La montagne du pouvoir
L’image de la montagne dans le discours politique castillan (xiiie-xve siècle)
p. 355-374
Texte intégral
1Pour commencer, peut-être dois-je avouer ma profonde méconnaissance de la montagne. Au départ, je voulais l’occulter un peu en parlant du regard que Machiavel porte, depuis le bas, sur le prince1 ; du chemin que parcourt l’âme de Dante, vers le haut, lorsqu’elle traverse le purgatoire2 ; des péchés capitaux également, en particulier l’orgueil et l’envie, mais encore de l’excellence, surtout de celle que manifestent les moines en partant trouver sur les hauteurs les déserts que réclame leur foi conquérante3. Bref, je voulais faire un tour d’horizon de ce genre afin de resituer mon sujet sur un terrain idéologique, non sans avoir pris la peine, auparavant, de traverser le domaine imaginaire, merveilleux bien souvent, où s’érige ce territoire marginal de Tailleurs ; et parler, mais en passant seulement, de cette géographie du désir qui l’érode progressivement, à partir du xiie siècle, parce qu’elle pousse l’homme médiéval à l’invention et à la découverte4. Mais le mieux reste encore, comme le ferait un bon montagnard, d’aller derechef par le chemin le plus sûr et de traiter le sujet annoncé, c’est-à-dire la montagne du pouvoir.
2Cette montagne est seulement de nature discursive, produite en Castille entre le milieu du xiiie et la fin du xve siècle, et constituée par quelques fragments tirés des contes du Calila e Dimna (document 1) et de leur remploi – dans le Libro de los cien Capítulos (document 2) ou le Bipdaï. Ejemplario contra los engaños y peligros del mundo (document 3)-, du sermon rimé du chancelier Pedro López de Ayala dans son Rimado de palacio (document 4), ou encore des portraits dont use l’humaniste et chroniqueur Alfonso de Palencia dans ses Décades (document 3)5. Ces divers fragments ont tous en commun de traiter du même sujet : du pouvoir d’abord, de la montagne ensuite, celle-ci n’étant jamais qu’une image de cela, une similitude ou, plus exactement, une semejanza. La semejanza est une formule d’explicitation du dit qui s’énonce, un dit dépendant en quelque sorte, qui s’attache à l’exemple pour le clore (Calila ; Bipdaï), s’y substituer (Cien Capítulos), l’adapter (Rimado de Palacio) ou encore le détourner (Décades). Dans certains cas, ce dit dépendant peut s’avérer primordial et structurant, notamment dans les Partidas d’Alphonse X, où la semejanza du jardin sert à déterminer le soin qu’un souverain doit porter à son peuple, et celle de la mer à proclamer l’excellence de la justice royale6. Toutefois, par rapport à ces semejanzas légales, renvoyant à d’autres domaines topographiques et paysagers, celle de la montagne est plus privative, intimiste presque, tant elle sert à parler de la privanza.
3La privanza est la relation qu’entretient le roi avec quelques proches. Cette relation naît par conséquent dans le cadre domestique du pouvoir souverain, puis tend à le déborder à mesure que progresse le processus de centralisation monarchique. Ce débordement est loin d’être triomphal. Il signale un compromis politique entre une monarchie qui se rêve majestueuse et une aristocratie qui refuse de voir son privilège de compagnonnage s’aplanir dans la sujétion. La privanza s’érige entre ces prétentions contradictoires, comme une formule gouvernementale à cheval entre monarchie et aristocratie. Pour le pouvoir royal, la privanza permet de casser, par le dedans, les nombreux fronts aristocratiques qui ne cessent de se former à partir de la fin du xiiie siècle, en donnant aux privados les moyens de s’implanter et de rallier des partisans. De ce point de vue, la privanza est une formule de réassurance, d’enracinement presque. Mais pour l’aristocratie, parce que les privados en sont membres, ou le deviennent, puis en occupent le sommet, la privanza est une manière de tenir le roi, de rester dans sa compagnie et, par là, de continuer à profiter de cette fontaine de grâce en laquelle se convertit peu à peu le pouvoir souverain. De ce point de vue, la privanza est une formule de participation. Et, de fait, auprès du roi, les privados en viennent, entre la fin du xiiie et la fin du xve siècle, à assumer l’intégralité du regimen, c’est-à-dire le gouvernement de sa personne et du royaume. Ainsi, la privanza signale-t-elle la disjonction progressive qui travaille le regimen médiéval, avec une séparation pratique, car elle n’est jamais instituée comme telle, entre le titulariat du pouvoir et son exercice. Cet aménagement du regimen est le résultat de la tentative de conciliation, par la privanza, du renforcement théorique et pratique du pouvoir souverain et des aspirations gouvernementales des élites que le privado entraîne dans son sillage, grâce au courtage de faveur qu’il exerce au nom du roi. Par la privanza, celles-ci se trouvent compromises dans une construction monarchique qui, de la sorte, devient leur chose et leur appartient7.
4C’est donc dans le cadre de cette formule de gouvernementalité que surgit la montagne, comme une semejanza destinée à prévenir les impétrants des risques de la privanza, autrement dit comme une image du dedans pour signifier à ceux du dehors les efforts qu’ils devront déployer pour mener à bien leur ascension. Bien entendu, l’image est ambivalente, car l’effroi et la fascination fonctionnent de pair. Destinée à calmer la fougue des moins aguerris, la semejanza de la montagne excite aussi les plus valeureux, d’autant que le ciel les attend au sommet, même s’il est d’une autre nature que celui de Dante. À partir des quelques fragments choisis, un itinéraire se dessine qui permet de montrer à quel point la montagne du pouvoir constitue d’abord un milieu hostile, mais puissamment attractif (Calila, Cien capítulos, Bipdaï) ; ensuite un domaine en profonde reconversion (Rimado de palacio) ; enfin un retrait princier effectif, largement intégré au dispositif palatial et courtisan, ainsi qu’aux rouages de la diffamation politique (Décades).
Un milieu hostile mais puissamment attractif
5C’est en 1251 pour certains, en 1261 pour d’autres, que surgit la montagne du pouvoir, dans la version castillane du Calila e Dimna8. Le contexte est celui de l’orogenèse alphonsine. Par là, on peut entendre une vaste entreprise de réaménagement du socle territorial, juridique, politique et culturel d’un royaume considérablement agrandi par ailleurs, rajeuni peut-être, au terme d’une poussée andalouse qui culmine, sous le règne de Ferdinand III, avec la conquête de Séville, en 1248. Aussi, la montagne du pouvoir n’est-elle qu’un versant minimal d’une surrection largement volontaire et planifiée9. Comme dans d’autres domaines, l’aménagement n’est souvent, au départ, qu’un réaménagement, et, sur le terrain doctrinal, Alphonse X use largement de roches métamorphiques de provenance orientale. C’est d’ailleurs là une des principales caractéristiques de l’ample corpus sapiential qui caractérise le xiiie siècle castillan10. Dans le cas du Calila, les roches sont d’origine indienne, du iiie siècle après Jésus-Christ, taillées sous la forme de tantra, c’est-à-dire de livres de contes destinées à inculquer quelques règles de conduites aux rois, aux princes et à leur entourage, des miroirs de cour en quelque sorte. Vers le vie siècle, ce matériel indien devient perse, puis arabe au viiie siècle, quand Ibn al-Muqaffa’, philosophe iranien converti à l’islam, entreprend de retailler la collection. Il remploie la ruse animalière pour défendre la place des scribes et des sages auprès du Calife, c’est-à-dire prendre part au pouvoir et tenter de le limiter, depuis l’intérieur. La perception explicitement négative que véhiculent ces contes sur les choses du pouvoir ne sert, en réalité, qu’à affirmer un idéal implicite et positif : un gouvernement juste et mesuré, où des sages entourent le prince et lui racontent des histoires, espérant qu’il sera capable d’en tirer les leçons et d’agir en conséquence.
Document 1
Calila dit : – Si tel est ce que tu as à cœur, je veux te faire craindre le service du roi pour le grand danger qu’il comporte [...]. Et les sages avaient une similitude pour le roi et sa privanza, les comparant à un mont très haut, où se trouvent les fruits les plus savoureux, et où demeurent les bêtes féroces ; y grimper est chose très ardue, et rester sans le bien qui s’y trouve plus amère et difficile encore11.
