Chapitre 4. Les médiations mameloukes du sérail à la cité
p. 115-161
Texte intégral
1Moins prestigieuse que la cour princière, la maisonnée constituera néanmoins, dans ce chapitre, le terrain d’approche privilégié des liens noués entre princes, mamelouks et figures de la notabilité à Tunis entre la fin du xviiie siècle et les premières décennies du xixe siècle, dans un moment de montée en puissance des mamelouks avant de s’en éloigner et de se préoccuper, à la même période, des manières dont quelques serviteurs des beys tissent leurs toiles et celles de leurs maîtres vers l’intérieur de la province. Déjà mis en avant à la fin du xvie siècle, puis au siècle suivant, lors des glissements de miliciens des casernes vers les demeures deylicales et beylicales, le cadre domestique présente trois avantages. Ce cadre s’est imposé comme structure d’analyse historique pour l’ensemble de l’Empire ottoman. Il fut d’un apport considérable en d’autres études davantage centrées sur le Maghreb1. Enfin, la maisonnée ou household a suscité un débat anthropologique plus large sur la pertinence de cette structure dans des projets de comparaison2.
2Dans l’historiographie du domaine ottoman, les households ont émergé des archives et d’un empirisme anglo-saxon, à la fois pour contourner des cadres institutionnels préconçus ou réifiés, afin de saisir d’autres pans du politique à l’échelle impériale. Dans ces regroupements autour d’un ancêtre, d’un noyau familial3, un premier ensemble s’étoffait d’alliances matrimoniales, de liens de domesticité, de service et de dépendance. Ce cercle s’élargissait d’un réseau de clients constitué par le biais d’intisāb4, de relations d’affiliations, d’apparentements. Étendues, ces nébuleuses transcendaient nos repères bien établis entre public et privé, entre intérêts masculins et féminins. Elles adaptaient à un nouveau pays des Caucasiens, Méditerranéens et Africains issus des traites. À l’échelle des provinces, elles dupliquaient des modes d’administration5.
3À l’instar d’autres villes arabes, Tunis s’est animé de ces fondations et transformations cycliques des grandes diyār (maisons). La valeur et le prestige de ce collectif émaillaient les chroniques. À leur intronisation, les beys aimaient à se présenter en descendants d’une grande maison ou dynastie à consolider, en dialogue avec d’autres familles régnantes6. La primauté de la famille (‘ā’ila) et l’arrière-plan domestique ont été reconnus dans bon nombre d’études historiques7. Pour autant, en dehors de précieuses analyses généalogiques8 et de quelques volontés de joindre, par tous les moyens, la province à la métropole9, les grandes demeures de cette contrée furent peu explorées comme lieux de diffusion des pouvoirs et des fidélités10. Les études ethnologiques naguère menées au Maghreb ont peu fécondé les approches historiennes11.
4En prenant en compte ces différents apports, ce sont les mobilités, les déplacements des mamelouks qui seront mis en valeur pour comprendre comment les mamelouks ont trouvé place dans les maisons, comment les plus favorisés se sont imposés par certaines formes de proximité, mais surtout comment ils ont contribué aux tensions et aux équilibres domestiques. La multiplicité de leurs présences et de leurs positions de la cité beylicale du Bardo aux grandes diyār de la médina et des alentours de Tunis, la fondation de maisonnées considérables par les plus puissants d’entre eux introduisent de la circulation plutôt que de la séparation entre foyers et espaces extérieurs. À ce stade, s’extrayant des palais, il faudra aussi saisir ce qu’implique la fondation d’une maisonnée par un mamelouk. Lorsqu’un dépendant de bey élit domicile hors du Bardo, dans la médina de Tunis, en ses deux faubourgs ou à ses alentours, vers la côte nord et vers le Sahel, que traduit son inscription géographique12 ? Un éloignement du maître, l’inscription de l’affranchi dans une société qu’il rejoint comme sujet, ou un élargissement des fidélités des voisinages en faveur du patron ?
AU PALAIS, LES DÉCLINAISONS DE LA PARENTE
Entre hommes des palais
5La position des mamelouks au sein de la cité palatiale du Bardo occupée par les beys a tout d’abord contribué à forger des catégories de la domesticité et de l’occupation de l’espace.
Mamelouks du vestibule, mamelouks du sérail
6La division constante sous des acceptions changeantes entre des mamelouks très proches des beys et d’autres plus à distance, en charge de la garde des palais, participait d’une dualisation de la demeure entre le dedans et le dehors. Le partage est si bien connu qu’il en est devenu classique pour l’ensemble de l’Empire ottoman. Dans les sérails de la capitale, du service intérieur vers l’extérieur, l’enderun était protégé par le bīrūn13. À Tunis, dans les années 1820, des mamelouks du palais étaient plus clairement distingués des mamelouks du sérail par des observateurs étrangers14.
7Ces différenciations n’ont pourtant pas surgi comme allant de soi. La distinction des mamelouks par l’intimité ne s’est formalisée qu’au cours du xviiie siècle. Les premières mentions de mamelouks dans les registres ne morcellent pas encore l’ensemble selon les lieux, mais selon les âges et les maîtres : au début des années 1730, de grands mamelouks (al-mamālīk al-kibār) dépendent de Ḥusayn b. ‘Alī, d’autres de son fils aîné, Muḥammad Bey15, et cette répartition entre princes régnants et descendants se maintiendra par la suite16. Elle pourra se superposer à d’autres organisations perceptibles à partir des années 1740 dans les registres.
8De la relation aux maîtres à la disposition entre les murs, le premier ancrage à l’espace physique du sérail a touché, et c’est notable, les plus proches mamelouks du souverain, les mamālīk al-bayt, ceux de la chambre de ‘Alī Bāšā, souverain féru de lectures, admirateur de la culture ottomane, qui entendait différencier ses plus proches serviteurs des grands ou mamālīk al-kibār17. Selon M. F. Al-Mustġānimī, c’est encore sous ce souverain que les catégories de « vestibule » et de « sérail » ont émergé : le palais a commencé à être assimilé à un sérail ; un vestibule a par ailleurs été établi entre le nouveau tribunal et bayt al-bāšā18. Cette mise en espace n’était pas encore solide : âges et domaines d’affectation ont fait varier du tout au tout les taxinomies pendant plus d’une soixantaine d’années. En 1747, c’est en contrepoint aux grands (aux kibār) que furent mentionnés des « petits » (des ṣiġār)19. En 1766, sous ‘Alī Bey, c’est dans la lointaine continuité des mamālīk al-bayt que la mention de mamālīk bi-al-sqīfa, de mamelouks du vestibule était confirmée20. Mais la distinction entre les termes de ṣiġār et de kibār est encore utile sous le règne de Ḥammūda Bāšā21, et la sqīfa redevient déterminante de 1800 à 180522.
9Les administrateurs du corps mamelouk, les lettrés chargés de les inscrire dans les registres se succédaient. Leurs manières de classifier variaient. Ils ne pensaient pas toujours en termes spatiaux. Il leur arrivait encore de raisonner à partir des hommes, de leur maître, de leur jeunesse et de leur maturité. Quand la partition spatiale se fixa à partir de 1814, et pour le moins jusqu’en 1829, entre mamālīk bi-al-sqīfa et des mamelouks de la chambre devenus des mamelouks du sérail ou mamālīk al-sarāy23, les mamelouks du vestibule avaient vu leur nombre croître et ceux du sérail entamer leur montée en puissance dans la dynastie et dans ses arcanes administratives et militaires : l’ascension quantitative pour les uns, plus qualitative pour les autres se doublait d’un mouvement complexe en termes de classification, au sein de la maison beylicale. Dans leur ensemble, les mamelouks étaient davantage identifiés en fonction de lieux que selon leur dépendance à des maîtres. La traduction de catégories en termes spatiaux marquait alors un processus de dépersonnalisation du lien de dépendance. Mais, même dans cette mutation qui s’accentua au temps des réformes, d’entre les deux parties, ce sont les mamelouks du sérail qui furent maintenus dans une plus grande proximité aux beys.
10Plus éloignés, les mamelouks du vestibule n’étaient pas censés attendre une place au sein de la famille princière. Ils occupaient une position à part au sein des palais. Ils disposaient d’un hammam24, de médecins25, de coiffeurs particuliers26 ou ḥajjām, chargés de circoncire les nouvelles recrues27. L’apparente discipline, les hiérarchies internes, tout amenait les mamelouks du vestibule à maintenir de la distance. Les hommes du vestibule, les grands étaient du dedans, sans pouvoir s’approcher des foyers. Ils s’assimilaient à d’autres troupes armées du palais, aux ḥānba et spahis également chargés de surveiller les portes du palais, de porter des missives ou de missions d’escorte28. Leur ensemble était scindé en quatre groupes, d’une vingtaine à vingt-cinq hommes, aux dénominations variées, oscillant entre l’esprit de caserne et l’espace domestique : ils se présentaient en ṭā’ifa29 ou ‘assa, dans le sens de garde, parfois, d’une année sur l’autre, comme entre 1784 et 178630, et de manière plus intéressante encore, en dār31 conçu comme un pavillon militaire32.
11Leur patron, l’udā-bāšī, était assisté de trois lieutenants (kāhiya)33. C’était un chef de chambrée et de palais : il devait s’occuper de sa maison de mamelouks et de la vie du sérail. L’udā-bāšī se tenait auprès de ses recrues lors de leur circoncision et de leur conversion34. Il transmettait les plaintes de ces hommes au bey ou à ses vizirs, incarcérait des mamelouks dans une pièce dénommée selon sa fonction35, dénonçait les vols commis par des domestiques36. Il devait imposer une discipline de fer : en 1814, lors d’une révolution de palais, un renié maltais aurait reçu « mille coups de bâton » pour avoir laissé fuir les deux fils d’un bey renversé37.
12Bien contrôlés, les mamelouks du vestibule trahissaient peu de séquelles des promiscuités masculines. Ici, pas de trace visible de ces « véritables unions » « entre un fort et un faible », pas de trace de « mariages » plus ou moins durables suscitant des « jalousies fréquentes, des rixes, des violences », qu’un médecin français recensait parmi les ‘abīd des sultans du Maroc au début des années 194038. Seule la primauté de l’âge était avancée comme mode de régulation explicite du corps. Parmi les hommes introduits auprès des beys, il était d’usage, affirme le chroniqueur Ibn Abī al-Ḍiyāf, que la jeune recrue cède sa place à son devancier pour une promotion39. Au seuil des palais, les mamelouks du vestibule apparaissaient comme des hommes de l’entre-deux, ni tout à fait domestiques, ni tout à fait militaires. Premiers serviteurs envoyés dans le pays, ils empruntaient aux casernes un esprit de famille, de discipline et de distance. Ils ne participaient que très peu de l’ordre dynastique. Leurs alter ego du sérail entretenaient une autre médiation, plus délicate. Intimes sans pouvoir être trop proches, les mamelouks du sérail se plaçaient auprès des beys et de leur entourage. Ils furent promus car ils créaient de la parenté, ils consolidaient l’esprit de corps de la maisonnée beylicale, sans être reconnus comme des descendants.
La parenté par l’intimité
13Les mamelouks de sérail vivaient au plus près des beys. Ils s’endormaient à deux pas d’eux. Aux dires du consul britannique à la fin du xviiie siècle, il était d’usage au Bardo de disposer dans la chambre du bey de deux « renégats géorgiens, éduqués dans le palais au plus jeune âge et supposés être attachés à leur souverain40 ». Les mamelouks n’étaient pas non plus trop éloignés des tables dressées. Quand ‘Alī Bey rejoignait « ses appartements pour le café », ses « renégats » achevaient les restes de ses plats et ce qu’ils laissaient à leur tour « se distribuait aux esclaves41 ». Les hommes de confiance tenaient les accès au palais. Au milieu des années 1840, une fois les portes fermées, en présence du bey Aḥmad, les clés du Bardo revenaient à son favori Muṣṭafā Khaznadār. Si le souverain et son vizir s’absentaient, le trousseau était confié aux deux lieutenants-colonels Sālih et Farḥāt et, à défaut, au major Khayr al-Dīn42.
14De très jeunes mamelouks accompagnaient les princes dès leur plus jeune âge. Tout au long du xixe siècle, ils furent élevés « comme des fils » dans le relatif confort des sérails. En 1776, le vizir Muṣtafā Khūjā assurait à un interlocuteur français que « Suleyman Agha, capitaine de la cavalerie », avait été « élevé sous les yeux et par les soins de mon maître le Bey43 ». Moins d’un siècle plus tard, Aḥmad b. ‘Uṣmān, l’une des dernières recrues mameloukes, venu à Tunis après la guerre de Crimée, avait lors d’études coraniques à La Marsa deux princes pour condisciples, Muṣtafā Bey et Muḥammad al-Hādī Bey44. À la suite des souverains, le biographe par excellence des principales figures du palais, Ibn Abī al-Ḍiyāf, rapprochait éducation et filiation jusqu’à les amalgamer : Yūsuf Amīr ‘Askar al-Zwāwa, le commandant de l’armée des zouaves, avait été éduqué par Ḥammūda Bāšā comme son propre descendant après avoir quitté la Géorgie dans la plus petite enfance45 ; Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ eut le grand honneur d’être initié au Coran, avec Muḥammad Bey, le fils aîné de son premier maître Ḥusayn Bey, tant et si bien que, « par l’affection du fils de son maître à son égard, il fut surnommé par ses pairs le “fils du bey’’46 ». Les formes de proximité étendaient les possibilités de moduler et de compléter la parenté. L’éducation de palais aboutissait à une adoption sans le titre, à une extension de la descendance beylicale sans procréation. L’éducation commune de mamelouks et de jeunes princes établissait un semblant de parité, de fraternité, voire de gémellité à l’ombre des figures tutélaires et paternelles des beys.
15Ce n’était pourtant pas le seul rapport qui se nouait à l’enfance. De jeunes mamelouks étaient aussi affectés à la garde des princes, à leurs protection et surveillance : Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ ne put jouir d’un affranchissement de mamelouks en 1814, il fut maintenu au service de Ṣālih Bey, fils du souverain ‘Utmān Bey47. Sans toujours maîtriser une culture lettrée, les dauphins avaient à apprendre l’art de gouverner des vizirs aguerris et des doyens reconnus parmi les mamelouks du sérail. Le vizir Muṣṭafā Khūjā édifia et éduqua Ḥammūda Bāšā à la demande de son père ‘Alī Bey48. Témoin, dans sa prime jeunesse, de la chute de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Aḥmad Bey fut plus qu’impressionné par l’attitude de Ḥasan Khaznadār qui, en signe de bonne foi, après avoir dénoncé un prétendu complot de l’ancien vizir, tendit le cou à son maître pour être décapité49.
16Le bey Muḥammad Bāšā formula en des termes d’une grande clarté ce type de relation qu’instaurait l’intimité lorsqu’il remit en novembre 1856, à Muṣtafā Khaznadār, l’enfant adopté d’Aḥmad Bey, le nīšān al-dām, une décoration réservée jusque-là aux seuls membres de la dynastie par le sang :
« Comme il n’y a certes rien d’étonnant à placer les amis sincères au rang des parents et des enfants […] et qu’il convient de pallier l’absence des liens naturels de parenté par l’instauration de liens acquis ; lesquels suscitent d’autant plus la fierté des gens d’excellence que la parenté spirituelle équivaut à leurs yeux à la parenté biologique ; […] nous avons donc décerné et suspendu au cou de ce ministre le Nichan [soit la décoration] de notre Maison, réservé dans notre Royaume aux membres de notre famille. […] Ce Nichan, je le lui ai remis debout et de mes mains car je le considère comme une partie de mon propre corps [al-juz’ min jasadī]50. »
17Une fois leur prééminence reconnue par droit d’aînesse, les beys mettaient en avant les mamelouks qui les avaient accompagnés dans l’enfance et dans l’attente de la succession. Le confident par excellence, Muṣṭafā Khūjā, était venu sur le tard dans l’entourage de ‘Alī Bey. Il avait fait ses premières armes dans le sérail de ‘Alī Bāšā. Mais en 1775, le consul de France rapportait qu’« il a seul la faveur du Prince, il en connoit les secrets, il en dirige toutes les affaires51 ». Dans les années 1850, Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ avait plus que bénéficié de son long parcours aux côtés du prince Mḥammad. Une fois favori du bey, il fut couvert de dignités et de récompenses. Mais il ne sut nourrir la flamme. Son protecteur le rejeta vers la fin de sa vie52.
18Ceux qui parvenaient à confirmer leur faveur au-delà des successions, à dépasser l’intimité d’un seul souverain se hissaient au-dessus des factions du palais. Ils se voyaient reconnaître la qualité de père par des descendants orphelins de leur patriarche. En 1794, en plein conflit avec un usurpateur qui était parvenu à contrôler la province de Tripoli et à occuper l’île de Djerba, Ḥammūda Bāšā demandait à un Muṣṭafā Khūjā vieilli et affaibli de conduire le camp militaire de la reconquête en l’interpellant d’un Ya Abī, « Mon père53 » qui résonnait de toutes parts, au Bardo, puisque, à en croire Ibn Abī al-Ḍiyāf, l’ensemble des contemporains, bey compris, vénéraient Muṣṭafā Khūjā « comme les enfants considèrent leur père54 ».
19Il fallut attendre le règne d’Aḥmad Bey pour que la figure du doyen se redessine, sous les traits de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ : ce mamelouk avait habité ce rôle depuis les recommandations émises sur son lit de mort par Muṣṭafā Bey, le père d’Aḥmad Bey. Il « avait fait plus avec les enfants de son maître que ne l’auraient fait un père attentionné et une mère tendre ». Sa tendresse avait si bien égalé « celle d’une mère à l’égard de ses nourrissons55 » que, vers la fin de sa vie, en 1859, ce « vieillard de 79 ans » était honoré comme un père par « tous les princes tunisiens » et qu’il pouvait arguer du respect qu’il inspirait pour guider ces maîtres dans la bonne action : « Je me retirerais et emmènerais avec moi les conseillers de ton frère, qui sont mes enfants et qui doivent m’obéir », avait-il alors intimé à Muḥammad al-Ṣādiq Bey afin que l’œuvre réformatrice engagée par ses prédécesseurs soit poursuivie56.
