Chapitre 4. La douane dans l’état rasūlide
p. 237-294
Texte intégral
« Lorsqu’un homme arrive de la mer, c’est comme s’il sortait de la tombe, et la furḍa est comme le lieu de rassemblement du Dernier jour (maḥšar) : on y trouve des interrogatoires (munāqaša), des comptes (muḥāsaba), des pesées (wazn) et des inventaires (‘adad). Celui qui fait du profit, son cœur recouvre la santé, mais celui qui connaît des pertes est plongé dans l’inquiétude. Ceux qui voyagent sur la terre ferme font partie des gens de la droite et ceux qui prennent la mer font partie des gens de la gauche. Si tel est l’état de la créature humaine [entre les mains] d’une [autre] créature dans ce monde où tout ce qui est se corrompt, qu’en sera-t-il, demain, de l’état de cette créature humaine, entre les mains du Créateur, dans l’effroi du Grand Jugement, ô Dieu. Nous n’en débattrons pas, ô Munificent1 ! »
1Que le lecteur se rassure, nous ne débattrons pas non plus de la fin du monde. Aux yeux de l’historien, seul importe ici le jugement d’Ibn al-Muğāwir sur cette institution qu’est la furḍa du port d’Aden. Si la douane se définit d’abord par la concentration des hommes et des biens que les procédures fiscales imposent, elle apparaît dans un second temps comme le siège d’une activité incessante d’identification et de dénombrement, selon des procédures qui ne sont pas sans rappeler celles que décrit Ibn Ğubayr à son arrivée dans le port d’Alexandrie2. En prenant à la lettre la métaphore utilisée par Ibn al-Muğāwir, ces deux aspects de concentration et de contrôle administratif sont proprement « effroyables » pour l’observateur du début du viie/xiiie siècle. Et la comparaison qu’il dresse avec le Jugement dernier n’est pas anodine : le pouvoir se montre ici sous les traits d’une administration quasi « infernale », comme anticipation ou mime des manifestations ultimes du pouvoir divin. Son activité, qui n’est pas l’œuvre de simples individus, semble guidée par une logique qui échappe à tous. En ce sens, la douane d’Aden apparaît bien comme une des manifestations les plus achevées du phénomène étatique dans le Yémen du viie/xiiie siècle.
2Aden n’était pas l’unique douane de tout le royaume rasūlide. Le terme furḍa est dans nos sources associé à deux autres villes : Zabīd et al-Šiḥr. Si l’histoire de cette institution dans la capitale de la Tihāma est entourée de nombreuses obscurités, sa date de création dans le principal port du Ḥaḍramawt est bien connue. Peu de temps après le passage d’al-Šiḥr sous l’administration directe d’un émir rasūlide, Sayf al-Dīn l’Arbalétrier (al-Bunduqdār), en 677/1278, le sultan al-Muẓaffar y envoya un certain Ibn al-‘Asqalānī, pour y être « son » surintendant (nāẓiran la-hu) dans la cité. Ce marchand d’Aden était l’« un des notables (min a‘yān al-nās), de ces gens de mérite qui aiment le mérite et de ceux qui connaissent le noble Livre3 ». Il fut ainsi le premier surintendant connu du port du Ḥaḍramawt et c’est certainement sous son égide que furent mises en place l’institution et une partie des règles de la « douane d’al-Šiḥr la bien gardée4 », telles que les présentent par la suite l’Irtifā‘ al-dawla al-mu’ayyadiyya et le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan. Les tarifs de la furḍa d’Aden avaient été, selon Ibn al-Muğāwir, réformés par un juif venu d’Irak, certainement lui aussi un marchand, rompu aux méthodes d’administration en vigueur dans une région qui était alors au cœur de l’Empire islamique5. L’administration d’al-Šiḥr fut, quant à elle, réorganisée par un marchand d’Aden, pieux musulman dont la famille était originaire d’un petit port de Palestine au bord de la Méditerranée. La comparaison de ces deux « fondateurs » éclaire tout ce qui sépare deux villes, mais surtout deux époques : le déplacement du centre de gravité du monde arabe de l’Empire de Bagdad à celui du Caire, l’emprise plus importante de l’islam dans la société et l’administration. Elle met aussi en relief la filiation souterraine des formes et des pratiques de l’État, depuis l’administration de la grande province ‘abbāside jusqu’à l’une des provinces les plus isolées de toute la Péninsule, le Ḥaḍramawt.
3La douane comme institution est l’une des faces les plus visibles de l’État tel qu’il s’est construit dans le Sud de la péninsule Arabique au cours des derniers siècles du Moyen Âge. Cette conviction, déjà affirmée dans l’introduction de la présente partie, se nourrit aussi de ce que nous venons de voir au cours du chapitre 3. L’accroissement des revenus, indissociable d’une complexité croissante des circuits d’échange et de paiement, s’est accompagné d’une mutation dans l’organisation du pouvoir et dans sa représentation. Une administration plus étoffée, plus structurée, une formalisation plus forte des rapports entre l’autorité publique et les marchands : tout cela fait que la furḍa, comme centre de l’organisation économique et financière des ports d’Aden mais aussi d’al-Šiḥr, a joué un rôle déterminant dans l’élaboration et la maturation de l’État rasūlide. L’importance, au sein du sultanat, de la douane comme système permettant de combiner prélèvement fiscal et commerce d’État peut se mesurer de plusieurs manières : sur un plan matériel, en évaluant la part exacte de ses revenus dans l’ensemble des ressources sultaniennes ; sur un plan structurel, en voyant comment elle contribua à l’organisation de l’administration rasūlide ; sur un plan politique, en tentant de cerner son rôle dans la légitimation du pouvoir, notamment vis-à-vis des marchands. Ce sont ces trois perspectives que nous adopterons successivement.
1. LA DOUANE, UNE INSTITUTION CENTRALE DE L’ÉTAT RASŪLIDE ?
4Les trois « douanes » d’Aden, al-Šiḥr et Zabīd ont en commun une même façon de désigner les taxes d’importation, dîmes ou‘ušūr6. Les trois villes ont aussi en commun la présence d’un matğar, cette administration spécialisée dans le commerce d’État7. L’articulation de ces deux éléments, ‘ušūr et matğar, fut à l’origine de la fortune d’Aden. S’observe-t-elle aussi à Zabīd et al-Šiḥr ? La comparaison est malheureusement rendue difficile par le déséquilibre des informations dont nous disposons.
5Cas extrême, la douane de Zabīd/al-Ahwāb s’avère insaisissable dans les sources. Les agents de la furḍa sont bien mentionnés parmi les membres de l’administration de Zabīd dans une liste du Mulaḫḫaṣ8. Et nous savons aussi par le même traité que des taxes à l’importation étaient prélevées dans le port de Zabīd, al-Ahwāb9. Où la douane était-elle donc située ? À Zabīd, une quinzaine de kilomètres à l’intérieur des terres, ou dans le port lui-même ? La seconde hypothèse est bien entendu la plus probable, d’autant que la liste des fonctionnaires de Zabīd dans le Mulaḫḫaṣ comprend par ailleurs de nombreux officiers intervenant en dehors de la cité, dans sa province immédiate, le wadi, ses champs et ses palmeraies. Cela fut aussi certainement le cas pour les agents de la douane. Ajoutons à cela que le matğar de Zabīd n’apparaît que dans une mention tardive et assez énigmatique : « Le 23 du mois de rabī‘ I [798/5 janvier 1396] fut le commencement du matğar à Zabīd la bien gardée sous la responsabilité du Qāḍī Sirāğ al-Dīn ‘Abd al-Laṭīf b. Muḥammad b. Sālim10. » S’agissait-il de la première implantation d’un entrepôt de commerce sultanien à Zabīd ? ou bien de la rénovation de structures plus anciennes ? Même si les sources rasūlides ne nous permettent pas d’en dire plus, leurs silences mêmes sont éloquents. Que ce soit par son organisation ou l’ampleur de son administration, la douane de Zabīd/ al-Ahwāb n’avait que peu à voir avec celle d’Aden.
6Nous sommes en revanche mieux renseignés sur la douane d’al-Šiḥr à partir de sa création dans le dernier quart du viie/xiiie siècle, en dépit des silences du Nūr al-ma‘ārif à ce sujet. Fort heureusement, l’Irtifā‘ al-dawla al-mu’ayyadiyya contient un compte détaillé de cette province et le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan un tarif douanier portant sur les importations maritimes et terrestres11. Les comptes du manuscrit du sultan al-Afḍal al-‘Abbās nous permettent de suivre l’évolution de ses revenus. Disons-le d’emblée : l’activité d’al-Šiḥr et les revenus que le sultanat en retirait étaient loin d’atteindre le niveau de ceux d’Aden. Pourtant, le système fiscal et l’intervention administrative dans les échanges possèdent bien des traits comparables.
1.1 Al-Šiḥr, furḍa de l’encens
7L’expédition contre al-Šiḥr menée par l’émir Sayf al-Dīn al-Bunduqdār en 677/1278 était l’aboutissement d’un processus lent de soumission de la côte ḥaḍramie12. Elle marqua une véritable rupture sur le plan institutionnel, en faisant passer l’administration de la ville sous la tutelle directe du dīwān rasūlide. Ce changement de statut imposa-t-il aussi son empreinte dans le paysage de la ville et du port ? L’historien ḥaḍramī de la première moitié du xxe siècle, ‘Abd al-Raḥmān al-Saqqāf, affirme dans son Mu‘ğam buldān Ḥaḍramawt, sans préciser sur quelle source il s’appuie : « Al-Šiḥr n’était pas une ville mais [les gens] y descendaient dans des cabanes [sur la côte] jusqu’à ce qu’al-Malik al-Muẓaffar – maître du Yémen à cette époque – y construise une ville imprenable après l’année 670/127213. » Sans remonter au iiie/ixe siècle, à partir duquel les sondages archéologiques témoignent de la présence de constructions en dur14, la chronique de Šanbal montre que la ville était déjà ceinte d’un rempart tourné vers l’intérieur des terres dans la première moitié du viie/xiiie siècle15. La résistance à l’attaque des troupes de Ẓafār menée depuis la mer en 677/1278 suggère aussi la présence de fortifications face à l’Océan, même d’une façon discontinue16. Les premiers émirs rasūlides modifièrent-ils les défenses existantes à leur arrivée ? Cela est probable, même si rien ne l’atteste formellement dans les sources écrites ou les découvertes archéologiques17. Dans le schéma de l’Irtifā‘, à la fin du viie/xiiie siècle, al-Šiḥr est clairement entourée d’un cercle – représentation ordinaire des villes fortes – et quatre noms de portes sont donnés : au nord Bāb Ḥaḍramawt, à l’ouest Bāb Sam‘ūn, à l’est Bāb Dufayqa, au sud Bāb al-Sāḥil, la « porte du Rivage18 ». La localisation de la porte occidentale sur le Wādī Sam‘ūn corrobore les résultats du sondage stratigraphique effectué par la mission archéologique française entre les deux bras du wadi, qui montrent l’extension de la cité dans ce secteur occidental dès la période ‘abbāside19. La limite orientale de la cité est plus difficile à définir. Au début du viie/xiiie siècle, c’est dans le « cimetière oriental » (al-maqbara al-šarqiyya) selon Šanbal que fut enterré le cheikh Sa‘d, dont le mausolée est encore visible aujourd’hui au nord-est du quartier d’al-Mağraf20. Cette zone marquait certainement alors la limite de la ville à l’est, avec la porte de Bāb Dufayqa. Enfin, il n’est pas certain que la cité du viie/xiiie soit allée bien au-delà de la limite du nord du quartier actuel d’al-Qarya (le « village »)21.
8En dehors de ce cadre topographique, la localisation et l’histoire des quartiers de la cité sont bien mal connues. Où se trouvaient les marchés ? Quelle était l’extension de la douane ? Les sources, quelles qu’elles soient, sont muettes à ce sujet, y compris Ibn al-Muğāwir qui se contente de signaler qu’al-Šiḥr est un « bon mouillage (marsā ṭayyib) de la province du Ḥaḍramawt22 ». Rien en tout cas au viie/xiiie ne paraît pouvoir rivaliser avec la monumentalité du quartier administratif d’Aden. Un poète de cette époque, Abū Ḥanīfa, qui avait quitté Aden pour al-Šiḥr, confirme cette impression, dans une œuvre composée en réponse aux gens d’Aden qui lui reprochaient son choix :
« Ils m’ont admonesté et ont dit : tu as fait durer l’exil et délaissé la patrie Tu as échangé Ṣīra pour Ṣīġat et tu as remplacé Aden par al-As‘ā23 Par Sam‘ūn et al-Ṣarḥa. Tu as effacé le souvenir de Ḥuqqāt, du beau ḫān et des palais (quṣūr)24. »
9Là où Aden se distingue par ses halles et ses châteaux, tel celui du Belvédère (al-Manẓar), al-Šiḥr se réduit à l’évocation des noms de ses principaux wadis. Selon Bā Maḫrama qui commente ce texte au xe/xvie siècle, al-As‘ā et Sam‘ūn étaient en effet les noms des deux cours d’eau temporaires autour desquels s’étaient développés les premiers noyaux d’habitation :
« [La ville] a été appelée al-As‘ā […] car il y a un wadi appelé al-As‘ā, où se trouvaient de nombreux arbres, avec des puits et des palmiers. La cité était à l’est, et l’ancien cimetière à l’ouest25. Elle a été nommée Sam‘ūn car il y avait un wadi appelé Sam‘ūn. La ville se trouvait autour à l’est et à l’ouest. Les gens buvaient l’eau des puits de Sam‘ūn26. »
10De façon significative, Bā Maḫrama décrit ici une ville éclatée en plusieurs entités. Cette représentation de l’histoire urbaine d’al-Šiḥr, encore relayée de façon tenace dans les traditions locales, correspond à des étapes historiques difficiles à cerner27. Elle tranche en tout cas avec l’image donnée par l’Irtifā‘ al-dawla al-mu’ayyadiyya à la fin du viie/xiiie siècle, celle d’une cité unifiée, entourée par ses remparts, qui faisaient d’al-Šiḥr la véritable métropole de toute la province du Ḥaḍramawt28. C’est dans cet espace urbain partiellement ou totalement clos que se trouvaient concentrés les flux de marchandises.
11Comme Aden, al-Šiḥr était au confluent de plusieurs itinéraires de commerce, venant de l’intérieur des terres ou de l’Océan. L’Irtifā‘ al-dawla al-mu’ayyadiyya mentionne la venue de gros navires depuis Maqdišū, sur la côte de l’Afrique de l’Est, Ẓafār, le grand port de l’est, et l’Inde29. En direction de l’ouest, les liaisons avec Aden étaient assurées par une navigation de cabotage. Ibn al-Muğāwir est le premier de tous les géographes arabes à nous donner les noms de la plupart des mouillages situés sur cet itinéraire, notamment ceux d’al-Mukallā, al-Šuḥayr, Mayfa‘ et Ḥuṣn al-Ġurāb (actuel Bi’r ‘Alī)30. Ce dernier est encore désigné sous le nom ancien de Qanī sur la carte de l’Irtifā‘31. Nombre de ces localités s’étaient développées autour de mausolées de saints personnages venus se retirer dans des lieux peu fréquentés du littoral. Selon le Qāḍī Mas‘ūd, al-Mukallā fut par exemple d’abord connu pour la « tombe d’un homme pieux étranger appelé Ya‘qūb ». Cet auteur ajoute : « Sa mosquée est visitée et connue pour ses bénédictions. Celui qui se réfugie auprès de sa tombe est sauvé32. » En se rapprochant d’Aden, Aḥwar possédait aussi une « tombe célèbre pour ses bénédictions rapportée au Šayḫ ‘Amr b. Maymūn33 ». Mais le lieu le plus notable restait, à proximité d’Aden, la mosquée d’al-Ribāṭ sur la côte d’Abyan :
« On dit que c’est la première mosquée qui fut construite dans sa région sur le littoral. Tout près se trouve le lieu de pèlerinage (muzār) connu sous le nom d’al-Kaṯīb. On dit que cette mosquée était un temple pour une population vivant avant l’Islam34. »
12Si le lieu de culte connu sous le nom d’al-Kaṯīb al-Abyaḍ était effectivement fréquenté depuis des temps anciens35, nous savons par ailleurs que la mosquée d’al-Ribāṭ fut fondée par un certain Sālim b. Muḥammad al-‘Āmirī, mort en 630/123436. Le début du viie/xiiie siècle pourrait donc marquer le début de cette floraison de mausolées et de lieux de culte entre Aden et al-Šiḥr, peut-être en lien avec une fréquentation accrue de leurs mouillages. À cette route de cabotage le long de la côte arabique venaient s’ajouter un ou plusieurs itinéraires conduisant vers l’intérieur des terres, vers le Wādī Daw‘an ou vers l’intérieur du Wādī Ḥaḍramawt, dominés par les deux petites cités de Šibām et Tarīm.
13À al-Šiḥr, les marchandises étaient taxées à l’importation selon une logique assez similaire à celle qui prévalait à Aden. Là aussi, la douane fonctionnait comme un véritable « filtre de l’échange », imposant une taxation différenciée des produits en fonction de leur provenance, de leur quantité et de leur intérêt pour l’administration37. Les produits de l’intérieur, essentiellement alimentaires, se présentent sous la forme familière des listes de taxes ad naturam. 15 articles sur les 20 sont imposés en espèces suivant leur poids (ḥiml). Les cinq restants, dont le henné [17v-16] et le millepertuis [17v-19], sont prélevés en nature, au cinquième de leur quantité ou selon une proportion assez minime pour le fer (6 raṭl pour 1 bahār, soit 2 % de la quantité). Dans quelques cas, comme l’aloès [17v-17], les dattes [17v-24] ou le poisson [17v-26], une petite part en nature vient s’ajouter à la taxe en espèces38. Ces prélèvements sur les denrées alimentaires, effectués en proportion limitée, servaient à n’en pas douter aux besoins courants de l’administration d’al-Šiḥr, des représentants et des troupes rasūlides. Ils sont aussi révélateurs du niveau de monétarisation et de ses limites, qui imposaient d’accorder une place aux paiements en nature, dans cette région plus fortement encore qu’à Aden. Nous savons par l’Irtifā‘ que le futur sultan al-Mu’ayyad Dāwūd, alors muqṭa‘ d’al-Šiḥr en 694/1295, avait établi ou réformé le tarif sur les produits venant de l’intérieur des terres. Le recueil reprend en effet l’instruction expresse du sultan de ne pas « augmenter l’imposition qui avait été décidée lors du séjour de notre maître le sultan – que Dieu prolonge son règne – à al-Šiḥr, comme cela avait été établi, ce dont les marchands étaient satisfaits39 ». Au vu de la faiblesse des taux appliqués, l’approbation des marchands paraît tout à fait vraisemblable. Il ne s’agit donc pas là seulement d’une flatterie surgie sous le calame d’un secrétaire courtisan.
14La taxation des importations venues de la mer s’organise d’une façon quelque peu différente. Trois catégories de produits sont particulièrement distinguées en provenance de l’Inde : les tissus, le poivre et l’indigo [17v-1 à 3], qui devaient être les articles plus courants. Remarquons cependant que, à la différence d’Aden, la majorité des produits, qu’ils viennent de l’Inde ou des régions « diverses » (tafārīq), étaient taxés ad valorem, le taux courant étant de 7 dinars + ⅔ pour 100 dinars. Comme nous l’avons vu dans les cas d’Aden ou d’Alexandrie, l’application d’un tel régime de taxation imposait l’existence de liens étroits entre la douane et le marché, soit par l’établissement fréquent de listes de prix par les courtiers et le muḥtasib, soit par la mise en vente directe des marchandises en douane au moyen d’enchères. Aucune de ces deux procédures n’est explicitement signalée dans nos textes à propos d’al-Šiḥr. Tout au plus trouve-t-on mention dans les comptes de l’Irtifā‘ du loyer que percevait l’administration pour la location de onze boutiques (dukkān)40, probablement peu éloignées de la douane ou des bâtiments administratifs de la cité.
15Parmi les importations maritimes, seuls quelques produits échappent à la règle de la taxation ad valorem, comme les draps, malāwāt, taxés selon leur unité ordinaire, la kawrağa, ou encore le curcuma, les esclaves et le beurre clarifié [17v- 1, 4, 8 et 9]. Dans les deux derniers cas, la comparaison possible avec les tarifs d’Aden montre que les taux d’al-Šiḥr étaient légèrement supérieurs41. Dans l’ensemble, aucune raison apparente ne permet de rendre compte de la diversité du système de taxation. La juxtaposition des deux systèmes de taxation ad valorem et ad naturam pourrait être une trace de remaniements intervenus au cours du temps dans les tarifs. Nous apprenons en effet par l’Irtifā‘ que l’installation de l’administration rasūlide à al-Šiḥr avait produit des effets désastreux dans un premier temps42. Le futur sultan al-Mu’ayyad les avait certainement constatés lors de sa venue en 694/1295. D’après la description qu’en donne l’ouvrage, la « fuite » (nufūr) des marchands de l’Inde ou d’autres régions n’avait pas été provoquée tant par le régime de taxation que par le comportement arbitraire de l’administration dans ses achats. Les agents du fisc, prétextant la nécessité d’acquisitions pour le dīwān, retenaient de nombreux articles importés en douane jusqu’à la fin de la saison maritime et commerciale. Les marchands, acculés par le temps, étaient alors forcés de leur vendre à titre privé leurs marchandises à très bas prix. L’auteur de l’Irtifā‘ condamne ces pratiques sans préciser quelles mesures furent prises pour y remédier. Constatons seulement que l’imposition des taxes ad valorem limitait de telles dérives en liant directement la procédure de taxation au prix de vente du produit sur le marché : plus celui-ci était haut, plus les revenus de l’administration étaient importants. Un tel système fut peut-être adopté à la suite de ces exactions.
16Quelle que soit la chronologie de mise en place des tarifs d’al-Šiḥr tels qu’ils furent consignés en 815/1412 par al-Ḥusaynī dans son Mulaḫḫaṣ, le long passage de l’Irtifā‘ sur les problèmes de l’administration rasūlide est révélateur des hésitations, voire des orientations contradictoires qui accompagnèrent ses débuts dans la cité. D’une part, l’approvisionnement de l’administration et du sultan était une préoccupation constante du pouvoir. Cela transparaît notamment au travers de l’établissement de véritables monopoles d’achat sur les dattes, l’encens ou encore l’huile de foie de poisson (ṣīfa) en provenance de l’intérieur des terres, au seul profit de la « bienheureuse administration ». Celle-ci va même jusqu’à appliquer pour l’encens un prix d’achat fixe « selon la Règle habituelle (al-ḍarība al-mu‘tāda), c’est-à-dire à tout moment 7 dinars ½43 ». D’autre part, la seconde préoccupation qui transparaît au travers de l’Irtifā‘ concerne les marchands : ceux-ci doivent être traités avec « justice et équité » et accueillis « avec honneur et générosité44 », afin qu’ils fréquentent en nombre le port. Cela impliquait bien entendu une taxation modérée, ce que les tarifs indiqués dans le Mulaḫḫaṣ assuraient. Cela supposait aussi que les marchands de l’Inde, de Ẓafār ou de Maqdišū aient de bonnes raisons de venir. Aucune liste de taxes d’exportations – apparemment inexistantes – n’est là pour nous dire quels produits suscitaient leur venue. Mais nous savons par Marco Polo qu’al-Šiḥr était connu pour son « encens blanc », ses « dattes », ainsi que ses « destriers », ces derniers n’étant curieusement nullement évoqués dans les archives rasūlides45.