6Par la suite, les reprises du Cien capitulos ou du Bipdaï ne sont que des rejeux marginaux de cette première surrection. Dans le cas du Cien capitulos, il s’agit d’un rejeu presque immédiat, la rédaction se situant entre les années 1270 et 1280, dans le contexte des premiers soulèvements aristocratiques provoqués par les prétentions politiques que formalise Alphonse X12. Pour la monarchie castillane, le heurt inaugure un repli politique dont témoigne d’une certaine façon la semejanza de la montagne dans le Cien capítulos. En effet, elle se démembre, en perd son exemple, rejoint une collection de sentences où elle fonctionne de manière presque nostalgique, pour affirmer encore l’excellence des sages de l’Orient face à ces nouvelles voix, de l’aristocratie territoriale et des évêques en particulier, qui font irruption dans l’entourage royal, lors du règne de Sanche IV surtout13. Si la semejanza retrouve le chemin de l’exemple dans la version tardive du Bipdaï, il ne s’agit là que d’un rebond suscité par l’imprimerie. Cette version signale l’intérêt porté au Calila à la fin du xve siècle encore, mais témoigne surtout de l’érosion subie par le premier relief alphonsin, entre la fin du xiiie et le début du xive siècle, moment où se situe l’adaptation latine de Jean de Capoue, matrice des versions qui circulent par la suite dans l’Occident médiéval, et reviennent au domaine castillan par le biais du Bipdaï'14.
Document 2
Et le roi est comme une sierra très escarpée et comme une très haute montagne ; vous y trouverez toute sorte de fruits et, à la fois, de nombreuses bêtes féroces ; gravir un tel col est chose très difficile et s’y maintenir plus grave encore ; mais qui est gourmand de fruits, s’il n’y monte pas, verra d’autres en manger, et lui restera sans rien15.
Document 3
Car la familiarité ou la privanza des rois est comparée à un mont très haut, plein d’arbres aux fruits merveilleux et aux suaves odeurs, dans lequel se trouvent des lions, des ours et une multitude d’autres bêtes cruelles et sauvages ; et pour qui souhaite manger de ces fruits, il est nécessaire qu’il y monte si averti et armé qu’il puisse très bien se défendre des attaques de tels animaux, et pouvoir y demeurer sûrement s’il le désire16.
7C’est donc essentiellement lors de la seconde moitié du xiiie siècle que naît la semejanza de la montagne, et qu’elle acquiert ses principaux traits distinctifs. Le premier, c’est l’hostilité du milieu, en raison de très fortes contraintes naturelles. Elles sont de nature topographique d’abord, en raison de l’altitude, de l’escarpement et du compartimentage. Elles sont ensuite liées à la présence de bêtes sauvages et féroces qui ont fait de ce milieu leur domaine, celui-ci n’étant dominé que tardivement par les lions et les ours, symbolisant peut-être l’orgueil et la colère17. Toutefois, ce domaine bestial et terrifiant semble menacé. Par les déplacements stylistiques d’abord, qui forcent à déserter, dans le Cien capítulos, le cadre dialogique où s’entretenaient auparavant les chacals du Calila ; ou bien à le restaurer, mais en l’humanisant un peu comme il en est dans le Bipdaï. Toutefois, la principale menace est constituée par les incursions que cette image tente justement de prévenir, car la montagne du pouvoir est fortement attractive, et c’est sa seconde caractéristique.
8En effet, dans le Calila, la semejanza fonctionne comme une image conclusive et inaugurale. Conclusive d’abord, parce qu’elle sert à clore le cycle ouvert par l’exemple du singe et du coin, ou l’histoire d’un singe qui se prend pour un charpentier et qui permet à Calila d’avertir son frère Dimna des dangers de la privanza, pour qui n’a jamais fréquenté les rois et souhaite exercer ce métier courtisan18. Inaugurale ensuite, car la semejanza de la montagne ouvre un autre cycle narratif, marqué par l’ascension puis de la chute de Dimna, celle-ci devenant, dans la structure en tiroir du roman, un moyen de faire comprendre au roi les désastres que ne manquent pas de provoquer de mauvais privados19. Cette même structure, reprise par ailleurs dans le Bipdaï, se voit retouchée dans le Cien capítulos, où elle est intégrée au chapitre sur les manières du tyran qui sert, par opposition, à construire l’image du bon roi20. D’une reprise à l’autre, les risques de la proximité demeurent, augmentent même, en raison de l’inconstance des rois et de leurs débordements colériques qui font de leur service une véritable folie21 ; un enfer que ne vient même pas adoucir l’espoir d’un purgatoire, tant le poids de ses origines orientales se fait sentir sur la montagne du pouvoir22.
9Toutefois, et l’image est ambivalente, si la montagne sert à prévenir les incursions, c’est surtout pour faire prendre conscience aux impétrants de la préparation qu’une telle aventure implique. C’est là que le sage peut faire état de sa science, jouer peut-être la supériorité, faire peur aussi, car il entend bien demeurer là où il est, c’est-à-dire tout à côté du prince, presque pendu à son oreille. En effet, les sages ne peuvent pas s’empêcher d’admettre la puissante attraction que représente la proximité princière, et tous en parlent par expérience. Si les bêtes sont si féroces, c’est en raison de la très forte pression qui s’exerce sur des ressources fruitières rares certes, mais incomparables. Les sens, le goût et l’odorat sont convoqués parce qu’ils parlent aux gourmands et aux envieux, à tous ceux qui ne peuvent décidément pas rester en dehors du festin de la faveur. Là, autour de la table, ou plutôt sous ces arbres qu’il s’agit d’atteindre pour s’y accrocher et les secouer un peu, la cueillette domine, parce que les bêtes ne cessent jamais de rôder et de flairer l’intrus, sans doute aussi parce que l’impréparation domine.
10Toutefois, une logique d’installation s’affirme, essentiellement à partir des années 1270/1280, où il ne s’agit plus simplement d’atteindre le sommet pour goûter les meilleurs fruits, mais encore de durer et de s’implanter, selon des modalités variables. Dans le Cien capítulos, le mieux est encore de souffrir le prince, même le plus mauvais, mais c’est là l’option réservée aux sages, encore terrifiés par les despotes de l’Orient23.Dans le Bipdaï, la solution est plutôt de s’armer – non pas de patience, mais avec de vraies armes, même si celles-ci sont de nature essentiellement morales – afin de contrer les attaques des bêtes fauves, occuper de la sorte le terrain et s’y installer, voire y enraciner un lignage24. De ce point de vue, la recommandation du Bipdaï s’adresse surtout aux membres de l’aristocratie, au fait des vertus chevaleresques, aguerris par le combat, mais aussi par la pratique de la chasse, à tel point que certains d’entre eux usent de leur science cynégétique pour maintenir le roi éloigné du gouvernement du royaume dès le début du xive siècle25. En enregistrant cette logique d’implantation, la semejanza de la montagne perd de son efficacité, elle effraie moins en quelque sorte.
Un domaine en reconversion
11Une semejanza est faite pour fonctionner. De fait, quand il entend son frère Calila lui parler de la montagne du pouvoir, Dimna dit avoir compris, puis part se présenter au roi lion26. Aussi, quand elle manque son effet, devient-elle obsolète et, par conséquent, remplaçable. C’est peut-être un tel constat qui pousse don Pedro Lôpez de Ayala à opérer une reconversion majeure de la semejanza de la montagne à la fin du xiv e siècle. Sans doute est-il l’homme le mieux placé pour ce faire. Héritier d’un des plus grands lignages basques, formé du temps d’Alphonse XI, chevalier de l’ordre de la Banda au cours du règne de Pierre Ier, il devient un des plus sûrs soutiens des Trastamare à partir de 1367 ; une dynastie dont il sert d’ailleurs les trois premiers rois – Henri II, Jean Ie et Henri III – en tant que conseiller, ambassadeur pratiquement régulier en France ou en Avignon, chancelier ou encore tuteur27. Outre son exceptionnelle longévité, López de Ayala peut donc se prévaloir d’une connaissance intime des choses du pouvoir, doublée dans son cas d’une parfaite maîtrise des artes de escribir, dont il administre la preuve en devenant le maître d’œuvre de l’histoire-propagande d’une dynastie à laquelle il a lié son destin politique, mais aussi en traduisant les Décades de Tite-Live, à partir de la version française de Pierre Bersuire, ou encore le De casibus de Boccace28. Toutefois, ce n’est ni dans les chroniques ni dans les traductions que se dresse la montagne du pouvoir dans l’œuvre du chancelier Ayala. Elle prend place dans un sermon rimé sur les choses du pouvoir que López de Ayala commence à rédiger après la défaite militaire d’Aljubarrota, en 1385, et qu’il grossit jusqu’en 1403-1404, par des aveux pénitentiels qui en font une véritable confession. Le Rimado de Palacio naît en quelque sorte du regard que porte un homme d’expérience sur un monde qu’il n’a pas cessé de fréquenter sa vie durant29.