20Toutes ces figures paternelles et tous ceux qui n’avaient pas quitté la tutelle du patron ont autant servi à lier les princes qu’à apaiser d’éventuelles frictions. L’alter ego de Muḥammad Bey, Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, informait le bey du camp, Muḥammad al-Ṣādiq, de la prospérité et des épreuves de la famille beylicale, des nominations administratives57. Le prince l’avertissait, pour sa part, qu’une de ses sœurs désirait se rendre au domicile d’une autre princesse par carrosse58. Les mamelouks palliaient surtout les insuffisances militaires et administratives des princes. En 1830, après accord avec le gouverneur français d’Alger, le bey Ḥusayn dépêcha Khayr al-Dīn Āġā pour occuper la ville d’Oran. Malgré ses réserves, le mamelouk remplaça au pied levé Aḥmad Bey qui, tout aussi sceptique sur les chances de la mission, refusait par-dessus tout d’être éloigné du sérail par son oncle59.
« Nul n’est plus proche du père que le fils »
21Les beys pouvaient jouer les dépendants contre les descendants, il n’en reste pas moins que frères, enfants et cousins des souverains avaient le plus souvent le dernier mot dans les rivalités avec les mamelouks. En 1811, Ismā‘īl Bey s’était effacé derrière Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ chargé de réprimer la révolte des janissaires à Tunis non sans avoir fait part à son cousin de ses doutes et soupçons sur la probité du serviteur60. À l’avènement de son frère Maḥmūd, le même bey Ismā‘īl avait souffert d’être écarté de la tête du camp sur le conseil de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘61. Il trempa dans la large conspiration contre le vizir62. Huit ans plus tard, les deux fils du bey Maḥmūd, Ḥusayn et Muṣṭafā Bey, portèrent le coup de grâce au successeur de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi, al-‘Arbī Zarrūq. Leur coup d’éclat fit dire à Ibn Abī al-Ḍiyāf que « l’amour de l’enfant est naturel en tous lieux63 ».
22La proximité des mamelouks du sérail avec les beys ne pouvait être complète : les adoptions formelles de mamelouks par des princes étaient très rares, voire juridiquement impossible64. Un cas marquant a lié Muṣṭafā Khaznadār et Aḥmad Bey : le chroniqueur et ancien cadi du Bardo, puis de Tunis65, Muḥammad b. Salāma, atteste de manière très elliptique, dans son Iqd al-Munaḍḍad, que le bey réformateur a élevé et adopté le mamelouk appelé à devenir un vizir surpuissant66. Auparavant, si d’autres hommes s’étaient affiliés, ce fut surtout de manière circonstancielle. Dans les années 1820, le bāš mamlūk Ḥusayn prit sous son aile protectrice le fils de son maître et beau-père Ḥusayn Bey « pour le soustraire au “mauvais œil’’« : d’après le consul sarde Palma, c’est pour suivre l’« usage mauresque » que Ḥusayn « suspendit au cou de l’enfant une dotation qui rapportait » 60 000 piastres de revenus67. Pour le reste, l’adoption était peu fréquente et mal vue. L’enfant recueilli dans une nouvelle famille devait, en théorie, renoncer à son lignage d’origine. Les mamelouks de sérail ne se substituaient donc pas sans réserve aux fils.
23Les rapports et hiérarchies de sérail ne devaient pas être transgressés. À en croire Ibn Abī al-Ḍiyāf, les mamelouks auraient eu une nette conscience de ces limites : le chroniqueur leur prête des discours d’une grande lucidité sur la position prudente qu’ils avaient à tenir entre les fils et les pères au pouvoir, sur une modestie dont il ne fallait jamais se départir face aux bienfaiteurs. Ces valeurs à maintenir en son for intérieur et à démontrer à toute épreuve sont exposées dans un dialogue édifiant entre une figure réputée pour sa sagesse, Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, et un héraut de la démesure, puis de la discorde au sein de la maison husaynide, Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Au vizir qui s’emporte en public contre la dilapidation du trésor beylical, Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ répond en homme de raison :
« Ces seigneurs ont des droits sur nous. Ils peuvent faire de nous ce qu’ils veulent car ils nous ont achetés tout enfants ; nous avons été élevés dans leurs faveurs ; ils nous ont fait contracter des alliances familiales avec eux et nous ont conféré de hautes charges à leur service, si bien que nous sommes devenus une partie d’eux-mêmes. Aucun d’entre nous ne leur fait une faveur en les servant. Sans leur protection nous n’aurions pu conquérir la considération dont nous jouissons, ni avancer d’un pas dans les honneurs, alors qu’il y a parmi les notables du pays […], des gens qui pourraient prendre notre place et mieux encore […]68. »
24Les mamelouks ne doivent pas se méprendre sur leur position et leurs possibles apparentements à la famille beylicale. Au plus près des foyers, au creux de l’intime et des tensions, « nul n’est plus proche du père que le fils69 ». La parenté par le sang s’impose bien souvent à la parenté acquise par la proximité. En 1780, dépité de l’inexorable montée en puissance du prince Ḥammūda Bāšā qui lui a ravi le commandement du camp et affecté « par le peu de cas que le Bey faisait de ses services70 », le mamelouk Ismā‘īl Kāhiya tire sa révérence, il délaisse une première fois Tunis pour Livourne71 puis une fois pour toutes pour le Levant. Dans sa fuite, il laisse derrière lui son frère ‘Alī Būzġaya qui fut promu, d’entre les mamelouks, pour sa fidélité au-delà de la fraternité72.
25Ibn Abī al-Ḍiyāf jetait un regard lucide sur la position des mamelouks. À la fin des années 1820, il émet ce commentaire à propos de la disgrâce de Ḥusayn Khūjā : « Il était après tout un serviteur qui recevait des ordres et devait se borner à l’exécution des affaires73. » Bien auparavant, Ibn Khaldūn mettait en rapport la relation de clientèle avec les liens du sang74 : « le souverain [qui] veut le pouvoir pour lui seul » tendait à s’entourer « d’autres partisans d’origine différente » à qui il « donne la préférence » sur les membres de sa famille sans que les nouveaux venus puissent prétendre à une quelconque domination de leur milieu d’adoption75. Si lignage et patronage pouvaient de temps à autre se rejoindre, ils ne cessaient d’être distingués par leur nature. C’est selon ces extensions maîtrisées d’une conception large de la parenté, qu’il fallait repérer les positions des mamelouks, au sein des sérails, face aux souverains mais également face à d’autres hommes de la maison.
26Ces variations entre ce qui rapproche les mamelouks du noyau de la maison beylicale et ce qui, tôt ou tard, doit les en éloigner ne sont pas négligeables. L’observation de dépendants dans des « rapports de parenté manipulés » ne saurait être rejetée par convenance idéologique, sous prétexte qu’assimiler l’« esclavage » à la parenté reviendrait à « reconnaître le bien-fondé de l’idée paternaliste » qui cautionne ce rapport de domination76. Car, à s’aveugler par bonne conscience, le risque est grand de se couper des diverses manières de dire la parenté. À l’inverse, à confondre ces degrés, à ne pas distinguer des gradations dans le discours de la parenté, c’est toute une gamme de relations, de transitions avec le dehors qui serait esquivée.
27Les descendants de Ḥusayn b. ‘Alī conçoivent leur ‘ā’ila (famille) comme distincte mais ce sont les intrusions, les inscriptions et les interventions des mamelouks au plus proche de leur maître qui aident à construire des liens de solidarité et de concurrence : la parenté s’échafaude aussi par des hommes du dehors amenés à devenir des hommes du dedans. Dans cette pratique, à rebours de la mécanique khaldūnienne, les clients ne mettent pas en pièces la ‘aṣabiyya, ils l’éprouvent, ils la consolident. Le choix du registre de la parenté n’est pas surimposé par l’observateur, c’est un langage inclusif qui regroupe les résidents d’une maison sous le même toit.
28Mais les mamelouks ne tendent pas et ne soudent pas seulement les liens entre hommes. Par volonté des maîtres, ils nouent des relations avec les femmes dont les enjeux ne se comprennent que par examen des cursus mamelouks, en fonction de la considération portée aux princesses et face aux stratégies déployées dans d’autres maisons.
En galante compagnie
29Leslie Peirce l’avait déjà mis en évidence dans son auscultation du harem impérial ottoman aux xvie et xviie siècles : le genre ne constitue qu’une des clés d’accès aux grands foyers. Les clivages entre aînés et cadets, entre figures dotées d’une puissance de parrainage et clients ou protégés fournissent, parfois, des entrées autrement plus pénétrantes77. Dans cette perspective, les alliances de dignitaires mamelouks avec des princesses font davantage intervenir les degrés d’inscription dans le lignage princier que des constructions fondées sur des différences physiques indépassables. Ces unions entérinent la promotion des mamelouks, prolongent la présence des princesses par la mise en avant de serviteurs dépendants. Elles permettent la fondation de nouveaux foyers, maintenus le plus souvent sous la tutelle des beys au sein de la maison husaynide.
Épouser les filles et créatures des maîtres
30Entre hommes et femmes du palais, tout n’est pas en effet qu’affaire de claustration, de domination et d’émasculation. Les mariages de sérail, aussi autarciques qu’ils puissent paraître, sont aussi affaires de choix, d’ambitions et de courtoisie. Les théories d’inspiration psychanalytique, campant les chefs de maison en despotes assoiffés de virilité, ne résistent pas à une confrontation aux discours et pratiques tout en nuances des alliances78. Cette grille de lecture est fondée sur des anachronismes, sur l’invariant d’une masculinité qui reste à démontrer. Ces interprétations laissent surtout peu de place à d’autres désirs que ceux des maîtres.
31Dans ces interactions parfois déséquilibrées, l’alliance avec une princesse témoigne souvent d’une reconnaissance porteuse de consécration pour le mamelouk79. Preuve de l’honneur réservé aux serviteurs, les noces de mamelouks sont souvent collectives et festives. Fin 1814, au second jour de sa bay‘at al-‘āmma, Maḥmūd Bey lie sa nièce au vizir Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, sa fille au vizir Sulaymān Kāhiya, une de ses sœurs à Khayr al-Dīn Āġā, et la fille d’Ismā‘īl Kāhiya I à Yūsuf Kāhiya80. En 1821, des banquets honoraient les épousailles de trois filles de Ḥusayn Bey avec Ḥusayn Khūjā, Ismā‘īl Kāhiya II et ‘Allāla Qāyjī, beau-fils du même souverain81.
32Autre indice d’un grand prestige, ces alliances sont conclues par souci d’équivalence, parfois au même moment que celles des princes. En 1826, quatre contrats sont scellés : un premier lie une fille du bey et Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, tandis que les autres attachent respectivement les beys Muḥammad, Muḥammad al-Ṣādiq et Ḥammūda à la fille du šaykh al-islām Muḥammad Bayram, à celle d’Aḥmad al-Munastīrī et à une captive adoptée par Maḥmūd Bey82. En octobre 1854, trois autres unions sont célébrées avec beaucoup moins d’éclat, selon une relation consulaire :
« Les trois sœurs de Sidi Mohammed Bey, cousin et héritier présomptif du prince régnant, ont épousé, à quelques jours d’intervalle, l’une Sidi Ahmed Zarouk, général de division, gouverneur de la province du Djérid, homme remarquable par son intelligence et sa capacité administrative, les deux autres, des mamelouks du Bey du camp, (Sidi Mohamed), appelés à occuper un jour, auprès de leur beau-frère, des grandes positions dans l’État. Les fiançailles qui ont précédé ces trois unions avaient eu lieu depuis deux ans et demi. Suivant l’usage, les fiançailles en question avaient été ordonnées par le Bey lui-même qui s’était chargé de doter ses cousines. Celles-ci se seraient mariées beaucoup plus tôt sans la maladie de son Altesse […]. C’est aussi pour cette raison que les noces ont été célébrées avec un certain mystère83. »
33Les moins valeureux des mamelouks ne pouvaient bien sûr pas aspirer à de telles alliances : Dilāwār al-Mamlūk manqua d’être apparenté par Ḥusayn Bey ; peu « soucieux du service, […] ne songeant pas aux conséquences » de ses actes, il fut par la suite banni à Djerba84.
34L’alliance, son vocable, le choix de résidence des époux redoublaient les liens entre le mamelouk et son maître85, les consolidaient et parfois les rééquilibraient. Chacune des manières d’introduire l’alliance, chacun des mots pour la formuler puis la conclure partaient du bey pour en venir au mamelouk et à sa promise. Ce n’est pas le mamelouk qui épousait. À chaque fois, c’est le bey qui associait son favori : zawwaja-hu, ṣāhara-hu86. Le second verbe, fondé sur l’idée de fusion, souligne l’apparentement, l’entrée en famille : le ṣihr, c’est à la fois l’allié, le beau-fils, le beau-frère et le gendre. Il n’attire pas son épouse vers le foyer de beaux-parents, bien trop éloigné de Tunis. Il se maintient dans la demeure de son patron et trouve place au sein de la cité-palais, dans un logis parfois édifié pour l’épanouissement du nouveau couple.
35Envisagées comme contrepartie au gain de la faveur, ces noces ne sont pas toujours célébrées à une étape fixe et régulière de cursus, mais au début comme au sommet de l’ascension aux charges civiles et militaires : Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ dut, à cet égard, faire preuve de grande patience. Il n’obtint reconnaissance que sous Muṣṭafā Bāšā, au milieu des années 1830. Âgé de près de quarante-cinq ans, Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ avait déjà servi trois autres souverains depuis Ḥammūda Bāšā87. D’autres, au contraire, furent accueillis au plus tôt dans la famille beylicale : Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ fut uni à la fille de Ḥusayn Bey, « Mamia », dès 1844, onze ans avant que son maître et partenaire, Muḥammad, ne devienne bey88.
36Une fois conclus, les mariages facilitaient autant qu’ils pouvaient contenir la montée en puissance des favoris. Après son alliance avec la fille de Ḥusayn Bey, Ismā‘īl Kāhiya « gravit (tadarraja) tous les échelons » : du rang d’āġā de l’ūjaq de Béja, il se hissa à celui de lieutenant du bey du camp89. En 1875, devenu Premier ministre, Khayr al-Dīn attirait l’attention du bey Muḥammad al-Ṣādiq sur le sort de Sī Najā et Sī Aḥmad al-Mamlūk qui devaient recevoir des arrêtés de nomination avant rédaction de leurs actes de mariage90. Dans un second mouvement opposé, lier une parente à un mamelouk puissant aidait à mieux contrôler l’époux et le serviteur91, à l’associer plus encore dans les intérêts de la famille régnante. Fin 1814, Maḥmūd Bey dut se résoudre à soulager Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ d’un long célibat. Il l’unit à la fille de son oncle et veuve du vizir Muṣṭafā Khūjā car, selon l’expression d’Ibn Abī al-Ḍiyāf, l’ancien vizir tenait entre ses doigts le gouvernement : la « dawla obéissait à sa main92 ».
37Vingt ans plus tard, Ḥusayn Bey, qui régnait à l’ombre de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, entreprit « de s’attacher son favori, qu’il considér[ait] comme l’homme indispensable93 ». Le bey Ḥusayn n’hésita pas à exposer à des regards étrangers le saint des saints : « Le bey avait engagé par extraordinaire les consuls étrangers et les négociants de leur nation respectivement à un tratamento confidenziale dans les appartements du harem » ; il leur proposa « d’aller visiter la chambre nuptiale du Sahab-Tapa où il nous a conduits lui-même94 ». L’enjeu de l’alliance semblait à ce point déterminant aux yeux de Ḥusayn Bey que deux pôles se rejoignaient, l’entrée maîtrisée en dynastie et la confirmation de l’ascension dans la carrière du mamelouk, l’intime de l’intime et l’étranger par excellence dans l’espace du sérail : il s’agissait d’inscrire le favori dans le noyau dynastique.
38Sortis de ces plus prestigieuses alliances avec les princesses, les beys disposaient d’autres femmes pour continuer d’associer leurs créatures à la postérité de la maison beylicale. À l’instar du khédive Ismā‘īl qui, au Caire, s’assurait de la loyauté de ses hauts serviteurs en les unissant à des concubines royales et en les pourvoyant en richesses foncières95, les beys de Tunis distribuaient entre hommes de valeur les « filles de leur éducation », les captives qui avaient rejoint le sérail dans l’enfance : sous Aḥmad Bey, le général « Osman » reçut, par décret, à l’occasion d’une promotion, un tiers de la thonaire de Monastir et, de bonne grâce, une Circassienne du palais, Badr al-Nūr96. Jawārī et mamelouks accouplés établissaient, à leur tour, un foyer qui étendait et renforçait l’esprit de corps beylical.
39Des mamelouks étaient aussi appelés à épouser les filles de leurs congénères. À la demande de Maḥmūd Bey, Yūsuf Kāhiya Dār al-Bāšā prit pour femme la fille d’Ismā‘īl Kāhiya I et d’une princesse97. En secondes noces, après le décès de la sœur de Muḥammad Bey, Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ épousa la fille de Rašīd Kāhiya98. La large gamme des alliances domestiques doit donc moins être pensée par opposition de genres qu’en fonction d’une nécessité de faire se rejoindre des dynamiques diverses telles que la promotion des favoris, le contrôle des ascensions mameloukes et des descendances princières.
Princes et odalisques, princesses et mamelouks
40Pour explorer plus avant ces logiques de contrôle dans les stratégies patrimoniales, les alliances avec les mamelouks doivent aussi être mises en regard avec les unions entre les princes et les odalisques. Placées sur une balance, les alliances entre mamelouks et princesses, d’une part, princes et jawārī, de l’autre, pouvaient sembler équivalentes. À première vue, les deux formes d’union se nourrissaient d’une même chair captive. Greffés au lignage princier, mamelouks et jawārī dégageaient la maison beylicale d’alliances matrimoniales avec le monde des tribus et des cités99. Venus de loin, hommes et femmes de service ne devaient pas rabaisser leurs époux et épousées. Ils étaient censés, à l’inverse, en rehausser le prestige. La maîtrise de leurs corps facilitait les contrôles des naissances et du lignage100. Les captives du Bardo étaient approchées en dehors des liens du mariage. Elles participaient, selon Leïla Blili, à une course au premier enfant, dans le cadre d’une succession dynastique par ordre de primogéniture101. Des mamelouks pouvaient être éloignés de leurs épouses par volonté du maître.
