Chapitre 1. « je suis votre mamelouk »
p. 23-61
Texte intégral
1Le 5 juillet 1832, Muḥammad Khaznadār envoie une courte missive à son protecteur, le vizir Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Réprimandé pour avoir fait venir sa mère de l’île grecque de Chios à Tunis sans prendre avis auprès son maître, le jeune serviteur affiche sa dépendance : « Je suis votre mamelouk […]. Je n’ai ni mère ni père. Vous êtes ma mère, vous êtes mon père. Je n’ai que votre Excellence1. » Déclaration de fidélité d’une modeste créature à un patron qui a su atteindre le sommet des dignités, ces quelques lignes révèlent une manière de se dire mamelouk par un don de soi et un dépouillement proclamé de ses anciens liens. Cette condition humaine, l’historien Leon Carl Brown la condense en une définition aussi lapidaire qu’efficace dans son étude sur la Tunisie d’Aḥmad Bey : « Les mamelouks sont de jeunes gens d’origine non musulmane, achetés ou pris en esclavage, devenant la propriété personnelle du bey, un membre de la famille beylicale ou un ministre important2. » Par une accumulation de critères, l’historien emprunte les mots de ses contemporains afin de restituer un corps disparu.
2Entre cette définition tranchée de l’analyste et les perceptions que les mamelouks eurent de leur condition, comment identifier ce corps au service des beys ? Une des premières difficultés d’interprétation réside dans l’emploi des termes « esclave », « esclavage » comme synonymes de mamelouk ou mameloukat3. Leon Carl Brown est loin d’être le seul à avoir eu recours à ces termes4. Sur les pas de David Ayalon qui mena des études pionnières sur le phénomène mamelouk, c’est quasiment devenu un passage obligé sans que ce glissement lexical suscite de réelles interrogations5. Il en allait tout autrement pour le « cousin germain » du mamelouk, le kul des domaines turcophones. Dans ce cas dérivé, le débat fut nourri. Lorsque des historiens devinaient en cette figure les traits de l’esclave, d’autres préféraient y voir les contours moins péjoratifs du serviteur, et certains enfin, optant pour le compromis, défendaient l’idée d’une longue transition du premier au second profil6.
3Variables, fondées sur tel ou tel critère (la parenté et son absence ou le degré d’autonomie), les définitions de l’esclave peuvent constamment être démenties par de lourdes exceptions. Concevoir l’esclave selon les prismes classiques légués par les cités grecques, en une nette opposition avec l’homme libre, nous éloigne de termes moins catégoriques, de degrés variables de dépendance7. Poser l’esclave en être privé de parenté8 aboutit à limiter notre perception de ces liens, à exclure des dimensions qui nous paraîtraient aujourd’hui insoupçonnées : la tentation est alors grande de sous-estimer à la fois les facultés à renouer des relations avec les milieux d’origine et les capacités à adopter et fonder des familles dans les sociétés d’accueil. Sans aller jusqu’à s’emporter contre une « notion couverture » qui révélerait « une fois de plus l’impérialisme scientifique occidental9 », nous en userons avec prudence et parcimonie, comme un biais parmi d’autres pour approcher les mamelouks, pour les comparer à d’autres catégories de serviteurs.
4Car plus qu’un objet de polémique sur l’usage des mots, ce groupe a ceci d’intéressant qu’il apparaît et réapparaît sur un temps long, en des espaces différents, tout en étant redéfini de l’intérieur par les mamelouks eux-mêmes lorsqu’ils accèdent au service des beys. Certes, des traits (les constances de l’extranéité, de la conversion, du renouvellement générationnel) rapprochent, par-delà les périodes et les domaines, mamelouks des califes de Bagdad, du sultanat du Caire, kul d’Istanbul, serviteurs de gouverneurs provinciaux aux xviiie et xixe siècles. Mais il serait excessif d’y voir une identité mamelouke singulière, stable, donnée une fois pour toutes. Ces groupes ne s’affranchissent pas de leurs environnements respectifs : leur plaquer des critères de définition atemporelle10, les rechercher à l’identique en tous lieux, c’est courir le risque de les réifier. Partant d’un point de vue large, de cette société du beylik de Tunis avant de prendre quartier au sérail du Bardo, il s’agira donc d’identifier ce que sont les mamelouks des beys sans les enfermer dans une définition rigide.
À LA RECHERCHE D’UN CORPS
Polyvalence d’un terme
5Le terme de mamelouk est loin d’être univoque dans le beylik de Tunis entre le xviie et le xixe siècle. Le qualificatif était à la fois accolé à des groupes d’hommes différents et revendiqué par des personnages singuliers. L’un des usages marquants dans nos lectures remonte à la fin du xviiie siècle, dans un registre beylical où se succèdent, au fil de longues pages, les listes nominatives de chrétiens débarqués à Tunis après une série de razzias sur les rives nord de la Méditerranée. Napolitains, Vénitiens, Calabrais, Génois, Sardes, Siciliens, Maltais rachetés entre 1786 et 1797, libérés ou placés au service du sérail sont présentés de manière générique comme des chrétiens mamelouks11. L’expression n’est pas seulement à usage administratif. Le chroniqueur d’origine andalouse Muḥammad al-Wazīr al-Sarrāj l’emploie pour évoquer un groupe de serviteurs appelés par leur maître à détruire une mosquée (masjid), à la fin du xviie siècle12. Dans ces cas, la conversion à l’islam ne fait pas le mamelouk, ce n’est pas une condition incontournable pour être désigné et perçu de la sorte. C’est le passage par la captivité, la dépendance maintenue à un maître qui sous-tendent ici l’emploi du terme.
6De surcroît, le terme n’est pas accolé aux seuls hommes issus des rives nord de la Méditerranée, aux seuls Blancs. Il désigne parfois des Noirs, même si d’autres vocables tels ceux de ‘abd/‘abīd, khādim-khuddām sont souvent préférés13. C’est dans la chronique d’Ibn Abī al-Ḍiyāf que les désignations ont été relevées. En 1836-1837 (1252) tout noir de peau à Tunis et ses environs, qu’il soit affranchi (ma‘tūq) ou mamelouk, est amené de force dans une caserne de la ville afin de former une troupe14. Une décennie plus tard, au début de l’année 1846, un décret du bey proclame l’affranchissement des mamelouks noirs (‘itq mamālīk al-sudān)15. L’époque est aux réformes : dans les deux épisodes, la nature du lien de dépendance doit l’emporter sur l’origine ; l’affranchi est à distinguer du mamelouk.
7Preuve des potentialités de ce terme à dépasser la couleur de peau, les confessions religieuses, les positions sociales, preuve encore de sa capacité à dire avant tout une relation dissymétrique subie ou choisie : tout un chacun peut s’y référer afin d’affirmer son dévouement à un plus puissant, sa modestie face au Tout-Puissant. Ainsi du šaykh ‘Ašūr, sous le règne de Ḥusayn b. ‘Alī, durant les trois premières décennies du xviiie siècle :
« Le cheikh Achour, regardant autour de lui dans la chambre où se trouvaient réunis les jeunes mamelouks de service, demanda : “Qui est celui-là ?” en désignant un d’entre eux. Le bey lui dit : “C’est votre mamelouk” ; à quoi le cheikh répondit : “Je n’ai pas de mamelouk, parce que j’en suis un moi-même.”16 »
8Le šaykh ‘Ašūr ne prétend pas égaler le prince, il ne saurait dominer, il tient à sa position d’humble serviteur de Dieu. Extensible, polysémique, le qualificatif de mamelouk peut aussi et surtout être contourné.
Un terme contourné
Turcs et renégats d’Occident
9Le terme de mamelouk est tout d’abord peu employé dans les écrits européens sur la régence de Tunis jusqu’à la seconde moitié du xviiie siècle. Dans ces écrits, ce sont les mots de « Turc » et de « renégat » qui désignent le plus souvent les éléments de ce corps au service des beys. Les exemples d’indistinction abondent entre ces deux derniers termes. Dans les actes de chancellerie de France des années 1620, à Tunis, Mūrad Bey Corso, modèle du captif converti, est autant identifié à un Turc de Tunis qu’à un renégat17. Au terme d’un périple en Barbarie sur ordre du roi en 1724-1725, le médecin naturaliste, Jean-André Peyssonnel, explique que :
« La plupart des emplois de ce royaume sont occupés par les Turcs et par les renégats qui sont regardés comme Turcs. On attend par ce mot de Turc, non tous ceux qui suivent la religion de Mahomet, mais les personnes qui, envoyées autrefois par le grand seigneur, ou bien demandées par le bey pour occuper les emplois militaires et être soldats, ou bien enfin attirées par le négoce, se sont établies dans le royaume de Tunis18. »
10Cette confusion entretenue dans ce récit et dans bien d’autres tient à plusieurs raisons. Au-delà d’un procédé d’écriture qui tend à fondre l’adversaire y compris le converti dans la même figure du Turc, les voyageurs européens ont pu être marqués par la grande proximité entre miliciens turcs et renégats. Au temps des conquêtes nord-africaines, les troupes ottomanes étaient pour partie composées de janissaires, créatures du sultan, issus de son sérail19. Kul et Anatoliens, mamelouks et miliciens parvenaient à Tunis par les mêmes chemins : en juin 1823, le consul britannique dénonçait l’arrivée d’esclaves grecs (une femme et deux garçons) transportés de Smyrne par un officier turc chargé de recruter des soldats pour le bey ; ce représentant diplomatique remarquait en outre que des miliciens installés à Tunis avaient pris pour épouses des captives grecques20.
11Au fil de leur installation dans la régence, les Turcs et les mamelouks ont peu à peu partagé des références, pour ne pas dire un univers culturel, à commencer par une reconnaissance dans une des formes d’interprétation du droit musulman, le hanéfisme, dont Sami Bargaoui a démontré l’appropriation identitaire21. Dans un mémoire anonyme annexé à l’Itinéraire de Paris à Jérusalem de François-René de Chateaubriand, il est ainsi précisé que le terme générique de « Hanefis » « désigne les Turcs et les Mameloucks22 ». Plus tard, au temps des réformes législatives, au début de l’année 1862, dans un registre de réclamations présentées par des militaires, un certain ‘Alī, fils de Sulaymān al-Hanafī, demande à être « confirmé comme mamelouk23 ».
12La catégorie des kūruġlī (fils de Turcs et de femmes autochtones) fut également commune à ces hommes24. Un Ḥusayn al-Kūruġlī était dénombré parmi les mamelouks de Yūnis, fils de ‘Alī Bāšā, dans un registre daté de 1155 (1742-1743)25. Des écrits occidentaux assimilaient de manière intéressante les descendants de Turcs, de kūruġlī et de renégats26 ou de mamelouks sous la plume du consul Antoine Nyssen27. Enfin, en vertu de ces rapprochements, renégats et mamelouks pouvaient être incorporés dans des troupes turques, ainsi de Muḥammad al-Mamlūk enrôlé parmi les ḥānba ou cavaliers turcs en 178528. Dans ces différentes situations, le terme de « Turc » référait soit à une « appartenance ethnique » et une « fonction militaire29 » soit à un « état diffus d’allégeance30 ».
13Dans le cas des convertis issus de diverses régions européennes, la confusion entre « Turc » et renégat renvoyait davantage à l’inscription dans un corps, à une relation d’obéissance aux tenants de l’autorité.
14À ces relatives indistinctions entre Turcs et renégats, s’est superposé un usage ancien et privilégié du terme de « renégat », masquant celui de « mamelouk », aussi longtemps que le sens de ce dernier mot restait peu compréhensible sur les rives latines. Au xviie siècle, un père rédempteur, le père Dan, passé en Barbarie, fait bien allusion à une réalité mamelouke dans son récit, mais il se limite à ceux de feu le sultanat d’Égypte. Il expose une étymologie aussi farfelue que charnelle : « On les appeloit Mammelus, à cause, comme veulent quelques-uns, qu’ils estoient enlevez des mamelles de leurs mères31. » L’identité mamelouke telle qu’elle est vécue du dedans, des terres africaines, comme une possession et pas seulement un reniement, n’est repérée, analysée, rapportée avec plus de clarté qu’à partir des années 1780 pour la province de Tunis et, pour le moins, dans des sources en langue française.
15C’est en effet autour de 1786, que, invité à répondre à un questionnaire adressé par l’abbé Raynal sur la régence de Tunis, le chancelier-interprète du consulat de France, Venture de Paradis, introduit une présentation des fonctions des mamelouks dans le palais beylical par ces phrases : « La porte extérieure du Bardo est gardée par les Turcs. Les apostats, qu’on nomme mamluk en arabe, ont la garde de la porte intérieure du palais32. » L’historien Charles Monchicourt attribua, pour sa part, la paternité du mémoire sur Tunis à Antoine Nyssen. Le consul de Hollande eut moins recours au terme de renégat qu’à celui de mamelouk. Il conçut, en effet, une des premières présentations détaillées de ce corps33. Le mot de « mamelouk » se diffusait donc bien avant l’expédition de Napoléon Bonaparte en Égypte. Les mamelouks de Tunis ont commencé à poindre quand les renégats se sont raréfiés, quand la course a jeté ses derniers feux en Méditerranée occidentale, lorsque la figure du renié européen a commencé à laisser place à l’exotisme flamboyant des mamelouks orientaux, grecs, mieux encore caucasiens34.
16Si le nombre de renégats n’a cessé de se réduire à Tunis, l’emploi de ce vocable ne fut pourtant pas abandonné au seul profit du terme de mamelouk dans les récits de voyageurs et, de manière plus notable, dans les correspondances diplomatiques. Au début des années 1830, cinq commerçants lancèrent une souscription engageant « les janissaires de tous les consulats à accueillir les pauvres mameloucks qui fu[yai]ent les mauvais traitements35 ». Mais le sens péjoratif du terme de « renégat » fut remis au goût du jour, dans les années 1860 : l’ensemble des dignitaires mamelouks commencèrent alors à être caricaturés par les représentants français en une caste aristocratique dénuée de toute fibre patriotique. Il s’agissait de rappeler leurs origines étrangères, de les présenter comme des alliés du parti turc dressés contre les Arabes36.
17Ce long règne du terme de renégat, l’usage plus tardif d’un équivalent mamelouk dans les écrits européens ont amené par la suite certains historiens, penchés sur le cas de la régence, à établir des distinctions entre renégats ralliés individuellement par la conversion et mamelouks pénétrant l’« univers musulman » par l’achat puis la conversion37 ; ou bien encore entre des mamelouks « élevés dès leur jeune âge dans la religion musulmane, dans l’entourage » des dignitaires du beylik, et des renégats « anciens chrétiens » se hissant par leur reniement au rang de « citoyens musulmans à part entière38 ». Or, si aux écrits occidentaux déjà abordés sont ajoutées des références en arabe, il apparaît très nettement que les deux mots, telles deux faces d’une même pièce, ont traduit un même phénomène selon deux points de vue longtemps séparés par une barrière de langue.