Document 4
Pour mieux entendre les faits du monde
je veux une image, de mon faible savoir,
prendre pour exemple, et ainsi pourront-ils voir
ceux qui la connaîtront bien, comment doivent-ils faire.
Pour privanza de rois et d’autres seigneurs [obtenir]
nous endurons chaque jour de très grandes sueurs
et si nous y parvenons, tourments et douleurs
naissent ensuite de celle-ci, et non pas peu d’erreurs.
Aussi devons-nous très grandement nous assurer
qu’avant de commencer, nous songions à aviser
des périls qui naissent d’un lieu si haut,
et de ceux qui plus avant pourraient s’y profiler.
Une telle similitude commençais-je à imaginer :
qu’un grand prince allât une cité
assiéger, où il posa des échelles pour la prendre ensuite,
desquelles s’approchèrent peu à peu les hommes d’armes30.
12Pour que ce monde – essentiellement la Cour – entende la semejanza de la montagne, López de Ayala s’adresse à lui en usant d’une image plus au goût du jour, une figura plus parlante : un chevalier qui aspire à la privanza ne doit pas s’y prendre autrement qu’un homme d’arme assiégeant une ville31. La montagne ne disparaît pas complètement, elle demeure sous-entendue simplement lorsque le chancelier Ayala rappelle les dangers d’un aussi haut lieu. Ce rappel n’est qu’une introduction, par laquelle López de Ayala démontre qu’il domine son sujet, connaît parfaitement la semejanza alphonsine, maîtrise sa bibliographie en somme, et entre en connivence avec son public en usant du nos. Ensuite, il peut faire œuvre d’auteur, construire son enxiemplo à partir de la figura qu’il substitue à la montagne du pouvoir32, et qui lui sert de cadre formel pour un sermon ad status qu’il n’avoue qu’à la fin de son exposé33. Pourtant, Ayala dit toujours la même chose. Adressé aux aspirants à la privanza, à ces jeunes chevaliers qui pendant leur repas écoutent encore les chroniques que rédige López de Ayala, le sermon s’attache à leur offrir quelques principes de précaution pour espérer réussir leur ardue ascension dans la faveur du roi34.
13Avant de se lancer à l’assaut, l’homme d’arme doit bien choisir son échelle, c’est-à-dire, d’abord, en vérifier la solidité puis la hauteur, afin d’être sûr qu’elle peut supporter son poids et lui permettre d’atteindre le sommet du mur. Le choix de l’échelle fait place ensuite au choix des hommes destinés à accompagner l’ascension. La fidélité s’impose pour offrir à l’homme d’armes une bonne protection contre les attaques mais aussi pour empêcher d’autres attaquants de vouloir utiliser la même échelle35. Les préparatifs conjuguent science des armes et science des hommes pour assurer l’assaut sans compromettre l’avancée. L’exemple se trouve ensuite appliqué au cas de la privanza, afin de prévenir les aspirants des précautions qu’ils doivent prendre pour réussir leur entrée dans la faveur des rois36. L’autorité du discours en appelle au témoignage, celui d’un expert habitué à jauger de la science des attaquants et, surtout, à juger des nombreuses tentatives des uns et des autres.
14Tout comme l’homme d’armes qui s’apprête à attaquer une enceinte, l’aspirant-privado doit d’abord savoir si le bois de son échelle n’est pas trop tendre. De la solidité du bois dépend la possibilité d’une ascension dont la première difficulté réside dans l’inconstance du roi37. Si la thématique de l’inconstance avancée par López de Ayala appartient aux thèmes récurrents de la littérature sapientiale depuis le xiiie siècle, en revanche l’association de l’inconstance à l’âge du prince est bien de l’ordre de la nouveauté. Le moraliste tire les leçons du siècle et des expériences troublées qui ont accompagné les minorités de Ferdinand IV, d’Alphonse XI et de Henri III. Dans le cas de cette dernière, López de Ayala peut légitimement adopter la posture de l’expert en raison de sa présence dans le conseil de régence mis en place par les Cortes de Madrid de 1391. Ainsi les dangers de l’inconstance se voient-ils redoublés par la jeunesse du prince, son manque d’expérience et son immaturité, et l’obligation, pour le privado, de devoir rendre compte au moment de la majorité royale.
15Dès lors, pour bien entrer dans la privanza du prince, mieux vaut se munir d’une échelle au bois ferme, c’est-à-dire d’un prince majeur dont la faveur est moins soumise aux oscillations de la jeunesse. Néanmoins, avant de se lancer à l’assaut, l’aspirant-privado doit encore respecter quelques préalables : être sûr, d’abord, de vouloir atteindre le sommet, puis d’être assez endurant et patient pour s’imposer dans la privanza du roi. Deux risques majeurs sont alors précisés par López de Ayala : le ridicule, lorsque l’aspirant n’est pas à la hauteur de ses ambitions ; l’impatience quand, à vouloir prendre en main le royaume en un seul jour, le privado ruine ses chances de succès38. Pour ne pas tout perdre du jour au lendemain, le privado doit offrir ses services, conseiller sans flatterie et agir sans convoitise. La seule façon d’y parvenir, c’est encore de s’entourer d’une bonne compagnie, c’est-à-dire de choisir des amis fidèles et véritables, honnêtes et désintéressés qui sauront garder l’échelle du privado pendant son ascension. Avec le xive siècle, la cueillette pratiquée sur la montagne du Calila a pris fin, les incursions ne se pratiquent plus en solitaire mais en groupe, et l’exploitation est devenue plus intensive car plus durable. De fait, à la patience, le privado doit ajouter l’effort car il arrive parfois que l’échelle soit trop haute. Dans ce cas, mieux vaut tarder un peu pour choisir le meilleur angle d’attaque plutôt que de devoir redescendre et risquer de tomber39.
16Une fois parvenu au sommet, le privado, pour s’y maintenir, doit faire preuve de mesure, en particulier pour se prémunir de l’inconstance du roi, et suivre les quelques recommandations de López de Ayala s’il veut inscrire son gouvernement dans la durée. S’appuyant sur le conseil qu’il prodigue au roi, le privado doit d’abord le détourner de la cruauté et veiller à l’administration de sa justice. Il doit, ensuite, lui faire préférer la prospérité du royaume à la convoitise, et veiller ainsi à que ses demandes soient sans excès et conformes au droit. Enfin, le privado doit empêcher le prince de muter la monnaie afin d’assurer la stabilité au royaume et à ses sujets40. López de Ayala achève ses recommandations en exhortant le privado à faire respecter les libertés et les biens des églises41, à ne jamais sombrer dans la flatterie et à toujours agir dans la crainte de Dieu42.
17En enseignant les ressorts de la privanza, en montrant aux privados comment prendre le pouvoir et y demeurer, Pedro López de Ayala fait preuve de pragmatisme finalement, car il prend acte d’une pratique gouvernementale devenue incontournable, mais qu’il entend river au bon gouvernement43. En cela, l’ambition de López de Ayala n’est pas tant éloignée de celle affichées par les scribes du calife au moment des premières adaptations des tantra constituant le Calila. Mais contrairement à eux, le chancelier ne s’embarrasse pas de contes où le jeu de l’implicite complique dangereusement la compréhension de l’histoire. Son sermon ad status œuvre à un dévoilement des mœurs politiques de son époque, prend acte des victoires aristocratiques du xive siècle, en particulier de la plus importante d’entre elles : le fratricide de Montiel (1369) qui permet aux Trastamare d’occuper le trône et à la noblesse ayant secondé leur combat contre la tyrannie de Pierre le Cruel de prendre le pouvoir. Ailleurs, l’ascension et les risques d’échec décrits par Ayala mêleront bientôt la montagne, la tour et Fortune44. Si Ayala reste en deçà, apparemment insensible aux charmes d’une Fortune aveuglée par son bandeau, c’est qu’il œuvre à prévenir l’éventualité même d’une chute par son sermon. Après la « révolution » trastamare45, son souci est que les choses restent comme elles sont, c’est-à-dire que ses compagnons de chevalerie demeurent les maîtres de la privanza et puissent de la sorte consolider leurs états46.