17Comme à Aden, le pouvoir rasūlide, une fois en place, s’était directement immiscé au cœur des cycles de l’échange : en se réservant l’achat des dattes et surtout de l’encens à des prix avantageux, il s’était substitué aux marchands venus de la mer, acquéreurs ordinaires du second produit. Plus encore, il n’avait pas hésité à leur en revendre une partie, tout en récupérant au passage un joli bénéfice, comme le confirme Marco Polo :
« Quant à l’encens qui, je vous l’ai dit, y naît en si grande quantité, le seigneur l’achète pour dix besants d’or le canter. Mais ensuite, le seigneur le revend aux autres gens et aux marchands quarante besants le canter. Cette opération, le seigneur de Scier [al-Šiḥr] la fait pour le sultan de la province d’Aden. Car le sultan d’Aden, dans tout son territoire, fait acheter l’encens au prix de dix besants et le revend ensuite quarante, comme il a été dit. Et c’est proprement de cet encens que le seigneur de cette cité tire un très grand profit et une très grande rente46. »
18Non seulement l’administration revendait l’encens aux marchands, mais elle effectuait cette transaction en quadruplant le prix de vente par rapport à l’achat. On comprend, dans ces conditions, qu’il était indispensable pour les voyageurs venus de l’Inde ou de l’Afrique de vendre leurs propres marchandises à bon prix. Ainsi la recommandation contenue dans l’Irtifā‘ s’éclaire-t-elle sous un autre jour : « Il convient que, pour celui qui arrive à al-Šiḥr avec une marchandise sans trouver d’acheteur, la bienheureuse administration lui achète sa marchandise en espèces ou avec des marchandises en fonction de ce qui convient [au marchand], sur les propriétés du matğar, suivant le prix du moment47. » Une telle instruction s’affirmait non seulement en réaction à l’attitude concupiscente des agents du fisc, mais elle était rendue nécessaire par l’intervention même du dīwān dans les circuits d’échange de l’encens. Maintenir les profits de l’État supposait de garder le plus grand nombre possible d’acheteurs. Pour ce faire, l’action de l’administration se devait de leur garantir les conditions de vente les plus intéressantes pour leurs produits, notamment dans les cas où la demande locale n’était pas suffisante. Pour imposer la vente de l’encens à un niveau élevé, l’administration ne pouvait paradoxalement se permettre d’acheter les articles des marchands de la mer à des prix forcés : elle devait acquérir les produits des marchands, à quelque prix que ce soit.
19Il faut croire que l’application de ce principe a fini par porter ses fruits, puisque l’on constate entre la fin du viie/xiiie siècle et 720/1320 une augmentation nette des revenus rasūlides retirés de la cité (voir le tableau 18). Bien que les revenus du matğar d’al-Šiḥr ne soient pas inclus dans les comptes de l’Irtifā‘ et le soient dans ceux de 720/1320, la hausse est indéniable. Les revenus dits ḫarāğī, qui comportent essentiellement les taxes foncières versées par l’ensemble de la province du Ḥaḍramawt, ont triplé. Les dîmes (‘ušūr) d’al-Šiḥr sont passées quant à elle de 27 201 à 39 000 dinars48. Or, l’Irtifā‘ indique précisément que les 27 201 dinars correspondaient à l’imposition de 5 gros navires ayant jeté l’ancre dans le port d’al-Šiḥr au cours d’une année. Si l’on se fonde sur une moyenne constante de 5 440 dinars par navire, l’augmentation des dîmes signifierait la venue de 3 navires supplémentaires – mais il se peut aussi, comme nous l’avons suggéré, que les tarifs aient changé entre-temps. Plus encore, les comptes de 720/1320 mentionnent 60 000 dinars d’adjonctions (muḍāf). À Aden, ces muḍāfāt consistaient essentiellement en revenus de la vente de la garance. Il est donc fort probable que ces 60 000 dinars étaient tirés dans leur majorité de la revente de l’encens par le matğar. À al-Šiḥr, comme à Aden, la croissance des revenus du commerce d’État était allée de pair avec l’essor de la fréquentation maritime et des rentrées fiscales.
1.2 Revenus des douanes et revenus de l’État
20La prospérité des ports d’Aden et d’al-Šiḥr, ainsi que l’efficacité du système fiscalo-commercial de leurs douanes ont fortement impressionné les contemporains. Marco Polo, qui rappelle le « très grand profit » retiré de la vente de l’encens par l’administration à al-Šiḥr, lie de même la réputation de richesse du « sultan d’Aden » aux revenus qu’il tire d’Aden :
« Par le grand droit qu’il prélève sur les marchands qui viennent en sa terre, il est l’un des rois les plus riches du monde49. »
21Le secrétaire égyptien Ibn Faḍl Allāh al-‘Umarī ne dit pas autre chose dans sa description du sultanat rasūlide à l’époque d’al-Mu’ayyad Dāwūd :
« [Le Yémen] a de bonnes rentrées (irtifā‘ ṣāliḥ) de biens (amwāl), et la plupart de ses biens viennent des flots de marchands arrivant d’Inde, d’Égypte et d’Abyssinie, en plus de ce qui provient des revenus du pays (daḫl al-bilād)50. »
22L’idée que les sultans rasūlides aient tiré la majeure partie de leurs ressources de la douane d’Aden et secondairement de celle d’al-Šiḥr apparaissait comme une évidence, vite transformée en lieu commun. De fait, le tableau des revenus portuaires présenté dans le Mulaḫḫaṣ paraît confirmer cette prépondérance adénie51 : avec près de 1 470 000 dinars de revenus, le port d’Aden représentait 63,6 % de tous les revenus portuaires, loin devant al-Šiḥr et Ẓafār al-Ḥabūḍī. Néanmoins, ce calcul n’a guère de sens si l’on considère que le tableau regroupe des données composites. Il mêle en effet les revenus de provinces (Aden et al-Šiḥr) qui incluent d’autres ressources que celles des douanes, et les revenus de simples ports comme al-Buq‘a, port de Zabīd, ou ‘Āzib, port de Ḥalī. Si l’on considère par exemple les seules dîmes d’al-Šiḥr – 40 000 dinars en 720/1320 –, leur montant se situe à un niveau tout à fait comparable aux 50 000 dinars du port d’al-Buq‘a. De plus, le tableau réunit des données de dates manifestement différentes52. L’examen des comptes du sultanat rassemblés dans les archives rasūlides est à bien des égards plus fiable pour établir le poids exact d’Aden et d’al-Šiḥr par rapport aux autres provinces, et examiner son évolution.
23Seuls l’Irtifā‘ al-dawla al-mu’ayyadiyya et le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan mentionnent explicitement les montants cumulés de l’ensemble des provinces de la montagne et de la Tihāma. Ces indications sont précieuses : issues de deux périodes très différentes (fin du viie/xiiie et fin du viiie/xive siècle), elles autorisent une comparaison globale des revenus des provinces portuaires avec l’ensemble des revenus sultaniens, dont les résultats sont présentés dans les graphiques et le tableau supra. Il convient tout d’abord de noter la forte augmentation des revenus d’un siècle à l’autre − près de 75 % en plus dans le Mulaḫḫaṣ par rapport à l’Irtifā‘ −, en dépit de la perte des provinces du Haut Yémen dans les années 720/1320. Cette déprise du royaume dans le Nord explique la baisse du revenu global des montagnes. En revanche, les revenus de la Tihāma et des ports d’Aden et al-Šiḥr ont plus que doublé dans cette période. Leurs parts respectives dans les recettes du sultanat se sont de ce fait accrues. Le poids d’Aden est indéniable : les revenus de sa province représentent un quart du total des revenus dans le Mulaḫḫaṣ, ce qui en fait la province aux rentrées les plus importantes, très loin devant celle de Zabīd. Toutefois, deux remarques s’imposent. C’est dans la Tihāma que la croissance des ressources sultaniennes a été la plus forte au cours du viiie/xive siècle. Et l’ensemble de ces provinces côtières fournissaient à l’État la majeure partie de ses revenus. Bien plus qu’Aden, les plaines de la mer Rouge constituaient véritablement la « mère des richesses » de la dynastie, pour reprendre une expression d’al-Ḫazrağī53. L’affirmation d’Ibn Faḍl Allāh al-‘Umarī citée plus haut ne se vérifie donc pas exactement à ce niveau général : Aden n’assurait que secondairement la fortune du sultanat. Les revenus tirés des « flots de marchands » qui fréquentaient le port n’étaient pas prédominants dans l’ensemble des ressources du royaume.
24Une observation plus poussée de l’Irtifā‘ montre cependant que les revenus de l’État rasūlide étaient structurés selon deux systèmes54. Le premier regroupait tout ce qui était « réservé (ḫāṣṣ) à la bienheureuse administration ». Le second, ce qui était attribué à l’« armée victorieuse ». Cette opposition n’est pas sans rappeler la situation contemporaine de l’Égypte ayyūbide puis mamlūke, où une grande partie des revenus de la fiscalité foncière étaient concédés aux émirs sous la forme d’iqṭā‘, la partie réservée au souverain étant de taille réduite55. Les concessions de revenus, iqṭā‘, et leurs titulaires, muqṭa‘, sont d’ailleurs cités de façon récurrente dans les sources rasūlides, même si la répartition des provinces à iqṭā‘ semble avoir beaucoup fluctué au cours du temps : une étude générale de ce système et de son évolution à travers la période reste à mener56. À la fin du viie/xiiie siècle, si l’on en croit l’Irtifā‘, le revenu total relevant du ḫāṣṣ s’élevait à 2 418 741 dinars, soit environ 71 % des 3 389 284 dinars qui revenaient à l’ensemble de l’État. Le sultan contrôlait ainsi de façon étroite la majeure partie des revenus du sultanat.
25La « frontière d’Aden la bien-gardée » faisait partie des provinces relevant du domaine « réservé » ou « privé » du sultan, de même qu’al-Šiḥr. Selon le taqrīr de 680/1281, la douane était en effet l’une des composantes du « bienheureux et prospère dīwān royal privé d’al-Muẓaffar57 » et ce fait n’est remis en cause par aucune de nos sources. Une fois collectés à Aden, l’argent et les biens en nature étaient expédiés vers le Trésor sultanien, dans les deux forteresses de Ta‘izz ou d’al-Dumluwa. Cette dernière, située à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Ta‘izz sur un promontoire rocheux imprenable, était le principal lieu de thésaurisation des richesses de la dynastie ; elle contenait, aux dires mêmes d’al- Ḫazrağī, les « réserves habituelles » (al-ḫazā’in al-ma‘hūda)58, d’où chaque sultan nouvellement désigné tirait les récompenses attendues par les hommes de troupe et les membres de l’administration59. Ces revenus en espèces tirés d’Aden et al-Šiḥr et entreposés dans les forteresses de Ta‘izz et d’al-Dumluwa représentaient environ 30 % des ressources « réservées » du sultan, d’après l’Irtifā‘. Venaient s’y ajouter tous les biens en nature, « l’or, les tissus (qumāš), les aromates (ṭīb) et les objets rares (tuḥaf)60 », recueillis comme présents des marchands, prélevés au titre de la dîme pour les muqāsamāt ou acquis par l’administration dans la douane, les entrepôts ou les marchés d’Aden et d’al-Šiḥr. En 802/1399, une année exceptionnelle pour la fréquentation du port d’Aden, la valeur de ces biens en nature – estimée à 300 000 dinars – représentait environ de 20 % de celle du trésor en espèces rapporté de la province d’Aden, ce qui est loin d’être négligeable. L’importance de ces objets allait toutefois bien au-delà de leur simple valeur marchande. Ils étaient essentiels aux échanges non marchands, aux cycles du don et du contre-don unissant le sultan et ses soutiens. Les tissus précieux, les aromates et les épices dont le souverain comblait ses courtisans ou ses alliés provenaient sans nul doute en grande partie d’Aden61.
26Certes, tous les revenus collectés dans la province d’Aden et d’al-Šiḥr n’allaient pas dans leur intégralité dans les caisses du sultan. Une partie minime était employée sur place pour financer les achats, rétribuer les employés de l’administration et toute autre dépense qui lui incombait au niveau local. Jusqu’au milieu du viie/xiiie siècle par exemple, la capitation (ğizya) prélevée sur les juifs rétribuait directement les juges islamiques dans chaque cité. Cette situation changea avec le règne du second sultan rasūlide : « Lorsque al-Muẓaffar voulut construire la madrasa de Maġrabat Ta‘izz62, il ordonna de rassembler la ğizya de chaque cité (balad) et la remplaça pour ceux qui en bénéficiaient (arbāb) par des fonds pris sur le ḫarāğ63. » Cette évolution affecta aussi la ğizya qui était prélevée à Aden64. La solde des juges (ğamkiyya) fut alors directement versée par l’administration. À l’instar de la ğizya, chaque catégorie de revenus du port avait sa destination précise, mais les plus importants restaient « réservés » au sultan. Lorsque Mağd al-Dīn Ibrāhīm al-Ğazarī, père du célèbre chroniqueur syrien, visita le port d’Aden vers le milieu du viie/xiiie siècle avec de précieux articles, le sultan rasūlide désira les lui acheter en puisant directement sur le revenu des ‘ušūr des navires indiens, ce qui était exceptionnel :
« Il écrivit à son représentant (nā’ib) à Aden de lui faire parvenir le prix de ses marchandises sur la dîme versée par les Hindous infidèles. Il n’avait accordé pareille autorisation à personne d’autre ; cette dîme était au contraire affectée personnellement au souverain (ḫāṣṣ) : on la percevait à part et on n’en mêlait pas le produit à celui des autres taxes65. »
27On ne sait si les dîmes de l’Inde continuèrent par la suite d’être considérées comme un ensemble devant être intégralement transmis au sultan pour ses dépenses propres. Leur destination particulière expliquerait néanmoins que ces dîmes d’importation soient distinguées de toutes les autres dîmes dans les comptes de la province d’Aden de l’Irtifā‘66. Les ‘ušūr de l’Inde constituaient quoi qu’il en soit le cœur des trésors expédiés annuellement au sultan. L’attachement au caractère privé de ces revenus était encore intact au début du viiie/xive siècle, comme le montre une histoire rapportée par Bā Maḫrama à propos du sultan al-Mu’ayyad Dāwūd :
« Il attribua le Trésor d’Aden dans son intégralité à un de ses intimes (ḫawāṣṣ). Il y avait dedans beaucoup de biens, de vêtements, d’aromates (aṭyāb), d’objets précieux, en quantité innombrable. Mais les émirs l’interdirent à celui qui avait été gratifié et prétextèrent qu’il y avait à l’intérieur la robe (kiswa) du sultan, les robes de sa famille et leurs aromates (aṭyāb), ainsi que ce qui ne convient qu’au sultan. Ils lui donnèrent 40 000 dirhams en espèce, et les robes et les parfums qui convenaient à son rang, de sorte qu’il en fut satisfait67. »
28Deux raisons apparaissent ainsi pour expliquer le strict maintien de ces biens dans la possession privée du sultan. La coutume, tout d’abord, voulait que les biens en nature rassemblés à Aden soient d’abord destinés à l’entretien de la magnificence royale. Le maintien des équilibres politiques dans le système de pouvoir rasūlide imposait que le sultan reste au centre de la redistribution des revenus et des marques d’honneur.
29Résumons : dans le Yémen rasūlide, une grande partie des revenus de l’impôt foncier qui grevait les terres de la Tihāma ou des montagnes, par le biais de l’iqṭā‘, servaient d’abord à financer l’armée ; les revenus des ports d’Aden, et secondairement d’al-Šiḥr, avaient, quant à eux, pour première fonction de financer les besoins du souverain, autrement dit de soutenir le renforcement de sa légitimité personnelle. C’est ainsi qu’il nous faut comprendre l’importance réelle des ressources portuaires dans la construction du Règne rasūlide, bien au-delà de leur part respective dans l’ensemble des revenus du sultanat.
30L’étude de l’évolution des comptes de provinces au fil du viiie/xive siècle montre en outre que le poids de la province d’Aden s’accrut (figure 4). Si on compare le montant de ses revenus avec ceux des deux provinces les plus riches de la Tihāma (Wādī Zabīd et Wādī Surdud), de la province de Ta‘izz et d’une province représentative des plus petits territoires qui composaient les montagnes du Sud, Šar‘ab et Fuqā‘a68, trois phases peuvent être distinguées. Dans les vingt premières années du viiie/xive siècle, les revenus de toutes les provinces connurent une augmentation plus ou moins importante. Leur courbe diverge ensuite fortement. D’un côté, les deux provinces de la Tihāma virent une baisse sensible au début de la seconde moitié du viiie/xive siècle en raison du soulèvement des tribus, puis une reprise, particulièrement spectaculaire dans le cas de Zabīd. Les deux provinces des montagnes du Bas Yémen montrent une évolution décalée, la décrue des revenus se produisant surtout à la fin du viiie/xive siècle. Le revenu d’Aden étant resté relativement stable au cours de cette période, avant de connaître une nouvelle augmentation à la fin du viiie/xive siècle grâce au commerce d’État, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il joua un rôle clé dans le dépassement de la crise que connut le sultanat au milieu du viiie/xive siècle et la reconstruction partielle qui s’ensuivit. La douane d’Aden se révéla alors comme le plus solide pilier de l’État.
2. LES HOMMES DE LA DOUANE ET LA CONSTITUTION DE L’ADMINISTRATION RASŪLIDE
« On dit la “bienheureuse administration” (al-dīwān al-sa‘īd) ou les “bienheureuses administrations” (al-dawāwīn al-sa‘īda) en espérant que leur félicité (sa‘āda) perdure et que perdure la félicité de leur souverain69. »
31L’usage de désigner l’administration sultanienne sous le nom d’al-dīwān al-sa‘īd n’était pas propre au Yémen rasūlide. Comme le montrent les explications d’al-Qalqašandī, il s’agissait d’une habitude prise en Égypte, vraisemblablement dès la période fāṭimide. Il est intéressant de constater, comme pour l’expression de « frontière bien gardée » (al-ṯaġr al-maḥrūs), que la formule correspondait en fait à un souhait propitiatoire. Elle renvoyait moins à une réalité actuelle qu’à un état à venir, à une continuité du pouvoir, à une affirmation de l’État dans le temps. Il convient aussi de remarquer que le succès de l’administration est inséparable de celui du prince, il en est une image. L’usage des qualificatifs de sa‘īd, « bienheureux », ou de ma‘mūr, « prospère », est donc fondamentalement ambigu. D’un côté, il renforce la légitimité de l’administration en tant qu’institution, en insistant sur sa stabilité et sa permanence. De l’autre, l’administration est inséparable du souverain. Toute qualité qui s’applique à elle renvoie immédiatement à son maître.
32La douane d’Aden est elle-même souvent qualifiée de « bienheureuse » (sa‘īd)70 ou de « prospère71 ». Au fil de son histoire, elle s’est construite comme une institution forte et relativement indépendante, en se constituant comme une bureaucratie. C’est ce processus qu’il nous faut maintenant retracer, en suivant deux voies complémentaires. La première consiste à prendre cette administration comme un tout, en essayant de voir comment les différentes fonctions s’organisaient en son sein. La conservation de notices individuelles d’administrateurs de la douane dans les recueils de biographies nous invite par ailleurs à partir des carrières individuelles pour les replacer dans les dynamiques de pouvoir qui traversèrent le Règne rasūlide.
2.1 Administrer la douane
33Les termes ne manquent pas pour désigner l’ensemble des membres des administrations portuaires. Une liste des fonctionnaires de la province d’Aden, conservée dans le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan, les dénomme mubāširūn, un mot dérivé du verbe bāšara, comprenant notamment le sens assez vague de « traiter quelque chose, s’occuper d’une affaire72 ». Dans les usages, mubāšir renvoyait à l’idée que l’accomplissement d’une action était inséparable du service du souverain, de même que le terme de ‘āmil (pl. ‘ummāl)73, et plus encore ceux de nā’ib (pl. nuwwāb)74 ou de mustaḫdam75. Tous ces termes généraux insistent dans les faits sur les liens qui unissent les administrateurs au souverain, selon un lien de « service » (ḫidma) bien codifié.
34L’observation des sources montre cependant que l’ampleur des tâches et la diversité des fonctions au sein des douanes font que leur organisation n’est pas seulement dépendante du lien qui unit ses membres au souverain. Dans les pratiques, les douanes, et particulièrement celle d’Aden, se présentent comme des ensembles fortement hiérarchisés.
La douane : une administration hiérarchisée
35L’application des procédures douanières revenait à Aden aux mašā’iḫ al-furḍa (litt. « cheikhs de la douane »). Ceux-ci apparaissent toujours collectivement dans le texte d’Ibn al-Muğāwir76. Il en va de même dans Nūr al-ma‘ārif où ce terme de mašā’iḫ est abondamment utilisé pour désigner l’ensemble de ceux qui étaient responsables de la bonne perception des taxes. Leur rôle était multiple au sein de la douane : enregistrer le poids ou la quantité de chaque marchandise au moment de sa pesée, puis en déterminer la taxe en fonction des tarifs contenus dans les Règles (ḍarība) ; prélever les parts en nature sur les muqāsamāt ou leur contrepartie en espèces ; estimer la valeur de tous les produits les plus précieux avant de fixer leur imposition ; mener les achats au bénéfice de l’administration. Toutes les taxes et les transactions étaient notées dans des registres que chacun d’entre eux devait tenir personnellement.
36Selon le Nūr al-ma‘ārif, les mašā’iḫ de la douane étaient au nombre de cinq77. Bien que responsables de façon égale, ces cinq hommes relevaient de trois grades administratifs distincts : nāẓir, ‘āmil et mušārif. À Zabīd, les bureaux de la douane étaient aussi composés d’un intendant (‘āmil) et d’un contrôleur (mušārif)78, et tout porte à croire qu’il en était de même à al-Šiḥr, même si nous n’avons aucune indication à ce sujet79. La traduction de ces trois termes est difficile. L’étymologie renvoie pour le premier et le troisième à l’idée d’inspection, de surveillance et de contrôle80. Le second mot est employé dans de nombreux contextes, désignant dans son sens le plus général les « agents de l’État », comme nous venons de le voir. Dans les faits, ces trois grades correspondaient à la hiérarchie ordinaire des bureaux de l’administration. Le Mulaḫḫaṣ l’indique clairement dans son second chapitre : chaque bureau de l’administration rasūlide affecté à une tâche précise comptait deux membres principaux, un ‘āmil, « intendant », et un mušārif, « contrôleur », qui lui était subordonné81. Quant au nāẓir, il se trouvait au-dessus des différents bureaux et les supervisait, d’où la traduction que nous avons choisie de « surintendant82 ». Il n’est pas impossible que certaines de ces fonctions aient été parfois confondues en une même personne. Un certain Ibn al-Muqawwim, dont le nom revient à plusieurs reprises dans le décret de 691/1292, apparaît ainsi à la fois comme premier intendant et surintendant d’Aden à cette date83.
