Sources notariales et histoire rurale
p. 115-137
Texte intégral
1Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’importance toute particulière du thème proposé dans cette section du Colloque de méthodologie historique appliquée. Traiter de l’histoire rurale à l’époque moderne, c’est envisager l’élément essentiel de la vie économique, celui dont la production détermine largement la conjoncture, celui qui mobilise l’essentiel des forces productives ; c’est englober, directement ou indirectement, l’ensemble de la vie sociale, puisque la majorité des hommes vivent aux champs, et qu’une bonne partie des moyens d’existence des autres, citadins ou « privilégiés », résulte du travail paysan et des prélèvements qu’il autorise. C’est si vrai qu’une partie des communications présentées dans les autres sections du Colloque touchent aux problèmes du monde rural et que bien des thèmes que je serai amené à aborder dans ce rapport introductif pourraient prendre place sous les rubriques de l’histoire sociale ou de l’histoire des mentalités.
2Il semble bien que Paul Raveau, en 1924, fut le premier historien du monde paysan à utiliser systématiquement, et non plus pour quelques détails pintoresques, la masse des baux à ferme et à mi-fruits conservés dans les minutiers poitevins pour décrire le régime de la mise en valeur du sol et apprécier le niveau de vie des campagnards du Seizième siècle. Il fut suivi depuis par bien des historiens ruralistes, en France et hors de France1. Si fondamentale et si riche pour l’étude du monde des villes, la source notariale ne l’est pas moins dans le cadre du village. A coté des multiples voies d’accès à la réalité de la vie rurale qui s’offrent à l’historien des Temps modernes : registres paroissiaux, dénombrements ou états des âmes, terriers et censiers seigneuriaux, compois et rôles d’imposition, archives judiciaires, la source notariale est sans doute la plus massive, la plus globalisante, en un mot la plus riche. De nombreuses études, depuis un démi-siècle en témoignent. Mais l’évolution de la problématique historique, l’introduction de méthodes nouvelles d’analyse et de traitement des données font que notre regard d’historien sur les multiples informations que prodigue un minutier rural est certainement différent de celui des pionniers que furent, en leur temps, Paul Raveau, déjà cité ou Yvonne Bezard, voire de celui que portèrent sur les liasses jaunies par le temps, plus près de nous, Jean Meuvret ou Pierre Goubert qui firent si grande place, dans leur problématique, à la source notariale.
3Appelé à rédiger ce rapport introductif, je suis conscient des risques de recoupements et de redites par rapport aux autres sections de ce Colloque. Sans négliger les aspects déjà abordés par les rapports sur l’histoire sociale, celle des mentalités ou celle de l’économie, je privilégierai naturellement ceux qui sont plus particulièrement propres au monde rural : techniques agricoles, modalités de la possession et de la mise en valeur du sol, résultats de la production, niveau et mouvement des revenus du sol, sociabilités villageoises.
1. QUELQUES CARACTÈRES DES SOURCES NOTARIALES DANS LE MONDE RURAL
4Il est utile, dans une première réflexion de souligner les caractères de la source notariale, non seulement en rappelant ceux qui sont communs à tous les fonds de ce type, mais plus spécialement en dégageant ceux qui sont plus caractéristiques des minutiers ruraux.
5I. Le premier intérêt des sources notariales réside, on le sait, dans leur généralité, à cause de la dispersion géographique et du nombre des officiers des études. On ne s’étendra pas ici sur l’histoire de l’institution notariale, sinon pour rappeler que tabellions et notaires sont fort anciens dans nos pays, que leurs fonctions sont précocement définies : recevoir, « passer » et mettre en forme les contrats, et plus généralement toutes sortes d’actes auxquels ils confèrent, de par leur statut d’officier public, authenticité juridique et valeur de preuve. Leur nombre et leur activité varient à l’évidence avec la place de l’écrit dans la vie quotidienne et avec le cercle plus ou moins large dans lequel agissent les contractans. Bon nombre d’actes qui pouvaient résulter, au sein d’un petit groupe, d’accords verbaux, renforcés au besoin d’un serment, doivent être enregistrés et écrits dès que les réseaux de communication s’étendent. C’est dire que le rôle des tabellions et notaires a grandi considérablement à partir du xiiie siècle, le recours à leur service cessant d’être le fait des puissants de ce monde pour s’étendre peu à peu à tous les groupes sociaux, ceux des villes, puis ceux des campagnes.
6On sait que les officiers notariaux étaient institués par des pouvoirs différents2. Le roi avait ses notaires, en principe dans chaque siège de justice. Mais les villes, certains évêques, la Papauté avaient également leurs notaires. Surtout, la seigneurie justicière emporte, le plus souvent, avec le droit de greffe, celui de tabellionnage. C’est dire qu’au royaume de France, et particulièrement dans toutes les provinces de la moitié septentrionale, les offices se comptent par milliers, en fonction même de la multiplication des seigneuries. Dans certains villages, divisés entre plusieurs seigneuries, on trouve plusieurs tabellionnages. Ailleurs, lorsqu’une seigneurie couvre plusieurs terroirs, il y a regroupement. Si l’on se souvient que les notaires royaux d’un ressort étendu peuvent établir des commis pour la réception des actes dans les villages dépendant du siège, on imagine le nombre de scribes employés, à l’échelle du royaume, à passer et à rédiger les actes de la pratique. Cet avantage est aussi un inconvénient. La dispersion extraordinaire des praticiens permettait aux contractants une grande liberté de choix. Et il s’en faut de beaucoup que les habitants d’une même village aient toujours eu recours au même notaire ou tabellion. De même, les distinctions théoriques entre le notaire, responsable de la passation de l’acte et « garde-note » et le tabellion, chargé de la rédaction et des copies, n’ont guère cours dans ces petites études villageoises où le responsable, qualifié ordinairement de tabellion, remplit toutes les missions et y ajoute, généralement, pour des raisons de rentabilité, d’autres petits offices seigneuriaux : le greffe, très souvent, parfois la fonction de juge ou de procureur fiscal.
7Ces faits on leur importance méthodologique sur le degré de conservation des minutes passées par les tabellions villageois. La transmission, avec la pratique, s’est faite plus ou moins bien. Certains petits offices ont pu disparaître à la faveur d’une réunion de seigneuries et leurs archives être dispersées. Le faible niveau de connaissances juridiques des tabellions et leur frequente négligence à conserver et à transmettre leurs liasses de minutes ne joue pas en faveur d’une conservation satisfaisante. Et surtout, plus que les villes, les campagnes de l’époque moderne sont la proie de bien des malheurs : incendies, pillages, faits de guerre, sans compter l’appétit des souris. Tout ceci explique : 1. que les minutiers ruraux commençent le plus souvent à une date plus proche de 1600 que de 1500 dans les provinces coutumières.
82. que les séries présentent des lacunes chronologiques importantes : ainsi, pour la région parisienne, à l’époque des guerres de Religion, pour la Bourgogne ou la Champagne à l’époque de la guerre de Trente ans.
93. que la destinée archivistique des fonds a été extrèmement variée : confiscation à l’époque révolutionnaire pour les études « nationalisées » avec les biens du clergé et ceux des émigrés (et dans ce cas, classement possible avec les archives judiciaires (série B des Arch. dép.) ou les fonds de la série E ; disparition pure et simple avec l’office seigneurial ; transfert à une étude survivante, qui en aura pris plus ou moins soin tout au long du xixe siècle.
