L’utilisation des inventaires après décès villageois
Grille de dépouillement et apports
p. 105-114
Texte intégral
1Que l’inventaire après décès soit une source privilégiée de notre connaissance des sociétés anciennes, nul n’en doute et les historiens en ont fait usage depuis longtemps, d’abord pour y puiser quelques détails pittoresques, puis, avec le développement des méthodes quantitatives pour une analyse en profondeur. On a dit et on dira l’intérêt des inventaires urbains. Pierre Goubert, Pierre Deyon, Richard Gascon ou Maurice Garden en ont montré les immenses possibilités. Les inventaires ruraux ne le cèdent point à leurs collègues citadins. Mais leur utilisation par le chercheur pose des problèmes spécifiques que cette brève communication souhaite présenter.
I. Le matériel documentaire, son exploitation
2Il est inutile de rappeler la nature de l’inventaire « des biens meubles, effets et papiers » délaissés par un personnage défunt. Les circonstances de sa rédaction varient selon les coutumes. Dans le ressort de la coutume de Paris, on le dressait pour protéger les droits d’enfants mineurs, souvent à l’occasion du remariage du survivant. Il peut donc s’écouler un certain temps entre le décès et l’inventaire.
3A la campagne, l’inventaire est dressé par le greffier tabellion, plus rarement par un « notaire royal ». C’est ce qui explique que ces documents peuvent aujourd’hui se retrouver dans des dépôts très divers. Tantôt le tabellionnage s’est perpétué jusqu’à nos jours sous la forme d’un office notarial. L’actuel notaire peut ainsi détenir un minutier ancien. Tantôt l’office a été réuni à un office voisin qui a hérité de la pratique et des minutes. Mais les archives ont également pu être considérées comme fonds seigneurial à la Révolution et entrer dans un dépôt public. Dans ce cas, les minutes du greffe et tabellonnage peuvent se trouver classées en B (justices seigneuriales) ou en E, dans les dépôts départementaux. Les tabellionnages de la région proche de la capitale peuvent être démembrés entre les études existantes, dont les archives forment le Minutier central, la série ZZ des Archives nationales, voire la série Z ou la série S. On aura toujours intérêt à explorer toutes les séries susceptibles d’avoir reçu tout ou partie d’un minutier.
4Les renseignements que peut fournir un inventaire villageois sont d’abord ceux de tous les inventaires : état civil du requérant et du défunt, mention des héritiers, domicile, présence de témoins ou de parents ; évaluation de tous les éléments de l’actif mobilier ; possibilité de connaître l’habitation par la mention des pièces visitées par le priseur ; tableau des dettes actives et passives ; inventaire des papiers permettant d’évaluer les acquêts de la communauté qui seront partagés, tandis que les biens propres des deux lignages restent dans ceux-ci. Mais l’inventaire rural est un précieux élément d’analyse de la cellule de production qu’est toujours, sous l’Ancien régime, la famille paysanne.
5On y trouve en effet la composition du cheptel mort : outils, instruments, accessoires. Ces descriptions, parfois très brèves, peuvent aussi comporter des détails techniques d’une haute valeur. Le cheptel vif, lui aussi, est mentionné, mais seulement dans la mesure où il est propriété de la communauté. L’inventaire des provisions et des récoltes a une valeur quantitative et une valeur qualitative : il renseigne sur la variété des productions, et, avec précaution, leur importance respective. Le plus intéressant, pour l’étude de l’exploitation agricole, est l’évaluation des avances à la culture : labours, emblavures, fumures, etc. Lorsque l’inventaire est dressé à la veille de la moisson, cette évaluation fait place à une expertise de la récolte sur pied qui permet une étude des rendements. La liste des dettes actives et passives fournit des données sur les salaires des ouvriers employés à demeure ou des manouvriers occasionnels, sur le prix de certains services des artisans villageois, parfois sur la commercialisation des produits. Fréquentes sont les mentions des loyers dûs, des impôts à payer, des droits à acquitter.
6Bien évidemment, il s’en faut que tous les inventaires contiennent tous ces renseignements. C’est seulement le dépouillement d’une masse suffisante de documents, la confrontation des données, parfois l’éclairage d’une mention imprécise ou difficile à interpréter par une autre indication, qui permet d’aller plus loin dans la connaissance des exploitations agricoles du temps passé.
7De même, avant de calculer des totaux et des pourcentages, des moyennes et des écarts, il convient de prendre la mesure des insuffisances de la documentation.