41Mais le plus souvent, à leur terme, avec la naissance des premiers enfants, les unions avec des mamelouks ou avec des odalisques pesaient d’un poids bien différent. Alors que la plupart des enfants de princesses étaient issus de mamelouks, seuls la moitié des beys régnants des xviiie et xixe siècles descendaient d’odalisques. Les fils de Ḥusayn b. ‘Alī furent enfantés par une Génoise. Maḥbūba, la mère de Ḥammūda Bāšā, passée par Alger, fut acheminée de Géorgie102. Les génitrices de son frère ‘Utmān et de son cousin Maḥmūd Bey furent elles aussi des jawārī103 tandis que celle d’Aḥmad Bey avait survécu au raid sur l’île de Saint-Pierre à la fin du xviiie siècle104. L’autre moitié de souverains se rattachaient à des autochtones : ‘Alī Bāšā à une femme de tribu, Ḥusayn et Muṣṭafā Bey à Amna Beya, elle-même fille de ‘Alī Bey105, Muḥammad et Muḥammad al-Ṣādiq à la petite-fille de ‘Utmān Dey, Fāṭima al-Mistīrī106. Les choix des conjoints et les modes de transmission de biens ne constituaient pas un jeu à sommes égales ou excédentaires pour le sérail : ce que la maison beylicale préservait en maintenant les princesses en son giron, elle ne le gagnait pas toujours à restreindre l’arrivée de riches parties aux côtés des princes107.
42Autre distinction fondamentale : les beyas ne voulaient pas être traitées comme les concubines ou comme les femmes du commun. N’étaient-elles pas des filles de famille ? La rareté et le précieux de leurs présences dans les registres et correspondances, la pudeur qui entourait la moindre révélation de leurs identités, l’accumulation des formules honorifiques qui précédaient presque toujours les respectueuses mentions de leurs prénoms couchaient sur le papier cette culture de l’égard, cette dignité de la discrétion qui sied tant aux descendantes des bonnes maisons. Une femme digne de ce nom ne se prenait pas à la légère. Le mariage apportait de nouveaux droits aux princesses comme aux quelques ralliées autochtones au Bardo : celui d’espérer une satisfaction de leurs désirs physiques et de refuser certaines formes de contrôle des naissances108.
43Ce relatif respect, les princesses le payaient ou le gagnaient donc sur la postérité, par une moindre considération pour leurs descendances. Contrairement aux jawārī, les princesses qui n’épousaient pas de princes donnaient vie à des enfants qui ne pouvaient prétendre à la succession au « trône ». Ceux qui gagnaient le titre de bey du camp, puis de bey de la province étaient issus, selon un modèle patrilinéaire, des fils de la famille. Muḥammad, le fils du vizir Šākīr et de la princesse ‘Aīša, se maintint dans le sérail sans gagner un rôle notable. Les enfants de Muṣṭafā Khaznadār avec Lalla Kaltūm se virent reprocher des ambitions dynastiques aussi vaines que dérisoires. Au milieu du xxe siècle, un mémoire sur la cour des beys de Tunis durcissait et formalisait ces distinctions : son auteur anonyme précisait que seuls « les enfants issus d’un prince ont la qualité de prince ou de princesse, leur mère fût-elle de sang non royal », et il ajoutait que les « enfants nés d’une princesse mariée en dehors de la famille beylicale ne sont pas princes du sang109 ». Les rejetons des mamelouks et princesses étaient, selon Leïla Blili, « captés » par le sérail pour étoffer et combler les rangs de ces prétendants aux alliances110.
44Considération accrue pour les mariés contre maîtrise de la descendance : là encore, comme pour les mamelouks, deux dynamiques étaient à l’œuvre. La protection et la promotion des princes dans les hiérarchies du palais étaient couplées à leur contrôle. Malgré toutes ces promotions et ces protections, les princesses bénéficiaient d’une marge d’action. Ces femmes n’étaient pas dominées. Leurs alliances devaient être comprises selon des hiérarchies propres à la famille beylicale.
La maîtresse derrière l’épouse
45Enthousiastes ou sur la réserve, au lendemain de leurs noces, les princesses prenaient bien sûr place sous l’apparente tutelle de leurs époux. Au fil des registres, à l’occasion des distributions de provisions, de revenus ou de vêtements, les maisons des princesses étaient en effet identifiées, le plus souvent sous deux modes : par leurs liens aux souverains régnants en tant que tantes, sœurs, filles et cousines du bey ou par le nom et la fonction de leurs conjoints. De fait, à l’examen de ces généreuses listes, il serait tentant de corréler, aux premiers abords, la nature des biens distribués au sexe du bénéficiaire : viande pour la maison du frère du bey et pour celle du ṣāḥib al-ṭābi‘ ou garde des Sceaux fin 1703111 ; salaires sonnants et trébuchants pour les agents des administrations et armées112 ; bois pour la maison d’une parente de ‘Alī Bāšā, fin 1753113, provisions et fournitures domestiques mensuelles qualifiés de šaḥriyyāt pour les beys et leurs parentes114 ; femmes et enfants ravis pour les uns, captifs et captives de tous âges pour les autres115.
46Mais, à aller si vite en besogne, l’on risquerait de concevoir des dons dans une logique là encore sexuée à l’excès. Certains objets de circulation, les douceurs, par exemple, allaient aux uns et aux autres : lors du mois de ramadan de l’année 1793, par respect de la coutume, d’une autoproclamée ‘ada de la maison husaynide, les plateaux emplis des mielleuses zlābiyya circulaient vers les maisons du bey, aux bouches de ses odalisques, aux tables de son cousin Sīdī Maḥmūd, auprès de ses trois sœurs, aux foyers de serviteurs tels que le dignitaire mamelouk Sulaymān lieutenant du camp116. Inscrits dans une logique familiale, ces dons du prince n’indiquaient pas tant une domination structurelle et inflexible des hommes sur les femmes que la nécessité d’une hiérarchie par laquelle les beys, leurs épouses et concubines occupaient les maisons les mieux pourvues tandis que les princes, les princesses, et derrière eux épouses et mamelouks, selon leur degré de parenté au bey, se rangeaient avec respect aux deuxième et troisième rangs.
47Replacés sur un temps long, les quelques remaniements de ces listes, en faveur des époux, au temps des réformes ne suffisaient surtout pas à conclure à un renforcement catégorique de préséance au détriment des femmes. Certes, par une inflation financière, ce sont les maris qui recevaient de conséquents traitements et qui endossaient des revenus pour leurs maisons. Mais à une autre échelle, par les šahriyyāt, les parentes du bey n’étaient pas en reste : en 1860, après le sérail, après la maison du souverain et celle du bey du camp, chacune des princesses bénéficiait d’une šahriyya variable selon son rang. Premières servies, les « première » et « deuxième » sœurs du bey, l’une de la « maison de notre fils Ismā‘īl Kāhiya » et l’autre de la « maison de notre fils Hasan Bāš-Mamlūk », recevaient chacune pour l’essentiel plus d’une tonne et demie de blé, plus de 76 litres d’huile, 100 kilos de sel, de 30 à 54 kilos de savon, plus d’une dizaine de kilos de miel, 750 kilos de bois et 4 jarres de beurre fondu117. À leur suite, trois autres sœurs, quatre cousines et deux nièces régentaient des maisons tout aussi notables, mais plus modestes. Elles obtenaient deux fois moins de blé, de beurre fondu, de miel ou de bois et quatre fois moins d’huile. Les maisons des défunts oncles, frères ou descendants, celles des serviteurs mamelouks passaient après. L’un d’entre eux, Khayr al-Dīn Kāhiya, engrangeait chaque mois 400 kilos de blé, 39 litres d’huile, entre 10 et 16 kilos de savon118. Dans cette hiérarchie, sous l’angle des quantités de provisions, des femmes s’imposaient donc aux princes disparus et aux serviteurs, en fonction de leur degré de parenté au souverain119.
48Si bien qu’il faut manier avec grande prudence l’hypothèse d’une marginalisation des femmes en terres d’Islam au cours du xixe siècle, induite par la présence croissante des Européens, des stratégies endogamiques de protection des fortunes120, par un renforcement des patriarcats dans une société rationalisée et étatisée, ou du fait d’une plus grande technicité des modes d’intervention financiers et juridiques qui restreignaient les capacités d’action des femmes en dehors des maisons121. Au cours de leurs vies conjugales, au temps des réformes comme à la fin du xviiie siècle, certaines princesses dépassaient le cadre tutélaire qui les contraignait. Elles n’hésitaient pas à démontrer leur influence et leur prépondérance à leurs époux.
49Les princesses n’étaient pas soumises à toutes les volontés de leurs chefs de famille ni de leurs mamelouks d’époux. Certaines se faisaient entendre avant même de fonder leurs foyers, dès la conclusion des alliances. En 1781, malgré les désirs pressants de son père ‘Alī Bey, Lalla Khadūja répugna à prendre pour époux le vizir Muṣṭafā Khūjā122, déjà âgé et veuf de sa sœur Jannāt123. Trois ans plus tard, le dignitaire dut encore renoncer à des épousailles avec la sœur puînée de Ḥammūda Bāšā qui, de son côté, s’apparia à la fille du cheikh Muḥammad al-Barūdī124. Muṣṭafā Khūjā devra attendre deux autres années avant que la promise tant attendue ne s’allie à lui sur volonté de son nouveau maître Ḥammūda Bāšā et par la longue entremise de sa future belle-mère, sa compatriote géorgienne Maḥbūba125. Les espoirs n’auront pas été vains. De cette union forcée, un grand attachement semble avoir éclos : à en croire Ibn Abī al-Ḍiyāf, le mamelouk aurait demandé à la fille de son maître ‘Alī Bey, « auprès de qui il mourut, de ne pas se marier après lui afin qu’elle soit son épouse dans la maison éternelle126 ».
50Des femmes de la maison beylicale pouvaient donc prendre de la distance tandis que d’autres appelaient de leurs vœux ces fameuses fiançailles. Le bey du camp Muḥammad al-Ṣādiq témoignait en 1859 de la grande joie d’une de ses parentes dans une lettre au favori Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ : « Nous vous faisons savoir ce qui est arrivé à notre chère sœur […] de bonheur quand nous lui avons appris l’attention » de notre maître de l’unir « avec notre cher fils l’alāy amīnī et la dot […] qu’il a accordée127 ».
51La grande faculté des beys à séparer les couples, à en reformer de nouveaux après les décès et les disgrâces démontrait également la précarité des positions mameloukes dans les alliances avec les Husaynides et la valeur des femmes dans les stratégies familiales. Une fois Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ exécuté, le 12 septembre 1837, le bey Muṣṭafā demandait à Muḥammad al-Ṣādiq de transférer sa sœur ‘Aīšā et son neveu Muḥammad de la demeure de son époux Šākīr pour les réinstaller dans la « résidence de son père » au Bardo128. La rupture des alliances frappa du coup un autre proche du vizir disgracié et exécuté. Son mamelouk et garde des Sceaux Ismā‘īl dut répudier une nièce du souverain sans avoir consommé le mariage et avant même que le bey ne l’autorisât à quitter Tunis129. Bien plus tard, seize ans après la disparition de son premier époux, la veuve de Šākīr fut remariée au lieutenant-colonel Qāra Uṣmān130.
52Au Bardo, ces distinctions entre princes et princesses, les différences entre mamelouks du sérail et du vestibule, entre serviteurs apparentés et domestiques maintenus à distance ne se comprenaient en fait qu’en prenant en compte les maîtres de maison. Dans l’élaboration de cohérences et de catégories propres au palais, c’est en fonction des patrons et des âges des serviteurs que la distinction fluctuante entre créatures du sérail et du vestibule s’est forgée avant de trouver une inscription spatiale de l’intime vers le distant. Dans une extension de la dynastie au sein du Bardo, c’est la présence beylicale que les mamelouks ont prolongée auprès des princes et princesses. Présentés comme ses fils, les plus favorisés d’entre eux ont accompagné les héritiers de l’enfance à la tombe, épousé les descendantes, veillé sur l’ensemble de la famille en qualité de sage et de doyen, sans pour autant s’abriter derrière une neutralité bienveillante.
53Les éventuels dangers et nuisances de leurs médiations entre les branches et les sexes de la famille pouvaient être neutralisés par les menaces de disgrâce, par le nécessaire respect de la dignité des princesses et par la capacité des princes à imposer leurs vues auprès de leurs géniteurs. La progéniture des mamelouks et des princes n’accédait pas à la succession, elle nourrissait une réserve princière pour des alliances futures au sein de la famille régnante. Dans ces rôles d’intermédiaires contrôlés, les mamelouks participaient d’un équilibre dynastique en valorisant par la dépendance le degré de parenté avec le souverain régnant. Ils créaient de la parenté tout en pouvant être maîtrisés.
54Par toutes ces pratiques, la maison beylicale trouvait un équilibre si particulier qu’il en devenait étrange aux regards extérieurs, étranger au pays régenté. Et pourtant, ces mœurs du sérail n’étaient pas insolites. Quelques grandes maisons makhzéniennes les partageaient en échangeant entre elles des créatures dépendantes. Les maîtres du Bardo élevaient ces serviteurs qui, à leur tour, édifiaient des demeures dans leur proche entourage, à Tunis et dans son pays. Dans le sérail et entre les maisonnées, les mamelouks ne séparaient pas les mondes. Ils pouvaient faciliter les associations et contribuaient à différentes formes de participation au pouvoir.
LE SERAIL ET LA CITÉ
55Le sérail comme monde à part, à côté ou au-dessus de la société : cette vision n’aurait-elle jailli que dans l’esprit des orientalistes, puis divagué vers des auteurs postcoloniaux méfiants à l’égard d’un État lointain, destructeur par le passé d’anciennes solidarités et notabilités ? Cette construction n’aurait-elle pas trouvé sa source première dans des dynamiques dynastiques, dans une quête de signes démonstratifs d’une puissance financière et policière acquise sur les sujets ? Les sérails ne semblaient pas se plier aux canons familiaux, ils s’en affranchissaient. Les pères mariaient les filles à des dépendants parfois convertis, autant dire à des hommes de peu de valeur. Sans suivre les usages en vigueur, les épouses ne quittaient pas leurs foyers d’origine vers les demeures des belles-familles, elles fondaient et maintenaient leur couple sur leur lieu de naissance ; les maris ne s’imposaient pas, ils se soumettaient à la volonté des gendres et beaux-frères131. Entre veuvages, remariages, circulation des femmes, des répudiées et des odalisques, la perte de virginité constituait un défaut moins rédhibitoire qu’ailleurs132.
56Le chemin paraissait donc bien escarpé entre la ville et le palais, entre culture baldi de la médina et culture administrative du makhzen implantée dans la capitale. Deux pôles se distinguaient et s’entrecroisaient selon la typologie dressée par Mohamed El Aziz Ben Achour pour Tunis au xixe siècle : d’un côté, des autorités militaires et religieuses présentes dans la cité, des dignitaires de l’État qui, par leur « relation organique » au pouvoir, privilégient le « présent et l’individu », l’« ouverture » et l’« ostentation » ; de l’autre, des marchands, des descendants de familles chérifiennes « parfois effacés par telle vieille famille maraboutique sans grande fortune », des artisans, des déclassés du makhzen, rivés sur le « passé et la famille », soumis « à la mémoire, aux permanences, aux usages », enclins à l’« austérité » et au « conservatisme », tenus par le culte du métier manuel mais aux assises plus solides, aux sorts moins incertains que ceux des hommes du prince133.
57Et dans cette accentuation des contrastes, le harem ne cristallisait plus les seuls fantasmes occidentaux. Il inquiétait le modeste notable, le pieux citadin apeuré par une « famille beylicale [qui] entretenait une atmosphère orientale […] pas du tout conforme aux mœurs baldī134 ». Pourtant, dans une perspective inverse, à s’en tenir à l’admiration des princes pour les bonnes familles, à suivre les itinéraires des mamelouks entre les foyers de la régence ou à explorer les domesticités et les stratégies matrimoniales partagées par certaines grandes maisons makhzéniennes, les éléments de rapprochement ne manqueraient pas entre Le Bardo et la médina. Le sérail n’était pas si éloigné que cela de la cité.
Les liens entre Le Bardo et Tunis
Le charme de l’urbanité
58La dynastie des Husaynides ne pouvait se permettre de mépriser les demeures les plus respectées. En homme du makhzen et en lointain descendant de tribu éduqué à Tunis, Ibn Abī al-Ḍiyāf louait les beys, beyas et leurs serviteurs qui ne se trompaient pas sur le rang des vieilles et honorables familles du pays. Il dépeignait un Ḥammūdā Bāšā connaissant la valeur des patrimoines et l’irréductible différence entre dynastie tutélaire et lignées fortunées. À sa mère géorgienne qui lui demandait de rétribuer des cuisinières juives aussi richement que l’avait fait la ‘ā’ila commerçante des Tūmī après des célébrations de circoncisions, le bey répondait :
« Tūmī dispose de son argent comme il le désire car c’est le fruit de son travail et le legs de ses pères, alors que l’argent qui passe entre nos mains n’est pas à nous. Il est au royaume et à ses habitants ; nous en sommes les régisseurs. Nous n’avons que les droits qui se rattachent à cette fonction135. »
59Avant l’ère des réformes, les volontés de modestie et d’ostentation n’étaient pas propres à tel ou tel milieu. Ces sentiments et désirs circulaient de la ville vers le palais et vice versa. La conduite des affaires imposait une apparence de frugalité. Les dames du Bardo n’ignoraient pas les festivités en d’autres foyers. Elles ne se méprenaient pas sur leur place au sérail, mais se voulaient aussi partie prenante de la bonne société citadine. Alors que la mère de Ḥammūda Bāšā n’entendait pas le céder en générosité, au cours des années 1820, l’épouse de Ḥusayn Bey et descendante de ‘Utmān Dey, Fāṭima Mistīrī, espérait toujours être considérée au nombre des bienfaitrices reconnues à Tunis :
« Elle connaissait le rang des gens ; quand un notable de la capitale donnait une réception et omettait de lui faire emprunter les pièces d’orfèvrerie ou la vaisselle de ce genre qu’on utilise habituellement dans les réceptions, elle lui envoyait une de ses servantes, lorsque la réception était terminée, pour le féliciter et lui dire : “C’est l’usage dans notre ville que celui qui donne une réception demande à ses proches de l’aider à réunir [les ustensiles et] les objets nécessaires. Comme dit le proverbe : [même] celui qui porte la couronne a besoin [des autres]. J’ai été chagrinée de n’avoir pu te donner aucune aide pour ta réception.”136 »
60Par cette connaissance du beau monde et de la civilité, dans le droit-fil d’une enfance tunisoise et de deux autres mariages137, la beya Fāṭima impressionnait jusqu’aux observateurs occidentaux. Dans son rapport sur Tunis, achevé au milieu des années 1840, James Richardson encensait, « malgré ses excentricités, […] une femme de grande vertu, juste et charitable, […] une épouse affectueuse, la conseillère fidèle de son époux, qui à ses grandes et gracieuses qualités ajoutait une connaissance du monde, par-delà les enceintes du Harem138 ».