37L’ensemble des « officiers de la douane » s’inséraient dans une hiérarchie administrative complexe. Au-dessus d’eux, les bureaux financiers de la Cour étaient les destinataires des comptes annuels et finaux rédigés par la douane. Le Nūr al-ma‘ārif, dans les documents I et II, est assez vague à leur sujet. Il précise seulement que les comptes annuels étaient envoyés à la « noble Cour » (al-bāb al-šarīf)84. Le Mulaḫḫaṣ al-fiṭān évoque de son côté le « contrôleur général », mustawf ī al-bāb, et l’« inspecteur général », mušidd al-bāb85. Seule la fonction du premier est véritablement définie dans le traité d’al-Ḥusaynī86. Ces personnages intervenaient annuellement au moment de l’envoi des comptes. En dehors de ces circonstances, ils paraissent avoir laissé une large autonomie aux mašā’iḫ al-furḍa et au premier d’entre eux, le « surintendant ».
38Dans l’ensemble, aucune des deux administrations des douanes d’al-Šiḥr et de Zabīd n’atteignit la complexité de celle d’Aden, le nombre des fonctionnaires y restant très limité. Au sein de cette dernière province, les « officiers de la douane » représentaient en revanche les plus hautes autorités sur le plan financier. En dessous d’eux se trouvaient des bureaux spécialisés, comme le bureau du matğar87, celui de la Caisse (ṣundūq88), de la porte du Continent89 ou du débarquement des marchandises (tanğīl90). Le décret de 691/1292 montre sans équivoque que les officiers de la douane rassemblaient les documents que leur envoyaient ces différents secrétaires : reçus délivrés par la Caisse, comptes du matğar, inventaires des biens passés par la porte du Continent ou encore déchargés sur le rivage. La réunion de tous ces documents était nécessaire pour l’élaboration des comptes finaux, notamment le compte annuel (satmī) envoyé à la Cour91. L’importance des trois premiers bureaux – matğar, Caisse et porte du Continent – est confirmée par l’auteur du Mulaḫḫaṣ qui les place parmi les premières fonctions citées dans sa liste de l’administration d’Aden92, à la suite des mašā’iḫ de la douane. Les secrétaires du débarquement des marchandises (tanğīl) sont, quant à eux, mentionnés à la fin de la liste, à côté d’autres personnages n’apparaissant pas dans le Nūr al-ma‘ārif, comme les secrétaires de la porte du Rivage, ceux des tribunes (dakkāt) ou des esclaves.
39Soixante-dix-sept personnes pour soixante-sept fonctions différentes : cette liste des agents du port d’Aden d’après le Mulaḫḫaṣ, dont l’état remonte certainement à la seconde moitié du viiie/xive siècle93, témoigne d’un vrai foisonnement administratif qui ne devait pas manquer de susciter redondances et empiètements dans l’exercice des différentes tâches. Alors qu’il existait, par exemple, un « bureau des esclaves », composé d’un intendant et d’un contrôleur94, il revenait aux inspecteurs de la côte (‘urafā’ al-sāḥil, littéralement les « connaisseurs de la côte ») de présenter aux autorités les esclaves qui venaient d’être débarqués, et au surintendant de choisir parmi eux ceux que l’administration allait acquérir95. Quel était dans ces conditions le rôle de l’« intendant » et du « contrôleur » administratif des esclaves cités par le Mulaḫḫaṣ ? Leur incombait-il de dresser mensuellement l’inventaire des esclaves servant dans la douane, tâche qui revenait au « secrétaire des arrivées » (kātib al-wuṣūlāt) dans le Nūr al-ma‘ārif96 ? Cela est probable, sachant que cette fonction de kātib signalée dans le décret de 691/1292 n’est à son tour pas mentionnée dans la liste du Mulaḫḫaṣ. Le bureau des esclaves a pu être créé dans le courant du viiie/xive siècle, sans que les prérogatives anciennes des inspecteurs de la côte aient été remises en cause dans ce domaine. Par ailleurs, en dehors de ce cas, l’intitulé vague de certaines fonctions au sein du dīwān entretient beaucoup d’incertitudes. Quel était le rôle, par exemple, de ces « secrétaires de l’administration » (kuttāb al-dīwān97) ou de ces « témoins » officiels, šāhid (pl. šuhūd)98 ? Rien dans les textes ne permet de le préciser.
40Une des difficultés majeures que pose un document comme la liste du Mulaḫḫaṣ est que plusieurs dénominations étaient usitées pour une même fonction, au sein même de l’administration et parmi tous ceux qui avaient affaire à elle. Les officiers principaux de la douane en offrent un bon exemple, tantôt désignés comme mašā’iḫ al-furḍa, une expression largement répandue dès le vie/xiie siècle, comme le montre le Ta’rīḫ d’Ibn al-Muğāwir, tantôt par leurs fonctions précises de nāẓir, ‘āmil et mušārif, ou simplement sous le nom de « secrétaires » (kuttāb), comme dans le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan99. La même diversité s’observe sans aucun doute dans des fonctions plus modestes. Il en va ainsi de ces personnages chargés d’examiner les marchandises ordinaires dans la douane, de défaire les ballots, de peser et de compter les pièces de tissu. Le décret de 691/1292 insiste sur l’importance de leur rôle en les désignant seulement selon la fonction qu’ils remplissaient : ils étaient les « fouilleurs » (mufattišūn)100, appelés aussi parfois « dicteurs » (mumlī), car ils dictaient les informations à voix haute101. Il leur incombait aussi de connaître les unités de poids les plus adéquates pour peser les marchandises les plus lourdes102. Pour autant, aucun « fouilleur » n’est nommé dans la liste du Mulaḫḫaṣ. En revanche, ces activités pourraient bien être celles du ğābī (pl. ğubāt, littéralement « taxateur »), nommé à plusieurs reprises dans cette dernière liste. Les ğubāt étaient deux à assister les officiers de la douane proprement dite103. Un autre ğābī se trouvait à la porte du Continent où il secondait l’intendant et le contrôleur de cet endroit104 – on se souvient que tous les produits arrivant par voie de terre y étaient examinés et enregistrés, notamment les plus légers qui faisaient l’objet du ḫurṣ105. Enfin, un dernier ğābī était rattaché au secrétaire de la taxe des galères106. Le ğābī serait donc « taxateur » au sens de celui qui sait reconnaître les produits et présenter les informations essentielles (nature, quantité) sous une forme susceptible d’être enregistrée par les secrétaires.
41Des questions similaires se posent à propos d’un personnage longuement décrit dans le Ta’rīḫ d’Ibn al-Muğāwir, le mubaššir (littéralement « celui qui annonce les nouvelles ») qui était le premier agent de l’administration à se rendre sur les navires qui arrivaient :
« Lorsque le bateau s’approche, les “porteurs de nouvelles” (al-mubašširūn) montent à bord des barques (ṣanābīq) pour aller à la rencontre du propriétaire du navire (nāḫūḏā). Ils lui demandent d’où il vient, tandis que celui-ci les interroge sur la cité (‘an al-balad), l’identité du gouverneur et le prix des articles de commerce (wa-si‘r al-baḍā’i‘). […] Ils couchent par écrit le nom du nāḫūḏā, ceux des négociants, tandis que le secrétaire (al-karrānī) enregistre par écrit l’ensemble des articles de commerce (mutā‘) et des étoffes (qumāš) contenus dans la cargaison du bateau ; il leur remet ensuite le bordereau de connaissement (al-ruq‘a) Les mubašširūn reviennent dans les barques, qui regagnent alors la cité. Tous se rendent chez le gouverneur, lui délivrent un bordereau de connaissement [rédigé] par le secrétaire, ainsi que la nomenclature des négociants qu’ils avaient couchée par écrit et l’entretiennent du navire (ḥadīṯ al-markab), de son lieu d’origine et de l’état de sa cargaison107. »
42Le Mulaḫḫaṣ confirme l’existence de ces « messagers » au viiie/xive siècle, sans préciser exactement leur rôle. Les mubašširūn étaient alors au nombre de deux, l’un au service du gouverneur, l’autre au service du surintendant108, mais aucun des deux n’apparaît dans la liste des fonctions administratives. Dans le même temps, le Mulaḫḫaṣ attribue au ‘ārif al-sāḥil, un personnage bien présent dans la liste109, le rôle de présenter les nāḫūḏā qui arrivent au gouverneur et de recueillir les listes de cargaisons110, ce qui était l’une des tâches des mubašširūn d’après la description d’Ibn al-Muğāwir. Pour comprendre ce recoupement, deux hypothèses sont envisageables : soit le mubaššir a perdu au fil du temps une partie de ses attributions au profit de l’« inspecteur », ‘ārif ; soit Ibn al-Muğāwir a confondu les activités de plusieurs agents en un seul personnage, le mubaššir, qui représentait, pour les voyageurs, leur premier contact avec l’administration d’Aden.
43Toutes les incertitudes à propos des fonctions administratives subalternes proviennent du fait que, mis à part la liste du Mulaḫḫaṣ, les textes réglementaires sont en définitive assez silencieux sur l’ensemble de ces petits secrétaires gravitant autour de la douane, ou de leurs assistants (ğubāt, šuhūd, etc.), sans parler de tout le menu « peuple » de la douane, des porteurs et gardes, des marins et des soldats, qui ne faisaient pas à proprement parler partie de l’administration. Nous savons peu de chose sur les agents de l’État de rang subalterne. D’où venaient-ils ? Quelle était leur formation ? Comment étaient-ils embauchés au service de la douane ? Très peu d’entre eux sont signalés dans les ouvrages de biographies, à quelques exceptions près, comme ce Ṭāhir b. ‘Alī, un beau-frère d’al-Ğanadī, nommé par le sultan al-Muẓaffar trésorier de la douane (ḫāzin al-furḍa111). Comme l’explique l’historien, son père était un marchand pieux qui avait constitué au profit d’une mosquée d’Aden un waqf important à la tête duquel il avait placé son fils Ṭāhir. Cet homme, connu pour sa piété, s’était vu confier par le sultan al-Muẓaffar plusieurs missions importantes :
« Il était envoyé par les rois pour porter des diplômes (šahadāt) en raison de la confiance qu'on pouvait leur accorder. Al-Malik al-Muẓaffar l’envoya à Ẓafār, puis après cela il le nomma au Trésor de la douane à Aden112. »
44Tous les fonctionnaires étaient-ils nommés par le sultan lui-même ? Ou celui-ci se réservait-il seulement la désignation de quelques fonctions particulièrement importantes comme les mašā’iḫ, les responsables du matğar ou les gardiens du Trésor de la douane, les autres étant nommés par le surintendant ou le gouverneur ? Il est impossible de répondre à cette question dans l’état actuel de nos connaissances. Comme nous le verrons, les seules informations relativement suivies que nous possédions au sujet des nominations concernent les surintendants.
Les pratiques administratives, entre idéal collectif et exercice d’un pouvoir individuel
45La répartition exacte des rôles au sein de la douane se complique encore si l’on considère les pratiques d’administration. Le décret de 691/1292 est, de ce point de vue, notre source la plus riche. Il témoigne de la volonté du sultanat d’imposer des règles assez strictes dans l’organisation du travail. Si l’on peut raisonnablement émettre un doute sur leur application effective, le rappel de ces dispositions est un signe des écarts qui pouvaient exister entre les pratiques administratives et la norme voulue ou promue par le souverain. Une grande partie des points évoqués dans ce décret ont trait au caractère collectif de l’exercice des responsabilités dans la furḍa. Le principe d’un contrôle mutuel des procédures n’est pas propre à la douane d’Aden. Claude Cahen relève ainsi dans le Minhāğ d’al- Maḫzūmī la même exigence de recoupement des états et des comptes, qui se traduisait par l’apposition de plusieurs signatures sur les mêmes relevés ou l’établissement de « classifications différentes qui se recroisent : par marchandises, par marchands, par navires, inventaire, débarquement, emmagasinement, vente, taxation, etc.113 ».
46Le décret de 691/1292 accorde une place déterminante à la confrontation des registres tenus par les différents officiers, une procédure que nous avons traduite par « collation » (muqābala). Cette méthode s’appliquait en premier lieu une fois par mois aux registres des dîmes (muqābalat al-‘ušūr), sur lesquels avaient été inscrites les taxes, marchandise par marchandise, en fonction de leur arrivée dans la douane114 ou à la porte du Continent115. Le registre des règlements définitifs (daftar al-ḫalāṣ), qui contenait vraisemblablement le total des taxes dues par les particuliers, était tiré de cette confrontation116. Il en allait de même pour le registre des achats auquel les officiers devaient consacrer une « après-midi (‘ašiyya) chaque mois117 ». Enfin, les comptes annuels de la douane n’étaient transmis au gouverneur qu’après « avoir été confrontés (muqābala) et avoir été complétés avec les seings (al-‘alā’im) » des officiers118, de même que le relevé final envoyé à la cour (satmī)119. Le document suggère que se tenaient en ces occasions de longues séances où étaient énumérées à voix haute toutes les taxes enregistrées par les officiers120. Toute activité devait alors cesser dans la douane121, ce qui suscitait sans doute les protestations des marchands tout juste arrivés, qui voyaient le délai de sortie de la douane pour leurs articles se rallonger encore un peu. Le texte insiste en effet sur l’interdiction d’enregistrer toute nouvelle arrivée (wuṣūlāt) lors de ces collations générales122.
47Le caractère collectif des procédures était censé s’étendre aussi à l’estimation des produits considérés comme muṯammanāt, c’est-à-dire taxés ad valorem123, ainsi qu’aux achats de l’administration au sein de la douane124. Dans les faits, cette injonction – soumettre l’ensemble des procédures au contrôle collectif – s’adresse presque systématiquement à celui qui était alors intendant et surintendant, Ibn al-Muqawwim. Son nom est répété douze fois dans l’ensemble du décret, ce qui laisse entrevoir en creux quelles étaient les pratiques effectives du chef de la douane : sa parole pouvait difficilement être mise en doute lors de la collation des dîmes125 ; il procédait seul aux estimations des produits de valeur comme le verre, le corail ou le fer, recevait seul les listes de prix du marché et se réservait le contrôle des colis scellés126. Il était seul informé des ventes du matğar, des expéditions commerciales de biens du dīwān confiées à des marchands, du montant du fret des navires ou de la dîme des chevaux127. Son suppléant jouissait d’un pouvoir étendu qu’il exerçait, dans certains cas, au détriment du dīwān128. Dans ces conditions, des conflits ne manquaient pas de surgir au sein de l’administration de la douane. Le texte en offre un écho lointain lorsqu’il recommande au secrétaire chargé d’établir le registre des règlements définitifs (daftar al-ḫalāṣ) de ne pas enquêter lors de la collation sur l’origine d’un éventuel désaccord « pour savoir s’il vient du [registre] de l’intendant (‘āmil) ou de toute autre personne ». Et le décret de fixer des règles simples pour dépasser ces différends : se rallier « à ce qui se dégage de la majorité des registres » ou, lorsque les documents confrontés sont peu nombreux, choisir ce qui amène le « plus grand profit129 ». En définitive, le décret de 691/1292 ne dut certainement son existence qu’à l’exercice autoritaire du nāẓir de l’époque qui avait dû susciter de nombreuses récriminations parmi les autres officiers.
48Qu’en est-il quelques dizaines d’années plus tard ? Le document du Mulaḫḫaṣ al-fiṭan présentant « ce qu’applique » l’administration d’Aden, que l’on peut raisonnablement dater de la seconde moitié du viiie/xive siècle, ne reflète pas la même situation130. Les rapports entre le surintendant et les autres officiers de la douane sont à peine évoqués. En revanche, il traite en détail des attributions respectives du surintendant et du gouverneur, une préoccupation nouvelle par rapport aux textes du viie/xiiie siècle. Dans le Ta’rīḫ al-mustabṣir, nous voyons le gouverneur intervenir essentiellement pour contrôler les mouvements entre l’intérieur et l’extérieur d’Aden. C’est lui qui était averti en premier de l’arrivée des navires, avant même les officiers de la douane, puis qui recevait la liste de la cargaison, avec le nom du capitaine et des passagers, ainsi que la provenance et l’état général de la cargaison. C’est sous son autorité qu’étaient aussi menées de sévères fouilles au corps à bord des navires :
« Lorsque le bateau arrive au mouillage (al-marsā), et [y] jette l’ancre, le lieutenant du sultan (nā’ib al-sulṭān) l’accoste et l’inspecteur (al-mufattiš) monte à bord, fouille chaque homme, examinant même avec minutie leur turban (‘imāma), leurs cheveux, leurs manches, les ceintures de leur pantalon (ḥuzzat al-sarāwīl), ainsi que le dessous des aisselles […], comme une matrone (‘ağūz) qui fouille les femmes [esclaves]131 »
49Le ton général de cette description n’échappe pas à cette volonté, constante dans le Ta’rīḫ al-mustabṣir, de surprendre le lecteur. Mais, quel que soit le degré d’exagération d’Ibn al-Muğāwir, il est clair que la conduite de ces fouilles fut une pratique continue, au moins à partir de la période ayyūbide132. D’après le Nūr al-ma‘ārif, l’intégralité des navires de l’Inde, cales comprises, était examinée à leur arrivée pour y vérifier la présence de qanā, ces cannes en bois recherchées pour servir de support aux lances133. Selon le Mulaḫḫaṣ, il revenait aussi au gouverneur de « faire procéder aux fouilles (ḍabt al-fatš) et d’annoncer [leurs résultats] » à l’intérieur de la douane, tout autant que de « faire surveiller les portes » et d’assurer la garde des lieux lorsque les agents du fisc s’y activaient134. C’est enfin le gouverneur qui, lors des départs, signait les laissez-passer donnant l’autorisation aux navires de quitter le port ou aux voyageurs de franchir la porte du Continent135. Si l’on s’en tient à ces indications, la répartition des tâches est claire : au gouverneur, tout ce qui nécessite l’exercice de la force publique, au surintendant et aux officiers l’enregistrement, la taxation et éventuellement l’achat de tout « ce qui entre au bahār [dans la douane] et en sort », c’est-à-dire des marchandises136.
50Dans le Mulaḫḫaṣ, le champ d’intervention du gouverneur va cependant bien au-delà. Non seulement la présence du gouverneur dans la douane pendant les opérations fiscales semble requise, mais le gouverneur est de surcroît chargé de surveiller la présence de tous les secrétaires137. Non seulement les esclaves sont présentés au gouverneur avant de l’être au surintendant, mais le gouverneur participe aussi à l’évaluation (taṯmīn) des achats et des produits précieux138, ce qui est totalement inédit par rapport à ce que décrit le décret de 691/1292. Comment interpréter ces différences ? Doit-on les mettre sur le compte des perspectives divergentes de nos sources, le décret de 691/1292 étant plus exclusivement centré sur les rapports entre le surintendant et le reste des officiers ? Cette explication n’est pas suffisante. Plusieurs autres hypothèses méritent d’être évoquées. L’intervention accrue du gouverneur peut se comprendre comme un remède ou une protection contre les défaillances des officiers qui apparaissent en filigrane dans le document du Mulaḫḫaṣ (absences répétées, arbitraire dans les évaluations, etc.). Le rôle nouveau du gouverneur participerait ainsi de cette exigence de contrôle collectif déjà mise en avant dans le décret de 691/1292 ; il serait une garantie supplémentaire de la régularité des procédures. Néanmoins, le document inclus dans le Mulaḫḫaṣ n’est pas la copie de décisions du souverain, comme l’était le décret de 691/1292 dans Nūr al-ma‘ārif. Il décrit plutôt les usages en vigueur dans l’administration du port. Dans cette perspective, le Mulaḫḫaṣ refléterait plutôt la concurrence accrue entre le gouverneur et le nāẓir. Tous deux exerçaient une autorité sur les secrétaires de la douane. Tous deux avaient leur mot à dire sur les dépenses engagées par l’administration dans la cité139. Il est compréhensible dans ces conditions qu’ils se soient difficilement partagé, voire disputé certaines attributions. Au cours de la seconde moitié du viiie/xive siècle, cet équilibre des pouvoirs entre le gouverneur et le surintendant représenta visiblement une préoccupation des sultans qui adoptèrent des positions diverses, allant même jusqu’à réunir les fonctions de gouverneur et de surintendant en un même personnage. Selon al-Ḫazrağī, Ğamāl al-Dīn Muḥammad al-Ğallād fut « le premier et le dernier » à être nommé à la fois wālī et nāẓir de la « frontière bien gardée » d’Aden à la fin des années 770/1370140. De telles nominations s’observent cependant encore à l’extrême fin du viiie/xive siècle et au début du siècle suivant141. Le cas d’al-Ğallād montre bien qu’il ne faut pas voir là une « militarisation » de les fonctions de gouverneur de la ville, mais bien au contraire la marque d’une emprise plus forte des secrétaires, comme l’était al-Ğallād, sur l’ensemble de l’État rasūlide.
2.2 Les surintendants : des carrières entre logique bureaucratique, volonté du prince et stratégies familiales
51Se limiter à aborder les jeux de pouvoir en termes de fonctions serait trompeur. L’insistance des dispositions du décret de 691/692 sur le caractère collectif des décisions au sein de la furḍa montre que cet idéal avait peu à voir avec les pratiques. Le nāẓir d’Aden exerçait une autorité presque sans partage, rivalisant même avec celle du gouverneur. Plus encore qu’en termes de fonctions, c’est en termes de carrières qu’il convient donc d’aborder la place de l’institution douanière au sein de l’État. Les sources narratives et biographiques nous permettent de suivre partiellement la trajectoire individuelle de près de vingt personnages ayant exercé des fonctions de surintendant à Aden entre 647/1250 et 803/1400142. Elles sont malheureusement inexistantes sur les administrateurs de la douane de Zabīd, et parcimonieuses sur ceux d’al-Šiḥr143.