8Le problème de la valeur des évaluations ne parait pas fausser l’interprétation. Le gauchissement devait être le même dans toutes les maisons. Mais la difficulté reste réelle pour le prix des éléments du cheptel vif : chevaux ou vaches ont évidemment des valeurs très variables selon l’âge, la force. Il y a plus grave : le potentiel animal de l’exploitation est souvent fourni sous la forme d’un bail à cheptel. Il peut arriver qu’on évalue le croît, dont la moitié appartient au preneur. Mais il peut aussi arriver, par exemple dans le cas des baux de vaches, consentis contre un loyer en argent ou en beurre, ou en voies de fumier, qu’ils n’apparaissent pas dans l’inventaire. Ainsi, les grands troupeaux ovins des grosses fermes risquent d’échapper, comme la vache qui garnissait souvent l’étable du vigneron ou du manouvrier, achetée et louée par un citadin ou un notable.
9On a depuis longtemps constaté l’irrégularité de la présence d’espèces monétaires. De gros inventaires de marchands-laboureurs n’en mentionnent pas, tandis qu’on en trouve chez des manouvriers ou des vignerons. L’inventaire de Claude Angouillan de Wissous, qui monte à près de 7 000 livres en 1645, ne comporte pas le moindre écu et le curateur s’en étonne, mais, l’année suivante, on trouve plus de 3 000 livres en espèces chez un fermier de Guyancourt. Il est bien évident qu’il était facile au conjoint survivant de dissimuler le bas de laine où se trouvait le petit trésor familial. Mais cette irégularité peut fausser nos évaluations globales.
10Il en est de même avec l’énumération des dettes actives et passives, vraisemblablement toujours incomplète, un bon nombre de créances verbales, de « voisinage » pourrait-on dire, échappant à l’enregistrement. Mais il arrive, aussi bien chez les humbles que chez les puissants, qu’aucune dette soit mentionnée, alors que tout laisse à penser qu’il y en a. On peut en repérer quelques-unes, sous la forme d’obligations par écrit, inventoriées au chapitre des « titres et enseignements ».
11La mise en œuvre de la documentation, une fois résolus les problèmes de critique, exige un plan méthodique permettant les comparaisons et l’analyse. Micheline Baulant a présenté un « plan comptable » destiné à faciliter un passage en ordinateur. Il est fondé sur le problème du niveau de vie et laisse de côté l’étude économique de l’exploitation, qui me parait être un des enseignements les plus importants de la documentation. Pour la préparation de ma thèse, j’ai utilisé un modèle de fiche séparant 9 rubriques entre lesquelles venaient se ranger les données chiffrées : meubles meublants (ménage, mobilier, vêtements et linge), argent monnayé et bijoux, récoltes et provisions, outillage et cheptel mort, y compris les éléments nécessaires à la production, comme le fumier, cheptel vif, façons culturales ou évaluation des récoltes sur pied, dettes actives, dettes passives, enfin une rubrique divers, destinée à recevoir des éléments un peu extraordinaires (livres, objets d’art) ou inclassables. La distribution des données entre ces rubriques peut poser des problèmes : la pratique de l’évaluation en bloc d’ensembles hétéroclites oblige à ventiler. Heureusement, ces données concernent très généralement de petites sommes.
12Ce mode de dépouillement permet une analyse fine, individualisant chaque cas. Il a l’inconvénient d’être artisanal, n’autorisant guère l’emploi de la mécanographie, encore moins de l’ordinateur. Il a l’immense avantage, à mes yeux, de coller à la réalité, qui n’est pas toujours statistique...
II. L’entreprise agricole à travers les inventaires
13A partir de quelques exemples empruntés à des minutiers campagnards de la région parisienne, je souhaite montrer l’apport considérable que peuvent fournir les inventaires après décès à l’analyse du fonctionnement réel de l’entreprise agricole.
14Partons, si vous le voulez, d’un très beau document, l’inventaire dressé en janvier 1662 après le décès de Pierre Lanouiller, fermier de la ferme de La Folie à Choisy-sur-Seine1. La succession est assez compliquée : Pierre Lanouiller avait trois enfants d’un premier lit, Augustin, âgé de 25 ans, Martine, âgée de 18 ans, Jacques, âgé de 15 ans. Quant à la veuve, Sainte Le Preux, elle était la tutrice légale de Jean et d’Etienne Pousteau, fils de son premier mari et mineurs.