61Le neveu de Fāṭima et fils de Muṣṭafā Bey, Aḥmad Bey, cultiva encore cette urbanité en plein déploiement d’un État administrateur et militaire, porteur en puissance de processus d’individuation et de relations dépersonnalisées. D’après le secrétaire Ibn Abī al-Ḍiyāf, le souverain réformateur, au pouvoir de 1837 à 1885, savait les « rangs des maisons (qu’elles fussent dans la capitale ou sous les tentes)139 ». Enfin, au-delà des plus proches parents, les membres de la maison beylicale ont su transmettre et partager ce culte de la respectabilité avec quelques-uns de leurs serviteurs. Ibn Abī al-Ḍiyāf appliqua mot pour mot à Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ la formule qu’il avait consacrée à Fāṭima Mistīrī et Aḥmad Bey : le doyen par procuration de la maison husaynide, conseiller et protecteur d’Aḥmad Bey, « connaissait la valeur des grandes demeures dans les villes ou parmi les Bédouins140 ».
62Au Bardo, lieu de rencontre des hommes de tentes, des mamelouks du sérail et des doctes tunisois, les formes de politesse s’entrelaçaient plus qu’elles ne se cloisonnaient. « Fruit de l’éducation » de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Aḥmad Bey apprit autant des serviteurs du palais que des notables de la ville. À l’âge mûr, il adoptait des postures dignes d’un baldi respectueux à l’égard de son père. Le prince Hermann von Pückler-Muskau disséquait, au milieu des années 1830, ses gestes filiaux attentionnés :
C’était alors « un jeune prince de vingt-six ans, qui, avec cet air particulièrement respectueux qu’en général tous les enfants montrent ici pour leurs parents, tantôt présentait à son père ses lunettes, pour qu’il pût lire une requête qui lui était adressée, tantôt lui tendait un crachoir d’argent, sans avoir le moins du monde l’air de rougir, en présence de la cour, de rendre à son père ces services141. »
63À Tunis, dans la première moitié du xixe siècle, ces liens du palais à la bonne société urbaine ne se percevaient pas seulement dans ce partage des valeurs. Des pratiques matrimoniales et domestiques étaient communes au sérail et aux grandes maisons de Tunis.
Les usages partagés de la domesticité
64Les mamelouks ne servaient pas seulement les beys du Bardo. On les retrouvait dans d’autres grandes maisons142. Ici, a contrario du Caire, point d’interdit, même symbolique, empêchant les civils de posséder des serviteurs143. Les registres beylicaux mentionnaient parfois l’existence de mamelouks auprès d’autres maîtres que le souverain. En 1748, les dépenses de la maison beylicale incluaient le prix de tenues pour deux mamelouks installés dans la maison du Hājj Ḥusayn Bakīr144. Certaines demeures comme celle du bāš ḥānba allaient jusqu’à se transformer en marché semi-officiel d’esclaves au début du xixe siècle : un captif italien retenu en 1804 au domicile de ce chef de troupes et « armateur » affirmait que « [c]haque jour, [il] voyai[t] venir des musulmans notables qui examinaient les prosélytes afin de choisir après le Bey ceux qui leur convenaient le mieux145 ».
65Les foyers qui gagnaient en puissance financière et administrative renforçaient leurs effectifs de domestiques. Le šaykh Muḥammad Bū ‘Attūr, entré à 22 ans, en 1846, dans la chancellerie d’Aḥmad Bey, étendit au fur et à mesure de son ascension administrative la superficie de son logis et hiérarchisa le « personnel féminin et masculin » au « service des membres de sa famille146 ». À l’instar des beys, les b. ‘Ayyād utilisaient leurs serviteurs en dehors des foyers : cette lignée makhzénienne rassembla dans ses terres de caïdat une véritable milice de fidèles, mamelouks et ‘abīd qui agissaient de concert avec les forces régulières, protégeaient le clan familial et se portaient vers les places fortes du domaine d’autorité147. La présence partagée de dépendants dans les sérails et dans les grandes demeures liées au makhzen induisait des comportements intimes, des stratégies de parenté dont les Husaynides ne détenaient pas l’apanage.
66Les odalisques n’étaient jamais trop éloignées des mamelouks et, ce faisant, des puissants de Tunis. Plus le makhzen attirait et élevait des notables à de hautes fonctions, plus ces dignitaires étaient enclins à contracter des unions avec des odalisques. Maintenus à Sfax, dans leur ville d’origine, les Jallūlī s’étaient alliés avec des lignages du cru (les Sallamī, les Furatī, les Ġurbal, les Marrakšī). Montés à Tunis, ils diversifiaient leurs choix. Des odalisques furent épousées sur trois générations par Maḥmūd, ses fils Muḥammad et Farḥāt, puis les descendants de ce dernier, Muḥammad et Šāḏilī. Sur dix-neuf alliances dénombrées par Mehdi Jrad dans cette famille, un quart ont été contractées avec des jawārī dont les prétentions aux héritages étaient le plus souvent restreintes, y compris après conversion et affranchissement148.
67D’un autre point de vue, si les apparentements des beys avec les ‘ā’ilāt de Tunis étaient fort rares, il n’en demeurait pas moins, pour reprendre l’idée de Leïla Blili, qu’un seul de ces mariages « engageait tout le groupe », voire « toute la catégorie sociale de l’épouse149 ». Les mariages princiers dépassaient le cadre du sérail. Leurs célébrations unissaient le palais aux gens de bien et aux notables de la ville et du pays. Les noces fastueuses que le bey Ḥusayn organisa, un an avant son décès, pour son vizir Šākīr et son fils Muḥammad éblouirent les regards. Un contemporain promu dans l’année secrétaire principal150, al-Bājī al-Mas‘ūdī, jurait qu’« une telle fête ne fut jamais organisée ni à l’époque des deys ni à l’époque des Banī Murād » :
« Les gens de la capitale, jusqu’au dernier, et un grand nombre de notables des villages et des environs y ont assisté. Ces gens parlèrent, durant plusieurs jours, de ce qui s’y était exposé de splendeur, d’élévation de l’autorité et de magnificence de la province151. »
68À la fin de l’année 1833, à Djerba, un correspondant du vizir, Ṣālih b. Ṣālih, apprenait des gens venus de Tunis le bonheur simultané du bey (qu’il dénomme Ḥamda), de son maître et du « frère » de ce dernier, Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Il affirmait qu’une fois la nouvelle connue par les notables et les gens de l’île, 27 000 piastres ont été remises, 12 000 pour « notre maître », 10 000 pour son Excellence [soit] Šākīr et les 5 000 restantes au second mamelouk152. La dynastie beylicale forçait parfois la joie de ses sujets. Elle les associait pour le moins en un moment fugace de cohésion et de complicité153 qu’étayaient en temps ordinaires des règles communes de civilité, des hommages croisés entre princes et notables, des usages comparables de mamelouks et odalisques. À un degré supérieur, les Husaynides et les hommes du makhzen partageaient plus que des pratiques, ils faisaient circuler femmes et mamelouks entre maisons, en dons et contre-dons.
La circulation des serviteurs entre les foyers
69L’association du sérail avec la maisonnée d’un notable du makhzen n’était pas toujours volontaire. Elle pouvait être initiée ou consolidée par des beys qui répartissaient entre leurs fidèles les prises humaines de raids maritimes et les filles de leur sérail. En 1798, à la suite du raid sur l’île Saint-Pierre, Ḥammūda Bāšā distribua un ensemble de captifs « entre des hommes de son gouvernement154 ». Les souverains savaient aussi unir quelques-unes de leurs odalisques et des descendantes de leurs serviteurs à des autochtones montés en grade jusqu’à les côtoyer. Le chroniqueur et secrétaire Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf reçut deux concubines d’Aḥmad Bey, Jawhara al-Ḥabašī et Fāṭima al-‘Iljiyya, qui s’ajoutaient dans le foyer du scribe d’État à une cousine de son père et qui précédaient, toutes trois, une dernière épouse, Ḥalīma bint Drīdī, et peut-être une cinquième155.
70Dans ces mouvements hors du sérail, les souverains ne se contentaient pas de dépêcher des hommes et des femmes aux domiciles de leurs serviteurs, ils allaient jusqu’à débourser quelques piastres pour les entretenir en d’autres foyers. ‘Alī Bey fit verser en 1759 deux tamra de 25 piastres à deux mamelouks d’origine tabarquine placés auprès de cet honorable descendant des Šalbī156. Il gratifia de ces augustes largesses, trois ans plus tard, un troisième mamelouk rattaché à la même demeure157. Ces deniers rétribuaient-ils des hommes que les beys plaçaient à titre gracieux auprès d’autres foyers ? Dans un échange de bons procédés, les grands de Tunis étaient amenés à recevoir des mamelouks et des jawārī des beys qu’ils avaient à instruire et former. Au milieu du xviiie siècle, Muḥammad Bey dépêcha chacune des deux odalisques tabarquines qu’il réservait à son père ‘Alī Bāšā « dans une famille d’un notable de la ville pour y apprendre la littérature, les bonnes manières et les arts d’agrément les plus délicats158 ». À l’été 1831, sous Ḥusayn Bey, des victuailles étaient réservées à des mamelouks en convalescence dans la maison de Muḥammad al-Zarrūq, l’intendant du palais et fils du vizir exécuté159.
71Les beys attiraient à eux d’autres mamelouks par ventes et offrandes de notables de la province. En 1816, la maison beylicale acquit un mamelouk pour 200 piastres auprès du fils du faqīh Muḥammad b. Sālim160. Un peu plus tard, au cours des années 1820, le futur vizir Muḥammad Khaznadār fut monnayé par un commerçant sfaxien au caïd des rues pour 100 piastres puis cédé ou donné à son premier et grand protecteur Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘161. Les exemples de dons étaient complexes. En 1765, un certain al-Bajāwī prit possession du mamelouk ‘Utmān Franṣīs pour l’offrir à ‘Alī Bey sans que ces motivations soient explicitées162. Plus d’une décennie plus tard, Bakkār al-Jallūlī obtint d’un commerçant de café stambouliote le futur Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Le caïd ne présenta sa recrue au sérail qu’une fois formée avec soin à la langue et aux mœurs du pays dans sa maison de Sfax163. Devenu vizir, Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ participa à son tour de cet effort. Il convoya Khayr al-Dīn Kāhiya à Ḥammūda Bāšā164. Les Jallūlī qui savaient dénicher la perle rare remirent également entre les mains du même maître un garçon tout aussi prometteur : Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘165.
72D’autres mamelouks enfin faisaient carrière auprès des souverains tout en restant identifiés par leur nom à leur premier patron. Aḥmad al-Jazīrī vécut auprès de ‘Alī al-Jazīrī. Il fut marié à sa fille et placé par ce maître exigeant au « service du gouvernement » jusqu’à atteindre le rang de bāš āġā166. Aḥmad Zarrūq fut affranchi d’al-‘Arbī Zarrūq167. Une troisième figure comparable, Sulaymān al-Jallūlī, pouvait bien être issue d’une maison peu appréciée par Aḥmad Bey, il fut tout de même promu uḍā-bāšī, chef des chambrées mameloukes dans le cours des années 1840168.
73À la manière des négociants du Caire qui payaient, au prix fort, une affiliation parmi les janissaires dans une double volonté de se protéger de l’« arbitraire gouvernemental » et de « s’arroger des privilèges de la caste dominante » tels que le contrôle de fermages ruraux ou la possession de mamelouks169, à Tunis, les hommes du négoce et du makhzen beylical ont voulu promouvoir ou se rapprocher de serviteurs et s’accorder des fonctions dans une quête de notabilité et de primauté. Dans cette logique interactive, les mamelouks ne faisaient pas écran autour de leurs patrons, ils constituaient des moyens d’intervention170. Ils n’excluaient pas du pouvoir, ils pouvaient associer ces autochtones pour peu que leurs partenaires d’affaires y mettent le prix.
74Les Jallūlī qui accueillirent et placèrent Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ dans le sérail menèrent à bien une série d’opérations commerciales avec le futur vizir et d’autres négociants sfaxiens171. Leur entente fut si forte qu’elle se perpétua à la génération suivante, après l’élimination du Ṣāḥib al-Ṭābi‘, avec l’ascension suivie de la disgrâce de Ḥusayn Khūjā, serviteur orphelin du vizir défunt qui, par relais des fidélités, jurait reconnaître le patriarche Maḥmūd al-Jallūlī comme « remplaçant de son père ». Tout à sa piété filiale, Ḥusayn Bāš-Mamlūk présentait ses condoléances au décès de l’épouse de Maḥmūd al-Jallūlī et ses vœux à son fils Ḥusayn, caïd de Monastir, pour la « fête bénie des sacrifices » en 1828172.
75À la même époque, dans ces alliances plus ou moins heureuses de la faveur princière et de la fortune marchande, un autre homme d’affaires, un Djerbien cette fois, Ṣālih b. Ṣālih, récolta un temps les bénéfices de la disgrâce de Ḥusayn Khūjā et de l’irrésistible ascension de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ dont il favorisa la venue à Tunis. Ṣālih b. Ṣālih ne se contentait pas d’avoir noué des associations commerciales avec Šākīr173, il devint l’œil du vizir à Djerba et aux alentours. Il rapportait au conseiller du prince, par exemple, la fuite d’un soldat turc vers la Tripolitaine voisine174. Pour récompenser de si bons offices, l’ancien mamelouk devenu vizir dépêcha à son dévoué protecteur devenu agent une odalisque venue d’Istanbul avec deux autres mamelouks175.
76Entre négoce et action administrative, il n’y avait pourtant pas que des coups à monter, des dividendes à engranger. Ṣālih b. Ṣālih n’avait pas réussi ou plus simplement pas voulu forger de relation de parité avec son ancienne créature. Par lucidité et par préséance, il s’était placé, bien au contraire, au service et sous la dépendance apparente du vizir. Dans une lettre du 12 mars 1833, il voyait en Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ son bienfaiteur et ne s’accordait en fin de missive que la modeste position de serviteur176. À l’instar des Jallūlī qui n’avaient guère empêché les b. ‘Ayyād de se rapprocher de leur homme Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, le négociant djerbien ne pouvait s’imposer comme seul médiateur du vizir en son pays177. Il devait compter avec des intermédiaires mieux enracinés et plus puissants : les Jallūlī, les b. ‘Ayyād, tout comme les b. al-Hājj, étaient aussi, sinon plus, écoutés par Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘.
77Dans la région de Monastir, le caïd Farḥāt al-Jallūlī représentait les intérêts du dignitaire mamelouk178. À partir de sa base de Porto Farina, dans le Nord, Sulaymān b. al-Ḥājj parvint à installer ses deux fils au service du makhzen, au caïdat de Sousse et de Sfax à partir de 1826-1827, pour une année. Ces descendants mirent à profit le vizirat du ṣāḥib al-ṭābi‘ et au-delà, pour détenir des affermages179. Dans la crise financière qu’avait entraînée une vente d’huile calamiteuse à la fin des années 1820, le vizir avait su compter sur les dons de trois des familles intéressées à un sauvetage des affaires du pays, tant et si bien que, pour les dédommager, selon le récit d’Ibn Abī al-Ḍiyāf, il en vint à fermer les yeux sur les agissements des caïds de ces maisons et d’autres familles faisant main basse « sur les biens des sujets comme s’ils en avaient été les propriétaires180 ».
78Aptes à jouer sur ces concurrences d’intérêts, les mamelouks des beys, courtisés par les grandes maisons, fidèles aux intérêts de leurs maîtres initiaux, ne parvenaient pas toujours à se maintenir à la fructueuse place d’arbitre. L’alliance entre une famille makhzen et Le Bardo pouvait se renouveler au détriment d’un serviteur du sérail, en contournant le médiateur en perte de faveur. Il n’en est de meilleure illustration que la chute de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Le vizir n’a pas seulement souffert de la complicité du bey Muṣṭafā avec son fils Aḥmad qui lui retira tout rôle de descendant par procuration. Il fit aussi les frais du rapprochement de Maḥmūd b. ‘Ayyād avec Aḥmad Bey. Dans le Sahel, Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ avait mesuré les dégâts causés par des abus de pouvoir, « il limita l’autorité des gouverneurs et leur serra la bride181 », il s’assura du « contrôle exclusif de l’armée, et en particulier des troupes » de la même région jusqu’à ce que l’autorité militaire d’Aḥmad Bey s’impose à lui182. Dans l’administration des finances, un nouveau différend l’opposa à ses maîtres quant au remboursement des dettes des
79b. ‘Ayyād183. En bref, les points de divergence étaient si profonds entre la maison makhzénienne et le serviteur du bey que le consul de France en était encore à accuser ce « vieillard dont l’ambition égale l’esprit d’intrigue », alias « Sidi Ben Ayet », d’avoir « contribu[é] puissamment, […] à la mort du Sahebtaba Chekir » plus de cinq ans après les faits184.
