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La victoire de l’outil

p. 47-61


Texte intégral

1Les cavaliers germains, véritables vainqueurs de la « bataille de cavalerie », poursuivirent une partie de la chevalerie gauloise jusqu’à la rivière derrière laquelle l’infanterie de Vercingétorix était déployée en ligne de soutien et de recueil, mais ils n’affrontèrent pas cette infanterie. Quant aux légions, elles étaient demeurées sur les points où elles avaient été arrêtées au moment de l’attaque, entourant leurs bagages. Les légionnaires n’étaient intervenus que pour soutenir la cavalerie par places lorsqu’elle était en mauvaise posture.

2Il y eut donc un moment où la bataille se trouva pratiquement interrompue. Vercingétorix en profita pour dégager son armée en ordonnant le repli général vers Alésia : les trains de combat quitteraient immédiatement le campement et suivraient.

Ces Mandubiens dont nous ne savons rien

3Pourquoi vers Alésia qui est une place des Mandubii (quod est oppidum Mandubiorum) ? Ce nom des Mandubii n’apparaît que dans le De Bello Gallico au cours du récit du siège1 et dans Strabon2 qui a dû l’emprunter à César. Strabon donne à leur sujet une indication étonnante : « peuple limitrophe des Arvernes » ! L’erreur est évidente, d’où une suggestion3 selon laquelle le terme qui figure dans les manuscrits (omoros) serait une faute de copiste pour un mot d’apparence assez semblable, mais signifiant « de même esprit » (omonoos) ; il est malheureusement impossible de démontrer la pertinence de cette suggestion ; une incidente de César pourrait cependant l’appuyer : « les Mandubiens avaient accueilli (l’armée de Vercingétorix) dans leur forteresse »4. De fait, rien ne paraît indiquer que l’armée gauloise ait eu la moindre difficulté pour s’installer à Alésia.

4On n’a pu attribuer aucune monnaie gauloise aux Mandubii, il semblerait même qu’ils utilisaient les monnaies des Lingons. Peut-être étaient-ils de leurs vassaux, mais en gardant une autonomie qui leur aurait permis de se ranger aux côtés des coalisés ? À l’époque gallo-romaine, où Alésia sera une petite ville prospère, ses habitants paraissent avoir eu des relations étroites à la fois avec les Lingons et avec les Eduens. En tout cas, ils auront un ordo, c’est-à-dire un conseil qui leur sera propre.

Le mystère du camp gaulois

5Le site de la bataille de cavalerie nous échappe toujours. Il n’était pas très éloigné puisque César, ayant poursuivi l’ennemi jusqu’à la chute du jour, reprit sa marche le lendemain et arriva devant la place dès ce jour-là. Nous ne savons pas combien d’heures il a marché, mais l’étape n’a pas pu être de plus de quarante kilomètres tout au plus, puisqu’une armée romaine s’arrêtait toujours à temps pour installer un camp, le fortifier sommairement et procéder aux corvées indispensables avant la nuit. La retraite de l’armée gauloise s’était poursuivie durant la nuit, mais elle aussi n’a pu disposer pour s’installer que de quelques heures avant l’apparition de ses adversaires en face de la place. Or elle avait installé un campement5 au pied du rempart sur la partie du Mont Auxois qui regardait le soleil levant, protégé par un fossé et un mur grossier haut de six pieds (= 1,80 m). Ce mur grossier avait dû être fait avec des matériaux tirés du fossé ou qu’on avait dû quérir à proximité, des pierres, du bois. Quelle qu’ait été sa longueur, le porter à une telle hauteur implique qu’il représentait au total un fort cubage. Il n’a pas pu être édifié après l’arrivée des guerriers vaincus, par conséquent, il faut admettre qu’il avait été commencé – peut-être achevé – auparavant. Son existence prouve que Vercingétorix et les autres chefs de son armée connaissaient Alésia avant la « bataille de cavalerie », qu’ils savaient qu’ils y seraient bien accueillis par les Mandubii, et qu’ils avaient commencé à y faire exécuter des travaux en rapport avec leurs besoins pour que cet oppidum pût servir de pivot à leurs manœuvres ultérieures. Sans doute même y avaient-ils laissé une partie de leurs effectifs pour effectuer ces aménagements lorsqu’ils seraient partis à la rencontre de l’armée césarienne : l’attaque de cavalerie, qu’ils allaient lancer contre elle, n’était prévue que comme la première de ces manœuvres, puisqu’elle n’allait pas chercher à l’anéantir mais seulement à lui infliger une défaite décisive qu’il eût fallu achever ensuite.6

6Des remarques analogues peuvent être faites à propos des gens venus se réfugier dans l’oppidum avec beaucoup de bétail7. Ceci avait exigé un certain temps : décisions des autorités mandubiennes, annonces faites aux habitants dispersés dans la campagne, réunion et conduite des troupeaux, – les bovins et les moutons ne se déplacent pas très vite... –, peut-être les Mandubii ont-ils apporté également du blé car les stocks de ce peuple n’étaient pas tous conservés à Alésia ; en effet, les assiégeants allèrent en piller dans les campagnes8. Il fallut aussi y conduire les familles9. Sans doute, les habitants les plus proches de l’oppidum furent-ils les plus concernés par ces mesures car les chefs de l’armée de secours, après l’échec de leurs premières opérations, se renseigneront sur les camps « d’en haut » et les fortifications de la circonvallation auprès de gens qui savaient ce qu’il en était : c’était évidemment des gens de la région qui ne s’étaient pas réfugiés dans l’oppidum. Au total, tout se passa, semble-t-il, comme si les chefs gaulois avaient prévu qu’Alésia pourrait être assiégée comme l’avait été Gergovie... et en espérant un même succès !