10On comprend aisément que la seconde période de la modernité —en gros après 1650— est favorisée relativement à la première. Et ce d’autant plus que de nouveaux instruments sont à la disposition du chercheur, et lui permettent de gagner du temps face à la masse et à la dispersion des actes. Il s’agit du contrôle des actes, institué en 1691/95 (mais les notaires ruraux n’étaient pas toujours très ponctuels à faire enregistrer leurs actes), du centième denier (qui ne concerne qu’une partie des contrats), de l’enregistrement...
11II. Généralité, chronologique, géographique, et par là-même volume. Mais aussi extraordinaire diversité des actes. On sait que nos ancêtres recouraient plus facilement et plus souvent que nos contemporains aux services du tabellion. Ce ne sont donc pas seulement, au sens juridique du terme, des « contrats » que l’on rencontrera dans les liasses plus ou moins poussiéreuses, plus ou moins rangées d’humidité, mais aussi des accords, des transactions, de simples constats, des procès-verbaux. La confusion fréquente des charges dans les petites seigneuries (tabellion, greffier, procureur fiscal, lieutenant de la justice) accentue cette diversité extraordinaire. La source notariale, on l’a souvent souligné, touche tous les secteurs de la vie et tous les milieux de la société. Lire, les unes après les autres, les minutes conservées d’un tabellionnage villageois, c’est entrer dans la vie la plus personnelle des familles et des individus, voir se dessiner les parentés, les solidarités, les conflits d’intérêts ou de pouvoir, les querelles d’après-boire, les rixes, la géographie complèxe de ce monde à demi-clos. Cette diversité ne doit pas faire oublier que le recours au notaire, pour être plus fréquent et plus général qu’aujourd’hui n’est cependant pas universel. Beaucoup d’actes ou de contrats continuaient d’être passés oralement —« tope là »—, ou sous seing privé (c’est le cas d’un bon nombre de reconnaissances de dettes, simplement marquées par un papier et qui n’apparaissaient chez le notaire que lors d’un inventaire après décés, ou bien lorsqu’un conflit amenait le créancier, pour plus de sûreté, a faire dresser une obligation en forme). Reste qu’une frange du monde rural (et aussi du monde urbain) n’avait jamais recours au notaire : errants et mendiants, pauvres manouvriers que les tarifs des actes écartaient de l’étude. Leur nombre dans l’ensemble de la société paysanne n’est sans doute pas négligeable. Il n’en reste pas moins que bien des pauvres gens se présentent, au moins quelques fois dans leur vie devant le-clerc villageois, ne serait-ce que comme débiteurs... Tout ceci devrait être nuancé, en fonction des périodes, en fonction des provinces, en fonction des groupes. Comme le faisait remarquer Jean Meyer à Strasbourg, « il y a une géographie notariale fortement differénciée ». On en verra quelques exemples plus loin, mais on comprend aisément que l’inventaire après décès ne peut avoir le même rôle dans une province de partage égalitaire, où chacun doit avoir sa part, et dans une région où l’éléction d’héritier transmet la totalité du patrimoine à un seul3.
12III. Pour en terminer avec ces généralités, il faut bien remarquer les faiblesses fréquentes des actes notaires ruraux par rapport à ceux que rédigent les savants notaires des villes. Le caractère de monde familier et quasi clos du village entraine le silence négligent du clerc : domiciliation, état-civil, profession, filiation, parenté des témoins à mariage. Puisque tout le monde se connait et situe son voisin dans le réseau des relations sociales, on oublie ces éléments. C’est surtout vrai pour la première modernité, beaucoup moins pour la seconde période, après le milieu du xviie siècle. Mais on observe la même évolution dans la tenue des registres paroissiaux.
II. QUELQUES PROBLÈMES SPÉCIFIQUES DE MÉTHODOLOGIE
13Ici encore, si les principes généraux de dépouillement de la documentation sont communs aux villes et aux champs, il convient de souligner quelques problèmes spécifiques. Exerçant dans un village, pour un nombre relativement limité de feux, donc de clients potentiels, le tabellion rural est loin de rédiger autant d’actes en une année que le moindre collègue d’un faubourg de grande ville. De là un problème de volume à traiter. Le chercheur qui ne retient qu’une catégorie d’actes devra nécessairement étendre l’enquête, soit sur une longue période, soit sur plusieurs minutiers voisins pour atteindre le seuil de vérité statistique nécessaire. En revanche, qui s’intéresse à la totalité villageoise pourra procéder à un dépouillement intégral. Par rapport au familier des études urbaines, le chercheur « rural » ne dispose pas (ou très rarement) de ces répertoires qui permettent, sans feuilleter une à une les minutes des liasses, de repérer les actes les plus intéressants pour le thème d’étude. Le plus souvent, utiliser un minutier rural, c’est être obligé de tout regarder, au moins rapidement. Fort heureusement, les formulaires notariaux sont suffisamment stables pour permettre, en quelques lignes, d’identifier les contractants et la nature de l’acte.
14C’est largement le thème de la recherche qui détermine la méthode de dépouillement. L’idéal serait évidemment l’exhaustivité. Elle est souvent difficile à obtenir. A cause de la masse documentaire. A cause de la dispersion des études. A cause des lacunes des séries conservées. A partir de là, la méthode du sondage s’impose. Ou d’un pseudo-sondage, le plus souvent, dans la mesure où les règles statistiques de l’opération sont rarement respectées. Toutes les formules ont des avantages et des inconvénients : sondage par catégorie d’actes, qui laisse échapper une partie importante de la vie quotidienne telle qu’elle se manifeste à travers la diversité quotidienne des minutes ; sondage à intervalle régulier, un an sur cinq, un an sur dix, qui risque de faire apparaître des « évènements » dont on ignore la genèse, ou dont la conclusion échappera ; sondage par tranche de deux ou trois années entièrement dépouillées et prises à intervalle moyen, qui est peut-être le plus efficace.
15La mise en fiches de l’information doit être normalisée, même s’il s’agit d’une utilisation manuelle. Guy Cabourdin, dans les Actes du Colloque de Strasbourg a reproduit le modèle des fiches qu’il avait utilisées pour l’exploitation du notariat de Toul. Neuf catégories d’actes ont été privilégiées, qui forment l’essentiel : mutations foncières, baux de biens fonciers ou de bétail, constitutions de rentes, reconnaissances de dettes, etc. Ces modèles doivent être adaptés aux conditions régionales, mais forment un corpus de départ. J’ai moi-même présenté, à ce colloque, un modèle de mise en fiche des inventaires après décès, de même que Micheline Baulant. Il est évident qu’il y a toujours des élèments qui n’entrent pas dans le questionnaire fixé et qui vient garnir la rubrique « observations particulières »... C’est ce qui rend toujours délicat, pour le respect du document, l’utilisation des méthodes quantitatives : mécanographie à partir de fiches perforées ou informatique par codage selon un programme. La complexité de la vie est difficilement compatible avec les rédactions imposées par les traitements mécanisés. C’est qu’il faut bien se souvenir que tout contrat, tout accord met en présence des êtres de chair, avec leurs réactions individuelles, et, particulièrement dans le monde villageois, des familles, avec leurs intérêts, leur passé, leurs parentés, qui ne s’exprime pas nécessairement au niveau du document, mais n’en joue pas moins leur rôle dans les attitudes, les conditions du contrat, l’environnement complexe de l’acte que rédige le notaire. Ces remarques ne doivent pas éloigner de l’usage des méthodes que la science met au service de l’historien, elles doivent seulement inciter à la prudence dans leur utilisation et surtout dans l’interprétation des résultats obtenus. Les plus belles courbes, les plus beaux tableaux de pourcentage ne sont que des instruments, des traductions imparfaites de la réalité.
