, SH, C. 209, d. 142, arch. 1, Aḥmad Bey au roi de Naples, 14 avril 1839 (29 muḥarram 1255) ; arch. 1, à la reine d’Angleterre, 14 avril 1839 (29 muḥarram 1255) ; au roi de France, mars-avril 1839 (muḥarram 1255).
135 A. Moalla, 2003, 76 ; Anf, AE B I 1143, Tunis, vol. 19, Muṣṭafā Khūjā à Saizieu, le Barde, le 24 juin 1770 ; E. Plantet, 1899, vol. iii, 148, Muṣṭafā Khūjā à Venture, Tunis, 18 mai 1785. Le père Caroni (1805, 31) affirme qu’à Tunis, dans la maison du Bāš Ḥānba, les « esclaves » nommaient le maître de maison « patron » tandis que, pour sa part, il préférait parler de « patron putatif ». H. von Pückler-Muskau (1837, II, 273) témoigne que le ministre de la Marine lui « promit en souriant d’en parler au padrone, titre que tous les mamelouks donnent au bey ».
136 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 178.
137 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 2 et 36.
138 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 31 et 46.
139 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 5 et 35.
140 Ant, SH, C. 55, d. 592, arch. 66708, 5, f. 1-2, septembre 1869 (« septembre » 1286).
141 J. Ganiage, 1959, 85.
142 Al-Saġīr b. Yūsuf, 1978, 302.
143 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 64, décembre 1841-janvier 1842 (qa‘da 1257).
144 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 177, 16 juillet 1854 (20 šawwāl 1270).
145 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 64.
146 M. S. Mzali, 1976, 106-107.
147 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 233-234 ; A. Chahed, 2000, 62-63.
148 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 64.
149 M. S. Mzali, 1976, 106-107.
150 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 187.
151 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 201.
152 Ant, SH, C. 184, d. 1029, arch. 43.
153 Ant, SH, C. 73, d. 863, arch. 73, ‘Umār b. Wīnas à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 10 mars 1865 (12 šawwāl 1281).
154 Ant, SH, C. 209 bis, d. 159, arch. 38, L. Roches, Tunis, 24 septembre 1860.
155 L. Blili, 2004, 46, 32 : l’auteure rappelle une définition de waṭan par B. Lewis comme « lieu de résidence ou d’origine pouvant s’appliquer à un village, une ville ou une province ».
156 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 94.
157 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 119.
158 Cf. chapitre 13 sur la révolte de 1864. Dans un tout autre contexte, Rifā‘a al-Ṭahṭāwī, qui ne cessait de se référer au ḥubb al-waṭan, sous-entendait que l’Égypte avait perdu ses vertus par une longue prépondérance « étrangère » des mamelouks (A. Hourani, 1983, 80).
159 B. Anderson (1996, 9) a essayé « de changer notre approche du nationalisme en le concevant, dans un esprit anthropologique, comme une manière d’être au monde à laquelle nous sommes tous soumis, plutôt que, simplement, l’idéologie politique de quelqu’un d’autre », cette approche insistant sur nos capacités à imaginer et réimaginer nos communautés.
160 J. C. Winckler, 1967, 152.
161 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 52.
162 M. Morsy, 1987, 22.
163 G. Van Krieken, 1976, 274 : lettre à à Victor Villet, inspecteur des Finances un temps en charges de la dette tunisienne.
164 O. Moreau, 2004, 138. A. M. Medici (2006, 80) rapproche ce « transfert » de loyalisme de la transformation d’usage du mot dawla, qui signifiait « dynastie » et qui prit de plus en plus le sens d’« État ».
165 B. Anderson, 1996, 47, 118.
166 A. Hénia, 1999, 411 : « la circulation de la propriété [était] devenue tellement intense et dynamique que le cadre parental [était] loin, à lui seul, de pouvoir la contenir. Seul donc le circuit du marché [était] en mesure de la soutenir. »
167 Ḥusayn, 1991, vol. i, 70, 28 juillet 1868 (7 rabī‘ II 1285).
168 Ḥusayn, 1992, vol. ii, 194, 20 décembre 1878 (25 ḥijja 1295).
169 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 107, 13 octobre 1881 (19 qa‘da 1298).
170 Y. H. Erdem (1996, 125) a parlé de « résurgence rhétorique de l’esclavage ».
171 H. Ben Othman, 1911, 10-11.
172 A. Moalla, 2003, 114. M. Jrad (Les familles makhzen dans la régence de Tunis à l’époque moderne, Tunis, doctorat (dir. S. Boubaker), 2007, 122-123) évoque le cas des descendants de ‘Alī Blīlū au xviie siècle.
