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L’attente

p. 63-77


Texte intégral

Décision de Vercingétorix

1Pour les Gaulois, il allait falloir tenir le plus longtemps possible, jusqu’à l’arrivée des secours. Cela dépendait seulement des vivres dont ils disposaient puisqu’ils ne recevraient plus rien du dehors. On ne pouvait en laisser la consommation à la fantaisie individuelle : Vercingétorix prit la chose en mains1, il se fit apporter tout le blé, sous peine de mort, et attribua des parts de bétail à chacun, propriétaire ou non ; il faudrait l’abattre et sa consommation serait probablement assez rapide, surtout s’il faisait chaud ; il se mit à distribuer le blé avec parcimonie et peu à peu.

2Il prit aussi des mesures d’ordre plus directement militaire, faisant évacuer le camp installé à l’extérieur de l’oppidum : sans doute pensa-t-il que les Romains ne l’occuperaient pas car, quel qu’en ait été l’emplacement, il était dominé par le mur de l’oppidum et, par conséquent, serait sous les tirs des défenseurs. Les troupes, toutes réunies dans l’oppidum, seraient plus aisées à tenir en mains. Vercingétorix fit aussi préparer des dispositifs de franchissement qui serviraient à attaquer la contrevallation de front tandis que les troupes de secours le feraient par derrière. Le récit de César n’entre pas dans tous ces détails, mais on les devine aisément, ainsi que les corvées circulant au flanc du Mont Auxois, même de nuit, pour aller chercher de l’eau et du bois.

3Le repli dans l’oppidum garantissait la loyauté des Mandubiens et empêcherait les désertions et les tentatives d’évasions individuelles à travers les lignes romaines, qui avaient souvent dû aboutir à la capture : en tout cas, il y en avait eu. César avait pu apprendre ainsi les périls menaçant son armée. Il n’était pourtant pas question pour lui de renoncer au blocus et de reprendre son repli – vrai ou simulé – vers la Province.

Décision de César

4César n’avait plus à craindre des attaques de cavalerie descendant au galop de l’oppidum, mais seulement des attaques d’infanterie, probablement furieuses, mais qui n’arriveraient pas au contact avec la même rapidité. Il devait prévoir en même temps la protection de ses troupes de la grande offensive qui viendrait de l’extérieur, mais seulement dans un certain temps.

La Contrevallation

Le fossé de 20 pieds

5Il fallait d’abord raccourcir la contrevallation et, pour cela, la rapprocher du Mont Auxois. Dans le De Bello Gallico2. César insiste sur un gigantesque fossé large de vingt pieds (= 5,90 m), à parois verticales, aussi large au fond qu’à la partie supérieure, creusé à quatre cents pieds (= 118,30 m) ou quatre cents pas (= 591,60 m) des autres travaux. C’est cette distance incertaine qui a toujours attiré l’attention sans que personne pût résoudre cette énigme. Sans s’y attarder davantage, il faut tenir compte des renseignements fournis par les fouilles de novembre et décembre 18643. Les fouilleurs qui avaient identifié la contrevallation dans la plaine des Laumes dès le printemps 1861, cherchèrent vainement ce fossé en avant, à ces deux distances. L’effort fut poursuivi jusqu’en janvier 1865. Ce ne fut pas une fouille exhaustive : étant données ses dimensions et sa longueur, on se contenta, en général, d’en repérer l’ouverture. Nous disposons cependant de quelques coupes complètes4. Au total, le fossé a été repéré au voisinage de l’Ozerain, légèrement en amont du moulin de Bèze ; à l’Oze, il dessinait une grande courbe dont le sommet se trouvait vers le milieu de sa longueur totale qui était d’environ 1 500 m. Il ne subsiste aujourd’hui qu’une des bornes mises en place pour en indiquer le tracé : elle se trouve sur la route 103 i, devant le débouché de la rue des Laumes appelée la « Voie Verte ». À la fouille A qui était à quelques 20 m au nord de ce point, l’ouverture en était de 5 m, la profondeur de 2,70 m, la largeur au fond de 2,30 m à 2,50 m ; à la fouille M, proche du chemin d’Alise à Ménétreux, l’ouverture était de 4,60 m pour une profondeur de 2 m, la largeur au fond d’environ 1,50 m. Dans une troisième fouille, nommée A comme la première, il avait une ouverture de 4,80 m, une profondeur de 1,70 m et une largeur au fond de 1,80 m. Ce ne sont pas tout à fait les dimensions indiquées par César, mais il est clair que le proconsul a voulu impressionner ses lecteurs tandis que ses troupiers ont fait ce qu’ils ont pu, ce qui représentait déjà un travail formidable. Certes, la distance par rapport à la contrevallation ne correspond ni à quatre cents pieds ni à quatre cents pas, mais la courbe correspond bien au terrain comme il était nécessaire. Elle varie donc d’un endroit à l’autre et on doit se demander ce que signifie cette distance unique donnée par César : elle ne peut avoir correspondu à une réalité.

Un obstacle creusé ailleurs que dans la plaine des Laumes ?

6Le texte de César donne à penser que ce fossé « de 20 pieds » a été établi tout autour du Mont Auxois. On a parfois proposé de le reconnaître dans un fossé dont des éléments ont été vus au col du Pennevelle en janvier 18625, mais si les résultats de ces fouilles ne concernent pas le camp gaulois, ils ne concernent pas davantage l’investissement romain. On reconnaît, en général, que dans les parties étroites des vallées de l’Oze et de l’Ozerain, les deux rivières ont joué le même rôle que le fossé de « 20 pieds » dans la plaine des Laumes.