16C’est pourquoi, et nous y reviendrons, il est de bonne méthode de croiser, chaque fois que ce sera possible, les sources notariales avec d’autres catégories de sources. C’est la reconstitution des familles et l’étude des parrainages qui permet de déceler, entre des contractants apparemment étrangers, les parentés biologiques ou spirituelles qui peuvent expliquer tel prix de vente, tel prêt, telle clause avantageuse d’un bail. Ce sont les sources fiscales qui éclaireront les pyramides de fortune établies à partir des dots, des douaires ou des inventaires. Et l’on pourrait prendre d’autres exemples.
17Mais il convient maintenant de quitter le terrain des généralités pour proposer des thèmes d’étude. Les uns sont désormais bien entrés dans le travail historique et bénéficient non seulement d’une méthode progressivement mise au point, mais aussi de nombreux travaux pouvant servir de référence, les autres sont plus neufs, relativement encore peu explorés et méritent de retenir l’attention.
III. LE TERRAIN DE L’HISTOIRE SOCIALE
18Nous sommes ici devant le secteur le mieux balisé. Faut-il rappeler l’utilisation des minutes notariales par Y. Bezard, dès 1929, d’une manière ponctuelle pour décrire les fortunes et le décor de la vie quotidienne des paysans du Josas ? Cependant, c’est à partir des problèmes de la ville que la methodologie a été peu à peu fixée. Dans une première phase, il s’agissait de déterminer une sorte d’échelle des fortunes par « état social ». De là, l’accent mis sur deux documents fondamentaux : le contrat de mariage et l’inventaire après décès. L’un permet, par l’étude des dots et des apports, de dessiner una géographie sociale différentielle. L’autre permet d’apprécier, au moment du décès d’un conjoint, la fortune mobilière globale. A cette utilisation chiffrée, qui tend à ramener l’échelle des hiérarchies sociales au montant des avoirs, R. Mousnier a opposé, au long d’une polémique célèbre, une utilisation plus qualitative, tenant compte des hiérarchies définies par les théoriciens de la société : hiérarchie d’honneur, de titres, de « qualités ». Il préconise aussi l’étude du contrat de mariage, mais avec une toute autre approche. On tiendra compte, d’abord, des « avant-noms », des titres, des vacations, on accordera une attention particulière aux témoins entourant le futur couple, parents ou amis, voire « patrons ». Le rapprochement de tous ces contrats doit permettre de dessiner les « groupes sociaux réels », qui ne se confondent pas nécessairement avec des niveaux de fortune ou des fonctions sociales comparables. Au delà des problèmes théoriques sur la nature du corps social et les fondements des hiérarchies sociales de l’époque moderne, il est évident que l’historien doit combiner toutes ces méthodes. Mais c’est ici que villes et campagnes posent des problèmes différents.
19Prenons le contrat de mariage. A la ville, même dans des groupes sociaux situés assez bas dans l’« échelle sociale », le contrat est l’occasion de rassembler la parenté, jusqu’à un degré assez éloigné, les collègues ou confrères, les amis, voire quelque client bien placé. Il n’est pas rare de voir comparaître chez le notaire (ou au domicile d’une des familles lorsque le clerc se déplace pour un client important) 10, 15, voire 35 ou 50 témoins... Les actes sont en général précis et diserts, tant sur les qualités que sur les liens. Les apports sont le plus souvent bien chiffrés. Il faut bien avouer que le contrat villageois n’a pas ces qualités. Le tabellion ne précise pas toujours la vacation des conjoints et de leurs parents, les domiciles de ces derniers manquent parfois. La plupart du temps, chez les humbles —ils sont les plus nombreux—, n’assistent à la signature que quelques parents, beaucoup plus rarement des amis ou des « relations ». Le degré de parenté n’est pas toujours indiqué, ou l’est vaguement : cousin... Quant aux indications chiffrées, elles sont rares ou inutilisables. Les apports de l’époux au mariage sont très rarement indiqués ; ceux de la future sont très souvent ramenés à « ses propres », à « la part qui lui revient dans l’heritage ». Si l’on précise la nature des héritages donnés en dot, se pose le problème de leur évaluation en monnaie. Quelques chercheurs, devant ce problème, ont attribué une valeur de classement au montant du douaire fixé par le contrat et qui devrait, théoriquement, être en rapport avec la condition sociale de l’epouse. Mais dans beaucoup de provinces, les contrats ne prévoient que l’application de la coutume.
20Il convient donc de ne faire dire aux documents que ce qu’ils peuvent dire. Et d’abord se souvenir que tous les mariages ne donnent pas lieu à contrat. Il sera bon de comparer, si les archives paroissiales le permettent, le nombre des mariages sur l’année, ou sur une décennie, et le nombre de contrats retrouvés, pour déterminer la représentativité de l’echantillon, et déterminer, en particulier, si l’absence de contrat est plus particulièrement le fait d’un groupe social (auquel cas, l’échelle devra être modifiée) ou si, tous les groupes figurant parmi les abstentionistes, l’image globale, bien qu’incomplête, reste largement valable.
21On pourrait faire les mêmes observations sur les hiérarchies de fortune établies à partir du dépouillement des séries d’inventaires après décès. Mais il faut bien constater ici que les difficultés sont plus grandes. Les premières tiennent à la nature du document. On ne dresse pas d’inventaire pour chaque décès rompant une communauté de biens établie par le mariage. Il faut tenir compte de la coutume locale, de la pratique successorale, de la présence d’enfants mineurs. Ici encore, la comparaison du nombre des décès d’adultes mariés avec celui des inventaires limite la représentativité du document pour une étude générale de la société (nous dirons plus loin ses autres richesses). Même présent, l’inventaire est le plus souvent limité aux biens meubles et aux « titres et enseignements », c’est à dire aux papiers retrouvés et concernant la succession. C’est dire sa faiblesse dans un monde où les biens immeubles forment souvent l’essentiel du patrimoine et où la terre joue un rôle fondamental.
22Même limité aux biens meubles, l’inventaire après décès pose de nombreux problèmes matériels d’utilisation. On laissera de coté celui que posent les évaluations du priseur. Il est évident que les prix indiqués ne correspondent pas à une valeur vénale réelle. Mais il est vraisemblable que la distorsion est à peu près toujours de même ordre et que les niveaux atteints par le calcul sont comparables. Encore faudrait-il en être sûr, et que le priseur agit de la même manière chez le manouvrier, le laboureur ou le notable villageois. On n’insistera pas davantage sur la possible absence d’évaluation de certains meubles. Il n’est pas impossible de suppléer à ce silence par comparaison avec des inventaires voisins dans le temps et l’espace. Plus significatif, mais aussi plus dérangeant est la fréquente absence d’espèces monnayées dans les inventaires ruraux, même chez les plus gros exploitants, qui, à coup sûr, et comme l’avait écrit Olivier de Serres ont « des moyens à la bourse ». Il est évident que le conjoint survivant passait sous silence cet élément, et que le tabellion n’insistait pas, sauf si l’un des cohéritiers présents protestait. Les mentions rituelles des dettes actives (créances) ou passives ne figurent pas toujours, privant ainsi le bilain définitif d’un élément fondamental, quand on sait l’importance de l’endettement pour toute une partie de la paysannerie et, au contraire, le rôle de prêteur joué par les coqs de village.
23C’est dire que les tableaux de la société rurale auxquels le dépouillement de tous ces documents permettra de parvenir devront être accompagné d’un sérieux coefficient d’incertitude. Il convient de privilégier les « fourchettes » plus que les chiffres absolus, de se méfier des moyennes encore plus trompeuses ici qu’ailleurs, de ne pas pousser les pourcentages à la seconde décimale. En un mot, et plus que jamais, la statistique s’apparente au bricolage...