18Ceux que les chanceliers du consulat de France nous ont présentés, dans une multitude d’actes, en leur qualité de renégats, au xviie siècle39 correspondaient, sous les mêmes titres, les mêmes prénoms, à quelques exceptions près, aux mamelouks des chroniques contemporaines d’Ibn Abī Dīnār puis d’al-Wazīr al-Sarrāj40. A contrario, dans des lettres en italien, le dignitaire mamelouk par excellence dans les deux dernières décennies du xviiie siècle, le vizir d’origine géorgienne, Muṣṭafā Khūjā, recourait aux vocables de Renegado41 ou Rinegati42 afin d’annoncer à son interlocuteur français l’arrivée de serviteurs. Ses va-et-vient aident à creuser le sillon tracé dans les années 1970 par l’historien Mohamed Hédi Cherif quand il admettait cette équivalence, au creux d’une phrase dans sa vaste thèse sur la Tunisie de Ḥusayn b. ‘Alī : « Les renégats se retrouvaient également dans l’entourage immédiat du bey : c’étaient les célèbres et inévitables mamlûks, d’origine européenne ou levantine, formés au Bardo au service du prince et à son entière dévotion43. »
19Si, dans des écrits en langues européennes, les mamelouks sont donc longtemps contournés par des effets de traduction, par la mise en valeur de notions construites à partir de soi (le renégat), à partir d’une adversité tenace ou assagie (le Turc), dans les écrits en arabe, en revanche, l’évitement du mamelouk fut rendu possible par une abondance de quasi-synonymes.
Identités emboîtées
20Cette profusion, Robert Brunschvig l’a présentée dans l’article « ‘Abd » de la deuxième édition de l’Encyclopédie de l’Islam44. Dans son inventaire raisonné, ‘abd semble s’imposer aux fatā, ġulām, jāriya, waṣīf, khādim, asīr qui sont, selon lui, des « euphémismes » aux fortunes variables45. Cette hiérarchie académique est plaisante. Son équilibre se recomposerait, si l’on choisissait pour point de départ le mot mamelouk et les qualificatifs qui lui furent accolés.
21Autour de ce terme de mamelouk, un premier champ (incluant khadīm, khāṣṣ, tābi‘) resitue les mamelouks dans l’univers du service domestique et de la proximité. Khadīm et khādim renvoient, par leur racine, le plus directement à la notion de service (khidma). Khādim qui, par euphémisme, a recouvert les eunuques d’un voile de pudeur46 s’est appliquée, au Maghreb, de manière plus spécifique, aux servantes noires, tandis que la forme khadīm désignait le serviteur, parfois avec un certain éclat. Dans la province de Tunis, ce dernier titre fut accolé à des dignitaires mamelouks. Sulaymān Kāhiya en fut paré dans un passage de l’Itḥāf d’Ibn Abī al-Ḍiyāf lorsqu’il reçut de Ḥammūda Bāšā, en 1785, la conduite des camps fiscaux. Sous la plume du chroniqueur, l’expression de khadīm abī-hi (serviteur de son père) soulignait l’ancienneté d’une fidélité au service de la famille au pouvoir, nouée depuis plus d’une génération, avec le père du bey régnant47.
22Par une capacité à désigner non pas des êtres singuliers mais à les embrasser dans un même ensemble, khāṣṣ, khawāṣṣ et khāṣṣa englobent l’entourage du « souverain, ses gardes du corps, son service particulier48 ». Dans la chronique d’Ibn Abī al-Ḍiyāf, khāṣṣa et khawāṣṣ apparaissent dans le récit des divisions internes à la famille de ‘Alī Bāšā, au début des années 1750, en une trouble fin de règne durant laquelle les catégories de serviteurs ne sont pas toujours qualifiées49. Plus tardivement, khāṣṣa sera la catégorie choisie par Aḥmad Bey lors de sa visite en France en 1846, afin de présenter ses proches, après avoir retrouvé le souverain Louis-Philippe entouré de ses ministres et familiers dans son palais royal. Témoin du voyage, Ibn Abī al-Ḍiyāf confère au souverain français le titre de sultan mais il regroupe aussi, par équivalence, les proches de Louis-Philippe en une khāṣṣa50 qui n’est pas sans rappeler la notion occidentale de « cour », entendue comme entourage du prince.
23Plus intéressants par le flou de leur contenu, tābi‘, tābi‘ūna, atbā‘, tibā‘ et tabā’i‘ (le plus souvent rendus en français par les mots de dépendants, partisans, disciples, subalternes) traversent les xviiie et xixe siècles sans qu’ils s’appliquent aux seuls mamelouks. Les tibā‘ qui reçoivent des gratifications, dans un registre des années 1742-1743, paraissent être, par leur ism et laqab, « prénoms » et « titulatures » pour bonne part des mamelouks, mais pas seulement : la recension des rétribués inclut des fuqahā’, des hommes dotés de savoirs religieux et deux individus identifiés par le laqab de khūjā (écrivain)51. La mention de tābi‘ transcende un niveau de dépendance, une catégorie de serviteurs : elle indique la position et l’inclusion dans la suite d’un prince, d’un grand ou de ses proches parents. C’est d’ailleurs à un constat similaire qu’a abouti Jane Hathaway. Dans une étude sur l’ascension de la maison Qazdağli aux xviie-xviiie siècles, cette historienne du Caire ottoman assimile le tābi‘ à un partisan (follower), un client militaire, mamelouk ou non, engagé dans une relation de patronage (intisāb)52.
24Rattachés à ce domaine de la domesticité, du service et de la relation de clientèle, les mots mawlā/mawālī, ġulām/ġilmān, ‘ilj/‘ulūj et, à un degré moindre, ‘ajmī/‘ajam permettent d’insister sur les traces d’un passage, les débuts d’une transformation encore incomplète respectivement dans la conversion et la protection pour le mawlā et le ‘ilj, vers l’âge adulte pour le ġulām ou en référence à une origine non arabe pour le ‘ajmī. Les termes de ‘ajmī/‘ajam (étranger, non arabe, voire Persan ou Turc) furent peu rencontrés dans nos lectures. Ibn Abī Dīnār qualifie de ‘ajmī un mamelouk notoire, le caïd Ḥasan, père du šaykh Muḥammad, chef arabe, allié à ‘Alī Bey53. Par la suite, à partir du milieu du xviie siècle, les traces de ces mots se raréfient54.
25Les ġulām/ġilmān sont bien plus présents. Les ġilmān constituent les suites de Muḥammad Bey55, d’Aḥmad Šalabī en 168656, de ‘Alī Bey dans la seconde moitié du xviiie siècle57. Ils sont encore recherchés au milieu du xixe siècle pour le service du bey58. Ils s’assimilent aux mamelouks lors d’un événement sanglant : la tentative d’assassinat du bey Ḥammūda Bāšā, le 10 février 1792. Alors qu’al-Bājī al-Mas‘ūdī, auteur d’un précis sur les règnes et les souverains en Ifrīqiya musulmane, identifie les assaillants à des ġilmān59, les insoumis prennent plus nettement les traits des mamelouks dans le récit de son contemporain Ibn Abīal-Ḍiyāf ainsi que dans les relations consulaires françaises et britanniques écrites dans les jours qui suivent l’échec du complot60.
26Les ġilmān constituent, autant que les mamelouks, des modèles de soumission dans l’éducation de jeunes princes de la maison husaynide. Les fils des beys étaient élevés aux côtés d’enfants mamelouks. Ils étaient amenés à adopter les humbles postures de serviteurs, comme en témoigne ce fugace mais, ô combien significatif passage de l’Itḥāf d’Ibn Abī al-Ḍiyāf sur la jeunesse de ‘Utmān Bey, appelé à régner en 1814 : « Il grandit sur les genoux de son père puis de son frère. […] Il se tenait à ses côtés à la manière des ġilmān en service, selon la coutume consacrée dans cette maison pour tout ce qui a trait à l’attitude des cadets face à l’autorité des aînés61. » Modèles de soumission dans l’enfance, compagnons des jeunes princes, gardes de sérail : tout ramène les ġilmān moins à une jeunesse telle que nous pourrions la concevoir qu’à un premier âge du service tant dans la formation des serviteurs que dans la proximité aux maîtres.
27Au-delà de la langue du ‘ajmī et d’un premier âge du ġulām, mawlā et mawālī se situent dans une autre étape de la transformation des dépendants. Les qualificatifs de mawlā et surtout de mawālī s’appliquent à des personnages reconnus par ailleurs comme mamelouks. Dans la suite d’anonymes au service du caïd Ramaḍān au début du xviie siècle, le chroniqueur Ibn Abī Dinār distingue, « parmi ses mawālī les plus renommés », Ramaḍān Bey, Ḥusayn Bey et enfin Murād Bey, fondateur de la dynastie mouradite62. À l’instar d’Ibn Abī Dinār et à deux siècles d’intervalle, Ibn Abī al-Ḍiyāf use en abondance du mot dans les notices biographiques qui clôturent sa chronique, lorsqu’il indique les origines de serviteurs appelés à de brillantes ascensions, tels que Rajab Khaznadār, serviteur de ‘Alī Bey, décédé en 179763, le puissant vizir Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘64 et des hommes qui ont également débuté leur carrière au service de Ḥammūda Bāšā, comme Salīm Khūjā et Rašīd Khūjā, tous deux géorgiens d’origine65, ou Abū ‘Abd Allāh, surnommé al-Farṭaṭū (le papillon)66. La même formule apparaît pour un autre vizir majeur des années 1830, Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘67, un de ses contemporains Muḥammad Šūlāq68 ou bien Iskandar Āġā, officier fidèle d’Aḥmad Bey dans les années 1840. Ces noms ne sont pas jetés en pâture, au seul motif d’accumuler les exemples. Leur juxtaposition amène à s’interroger sur ce que recouvrait la notion de mawlā/mawālī dans les écrits d’Ibn Abī Dinār ou d’Ibn Abī al-Ḍiyāf. À défaut de naître d’un accord entre personnes libres, la relation d’un mawlā (la walā’) à son protecteur trouve avant tout sa source dans l’affranchissement69. Une bonne partie des mamelouks qui furent au service de Ḥammūda Bāšā furent affranchis par son successeur qui les a pour partie maintenus à son service.
28D’une manière comparable, un dernier ensemble de mots, ‘ilj et ‘ulūj-a‘lāj, collent au mamelouk comme l’envers à son étoffe. Non que le sens de ‘ilj manquerait de limpidité : cela désigne sans conteste le non-arabe, le non-musulman, le converti70 et par restriction, dès l’ère hafside, en Ifrīqiya, un chrétien qui a renié sa foi, s’est hissé aux plus hautes fonctions de l’État71. Seulement, il est des passages de chroniques qui, posant, en un même paragraphe, untel comme ‘ilj et un autre en mamelouk, permettent de distinguer le premier du second. Relatant les intrigues nouées à la succession de Yūsuf Dey en 1637, Ibn Abī Dīnār met ainsi aux prises Māmī, l’un des principaux mamelouks du défunt dey, et le ‘ilj Usṭā Murād. Ce dernier est promu par les soldats turcs sans aucune hésitation, tandis que le mamelouk sait ne pas avoir les moyens de son ambition72. Les deux hommes sont des convertis, mais ils n’ont pas la même position dans la toile des fidélités tissées à Tunis. Māmī n’a de qualité et de seuil d’ascension qu’en tant que principal mamelouk de Yūsuf Dey, puis de son fils Aḥmad73. A contrario, Usṭā Murād n’est pas l’homme d’un autre : « puissant général des galères », il semble en quelque sorte son propre maître74. D’où l’hypothèse que le mamelouk se définit, pour le moins au xviie siècle, avant tout par sa dépendance, et le ‘ilj, en l’absence de ce lien, par sa conversion et/ou par son détachement de liens de fidélité. Cette déduction serait d’ailleurs étayée par une autre illustration : l’exemple du caïd Ramaḍān, issu des a‘lāj, dont l’éminence est signifiée par la possession de mamelouks75.
29Seconde nuance à apporter : ‘ilj, ‘ulūj et a‘lāj se rencontrent le plus souvent sous des formes féminines76. ‘Iljiyya est utilisé comme ism ou qualificatif. Il est fréquent pour les captives en provenance des marchés anatoliens77 jusqu’à ce qu’elles enfantent des princes78. ‘Alājī s’applique, dans la page d’un registre datée de l’année 1785, à un groupe de femmes qui, venues du « pays de Turcs » en compagnie d’un ensemble de mamelouks, sont installées aux environs de Tunis, à La Manouba où elles reçoivent quelques subsistances79. Iljiyya et ‘alājī contre mamlūk et mamālīk : la féminisation implique-t-elle péjoration ? Si le masculin ‘ilj se fait plus rare, il arrive qu’il soit revendiqué : en 1846, un mamelouk signe la quatrième partie d’un ouvrage d’instruction militaire de cette surprenante formule : Salīm min [issu des] al-a‘lāj80.
30Si l’on juxtapose tous ces ensembles lexicaux, l’on se rend compte que chaque mamelouk ne manque pas de rôles, de fonctions, d’identités emboîtées qui le font côtoyer un ensemble varié de serviteurs. Il peut être qualifié de ‘ilj, de converti situé hors d’un lien de dépendance. Il peut être reconnu comme un mawlā entré en islam, affranchi mais toujours maintenu sous la tutelle d’un patron. Il peut être vu comme un ġulām qui s’aguerrit à proximité de son maître, comme un khadīm ou serviteur dévoué, ou comme un khāṣṣ membre d’un entourage princier, ou en tant que tābi‘ placé à la suite d’un dignitaire. Les qualificatifs ne manquent pas. D’autant qu’au cours du xixe siècle les mamelouks les plus distingués, lorsqu’ils ont atteint les fonctions les plus élevées, sont désignés en priorité par des titres plus qu’honorifiques. Parmi les trésors du style fleuri de chancellerie, disséminés dans les chroniques, rijāl al-dawla (hommes du pouvoir, du gouvernement) et wazīr81 les posent en hommes à la tête de l’État82 ; ṯiqa en hommes de confiance, a‘yān les installe dans le cercle des notabilités du pays83.
31S’il n’y avait eu que le langage ! Passerait encore que mamelouk renvoie à divers mondes de la dépendance, que ce mot puisse être contourné, rendu, éclaté sous d’autres réalités en langues arabe ou européennes. Mais, par une fructueuse complexité, il faut aussi prendre en compte la forte hétérogénéité d’emplois, de faveurs et, ce faisant, de niveaux de richesse ou de pauvreté entre mamelouks des beys de Tunis.
Humbles et orgueilleux
32Des « divisions intérieures84 », une très forte mobilité sociale, l’« existence d’une hiérarchie très complexe depuis les dignitaires considérablement enrichis par les concessions beylicales ou la course jusqu’à la masse des soldats et domestiques85 » furent reconnues aux mamelouks. Seulement, à peine ces nuances étaient-elles apposées que les mamelouks se retrouvaient, à gros traits contradictoires, ravalés au rang de « castes privilégiées86 », détachés de leur environnement social. Or, loin d’être fermé à toute intrusion, leur corps se renouvelait par apports réguliers d’enfants et d’adolescents issus de la province et de mondes lointains. De surcroît, par l’étendue des fonctions qui leur étaient assignées, les mamelouks se retrouvaient au contact d’un large spectre de sujets et de protégés des beys.