80Le recours aux médiateurs mamelouks, leurs contournements et leurs éventuelles mises à l’écart, tous ces mouvements se dessinaient aussi bien au sein de la famille beylicale, par interaction entre maîtres de maisons, princes et princesses, qu’entre le Bardo et les principales maisons makhzen, par redéfinitions régulières des formes d’association entre les souverains et leurs serviteurs autochtones. Ici et là, on retrouve des usages partagés des mamelouks et des jawārī ; un attachement commun à la distinction, à la notabilité, à certaines formes de civilités ; des stratégies familiales plus comparables à mesure qu’une maison prenait du poids au service du beylik. Le sérail ne fut pas une tour d’ivoire, mais un des lieux de circulation des intérêts et des dépendances. Les mamelouks ont donc contribué à un équilibre tendu au sein de la dynastie husaynide et à une mise en relation négociée de quelques foyers. Mais ils ont aussi porté une troisième forme d’extension de l’autorité beylicale et une autre forme de médiation non plus entre individus mais entre lieux et ensembles d’habitants lorsque les plus reconnus d’entre eux, de Muṣṭafā Khūjā à Khayr al-Dīn, ont édifié leurs demeures, hors de la cité du Bardo, à Tunis et dans ses alentours.
Les maisons mameloukes
81Que cherche un mamelouk lorsqu’il s’établit hors des palais, dans la ville et son plat pays ? Veut-il s’éloigner du foyer originel du patron ou bien étendre les chaînes de sa dépendance à son nouveau voisinage ? Duplique-t-il une structure de sérail en terrain vierge ou tend-il à former dans son quartier d’adoption un réseau de clients fidèles, une maille protectrice contre les aléas de la fortune et les caprices princiers185 ? Un « membre de la khāṣṣa (l’élite) ne peut[-il] prétendre à la notabilité que s’il réussit à disposer d’une assise territoriale solide et à jouer un rôle médiateur186 » ?
À l’ombre des beys
82À première vue, sorti de l’entourage beylical, le mamelouk ne dépérit pas. À l’air libre, il est soluble dans la cité. Des hommes du bey réussissent à ériger et à transmettre à leurs lignées des demeures hors du Bardo. Salīm Khūjā, Šākīr et Farḥāt al-Mamlūk se sont installés à Tunis, une fois libérés de leur service, au décès de leur mawlā Ḥammūda Bāšā187. Le mamelouk d’origine génoise, Muḥammad ‘Alī Āġā, promu sous le règne de Ḥusayn Bey, décéda dans son jardin (bustān) de La Manouba au début des années 1860188. Sulaymān Kāhiya II et Muṣṭafā Āġā se sont retirés sur leurs terres, au nord de la capitale : le premier s’est fixé à La Marsa, une fois sa fortune faite et son écœurement plus que recuit face aux « bassesses de la cour189 ». Le second a pris ses quartiers dans son vaste jardin du Kram190. Comme pour d’autres, la postérité de Muṣṭafā Āġā fut assurée par des alliances avec des notables autochtones. Ses descendants se sont unis dès la deuxième génération avec les représentants de vieilles demeures de souche urbaine191. Sans briller par une carrière hors du commun, autour des années 1850, Salīm Corso est, lui aussi, parvenu à placer sa fille auprès de l’« un des riches habitants de Tunis » et à la maintenir dans l’alliance « avec les grandes familles du Bardo192 ».
83Mais, le dernier cas le sous-entend déjà : l’ombre des beys n’a cessé de planer sur l’horizon de ces serviteurs. Les Šalabī continuaient à recevoir des subsides du Bardo même symboliques sous le règne de ‘Alī Bey. Les Āġā concluaient tout à la fois de beaux mariages urbains et des alliances avec d’autres descendants de mamelouks. La rupture n’était pas franche avec le palais. Quoique affranchis, Salīm Khūjā et Šākīr al-Mamlūk ont fondé leurs foyers sur des unions avec des fidèles des beys ou de leurs favoris : tous deux ont épousé, selon Ibn Abī al-Ḍiyāf, une fille de ‘Alī al-Muhāwad, šaykh du faubourg et proche de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Ibn Abī al-Ḍiyāf remarquait que Salīm Khūjā s’était « installé à Tunis comme ses habitants parmi les hommes du gouvernement ». Mieux encore, Šākīr al-Mamlūk est revenu sur ses pas. Il a tenté un retour peu concluant au service des beys193. Par obligation de service militaire, Sulaymān Kāhiya II laissa femme et enfants derrière lui, en son palais de dār b. ‘Abdallāh, dans le quartier de Bāb al-Jazīra, pour se rapprocher de son beau-père Maḥmūd Bey194. Les contreparties que les mamelouks tiraient de leur proximité aux beys, leur aisance financière nourrie de la faveur princière conditionnaient également les relations qu’ils entretenaient avec leur voisinage195. Ḥasan ‘Āmil Munastīr, gouverneur de Monastir, offrait les « fruits de son travail » au quartier de la drība196 du saġīr Muḥammad où il édifia son ‘alū, une demeure en hauteur197. Il fut pleuré à sa mort en 1853198.
84Selon une autre forme de lien à la dynastie beylicale, les enfants prodigues des palais se sont retrouvés dans la position d’hôtes de la famille husaynide. Les portes de leurs demeures se devaient d’être grandes ouvertes. Le temps de ces prestigieux séjours, les foyers des grands serviteurs paraissaient s’animer autour de la présence souveraine, au risque de vider de cet aura des sérails désertés. Aḥmad Bey, fut, à la différence de ses prédécesseurs, coutumier de ces visites à domicile. À la fin de l’année 1849, avec la propagation du choléra dans la province, le bey, alerté par ses médecins, décida de ne plus se rendre à Tunis, ni de se mêler à ses sujets. Il se déplaça « vers le jardin de son vizir » Muṣṭafā Khaznadār, à Carthage « avec des intimes », des « suivants » et « un grand nombre de militaires » pour sa garde199. Trois ans plus tard, le bey, pourtant atteint d’une hémiplégie, ne s’était pas assagi. Au fil de déplacements avec sa suite, il passait le temps de sa convalescence entre la « maison » de son ministre Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, son « palais » de l’intérieur, à la Muḥammadiyya, et celui qu’il avait fait édifier à grands frais, sur les rivages tunisois à La Goulette200. Le souverain séjournait une nuit par an auprès de Maḥmūd b. ‘Ayyād « qu’il percevait comme sa créature car il l’avait soustrait des griffes de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘201 ». Par ses allées et venues, Aḥmad Bey vidait le sérail de sa présence. Il concevait les demeures de ses serviteurs comme des prolongements de sa maison. Il installait un envoyé de la Sublime Porte, ‘Umar Jamāl, dans la propriété du ministre de la Guerre Muṣṭafā Āġā202. Il exposait sa mère aux regards de ses proches conseillers, en la laissant dormir « dans la maison d’un ministre » pour la première fois depuis la fondation de la dynastie :
« Et du fait de sa proximité [tā’āluf] avec les hommes de son gouvernement, il ne leur cachait pas sa mère et leur disait : “C’est ma mère et la vôtre.” Le jour du ‘īd, il les amenait à elle en affirmant : “Tes enfants sont venus te voir et je suis leur aîné pour te souhaiter une bonne fête.” »
85Pour convaincre sa mère de se soigner sous d’autres toits que ceux de ses palais, Aḥmad Bey lui affirma :
« “Tu seras dans la maison de ton fils le ministre de la marine Maḥmūd b. Muḥammad Kāhiya et leurs maisons [dyāru-hum] sont comme les appartements [buyūt] de ma demeure [dār].” Il l’amena à ce foyer, elle y resta un temps, telle la mère des lieux, et ses membres semblaient être ses enfants ou ses serviteurs203. »
86Le sérail semblait s’étendre à Tunis par le biais de maisons mameloukes. Au fil du xixe siècle, des dignitaires du makhzen se concentraient dans des faubourgs à portée du Bardo : Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ puis Muṣṭafā Khaznadār avaient élu domicile à al-Ḥalfāwīn204. À deux pas de la Muḥammadiyya d’Aḥmad Bey, le Muṣṭafā Khaznadār et Muṣṭafā Āġā disposaient « chacun [de] leur pavillon205 ». À la construction de ce palais, un instructeur français témoignait de la fièvre d’initiatives que le bey Aḥmad transmettait à son entourage :
« Tous ses ministres et les hauts fonctionnaires qui l’entourent ont reçu l’ordre de se construire une maison dans le voisinage du palais, et peu à peu, les officiers imitant les ministres, les soldats, les officiers, près de cent cinquante feux se sont élevés en arrière du sérail et autour de la Koubba de Si Salah, que le bey a entourée d’une vaste enceinte206. »
87Aux alentours de Tunis, les mamelouks avaient construit des résidences selon le bon vouloir de leurs maîtres. Muḥammad Bey avait fait don à Aḥmad Zarrūq d’un terrain à Carthage « entre deux sites remarquables choisis par Muṣṭafā Khaznadār » pour y élever « sa résidence personnelle207 ». Muḥammad Khaznadār « bénéficia, dit-on, de la générosité » du même bey « pour établir, non loin du nouveau Palais beylical (Dār Et-Tāj), une résidence d’été à un endroit qui était, certes, l’un des plus agréables de La Marsa208 ». L’ensemble de ses résidences se situaient à proximité de bâtiments beylicaux. Par des dédoublements révélateurs, sa demeure de la rue de la Carrière côtoyait Dār al-Bey à Tunis ; celle de La Marsa s’était édifiée auprès du palais princier. D’après Jacques Revault, il « est probable que sa construction suivit celle qu’il éleva à La Manouba afin de lui permettre de rester à la disposition du souverain lorsque celui-ci se trouvait à cet endroit ou au Palais du Bardo209 » (cf. carte ci-dessous).
Carte 2 — Tunis et ses alentours, lieux d’implantation des résidences de dignitaires mamelouks.
88Quoiqu’elles fussent dissociées dans l’espace, vie de sérail et vie domestique se confondaient dans le temps. Les principaux conseillers se tenaient à la disposition de leur prince de jour comme de nuit. Dans le vestibule de leurs demeures, des gardes armés se tenaient « en permanence » prêts à monter « à cheval pour accompagner, à travers la médina ou au Bardo, leur vizir, agha ou kahia210 ». Ces ballets quotidiens entre foyers particuliers, tables et chevets d’un Aḥmad Bey convalescent étaient décrits dans une correspondance entre Maḥmūd b. ‘Ayyād, et Aḥmad b. Abī al-Ḍiyāf pour les derniers mois de l’année 1852. Dans le cours d’une lettre datée du 5 mars, il était mentionné que le « Khaznadār s’était rendu en son domaine de Carthage avant de revenir » au couchant du soleil. Le « ministre de la Guerre Muṣṭafā Āġā s’était » pour sa part « déplacé au sérail pour y dormir ». Tandis que le « Ṣāḥib al-Ṭābi‘ et d’autres déjeunaient au sérail » ; « le ministre de la province [Muṣṭafā Khaznadār] dînait et revenait somnoler » en compagnie du bey211.
89Pris entre des flux constants vers les lieux de vie des maîtres, édifiés sur les richesses du beylik, imprégnés de la présence souveraine, les palais et les demeures des dignitaires mamelouks reproduisaient de surcroît les styles et le goût du sérail. Soumis « aux innovations de Constantinople […], non sans y remarquer l’effet d’une emprise européenne », le Bardo donnait le la dans une évolution qui, selon Jacques Revault, tendait « moins à modifier la structure organique de l’habitation traditionnelle […] que l’ornementation du patio et des appartements212 ». Certains ministres furent les seuls parmi les dignitaires de la régence à « accorder, à l’exemple des palais beylicaux, un intérêt particulier à de vastes dépendances sur lesquelles ils élèveront la plus grande partie de leurs bâtiments seigneuriaux213 ». L’intérieur de la maison de Muḥammad Khaznadār à La Marsa s’inspirait « de celui des palais beylicaux dont on imita ici les grandes proportions de style composite et l’inconfort ». Le palais Khayr al-Dīn à La Manouba n’était novateur qu’en façade, avec des portes et fenêtres à l’italienne. Au-dedans, le mamelouk se maintenait dans une relative fidélité « aux dispositions de la demeure traditionnelle et de son décor214 ».
90En fin de cycles, à la mort de leurs maîtres, quand elles ne revenaient pas à une descendance naturelle, les maisons prolongeaient leur existence au sein du makhzen en se transmettant entre deys, beys et serviteurs. Par de courts relais, dār Muḥammad Khaznadār, rue de la Carrière, avait attiré « » dignitaires du Makhzen et riches notables tunisois215 ». Sur un temps beaucoup plus long, avant d’accueillir le général Ḥusayn dans les années 1860, dār Ḥusayn fut à partir du xie siècle une composante de la cité princière des Banī Khurasān, la « résidence officielle » du dey ‘Utmān au début du xviie siècle, le palais d’Ismā‘īl Kāhiya, gendre de ‘Alī Bey à la fin du xviiie siècle, et une possession de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Ce lieu retombait ensuite entre les mains de Ḥusayn b. Maḥmūd, de l’intendant d’arsenal Muḥammad Khūjā, d’Aḥmad Bey et du colonel Rašīd « qui intervinrent, sans doute, à leur tour, dans certains aménagements de l’ancien ksar216 ». La bâtisse devint enfin en 1858 le siège de la municipalité de Tunis, un temps présidée par le général Ḥusayn.
91Génération après génération, par maîtrise des appropriations, les marques du beylik apposées par les dynastes et leurs agents avaient en effet placé la demeure hors d’une pure logique de succession familiale, dans un statut intermédiaire entre propriété dynastique et propriété du beylik. Ce palais se réincarnait, au temps des réformes, en un espace administratif. Ce processus de conservation de biens par mamelouks interposés n’était pas exceptionnel. Par une chaîne comparable, les serviteurs avaient maintenu sous possession de leurs maîtres le domaine de la Muḥammadiyya qui accueillit sur la route de Zaghouan, au temps d’Aḥmad Bey, les premières pierres d’une cité princière abusivement comparée avec la ville et le château de Versailles. La propriété fut tenue par les deux puissants vizirs Yūsuf et Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘. À la disparition de ce dernier, son adversaire victorieux Aḥmad Bey remit les terres à son favori Muṣṭafā Khaznadār puis les reprit en main pour y faire stationner des troupes régulières et donner libre cours à ses désirs de grandeur217.
92Il arrivait enfin que les possessions sortent de la tutelle des patrons, ne parviennent à être maintenues dans une lignée mamelouke et retombent dans le patrimoine d’un autochtone. Dār Kāhiya, d’un entretien fort dispendieux, fut vendue aux enchères en 1875. « Un tisserand de soie devenu riche propriétaire terrien, le cheikh Mohamed et-Tahar ben Salah ben Abdallah, s’en porta acquéreur. Il y demeura avec sa famille jusqu’en 1899218. » La fondation, constituée en habous de Salīm Corso, fut échangée par sa petite fille Khadīja à partir de 1904 « contre diverses terres situées au Faḥs219 ». Sans descendance conséquente, sans incorporation d’une logique domestique, sans affranchissement d’un lien de dépendance qui facilitait la confiscation de tout ou partie d’un ensemble de biens laissés derrière soi, la valeur considérable de la mise de départ ne faisait rien à l’affaire, elle ne garantissait pas la transmission matérielle. Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ eut beau concentrer les richesses entre ses mains, démultiplier le nombre de ses fidèles dans le faubourg de Bāb al-Swīqa, son domaine conquis ne protégea nullement son honorabilité de la disgrâce, son corps de la mise à mort et sa dépouille d’actes sacrilèges perpétués avec ostentation par le commun de Tunis.
93Dans le cas des dignitaires mamelouks, l’ancrage spatial ne pouvait donc asseoir la notabilité que si le processus était mené par-delà les premières générations et si la maison des maîtres ne s’y était guère opposée aux temps des fondations et des consolidations. Les subsides, les alliances, les relations de voisinage, l’accueil inopiné des membres de la dynastie, le don de terres et de piastres, la constante disponibilité des serviteurs, le style décoratif, les modes de succession, tout ce qui faisait vivre une maison, tout ce qui la mettait en branle avait partie liée avec le sérail. Les maisons de dignitaires mamelouks étendaient l’autorité beylicale, la faisait rayonner. Mais un cas tardif et bien spécifique, la vie de deux maisons tenues par Muṣṭafā Khaznadār, après la disgrâce et la mise en accusation de ce vizir en 1873, aide à conjuguer deux tendances plus souterraines : d’une part, la volonté de préserver des intérêts autonomes dans le cadre du service beylical et, de l’autre, le désir de perpétuer, à distance des palais, une famille d’origine husaynide dont les membres se percevaient comme solidaires.
Dans l’antre du khaznadār
94Quelques carnets de comptes laissant entrevoir des traits d’économie domestique, des offrandes régulières, des sources de richesse… Ce n’est que par bribes que les demeures des dignitaires mamelouks s’ouvrent aux regards étrangers. C’est dire, dans ces amas d’instantanés, la valeur précieuse de la centaine de rapports de surveillance des deux principales demeures de Muṣṭafā Khaznadār, l’une en ville, dans le faubourg tunisois de Halfaouine, et la seconde dans les domaines de La Manouba, durant un an et quatre mois, entre décembre 1873 et avril 1875220.
95Soupçonné de graves manipulations financières, l’ancien vizir est alors assigné à résidence par le bey Muḥammad al-Ṣādiq, le temps de recenser ses prodigieuses richesses et de régler ce faisant chacun des contentieux avec le beylik. Les moindres faits et gestes des fils, belles-filles et domestiques de la famille hors les murs, dans les rues et les champs, toutes entrées et sorties d’hommes, de femmes ou d’objets sont épiés, signalés et consignés par Salīm, un mamelouk monté en grade jusqu’à devenir le chef de la police naissante221. Chacune des courtes missives finit sur le bureau de Khayr al-Dīn, nouveau Premier ministre et ancien protégé de Muṣṭafā Khaznadār.