La « bureaucratisation » des carrières
52D’une façon générale, les plus anciennes sources rasūlides ne contiennent que peu d’informations sur les carrières du personnel administratif. Comme nous l’avons vu, al-Ğanadī est le premier à consacrer des notices détaillées à certains d’entre eux, même s’il s’agit pour l’essentiel d’individus qui servirent dans la proximité immédiate du souverain, le plus souvent employés à des tâches variées de « rédaction » (kitāba). Al-Ğanadī signale rarement la dénomination administrative exacte des fonctions exercées, y compris lorsqu’il s’agit des bureaux financiers. Sur l’ensemble des surintendants d’Aden, huit noms seulement ont été conservés pour la période qui va du milieu du viie/xiiie siècle au milieu du viiie/xive siècle. Nous ne possédons que des indications vagues sur la durée de la charge exercée par ces huit personnages. Aucune date précise de leur entrée en fonction n’est connue. À deux exceptions près, nous ne savons pas s’ils remplirent d’autres responsabilités au sein de l’administration. Il faut attendre le recueil Al-‘aṭāya al-saniyya du sultan al-Afḍal al-‘Abbās pour que des notices retracent les carrières administratives de façon plus détaillée. Parmi ces notices, le souverain cite quatre personnages ayant rempli les fonctions de nāẓir de la « frontière » d’Aden. Par la suite, les indications combinées d’al-Ḫazrağī et de la Chronique anonyme offrent pour les vingt dernières années du viiie/xive siècle la liste des titulaires de la charge de surintendant de façon quasi complète. Le traitement très inégal des carrières administratives dans les sources impose donc une grande prudence dans l’analyse. Certes, le panorama rapide que nous venons d’esquisser suggère un contraste important entre les carrières mal connues des surintendants sous les premiers règnes rasūlides et celles des officiers qui occupèrent cette charge à partir du règne d’al-Muğāhid ‘Alī. Ce contraste traduirait-il une évolution quant à l’importance de la charge de nāẓir ?
53Un constat s’impose pour l’ensemble des personnages. L’écrasante majorité des vingt surintendants appartiennent à la catégorie bien connue des « secrétaires », kuttāb. Seuls deux sont explicitement associés à des activités commerciales144. Pour ce qui est du premier, Šihāb al-Dīn Aḥmad Ibn al-Ḫuṭabā’, les sources évoquent moins sa participation personnelle aux échanges que la réputation de sa famille, de grands marchands venus d’Égypte et installés à Aden. Quant au second, Šaraf al-Dīn Ḥusayn al-Fāriqī, l’« un des marchands les plus éminents au Yémen (min a‘yān al-tuğğār bi-bilād al-Yaman)145 », la réussite de sa carrière fut, de l’aveu même de ses contemporains, le fruit de ses qualités d’administration et d’écriture plus que de son sens des affaires146. Les vingt personnages que nous avons recensés semblent partager de nombreuses caractéristiques sociales et professionnelles, dont la notice biographique de Šihāb al-Dīn Aḥmad Ibn Mu‘aybid, qui fut brièvement surintendant en 786-788/1384-1386 (no 14), nous paraît assez représentative :
« Il naquit à Zabīd en 759 [1358] et son père lui donna la kunya d’Abū al-Farağ147. Il étudia l’art de la rédaction (fann al-kitāba) ; il supervisa (šādda) et administra (bāšara) de nombreuses provinces du pays. Il fut nommé surintendant dans la frontière bien gardée à Aden. Puis il fut chargé du vizirat en 791 [1389]. Il fut un vizir sensé (labīb), sage (‘aqīl), habile (arīb), de bon gouvernement (ḥusn al-siyāsa), un chef accompli (kāmil al-ri’āsa). De nombreux poètes firent ses louanges ; il les récompensa par des gratifications de valeur et de généreux présents. Il laissa des constructions religieuses à Ta‘izz, Zabīd, Ḥays, Ğibla. Il était d’une lignée de chefs (bayt ri’āsa) enracinée (muta’aṯṯila)148. »
54Être un bon kātib, à l’instar de Šihāb al-Dīn Aḥmad Ibn Mu‘aybid, c’était avoir reçu une éducation spécifique, tournée vers l’apprentissage des sciences profanes et d’un patrimoine littéraire arabe remontant aux heures les plus glorieuses de la dynastie ‘abbāside149. Cette éducation s’inscrivait d’abord dans un cadre familial. Le père et le frère de Šihāb al-Dīn Aḥmad Ibn Mu‘aybid avaient été vizirs avant lui. La transmission des charges était inséparable de celle de la culture du lettré-secrétaire. Le kātib devait posséder en même temps les vertus d’un homme de pouvoir, de la prudence et un solide sens politique, sans oublier le goût de l’ostentation et une générosité à toute épreuve. Plus d’un siècle avant Ibn Mu‘aybid, nous trouvons confirmation de ce portrait dans le personnage d’al-Ğazarī, nāẓir d’Aden au début du règne d’al-Muẓaffar Yūsuf. À l’exercice de sa charge venaient en effet s’ajouter le souci de la transmission du savoir et la pratique d’une libéralité qui faisait honneur à celui qui la prodiguait :
« Il contribuait au savoir, enseignait aux étudiants dans sa maison et probablement dans la douane. Il tenait chaque jour un banquet auquel assistaient de nombreux marchands et des pauvres [soufis] (fuqarā’) ; personne n’en était exclu150. »
55Cette appartenance des surintendants aux milieux de l’administration se marquait jusque dans les titres honorifiques (laqab) portés par nos personnages, à commencer par celui de qāḍī, qui ne renvoyait pas ici à l’exercice de fonctions judiciaires. Selon al-Ğanadī, l’attribution de ce laqab à certains membres de l’administration suivait la « coutume des Égyptiens qui appellent qāḍī les chefs des secrétaires151 ». À son époque, cette pratique était encore peu répandue, comme en témoignent sa remarque et plus largement l’ensemble des notices de ses Sulūk. De fait, c’est à partir du règne d’al-Muğāhid ‘Alī, dans le second quart du viiie/xive siècle, que l’usage du titre de qāḍī se fit plus fréquent dans les ‘Uqūd d’al-Ḫazrağī152, de même que dans le recueil de biographies du sultan al-Afḍal al-‘Abbās153. La généralisation de cette « coutume égyptienne » au viiie/xive siècle s’accompagna de la mention plus systématique des laqab composés avec al-dīn (comme Šihāb al-Dīn, « Flambeau de la religion », surnom d’Ibn Mu‘aybid)154. Cette évolution est visible au travers de notre tableau des surintendants. Parmi ceux du viie/xiiie siècle, les deux seuls dont on connaisse le laqab sont al-Ğazarī, qui était d’origine irakienne, et l’énigmatique Tāğ al-Ri’āsa155. Tous les autres, supposément originaires du Yémen, en sont dépourvus, y compris des lettrés bien répertoriés, comme l’illustre ‘Abd Allāh al-Ḥağğāğī (n° 2) ou Manṣūr al-Qurašī (n° 5). En dehors d’al-Ğazarī, les deux surintendants cités dans le Nūr al-ma‘ārif ne sont connus que par un surnom assez elliptique, Ibn al-Muẓaffar (n° 4) et Ibn al-Muqawwim (n° 6). Il en va autrement à partir du règne d’al-Muğāhid ‘Alī : tous les surintendants connus, sans exception, possèdent un laqab composé avec al-dīn, selon des codes se rapprochant, là aussi, de ceux de l’Égypte mamlūke156.
56L’évolution entre le viie/xiiie et le viiie/xive siècle est aussi sensible au niveau des modalités de désignation au poste de surintendant. Sous le règne d’al-Muẓaffar Yūsuf, les circonstances de la nomination d’al-Ğazarī montrent l’influence que les marchands de la cité avaient alors sur cette décision :
« [Al-Ğazarī] vint à Aden et résida dans la madrasa al-Manṣūriyya. Il fit la connaissance d’un groupe de marchands et autres qui écrivirent au sultan pour lui parler de lui, lui dire qu’il était persan et qu’il avait de l’expérience (ḫibra) dans la rédaction (kitāba). Le sultan ordonna qu’il administre (yatawallā) le dīwān al-naẓr dans la frontière [d’Aden], ce qu’il fit157. »
57Dans le cas présent, la désignation du nāẓir n’obéissait donc pas à une logique bureaucratique ; elle répondait plutôt à la recherche d’un consensus entre le pouvoir sultanien et les marchands. De fait, les biographies des trois premiers surintendants connus du règne d’al-Muẓaffar Yūsuf (nos 2-4) insistent sur cette exigence de justice envers les marchands, rappelée à plusieurs reprises par le souverain lors de spectaculaires scènes publiques. Al-Ğazarī, qui se révéla par la suite « tyrannique et injuste dans son administration du naẓr158 », en dépit de ses qualités de lettré et de sa légendaire générosité, fut ainsi châtié par le sultan :
« Lorsque al-Muẓaffar revint du pèlerinage [en 660/1262], il resta à Ta‘izz un temps puis il descendit à Aden. Ses habitants se plaignirent auprès de lui d’al-Ğazarī. Le sultan ordonna au [grand cadi et vizir] Bahā’ al-Dīn de juger (yuḥaqqiq) ce qu’il y avait entre eux […]. [Les habitants] présentèrent contre [al-Ğazarī] beaucoup de choses et l’accablèrent (hammū bi-hi). On le séquestra, on le battit et il remit 30 000 dinars. On le battit de nouveau après cela et il en fut meurtri. Il ne pouvait rien. La situation en était là quand ses concubines (ğawārī) et ses filles se rendirent dans les maisons de ses compagnons et d’autres pour demander un acte de bonté (iltimās al-ma‘rūf). Les douleurs suite aux coups devinrent plus atroces. Lorsque al-Muẓaffar se rendit compte de sa situation, il ordonna de le relâcher. […] Il mourut peu de temps après en 660 [1262]159. »
58Un scénario presque identique se reproduisit moins de vingt ans plus tard avec le nāẓir Ibn al-Muẓaffar. De passage à Aden en 677/1278, le sultan fit arrêter ce personnage : « Il ordonna de le faire comparaître à la [grande] mosquée pour que justice soit faite entre lui et ses détracteurs160. » La répétition de l’épisode suggère que le nāẓir s’attirait beaucoup d’ennemis dans l’exercice même de ses fonctions, en particulier parmi les marchands qui avaient affaire avec la douane. Ces rapports de force entre nāẓir et marchands nous échappent néanmoins presque totalement. Seule l’attitude intraitable du sultan apparaît dans les sources.
59Outre la « justice » envers les marchands, l’une des premières qualités exigées du surintendant était bien entendu la fidélité au sultan. Ce trait apparaît notamment dans le choix de ‘Abd Allāh al-Ḥağğāğī (n° 2), l’un des premiers surintendants à avoir été nommés par al-Muẓaffar dans les années 650/1250, après avoir rempli des missions de confiance, comme l’ambassade auprès du calife de Bagdad pour demander l’investiture de son maître. Al-Ğanadī souligne aussi ce trait à propos de Manṣūr b. Ḥasan al-Qurašī (m. 700/1301, n° 5) : « On ne lui connaissait ni grossièreté (ġilaẓ) ni trahison envers son maître, mais il fut célèbre pour son honnêteté (amāna) et l’absence d’injustice envers les sujets161. » Il est intéressant de relever par ailleurs que ce personnage est le premier de notre ensemble qui ait mené une véritable carrière administrative, sur un modèle que nous retrouverons abondamment par la suite : issu d’une des régions centrales du sultanat (Ğibla), il assuma des fonctions dans diverses provinces du pays.
60À partir du règne d’al-Muğāhid, la supervision de la douane d’Aden n’est en effet presque jamais la seule charge exercée par un secrétaire au cours de sa carrière dans l’administration rasūlide, comme cela avait pu être le cas pour al-Ğazarī. Elle est parfois précédée ou suivie par une responsabilité dans les provinces voisines de Laḥğ et d’Abyan (nos 10, 11). On la retrouve plus encore associée à l’exercice de fonctions dans les bureaux centraux, comme chef des bureaux privés (šādd al-ḫāṣṣ, nos 10, 11, 12, 16), contrôleur général des finances (šādd al-istifā’, nos 11, 12, 17) ou vizir (nos 9, 13, 14). La succession de ces postes est loin de constituer un cursus figé, au sein duquel la douane d’Aden aurait une place et un poids bien déterminés. Dans le cas le plus fréquent (nos 9, 10, 13, 14, 16 et 17), le passage par la furḍa précède chronologiquement les plus hauts postes des bureaux centraux, même s’il ne s’agit pas d’une règle intangible. Si, au viiie/xive siècle, la durée d’exercice de la charge dépendait encore largement de la volonté du souverain, les nominations au poste de surintendant de la douane ne sortaient plus du cercle étroit de la bureaucratie rasūlide.
Des lignées d’administrateurs
61La constitution de grandes familles de kuttāb ne fut sans doute pas sans rapport avec la « bureaucratisation » croissante du poste de nāẓir de la douane d’Aden. Trois d’entre elles se distinguent particulièrement au viiie/xive siècle. La plus ancienne descend d’un certain Abū Bakr b. ‘Ammār, un homme originaire de Ğibla, qui fut le chancelier (kātib al-sirr) d’un des plus puissants émirs d’al- Muẓaffar Yūsuf162. Son fils, Muḥammad b. Abī Bakr, partisan de la première heure du sultan al-Muğāhid, connut une ascension rapide qui le conduisit au poste de contrôleur général (mustawf ī) de la cour dans les années 720/1320163. Vingt ans plus tard, nous retrouvons la trace des deux fils de ce dernier chez al-Ḫazrağī, l’un, Aḥmad, comme émir dans la Tihāma, l’autre, ‘Alī, comme surintendant d’Aden durant de longues années, puis comme vizir à partir de 754/1353164. Après la mort de ‘Alī en 760/1359, la famille des Banū ‘Ammār disparaît du devant de la scène. À cette date se distinguent les Ğallād, venus du monde des juristes de Zabīd, dont les responsabilités administratives, d’abord concentrées sur la Tihāma, se précisent dans les sources à partir des années 760/1360165. Pour Ğamāl al-Dīn Muḥammad al-Ğallād (m. 783/1381), la direction de la douane d’Aden fut l’aboutissement d’une carrière passée en Tihāma puis dans les bureaux centraux. Pour son fils ‘Afīf al-Dīn (m. après 822/1419), la charge de nāẓir ne fut en revanche qu’une courte expérience qui survint au début d’une riche carrière. Quant à la troisième famille, les Banū Mu‘aybid, elle domina l’administration sultanienne dans le dernier quart du viiie/xive siècle. À partir de la nomination de Taqī al-Dīn ‘Umar en 774/1373 comme vizir, lui et ses descendants assumèrent cette charge sans discontinuer jusque dans les années 820/1420166. Ses fils Šihāb al-Dīn Aḥmad167 et Šaraf al-Dīn Ismā‘īl ainsi que son petit-fils Raḍī al-Dīn Abū Bakr passèrent par la douane d’Aden dans les premiers temps de leur carrière. Šihāb al-Dīn avait vingt-sept ans lorsqu’il y fut nommé la première fois. Quant à son fils Raḍī al-Dīn, il semble y avoir accédé à un âge encore moins avancé168. Dans l’ensemble, même si aucun de ces trois personnages ne resta longtemps en poste, la douane d’Aden apparaît avoir été pour eux un passage obligé, avant de poursuivre leur ascension à la cour.
62À bien considérer ces trois familles d’administrateurs du viiie/xive siècle, il apparaît que la place de la douane dans les carrières était en partie liée à l’ancienneté des « clans familiaux » dans le monde des secrétaires de l’administration. Toutes ces familles connurent en effet un processus d’ascension sur une ou plusieurs générations, qui les conduisit progressivement de postes modestes aux plus hautes fonctions au sein du dīwān. Pour les générations qui connurent cette ascension, l’accession à la douane d’Aden fut souvent une étape déterminante, soit comme aboutissement d’une carrière, soit comme tremplin pour un poste de vizir. Pour les « héritiers », un passage précoce par Aden était au contraire un moyen de conserver les positions acquises et de s’assurer une promotion rapide à la cour. Bien entendu, l’importance de ces stratégies familiales ne doit pas être surestimée. Leur mise en œuvre dépendait aussi du contexte politique général, des pratiques et des intérêts des sultans, ainsi que du jeu des factions. De ce point de vue, l’intensité du renouvellement de ces familles ayant exercé les plus hautes responsabilités est un indicateur qu’il ne faut pas négliger. La crise de succession des années 720/1320, qui signifia la défaite du « parti égyptien », fut très probablement un moment de bouleversement rapide, dont l’ascension des Banū ‘Ammār ne fut que l’un des fruits. Par la suite, les changements ne furent pas aussi brutaux, des années 730/1330 aux années 760/1360. Le sultan al-Afḍal al-‘Abbās insiste d’ailleurs volontiers dans son recueil de biographies, Al-‘aṭāya al-saniyya, sur la continuité qui existait entre le personnel de son père et le sien. Pourtant, il semblerait que l’ascension des Banū Mu‘aybid et, dans une moindre mesure, celle des Ğallād à partir des années 760/1360 correspondent à une vraie évolution. À la différence des Banū ‘Ammār de Ğibla, ces deux familles étaient originaires de la Tihāma. La première était l’héritière d’une lignée de cheikhs de la célèbre tribu des Ašā‘ir169 ; la seconde, d’une lignée de juristes ḥanafites de Zabīd. Leur promotion dans l’entourage du souverain fut à la mesure de leur engagement à ses côtés pour réduire les troubles qui avaient enflammé la Tihāma à partir de la fin du règne d’al-Muğāhid ‘Alī. Car ces hommes de l’écrit, dont les vertus d’administration furent abondamment louées par al-Afḍal al-‘Abbās et al-Ḫazrağī, étaient aussi des hommes d’épée, qui n’hésitèrent pas à conduire des troupes pour prélever les revenus de l’impôt foncier dans les wadis du Nord de la Tihāma. La mainmise étonnante des Banū Mu‘aybid sur le vizirat durant près de quarante ans ne se comprend pas en dehors de ce rôle d’auxiliaire indispensable du pouvoir rasūlide qu’ils furent amenés à jouer à partir des années 760/1360.
63La place occupée dans l’administration rasūlide par les Banū ‘Ammār, Ğallād et Banū Mu‘aybid, tous originaires des montagnes ou des plaines du Yémen, signifiait-elle la mise à l’écart des secrétaires issus de l’étranger, comme un Ğazarī avait pu l’être dans les années 650/1250 ? Il n’en est rien. Jusqu’à la fin du viiie/xive siècle, les sultans employèrent aussi des administrateurs venus de plus lointains horizons pour gérer leurs finances et diriger la douane d’Aden. Bā Maḫrama évoque ainsi un certain Nūr al-Dīn ‘Alī b. Abī Bakr al-Fāriqī, actif sous le règne d’al-Muğāhid ‘Alī :
« Il arriva au Yémen depuis l’Égypte à l’époque d’al-Muğāhid et s’attira l’entière faveur (šafqa) du sultan. Il s’éleva progressivement au service du sultan jusqu’à être nommé inspecteur des bureaux (mušidd al-dawāwīn). Il était aimé par les sujets pour son bon comportement envers eux, détesté par les agents (nuwwāb) et les secrétaires (kuttāb) pour son contrôle méticuleux, de même que par tous les serviteurs (ġilmān) du sultan et ceux qui dévoraient l’argent de l’administration (dīwān). Ils s’entendirent entre eux pour rapporter au sultan à son propos des choses vraies et fausses. Al-Muğāhid ordonna de l’arrêter. Quand [Nūr al-Dīn ‘Alī] apprit cela, il s’enfuit de Zabīd à Bayt al-Faqīh Ibn ‘Uğayl170 et y prit asile. Sa fuite était une confirmation de ce qui avait été dit sur lui et le sultan ordonna qu’on l’arrête là-bas. On l’arrêta et on lui confisqua avec hargne tous ses biens si bien qu’il en mourut. C’était à la fin de l’année 747 [1346-1347]171. »
64Aucune source ne mentionne explicitement l’exercice d’une charge de surintendant d’Aden par al-Fāriqī. Le tableau des administrateurs d’Aden que nous avons constitué montre cependant une lacune chronologique de près de vingt ans entre le Qāḍī Badr al-Dīn Ḥasan b. Sa‘īd, en charge en 736/1336, et le Qāḍī Ğalāl al-Dīn ‘Alī b. Aḥmad en charge jusqu’en 754/1353172. Il n’est pas impossible qu’al-Fāriqī ait commencé sa carrière dans les années 740/1340 en occupant une charge dans la douane d’Aden, avant de gravir les échelons des bureaux centraux. La supervision de la douane ne fait en revanche aucun doute dans le cas de son fils Šaraf al-Dīn Ḥusayn b. ‘Alī al-Fāriqī, qui fut surintendant en 785-786/1383-1384 et 789-790/1387-1388. Ce profil familial est assez proche de celui de Šihāb al-Dīn Aḥmad b. ‘Umar Ibn al-Ḫuṭabā’, originaire lui aussi de l’Égypte et nommé à la tête de la furḍa entre 762/1361 et 764/1363. Selon Bā Maḫrama, c’est à sa famille qu’une partie au moins de Dār al-Sa‘āda, la grande demeure située au sud de la douane, aurait appartenu dans les années 760/1360173. Ces deux familles, al-Fāriqī et Banū al-Ḫuṭabā’ étaient très actives dans le commerce avec l’Égypte174. S’il est difficile d’évaluer l’ampleur des affaires de chacun de ces personnages pris individuellement, l’investissement commercial dans un cadre familial ne fait pas de doute.
65À l’image du portrait de Nūr al-Dīn ‘Alī al-Fāriqī, les sources mettent surtout en avant les qualités morales et pratiques de ces hommes dans leurs responsabilités administratives : honnêteté et exactitude, maîtrise des comptes et des codes du langage administratif. Ainsi Šaraf al-Dīn Ḥusayn al-Fāriqī était-il « de bonne compagnie et très bon administrateur (ğayyid al-mubāšara) dans ce qu’il avait à gouverner175 », al-Ḫazrağī insistant particulièrement sur sa bonne administration de la douane d’Aden176. Et al-Maqrīzī d’ajouter : « C’était un homme éminent par ses mérites (ra’īsan fāḍilan), excellent dans l’art du secrétaire (kitāba), et connaissant la médecine177. » Ces familles n’entrèrent donc pas en tant que marchands au service du souverain. Toutefois, cette pratique du commerce, ajoutée à leur origine étrangère, les distingue nettement des familles de secrétaires issues de la Tihāma ou des montagnes du Yémen. Plus encore, la réalisation de brillantes carrières dans l’administration sultanienne n’entraîna pas l’interruption de leurs activités commerciales. Le cas le plus clair est celui des Fāriqī dont les activités marchandes en Égypte sont signalées jusqu’à la fin du viiie/xive siècle178. Les choix des souverains successifs, depuis al-Muğāhid ‘Alī jusqu’à al-Ašraf Ismā‘īl, d’accorder leur confiance à ces familles durant plus d’un demi-siècle n’est donc pas dû au hasard. Il s’agissait pour eux de maintenir dans leur administration la présence de secrétaires-marchands venus d’ailleurs, aux côtés des familles issues des territoires du sultanat. Cette recherche d’un équilibre entre personnel autochtone et administrateurs étrangers, entre maîtres de la terre (les cheikhs Banū Mu‘aybid) et maîtres des échanges (les marchands Fāriqī) se manifeste de la façon la plus éclatante à la fin du règne d’al-Ašraf Ismā‘īl, lorsque Šaraf al-Dīn Ḥusayn al-Fāriqī et Šihāb al-Dīn Ibn Mu‘aybid se partagèrent le vizirat :
« En 797 [1395], le Qāḍī Šaraf al-Dīn al-Fāriqī fut nommé au vizirat, en partage (mušārikan) avec le Qāḍī Šihāb al-Dīn Aḥmad b. Mu‘aybid, après qu’Ibn Mu‘aybid eut été le seul vizir pendant six ans. Ils étaient deux vizirs : si l’un d’entre eux s’absentait, l’autre le remplaçait. S’ils étaient là tous deux, ils apparaissaient ensemble, cela jusqu’à la mort du Qāḍī Šaraf al-Dīn al-Fāriqī la nuit du milieu de ša‘bān 801 [avril 1399]179. »
66Qu’une famille de grands marchands ait été intégrée au service de l’État à côté des élites de la terre et du savoir ne signifie pas bien entendu que tous les marchands passés par le Yémen aient joui de la même position. De fait, les Fāriqī représentaient plutôt un cas exceptionnel qu’il nous faut maintenant éclairer en le replaçant plus largement dans le cadre des rapports entre l’État rasūlide et les marchands présents dans ses ports.