173 Ant, reg. 11, f. 49 (été 1143) ; f. 50.
174 Ant, reg. 3638, f. 6.
175 Ant, reg. 143, f. 71, 1764-1765 (1178) ; reg. 170, f. 145, 19 septembre 1770 (28 jumādā I 1184) ; reg. 216, f. 180, 22 septembre 1779 (11 ramaḍān 1193) ; reg. 156, f. 185, 16 mai 1779 (29 rabī‘ II 1193). M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 215, 348 : la famille des Ibn Qabrān, originaire de la région du Kef et implantée dans le faubourg de Bāb al-Swīqa, s’était distinguée par une première fidélité à Ḥusayn b. ‘Alī et à ses fils. Cette fidélité avait été récompensée par de multiples charges après 1756. Les Ibn Qabrān exercèrent de nombreuses fonctions makhzéniennes, telles que celle de kāhiya des zouaves.
176 Ant, reg. 3638, f. 6.
177 M. Fakhfakh, 1990, 77 : wardiyānāt : juyūš, militaires.
178 Mae, CP, Tunis, vol. 1, Lesseps, 12 juin 1831, f. 193 v.-194 r.
179 Ant, reg. 3063, 1837-1838 (1253), f. 5, f. 59.
180 Ant, reg. 3281, f. 17, 1840-1841 (1256), f. 25, 1842-1843 (1258), f. 40.
181 Le colonel Muḥammad, les majors Ḥasan et Muḥammad Abd-al-Salam.
182 Ant, reg. 3306, janvier-avril 1864 (ša‘bān et šawwāl 1280), f. 31-32.
183 Ant, reg. 3172, f. 13, 28 janvier 1864 (18 ša‘bān 1280).
184 1806, Frank, 101.
185 Ch. Monchicourt, 1929, 135.
186 A. Saadaoui, 2001, 282.
187 A. Kennedy, 1846, 156-157.
188 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 99.
189 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 147.
190 M. A. Ben Achour, 1989, 178.
191 Ant, SH, C. 3, d. 41, arch. 9, ordre de Muḥammad al-Ṣādiq Bāšā Bey, 8 juillet 1861 (25 ḥijja 1277).
192 Ant, SH, C. 3, d. 41, arch. 25, 23 janvier 1884 (24 rabī‘ I 1301).
193 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 72 ; Mae, Bey et cour beylicale, liasse 16, correspondance du Bardo : Ḥusayn Bey au consul Deval, 2 juillet 1834 (24 ṣafar 1250) ; liasse 17, Aḥmad Bey au consul, 30 décembre 1840 (6 qa‘da 1256) ; liasse 35, réponse de Sulaymān al-Jazīrī aux négociants de Beaussier et Chapelié, 7 septembre 1834 (3 jumādā I 1250).
194 Ant, SH, C. 92, d. 78, arch. 6, février-mars 1861 (ša‘bān 1277).
195 Ant, reg. 552, f. 44.
196 Ant, SH, C. 166, d. 850, huit listes de mamelouks et fils de mamelouks classées par grade militaire décroissant, rédigées en moins de neuf mois, dans le contexte de l’établissement du qānūn sur les mamelouks, le 19 septembre 1860 et avant le décès de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ le 10 mai 1861.
197 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 2.
198 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 35.
199 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 5, arch. 31, arch. 35, arch. 46.
200 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 35.
201 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 2 bis.
202 Ant, SH, C. 166, d. 850, arch. 45.
203 Ant, reg. 3413, début décembre 1874 (fin šawwāl 1291).
204 Ant, reg. 3712.
205 Ant, SH, C. 166, d. 865, arch. 46, Ḥamda Bāš Khūjā et Muḥammad Bāš Khūjā au Premier ministre (wazīr al-akbar) Muḥammad Khaznadār, 15 avril 1882 (26 jumādā I 1299).
206 Ant, SH, C. 3, d. 51, arch. 67, Karīm b. Muṣṭafā al-Arnawūṭ à Kaltūm Beya, 5 avril 1864 (27 šawwāl 1280).
207 Ant, SH, C. 166, d. 865, arch. 27, ‘Uṣmān à Khayr al-Dīn, 29 mars 1870 (26 ḥijja 1286).
208 Ant, SH, C. 166, d. 865, arch. 21, Ḥasan Bāš-Mamlūk à Salīm, ministre de la Guerre, 4 septembre 1879 (17 ramaḍān 1296).
209 Ces efforts suivent les missions d’élèves égyptiens envoyés à Paris à partir de 1826 et la tentative de former une élite de « jeunes Algériens » (A. Messaoudi, 2008, 214-215).