7Les adversaires de l’identification d’Alésia avec le Mont Auxois répliquent que ces rivières ne peuvent avoir été les deux flumina léchant le pied de la colline d’Alésia parce qu’elles n’auraient pas pu être désignées par ce terme6. Il y a là une double erreur : d’abord de vocabulaire, car César, dans le De Bello Gallico, n’a utilisé que ce terme pour désigner les cours d’eau quels qu’ils fussent, sauf en V, xlix, 5-l, où à deux reprises il a dénommé rivus un humble ruisseau dont la présence n’a pas gêné l’action des cavaliers et des fantassins nerviens. Ni l’Oze, ni l’Ozerain ne méritent pareil mépris. Certes, ce ne sont pas de grandes rivières, mais on ne peut jamais les traverser à pied sec, leurs rives sont suffisamment hautes et raides pour imposer, presque partout, un véritable exercice de gymnastique à qui veut y descendre d’un côté et remonter de l’autre. Cet exercice, effectué sous les tirs de l’ennemi, n’eût vraiment pas été facile pour les guerriers de Vercingétorix, même pour ceux qui n’avaient d’autre équipement qu’un bouclier et une lance.

8Au total, il est plus probable que le fossé « de 20 pieds » n’a existé que dans la contrevallation de la plaine des Laumes.

Un échec de César ?

9Même là, ce fossé pose deux problèmes. Le premier est qu’il n’a pas été défendu lors des derniers combats : les assiégés l’ont abordé à deux reprises (VII, lxxix, 4 et VII, lxxxii, 3) et n’ont eu à se préoccuper que de son franchissement. Or un obstacle non défendu finit toujours par être franchi, ce qui s’est produit puisque les assiégés ont atteint la contrevallation lors de la bataille suprême. On doit se demander pourquoi César a fait creuser cet obstacle exceptionnel si loin en avant de la ligne qu’il devait protéger et ne l’a pas fait défendre : la seule explication possible paraît être qu’il a voulu établir la contrevallation sur cette ligne qui lui aurait offert le plus grand gain de longueur possible7, mais qu’il a été obligé d’y renoncer parce qu’elle était trop proche des dernières pentes du Mont Auxois sur lesquelles les assiégés pouvaient descendre et d’où ils pouvaient accabler sous leurs tirs les travailleurs romains sans courir de risques sérieux. César a dû renoncer à son projet et préférer se rabattre sur les travaux déjà commencés en avant des camps de la plaine en les faisant perfectionner. Ce fameux fossé n’a donc été finalement qu’un obstacle passif, mais il était sans doute plus important que ce que suggèrent ses seules dimensions, car qu’avait-on fait de la terre ? Avait-elle été accumulée du seul côté aval pour ébaucher un agger dont la hauteur se fût ajoutée à la profondeur du fossé ? Ou répartie des deux côtés formant ainsi deux bandes (agger et contrescarpe) dans lesquelles il eût été malaisé de marcher s’il avait plu ?

Une nouvelle contrevallation dans les vallées de l’Ozerain et de l’Oze

10La vallée de l’Ozerain, sous la Montagne de Flavigny, offre un exemple de resserrement particulièrement remarquable : en effet, la contrevallation qui figure sur les planches 25 et 28 de l’Atlas n’est pas celle que nous avons étudiée dans le chapitre précédent, c’est l’autre, beaucoup plus proche de la rivière8, à une distance qui varie selon les méandres, mais qui est souvent de l’ordre d’une douzaine de mètres seulement, ce qui donnait déjà à cette ligne une domination de quelques mètres au-dessus de la rivière, surtout en tenant compte de l’agger. La planche 28 de l’Atlas donne trois coupes du fossé qui était simple : son ouverture variait de 3 m à 5 m, la profondeur de 1,50 m à 2,50 m ; les archives ne fournissent aucune indication supplémentaire9.

11Les planches 25 et 28 de l’Atlas indiquent une contrevallation analogue le long de l’Oze dans la partie étroite de sa vallée. La planche 28 donne même une coupe (ouverture : 5 m, profondeur : 2,30 m), les archives ne fournissent aucune indication à son sujet ; par contre elles apprennent qu’un fossé a été trouvé plus haut, à mi-hauteur du versant vers la limite des territoires de Grésigny et de Bussy-le-Grand (F 224 à 232)10 et sur le territoire de Darcey, en descendant jusqu’à la voie ferrée (F 204 à 213)11, il y a donc eu, ici aussi, une première contrevallation figurant de façon schématique sur le plan de Pernet12 mais qui n’a été trouvée que par endroits parce que ce coteau était couvert de vignes dans lesquelles on ne pouvait fouiller13.

La seconde contrevallation dans la plaine de Grésigny

12La découverte de la seconde contrevallation le long de l’Oze14 a eu lieu à l’automne de 1862 ou au début de l’hiver 1862-1863. La poursuite des travaux a révélé bientôt qu’elle continuait à travers la partie inférieure de la vallée du Rabutin et la plaine de Grésigny en s’éloignant peu à peu de l’Oze et en atteignant finalement la base du Réa. Elle avait évidemment remplacé la première contrevallation décelée sur la pente de celui-ci en permettant un gain de longueur très appréciable, que nous ne pouvons pas préciser puisque celle de la première contrevallation reste incertaine. La planche 28 de l’Atlas fournit trois coupes : il s’agissait d’un fossé en V, avec une ouverture de 4 m à 4,5 0 m, une profondeur de 2 m ou un peu plus. Les photographies aériennes de M. Goguey indiquent une trace parallèle qui paraît être celle d’un second fossé, distant d’une dizaine de mètres, mais les fouilles de M. l’Abbé Jovignot, en 1967 et 1968, n’ont pu en déceler des vestiges. Cette trace étant nettement plus étroite que celle de l’autre fossé, peut-être ce fossé était-il seulement destiné à soutenir une ligne de défense accessoire15 ?

