La production agricole dans la France du xviie siècle
p. 33-58
Texte intégral
1Il paraît naturel et légitime de commencer l'étude des grands secteurs de l'économie française du xviie siècle par une analyse de la production agricole1. N'était-elle pas l'occupation essentielle de la très grande majorité des Français ? Et l'histoire de la France paysanne n'est-elle pas, suivant le mot de M. Tapie, la « véritable histoire du Royaume » au temps de Louis XIII comme de Louis XIV ?
2Malheureusement nous connaissons encore bien mal cette histoire. Si l'on ne peut plus parler, comme Robert Schnerb, éditant à la veille de la seconde guerre mondiale l'histoire économique d'Henri Sée, d'une « quasi ignorance2 », si le labeur d'un tiers de siècle a permis d'éclairer quelques aspects régionaux, il s'en faut encore de beaucoup que nous puissions saisir, dans sa diversité et sa complexité, cette France rurale, qui était la vraie France, et dont le patient labeur soutenait la vie même du royaume.
3Cet entretien ne pourra donc être qu'une mise au point, rapide et partielle, de nos connaissances actuelles. Encore ai-je voulu m'en tenir au thème qui m'était proposé, laissant de côté les problèmes juridiques ou les aspects sociaux, pour ne considérer, à la manière un peu abstraite d'un économiste, que les modalités, les aspects et les résultats de la production de l'agriculture.
4Avant de décrire les techniques de l'agriculture et la variété des produits qu'elle obtenait, il convient de dire quelques mots du cadre dans lequel se déroule l'activité paysanne. Non pas le cadre géographique, avec l'opposition des grands types de paysage rural que connaît notre pays, ni même le cadre institutionnel : la communauté d'habitants, la paroisse, la seigneurie rurale, mais le cadre économique, celui de la cellule de production, celui de l'exploitation agricole. Étude fondamentale, car elle détermine les possibilités de chacun : étude complexe, car elle est liée aux problèmes de la répartition du sol, du niveau technique, des capitaux disponibles ; étude difficile car la documentation, abondante, est en même temps décevante. Quelques traits généraux peuvent cependant être mis en valeur.
5La prédominance numérique de la petite, voire de la très petite exploitation, était écrasante. On peut affirmer que plus des trois quarts des paysans français du xviiie siècle n'exploitaient pas assez de terres pour atteindre, ni même approcher ce que nous appellerions aujourd'hui le minimum vital. Ceci pour deux raisons : l'insuffisance de la propriété paysanne, le manque de moyens techniques et de capitaux d'exploitation. D'une province à l'autre, en fonction du peuplement ou de la fertilité du sol, l'étendue moyenne de la petite exploitation pouvait varier, mais on la retrouve partout. Une minuscule tenure, possédée en censive par le paysan en forme le cœur. S'y ajoutent parfois quelques lopins de terre, loués à un citadin ou à un habitant d'un village assez éloigné pour rendre impossible l'exploitation directe. Cette exploitation minuscule, souvent morcelée aux quatre coins du terroir, est dotée d'un matériel très sommaire. Ces modestes entreprises n'ont pas de train de culture, pas de charrue ni d'araire, pas de cheptel de trait. Il s'agit là d'une agriculture marginale, qui n'exclut d'ailleurs pas des résultats honorables, le travail humain s'employant activement à remplacer tout ce qui manque. Des villages picards aux vallées ariégeoises, des landes de l'Ouest au Vivarais, les études des historiens ou des géographes montrent l'universalité de cette petite exploitation, la plus significative du point de vue social. La borderie des pays de l'Ouest la représente assez bien : cinq à six hectares, dispersés sur le terroir, labourés à la bêche, ou avec l'aide du métayer voisin, une ou deux vaches et quelques moutons, un peu de grain, quelques poignées de chanvre, quelques fruits à demi-sauvages cueillis sur les clôtures des parcelles... Sous d'autres noms, avec tel ou tel caractère distinctif, on retrouverait la formule partout.
6Certaines de ces petites exploitations, cependant, échappaient à la médiocrité générale par la spécialisation. Sur une superficie limitée, la production de denrées d'une haute valeur marchande permettait au paysan d'atteindre un niveau de vie plus convenable. Tel était le cas des vignerons, dans les terroirs favorisés, soit par le climat et l'exposition, soit par la proximité d'un marché de consommation ou d'un centre d'exportation. Alors qu'il aurait fallu une dizaine d'hectares de labours pour assurer tant bien que mal la vie d'une famille, deux ou trois hectares de vigne pouvaient suffire. Si aucun vigneron, dans la réalité, ne les détenait en propre, il trouvait à louer ou à façonner de nombreuses parcelles appartenant aux citadins, aux artisans villageois, aux notables ruraux. Tel était également le cas, aux portes des villes, des maraîchers, couturiers. Pierre Goubert a évoqué le petit groupe des airiers du faubourg oriental de Beauvais, produisant dans les « marais » du Thérain les légumes pour la cité et vendant sur le marché parisien artichauts et asperges. Tout autour de la capitale, peu à peu repoussés loin du centre médiéval par les lotissements et les constructions, une couronne de « marais » s'étendait également, de Popincourt au faubourg Montmartre, de Grenelle au faubourg Saint-Marcel3. Dans les clos, engraissés soigneusement, retournés à la bêche, tout un peuple de paysans hautement spécialisés s'affairait. C'est là que, suivant le mot de la Bruyère, « on forçait la terre et les saisons pour fourni à (la) délicatesse ».
7Entre ces petites exploitations et les moyennes, on franchit un pas décisif. La possession d'un train de culture est un élément déterminant dans le mode de production. Elle ouvre à l'exploitant la possibilité de mettre en valeur des superficies bien supérieures, en louant d'autres terres. Elle lui donne l'espoir d'améliorer sa condition. Comme pour la petite exploitation, nous trouvons ici un amalgame, réalisé par l'exploitant, de biens propres, de biens arrentés ou loués à court terme. Mais les surfaces moyennes sont bien supérieures. S'il fallait fixer un ordre de grandeur, c'est autour de la trentaine d'hectares que l'on pourrait se placer : un peu moins en Provence où les mâs dépassent rarement 15 hectares, un peu plus en Gâtine poitevine où la majorité des métairies est comprise entre 30 et 60 hectares, autour de ce chiffre, sur les plateaux des environs de Paris où la ferme de 100 à 150 arpents apparaît comme une forme caractéristique de la propriété citadine4. En Beauvaisis, avec les harico-tiers, en Normandie orientale, un peu partout, on retrouve cette cellule d'exploitation. L'équipement reste encore simple : une charrue, un ou deux chevaux ou une paire de boeufs, une charrette, et c'est à peu près tout. Dans beaucoup de cas, ce matériel nous paraît insuffisant, comme le cheptel vif, malgré les apports des baux à cheptel, si typiques de cette agriculture liée aux capitaux urbains.
8Cependant, la moyenne exploitation tend à posséder tous les éléments nécessaires à sa vie propre. A côté des labours, qui prédominent, on trouve en général quelques parcelles de pré ou des étendues de landes, de pâtis pour le bétail. Un verger, un jardin, quelques pièces de vigne dans les pays qui la cultivent complètent l'ensemble qui peut vivre dans un cadre familial, sauf au moment des récoltes où l'appoint temporaire d'une main-d'œuvre extérieure est obligatoire.
9Ce type d'exploitation moyenne s'est vraisemblablement multiplié au cours du siècle, particulièrement sous l'action des propriétaires. N'exigeant pour sa constitution que des investissements limités, pouvant être mis en valeur, soit par un fermier, soit par un métayer, avec un capital d'exploitation relativement faible, donnant cependant des produits suffisamment variés et abondants pour permettre des profits, il convenait parfaitement aux notables. Autour de la capitale, officiers royaux et marchands, profitant des difficultés de la petite paysannerie, achètent des parcelles, procèdent à des échanges, à un véritable remembrement pour constituer des fermes, les agrandir peu à peu, les amener à la surface convenable. Près de Dourdan, de Chevreuse, d Étampes, le même phénomène s'observe, au profit des notables de ces petites cités. Certains laboureurs enrichis, quittant la condition paysanne, font de même, à leur niveau. Au même moment, dans la Gâtine poitevine, le docteur Merle nous montre l'effort patient et raisonné des seigneurs, quelle que soit leur origine sociale, pour créer, en dehors des cadres féodaux, par des achats, par l'emploi du retrait féodal, des unités nouvelles, les métairies, centrées géographiquement autour des bâtiments d'exploitation, composées de tous les éléments nécessaires à une agriculture de pays pauvre, combinée avec un élevage relativement important.