Un retrait princier largement intégré
18Si le coup d’État reste une catégorie étrangère au chancelier – dont le modèle, bien qu’il le dépasse par l’image d’une ville à prendre, reste celui de l’asonada, c’est-à-dire le rassemblement armé que pratique la noblesse, depuis la fin du xiiie siècle, pour imposer ses vues, et fait peser sur la Castille comme une menace permanente de guerre civile –, López de Ayala peut être néanmoins considéré comme un des premiers Castillans à l’avoir théorisé, en disant comment prendre le pouvoir et s’y maintenir. Sa leçon est largement entendue au cours du xve siècle, où l’aristocratie fait de Jean II un roi à prendre, une sorte de trophée d’une procédure d’agrégation au pouvoir que son itération transforme en véritable rituel politique. Néanmoins, avec le règne de Henri IV, ce rituel tend à s’épuiser. D’abord, en raison d’une politique de contractualisation gouvernementale destinée à légaliser le pouvoir exercé par les Grands dans le cadre du régime de privanza plurielle mis en place après la grande privanza de don Alvaro de Luna, et par laquelle le pouvoir royal entend dissuader la noblesse de recourir à la voie de fait. Ensuite, en raison de l’impossibilité même dans laquelle se trouvent les ligueurs, une fois la voie contractuelle refermée et la voie de fait réouverte, de se saisir du roi ; impossibilité qui les conduit à proclamer un anti-roi d’à peine onze ans, Alphonse de Trastamare, le demi-frère de Henri IV, en 146547. Autrement dit, contrairement à son père, Henri IV est un roi insaisissable, fuyant et déroutant d’une certaine manière, soit qu’il s’enferme dans les retraits de ses palais, soit qu’il préfère les solitudes forestières et montagneuses du Pardo et de Ségovie au commerce des hommes. Cette inclination pour l’aparté varie selon le parti pris adopté par les chroniqueurs : contenue par le henricien fidèle qu’est Diego Enríquez del Castillo, non sans souvent s’en plaindre ; elle est délibérément exagérée par l’alphonsiste fervent qu’est Alfonso de Palencia. Or, c’est en relation avec ce trait de caractère, et l’historicisation rétrospective des arguments de la propagande anti-henricienne à laquelle se livre Alfonso de Palencia dans ses Décades, que ressurgit la montagne du pouvoir, à l’occasion de la prise de la ville-montagne palatine qu’est Ségovie par les alphonsistes, le 17 septembre 146748.
19D’un strict point de vue politique, la prise de Ségovie est un non-événement. Henri IV fait son entrée dans la ville dès le 28 septembre et les belligérants reprennent les négociations. Le véritable événement est ailleurs, dans les mots d’un chroniqueur qui subvertit les rites narratifs de la mort royale pour abattre Henri IV, et faire triompher un anti-roi qui meurt pourtant dès 1468. Pour construire ce triomphe, Alfonso de Palencia prend néanmoins appui sur une réalité. Ségovie est une des principales places fortes du royaume, coeur du pouvoir henricien depuis les années 1440. Par sa politique d’édification, Henri IV la dote d’un dispositif palatial pluriel et sans précédent, avec un palais-forteresse dont il réaménage les salles d’apparat et où il fait garder son trésor (alcázar), un palais-urbain (San Martin), deux palais-monastères (Santa María del Parral et San Antonio el Real) et un palais de chasse (Valsain), situé à une douzaine de kilomètres de la ville, au cœur d’un domaine boisé qu’il protège de murs pour s’en réserver l’usage. En 1467, ce dispositif palatial est sans doute le plus complet dont dispose la monarchie castillane. Mais entre les mains d’Alfonso de Palencia, Ségovie se transforme tout entière en un retrait, ses montagnes, ses forêts et ses palais devenant le symbole même de l’inaccessibilité royale. Et parce que le tyran vit à découvert dans ce retrait absolu, Alfonso de Palencia l’y pourchasse pour le saisir enfin, dénoncer sa bestialité (Valsaín), son dérèglement sexuel (San Martin) et sa trahison de la foi catholique (Santa Maria del Parral, San Antonio el Real et l’alcázar). Mais ce n’est pas tant sur ces aspects que je souhaite à présent m’arrêter, ayant déjà eu l’occasion de les développer ailleurs49.
Document 5
Ségovie est, sans aucun doute, une ville très forte par son site et ses défenses ; admirable par le nombre de ses habitants et ses édifices ; mais inférieure de beaucoup à l’idée qu’en avait Henri, qui nourri, élevé et éduqué en elle, était parvenu à se persuader qu’il n’y avait pas au monde de ville aussi grande, riche, opulente et si bien pourvue en dons par la nature ou la Fortune. Ainsi, celui qui voulait obtenir une place dans l’affection d’Henri se voyait obligé d’aimer aussi la ville ; et si quelque favori, par affection, souhaitait s’y faire construire une maison mais sans en avoir les moyens, Henri y pourvoyait avec la plus grande des libéralités. C’est pourquoi Ségovie compte près de cent palais dignes des plus belles maisons nobles de notre nation. Pour les construire, Henri permettait qu’on utilisât le bois de ses pinèdes, bien qu’il eût toujours jalousement protégé les forêts ; sa prédilection particulière pour Ségovie s’expliquait par la présence, dans ses environs, de superbes pinèdes, de grandes chênaies et de rouvraies, où nul n’osait couper la moindre branche afin de ne pas troubler la paix des sangliers, ours, cerfs et daims qui y demeuraient. Dans ces lieux transis de brume, de neige et de glace, Henri, d’une impitoyable avarice, refusait aux hommes ce que la nature leur prodiguait avec largesse, si bien que quiconque voulait couper du bois s’exposait à de lourdes sanctions ou, par crainte du châtiment, devait s’exposer à la rigueur d’un froid mortel. Les cerfs et les sangliers devinrent si hardis, qu’ils dévastaient les fruits à leur portée en présence même des paysans, car souvent ils avaient vu des hommes les observer en silence sans qu’aucun n’ose ne serait-ce qu’un murmure, notamment entre Ségovie et le mont Gobie qui donna son nom à cette ville, située au pied de la haute montagne aux neiges éternelles. Henri fit clore de mur une grande partie des forêts situées entre le mont Gobie et Ségovie, et il y fit construire une demeure vaste et magnifique où il s’enfermait souvent avec ses mignons pour festoyer et contempler les innombrables bêtes sauvages...50
20En effet, au-delà des artifices diffamatoires dont use Alfonso de Palencia, il convient de remarquer que la montagne du pouvoir, en se confondant pour la première fois avec un lieu véritable, acquiert quelque semblant de réalité. Par rapport aux semejanzas du xiiie siècle, elle gagne un climat montagnard extrêmement rude51, lié à la complétude de son étagement, avec une haute montagne, congelée dans ses neiges éternelles, et une moyenne montagne, couverte de denses forêts de pins et de chênes, riches d’une faune où prédominent les cervidés52. À en juger par la pression anthropique s’exerçant sur cette moyenne montagne, celle-ci constitue un territoire utile, protégé par le pouvoir royal qui œuvre à en réguler l’exploitation forestière et cynégétique. En ce sens, la montagne du pouvoir se distingue du reste de la terre ségovienne, plus classiquement agropastorale53. Cette spécialisation reste inséparable du très fort degré d’intégration qui caractérise cet espace, étroitement dépendant d’une ville palatine dont il est comme un appendice, un espace d’ébats – le grand parc en somme – où seuls quelques élus ont le privilège d’accompagner le roi, conformément à l’esprit d’une ancienne semejanza d’origine orientale destinée à réserver la privanza aux plus aptes, les meilleurs. Aussi est-il normal que ce réduit de la faveur princière nourrisse les phantasmes de tous ceux qui en sont, ou s’en sentent, exclus et qui ont quelques prétentions à y être admis, ou à y revenir. Pour eux, surtout pour ceux que la disgrâce condamne à dévaler les pentes, la diffamation politique et ses stéréotypes restent encore le meilleur moyen de s’accrocher à une montagne du pouvoir qu’ils savent être non pas ailleurs, mais à côté, juste derrière cette clôture qui les sépare des allées du pouvoir.