7Déterminer l’emplacement du camp gaulois reste actuellement impossible faute de témoignages archéologiques. Estimant qu’il avait été occupé surtout par la cavalerie, dont les besoins en eau étaient considérables, Napoléon III l’a fait dessiner symboliquement10 sur sa planche 25 sous l’aspect d’un quadrilatère autorisant l’accès à l’Oze et à l’Ozerain. Quarante ans plus tard11, Victor Pernet dessinera en flanc du Mont Auxois une ligne compliquée englobant seulement les venues d’eau qui sourdent à la base de la falaise, à l’extrémité orientale du Mont Auxois. Tous deux font cependant allusion aux fouilles pratiquées au col entre le Mont Auxois et le Mont Pennevelle de janvier à avril 1862 : aujourd’hui nous en connaissons suffisamment les résultats pour pouvoir affirmer qu’ils ne concernaient pas le siège12. En 1911, le Commandant Espérandieu, fouillant à la Croix-Saint-Charles, y découvrit un « mur à la gauloise » (murus gallicus) du type décrit par César à l’occasion du siège d’Avaricum13, mais, semble-t-il, inachevé, prolongé par un cailloutis précédé d’un fossé. Le camp gaulois aurait-il occupé la Croix-Saint-Charles, au-dessus de la falaise, en utilisant les sources du niveau aquifère supérieur qui alimentaient le sanctuaire de Moritasgus ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, on voit mal un fossé creusé au-dessus de la falaise : à vrai dire la fouille de ce fossé et de ce cailloutis paraît avoir été menée très rapidement et nous ne sommes pas suffisamment renseignés à leur égard. Voici donc encore un mystère que nous ne pouvons percer.

César découvre Alésia

8César, venant de l’extrémité du territoire lingon où avait eu lieu la « bataille de cavalerie », a dû arriver devant Alésia par le nord. C’est donc probablement de la Montagne de Bussy ou du Réa qu’il a examiné la place et tout de suite compris qu’il ne serait pas possible de l’emporter d’assaut, ni même par un siège en règle14, mais qu’il était, par contre, possible de la bloquer de façon efficace et de l’obliger à capituler en affamant ses occupants. Les Romains avaient déjà réalisé une telle opération au siècle précédent autour de Numance et le même procédé avait été utilisé jadis contre Hannibal et récemment contre Spartacus, avec moins de succès parce qu’ils avaient réussi à rompre les lignes d’investissement. Il suffirait d’établir une solide contrevallation sur une longueur que César estima à dix mille pas (= 14,785 km). Il avait maintenant à sa disposition ses dix légions et des auxiliaires ; il ne s’agirait que des travaux de campagne qui ne surprendraient pas des hommes habitués à manier la terre et le bois pour s’enfermer dans un camp sommairement fortifié à la fin de chacune des étapes de leurs marches.

9Le paysage montrait des possibilités intéressantes : au-delà des étroites vallées de l’Oze et de l’Ozerain, le Mont Auxois était encadré par les deux « Montagnes » de Bussy et de Flavigny, si semblables à lui par leur hauteur, par leurs barres rocheuses, avec cependant quelques thalwegs qui les découpaient. Il n’y avait que deux interruptions plus dangereuses dans cet encerclement : l’étroite pointe du Pennevelle entre les deux vallées et surtout la grande « plaine de trois mille pas » à l’ouest. Tout cela serait assez facile à maîtriser par les travaux projetés. Il y avait de l’eau partout, le bois abondait ; dans la campagne, on trouverait du blé et du bétail dans les fermes puisque les Gaulois avaient renoncé à la tactique de la terre brûlée et n’avaient certainement pas eu le temps de transporter tous leurs stocks de grain et d’amener tous leurs animaux à Alésia. Peut-être ces razzias devraient-elles aller assez loin, mais elles ne couraient pas de très grands dangers puisque la cavalerie ennemie serait bloquée dans Alésia.

Les premiers travaux d’investissement

10César commença par établir des camps (castra) dans des endroits propices ainsi que vingt-trois fortins (castella) comme postes de garde. Il ne dit pas combien il y eut de camps. Les fouilleurs de 1861-1865 ont découvert trois séries d’ouvrages qu’ils ont interprétés comme des enceintes : une sur chacune des deux « Montagnes », et une dans la plaine entre la Montagne de Flavigny et l’Oze, une enceinte isolée dans la vallée du Rabutin sous le village de Grésigny, et ils en ont supposé une au pied du Réa d’après le De Bello Gallico (VII, lxxxiii, 2-3). Ils considérèrent que les plus importants étaient des castra (A, B, C, D, G, H, I, K) et les autres des castella (11, 15, 18). Ils n’en découvrirent pas sur le Pennevelle. Les castella, marqués sur la planche 25 de l’« Histoire de Jules César » par des ronds en pointillé sont purement fictifs et ne correspondent à aucune découverte archéologique. Le numéro 10, qui nous a longtemps échappé, a été repéré, en 1990.

11Les emplacements des enceintes des montagnes méritent d’être examinés, non seulement sur les cartes au 1/25 000e de l’I.G.N., mais encore sur les photographies aériennes et sur le terrain. Elles étaient toutes installées au-dessus des falaises et même à une certaine distance du rebord, c’est-à-dire qu’elles n’avaient guère à craindre une attaque directe des assiégés, qu’elles avaient de bonnes vues sur les hauts du Mont Auxois, mais aucune sur les fonds des vallées. Par contre, elles en avaient d’excellentes sur leurs arrières. Plusieurs étaient placées sur des points hauts, ce qui faciliterait en cas de besoin la défense rapprochée – avec l’artillerie et les armes de jet – et la défense immédiate contre un assaut ou une attaque surprise : ceci est particulièrement net pour les camps A et B. Les enceintes de la Montagne de Bussy, moins favorisées par le relief, bénéficiaient des mêmes avantages grâce à leur rempart et à leurs tours ; en outre, le plateau de la Montagne de Bussy est un véritable « billard » sur lequel une approche discrète eût été encore plus impossible à réaliser que sur la Montagne de Flavigny. Nous ignorons ce qu’était le boisement de l’une et l’autre, mais il est évident que les Romains avaient largement « dégagé les champs de tir ». Du haut de leurs tours, les castra pouvaient communiquer à vue directe, mais les procédés de signalisation rudimentaires dont on disposait (faire briller un bouclier au soleil, des feux) ne permettaient pas de transmettre des renseignements précis et ils ne pouvaient se faire que si aucun aléa n’intervenait (la brume, la pluie, la nuit...). Contrairement aux hypothèses de l’« Histoire de Jules César », de par leurs emplacements, il est clair qu’aucune de ces enceintes ne fut un poste de surveillance, un castellum, mais bien que toutes furent des castra ayant mission d’abriter les soldats au repos, de leur permettre éventuellement de résister à une attaque, surtout à une attaque venant de l’arrière. Les fouilleurs de 1861-1865 ont remarqué que plusieurs – et peut être toutes – avaient une porte en direction d’une source, imbus de l’idée que les camps étaient des enceintes préhistoriques remployées, ce qui ferait vraiment beaucoup d’enceintes préhistoriques réunies au même endroit. Ces enceintes sont en réalité de remarquables exemples d’adaptation au terrain, compte tenu des possibilités de l’armement de l’époque. Chaque « montagne » possédait un grand camp central, un petit à l’est et un petit à l’ouest. Il est difficile d’échapper à l’idée qu’il s’agissait d’une organisation par secteurs dans laquelle le grand camp central était prévu pour contenir des troupes suffisamment nombreuses pour manœuvrer en dehors, notamment en lançant des contre-attaques pour dégager les petits camps.