24Nous avons fait plus haut allusion au phénomène de l’endettement dans le monde paysan. Il a été souvent décrit, souvent analysé, dans ces causes, dans ses aspects et dans ses conséquences, particulièrment dans la période sombre qui s’étend, pour une bonne part de la France, du milieu du xvie siècle aux premières décennies du xviiie. Les actes notariés permettent sans doute une approche quantitative nouvelle. L’endettement apparait, dans les minutes, sous différentes formes : mentions des inventaires après décès (mais nous avons vu qu’elle manquent parfois), liasses de cédules ou d’obligations, parfois si nombreuses que le tabellion en a fait des liasses séparées (au vrai, leur conservation n’était pas obligatoire et elles peuvent être inexistantes dans un minutier), constitutions de rentes, qui font souvent apparaître qu’il s’agit en réalité d’une consolidation de dette sous forme de rente hypothécaire. Le chercheur se trouve en face d’une documentation disparate. Et décevante car les motifs des prêts sont rarement précisés. On dit souvent : « à son besoin et nécessité ». Or, il n’y a rien de commun entre la dette contractée pour pouvoir acheter le pain quotidien ou payer ses impôts et l’emprunt que l’on fait pour réaliser une opération. Bien évidemment, la personnalité des contractants est fondamentale pour apprécier le prêt. Malgré les inconvénients déjà signalés, une estimation globale des dettes contractées sur un certain nombre d’années, la répartition des emprunts et des prêts entre les groupes sociaux, la part de la dette à court terme et de la dette transformée en rente hypothécaire, les éventuels mouvements de désendettement par le rachat des rentes constituées, autant d’éléments utiles à l’apréciation de la situation matérielle de la payssanierie par rapport aux autres groupes sociaux, de la campagne ou des villes.
25L’inventaire après décès, même flanqué d’une liste exacte des créances et des dettes, laisse de coté, on l’a vu, la description de la fortune immobilière. S’agissant d’une famille bien définie, on aura peut-être la chance de découvrir dans le minutier, plusieurs mois, voire plusieurs années après la date de l’inventaire, un partage de succession (encore faut-il que la coutume successorale prévoie ce partage) avec l’estimation des parcelles et leur répartition.
26En revanche, et contrairement à ce qui se passe en ville, la source notariale semble décevante en ce qui concerne les tutelles. Non qu’il n’y ait pas, en présence d’enfants mineurs, réunion d’un conseil de famille à la requête du procureur fiscal de la justice, défenseur de l’ordre social. Mais on trouve peu de procès-verbaux, et peu précis. Ce que l’on trouve moins rarement, ce sont des actes de « bail de mineurs » : contre l’entretien du mineur, un parent ou un allié assure la gestion des biens immeubles et bénefice de leurs fruits pendant la durée du bail. Moyen pour un petit exploitant parcellaire d’arrondir quelques années sa tenure. Rares aussi sont les comptes de tutelle. La plupart du temps, lors de la conclusion du contrat de mariage, on précise que la dot entraine quittance générale pour la durée de la tutelle.
27Si les méthodes d’étude sociale reposant sur le niveau et la composition des fortunes (dans le village, comme dans la ville, il y a des fortunes « jeunes », actives, dont l’essentiel est productif, et des fortunes « rentières » ou « usuraires ») sont au point, il est d’autres domaines de l’histoire sociale moins exploités. C’est qu’au delà de la famille, même élargie aux dimensions d’un lignage, la vie des ruraux s’inscrit dans le cadre de la communauté villageoise, une communauté plus ou moins bien délimitée dans l’espace, mais toujours bien caractérisée par rapport aux voisines. Cette communauté, en tant qu’institution, en tant que milieu de vie, en tant que collectivité morale, reste mal connue, malgré des travaux récents. Dans une bonne partie de la France du Nord, la communauté n’a pas d’archives. C’est le tabellion local qui, à la requête des marguilliers et du procureur syndic, dresse, en forme de procès-verbal, le compte-rendu de l’assemblée. On les retrouve, plus ou moins nombreux, au hasard des liasses de minutes. Ils permettent une série de tests sur le fonctionnement de ce petit parlement villageois. Et d’abord, sur sa fréquentation : alors que l’assemblée de communauté est ouverte à tous les chefs de feu, on s’aperçoit vite qu’elle n’est suivie que par une petite partie de ceux-ci. Ensuite sur sa représentativité : il s’agit, à partir des listes de participants, de les identifier et de les replacer dans l’ensemble du village. Sont-ce les plus riches, les plus puissants ? Sont-ce les plus « anciens », par l’âge, ou par la date de l’installation de leur famille dans le village ? Des études faites en Ile-de-France, en Beauce, en Lyonnais, sur ce thème, il semble ressortir que le pouvoir « politique » appartient à un petit noyau représentatif de la bonne moyenne : ni pauvres manouvriers, ni gros « coqs de village », mais aussi des familles bien installées dans le village4. Mais ces enquêtes, qui supposent une connaissance profonde d’un village et de son environnement humain, pourraient être étendues. Le rassemblement de ces actes d’assemblée permettent également de voir quelles affaires sont traitées au niveau du village. Ici, moins de surprises : l’essentiel de l’activité de l’assemblée tourne autour de « l’argent du roi », entendons de la répartition et de la levée des impôts.
28Allons plus loin : à travers la masse des minutes issues d’un tabellionnage villageois, le lecteur peut, s’imprégner d’une atmosphère, repérer, au long des années, les rapports des lignages, le réseau de relations que créent l’endettement, l’emploi comme moissonneur ou batteur en grange, la mise en apprentissage d’un garçon, voire les injures d’après-boire dégénérant en rixe et donnant lieu, devant notaire, à réparation et à indemnité. Il ne s’agit sans doute pas là d’une méthode « scientifique » d’utilisation des actes notariés. Mais pour qui veut saisir la vie à son niveau le plus réel, pour qui veut comprendre la société villageoise, elle est sans doute la meilleure, sinon la seule.