3. LA DOUANE, L’ÉTAT ET LES MARCHANDS
« Les marchands ont une position excellente (waḍ‘ ğalīl) [dans le royaume] car la plupart des revenus (mutaḥaṣṣilāt) du Yémen viennent d’eux et ils en sont la cause180. »
67Cette constatation de l’Égyptien Ibn Faḍl Allāh al-‘Umarī obéit à un enchaînement logique, difficilement critiquable au premier abord. Pourtant, nous avons déjà vu les nuances qu’appelait l’affirmation selon laquelle « la plupart » des ressources du sultanat étaient tirées de la taxation des importations et des profits du commerce d’État. Notre attention se concentrera ici sur ce que pouvait bien signifier cette « position excellente » dont jouissaient les marchands auprès du pouvoir sultanien. Faut-il entendre derrière le pluriel employé par Ibn Faḍl Allāh al-‘Umarī (al-tuğğār) l’ensemble des marchands commerçant avec le Yémen ? Ou bien une catégorie particulière ? Comment comprendre en définitive les marques de considération du pouvoir vis-à-vis des marchands ?
3.1 L’honneur en partage : échanges de présents et marques de considération
68Le lien particulier entre le souverain et les marchands se manifestait d’abord par l’échange de présents, une pratique qui constituait en même temps un véritable langage politique. Lorsque al-Muẓaffar Yūsuf entra dans Aden en 648/1250, il reçut des marchands « des biens (māl) et des objets précieux (tuḥaf) en quantité importante181 ». Il en alla de même lors de la visite du sultan al-Mu’ayyad en 698/1299, et vraisemblablement sous les règnes postérieurs182. Le tableau des revenus des ports du Mulaḫḫaṣ al-fiṭan détaille toutes les catégories de présents que les gens de commerce réservaient au souverain183. La liste des « présents » (hadāyā) dans le port d’Aden énumère sans surprise en premier lieu les bois de senteur, suivis par « toutes les sortes d’objets précieux de l’Inde et d’Irak ». Si l’on y ajoute les eunuques qui venaient de la Corne de l’Afrique184 et les perles tirées principalement du Golfe ou de l’océan Indien, l’absence de présents venus explicitement depuis le nord (l’Égypte) peut surprendre. Pourtant, l’arrivée de présents des marchands de l’Égypte, les Kārimis, est bien mentionnée dans la chronique d’al-Ḫazrağī185. Il faut donc considérer que la liste du Mulaḫḫaṣ ne prétendait pas être exhaustive : elle ne mentionne probablement que les présents les plus fréquemment apportés. En outre, le Mulaḫḫaṣ ne se limite pas à Aden. À chaque port ou groupe de ports correspondent certaines catégories de présents, plus limitées qu’à Aden mais présentant toujours des particularités. Ainsi les marchands visitant le port d’al-Šiḥr se distinguaient-ils par la remise de danseuses esclaves indiennes, mais l’ambre, le camphre, la civette ou les perles étaient couramment offerts tant à al-Šiḥr qu’à Aden.
69Le lecteur imagine sans peine que la remise de ces présents par les marchands n’était pas le simple fruit d’une générosité désintéressée. La présentation de cadeaux au souverain appelait une réponse. Ce mouvement d’échange est clairement signifié dans le récit de la visite d’al-Mu’ayyad à Aden en 698/1299 :
« Les marchands qui se trouvaient (al-muqīmūn) dans la frontière bien gardée offrirent de précieux dons (taqādīm) dignes des présents (‘awā’id) offerts aux rois. [Al-Mu’ayyad] y répondit (radda) et ordonna de les revêtir avec profusion [de robes d’honneur], de leur prodiguer des marques d’honneur (al-tašārīf) et des montures (marākīb) précieuses, des étalons de choix avec leur harnachement (‘udad) complet, c’est-à-dire des selles dorées et diverses robes (zanānīr), après avoir honoré les nāḫūḏā de l’Inde de présents (‘awā’id) par l’intermédiaire de sa bienheureuse administration186. »
70Le panégyriste Ibn ‘Abd al-Mağīd pourrait être soupçonné d’exagérer à dessein la munificence du souverain. Il n’en est rien. Un document « de la main de l’intendant (‘āmil) de la frontière bien gardée », compilé dans le Nūr al-ma‘ārif, détaille en effet le contenu des « marques d’honneur » ou « gratifications » (tašrīf pl. tašārīf) annuelles dont bénéficiaient effectivement les marchands de l’Inde187. Nous y retrouvons les montures caparaçonnées avec leurs encolures « en soie écarlate brochée de fil d’argent », ainsi que diverses étoffes et robes précieuses rehaussées de fourrures. Là n’étaient pas les seules faveurs que les marchands étaient en droit d’attendre. Le Nūr al-ma‘ārif signale aussi parmi les usages d’Aden l’exemption de certaines dîmes – à l’exclusion de la dîme des chevaux – en cas de « dons » (in‘āmāt) du souverain, c’est-à-dire lorsque des gratifications en espèces étaient attribuées à un marchand. L’administration les réglait en les déduisant des sommes que lui devait le bénéficiaire188. Enfin, le souverain accordait parfois des « recommandations » ou des « protections » (wiṣāya ou ḥurma), donnant la priorité à certains personnages lors de la sortie de la douane (et sans doute aussi lors du débarquement)189. L’importance de ces privilèges est difficile à mesurer en pratique. Concernaient-ils de nombreux marchands ? Ou étaient-ils au contraire exceptionnels ? La manifestation la plus forte de la faveur sultanienne reposait, quoi qu’il en soit, sur la remise d’un présent, un contre-don répondant au don initial du marchand.
71Même s’il était in fine à l’avantage du marchand, le sens de l’échange exigeait que celui-ci fût le premier à soumettre son cadeau. Telle était la norme. Une gratification du sultan sans contrepartie était un acte inhabituel, comme le souligne une histoire rapportée à propos du sultan al-Ašraf Ismā‘īl par le continuateur anonyme du Bahğat al-zaman, la chronique inachevée d’Ibn ‘Abd al-Mağīd :
« Voici une anecdote (nukta) qui témoigne de l’excellence [du sultan] dans le mérite et de sa générosité débordante, telles qu’aucun de ses pères et de ses ancêtres ne les avait atteintes : un marchand d’Aden qui s’appelait Ğamāl al-Dīn Muḥammad b. Ḥasan al-Hibal connut une situation difficile. Il dut rembourser une dette [au dīwān] qui rendait sa situation délicate. Il se rendit d’Aden à Zabīd, se présenta devant sa noble Altesse (maqāmi-hi al-šarīf) dans le jardin al-Rāḥa à l’extérieur de Zabīd et se lamenta de sa situation devant lui. Ce que recherchait ce marchand, c’était que le sultan écrive un message (kitāb) à ses représentants (nuwwāb) dans la frontière bien gardée pour qu’ils lui accordent un délai supplémentaire (yastamhilūn) jusqu’à ce qu’il puisse [les rembourser] (ilā maysara). [Le sultan] le lui accorda – que Dieu lui donne la victoire – d’une manière éclatante sans l’interroger et sans lui faire aucune demande d’argent. Ces traits étaient innés chez ce souverain généreux. […] On dit que le montant de la taxe que devait payer ce marchand était de 120 000 dirhams argent ; l’agréable gratification [qu’il lui remit] était de ce montant. Puis il écrivit aux agents à Aden pour qu’ils l’aident et le protègent (yuqīmū ḥurmati-hi) et le marchand vécut heureux190. »
72L’exagération des détails tels que la somme due par al-Hibal – 120 000 dirhams argent, soit 40 000 dinars – n’a d’autre but que de faire ressortir de façon encore plus vive le caractère exceptionnel de la libéralité sultanienne. Nous retiendrons seulement ici l’insistance de l’auteur sur l’absence de requête préalable du souverain : al-Ašraf Ismā‘īl le combla « sans l’interroger et sans lui faire aucune demande d’argent ». Cela signifie que toute faveur obtenue à la suite d’une doléance était ordinairement monnayée. Notons par ailleurs que le cadre de ce « fait mémorable » du sultan al-Ašraf Ismā‘īl est assez inhabituel : un pavillon dans un jardin situé en périphérie de Zabīd, une ville prisée tout particulièrement par ce sultan. Al-Hibal put accéder sans difficulté au souverain et l’apitoyer sur son sort lors de l’audience. Le face-à-face entre sultan et marchand est cependant rarement mis en scène de façon aussi directe dans les chroniques ou les recueils de biographies.
73Le cadre ordinaire de l’échange de présents ne se situait pas en effet à la Cour, mais dans le port principal du royaume. Don et contre-don s’affichaient d’abord à Aden, au cours de ces rares cérémonies qui accompagnèrent la visite des sultans, comme en 698/1299 ou en 776/1375191, sans que l’on sache précisément où celles-ci se tenaient : devant la douane ? à l’emplacement de la ḥalqa des chevaux ? dans les palais sultaniens d’al-Manẓar ou, plus tard, de Dār al-Sa‘āda ? Nous n’en savons pas plus sur les modalités ordinaires de remise aux marchands des gratifications annuelles tirées du « prospère Trésor » (al-ḫizāna al-ma‘mūra) de la douane192. Le rôle de la furḍa est en revanche manifeste dans la réception des présents destinés au souverain. Comme pour l’ensemble des produits, la douane servait ici aussi de filtre. Le document du Nūr al-ma‘ārif sur les coutumes d’Aden y consacre une longue explication qui prouve l’importance de cette pratique et le sens qu’elle revêtait pour le pouvoir193 :
« Il est de coutume à ce propos qu’un présent de haute valeur ne soit pas ouvert dans la douane mais qu’il soit expédié au Trésor en l’état, accompagné d’une lettre et de soldats d’Aden qui veillent sur lui jusqu’au Trésor – le transport est payé sur les fonds de l’administration à Aden. Si le présent vient d’un homme de condition moyenne, il est nécessaire de l’ouvrir dans la douane et de l’exposer au grand jour ; on doit ensuite demander un ordre concernant son évaluation, ou son envoi vers le Trésor sans évaluation, et ce que l’ordre aura indiqué doit être appliqué. Il n’y a pas de dîme sur les présents, qu’ils viennent d’un homme de haute condition ou d’un homme de condition moyenne. »
74L’administration distinguait nettement deux catégories de présents, selon qu’ils venaient d’hommes de haute condition (raf ī‘ al-ḥāl) ou de condition moyenne (mutawassiṭ al-ḥāl). Précisons immédiatement que la description emploie ici des formules générales, qui peuvent concerner aussi bien des marchands que des ambassadeurs, des hommes de religion en voyage ou tout autre personnage ayant passé les portes de la douane d’Aden au cours de son itinérance. Rien ne nous permet bien sûr de préciser quelle était la proportion des marchands parmi tous ces personnages. Tout au plus la distinction entre rang élevé et rang moyen suppose-t-elle que la pratique d’offrir un présent à son arrivée était répandue parmi des hommes de toute condition.
75Les cadeaux étaient traités de façon différente selon la catégorie à laquelle ils appartenaient. Les plus précieux étaient immédiatement expédiés au souverain sous bonne garde, les frais de transport étant pris en charge par la douane. Ceux qui appartenaient à la catégorie moyenne étaient exposés dans la douane « au grand jour », pour être, dans certains cas, soumis à une évaluation (taṯmīn). Le texte manque de clarté à ce propos. Le taṯmīn apparaît en effet comme une alternative à l’envoi vers le Trésor du souverain. Faut-il voir dans cette « évaluation » un préalable à l’enregistrement administratif du présent parmi tous les biens entreposés dans le Trésor de la douane (ḫizānat al-furḍa) ? Il est patent en tout cas que la publicité donnée à la valeur du présent n’était pas la même selon la considération sociale dont jouissait son auteur. Seule la valeur exacte des cadeaux les moins importants était connue en douane ; elle venait alors s’ajouter à la valeur des autres biens en nature qui seraient remis plus tard au souverain. Le présent n’était plus tout à fait celui du marchand, mais devenait l’un des produits de l’activité douanière, au même titre qu’une marchandise achetée.
76La différence de traitement des deux catégories de présents élevés ou moyens révèle en définitive deux rapports différents au pouvoir sultanien. Dans le premier cas, celui des hommes de condition élevée, le contact avec le souverain était immédiat, sans que le personnel de la douane puisse avoir de prise sur le présent de quelque manière que ce soit. Dans le second cas, l’administration s’interposait entre les marchands de condition moyenne et la Cour ou le prince. Au total, tous devaient être traités et honorés « selon leur rang194 ». Pris individuellement, les plus riches marchands étaient en effet considérés par le pouvoir selon une hiérarchie fine qui apparaît nettement dans l’inventaire des marques d’honneur destinées aux nāḫūḏā de l’Inde. La valeur des présents y varie en fonction de la nature et de la qualité des étoffes offertes. L’attribution d’une monture permet en outre de distinguer les trois plus importants de ces marchands-armateurs195. Dans l’établissement de cette hiérarchie, l’État appliquait le seul critère de la richesse, éventuellement pondéré par la considération sociale ou le prestige du savoir. De ce fait, la classification des marchands établie par l’administration ne s’éloignait pas des catégories plus généralement adoptées au sein de la société196 : collectivement, le pouvoir reconnaissait en effet les marchands les plus fortunés comme « élite des marchands », a‘yān al-tuğğār, une désignation par ailleurs courante dans les sources197.
77Le récit de l’arrivée du grand marchand ‘Izz al-Dīn al-Ḥalabī offre l’exemple d’un échange de cadeaux particulièrement précieux avec le souverain, au cours d’un cérémonial qui confirme la place particulière des plus grands marchands dans les faveurs sultaniennes :
« En cette année-là [703/1304] arriva un marchand du bilād al-Ḫaṭā, d’une ville appelée al-Ḫansā’ par la route d’al-Ṣīn198. Il navigua depuis la côte de Zaytūn dans des navires en direction de Kūlam199. Ce marchand, qui était appelé ‘Izz al-Dīn ‘Abd al-‘Azīz b. Manṣūr al-Ḥalabī, arriva à Aden avec des biens immenses. […] Il prétendit qu’il s'agissait d’aumônes pour les deux Lieux saints, envoyés par son intermédiaire par des marchands de cette région. La dîme sur ce qu’il avait apporté dans la frontière d’Aden la bien gardée fut fixée à 300 000 dirhams200. Lorsqu’il fut installé à Aden, il partit vers la noble cour du sultan al-Mu’ayyad [à Ta‘izz]. Dans sa noblesse, Hizabr al-Dīn201 l’accueillit avec toutes sortes de faveurs. Il entra dans la Demeure de la paix (Dār al-Salām) lors de l’audience et déposa devant son Altesse (bayn yaday nağwā-hu) des présents que [son Altesse] fit évaluer et des objets précieux qu’elle apprécia. [Le sultan] les accepta par un décret […]. Le sultan le couvrit d’une profusion de robes précieuses et le fit monter sur des montures rares. Il ordonna par écrit de lui remettre le double de ce qui lui avait été offert. Un noble décret (al-marsūm al-šarīf) fut envoyé aux représentants (nuwwāb) de la frontière bien gardée ordonnant de l’honorer et de lui porter considération. Il lui donna le choix de partir ou de rester, en descendant lors de son séjour dans la Demeure du Séjour (Dār al-Maqāma). Il [ = ‘Izz al-Dīn] décida de partir en direction de l’Égypte et ses environs, car il devait renouveler un pacte (‘ahd) avec des habitants là-bas. […] J’ai appris aussi que l’on n’avait jamais vu, dans la succession des marchands de tout pays, arriver un tel marchand dans la frontière [d’Aden], mais la félicité de ce sultan conduit en son noble royaume des cortèges de bienfaits (rakā’ib al-ḫayrāt al-ḥassān)202. »
78La conclusion du récit indique quelle est son orientation générale : montrer l’arrivée d’un marchand d’exception à la mesure d’un sultan non moins exceptionnel. Toutefois, cette description, corroborée par deux témoignages indépendants, n’est peut-être pas tout à fait dénuée de fondements : les portraits du personnage dressés par Ibn Ḥağar al-‘Asqalānī et al-Maqrīzī insistent eux aussi sur la richesse prodigieuse de l’homme. À son arrivée en Égypte en 704/1305, la valeur des biens qu’il rapportait de Chine se serait montée à près de 400 000 dinars selon al-Maqrīzī, dont près de 10 % seraient partis dans les caisses de l’État mamlūk au titre de la taxe d’importation203. Le cérémonial qu’Ibn ‘Abd al-Mağīd décrit en détail paraît aussi sortir de l’ordinaire. À la différence de ce qu’indique le Nūr al-ma‘ārif, les présents d’al-Ḥalabī ne furent pas envoyés depuis Aden avec un détachement militaire. Le grand marchand les accompagna lui-même et fut reçu comme un hôte de marque à la cour du sultan. Les différentes étapes de l’échange sont néanmoins identiques à ce que nous avons décrit précédemment : les trésors déposés au cours de l’audience par al-Ḥalabī furent scrupuleusement évalués et leur dépôt dans le Trésor fut administrativement avalisé par un décret du sultan ; ce dernier revêtit en retour le marchand de robes d’honneur et lui offrit les montures qui convenaient aux personnages de son rang. Puis il ordonna à la douane de respecter les privilèges dus à sa « condition élevée ». Enfin, il offrit à al-Ḥalabī de demeurer auprès de lui. Une telle proposition paraîtra sans doute curieuse au lecteur : cette façon de s’attacher les services d’un personnage connu était pourtant courante sous les premiers Rasūlides. Ibn Faḍl Allāh al-‘Umarī l’explique sans détours dans sa description du royaume rasūlide : al-Muẓaffar Yūsuf et son fils al-Mu’ayyad Dāwūd « ne permettaient pas à un étranger de repartir, et ne pardonnaient pas cela, ni de loin ni de près, recherchant à enrichir (‘imāra) le Yémen d’une lumière qui l’éveillait à toute chose de qualité204 ». À ceux qui désiraient rester auprès d’eux, les sultans offraient un toit, d’abondants présents et de fortes pensions. Le sultan al-Mu’ayyad considéra-t-il le grand marchand à l’instar d’un poète ou d’un savant dont les talents étaient susceptibles de rehausser sa gloire ? ou comme un courtisan dont la compagnie devait être recherchée ? Il convient là-dessus de traiter le récit d’Ibn ‘Abd al-Mağīd avec prudence.
79La magnificence du présent sultanien ou l’invitation à demeurer à la Cour sont en effet d’abord à considérer comme des signes marquant la supériorité du souverain du Yémen sur ce marchand venu de loin, aussi riche soit-il. Cette visée du texte paraît d’autant plus claire que le début du passage suggère les protestations d’al-Ḥalabī lors de son arrivée à Aden et de son passage par la douane. Le marchand aurait demandé d’être exempté, prétextant que ses biens étaient destinés à La Mekke. Cela ne lui fut bien entendu pas accordé. La cérémonie qui se tint à la Cour peut être considérée comme une tentative de s’attirer les bonnes grâces du souverain, si l’on se place du point de vue d’al-Ḥalabī. Pour le sultan, un tel accueil visait sans doute à calmer la colère du marchand. Ce texte n’est pas le seul exemple dans la chronique d’Ibn ‘Abd al-Mağīd où l’insistance sur le cérémonial et l’échange de présents servent à signifier discrètement le rétablissement de relations normales entre le sultan et les marchands.
80Une même lecture peut être faite de la visite d’al-Mu’ayyad Dāwūd à Aden en 698/1299, dont nous avons déjà évoqué les fastes. Cet événement intervint moins de quatre ans après l’attaque que ce prince avait menée contre Aden, alors qu’il était entré en rébellion ouverte contre son frère al-Ašraf ‘Umar, devenu sultan. En 694/1295, selon Ibn ‘Abd al-Mağīd, la cité était rapidement tombée grâce à l’ingéniosité d’al-Mu’ayyad Dāwūd205 ; les notables de la ville, « le gouverneur, le surintendant et l’élite des marchands (a‘yān al-tuğğār) » s’étaient immédiatement placés sous sa protection ; et le Rasūlide s’était distingué par sa clémence et son souci de bien traiter les négociants du port206. Le récit du même événement rapporté par Ibn al-Furāt, suivant une tradition indépendante d’Ibn ‘Abd al-Mağīd, éclaire la prise d’Aden en 694/1295 sous un jour tout à fait différent. Le prétendant au trône, ne trouvant pas dans la douane le Trésor qu’il espérait, avait « emprunté » de lourdes sommes aux marchands de la cité, ainsi qu’aux biens des orphelins207. Cette version plus indépendante paraît plus sûre aussi. Un an plus tard, al-Mu’ayyad Dāwūd accéda finalement au sultanat à son tour. Il devenait alors nécessaire d’effacer l’image d’un prince qui n’avait pas hésité à pressurer les marchands lors de sa tentative de sécession. C’est dans cette perspective qu’il nous faut replacer la visite de 698/1299 et tous les gestes qui y furent accomplis. Parmi eux, le grand banquet tenu à Ḥuqqāt, sur une étendue si vaste que « celui qui se tenait à une extrémité n’en voyait pas l’autre bout208 », tient une place particulière. La visite d’al-Mu’ayyad est la seule pour laquelle un tel rassemblement en présence de tous les notables de la cité portuaire soit mentionné. Ibn ‘Abd al-Mağīd n’hésite pas à inclure dans son récit un poème qui fut déclamé au cours du repas à la gloire du souverain, où celui-ci est notamment comparé au héros Yémen anté-islamique, Sayf b. Ḏī Yazan. Ce poème, qui constitue le cœur du texte d’Ibn ‘Abd al-Mağīd, nous indique quel était le véritable enjeu de la visite du souverain : affermir une « renommée de justice » que les marchands étaient chargés de « répandre dans leurs terres209 ».