12Quant aux castella, le De Bello Gallico précise leurs missions15 de jour et de nuit : de jour, ils étaient occupés par des postes destinés à empêcher une sortie soudaine des assiégés, la nuit, ils étaient tenus par des veilleurs et par de fortes garnisons. On peut en déduire qu’ils étaient tenus par des hommes moins nombreux le jour parce qu’ils avaient surtout un rôle d’avertissement (de « sonnette » pourrait-on dire), les troupes nécessaires pouvant être appelées et arriver rapidement là où il faudrait, mais que la nuit il fallait qu’ils pussent résister par eux-mêmes, les manœuvres étant plus difficiles à déclencher et à réaliser que le jour. Ces castella devaient être placés au rebord des plateaux et dans les quelques petites vallées qui les découpaient et paraissaient favoriser des sorties des assiégés. Aucun de ces postes n’a été retrouvé par les fouilleurs de 1861-1865, parce qu’ils ne comportaient sans doute que des fortifications sommaires, peut-être simplement des palissades, peut-être aussi parce qu’on ne les a pas cherchés là où il eût fallu, puisqu’on considérait que les enceintes 11, 15 et 18 étaient des castella.

13Par la suite les enceintes des deux « Montagnes » seront entourées par la circonvallation destinée à arrêter les attaques de l’armée de secours. Les remparts des côtés extérieurs des camps B et C en feront partie mais à l’origine toutes ces enceintes avaient été conçues pour résister isolément. Malheureusement de leurs défenses ne subsiste que le fossé qui a été exploré par les fouilleurs du Second Empire et qui apparaît parfois sur les photographies aériennes actuelles.

Le camp C16

14Les fossés du camp C présentaient un profil en V avec un léger replat à la base, une ouverture de 4 m et une profondeur de 1,70 m au nord, une ouverture de 3 m et une profondeur de 1,20 m au sud. Ils étaient taillés dans la rocaille, c’est-à-dire dans le roc, qui, sur la Montagne de Bussy comme ailleurs, a été disloqué par le gel des grandes glaciations quaternaires. Ce camp avait une porte au sud, révélée en 1990 par les photographies aériennes de M. Goguey17. Ces portes étaient protégées par un titulus, dispositif constaté pour la première fois à Alésia ; il semble que ce titulus était formé par la terre extraite de deux petits fossés parallèles, terre rejetée entre eux. Elle portait peut-être une palissade plus ou moins sommaire. Au centre de la porte, un trou avait sans doute contenu un poteau faisant partie d’un dispositif de fermeture. La découverte de ces portes est importante car elle prouve qu’on avait prévu que les troupes installées dans le camp C pourraient en sortir pour agir entre les lignes ou sur le plateau qu’est la Montagne de Bussy, soit pour conduire une contre-attaque au profit des camps 15 ou 18, soit pour une autre mission. La photographie aérienne a également révélé que la lisière nord du camp C’était bordée de petits fossés qui ont dû contenir des pièges du genre des cippi décrits par César, mais ils n’ont peut-être été établis que lorsque cette lisière a été insérée dans la circonvallation. Des embases de tours à quatre poteaux ont aussi été repérées sur le tracé de l’agger. Avec une superficie approximative de 9,5 ha18 le camp C a été le plus grand de tous, mais on ne peut en déduire l’effectif auquel il était destiné. Avec ses 36 ares, le camp 15 est au contraire le plus petit. Le camp 18 couvrait environ 1,21 ha19.

Le camp B20

15Le camp B est recouvert aujourd’hui par le bois des Chaumes de Queil, qui n’existait pas sous le Second Empire où l’on parlait plutôt de la Montagne des Buis. Une porte, large de 8 m, donnait un accès facile à une source (source de Queil). Selon l’Atlas, son fossé, en V, avait une ouverture de 2,65 m à 3,70 m pour une profondeur de 1,50 m à 2,10 m, selon Pernet une ouverture de 3,20 m pour une profondeur de 1,80 m. Il avait une superficie d’environ 7 ha, tandis que l’enceinte 11 mesurait 1 ha, de même que l’enceinte 10. Le fossé de 11 avait une ouverture de 2,20 m pour une profondeur de 1,10 m. Celui de l’enceinte 10 avait une ouverture de 2,10 m pour une profondeur de 1,20 m.

Image

Fig. 10 : Le camp C (Photo R. Goguey, 1990).

Le camp A : P.C. de César ?

16Le camp A a été découvert le premier. Il l’a été en septembre 1862, au début de la direction de Stoffel21 qui avait entrepris de chercher la circonvallation sur la Montagne de Flavigny en partant des découvertes faites dans la Plaine des Laumes. Ce camp attira immédiatement l’attention par les trois fossés dont on crut qu’il avait été doté face au sud. C’était une erreur car deux de ces fosses ont fait partie de la circonvallation. Ils étaient donc postérieurs au camp. Il reste que sa superficie, d’environ 3 ha, est triple de celle du camp 11, son symétrique par rapport au camp central B, ce qui implique qu’il était occupé par des forces beaucoup plus importantes, que sa forme est modelée sur celle d’un bombement du terrain particulièrement net aujourd’hui encore. Sa porte – ou une de ses portes –, large de 8 à 9 m, a été repérée à son angle nord-ouest. De ce côté nord, où sa murée effondrée forme un large cailloutis boisé, il dominait un glacis en pente douce dans lequel il y avait un point d’eau22. Ce talus, large d’environ 150 m, gênait la vue sur la « plaine de trois mille pas », mais il dominait la falaise du sommet de laquelle on en avait d’excellentes, ce qui explique qu’au moment des derniers combats, César ait dû choisir cet observatoire23 si, comme on le pense généralement, il avait installé son poste de commandement dans le camp A. Ajoutons que si les camps pouvaient communiquer entre eux par des signaux, le camp A paraît avoir été le seul qui pouvait le faire avec tous en utilisant une tour de bois d’assez faible hauteur. C’est certainement lui qui avait aussi les meilleures vues sur le plateau sommital du Mont Auxois et qui pouvait donc le mieux surveiller ce qu’y faisaient les assiégés24. Une monnaie gauloise en argent, peut-être au nom de Dubnorix25, a été trouvée en le traversant.