IV. LE MOUVEMENT DE LA PROPRIÉTÉ
29Dans le monde rural, la détention de la terre est un phénomène essentiel. Et la détention garantie par la coutume et le droit. Savoir qui possède ce moyen de production fondamental, les autres —matériel, cheptel vif— n’ayant pas d’utilité sans le sol, c’est déterminer le jeu des forces sociales. On connait les documents, d’origine seigneuriale ou fiscale, qui permettent, à une date donnée et dans un cadre géographique toujours limité, de fixer la répartition de la propriété entre les groupes sociaux. Il s’agit des terriers, des compoix, des censiers (beaucoup moins utilisables), des rôles de la taille tariffée, là où elle a été sérieusement établie. Mais l’histoire est mouvement et il importe de connaître la mobilité foncière : que vend-on ? qui vend et qui achète ? en quelle quantité, par rapport à l’ensemble ? à quelle rythme et sous quelles influences conjoncturelles ? à quel prix ? avec quels résultats à moyen et à long terme ? On voit l’importance et la variété des problèmes. Or, les actes notariés, en enregistrant les mutations vénales, les échanges, les partages, doivent permettre une approche de ces problèmes. Doivent ou devraient... Comme on l’a fait remarquer, il s’en faut que tous les actes concernant un terroir se retrouvent dans les archives du même tabellionnage. L’image qu’on obtiendra, au bout d’un dépouillement intégral ne saurait représenter la totalité. Il n’empêche : en choisissant, comme G. Cabourdin, un minutier d’une petite ville étroitement liée à son environnement, en élargissant le champ de l’enquête à plusieurs minutiers de villages voisins, en recourant comme G. Béaur aux registres du centième denier pour un « bureau » étendant son contrôle à un canton, on peut saisir une évolution d’ensemble5. Les difficultés matérielles sont nombreuses. La première tient au nombre rapidement impressionnant des actes a traiter. Si l’on veut saisir le mouvement sur un démi-siècle et sur un espace assez vaste pour corriger les variations aléatoires, ce sont des dizaines de milliers de petits contrats, portant souvent sur des quantités minuscules, qu’il faut intégrer au calcul. Le recours à l’ordinateur, avec ses contraintes et son coût, s’impose si l’on veut ne pas succomber sous les calculs. La seconde difficulté tient à la nature même des contrats. Si l’on veut légitimement séparer les prix et les mouvements pour les différentes catégories d’immeubles (terre labourable, pré, pâtis, vigne, oliveraie, immeuble bâti, etc.), on se heurte au fait que beaucoup de contrats sont « mixtes » : une maison et un jardin, un champ et une parcelle de vigne, etc. et que le prix, le plus souvent est indiqué globalement. Si l’on ne conserve que les mutations concernant un immeuble bien défini, on est amené à laisser de coté la plus grande pârtie du corpus. A cela s’ajoute le problème des mesures. Tout calcul doit pouvoir aboutir à un prix à l’unité de surface, ancienne ou moderne... Or, on sait l’infinie complexité des anciennes mesures agraires. Sous le même nom d’arpent, de setérée, de boisselée, de journal, d’ouvrée, se cachent des quantités fort variables. Si l’on veut ne pas trahir la réalité, il faut se méfier de ces variations. Si l’on se souvient que dans certains terroirs, selon les « quartiers » de les « lieux-dits », on utilise des arpents différents, on voit le caractère presqu’insoluble du problème. Reste qu’en beaucoup de provinces, le rédacteur du contrat, s’adressant à deux parties parfaitement informées, néglige d’indiquer la quantité de surface faisant l’objet de la vente. Tout cela signifie qu’un corpus de plusieurs dizaines de milliers d’actes risque, après tri et élimination, de se réduire considérablement.
30Supposons tous ces problèmes résolus. Les enseignements à tirer sont nombreux. Le volume global des transactions est un indicateur de la mobilité foncière. Une brusque accélération des transactions marque une période de difficultés paysannes et une volonté d’investissement foncier de la part d’autres groupes sociaux. On ne doit cependant pas oublier que l’essentiel des mutations se fait par héritage et partage et que le « marché » de la terre ne concerne qu’une mince frange du total des biens fonciers d’un terroir (un peu à la manière dont le commerce des grains ne représente qu’une marge du volume global de la production, avant tout destinée à la reproduction simple et à la subsistance des producteurs...). Mais c’est cette marge qui, socialement, est la plus significante. Rythme des transactions, au long de l’année, avec un net ralentissement à l’époque des grands travaux des champs, fenaison et moisson, d’une année sur l’autre dans le moyen terme (et, si l’on y arrive, dans le long terme). Nature des transactions : compte tenu de la répartition générale du sol (incuits, labours, vignes, prés, etc.), les transactions privilégient-elles une catégorie spéciale de biens ? Dans les pays de vignoble, on est frappé du véritable « mouvement brownien » dont son affectées les parcelles complantées : une multitude de contrats portant sur des quantités minuscules et représentant sans doute autant d’aménagements de convenance d’un terroir très morcelé.
31Non moins importante est la détermination de l’appartenance sociale des acheteurs et des vendeurs, et les quantités traitées, à l’actif et au passif, par groupe social. Numériquement, l’essentiel des transactions se déroule au sein même du monde rural, par ces contrats d’ajustement, portant sur de petites quantités. Mais si l’on totalise les superficies concernées, le tableau se modifie sensiblement. C’est un lieu commun que de souligner que les groupes extérieurs au monde rural sont souvent bénéficiaires. Mais pas toujours. On assiste à des phases où l’investissement foncier semble intéresser les citadins ou les privilégiés, à d’autres phases où d’autres formes d’investissement les attirent et où l’on peut constater un mouvement de « retrait ». Des enquêtes systématiques, menées en équipe, à cause du volume des dépouillements à prévoir, avec des moyens informatiques substantiels, devraient éclairer cette stratégie complexe des investissements au niveau des différents groupes sociaux. On parle souvent d’une longue dépossession de la paysannerie à l’époque moderne. Or, à la veille de la Révolution, une part non négligeable du sol de France était encore entre les mains des villageois, alors que le tableau des années 1680 ou 1700 est souvent très sombre. Y a-t-il eu une reconquête paysanne des terres au xviiie siècle ? pour quelles raisons ? à quel rythme ? sur qui ?
V. LE REVENU DE LA TERRE
32Si l’un des caractères de l’histoire rurale des temps modernes est le développement de la mise en valeur indirecte, le propriétaire du sol n’en étant pas l’exploitant, il est évident que la volonté d’invertir, de la part des groupes sociaux non ruraux, repose sur l’espoir d’un revenu. Non qu’il faille négliger les profits immatériels, ceux que confère, dans la hiérarchie sociale, la possession foncière. Vivre de son revenu, c’est vivre noblement. Mais tous ceux, nobles, établissements religieux, officiers royaux, maîtres de métiers, qui placent leurs capitaux dans la terre en attendent aussi un revenu réel. C’est poser le problème du niveau et du mouvement de la rente foncière-ici entendu au sens de rente « propriétaire », en laissant de coté la rente féodale ou la rente décimale.
33La détermination du niveau et du mouvement de la rente foncière ne peut se faire qu’à partir des contrats de louage. Les uns, relatifs à un domaine défini peuvent se retrouver dans les archives bien tenues des grands propriétaires fonciers, et particulièrement des établissements ecclésiastiques. Mais la masse énorme des multiples contrats concernant le « tout-venant » : simples parcelles isolées, petits domaines, inmeubles bâtis ne peut guère se retrouver que dans les liasses poussiéreuses des minutiers. Leur rassemblement et leur utilisation posent les mêmes problèmes que pour les mutations vénales : ampleur des dépouillements à entreprendre, problème des baux mixtes, insuffisance des données quant à la consistance et à la superficie (combien de baux portent sur des biens « que le dit preneur a dit bien et suffisamment connaître » ?). Et ceci suppose résolu le problème principal quant à la rente : que celle-ci « existe ». En effet, on rappellera que la plus grande partie de la France connaît majoritairement le bail à part de fruit, généralement à moitié, et que les baux, ici, ne sont d’aucun secours. Ce qui compte (ou compterait, si la conservation en avait été assurée), ce sont les registres ou les feuillets où le propriétaire mentionne, année par année, les versements et les livraisons... Non que l’on ne trouve, dans ces régions de métayage, des baux stimulés avec un loyer fixe, mais il s’agit alors de « baux généraux », passés entre un gros propriétaire et un fermier général, souvent un bourgeois, pour l’ensemble des fermes du domaine, à quoi peuvent s’ajouter éventuellement des droits seigneuriaux ou décimaux. C’est au fermier général à traiter ensuite avec les exploitants de chaque élément du bail...
34A l’issue de la collecte, de la critique, on se trouvera devant une masse de données : objet du bail, consistance en superficie, montant... Ici peut se poser le problème de la traduction en argent des redevances en nature. Et, vice et versa, pour éliminer les variations monétaires, le problème du « déflatage », c’est à dire de la traduction du loyer-argent en équivalent-grains. Problème irritant, problème insoluble. Tout le monde sait l’inconvénient du système, qui intègre le mouvement des prix céréaliers et aboutit, en période de crise et malgré toutes les astuces statistiques (moyennes mobiles tronquées) à des variations aberrantes. Mais, en l’absence d’un indice général des prix ou d’un salaire-minimum type à quoi rapporter les données, on n’a rien trouvé de mieux.