10Dans la majeure partie du royaume, ce stade de l'exploitation moyenne n'était pas dépassé, pour des causes sociales plus que pour des raisons techniques. Déjà, la mise en valeur de ces unités posait des problèmes. Si l'on trouvait, dans les riches terroirs du Bassin Parisien, depuis longtemps vivifiés par l'économie d'échanges et l'appel des marchés urbains, des exploitants dotés du matériel et des capitaux indispensables, il n'en était pas ainsi dans la plupart des provinces. C'était alors au propriétaire de faire les avances de semences, de matériel, de cheptel, à l'exploitant qui n'apportait guère que sa force et celle des membres de sa famille. A l'Ouest comme au Sud, le système du métayage était lié à cette nécessité5.
11Ces raisons s'appliquent encore mieux au cas de la grande exploitation. La constitution de vastes fermes supposait en effet, au stade de la propriété, des moyens que personne ne possédait dans le monde paysan et que peu de gens détenaient hors du monde rural. Elle supposait, au stade de l'exploitation, une puissante classe de laboureurs, possédant le matériel, le cheptel et l'esprit d'entreprise nécessaires à la mise en valeur de grandes surfaces. Elle excluait, en pratique, le métayage, qui requiert une certaine surveillance de la gestion et des résultats de l'entreprise agricole.
12Aussi ne rencontre-t-on cette forme de la grande exploitation que sur les terroirs privilégiés des grands plateaux limoneux du nord de la France. Dans ces pays très anciennement mis en valeur, depuis longtemps domaines d'élection de la grande propriété, des communautés religieuses, touchés très tôt par le réveil de l'activité urbaine, des formes originales de la mise en culture du sol étaient apparues précocement. Au moins depuis le xviiie siècle, la grande ferme, s'étendant sur une centaine d'hectares, souvent isolée, à l'écart des gros villages groupés, est un élément caractéristique du système agraire de ces régions6.
13Autour d'une cour quadrangulaire, les bâtiments d'exploitation se disposent, formant un bloc massif. Les granges occupent à elles seules une bonne partie de l'ensemble, attestant la vocation essentielle de cette grande exploitation : la production massive de grains. Les larges portes charretières ouvrent vers les champs. Par la dimension des parcelles, par leur regroupement autour des bâtiments, la structure agraire de ce type d'exploitation tranche nettement sur tous les autres. Il n'est pas rare que toutes les terres soient d'un seul tenant, surtout dans le cas des propriétés ecclésiastiques. En bordure de la Beauce, à Corbreuse, les 200 hectares de la ferme du Chapitre de Notre-Dame forment un seul bloc. Ces immenses domaines exigent un matériel bien plus important que celui que l'on peut trouver dans les exploitations moyennes. En 1660, à Corbreuse, le fermier utilisait cinq charrues, une douzaine de herses, une dizaine de chevaux. Trente ans plus tôt, pour une ferme briarde de 125 hectares, il fallait 4 charrues, 3 charrettes, 9 chevaux et 3 ânes. Matériel important, mais qui nous paraît très insuffisant. Cette faiblesse de l'équipement est encore plus nette pour le bétail. Dans cette ferme de Brie, on ne trouve que 13 bovins et 150 ovins7. Dans des fermes couvrant 50 à 70 hectares, on ne trouve, aux portes de la capitale, que 4 à 6 vaches. Sous-équipement qui ne pouvait manquer de retentir sur les résultats de cette grande exploitation...
14Les problèmes qu'elle posait imposaient une sorte de limite supérieure à l'étendue de ces fermes. Si un bon nombre se tient, au xviie siècle, entre 110 et 130 hectares, il est rare que ce chiffre soit dépassé, ceci dans des terroirs où la ferme de 300 hectares est aujourd'hui commune et l'exploitation de 500 hectares fréquente.
15A ces différences sensibles de superficie et d'équipement qui définissaient de grands types, ici schématisés, dans la réalité plus nombreux, correspondaient des modalités variées de la mise en culture du sol. La grande distinction entre petite et grande culture, chère aux agronomes du xviiie siècle, existait déjà au siècle précédent. A la grande exploitation, géographiquement limitée à la France du Nord, et spécialement au Bassin Parisien, était liée une agriculture vouée avant tout à la production massive des grains. Les autres formes de l'exploitation tendaient au contraire vers une polyculture très variée, où la céréaliculture, toujours importante, laissait cependant leur place à bien d'autres productions.
16Lorsqu'on décrit les techniques de l'agriculture de cette époque, lorsqu'on tente d'évaluer le revenu paysan, lorsqu'on cherche à analyser les réalités humaines qui se cachent derrière les documents, il ne faut jamais perdre de vue ces données fondamentales que sont la taille et l'équipement des exploitations que chaque paysan pouvait diriger.
II
17C'est une évidence que de rappeler le but essentiel de la production agricole : assurer la subsistance des populations. Mais il n'est pas inutile de le redire. Se nourrir avant tout. Et donc, avant tout, produire des grains. Des riches plateaux du Bassin Parisien aux terres rocailleuses de la Provence, des landes bretonnes aux vallées montagnardes des Alpes ou des Pyrénées, des terres grises de la Flandre aux monts du Forez ou du Vivarais, les « bleds », c'est-à-dire, avec les gens du siècle, non seulement le froment ou le seigle, mais aussi l'orge, l'avoine, et encore les fèves ou la vesce, les blés, donc, formaient la base de toute agriculture. C'est en fonction des nécessités de la culture des grains, des possibilités qu'elle laissait à d'autres productions que s'organisait, dans chaque province, le système de culture. C'est par elle qu'il faut commencer8.
18Les terres à ensemencer recevaient d'abord un certain nombre de façons de labour. L'étymologie nous rappelle que c'était là le travail par excellence du paysan. Trois instruments étaient utilisés pour ameublir le sol, le retourner, en extirper les mauvaises herbes. Le premier, adapté aux gras limons et aux terres fortes du Nord de la France, était la charrue. Instrument ancien, lentement mis au point au long des siècles du Moyen Age, il comprenait deux éléments. Une partie travaillait : coutre et soc, généralement de fer, fendaient la terre. Oreilles ou versoir la retournaient, creusant des sillons. Cet ensemble était articulé sur un âge de bois. Un système de réglage permettait de pénétrer plus ou moins profondément dans le sol. Un essieu, à l'avant, donnait à l'instrument une souplesse qui faisait oublier son poids. On y attelait chevaux ou bœufs, en plus ou moins grand nombre : deux chevaux suffisaient sur les loess légers des environs de Paris, il en fallait six ou huit sur les lourdes terres de la Brie orientale, de même que les Berrichons devaient mettre trois paires de bœufs sous le joug pour retourner leurs champs. Toute la France du Midi était vouée à l'araire. C'était le vieil instrument de l'Antiquité, à peine perfectionné par l'adjonction d'oreilles qui rejetaient la terre de chaque côté du soc. Outil léger, d'une fabrication facile, il convenait aux terres légères. Dans les terroirs méditerranéens, où la couche arable est très mince, égratignant le sol plus qu'il ne le fendait, il évitait de ramener en surface les cailloux ou les argiles infertiles. Un cheval, un âne ou un mulet, voire un des hommes de la famille suffisaient à le tirer. Mais ce serait se faire une idée fausse que d'imaginer la France rurale partagée entre le domaine de la charrue et celui de l'araire. En dehors de ces deux instruments, bon nombre de paysans, sur des parcelles minuscules formant leur tenure, sur les terrasses du monde méditerranéen, dans les champs accrochés aux versants des vallées, utilisaient la houe et la bêche pour préparer les terres. Trois fois, quatre fois, les champs qui devaient porter les grains nourriciers étaient travaillés. Pour rendre au sol sa fertilité, on fumait, peu et mal. Outre la fumure naturelle apportée par le pacage des troupeaux sur les éteules ou les jachères, on portait quelques tombereaux de fumier d'étable. Mais on n'avait jamais assez de « fiens », même dans les exploitations les mieux pourvues, pour fumer la totalité des parcelles à emblaver. On semait, à la volée, et souvent assez densément par rapport à nos méthodes actuelles : 2 à 3 hl à l'ha au sud de Paris, comme en Languedoc.