Les camps de la Plaine des Laumes

17En 1861, on avait rencontré un, puis deux fossés qui partaient de la circonvallation a la fouille 5426. On n’avait su quoi en faire. Stoffel en fit reprendre l’étude en octobre 1863 dans l’espoir qu’on trouverait ainsi un des castella27 de la plaine. En réalité, ces fossés n’avaient probablement rien à voir avec le siège, mais ces travaux conduisirent à la découverte du camp H28. La pl. 35 montre qu’il se trouvait entre la gare des Laumes – dans son état de l’époque - et les abords de l’Oze, vers lequel il avait une porte. Sa forme était celle d’un quadrilatère irrégulier, sa superficie était d'environ 2,5 ha, son fossé de forme triangulaire avait en moyenne 2,30 m d’ouverture et 1 m de profondeur. Depuis longtemps, son emplacement a été submergé par l’extension de la gare et par les constructions des Laumes.

18Le camp K29 (appelé d’abord castellum des Eenaults) est encore plus mal connu. Il ne figure sur aucune planche, mais seulement sur les « Grands Plans » du 1er septembre 1862 et du 7 janvier 1863. En forme de trapèze irrégulier, allongé du sud au nord, la base appuyée à l’Ozerain, la partie sud dominant de 4 a 5 m ; sa superficie était d’environ 6 ha. Sa défense était assurée par des travaux exceptionnels qui ont attiré l’attention des fouilleurs, sans qu’ils aient pu les expliquer d’une manière certaine. En effet les côtés ouest et sud possédaient deux fossés, l’un triangulaire avec 1,50 m d’ouverture mais 1 m de profondeur, le second de 1,50 m d’ouverture mais 1,20 m de profondeur. Ils étaient distants de 6 m de bord à bord, cet espace étant creusé en arc de cercle avec une flèche de 0,60 m. Sans doute y avait-on placé des obstacles en bois, du genre des abattis. Les côtés est et nord n’avaient qu’un seul fossé mais de 2,40 m d’ouverture, 1,90 m de profondeur et 0,50 m de cuvette. Peut-être avait-on fortifié les côtés ouest et sud parce qu’ils étaient les plus exposés à des attaques venant de l’extérieur, tandis que les côtés nord et est bénéficiaient d’une protection supplémentaire grâce à l’Ozerain contre celles que pouvaient lancer les assiégés ? On a recueilli dans ce camp une monnaie gauloise en argent au nom de Togirix et une monnaie gauloise en bronze, peut-être arverne selon De Saulcy30.

19Le camp I31, d’abord appelé « castellum de l’Epineuse », a été découvert en mars-avril 1864. Nous possédons le brouillon d’un plan assez détaillé, accompagné d’une demi-douzaine de coupes. Il avait la forme d’un losange irrégulier dont une pointe se trouvait à peu près au carrefour de la D. 905, de la D. 103 et du chemin qui conduit à la ferme de l’Epineuse ; son quatrième côté, le plus proche de la Brenne, n’a pas été découvert ; son fossé, dégagé en 1864, avait une ouverture variant de 2,20 m à 3,40 m pour une profondeur de 1,20 m. La superficie était d’environ 4,5 ha. Aucune porte n’ayant été repérée, il s’agissait-il d’un camp ?

20Dans la plaine des Laumes, les conditions naturelles étaient évidemment très différentes de celles des montagnes. Par temps de pluie, elle reste longtemps assez humide parce que le sous-sol argileux ne permet à l’eau de s’y infiltrer que lentement, mais elle ne paraît pas avoir comporté un véritable marais permanent comme l’avaient cru les fouilleurs de 1861 – d’ailleurs pour une faible surface. Nous ignorons donc ce qui a commandé les tracés irréguliers des camps H et K. Ce qui frappe, c’est la distance à laquelle ils se trouvaient du pied du Mont Auxois : 1 750 m pour K, 2 250 m pour H. De telles distances étaient évidemment destinées à les mettre à l’abri d’une attaque surprise de la cavalerie des assiégés, car il lui eût fallu quelque cinq minutes pour les atteindre en étant lancée au galop et en ne rencontrant aucun obstacle.

21Le camp K était nettement plus grand que H. En outre, il était le seul qui dominât l’ensemble du secteur : c’est donc très probablement lui qui jouait, pour le secteur, le rôle particulier qui était dévolu à B et à C sur les « Montagnes ». Quant aux castella, nous ne pouvons dire où ils étaient installés : sans doute étaient-ils distribués entre les camps afin de ne pas laisser sans surveillance approchée les longues distances qui les séparaient : de nuit surtout, il eût été facile de faire passer à travers ces intervalles des messagers, des renforts, des vivres.

Le camp G a-t-il existé ?

22Le camp G se serait situé dans la vallée du Rabutin, à l’emplacement du village de Grésigny. Les seules pièces des archives qui y font allusion sont les « Grands Plans » du 1er septembre 1862 et du 7 janvier 1863, complétés après ces dates. En outre, la planche 28 de l’Atlas en donne deux coupes. Ceci mis à part, nous ne possédons à son sujet qu’un récit de Pernet qui mérite d’être reproduit32.

23« Ignorant encore ce qui pouvait se trouver de travaux romains dans la plaine, sur la rive gauche du Rabutin, on ouvrit une tranchée indéfinie parallèle au cours du ruisseau entre le chemin de fer et le village de Grésigny. Cette tranchée nous mit sur la trace d’un double fossé qui, poussé en avant, nous fit découvrir le camp de cavalerie G et, en aval, nous conduisit près de l’Oze. Ces fossés triangulaires avaient un mètre de profondeur.