210 J. Cl. Winckler, 1967, 98 ; L. Blili, 2004, 117.
211 Ant, SH, C. 209 bis, d. 159 bis, arch. 1, 13 octobre 1863 (29 rabī‘ II 1280). G. Van Krieken (1976, 89-90) rapporte une peur de fréquenter les « enfants des Juifs de Tunis » et la nécessité de placer les enfants auprès d’un « professeur respectable ».
212 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 6, Nicolas et Michel, 9 décembre 1863.
213 Ant, SH, C. 4, d. 68, arch. 24, Jules de Lesseps ; 28 octobre 1863 ; C. 6, d. 79, arch. 5, carte de vœux de Jules de Lesseps, le 30 décembre 1868 à « Mon Cher Prince » : « Il y a bien longtemps que vous ne m’avez favorisé de vos nouvelles. »
214 Ant, SH, C. 209 bis, d. 159 bis, arch. 30, Muḥammad al-Bakkūš (sans date).
215 Ant, SH, C. 4, d. 68, arch. 11, Muḥammad b. Muṣṭafā Khaznadār à un général dont le nom n’est pas mentionné mais qui semble être le général Daumas, 14 mai 1864.
216 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 4, Muṣṭafā Khaznadār au « sinyūrī Bastarī » de Marseille, 3 février 1850 (20 rabī‘ I, al-anwār 1266).
217 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 6, Nicolas et Michel, 9 décembre 1863.
218 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 42-43, factures du 1er avril 1862 au 1er octobre 1862.
219 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 10, Nicolas et Michel, 17 juin 1863.
220 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 10, Nicolas et Michel, 17 juin 1863.
221 Ant, SH, C. 4, d. 55, arch. 6, Nicolas et Michel, 9 décembre 1863.
222 Jules de Lesseps, agent du bey à Paris, fils d’un ancien consul à Tunis de 1822 à 1830.
223 A. Chenoufi, 135 : lettre du consul du Danemark, Cubisol, au ministre d’État chef du département royal des Affaires étrangères, Tunis, 1er septembre 1861 : le consul affirme que Muḥammad a déjà seize ans.
224 Ant, SH, C. 6, d. 70, arch. 26, al-Munjī à Khayr al-Dīn, 26 décembre 1863.
225 Ant, SH, C. 4, d. 68, arch. 57, Jules de Lesseps, 9 mars 1864.
226 Ant, SH, C. 6, d. 79, arch. 6, Ernest Desjardins à « Sidi Mohamed Ben Mustapha », 1er mai 1865.
227 Ant, SH, C. 4, d. 68, arch. 2.
228 Ant, reg. 2478, copies et résumés d’écrits du vizir et de son fils, f. 26, 12 juin 1868 (20 ṣafar 1285).
229 Ant, reg. 2488, f. 15, jumādā II 1276 (décembre 1859-janvier 1860).
230 Ant, reg. 2487, f. 5, 7, 10, 29, 32, 34, 35, 38.
231 A.-M. Planel, 2000, 153.
232 A.-M. Planel, 2000, 114 : Khayr al-Dīn songea à Nonce Rocca, maître d’école à Tunis puis inspecteur du collège Sadiki.
233 Ḥusayn, 1992, vol. iii, 79-82, 15 mai 1880 (5 jumādā II 1297) ; 102, 25 décembre 1880 (22 muḥarram 1298).
234 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 106.
235 P. Grandchamp, 1935, 132, H. Sicard à (Marius Sicard, son père, à Sousse), Gabès, 26 mai 1864.
236 M. Gandolphe, 1942, 118.
237 Ḍiyāf, 1989, vol. v, 160.
238 Ḍiyāf, 1989, vol. vi, 103.
239 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, 5, 12 avril 1872 (3 ṣafar 1289).
240 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 151.
241 H. Ben Othman, 1911, 9.
242 A. Greene, 1978, 85.
243 L. Blili, 2004, 314, 316, 340.
244 L. Blili, 2004, 334.
245 L. Blili, 2004, 356.
246 Mae, CP, Tunis, vol. 36, de Botmiliau, 22 août 1871, f. 72 v.
247 L. Blili, 2004, 310.
248 Ant, al-Rā’id al-Tūnisī, 44, 18 janvier 1872 (8 qa‘da 1288). M. Beaussier, 1958, 564 : al-ṣadāqdéfinit la dot, le douaire, le don nuptial. Par extension, al-‘iqd al-ṣadāq renvoie au contrat de mariage.
249 L. Blili (2004, 321-322) identifie des transformations pour les descendants d’Aḥmad II. Au pouvoir de 1929 à 1942, ce bey était « sensible à l’origine des hommes qui entr[ai]ent dans la cour ». Une de ses filles épousa un « professeur à la Zitouna et haut fonctionnaire ; une autre fut mariée à un agent du palais, en charge de l’intendance ».
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