19Le paysan guettait la croissance des épis, arrachait les mauvaises herbes, guettait le ciel, implorant tantôt le soleil, et tantôt la pluie, craignant les orages ou les grêles qui risquaient de détruire sa récolte. Le moment venu, les champs étaient envahis par les équipes de moissonneurs, aouteux ou calvaniers du Nord, estivandiers du Midi. Partout on sciait les blés à la faucille. Les avoines étaient fauchées. Derrière le faucheur on ramassait, on engerbait, on liait avec les liens de seigle, longs et souples. Après la perception, sur le champ, des dîmes et des champarts, après l'éventuel partage de la récolte entre propriétaire et métayer, on engrangeait. Les grains étaient battus, très vite chez les petits, qui attendaient la nouvelle récolte pour manger, pour payer le propriétaire, le seigneur et le collecteur, plus tard chez les gros fermiers qui pouvaient laisser les cours du marché s'établir au niveau le plus favorable. Le fléau était utilisé partout, mais tout le Midi connaissait le dépiquage, les bêtes tournant en rond sur les gerbes entassées sur l'aire de terre battue, dans le soleil et la poussière.
20Primordiale, puisqu'elle assurait la nourriture des hommes, la culture des grains était épuisante pour les sols. Très tôt, en Occident, une rotation devenue traditionnelle au xviie siècle, s'était établie. On sait, qu'en gros, deux grands systèmes d'assolement se partageaient le Royaume. Tantôt on faisait se succéder une céréale d'automne — froment, seigle ou, plus souvent, un mélange des deux — et une céréale de printemps — orge, avoine, millet, sarrasin. La terre se reposait la troisième année. C'était là la rotation normale de la France du Nord et de l'Est. Parfois, à une récolte de céréale panifiable succédait une année de repos du sol. Ce système biennal se rencontrait dans tout le Midi, un Midi qui remontait presque jusqu'aux pays de la Loire. Les deux systèmes avaient leurs avantages. En six ans, le premier donnait quatre récoltes contre trois pour le second. Mais ces trois récoltes étaient formées de grains panifiables, de plus grande utilité et d'un meilleur prix, alors que les soles du triennal n'avaient donné dans le même temps que deux moissons de blé pour le pain. Cet attrait du système biennal était tel qu'en plein cœur des pays voués depuis longtemps à l'autre assolement, on voyait quelques îlots, près de Conches en Normandie, ou au nord de Strasbourg, dans la plaine d'Alsace, où moissons et jachères se succédaient9.
21Mais ces deux formes de rotation des cultures de céréales ne concernaient en réalité que des terroirs relativement favorisés. Sur d'immenses étendues, l'agriculture revêtait une forme encore plus extensive. La terre était laissée en jachère, non pas un an sur deux ou sur trois, mais durant une période bien plus longue. Sur les terres froides du Berry, du Maine ou de la Bretagne, après deux récoltes, le sol se reposait deux ou trois ans. Dans cette région armoricaine, certains sols ingrats n'étaient emblavés que tous les sept ou huit ans, voire davantage10. A la limite, on trouvait le système, encore aujourd'hui dominant dans les régions subtropicales, de la culture temporaire sur brûlis. Tous les vingt ans, on brûlait la lande broussailleuse et, sur les cendres de l'écobuage, on faisait deux ou trois récoltes, avant de rendre à la végétation naturelle les terres épuisées. Ainsi, dans bien des régions de la France, l'étendue des terres incultes, landes de Bretagne, brandes du Poitou, hermes du Languedoc, balançait celle des champs régulièrement utilisés par l'homme. Ces réserves de terres ingrates pouvaient être attaquées lorsque la pression démographique et les nécessités de la subsistance se faisaient sentir. Ce fut le cas, un peu partout, dans le premier quart du siècle11. Mais ces gains étaient fragiles et temporaires.
22Les résultats de cette céréaliculture variaient considérablement. Les années, d'abord, bonnes ou mauvaises, établissaient entre les récoltes des différences marquées, certainement plus considérables que de nos jours. Et l'on sait les conséquences terribles d'une mauvaise récolte sur la vie de tout le royaume. De la gêne à la disette, de la disette à la famine, le pas était vite franchi. Il le fut bien des fois au cours du xviie siècle, entraînant son cortège de misères, d'épidémies, de surmortalité12. Mais en dehors du jeu des conditions météorologiques, la variété des sols, des façons culturales, des fumures se répercutaient fortement sur les rendements moyens13. C'était au Nord, sur les riches plateaux limoneux du Bassin Parisien, sur les terres fertiles de Flandre ou d'Alsace, que l'on rencontrait les plus belles moissons. Pour un setier de grains confié au sol, on pouvait en récolter jusqu'à sept ou huit, et parfois dix. Plus souvent, en Beauvaisis, en Brie, sur les plateaux du Hurepoix, on se tenait entre cinq et sept — en gros de 11 à 15 qx à l'ha, là où l'on peut aujourd'hui en récolter 40 ou 50. Mais ces chiffres étaient exceptionnels. Dans les campagnes d'Alençon ou du Neufbourg, pourtant riches, on ne dépassait guère 4 à 5 pour l. Dans la Bourgogne septentrionale, le rendement des bonnes années allait du triple au quintuple de la semence. Dans la plaine du Forez ou en Bretagne on s'estimait heureux lorsqu'on triplait les quantités semées. Et dans la bordure berrichonne, on ne faisait souvent que doubler la semence. Les différences étaient encore plus fortes sur les terroirs contrastés de la France méditerranéenne. Ici l'on obtenait 3 mesures pour une, là, 5 ou 6. Mais les médiocres rendements I emportaient dans l'ensemble des provinces, à l'exception des quelques secteurs favorisés, généralement situés au nord de la Loire. Encore doit-on considérer la composition de ces récoltes insuffisantes.
23Le froment restait rare, même sur les terres les plus riches. Il dominait déjà dans la plaine de France et dans certains terroirs du Vexin, du Multien ou de la plaine d'Alsace. Mais ce n'est qu'à la fin du xviie, voire au xviiie siècle, qu'il s'imposa dans le Valois, le Beauvaisis et la Beauce. Dans certaines régions, il semble même avoir reculé, par rapport au Moyen Age. Sur les terres fertiles, le méteil dominait, mélange de seigle et de froment, en proportion variable. Ailleurs, le seigle l'emportait. On le trouve dans toute la France de l'Ouest, de l'Avranchin à la Gâtine poitevine, au Centre, en Quercy, en Vivarais (à l'exception d'un petit secteur fromental), dans le Forez.
24En dehors de ces éléments universellement cultivés, les autres blés étaient plus régionalisés. Les pays du Sud-Ouest connaissaient depuis longtemps le millet. L'orge, céréale méditerranéenne, apparaissait, en quantité limitée, au Nord. Céréale de printemps, elle servait à l'alimentation des bêtes, mais pouvait entrer, en cas de besoin, dans le pain des hommes. En Flandre ou en Alsace, elle alimentait les brasseries de bière. Quant à l'avoine, elle allait de pair avec l'assolement triennal et l'usage du cheval comme bête de trait. C'est dire qu'on ne la voyait guère dans le Midi.
25Tout au long du siècle, deux nouvelles céréales, introduites au cours du xvie siècle, ne cessèrent de gagner du terrain. Le sarrasin, céréale pauvre, mais peu exigeante, et d'une croissance rapide, convenait aux terres froides, si nombreuses dans l'Ouest ou le Centre. Son succès fut considérable. Dès 1667, le réformateur des forêts, Froidour, parcourant les vallées ariégeoises, pouvait y admirer « les plus beaux millets et les plus beaux blés sarrasin que l'on puisse voir14 ». Ainsi, pour toute une partie de la France, bouillies et galettes de blé noir venaient remplacer le pain trop rare. Quant au maïs, son rôle devait être encore plus important. Pouvant être utilisé aussi bien en vert comme fourrage qu'en grain pour la nourriture des hommes et des bêtes, convenant aux régions d'été chaud et humide, défavorables au froment, plus nourrissant et plus productif que les céréales secondaires, il s'inséra, dans un certain nombre de provinces, dans l'assolement. Le blé turc gagna ainsi les vallées aquitaines, le Haut Languedoc vers 1640, le sillon rhodanien. Mais il n'apparaîtra qu'au xviiie siècle sur les hauteurs du Vivarais ou dans la plaine d'Alsace15.