96Les demeures que les agents et sbires de Salīm osent observer de leurs bien modestes positions se rangent parmi les plus puissantes du pays. Muṣṭafā Khaznadār fut durant plus de trois décennies le second de la province en charge du gouvernement après ses maîtres. Ce qu’il a bâti par la faveur ou la prévarication suit de près ce que les beys ont édifié, aussi bien dans le choix des emplacements géographiques que par hiérarchie des domesticités, ordre d’une famille fondée sur des alliances princières, tenue par la figure de pater familias. La traque de tous les instants laisse alors percer une déchéance. L’observation à distance dit une nouvelle façon de considérer à la fois les demeures d’un serviteur et sa relation à son maître.
97Sous forte pression des consuls, par effet secondaire d’un édifice constitutionnel, la disgrâce n’est alors plus le fait du prince. Elle suit des voies juridiques balisées. Les agents du bey évitent de pénétrer les palais de Halfaouine et de La Manouba. Les délégués du souverain n’y entrent que pour des missions circonstanciées. La demeure de la plus défaite des créatures husaynides n’est plus considérée comme une prolongation d’un corps de bâtiments princiers. Par une mise en ordre administrative et juridique bien réglée, huit ans avant le Protectorat français, le lieu de vie est devenu objet d’exhibition et d’attention, un monde extérieur à ses acteurs, un champ que l’observateur peut dominer de son regard au sens propre comme au figuré pour calquer à Tunis, et avec prudence, une grille de lecture surimposée par Timothy Mitchell à l’Égypte khédiviale de la même période222. Duplication d’une matrice ou distance prise avec le sérail : en se replaçant dans la famille Khaznadār, c’est en tension que les rapports de surveillance peuvent être relus en commençant par ce qui fut observé de manière générale dans les pages précédentes, à savoir les marques de reproduction et les formes de relation au sérail pour tenter par la suite de cerner des singularités, une autonomie de ces maisons.
98Au premier abord, les deux maisons du vizir destitué déploient des catégories de domesticité aussi variées qu’au Bardo : serviteurs et eunuques noirs, mamelouks, valets et nourrices chrétiennes. Visibles dans leurs déplacements entre la ville et les campagnes, les noirs waṣīf, servantes et eunuques, khādim et āġā ne cessent d’entrer et de sortir des foyers. L’un d’entre eux convoie sur une mule deux coffres de savon du domaine de La Manouba vers Halfaouine223. Un certain Muḥammad al-Šūšān reçoit le laqab de karārsī, de cocher224. Un āġā, al-Ḥājj Aḥmad, est astreint à demeurer à La Manouba pour y être soigné par deux médecins225. Une autre catégorie de serviteurs, les mūšāšū ou valets, souvent de confession catholique, sont servis par des āġā226. Une nourrice chrétienne dispose de sa demeure dans la propriété de La Manouba. Elle y vit avec sa fille227. Quelques mamelouks visitent de temps à autre la demeure du khaznadār. L’un d’eux parcourt un long trajet qui le mène de Tabarka à Tunis228. L’ensemble de ces domestiques est enfin complété par quelques cochers maltais229. La hiérarchie générale est incertaine, cependant un intendant, un qā’id al-dār est placé à la tête de la maison de La Manouba230 et des āġā demandent l’autorisation de se déplacer.
99Sans surprise, comme au Bardo et dans certains cercles tunisois, la famille Khaznadār est élargie et patriarcale. Les deux fils Munjī et Muḥammad prennent sans hésiter le relais d’un père contraint dans ses mouvements. Le 30 décembre 1873, ils reviennent à plusieurs reprises à la rencontre du šaykh de la médina pour lui demander s’il a bien le droit de recenser tout ce qui s’entasse dans leur demeure231. En plein mois de ramadan 1874, deux autres fils, ‘Abd al-Salām et Ḥasan, narguent les agents de surveillance. Comme si de rien n’était, ils se posent à une fenêtre pour y deviser avec deux soldats, le major Yūsuf al-Ṣaġīr et un commandant restés à l’extérieur232. Les fils semblent tous là, et comme en d’autres grandes maisons de Tunis, leurs femmes ne paraissent pas être loin : le 11 décembre 1873, un médecin est appelé au chevet de l’épouse de Sī al-Munjī qui a accouché d’un fils dans le palais de Halfaouine233.
100Patriarcaux, emplis d’une domesticité conséquente, les deux foyers s’inscrivent surtout dans un réseau de maisons mameloukes tissé tout au long du xixe siècle dans l’orbite du Bardo et dans le rayonnement des résidences secondaires des beys. La demeure de La Manouba est dans le voisinage du sérail du Bardo. Celle de Halfaouine est sa duplication au nord de la médina, l’un des dernières stations sur une route poussiéreuse entre trône et cité, empruntée à pied par les plus modestes plaignants et accusés de la justice beylicale, sillonnée à cheval et en calèche par les influents notables et consuls de Tunis, pratiquée chaque jour que Dieu fait par l’intendant de la maison, le qā’id al-dār khaznadār, qui venait « soutirer quelques nouvelles » au sérail234.
101Les deux maisons reproduisent le dialogue et la complémentarité entre l’urbain et la campagne. Ajoutées aux autres palais de hauts serviteurs, les deux propriétés traduisent une densification de la présence beylicale vers Tunis et son pays. Leurs façades inscrivent une autorité dans le monumental. Elles marquent l’emprise d’une maison husaynide sur un territoire fiscalisé, militarisé. Après Yūsuf et Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, le khaznadār est le vizir qui a porté au plus haut point cette extension de souveraineté et en a le tiré le plus de profit. En des temps incertains pour sa fortune, le khaznadār, trésorier déposé de la maison beylicale, ose reconnaître la possession des palais et terres attenantes de Halfaouine, de La Manouba, de Carthage, de Hammam-Lif ; d’autres propriétés foncières à Grombalia, Mateur, Béja ; des échoppes, des maisons et magasins à Tunis, La Goulette et Sfax235…
102De fait, par mimétisme et influence, malgré la disgrâce et un début de condamnation, les liens avec la haute société du Bardo et du beylik ne sont pas du tout rompus. Fin décembre 1873, ‘Alī Bey, impliqué dans l’arbitrage de l’affaire Khaznadār, dépêche un de ses suivants pour enquêter sur l’éventuel visite d’un de ses parents, Ḥusayn Bey, auprès de sa sœur à Halfaouine236. Neuf mois plus tard, un fils de la famille makhzénienne des b. ‘Ayyād, le khalīfa bāš-āġā Aḥmad, pousse la porte de la même maison237. Dans ces allers et retours, les descendants de mamelouks du palais se font aussi remarquer. Le major Sī Sulaymān b. al-Kāhiya demeure une demi-heure dans la maison tunisoise le 10 décembre 1873238 et revient dix-neuf jours plus tard, pour en ressortir accompagné d’un chrétien239. Le 18 janvier 1875, c’est au tour de Mukhtār b. Sī Ismā‘īl al-Kāhiya de se montrer en compagnie de Sī Sulaymān, fils de feu Muṣṭafā Zġāya240.
103Les uniformes d’officiers de rang moyen de l’armée régulière se distinguent davantage encore dans les ruelles du voisinage : deux commandants franchissent le seuil de la maison Khaznadār, le 31 décembre 1873241. Un major et un commandant se maintiennent à distance respectueuse, près d’une fenêtre, le 3 novembre 1874242. Tout aussi familiers du Bardo, les consuls se fendent d’une visite de courtoisie ou se font représenter : ceux des États-Unis et d’Espagne se déplacent en personne, le dernier dépêche à deux reprises un drogman, en 1875243. Dans leur plus ou moins grande prudence, tous ces hommes risquaient gros à se commettre avec le khaznadār. Le temps de la disgrâce révélait au grand jour des mouvements souterrains, allant parfois à contre-courant de l’obligation de dévouement et de fidélité au bey. La demeure d’un favori ne servait pas de seul relais à une maison maîtresse. À un certain niveau de puissance, elle contribuait à en saper l’autorité. Elle captait et détournait, pour sa défense et sa perpétuation, de considérables réseaux de fidélité, le soutien de tenants de l’autorité, l’influence d’interlocuteurs étrangers du pouvoir beylical.
104La maisonnée Khaznadār prétendait à une certaine autosuffisance matérielle. Ses implantations urbaines et rurales s’auto-alimentaient. Le 3 janvier 1874, les cuisiniers de La Manouba firent cuire une trentaine de pains, aussitôt transportés au palais de Tunis244. À son tour, la propriété rurale reçut des objets de prestige entreposés en ces bâtiments : la veille, à l’arrivée d’un certain Rašīd, des aġā faisaient sortir des coffres245. Cette économie domestique, cette âpreté à la conservation, cette volonté de cohésion interne ne faisaient que refléter un puissant esprit de corps, une cohésion familiale à toute épreuve. La descendance Khaznadār ne se résignait pas à être considérée comme une branche quelconque parmi les Husaynides. La mère n’était autre que la sœur d’Aḥmad Bey, souverain au pouvoir de 1837 à 1855. Deux des fils, Muḥammad et al-Munjī, avaient été éduqués à Paris. Ils en avaient tiré des mœurs pour le moins aristocratiques et un aplomb jusque-là fort rare parmi les fils de princesses appelés à ne jouer que des rôles secondaires. Parents et enfants se protégeaient dans la tourmente. Lorsque l’aîné Muḥammad fut inquiété, le Khaznadār se déclara responsable de ses actes246. Le consul de France, Duchesne de Bellecourt, était d’ailleurs si étonné en 1866, devant des mœurs aussi peu communes dans le makhzen, qu’il en venait à soupçonner le vizir, ainsi que son épouse, de vouloir établir, ni plus ni moins, une nouvelle dynastie fondée sur un indéfectible amour filial247.
105Les Khaznadār ne se contentaient pas d’entretenir des amitiés et des soutiens parmi les consuls, les mamelouks, les officiers et les princes. Ils disposaient de leurs propres clients. Ils modelaient leurs fidélités notamment parmi les Israélites de la capitale qui leur devaient beaucoup. Le palais de Halfaouine ne cessait d’être visité par des Tunisois de confession juive : le médecin Frājī Šatbūn le 10 décembre 1873248 ; le commerçant au Souk El Bey Joseph Cohen accompagné de son fils le 30 décembre249 ; ce dernier et Joseph Nattaf, surpris à espionner les alentours du palais, deux jours plus tard250 ; l’intendant au tribunal correctionnel Bīšā b. Ya‘qūb Šmāma et son parent, le protégé d’Angleterre, Yūsuf b. Ya‘qūb Šmāma, dans l’intervalle251. Dernier d’entre eux, mais non des moindres : Ḥay al-Sabāġ était invité à domicile au moins à cinq reprises, le 29 décembre 1873252 puis début janvier et fin avril 1874253. Cet homme d’affaires s’était lié au Khaznadār de proche en proche. Après quelques succès et revers dans son pays d’origine, autour de Sfax, Ḥay rejoignit à Tunis son frère Mardochée, placé au service du général Muḥammad al-Bakkūš. Ce subordonné du vizir le fit par la suite « entrer en 1870 chez l’ex-Premier ministre, sous le prétexte qu’il avait élaboré un projet pour le paiement de la dette tunisienne ». Enfin, le fils du Khaznadār, Muḥammad, « ne cherchant que les moyens de se procurer de l’or, emplo[ya] en juin [de cet année], Haï Sebag comme teneur des livres à l’hôtel des monnaies254 ». Trois ans plus tard, l’homme de main paraissait avoir si bien monnayé ses talents d’intermédiaire qu’il disposait à son tour de fidèles clients : il employait Yūsuf b. Ya‘qūb Šmāma comme secrétaire255 et, le 22 avril 1874, il était escorté à Halfaouine par Ḥay al-Bal‘īš al-Tārzī décrit comme sa propre « créature » et son « suivant256 ».
106Les Khaznadār attiraient à eux des figures moyennes de l’administration et de l’armée. Le 1er janvier 1874, le šaykh al-madīna nota les déplacements incessants entre le palais de Halfaouine et le foyer du commandant Muḥammad b. Ibrāhīm257. Six mois plus tard, non sans une certaine audace, il fallut suivre entre les ruelles de la médina des femmes qui sortaient du palais tunisois pour réaliser qu’elles rejoignaient la maison de Ḥasan Būjalābiyya. Ce dernier obéissait à l’amīr alāy Sī Skandar, ce qui permettrait de déduire une forte relation entre cet officier mamelouk et la famille du vizir258. Cette forte relation fut confirmée à deux reprises, les 27 juillet 1874 et le 27 mars 1875, par le retour à Halfaouine de femmes de la maison de Sī Skandar259. Ces femmes n’étaient pas les seules à emprunter le chemin du palais. L’épouse d’un bāš ḥānba260, celle d’un « marchand parmi les notables français261 », madame le consul de France et sa sœur262 leur avaient emboîté le pas. Mais pourquoi et surtout vers qui se dirigeaient ces honorables épouses ? Selon les limites d’une morale citadine extrapolée des temps présents, il semblerait que ces âmes vertueuses tenaient compagnie aux maîtresses de maison et, a fortiori, à la première d’entre elles, l’épouse du Khaznadār, la bienfaisante Lallā Kaltūm, qui, malgré les épreuves du quotidien, parvenait encore à réunir sa coterie. Ce qui, dans une vision générale, ressortait de la fidélité à la maison et au modèle husaynide pouvait aboutir, au sein des demeures, à une série de captations d’hommes et de structures d’État afin de défendre des intérêts particuliers.
107Le cas tardif du Khaznadār, extrême dans sa montée en puissance et l’ampleur de sa disgrâce, se transforma encore à la mort de l’ancien vizir en 1878. Une fois décédé, l’enfant favori d’Aḥmad Bey fut enterré au sein de la turba du mausolée des beys. Sa tombe ne rejoignait certes pas la principale salle des souverains inhumés, mais elle prit place à l’entrée de cette salle, dans une cour attenante, à distance mais jamais trop loin, tandis que d’autres mamelouks, moins en faveur ou plus obscurs, reposaient en d’autres mausolées, en d’autres cimetières. La géographie de ces dernières demeures engageait un nouvel et ultime dialogue dans l’espace tunisois entre les patrons, les serviteurs et la ville après les décès des uns et des autres.
Les dernières demeures
108Les dépouilles de principaux serviteurs pouvaient être ramenées à leurs foyers. Le frère de Muṣṭafā Khaznadār, Aḥmad Amīr Liwā al-Khayyāla, fut convoyé, après un décès en mission, dans sa propriété de La Manouba en 1849263. Farḥāt, tué en 1864, dans un combat avec des révoltés, regagna à La Manouba son « dôme de cuivre » (qubbat al-nuḥās) rebaptisé « dôme du malheur » (qubbatal-naḥs) en cette funeste circonstance264. Le lien au foyer du dignitaire mamelouk l’emportait en un premier temps sur la dépendance au sérail.
109Mais, cette étape passée, la famille husaynide reprenait ses droits et ce qui s’apparentait à des devoirs à l’égard de ses créatures : elle participait aux dépenses de funérailles des gendres et époux de princesses. La maison des mawlā intervenait dans l’inhumation d’autres protégés moins distingués265. Les maîtres accompagnaient surtout leurs plus fidèles et plus notables serviteurs dans les funérailles. Aux dires du consul de France, en 1800, Ḥammūda Bāšā aurait rendu à Muṣṭafā Khūjā « les mêmes honneurs qu’à son père266 ». Aḥmad Bey assista à l’enterrement de Salīm Amīr Alāy au cimetière du Jellaz, et d’importantes obsèques furent organisées pour le chef de troupes, Sulaymān Kāhiya267. Tout comme les mariages, les cérémonies d’inhumation, les tombes créaient une médiation entre le palais et les demeures particulières. Les cortèges funéraires traversaient la ville, ramenaient les uns et les autres parmi les sujets de la cité.
110L’intensité de relations aux princes se traduisait aussi dans la localisation des tombes268. Deux principaux vizirs de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle, Muṣṭafā Khūjā269 et Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, ont édifié leur propre tombeau à Tunis270. Mais, de manière plus fréquente, les plus intimes et les plus distingués des mamelouks trouvaient place dans la turba des Husaynides. La seconde turba de Ḥusayn b. ‘Alī, fondée par son fils ‘Alī Bey au sud de la médina, permit d’élargir la gamme des hommages à mesure que la maison des Husaynides croissait en nombre de membres et en importance souveraine. Dans l’extension de cet ordre familial et de ses bâtiments, les distinctions se complexifiaient : les salles étaient réparties entre « souverains » et « membres de la famille régnante », tandis que les mamelouks étaient généralement relégués dans la cour du tombeau271.
111Comme libérés de leurs liens d’allégeance, la plupart des autres mamelouks de beys se dispersaient parmi les autres sujets tunisois au cimetière du Jellaz ou auprès de saints, dans des zaouïas. Le plus souvent, il n’y avait nulle marque infamante à reposer ici ou là. En 1837, Salīm Amīr Alāy avait été inhumé sur la montagne du Jellaz en présence d’Aḥmad Bey272. Il fut rejoint seize ans plus tard par Ḥasan ‘Āmil Monastir, promu gouverneur de la cité du Sahel par le même souverain273. À La Manouba, la zaouïa Sīdī ‘Abd al-Wahāb était aussi honorée de cette présence princière pour les funérailles de Farḥāt al-Mamlūk en 1864 et celles de Qāra ‘Uṣmān en 1869274. Les deux serviteurs reposaient en ces lieux saints aux côtés de Muḥammad ‘Alī Āġā, mamelouk d’origine génoise disparu au début des années 1860275, et de Yūsuf Amīr ‘Askar, dépendant géorgien décédé fin 1866276. La tombe du wālī Sīdī ‘Abd al-‘Azīz al-Qaršī dans la marsā de Jarrāh fut visitée par la famille beylicale en 1867, lors des obsèques de Muṣṭafā Āġā277.