33Aux fourneaux des maisons beylicales87, ils pouvaient avoir sous leurs ordres des cuisiniers d’origines et de statuts variés. Artisans, menuisiers88 affectés à l’entretien des palais, ils étaient amenés à évoluer dans le service domestique. Hors des sérails, ils surveillaient les ouvriers des chantiers89, l’exploitation des domaines fonciers de la famille beylicale90. Tout comme les ḥānba, ils portaient les ordres de leurs maîtres et accompagnaient les visiteurs étrangers pourvus d’une autorisation des beys91. À ces modestes fonctions de gardes et domestiques déclinées dans et hors du palais, il faut ajouter –remontant l’échelle des faveurs – des charges largement plus prestigieuses : celle de médecin de cour encore tenue par des serviteurs convertis aux côtés de chrétiens et de juifs dans les premières décennies du xixe siècle ; celles de trésorier (khaznadār), d’intendant de l’hôtel de la monnaie92, de chef militaire, jusqu’à la position si convoitée de vizir, à partir des deux dernières décennies du xviiie siècle.
34Pour affiner et mettre en mouvement ces différences, il faut aussi prendre en compte les écarts de revenus. Bien que modestes au cours du xviiie siècle, ces disparités n’ont cessé de s’élargir à partir des années 1830, avec les réformes de l’armée et de l’administration. Les mamelouks pouvaient ajouter à la tamra distribuée deux fois l’an, pour les camps fiscaux (maḥalla) d’hiver et d’été, des ‘awā’id, des primes en espèces ou livraisons en nature93 et surtout des récompenses financières pour service rendu, les iḥsān. Irruption concrète d’une faveur princière, plus ou moins généreuse, les gratifications princières qui se chiffrent souvent à l’unité94, en dizaines, voire en centaines de piastres au xviiie siècle, impulsent ou confirment les distinctions des mieux lotis. Les iḥsān accordés par les beys ont pu atteindre des sommes astronomiques au cours du xixe siècle : 1 000 riyāl en 1816, pour un mamelouk qui s’était rendu au « pays des Turcs95 » ; 12 000 en début des années 1860 pour Farḥāt, président du tribunal criminel96 ; jusqu’à 40 000 à la même période pour le vizir Muṣṭafā Khaznadār97.
35C’est donc de son patron que le mamelouk obtient au mieux sa fortune, au pire les moyens de sa subsistance et, dans une destinée moyenne, les positions qui vont l’aider à faire fructifier son pécule. Entre la fin du xviiie siècle et les débuts du xixe siècle, alors qu’un kāhiya (lieutenant) de chef de chambrée (uḍā-bāšī) touche autour de 60 riyāl de ṯamra98, qu’un garde peut monnayer son contrôle aux accès de telle ou telle partie du palais, qu’un mamelouk est acquis pour la coquette somme de 2 000 riyāl99, la fortune du vizir Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ équivaut à une année de revenus du beylik de Tunis100. Prodigieuses variations qui ne commenceront à être formalisées qu’à partir du début des années 1860, dans les hiérarchies et réglementations des réformes militaires et administratives, pour ne se révéler bien souvent que des fictions de papier constamment bousculées par le désir du prince et la puissance de ses serviteurs.
36Si l’on accumule la disparité de tâches et de revenus, la variété de termes pour les qualifier et la polyvalence de leur nom générique, que reste-t-il de la catégorie des mamelouks ? Les écarts financiers, la grande hétérogénéité des situations, les polysémies, synonymies et euphémismes permettent-ils encore d’envisager un ensemble social ? La catégorie des mamelouks trouve, selon nous, sa cohésion à trois niveaux : dans les classifications administratives, par distinction avec des serviteurs chrétiens et des serviteurs autochtones ancrés dans la province, et lorsque les mamelouks proclament et défendent leur esprit de corps.
L’ESPRIT DE CORPS
Des pages aux lèvres
37La catégorie des mamelouks au service des beys de Tunis prend forme dans les chroniques historiques et dans les registres du beylik. Faute, pour l’heure, d’archives administratives en arabe qui pénétreraient en profondeur dans le xviie siècle, nous avons rencontré la première mention de cette catégorie dans la lecture de la chronique d’Ibn Abī Dīnār qui fut lui-même scribe. Dans cet écrit, le mot de mamlūk est certainement reconduit en référence à un environnement commun, à des lectures religieuses et historiennes. Par la suite, dès la fin du xviie siècle, quand les actes administratifs commencent à laisser des traces, c’est cette même culture partagée par des chroniqueurs et secrétaires de chancellerie qui semble faire naviguer le mot des colonnes de registres aux paragraphes des récits et vice versa. Les mamelouks des lettres rédigées par Ibn Abī al-Ḍiyāf pour ses employeurs de palais sont trait pour trait ceux de son Itḥāf : mêmes figures, mêmes situations.
38La catégorie des mamelouks est alors le fruit d’une interaction entre les secrétaires, les princes et les dignitaires mamelouks qui, en termes de savoirs littéraire, juridique et religieux, n’ont que rarement égalé les scribes jusqu’à la seconde moitié du xixe siècle. Ces scribes ont, pour partie, contrôlé la traduction à l’écrit d’un oral qui rejaillissait de temps à autre, dans les dialogues des chroniques, dans les correspondances. Ils ne se sont pas effacés derrière l’encre : Ibn Abī al-Ḍiyāf joignait souvent sa voix et son nom aux sincères et chaleureuses salutations du signataire d’une lettre. La marque du secrétaire apparaissait en creux quand le signataire voulait imprimer sa marque stylistique, revendiquer le choix d’une formule101.
39Cette écriture administrative, forgée entre émirs et lettrés, entre celui qui ordonnait et celui qui rédigeait, n’était pourtant pas que le fruit d’inégalités de savoirs et de subtils rapports de force. Cette écriture était aussi faite de créations et de répétitions. La reprise plus ou moins fidèle et à intervalles réguliers d’un lexique de classification donnait corps aux catégories de serviteurs. Dans la plupart des registres, les mamelouks furent ainsi très nettement détachés des troupes turques et arabes. Dans l’un d’entre eux daté de 1748-1749, ils étaient distingués des qazaqāt, de jeunes valets maintenus le plus souvent dans le christianisme102.
40Répétitive et flexible, mise en récits ou ordonnée en colonnes comptables, la catégorie de mamelouks fut aussi pleinement incorporée et revendiquée par les principaux intéressés. C’est ainsi que, en 1834, un des principaux serviteurs du bey, d’origine géorgienne, Muḥammad Šūlāq, se présenta « en sa qualité de mamelouk » au consulat de France à la recherche d’un appui pour quitter le pays103. Au-delà des registres individuels, cette conscience d’un esprit de corps (‘aṣabiyya) était nourrie de solidarités entre mamelouks. Dans les années 1840, Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, mamelouk venu de Géorgie qui s’était imposé comme le sage doyen de la famille beylicale, menaçait Aḥmad Bey de précéder au cachot Ḥusayn Khūjā en signe de solidarité avec ce favori d’origine italienne discrédité, accablé de dettes104.
41L’affirmation d’un esprit de corps par les mamelouks, l’incorporation de cette catégorie administrative étaient donc bien tangibles. Mais cette identification devait être réinculquée génération après génération. Les mamelouks ne constituèrent aucun récit historique autonome de l’histoire de la famille beylicale et de l’écriture des kuttāb. Renouvelé à intervalles réguliers à partir d’un ailleurs plus ou moins proche, le corps des mamelouks souffrait de ruptures de transmission et de brouillages d’origines propres. Alors qu’au Caire, histoire, chroniques et contes du sultanat mamelouk faisaient l’objet de réécritures et réappropriations mobilisées dans les projets politiques de chefs mamelouks des xviie et xviiie siècles105, Tunis n’a pas présenté le même cas de figure. L’Ifrīqiya a certes accueilli dès la période médiévale convertis et renégats, mais sans qu’un corps de dépendants se soit placé directement au pouvoir, sans qu’il parvienne à se dégager du patronage d’une famille princière s’ancrant dans le pays. Sans cette apparence de continuum, si propre au Caire, les références de mamelouks à des devanciers ne se sont pas imposées à Tunis. Elles furent discrètes, implicites : les comparaisons entre l’exécution de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ en 1815 et celle de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ en 1837 n’étaient palpables que par allusion lorsque, après l’exécution du second vizir, un conseiller rappelait au bey « ce qui est arrivé récemment à la dépouille » du premier vizir, traînée et déshonorée par le peuple dans les rues de Tunis106.
42Les mises en relation entre différents devenirs mamelouks nous semblent plus explicites et plus fréquentes au temps des réformes, quand, dans les écoles militaires, quelques mamelouks triés sur le volet ont commencé à maîtriser des savoirs réflexifs, quand les discours de la remise en ordre, du niẓām al-jadīd et des tanẓīmāt n’excluaient pas la référence à des âges d’or, à des foyers du mameloukat. La sensibilité au sort dramatique des Circassiens sous le feu des troupes russes107, l’évocation des premiers mamelouks du califat abbasside108 et l’intérêt pour le système d’éducation de la Géorgie109, repérés dans les colonnes du Journal officiel tunisien à partir de 1860, n’ont consituté que quelques illustrations d’un mouvement plus large de diffusion d’une conscience ottomane, d’inculcation d’une culture diplomatique, de vulgarisation au sens noble du terme d’une histoire musulmane auprès de lecteurs, acteurs et cadres des réformes.
43Si une histoire et une mémoire propres aux mamelouks, nourries par-delà les générations, ont laissé peu de traces, si un esprit de corps (une ‘aṣabiyya) fut, en revanche, sans cesse réaffirmé, la question de la délimitation d’une catégorie « mamelouke » reste posée. La catégorie existe, elle est reconnue, revendiquée par les mamelouks, mais en quoi consiste-t-elle ? Pour s’en approcher, il faut, dans un premier temps, l’aborder par la marge, aller à la rencontre de musulmans autochtones et de chrétiens qui furent traités à la manière des mamelouks, mais qui furent rarement qualifiés de la sorte.
La marge chrétienne
44Le rapprochement de ces figures musulmanes et chrétiennes du service beylical est arbitraire. Ces hommes qui se détachent de leur milieu d’origine ou de leurs corps d’affectation pour se consacrer aux besoins du bey ne sont pas perçus en tant que catégorie administrative particulière dans les archives beylicales.
45Nonobstant, un premier sous-ensemble pourrait regrouper des serviteurs chrétiens. L’un des cas rencontrés est celui d’Alexandre Napoly, homme de confiance de ‘Alī Bāšā dans la concession française de La Calle au début des années 1740, « entièrement dévoué au bey et à sa famille110 », alors que ses compatriotes d’origine génoise chassés de leur comptoir de Tabarka se retrouvent dans la dépendance de son maître. Puis, à partir de la fin du xviiie siècle, ces profils se répètent, se repèrent plus facilement : le Sicilien Vincenzo Macotta avant le Napolitain Mariano Stinca, sous le règne de Ḥammūda Bāšā111 ; les Allegro, d’obscure origine112 ; les Nyssen, dont un rejeton devenu consul fut critiqué par ses collègues pour « son odieuse servilité » face aux beys à la fin des années 1810113 ; Joseph Raffo, né d’un père esclave originaire de Chiavari, dans la région de Gênes114 ; son beau-frère, le Napolitain Raphaël Gaëta115 ; Antonio Bogo, secrétaire d’Aḥmad Bey en 1837, puis de son successeur Muḥammad al-Ṣādiq, sujet italien qui obtient la protection autrichienne116.
46Contrairement aux mamelouks des beys, tous se maintiennent dans leur confession chrétienne. Mariano Stinca refuserait, à de nombreuses reprises, la conversion117. Joseph Raffo se distingue, au temps des réformes, par la protection et les bienfaisances qu’il prodigue aux bonnes œuvres catholiques118. Cette fidélité à une foi originelle se double d’un attachement à la terre des ancêtres, au lignage lointain. Tous n’ont pas connu le déracinement. Certains (Nyssen119, Bogo120) sont nés dans la régence ; Raffo a vu le jour au palais du Bardo121. Mais beaucoup ont maintenu des liens avec leur pays d’origine : le neveu de Mariano Stinca fut nommé consul du roi des Deux-Siciles à Tunis122 ; Joseph Raffo est revenu, avec sa famille, sur les pas de son père, à Chiavari, accueilli par tous les villageois, en 1837, des années après avoir renoué avec les autorités de la ville et aider à reconstruire sa paroisse123.
47À la différence des mamelouks qui n’étaient que partiellement italiens, tous ou presque (à l’exception des Nyssen et peut-être des Allegro) étaient issus d’une péninsule morcelée, dont les gouvernants peinèrent jusqu’aux années 1820 à tenir tête aux souverains des Barbaresques. Orphelins de patrie européenne, les Tabarquins le furent plus encore que les captifs italiens proprement dits. Éloignés de leur concession détruite en 1741, ces descendants de Génois n’ont eu pour seul refuge qu’une semi-dépendance à Tunis quand ils n’ont pas subi les pillages d’Algérois en 1756 et une razzia sur l’île de Saint-Pierre, où certains, rachetés, avaient tenté de refaire leur vie. Sous sujétion du bey, parfois islamisés, ils n’ont suscité que mépris dans le corps consulaire européen124 : en 1797, le représentant français se plaignait de la « caste nombreuse des chrétiens établis sur le pays[…] de race génoise ou tabarquine » car plusieurs « de ces gens-là entourent le bey et ont beaucoup de crédit sur son esprit125 ». D’une rare violence, le comte Filippi, amené à représenter les intérêts sardes à la fin des années 1820, s’est emporté contre des êtres « pleins de morgue, sans mœurs, sans religion, [qui] sous la juridiction immédiate de l’autorité locale, sans protection étrangère, s’érigent en conseillers126 ».
48Ces Tabarquins, tout comme les autres figures chrétiennes du Bardo, furent, malgré leur maintien fréquent dans le christianisme et un attachement à leur foyer d’origine, très proches des mamelouks au quotidien. Ils eurent le tort, aux yeux des consuls, de se mêler aux esclaves du sérail dans une trop grande promiscuité. Mariano Stinca fut placé à la tête des esclaves chrétiens du Bardo avant d’être porté à la fonction de secrétaire du bey Ḥammūda Bāšā127. Il fut maintenu dans sa condition jusqu’en 1814 : Ibn Abī al-Ḍiyāf le qualifie à deux reprises de mamlūk et de chrétien des mamelouks128. Pour leur part, Joseph Raffo et Antonio Bogo furent des bāš qazaq, chefs des qazaqāt, garçons ou valets d’origine italienne également connus au xixe sous le nom plus hispanisant de muchachos et attachés au service des mamelouks129.
49Les Nyssen et les Allegro ont également joué ces rôles de médiateurs avec le sérail, si bien qu’aux yeux de leurs pairs européens, ils sont allés trop loin, à vouloir courtiser le bey et frayer avec ses obligés. Le consul sarde Palma en eut le cœur soulevé : « Jamais le Bey n’a quitté sa résidence pour une promenade sans que M. Nyssen ne se soit trouvé sans invitation parmi sa suite, non pas à son côté, mais noyé dans la chiourme des esclaves et des domestiques, ou tout au plus parmi les mamelouks130. » Le même consul relèvait la même année qu’un des Allegro, Pierre, a ses entrées au Bardo car il est l’« ami et confident de tous les renégats mamelouks131 ». Cette proximité a, d’ailleurs, si bien marqué la postérité de cette famille que, tout au long du xixe siècle, des écrits en recherchent les racines généalogiques dans ce corps de dépendants132.