La seconde contrevallation dans la Plaine des Laumes

13Les fouilles d’Alésia ont commencé au printemps 1861 dans la plaine des Laumes parce qu’on y avait trouvé, quelques mois plus tôt, des débris d’armes de bronze16 dont on avait cru qu’elles avaient appartenu à des guerriers gaulois de l’époque du siège. Erreur excusable en ce temps où notre archéologie en était à ses premiers balbutiements, erreur heureuse puisqu’elle a déclenché les fouilles d’Alise qui eurent pour but de prouver que le Mont Auxois était bien Alésia ! Il fallait chercher dans le sol des vestiges des fossés creusés par les troupiers de César et peut-être des objets caractéristiques. Napoléon III prit les choses en mains et confia la direction des travaux à la Commission de la Topographie de la Gaule, constituée sous la présidence du numismate et archéologue De Saulcy.

14On commença par cafouiller parce qu’on chercha au voisinage des emplacements où les armes de bronze avaient été recueillies, puis une longue tranchée de recherches rencontra un premier fossé enfoui dans le sol (F 18)17 ; on s’aperçut bientôt qu’il y en avait en réalité deux, parallèles et proches l’un de l’autre. Puis la tranchée de recherche en révéla un troisième, plus éloigné mais concentrique. On avait donc trouvé successivement la contrevallation avec les deux fossé parallèles et la circonvallation avec le troisième. Des sondages furent pratiqués de proche en proche qui révélèrent finalement la contrevallation de l’Oze à l’Ozerain.

Les deux fossés

15Le De Bello Gallico annonçait deux fossés18 : on les trouva effectivement mais la suite des recherches montra qu’ils n’avaient existé que dans la plaine des Laumes. Ailleurs la contrevallation n’en avait eu qu’un seul. La phrase latine comportait une certaine ambiguïté car elle annonçait une largeur de quinze pieds (= 4,40 m) pour chacun et « la même profondeur » sans permettre de comprendre s’ils avaient également 4,40 m de profondeur ou la même profondeur l’un et l’autre, quelle qu’elle fût. La fouille prouva que la bonne interprétation était celle-ci ! Le fossé le plus proche d’Alise avait toujours un fond plat d’une largeur de 30 à 70 cm, cependant que celui qui courait au pied de l’agger avait été le plus souvent taillé en V très pointu. Les indications chiffrées données par les coupes de Millot sont évidemment approximatives car on ignorait à quel niveau se trouvait la surface de la plaine au temps du siège. C’est une question pour laquelle on discute toujours19 et d’ailleurs elle ne devrait pas avoir une réponse identique pour tous les points de la plaine. Millot a pris comme repères les niveaux des dépôts sédimentaires qui apparaissaient dans les coupes. Or le sous-sol de la plaine n’est pas uniforme. Dans le cas le plus favorable on y trouve, en-dessous de la terre arable et d’une couche d’argile brune d’une épaisseur variable, des gravillons blancs jaunâtres consolidés. Parfois certains fossés ont même atteint l’argile bleuâtre du Lias. C’est dans la couche des gravillons que les parois du fossé se voient le plus nettement, mais, même dans ce cas, cette netteté n’est pas parfaite. Il arrive même qu’un fossé ait été taillé sur toute sa hauteur dans l’argile : sa présence ne se décèle alors qu’à la moindre résistance de l’argile de remplissage que les terrassiers du Second Empire sentaient nettement sous leurs pioches et que nous avons vu déceler également en 1975 par un ouvrier exécutant un sondage à la pelle mécanique ; ou bien, si le sondage reste à l’air libre un temps suffisant, l’argile de remplissage se craquelle, alors que l’argile en place reste encore d’apparence intacte.

Mensurations

16Il est certain que les fossés, sauf exception, n’ont jamais eu exactement les quinze pieds (4,40 m) indiqués par César. Les troupiers leur donnaient simplement une ouverture qui avait une valeur proche, nettement moindre pour le fossé le plus proche de l’agger, et la profondeur présentait également des variantes. Voici, par exemple, les données approximatives retenues pour les recherches effectuées en 199020 : le fossé le plus proche d’Alise aurait une ouverture de 4,20 à 6,80 m pour une profondeur de 1,30 à 1,80 m. Les variations ont eu certainement des causes diverses. Parmi elles, il faut faire une part à la façon dont les chefs des unités subordonnées appliquaient les instructions générales qui leur parvenaient. Nous pensons en avoir trouvé un exemple assez probant dans une fouille faite en 1965 sous la direction de M. Ariente21 entre les emplacements des fouilles 47 et 48 de 1861. Elle a permis de dresser le tableau suivant :

Fossé le plus proche de l’oppidum22

Fouille 47

Fouille 1965

Fouille 48

Profondeur totale

1,50 m (= 5 pieds)

1,70 m (= 6 pieds)

1,80 m (= 6 pieds)

Ouverture

5 m (=16 pieds 1/2)

5,60 m (= 18 pieds 1/2)

5,60 m (=18 pieds 1/2)

Largeur du fond

1,20 m (= 4 pieds)

1,90 à 2m (= 6 pieds 1/2)

2 m (= 6 pieds 1/2)

Fossé courant au pied de l’agger

Fouille 47

Fouille 1965

Fouille 48

Profondeur totale

1,50 m (= 5 pieds)

1,70 m (= 6 pieds)

1,80 m (= 6 pieds)

Ouverture

3,80 m (=12 pieds 1/2)

3,80 m (=12 pieds 1/2)

3,80 m (=12 pieds 1/2)

Largeur du fond

0

1 m (= 3 pieds 1/2)

1 m (= 3 pieds 1/2)

Distance d’axe en axe

5,70 m (=19 pieds)

5,20 m (=17 pieds 1/2)

5,50 m (=18 pieds 1/2)

17Le fossé courant au pied de l’agger était donc loin d’avoir une ouverture de quinze pieds ! Le tableau offre une opposition nette entre la fouille 47 et les deux autres, non seulement dans les mesures mais encore dans le profil du fossé au pied de l’agger qui n’est pas triangulaire comme ce fut, semble-t-il, généralement le cas. Ceci était réalisé à la fouille 47, mais à la fouille 48 et à celle de 1965, il avait un fond d’un mètre de large. Or, entre la fouille 48 et celle de 1965, il y avait une distance de 55 m, tandis que la 47 était à 95 m de celle de 1965. L’identité des travaux rencontrés pour les deux premières fouilles peut s’expliquer par leur proximité. La nature du terrain ne paraît pas susceptible d’expliquer cette forme exceptionnelle du fossé au pied de l’agger. Il semble qu’il faille invoquer une raison humaine, autrement dit les fossés à la fouille 48 et à celle de 1965 d’une part, et à la fouille 47 d’autre part, n’ont probablement pas été exécutés par la même unité-cohorte ou plus probablement centurie.