3.2 Les marchands et l’affirmation de la légitimité sultanienne
81La remise de présents n’avait pas tout à fait le même sens selon qu’elle provenait du sultan ou des marchands. Les marques d’honneur prodiguées par le sultan signifiaient la protection que celui-ci accordait aux hommes de la « plus haute condition ». Elles étaient aussi, de l’aveu même du Nūr al-ma‘ārif, une façon d’« attirer » les plus grands marchands dans le port210. En provenance des marchands, les cadeaux signifiaient au contraire la reconnaissance d’une forme de légitimité sultanienne. Il nous reste à préciser de quelle nature était cette légitimité. Que recouvrait-elle exactement ? Quelle forme d’autorité les marchands reconnaissaient-ils au souverain par cet échange de présents ? Écartons d’emblée la reconnaissance du droit et de la capacité d’un souverain à régner. Celle-ci faisait l’objet de cérémonies particulières au moment de l’avènement au trône. Le chroniqueur al-Ḫazrağī évoque ainsi au cours de son récit de l’avènement d’al- Malik al-Afḍal en 764/1363 le rassemblement des « Grands de la Cour » du sultan défunt (kubarā’ ḥaḍrati-hi) et des « émirs de son Règne » (umarā’ dawlati-hi) pour désigner le nouveau sultan211. Tous lui prêtèrent allégeance au cours de la cérémonie dite de bay‘a, en commençant par les membres de l’entourage proche (al-ḫāṣṣa), membres de la famille et serviteurs du palais. Le serment d’allégeance fut ensuite prêté par l’ensemble des dignitaires de l’État (arbāb al-dawla) « qui étaient présents ce jour-là ». Le souverain se tourna ensuite vers les soldats qu’il gratifiait de « dotations conséquentes » (nafqa ğayyida). Les marchands ne sont mentionnés en tant que tels dans aucun des récits de bay‘a conservés par les chroniqueurs212. Seuls les membres de l’État et de la famille sultanienne intervenaient dans cette cérémonie. En cela, le Yémen rasūlide ne diffère pas des pratiques observées ailleurs dans le monde musulman médiéval213.
82La remise des présents par les grands marchands avait-elle alors pour but de reconnaître la légitimité du prélèvement fiscal ? Plusieurs indices montrent en effet que le régime de taxation à Aden n’allait pas sans provoquer certaines résistances. Nous l’avons vu avec ‘Izz al-Dīn al-Ḥalabī, ce grand marchand revenu de Chine, qui chercha à faire exempter ses marchandises en prétextant qu’il s’agissait d’une aumône destinée à La Mekke et Médine. Ce faisant, al-Ḥalabī recourait à un argument religieux susceptible de l’emporter sur les règles de l’État. La suite de cette histoire montre que cette affirmation n’eut guère de prise sur l’administration et le pouvoir sultaniens. Plus largement, il est frappant de constater que dans tous les textes conservés, qu’ils soient administratifs ou narratifs, les auteurs ne recourent jamais au registre religieux ou juridique de l’islam pour justifier le prélèvement douanier. Certes, le terme même de ‘ušūr peut être rapproché de ‘ušr, une notion bien connue du droit musulman, utilisée très tôt pour désigner « un impôt sur la terre possédée par les musulmans ou une taxe sur les marchandises devant être payée par les commerçants musulmans, ḏimmī ou ḥarbī des pays non musulmans (dār al-ḥarb), […] considérée comme une sorte d’aumône légale (zakāt)214 ». Claude Cahen a bien montré toutefois que l’assimilation du ‘ušr à une forme de zakāt versée par les marchands musulmans importateurs avait été une reconstruction relativement tardive, permettant de justifier de façon imparfaite des prélèvements douaniers préexistants215. La zakāt, telle qu’elle est définie par les juristes, est en effet « loin d’épouser toutes les formes effectives de taxes qui frappent [les produits commerciaux]216 ». Si cette confusion entre zakāt et taxe d’importation sur les musulmans peut être constatée dans le cas du port d’Alexandrie217, rien de tel n’est observable à Aden : les dîmes de la douane y étaient nettement distinctes de l’aumône légale. Si, en 625/1228, Nūr al-Dīn ‘Umar imposa bien le règlement d’une zakāt par tous les marchands pour des montants très élevés, ce système fut rapidement abandonné par la suite. La notice biographique du marchand Abū Ḥuğr, qui vécut à Aden dans la seconde moitié du viie/xiiie siècle, montre sans ambiguïté que l’État ne se mêlait pas à cette époque de la perception et de la redistribution de l’aumône légale218 : il revenait à chaque propriétaire de la verser sur son capital, essentiellement à des pauvres ou des hommes de religion.
83Si rien dans la šarī‘a ne venait justifier précisément le ‘ušūr d’Aden, cette taxe était-elle pour autant considérée comme illégale par les marchands qui fréquentaient le port ? La connaissance très limitée que les historiens ont pour l’heure de la documentation juridique yéménite, et notamment de la jurisprudence sunnite (fatwā) à l’époque rasūlide, ne permet pas de répondre précisément à cette question. Tout au plus peut-on constater que le terme de mukūs, d’ordinaire réservé à la désignation des taxes considérées à la fois comme illégales et illégitimes219, n’est guère employé dans nos sources. Al-Ğanadī, pourtant particulièrement sourcilleux sur le respect de la légalité islamique par le pouvoir, n’emploie jamais ce terme dans ses notices de l’époque rasūlide. Nous le trouvons une seule fois dans la chronique d’al-Ḫazrağī à propos de la visite du sultan al-Ašraf Ismā‘īl à Aden en 781/1379, pour désigner des redevances nouvelles prélevées au profit des agents de la douane, et non les dîmes (‘ušūr) comme nous l’avons vu au chapitre précédent220. À défaut de nous informer sur l’opinion des marchands, l’usage de cette notion montre bien où passait la frontière entre légitime et illégitime aux yeux du pouvoir sultanien : toutes les innovations, autrement dit les taxes qui ne pouvaient s’appuyer sur une coutume, devaient être supprimées. Le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan le confirme d’une façon indirecte, en ne mentionnant que le ‘ušūr parmi les taxes prélevées à Aden. Tous les prélèvements ajoutés par les administrateurs, autres que la dîme, n’avaient pas de fondement dans la tradition administrative telle qu’al- Ḥusaynī la présente dans son traité.
84Au total, il apparaît que la dîme en tant que telle jouissait d’une autorité solide, qui ne devait rien à l’appareil juridico-religieux de l’islam. Dans les textes yéménites, le prélèvement fiscal ordinaire au sein de la douane – c’est-à-dire le ‘ušūr dans toutes ses composantes – était justifié par trois discours, différents sans être nécessairement contradictoires. La superposition des trois apparaît le plus nettement dans le récit de l’introduction de la taxe des galères par l’Ayyūbide Ṭuġtakīn, tel que nous le rapporte Ibn al-Muğāwir. Bien que portant sur un épisode antérieur à la dynastie rasūlide, il est révélateur d’arguments qui continuèrent d’être utilisés par la suite :
« Un [des habitants de la cité] les plus doués d’entendement (arbāb al-‘aql) lui adressa [ = à Ṭuġtakīn] ces conseils : “En quoi considères-tu que prélever la dîme sur les négociants soit licite ?”
Il répondit : “Je me conforme à l’antique coutume que suivirent les souverains des Ayyūbides.” L’[habitant] lui rétorqua : “En vérité, ils [la] prenaient aux gens par la force (bi-yad al-quwwa). Mais la percevras- tu, toi, d’une façon qui te vaudra les remerciements des gens ?” [Ṭuġtakīn] demanda : “Comment donc ?” Il répondit (qāla) :
“Dépêche ces galères en mer, qui protégeront les négociants contre les pirates (al-surrāq) et tu combleras, dans une certaine mesure, un besoin [que] les [marchands ressentent], au lieu de laisser inutilement les [galères] se prélasser au soleil !” Aussi s’exclama-t-il : “Par Dieu, tu es venu m’apporter un excellent avis !”221 »
85Le texte évoque successivement la coutume, la force et l’utilité collective pour justifier le prélèvement de la dîme. Les deux derniers arguments sont présentés comme antithétiques : aux yeux de cet habitant d’Aden, l’imposition par la force n’apportait pas de légitimité suffisante à la taxation douanière. Elle contraignait les marchands, sans pour autant les convaincre du bien-fondé du prélèvement. Selon son opinion, la protection par l’État des marchands et des marchandises, au moyen des galères, suffisait au contraire à emporter leur adhésion. L’auteur des coutumes d’Aden dans le Nūr al-ma‘ārif (document I) n’avait pour sa part aucun scrupule à reprendre l’argument de la puissance : « L’administration est réputée être en possession de la force (quwwat al-yad) alors que le marchand n’a pas de force222 » : il s’agissait d’abord là de la constatation d’un état de fait, de la prise en compte d’un rapport de force favorable, ou du moins perçu comme tel dans les cercles du pouvoir.
86Nous pouvons toutefois retrouver la préoccupation du « bien collectif » dans l’insistance générale des textes rasūlides sur la « justice » que l’administration se devait de respecter dans ses rapports avec les marchands, comme nous le voyons dans le chapitre sur al-Šiḥr de l’Irtifā‘223, le règlement des entrepôts d’Aden de 680/1281224 ou le récit de la visite d’al-Mu’ayyad à Aden en 698/1299225. C’est néanmoins la figure d’al-Muẓaffar qui devait incarner au mieux pour les auteurs postérieurs cet exercice de la justice sultanienne au profit des marchands. Non content de châtier les surintendants dont les abus étaient parvenus à sa connaissance, le sultan aurait particulièrement veillé à l’intégrité des juges d’Aden, auxquels les marchands avaient affaire pour régler leurs litiges, comme le montre cette anecdote édifiante rapportée à propos du cadi d’Aden al-Ğunayd (m. 668/1270) par al-Ḫazrağī :
« Quand al-Malik al-Muẓaffar se rendit à Aden, les marchands louèrent au plus haut point le cadi [al-Ğunayd] en répondant à une question du sultan à son sujet. Puis il y eut une affaire qui nécessitait la présence du cadi à l’audience du sultan et le sultan ordonna d’aller le chercher. L’envoyé se rendit auprès de lui et il le trouva portant une blouse (baḏla) car ses vêtements étaient avec le laveur (ġassāl). L’envoyé revint auprès du sultan et lui annonça cela. Le crédit [du cadi] augmenta auprès du sultan qui s’exclama : “Ce juge (ḥākim) a déjà passé du temps dans cette cité et il ne possède qu’une seule blouse (baḏla). C’est extraordinaire !” Puis le cadi Bahā’ [al-Dīn]226 arriva et le sultan lui dit : “Qāḍī Bahā’ al-Dīn, nous venons d’apprendre que le juge [de la ville] est pauvre et j’aimerais que nous augmentions ses ressources (rizq). De combien penses-tu que nous devrions l’augmenter ?” Il répondit : “10 dinars.” […] Les marchands reprochèrent au Qāḍī Bahā’ al-Dīn de ne pas avoir accordé d’augmentation plus importante que celle-là et mirent cela sur le compte de sa jalousie car [al-Ğunayd] menait une vie droite227. »
87Située au début de la seconde moitié du viie/xiiie siècle, cette histoire qui exalte à la fois les vertus d’al-Ğunayd et l’équité du sultan al-Muẓaffar a déjà pris, plus d’un demi-siècle plus tard, sous la plume d’al-Ğanadī, tous les accents de la légende pieuse. Pour autant, la circulation de tels récits ne peut être sans rapports avec l’attitude, les paroles et les dits du souverain. En récompensant le cadi d’Aden, al-Muẓaffar montrait non seulement son souci de voir appliquer une justice islamique rigoureuse, mais aussi sa volonté de satisfaire les marchands de la cité. En rétribuant le cadi à sa juste mesure, il assurait un service nécessaire au bon déroulement de l’activité marchande228. Tout comme l’envoi des galères pour protéger les navires des pirates, l’établissement par le sultan d’une justice méritant les « remerciements des gens » justifiait à sa façon l’imposition des taxes.
88Plus encore que le bien commun, c’est toutefois la coutume qui apparaît comme la principale justification du prélèvement fiscal. La dîme avait d’abord pour elle l’ancienneté de son imposition. Selon l’historien du ive/xe siècle al-Ṭabarī, ce serait le roi légendaire al-Ḍaḥḥāk, que les Yéménites prétendaient être un des leurs, à la fois premier pharaon et contemporain d’Abraham, qui aurait imposé le premier les dîmes (‘ušūr) et frappé les dirhams au cours de son long règne de mille ans sur les sept climats de la Terre229. Il n’est pas sûr que ce mythe ait été très répandu dans le Yémen rasūlide : Ibn al-Muğāwir n’aurait pas manqué de le rapporter. Or, comme nous l’avons vu, cet auteur se contente, dans son historique des dîmes à Aden, de remonter à ce juif venu d’Irak, Ḫalaf al-Nahawandī, à l’époque des Zuray‘ides. Chez cet auteur, la dîme se présente cependant comme une imposition inéluctable, dont la perception est appelée à durer « jusqu’au jour du Jugement dernier230 ». L’étude des tarifs du Nūr al-ma‘ārif et du Mulaḫḫaṣ al-fiṭan a montré de quelle façon la « coutume » fiscale se perpétua au cours de la période rasūlide. Ibn al-Muğāwir, de ce point de vue, ne s’était pas trompé !
89Si le montant exact de certaines taxes, notamment pour les produits imposés ad valorem, pouvait donner matière à discussion lors du passage des marchands dans la douane, peu de contestations du principe même de la taxation sont observables dans nos sources. En pratique, la dîme n’avait pas besoin d’être justifiée autrement que par son ancienneté et la continuité de sa perception. Les présents que les marchands destinaient au sultan avaient, de ce fait, peu à voir avec la légitimation du prélèvement fiscal. Que signifiaient-ils alors pour le sultan ? Une simple demande de faveur ou de protection ? Comment comprendre dans ces conditions les différences de traitement entre les marchands de haut rang et ceux de niveau plus modeste ? Un dernier passage d’Ibn ‘Abd al-Mağīd nous offrira matière à réflexion. En 720/1320, le grand marchand Muḥyī al-Dīn Yaḥyā b. ‘Abd al-Laṭīf al-Takrītī arriva à la cour sultanienne depuis l’Égypte par La Mekke231 :
« Il présenta de nombreux joyaux au sultan al-Malik al-Mu’ayyad, des émeraudes et des perles. Il connut une ascension rapide auprès du sultan qui lui accorda le rang (maḥall) du vizirat. Il [ = le sultan] lui confia (fawwaḍa) sur ses biens propres (min ḫāliṣ māli-hi) en vue du commerce (‘alā ḥukm al-tiğāra) 100 000 dinars sur les revenus des propriétés [sultaniennes]232. Il lui attribua sur [les revenus d’] Aden 50 000 [dinars]233. »
90Al-Takrītī n’avait pas emprunté la route maritime. Il s’était présenté directement à Ta‘izz à l’audience du sultan, accompagné de ses présents et de ses biens de valeur. Le texte établit un lien étroit entre ce geste initial du grand marchand, sa promotion rapide auprès du souverain et sa participation au commerce sultanien. Nous voyons bien ici que le premier don n’avait pas appelé seulement un contredon en nature. Il avait permis à Muḥyī al-Dīn de se mettre aux ordres du sultan et de bénéficier presque immédiatement du capital imposant de 150 000 dinars prélevés sur les biens de la couronne. Le cadeau de Muḥyī al-Dīn avait peu à voir avec le déroulement des procédures fiscales. Il n’avait pas cherché comme ‘Izz al-Dīn al-Ḥalabī à se faire immédiatement exempter. Le présent s’était révélé en définitive pour le grand marchand comme la façon la plus simple de proposer ses services au sultan et à son administration. En offrant un présent de haute valeur, al-Takrītī avait établi aux yeux du souverain la hauteur de son rang et l’étendue de sa fortune personnelle. Il s’était présenté comme un homme capable de manier des capitaux importants, d’assurer des revenus immédiats au souverain et de faire prospérer ses biens à l’avenir.
91Pour un marchand comme al-Takrītī, l’accès aux ressources et aux faveurs sultaniennes représentait la promesse de profits considérables. Il le distinguait des autres marchands, en lui assurant une position hégémonique sur le marché. Al-Takrītī une fois arrivé à Aden se comporta d’ailleurs « à la manière d’un roi », nous dit ensuite Ibn ‘Abd al-Mağīd. Bien qu’exceptionnel, son cas pourrait nous mettre sur la voie d’une compréhension plus fine de l’échange des présents entre le souverain et les marchands. Les cadeaux étaient pour les marchands, notamment les plus grands d’entre eux, une façon de s’inscrire directement dans les cycles de l’échange sultanien. S’ils n’avaient à voir que secondairement avec la légitimation de la fiscalité portuaire, ils étaient d’abord une façon de reconnaître la place particulière du sultan au sein des échanges et, exceptionnellement, d’en bénéficier.
3.3 Marchands du sultan et institutionnalisation du commerce d’État
92Par l’échange des présents, le sultan et les marchands les plus fortunés établissaient des liens privilégiés, qui permettaient aux seconds de surmonter et de dépasser le « filtre » de la douane. Cela était tout particulièrement le cas pour des personnages comme Muḥyī al-Dīn al-Takrītī : leur entrée au service du souverain et l’importance des capitaux qu’ils maniaient faisaient d’eux une autorité aussi importante, sinon plus, que le surintendant ou le gouverneur à Aden. Cette relation particulière entre le prince et son ou ses « marchands » est exprimée au plus juste par l’expression « marchand du sultan » (tāğir al-sulṭān), bien que celle-ci soit peu employée dans les sources yéménites et qu’elle ne soit pas dépourvue d’ambiguïtés.
93La première mention d’un marchand de cette sorte se trouve chez Ibn Ḥātim, dans sa description de l’avènement du sultan al-Muẓaffar Yūsuf. Nommé à la tête de la province du Wādī Surdud en Tihāma, le prince hésita sur la conduite à adopter à la mort de son père al-Manṣūr ‘Umar en 647/1250. Parmi ceux qui l’encouragèrent à combattre pour défendre ses droits au trône, se trouvait un certain Ibn Ğuḥayš, « marchand de notre maître al-Malik al-Muẓaffar234 ». L’auteur ajoute que cet homme avait en dépôt (mawda‘) 12 000 dinars en métaux précieux non frappés qui appartenaient au sultan et qu’il était en lien étroit avec les tribus du Wādī Surdud235. Ses fonctions auprès d’al-Muẓaffar, qui n’était encore qu’un prince-émir, apparaissent en filigrane : Ibn Ğuḥayš s’occupait de l’approvisionnement de son maître et le pourvoyait aussi en métaux précieux, sans doute sous la forme d’avances. La chronique emploie en outre un terme précis pour définir la relation entre le marchand et le prince, celui de « protégé », ğār236. Ce terme appartenait au vocabulaire de la coutume tribale. Il désignait une personne désarmée se plaçant sous la protection d’un puissant. La présence de ce marchand auprès d’al-Muẓaffar Yūsuf en 647/1250 s’inscrivait donc dans un contexte particulier : Ibn Ğuḥayš servait d’abord d’intermédiaire entre l’émir rasūlide et les tribus qui le soutenaient.
94Par la suite, nous savons que les sultans al-Muẓaffar Yūsuf et al-Mu’ayyad Dāwūd utilisèrent certains personnages pour effectuer des acquisitions en dehors du Yémen, comme l’achat de mamlūks en Égypte. Citons à titre d’exemple le mamlūk Bahādir al-Ṣaqrī, devenu l’un des principaux émirs d’al-Mu’ayyad, qui « avait d’abord été proposé à al-Manṣūr Baybars237, à qui il n’avait pas plu ». Finalement, c’est le « messager (qāṣid) » du sultan du Yémen au Caire qui l’avait acheté238. Le terme employé ici par Ibn Ḥağar est assez vague : il désigne en fait ces personnages qui étaient envoyés régulièrement comme ambassadeurs auprès du sultan mamlūk et qui profitaient de leur séjour en Égypte pour effectuer des achats pour le compte du sultan. Ceux-ci n’étaient pas nécessairement des marchands, mais appartenaient le plus souvent au monde des secrétaires ou des émirs239. Aucun d’entre eux ne porte d’ailleurs le titre de ḫawāğā ou de ḫawāğkī, pas plus que celui de « marchand du privé » (tāğir al-ḫāṣṣ), que l’administration égyptienne réservait aux « marchands qui circulaient régulièrement avec les mamlūks240 » entre les régions d’approvisionnement et Le Caire. Le grand marché se trouvait dans la capitale de l’Empire et les besoins limités du sultan rasūlide ne justifiaient pas la venue jusqu’au Yémen de ces grands marchands de mamlūks : les acquisitions se faisaient au Caire par l’intermédiaire des émissaires yéménites qui n’étaient pas à proprement parler des négociants.
95À l’inverse, le Nūr al-ma‘ārif signale que des partenariats (širka) étaient noués entre l’administration de la douane et des marchands faisant du commerce en Inde241. On peut supposer que de telles pratiques avaient d’abord pour but de vendre de la garance sultanienne sur l’autre rive de l’océan Indien. Qui étaient ces marchands ? S’agissait-il des marchands-armateurs de l’Inde, les nāḫūḏā ? ou d’habitants d’Aden gagnant ces lointaines contrées pour leurs propres transactions ? Nous ne le savons pas, de même que nous ignorons les conditions exactes de ces partenariats. Les marchands, ainsi associés à l’administration, jouissaient-ils de privilèges dans la douane, des exemptions par exemple, pour leurs propres marchandises ? D’après le Nūr al-ma‘ārif, ils devaient d’abord rendre des comptes aux mašā’iḫ de la douane, et non au sultan ou aux bureaux financiers privés, ce qui suggère qu’il s’agissait de transactions d’une ampleur limitée.
96Le cas de Muḥyī al-Dīn al-Takrītī, apparu à la fin du règne d’al-Mu’ayyad Dāwūd (720/1320), diffère de tout ce que nous venons d’évoquer, à la fois par l’ampleur des sommes qui lui furent confiées et par la nature de son commerce. À la différence des ambassadeurs du sultan envoyés en Égypte, il n’avait pas pour mission de rechercher des biens directement utiles au souverain : les fonds importants qui lui avaient été confiés visaient d’abord à produire du gain. La position d’al-Takrītī ne se réduisait pas non plus à celle des marchands partenaires à qui le dīwān confiait des marchandises pour les vendre à distance. Le capital remis à al-Takrītī était en espèces et celui-ci était libre de l’employer pour toutes sortes de marchandises dans toutes les directions. Cette situation était bien entendu exceptionnelle et fort limitée dans le temps – c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle est rapportée par Ibn ‘Abd al-Mağīd. Elle préfigure néanmoins les figures de « marchands du sultan » qui apparurent plus fréquemment à la fin du viiie/xive siècle.