III
26C'est en fonction des besoins de la céréaliculture, en fonction de la part du sol qui lui était consacrée en priorité, en fonction des possibilités qu'elle laissait, que s'organisait l'élevage, en dehors de quelques cas exceptionnels. Deux rôles essentiels lui étaient dévolus : fournir les animaux de trait employés aux labours et aux charrois, boeufs, vaches ou chevaux, assurer aux emblavures les fumures nécessaires. Constatation générale : le cheptel était rare, médiocre, très insuffisant en tous cas pour les besoins réels de l'agriculture. Nous en avons donné plus haut quelques exemples16. L'entretien du bétail posait en effet des problèmes difficiles que l'ancienne agriculture ne sut jamais résoudre. Les prairies naturelles et les pacages étaient rares dans une grande partie du royaume et leur superficie était encore réduite par l'obligation où l'on se trouvait de consacrer aux grains toutes les terres susceptibles d'en produire. Par un paradoxe facile à saisir, les régions les moins favorables aux blés, montagnes, landes et friches de l'Ouest, fonds humides des grandes vallées fluviales, étaient les seules à entretenir des troupeaux relativement importants. Dans des métairies de la Gâtine poitevine, unités d'une cinquantaine d'hectares, on trouvait couramment quatre paires de bœufs, trois ou quatre génisses et bouvillons, autant de vaches laitières, une cinquantaine d'ovins. On était loin de ces chiffres dans le Beauvaisis et, sur le plateau du pays de Caux, aujourd'hui partagé entre cultures et prairies, il était rare de trouver plus de six ou sept bovins dans une exploitation moyenne17.
27Pour tous les pays de blé, le mouton était l'animal par excellence. Les troupeaux se nourrissaient normalement sur les jachères, les fumant pendant le repos du sol. Chaque exploitation entretenait ainsi des troupeaux nombreux, que le berger promenait sur les parcelles du domaine. Au sud de la capitale, on chargeait les terres à raison de trois têtes d'ovins par hectare. Bétail des grands plateaux limoneux du Nord, le mouton était aussi l'animal des régions méditerranéennes : garrigues et plateaux rocailleux étaient son domaine. L'été voyait les troupeaux transhumer vers les hauteurs à la recherche des pacages.
28Hors de l'énergie animale et des fumures, les autres produits de l'élevage n'étaient pas négligeables, mais ils différaient substantiellement de ceux qu'on en attend aujourd'hui. Ce n'était pas pour la viande que l'on élevait les bêtes. Seules, quelques régions favorisées par la nature, et plus encore par la proximité d'un grand centre de consommation pouvaient « engraisser » des animaux de boucherie. Du pays d'Auge, de la Beauce, du Poitou même, des troupeaux de bovins ou d'ovins sur pied partaient alimenter les marchés de Poissy et de Sceaux, où la boucherie parisienne s'approvisionnait. Mais ce n'est qu'au siècle suivant que l'on commença de coucher en herbe les terroirs normands. De même, les produits laitiers ne tenaient qu'une faible place dans les préoccupations des éleveurs. Dans tout le Midi, les vaches servaient aux labours plutôt qu'à la production laitière. Pays d'huile d'olive, comme la Provence ou le Languedoc, pays de noyers comme le Quercy, pays d'élevage du porc, comme le Vivarais, on savait s'y passer de laitages. Brebis et chèvres fournissaient le nécessaire. Par contre, dans tout le Nord, lait, beurre et fromages étaient de consommation, et donc de production, assez courante. Dans les contrats de fermage ou de métayage, il est habituel de voir le propriétaire inscrire, parmi les suffrages qui complètent le gros du loyer, quelques pots de beurre et des fromages. Une histoire de ceux-ci montrerait, dès le xviie siècle, quelques-uns des éléments familiers de nos tables. Mais il ne faut pas oublier qu'aux yeux des contemporains de Louis XIV, cuirs et laines étaient, de loin, les produits les plus importants de l'élevage, alimentant un trafic fructueux et une industrie rurale considérable.
29Toute une géographie de l'élevage se dessinait, en fonction du système de culture, des besoins et des possibilités de l'exploitation. Aux fermes, les chevaux ou les attelages de bœufs, aux petites gens les ânes et les mulets, aux propriétaires des prairies les bovins, aux grands domaines les troupeaux de moutons. Quant au porc, animal universel, il était finalement moins nombreux qu'on ne pourrait le penser, sauf lorsqu'une forêt de chênes permettait de le mener à la glandée. Ainsi dans le Vivarais, ainsi près des forêts du Bassin Parisien. Des marchands de Dourdan concluent des contrats avec les habitants de villages proches d'Arpajon, à une dizaine de kilomètres, s'engageant à mener paître leurs porcs, de la mi-octobre à la fin novembre dans la forêt de l'Ouye18.
30Les déplacements des troupeaux à la recherche de leur nourriture avaient des conséquences importantes sur toute la vie agraire. En leur faveur, des servitudes limitaient, dans une bonne partie du royaume, à certaines époques et sur certains terrains, les droits de propriété individuelle au profit de la collectivité. Les prés, après la première fauche, ou tout au moins entre la récolte du regain et la mi-mars, étaient ouverts à la dépaissance. De même, les éteules, après la moisson, et les jachères, de la récolte aux labours de l'année suivante, appartenaient à la communauté villageoise. Ce droit de parcours était parfois consenti aux paroisses voisines. L'interdiction de clore, ou tout au moins la quasi impossibilité de le faire, était la conséquence de ces coutumes. Ailleurs, au contraire, la tradition limitait étroitement ces droits collectifs : haies vives des bocages de l'Ouest, murettes de pierres sèches entourant les champs exigus de Provence, signifiaient et réalisaient cette appropriation plus complète des fruits de la terre. Les deux systèmes avaient leur histoire, leur utilité19.
31Champs clos ou champs ouverts déterminaient des paysages agraires très différents, qui se sont perpétués jusqu'à une époque très proche. Paysage des vastes horizons nus des « campagnes » du Bassin Parisien ou des plateaux lorrains, où les maisons se groupent autour de l'église villageoise, où l'arbre est rare. Paysage du Maine ou de la Puisaye, de la Bretagne ou du Berry méridional, aux chemins creux, bordés de talus et de haies, où les borderies et les métairies se nichaient dans la verdure. Paysages méditerranéens, où les champs conquis par le travail humain sur une terre ingrate laissaient entre eux de vastes étendues de broussailles, d'herbes dures, d'éboulis rocailleux ! Variés, ces paysages recouvraient des systèmes de cultures très différents. La prédominance de la céréaliculture, alliée naturellement à I élevage ovin, caractérisait les régions d'openfield. Quelles autres cultures entreprendre sur ces terres non closes, lorsque la vaine pâture, l'obligation des soles, les règles coutumières pesaient si lourd sur les hommes ? Dans ces pays, les cultures secondaires devaient se réfugier sur des espaces privilégiés, séparés du reste du terroir : les chènevières, soigneusement ameublies à la bêche, plus abondamment et plus régulièrement fumées, portaient les chanvres et les lins que les femmes filaient dans toutes les maisons paysannes. Mais c'étaient surtout les jardins qui jouaient, selon le mot de M. Meuvret, le rôle de « lieu des expériences20 ». Dans ces clos, fermés de haies vives ou de murs, souvent minuscules, parfois de dimensions plus qu'honorables, l'exploitant pouvait faire venir les plantes textiles, les « herbes » — entendez les légumes —, quelques arbres fruitiers. C'est dans ces clos qu'on voit apparaître depuis le xvie siècle un carré de luzerne, de trèfle ou de sainfoin. Les propriétaires citadins ordonnaient à leur jardinier d'y joindre quelques espèces plus rares. Ainsi, en 1643, pour le clos de sa maison de Thiais, un Conseiller du Roi prévoit-il un carré planté d'oseille commune, d'oseille rouge, de pourpier, de chicorée, de cerfeuil et de persil, à quoi l'on mêle un peu de pimprenelle. Dans un autre carré, on trouvera les choux pommés et les choux-fleurs, les poireaux et la ciboulette, dans un autre encore, des citrouilles, concombres et melons, enfin des asperges et des artichauts. Dans son verger, le jardinier devait entretenir des pieds de groseilliers, de fraises, des cerisiers et un jasmin21. Toutes ces cultures secondaires étaient avant tout le fait des moyens et des petits exploitants dans ces pays du Nord de la France. Les grandes fermes, encore une fois, restaient vouées avant tout aux grains. Or, elles représentaient souvent un élément important des superficies cultivées.