35Pour une réflexion et une analyse de la rente foncière, il conviendra de séparer : —les loyers mixtes, intégrant des revenus de nature différente, prélèvement seigneurial, décimal, rente du sol. Le mouvement qui s’en dégage n’est pas sans signification sur l’ensemble du système économique. Mais il ne représente pas la rente foncière stricto sensu.
- les baux d’exploitations entières, dans leur complexité : bâtiments, labours, autres éléments. Le mieux est de ramener à un loyer à l’unité de surface (si possible, à l’hectare, ce qui permet les comparaisons régionales).
- les baux parcellaires, portant sur de petites quantités, ne formant pas une unité d’exploitation mais venant généralement compléter, pour le fermier, une autre exploitation. Ici, on distinguera, autant que possible, les loyers à l’unité de surface par nature de culture6.
36A partir de ces éléments, l’analyse doit mettre en valeur, le mouvement général, les mouvements différenciés de la « rente des exploitations » et de la « rente-parcellaire », qui peuvent être parallèles ou opposés. On pourra, par comparaison avec les courbes des prix de la terre, évaluer la rentabilité du placement foncier et son évolution. Si la rente foncière de la terre, dans le très long terme, paraît se tenir autour de 3 à 4 % du capital investi, il y a eu, dans le temps historique, des périodes fastes où l’investissement foncier a pu rapporter jusqu’à 8 ou 10 %, d’autres, au contraire, où le rendement du capital tombe à 1 ou 2 %. Il est intéressant, à ce stade, de revenir à l’étude du marché foncier et de la mobilité de la propriété pour vérifier le comportement des différents groupes sociaux et leur adaptation au marché. Ainsi, le quantitatif revient, comme toujours, aux hommes et à leurs comportements.
37II. Dans la perspective d’une meilleure connaissance des mécanismes économiques sur lesquels repose la société rurale, un des apports essentiels de la documentation notariale, susceptible de retenir l’attention des chercheurs et encore relativement peu exploré, est de permettre une étude en profondeur du fonctionnement réel de l’entreprise agricole. Il s’agit, à ce stade de la recherche, au delà de l’accumulation de détails pittoresques, d’aboutir à un bilan économique inspiré des méthodes de la comptabilité agricole contemporaine. Les types d’actes son multiples, que peuvent servir à cet effet. On privilégiera, bien sûr, les baux, qui contiennent souvent des clauses de culture, signifiantes aussi bien parce qu’elles commandent que par ce qu’elles interdisent (ce qui implique que les exploitants le faisaient...), mais plus encore les inventaires après décès. S’y ajouteront au hasard de la collecte, les rapports d’expertise, qui peuvent dénoncer les erreurs de gestion de l’exploitant ou estimer les récoltes ou le cheptel, les devis de réfection des bâtiments, les réglements de compte entre propriétaires et locataires, les procès-verbaux de saisie (que l’on trouvera d’ailleurs plutôt dans les archives de juridiction), les marchés d’entretien de matériel entre exploitants et artisans. Le gran inconvénient de tous ces documents est de ne concerner jamais que des faits strictement datés et localisés. Il s’agi toujours d’une exploitation, d’une certaine année, et le problème doit être posé de la représentativité de tels éléments. Raison de plus pour entreprende des collectes aussi larges que possible, dans le temps et l’espace. C’est seulement de la multiplication des exemples et de leur comparaison que pourront naître quelques certitudes quant à la vie réelle d’une exploitation agricole.
38Quels éléments peuvent être tirés de ces documents ? La taille de l’exploitation, qu’on peut assez souvent induire à partir de la dimension des soles inventoriées et décrites, son équipement matériel (souvent avec des descriptions assez précises des intruments : charrues ou araires, charrettes, herses, outils à bras, etc.), variable avec la taille (et l’on sait la signification du nombre de charrues), le cheptel vif, et spécialement le train de labourage, qui détermine largement les forces productives de l’exploitation. L’estimation des semences permet souvent d’évaluer les taux d’ensemencement, celle des façons culturales renseigne sur le nombre des labours apportés au sol ou des soins prodigués à la vigne. Arpentages et estimations de récoltes donnent de précieuses indications à la fois sur cultures pratiquées, les espèces préférées, les rendements. Toutes les estimations, qui peuvent avantageusement être repprochées des mercuriales disponibles, fournissent au bilan des traductions chiffrées. Tout ceci débouche naturellement sur des monographies d’exploitations définies, à une date donnée. Pour que les comparaisons soient possibles, il convient que les chercheurs adoptent des présentations semblables. En vue du congrès de Budapest, une équipe française a élaboré, à partir des cadres comptables adoptés aujourd’hui par les centres de gestion des exploitations agricoles, une grille proposée à la critique des historiens ruraux. Perfectionnée, adaptée, elle devrait pouvoir être utilisée largement. Ainsi pourra-t-on élaborer des modèles et déboucher sur une étude comparée des résultats de la petite exploitation familiale, du microfundio consacré à des cultures hautement rémunératrices (vigne, arbres fruitiers, horticulture, cultures industrielles), de la grande exploitation, voire du très grand domaine, comme on le connaît dans certaines régions d’Espagne ou d’Italie du Sud. Il y a là une voie nouvelle, particulièrement enrichissante, de l’histoire rurale. On ne se dissimulera pas les difficultés de l’opération. Les unes sont inhérentes à la forme de l’exploitation agricole de tous les temps : part de l’autoconsommation, problèmes de l’amortissement d’un matériel peu coûteux, indéfinidement rafistolé par l’exploitant lui-même ou quelque artisan villageois, évaluation chiffrée du travail personnel de l’exploitant et de sa famille, qu’on ne peut purement et simplement évaluer en travail salarié dans le bilan, ignorance où nous laissent les documents les plus précis sur certains éléments, en particulier pour les cultures secondaires, qui ne sont points négligeables à l’heure des comptes, et pour l’élévage (poids des animaux, production laitière, valeur du croît naturel). Ici encore, à l’heure du bilan, qu’il soit comptable ou scientifique, la modestie doit l’emporter. Nous obtiendrons des fourchettes, des ordres de grandeur, des probabilités plus souvent que des certitudes. Cette étude économique des exploitations parait être une des voies les plus fécondes à l’avenir.
VI. VERS LE SOCIO-CULTUREL
39Dans l’immense champ de ce que Pierre Chaunu appelle le « troisième niveau », l’utilisation des actes notariés présente, dans le monde rural comme dans le monde urbain, un intérêt majeur. Mais avec le même décalage quant aux possibilités et aux limites de la recherche ?
40Il est bien des tests pour mesurer le degré d’alphabétisation. On connait le calcul commode des signatures aux mariages à partir du moment où le célébrants ont été invité par le pouvoir royal à l’exigir lors de la rédaction des registres paroissiaux —ou à mentionner la raison de l’absence de signature. Mais ceci concerne les actes après 1670. Avant cette date, les actes notariaux permettent des sondages plus ou moins significatifs ; signature aux contrats de mariage, signature des témoins, usage de marques... Les actes de communauté, dont nous avons parlé plus haut et qui touchent un nombre assez important de chefs de feux, comportent souvent des séries de signatures —ou de mentions : « lesquels ont déclaré ne savoir, n’écrire ni signer ». Reste à s’interroger comme le font les historiens de l’éducation sur la signification réelle du test de la signature.
41L’histoire de l’instruction trouvera un aliment de choix dans les minutes notariales en dehors de ces sondages : contrats passés entre la communauté et un maître d’école, inventaire de petites écoles, présence de livres dans les inventaires après décès (mais on sait l’imprécision fréquente du priseur dans ce cas) et surtout, l’absence de prisée pour ce qui devait constituer l’essentiel du contact villageois avec l’imprimé, les images légendées, les almanachs, les petits livres de la fameuse « bibliothèque bleue ».