21Au total, au sein du discours politique castillan des xiiie-xve siècles, la montagne du pouvoir est un territoire dont l’exploitation ne cesse pas. Mais comme l’attestent ces quelques fragments d’économie discursive, celle-ci connaît de profondes mutations ; la montagne passant de la semejanza au stéréotype, soit de la matière doctrinale à la matière historiographique, avec un relais assuré par Pedro López de Ayala qui se situe à cheval, à la fois sermonneur et chroniqueur, comme une sorte de pont entre deux époques nettement opposées. Ces mutations sont conformes aux déplacements affectant plus généralement le discours politique castillan, la montagne n’étant qu’une part de celui-ci, un territoire par conséquent strictement dépendant. Toutefois, parce que son inaccessibilité est sans cesse recréée lorsqu’elle paraît moindre, la montagne du pouvoir demeure bel et bien comme un territoire à part, un objet de désir en somme.
Notes de bas de page
1 « Et je ne veux pas que l’on impute à la présomption qu’un homme de bas et infime état ait la hardiesse d’examiner les gouvernements des princes et de leur donner des règles ; en effet, de même que ceux qui dessinent les pays, se placent en bas, dans la plaine, pour considérer la nature des monts et des lieux élevés, et que, pour considérer celle des lieux d’en bas, ils se placent haut sur les monts, semblablement, pour connaître bien la nature des peuples, il faut être prince, et pour connaître bien celle des princes, il convient d’être du peuple », Machiavel, Le Prince, J.-L. Fournel, J.-Cl. Zancarini et G. Inglese éd., Paris, 2000, p. 43.
2 Sur le système dantesque du purgatoire, voir les analyses de J. Le Goff dans La naissance du purgatoire, Paris, 1981, ouvrage repris dans le volume Un autre Moyen Âge, Paris, 1999, p. 1176-1202.
3 Sur les péchés capitaux, et plus particulièrement sur l’orgueil et l’envie, voir la synthèse récente de C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 19-92.
4 Outre les travaux de J. Le Goff, il convient de mentionner les analyses de P. Zumthor, La mesure du monde. Représentation de l’espace au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 63-64 et 240.
5 Les renvois bibliographiques sont proposés au fur et à mesure de l’étude des divers fragments mentionnés.
6 Voir les lois 28 du titre IX et 3 du titre X de la Partida segunda de Alfonso X el Sabio (manuscrito 12794 de la B.N.), A. Juarez Blanquer et A. Rubio Flores éd., Grenade, 1991, p. 100-101 et 104-105.
7 Sur la privanza, je me permets de renvoyer à ma thèse de doctorat, La privanza ou le régime de la faveur. Autorité monarchique et puissance aristocratique en Castille (xiiie-xve siècle), Paris, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2003, dactyl., dont quelques éléments sont repris dans mon article « La privanza dans la Castille du bas Moyen Âge. Cadres conceptuels et stratégies de légitimation d’un lien de proximité », dans Lucha política : condenay legitimacién en las sociedades medievales, I. Alfonso, J. Escalona et G. Martin dir., Cahiers de Linguistique et de Civilisation Hispanique Médiévale, Lyon, 2004 (à paraître). Pour des prolongements et des comparaisons, voir les études proposées dans Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, W. Reinhard dir., Paris, 1996 ; Les courtiers du pouvoir au bas Moyen-Âge, R. Stein éd., Turnhout, 2001 ; À l’ombre du pouvoir. Les entourages princiers au Moyen Age, A. Marchandisse et J.-L. Kupper éd., Genève, 2003.
8 Sur cette œuvre, voir, plus particulièrement, l’étude de M. Garcia, « Le contexte historique de la traduction du Sendebar et du Calila », dans Aux origines du conte en Espagne : « Calila e Dimna », « Sendebar », Crisol, 21 (1996), p. 103-113 ; les articles publiés récemment : R. Mougannas Mazen, « Kalila et Dimna arabe », Cahiers de linguistique et de civilisation hispanique médiévale, 25 (2002), p. 267-281 ; E. Ruíz-Gálvez Priego, « Calila e Dimna : conte du Moyen Âge et récit primordial. La version castillane du xiiie siècle et une possible lecture », ibid., p. 293-306 ; ainsi que la synthèse proposée par F. Gómez Redondo dans Historia de la prosa medieval castellana, vol. I, La creación del discurso prosístico : el entramado cortesano, Madrid, 1998, p. 180-234 ; et la mise au point sur la tradition manuscrite proposée par M. J. Lacarra : Calila e Dimna et Sendebar, dans Diccionario filológico de literatura medieval española. Textos y transmisión, C. Alvar et J. M. Lucía Megías dir., Madrid, 2002, p. 231-235.
9 Sur les règnes de Ferdinand III et d’Alphonse X, voir les synthèses de G. Martinez Díez, Fernando III (1217-1252), Palencia, 1993, et de M. González Jimenez, Alfonso X (1252-1284), Palencia, 1993.
10 Sur l’ample corpus formé par la littérature sapientiale castillane, les références ne manquent pas. Pour une vision d’ensemble, voir M. Haro Cortès, La imagen del poder real a travès de los compendios de castigos castellanos del siglo xiii, Papers of the Medieval Hispanic Research Seminar, 4 (1996) ; H. Ó. Bizzarri, « Las colecionnes sapienciales castellanas en el proceso de reafirmación del poder monárquico (siglos xiii y xiv) », Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 20, p. 35-73 ; B. Palacios Martín, « El mundo de las ideas políticas en los tratados doctrinales espanoles », dans Europa en los umbrales de la crisis (1250-1350), XXI Semana de Estella, (Estella, 1994), Pampelune, 1995, p. 463-483 ; J. M. Nieto Soria, « Les miroirs des princes dans l’historiographie espagnole (couronne de Castille, xiie-xve siècles) : tendances de la recherche », dans Specula principum, Francfort, 1999, p. 193-207. Quelques articles français permettent également d’aborder ce corpus doctrinal : F. Colla, « La Castille en quête d’un pouvoir idéal : une image du roi dans la littérature gnomique et sapientiale des xiiie et xive siècles », dans Pouvoirs et contrôles socio-politiques, Razo, 9 (1989), p. 39-51 ; D. Menjot, « Enseigner la sagesse. Remarques sur la littérature gnomique castillane du Moyen Âge », dans El discurso político en la Edad Media, N. Guglielmi et A. Rucquoi éd., Buenos Aires, 1995, p. 217-231.
11 Dixo Calila : – Pues eso tienes a coraçón, quérote fazer temer serviçio del rey por el grant peligro que y ha [...]. Et los sabios fazían semejanza del rey et du su privanza al monte muy agro en que ha las sabrosas frutas, et es manida de las bestias fieras ; onde subir a él es muy fuerte cosa et estar sin el bien que en él ha es más amargo et más fuerte, dans Calila e Dimna, J. M. Cacho Blecua et M. J. Lacarra éd., Madrid, 1984, p. 130.
12 La critique textuelle hésite sur ce texte qui reprend largement le Flores de filosofía, rédigé, pour sa part et probablement, autour des années 1250. L’hésitation fait placer la rédaction, pour certains, à la fin du règne d’Alphonse X, et, pour d’autres, au début du règne de Sanche IV. Quelle que soit l’option choisie, la rédaction doit être envisagée dans le contexte des tensions de la fin du règne d’Alphonse X, de l’opposition nobiliaire que renforce le soutien apporté par l’Infant Sanche pour conserver une couronne que son père destine à ses neveux, les Infants de la Cerda. Sur ce traité, voir les travaux de M. Haro Cortès, en particulier, ses remarques dans La imagen del poder real..., op. cit., p. 41-49 ; son introduction à l’édition du traité Libro de los cien capítulos (Dichos de sabios en palabras breves e complidas), M. Haro Cortés éd., Francfort-sur-le-Main, 1998 ; et son article sur la tradition manuscrite « Libro de los cien capítulos », dans Diccionario filológico, op. cit., p. 805-811. Voir également les analyses d’H. Ó. Bizzarri, « Las colecciones sapienciales... », op. cit., p. 46-50 ; et Id., « Deslindes histórico-literarios en torno a Flores de filosofía y Libro de los cien capítulos », Incipit, 15 (1995), p. 45-63. Enfin, voir la synthèse que propose F. Gómez Redondo, Historia de laprosa. op. cit., p. 425-440.
13 Sur le règne de Sanche IV, la principale référence reste encore l’œuvre considérable de M. Gaibrois de Ballesteros, Historia del reinado de Sancho IV de Castilla, Madrid, 1922-1928, 3 vol. Pour une actualisation, voir J. M. Nieto Soria, Sancho IV (1284-1295), Palencia, 1994.