15En suivant le greffier, nous faisons connaissance avec les bâtiments de la ferme. Le logement est vaste : la grande cuisine, surmontée d’un grenier, trois chambres dans le pavillon sur l’écurie, grenier au-dessus. Les bâtiments d’exploitation comprennent une écurie où logent six chevaux, une étable vaste, une bergerie suffisante pour 150 bêtes, une grande grange. Lanouiller utilise en outre une grange dans le village et le cellier d’une maison. Les instruments d’exploitation sont dans la grande cour de la ferme, ou dans un aimable désordre, dans les bâtiments. Aux outils mineurs, fourches, faucilles, fléaux, il faut ajouter le train de culture : deux charrues, précisément décrites, « garnyes de leur esceau, coutre, socq, errondelles, attrempoires », sept herses (de fer ou de bois ?), deux rouleaux et deux charrettes, l’une de 13 pieds de long, l’autre de 10 à 11 pieds. En réserve, notre homme possède un essieu de charrue, deux socs, un coutre, quatre « esrondelles » (roues). Il peut éventuellement monter une charrue supplémentaire ou réparer celles dont il se sert.
16Le cheptel vif est fort abondant : une « voiture, scavoir deux quavalles baies et un chevalle hungre gris pommé », ce qui semble indiquer qu’on attelle trois bêtes à la charrette, un autre attelage de trois chevaux et, sorte de luxe, un cheval sellé « qui servoit à monter ledit deffunt ». Dix vaches laitières garnissent l’étable. On ne mentionne aucun veau. A la bergerie, 131 brebis et 44 agneaux hivernent. Un seul porc erre dans la cour au milieu d’une soixantaine de pièces de volailles (poules, oies, canes et dindes).
17En janvier, les grains sont encore abondants dans les greniers. Grains battus, ou à battre. En tout 58 setiers d’avoine (158 hl), 4 setiers de seigle pur (6 hl), 74 setiers et demi de méteil (116 hl), 4 setiers d’orge (6 hl). On notera tout naturellement qu’une bonne partie des blés est vraisemblablement vendue, tandis que l’avoine, nécessaire à la vie de l’exploitation est conservée.
18Dans la cave d’une maison de Choisy, Pierre Lanouiller a sa provision de vin : 19 queues et demie et 4 muids et demi, essentiellement du blanc venu des terroirs proches, plus de 4 000 litres. D’autres provisions : du bois, une centaine de bourrées, 500 bottes de foin en deux greniers et 79 bottes d’échalas pour les vignes, de quoi garnir environ six arpents.
19La structure de l’exploitation se devine mieux avec l’estimation des façons culturales. La première sole est entièrement préparée : 79 arpents (27 ha). On a donné trois labours, fumé une petite moitié seulement (38 arpents) et ensemencé en méteil (73,25 arpents) ou en seigle (5,75 arpents). Au 26 janvier, on commence tout juste les labours pour les mars : 12 arpents et demi seulement sont façonnés. Si les soles sont égales, l’exploitation couvre 237 arpents, 81 hectares. Mais la lecture de l’inventaire des papiers permet de voir qu’il s’agit de la réunion de plusieurs baux. Lanouiller est fermier de Saint-Germain des Prés pour la ferme de La Folie et du collège de Beauvais. Le premier bail, passé en 1655 était de 800 L., le second, passé en 1659, de 400 L. A première vue, les fermes couvrent respectivement environ 160 et 80 arpents. L’énumération des menues dettes passives permet de connaître le personnel de la ferme. Personnel permanent : un berger, auquel on doit 74 L. (vraisemblablement une année de gages), un vacher. Personnel temporaire : on doit encore quelques mines de grains pour le battage, un vigneron doit recevoir 25 L. pour « façon de vigne », et un autre, 24 L. On utilise les services du charron, du maréchal, et même de charretiers pour des journées de voiture. Il semble qu’on réduise au maximum le nombre des ouvriers à l’année en préférant utiliser la main d’œuvre temporaire disponible dans le village.
20A partir des éléments chiffrés, la situation de notre laboureur peut être appréciée. L’actif mobilier monte à 9 458 L. 13 s. Les meubles meublants atteignent la coquette somme de 1 066 L. (11,2 %), à quoi s’ajoute l’évaluation des bijoux et d’un peu de vaisselle d’argent, soit 734 L. Le matériel et le cheptel mort ne représentent que 350 L., mais l’important cheptel vif monte à 1822 L. 10 s. (19,2 %). Les récoltes sont évaluées 2 908 L., soit 30,7 %, les avances à la culture, à 2 520 L. 4 s., soit 26 %. En revanche, il y a fort peu de dettes actives : 56 L., « décompte fait », avec trois personnes.