Perfectionner les défenses

18César ajoute que « le fossé intérieur » – intérieur à l’ensemble de l’investissement, c’est-à-dire le plus proche d’Alise – avait été rempli avec de l’eau dérivée d’un des cours d’eau ; par les dépôts trouvés, les fouilleurs du xixe s. avaient déjà constaté qu’elle avait dû venir de l’Ozerain. Les fouilles de 1990 l’ont confirme23. Au-delà des fossés, César dit que se dressait le rempart24 (agger) et une palissade (uallum), le tout haut de 12 pieds (3,54 m). César y fit ajouter un parapet (lorica) et des merlons (pinnae) avec des grands bois fourchus en saillie a la jonction des panneaux (plutei) et du rempart (agger) pour ralentir les escalades. Le sens des termes latins n’est pas sans comporter pour nous une certaine incertitude : il faut probablement comprendre qu’au-dessus du uallum fait de pieux, il y a eu un parapet (lorica) et des merlons (pinnae) fait de clayonnages, destinés à donner aux défenseurs une certaine protection contre les projectiles que lançaient les assaillants, tout en leur permettant à eux-mêmes de tirer par les créneaux séparant les merlons en étant partiellement protégés.

Le piquetage avant le terrassement

19L’agger était évidemment fait de la terre tirée des fossés et sa pente aurait été d’environ 40°, ce qui paraît assez faible et n’aurait probablement pas empêché l’escalade, d’où l’intérêt des grands bois fourchus fichés à la jonction de l’agger et du uallum. Si telle a bien été l’organisation du rempart, elle pose la question du « jet de pelle » : l’utilisation de la terre extraite du fossé courant du côté du futur agger n’aurait pas posé de problème, mais qu’en eût-il été pour celle de l’autre fossé (au pied de l’oppidum) ? Dans un cas comme celui de la fouille 47, il eût fallu au début du travail lancer sa terre à plus d’une dizaine de mètres : cela suppose que ce fossé a été tracé et creusé avant l’autre.

Les tours

20César fit établir des tours tous les quatre-vingt pieds (= 23,70 m), ce qui paraît avoir été une distance normale car elle avait été utilisée également au camp de Quintus Tullius Cicéron25. Nous ignorions si elles avaient été placées sur l’agger ou en avant de lui, jusqu’à ce que les photographies aériennes de M. Goguey démontrent qu’il y en avait eu sur tout l’investissement et qu’elles avaient bien été implantées sur l’agger26. Nous savons aujourd’hui que ces tours de bois étaient assez faciles à construire. On préparait deux de leurs côtés à plat sur le sol, puis on les redressait simultanément et on les assemblait. Il n’était pas nécessaire d’utiliser de grands arbres pour les montants, qu’on pouvaient constituer avec des faisceaux d’arbres minces ou des branches. Question plus difficile : celle de la hauteur ou plutôt du nombre de planchers. Pendant la campagne de l’hiver 52-51 contre les Bellovaques, César a fait construire de nombreuses tours à trois planchers27 ; c’est ce que Napoléon III a proposé pour celles d’Alésia. On en a parfois douté, mais c’est surtout parce qu’on a pensé qu’elles avaient été destinées à porter des pièces d’artillerie. Or cette idée ne peut être retenue car même si elles avaient été moins élevées, elles n’auraient pas résisté longtemps aux ébranlements provoqués par les tirs. Ces tours en bois, très sommaires, étaient bien plutôt utilisées pour le lancement des pila, et, pour cela, il était avantageux que les lanceurs fussent placés le plus haut possible afin d’augmenter la portée de ces traits28.

Les défenses accessoires

21César insiste beaucoup sur les défenses accessoires qu’il a fait établir devant la contrevallation : cinq fossés profonds de cinq pieds (= 1,50m) dans lesquels étaient fichés et immobilisés des troncs d’arbres ou de grosses branches aux extrémités taillées en pointe de façon à constituer de véritables abattis dans lesquels les assaillants s’empaleraient. Devant eux, huit rangs de trous de loup profonds de trois pieds (= 0,90 m), chacun équipé d’un gros pieu taillé en pointe et durci au feu, le tout couvert d’un camouflage de branchages et de broussailles. Encore en avant, distribués sans ordre et enfouis dans la terre, des pieux longs d’un pied (= 0,30 m) et équipés de crochets de fer. Pour désigner ces pièges, les troupiers inventèrent des noms évocateurs : les abattis furent surnommés cippi (« les bornes »), sans doute en pensant aux bornes indiquant des tombeaux ; les trous de loup furent des lilia (« lys »), en raison de leur forme ; les pieux à crochets des stimuli (« aiguillons »), peut-être par ironie, parce qu’au lieu d’aiguillonner les assaillants, ils immobiliseraient ceux qui marcheraient sur eux. Ces défenses ont été retrouvées devant la contrevallation et la circonvallation. Peut-être César n’a-t-il pas tout dit, car les fouilles de 1990 ont découvert que les parois du fossé le plus proche de l’agger avaient sans doute été équipées de pieux destinés à ralentir et à gêner les assaillants qui auraient réussi à l’atteindre29.