112Seuls quelques emplacements entérinaient de brutales ruptures avec les beys : la zaouïa de la Sayyida al-Barka dans le faubourg de Bāb al-Jazīra avait abrité les dépouilles du général Rašīd et de Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ la nuit du 14 octobre 1867, après leur exécution sur ordre du bey Muḥammad al-Ṣādiq pour un supposé complot278. Le cimetière attenant à l’hôpital Ṣādiqī aurait accueilli la tombe de Salīm Corso, en rupture de ban avec les Husaynides depuis le début des années 1860279. Dans la déchéance comme dans l’honneur, les beys contrôlaient pour le moins jusqu’à un certain degré les dernières localisations de leurs serviteurs dans la ville : ils les gardaient auprès d’eux ou les rendaient à la ville.
113Dans ce chapitre, à partir du cas mamelouk et a contrario des thèses qui entendent opposer entourage princier et monde urbain, nous avons essayé de démontrer que le sérail et la cité ne se distinguent et ne se confrontent pas en permanence. Le sérail du Bardo, par l’ampleur de sa domesticité, par la primauté de ses maîtres et les rôles déterminants qu’y jouent jawārī et mamelouks, accumulerait toutes les caractéristiques pour se détacher de Tunis. Mais, comme si cette prééminence et la distinction qui en résultait n’étaient pas avouées, hommes et femmes du Bardo ont longtemps démontré leur attachement à des formes d’urbanité, à une courtoisie avec les gens de la ville, à un respect des hiérarchies en vigueur. Le Bardo et, pour le moins, les maisons des dignitaires du makhzen ont échangé des jawārī et des mamelouks. L’ensemble de ces foyers usaient de domesticité à des degrés distincts, mais selon des usages comparables. Des figures de l’administration beylicale du pays ont épousé des femmes de leurs maisons acquises au-dehors ou reçues de leur chef tutélaire. Des chefs de famille makhzen ont offert ou vendu aux beys des serviteurs qui ont par la suite maintenu des contacts avec leurs premiers hôtes dans la province. Échanger des femmes et des hommes entre demeures ne constituait que l’un des modes de participation aux affaires administratives et commerciales.
114Les funérailles de mamelouks, comme les mariages des plus prestigieux d’entre eux, ont par ailleurs constitué des moments d’union de la maison husaynide à la ville. En hommage à leurs plus vénérables serviteurs et selon le degré d’intimité à la dynastie, les souverains se déplaçaient en de multiples lieux de la médina et de ses alentours : dans la turba, au Jellaz et dans les zaouïas. Ils s’exposaient, ainsi que leur suite, dans une ville parcourue et appréhendée en cortège. L’esprit du Bardo se diffusait du palais vers les maisonnées mameloukes, vivant au rythme et au style du sérail. Ces riches foyers pouvaient gratifier leur voisinage des foisonnantes libéralités des beys, de leurs bienveillantes protections.
115À l’instar de la maison Khaznadār, ces puissantes maisonnées pouvaient aussi concevoir un projet familial propre, pour partie dissocié des desseins de la dynastie husaynide et pour partie fondé sur une clientèle constituée de créatures stipendiées et de fidèles en positions moyennes ou notables dans les rouages du beylik. Ces liaisons entre extension de l’autorité beylicale et promotion d’intérêts individuels trouvaient des traductions beaucoup plus abstraites, dans des mutations de l’administration beylicale et dans les cursus des mamelouks, entre charges domestiques des palais et dignités provinciales. Là encore, privatisation et extension de l’autorité du bey ne se contredisaient pas. Là encore, comme entre les parents de la dynastie beylicale, comme entre le sérail et la cité, jusqu’à un certain point, les mamelouks reliaient les deux processus.
Notes de bas de page
1 P. Bourdieu, 2000. P. Pascon, 1984.
2 M. Oualdi, 2007a, 159-176.
3 K. Cuno, 2001, 237 ; J. Hathaway, 1998a, 17.
4 L’adhésion, l’appartenance, l’affiliation, l’apparentement. E. R. Toledano, 1990, 56.
5 R. Abū Al-Haj, 1974 ; L. Peirce, 1993, 7-8, 285 ; E. R. Toledano, 1997, 156 ; J. Hathaway, 1998a, 21, 25, 169.
6 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 55-56 : en 1834, à l’effondrement de la dynastie Qaramanlī, un pacha de Tripoli en appelle aux Husaynides, arguant que, par le passé, la « maison » de ses ancêtres a été établie grâce à celle de Tunis.
7 L. Valensi, 1977, 366 ; A. Hénia, 1992, 219 ; C. Windler, 2002, 246 et 248.
8 I. al-Sa‘dāwī, 1999.
9 Moalla, 2003.
10 Sur un mode toujours éclairant, S. Ferchiou (dir.), 1992. M. F. Al-Mustġānimī (2007, 30-32) souligne, pour sa part, que le terme dār s’appliquait aussi à des institutions de la régence (dār al-Bāšā, dār al-Jund).
11 P. Bourdieu, 2000, 61-82 ; P. Pascon, 1984.
12 M. F. Al-Mustġānimī, 2000, 56, 90.
13 G. Veinstein, 1989, 177-184. Dans le cas de Bagdad, T. Nieuwenhuis (1982, 26-27) s’en tient à une distinction entre les affaires privées du pacha (inner) et l’administration publique (outer).
14 A. Demeerseman, 1996, 43-45.
15 Ant, reg. 11.
16 Ant, reg. 27, 36, 40, 41, 74, 101, 85.
17 Ant, reg. 27.
18 M. F. Al-Mustġānimī, 2007.
19 Ant, reg. 41.
20 Ant, reg. 85.
21 Ant, reg. 246, 247, 251, 260, 270, 273, 277, 300, 308, 335, 344, 358, 384.
22 Ant, reg. 308, 312, 321, 327, 330, 335.
23 Ant, reg. 388, 402, 406, 421 bis, 425 bis, 430/4, 436 bis, 436/4, Bnt, ms. 21811, 21807.
24 Ant, reg. 180, f. 78, août-septembre 1772 (jumādā II 1186).
25 Ant, reg. 427, f. 27, juin-juillet 1824 (qa‘da 1239) : un iḥsān de 800 piastres est versé à des médecins pour la maladie de Ḥusayn Bāš-Mamlūk.
26 Ant, reg. 49, f. 1, 1746-1747 (1159), 2 piastres remises au ḥajjām des mamelouks.
27 Ant, reg. 180, f. 27, juin-juillet 1772 (rabī‘ I 1186), un ḥajjām reçoit une piastre pour avoir circoncis Yūsuf le Maltais.
28 A. Moalla, 2003, 83 ; A. Raymond, 1994, vol. ii, 11, 84 ; J.-M. Venture de Paradis, 1983, 92.
29 Ant, reg. 143, f. 71, ‘īd al-iḍhā ou ‘īd al-kabīr 1178 ; reg. 239, f. 83, 28 août 1785 (22 šawwāl 1199).
30 Ant, reg. 243, f. 25, 19 janvier 1786 (18 rabī‘ I 1200) ; reg. 251, f. 36, 21 janvier 1789 (23 rabī‘ II 1203), et f. 116, 12 septembre 1789 (21 ḥijja 1203) ; reg. 270, f. 131, 1er août 1793 (23 ḥijja 1207) ; reg. 425 bis, f. 78, 8 juin 1822 (18 ramaḍān 1237).
31 Ant, reg. 3638, f. 6-9, 1804-1809 (1229-1224) ; plus tard, reg. 3712, f. 5-8, 1882-1883.
32 Ch. Monchicourt, 1929, 134.
33 Entre autres, Ant, reg. 101, f. 131-132, 1757-1758 (1171).
34 Ant, reg. 35, f. 120, 1739-1740 (1152).
35 A. Abdesselem et H. Haddad, 1979, 165, missive de Khayr al-Dīn au bey le 1er novembre 1876 (13 šawwāl 1293), pour l’informer que Sī Murād fut incarcéré dans la bayt-al-ḥānba ; le bey attire l’attention de son interlocuteur sur le fait que les mamelouks sont le plus souvent détenus dans la bayt de l’uḍā-bāšī des mamelouks.
36 Ant, C. 74, d. 873, arch. 17 : Muḥammad al-Ṣādiq Bey à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 24 novembre 1856 (26 rabī‘ I 1273).
37 Mae, CCC, Tunis, vol. 41, « Précis de l’événement qui au lieu au Bardo dans la nuit du 30 au 31 du mois de décembre 1814 », f. 398.
38 L. Arnaud, 1941.
39 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 90.
40 Pro, FO 77/3, f. 223, Perkins Magra à Henry Dundas, 16 février 1792.
41 J.-Cl. Winckler, 1967, 5.
42 Ant, reg. 3066, f. 21 : les pages précédentes dans ce registre sont datées de l’année 1845-1846 (1262) (f. 9) et les suivantes (f. 27) de l’année 1845 (1261).
43 E. Plantet, 1899, t. iii, 58 : Mustapha Khodja au comte de Sartine, 12 décembre 1776.
44 H. Ben Othman, 1911, 7.
45 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 144.
46 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 151.
47 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 117.
48 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 15 (murabiy-hi) ; vol. vii, 38 (kafala tarbīyati-hi).
49 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 141.
50 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 244. Référence à la traduction par M. A. Ben Achour, 1994a, 72.
51 Anf, AE B I 1146, Tunis, vol. 23, de Saizieu, 1er décembre 1775, f. 154 v-155 r.
52 Ant, SH, C. 74, d. 871, arch. 1, attribution du nīšān al-iftikhār, 6 juin 1855 (20 ramaḍān 1271) ; arch. 2, chargé de la gestion de Djerba, 26 juillet 1855 (11 qa‘da 1271) ; arch. 3, attribution du nīšān al-akbār, 12 février 1856 (5 jumādā II 1272) ; arch. 4, nommé amīr al-umarā’, 18 novembre 1856 (20 rabī‘ I 1273) ; arch. 5, chargé de la gestion de la Rābiṭa. Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 151-152.
53 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 33.
54 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 39.
55 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 117-118.
56 Mae, CP, Tunis, vol. 19, Roches, 4 octobre 1859, f. 45 v.-46 v.
57 Ant, SH, C. 74, d. 872, arch. 2 : Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ à Muḥammad al-Ṣādiq, 30 août 1856 (28 ḥijja 1272) ; arch. 6, 21 mars 1857 (25 rajab 1273) ; C. 1, d. 14, arch. 43, Muḥammad al-Ṣādiq à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 6 mai 1856 (1er ramaḍān 1272).
58 Ant, SH, C. 74, d. 873, arch. 4, Muḥammad al-Ṣādiq à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 1er mai 1856 (25 ša‘bān 1272).
59 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 36-37.
60 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 71 : « Nous doutons de celui que tu as envoyé. »
61 M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 57.
62 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 137, 139.
63 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 179.
64 A. Demeerseman, 1996, 49 : l’auteur évoque une pratique d’adoption courante à l’époque, mais il ne cite que quelques cas dans Ḍiyāf, ii, 98, 105, 206, iii, 94, 158, 159 ; viii, 27, 124 ; viii, 74 (mamelouk d’origine grecque d’Aḥmad Bey), viii, 72 (mamelouk d’origine géorgienne de ‘Alī al-Jazīrī).
65 Abdesselem, 1973, 301.
66 Bnt, ms. 18618, M. b. Salāma, f. 75 v.
67 A. Gallico, 1992, 223.
68 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 91.
69 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 91 : lā aqrab min al-walad li-walidi-hi.
70 Anf, AE B I 1150, Tunis 1780-juin 1783, vol. 27, du Rocher, 30 décembre 1782.
71 Anf, AE B I 1149, Tunis 1778-1779, vol. 26, Devoize, 8 juin 1779.
72 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 20.
73 A. Demeerseman, 1972, 239.
74 Ibn Khaldūn, rééd. 2002, 382.
75 Ibn Khaldūn, rééd. 2002, 458-459 et 385.
76 Cl. Meillassoux, 1986, 14-15.
77 L. Peirce, 1993, Ix, 8-10, 276.
78 A. Grosrichard, 1979, 207-208 : « En les mariant à des pachas ou autres grands, [le despote] tient ceux-ci à sa merci, parce qu’elles les dévirilisent quasi complètement : il suffit de lire les récits du mariage et de la nuit de noces d’une sultane pour en être convaincu. » L. Peirce (1993, 11) développe des idées comparables en se fondant sur des indices moins évasifs : Even men in the palace who were fully adult under Islamic law –the most advanced pages in training and some princes in the dynasty- were kept in a state symbolic of adolescent dependence, for they were forbidden to grow beards or to father children.
79 F. Al-Mustġānimī (2007, 286) rappelle que dans le cas de Sulaymān Kāhiya Dār al-Bāšā, gendre de Ḥusayn b. ‘Alī, on ne sait si l’alliance a permis la promotion ou si la promotion a facilité l’alliance.
80 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 136.
81 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 177, novembre-décembre 1821 (rabī‘ I 1237).
82 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 10-11, 15 octobre 1826 (13 rabī‘ I 1242).
83 Mae, CP, Tunis, vol. 14, Bédard, Tunis, 7 octobre 1754, f. 277 r-v.
84 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 45.
85 J. Dakhlia, 2000, 40.
86 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 38 : ‘Alī Bey vit en Muṣṭafā Khūjā « l’excellence, la loyauté, la dignité. Il le prit en faveur comme confident, le plaça à la fonction de khaznadār et le maria (zawwajahu) à sa fille ». Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 55 : Muṣṭafā Bey se fia à Ramaḍān Bāš-Mamlūk pour veiller sur son fils dans son enfance et l’unit (ṣāhara-hu) à sa fille. Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 151 : Muḥammad Bey maria Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘ « à sa sœur et l’installa dans sa propre maison ».
87 N. Sebai, 1995, 28 : Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ aurait eu quarante-cinq ans pour ses premières noces « avec la princesse aînée, fille de Mustapha Bey son maître ».
88 L. Blili, 2004, 163.
89 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 135.
90 A. Abdesselem et H. Hassine, 1979, 38 : lettre 97, Khayr al-Dīn au bey, 8 novembre 1875 (9 šawwāl 1292).
91 J. Dakhlia, 2005a, 200.
92 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 127-128 ; Mae, CCC, Tunis, vol. 41, Astoin-Sielve au Cte de Jaucourt, 23 décembre 1814, f. 397 v.
93 Mae, CCC, Tunis, vol. 2, 9 janvier 1834, f. 8.
94 Mae, CP, Tunis, vol. 2, 9 janvier 1834, f. 8.
95 K. Cuno, 2001, 256 : Including a grant of endowed land in the package.
96 H. Ben Othman, 1911, 3.
97 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 136 ; Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 22.
98 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 151.
99 L. Blili, 2004, 265.
100 Meillassoux, 1986, 172.
101 L. Blili, 2004, 269.
102 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 13 : ‘Alī Bey l’épouse à Alger. Il la fait rechercher une fois l’autorité de sa famille à nouveau consolidée à Tunis.
103 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 119 et 135.
104 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 47 : parmi les captifs, elle était venue à Tunis, petite, « sur les genoux de sa mère ».
105 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 181-183 : fille de l’odalisque Maḥbūba, elle était aussi sœur de lait du vizir al-‘Arbī Zarrūq. L. Blili (2004, 87) note que, par ce mariage agnatique, les deux princes ont représenté une « forme de légitimité nouvelle » et jusqu’à la fin de la dynastie, « il n’y aura plus de beys du trône se prévalant d’une telle ascendance ».
106 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 207 ; Ḍiyāf, 1989, vol. v, 11. L. Blili, 2004, 236, 272 : son mariage avec Ḥusayn est qualifié d’« heureux ».
107 Dans son article sur la « Circulation des biens et liens de parenté à Tunis (xviie-début xxe siècle) », A. Hénia (1992, 217) met en rapport dans les stratégies des familles tunisoises, d’une part, la volonté de « réduire au minimum le transfert des biens patrimoniaux qu’engendre le mariage de la fille et de la sœur », et de l’autre, celle d’« augmenter autant que possible le patrimoine familial en épousant une fille riche ». Selon ses calculs, « l’exogamie assortie d’une idéologie de parenté un peu plus contraignante et de quelques pratiques […] permet d’atteindre, dans le domaine de la sauvegarde du patrimoine familial, des résultats paradoxalement bien meilleurs que ceux réalisés par l’endogamie patrilinéaire ».
108 L. Peirce, 1993, 277.
109 Samaran, 2003, 50.
110 L. Blili, 2004, 278.
111 Ant, reg. 2, f. 115, 10 novembre 1703 (ġurra - premier ou début du mois de rajab 1115).
112 Ant, reg. 491, f. 120-121, juillet-août 1855 (qa‘da 1271). Muḥammad Bey se verse 500 piastres entre ses trois maisons, autant pour celle de son défunt frère le mūšīr ou maréchal Aḥmad Bey, 200 pour chacune des maisons des grands mamelouks et beaux-frères.
113 Ant, reg. 74, f. 138, octobre-novembre 1753 (muḥarram 1167).
114 Bnt, ms. 3999, f. 1, 1827-1828 (1243) ; reg. 552, f. 1-8, 1859-1861 (1276-1277).
115 Ant, reg. 123, f. 23, Nicolas est échangé fin 1792-début 1793 : un Nicolas Kūmānjī pour Ḥammūda Bāšā échangé par la suite et une Maria appelée à se convertir auprès de la sœur du souverain.
116 Ant, reg. 270, f. 97, avril-mai 1793 (ramaḍān 1207).
117 Ant, reg. 552, f. 4 : 4 qafza de blé, 4 amṭār d’huile, 4 qulāl de beurre fondu, 20 rṭāl de miel, ¼ de qafīz de sel, 66 rṭāl d’huile, 15 qanatār de bois. En se référant à l’article de S. Boubaker sur « Les poids et mesures dans la régence de Tunis au xviie siècle : le riṭl, le qafiz de blé et le mṭar d’huile » (Turcica, tome XVI, 1984, 159, 167), le riṭl de Tunis « pèse 0,500 kg », le quntar ou quintal 50 kg, l’uqia (l’once), 31,25 g ; en 1859, un mṭar de Tunis équivaut à 19,04 litres ou 17,4 kg ; enfin, un qafiz en 1837 varie entre 400 et 410 kg, l’auteur l’établissant à 406,5 kg. Dans son dictionnaire, Marcelin Beaussier (1958, 401 et 821) distingue dans les riṭl, un riṭl pour le savon, le beurre, l’huile et les fruits secs à 0,819 kg, et établit le qulal ou la jarre sans en donner de valeur si ce n’est pour Alger (16 litres 66), Médéa et le Maroc.