14 Sur la version de Jean de Capoue (Directorium humanae vitae, alias parabolae antiquorum sapientium, v. 1273-1305), voir l’édition de L. Hervieux dans son ouvrage Les fabulistes latins depuis le siècle d’Auguste jusqu’à la fin du Moyen Age, vol. V, Jean de Capoue et ses dérivés, Paris, 1899, p. 3-337. Le Bipdaï est publié à Saragosse par Pablo Hurus en 1493. Pour une mise en contexte de cette version tardive du Calila, voir les commentaires de J. M. Cacho Blecua et M. J. Lacarra dans l’introduction à leur édition du Calila, op. cit., p. 6-50.
15 El rey es como sierra muy enfiesta e como montaña muy fuerte : fallaredes y muchas maneras de fructo e, a las vezes, fallaredes muchos bestiglos fieros ; el subir d’este puerto es muy fuerte e durar en él es más grave ; e el que es goloso de fruta si non subierey verd los otros comer e fincard él sin nada, Libro de Los cien capítulos, op. cit., p. 83).
16 Ca lafamiliaridad o privança delos reyes es acomparada a vn monte muy alto : lleno de arboles de marauillosas frutas : e de suaves odores en el qual hay leones e ossos e otros jnfinitos animales crueles e brauos : e el que delas frutas dessea comer : es necessario suba tan apercibido : e armado que delos assautes delos taies animales se pueda muy bien deffender : e sy quisiere en el seguramente habitar, Bipdaï. Ejemplario contra los enganos y peligros del mundo, Madrid Nacional I-1994, Pablo Horus, 30-03-1493, F. Gago Jover trans., dans Archivo Digital de Manuscritos y Textos españoles (ADMYTE) II, f 11v-12v.
17 Ch. Raynaud, Images et pouvoir au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 13.
18 Calila..., op. cit., p. 128-131.
19 Parce que le roi tend à s’enticher du premier venu – travers que tentent justement de corriger les sages par leurs histoires –, le roi est le premier responsable des désastres courtisans qui constituent l’intrigue principale des contes du Calila. Ce travers est indiqué par la semejanza de la vigne, plante dont les sarments s’accrochent sur les supports les plus proches, comme le fait le roi en retenant dans sa compagnie ceux qui se contentent d’être à ses côtés, sans s’attacher à leur valeur ou à leurs qualités : ibid., p. 128. Pour d’autres emplois de cette image du roi-vigne, voir Libro de los cien capítulos..., op. cit., p. 85 ; Flores de filosofía, dans H. Knust, Dos obras didácticasy dos leyendas, Madrid, 1978, p. 26-27 ; Libro del caballero Zifar, J. González Muela éd., Madrid, 1982, p. 249.
20 Libro de los cien capítulos..., op. cit., p. 82-85.
21 Sur l'ire royale en Castille, voir les travaux d’H. Grassotti, « La ira regia en León y Castilla », dans Miscelánea de estudios sobre instituciones castellano-leonesas, Bilbao, 1978, p. 1-132 ; et l’actualisation qu’en propose H. Ó. Bizzarri, « Las colecciones sapienciales... », op. cit., p. 67-73.
22 Pour une comparaison avec la vision de la cour dans d’autres domaines de l’Occident médiéval, voir l’article de F. Autrand, « De l’Enfer au Purgatoire : la cour à travers quelques textes français du milieu du xive à la fin du xve siècle », dans L’État et les aristocraties (France, Angleterre, Écosse), xiie-xiiie siècles, Ph. Contamine dir., Paris, 1989, p. 51-78.
23 Le Cien capítulos invite en effet les privados à la souffrance, sorte d’endurance résignée qui protège des tentations de l’impudence et des menaces de l’irritation ; Libro de los cien capítulos..., op. cit., p. 92-93.
24 Il convient de rapprocher les déplacements enregistrés par le Bipdaï, notamment l’insistance sur les vertus que doivent posséder les candidats à la privanza, des débats que suscite en Castille la préséance accordée par Bartolo de Sassoferato à la noblesse politique, ou civile, sur la noblesse héréditaire. Pour une mise en contexte des conceptions de Bartole, de leur récupération en Castille, en particulier par Diego de Valera, et du débat qu’elles provoquent, voir C. Donati, L’idea di nobilità in Italia. Secoli xiv-xviii, Rome-Bari, 1988 ; J. D. Rodríguez Velasco, El debate sobre la caballería en el siglo xv. La tratadística caballeresca castellana en su marco europeo, Salamanque, 1996 ; M. C. Quintanilla Raso, « Discurso aristocratico, resistencia y conflictividad en el siglo xv castellano », dans¿ Golpes de Estado a fines de la Edad Media ? Fundamentos del poder pôlítico en la Europa Occidental (Madrid, 2002), F. Foronda, J.-Ph. Genet et J. M. Nieto Soria dir., Madrid, à paraître.
25 Comme le montrent les travaux de Ph. Buc, la chasse constitue le modèle, par excellence, de l’aparté aristocratique et sert, pratiquement, de garde-robe du dehors, L’ambiguïté du Livre : Prince, pouvoir et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen Âge, Paris, 1994, p. 118-120. Cet aparté, mentionné à plusieurs reprises par les chroniqueurs royaux des xive et xve siècles, notamment à propos de Ferdinand IV (1295-1312), de Pierre le Cruel (1350-1369) et de Henri IV (1454-1474), fait partie des recours classiques dont se servent les privados pour garder le contrôle de la personne royale ; F. Sanchez de Valladolid, Crónica del rey don Fernando, dans Crónicas de los reyes de Castilla, C. Rossel éd., vol. I (Biblioteca de Autores Españoles, t. 66), Madrid, 1953, p. 120 ; P. López de Ayala, Crónica de don Pedro primero, dans Crónicas, J. L. Martin éd., Barcelone, 1991, p. 25 ; D. Enríquez del Castillo, Crónica de Enrique IV, A. Sánchez Martín éd., Valladolid, 1994, p. 347.
26 Calila..., op. cit., p. 131.
27 Pour des synthèses sur ces différents règnes, voir J. Sánchez-Arcilla Bernai, Alfonso XI (1312-1350), Palencia, 1995 ; L. V. Díaz Martín, Pedro I (1350-1369), Palencia, 1995 ; J. Valdeón Baraque, Enrique II (1369-1379), Palencia, 1996 ; L. Suárez Fernández, Juan I (1379-1390), Palencia, 1994, F. Suárez Bilbao, Enrique III (1390-1406), Palencia, 1994.
28 De manière générale, sur le parcours et l’œuvre considérable de Pedro Lopez de Ayala, voir L. Suárez Fernández, El Canciller Ayala y su tiempo (1332-1407), Valladolid, 1962 ; M. Garcia, Obra y personalidad del Canciller de Ayala, Madrid, 1982 ; et F. Gómez Redondo, Historia de la prosa, op. cit., vol. II, El desarollo de los géneros. La ficción caballeresca y el orden religioso, Madrid, 1999, p. 1783-1816 et p. 2131-2172. Sur les positions politiques du chancelier, voir plus spécialement les travaux de J. N. Ferro, « El intertexto político en las Crónicas del canciller Ayala », Incipit, 10 (1990), p. 65-89 ; Id., « La elaboración de la doctrina política en el discurso cronístico del canciller Ayala », ibid., 11 (1991), p. 23-106. Sur les traductions de López de Ayala, voir les travaux de F. Fernández Murga, « Las primeras traducciones espanolas de la obra de Boccacio », dans Studi di iberistica in memoria de Giuseppe Carlo Rossi, Naples, 1986, p. 168-177 ; et d’E. W. Taylor, « Pero López de Ayala’s translation of Boccacio’s De casibus », dans Hispania Studies in Honor of Alan D. Deyermond, Madison, 1986, p. 205-215 ; Id., « Sobre la traducción de la caída de Principes de don Pero López de Ayala », dans Historias y ficciones. Coloquio sobre la literatura del siglo xv, Valence, 1992, p. 141-156. Sur les rapports de López de Ayala avec l’humanisme, voir R. B. Tate, « López de Ayala ¿ historiador humanista ? », dans ses Ensayos sobre historiografía peninsular del siglo xv, Madrid, 1970, p. 33-54 ; E. W Naylor, « Pero López de Ayala : protohumanist ? », dans La traducción en España. ss. xiv-xvi, R. Recio éd., León, 1995, p. 212-128.