24Dans la délimitation du camp G nous nous heurtions à de grandes difficultés pratiques. Pour ne pas perdre la direction du fossé d’enceinte, il fallait faire des tranchées très rapprochées. Mais nous étions obligés de fouiller au milieu des rues, des jardins, dans les cours d’habitation, dans les écuries, jusque dans les caves, et parfois nous étions bien gênés par l’eau qui envahissait les tranchées. C’était un travail difficile et pénible. Malgré tous ces ennuis, nous sommes arrivés à circonscrire le camp et à en découvrir la porte. Les habitants nous autorisaient facilement à entrer chez eux pour opérer nos recherches ; les indemnités, ici comme ailleurs, étaient réglées de suite et à l’amiable.

25Le fossé d’enceinte du camp n’a pas partout la même forme. Près de la porte, il est quadrangulaire, avec 4,50 m d’ouverture, 1,40 m de cuvette et 2 m de profondeur. Au côté opposé, il est triangulaire avec 3,80 m d’ouverture et 1,60 m de profondeur. Une petite portion de ce fossé sert encore aujourd’hui de fossé au château ».

26La découverte date certainement de la direction de Stoffel. Elle a dû être faite durant l’hiver 1862-1863 et la note de Pernet semble indiquer qu’à ce moment on n’attribuait plus aux travaux du siège le fossé parallèle à la limite sud de Grésigny, découvert au printemps précédent33, dans lequel on avait recueilli un fragment de vase dont nous savons aujourd’hui qu’il était en céramique sigillée, et pas davantage celui qui était perpendiculaire. Celui-ci avait mis au jour un squelette sans mobilier et quelques dents humaines. Ces ossements n’avaient pu appartenir à des combattants de 52 av. J.-C.

27Tout aussi embarrassants sont les deux fossés symétriques qui apparaissaient de part et d’autre du Rabutin sur les planches 25 et 28 de l’Atlas, entre Grésigny et l’Oze. Pernet en donne les dimensions : 2,10 m d’ouverture, 1 m de profondeur, ce qui paraît peu pour des fossés du siège, auxquels on ne voit guère quel rôle militaire aurait pu leur être attribué dans cette basse vallée, très alluviale, où le Rabutin s’est fréquemment déplacé si l’on en juge d’après les photographies aériennes. Il s’agit peut-être de fossés de drainage d’une époque indéterminée. D’ailleurs, ils ne figurent pas sur le « Grand Plan » du 27 mars 1863.

28Pour revenir au camp G lui-même, les deux coupes de son fossé données par la planche 28 de l’Atlas ont des dimensions parfaitement acceptables : 4,50 m d’ouverture, 2 m de profondeur, 3,80 m d’ouverture, 1,60 m de profondeur et une forme en V. Il n’y a pas à douter que les fouilleurs de 1861-1865 aient cru à un camp antique, mais il est inquiétant que Pernet ait noté : « Une petite portion de ce fossé sert encore aujourd’hui comme fossé du château ». N’aurait-on pas pris pour un fossé de César un fossé médiéval ?

29Du point de vue militaire, on pourrait invoquer des arguments contradictoires : placé à un endroit étroit de la vallée du Rabutin, le camp aurait formé un bouchon efficace, mais il eût été dominé des deux côtés par des pentes d’où auraient pu partir des tirs particulièrement dangereux contre les tentes des légionnaires. D’autre part, il eût été le plus vaste après le camp C : 9 ha d’après l’évaluation de J. Harmand34. À quelles manœuvres eût-on destiné les troupes qui y eussent été installées ?

Le problème des camps du Réa

30Le mont Réa a posé – et continue de poser – un problème insoluble au sujet des camps. Du camp H au Camp G – si celui-ci a bien existé – il y aurait environ 2 800 m en ligne droite. Il est impossible que César ait accepté l’existence d’une telle brèche dans la répartition de ses fortins autour de la place et sur un sommet d’où on a des vues fort étendues sur la « plaine de trois mille pas » et sur la vallée de l’Oze. Les fouilleurs de 1861-1865 ont donc tenté, à maintes reprises, de trouver des vestiges de ces castra ou de ces castella sur son sommet, mais ils n’ont pratiquement rien pu faire sur le bois très touffu existant déjà sur la croupe occidentale à leur époque. Ils ont retourné en vain les lieux-dits « Les Friches » et « Chaumes Rondes » sur la croupe nord-est, dominant Grésigny. Aujourd’hui, la photographie aérienne n’a toujours rien révélé, même dans les terrains découverts. Tout cela ne signifie pas que les Romains n’aient pas occupé le sommet du Réa, au moins au début du siège, mais les traces ont pu être détruites par les carrières qui y furent exploitées plus tard. Les castella 22 et 23 de l’« Histoire de Jules César » sont purement fictifs et ce qu’elle appelle « Camp D » et que ses planches 25 et 26 situent d’ailleurs sur les pentes inférieures, est un ensemble complexe qui exige une étude très spéciale : nous nous en occuperons ultérieurement.

Pas de camp sur le Pennevelle ?

31À l’opposé du site, aucune enceinte n’a été découverte à ce jour sur le Pennevelle dont la pointe est très étroite et entourée de pentes très raides aussi bien du côté de l’Oze que du côté de l’Ozerain. Un détachement installé là n’aurait pu avoir qu’un effectif faible et n’aurait guère pu être secouru s’il avait été attaqué par ses arrières.

Les camps et la contrevallation au Réa

32Les castra avaient en réalité un triple rôle : d’abord mettre les troupes à l’abri d’une attaque inopinée, ensuite – question de discipline –, il était interdit aux hommes d’en sortir sans en avoir l’ordre, par exemple pour aller piller individuellement les campagnes. Mais parmi les missions qu’on leurs donnait, il y avait celles d’en sortir en unités constituées sous les ordres de leurs officiers pour établir une contrevallation qui entourerait complètement la place et interdirait aux adversaires toute sortie. Cette contrevallation serait évidemment établie en avant des camps, dans des positions favorables, c’est-à-dire suffisamment loin de la place pour laisser le temps aux soldats d’abandonner leur travail, de se rééquiper, de reprendre leurs formations de combats. Lorsqu’ils verraient une attaque ennemie déferler vers eux depuis l’oppidum, il serait avantageux qu’ils fussent alors placés sur des positions élevées pour la voir de plus loin, pour que l’ennemi perdît de son élan en montant la pente et pour que les armes de jet des Romains – les pila surtout – eussent une plus grande portée.