42En revanche, la source testamentaire, qui a tant apporté depuis les études de Michel Vovelle, à la connaissance des mentalités citadines se révèle bien décevante dans la plus grande partie du monde rural. Peu de testaments, pour commencer. Citons P. Goubert qui remarque avec bon sens : « Nos paysans du xvii siècle, sauf quelques très riches n’avaient rien à écrire, à dire ou à dicter à propos de leur mort : leur succession était de longtemps réglée par la coutume du lieu, corrigée parfois par un bref contrat de mariage dont c’était justement l’objet »7. Et de souligner que quand on possède si peu, on n’a rien à distribuer. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne rencontrera pas de testaments dans les minutiers ruraux —ou, plus curieusement, au xvie siècle, sur les pages de garde des registres paroissiaux, les desservants, ayant droit, à l’heure des derniers sacrements, d’enregistrer valablement les désirs du mourant. Disons que leur contenu est toujours bien mince et ne se prête guère aux analyses savantes. De discours, point. Et, plus encore qu’en ville, ce discours paraît bien être davantage celui du scribe que du testateur... Quelques legs pitoyables et traditionnels à la fabrique, à la « boite des trépassés », aux paroisses voisines, parfois aux confréries érigées en l’église villageoise. Tout ceci n’est pas rien, mais ressort toujours de l’étude impressioniste sans déboucher sur le « quantitatif ». Ce n’est que très rarement qu’une note personnelle apparait : mention de l’affection pour un conjoint, un filleul, un batard ou une servante ; allusion dans les familles à marâtre aux problèmes opposants enfants du premier lit et seconde épousé, demande d’un pélerinage post mortem à quelque sanctuaire provincial, voire fort éloigné. Mais ces « trouvailles » resteront du niveau de l’individuel et de l’exceptionnel, même dans le déjà petit nombre de documents retrouvés. Au moins, et en ayant toujours présent à l’esprit que le sondage ne touche qu’une frange du monde rural, pourra-t-on comparer le nombre de messes demandées, les dévotions mentionnées, la fréquence des fondations durables, avec création d’un fond de revenu.
43C’est dans le domaine encore relativement neuf de la civilisation matérielle, de l’archéologie de la vie quotidienne que la source notariale est irremplaçable. Nos musées et nos commerces d’antiquités ne contiennent en effet que fort peu d’objets ou de meubles ou d’outils remontant à ces périodes déjà eloignées et provenant, à coup sûr, du monde rural. Les « ethno-musées » à la mode sont surtout garnis d’objets du xixe siècle. Et les armoires normandes ou les bahuts provençaux du xviiie siècle proviennent plutôt d’intérieurs bourgeois que de salles de ferme. C’est donc la lecture attentive des inventaires après décès, dans leur pittoresque désordre, qui permet d’imaginer et de décrire le décor de la vie quotidienne. Et d’abord l’habitat : le parcours du priseur indique le nombre et la destinations des pièces (la salle avec la très généralement unique cheminée, les chambres, parfois une sorte d’arrière-cuisine) et des bâtiments (cave, cellier, étable, écurie, toit à porcs, grange, bergerie)8. L’existence d’un étage d’habitation est toujours précisé. C’est ensuite le mobilier qui se trouve décrit. On retrouve les mêmes éléments chez les uns et les autres à une même époque, mais avec des nuances significatives : chez les plus aisés, le banc cède la place à des chaises, à des selles, voire à un fauteuil, le nombre des coffres croit, les lits sont plus ornés. Mêmes différences pour l’équipement ménager : instruments de la cuisine (pelons, chaudrons, etc.), vaisselle de table (les étains, généralement estimés selon leur poids total, semblent un bon indice du statut social), linge de maison, des quelques draps du manouvrier aux piles impressionnantes que l’on trouve chez les gros laboureurs.
44Deux éléments de cette description sont particulièrement différenciés selon le degré de fortune des inventoriés : le vêtement et les provisions disponibles. Si la plus grande partie des paysans, à l’instar de ceux des frères Le Nain portent des vêtements de toile ou de drap grossier, de couleur terne, usés jusqu’à la corde, rapiécés autant que faire se peut, il y a des exceptions chez les moins pauvres. Les gros laboureurs et leurs épouses ne détestent pas des atours plus ajustés, aux couleurs vives, où la dentelle, le passement de velours ne sont pas absents. C’est chez eux que l’on trouvera, à coté du demi-ceint d’argent très répandu, parce que traditionnellement offert à la jeune mariée par son époux, et de la pâtenôtre, non moins commune, quelques bagues, un fermoir de corsage... Quant aux provisions, elles créent un véritable clivage entre pauvres et riches. On les étudiera selon leur nature et leur quantité. Ici la farine, le sel, le sucre éventuellement (mais tardivement), l’huile, les quartiers de lard salé, le vin ou le cidre, Là, quelques poignées de pois, quelque gerbes de seigle.
45Dans une perspective longue, c’est l’évolution qui doit être retrouvée. Une article pionnier de R. Dauvergne comparant des inventaires de vignerons des environs de Paris de la fin du xviie et du milieu du xviiie siècle avait bien mis en évidence les nouveautés introduites en une cinquantaine d’années et l’amélioration générale de décor de la vie quotidienne9. L’apparition de tel ou tel élément de « confort », généralement venu de la ville sera spécialement relevé. Des études systématiques permettraient de dessiner la géographie et la chronologie de ces emprunts dans tous les domaines : Passage du coffre polyvalent à l’armoire et au buffet plus fonctionnel, expansion de la chaise, de la table « à tirant et abattant », disparition très lente des courtines des lits (mais les lits clos se sont conservés dans les intérieurs paysans jusqu’au xixe siècle), remplacement de la vaisselle d’étain, lourde et d’un entretien difficile, par la faience commune tout au long du xviiie siècle, expansion du cuivre. Et de même dans le linge de maison ou de corps : dès le xviie siècle, quelques gros laboureurs ont des « toiles à essuyer les mains », distinguées des autres serviettes et torchons, la chronologie de l’adoption de la chemise ou du caleçon peut être précisée. Et de même pour les vêtements, où l’on voit apparaître, avec un décalage significatif, les nouveautés citadines. Dans ce domaine de la vie quotidienne comme dans d’autres, le monde rural n’est pas celui de l’inmobilisme. Les choses changent, lentement, mais elles changent et il est important de savoir par quels intermédiaires culturels, avec quels retards, á quels rythmes, ces changements interviennent.
46Les témoignages d’une acculturation progressive peuvent être également cherchés dans le souci d’embellir, tant soit peu, le décor de la vie. On a parlé des couleurs du vêtement, on peut aussi noter la présence d’objets « décoratifs » dans les intérieurs paysans : le miroir est d’abord très rare, peu à peu présent, sinon familier, comme chez les ouvriers du petit peuple de Paris. Si les inventaires oublient, hélas, les images pieuses, parfois violemment coloriées qui devaient être assez souvent l’unique élément « artistique » du foyer, ils mentionnent les peintures, moins rares qu’on ne le croirait. Il serait intéressant de savoir à quel moment l’horloge, ces bonnes grosses horloges qu’on s’arrache aujourd’hui, est devenue un élément familier du décor de la grande salle des maisons paysannes. Dans toutes ces recherches, il conviendra de distinguer la présence exceptionnelle de la vulgarisation. De là la necessité de dépouillements étendus, comme ceux que M. Baulant a entrepris autour de Meaux.