La contrevallation du Pennevelle

22Pour être complet, il fallait que l’encerclement s’achevât sur le Pennevelle. Les fouilleurs tentèrent d’y trouver la contrevallation à l’été de 1862. Après quelques tâtonnements, ils y parvinrent au mois d’août. Il n’y avait qu’un seul fossé montant presque tout droit de l’Oze à la crête de l’éperon qu’est le Pennevelle, en passant à l’emplacement de la ferme de Ravouze : son ouverture avait dû être de 3 m environ, sa profondeur de 1,60 m, sa forme étant toujours en V. Sur le versant méridional, la recherche fut menée beaucoup plus vite, probablement parce qu’on était au début de la direction de Stoffel, qui avait pour instruction de mener les choses rapidement. La ligne arriverait à l’Ozerain au Moulin Foury (aujourd’hui Moulin Savy) ; selon Millot, les dimensions étaient les mêmes que sur l’autre versant, mais nous n’avons qu’une coupe, celle donnée par la planche 28 de l’Atlas (coupe 22), qui propose une ouverture de 3,70 m pour une profondeur de 2 m30.

La circonvallation selon César31

23La contrevallation terminée, César fit exécuter des travaux semblables mais tournés en sens contraire, face à l’ennemi venant de l’extérieur, en utilisant le terrain au mieux. Cette circonvallation, enveloppant évidemment la contrevallation, aurait quatorze mille pas (= 20,700 km) de longueur. Le texte du De Bello Gallico ne donnant aucune indication, le problème était de savoir en quoi elle avait consisté exactement ; seule l’archéologie apporterait des éléments de réponse.

Le « Grand Fossé » dans la plaine des Laumes

24Dans la plaine des Laumes, la tranchée de recherche, apportant la découverte de la contrevallation, fut poussée au-delà de la Route Impériale 5 (aujourd’hui D. 905) en direction de la Brenne. On rencontra d’abord un grand trou qu’on considéra, sans doute à juste titre, comme un puit à balancier établi par les soldats romains, trop éloignés des deux rivières à cet endroit pour y aller puiser de l’eau, puis on trouva un petit fossé en V (F 28), ensuite un grand (F 29), à 181 m de la contrevallation.

25On considéra aussitôt que ce « grand fossé » avait été celui de la circonvallation, qui eût été unique, et on ne s’occupa plus de l’autre qui ne figure pas sur les planches de l’Atlas. Les fouilles ultérieures permirent de suivre le grand jusqu’à l’Oze et à l’Ozerain. En réalité, on ne trouva que son fond, large en général d’environ 2 m (= 6 pieds romains). On ne put relever sa profondeur que par rapport au sol actuel ; variable, elle était souvent proche de 2 m, toujours supérieure à 1 m. Il était parallèle à la contrevallation dont il suivait la courbe en s’en tenant constamment à la même distance.

La continuité du « petit fossé »

26Le petit fossé était toujours en V. Sa profondeur, par rapport au sol actuel, était variable, toujours un peu plus faible que celle du grand. Les fouilleurs de 1861 ne l’ont suivi que depuis la F.28 jusqu’au chemin de Vénarey, sur une longueur de 115m. Là, il était à 11 m d’axe en axe du grand32. Pourtant ils l’ont trouvé à la fouille 59 (au-delà de la rue des Laumes, appelée le « Chemin Vert »)33 et nous-mêmes, nous avons décelé sa présence, en 1971, à quelques mètres à l’est du grand34, dans les parages de la fouille 53 de 1861. À cette époque, le « petit fossé » en V avait été trouvé également à la fouille 66, qui était la plus proche de l’Oze35 ; il était à 8,40 m d’axe en axe du « grand fossé » ; il l’avait été aussi à la fouille 64 bis36, qui ne figure sur aucun plan mais qui a dû être pratiquée un peu au nord de la fouille 6437 dont les résultats semblent avoir été décevants parce que le « grand fossé » y était en mauvais état. C’était, par conséquent, immédiatement au nord du vieux chemin appelé « La Vie de Baigneux », sur un terrain qu’occupe aujourd’hui une partie des abattoirs des Laumes, construits en 1978. À cette époque, trois sondages fructueux ont été exécutés par une équipe dirigée par J. Bénard et H. Ariente, le plus net immédiatement au nord de la borne posée en 1865 en bordure du chemin, dont nous avons constaté qu’elle avait été implantée exactement au-dessus du fossé en V, qui se trouvait là à 11,43 m d’axe en axe du « grand fossé »38. Ces repérages, confortés par les photographies aériennes de M. Goguey, témoignent que la circonvallation comprenait bien deux fossés, un large et un en V du côté de l’agger entre la fouille 28 et l’Oze. On ne peut pas douter qu’il en était de même entre la fouille 28 et l’Ozerain.

27La conception générale de la circonvallation dans la plaine des Laumes a donc été la même que celle de la contrevallation dans ce secteur et l’ordre des travaux aurait été aussi le même : d’abord piquetage du futur agger et des deux futurs fossés, puis creusement du fossé à fond en cuve en jetant sa terre à l’emplacement de l’agger, en troisième lieu, creusement du fossé en Y, le plus délicat à creuser en raison de l’étroitesse de son fond mais celui qui aurait l’avantage de ne pas permettre à des adversaires de s’y tenir droit, d’y utiliser leurs armes de jet avec une certaine aisance.

Défenses accessoires

28La circonvallation a eu également ses défenses accessoires. C’est même devant elle qu’ont été repéré les seuls vrais trous de loup par les fouilleurs de 1864, au carrefour de la D. 103 i et de la D. 905 : cinq rangées disposées en quinconce, profonds de trois pieds avec une ouverture de deux pieds39, ils étaient placés au contact même du fossé à fond plat. Nous ne pouvons douter que la circonvallation ait été dotée de tours dans la plaine des Laumes, puisqu’elle en a eu sur la Montagne de Bussy et qu’elles ont été utilisées contre l’armée de secours40.