33D’avril à la fin de juillet 186135, les premières fouilles avaient été effectuées dans la plaine des Laumes. Elles avaient donné satisfaction puisqu’elles avaient permis de trouver les fossés de la contrevallation et de la circonvallation, mais on ne s’était pas préoccupé de leurs rapports avec les camps qui n’allaient être découverts que plus tard. Suspendues pendant le mois d’août à cause de la moisson, elles allaient reprendre au 1er septembre36. Il s’agirait, cette fois, de trouver la prolongation des deux lignes au-delà de l’Oze, c’est-à-dire à la base et au flanc du Réa. Les conditions de la recherche allaient s’y avérer beaucoup plus difficiles parce qu’il s’agissait souvent de pentes d’inclinaison forte, et même très forte, de terrains marneux dans lesquels s’étaient produits des glissements souvent importants, et les fossés avaient été obstrués par les marnes elles-mêmes dans lesquelles ils avaient été creusés. Les travaux furent parfois interrompus, soit que la sécheresse rendît les terres trop dures, soit que l’humidité les rendît trop collantes ; enfin tant sur le territoire de Grésigny que sur celui de Ménétreux, il existait des vignes dans lesquelles il était difficile, voire même impossible de travailler.

34Faits exactement en face des découvertes de la plaine, les premiers essais ne donnèrent rien. Il fallut se résoudre à reprendre la technique des tranchées de recherche, c’est-à-dire de ces tranchées tracées perpendiculairement à la disposition probable des travaux romains, longues parfois de plusieurs centaines de mètres sans donner aucun résultat, mais qui finissaient effectivement par recouper ces travaux, une technique simple à laquelle on eut recours à maintes reprises pendant toute la durée des fouilles napoléoniennes.

35Une de ces tranchées rencontra effectivement un fossé au flanc du Réa, rencontre qui fut considérée comme la fouille 7137. Ce fossé continuait de part et d’autre. À l’ouest, il descendait peu à peu et finissait par rejoindre l’Oze38. La fouille 71 était à une altitude d’environ 275 m et le fossé se poursuivait à peu près à cette altitude sur 500 m environ avant de disparaître dans les vignes de Grésigny. Cette section était la plus élevée, elle dominait d’une trentaine de mètres le fond plat de la vallée, remplissant ainsi les conditions que nous avions définies. On ne douta pas qu’il s’agissait de la contrevallation. Cette position eût facilité le déclenchement de contre-attaques, aussi la section était-elle dotée d’une porte à clavicula externe. À vrai dire, le fossé dans les parties hautes était plutôt une plate-forme dont la terre avait dû servir à établir l’agger, mais dans les parties basses, il s’agissait d’un véritable fossé de fortes dimensions : 4 m d’ouverture, 1,90 m de profondeur. On recueillit, à la fouille 70, un débris de fer, considéré comme « une lame de javelot à un accroc », à la fouille 73 une « monnaie de billon » gauloise – probablement un potin –, à la fouille 71 une monnaie romaine39. La partie haute de la ligne était dominée par une crête militaire, pourtant il n’y avait aucune défense dans cette direction. C’est un argument important pour supposer qu’il y avait un ou plusieurs camps en arrière sur le sommet du Réa.

36Pour retrouver la ligne au-delà des vignes de Grésigny, on eut recours à une tranchée de recherche et on la rencontra autour du lieu-dit « La Coprie », dominant le Rabutin et le village de Grésigny. Le point de rencontre fut considéré comme la fouille 17840. On la poursuivit ensuite, de proche en proche, du numéro 173 au numéro 183, sur une longueur d’environ 175 m. Sur les plans, on a l’impression que cette ligne colle à un chemin rural, en réalité elle était nettement en arrière, parfois à trois mètres de distance. Elle était à peu près à la même altitude que dans la partie haute, à l’ouest des vignes (275 m), et elle dominait les terrains plats de vingt-cinq mètres. Le fossé était à fond plat, vertical à l’avant, en pente assez forte à l’arrière ; la profondeur retrouvée pouvait atteindre 1,50 m, mais elle avait probablement été diminuée par la culture ; il y avait une interruption, brève, entre les fouilles 179 et 180, sans qu’on ait pu établir s’il s’agissait d’une porte. Ces recherches eurent lieu en avril 1862. On recueillit des débris d’os, d’amphores, de bois, ceux-ci paraissaient carbonisés41. En septembre 1862, on compléta par une fouille à la tête de la combe Vaudin, toujours à la même altitude42. Cette fouille révéla un fossé en forme de V, d’une ouverture de 2,50 m pour une profondeur de 1,30 m. Le croquis43 est accompagné de la note suivante : « dans une fouille ouverte sur 7 m de longueur, on a trouvé une quantité considérable de poteries (débris d’amphores) de granit, des os humains, des dents et autres os d’animaux ». On ne peut guère douter que les travaux repérés de la fouille 183 à la fouille 284 aient fait partie de la même contrevallation ; ce qui en témoigne plus que les objets trouvés, c’est leur situation à la même altitude de 275 m, leur domination au-dessus des terrains bas qui a été voulue et ne peut s’expliquer que par des raisons militaires.

En aval de Grésigny

37Le terrain étant ensemencé en chènevières, on ne fouilla pas entre la fouille 183 et le village de Grésigny, sauf en bordure d’un chemin rural où la fouille 186 donna la coupe d’un grand fossé en V, d’une ouverture de 4 m pour une profondeur de 2 m. On recommença à creuser méthodiquement au-delà du Rabutin44 : on y trouva un fossé parallèle à la lisière méridionale du village, d’abord en V, ensuite à fond de cuve, d’une ouverture de 2,40 m à 4,60 m, d’une profondeur de 1,40 m ; on y recueillit « la moitié d’un magnifique vase en poterie rouge très fine avec un dessin en relief au pourtour représentant une chasse ». On ne pouvait savoir en 1862 que c’était un vase en céramique sigillée postérieur au siège : il s’agit du no 8 220 du registre des entrées du Musée des Antiquités Nationales. Ce fossé ne continuait pas au-delà du chemin no 745, aujourd’hui la D 954 ; sans doute n’avait-il rien à voir avec le siège. On reporta les ouvriers loin en amont.