32Au contraire, dans les pays où l'individualisme agraire s'est développé plus vite et plus tôt, si la céréaliculture conservait son rôle dominant, elle n'excluait pas d'autres productions, dans les champs ou hors des champs. Dans la recherche des ressources secondaires, ces pays plus pauvres avaient déployé une ingéniosité séculaire. Pour une grande partie du Centre de la France, le châtaignier tenait la place d'un arbre à pain. Dans le Vivarais du xviie siècle, il pouvait couvrir jusqu'au quart du sol de la région, en forêt, ou bien en arbres de plein vent dans les champs22. Servant aussi bien à la nourriture des hommes qu'à l'élevage des porcs, il était une des bases de l'économie de subsistance. Plus au sud, on entrait dans le domaine de l'olivier. Conformément aux coutumes du monde méditerranéen, les arbres occupaient champs et terrasses. C'est à leur ombre que l'on faisait pousser les blés durs et les orges qui formaient la base de la céréaliculture méridionale. Arbres fragiles, sensibles aux gelées hivernales, d'un rendement médiocre, ils n'en étaient pas moins un élément essentiel du système agricole et de la vie quotidienne de la Provence et du Languedoc. Depuis la fin du xvie siècle, dans toute la vallée du Rhône, le mûrier gagnait du terrain23. On connaît l'histoire de l'industrie lyonnaise de la soie, depuis ses débuts. Le développement de la culture du ver à soie lui est évidemment liée. Suivant, sans avoir lu son œuvre, les conseils que donnait Olivier de Serres à son ménager au début du siècle, les paysans du Vivarais et des Cévennes firent place, dans leur système agraire, à cette activité rémunératrice. On planta des mûriers autour des champs et dans les champs, pour pouvoir nourrir, au mois de mai, les vers. Les femmes faisaient éclore les « graines » en les portant sur elles dans un étui, puis, à la magnanerie, on élevait les vers jusqu'à ce qu'ils forment les précieux cocons. C'étaient alors la récolte ; le dévidage ; le filage. Dans les pays de l'Ouest, riches en espaces incultes, la place de ces cultures secondaires, qui formaient autant de ressources complémentaires pour la petite paysannerie, était tenue, en grande partie, par l'élevage.
33Ainsi, dans toute la France, sans cesse adaptée aux possibilités du sol, au niveau technique de l'exploitation, aux débouchés éventuels, la production agricole s'organisait, diverse comme l'étaient les provinces du royaume.
IV
34Il manque évidemment à ce tableau un élément essentiel, dont vous vous étonnez sans doute de n'avoir pas encore entendu parler, je veux dire la vigne. Fort anciennement cultivée, elle jouait un rôle fondamental dans la vie de toute une partie de la paysannerie française, à laquelle elle permettait d'acheter du pain24. On la trouvait alors dans bien des régions qui l'abandonnèrent ensuite du xviiie au xixe siècle. Au Nord, les derniers ceps des coteaux d'Artois prolongeaient les vignobles de Champagne et du Laonnois. Les alentours de Beauvais produisaient de petits vins gris consommés localement ou vendus, jusqu'au milieu du siècle, sur le marché d'Amiens. La région parisienne était l'un des principaux vignobles français par l'étendue et par les quantités produites. Tout au long des vallées convergeant vers la capitale, sur les coteaux formant les rebords des étagements de plateaux, les ceps s'alignaient. A Thiais, à Bagneux, à Antony, plus du quart du sol cultivé était planté en vignes. Celles-ci s'accrochaient aux adrets des vallées alpestres, envahissaient le Val de Loire. Quant au Midi, la vigne y était chez elle. Mêlée aux oliviers, coupant les champs de ses alignements, s'accrochant aux arbres, elle était un élément essentiel du paysage, aussi familier que les toits de tuiles rondes ou les murettes de pierres sèches.
35La culture de la vigne, selon Charles Estienne et Etienne Liebault, est de bon profit, mais aussi « de frais, de peine et de grand soin pour la délicatesse de son bois25 ». Tailler, houer, provigner ou marcotter, lier la vigne sont des opérations délicates : aussi le vigneron, dans le monde paysan, apparaît-il comme un élément original, une sorte d'ouvrier spécialisé, dirions-nous aujourd'hui. Le matériel de la viticulture — serpette, houe, besoche — était simple et de faible valeur. Ici, c'est l'habileté manuelle qui était le capital de l'exploitant. Par contre, le matériel de vinification, cuves et tonneaux, représentait une valeur non négligeable. Pour les pressoirs, d'un prix élevé, on sait qu'ils appartenaient généralement aux seigneurs.
36Grâce au grand livre de Roger Dion, l'histoire de la vigne et du vin en France à l'époque moderne nous est bien connue. Le xviie siècle est marqué par une évolution complexe, séparant progressivement vignoble de qualité et vignoble de quantité, spécialisant les régions favorisées par le climat, les sols ou la proximité d'un marché important, déterminant au contraire le recul de la vigne dans les secteurs disgraciés26. Dans tout l'Ouest de la France, les vestiges des vignobles médiévaux achèvent de disparaître : en Normandie, en Picardie, au Sud-Ouest de Paris, les ceps, d'ailleurs fragiles et peu nombreux, s'effacent devant les pommiers, et le cidre remplace le vin ou la piquette sur les tables villageoises. En revanche, les grands vignobles de cru continuent de s'organiser et de s'agrandir. Le bordeaux garde sa renommée et sa primauté et le claret n'est pas encore chassé des tables anglaises par le porto ou le xérès. Aux vins de Beaune, exportés dès le Moyen Age, viennent s'ajouter les grands crus bourguignons. Les parlementaires et les riches marchands dijonnais achètent des vignes, en font planter de nouvelles tout au long de la Côte. Une classification plus équitable des climats s'établit sous leur impulsion et leur contrôle à partir du milieu du siècle. C'est l'époque où les communautés religieuses endettées cèdent à ces notables les clos de Chambertin, de Fixin, de Vosne. Le goût de Louis XIV pour le bourgogne et l'esprit courtisan firent le reste. C'est également au xviie siècle que les petits vins blancs de la côte champenoise, jusque-là confondus avec les vins de France, commencèrent leur carrière. Là aussi, une puissante famille de la Robe, les Brulart de Sillery, sachant allier leurs intérêts et la gastronomie, firent la publicité du nouveau cru. Vers 1668, vignes et caves de l'abbaye d'Hautvilliers furent confiées à Dom Pérignon. On lui attribue l'invention et la mise au point du procédé de vinification qui devait ouvrir au Champagne sa vogue internationale.
37L'extension et la réputation de ces vignobles prestigieux, tournés vers la production de vins de luxe, destinés à l'exportation ou à une clientèle fortunée, ne doivent pas faire oublier l'évolution, plus importante peut-être, des vignobles de quantité. C'est que depuis le xvie siècle, le vin est devenu un produit de grande consommation, spécialement dans le peuple des villes. Pour répondre à une demande rapidement croissante, les vignerons étendirent les surfaces, choisirent les cépages les plus productifs, sacrifiant la qualité à la quantité. Aux alentours des villes, et surtout de la capitale, on assista à un avilissement général du vignoble. Dès 1600, Olivier de Serres craignait le « déshonneur » du vignoble parisien. C'était chose faite après 1650, et le mal, comme l'a montré M. Dion, devait s'étendre peu à peu à toute la zone, très étendue, où se ravitaillait la capitale. Ailleurs, la possibilité d'exporter ces petits vins légers et fragiles entraîna les mêmes conséquences. Sur la gerrigue languedocienne, colonisant les plateaux calcaires jusque là abandonnés aux moutons et aux chèvres, la vigne gagne du terrain, laissant la plaine aux moissons. Les barques gênoises venaient s'approvisionner dans les ports du golfe du Lion. Sur la côte atlantique, les Hollandais aidèrent à l'extension et à la transformation du vignoble en achetant, non seulement les vins blancs, qu'ils sucraient pour la revente dans l'Europe du Nord, mais surtout les eaux-de-vie des pays de la Charente ou de l'Adour.