21Mais au cœur d’une crise sérieuse, qui devait atteindre son sommet en juin et juillet 1662, notre fermier n’a pu que s’endetter. Pas irrémédiablement, puisque le total des dettes passives monte à 2 580 L. 19 s., soit 27,2 % de l’actif, lui laissant ainsi un solde créditeur important. 11 doit encore la plus grande partie des loyers échus à la Saint-Martin 61 (304 L. sur 400 à Beauvais) et au 1er janvier 62 (680 L. sur 800 L. à Saint-Germain). Il lui reste à payer 8 L. de taille sur l’année 1660, 99 L. de taille sur l’exercice 61 et la totalité de celle de 62 (310 L.).
22A travers cet exemple, longuement analysé, on voit la richesse du document, et les possibilités multiples d’analyse économique qu’il ouvre. A partir de tous les éléments recueillis, il est loisible de reconstituer le compte d’exploitation, de faire revivre la vie quotidienne d’une grosse ferme d’Ile-de-France et de comprendre le rôle économique et social du milieu des marchands-laboureurs qui est si caractéristique de la province.
23Prenons un autre exemple, dans l’autre groupe social important des villages : les vignerons. Voici celui de Jean Legendre, dont on dresse l’inventaire après décès à Thiais, en avril 16342. La situation est bien diférente. L’actif total, y compris les créances ne monte qu’à 730 L. Pauvreté du mobilier et du linge, qui atteint 69 L. Le matériel est celui de tout travailleur de la vigne : seau, hottes, hottereaux et bachoues, houe, besoche et serpe à tailler, poulain à charger les tonneaux, paniers à fumier, sans oublier le bât à âne. Mais il n’y a point de « beste asine » au logis et tout le cheptel se résume en un cochon. Il est vrai que deux petits porcs salés sont en réserve, mais il a fallu emprunter les saloirs... L’essentiel du matériel vinicole consiste en deux grandes cuves de 5 muids, de quoi accueillir deux hectolitres et demi. Vigneron, notre homme est aussi manouvrier : on trouve chez lui deux fléaux, un fauchet (pour les avoines), une fourche, mais de bois, et le receveur de la ferme seigneuriale lui doit encore une mine de méteil « pour le reste de son aoust ». On est en avril... Absence presque complète des moyens de survivre : il a une mine de farine et 5 mines de méteil, en tout l’équivalent de trois setiers, le pain quotidien d’une personne pour l’année, bien moins que le pain du ménage, qui comprend des enfants. Un boisseau de fèves et deux boisseaux de pois pourront accompagner le lard bouilli. Nous ne savons rien des vignes exploitées ou cultivées par lui, mais il y a quelques lopins de terre à travailler : un arpent de seigle, un arpent d’orge. Sur un troisième arpent, il a semé, en culture dérobée, des pois, des fèves et de la vesce. Jardinage plus qu’agriculture . . . Pas de vin à la cave, mais un hôtelier de Gentilly lui doit encore 50 L. sur le montant, hélas inconnu, de la vente de sa récolte. L’essentiel de son avoir consiste en une créance de 500 1., datant de 1663 sur un habitant de Thiais. Mais on ne nous dit pas la nature de cette dette. L’inventaire des papiers montre qu’il a pris à rente, dès 1618, un arpent et deux douzièmes en 4 pièces, qu’il pu acquérir quelques parcelles — environ trois quarts d’arpents ... Le document est ici moins riche de possibilités mais tout aussi expressif sur la situation matérielle des humbles.
III. Regards sur un village
24Ces indications ponctuelles, individuelles ne prennent de sens que si l’on dispose d’un échantillonnage suffisamment substantiel pour tenter des comparaisons, dégager, sinon des moyennes, qui risquent d’être sans grande signification, mais plutôt des fourchettes. Prenons l’exemple du village de Villejuif dont le minutier a été exploité par moi-même jusqu’en 1660 et par une de mes étudiantes jusqu’en 16993. Nous avons utilisé un échantillon de 154 inventaires, 70 de 1600 à 1650, 84 de 1650 à 1699. L’échantillon correspond environ au tiers de tous les inventaires dressés, il tend à privilégier les groupes supérieurs du village, mais il comprend aussi des pauvres gens : un inventaire nul, 9 inventaires inférieurs à 100 L. On y trouve 25 laboureurs, 48 vignerons, 2 jardiniers et un manouvrier, 14 artisans ruraux, 35 marchands, parmi lesquels bon nombre de boulangers forains travaillant pour la capitale, enfin 29 divers, très variés : 3 ecclésiastiques, des officiers de la justice seigneuriale, deux Suisses, « habitués » dans le village, des voituriers, un maître de poste, etc.