97C’est en effet à partir des années 790/1390 que les sources signalent précisément le rôle de marchands placés à la tête du matğar sultanien d’Aden. Dans les documents du Nūr al-ma‘ārif, tout autant que dans le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan, les responsables du matğar étaient des secrétaires, membres de l’administration sultanienne plutôt subalternes par rapport aux officiers de la douane. Il n’en alla plus ainsi dans les dernières décennies du viiie/xive siècle. À la suite d’un certain Ibn al-Hulaysī, marchand yéménite ayant résidé longuement à La Mekke qui fut nommé chef du matğar après 790/1388 durant peu de temps242, al-Fāsī signale que les destinées de cette institution furent confiées par la suite à un certain Nūr al-Dīn ‘Alī Ibn Ğumay‘243. Bien que le biographe mekkois lui attribue le titre de qāḍī, ce qui pourrait indiquer qu’il avait exercé au préalable des fonctions dans l’administration sultanienne, Ibn Ḥağar, qui l’a connu personnellement, ne présente pas Ibn Ğumay‘ autrement que comme l’« un des grands marchands au Yémen (min a‘yān al-tuğğār bi-l-Yaman) » et al-Maqrīzī comme le « chef des marchands à Aden » (kabīr al-tuğğār bi-‘Adan)244. Le grand traditionniste égyptien précise même : « Al-Ašraf [Ismā‘īl] lui confia le contrôle (išrāf) du matğar à Aden puis il lui confia (fawwaḍa) toutes ses affaires : l’émir et le surintendant étaient sous ses ordres245. » Il ajoute dans un autre passage qu’il partageait cette charge avec un esclave affranchi, ‘Afīf al-Dīn al-Ašrafī, à qui le sultan al-Ašraf Ismā‘īl avait aussi confié les « affaires des matāğir à Aden246 ».
98Cette promotion de marchands à la tête du matğar est à mettre en relation avec l’augmentation de la part de cette institution dans les revenus totaux d’Aden247 : les hiérarchies administratives traditionnelles de la cité, le prestige ancien de la douane se trouvèrent ainsi dépassés par l’institutionnalisation du commerce d’État, sous la houlette d’un petit groupe de marchands du sultan. Ceux-ci effectuaient des affaires au nom du souverain, à partir des biens qui leur avaient été « confiés ». Ils bénéficiaient pour cela de privilèges étendus : non seulement l’exemption des taxes, mais aussi l’accès privilégié aux marchandises importées par l’intermédiaire de la douane. Ces faveurs s’étendaient au commerce sultanien, ainsi qu’à leur propre commerce, ce qui assurait à ces marchands une position hégémonique sur les marchés, signifiée par le titre de « chef des marchands », kabīr ou ra’īs al-tuğğār248, que celui-ci soit officiel ou non. Jamais une telle expression n’avait été utilisée dans les sources pour désigner quelque marchand du Yémen que ce soit avant Ibn Ğumay‘ : sa nomination à la tête du matğar et le contrôle qu’il exerçait sur les affaires sultaniennes n’étaient sans doute pas étrangers à cette innovation. Certes, il y avait de tout temps eu, à Aden comme partout ailleurs, des marchands plus riches que d’autres. Le pouvoir sultanien n’ignorait pas ces hiérarchies, exprimées notamment lors de la remise des présents par les marchands. Mais le titre de ra’īs al-tuğğār, associé à la maîtrise du commerce d’État, signifiait bien autre chose qu’une simple première place parmi les plus riches. C’est toute la puissance de l’État qui se trouvait mise à la disposition d’un ou de plusieurs grands marchands.
99De l’« État-furḍa » à l’« État-matğar »249. Cette formule résume de façon lapidaire l’évolution que nous venons de mettre en lumière. Elle éclaire à sa façon les transformations du rapport entre pouvoir et commerce de longue distance au cours de la période rasūlide. La construction de l’« État-furḍa » à Aden était le résultat d’une histoire lente, dans laquelle les modifications de la configuration urbaine s’étaient retrouvées intimement liées à l’affirmation du fisc dans la ville. C’est pour prévenir la contrebande que l’un des maîtres zuray‘ides avait fait édifier le mur de front de mer au ve/xie siècle ; pour protéger leur accumulation de revenus et de richesses que les Ayyūbides avaient enceint la ville de puissantes fortifications à la fin du vie/xiie siècle. Les premiers Rasūlides avaient hérité d’une cité où l’empreinte de l’État était profonde et l’administration, sous la houlette des mašā’iḫ de la douane, déjà fort développée. À la fin du viie/xiiie siècle, la furḍa d’Aden était l’instrument exclusif du pouvoir non seulement dans la collecte des taxes sur les importations, mais aussi dans le commerce d’État, caractérisé à la fois par de larges achats au profit du sultan et par un système de ventes plus ou moins forcées de la garance. La douane était devenue un système particulièrement complexe, non dépourvu de contradictions, mais suffisamment profitable au sultanat pour que ses principes soient implantés, non sans mal, à al-Šiḥr à partir de 677/1278. Ces deux douanes avaient leurs propres normes, passées au rang de coutumes au fil du temps : les tarifs douaniers, mais aussi les différents régimes de taxation connurent peu de changements entre la seconde moitié du viie/xiiie siècle et la fin du viiie/xive siècle. La bureaucratisation des charges, patente au viiie/xive siècle, renforça aussi, sans aucun doute, l’autonomie de l’institution, devenue l’une des principales composantes de l’administration sultanienne. Cette croissance de l’appareil fiscalo-administratif s’était faite à l’ombre de la « justice » du sultan qui, en réprimant de façon plus ou moins spectaculaire certains abus, avait contribué à définir les pratiques légitimes et acceptables, au premier rang desquelles l’intervention directe de l’administration dans les échanges. Ainsi se trouvaient provisoirement résolues les tensions que suscitait l’exercice conjoint par l’État de ses rôles de taxateur, d’acheteur-vendeur et de protecteur des marchés.
100L’ascension des « marchands du sultan » à la fin du viiie/xive siècle et la promotion du matğar sultanien comme institution dominante à Aden, par-dessus même les autorités traditionnelles de la douane, s’inscrivit donc en rupture avec l’acquis des siècles précédents. La gestion du commerce d’État ne fut plus entre les mains de secrétaires, même issus des rangs du négoce ; elle devint l’affaire de marchands, ou précisément des « premiers » d’entre eux, sur lesquels le sultan faisait désormais reposer ses intérêts. Il ne faut pas voir là un simple changement anecdotique dans le personnel sultanien. Cette transformation avait trait plus profondément à la façon dont le pouvoir légitimait son intervention dans les échanges. En s’appuyant sur la furḍa, le sultan justifiait sa participation au commerce comme un prolongement de l’imposition fiscale, dont l’existence, ancrée dans une coutume ancienne, pouvait difficilement être remise en cause. Le recours aux « marchands du sultan » revenait, quant à lui, à confondre les intérêts de l’État et ceux des plus grands des marchands. Le lien entre fiscalité et intervention sultanienne dans le commerce était rompu.
101Certes, cette alliance conjoncturelle entre le sultan et certains grands marchands n’aurait pas été possible si des liens permanents n’avaient pas été maintenus entre eux dès le viie/xiiie siècle par l’échange des présents. Toutefois, le recours aux grands marchands ne s’imposa véritablement qu’à la fin du viiie/xive siècle, alors que les revenus des ports jouèrent un rôle de plus en plus crucial pour la survie du sultanat. Une telle transformation supposait aussi une évolution des réseaux marchands et une hégémonie du sultanat rasūlide sur les voies de commerce, à même de porter une plus forte concentration des échanges et des fortunes. C’est cette histoire qu’il nous faut maintenant retracer, en détachant nos regards d’Aden pour les tourner vers de plus vastes horizons.
Notes de bas de page
1 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 128 et 130 [G. Ducatez, « Aden aux xiie et xiiie siècles selon Ibn al-Muğāwir », Annales islamologiques, 38 (2004), p. 192 ; trad. revue].
2 Cf. Ibn Ğubayr, Riḥla [trad. fr. P. Charles-Dominique, dans Voyageurs arabes, p. 74]. Sur la douane d’Alexandrie au vie/xiie siècle, voir aussi l’article classique de Cl. Cahen, « Douanes et commerce dans les ports méditerranéens de l’Égypte médiévale d’après le Minhâdj d’al-Makhzûmî », Journal of the Economic and Social History of the Orient, VII (1964), p. 217-314.
3 Al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 459. Tableau prosopographique, Annexe 1, n° 23.
4 Expression tirée de Mulaḫḫaṣ al-fiṭan, dans le titre du tarif K (MF, 17v°).
5 5. Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 140.
6 Al-Šiḥr : titre du tarif K, MF, 17v° ; Zabīd : MF, 27v°.
7 Matğar à al-Šiḥr : voir IDM, p. 128 et 130 [trad. fr. GPYM, doc. V]. Matğar à Zabīd : voir al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 232, et MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 5 et 26].
8 Cf. MF, 27v° [trad. angl. Serjeant/Smith, p. 68].
9 Ibid. Le manuscrit n’a conservé du tarif d’al-Ahwāb que le titre et les cinq premiers produits. Sur al-Ahwāb, voir le chapitre 6, § 1.1, p. 385.
10 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 232.
11 Voir IDM, p. 128-136 [trad. fr. GPYM, doc. V] et MF, tarif K.
12 Voir à ce sujet le chapitre 9, p. 608-621 et la carte 6, « Le Ḥaḍramawt à l’époque rasūlide », p. 748.
13 Al-Saqqāf, Mu‘ğam buldān Ḥaḍramawt, p. 72.
14 Voir Cl. Hardy-Guilbert, avec la collaboration de G. Ducatez, « Al-Šiḥr, porte du Ḥaḍramawt sur l’océan Indien », Annales islamologiques, 38 (2004), p. 129.
15 Ibid., p. 111-113.
16 Šanbal, Ta’rīḫ Ḥaḍramawt, éd. al-Ḥibšī, p. 103. Au début du xe/xvie siècle, les récits des attaques portugaises montrent qu’il n’y avait pas de mur au niveau du rivage à al-Šiḥr, mais simplement une enceinte du côté terrestre (R. B. Serjeant, The Portuguese off the South Arabian Coast, p. 26). L’historien ḥaḍramī Bā Maṭraf ajoute cependant que trois fortins donnaient alors sur le littoral : au centre, Qal‘at al-Kūda ; à l’est, al-Qal‘a al-qadīma (l’« ancienne forteresse », peut-être dans le quartier d’al-Mağraf) et à l’ouest, al-Qal‘a al-Šāmiyya ou al-Šibāmiyya (Bā Maṭraf, Al-šuhadā’ al-sab‘a, p. 39). La forteresse encore visible aujourd’hui, Ḥuṣn b. ‘Ayyāš, remonte à la présence yāfi‘ie du xviiie siècle (R. B. Serjeant, op. cit., p. 26), même si elle a certainement été édifiée sur l’emplacement d’une de ces forteresses plus anciennes.
17 Les fouilles menées sous la direction de Claire Hardy-Guilbert au sommet du tell du quartier al-Qariya ont mis au jour pour les xiiie et xive siècles une « zone de bâtiments à poteaux de bois » présentant de nombreuses traces d’activités en lien avec la pêche, qui correspondait peut-être au marché au poisson de la ville (cf. Cl. Hardy-Guilbert, art. cité, p. 130). L’abondance des poissons à al-Šiḥr est signalée par Marco Polo (Le devisement du monde, trad. Kappler, p. 206). L’importation de requins et de poissons depuis la côte orientale du Ḥaḍramawt est indiquée dans le tarif de Mulaḫḫaṣ al-fiṭan (tarif K [17v-26] et [17v-27]).
18 IDM, p. 132 (fac-similé p. 395). Ce schéma est reproduit avec les noms transcrits en alphabet latin avec la carte 6, « Le Ḥaḍramawt à l’époque rasūlide ».
19 Cl. Hardy-Guilbert, art. cité, p. 130. Voir le plan d’al-Šiḥr en Annexe (carte 7, p. 749).
20 Ibid., p. 111.
21 Ibid., p. 130.
22 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 270.
23 Löfgren lit al-Ašġā, mais le toponyme al-As‘ā paraît suffisamment bien attesté dans l’histoire d’al-Šiḥr pour que sa lecture s’impose ici (cf. Cl. Hardy-Guilbert, art. cité, p. 99-100 ; M. Bafaqih et Ch. J. Robin, « Inscriptions inédites de Yanbuq », Raydān, 2 (1979), p. 55-56, mentionnent le toponyme al-As‘ā dans une inscription ḥimyarite du début du vie siècle de notre ère).
24 Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 66.
25 En réalité, il s’agit certainement de l’actuel cimetière oriental (al-maqbara al-šarqiyya), déjà considéré au xe/xvie siècle comme l’« ancien cimetière ».
26 Bā Maḫrama, op. cit., II, p. 66.
27 L’historien ḥaḍramī du xxe siècle, Bā Maṭraf, rapporte la rivalité qui aurait opposé, à une période indéterminée, antérieure ou légèrement postérieure à l’apparition de l’islam, le sūq de Sam‘ūn, aux mains de la tribu des Ḥumūm, et celui de Šiḥr al-Mahra (au nord-est du Wādī Dufayqa, probablement identique au Wādī al-As‘ā’ cité par Bā Maḫrama) aux mains des tribus Mahra (voir Bā Maṭraf, Al-šuhadā’ al-sab‘a, p. 23). Les sondages menés par la mission archéologique française à Šiḥr Est, en un lieu où de la céramique préislamique avait été retrouvée en surface, n’ont toutefois révélé aucun niveau d’occupation antérieur au xviiie siècle dans ce secteur (cf. Cl. Hardy-Guilbert, art. cité, p. 130-131).
28 Remarquer la place disproportionnée du cercle d’al-Šiḥr sur le schéma du Ḥaḍramawt dans l’Irtifā‘ (IDM, p. 132 ; carte 6 en Annexe, p. 748).
29 Ces trois provenances sont citées dans l’Irtifā‘ al-dawla al-mu’ayyadiyya, p. 136 [trad. fr. GPYM, doc. V]. Pour le commerce avec ces trois régions, voir aussi le chapitre 9.
30 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 268-270 [trad. ang. G. R. Smith, « Ibn al-Mujāwir on Dhofar and Socotra », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies, 15 (1985), p. 87]. Voir la carte 6 en Annexe, « Le Ḥaḍramawt à l’époque rasūlide », p. 748.
31 Cf. carte 6. Le nom antique est Qāni’. Pour une synthèse sur l’histoire de ce site, voir A. V. Sedov, « Qâni’, un grand port entre l’Inde et la Méditerranée », dans Yémen, au pays de la reine de Saba’ : exposition présentée à l’Institut du monde arabe du 25 oct. 1997 à fév. 1998, dir. Robin Ch. & Vogt B., p. 193-196, et J. Schiettecatte, Villes et urbanisation de l’Arabie du Sud à l’époque préislamique, p. 291-297.
32 Cité par Bā Maḫrama, Al-nisba, éd. Abou Dhabi, p. 137.
33 Ibid., p. 39.
34 Al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 447.
35 Voir R. B. Serjeant, « The ‘White Dune’ at Abyan: an Ancient Place of Pilgrimage in Southern Arabia », Journal of Semitic Studies, XVI (1971), p. 74-83.
36 Les dates sont données par al-Šarğī, Ṭabaqāt al-ḫawāṣṣ, éd. al-Ḥibšī, p. 142.
37 Voir le tarif K du Mulaḫḫaṣ al-fiṭan.
38 Dans le cas des poissons, le prélèvement est d’un poisson pour 1 ḥiml (240 kg environ).
39 IDM, p. 131-132. La traduction du passage complet est donnée dans GPYM, doc. V.
40 IDM, p. 133 [trad. fr. GPYM, doc. V].
41 Esclaves : NM, I, tarif A [429-12 et 13] : 2 dinars, et MF, tarif K [17v-8] : 2 dinars ½ ; beurre clarifié : NM, I, tarif A [433-3] : 3 d + ⅙ + ⅛ et MF, tarif K [17v-9] : 3 d + ¼ + ⅛.
42 IDM, p. 129-130.
43 bid.
44 Ibid.
45 Marco Polo, Le devisement du monde, trad. Kappler, p. 206.
46 Ce passage ne se trouve pas dans les manuscrits de la tradition franco-italienne de la Description du monde, mais dans une version différente connue par l’éditeur du xvie siècle, Ramusio. Cf. Marco Polo, Le devisement du monde, trad. Kappler, p. 206.
47 IDM, p. 130.
48 Ces dîmes ne concernent que les importations maritimes. Il faut constater que le revenu des taxes sur les importations terrestres n’est pas indiqué.
49 Marco Polo, Le devisement du monde, trad. Kappler, p. 205.
50 Ibn Faḍl Allāh al-‘Umārī, Masālik al-abṣār, éd. Sayyid, p. 154.
51 MF, 17r° [trad. fr. GPYM, doc VI; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 40]. Voir la figure 3, ci-contre.
52 Voir chapitre 1, p. 93-94.
53 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 95.
54 Voir chapitre 1, p. 73.
55 « Iḳṭā‘ », EI2, vol. III, p. 1115-1118 (Cahen). Selon l’auteur, « sous réserve peut-être d’un certain relâchement à la fin du régime, l’iqṭā‘ ayyūbide et mamlūk se caractérise par le maintien d’un très strict contrôle financier et administratif de l’État sur le muqṭa‘ ». Au travers de l’Irtifā‘, un tel jugement nous paraît valoir, sous réserve d’enquête plus approfondie, pour le Yémen de la fin du viie/xiiie siècle. Sur l’iqṭā‘ dans l’Égypte ayyūbide et mamlūke, voir aussi H. Rabie, The Financial System of Egypt A.H. 564-741/1169-1341, p. 26-71.
56 Deux listes d’iqṭā‘ sont données dans Ibn Ḥātim, Al-simṭ al-ġālī al-ṯaman, éd. Smith, I, p. 233 (647/1249), et dans NM, II, p. 25-31 (années 660/1260). Elles contiennent un nombre de provinces à iqṭā‘ beaucoup plus important que dans l’Irtifā‘. Faut-il y voir le résultat d’une diminution du nombre d’iqṭā‘ sous le règne d’al-Muẓaffar ? Aucune liste générale de ces concessions n’a été conservée pour le viiie/xive siècle ; le Mulaḫḫaṣ al-fiṭan ne mentionne le terme que marginalement (f° 16r°, province d’al-Raḥbān).
57 Al-dīwān al-ma‘mūr al-sa‘īd al-ḫāṣṣ al-malakī al-muẓaffarī (NM, I, p. 521).
58 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 120.
59 Lors de l’avènement d’al-Muğāhid ‘Alī en 721/1321, on fit ainsi grief au jeune souverain de ne pas avoir procédé à ces largesses, « comme cela était l’habitude », sur le trésor d’al-Dumluwa.
60 Anonyme, Ta’rīḫ al-dawla al-rasūliyya, éd. al-Ḥibšī, p. 124.
61 En 648/1251 par exemple, la trêve conclue entre l’imam zaydite et le nouveau sultan al-Muẓaffar avait ainsi conduit ce dernier à faire porter plus de 20 000 dirhams, des robes d’honneur et des étoffes précieuses vers le trésor de l’imam (Al-Šarafī, Al-la’āli’ al-muḍiyya, éd. al-Mu’ayyad, p. 228).
62 Madrasa Muẓaffariyya, aujourd’hui disparue. Cf. N. Sadek, Patronage and Architecture in Rasūlid Yemen, 626-858 AH/1229-1454 AD, p. 156 et al-Akwa‘, Al-madāris al-islāmiyya f ī al-Yaman, p. 104-116.
63 Al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 173.
64 IDM, p. 117 [trad. fr. GPYM, doc. IV].
65 Al-Ğazarī, Ḥawādiṯ al-zaman, éd. Tadmirī, I, p. 215; trad. fr. J. Sauvaget, dans La chronique de Damas d’al-Jazarī, p. 38, no 219.
66 IDM, p. 118-119 [trad. fr. GPYM, doc. IV].
67 Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 76.
68 Cf. tableau 4, p. 92.
69 Al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-a‘šā, éd. Ibrāhīm, VI, p. 185.
70 Voir par exemple NM, I, p. 510.
71 Voir par exemple le titre du tarif A.
72 A. de B. Kazimirski, Dictionnaire français-arabe, I, p. 129.
73 Dans le sens général d’« agents », voir par exemple al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 132 : le sultan al-Afḍal al-‘Abbās « abolit beaucoup de ce que les agents (‘ummāl) avaient innové ». Dans l’accord de trêve copié dans le Nūr al-ma‘ārif, II, p. 202, le texte distingue les « sujets » (ra‘āyā) des « soldats » de l’armée (ġilmān) et des « agents » (‘ummāl) de l’administration.
74 Le nā’ib est le « représentant » ou le « suppléant ». Pour désigner l’ensemble des agents de la douane, voir son usage dans al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, I, p. 290, et II, p. 132.
75 Littéralement, « ceux qui ont été pris au service (ḫidma) du souverain ». Cf. NM, I, p. 509.
76 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 138, 139 et 254.
77 NM, I, p. 514 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 34].
78 Cf. MF, 27v° [trad. angl. Serjeant/Smith, p. 68].
79 L’Irtifā‘ al-dawla al-mu’ayyadiyya n’emploie à propos d’al-Šiḥr que le terme général de mutaṣarrifūn, « agents du fisc » (p. 129).
80 Le verbe bien connu naẓara signifie essentiellement « regarder », « observer ». Quant au verbe šārafa, dérivé de šarafa « être élevé », il est le plus souvent accompagné de la préposition ‘alā dans le sens de « dominer » ou « surplomber » quelque chose. Cf. Cl. Cahen à propos du nāẓir et du mušārif à Alexandrie : « Les deux mots signifient contrôleurs, et les deux fonctions se doublent » (Cl. Cahen, « Douanes et commerce dans les ports méditerranéens de l’Égypte médiévale d’après le Minhādj d’al-Makhzūmī », dans Makhzūmiyyāt, p. 271).
81 MF, 7v° sq. [trad. angl. Serjeant/Smith, p. 21-29]. Cette hiérarchisation était très comparable, sinon directement empruntée, à l’organisation de l’Égypte médiévale telle que la décrivent al-Maḫzūmī et al-Qalqašandī (voir Cl. Cahen, « Douanes et commerce dans les ports méditerranéens de l’Égypte médiévale d’après le Minhādj d’al-Maḫzūmī », dans Makhzūmiyyāt, p. 271 ; al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-a‘šā, IV, p. 28 sq. ; H. Rabie, The Financial System of Egypt A.H. 564-741/1169-1341, p. 158).