V
38Le long tableau que nous venons de faire de la production agricole, des techniques, des résultats, de la variété régionale d'une France encore mal unifiée, est valable pour tout le xviie siècle. Mais ce serait une erreur que de l'imaginer figée dans ces structures encore médiévales. Elle subissait, comme toute activité économique, le contrecoup de la conjoncture générale du siècle. Le volume global des produits du sol devait varier en fonction de la main-d'œuvre disponible, des besoins de la population, des profits que propriétaires ou exploitants pouvaient espérer, en fonction aussi des circonstances politiques. Une courbe se dessine à partir des travaux déjà publiés. Contentons-nous de la décrire sans entrer dans le détail des problèmes difficiles que pose encore son interprétation.
39On partait de très bas au début du siècle. Pour l'ensemble du pays, les guerres de Religion avaient été une lourde épreuve. Les dernières années surtout, avec leur cortège d'opérations militaires, de pillages, d'exactions, d'exode des villageois, d'épidémies meurtrières, avaient désorganisé la production, particulièrement dans les régions les plus riches du royaume, Normandie et Ile-de-France. Maisons brûlées, bâtiments non entretenus pendant un quart de siècle, vignes abandonnées, champs restés en friche depuis plusieurs années, tel était le tableau27. Le retour de la paix, de sages mesures législatives et surtout l'alliance du labeur paysan et des capitaux citadins rétablirent assez vite la situation. De 1600 jusque vers 1630 ou 1640, du Nord au Sud du royaume, la production agricole s'accrut, en même temps que la population et que la demande. Impossible évidemment de chiffrer cette croissance, mais les témoignages en sont abondants28. La hausse des prix, en valeur réelle, la montée de la rente foncière l'attestent. Bien plus encore les tentatives faites pour accroître la production. C'est l'époque où la vigne gagne du terrain sur les garrigues du Languedoc, celle où les ingénieurs hollandais mandés par Henri IV viennent conseiller les Français pour l'assèchement des marais côtiers, celle où les propriétaires poitevins font défricher les brandes pour y créer des métairies nouvelles, celle où les moines de Saint-Germain des Prés accensent, près d'Arpajon, cent arpents de coteaux en friche, pour les mettres en culture, celle où les paysans rognent les lisières des forêts pour gagner quelques sillons29. Conquêtes de terres nouvelles, mais aussi effort pour accroître les résultats mêmes de l'exploitation du sol.
40Les paysans comme les propriétaires citadins étaient sensibles aux difficultés permanentes d'une production limitée par les exigences mêmes de la nature. Très tôt, les éléments les plus dynamiques de la société rurale tentèrent des expériences plus ou moins heureuses, plus ou moins significatives pour améliorer les systèmes traditionnels de culture. Sous la pression de la demande il semble que ces expériences se soient multipliées et étendues, au moins dans la partie la plus riche et la plus évoluée du royaume.
41L'idée la plus naturelle était d'utiliser une partie au moins des terres laissées en jachère pour y pratiquer des « cultures dérobées ». On essaya les grains. Dès la fin du xvie siècle, sur les riches limons du Nord de la France, on semait des « blés de froissis », ainsi nommés parce qu'on froissait l'ordre naturel des soles. Les résultats ne pouvaient être que médiocres et les propriétaires interdisaient à leurs fermiers ou à leurs métayers cette pratique qui épuisait les sols. Pourtant, la poussée des besoins et la montée des prix entraînaient les exploitants à forcer la coutume et la nature. Aux environs de la capitale, les laboureurs préféraient semer sur la jachère des fèves, des pois ou des haricots, assurés d'un débouché facile sur le marché parisien. A en croire les documents, la pratique de ces cultures dérobées de légumineuses se multiplia dans la décennie 1630-1640. Certains propriétaires les autorisèrent expressément. Sans doute s'était-on aperçu qu'elles n'épuisaient pas le sol, à la différence des céréales. Mais il ne faut pas s'exagérer la portée de ces expériences qui ne pouvaient déboucher sur une transformation profonde des modes de production30. La jachère restait en effet absolument nécessaire pour la nourriture des troupeaux chargés d'assurer les fumures des labours. Le vrai problème à résoudre était celui des fourrages.
42Depuis longtemps, on connaissait les qualités du foin de Bourgogne, c'est-à-dire du sainfoin. Dès 1564, Estienne et Liebault écrivaient : « Il n'y a ni légume, ni sorte aucune de pasture qui soit plus convenable ni plus précieuse pour nourrir le bestail... le proffit de cette herbe est si grand que le soigneux laboureur doit toujours réserver la meilleure pièce de ses terres pour en semer31 ». Aussi, dans les ouches, dans les clos, on trouvait souvent un carré de trèfle ou de luzerne, fournissant un fourrage d'hiver apprécié. Mais vers 1630, dans les terroirs privilégiés, on peut voir en quelque sorte le sainfoin sortir des jardins et des parcs pour gagner les champs. Autour de Paris, en Normandie, en Amiénois, en Brie, quelques parcelles de labour, dans les exploitations importantes, sont régulièrement transformées en prairie artificielle permanente. Mais on voit, ici aussi, qu'il ne s'agissait que d'une expérience limitée. Les fourrages cultivés n'entrent pas dans l'assolement régulier. Le véritable but est de permettre, dans ces régions privilégiées par la proximité relative du marché parisien, un élevage spéculatif. Rien de commun, par conséquent, avec la transformation profonde de l'assolement en quoi consiste la véritable « révolution agricole ».
43Ce mouvement général de la production, cette croissance, ces expériences, tout paraît culminer vers le milieu du siècle, plus tôt au Nord, où Pierre Goubert en voit l'essoufflement dès 1630, plus tard au Sud, où René Baehrel le poursuivrait volontiers jusque vers 1680-1690, tandis qu'Emmanuel Le Roy Ladurie, plus sagement, semble-t-il, le fait s'arrêter vers I67032. La période des difficultés s'ouvre alors, marquée par les ravages de la Fronde, par les disettes de l'avènement qui touchent durement le Nord en épargnant le Midi, par la succession des mauvaises récoltes de la fin du siècle. Jusqu'au delà de 1715, la situation de l'agriculture française allait s'empirer. De ces malheurs, attestés par la baisse durable des prix agricoles, de la terre et des loyers, confirmés par la ruine de nombreux fermiers incapables d'achever leur bail, par l'instabilité des métayers de l'Ouest, par l'endettement de l'ensemble de la paysannerie, on connaît les témoignages. Qu'on lise La Bruyère ou Vauban, Fénelon ou Boisguillebert, qu'on dépouille la correspondance des intendants ou les humbles documents des minutiers des notaires villageois, les mêmes faits, les mêmes plaintes reviennent. Cette misère rurale semble avoir entraîné une baisse sensible de la production globale. De ce manque de grains Colbert s'inquiétait, qui lutta contre l'extension des vignes. Encore ne vit-il que le début de cette longue crise. Ici encore, il faudrait pouvoir nuancer. Certaines productions, certaines régions résistèrent mieux que d'autres. Le rôle dynamique des marchés urbains, si souvent évoqué dans cet exposé, continue de jouer, malgré la généralisation de la crise économique. Autour de Paris, l'extension des prairies artificielles semi-permanentes ne se ralentit pas. Au lendemain de la Fronde, l'abbesse de La Saussaye, à Villejuif, permet au nouveau fermier de mettre en sainfoin 50 des 270 arpents de l'exploitation. Même constatation en Brie. Et, en 1699, l'intendant d'Alençon, dans un mémoire, vante l'abondance de ces cultures qui laissent à la terre un « sel » les fertilisant et leur permettant de porter plusieurs années de suite de belles moissons33.
44Mais ce ne sont là que des éléments limités dans un tableau très sombre. Bourgogne de 1700, appauvrie par la fiscalité, l'endettement des communautés, les mauvaises récoltes, Beauvaisis où les petits succombent, tandis que les gros ne subsistent que difficilement, Provence où les défrichements excessifs du milieu du siècle amènent le ravinement et la destruction des sols, Poitou, où le système de la métairie ne peut durer que par les avances des propriétaires et l'endettement des exploitants, un peu partout, les études régionales nous montrent le profond affaissement de l'activité et de la production rurales. Ce n'est qu'après 1720 qu'une époque nouvelle allait s'ouvrir, mais ceci est une autre histoire.