29 Sur le Rimado de Palacio, outre les références déjà proposées, voir l’introduction de G. Orduna dans son édition du texte, P. López de Ayala, Rimado de Palacio, G. Orduna éd., Madrid, 1987, p. 9-92 ; et les commentaires de V. Serverat, La pourpre et la glèbe. Rhétorique des états de la société dans l’Espagne médiévale, Grenoble, 1997, p. 49-51. Le Rimado s’inscrit dans un contexte littéraire marqué par l’émergence de la poésie protestataire. Pour une mise en perspective dans le domaine castillan, voir les travaux de J. Rodríguez Puértolas, Poesía de protesta en la Edad Media Castellana, Madrid, 1968 ; et Poesía crítica y satírica del siglo xv, Madrid, 1989. Pour une approche plus historique, voir A. Franco Silva, « Un testimonio de la crisis de la sociedad feudal en el siglo xiv : el « rimado de palacio » de Pedro López de Ayala », Hispania, 61 (1981), p. 485-513, repris dans son ouvrage En la Baja Edad Media (Estudios sobre señoríos y otros aspectos de la sociedad castellana entre los siglos xiv al xvi), Jaén, 2000, p. 445-476 ; et I. González Álvarez, El Rimado de Palacio : una visión de la sociedad entre el testimonio y el tópico, Vitoria, 1990.
30 Por los fechos del mundo mejor entender,| quiero yo una figura, de mi poco saber,| ponerla por enxiemplo, e aquí podrán ver/lo que la bien sopieren, commo deven fazer.|| Por priuança de rreyes e de otros senores,/lazramos cada día con muy muchos sudores,| e si la alcançamos, trabajos e dolores/nasçen luego de aquélla, e non pocos errores.H Por ende nos deuemos muy mucho nos guardar/que Luego al comienço, pensemos de avisar/los peligros que nasçen de tan alto logar,| e los que adelante se podrián leuantar.|| Una tal semejança començé imaginar:/ que un prínçipe grande una çibdat çercar/fuera, do puso escalas por la luego ganar,| do los ornes armados se fueron allegar (P. López de Ayala, Rimado de Palacio, G. Orduna éd., Madrid, 1987, strophes 655-658, p. 245-246).
31 Il faut rapprocher le déplacement opéré par López de Ayala du processus de seigneurialisation engagé par les Trastamare pour récompenser l’adhésion de la noblesse seconde à leur cause. Ce processus soumet les villes à un véritable étranglement aristocratique dont elles n’ont de cesse de se plaindre lors des Cortes, réclamant notamment que le roi veuille bien modérer ses largesses. Ces plaintes atteignent un degré particulièrement fort entre les années 1420 et le début des années 1440 Cortes de Valladolid (1420), de Palenzuela (1425), de Burgos (1430), de Zamora (1432), de Madrid (1433 et 1435), de Tolède (1436), de Madrigal (1438), de Valladolid (1442) –, qui voient l’intensification de cette seigneurialisation dans le cadre de la lutte engagée par don Alvaro de Luna, le privado de Jean II, contre les prétentions politiques des Infants d’Aragon. Pour une mise en perspective de ce processus de seigneurialisation, voir P. Iradiel, « Señoríos juridicionales y poderes públicos a finales de la Edad Media », dans Poderes públicos en la Europa medieval : Principados, Reinos y coronas. XXIII Semana de Estudios Medievales (Estella, 1996), Pampelune, 1997, p. 69-116. Pour une mise en contexte des revendications urbaines, voir J. M. Nieto Soria, « Fragmentos de ideología política urbana en la Castilla bajomedieval », Anales de la Universidad de Alicante. Historia Medieval, 13 (2000-2002), p. 203-229. Toutefois, il convient de rappeler que ce détournement seigneurial tend à accroître le poids politique des villes demeurant dans le domaine (realengo), soit que leurs procureurs participent au Conseil royal, soit qu’elles obtiennent des titres nobiliaires les plaçant à égalité avec les Grands du royaume. Sur ces aspects, voir A. Rucquoi, « Des villes nobles pour le roi », dans Realidad e imagenes delpoder. Espana a fines de la Edad Media, A. Rucquoi dir., Valladolid, 1988, p. 195-214 ; M. Asenjo Gónzalez, « Ciudades y poder regio en la Castilla Trastámara (1400-1450) », dans Golpes de Estado..., op. cit., à paraître.
32 Pour inventer sa figura López de Ayala a pu s’appuyer sur un passage du Livre d’Alexandre, relatif à la prise de Sudraca, la dernière des villes indiennes à échapper à la domination du Macédonien, qui donne lieu à une variation sur le thème de l’ascension et de la chute. Parvenu au sommet des remparts, Alexandre s’y retrouve seul, abandonné par ses hommes d’armes qui, montés trop nombreux à sa suite, ont brisé l’échelle et sont retombés à terre. Le passage est également évoqué dans la Glosa castellana au De regimine principum, œuvre à laquelle López de Ayala fait expréssement référence dans son Rimado de Palacio ; Libro de Alexandre, J. Cañas éd., Madrid, 2000, strophes 2213-2265, p. 504-512 ; Glosa al Regimiento de principes de Egidio Romano, J. Beneyto Pérez éd., Madrid, 1948, vol. III, p. 388-392 ; P. López de Ayala, Rimado, op. cit., strophe 638, p. 242. Sur l’exemplarité dans le Rimado, voir G. Orduna, « Función de la materia ejemplar en el contexto del Rimado de Palacio », Anclajes. Revista del Instituto de Andlisis Semiótico del Discurso, I. 1 (1997), p. 137-147.
33 P. López de Ayala, Rimado..., op. cit., strophe 717, p. 256. Comme l’attestent ses chroniques, Pedro López de Ayala est un spécialiste du sermon politique, dont il use pour rapporter les avis (les siens ?) donnés au roi lors des séances du conseil. C’est le cas notamment en 1385, où il rapporte l’avis négatif rendu par un chevalier au sujet du projet d’exécution de don Alphonse, frère de Jean Ier. À cette occasion, le chevalier entreprend d’instruire le roi des vertus d’un gouvernement par la fama, à partir d’exemples qui forment comme un mémorial de l’épouvante : les exécutions sommaires décidées par les rois de Castille depuis Alphonse X ; P. López de Ayala, Crónica del rey don Juan primero, dans Crónicas, op. cit., p. 577-582. En 1390, pour répondre au projet d’abdication soumis par Jean Ier, qui souhaite de la sorte renforcer ses prétentions portugaises, López de Ayala recourt encore au sermon, et administre une leçon d’histoire sur les troubles occasionnés autrefois par les partages successoraux ; ibid., p. 652-659. Cet usage du sermon politique à matière historique de la part du chroniqueur doit être lui-même rapporté à l’emploi répété du sermon par Jean Ier dans le cadre du dialogue avec les villes, lors des Cortes. En 1385 par exemple, après le désastre militaire d’Aljubarrota, c’est avec un sermon sur la souffrance que Jean Ier justifie l’institution du Conseil royal, en même temps qu’il œuvre de cette façon à calmer l’opinion publique, en prenant le contrepied d’une rumeur l’accusant de n’en faire qu’à sa tête (Cortes de los antiguos reinos de León y de Castilla, vol. II, Madrid, 1863, p. 333-335). Ainsi, le sermon politique devient, au cours des années 1380 surtout, dans le prolongement d’une guerre civile marquée par l’avivement de l’opinion publique et de la reconstitution de la Chancellerie royale par Henri II, un élément essentiel du tournant gouvernemental qu’incarnent les premiers Trastamare, du moins une manière de le mettre en scène et d’y faire croire.
34 Le Rimado participe de la même ambition didactique qu’affiche López de Ayala dans le prologue de ses chroniques : P. López de Ayala, Cróniens, op. cit., p. 3. Sur cette question qui touche à l’enseignement en milieu courtisan, voir plus particulièrement I. Beceiro Pita, « Educación y cultura en la nobleza (siglos xiii-xv) », Anuario de Estudios Medievales, 21 (1991), p. 571-589 ; et J. L. Martín, « El adoctrinamiento de la comunidad : juglares, predicadores, científicos e historiadores », dans La vida cotidiana en la Edad Media. VIII Semana de Estudios Medievales (Nájera, 1997), Logroño, 1998, p. 201-222.