47Si l’on tente d’aller plus loin dans la connaissance des mentalités rurales des temps modernes, le secours à attendre des sources notariales devient plus mince et surtout aléatoire. Certes, au hasard des liasses de minutes on trouvera mention d’un charivari, on découvrira des documents sur les compagnies de jeunesse, on verra quelques traces des fêtes qui éclairaient, de temps à autre, la grisaille répétitive des travaux et des jours. Il ne saurait être question ici, d’une exploitation systématique, sinon par recoupement avec d’autres sources. Il reste un moment où l’historien ne peut que s’arrêter, sauf à se faire psychanaliste ou romancier. Dieu merci, la masse des archives notariales encore vierges et le nombre des thèmes détudes qui ont été rapidement évoqués ici son suffisants pour lui éviter cette tentation.
48On ne reviendra pas, au terme de ce rapport, sur l’importance des sources notariales pour l’historien de l’époque moderne et sur la variété des angles sous lesquels elles peuvent être envisagées. Le regard traditionnel, celui des premiers chercheurs qui considéraient ces vieux papiers comme susceptibles de leur fournir les détails pittoresques de nature â donner vie à leur discours, n’a pas épuisé ses ressources. Dans le cadre d’une biographie, individuelle ou familiale, d’une monographie villageoise ou régionale, de l’étude d’un groupe social caractérisé, les minutes notariales, par la variété des données qu’elles fournissent, par la vie qu’elles reflètent, demeurent la base irremplaçable de ce genre d’études. Mais nous savons aussi que le discours historique contemporain ne peut se contenter de n’être que ce discours ancien. Sans ériger la quantification en panacée universelle et la statistique, plus ou moins matinée de « modélisation », en but ultime du travail du chercheur, nous savons bien qu’il faut compter. Déjà, les arithméticiens politiques du grand siècle s’y essayaient... D’autres approches du document notarial ont été tentées dans les dernières décennies, d’autres sont certainement possibles et nous avons souhaité en présenter quelques unes.
49II. Le chercheur qui utilise les sources notariales doit toujours avoir à l’esprit que comme tout document historique, et même s’il est un de ceux qui prend le plus directement prise sur le réel, il doit être critiqué selon las bonnes règles de la tradition : critique externe et critique interne. Selon la formule de Jean Meyer : « La question "qui passe devant notaire et pourquoi" doit être le préalable de toute enquête ». Et les travaux réalisés depuis un demi-siècle autour de la source notariale montrent bien les pièges, les silences et les distorsions que les contractants, avec la complicité du notaire font passer dans les actes. Le non-écrit, comme le non-dit, existe. Et c’est souvent le contexte éclairé par un autre acte, qui ramène l’anomalie à la moyenne : tel prix de vente d’une parcelle dissimule, après le partage, un arrangement entre les cohéritiers aboutissant à un regroupement profitable à tous, tel loyer avantageux compense une dette qu’on ne sait trop comment rembourser, telle transaction sur les rente contituées est une opération de crédit, etc.
50III. Dans la mise en œuvre de la documentation, la même prudence, la même modestie doivent dominer. Tant de choses doivent être connues avec certitude pour que la lisibilité du document soit totale : mesures agraires, mesures de capacité (et elles ne sont pas les mêmes pour les bleds et pour l’avoine, pour le vin et pour l’huile, même si les noms sont semblables). Bon nombre de nos résultats à apparence scientifique sont entachés d’un coefficient d’incertitude. Et ce qui est vrai des chiffres l’est encore plus si on essaye de déceler des comportement, des modes de pensée, des croyances religieuses ou superstitieuses.
51IV. Cette appréciation de la valeur relative des résultats doit tenir compte de la représentativité de l’acte notarial. On l’a dit, tout le monde n’a pas recours aux services du tabellion. Il y a, selon les époques, les régions, les groupes sociaux, les matières traitées, une part plus ou moins large des hommes et de leur actions qui passent à travers les mailles du filet. Il s’en faut que tous les conjoints passent un acte de mariage, il s’en faut que tous les décès donnent lieu à inventaire, il s’en faut que tous les baux soient enregistrés devant notaire, que toutes les dettes contractées soient consignées sur une cédule. Et les notaires rédigent —ou aident à rédiger, bien des actes sous seing privé que les minutiers ne conservent point...
52V. Tout acte notarié, même le plus simple en apparence fait intervenir de nombreux paramètres et c’est ce qui rend si difficile, même pour des recherches quantitatives de masse, le recours à l’informatique. Heureusement, la vérité statistique fait que les erreurs se compensent largement et que les résultats finaux, à partir de données faussées, sont proches du réel que les historiens cherchent à atteindre.
53VI. Il y aura toujours nécessité de complêter l’information notariale par d’autres catégories de sources. Mais il s’agit là d’une condition élémentaire du « metier d’historien ».
54Formulons l’espoir que les discussions qui s’engageront à partir de ce rapport et des communications présentées dans notre section d’étude aboutiront à un enrichissement substantiel de la méthodologie du proche avenir.
Notes de bas de page
1 Il parait inutile de donner une bibliographie détaillée. Elle se trouve largement indiquée à la fin du volume collectif : Les actes notariés. Source de l’histoire sociale. xvi-xixe siècles. Actes du Colloque de Strasbourg (mars 1978), Strasbourg, 1979 et dans les notes de l’introduction rédigée par Antonio Eiras Roel au volume La historia social de Galicia en sus fuentes de protocolos, Santiago, 1981.
2 Pour les officiers royaux, il convient d’insister, aux débuts de l’époque moderne sur l’ordonnance de 1542 qui pose le principe de la présence d’un notaire royal dans chaque siège de juridiction, avec droit de déléguer des commis et qui élargit aux seigneurs des pays de droit écrit le droit d’instituer des tabellions dont jouissaient déjà les seigneurs des provinces de droit coutumier.
3 Notons que les inventaires après décès peuvent figurer ailleurs que dans les liasses des minutiers de tabellionnage, par exemple dans les archives de la juridiction (voire, comme à Amiens, mais il s’agit de la ville, dans les archives municipales).
4 Sur ces problèmes, voir J. Jacquart, La crise rurale en Ile-de-France, J. P. Gutton, La sociabilité villageoise dans l’ancienne France, Paris 1979 (avec bibliographie), J. M. constant, Nobles et paysans en Beauce, Lille, 1981.
5 G. Cabourdin, Terres et hommes en Lorraine, Nancy, 1977 ; G. Beaur, Le centième dernier et les mouvements Je propriété, Annales ESC, 1976 cl thèse de 3° cycle, malheuresement inédite sur le marché immobilier en beauce à la fin du xviiie siècle.
6 Rappelons l’ouvrage de Postel-Vinay et notre article : la rente foncière, indice conjoncturel ? dans la Revue historique, avil-juin 1975.
7 P. Goubert, La vie quotidienne des paysans français au xviie siècle, Paris, 1982, p. 303.
8 Dans sa récente thèse Vigne et vignerons de l’Ouest parisien, Paris, 1982. M. Lachiver remarque la rereté des caves chez les vignerons du xvi et du xviie siècle. De même, la présence des cuves de fermentation marque, au xviiie siècle, un changement des méthodes de vinification : alors qu’on produisait jusque là surtout des vins blancs, pouvant s’obtenir par le pressage immédiat des grappes, le goût nouveau du rouge exige la fermentation des ráisins préalablement à la presse. Suivre l’apparition et la multiplication des cuves dans les inventaires permet de suivre l’innovation technologique.
9 R. Dauvergne, Vignerons d’Ivry-sur-Seine au xviiie siècle, dans Paris et Ile-de-France, tome i, 1949 (1952), p. 297-325.
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