VI
45Malgré les insuffisances techniques que nous avons soulignées, malgré les structures de l'exploitation, généralement trop exiguë pour être viable, malgré l'évolution défavorable de la conjoncture séculaire, la France, aux yeux des contemporains, français ou étrangers, fait figure de pays riche. On vante un peu partout la fertilité de son sol, l'abondance et la variété de sa production. « La vraye richesse d'un Royaume, écrit Vauban au début de la Dixme Royale, consiste dans l'abondance des denrées... Or, on peut dire que la France possède cette abondance au suprême degré... ».
46De fait, malgré les ombres du tableau, comparée aux autres régions de l'Europe occidentale, la France ne fait pas mauvaise figure. Seuls les Pays-Bas et les Provinces-Unies offrent des champs mieux cultivés. Dans ces pays, depuis le Moyen Age, le labeur humain, forçant une nature peu favorable, a réalisé un système de culture intensive où le sol ignore le repos de la jachère et porte même parfois deux récoltes, où l'élevage, loin d'être un mal nécessaire, est devenu partie intégrante de l'agriculture. Mais ces pays plus avancés techniquement sont des pays sans vignes, sans oliviers, sans arbres fruitiers.
47Le système britannique, installé peu à peu par les grands propriétaires, est encore loin d'avoir atteint le point de perfection qui en fera un modèle pour les agronomes du xviiie siècle. Sacrifiant la petite exploitation à la grande, aboutissant à l'éviction des tenanciers libres, faisant une place trop large à l'élevage extensif et envahissant des ovins, il ne saurait prétendre, humainement et économiquement, à l'équilibre relatif, instable mais réel, réalisé en France.
48Pour les pays méditerranéens, le xviie siècle est un siècle médiocre. En Italie du Sud comme en Espagne, la création de vastes domaines voués uniquement à l'élevage extensif arrête les progrès de la mise en valeur. Les huertas irriguées sont en décadence, faute de soins. En Italie centrale, la « mezzadria » domine, ligotant l'exploitant dans un réseau serré d'obligations que la restauration du système seigneurial accroît encore. La pittoresque polyculture de la Toscane ou de la Romagne, admirée par les voyageurs, ne doit pas faire illusion.
49Si l'on songe encore à la pauvreté naturelle des cantons suisses, aux désastres de la guerre de Trente Ans en Europe Centrale et à leurs conséquences durables, on doit bien se persuader de la situation relativement favorable du royaume de France.
50Est-ce à dire que, se suffisant à elle-même, la France pouvait se passer des autres pays et disposer même, en année commune, d'un contingent exportable ? Vauban affirme que « de son superflu, elle peut grassement assister ses voisins, qui sont obligez de venir chercher leurs besoins chez elle, en échange de leur or et de leur argent » et il donne une liste de ces produits : « les vins, les eaux-de-vie, les sels, les bleds et les toiles ». Et il écrit ceci en 1707, au cœur de la crise. L'excellent observateur semble s'être ici laissé emporter par son désir de trop prouver.
51Il faudrait d'abord nuancer régionalement. La France du xviie siècle n'a pas réalisé son unité économique. Chaque province, chaque petit pays, voire chaque communauté rurale tendait à une certaine autarcie. Production et consommation s'équilibraient très différemment d'un lieu à l'autre. Deux facteurs jouaient en sens opposé. D'une part, entre les bons pays et les régions déficitaires, des courants traditionnels d'échanges, vivifiés par les occasions de profit, tendaient à s'établir. Le Haut Vivarais pouvait vendre ses seigles à la vallée rhodanienne, plus densément peuplée. Les plateaux briards et beaucerons, comme le Vexin ou la France, fournissaient l'énorme marché parisien. La grasse Normandie disposait de grains et de bétail. Mais ces échanges naturels étaient sans cesse entravés, non seulement par les règlements et les douanes intérieurs, mais aussi par la difficulté des transports et plus encore par les hésitations et les craintes des populations. La peur de la disette était telle qu'elle jouait un rôle de frein, malgré l'appât du profit, en période de difficultés.
52Elément important du commerce intérieur, les ventes de produits agricoles tenaient également une place de premier plan dans les échanges extérieurs. De Richelieu écrivant dans le « Testament politique » : « La France est si fertile en blés et si abondante en vin et) si remplie de lin et de chanvre... que l'Espagne, l'Angleterre et tous nos voisins ont besoin d'y avoir recours » jusqu'à Vauban, les mêmes formules, les mêmes produits et les mêmes pays sont maintes fois cités.
53Sans anticiper sur une autre conférence de ce cycle, il n'est pas inutile, à la fin de cet exposé, d'évoquer ces débouchés extérieurs de la production agricole. Malgré les répugnances et la stricte réglementation, les grains faisaient l'objet d'un trafic plus ou moins licite. Ordinairement prohibée, la « traite » des blés n'était autorisée que lorsque les espoirs de la récolte étaient assurés. De 1675 à 1683, le Conseil du Roi rendit plus de trente arrêts sur ce problème. Mais les circonstances locales faisaient qu'un trafic plus ou moins licite s'établissait. Ainsi les ports bretons, en constante liaison avec la péninsule ibérique, voyaient partir des blés noirs. Le Languedoc souhaitait pouvoir exporter des blés vers le Levant.
54En revanche, certains produits du sol étaient régulièrement expédiés à l'étranger, avec la pleine approbation des autorités. C'est qu'il ne s'agissait pas à proprement parler de subsistances et que la logique du mercantilisme ne voyait que des avantages dans ces ventes qui faisaient rentrer les espèces d'or et d'argent. Vins et eaux-de-vie méritent sans doute de figurer en tête de cette liste. On a vu plus haut le rôle joué par les acheteurs hollandais dans l'extension des vignobles atlantiques et l'évolution de leur production. Plantes textiles et plantes tinctoriales venaient ensuite. Les lins et les chanvres de l'Ouest, du Maine, de Bretagne, étaient vendus hors du royaume. Le safran du Quercy, le pastel des pays de la Garonne partaient un peu partout. Le Midi vendait ses surplus d'huile. Introduit au xvie siècle, le tabac, devenu monopole d'État avec Colbert, était envoyé en Hollande.
55Mais il convient de ne pas se faire d'illusion en face de cette accumulation de petits faits. L'essentiel de la production agricole était consommé dans le royaume même, ou transformé sur place. Activité essentielle de plus des trois quarts de la population de la France, l'agriculture, si elle contribuait, plus que toute autre activité, à la formation du revenu national, ne pouvait jouer qu'un rôle minime dans les possibilités d'épargne et d'investissement. La productivité en était trop médiocre, et surtout trop limitée dans ses espoirs de croissance, pour permettre un véritable progrès économique. C'est vers d'autres formes de l'action économique, vers la production des manufactures, vers le commerce colonial qu'il faut se tourner pour saisir les mécanismes de l'accumulation des capitaux, source des transformations profondes des structures mêmes de l'économie et de la société au siècle suivant.
Notes de bas de page
1 Dans le cadre de cette simple mise au point, il est exclu de dresser un inventaire des sources et une bibliographie du sujet. Nous nous bornerons à quelques généralités. Les fonds d'archives recèlent encore bien des éléments d'information inexploités. Le chercheur s'intéressera avant tout au minutes notariales (série E des Arch. Dép., ZZ1 des Arch. Nat., Minutier Central Parisien). Outre les baux, qui renferment souvent des clauses de culture, on y trouvera des contrats de travaux agricoles, des expertises de récoltes. Surtout, le dépouillement systématique des inventaires après décès fournira des indications sur le matériel d'exploitation, le cheptel vif. les étendues ensemencées et les espèces cultivées, les rendements obtenus. Des renseignements du même ordre peuvent être extraits des fonds judiciaires (séries B des Arch. Dép., ZZ2 des Arch. Nat.). Les archives ecclésiastiques (série S des Arch. Nat., H des Arch Dép.), celles des seigneurs laïques (séries R et T des Arch. Nat.. E des Arch. Dép.), celles des domaines de la Couronne (série O des Arch. Nat.) peuvent permettre des monographies de domaine et fournissent des séries plus ou moins continues de baux.