50Familiarité avec Le Bardo, entrée au service des beys, rôle d’intermédiaires avec les Européens, déracinement et liens maintenus avec le pays d’origine : de nombreux traits rapprochent ces hommes des mamelouks, si ce n’est le maintien dans la catholicité, le refus de la conversion à l’islam. La constance dans la foi chrétienne constitue-t-elle pour autant un critère discriminant du service et de la dépendance ? Cela est loin d’être certain. Un second sous-ensemble, de non-convertis cette fois, d’autochtones nés musulmans, se situent de la même manière sous l’étroite férule des beys et se rapprochent des mamelouks sans se confondre à leurs corps.
L’horizon musulman
51De nombreux autochtones musulmans ont partagé l’intimité et le quotidien des beys : nous examinerons ici le cas des Zarrūq et de ‘Allāla Qāyjī. Chacun d’entre eux fournit, à sa modeste position, des lignes de démarcation avec le corps des mamelouks.
52À la manière des Raffo et de quelques dignitaires mamelouks, ces hommes ont pu être rattachés au lignage de Ḥusayn b. ‘Alī selon des niveaux variés d’association. Alors que la sœur de Joseph Raffo a épousé le père d’Aḥmad Bey133, Muḥammad al-‘Arbī Zarrūq fut considéré comme le frère de lait de la beya Amna, fille de ‘Alī Bey, épouse de Maḥmūd Bey134. Petit-fils d’un « officier de la milice turque », ‘Allāla Qāyjī fut élevé par son beau-père Ḥusayn Bey qui le considérait comme son fils135. Avant même d’occuper ces positions formelles au sein de la famille husaynide, leurs parents avaient trouvé leur place dans le palais : le père de Muḥammad al-‘Arbī, Muḥammad al-Zarrūq, exerça avant lui la fonction de wakīl, d’intendant des bâtiments du Bardo. La famille Zarrūq, bien implantée à Béja, s’était rapprochée des fils de Ḥusayn b. ‘Alī lors de leur séjour dans l’Algérois jusqu’en 1756. La confiance nouée entre les exilés, victimes de l’ambition de ‘Alī Bāšā, était telle que les Zarrūq auront l’insigne honneur d’escorter les femmes des princes après leur retour à Tunis136.
53À l’instar des Allegro et des Nyssen, les Zarrūq se sont révélés très proches des mamelouks. Dans une distribution de tamrāt en septembre1770, le nom du père, Muḥammad Zarrūq, était noyé parmi les mentions de quatre-vingt-dix-sept mamelouks. Il était associé, sur la même ligne, à un autre wakīl du Bardo, connu par son seul ism de ‘Uṣmān, chacun des deux ukalā’ ne touchant d’ailleurs que 20 piastres, valeur minimale de la tamra qui peut être accordée à un mamelouk137. À la génération suivante, le fils, Muḥammad al-‘Arbī, se hissait, à partir de 1815, à des positions qui revenaient aux mamelouks138.
54Toujours dans cette veine de la mameloukisation, Muḥammad al-‘Arbī Zarrūq, issu d’une famille shérifienne réputée descendre du prophète Muḥammad, fut réinscrit de manière posthume dans un processus si ce n’est de conversion claire au christianisme, pour le moins de duplicité religieuse. Le chroniqueur Ibn Abī al-Ḍiyāf, dont le père avait eu à souffrir de la hargne vengeresse de Zarrūq lors de la chute du vizir Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, distilla une rumeur colportée par certains qui « prétendaient avoir trouvé une croix dans son turban139 ». Accusé de haute trahison comme deux vizirs mamelouks, il fut condamné à la peine capitale. Les plus notables des mamelouks assistèrent armés à sa pendaison le 29 octobre 1822 et y prêtèrent main forte140.
55Ironie du sort relevée avec malice par Ibn Abī al-Ḍiyāf, le bey veilla à ce que son corps sacré (jasada-hu al-šarīf) n’ait pas à endurer les outrages subis par Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, l’homme qu’il avait naguère contribué à abattre et dont la dépouille fut décomposée, traînée, attestent certains récits, jusqu’à la porte du cimetière chrétien de Tunis141. Violente, sa fin n’a pourtant pas affranchi sa descendance de liens étroits tissés par le lait nourricier et le sang versé. Son fils Muḥammad, un temps disgracié, retrouva la fonction familiale de wakīl du Bardo142. Un de ses petits-fils, al-‘Arbī, succéda au général Ḥusayn à la tête de la municipalité de Tunis dans les années qui précédèrent le Protectorat143.
56La délicate position de Zarrūq fut commune à nombre de dignitaires mamelouks : agents et intimes, ils sont rattachés à la famille beylicale sans pleinement être considérés comme des fils et des princes du sang. Le beau-fils du bey Ḥusayn, ‘Allāla Qāyjī, dut s’y résigner : il ne pouvait prétendre égaler les descendants des beys, il n’était pas un prince, mais le fils d’un autre144. En ce sens, par ces différents rapprochements, Qāyjī, les Zarrūq, les Raffo, les Nyssen et Stinca aident à identifier une condition de serviteurs partagée avec les mamelouks. Pour être un proche du bey, la confession en tant que telle, le lien entretenu à une terre d’origine comptent mais par gradation. Les catégories de serviteurs sont conçues par des variations de traits : entre l’extranéité et l’autochtonie, entre la confirmation dans l’islam et le maintien dans le christianisme, entre l’entrée en dépendance et l’affranchissement. Mais, par-delà ces variations, le type de relation entretenue avec les beys est toujours apparu déterminant : Qāyjī, les Zarrūq, les Raffo, les Nyssen et Stinca furent plus des alliés par la protection que par le sang.
57L’examen de ces exemples de serviteurs chrétiens et musulmans amène donc dans le cas des mamelouksà confronter ces variations des traits liés à ces parcours (l’origine lointaine, la conversion, la transformation de l’identité et du corps) et la relation de service (l’intensité de la dépendance au maître au-delà de l’affranchissement), afin de percevoir ce qui constitue la catégorie des mamelouks au service des beys de Tunis.
LA FABRIQUE DE CRÉATURES
Le lointain par le proche
58Première étape de cette confrontation : l’arrivée du mamelouk dans le sérail des beys de Tunis. Selon une vision désormais classique et inspirée par les travaux de David Ayalon145, le mamelouk devait être un homme issu de terres lointaines. Or, que signifient le lointain et le proche à l’échelle du beylik de Tunis, marche occidentale de l’Empire ottoman en négociation constante avec les puissances européennes ?
59Les mamelouks géorgiens et circassiens sont amenés à Tunis à partir des ports d’Anatolie, par des voies de transport privilégiées entre la capitale impériale et la modeste capitale provinciale. La régularité de cette traite caucasienne est mieux perceptible à partir de la fin du xviiie siècle146 et dans les premières décennies du xixe siècle, quand les archives beylicales détaillent des missions auprès du sultan, le plus souvent conduites par des dignitaires mamelouks et dès lors que ce commerce est peu à peu restreint et surveillé par les puissances occidentales147.
60Durant la guerre d’indépendance grecque, la métropole ottomane paraît concentrer les captifs avant qu’ils ne soient redistribués vers les provinces : de l’île de Chios, le futur Premier ministre Muṣṭafā Khaznadār, alias Georges Kalkias Stravelakis, et son frère Jean ont dû faire, dans l’enfance, un détour par Istanbul avant d’être installés à Tunis148. Sorti de l’Anatolie, le circuit de la traite s’étend parfois à d’autres grandes places commerciales de l’Empire : le registre comptable tenu par le wakīl, l’intendant de Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘, permet de relever une mention bien rare, les prix de deux mamelouks venus d’Alexandrie en 1839149. Vu de Tunis, le recrutement de mamelouks paraît donc interne à l’Empire ottoman.
61Cette proximité du lointain est encore plus palpable lors des rapts et des ventes de captifs sur les côtes méditerranéennes proches de Tunis. Les dernières razzias dévastatrices sur les rives nord de la grande mer, à la fin du xviiie siècle, sont relativement connues : l’épisode de la prise de l’île de Saint-Pierre150 en 1798 aboutit à la capture d’à peu près 550 femmes, 200 hommes et 150 enfants151. Moins spectaculaires et pourtant plus révélateurs paraissent être les acheminements de mamelouks de proche en proche, par des escales maritimes et terrestres : en 1742, le corps des mamelouks du bey s’enrichit ainsi d’une recrue venue de Livourne et d’un Maltais passé par le port tunisois de La Goulette152. Parmi ces nouvelles recrues, l’une est passée par Djerba153, deux autres ont fait route de Porto Farina avec trois chrétiens154. Plus intéressant encore, un mamelouk reçoit une gratification pour sa circoncision à son retour du Kef, ville de l’intérieur de la province de Tunis155, et un Napolitain est converti sur la propriété d’un prince156. Enfin, au plus près du palais des Beys au Bardo, la ville de Tunis constitue un foyer non négligeable de recrutement. En 1766, le sérail recueille un certain Sulaymān qui était drogman d’une maison européenne157. Pendant une épidémie de peste en 1816-1817, un jeune enfant est ravi à la mort de sa mère, alors qu’il n’est âgé que d’une huitaine d’années. Un demi-siècle plus tard, l’enfant est devenu le « doyen des mameluks » Joseph Marini, alias Salīm Corso158.
62Les mamelouks des beys ne sont pas que des étrangers. Ils sont également issus de la société tunisienne159. Au début du xviiie siècle, le bey Ḥusayn b. ‘Alī choisit pour khaznadār, afin de veiller à son trésor, le fils d’un Turc et d’une autochtone, un kūruġlī originaire de Tunis, « Hamamed », qui aurait servi parmi les jeunes mamelouks de Murād Bey160. Pour le règne de Ḥammūda Bāšā, l’historien M. F. Al-Mustġānimī a pu suivre les trajectoires de ‘Alī b. al-Ṣāliḥ Būġdirī et des b. Qabrān161. À la fin des années 1820, c’est un al-‘Arbī al-Dahmānī qui apparaît162. Autochtones, fils de mamelouks bien installés dans le beylik, dépendants adoptés par des familles du pays, certains révèlent également des nisba, des noms d’origine, qui les relient à des domaines proches de Tunis (tels que celui de Tripolitain163).
63Ce qui importe, c’est donc moins la distance au pays d’accueil, le lieu de naissance en tant que tel que l’altérité, l’incertitude et le brouillage du passé qui vont permettre de fonder une relation de fidélité aux nouveaux maîtres164. Le souvenir des origines lointaines d’un mamelouk peut être perpétué tout au début de sa carrière dans l’une des composantes de son nom, dans sa nisba : un Aḥmad pourra être connu comme « le Napolitain », al-Nabūlīṭān, et un Muḥammad comme « le Français » (al-Franṣīṣ) avant qu’ils n’acquièrent des laqab, de nouveaux noms liés à leurs fonctions et à leur degré de fidélité aux beys. Ces origines peuvent également donner lieu à des incertitudes : ainsi de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ qui se voit tour à tour attribuer des ascendances caucasiennes de Géorgie et plus certainement moldaves165 ; ou Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, à qui l’on prête une enfance géorgienne166, circassienne167 et kurde168. Là aussi, tout comme dans le passage de la nisba au laqab, maîtres comme serviteurs savent jouer des zones d’ombre et des brouillages d’identité. Les beys utilisent ainsi la diversité des « nations » présentes au sérail, lors de dialogues symboliques avec les consuls européens présents à Tunis : en 1833, dans un climat de vive tension avec les Sardes, le bey transmet à l’un de leurs représentants diplomatiques un message lu par l’un des chefs mamelouks du palais qui se trouve être d’origine génoise ; ce que les observateurs se sont pressés d’interpréter, avec malice, comme une volonté beylicale de jouer des rivalités italiennes169.
64Cette extranéité conçue de manière large permet de présenter le mamelouk comme un autre au-dedans et en dehors du sérail afin de souligner des différences avec la majorité des sujets autochtones et pour exposer au regard des protégés européens d’anciens compatriotes entrés en soumission et en fidélité. Quoiqu’en nombre réduit, les autochtones qui trouvent place dans le corps des mamelouks complexifient le présupposé d’une quête systématique du lointain. Ce qui est important, c’est de s’être arraché d’un foyer d’origine pour se consacrer au service des beys. Ce faisant, ces exceptions à une soi-disant règle d’extranéité nuancent également l’idée que tout mamelouk doit nécessairement se convertir à l’islam avant d’être placé au service du bey170.
Conversion des conversions
65Des Britanniques en poste et en visite à Tunis insistaient dans les années1820 et1830 sur ce critère de la conversion comme élément essentiel de définition des mamelouks171. Leon Carl Brown, historien du règne d’Aḥmad Bey, jugeait cette étape naturelle dans leur formation. Tout refus d’entrée en islam signifiait, selon lui, le refus d’une quelconque promotion172. Les premiers comme le second oubliaient ou ignoraient que certains hommes des beys étaient nés de parents musulmans, que d’autres (Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, Khayr al-Dīn…) avaient déjà été éduqués dans des maisons de notables du beylik avant d’être reçus au palais. Ipso facto, tous ces mamelouks n’avaient qu’à enjamber un chemin déjà parcouru par filiation, par association à un lignage ou par adoption à différents degrés.
66Cette question de la conversion est d’autant plus complexe qu’elle contient en germe de multiples apories. Que faire des limites légales des conversions forcées173 ? Comment concevoir les conversions de très jeunes enfants dont les dents de lait ne sont pas encore tombées alors que les hanéfites bien en cour au Bardo blâment la séparation d’avec une mère avant l’âge de sept ans174 ? Comment la Circassie gagnée peu à peu à l’islam devient le foyer privilégié de la traite « blanche »175 ? Le phénomène n’est contradictoire qu’à nos esprits. Loin de vivre un paradoxe existentiel, les Circassiens connaissaient déjà sur leur terre d’origine de forts modes de dépendance : un nombre important de familles de paysans-guerriers se retrouvaient liées à des beys ou des émirs, à la tête de factions tribales176. Les Circassiens et Géorgiens, transitant par Istanbul, se vantaient à Tunis d’être de plus anciens musulmans que les Grecs177. À ce stade de contre-lecture des « convertis », il serait tentant de pervertir ainsi les propositions : le mamelouk ne devait pas nécessairement se convertir à l’islam ; il devait être musulman.