Dans la plaine de Grésigny

29Dans la plaine de Grésigny, terrain plat, le dispositif général était le même que dans la plaine des Laumes. La circonvallation, établie à une centaine de mètres de la nouvelle contrevallation, courait parallèlement à elle jusqu’à la hauteur du chemin qui longe le pied du Réa41. Là, les deux lignes divergeaient, tandis que la contrevallation faisait un angle pour se rapprocher de l’Oze. La circonvallation allait au-delà et escaladait les premières pentes de la colline, mais on la perdit bientôt elle aussi. On revint au flanc du Réa en août 1865 et on découvrit alors, plus haut mais en dessous de la première contrevallation, un fossé au plan étonnant avec deux extrémités se dirigeant vers le haut, facile à reconnaître sur les planches 25 et 28 de l’Atlas, au-dessus de la lettre D, grâce à ce plan. On ne put malheureusement poursuivre son exploration plus loin à cause des vignes ; sur les planches de l’Atlas, il est rattaché à la contrevallation par un pointillé. C’est certainement une erreur, car c’est de la circonvallation qu’il faisait partie comme le montre le « Grand Plan » du 1er septembre 1862 (complété plus tard) et comme le suggère un croquis de Stoffel42. Cet emplacement paraît mal choisi par rapport au relief peut-être a-t-il été imposé par le besoin de protéger des sources sourdant sur ces basses pentes, dont une figure toujours sur la carte I.G.N. au 1/25 000e ? En effet, les soldats étaient séparés de l’Oze par la contrevallation qu’ils ne pouvaient franchir.

30Les photographies aériennes ont révélé qu’une trace mince suivait à une dizaine de mètres, la trace large du fossé découvert en 186343 ; comme la trace mince accompagnant, dans la même zone, la large trace du fossé de la contrevallation, elle se trouve du côté de l’ennemi, à une dizaine de mètres. Dans les deux cas, il pourrait s’agir d’un fossé destiné à contenir des pièges, peut-être des cippi ou une lorica. Précisément le De Bello Gallico raconte qu’au cours de leur attaque, les guerriers de Vercassivellaunos jetaient de la terre sur la fortification romaine et recouvraient ainsi les pièges cachés dans le sol par les Romains44.

La circonvallation au Pennevelle45

31Au Pennevelle, la circonvallation fut trouvée, à la hauteur de la ferme de Ravouze, à 200 m de la contrevallation, mais à 430 m à la hauteur du chemin qui suit la crête et passe, à juste titre, pour être un chemin antique, à 100 m sur l’Ozerain, à la hauteur du Moulin Chantrier. Il y a eu là des constructions d’époque indéterminée, le terrain a trop changé même depuis le Second Empire pour que nous puissions comprendre le motif de l’augmentation de la distance entre les deux lignes constatée à la hauteur de la crête. Il n’y avait qu’un seul fossé dont la profondeur était d’1,60 m par rapport au niveau du sol en 1862, l’ouverture de 4 m. Sa direction sur le versant de l’Ozerain parait avoir été estimée d’après l’aspect de la végétation.

Sur les Montagnes de Bussy et de Flavigny

32C’est également l’aspect de la végétation dont l’observation révéla que la circonvallation escaladait la Montagne de Bussy en suivant le Rû de Sozey46 ; des fouilles le confirmèrent.

33Sur les plateaux des Montagnes de Bussy et de Flavigny, les recherches furent aisées et rapides, trop rapides même car nous n’avons guère d’autres documents à leur sujet que les « Grands Plans », aussi est-il très important que les photographies aériennes de M. Goguey montrent très clairement le « castellum » 18 sur la croupe ouest de la Montagne de Bussy et la circonvallation47 traversant toute cette croupe en ligne à peu près droite mais en frôlant le « castellum »15 à une quarantaine de mètres. D’autres photographies de M. Goguey ont montré l’existence de la circonvallation sur la croupe centrale (lieu-dit « Tourne qui vire »), mais elle se confond avec la lisière extérieure du Grand Camp C. Dès lors, on ne peut plus mettre en doute l’exactitude des résultats obtenus en 1862-1865, selon lesquels sur les deux montagnes, la circonvallation avait été tracée en arrière des camps installés au cours de la première phase de l’investissement, en entourant à bonne distance les plus petits (15 et 18 sur la Montagne de Bussy), mais en utilisant les fortifications dont les Grands Camps C et B avaient déjà été munies sur leurs faces extérieures, ce qui permit d’éviter au total 480 m de travaux. Sur l’une comme sur l’autre Montagne, la ligne dominait ainsi l’arrière-pays d’où pourraient venir les attaques extérieures. D’après les plans, on a l’impression que la ligne a été tracée d’un seul jet ; ce n’est cependant pas absolument certain, car une des photographies de M. Goguey parait indiquer une deuxième trace faisant un angle aigu à l’est du Camp C avec la trace principale.

34Quoi qu’il en soit, les photographies aériennes de 1990 nous apportent des renseignements de la plus haute importance. Elles nous ont appris que la circonvallation était équipée de tours en bois sur la Montagne de Bussy, alors qu’on avait tendance à croire qu’il n’y en avait eu que dans la plaine des Laumes et peut-être même sur la contrevallation. Nous sommes ainsi autorisés à croire que toutes les fortifications romaines en avaient été dotées, peut-être pas toujours de la même hauteur puisque les photographies ne révèlent que les trous de poteaux – 4 par tour – ce qui ne présume pas de la hauteur. Ces tours étaient implantées sur le rempart, sans doute peu élevé, puisqu’il avait fallu traverser l’agger pour creuser les trous de poteaux dans le calcaire sous-jacent. Quatre petits fossés étaient accolés au grand : ils n’ont pu servir qu’à la mise en place de lilia. César parle de cinq pour la contrevallation des Laumes, mais il n’y en a que deux sur le front du Camp C. Nouveaux indices, s’il en était besoin, que les descriptions du De Bello Gallico ne reflètent pas une réalité générale : il y a eu des instructions générales mais les chefs locaux les ont réalisées selon leurs moyens. On est étonné de voir que le fossé de la circonvallation ne rejoignait pas exactement celui du Camp C : il y avait donc là une sortie possible pour manœuvrer hors des lignes. La porte à titulus du camp C destinée au même emploi, était à côté mais séparée de la circonvallation par le fossé et le rempart du camp : sans doute ces deux sorties n’étaient-elles pas destinées aux mêmes unités.