82 MF, 12r° et v° [trad. angl. Serjeant/Smith, p. 30, qui traduisent par overseer].
83 NM, I, p. 508-509, 511-512 (intendant) et 514 (surintendant) [trad. fr. GPYM, doc. II, § 3,9, 16, 18, 19 et 34].
84 NM, I, p. 513 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 24].
85 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 15; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 66].
86 MF, 10v° [trad. angl. Serjeant/Smith, p. 26 qui traduisent simplement par accountant].
87 NM, I, p. 512 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 18].
88 NM, I, p. 511 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 16].
89 NM, I, p. 509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 8].
90 NM, I, p. 512 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 19].
91 NM, I, p. 513 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 29].
92 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 3, 5 et 8 ; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67].
93 La liste du même type donnée pour Zabīd est clairement postérieure au règne du sultan al-Muğāhid ‘Alī. Cf. MF, 27v° [trad. angl. Serjeant/Smith, p. 68].
94 MF, 27v° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 11; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67].
95 MF, 26v°- 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 3; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 65].
96 NM, I, p. 514 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 32].
97 MF, 27v° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 12; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67].
98 Des « témoins » se trouvaient au matğar, à la porte du Continent, et surtout à l’hôtel des monnaies (MF, 27r°-v° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 5, 8 et 24 ; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67]). Doit-on considérer que, comme dans les cours de justice islamiques, il s’agissait de « témoins » professionnels, jouant le rôle de greffiers ou de notaires ? Selon Claude Cahen, qui rencontre la même fonction dans le Minhāğ d’al-Maḫzūmī, le šāhid était le « témoin de la régularité des autres » (Cl. Cahen, « Douanes et commerce dans les ports méditerranéens de l’Égypte médiévale d’après le Minhādj d’al-Makhzūmī », dans Makhzūmiyyāt, p. 271).
99 Cf. MF, 26v°-27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 64-66]. Remarquons que le terme de mašā’iḫ al-furḍa n’est jamais employé dans le Mulaḫḫaṣ. Cette disparition du terme, qui n’est pas observée dans le Nūr al-ma‘ārif, est peut-être à rapprocher de la « bureaucratisation » des fonctions et des carrières observée au cours du viiie/xive siècle, le terme de mašā’iḫ renvoyant à une position d’éminence sociale plus qu’à une fonction administrative (voir infra).
100 NM, I, p. 508-509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 3 et 7].
101 NM, I, p. 512 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 22].
102 NM, I., p. 510 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 13].
103 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 4; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67, tax-collector].
104 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 8; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67, tax-collector of the land gate].
105 Voir chapitre 3, p. 205-207.
106 MF, 27v° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 16] La leçon šāna nous paraît préférable à siyāqa, leçon retenue par Serjeant et reprise par Smith (p. 101 n. 850), traduite de façon hasardeuse par secretary of the sheep.
107 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 138-139 [trad. revue d’après G. Ducatez, « Aden et l’océan Indien au xiiie siècle : navigation et commerce d’après Ibn al-Muğāwir », Annales islamologiques, 37 (2003), p. 148-149].
108 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 14; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 66].
109 MF, 27v° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 25; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67, traduit sans justification par secretary of the military officers at the port].
110 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 4; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 65, officers of the coast].
111 MF, 27v° [trad. fr. GPYM, doc. VIII, § 26; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 67, treasurer of the customs house].
112 Al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 419, repris par Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 100, n° 136.
113 Cl. Cahen, « Douanes et commerce dans les ports méditerranéens de l’Égypte médiévale d’après le Minhādj d’al-Makhzūmī », dans Makhzūmiyyāt, p. 271-272.
114 NM, I, p. 508 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 3 et 4].
115 NM, I, p. 509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 8].
116 NM, I, p. 508-509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 1 et 5].
117 NM, I, p. 513 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 28].
118 NM, I, p. 509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 5].
119 NM, I, p. 513 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 29].
120 , I, p. 509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 5].
121 NM, I, p. 508 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 4].
122 Ibid.
123 NM, I, p. 509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 6 et 9].
124 NM, I, p. 510-511 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 10 et 15].
125 NM, I, p. 509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 5].
126 NM, I, p. 509-511, 513 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 6, 9, 15 et 30].
127 NM, I, p. 511-512 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 14, 16 et 18].
128 NM, I, p. 508 et 513 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 1, 2, 4 et 25].
129 NM, I, p. 509 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 5 et 8].
130 MF, 26v°-27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII; trad. angl. p. 64-66].
131 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 138-139 [trad. revue d’après G. Ducatez, « Aden et l’océan Indien au xiiie siècle : navigation et commerce d’après Ibn al-Muğāwir », Annales islamologiques, 37 (2003), p. 148-149].
132 R. E. Margariti signale qu’aucune trace de ces procédures n’apparaît dans les documents de la Geniza de la première moitié du vie/xiie siècle (Aden and the Indian Ocean Trade, p. 118).
133 NM, I, p. 499 [trad. fr. GPYM, doc. I, § 22].
134 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 6; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 65].
135 Voir Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 146; MF, 27ro [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 13; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 66].
136 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 6]. La traduction anglaise what enters and comes out, plus vague, ne rend pas la catégorisation « au bahār » présente dans le texte arabe [trad. Serjeant/ Smith, p. 65].
137 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 6 et 7 ; trad. Serjeant/Smith, p. 65].
138 MF, 26v°-27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 9]. Serjeant/Smith traduisent par the evaluation and purchase of cloth are… (p. 65).
139 MF, 27r° [trad. fr. GPYM, doc. VII, § 17-18; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 66].
140 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 150. Voir Annexe 2, n° 12.
141 Voir tableau prosopographique des surintendants, Annexe 2, nos 20 et 23.
142 Un résumé de leurs carrières et les références bibliographiques sont donnés dans le tableau en Annexe 2.
143 Seuls quatre noms d’administrateurs de la douane d’al-Šiḥr ont été conservés pour l’ensemble de la période : Kamāl al-Dīn al-‘Asqalānī (m. après 680/1282, Annexe 2, n° 23) ; Bahā’ al-Dīn ‘Umar al-Kinānī (m. 695/1296, al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 569) ; Ğamāl al-Dīn Muḥammad al-Šāṭirī (m. 809/1407, Annexe 2, n° 19) et Mufliḥ al-Turkī (m. ap. 820/1417, Annexe 1, n° 151).
144 Cf. Annexe 2, nos 10 et 13.
145 Al-Maqrīzī, Durar al-‘uqūd al-farīda, éd. al-Ğalīlī, II, p. 45, no 423.
146 « Il était de bonne compagnie et très bon administrateur (ğayyid al-mubāšara) dans ce qu’il avait à gouverner » (Bā Maḫrama, Ta’rīḫ taġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 62, n° 86) ; « C’était un chef plein de mérites (ra’isan fāḍilan), qui excellait dans la correspondance (kitāba) et savant en médecine » (Al-Maqrīzī, Durar al-‘uqūd al-farīda, éd. al-Ğalīlī, II, p. 45, n° 423).
147 Certainement en mémoire du grand lettré de l’époque ‘abbāside, Abū al-Farağ ‘Imād al-Dīn al-Isfahānī (cf. J. Sublet, Le voile du nom. Essai sur le nom propre arabe, p. 46 et 48).
148 Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 11, n° 21.
149 Ce point a été largement abordé au chapitre 1, p. 85-87. Parmi les vingt secrétaires qui furent nāẓir à Aden, on compte : deux personnages connus pour l’importance de leur bibliothèque (Annexe 2, nos 2 et 12) ; deux pour leurs connaissances en langue arabe (nos 3, 5) ; deux pour leurs compétences en astronomie (n° 12) et en médecine (n° 13).
150 Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 221, n° 279.
151 Al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 172-173. Cette remarque est formulée à propos de Yūsuf b. Ibrāhīm al-Šaybānī, qui exerça les fonctions de nāẓir dans la région de Ğibla dans la première moitié du viie/xiiie siècle. Le secrétaire de la chancellerie égyptienne al-Qalqašandī évoque de son côté le terme al-qāḍawī : « Nom des gens de plume (arbāb al-aqlām) qui vient de qāḍī, mais avec emphase (mubālaġa). Toutefois, en réalité, il faut le réserver aux quḍāt qui sont juges selon la šarī‘a et pas à d’autres. Mais son usage s’est répandu, si bien qu’il a été utilisé pour d’autres qu’eux, qui sont gens de plume » (Ṣubḥ al-a‘šā, éd. Ibrāhīm, VI, p. 23).
152 Les premiers exemples d’usage explicite du titre de qāḍī pour des secrétaires que nous avons notés dans cette chronique remontent à la fin du règne d’al-Mu’ayyad, dans cette période de domination du « parti égyptien » (cf. Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, I, p. 354).
153 Cf. Annexe 2, nos 9-12.
154 Sur la diffusion de ce surnom, voir J. Sublet, Le voile du nom. Essai sur le nom propre arabe, p. 91-94 (« À propos des “surnoms” composés avec al-dawla et al-dīn »).
155 Littéralement, « couronne de la prééminence ». Cette dénomination honorifique apparaît très rarement dans les sources arabes médiévales. Les quelques occurrences que nous avons trouvées dans les ouvrages syriens et égyptiens l’associent essentiellement à deux vizirs, l’un juif, l’autre chrétien, convertis à l’islam (recherche menée à partir de la base Alwarraq). Cela était-il le cas pour Tāğ al-ri’āsa ?
156 Al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-a‘šā, éd. Ibrāhīm, V, p. 489.
157 Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 221, n° 279.
158 Ibid.
159 Ibid.
160 Ibn Ḥātim, Al-simṭ al-ġālī al-ṯaman, éd. Smith, I, p. 508.
161 Al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 29.
162 Abū Bakr b. ‘Ammār mourut avec l’émir ‘Alam al-Dīn al-Ša‘bī lors de l’effondrement du toit de la résidence de l’émir à Ṣan‘ā’ en 680/1282 (Al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. Löfgren, II, p. 566).
163 Ibid.
164 Cf. Annexe 2, n° 9.
165 Cf. arbre généalogique n° 8, p. 734, et dans l’Annexe 2, les notices nos 12 et 16. Ibrāhīm b. Yūsuf al-Ğallād est mušidd de la palmeraie de Zabīd au moment de son pillage par la tribu des Qurašiyūn en 765/1364 (Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 115) ; son fils Ğamāl al-Dīn Muḥammad (Annexe 2, n° 12) était gouverneur de Fišāl en 768/1367 (ibid., p. 118). Il fit construire une madrasa pour les Ḥanafites à Zabīd (ibid., p. 150).
166 Cf. arbre généalogique n° 7, p. 734, et dans l’Annexe 2, les notices nos 14, 17 et 21. Tāqī al-Dīn ‘Umar fut vizir entre 774/1373 et 781/1379 (Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/ al-Akwa‘, II, p. 130 et 145) ; son fils Nūr al-Dīn ‘Alī lui succéda jusqu’à sa mort en 787/1385 (ibid., p. 155) ; après une interruption, Šihāb al-Dīn fut nommé vizir en 791/1389 et le resta de façon continue jusqu’en 808/1405, puis de façon intermittente jusqu’en 824/1421 (ibid., II, p. 170, et Anonyme, Ta’rīḫ al-dawla al-rasūliyya, éd. al-Ḥibšī, p. 143 et 200).
167 Voir la notice de Bā Maḫrama citée plus haut à son propos.
168 Raḍī al-Dīn est né au plus tôt à la fin des années 770/1370 ; il fut nāẓir en 803-805/1400-1402.
169 Tribu du Wādī Zabīd. Leur ancêtre, Mu‘aybid b. ‘Abd Allāh al-Aš‘arī, soutint al-Manṣūr ‘Umar lors de sa prise de pouvoir. Il reçut en retour le titre d’émir (Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, I, p. 83). Sur le rôle de cette tribu dans la crise des années 750-760/1350-1360, voir le chapitre 5, p. 339-340.
170 L’actuel Bayt al-Faqīh au nord-est de Zabīd.
171 Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 137, n° 190.
172 Voir Annexe 2, nos 8 et 9.
173 Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, I, p. 10-11. Voir chapitre 2, p. 129-130.
174 Voir chapitre 8, p. 518-519.
175 Bâ Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, II, p. 62, n° 86.
176 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, p. 150.
177 Al-Maqrīzī, Durar al-‘uqūd al-farīda, éd. al-Ğalīlī, II, p. 45, n° 423.
178 Annexe 1, nos 99 et 118.
179 Bā Maḫrama, Ta’rīḫ ṯaġr ‘Adan, éd. Löfgren, II, p. 62, n° 86.
180 Ibn Faḍl Allāh al-‘Umarī, Masālik al-abṣār, éd. Sayyid, p. 161.
181 Ibn Ḥātim, Al-simṭ al-ġālī al-ṯaman, éd. Smith, p. 269.
182 Le principal récit de la visite d’al-Mu’ayyad en 698/1299 se trouve dans Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 199-201.
183 MF, 17r° [trad. fr. GPYM, doc. VI; trad. angl. Serjeant/Smith, p. 40].
184 Voir chapitre 6, p. 414-415.
185 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 120 (770/1368).
186 Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 201.
187 NM, I, p. 515-516.
188 NM, I, p. 497 [trad. fr. GPYM, doc. I, § 13].
189 NM, I, p. 502 [trad. fr. GPYM, doc. I, § 35].
190 Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 299.
191 Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 199-201; al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 132 ; Anonyme, Ta’rīḫ al-dawla al-rasūliyya, éd. al-Ḥibšī, p. 75-76.
192 NM, I, p. 519.
193 NM, I, p. 498 [trad. fr. GPYM, doc. I, § 18].
194 NM, I, p. 516.
195 NM, I, p. 515.
196 Voir notamment I. M. Lapidus, Muslim Cities in the Later Middle Ages, p. 118 sq.
197 Le terme al-a‘yān se trouve surtout usité dans les recueils de biographies syriens ou égyptiens de notre période. Du côté yéménite, al-Ğanadī ne l’emploie qu’une seule fois dans son recueil, sans l’appliquer aux marchands (Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 423). Toutefois, lors de la prise d’Aden par al-Mu’ayyad en 694/1295, ce sont ces a‘yān al-tuğğār qui vinrent demander la protection du souverain en compagnie du gouverneur et du surintendant de la cité, selon Ibn ‘Abd al-Mağīd (Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 173).
198 Al-Ḫaṭā désigne la Chine du Nord, al-Ṣīn la Chine du Sud.
199 Zaytūn : nom arabe du port le plus important de la Chine du Sud (Quanzhou). Voir à ce sujet The Emporium of the World. Maritime Quanzhou 1000-1400, éd. A. Schotten-Hammer. Sur Kūlam, voir le chapitre 9, p. 568-569, 579.
200 Soit 75 000 dinars malikī. Rappelons que le montant total des dîmes d’importation sur les produits de l’Inde s’élevait dans l’Irtifā‘ à 237 875 dinars.
201 Laqab du sultan al-Mu’ayyad Dāwūd.
202 Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 231-232 ; Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, I, p. 290.
203 Al-Maqrīzī, Kitāb al-sulūk, éd. Ziyāda, II, 1, p. 132-133; Ibn Ḥağar, Al-durar al-kāmina, éd. Hayderabad, II, p. 383, n° 2450.
204 Ibn Faḍl Allāh al-‘Umarī, Masālik al-abṣār, éd. Sayyid, p. 161.
205 Voir chapitre 2, p. 154.
206 Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 173.
207 Ibn al-Furāt, Ta’rīḫ al-duwal wa-l-mulūk, éd. ‘Izz al-Dīn, VIII, p. 197.
208 Ibn ‘Abd al-Mağīd, op. cit., p. 199.
209 Ibid.
210 NM, I, p. 503 [trad. fr. GPYM, doc. I, § 38].
211 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, II, p. 111.
212 Avènement d’al-Mu’ayyad : Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 177 ; al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, I, p. 251 ; avènement d’al- Muğāhid : ibid., II, p. 13 ; avènement d’al-Ašraf Ismā‘īl : ibid., II, p. 141.
213 Cf. « Bay‘a », EI2, vol. I, p. 1146-1147 (Tyan).
214 « ‘Ushr », EI2, vol. X, p. 990-991 (Sato).
215 « Ḍarība », EI2, vol. II, p. 146-149 (Cahen). P. G. Forand montre que dans les écrits juridiques des premiers siècles, les termes de ‘ušūr et de maks désignent tous deux des taxes illégitimes ; le terme de ‘ušr était plus ambigu, désignant à la fois un taux (1/10), une taxe islamique parfois identique à l’aumône légale et une taxe illégitime (singulier de ‘ušūr) (cf. « Notes on ‘ushr and maks », Arabica, 13 (1966), p. 137-141).
216 Ibid.
217 Cf. Cl. Cahen, « Douanes et commerce dans les ports méditerranéens de l’Égypte médiévale d’après le Minhādj d’al-Makhzūmī », dans Makhzūmiyyāt, p. 270-271, en s’appuyant sur al-Maḫzūmī et le récit du voyageur Ibn Ğubayr ; H. Rabie, The Financial System of Egypt A.H. 564-741/1169-1341, p. 95-96.
218 « Sa part d’aumône légale sur ses biens (farḍ zakāwī ‘alā māli-hi) atteignait 40 000 [dinars], certains disent 60 000 [dinars], qu’il donnait en aumône durant la majeure partie de sa vie, si bien qu’il semblait que son aumône était sans fin » (al-Ğanadī, Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 423 ; cf. Annexe 1, n° 26).
219 « Maks », EI2, vol. VI, p. 178 (Björkmann). Cette vision négative du maks s’appuie sur certains ḥadīṯ comme par exemple : inna ṣāḥib al-maks f ī al-nār, « le collecteur de maks ira en en Enfer »
220 « Il supprima beaucoup de redevances qui étaient des innovations (abṭala min al-mukūs al-muḥaddaṯa) » (Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. al-Akwa‘, II, p. 145).
221 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 141-142 [trad. G. Ducatez, « Aden et l’océan Indien au xiiie siècle : navigation et commerce d’après Ibn al-Muğāwir », Annales islamologiques, 37 (2003), p. 152].
222 NM, I, p. 501 [trad. fr. GPYM, doc. I, § 29].
223 IDM, p. 129 : « Il faut que les esprits des gens de l’Inde, de Maqdišūh, de Ẓafār et autres soient convaincus qu’ils [sont traités] avec justice et équité, [accueillis] avec honneur et générosité ; qu’on leur prodigue toutes les sortes de justice dont les plus illustres d’entre eux peuvent se réjouir. »
224 NM, I, p. 523 [trad. fr. GPYM, doc. III, § 35] : « [Le fermier] accueille ce qu’ils ont emporté avec un cœur généreux et un grand espoir. Il procède avec honnêteté dans toutes les collations (muqābalāt) et la taxation (ğibāya) ; il ouvre le chemin louable, recourt aux procédés justes ; il procède avec équité et droiture, en éliminant l’injustice et la tyrannie. Qu’il craigne Dieu le Tout-Puissant. »
225 « Il établit par sa justice une saison de bonté » (Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd.al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 201).
226 Grand cadi du Yémen et vizir d’al-Muẓaffar.
227 Al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, I, p. 214-215. Il s’agit d’un résumé du récit plus développé d’al-Ğanadī dans Al-sulūk, éd. al-Akwa‘, II, p. 224.
228 Voir les réflexions à ce sujet de R. E. Margariti, Aden and the Indian Ocean Trade, p. 199 sq.
229 Al-Ṭabarī, Ta’rīḫ al-rusul wa-l-mulūk, éd. Barth et alii, I, p. 204 [trad. Brinner, dans The History of al-Ṭabarī, vol. II, Prophets and Patriarchs, p. 3].
230 Ibn al-Muğāwir, Ta’rīḫ al-mustabṣir, éd. Löfgren, p. 142.
231 Cf. Annexe 1, n° 64.
232 Māl al-ḥalāl. Le bureau (dīwān al-ḥalāl) chargé de la perception de ces revenus est décrit dans Mulaḫḫaṣ al-fiṭan, f° 8r°. Cf. G. R. Smith, « The Rasulid Administration in Ninth/Fifteenth Century Yemen », Journal of Semitic Studies, 50 (2005), p. 232 (« The Property Bureau »).
233 Ibn ‘Abd al-Mağīd, Bahğat al-zaman, éd. al-Ḥibšī/al-Sanabānī, p. 284. Repris par al-Ḫazrağī, Al-‘uqūd al-lu’lu’iyya, éd. ‘Asil/al-Akwa‘, I, p. 354 (les éditeurs lisent māl al-ḫāliṣ à la place de māl al-ḥalāl).
234 Ibn Ḥātim, Al-simṭ al-ġālī al-ṯaman, éd. Smith, I, p. 244.
235 Ibid., I, p. 246.
236 Pour pousser al-Muẓaffar à partir à la conquête du pouvoir, Ibn Ğuḥayš lui aurait dit : « Je ne deviendrai pas le protégé (ğār) d’un esclave (‘abd) » (ibid., I, p. 244-245). Sur cette notion de ğār, essentielle dans le droit tribal coutumier, cf. P. Dresch, Tribes, Government and History in Yemen, p. 119 sq.
237 Aucun souverain mamlūk n’est connu sous ce nom. Peut-être faut-il comprendre al-Manṣūr Qalāwūn ?
238 Ibn Ḥağar al-‘Asqalānī, Al-durar al-kāmina, éd. Hayderabad, I, p. 499, n° 1367.
239 Voir sur ces ambassades le chapitre 8, p. 495 sq.
240 Al-Qalqašandī, Ṣubḥ al-a‘šā, éd. Ibrāhīm, VI, p. 42. Voir aussi ibid., VI, p. 165, pour l’ensemble des titres portés par les tuğğār ḫawāğkiyya.
241 NM, I, p. 511 [trad. fr. GPYM, doc. II, § 14].
242 Voir tableau en Annexe 2, n° 29.
243 Al-Fāsī, Al-‘iqd al-ṯamīn, éd. Sayyid, VI, p. 459, n° 3185.
244 Ibn Ḥağar, Inbā’ al-ġumr, éd. Hayderabad, IV, p. 304; al-Maqrīzī, Kitāb al-sulūk, éd. ‘Āšūr, III/3, p. 1074.
245 Ibn Ḥağar, loc. cit.
246 Fuwwiḍa ilay-hi amr al-matāğir bi-‘Adan: ibid., VIII, p. 313-31.
247 Voir chapitre 3, p. 235.
248 Cf. Al-Maqrīzī, Durar al-‘uqūd al-farīda, éd. al-Ğalīlī, I, p. 307, n° 216.
249 L’expression d’« État-douane » (al-dawla al-furḍa) a été introduite par Sa‘īd (Al-ḥayāt al-iqtiṣādiyya fī al-Yaman fī ‘ahd Banī Rasūl (626-858/1229-1454), p. 312). La seconde expression est de notre fait.
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