Deux lignes montantes vers le sommet du Réa

38Les premiers essais effectués au-delà de l’Oze dans l’alignement de la circonvallation découverte dans la plaine des Laumes, n’avaient rien donné, mais durant l’hiver de 1861, on découvrit, sur le territoire de Menetreux, donc à l’ouest de la contrevallation, deux tranchées qui montaient directement de la rivière vers le bois du Réa. La première (fouilles 76 à 110)46, qu’on essaya en vain de suivre à l’intérieur du bois, était presque rectiligne. Elle avait des dimensions variables – de 5 à 2 m d’ouverture, pour une profondeur de 2 à 0,80 m. On trouva dans une fouille « des débris d’amphores et des os », une pièce gauloise en billon – un potin ( ?) –, une « pierre de fronde » en granit rouge.

39La seconde se trouvait de 150 à 200 m plus à l’ouest (fouilles 111 à 153). À sa base, elle avait des dimensions vraiment exceptionnelles : 5,60 m d’ouverture, une profondeur de 2,40 m, un fond plat de 1,50 m, tandis qu’à la partie haute, le fossé faisait plusieurs angles droits. En même temps, ses dimensions diminuaient et on avait tendance à retrouver une forme dissymétrique analogue à celle constatée à la partie haute de la contrevallation sur le territoire de Grésigny. Aux fouilles 151 et 152, on rencontra un débris de mur en pierres sèches qui ne pouvait avoir eu aucun rapport avec les travaux du siège : on abandonna la recherche.

40D’après les objets recueillis, le premier de ces deux fossés était probablement antique, mais aucun objet n’a été recueilli dans le second. De celui-ci, la partie inférieure était peut-être antique, les fouilleurs de 1861 se seraient laissés tromper par des travaux médiévaux ou modernes abandonnés de longue date. Même dans l’hypothèse la plus favorable, à quoi auraient pu servir deux fossés montant de l’Oze au Réa ? Peut-être à permettre à des soldats établis au sommet au début du siège à venir s’approvisionner en eau – hommes et chevaux – en sécurité à la rivière ? Les fouilleurs de 1861 nous ont laissé là un mystère que rien ne nous permet de résoudre.

Dans la vallée de l’Ozerain : une contrevallation47

41Au mois de juin 1862, une partie des ouvriers fut envoyée dans la plaine des Laumes pour y chercher la prolongation vers le sud des fossés repérés l’année précédente. On les retrouva d’abord sans beaucoup de difficulté, mais ils avaient disparu dans la zone qu’avait affectée des divagations de l’Ozerain postérieures au siège.

42Les moissons sur pied obligèrent à reprendre les recherches loin en amont dans une zone en jachères dominant la rive gauche. On était là sur les pentes de la « Montagne de Flavigny » et les recherches y furent difficiles comme elles l’avaient été au Réa, pour des raisons analogues. On reconnut le fond d’un fossé grâce aux pierres qui y avaient glissé et aux coquilles des escargots qui y étaient morts. On put suivre ce fossé jusqu’au ruisseau de Queuil, dit aussi de « Villemartin ». On constata qu’il n’avait pas existé au-delà. Il courait parallèlement au « chemin rural de Flavigny à Mussy-la-Fosse », à peu près disparu aujourd’hui, en montant peu à peu vers l’est où il se maintenait à une altitude d’environ 300 m, dominant la rivière d’une quarantaine de mètres par des pentes raides. C’était évidemment une contrevallation analogue à celle qui avait été trouvée au Réa. On estima que ce fossé, généralement en V, mais parfois à fond plat, large de 20 à 40 cm, avait dû posséder une ouverture de 3 m environ et une profondeur d’1,30 m. Il avait eu au moins une interruption large de 8 m qui avait dû correspondre à une porte à clavicule analogue à celle du Réa.

Départ de la cavalerie gauloise

43La cavalerie gauloise essaya d’empêcher les travaux. Un violent combat de cavalerie en résulta dans la « plaine de trois mille pas »48. La cavalerie romaine se trouva en difficulté. Alors César fit donner les Germains et déployer les légions en avant des camps, certainement de ceux de la plaine, peut – être aussi des autres afin d’impressionner les combattants. C’était la tactique à laquelle Vercingétorix avait eu recours lors de la « bataille de cavalerie », mais la menace d’une intervention des légions était autrement plus sérieuse que celle de la piétaille gauloise ! Finalement les Romains ou plutôt les Germains l’emportèrent et poursuivirent les cavaliers gaulois jusqu’à leur camp. Ils en firent un grand carnage dont les traces furent peut-être découvertes en 1849 ou 1850 lorsqu’on établit la ligne de chemin de fer dans la vallée de l’Oze sur le territoire de Grésigny : « une grande quantité d’ossements pétrifiés ou calcinés tant d’hommes que de chevaux ; vers la même époque ou peut-être plus tôt, on avait recueilli plus haut sur la pente du Mont Auxois des pièces gauloises au milieu d’un amas d’ossements humains »49.

44Vercingétorix se rendit compte que sa cavalerie ne pourrait empêcher la fermeture de l’investissement. Sans doute, les Gaulois avaient-ils compris aussi ce qu’allaient être les travaux romains : contre eux la cavalerie ne servirait à rien. Manger les chevaux ? Il y a quelques décennies, les tabous étaient à la mode, on a pensé que les Gaulois ne mangeaient pas de chevaux, mais cette idée ne reposait sur aucun indice. Ils auraient donc pu servir de réserve de viande sur pied : il eût fallu les nourrir et nourrir les cavaliers... Or ces cavaliers constituaient une chevalerie d’essence noble, les cadres des nations gauloises. Par conséquent, il y avait mieux à faire. Qu’ils retournent chez eux, mobilisent tous les hommes en âge de porter les armes et que cette levée en masse vienne se jeter dans le dos des Romains et les accabler sous le nombre : telle fut la mission que leur donna Vercingétorix en les libérant50.

45Ils partirent la nuit par la brèche qui s’ouvrait encore dans la ligne romaine, certainement par le Pennevelle, en silence. Les Romains ne les entendirent pas, ou peut-être se rendirent-ils compte qu’ils ne pouvaient rien faire. Vercingétorix avait prévenu ceux qui partaient qu’il leur faudrait agir vite, car il resterait dans la place 80 000 fantassins et les réfugiés avec du blé seulement pour trente jours, pour un peu plus en le rationnant, et du bétail, tant celui qu’avaient amené les Mandubiens que les animaux qui avaient tracté les charrettes des trains de combat.