67Dans cette relecture, le « moment conversion » a certes pu être décrit comme un rite de passage déterminant, séparant l’être d’un ancien monde pour l’agréger à un nouveau178. Mais le plus souvent, les registres beylicaux du xviiie siècle et des débuts du xixe siècle faisaient part d’une procédure initiale s’insérant dans un processus continuel de formation du corps et des esprits. Ces registres donnaient à voir des conversions plus sobres, réduites à l’essentiel. Loin des majestueux décorums, les passages à l’islam se repéraient lorsque des distributions de tenues (kasāwī) à de « nouveaux mamelouks » étaient détaillées et que des gratifications (iḥsān) étaient versées aux hommes chargés des circoncisions179. Les barbiers (ḥajjām)180 et les autres mains habilitées à inciser les organes masculins recevaient des gratifications modiques : un seul riyāl en août1742 pour une intervention sur un mamelouk maltais alors que l’uḍā-bāšī, le chef d’une chambrée de mamelouks, recevait quatre fois plus pour avoir escorté le même mamelouk à partir de La Goulette181. C’est d’ailleurs sous le contrôle de ces uḍā-bāšī que se produisait l’islamisation. Les scribes ne mentionnaient pas de manière explicite une déclaration de foi qui pouvait, selon un témoin italien, être répétée à l’oreille du bey182, ils condensaient le moment par cette courte formule : tel mamelouk aslama ‘alā yad (sous le contrôle) du chef de chambrée, al-uḍā-bāšī183.
68L’entrée en islam apparaissait dans ce type de source comme une étape parmi d’autres dans la création du mamelouk et, plus que jamais, comme une entrée en soumission, en obéissance à un supérieur et, en dernier ressort, au maître de maison. La nouvelle créature (al-mamlūk al-jadīd) revêtait ensuite des atours qui l’uniformisaient de pied en cap avec d’autres serviteurs des palais. Chacun recevait des chaussures, deux pantalons, une ceinture (la šamla ou le ḥazam), deux chemises, deux vestes sans manches (farāmil) ou deux gilets (ṣadriyya), un burnous pour couvrir le tout, sans oublier la fameuse chéchia de Tunis, voire une selle dont le coût, au milieu du xviiie siècle, dépassait légèrement le prix d’une tenue : 29 piastres contre 27 en moyenne dans les années 1740184. L’ensemble conférait une apparence de dignité : le témoin italien cité plus haut, F. Caroni, captif à Tunis au début du xixe siècle, méfiant face au bey et à ses hommes, admettait un certain faste, sans pouvoir s’empêcher de dévoiler l’envers du décor :
« La Cour du Souverain de Tunis est bien réduite : le meilleur consiste en huit gardes du corps de figure et de taille choisies et vêtues d’un riche uniforme, qui se relèvent deux par deux. Mais, en privé, ils sont bien mal et ils n’ont pour eux tous qu’une seule chambre, bien pauvrement meublée, pour loger et coucher185. »
69Mais tout comme l’extranéité et la conversion ne constituaient pas des critères déterminants d’appartenance à cette catégorie de serviteurs, l’uniforme ne faisait pas le mamelouk. Ce qui habillait un mamelouk pouvait aussi couvrir un jeune valet chrétien des palais. L’adoption d’un costume de service n’était pas la première ou seule mue des mamelouks. Au début des années 1830, au temps des sourcilleux contrôles européens en Méditerranée, le style oriental était endossé le temps d’un voyage, sans doute pour passer inaperçu. Mais, arrivés à Tunis, les oripeaux étaient tout de suite délaissés. De ce point de vue, en mai1832, Muḥammad Khaznadār garantissait à son maître, le vizir Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, qu’il appliquait à la lettre les recommandations du négociant, ‘Umar al-‘Ibrī :
« Quant à vos ordres concernant le billet pour les mamelouks, eh bien, ils ont pu être libérés hier de quarantaine. Ils sont restés chez ‘Umar al-‘Ibrī. Je leur ai envoyé le tailleur pour qu’il confectionne des vêtements à leur mesure car Sī ‘Umar al-‘Ibrī m’a affirmé qu’ils ne pouvaient se présenter avec les vêtements du pays des Turcs. Quand leurs tenues seront terminées, nous les enverrons à Votre Excellence. […] Pour ce qui est des chéchias (šawāšī) des mamelouks, notre maître nous a ordonné d’en distribuer deux à chacun d’entre eux comme à l’habitude186. »
70La chéchia, produit d’exportation du beylik à travers l’Empire ottoman, replace aussi des exilés dans une immédiate quotidienneté tunisoise. L’usage convenu d’en distribuer aux nouveaux venus révélait une gestion administrative, routinière d’accueil des mamelouks et de conversions assez notables pour être répertoriées mais suffisamment fréquentes pour ne pas être décrites par le menu.
71Au seuil du sérail, le port d’un quasi-uniforme, les éventuelles circoncisions et déclarations de foi constituaient donc des moments d’entrée dans le corps des serviteurs. Mais, selon une perspective plus profonde, ce n’étaient que des moments parmi d’autres d’une transformation débutée au rapt ou à l’achat de la créature et poursuivie tout au long d’une carrière, plus ou moins réussie, dont les étapes étaient parfois matérialisées dans les composantes du nom d’un mamelouk.
Se faire un nom
72Après l’entrée au sérail, la reconnaissance de la recrue comme musulmane et le port de nouveaux habits, la composition d’un nom permet en effet d’examiner, en un troisième temps beaucoup plus long, les trajectoires et les carrières qui contribuent à mieux saisir la formation d’une catégorie de mamelouks au service des beys de Tunis. L’onomastique des mamelouks agglomère en effet des étapes de la vie d’un serviteur : l’adoption d’un « prénom » ou ism sous l’œil du maître de maison ; l’acquisition potentielle à partir de ce noyau initial d’une identité pour services rendus à la famille beylicale ; l’enracinement dans le sérail et dans le pays, par addition d’un nom de fonction et d’une kunya187… Les uns après les autres, les éléments du nom nous indiquent que le mamelouk se forge avant tout par la relation qu’il entretient avec son maître. Le nom du « wazīr al-šahīr Abū al-Mahāsin Yūsuf Khūjā Ṣāḥib al-Ṭābi‘188 » nous servira ici de fil rouge.
L’ism
73La première composante, l’ism (Yūsuf ), porte l’ensemble du nom, selon l’analyse de Jacqueline Sublet qui lui attribue une place déterminante. C’est, rappelle-t-elle, le « seul élément » de l’ensemble qui soit reçu à la naissance ou à l’entrée dans la communauté des croyants. C’est, en effet, à ce niveau que le Prophète intervenait afin de « renommer les convertis189 ». C’est, bien loin de cette prestigieuse référence, par son ism que le mamelouk commence à se distinguer dans les registres beylicaux. L’ancienne identité ne laisse, alors, que de très rares traces. Tant qu’un « prénom » ne lui est pas reconnu, le serviteur est qualifié de manière anonyme dans les registres de « nouveau » mamelouk (al-jadīd) ou de mamelouk de telle ou telle origine. Le fait même de renommer est donc à chaque fois déterminant. Le don de l’ism entérine un processus d’agrégation à l’entourage des beys. Cependant, tous les mamelouks ne sont pas nommés dans les palais des beys. Dans le cas du ṣāḥib al-ṭābi‘, une courte lettre de son premier maître faisait déjà mention d’un Yūsuf offert aux beys190.
74Pour Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ comme pour d’autres cas, il apparaît bien difficile d’avancer des modes d’explication satisfaisants à l’adoption de tel ou tel ism. Vouloir distinguer un premier groupe de ‘Utmān, Ḥaydar, Bahrām circassiens d’un second groupe de « Méditerranéens » recevant les prénoms de Muḥammad, Aḥmad, Muṣṭafā plus courants, moins marqués du sceau ottoman191, reviendrait à ériger en règle générale les exemples particuliers de dignitaires de la seconde moitié du xixe siècle sans se soucier d’autres cas de figure, le fait par exemple que le prénom Ḥusayn fût aussi bien attribué à un Italien qu’à un Circassien entre la fin et le début du xixe siècle. Sans exclure cette piste d’un particularisme caucasien192, il semble que d’autres logiques, non exclusives, soient aussi à l’œuvre.
75Alors que, au Caire, le coût dispendieux des mamelouks amenait des maîtres à désigner leurs créatures sous les doux et peut-être propitiatoires prénoms d’Alfī (mon millier) ou bien de Dahab (l’or), à Tunis, une inspiration vagabonde s’est nichée dans les mois de conversion de quelques mamelouks. C’est en rajab 1159 (juillet-août 1746) que les bien-nommés Rajab le Génois, Rajab l’Espagnol et Rajab le Maltais sont devenus musulmans, alors que la confection de leurs tenues semblait déjà achevée le mois précédent193…
76Selon ces croisements du hasard et de la nécessité, le choix de l’ism pourrait aussi s’éclairer par référence aux « prénoms » des princes beylicaux, « prénoms » eux-mêmes issus de références ottomanes. Signe là encore de ce fort lien entre maîtres et mamelouks, les Ḥusayn, les Muṣṭafā, les Aḥmad, les Mḥammad, les Ismā‘īl et tant d’autres enjamberaient alors les généalogies princières pour les listes nominatives de mamelouks. Au cours du xviie siècle, pour partie sous le règne des descendants de Murād Bey, l’ism de Murād l’emporte d’un soupçon parmi les « renégats » : 83 l’arborent sur 546 cas dûment identifiés aux archives du consulat de France, soit près de 15 %194. Plus tard, dans les premières décennies du xixe siècle, le prénom de Muṣṭafā est attribué à plusieurs personnages d’envergure : un prince au pouvoir de 1835 à 1837, un garde des Sceaux appelé par Muṣṭafā Bey à éduquer son fils Aḥmad195, et au fameux Khaznadār, principal conseiller puis « ministre » de la fin des années 1830 à 1873, adopté dans son enfance par Aḥmad Bey. D’une dynastie à l’autre, d’un règne à l’autre, les croisements sont fréquents.
77Les rapprochements opérés ne s’en révèlent pas moins fragiles : ils tiennent davantage de l’intuition, de l’association à des figures marquantes qu’ils ne se fondent sur des preuves écrites récurrentes et non contradictoires. Le recoupement de deux récits de la vie de Ḥusayn Bāš-Mamlūk incite à prendre en compte cette pratique de circulation du nom de protecteurs vers les convertis, mais avec prudence. Le premier récit conçu par Louis Calligaris, aventurier et instructeur d’armée arabisant d’origine italienne, accrédite l’idée d’une forte complicité entre le jeune mamelouk et un bey homonyme qui, arrivé au faîte du pouvoir, l’aurait hissé à ses côtés : « Le jeune Sicilien sut si bien gagner l’affection de son patron qu’il en devint bientôt le compagnon inséparable. Il embrassa l’islamisme et fut appelé Hassine comme son maître196. » Le tableau est par trop idyllique. La présence au Bardo de Ḥusayn Bāš-Mamlūk est plus ancienne que ne le prétend Louis Calligaris : avant même de devenir un favori, Ḥusayn fut dans son enfance une créature du vizir Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘. De fait, un second récit, la notice que Ibn Abī al-Ḍiyāf consacre au personnage, complexifie le choix du nom en éclairant une autre forme de patronage : Ḥusayn reçoit sur l’île de Sāqs (Chios) le prénom du qabūdān bāšā, Kušk Ḥusayn197
78L’attribution d’un ism dans une relation de patronage est ici avérée. Seulement, elle dépasse le patron, Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, afin d’honorer un personnage éminent du centre impérial. Du maître vers le serviteur, le don du nom s’apparente entre autres à un hommage que le patron se rend ou rend à d’autres parents, d’autres dignitaires. L’ism confère une marque quasi indélébile d’entrée en possession aux mains du protecteur. C’est, selon la démonstration de Jacqueline Sublet, l’élément « le plus précieux, le plus secret ». Par la suite, les mamelouks peuvent couvrir ce premier élément d’une nisba ou d’un laqab198.
Nisba et laqab
79À la différence de l’ism qui efface une première identité et permet d’affirmer une relation de clientèle, une deuxième composante du nom, la nisba (telle qu’al Malṭī, le Maltais), établit un lien formel à un événement, un individu, une idée et – ce qui nous importe le plus ici – à un lieu de naissance ou de vie199. Identifier des hommes selon leur première origine en les dotant d’un ism permet de les distinguer mais aussi les placer dans des situations intermédiaires : entre une extranéité originelle et une première adaptation à confirmer. Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ ne dispose pas de nisba. Le plus souvent indiquée pour des hommes issus de Méditerranée (Espagnols, Français, Vénitiens, Génois, Napolitains, Siciliens…) ou de Géorgie (al-Qurjī), plus rarement rencontrée pour les Circassiens et Grecs (à l’exception des hommes de Morée, les Murālī), la nisba disparaît avec l’assignation à une fonction de service. Elle peut être oubliée, ne rester que transitoire, de l’exil vers l’enracinement dans le sérail et le pays.
80L’accumulation de noms devient, du coup, un enjeu de carrière. La troisième composante du nom mamelouk, le laqab, « surnom, titre, titulature200 », acquis au service des maîtres du palais, doit confirmer l’attachement à la maison beylicale et, de facto, la perte des premières marques d’allochtonie. L’homme qui nous sert de guide, le vizir Yūsuf, a bien réussi à s’enraciner ; il est connu sous deux laqab : khūjā et Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Le premier désigne à Tunis un secrétaire chargé d’écrire en osmanlı ; dans cette dernière langue, khūjā a aussi une connotation honorifique qui a pu être concédée à ce haut dignitaire de Tunis. Le second laqab de « garde des Sceaux » est attribué dans un contexte mieux connu. La présentation de ces circonstances par Ibn Abī al-Ḍiyāf rappelle encore une fois le rôle évident du bey dans la distinction nominale et sociale de ces serviteurs. C’est lors d’une maḥalla que le mamelouk reçut l’honneur d’apposer le sceau beylical sur les lettres de son maître201. L’homme est si attaché à la fonction qu’elle le suit tout au long de sa vie de serviteur. Un autre mamelouk que nous avons rencontré dès le début de l’introduction générale, Muḥammad, l’agent de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, continue à être connu sous le laqab de khaznadār bien longtemps après l’exécution de son premier maître en 1837, jusqu’au soir de sa vie, au début des années 1880, lorsqu’il exerce par intermittence la fonction de Premier ministre202.
Kunya
81Selon cette capacité à ne pas être réduit à un ism, l’adoption d’une quatrième composante nominale, la kunya, constitue une ultime étape déterminante. Composé d’Abū pour un homme, cet élément restitue une relation de paternité, une grandeur sociale, et indiquerait pour le dépendant qui la reçoit la marque concrète de son affranchissement203. À suivre les notices biographiques rédigées par Ibn Abī al-Ḍiyāf pour les grandes figures de la régence de Tunis, il apparaît bien souvent que les kunya reçues par les dignitaires mamelouks sont déterminées par leurs propres ism. Ce lien quasi mécanique entre tel type d’ism et telle kunya se repère pour vingt et une des vingt-sept notices dans lesquelles les kunya des dignitaires mamelouks sont révélées : des Abū al-‘Abbās sont ainsi systématiquement rattachés aux Aḥmad ; les Yūsuf sont toujours des Abū al-Maḥāsin204… Dans les six autres cas, la kunya d’Abū Muḥammad est attribuée à des mamelouks aux ism variés. Cette kunya particulière peut alors faire référence à la naissance d’un fils du nom de Muḥammad et à une possible intervention des titulaires sur cette composante de leur nom205.