118 Ant, reg. 552, f. 7 : un qafīz de blé, deux amṭār d’huile, 20 arṭāl de savon.
119 Ant, reg. 552, f. 3-7, 1859-1861 (1276-1277).
120 Selon K. Cuno (2001, 255-256), le sens de l’endogamie se serait transformé : It had been a means of legitimating succession, incorporating non-kin, and building alliances, it seems to have become to a much greater extent a means by which a male lineage avoided the fragmentation and loss of property and stipends through inheritance and exogamous marriage by women. Et de fait, this would certainly imply a loss of autonomy and status for women.
121 A. L. Al-Sayyd Marsot, 1995, 68, 65, 135.
122 Anf, AE B I 1150, Tunis, vol. 27, du Rocher au Mis de Castries, 13 février 1781.
123 Anf, AE B1 1149, Tunis, vol. 26, du Rocher, 24 septembre 1779.
124 Anf, AE B I 1151, Tunis, vol. 28, d’Esparron, 5 juin 1784.
125 Anf, AE B I 1152, Tunis, vol. 29, d’Esparron, 13 juin 1786 : « Le mariage de Sidi Mustapha Coggia avec la sœur du Bey, qu’il avait éludé jusque-là, vient en fin de se conclure. Ce ministre n’a pu se refuser à la proposition qui lui en a faite son maître. »
126 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 39.
127 Ant, SH, C. 74, d. 873, arch. 41, Muḥammad al-Ṣādiq à Ismā‘īl Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 5 juin 1859 (4 al-qa‘da 1275).
128 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 93-96.
129 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 90, 98.
130 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 174. Ḍiyāf ; 2005, 110-111 : lettre 19, 19 mars 1853 (8 jumādā II 1269).
131 L. Blili, 2004, 37, 190, 356, 405.
132 A. L. Al-Sayyd Marsot, 1995, 47-48.
133 M. A. Ben Achour, 1989, 125, 143-144.
134 M. A. Ben Achour, 1989, 226 ; M. A. Ben Achour, 1992b, 106.
135 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 100 ; L. Valensi et M. Ben Smaïl, 1971, 93.
136 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 11-12.
137 L. Blili (2004, 239) resitue Fāṭima Mistīrī, dite aussi ‘Utmāna, dans un nœud de parenté. Avant d’épouser le bey Husayn, elle s’unit à Muḥammad Gāyjī, dont elle eut un fils (‘Allāla), puis à ‘Alī b. al-Yuldāšī al-Ḥānafī.
138 Pro, FO 102-29, James Richardson, An Account of the Present State of Tunis, f. 28 v.
139 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 188 : il faut noter que, pour les Bédouins (akābir al-‘urbān), c’est le terme buyūt qui est employé alors que précédemment étaient évoquées des diyār.
140 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 119, 121.
141 R. Burgard, 1932, 225 ; H. von Pückler-Muskau, 1837, 279.
142 S. Boubaker, 2003, 39.
143 M. Winter, 1992, 69 : en 1736, une proclamation empêche civils, Maghrébins, bureaucrates et marchands d’acheter des mamelouks blancs et des filles esclaves ; ceux qui en posséderaient doivent les vendre.
144 Ant, reg. 50, f. 98, juin-juillet 1748 (rajab 1161), pour la modique somme de 27 réaux.
145 P. Grandchamp, 1917, 3.
146 M. A. Ben Achour, 1989, 72-73.
147 I. Sa‘dāwī, 1999, 1007.
148 M. Jrad, 2004, 67-68 ; S. Boubaker, 2003, 57.
149 L. Blili, 2004, 263.
150 A. Abdesselem, 1973, 308-309 : né en 1810-1811 (1225) et mort en septembre-octobre 1880 (šawwāl 1297), fils d’un secrétaire de l’administration beylicale, il est nommé secrétaire principal de la bayt al-khaznadār à partir de 1834.
151 Al-Bājī al-Mas‘ūdī, 1905, 143.
152 Ant, SH, C. 3, d. 42, arch. 202, lettre de Ṣālih b. Ṣālih à Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 1249, autour de rajab, fin 1833.
153 A. L. Al-Sayyd Marsot, 1995, 45.
154 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 47 : farraqa min-hum al-bāy jam‘ān ‘alā rijāl dawlati-hi.
155 L. Blili, 1986, 117. La cinquième est évoquée d’après un arbre généalogique par A. Jdey, 1996, 56.
156 Ant, reg. 101, 1758-1759 (1172), f. 132, Sulaymān et Yūsuf al-Ṭabarqī.
157 Ant, reg. 85, f. 126, mars 1767 (šawwāl 1180).
158 Al-Saġīr b. Yūsuf, 1978, 400.
159 Bnt, ms. 3999, f. 8, juin-juillet 1837 (ṣafar 1247).
160 Ant, reg. 403, f. 29, octobre-novembre 1816 (ḥijja 1231).
161 A. Demeerseman, 1996, 42 (viii, 183) ; Ant, SH, C. 9 d. 93, arch. 47, note biographique de la direction des archives générales du secrétariat d’État, datée du 5 mars 1924 (28 rajab 1342) et du 21 février 1925.
162 Ant, reg. 139, f. 5, juin-juillet 1765 (muḥarram 1179).
163 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 89-90 ; A. Demeerseman, 1996, 43, 17 ; S. Zemerli, 1979, 17-19.
164 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 98.
165 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 117.
166 Mae, Tunis, Bey et cour beylicale, liasse 35, correspondance départ avec le Bardo et traductions des lettres du bey (1811-1849) ; cahiers d’enregistrement et lettres reçues au Bardo (1848-1849), Sulaymān al-Jazīrī, 12 septembre 1834 (3 jumādā I 1250, en fait le 8). Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 72 : « Il l’adopta [tabannā-hu] car il n’avait pas de garçon. » Sur sa carrière militaire, voir M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 342.
167 J. Ganiage, 1959, 83.
168 Ant, SH, C. 75, d. 879, arch. 15, lettre d’Aḥmad Bey au qāym maqām Ṣālih, 21 jumādā I 1265 – 28 mai 1245 (14 avril 1849 selon une autre concordance) : « Al-Lwīskabū [Louis Capo] qui est à Tunis est un notable de Rome qui veut visiter le Waṭan [certainement le cap Bon ou plus largement le pays de Tunis]. Nous lui avons donné un carrosse dans lequel il se rendra et nous avons nommé avec lui notre fils Sulaymân al-Jallūli uḍā-bāšī des mamelouks. S’il passe par votre domaine, allez à sa rencontre, faites-le venir chez vous pour qu’il prenne le café. Prenez-le en considération […]. »
169 A. Raymond, 1995, 62.
170 M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 517, 527-528.
171 M. Jrad, 2004, 74.
172 A. Demeerseman, 1972, 247.
173 Ant, SH, C. 3 d. 42, arch. 172 : qiraḍ en 1824 avec un capital de 10 000 piastres. S. Boubaker, 2003, 50 : « Une personne disposant d’un capital, modeste ou important, le confie à une autre personne (ou le place) pour le faire travailler pendant un temps convenu. L’accord peut être scellé oralement devant témoins ou par un contrat écrit. À la fin de la transaction, le capital est remboursé. En premier lieu, les frais sont défalqués des bénéfices. Le reste est partagé, par moitié, entre les deux parties, sauf si l’accord stipule d’autres dispositions. »
174 Ant, SH, C. 3, d. 42, arch. 130, 131, 132 : Ṣālih b. Ṣālih, 12 mars 1833 (20 šawwāl 1248) ; arch. 136, 16 avril 1833 (26 qa‘da 1248) ; arch. 198, 27-26 novembre 1833 (14 rajab 1249). Sur ce rôle à Djerba, voir aussi Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 76.
175 Ant, SH, C. 3, d. 42, arch. 216, Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ à Muḥammad Khaznadār, sans date.
176 Ant, SH, C. 3, d. 42, arch. 130, Ṣālih b. Ṣālih, 12 mars 1833 (20 šawwāl 1248).
177 I. Sa‘dawī, 1999, 422, 436-437.
178 Ant, SH, C. 3, d. 42, arch. 162-163, décembre 1827-janvier 1828 (jumādā II 1243).
179 I. Sa‘dawī, 1999,1050-1053.
180 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 29-30.
181 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 88.
182 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 33.
183 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 91.
184 Mae, CP, Tunis, vol. 7, Lagau, 18 mars 1843, f. 37 v.
185 M. F. Al-Mustġānimī, 2000, 56, 90.
186 A. Hénia, 1997, 95.
187 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 113 ; Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 140 ; Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 129.
188 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 122.
189 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 40. Ch. Monchicourt, 1929, 166 : « Soliman Kaja conserva son grade de premier Visir mais il se tient éloigné des affaires dans lesquelles il est rare qu’il exerce encore la moindre influence. […] il fut renégat dans son bas âge et paraît maintenant assez dégoûté de la Cour dont il plaint les excès et s’en tient aussi écarté que sa position lui permet. »
190 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 147 ; M. A. Ben Achour, 1989, 177.
191 M. A. Ben Achour, 1989, 177.
192 P. Grandchamp, 1936, 470.
193 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 113 et 140.
194 J. Revault, 1983, 99.
195 M. A. Ben Achour, 1989, 127.
196 M. Beaussier, 1931, 328 : « Vestibule ouvert donnant sur la rue, la porte de la maison se trouve au fond. »
197 M. Beaussier, 1931, 674 : « Élévation, hauteur », « Exhaussement, étage supérieur, pièce au dessus des magasins ».
198 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 89.
199 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 144-145.
200 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 158.
201 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 165.
202 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 85.
203 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 197.
204 M. A. Ben Achour, 1989, 42, 127.
205 J.-Cl. Winckler, 1967, 233.
206 P. Daumas, 1857, 128.
207 J. Revault, 1974, 287.
208 J. Revault, 1974, 106, note 5 : correspondance de Ḍiyāf à Khayr-al-Dīn, Tunis, 1969, 69, Muḥammad Bey « a donné un terrain à l’endroit le plus beau et le mieux situé, près de la Petite Abdalliya, au général de division […] Sidi Mhamed, en lui prescrivant d’y élever un borj au milieu d’un jardin […]et il lui a facilité cette construction par une aide digne de la générosité du donateur et du rang du bénéficiaire » (trad. Aḥmad al-Jallūlī).
209 J. Revault, 1974, 390.
210 J. Revault, 1983, 57.
211 J. Revault, 1983, 445.
212 Ḍiyāf, 2005, 71, lettre 10 : 5 octobre 1852 (20 ḥijja 1268).
213 J. Revault, 1983, 57.
214 J. Revault, 1983, 384.
215 J. Revault, 1983, 335.
216 J. Revault, 1983, 229-232.
217 L. C. Brown, 1974, 317-318.
218 J. Revault, 1983, 99.
219 P. Grandchamp, 1936, 469.
220 Ant, C. 6 d. 73, 94 archives.
221 Salīm, rā’is al-ḍabṭiyya.
222 T. Mitchell, 1988, 13-14, 26-27.
223 Ant, C. 6, d. 73, arch. 18, 31 décembre 1873 (11 qa‘da 1290).
224 Ant, C. 6, d. 73, arch. 29, 4 janvier 1874 (15 qa‘da 1290).
225 Ant, C. 6, d. 73, arch. 28, 3 janvier 1874 (14 qa‘da 1290).
226 Ant, C. 6, d. 73, arch. 28, 3 janvier 1874 (14 qa‘da 1290).
227 Ant, C. 6, d. 73, arch. 25, 2 janvier 1874 (13 qa‘da 1290).
228 Ant, C. 6, d. 73, arch. 10, 30 décembre 1873 (10 qa‘da 1290).
229 Ant, C. 6, d. 73, arch. 5, 16 décembre 1873 (25 šawwāl 1290).
230 Ant, C. 6, d. 73, arch. 19, 1er janvier 1874 (12 qa‘da 1290).
231 Ant, C. 6, d. 73, arch. 10, 30 décembre 1873 (10 qa‘da 1290).
232 Ant, C. 6, d. 73, arch. 82, 3 novembre 1874 (23 ramaḍān 1291).
233 Ant, C. 6, d. 73, arch.4, 11 décembre 1873 (20 šawwāl 1290).
234 Ant, C. 6, d. 73, arch. 90, 29 mars 1875 (21 ṣafar 1292).
235 Ant, C. 6, d. 75, arch. 19-20.
236 Ant, C. 6, d. 73, arch. 18, 31 décembre 1873 (11 qa‘da 1290).
237 Ant, C. 6, d. 73, arch. 80, 28 septembre 1874 (16 ša‘bān 1291).
238 Ant, C. 6, d. 73, arch. 3, 10 décembre 1873 (19 šawwāl 1290).
239 Ant, C. 6, d. 73, arch. 6, 29 décembre 1873 (9 qa‘da 1290).
240 Ant, C. 6, d. 73, arch. 86, 18 janvier 1875 (10 ḥijja 1291).
241 Ant, C. 6, d. 73, arch. 17, 31 décembre 1873 (11 qa‘da 1290).
242 Ant, C. 6, d. 73, arch. 82, 3 novembre 1874 (23 ramaḍān 1291).
243 Ant, C. 6, d. 73, arch. 85, 4 décembre 1875 (6 qa‘da 1292) ; arch. 93, début avril 1875.
244 Ant, C. 6, d. 73, arch. 28, 3 janvier 1874 (14 qa‘da 1290).
245 Ant, C. 6, d. 73, arch. 22, 2 janvier 1874 (13 qa‘da 1290).
246 Ant, C. 6, d. 75, arch. 15, Muṣṭafā Khaznadār à ‘Alī Bey, 10 janvier 1874 (21 qa‘da 1290).
247 Mae, CP, Tunis, vol. 27, Duchesne de Bellecourt, 8 juin 1866, f. 110 v.
248 Ant, C. 6, d. 73, arch. 3, 10 décembre 1873 (19 šawwāl 1290).
249 Ant, C. 6, d. 73, arch. 9, 30 décembre 1873 (10 qa‘da 1290).
250 Ant, C. 6, d. 73, arch. 19, 1er janvier 1874 (12 qa‘da 1290).
251 Ant, C. 6, d. 73, arch. 17, 31 décembre 1873 (11 qa‘da 1290).
252 Ant, C. 6, d. 73, arch. 7, 29 décembre 1873 (9 qa‘da 1290).
253 Ant, C. 6, d. 73, arch. 25, 26, 27 des 2-3 janvier 1874 (13 et 14 qa‘da 1290) ; arch. 69, 22 avril 1874 (5 rabī‘ I 1291).
254 A. Témimi, 2006, 115.
255 Ant, C. 6, d. 73, arch. 17, 31 décembre 1873 (11 qa‘da 1290).
256 Ant, C. 6, d. 73, arch. 69, 22 avril 1874 (5 rabī‘ I 1291).
257 Ant, C. 6, d. 73, arch. 20, 1er janvier 1874 (12 qa‘da 1290).
258 Ant, C. 6, d. 73, arch. 71, 8 juin 1874 (22 rabī‘ II 1291).
259 Ant, C. 6, d. 73, arch. 72, 27 juillet 1874 (12 jumadā II 1291) ; arch. 89, 27 mars 1875 (19 ṣafar 1292).
260 Ant, C. 6, d. 73, arch. 21, 1er janvier 1874 (12 qa‘da 1290).
261 Ant, C. 6, d. 73, arch. 80, 28 septembre 1874 (16 ša‘bān 1291).
262 Ant, C. 6, d. 73, arch. 79, 19 septembre 1874 (7 ša‘bān 1291).
263 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 76.
264 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 134.
265 Ant, reg. 175, f. 264 : en 1771, le trésor beylical, la bayt al-khaznadār, réglait un linceul pour la fille de Muḥammad al-Mamlūk et un second pour l’épouse d’un autre dépendant.
266 Mae, CCC, Tunis, vol. 36, Devoize à Talleyrand, 7 décembre 1800, 16 frimaire an Ix, f. 375.
267 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 32 ; Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 26, 3 décembre 1838 (15 ramaḍān 1254 dans l’édition de la chronique).
268 O. Bouquet, 2007, 435 : « S’il a ses hommes sous la main, le souverain garde leurs dépouilles, au plus près de celles de ses ancêtres et de la sienne à venir ; la capitale du corps politique (corps du sultan, corps de l’État) tire aussi sa force symbolique comme nécropole des “piliers du pouvoir”, sans lesquels ce corps n’existerait pas. »
269 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 39 ; al-Bājī al-Mas‘ūdī, 1905, 7 : près de la turba Sīdī al-Khadār, Sīdī Sa‘īd, Sīdī Šarīf Balhūma.
270 Ahmad Sadaoui, 2001, 225 : Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ a adossé son tombeau à une fondation religieuse, « au bord de la cour antérieure » de la mosquée édifiée à Halfaouine. Il s’y est entouré de proches d’horizons variés. Un « dévot de son entourage », le wālī Sīdī ‘Utmān b. Karam, fut inhumé en 1810 avant même que les travaux du complexe architectural ne soient achevés. Le pieux personnage fut placé au centre de la seconde rangée qui accueillait Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ et deux autres mamelouks : un intime de ‘Alī Bey, Sulaymān Kāhiya, mort en 1807, et peut-être Salīm Khūjā, proche du vizir décédé en 1819, auquel il faut ajouter, de façon plus certaine, son fils, Muḥammad b. Salīm Khūjā, disparu cinq ans plutôt.
271 Saadaoui, 2001, 281.
272 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 32.
273 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 88-89.
274 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 174 ; Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 134.
275 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 122.
276 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 145.
277 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 147.
278 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 153-154.
279 P. Grandchamp, 1936, 468.
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