Notes de bas de page

1 B.G., VII, lxviii, 1 ; lxxviii, 3.

2 Strabon, Geogr., IV, 2,3.

3 Due à M. l’abbé Villette.

4 B.G., VII, lxxviii, 3.

5 Les Gaulois se mirent à fortifier leurs camps après la prise d’Avaricum (B.G., VII, xxx4).

6 C’est du moins ce qu’on pourrait déduire du discours avant la bataille prêté à Vercingétorix, en VII, lxvi, 3-6. Voir A. Deyber, La bataille d’Alésia, les raisons d’un choix, p. 69.

7 B.G., VII, lxxi, 7.

8 B.G., VII, lxxiii, 1.

9 B.G., VII, lxxviii, 3-4.

10 Cf. Napoléon III, Histoire de Jules César, p. 263.

11 V. Pernet, Notes sur Alise et ses environs, p. 556-558 et pl. CXX.

12 Fouilles d’Alise-Sainte-Reine, 1861-1865, op. cit., pl. 77 à 83, documents 144, 147, 148, 149, 159, 161, 162, 163, 166, 167, 169, 170, 171. Au pied même du Pennevelle, il semble qu’il s’agissait d’un village antique ( ?). Il y avait aussi, dans l’axe du col, une chaussée est-ouest antérieure à la voie romaine ; dans un fossé sud-nord, on a trouvé un javelot ( ?), mais il était dans l’axe du vallon dévalant vers le sud, c’est-à-dire dans une situation qui eût été intenable sous des tirs venant du bas du Pennevelle ; enfin, la fondation de mur qui l’accompagnait sur une courte longueur s’en détachait et tournait vers le village ( ?) du pied du Pennevelle.

13 B.G., VII, xxiii.

14 Tout ceci est présenté d’une manière condensée mais parfaitement claire dans VII, lxviii, 3 ; lxxviiii, 1 : « Siège en règle ». On pense à Avaricum ou, mieux, à Massada, dont la topographie évoque assez bien celle d’Alésia et qui fut emportée en 73 ap. J.-C. sur les derniers insurgés juifs grâce à une gigantesque rampe d’assaut. À Alésia, une rampe analogue eut sans doute pu être établie pour accéder à la région de la Croix-Saint-Charles, mais il eût fallu disposer de temps et de la main-d’œuvre nécessaires et consentir de lourdes pertes par une attaque frontale.

15 B.G., VII, lxix, 7.

16 Fouilles d’Alésia, pl. 109, 110 ; Atlas, pl. 28, doc. 234, 235, 236, 241, 242.

17 C.R.A.I., 1991.

18 D’après l’estimation de J. Harmand, Une campagne césarienne, Alésia, p. 223. Même origine pour les surfaces attribuées ci-après aux camps reconnus comme tels par Napoléon III.

19 Les surfaces approximatives des enceintes considérées par Napoléon III comme des castella ont été calculées à partir du Grand Plan du 1er septembre 1862.

20 Atlas, pl. 28, doc. 232, 238, 240 ; V. Pernet, op. cit., p. 418.

21 Fouilles d’Alise, pl. 111 (brouillon du croquis donné par l’Atlas, pl. 28) ; doc. 232, 238, 240.

22 Connu aujourd’hui sous le nom de « Puit Kir », parce que ce champ a été cultivé jadis par le père du Chanoine Kir, le fameux député-maire de Dijon.

23 B.G., VII, lxxxv, 1.

24 Les boisements actuels gênent toutes ces vues.

25 Fouilles d’Alise, doc. 287.

26 Fouilles d’Alise, doc 290. Dans les documents de l’époque, Stoffel ne parle jamais que de castella sans chercher à distinguer castra et castella.

27 Fouilles d’Alise, doc. 294.

28 Atlas, pl. 28 ; Grands Plans du 1er septembre 1862 et du 7 janvier 1863 ; Fouilles d’Alise, doc. 308 et 309.

29 Fouilles d’Alise, doc. 308 et 309.

30 Fouilles d’Alise, doc. 336.

31 Atlas, pl. 28 ; Fouilles d’Alise, doc. 303, 305, 306, 307.

32 V. Pernet, op. cit., p. 352-353.

33 Fouilles d’Alise, pl. 70, 71, 72 (fouilles 187 à 195).

34 Op. cit., supra n. 19.

35 Fouilles d’Alise, doc. 37 et 105.

36 Fouilles d’Alise, doc. 115.

37 Fouilles d’Alise, pl. 40.

38 Fouilles 99 et 100. Au voisinage de l’Oze, le terrain avait été affecté par l’évolution de la rivière postérieurement au siège.

39 Fouilles d’Alise, pl. 40, 41 ; doc. 128, n. 13, 130, 131, n. 3, 145, n. 5.

40 Fouilles d’Alise, pl. 67, 38, 39, 71.

41 Fouilles d’Alise, doc. 169.

42 Dans les parages de la cote 276 de la carte de l’I.G.N. au 1/25 000e.

43 Fouilles d’Alise, pl. 68. Cf. Grand Plan du 1er septembre 1862 ; doc. 224.

44 Fouilles d’Alise, F. 187 à 192. Un fossé perpendiculaire, tracé en direction du village mit au jour un squelette que n’accompagnait aucun matériel ; ce n’était certainement pas celui d’une victime des combats de 52 av. J.-C.

45 On rencontra seulement un mur qui avait appartenu à un petit aqueduc local, peut-être antique mais évidemment postérieur au siège.

46 Fouilles d’Alise, pl. 41, 43, 45 et suiv., 50 ; doc. 127.

47 Fouilles d’Alise, pl. 98, 104. Doc. 183 et suiv., 203. Cette contrevallation ne figure pas sur les pl. 25 et 28 de l’Atlas, mais Pernet n’a pas oublié de la marquer sur son plan de Pro Alesia (op. cit., p. 556-558, pl. CXX), y compris la porte qu’il a dessinée avec une clavicula interne.

48 B.G., VII, lxx et lxxi ; voir supra n. 11.

49 B.G., VII, lxx, 1.

50 B.G., VII, lxxi, 1-5.

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