82Fruit potentiel d’une descendance et dépassement plus généralement d’une dépendance si elle se traduit par un affranchissement, la kunya marque une nouvelle étape dans une relation de patronage. L’entrée dans la relation de walā’ supposait l’insertion sous la protection et dans la famille du protecteur ; la kunyaindique une déconnexion entre patronage et apparentement au patron : celui qui porte cet élément du nom a pu bénéficier d’une manumission et a pu fonder sa propre famille. Abū al-Mahāsin Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ a dû attendre ces différentes issues : aussi bien la manumission206 que le mariage longtemps refusé par son maître, le bey Ḥammūda Bāšā207.
83Au regard de sa trajectoire, sa kunya avait un goût amer. Abū al-Maḥāsin, l’homme doté de « belles qualités », le puissant parmi les puissants loué pour ses « bonnes actions », pour l’édification d’une mosquée et d’un complexe architectural dans le faubourg de Bāb al-Swīqa, fut exécuté par les successeurs de son maître avant que sa dépouille ne subisse d’infamants supplices dans les rues d’une ville qu’il voulait orner208. Sa kunya illustre à l’extrême la gloire et la vanité du nom, œuvre commune des maîtres qui en confèrent les composantes et des serviteurs les plus ambitieux qui tentent d’en conquérir les distinctions, de s’en prévaloir afin de se hisser parmi les notables du pays.
84Les interactions d’une relation de patronage autour du nom sont là encore déterminantes afin de comprendre comment des trajectoires mameloukes se dessinent et contribuent à forger les expériences communes d’une catégorie de serviteurs : l’ism agrège au service du bey ; le laqab l’ancre dans ce service ; la kunyapeut lui donner du prestige. La kunya est, enfin, cette dernière composante du nom qui mène nos pas vers une dernière étape majeure dans la vie du mamelouk : le moment de l’affranchissement. La manumission et la disparition des patrons suffisent-elles pour être libéré du service et quitter le sérail ? En quoi ces deux échéances aident-elles à comprendre, au cours ou au soir d’une vie, la relation de dépendance qui unit le mamelouk à son bey, qui le définit et donc la construction de cette catégorie au service des beys ?
S’AFFRANCHIR DU MAÎTRE
Les occasions
85Diverses circonstances conduisent à l’affranchissement, sans attacher à cet acte une même publicité. Dans les constructions juridiques, ce sont, selon des interprétations malékites et hanéfites, la charité et l’amour de Dieu (ce qui constitue un affranchissement recommandable), l’expiation d’un crime, la procréation avec un maître musulman (istīlād), la mutilation du serviteur209. Dans le cas des mamelouks et serviteurs masculins des beys, trois circonstances particulières attirent l’attention et confirment l’autorité des beys : le paiement de la rançon d’un captif, le mariage du mamelouk, la mort des beys ou de principaux dignitaires de la province.
86Les paiements de rançons aux beys pour les captifs chrétiens, fort circonstanciés dans les archives de consuls chargés d’en négocier le montant, sont le plus souvent perçus comme des marchandages, au mieux des libérations, et parfois assimilés à des affranchissements210. Il est vrai que ces pratiques se rapprochent d’un mode contractuel, al-kitāb ou al-mukātaba, « convention entre maître et esclave conférant au dernier la faculté de gagner, par sa propre industrie, la somme nécessaire pour se racheter211 » ou par versement d’une somme déterminée212. Pour leur part, les mamelouks ne peuvent, par nature, en tant que musulmans et convertis, payer rançon et prétendre à un retour définitif en nation chrétienne sans verser dans l’apostasie. C’est par ascension sur l’échelle des dignités, ou à la suite d’une vie offerte à un règne, qu’ils se rachètent, non à pesant d’or, mais au prix du labeur, de la khidma.
87Dans cette perspective, le mariage avec une princesse beylicale, considéré comme une distinction pour le mamelouk qui n’a pas démérité, est souvent précédé d’un affranchissement : l’explorateur L.-R. Desfontaines livre le cas de « Moustapha Coja, […] Géorgien de naissance [qui] sut si bien se concilier l’amitié et la confiance d’Aly Bey, que ce prince lui accorda la liberté, et l’éleva au rang de Premier ministre, après lui avoir donné sa fille en mariage213 ». L’affranchissement pour mariage n’est pas aisé à déceler. L’un n’est pas toujours corrélé à l’autre : selon R. Brunschvig, l’alliance de musulmans non affranchis avec des coreligionnaires libres de toute attache est licite, sous certaines conditions, pour peu notamment que le maître de l’esclave ait inspiré le projet d’union ou donné sa bénédiction214. Parmi les descendants de Ḥusayn b. ‘Alī, c’est, il est vrai, le plus souvent le bey en exercice qui décide, en bon maître de maison, des alliances non seulement des hommes et femmes de son sang, mais aussi des mamelouks et des jawārī (odalisques) de son sérail.
88Dernière des trois formes d’affranchissement, la manumission posthume (al-tadbīr) laisse là encore une place centrale au maître. C’est ce dernier qui doit la prononcer dans la perspective de son décès215. Ostentatoire, ce type d’émancipation fait sortir du palais du défunt prince un grand nombre de serviteurs : moins d’une centaine d’« esclaves chrétiens » après la mort de Ḥammūda Bey en 1666216, trois cents « esclaves de tout sexe » dont cinquante Européens au décès de ‘Alī Bey en 1782217, six cents « négresses et nègres » à la disparition de Ḥusayn Bey en 1835218. Sous les Husaynides, jusqu’à la fin de ces années 1830219 , tous ces affranchis par la mort se déploient dans les rues de Tunis lors de cortèges funéraires. Agglutinés autour des cercueils princiers, ils forment d’impressionnants défilés décrits à grands traits par le chapelain anglican, Nathan Davis, sous le règne d’Aḥmad Bey (1837-1855) :
« Les esclaves affranchis suivent les obsèques, juste derrière la dépouille de leur maître ou de leur maîtresse, avec de longues perches au bout desquelles est attaché le certificat attestant leur libération220. »
89Dans l’entrechoquement des lances, entre les bouts de papier attachés à des roseaux qui font l’effet d’« oiseaux s’envolant [d’un] brancard221 », le tadbīr obéit certes à une finalité première : faire œuvre de piété, d’action de grâces222. Mais comme le mort n’en reste pas moins un homme, et que la grandeur d’âme ne le cède pas à la dignité, ce mode de manumission révèle aussi la position sociale d’un défunt en proportion du nombre d’affranchis amenés à l’escorter vers sa dernière demeure : en 1734, ‘Alī Bāšā, ébranlé par la disparition de son fils Sulaymān, ordonna « à cette occasion de grandes annonces » et accorda « la liberté à plusieurs esclaves223 ».
90L’affranchissement est un des derniers hommages rendus soit par un bey à un descendant ou à un serviteur, soit par un dignitaire à un de ses pairs. Au détour d’un feuillet du registre des dépenses de Muṣṭafā Khaznadār, en 1838, le coût d’affranchissement d’un domestique à la mémoire d’un autre mamelouk, le défunt Sīdī Sulaymalān al-Kāhiya, revient à 153 piastres224. Ce mode de manumission instaure un dialogue par corps interposés, autour d’un mort. Il aide à porter jusqu’au dernier stade le serviteur qui s’est consacré à son maître et dont, à la manière des créatures rachetées, seul le trépas annoncerait le soulagement. Noué entre le bey et ses créatures, le tadbīr, enfin, approche et inverse un rite funéraire princier bien connu : la mort d’accompagnement. Ceux qui dépendent du prince escortent le corps vénéré jusqu’à son tombeau, jusqu’à la turba de la dynastie dans la médina de Tunis, sans le suivre dans la tombe. Ils ne décèdent pourtant pas avec leur maître, comme c’est le plus souvent le cas dans les descriptions de ce rite en Afrique subsaharienne225.
91Qu’il soit appliqué après le décès du maître, prononcé après un certain temps de service, ou bien avant une alliance avec la famille au pouvoir, l’affranchissement qui confirme la relation de dépendance pose pourtant problème dans sa matérialité et dans son efficace : quelles en sont les preuves ? Quels en sont les effets réels pour un mamelouk ? Si le mamelouk se définit par la relation de dépendance qu’il a nouée avec le bey, jusqu’à quel point l’affranchissement transforme-t-il cette relation et aide-t-il à comprendre la construction de cette catégorie de serviteurs ?
Les preuves et la portée
92Pour ce qui a trait à la preuve de l’affranchissement, la difficulté réside dans la rareté des traces écrites. Durant les funérailles beylicales, ces certificats, nous l’avons vu, étaient certes brandis par centaines sur des perches. Mais les rares actes de manumission conservés dans les archives tunisiennes ou britanniques226 furent le plus souvent rédigés pour des domestiques noirs, femmes avant tout, qui avaient certainement besoin de s’appuyer sur l’écrit face à des interlocuteurs plus puissants. Pour les mamelouks, ces actes n’ont pour l’heure pas été rencontrés. L’existence même de ce type de « preuves » fut mise en doute lors de la vive polémique autour de l’héritage convoité du général mamelouk Ḥusayn, dans la seconde moitié des années 1880. Dans cette bataille juridique, un Tunisien résidant de longue date à Constantinople affirmait :
« […] De tous ces Mamlouks achetés des deniers du Beylik de Tunis, aucun n’a été affranchi : ni le Général Hussein Bey, ni Kheïr Eddin Pacha, ni Rustem Pacha, son gendre, mort il y a environ deux ans, ni Khaznadar, l’ancien Premier ministre de Tunis, ni son gendre Salin Bey, qui est venu il y a quelque temps à Constantinople, ne possèdent ou n’ont possédé la pièce libératoire indispensable pour établir leur qualité d’affranchis et, par conséquent, leurs enfants, esclaves comme eux, ne peuvent hériter de leurs biens : le seul et unique héritier de ces Mamlouks est Ali Bey, Régent de Tunis227. »
93Ces trop grandes et très fragiles certitudes en disent beaucoup sur la difficulté à cerner, à l’époque, le cadre juridique d’affranchissement des mamelouks.
94Le flou des situations individuelles, l’insistance sur la toute-puissance du maître à émanciper ses hommes conduisent à s’interroger en un second temps sur la portée des manumissions : un mamelouk affranchi est-il encore un mamelouk ? À première vue, l’affranchissement ne changerait pas la vie des mamelouks. Après le décès de Ḥammūda Bāšā, ses anciens serviteurs sont contraints de rester au sérail : ainsi de Khayr al-Dīn Kāhiya qui se maintient au côté de Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘228. D’autres y reviennent, de leur propre chef ou à l’invite des beys, après des tentatives de vie tunisoise229. Le maintien d’une grande dépendance est si commun, les traces d’émancipation si difficiles à percevoir que certains auteurs en sont venus à relativiser la portée des affranchissements. Leon Carl Brown est ainsi allé jusqu’à conclure que « l’acte légal de manumission n’introduit qu’une différence restreinte dans les relations entre le mamelouk et son maître. Le premier doit encore obéir et servir » le second230.
95Mais cette « différence » n’est pas si minime que cela. Le non-affranchi peut encourir les pires châtiments, surtout lorsqu’il est en fuite. En 1842, Ismā‘īl, un mamelouk parti pour Istanbul, est rattrapé par deux envoyés du bey. Il est venu réclamer une part de l’héritage d’un Ṣāḥib al-Ṭābi‘. Un des deux émissaires lui rappelle en guise de menaces son statut de non-affranchi et les risques qu’il encourt d’être incarcéré à tout moment ou bien vendu au bazar, selon le bon vouloir de ses maîtres de Tunis231.
96L’affranchi, lui, est toujours dépendant de son maître mais à un degré moindre. L’émancipation ouvre en effet des droits en matière d’héritage232. En effet, seul l’affranchi a droit à la qualité de légataire, en vertu de son lien de patronage (walā’) avec le de cujus. Mais puisque la walā’ est considérée comme un lien moins intense que le mariage ou d’autres formes de parenté, l’affranchi est relégué loin derrière les autres ayants droit, ascendants, descendants, frères, oncles et cousins paternels, époux et épouses233. Défunt, le mamelouk sans postérité, qu’il soit ou non affranchi, laisse ses biens à son patron ou aux descendants de son maître234 et non à l’institution financière en charge des successions en déshérence, la bayt al-māl235 : ainsi en fut-il du considérable patrimoine accumulé par Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘236. Pour reprendre la comparaison de David Santillana, un des avis de référence dans l’affaire du général Ḥusayn, « le droit du patron sur la succession de l’affranchi n’est que l’affirmation de ce principe, déjà formulé par le droit romain, que l’affranchi vit en homme libre et meurt en esclave : liber vivit, servus moritur ». Autrement dit, le choix du maître continue à primer237.
97En revanche, si l’affranchi a fondé sa propre famille, la donne change. La postérité suscite une nouvelle distinction dans ce domaine de l’héritage. Cette postérité conduit à un partage du patrimoine des affranchis entre, d’une part, leur ancien patron ou ses successeurs et, d’autre part, leurs descendants. Quand le principe de cette répartition n’est pas contesté238, ses modalités suscitent des divergences : de la moitié aux deux tiers des biens reviendraient au maître et à ses proches, la famille de l’affranchi se partageant des restes tout aussi variables239. Une partie des richesses de Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ est ainsi confisquée après son exécution en 1837, le vizir déchu laissant à la famille beylicale un fils qu’il eut avec une princesse husaynide. Les affranchis avaient donc des droits mais les patrons l’emportaient encore et toujours. La relation de dépendance définissait encore et toujours le mamelouk et par extension sa catégorie. Elle s’affaiblissait mais ne disparaissait encore et toujours pas.
Définition et variation par la dépendance
98Dépendants d’un maître plus qu’esclaves, renégats ou turcs : c’est ainsi que les mamelouks des beys seront donc considérés dans ce travail. Esclaves ? D’emblée, le vocable fut mis à distance : utile afin de vulgariser et comparer mais ô combien asséchant et réducteur. Turcs ? Pourquoi pas, si l’on entend par cela une obédience ottomane. Après tout, Circassiens et Géorgiens passaient par Istanbul. Les hommes du Caucase voyageaient avec les miliciens, les janissaires partageaient avec ces compagnons la trajectoire de serviteurs du sultan. Les créatures du sérail se réclamaient du hanéfisme, certaines apprennaient l’osmanlı. D’autres trouvaient place dans les casernes et les cavaleries. N’étaient, pour nous détacher de ces divagations et nous rappeler à l’ordre, les tranchants découpages de l’administration beylicale qui placent les mamelouks au second rang derrière les Turcs et devant les Arabes.
99Reste alors ce mot de « renégats » ? Les mamelouks le sont aussi, il est vrai, mais d’un certain point de vue seulement. Car ce qui l’emporte dans le ‘ilj ou le renié, tel qu’usité de manière quasi exclusive dans la langue française jusqu’à la fin du xviiie siècle, c’est le spectaculaire : la perte d’une identité originelle et l’aliénation de soi. Ce que ces termes masquent, c’est une nouvelle fidélité, l’attachement à une terre éloignée, l’abandon à une autre autorité. Or le mamelouk se définit avant tout dans ces relations-là, du point de vue de son maître, par le lien que le patron entretient avec sa créature ou que ce dernier reconnaît à plus grand que soi dans le cas des plus sages se confiant à la volonté de Dieu240. Ce n’est pas une catégorie projetée par l’historien, ni même toujours forgée par les principaux intéressés : elle chemine, génération après génération, d’abord par des tiers, les possesseurs.