35On peut faire des comparaisons analogues pour la Montagne de Flavigny. Sur le « Grand Plan » du 1er septembre 1862 (complété) un « passage » est indiqué en toutes lettres à la jonction de la circonvallation et du Camp B. Il semble qu’il était disposé comme celui contre le Camp C, c’est-à-dire qu’il interrompait les fortifications de la circonvallation et non celles du camp. Plus net est le cas du dispositif entourant la pointe méridionale du Camp A. Il apparaît sur un carton particulier de la planche 28 de l’Atlas, et on a souvent dit que le Camp A avait là une triple défense : c’est inexact, puisque le camp était l’un des fortins édifiés dès le début de l’investissement, tandis que les deux fossés qui en entouraient la pointe faisaient partie de la circonvallation établie postérieurement. Ils semblent bien avoir formé une barbacane permettant à des troupes venues de l’intérieur de la circonvallation de déboucher vers l’ouest. Bref, il s’agirait d’un dispositif complexe plus offensif que défensif qui aiderait peut-être à comprendre la crainte des chefs de l’armée de secours, à la fin de l’attaque dans la plaine, de l’arrivée dans leur latus apertum. d’une contre-attaque dévalant de la Montagne de Flavigny48.

Les pseudo-trous de loups

36Entre le débouché de cette barbacane et les escarpements ouest de la Montagne de Flavigny, la circonvallation devait présenter un aspect particulier dont les vestiges surprirent les fouilleurs du Second Empire et dont l’interprétation continue à nous poser un problème. En effet, à sept mètres derrière le fossé, on découvrit sur une ligne qui lui était parallèle neuf paires de trous coniques creusés dans le roc. Leurs dimensions correspondaient à celles des trous de loups de la plaine des Laumes et à celles indiquées par César pour les lilia (profondeur : 0,90 m, diamètre à l’ouverture : 1,50 m). On constata qu’un pieu avait dû être fiché au fond, maintenu par l’argile tassée. Napoléon III considéra qu’il s’agissait de pièges semblables à ceux de la plaine. Cette hypothèse fut largement suivie par la suite, or elle est inacceptable49. D’abord parce qu’il n’est pas normal de placer dès défenses accessoires derrière un fossé et le talus élevé avec sa terre, ensuite parce que les trous de toutes les paires étaient écartés de la même distance – 3 m – et que toutes les paires étaient séparées par le même intervalle de 15 m, qui est relativement considérable. Il n’y a rien de commun entre cela et la disposition en quinconce des trous de loups de la plaine. M.J. Harmand a proposé de reconnaître dans ces trous les vestiges de plates-formes portant des pièces d’artillerie50. Pernet disant que la circonvallation était interrompue devant les paires de trous51, on pourrait penser qu’on avait voulu ménager ainsi des créneaux de tir. Il faut ajouter que le brouillon du Camp A52, s’il montre six paires de trous plus loin à l’approche des escarpements disposées sur la même ligne, porte une note indiquant que devant elles, il n’y avait pas de fossé : la circonvallation à cet endroit n’était donc close et protégée que par le dispositif dont la présence est attestée par ces six paires de trous jumelés.

37Le mystère ne s’arrête pas là. De pseudo-trous de loups analogues ont été trouvés sur la croupe est de la Montagne de Bussy, également à 7 m en arrière du fossé de la circonvallation53. Ils étaient sur une seule ligne, au nombre de 1754, placés sans symétrie, les uns contre les autres. Il s’agissait donc d’un dispositif différent de celui installé à l’ouest du Camp A. Sur la Montagne de Flavigny, il y a eu d’autres pseudo-trous de loups que ceux dont nous avons parlé : quand un membre de la Société des Antiquaires de Normandie visita Alise en octobre 1864, on lui raconta qu’on en avait déblayé environ 80 – certainement sur la seule Montagne de Flavigny –, et qu’on négligeait dès lors d’en chercher d’autres55.

L’artillerie romaine

38Les fouilles ont fourni des débris d’armes métalliques – épées, lances, poignards, boucliers, balles de fronde, casques. Il est impossible de dire si ces armes ont appartenu aux Romains ou aux Gaulois. Il y a cependant une exception : les boulets de pierre car les Gaulois n’avaient pas d’artillerie. Ceux qui ont été recueillis avaient été taillés dans les calcaires affleurant à l’intérieur même des lignes romaines, de forme à peu près sphérique, mais préparés grossièrement par les soldats eux-mêmes. Ils étaient pour la plupart d’un diamètre de 20 à 25 cm, d’un poids proche de 20 kg. L’artillerie romaine se perfectionnera plus tard. Au temps de César, il n’existait que deux grands types : les catapultes et les balistes, toutes fonctionnant grâce à des mécanismes de torsion. Les catapultes lançaient des flèches ou plutôt des « carreaux », ou des pierres relativement légères ; les balistes lançaient les gros boulets. Ces noms changeront plus tard. Les « scorpions » étaient des catapultes de petite taille tirant à tir tendu avec une efficacité redoutable sur des adversaires installés à des postes fixes et sans protection particulière. À l’époque aucun de ces engins n’était mobile. Par suite de leurs faibles puissances on ne pouvait guère les utiliser que contre les personnes. Dans le De Bello Gallico, César signale assez souvent les succès de son artillerie désignée toujours par le terme de tormenta, exceptionnellement de scorpio – cité deux fois –, terme collectif qui ne permet pas de savoir quelle était la part des catapultes et celle des balistes, encore moins qu’elle en était la répartition. Les découvertes de boulets, de débris de meules et de tessons d’amphores, qui pouvaient être également tirés par ces engins, montrent qu’à Alésia les lignes de contrevallation et de circonvallation en étaient pourvues. Ils paraissent avoir été nombreux au Réa sur la partie haute de la circonvallation, point très exposé et qui sera effectivement attaqué et probablement emporté par Vercassivellaunos56.