25La fourchette des fortunes mobilières est très ouverte : de 65 à 2 671 L. pour la première moitié du siècle, de 0, ou de 9 à 8 287 L. pour la seconde moitié. A l’intérieur de chaque groupe, la détermination du mode et de la moyenne corrige le caractère assez aléatoire de la « fourchette ».
26Bien évidemment, ces classifications peuvent être discutées. Si les laboureurs et les vignerons sont avant tout des travailleurs de la terre, les autres catégories, comme l’avait si bien montré P. Goubert pour le Beauvaisis, tirent aussi une partie de leurs revenus de ce même travail. Un Jean Louis Baron, marchand hôtelier cultive en 1690 une trentaine d’hectares, possède deux charrues, huit chevaux et six vaches, un marchand plâtrier exploite en même temps la ferme du Colombier (22 hectares) avec une charrue et trois chevaux. Il a en outre cinq ânes qui doivent servir au transport du plâtre. C’est évidemment le maître de poste qui a la plus belle écurie : 12 chevaux, mais on peut deviner qu’ils servent aussi à mettre en valeur les 25 hectares qu’il exploite et à faire des labours sur les terres d’autrui. En revanche, le nombre des bovins est toujours très réduit, comme celui des porcs. On ne trouve ces derniers en nombre que chez les boulangers, qui les nourrissent de son. Les seuils techniques apparaissent assez nettement : la charrue est toujours présente au-dessus de 10 hectares. On passe à deux autours de trente hectares de labours. Le nombre des chevaux est plus variable : lorsque l’on arrive à 10 hectares, on en possède généralement deux mais parfois davantage.
27La tendance à « renforcer » la première sole, observée dans la première moitié du xviie siècle ne faiblit pas après 1660, particulièrement sur les petites exploitations où l’on « froisse » régulièrement une partie de la jachère. On arrive ainsi à emblaver jusqu’à 40 % de la superficie. Mais ces pratiques ne devaient pas améliorer les rendements, étant donné la médiocrité des fumures, qui apparaît nettement dans l’évaluation des avances à la culture.
28Les inventaires dressés peu avant la moisson permettent de répondre à la question des résultats de cette agriculture. Le 28 juillet 1695, deux experts évaluent, parcelle par parcelle les récoltes encore sur pied de Louis Durozoy. Pour le méteil, on va par arpent, de 2 setiers un quart à 6 setiers, soit de 10,26 à 27,37 hl à l’hectare, ou, si l’on préfère, de 7 à 19 quintaux. Les rendements les plus faibles sont ceux des terres « froissées ». Quelques quartiers de froment rendent huit pour un et 19 quintaux à l’hectare. L’orge rend 3 setiers et 5 boisseaux et demi à l’arpent, excellent résultat, quant à l’avoine elle donne 17,68 hl à l’hectare. L’année est normale et ces résultats sont confirmés, en gros par bien d’autres. Ils permettent de mesurer, sur les excellents limons du plateau de Villejuif les limites techniques de l’agriculture ancienne. Il faut conclure. L’étude des inventaires après décès paysans peut nous permettre d’accumuler un matériel documentaire important sur plusieurs points : dimensions et équipement de l’exploitation, capital fixe et capital circulant dans celle-ci, rendements de la céréaliculture ancienne, salaires agricoles, équilibre économique de l’entreprise par la mesure de l’endettement. L’accumulation des données est évidemment la condition de la signification des résultats. Ceux ci devront être comparés à d’autres sources, dont certaines se trouvent aussi dans les minutiers ruraux : expertises, règlements de comptes entre propriétaires et fermiers, baux, etc. Un matériel considérable peut ainsi être exploité.
Notes de bas de page
1 Arch, nat., ZZ1 477.
2 Id., Z2 4340.
3 Id., ZZ 532 à 552 (1600-1660) et 553 à 556 (1660-1688) ; Arch. dép. Val de Marne, 2 E CXLI, 10 à 23 (1688-1702) utilisés dans J. JACQUART, La Crise rurale en Ile-de-France, Paris, 1974 et B. PELLET, Villejuif dans la seconde moitié du xviie siècle. Mémoire de maîtrise, dactyl., Paris I. 1976.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.