100Notre approche rejoint de ce point de vue l’hypothèse de Jacques Berque : « Être mamelouk, après tout, cela ne désigne-t-il pas le service du prince et un mode d’accession au pouvoir241 ? » Les mamelouks vivent dans la dépendance en cultivant, plus que d’autres serviteurs, l’espoir de parcours ascensionnels, de capacités à retrouver ce qu’ils ont perdu ou ce qui leur fut retiré. Ce lien si fort insuffle du mouvement. C’est une constante qui dépasse les variations de traits dans les profils des serviteurs, des Latins aux Caucasiens, dans les âges de la vie, de l’exil à la manumission, dans les changements de règnes et de dynasties, des premiers pachas de Tunis au début du Protectorat. Le maintien de ce type de lien sur un temps long, les gammes que ce niveau de relation permet de former expliquent à la fois que cette catégorie ait pu traverser les siècles et s’adapter à maintes configurations.
Notes de bas de page
1 Ant, SH, C.9, d.93, arch. 2, Muḥammad Khaznadār à Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 5 juillet 1832 (6 ṣafar 1248).
2 L. C. Brown, 1974, 41.
3 Ou phénomène mamelouk (J. Dakhlia, 2000, 33).
4 Dans les traductions d’archives de l’arabe au français, le terme de mamelouk peut être rendu par celui d’esclave (exemple : Anf, AE B I 1153, Tunis, vol. 30, « Traduction d’une pièce arabe contenant quelques chefs d’accusation contre le consul et les réponses émargées de Sidy Moustapha Khodja, envoyées officiellement par ce ministre du Bey de Tunis à Monsieur de Fleurieu », 1790, f.229 v).
5 R. Amitai, 1986, 20 ; P. Crone, 1980, 74, 78.
6 D. Pipes, 1981, 13-14 ; B. Lewis, 1993, 107 ; Y. H. Erdem, 1996, 6 ; E. R. Toledano, 1998, 21-24.
7 M. Ennaji, 1994, 142-143.
8 E. R. Toledano, 1998, 158.
9 M. Piault, 1975, 323.
10 R. Amitai, 1986, 20.
11 Ant, reg.123, f.19 à f.38, f.52.
12 Al-Wazīr al-Sarrāj, 1985, vol. ii, 575.
13 B. Lewis, 1993, 88. En 1830, le consul Lesseps distingue « le mot ‘abīd (esclaves) qui s’applique aux esclaves nègres particulièrement et asrā (prisonniers) par lequel on désigna les esclaves chrétiens » (Mae, CP, Tunis, vol. 1, 10 août 1830, f.82).
14 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 74.
15 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 97.
16 Al-Saġīr b. Yūsuf, 1978, 131. Selon les traducteurs, le « mot mamelouk signifie “esclave”, et le cheikh veut dire qu’il ne peut avoir d’esclave ».
17 P. Grandchamp, 1926, t. iv, 4, 16, 25, 44, 49, 122, 167, 240, 270, 323, 342.
18 J. A. Peyssonnel, 1987, 77.
19 A. Moalla, 2003, 8-9, les kūruġlī ne représentent qu’une faible proportion dans les troupes de Tunis face aux « Sekbans », jeunes musulmans armés issus du plateau anatolien.
20 Pro, FO 77/14, au comte Bathurst, n°2, 20 juin 1823.
21 S. Bargaoui, 2005, 217-218.
22 C. Monchicourt (1923, 92) attribue le mémoire au consul de Hollande à Tunis, Antoine Nyssen, à la demande de l’abbé Raynal en 1788.
23 Ant, reg.3503, f.8, janvier-mars 1862 (ša‘bān 1278).
24 S. Bargaoui, 2005, 213.
25 Ant, reg.36, 1742-1743 (1155), f.56.
26 M. Poiron, 1925, 16.
27 C. Monchicourt, 1929, 20. L. Valensi, 2008, 315.
28 ANT, reg.239, f.20, 27 janvier 1785 (16 rabī‘ I 1199). Un ḥānba est un cavalier à qui sont attribuées des missions d’escorte, d’auxiliaire de justice.
29 S. Bargaoui, 2005, 213.
30 T. Bachrouch, 1977, 37.
31 P. Dan, 1648, 365.
32 J. M. Venture de Paradis, 1983, 92. A.-M. Planel (2000, 66) cite A. Guellouz pour rappeler que le mémoire « lui aurait été remis par le consul de Hollande Nyssen (Lessing) dont le nom a été rajouté sur le manuscrit en 1835 ».
33 C. Monchicourt, 1929, 22.
34 A. Martel, 1967, 19.
35 Mae, CP, Tunis, vol. 1, 16 juillet 1831, f. 233 v.
36 Mae, CP, Tunis, vol. 22, lieutenant-colonel Campenon au ministre de la Guerre, 15 décembre 1863, f.19 v. : « Est-il de notre intérêt de remplacer la famille des Beys, qui a dans le pays des racines séculaires, par un divan composé de Grecs, de Géorgiens et de renégats ? »
37 A. Raymond, 2006, 94.
38 A. Masmoudi, 1983, 108-109.
39 P. Grandchamp, 1920-1933, 10 tomes.
40 Chapitre III.
41 Anf, AE B I 1149, Tunis, « Sidy Mustapha » au vice-consul Devoize, 2 juin 1779.
42 Anf, AE B I 1144, Tunis, « Moustapha Codge gendre du Bey de Tunis » au consul Barthélémy de Saizieu, 16 juillet 1770.
43 M. H. Chérif, 1984, t.1, 191.
44 R. Brunschvig, 1991, 25-40.
45 R. Brunschvig, 1991.
46 D. Ayalon, 1999, 6.
47 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 26.
48 M. Beaussier, 1958, 284.
49 Ḍiyāf, 1989, vol. ii, 170, 176.
50 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 112.
51 Ant, reg.36, 1742-1743 (1155), f.55.
52 K. Cuno, 2001, 241-242 ; J. Hathaway, 1998a, 22-23.
53 Ibn Abī Dīnār (= Dīnār), 1967, 259 ; 1845, 424.
54 S. Bargaoui, 2005, 213.
55 Dīnār, 1967, 251 ; 1845, 414.
56 Al-Wazīr al-Sarrāj, 1985, vol. ii, 539.
57 Ibn ‘Abd al-‘Azīz, 1970, 363.
58 « Tārīkh al-Wazīr Muṣṭafā b. Ismā‘īl », 1969, 78 : cette relation anonyme décrit non sans outrance l’ascension du favori Muṣṭafā b. Ismā‘īl, devenu Premier ministre à la veille du Protectorat, et dans ce passage, c’est son recrutement en tant que ġulām au service du bey qui est narré.
59 Al-Bājī al-Mas‘ūdī, 1905, 135.
60 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 27.
61 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 119.
62 Dīnār, 1967, 227.
63 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 29.
64 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 89.
65 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 113 et 130.
66 Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 133.
67 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 28.
68 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 33.
69 P. Crone, 1991, 873.
70 L. Gognalons, 1943, 48-49.
71 R. Brunschvig, 1940, t.1, 451.
72 Dīnār, 1967, 209 (1845, 351).
73 Al-Wazīr al-Sarrāj, 1985, vol. ii, 375 : cet auteur note explicitement qu’Usṭā Murād fut le premier ‘ilj à accéder à la fonction de dey (li-anna-hu awwal ‘ilj tawallā dāy) et que Māmī craignait de ne pas être nommé à une telle fonction par les soldats turcs car il était « mamelouk d’origine » (mamlūk al-aṣl).
74 B. et L. Bennassar, 1989, 394.
75 Dīnār, 1967, 227 (1845, 380-381).
76 M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 202.
77 Une femme offerte par Aḥmad Bey au chroniqueur Ibn Abī al-Ḍiyāf est connue sous le nom de Fāṭima al-‘Iljiyya (Leïla Blili, 1986, 117).
78 T. Bachrouch, 1989, 570. M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 76 : une ‘iljiyya devient jāriya aprèsavoir été prise.
79 Ant, reg.111, f.239, 27-26 avril 1785 (17 jumādā II 1199).
80 Bnt, ms. 18136, Risāla fī al-ta‘līm al-askarī, 20-19 septembre 1846 (29 ramaḍān 1262).
81 Entre autres exemples dans Ḍiyāf, 1989, vol. vii, 13 : Ismā‘īl Kāhiya ; vii, 29 : Rajab Khaznadār ; vii, 56 : Sulaymān Kāhiya al-Awwal ; vii, 89, Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘ ; vii, 145 : Muṣṭafā Āġā.
82 M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 400 : l’expression a davantage mis en valeur des proches du bey sous les plumes de Ḥammūda b. ‘Abd al-‘Azīz et d’Ibn Abī al-Ḍiyāf.
83 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 179. Le terme permet aussi des distinctions parmi les mamelouks : avant son exécution, le 30 octobre 1822 (13 ṣafar 1238), le vizir al-‘Arbī Zarrūq reçoit, dans son cachot, la visite d’a‘yān des mamelouks du sérail (rijāl min a‘yān al-mamālīk al-ṣarāy).
84 A. Jdey, 1996, 64.
85 L. Ben Salem, 1984, 15.
86 A. Jdey, 1996, 64 ; L. Ben Salem (1984, 15) unifie Turcs et mamelouks en une « caste ».
87 Ant, reg.85, f.162, septembre/octobre1766 (rabī‘ II 1180) ; reg.406, f.93, 1er janvier 1817 (12 ṣafar 1232) : il est signalé qu’un certain ‘Usmān al-Mamlūk Bāš Kūmānjī se rend à Istanbul. Dans la maison du bey, le kūmānjī est chargé de l’approvisionnement alimentaire, il veille sur les provisions (M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 123).
88 Ant, reg.50, f.61, janvier-février 1748 (ṣafar 1161) : un mamelouk menuisier (najjār) d’origine maltaise reçoit de la vaisselle (mā‘ūn).
89 A. Saadaoui, 2001, 208 ; Ant, reg.192, f.117, 31-30 août 1775 (4 rajab 1189) ; reg.21811, f.3, 23 octobre 1819 (4 muḥarram 1235).
90 Ant, reg.139, f.121, juin/juillet1765 (muḥarram 1179) : des gratifications sont distribuées à ‘Usmān al-Mamlūk, wakīl au Bardo, et Rajab Qursū, wakīl d’une propriété (milk) à Bizerte. À un échelon inférieur, deux mamelouks gardent le fortin (burj) du domaine (sāniya) du bey (reg.277, f.171, 4-3 juin 1796, 28 qa‘da 1210).
91 Mae, CCC, Tunis, vol. 38, du consul Devoize, 14 juillet 1806, f.171 ; CP, Tunis, vol. 8, exemple d’une autorisation du bey accordée à l’officier français Sainte-Marie datée du 19 hijja 1259, 10-9 janvier 1844.
92 Ant, SH, C.3 d. 42, arch. 19, de Dilāwār al-Ṣaġīr au vizir Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 2 juillet 1829 (29 ḥijja 1244).
93 M. A. Ben Achour, 1989, 297. M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 484.
94 Ant, reg.35, 1742-1744 ; reg.192, f.13, mars-avril 1775 (muḥarram 1189).
95 Ant, reg.40, f.20, septembre-octobre 1816 (qa‘da 1231).
96 Ant, reg.554, 1860-1861 (1277), f.92.
97 Ant, reg.2146, f.2, 30 octobre 1860 (14 rabī‘ II 1277, daté du 18 octobre).
98 Ant, reg.220, 24 janvier 1780 (17 muḥarram 1194).
99 Ant, reg.331, revenus et dépenses du vizir Yūsuf Ṣāḥib al-Ṭābi‘, f.18, octobre-novembre1804 (rajab 1219).
100 S. Boubaker, 2003, 40.
101 Ant, SH, C.3 d. 42, arch. 110, Joseph Raffo à Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 8 juillet 1832 (9 ṣafar 1248).
102 Ant, reg.50, f.102, 1747-1748 (1160-début 1161).
103 Mae, CP, Tunis vol. 2, du consul Deval, Tunis, 20 janvier 1834, f.24 r.
104 Ḍiyāf, 1989, vol. iv, 43.
105 J. Hathaway, 2000, 201-202.
106 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 95.
107 Al-Rā’id al-Tūnisī, n°34, 29 al-qa‘da 1279, 18 mai 1863.
108 Al-Rā’id al-Tūnisī, n°3, 7 ṣafar 1277, 23 août 1860 (25 août 1860 selon le logiciel « Computus »), 4, 2e colonne, évocation du calife Mu‘tasim.
109 Al-Rā’id al-Tūnisī, n°44, 11 al-qa‘da 1295, 6 novembre 1878, 2, colonnes 2 et 3.
110 Anf, AE B I 1135, Tunis, vol. 11, 2 décembre 1742.
111 C. Windler, 2002, 424 ; R. al-Imām, 1980, 137-138.
112 A. Martel, 1967, 19.
113 A. Gallico, 1992, 107 ; C. Windler, 2002, 135-140.
114 A.-M. Planel, 2000, 28 et 550 ; J.-Cl. Winckler, 1967, 69.
115 E. Plantet, 1899, t. iii, 614 : note du consul Guys, Tunis, 12 mars 1825.
116 A. Raymond, 1994, vol. ii, 139.
117 T. MacGill, 1811, 33 et T. Maggill, 1815, 28.
118 A.-M. Planel, 2000, 551.
119 A. Gallico, 1992, 103.
120 A. Raymond, 1994, vol. ii, 139.
121 A.-M. Planel, 2000, 28 et 550.
122 Mae, CCC, Tunis, vol. 39, de Billon, 4 mars 1812, f.209 v.
123 J.-Cl. Winckler, 1967, 69.
124 A.-M. Planel, 2000, 26.
125 Mae, CCC, Tunis, vol. 35, 1797, f.142 r.
126 C. Monchicourt, 1929, 170.
127 R. al-Imām, 1980, 138-139.
128 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 101, 128.
129 J. Cl. Winckler, 1967, 22, 29. Le wārda-rūba veille aux vêtements des hommes du sérail au service du bey (M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 149). Ant, SH, C.78, d.918, arch. 38, sans date, remise de tenues à 12 muchachos.
130 A. Gallico, 1992, 105, lettre de Palma, Tunis, 3 mai 1819.
131 Ibid., 97, lettre de Palma, Tunis, 15 mars 1819.
132 A. Martel, 1967, 9, 11 : le capitaine Le Bœuf, auteur d’une Histoire de la conquête pacifique des territoires militaires de la Tunisie, officier des affaires indigènes qui a longtemps séjourné à Gabès, estime que le père de Joseph Allegro, Luis-Arnold, « ancien officier supérieur du 3e régiment de Spahis et premier commandant du Cercle de Tébessa, avait quitté la cour beylicale, où il était officier de mamelouks pour servir en Algérie ».
133 A.-M. Planel, 2000, 28 : Elena-Grazia née en 1779, convertie, épouse le prince Muṣṭafā.
134 L. Blili, 2004, 87, 91, 102 ; Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 181 et 177. La parenté de lait revêt une grande importance dans la pratique juridique en terres d’Islam (J. Dakhlia, 2005a, 25).