Notes de bas de page

1 B.G., VII, lxxi, 6-7.

2 B.G., VII, lxxii, 1.

3 Fouilles d’Alise, Doc. 322-333 bis.

4 Fouilles d’Alise, Pl. 36 à 39.

5 V. supra, « La victoire de l’outil », n. 12.

6 V. le texte et sa trad. supra chap. « Le terrain », p. 1.

7 Environ 400 m (entre Oze et Ozerain : Contrevallation, 2 000 m, fossé de 20 pieds, 1 600 m).

8 Fouilles d’Alise, Pl. 107 et 108.

9 Ibid., Doc. 325.

10 Ibid., Pl. 87.

11 Ibid., Pl. 84 et 89.

12 Pro Alésia, 1re série, Pl. CXX.

13 Fouilles d’Alise, Doc. 180, 183, 185, 190, 191, 192, 200.

14 Ibid., Doc. 244,247, 254,257, 260. Grds. Plans du 27 mars 1863, du 1er sept. 1862, du 9 avril 1863, du 7 janv. 1863.

15 B.S.S.S., 1967,4, p. 7 ; 1968, 3, p. 13. R. Goguey, Recherches sur l’archéologie militaire romaine, Mirebeau, p. 106, fig. 7.

16 Fouilles d’Alise, Doc. 254 (de Saulcy).

17 Ibid., Doc., 37, pl. 2 (Les fouilles ont été numérotées après coup ; leurs numéros ne correspondent donc pas à l’ordre dans lequel les sondages ont été pratiqués ; les numéros 1 à 16 ont été affectés à ceux qui sont demeurés stériles).

18 B.G., VII, lxxii, 3.

19 Cf. J. Bénard, Recherches sur la contrevallation, 1991, p. 4-8.

20 Ibid.

21 B.S.S.S., 1965, 4, p. 12-17.

22 Les mesures données par les coupes de Millot ont été prolongées au niveau du sol actuel.

23 Op. cit., supra n. 19.

24 B.G., VII, lxxii, 4.

25 B.G., V, xxxx, 2.

26 R. Goguey, C.R.A.I., janvier 1991.

27 AG, VIII, ix, 3.

28 Exemple d’emploi des pila de rempart lancés de tours de la circonvallation contre les guerriers de l’armée de secours : ex uallo ac turribus traiecti pilis muralibus interibant (B.G., VII, Ixxxii, 1).

29 V. supra, n. 19.

30 Fouilles d’Alise, pl. 28, 30, 33 ; Doc. 183, 190, 288, (fossés cd et ef), 289 et suiv. ; B.S.S.S., 1965, 4, p. 12-19.

31 B.G., VII, lxxiv.

32 Fouilles d’Alise, pl. 33.

33 Ibid.., pl. 22 et 24.

34 Fouille Lussiaud. Cette fouille a bien trouvé le fond plat du « Grand fossé », large d’environ 2,60 m ; il a été dégagé sur une dizaine de mètres, mais il n’a pas été possible d’en faire autant pour le « Petit fossé » (B.S.S.S., 1971, 4, p. 8-9) ; dans le remplissage du « Grand fossé », nous avons recueilli un morceau d’os dont Mme Poulain a pu établir qu’il avait appartenu à un âne ; son degré de fossilisation prouvait que l’animal avait vécu à l’époque du siège.

35 Fouilles d’Alise, pl. 27.

36 Ibid.

37 Ibid., pl. 26.

38 J. Bénard, H. Ariente, Sur la circonvallation au voisinage de l’Oze, p. 8.

39 Fouilles d’Alise, pl. 39. Nous ne savons pas pourquoi Pernet en a indiqués entre la R.D. 905 et la R.D. 454 sur son plan de Pro Alésia (1re série, pl. CXX). En 1861-1865 les fouilleurs ont eu tendance à reconnaître des trous de loups dans tous les trous qu’ils rencontraient ; seul Stoffel a protesté contre cette erreur, sans grand succès.

40 B.G., VII, Ixxxii, 1.

41 Fouilles d’Alise, pl. 65, 66. Grd. Plan du 27 mars 1863.

42 Ibid., Doc. 260, avec un croquis de Stoffel.

43 T.O.O., 1977, 1, p. 4.

44 B.G., VII, lxxxv, 6.

45 Fouilles d’Alise, pl. 93, 94, 95, 97. Doc. 199 à 217.

46 Ibid., pl. 89, 90, 93, 95. Doc. 218.

47 Bonne reproduction dans J. Bénard, César devant Alésia, p. 33.

48 B.G., VII, lxxxii, 2.

49 Cf. J. Harmand, Une campagne césarienne, Alésia, p. 195-196.

50 Ibid.

51 Fouilles d’Alise, Doc. 240.

52 Ibid., pl. 240. Les deux séries de neuf paires et de six paires sont séparées par une ancienne carrière de « laves » (dalles calcaires utilisées pour les couvertures).

53 Ibid., Doc. 242.

54 Ibid., Grd. plan du 9 avril 1863.

55 Ibid., Doc. 320.

56 Sur l’artillerie romaine à Alésia, cf. J. Le Gall, « En feuilletant les Fouilles d’Alise », 1861-1865, B.S.N.A.F. 1991.

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