35 P. López de Ayala, Rimado..., op. cit., strophes 655-662, p. 245-246.
36 Ibid., strophe 663, p. 247.
37 Ibid., strophes 664-665, p. 247-248.
38 Ibid., strophes 671 et 675, p. 248.
39 Ibid., strophes 676-685, p. 248-250.
40 Ibid., strophes 686-695, p. 250-252.
41 Ibid., strophes 696-712, p. 252-255.
42 Ibid., strophes 713-716, p. 255-256.
43 Il convient de mettre en regard cette leçon du chancelier Ayala avec d’autres passages du Rimado où il dénonce la corruption de la Cour, reprenant abondamment les thèmes de la propagande trastamare contre Pierre le Cruel ; ibid., strophes 191-192, 234-297, 424-476, p. 155, 165-178, 203-213. Sur l’importance de ces thèmes dans l’œuvre du chancelier, voir notamment J. L. Martin Rodríguez, « Defensa y justificación de la dinastía Trastámara. Las crónicas de Pedro López de Ayala », Espacio, Tiempo y Forma. Ha. Medieval, s. III, 3 (1990), p. 157-180.
44 En effet, l’iconographie témoigne de la convergence de ces motifs au cours du xve siècle, comme le manuscrit lillois (Lille, BM, ms. 391, P 73v, vers 1450-1460) de l’Épître d’Othéa, que Christine de Pizan rédige vers 1400-1401. Sur ce point, voir P. Boucheron, « Signes et formes du pouvoir », dans Le Moyen Âge en lumière, J. Dalarun dir„ Paris, 2002, p. 183-184. Pour une mise en perspective plus générale sur le thème de la fortune, voir les articles rassemblés dans La Fortune. Thèmes, représentations, discours, Y. Foehr-Janssens et E. Metry éd., Genève, 2003.
45 L. Suárez Fernandez, Monarquía hispanay revoluciàn trastámara, Madrid, 1994.
46 Sur la consolidation aristocratique sous les Trastamare, voir la mise au point de M. Á. Ladero Quesada, « La consolidación de la nobleza en la Baja Edad Media », dans Nobleza y sociedad en la España Moderna, C. Iglesias éd., Madrid, 1996, p. 11-45. Sur les États seigneuriaux, et quelques éléments de comparaison avec les principautés françaises, voir I. Beceiro Pita, « Los estados senoriales como estructura de poder en la Castilla del siglo xv », dans Realidad e imagenes..., op. cit., p. 293-323.
47 Pour les règnes de Jean II et de Henri IV, voir les synthèses de P. Porras Arboleda, Juan II (1406-1454), Palencia, 1995 et de R. Pérez-Bustamante et J. M. Calderón Ortega, Emique IV (1454-1474), Burgos, 1998. Sur la question du coup d’État, outre ma thèse, je me permets de renvoyer à mon étude « Le putsch et ses rites dans la Castille du xve siècle », dans Golpes de Estado.op. cit., à paraître.
48 Sur la question des lieux de pouvoir et de leur perception par les chroniqueurs, voir F. Foronda, « Les lieux de rencontre. Espace et pouvoir dans les chroniques castillanes du xve siècle », dans Aux marches du palais. Actes du VIIe Congrès international d’archéologie médiévale (Le Mans-Mayenne, 1999), A. Renoux dir., Le Mans, 2001, p. 123-134.
49 Ce passage reprend en effet, très succinctement, les analyses présentées lors de la table ronde coordonnée par P. Boucheron, J. Chiffoleau et J.-M. Poisson (Université d’Avignon, Centre d’histoire urbaine de l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud et UMR 5648) sur Les palais dans la ville (Avignon, décembre 1999). Cette communication a été reprise récemment sous le titre « Le prince, le palais et la ville. Ségovie ou le visage du tyran dans la Castille du xve siècle », Revue historique, 627 (2003), p. 521-541. Je me permets de renvoyer à cette étude et à son appareil critique pour un commentaire plus exhaustif du passage des Décades relatif à la prise de Ségovie. Pour une mise en perspective des usages palatiaux en vigueur dans d’autres domaines et d’autres époques, voir les problématiques abordées dans Palais et Pouvoir. De Constantinople à Versailles, M.-F. Auzépy et J. Cornette dir., Saint-Denis, 2003 ; et plus particulièrement l’article de B. Bove sur Paris, « Les palais royaux à Paris au Moyen Âge (xie-xve siècles) », ibid., p. 45-79.
50 Est proculdubio Segobia ciuitas natura operibusque munitissima, et tam ciuium multitudine quam operibus magnifacienda ; sed inferior multo opinione Henrici, qui ibi nutritus, educatus altusque persuaserat sibi quod in orbe nulla ciutitas magnitudine, opibus, rerum copia ceterisque uel naturae uel fortunae dotibus equiparari posset. Igitur qui carrior Henrico cariorem tenebatur habere Segobiam ; et si quis dilectus moliri domum ex affectu cupiebat et sumptus edificandi ad uotum non suppetebant, in ea praesertim munificentia Henricus liberalissimus erat. Quamobrem centum fere prospiciuntur Segobiae domus more gentis aptissime habitationi nobilium ; quibus edificandis materia lignea ex pinetis subministrabatur permittente Henrico, qui nemorum perpetus erat custos et ideo singulariter Segobiam praeferre uoluit, quia circumsepta est pinetis mira proceritate, magnis necnon ilignetis atque roboretis, in quibus ut apri, ursi, cerui dameque uagarentur tute, audebat nemo uel ramorum branchas cedere. Itaque in locis bruma galcieque atque niue rigentibus quod ad humanum alimentum liberaliter natura largita est naturae hostis Henricus tan auare negabat, ut multi mortales uel multabantur grauiter quod arbores siluestres amputassent, uel metu pene extremum mortis damnum ob rigorem algoris incurerent. Hinc succesit ceruis aprisque tam insolens audacia, quod fruges cuiuis adiacentes contuentibus incolis deuastarent, quum hominum frequential iam sepe uidissent silere nec saltem mutire quempiam, presertim inter Segobiam et Gobiam montem a quo ea ipsa urbs apellationem sumpsit, radicibus nanque Gobie montis altissimi sempiternis niuibus operti sita est. Et inter Gobiam Segobiamque interiacent nemora, quorum partem magnam Henricus maceria muniri fecit ; et intra maceriam domum erexit amplam atque nobilem, qua seorsum a frequentia sese cum leonibus recludebat et cum illis conuicturus et feras innumerabiles circumspecturus (A. de Palencia, Gesta hispaniensia ex annalibvs svorum diervm collecta, B. Tate et J. Lawrance éd., Madrid, 1999, vol. II, p. 450).
51 Encore que la perception du climat de Ségovie semble avoir fortement varié entre la fin du xive siècle et la fin du xve siècle. Ainsi, en 1390, Jean Ier informe les Cortes, réunies d’ailleurs à Ségovie, qu’il a décidé de remédier aux dysfonctionnements provoqués par l’itinérance de l’Audience royale en fixant la résidence de cette Cour supérieure de justice. Le choix se porte sur Ségovie pour rapprocher le tribunal d’une demande qui provient surtout de « Castille et de la terre de León et des montagnes », parce que la ville se situe au coeur d’une région où les « viandes » ne manquent pas, et parce que le climat y est sain, plus frais, plus propice au travail que les terres chaudes ; Cortes..., op. cit., p. 472. Toutefois, cette décision reste lettre morte, l’Audience se fixant progressivement à Valladolid entre la fin du xive et le début du xve siècle : A. Rucquoi, Valladolid au Moyen Âge (1080-1480), Paris, 1993, p. 266-270.
52 En effet, lors de la chasse vengeresse qu’ordonne l’anti-roi Alphonse aux lendemains de la prise de la ville, Alfonso de Palencia avance le chiffre de 3 000 cerfs, dont une quarantaine périssent en un jour. À cette occasion, le chroniqueur retouche la liste des espèces qu’il mentionne dans le passage portant sur la prise de la ville, indiquant des cerfs, des biches et des bouquetins. S’ajoutent également un taureau bravo et un sanglier auxquels l’anti-roi doit renoncer sous la pression des Grands qui l’accompagnent, soucieux très certainement de ne pas trop fâcher Henri IV ; A. de Palencia, Gesta..., op. cit., p. 460.
53 Sur l’économie de Ségovie et de son territoire, voir l’ouvrage de M. Asenjo Gonzalez, Segovia. La Ciudad y su Tierra a fines del Medievo, Ségovie, 1986. Pour quelques compléments sur l’exploitation forestière, en particulier la mise en défense des pinèdes, voir J. J. Echagüe Burgos, La coronay Segovia en tiempos de Ernique IV (1440-1474). Una relación conflictiva, Ségovie, 1993, p.31.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (dir.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (dir.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (dir.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010