135 M. A. Ben Achour, 1989, 154 ; A. Raymond, 1994, vol. ii, 127.
136 L. C. Brown, 1974, 33 ; L. Blili, 2004, 102 ; A. Raymond, 1994, vol. ii, 172.
137 Ant, reg.170, f.145, 19-18 septembre 1770 (28 jumādā I 1184).
138 L. Blili, 2004, 102 ; Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 177-178.
139 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 181.
140 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 179, 13 ṣafar 1238, 29-30 octobre 1822. On notera l’expression : rijāl min a‘yān al-mamālīk bi-al-sarāy bi silāhi-him.
141 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 180.
142 A. Raymond, 1994, vol. ii, 172.
143 MAE, Protectorat, 1er versement : Résidence générale, affaires intérieures, 1217, Famille beylicale, 1892-1922, f.1.
144 L. C. Brown, 1974, 35.
145 R. Amitai, 1986.
146 Ant, reg.111, f.239, 27 avril 1785 (17 jumādā II 1199), mamelouks venant du « pays des Turcs ».
147 Ant, registre 450 : acquisitions de mamelouks aux mois de décembre1835-janvier 1836 (ramadan 1251) par Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ lors d’une mission à Istanbul.
148 J. Ganiage, 1959, 90.
149 Bnt, ms. 3417, f.35, une date est indiquée pour un autre compte sur la même page, le 18 rajab 1255, 27 septembre 1839.
150 Au sud-est de la Sardaigne.
151 D. Panzac, 1999, 81.
152 Ant, reg. 35, f. 25, décembre 1742-janvier 1743 (qa‘da 1155), et f. 78, juillet-août 1743 (jumādā II 1156).
153 Ibid., f.120.
154 Ibid., f.107, janvier-février 1743 (ḥijja 1155). Porto Farina est situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Tunis.
155 Ibid., f.18, octobre-novembre 1742 (ramaḍān 1155).
156 Ibid., f.120 : il prend le prénom de Muṣṭafā, il est converti dans la sāniya de Yūnis, fils de ’Alī Bāšā.
157 Ant, reg.141, juin-juillet 1766 (muḥarram 1180).
158 P. Grandchamp, 1936, 472-473.
159 D. Ayalon (1991, 301) avait minoré ce type de phénomène pour le sultanat mamelouk du Caire, jugeant qu’une fois reconnus, les intrus étaient chassés manu militari de l’ordre.
160 Al-Saġīr b. Yūsuf, 1978, 145.
161 M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 208-209.
162 Bnt, ms. 21807, registre de la bayt al-khaznadār, 27 décembre 1828 (19 jumādā II 1244), f. 44.
163 Ant, reg.220, f.135, 10 août 1780 (9 ša‘bān 1194) ; Mae, liasse 38, correspondances avec les ministres et secrétaires du bey (1778, 1797, 1801-1835), 4 janvier 1839.
164 Octavie Lagrange relevait que l’origine était « le plus souvent enveloppée de tels mystères qu’ils n’y voient goutte » (M. Bey, 1968, 1316).
165 Louis Frank, 1979, 67 ; Mae, CP, Tunis, vol. 1, 8 janvier 1833, f.273 v. ; Muḥammad b. Salāma, Bnt, ms. 18618, f.35 v ; al-Imām, 1980, 113 ; Ibn Abī al-Ḍiyāf, 1989, vol. vii, notice 84, 89.
166 A. Rousseau, 1980, 382.
167 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 28.
168 Ch. Monchicourt, 1929, 167, sur l’ensemble de ces références, M. Jebahi, 2003, 9.
169 Ch. Monchicourt, 1928, 584.
170 A. M. Medici, 2006, 77 : « La religion fut le vecteur identitaire le plus puissant pour ces esclaves militaires, la conversion à l’Islam constituant la marque la plus visible d’une nouvelle identité. »
171 Pro, FO 77/14, Tulin au comte Bathurst, 20 juin 1823 ; FO 102/29, rapport de James Richardson, An Account of the Present State of Tunis, Londres, 1845, f.48 r.
172 L. Carl Brown, 1974, 42.
173 Y. H. Erdem, 1996, 1-6, 51.
174 R. Brunschvig, 1991, 27. Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 105, 144, 151.
175 Les rythmes et modalités des conversions ont fait l’objet de révisions. Dans une première partie de l’article « Čerkesses », Ch. Quelquejay (1977, 23) rapporte qu’au début du xviiie siècle, par l’intervention des Khāns et de pachas turcs, la religion musulmane s’est peu à peu imposée sur le christianisme et les pratiques païennes. Dans une étude plus récente, l’origine du processus est également située au xvie siècle, avec l’extension d’une autorité ottomane dans l’Ouest du Caucase ; cependant, l’essentiel du mouvement se poursuit entre le xviiie et le xixe siècle (K. H. Karpat, 2002, 651).
176 E. R. Toledano, 1998, 81-82.
177 A. Demeerseman, 1996, 61 ; L. C. Brown, 1974, 51.
178 J. Dakhlia, 2001, 158 ; P. Dan, 1648, 323-325 ; Ḍiyāf, 1989, viii, 105.
179 Ant, reg.27, f.42, 9 juin 1740 (14 rabī‘ I 1153) ; f.47, 22 juillet 1740 (27 rabī‘ II 1153), intervention sur un Maltais ; f.53, 27 août 1740 (4 jumādā II 1153), opération pratiquée sur un Germanique (Ṭūdīskū).
180 Le ḥajjām intervient sur d’autres parties des corps masculins : il a un rôle médical ; il limite le port de la barbe au souverain et à ses hauts serviteurs (M. F. Al-Mustġānimī, 2007, 141).
181 Ant, reg.35, f.78, août1742 (jumādā II 1155) ; reg.74, f.27, novembre-décembre 1752 (muḥarram 1166), f.140, octobre-novembre (muḥarram 1167), f.142, novembre-décembre 1753 (ṣafar 1167)
182 P. Grandchamp, 1917, 42.
183 Ant, reg.35, f.120, été 1739 (1152) ; reg.50, f.26, août-septembre 1747 (ša‘bān 1160), f.65, janvier-février 1748 (ṣafar 1161) ; reg.425 bis, f.50, 6 janvier 1822 (12 rabī‘ II 1237).
184 Ant, reg.11, f.78, 1730-1731 (1143), prix indiqué d’une dizaine de riyāl ; reg.35, f.10, août-septembre 1742 (rajab 1155), la kiswā coûte 50 riyāl ; f.18, quatre selles sont acquises pour 118 piastres, soit un peu plus de 29 piastres à l’unité.
185 P. Grandchamp, 1917, 45.
186 Ant, SH, C.3 d. 42 arch. 68, Muḥammad Khaznadār à Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘, 8 mai 1832 (7 ḥijja 1247).
187 La partie du nom composée de Abū.
188 Ḍiyāf, 1989, vol. ii, 84, 89.
189 J. Sublet, 1991, 23.
190 Archive privée consultée auprès de Sī Aḥmad al-Habīb al-Jallūlī.
191 M. Smida, 1991, 24.
192 Au Caire, avec la conquête ottomane, les mamelouks doivent renoncer aux noms turcs (M. Winter, 1998, 96) qu’ils monopolisaient durant leur sultanat (D. Ayalon, 1996, 98).
193 Ant, reg.49, f.33, juin-juillet 1746 (jumādā II 1159) : Rajab Janwīz, Rajab Ṣbaniyūl et Rajab al-Malṭī.
194 B. Ben Sassi, 1999, 35.
195 N. Sebai, 1995, 23 : l’auteur émet l’hypothèse que, « élevé au sérail », Muṣṭafā Ṣāḥib al-Ṭābi‘ a pu recevoir le même prénom que le prince, ayant « à peu près le même âge que lui ».
196 Ch. Monchicourt, 1928, 570-571 ; sur l’auteur, 526-530.
197 Ḍiyāf, 1989, viii, 105.
198 J. Sublet, 1991, 23.
199 J. Sublet, 1991, 13.
200 J. Sublet, 1991, 9.
201 Ḍiyāf, 1989, vol. ii, 90.
202 L. C. Brown, 1974, 101-102.
203 J. Sublet, 1991, 9, 39, 43, 46, 56.
204 Ḍiyāf, 1989 : Abū al-‘Abbās pour les Aḥmad (viii, 72, 74) ; Abū ‘Abdallāh pour les Muḥammad (viii, 33, 121), 33) ; Abū al-Fidā’ pour des Ismā‘īl Kāhiya (vii, 13 et viii, 135, 151) ; Abū al-Maḥāsin pour les Yūsuf (vii, 89 ; viii, 22, 144) ; Abū al-Najā pour des Salīm (vii, 113 ; viii, 32) ; Abū al-Nukhba pour des Muṣṭafā (viii, 117, 145) ; Abū al-Rabī‘ pour des Sulaymān (vii, 56 ; viii, 32, 39).
205 Ḍiyāf, 1989 : Abū Muḥammad pour Šākīr Ṣāḥib al-Ṭābi‘ (viii, 28), Rašīd (viii, 148) ou Khayr al-Dīn Kāhiya (viii, 98).
206 Thomas MacGill (1815, 26) : « Le Saba-taba est immensément riche, et ce peut être une des raisons qui se sont opposées à son affranchissement. »
207 Ḍiyāf, 1989, vol. ii, 97, sur le refus du bey de le laisser se marier, Al-Mustġānimī (2007, 221) juge que ce cas fut loin d’être isolé et que, de façon plus générale, Ḥammūda Bāšā rechignait à marier ses grands mamelouks. L’alliance de Muṣṭafā Khūjā serait, de fait, une exception notable.
208 Ḍiyāf, 1989, vol. ii, 91-94, sur ses nombreux bienfaits.
209 Y. H. Erdem, 1996, 152 ; R. Brunschvig, 1991, 25, 27.
210 A. Rousseau, 1980, 247-248 : le terme d’« affranchissement » est utilisé à plusieurs reprises dans les négociations engagées au début du xixe siècle pour la libération de captifs issus de l’île Saint-Pierre.
211 M. Beaussier, 1958, 851.
212 Y. H. Erdem, 1996, 152-153 ; R. Brunschvig, 1991, 31.
213 L. R. Desfontaines, 1838, 28.
214 R. Brunschvig, 1991, 26, 28.
215 R. Brunschvig, 1991, 31 ; Y. H. Erdem, 1996, 152-153.
216 Une histoire des révolutions du royaume de Tunis au xviie siècle (…), 2003, 71, « il mettait en liberté quatre-vingt-quinze esclaves chrétiens ». Date du décès selon Dīnār, 1845, 401.
217 Anf, AE B I 1150, Tunis, vol. 27, Du Rocher, 27 mai 1782.
218 R. Burgard, 1932, 224.
219 Ḍiyāf, 1994, vol. i, 100 : en 1837, à la mort de Muṣṭafā Bey, Aḥmad Bey juge que la manumission est prononcée « pour plaire à Dieu […] et non pour tirer vanité du grand nombre des affranchis ».
220 P. Sebag, 1958, 168.
221 Al-Saġīr b. Yūsuf, 1978, 275 : funérailles de l’épouse de ‘Alī Bāšā en 1747.
222 A. Rousseau, 1980, 195 ; Pro, FO 77/3, Perkins Magra à Henry Dundas, 16 février 1792, f.227 r.
223 Anf, AE. B I 1138, Tunis, vol. 14, Sulauze, 10 décembre 1734.
224 Ant, reg.2465, f.9, autour de rajab 1254, septembre/octobre1838.
225 A. Testart, 2004, 50.
226 Ant, SH, C.1 d. 9, f.253 ; C.230, d.421, arch. 76 mise en valeur par A. Larguèche (1990, 78-79 : acte d’affranchissement de Salwa l’Africaine en février-mars 1838). Pro, FO 84/1290, Richard Wood à lord Stanley, 24 avril 1868 ; FO 84/1354, 31 décembre 1872 ; FO 84/1397, à partir de f.130.
227 Ant, SH, C.12, d.113 b, arch. 9014 : note jointe à la lettre de l’ambassadeur de France à Constantinople, M. de Montebello au ministre des Affaires étrangères, Péra, 22 décembre 1887.
228 Ḍiyāf, 1989, vol. iii, 121, viii, 117, 98.
229 Ḍiyāf, 1989, vol. viii, 135 et vii, 140 : Ismā‘īl Kāhiya et Šākīr al-Mamlūk, d’abord au service de Ḥammūda Bāšā, puis émancipés, reviennent au service des Husaynides, sous le règne de Maḥmūd Bey. Farḥāt al-Mamlūk (viii, 129) quitte le sérail de Ḥusayn Bey avant d’être rappelé par Aḥmad Bey, sans qu’il soit précisé, de manière explicite, s’il fut affranchi.
230 L. C. Brown, 1974, 48.
231 Ant, SH, C.221, d.364, arch. 36, lettre de Khayr al-Dīn signée par Ibn Abī al-Ḍiyāf, 26 rabī‘ I 1258 – 7-6 mai 1842, f.4, la mission est menée par Khayr al-Dīn, accompagné par Ibn Abī al-Ḍiyāf. Le mamelouk dénommé Ismā‘īl, qualifié de « scélérat », voulait revenir à Tunis. Les deux émissaires affirment ne pouvoir le ramener sans autorisation. Ismā‘īl se répand alors en revendications sur l’héritage d’un Ṣāḥib al-Ṭābi‘ (certainement Šākīr) auprès du qabūdān bāšā.
232 J. Schacht, 1999, 111.
233 M. A. Ben Achour, 1992a, 55-57.
234 M. F. Al-Mustġānimī (2007, 501) perçoit ses abandons d’héritage non seulement pour des mamelouks (avec le cas de Ḥasan al-Qurjī) mais aussi pour des serviteurs non mamelouks (avec l’exemple cité d’al-Ḥājj Aḥmad Wald Sī ‘Alī b.‘Abd al-‘Azīz).
235 A. Demeerseman, 1996, 49-50 ; J. M. Venture de Paradis, 1983, 60 ; Ant, SH, C.12, d.113, arch. 9146, note sur la succession des mamelouks. Mae, CP, Tunis, vol. 89, note de Maurice Bompard, secrétaire général du gouvernement tunisien, 28 février 1886, f.210 v-f.211 r.
236 Ant, SH, C.3 d. 33, arch. 47. (1815) M. Noah, 283 : The Bey seized upon his property.
237 Ant, SH, C.12, d.113, arch. 9109, Santillana au résident général de France à Tunis, J. Massicault, Florence, 9 février 1888.
238 Ant, SH, C.12, d.113, arch. 9146, note sur la succession des mamelouks.
239 Ant, SH, C.12, d.113, arch. 8762, David Santillana, 1er juillet 1887, Florence ; arch. 9014 : note jointe à la lettre de l’ambassadeur de France à Constantinople, M. de Montebello, au ministre des Affaires étrangères, Péra, 22 décembre 1887.
240 E. R. Toledano, 2007, 8 : Enslavement, I shall argue, is a form of patronage relationship, formed and often maintained by coercion but requiring a measure of mutuality and exchange that posits a complex web of reciprocity. D. Pipes (1981, 18) définit, pour sa part, l’esclavage par un contrôle du maître.
241 M. Ennaji, 1994, 153 (L’intérieur du Maghreb, Paris, Gallimard, 1978, 114).
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