Sur l'ensemble du problème, on peut encore relire H. Sée, Histoire économique de la France, t. i. ive partie, malheureusement moins précis pour le xviie siècle que pour le xviiie. Les belles pages de M. Bloch, Les caractères originaux de l'Histoire rurale française, 2e édit., 1952. avec supplément établi par R. Dauvergne, éclairent l'évolution économique et sociale. Sur l'orientation actuelle des recherches, voir J. Meuvret, L'agriculture en Europe aux xviie et xviiie siècles , Xe Congrès des Sciences Historiques, Rome, 1950, Relazioni, t. iv, pp. 139-168, et la mise au point de E. Leroy-Ladurie, Voies nouvelles pour l'histoire rurale (xviie-xviiie siècles), dans Etudes Rurales, n 13-14, avril-sept. 1964, pp. 79-95, avec bibliographie.
Depuis la thèse de G. Roupnel, La utile et la campagne au xviie siècle, étude sur les populations du pays dijonnais, Paris. 1922, rééd. 1955, les monographies régionales se sont multipliées, plus ou moins axées sur le xviie siècle. Citons : R. Baehrel, Une croissance, la Basse-Provence rurale (fin du xvie siècle-1789), Paris, 1961 : M. Fontenay, Paysans et marchands ruraux de la vallée de l'Essonne dans la seconde moitié du xviie siècle, dans Paris et Ile de France, t. ix, 1957-1958, pp. 157-282 ; P. Goubert : Beauvais et le Beauvaisis de 1630 . 1730, Paris, 1960 ; R. Latouche, La vie en Bas-Quercy du xvie au xviiie siècle.
Toulouse, 1923 ; A. Lugnier, Cinq siècles de vie paysanne A Roche-en-Forez (Loire), Saint-Etienne. 1962 : A. Plaisse, La baronnie du Neubourg, Paris, 1961 ; L. Merle, La métairie et l'évolution de la Gâtine poitevine, Paris, 1958 ; P de Saint-Jacob, Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime. Paris, 1960 ; H. Sée, Les classes rurales en Bretagne du xvie siècle à la Révolution, Paris, 1906 ; E. Sol, La vie économique en Quercy aux xvie et xviie siècles, Paris. 1950 ; M. Venard, Bourgeois et paysans au xviie siècle, Paris, 1957. Ajoutons à ces études un certain nombre d'articles, dont quelques-uns seront cités ici.
On trouvera, plus ou moins abondantes, et plus ou moins précises, des Indications utilisables dans de nombreuses thèses de géographie régionale, de celle de R. Blanchard, La Flandre, Paris, 1906, à celle de P. Bozon, La vie rurale en Vivarais, étude géographique, Clermont-Ferrand, 1961. Il convient de signaler particulièrement, pour la part faite à l'explication historique, l'ouvrage de P. Brunet, Structure agraire et économie rurale des plateaux tertaires entre la Seine et l'Oise, Caen, 1960.
2 H. Sée, op. cit.. p. 176.
3 P. Goubert, op. cit., p. 169 ; M. Phlipponeau, La vie rurale de la banlieue parisienne, Paris. 1956. 1re partie.
4 R. Baehrel, op. cit. ; L. Merle, op. cit., pp. 100-108 : M. Venard, op. cit.. chap. v ; J. Jacquart, La vie paysanne au sud de la capitale sous le règne d'Henri IV, dans Bull. Soc. Hist, de Paris et de l'Ile de France, 1960-1961, pp. 97-107. cf. p. 101.
5 L'étude de L. Merle illustre cette histoire économique et sociale de métayage. Voir aussi R. Baehrel : op. cit., pp. 368-372.
6 Mise au point récente dans G. Fourquin, Les campagnes de la région parisienne d la fin du Moyen-Age, Paris, 1964. pp. 91-98, avec riche bibliographie.
7 Arch. Nat.. S 207; P. Brunet, op. cit., p. 365.
8 Sur les techniques agricoles, mise au point générale et brève de D. Faucher, dans Histoire générale des techniques, t. ii, pp. 143-168. Précieuses indications dans P. Goubert, Les techniques agricoles dans les pays picards aux xviie et xviiie siècles, dans Rev. d'Hist. écon. et soc, xxxv, i, 1957, pp. 24-40.
9 Sur ces Ilots d'assolement biennal, A. Plaisse, op. cit., pp. 233-237 ; E. Juillard, La vie rurale dans la plaine de Basse-Alsace, Strasbourg, 1953, pp. 40 sq.
10 F. Gay, Production, prix et rentabilité de la terre en Berry au xviie s., dans Rev. d'Hist. écon. et soc, xxxvi, 1958, pp. 399-411 (vaut pour l'époque antérieure) ; R. Musset, Le Bas-Maine, Paris, 1917, p. 288 ; H. Sée, Les classes rurales..., p. 382.
11 Cf. l'exemple de la garrigue languedocienne présenté par E. Lehoy-Ladurie, Histoire agricole et phytogéographie, dans Annales, E.S.C., 1962, n 3, mai-juin, pp. 434-447.
12 Rappelons l'article devenu classique de J. Meuvret, Les crises de subsistances et la démographie de la France d'Ancien Régime, dans Population, 1946, pp. 643-850.
13 Sur les rendements agricoles, nombreux chiffres, plus ou moins précis, dans la plupart des études citées. Ce problème a fait l'objet de nombreuses communications au Congrès d'Histoire économique de Munich, août 1965.
14 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, Paris, 1956. p. 146.
15 Sur la géographie historique du maïs, nombreux articles de D. Faucher, réunis dans La vie rurale vue par un géographe, Toulouse, 1962.
16 Réflexions instructives de P. Goubert, art. cit., pp. 30-32.
17 L. Merle, op. cit., pp. 110 sq. ; P. Goubert, id. : M. C. Gricourt, Etude... de cinq paroisses..., dans A travers la Normandie des xviie et xviiie siècles, Caen, 1963.
18 Bozon, op. cit. ; Arch. Dép. de S.-et-O., E4473 (8 octobre 1601), E 41531 (29 novembre 1607), 4591 (12 octobre 1612), 4759 (9 octobre 1630).
19 Sur les paysages agraires, outre les ouvrages classiques de M. Bloch, Caractères originaux, 2e éd., Paris, 1952, et de R. Dion : Essai sur la formation. du paysage rural français, Tours, 1934, mise au point générale de A. Meynier, Les paysages agraires, Paris, 1958, avec indications bibliographiques.
20 J. Meuvret, Agronomie et jardinage au xvieet au xviie siècle, dans Mélanges, L. Febvre, t. ii, pp. 353-362.
21 Arch. Nat., ZZ 463, f 204 (29 octobre 1643).
22 P. Bozon, op. cit., Ire partie.
23 D. Faucher, Plaines et bassins du Rhône moyen, Paris, 1927, pp. 348-360
24 L'ouvrage fondamental est celui de R. Dion, La vigne et le vin en France, Paris. 1959.
25 C. Estienne et J. Liebault, La maison rustique, livre v. Cet ouvrage de 1561 a été souvent édité au cours du xviie siècle.
26 R. Dion : op. cit., IIIe partie.
27 P. de Saint-Jacob, Mutations économiques et sociales dans les campagnes bourguignonnes à la fin du xvie siècle, dans Etudes Rurales, n° 1, avril-juin 1961, pp. 34-49 ; J. Jacquart, art. cit. note 4 ; du même. Propriété et exploitation rurales au sud de Paris, dans la seconde moitié du xvie siècle, Bull, de la Soc. d'hist. moderne, t. xii, 15-16, 1961.
28 P. Goubert, op. cit.; R. Baehrel, op. cit.
29 E. Leroy-Ladurie, art. cit. ; G. Debien, Eu Haut-Poitou, défricheurs au travail, Paris, exemple pris à Avrainville, Arch. Nat., LL 1045, p. 159 (7 mai 1612) : t ledit preneur promet et s'oblige faire défricher si faire se peut toutes les dites terres, les faire labourer ou y semer des grains, ou bien les faire planter en vignes ».
30 Nombreux exemples aux alentours de la capitale, sur le plateau de Villejuif.
31 C. Estienne et J. Liebault, op. cit., livre V, ch. 29.
32 Sur ce problème du renversement rte la conjoncture, nombreux articles. Mise au point récente de P. Chaunu, Le xviie siècle. Problèmes de conjoncture. Conjoncture globale et conjonctures rurales françaises, dans Mélanges, Antony Babel, Genève. 1963, t. i, pp. 336-355.
33 Arch. Dép. S.-et-O., (État du revenu en 1660) ; P. Brunet, op. cit., p. 316.
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